sieurs jours à copier l’ornementation curieuse des huit croisées d’une église circulaire commencée par Ras-Ali, mais non achevée. Le style byzantin de ces décorations est curieux : fleurs, ceps de vigne, encorbellements, arabesques du goût le plus capricieux, anges de toutes formes, figurines de tout genre, jusqu’à un petit carabinier qui met quelque chose en joue. C’est souvent d’une profusion exagérée, mais on n’y trouve jamais la plate trivialité de l’art jésuite et des églises à pots de fleur dont cet art a surchargé la France dans la première moitié du dix-septième siècle. Toutes ces sculptures sont sur bois rose (je crois que c’est un mimosa) : la chute de Ras-Ali a fait arrêter les travaux, l’église est inachevée et exploitée par les Allemands de Gafat comme un chantier de bois de construction. Espérons que les fenêtres du moins échapperont à cet innocent vandalisme.
Des environs de Tagour on a une fort belle vue sur la montagne de Dangours, sommet qui domine toute la plaine de Fogara et qui, vue de l’orient, ressemble un peu à un sphinx accroupi. Une église et son bois sacré se voient sur la croupe du colosse.
Dans une direction opposée, je remontais la Lisara, cette petite rivière qui passait à trente pas de ma maison, j’esquissais quelques beaux arbres qui laissaient pendre dans l’eau des guirlandes de plantes grimpantes enroulées à leurs flancs, et je finissais par aller faire quelques esquisses dans les ravins voisins de Maghera-Mariam, où un joli ruisseau court de cascade en cascade à travers une forêt touffue et presque vierge (p. 257).
Un peu plus loin, derrière le bois où s’élève Heroé, type rustique et charmant de la petite église de village (c’était l’église la plus voisine de Gafat), je débouchai sur Djan-Mieda (la plaine de l’Empereur), superbe terrain d’évolutions qui est un domaine particulier de la couronne et que Théodore a quelquefois choisi comme camp de manœuvres. En mai et en juin, Djan-Mieda, couverte de fleurs, aux couleurs éclatantes et variées, offre un coup d’œil splendide : mais un agriculteur, moins préoccupé que moi du pittoresque, aimerait certes mieux un peu moins de terrains mouillés. Quelques ruisseaux arrosent en effet le bas de Djan-Mieda, et arrivés à un escarpement qui ne se voit que de la berge même, ils se précipitent d’une hauteur à pic dans une faille ombragée d’un fort bel effet.
Un souvenir sanglant se rattache à Djan-Mieda. On m’y a montré un mimosa noueux et desséché où Théodore a fait pendre, il y a trois ans, un malheureux prêtre qui, poussé peut-être par la misère, avait vendu les vases sacrés de son église. S’il en a retiré vingt francs, c’est bien tout ce qu’il a pu faire. Pour ce maigre bénéfice le malheureux a affronté une mort atroce, car il a été exécuté comme sacrilége, c’est-à-dire qu’il a été à peu près roué vif, ayant eu les articulations rompues les unes après les autres, « au nom de la Sainte-Trinité. » Son squelette s’est longtemps balancé à l’arbre fatal : il avait, quand j’y ai passé, disparu depuis peu de temps.
XIX
La dernière excursion intéressante que je fis dans le Beghemder, fut l’ascension du Gouna, la plus haute montagne de la province. Pour cela, je pris au sud-est, et, laissant sur ma gauche, à deux ou trois kilomètres, la fameuse cascade (fafatié) du Reb, déjà décrite, je tournai autour du curieux rocher de Gadellaï, je descendis dans la vallée du Makar, et remontai jusqu’à un village dont le nom résonnait agréablement à mon oreille : Maginta. J’y passai la nuit, et le lendemain matin, comme je me disposais à commencer mon ascension, deux cavaliers arrivèrent au galop pour me