que la foison d’opinions sur le beau, le gracieux, le joli, le plaisant, devait faire jaillir autant de sources très riches de jouissance, mais aussi de déplaisir. Conformément à cette vue, il se réforme, en abandonnant nombre de ces opinions et en se soustrayant à certaines exigences de la civilisation ; par là il acquiert un sentiment de liberté et de force ; et peu à peu, quand l’habitude lui rend son genre de vie supportable, il a en effet des sensations de déplaisir plus rares et plus faibles que les hommes civilisés, et se rapproche de l’animal domestique ; en outre il sent tout avec le piquant du contraste et — peut également injurier à cœur-joie ; si bien que par là il se relève bien au-dessus du monde de sentiments de l’animal. — L’épicurien a le même point de vue que le cynique ; il n’y a pour l’ordinaire entre eux qu’une différence du tempérament. Puis l’épicurien met à profit sa civilisation supérieure pour se rendre indépendant des opinions dominantes et il s’élève au-dessus d’elles, tandis que le cynique reste exclusivement dans la négation. Il marche comme dans des sentiers à l’abri du vent, bien protégés, à demi-obscurs, tandis qu’au-dessus de sa tête, dans le vent, les cimes des arbres bruissent et lui décèlent quelle violente agitation règne là-dehors par le monde. Le cynique, au contraire, circule comme tout nu, dehors dans le souille du vent et s’endurcit jusqu’à perdre le sentiment.
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HUMAIN, TROP HUMAIN