VOYAGE DE M. MÖLLHAUSEN,
DU MISSISSIPI AUX CÔTES DE L’OCÉAN PACIFIQUE[1]
Avant-propos.
Le gouvernement des États-Unis ayant eu, il y a quelques années, l’idée d’établir un chemin de fer entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, organisa trois expéditions pour l’étude du tracé sur différents points. L’une d’elles devait poursuivre sa route par le 35° de latitude nord, à travers les prairies à l’est et les plaines désertes à l’ouest des montagnes Rocheuses, et utiliser, autant que possible, les affluents du Mississipi, du Rio-Grande et du grand Colorado de l’ouest.
Un jeune Allemand, M. Balduin Möllhausen, recommandé par M. de Humboldt, sollicita la faveur d’être adjoint à cette expédition, commandée par le lieutenant Whipple. Fils d’un officier d’artillerie prussien, après avoir fait son temps de service dans l’armée, il était parti à vingt-quatre ans pour l’ouest des États-Unis, seul, irrésistiblement entraîné par l’amour de la science. Arrivé au Mississipi, il avait eu connaissance de l’expédition conduite par le prince Paul de Würtemberg dans le but d’explorer les montagnes Rocheuses, et il s’était joints ce groupe de voyageurs. D’insurmontables difficultés ayant forcé le prince à renoncer à son entreprise, M. Möllhausen n’en avait pas moins continué sa route, en société d’une troupe d’Indiens Ottoes. Il avait ainsi remonté au nord jusqu’à Bellevue. Là, il s’était trouvé en rapport avec la tribu des Omahas, avait chassé trois mois sur leur giboyeux territoire, puis, redescendant le Mississipi, avait retrouvé les débris de l’expédition, fait plusieurs autres utiles excursions et augmenté les collections zoologiques du prince.
Tels étaient les titres que M. Balduin-Möllhausen fit valoir près du lieutenant Whipple qui, très-heureux de rencontrer un compagnon si actif et déjà si exercé, s’empressa d’appuyer sa demande, qui fut bientôt suivie d’une réponse favorable.
M. Möllhausen a publié, en 1858, le récit de ce dernier voyage ; nous en avons extrait les pages suivantes.
Le 4 juin 1853 M. Möllhausen s’embarqua sur un bateau à vapeur à Cincinnati (État d’Ohio), descendit le fleuve qui a donné son nom à cet État, puis le Mississipi, et arriva le 12 au fort Smith, situé sur l’Arkansas, à une centaine de lieues en amont de l’embouchure de cette rivière. La troupe de M. le lieutenant Whipple, dont il devait faire partie à titre de dessinateur, s’y trouva bientôt réunie au complet. On s’occupa aussitôt des préparatifs du voyage. Au nombre des détails qui lui parurent les plus singuliers, M. Möllhausen note l’apprivoisement et le ferrage des mulets. Mais, dira-t-on, pourquoi ne pas se servir de chevaux ! C’est que le noble animal si éloquemment décrit par Buffon est là-bas bien inférieur à son confrère, et ne peut supporter comme ce dernier ni des fatigues continues ni le manque d’eau et de fourrage. Des Mexicains et des Indiens se chargent de dompter ces animaux. Ils les chassent au lasso. Le mulet est ainsi tiré jusqu’à un échafaudage composé de quatre pieux, enlevé du sol au moyen d’une sangle, et assujetti par des courroies à chacun des poteaux ; des ouvriers sont prêts, et en un clin d’œil, l’animal est ferré, puis attaché avec ses compagnons déjà apprivoisés.
Le 15 juillet, l’expédition quittait fort Smith pour entreprendre son long voyage.
Le premier endroit où elle s’arrêta fut Scullyville, ou, comme l’appellent les Indiens, Heito-To-Wa. C’est la capitale de la tribu des Choctaws. Pour faciliter les communications du gouvernement avec les Indiens, les États-Unis envoient parmi les tribus des agents qui deviennent ainsi les créateurs d’une petite ville ; car les blancs, attirés par l’espoir du gain, ne tardent pas à se grouper autour de l’agence et à épouser des Indiennes, afin de gagner encore mieux la confiance. Il en a été ainsi de Scullyville et de quantité d’autres établissements.
Les Choctaws, qui comptent 22 000 âmes, sont répandus sur des territoires qui, à l’est, confinent à l’Arkansas ; au sud, aux plaines habitées par les Chikasaws ; et à l’ouest, à celles occupées par les Creeks. Ils ont pour voisins, au nord, les Cherokeses. On remarque aujourd’hui peu de différence entre ces deux tribus, sous le rapport
- ↑ Tagebuch einer Reise vom Mississipi nach den Küsten der Südsee von Balduin Möllhausen, eingeführt von Alexander v. Humboldt, mit eine Karte. Leipzig, Mendelssohn, 1858, en deux
parties, in-4o.
On peut consulter aussi le IIIe volume de la collection américaine intitulée : Reports of explorations and surveys to ascertain the most practicable and economical route for a railroad from the Mississipi river to the Pacific ocean, made under the direction of the secretary of war, in 1853-4, according to acts of congress of march 3, 1853, may 31, 1854, and august 5,. 1854, etc. — Vol. III. (Rapports des explorations et études faites pour déterminer le tracé la plus praticable et le plus économique d’un chemin de fer entre le fleuve du Mississipi et l’océan Pacifique, entreprises sous la direction du ministre de la guerre, en 1853-54, conformément aux actes du congrès du 3 mars 1853, etc. Itinéraire du lieutenant Whipple, vol. III.) — Washington, 1856.