Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOURLETTE, André
BOURLETTE (André), homme politique, né à Liége, vers 1500, décapité à Bouillon en juillet 1569. Etant receveur du duché de Limbourg, il avait recherché et obtenu en 1538 la charge de drossart et de receveur des pays d’Outre-Meuse, devenue vacante par la mort de Servais Vander Heyden ; mais, déjà en 1549, il se démit de ces nouvelles fonctions sous le prétexte que sa qualité de Liégeois le mettait en suspicion auprès des gens du pays et lui occasionnait de nombreux désagréments. Sa position de receveur du duché de Limbourg ne présentait pas, à ce qu’il paraît, les mêmes inconvénients, puisqu’il la conserva jusqu’au moment où il fut mis à la pension. Il vint alors résider dans sa ville natale où son nom, sa grande fortune, sa familiarité avec quelques hauts et puissants personnages lui permirent de jouer un certain rôle. Il penchait depuis longtemps vers les idées nouvelles, mais il est probable que sa qualité de pensionnaire du roi d’Espagne, et surtout le mariage de sa fille avec Jean de Somme, un Liégeois qui servait le même souverain, l’obligèrent à une grande réserve. Les limiers de l’inquisition découvrirent cependant qu’il aidait les novateurs liégeois de ses avis, et qu’il leur avait conseillé d’en appeler aux tribunaux et à la diète de l’Empire, des rigueurs de leur prince-évêque contre les protestants. Un piège lui fut tendu, et, à la suite d’un bon dîner, un faux ami et un moine déposèrent contre lui. Un curieux procès s’ensuivit. Les tribunaux ecclésiastiques, fondant leur compétence sur une accusation d’hérésie, vinrent au secours des tribunaux civils, qui reculaient déjà devant une violation des vieilles lois et franchises du pays. On arrêta Bourlette dans sa maison, rue Pierreuse, et on le condamna, en janvier 1567, d’une façon non moins illégale, à la confiscation de ses biens meubles et immeubles et à un bannissement perpétuel. Puis, au lieu de le laisser aller où bon lui semblait, on le transféra des prisons de Liége dans le château de Huy. Bourlette ne se laissa point abattre ; il trouva moyen, du fond de sa prison, d’actionner ses juges, et de les poursuivre d’instance en instance pendant plus d’un an. Quand il recouvra enfin sa liberté en 1568, soit par la fuite ou par la connivence de ses gardiens, l’évêque Gérard de Groesbeck se flattait de n’avoir plus rien à craindre de lui. C’était une erreur. La bourgeoisie de Liége voyait en Bourlette un martyr de sa propre cause ; elle était prête à reconnaître en lui un chef. La réaction était triomphante à ce moment là, il est vrai, mais l’ancien receveur du Limbourg rendu à ses amis n’en était pas moins pour le régime clérical un adversaire redoutable. Il le prouva bien. En quittant sa prison, il alla droit à Aix-la-Chapelle, où il se rencontra dans la même auberge avec le baron de Lumey, Loverval et le seigneur d’Oreye, trois conspirateurs, qui le reçurent à bras ouverts. Le prince d’Orange, de son côté, lui écrivit pour le féliciter d’avoir échappé à ses ennemis et lui proposer la charge de munitionnaire en chef de son armée. Bourlette accepta, et s’en vint à Sinzich saluer le prince. Celui-ci lui fit bon accueil. « Je sais, Bourlette, lui dit-il, qu’à Liége ou vous a fait grand tort, mais vous avez dans cette ville des amis et je compte sur vous. Si je puis avoir le passage par Liége pour mon armée, j’ai l’issue à la main et le duc d’Albe en mon pouvoir. Il faut donc qu’à tout prix vous me procuriez ce passage. » Bourlette promit le succès. Tout sembla d’abord lui sourire. Magistrats et métiers lui mandèrent qu’ils étaient prêts à recevoir dans leurs murs le prince, à la condition qu’il s’engagerait à respecter les personnes et les propriétés, et qu’il serait muni d’assez d’argent pour subvenir à tous les besoins de ses gens. On sait avec quel bonheur et quelle adresse le prince-évêque déjoua à ce moment critique les plans et les espérances de ses ennemis du dedans et du dehors. Il fit, à leur exemple, bon marché de la neutralité du pays, et confia aux Espagnols la garde de sa capitale et de ses principales villes. Le prince d’Orange, déconcerté, passa la Meuse à Stockem et se mit en retraite vers la France. Bourlette, qui ne l’avait point quitté, fut fait prisonnier en voulant gagner Sedan. On le conduisit au gouverneur espagnol de Mézières. Son gendre se perdit en cherchant à le sauver. Faute de deux cents écus, prix fixé pour sa rançon, une longue agonie commença pour Bourlette. Le duc d’Albe le céda à son prince naturel, l’évêque de Liége, qui le fit transférer de Mézières à Bouillon. On avait saisi ses papiers; on savait sur son compte plus qu’il n’en fallait pour le perdre, et cependant on le coucha sur un chevalet, ou lui broya les os pour en apprendre davantage. Tout ce qu’on put tirer de lui, furent des réponses évasives. « Je n’ai décharge à présenter, disait le pauvre vieillard, et, quelle que soit la conclusion que l’on prendra contre moi, je demande que l’on me le fasse court. » Cette prière ne fut même pas exaucée. Ou le laissa encore languir trois mois en prison, jusqu’au mois de juillet 1569, avant de le remettre aux mains du bourreau. Il eut la tête tranchée et plantée sur une pique sur la place publique de Bouillon. Le R. P. Foullon rapporte, d’après une chronique de l’époque, que Bourlette fut exécuté à Saint-Trond, ce qui prouve que les contemporains étaient souvent moins bien informés que nous ne le sommes de ce qui se passait sous leurs yeux.
Backhuysen van den Brinck, Andries Bourlette, Een hoofdstuck uit de geheime geschiedenis van den vryheidsoorlog van 1568, uit de Gids. Amsterdam, 1844, t. VIII. — Archives prov.de Liége. Grand greffe des échevins. Rôles des causes de 1568 à 1573. — Archives générales du royaume à Bruxelles : Chambre des comptes, carton 109, litt. G, n° 13. — Correspondance avec l’évêque de Liége dans les papiers du Conseil des troubles.