— Voulez-vous qu’on s’épouse, nous deux ! venez me rendre
visite en mon palais.
Elle n’avait plus qu’un œil et que trois dents, mais le jeune duc était rusé.
— Par où entrer ? demanda-t-il ; la ville est fermée de murailles plus hautes que des montagnes.
La Normande répondit :
Mon cher fiancé, la digue a des portes, lesquelles communiquent à des canaux qui entrent dans la ville. Quand la mer sera basse, ouvrez les portes et n’oubliez pas de les refermer.
— Avec quoi ouvrirai-je les portes de la digue ? demanda encore le duc.
— Avec les clés que je vous irai quérir au chevet de mon père.
Les Normands trahissent comme les autres respirent ; ils trahissent leur père, leur mère et notre Seigneur Dieu. À bas les Normands !
— À bas les Normands ! répéta de tout cœur la foule bretonne.
— Voici là-bas, reprit le barde de Quimper en montrant son tableau déchiré, voici le vieux Rollon Tête-d’Ane qui dort après boire, et sa fille qui vient lui dérober les clés de la digue. Vous voyez donc bien, mes amis, que ce que je vous dis est la vérité. Quand elle eut volé les clés, la Normande les jeta par-dessus la muraille au duc ennemi qui se garda bien d’entrer, crainte d’être obligé de l’épouser, mais il ouvrit les portes à la mer, et ce fut la mer qui entra, la grande mer. Par quoi la cité d’Hélion est maintenant une ville noyée, dont les matelots aperçoivent encore les clochers à cent brasses sous l’eau par le temps calme.
Ceux qui voudront voir Rollon Tête-d’Ane et sa fille se noyer en blasphémant comme des païens n’ont qu’à entrer. La mer est faite avec de la véritable eau salée, et tous les habitants de la ville, au nombre de quatre-vingt mille huit cents, sont submergés pour tout de bon, excepté un qui dit la bonne aventure.