Piquillo Alliaga/79
LXXIX.
le nouveau conseil du roi.
Le soir même de ce jour, Alliaga se rendit dans le cabinet du roi. Il y trouva le duc d’Uzède, qui, dans la ferveur de son zèle et pour mieux prouver son dévouement au confesseur de Sa Majesté, et à Sa Majesté elle-même, venait de faire arrêter et jeter en prison Rodrigue de Calderon, secrétaire du dernier ministre. Il voulait même plus, et on le croirait difficilement, si le fait n’était confirmé par plusieurs historiens, il proposait de faire mettre en jugement le duc de Lerma, son père.
Le roi frémit, et il repoussait la proposition quand Alliaga entra.
— Je m’en rapporte à Sa Seigneurie, s’écria d’Uzède.
— Et moi aussi, dit le roi.
Alliaga ne répondit pas, il regarda d’Uzède, qui baissa les yeux ; puis le roi, qui jeta au feu l’ordonnance qu’on venait de lui présenter.
— C’est bien, sire, dit Alliaga. Ce n’est pas nous, c’est votre cœur que Votre Majesté devrait toujours consulter. Aussi je venais lui soumettre, ainsi qu’à son ministre, un ordre que monsieur le duc d’Uzède approuvera, j’en suis certain.
Ces derniers mots furent prononcés d’un air si respectueux et si modeste, que le duc ne pouvait s’en formaliser. Il répondit d’un air protecteur :
— Voyons, mon père, de quoi s’agit-il ?
— Trop de sang a déjà coulé dans les montagnes de l’Albarracin. Ce n’est point par des mesures rigoureuses, c’est par la clémence et la persuasion que l’on forcera les Maures à déposer les armes. Je propose à Sa Majesté de partir moi-même pour cette œuvre de pacification ; mais il faudrait, je crois, envoyer d’abord à don Augustin de Mexia l’ordre de suspendre immédiatement toutes les hostilités.
— C’est complétement mon avis, répondit avec aplomb le duc d’Uzède, et je vais à l’instant même faire partir un courrier, si le roi l’approuve.
— Faites, monsieur le duc, dit le roi, nous l’aurons pour agréable.
— J’ai encore une autre proposition à soumettre à Votre Majesté, dans l’intérêt du royaume en général et de monsieur le duc en particulier.
— Parlez, dit le roi, qui jamais ne s’était autant mêlé des affaires de l’État, et qui, ne fût-ce que par nouveauté, semblait y prendre goût ; parlez.
En disant ces mots il décachetait, contre son ordinaire, plusieurs lettres qui lui étaient adressées ; bien plus, il se mit à les lire lui-même, ce qui ne lui arrivait jamais, sans cesser pour cela de prêter son attention à Alliaga, à qui il répéta avec bonté :
— Parlez, mon père, je vous écoute.
— Il y a des gens à qui Votre Majesté a parfois accordé sa confiance et qui la méritent peu. Ce sont les pères Jérôme et Escobar, de la Société de Jésus.
— En vérité ! dit le roi étonné, il me semble cependant qu’ils ont bien de l’esprit.
— C’est cela même qui les rend redoutables. Le père Jérôme, vous en avez maintenant la preuve, avait déjà calomnié auprès de vous le duc de Lerma.
— Et ils en calomnieront bien d’autres, s’écria vivement d’Uzède, en pensant à la terrible déclaration qu’ils avaient signée contre lui. Ils sont d’abord, je le sais mieux que personne, les ennemis du révérend frère Alliaga.
— Et je ne les crois pas non plus favorablement disposés pour monsieur le duc, ajouta Alliaga en souriant.
— Moi qui les ai comblés de bontés, dit d’Uzède avec un soupir.
— Et je me contenterai de rappeler à Votre Majesté un rapport excellent, fait autrefois par monsieur le duc et qui tendait à congédier les révérends pères de la Compagnie de Jésus.
— C’est vrai, mais c’était une idée du duc de Lerma.
— Qu’importe ! monseigneur d’Uzède a trop d’esprit pour repousser une bonne idée, par la seule raison qu’elle viendrait de son prédécesseur.
— Vous trouvez donc que le renvoi des révérends pères jésuites est une idée bonne ?
— Excellente, sire, à la condition qu’aucune rigueur ne sera exercée contre eux, qu’on leur laissera tous leurs biens, qu’il leur sera permis de les vendre et d’en emporter le prix.
— Moi je confisquerais leurs biens, dit le duc d’Uzède d’un air de finesse.
— À quoi bon ? répondit Alliaga ; ce ne sont point leurs richesses, qui sont coupables, ce sont leurs doctrines.
— Je me range définitivement à cette idée, répliqua d’Uzède lentement et avec un air de profondeur ; et comme les sages résolutions ne peuvent être exécutées trop promptement, je leur expédierai l’ordre en question dès la semaine prochaine.
— Dès demain, ajouta Alliaga.
— C’est ce que j’allais dire, répondit le duc. Maintenant, sire, continua-t-il, je désire expliquer à Votre Majesté et au seigneur Alliaga comment il est cependant nécessaire que Rodrigue de Calderon, comte d’Oliva, et ancien secrétaire du duc de Lerma, soit tenu pendant quelque temps au secret et interrogé sur plusieurs actes auxquels il a pris part et dont la connaissance est indispensable à la marche du gouvernement actuel.
Mais le duc avait beau parler et s’efforcer de son mieux de développer son projet, le roi ne l’écoutait plus ; le roi, sous la préoccupation d’une autre idée, manifestait un trouble et une agitation extraordinaires. Une des lettres qu’il avait ouvertes en se jouant, et presque sans y penser, absorbait toute son attention ; il la parcourait en respirant à peine ; sa figure était pâle, ses mains étaient tremblantes.
— Sire, qu’avez-vous ? qu’est-ce donc ? s’écria Alliaga effrayé.
— Ce que j’ai ! ce que j’ai ! Tenez, cette lettre du marquis de Cazarena…
— Du gouverneur de Valence ?
— Voyez vous-même… lisez.
Et, pouvant à peine parler, il tendit la lettre à Alliaga, qui la parcourut et devint aussi pâle que le roi, car le premier mot, le seul qui d’abord avait frappé ses yeux, était le nom d’Aïxa.