situation intolérable ne se prolongea pas. Au bout d’un moment, l’animal dépité renifla fortement, tourna sur lui-même et se retira en toute hâte. Alors seulement je vis que c’était une femelle suivie de son petit. Ces deux animaux étaient déjà pour moi de vieilles et dangereuses connaissances.
Voici maintenant un des plus grands dangers que j’aie jamais courus. Profitant des ténèbres d’une nuit profonde, je m’étais approché, en rampant, d’une troupe de sept éléphants mâles. Je cherchais à distinguer quel était celui qui m’offrirait la plus belle proie, quand tout à coup un sourd grondement s’élevant derrière moi me fit tressaillir. Je me fus bientôt remis sur mes pieds, et, en me retournant, j’aperçus, avec autant d’effroi que de surprise, une autre troupe d’éléphants femelles accompagnées de leurs petits ; tous venaient à moi, disposés en demi cercle et menaçant de m’envelopper. Ma position était critique ; je me trouvais littéralement entre deux feux. Je n’avais que deux-moyens de salut : plonger dans l’étang, que je ne pouvais traverser que sous les yeux des éléphants mâles, ou m’ouvrir un chemin à travers l’autre troupe ; ce fut à ce dernier parti que je m’arrêtai. Mais d’abord, pour intimider les sept éléphants mâles, je fis feu sur celui qui était le plus rapproché, de moi ; puis, sans perdre de temps, je choisis l’endroit où la phalange des femelles était le moins serrée, et je m’élançai à travers ses rangs en poussant d’horribles clameurs. Une panique momentanée s’empara des éléphants et les empêcha de m’arrêter ; en passant près de l’un d’eux, je lui déchargeai mon fusil dans l’épaule. Mais je n’avais pas gagné beaucoup de terrain avant que les deux troupes réunies fondissent sur moi comme un ouragan. Leurs trompes envoyaient dans l’air des notes si stridentes que les hommes qui se trouvaient au camp furent, comme je l’appris plus tard, réveillés en sursaut par ce bruit étrange. Heureusement l’obscurité ne permit pas à mes terribles ennemis de me poursuivre longtemps. J’avais, du reste, atteint le sûr abri de la forêt. Dans ma course, je m’étais cruellement déchiré les pieds, ayant abandonné ma chaussure pour faciliter ma fuite.
Après m’être remis de mes émotions et avoir pris quelques instants de repos, je n’aventurai hors de ma retraite ; le calme le plus absolu régnait autour de moi. Je n’apercevais plus qu’un seul éléphant qui se tenait au bord de la mare ; je m’approchai. Il puisait dans l’eau avec sa trompe et s’aspergeait les flancs. Je le soupçonnai dès lors d’appartenir à la troupe des sept éléphants mâles et je jugeai que c’était celui sur lequel j’avais tiré. Je me plaçai sur son chemin et je me mis à l’épier attentivement. Un instant il me sembla qu’il s’était tourné dans une autre direction ; mais je m’étais trompé, car, au même instant sa masse imposante se dressa devant moi. Il était trop tard pour songer à battre en retraite, aussi, par un mouvement rapide, je me relevai et, un genou en terre, je visai l’une des jambes de devant. En recevant ma balle il poussa des cris lamentables, tourna court, s’enfuit tout effaré et disparut dans la forêt voisine. Le lendemain, dans l’après-midi, on trouva son cadavre à une portée de fusil de l’eau. Dans cette nuit j’avais remporté deux éclatantes victoires, car mon second coup avait abattu une superbe femelle. Le faible calibre de mes fusils qui n’admettait que des balles de quatorze ou de dix-sept à la livre, me fit perdre plus d’une noble bête : surtout des éléphants. Ce ne fut qu’au bout de quelque temps, et lorsqu’ils devinrent rares et méfiants, que je sus comment il fallait tirer ces animaux pour avoir quelque certitude de les abattre au premier ou au moins au second coup. La partie que l’on doit viser de préférence, surtout quand on chasse la nuit, est l’épaule, soit au défaut, soit en plein, mais le plus près possible du bas de l’oreille. Une autre méthode qui présente de grands avantages, pourvu que l’on ait un fusil d’un fort calibre, consiste à tirer à la jambe ; quand elle est une fois brisée, l’animal est presque toujours à la merci du chasseur.
III
Malgré mon ardent désir de voir enfin le lac Ngami, je voulus, avant de quitter Kobis, consacrer encore un dernier jour ou plutôt une dernière nuit à la destruction des hôtes de la forêt. Mais mon entreprise faillit avoir une issue fatale. Je n’oublierai jamais cette nuit pendant laquelle je sentis par trois fois les étreintes de la mort, et maintenant que je m’en retrace les événements, je m’étonne de me trouver encore en vie.
Comme, pendant notre séjour dans ce canton, nous avions fait à la grande bête une chasse impitoyable, elle était devenue fort rare et ne se laissait plus facilement approcher. J’appris donc avec plaisir par mes éclaireurs que les éléphants et les rhinocéros continuaient à se montrer d’un côté que j’avais encore peu exploité, et à la chute du jour je m’empressai de m’y rendre. J’étais seul, selon mon habitude. Sans calculer le danger auquel m’exposait une pareille position, je me postai sur une étroite chaussée qui coupait une mare par le milieu. De chaque côté de ma cachette, il restait juste assez de place pour qu’un éléphant pût passer entre l’eau et moi. Je m’étais muni d’une couverture et de quelques fusils de rechange.
C’était une nuit splendide, une de ces nuits comme on n’en voit que dans les régions tropicales ; une douce lumière répandait sur le paysage un charme vraiment magique et semblait caresser la nature endormie ; la lune jetait un éclat si vif et si pur que j’aurais pu distinguer, à une grande distance, un animal, même de petite espèce.
Je venais de terminer mes préparatifs, lorsqu’un bruit semblable à celui que fait un train d’artillerie vint tout à coup troubler l’atmosphère de calme et de silence dans laquelle la nature était plongée. Ce bruit, — il n’y avait pas à en douter, — s’élevait du milieu des sentiers défoncés (si l’on peut donner ce nom aux voies profondes qui aboutissaient au bord de l’eau), et je crus d’abord qu’il était produit par des chariots venant du Kalahari. J’étais couché, je me soulevai sur les coudes, et je braquai mes