Les Géorgiennes passent pour les plus belles femmes du monde : elles méritent leur réputation. Elles ont cette beauté calme, régulière, dont la Grèce nous a laissé en marbre le type immortel. Leur costume ressemble tout à fait à celui de nos reines du moyen âge.
Dans une réunion chez le prince Bariatinsky à l’occasion de la nouvelle année, nous avons eu le loisir de les contempler à notre aise ; les salons étaient remplis de monde, chacun s’étant empressé de venir complimenter le vice-roi du Caucase.
Un de nos amis, aide de camp du prince, nous voyant très-attentifs :
« Que regardez-vous donc ? nous dit-il.
— Colonel, nous cherchons une femme laide.
— Et vous n’en trouvez pas ?
— Non, les moins bien sont jolies ; les autres sont admirables.
— Je crois qu’il serait rarement possible d’en dire autant dans un salon parisien.
— Cependant, colonel…
— Cependant quoi ?
— Vous possédez la Géorgie depuis longtemps, et nous n’y voyons guère d’autres Russes que ceux que leur service y appelle. Sitôt que vous pouvez vous échapper, vous arrivez de suite dans nos salons parisiens… »
La coiffure des femmes géorgiennes se compose d’un bandeau, aux couleurs éclatantes, ayant la forme d’une couronne et dans lequel s’ajuste un voile dont un coin passe sous le menton. Deux grandes nattes de cheveux descendent par derrière presque jusqu’aux pieds. Rien de plus gracieux et de plus noble à la fois que cette coiffure ; nous doutons que nos modes parisiennes parviennent à la faire oublier.
Un long ruban, aux plus riches couleurs, leur sert de ceinture et vient tomber jusqu’à terre devant la robe. Dans la rue, elles s’enveloppent d’une grande étoffe blanche qui les préserve du soleil et qu’elles savent porter de la façon la plus élégante.
Les Géorgiens sont aussi généralement beaux ; le type caucasien s’est conservé en eux presque sans altération ; bien souvent il nous est arrivé de rencontrer dans la rue des hommes qui eussent pu passer, à bon droit, pour les originaux de l’Apollon du Belvédère.
En même temps que les Géorgiens sont braves, chevaleresques, ils aiment la représentation et le luxe ; ils sont généreux jusqu’à la prodigalité. Beaucoup d’entre eux se ruinent, je pourrais dire presque tous, sans paraître y songer.
Ils se plaisent à porter de riches costumes, des broderies d’or et d’argent, de belles armes étincelantes ; ils ont la passion des chevaux.
Ils se disent tous princes ou gentilshommes, et, à voir leur grande tournure, nul ne serait tenté de leur contester leurs titres de noblesse.
S’ils ont une faiblesse, c’est d’aimer un peu trop le vin de Kachétie. Il est vrai que c’est le vin national et qu’ils le portent bravement.
Nous avons assisté à un dîner géorgien ; on était une douzaine de convives. Ce qu’on but de vin, à ce dîner, est effrayant. Nous étions tous assis par terre autour d’un tapis sur lequel était étendue une nappe. Nous avions des assiettes, mais pas de verres. Devant le maître de la maison était une grande corne garnie d’argent qui contenait à peu près une bouteille ordinaire. Il la remplissait, et, après y avoir trempé ses lèvres, la passait à un des convives qui la vidait d’un seul coup. Ce dernier la remplissait de nouveau et, après la même cérémonie, la passait à un autre, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Nous fûmes heureux que le repas ne se prolongeât pas aussi longtemps qu’à l’ordinaire. Outre que nous préférions le plaisir de la conversation, nous ne tenions pas à voir l’amphitryon et ses convives tomber, non pas sous la table, puisqu’il n’y en avait pas, mais sur le tapis et les coussins, ce qui arrive le plus souvent à la fin des grands dîners ; mais il faut pour cela qu’il y ait eu une consommation prodigieuse.
Une particularité assez curieuse, c’est que ce vin national de Kachétie n’enivre que très-difficilement. Aussi les Géorgiens, qui aiment l’ivresse, ont-ils inventé une sorte de bouteille en métal, dont le goulot, en spirale, fait circuler le vin dans son long parcours et favorise son évaporation. L’orifice de ce goulot est assez large pour que le nez y entre tout à fait lorsqu’on boit. Au moyen de cet appareil d’éthérisation, le cerveau perçoit toutes les émanations du liquide, et l’heureux Géorgien a le plaisir de perdre la raison aussi bien que les Occidentaux.
Au jour de Noël, qui est pour les Grecs aussi une des plus grandes fêtes de l’année, toute la ville est en réjouissance. La nuit, il est impossible de dormir ; dans la rue, aux fenêtres, sur les maisons, on tire des coups de fusil ; c’est un tapage effroyable. On doit encore se trouver heureux quand on en est quitte pour du bruit, car les Géorgiens ne croient pas tirer un coup de fusil s’ils ne tirent à balle, et il n’est pas rare que ces joyeuses démonstrations fassent quelque victime. C’est un détail auquel personne ne fait attention et qui ne porte aucun préjudice à l’usage établi.
Peu de jours après, nous assistâmes chez le prince Bariatinsky à la cérémonie par laquelle on célèbre la naissance de la nouvelle année.
Quelques minutes avant minuit, les domestiques apportèrent des plateaux chargés de verres à vin de Champagne et remplis du vin doré de Kachétie. Au moment où le premier coup de minuit sonna, le prince prit un verre, prononça quelques souhaits pour la prolongation des jours et de l’heureux règne de l’empereur, trempa ses lèvres dans le verre et le passa à l’une des dames qui étaient près de lui. Ceux qui se trouvèrent le plus rapprochés des plateaux, en firent autant, donnant à leur tour le vin, dont ils avaient bu quelques gouttes, aux dames placées près d’eux, et les verres circulèrent de main en main et les compliments de bonne année s’échangèrent,