autres une terreur salutaire, produit toujours un grand effet.
Le vieux chef qui m’interprétait cette scène nocturne, prétendait du reste que les féticheurs n’étaient bons qu’à entretenir dans l’esprit des femmes le respect qu’elles doivent à leur seigneur et maître. Où le scepticisme va-t-il se nicher ?
À côté du féticheur n’oublions pas la féticheuse. Je n’ai vu qu’une seule de ces femmes, c’est dans la rivière Ogo-Waï, où ne s’est pas encore fait sentir l’influence européenne destructive de toute coutume nationale. Nous venions d’arriver, M. le lieutenant de vaisseau Serval et moi, dans le village d’Avenga-wiri. Contre l’ordinaire notre apparition au milieu de gens qui pourtant n’avaient jamais vu d’Européens, ne produisit que peu d’effet. Une foule compacte réunie autour d’une case d’où sortait un abominable tapage de tamtam et de voix criardes s’émut à peine à notre aspect. Il fallait qu’il se passât là quelque chose de bien important. Nous entrâmes dans la maison non sans difficulté, et ce fut pour être témoins d’une scène à la fois hideuse et grotesque. Au milieu d’une vaste salle une femme encore jeune, le corps presque nu, bariolé de dessins de toutes sortes, le visage peint au contraire avec une certaine régularité de quatre couleurs, comme un écusson écartelé, dansait au son d’un tamtam avec une véritable frénésie. De temps à autre un jeune nègre se détachait du cercle, se campait devant elle, surveillait avec une sorte d’anxiété ses contorsions lascives, et s’efforçait de les imiter en suivant la cadence du tamtam. Fatigué bientôt de ce rude exercice il cédait la place à un autre, et l’infatigable mégère, surexcitée par une musique assourdissante, lassait encore ce nouveau partner. Pour tous les spectateurs c’était une femme inspirée ; « elle voyait l’esprit. » J’ai vu à Constantinople les derviches tourneurs et hurleurs, à Alger la secte infernale des Aïssaouas ; je verrai peut-être un jour des convulsionnaires, car l’espèce n’en est pas perdue chez nous ; la féticheuse d’Avenga-wiri m’a paru être de la même famille.
On devine facilement que pour des gens aussi accessibles aux idées superstitieuses une maladie ne saurait être le dérangement naturel et prévu d’une machine plus compliquée qu’une autre et par conséquent plus fragile. Pour eux c’est le résultat d’un empoisonnement, d’un ensorcellement, ou la vengeance d’un esprit offensé, et le féticheur en est le médecin naturel. Les plus renommés sont ceux qu’une existence plus ou moins ténébreuse passée au milieu des bois a entourés d’un certain prestige. À ce titre ce sont les Boulous qui ont la plus grande réputation d’habileté. Un Gabonais blessé s’adressera volontiers à un médecin européen, mais pour une maladie interne le féticheur a toute sa confiance. C’est logique d’ailleurs ; une maladie étant une sorte de possession démoniaque, elle est justiciable avant tout des formules de l’exorcisme.
L’intervention d’un féticheur en renom, d’un Oganga, est toujours une affaire solennelle. Voici d’après M. le docteur Ricard, médecin de la marine, comment les choses se passent quand il s’agit d’une affection chronique. Avant de rien entreprendre le féticheur demande du temps pour reconnaître le genre de maladie. S’il est habile, il se hâte de traiter dès que la maladie diminue, sinon il temporise. Enfin le jour est fixé. On construit sur la place la plus fréquentée une grande case au fond de laquelle on établit suivant le nombre des malades (ce sont le plus souvent des femmes), un ou plusieurs lits de bambous garnis de moustiquaires. Cette case devient le rendez-vous de toutes les femmes du village ; les oisifs s’y arrêtent, on y parle, on y joue. La malade passe une partie de la journée à se faire peindre le corps