Asie du Sud-Est

On se propose ici d’analyser comment les berges et les lacs situés au centre de Phnom Penh, longtemps restés des lieux de vie et de repli pour des populations agraires et les plus démunis, sont aujourd’hui l’enjeu de conflits d’intérêts entre ces habitants, les pouvoirs publics et les investisseurs. On montrera comment, dans un contexte de renouveau économique, ces espaces centraux sont en voie d’intégration par la mise en œuvre de projets urbains reposant sur la réalisation d’infrastructures publiques pour attirer des capitaux, tandis que la municipalité tente désormais de mobiliser des outils juridiques afin de préserver les lacs de projets immobiliers rentables et de réduire les inondations dans la capitale.

Mots-clés :
Berges, lacs, populations marginales, politiques urbaines, conflits d’usages, Phnom Penh

Résumé : Cet article a pour objet de montrer comment, depuis les années 1990, la municipalité de Phnom Penh accorde une importance renouvelée à un site de confluence majeur dans les projets d’aménagement de la capitale cambodgienne, après l’avoir longtemps délaissé. Sous-tendus par des motivations parfois très symboliques, ils visent aussi à répondre aux nouvelles aspirations des citadins en espaces récréatifs et à de nouvelles pratiques de l’espace urbain. Ces projets participent ainsi à leur tour de la mise en lieu d’un site qui procède tant de la cartographie qui en a été réalisée et qui l’a médiatisé depuis les années 1860, que de manifestations culturelles traditionnelles, comme la fête des eaux qui s’y tient chaque année.
Mots-clés : Phnom Penh, Cambodge, Mékong, confluence, cartographie historique, lieu, fête des eaux, projet urbain.

Abstract: This article aims at showing how the country council, thanks to Phnom Penh, has been giving more and more importance to a major site of confluence in the development projects of the Cambodian capital since the 1990s. As they are strongly motivated by symbolical aspirations, they also fulfill the needs of the city dwellers for recreation places and new practices of the urban space. Those projects then contribute to the setting which initiates so much the cartography (which has been carried out and advertized since 1860) as the cultural traditional events such as the water festival which takes place there every year.
Keywords: Phnom Penh, Cambodia, Mekong river, confluence, historical cartography, setting, water festival, urban project.

Résumé : On assimile à un système ouvert la ville de Phnom Penh qui s’est étendue dans la plaine alluviale du Mékong par endiguements et remblaiements successifs. La crise majeure subie sous les Khmers rouges endommage les infrastructures hydrauliques. Dès 1979, les interventions ponctuelles d’acteurs « pionniers » sur les réseaux favorisent l’entrée du système–ville en résilience, malgré la survenue de nouvelles crises. Alors que ces infrastructures sont à peine reconstruites, la forte spéculation foncière et immobilière des années 2005-2008 se traduit par une densification et une verticalisation forte du tissu urbain, source de nouveaux déséquilibres pour le système.
Mots-clés : système–ville, résilience, réseaux, inondations, spéculation, investisseurs, Phnom Penh

Abstract: We assimilate to an opened system the city of Phnom Penh which has spread in the floodplain of the Mekong river by dikes and embankment successive. The major crisis suffered under the Khmer Rouge damaged hydraulic networks. Since 1979 through ad hoc interventions of actors “pioneers” on the networks the city-system comes into resilience, despite the occurrence of new crisis. While these networks are hardly rebuilt, the high land and property speculation for years 2005-2008 leads to a densification and a high standing of the urban fabric, what is a source of new imbalances for this system.
Key-words: city-system, resilience, networks, floods, speculation, investors, Phnom Penh

Résumé :
Du fait de la singularité de son site, la capitale fluviale du Cambodge a vu se développer des pratiques territoriales liées à l’eau d’une grande diversité. Des territorialités qui trouvent leurs racines dans un mode de vie agraire, caractéristique de sociétés riveraines des grands fleuves de l’Asie des Moussons, coexistent avec des pratiques citadines plus récentes à Phnom Penh. Alors qu’elles ont participé à la lente reconstruction territoriale mise en œuvre depuis le début des années 1980, à la suite du génocide, ces pratiques agraires sont aujourd’hui mises à mal au profit de pratiques citadines plus conformes à l’image de modernité qu’entend donner à voir la capitale d’un pays en plein renouveau, auprès des investisseurs et des touristes.
Mots-clés :
Territorialité, pratiques agraires, pratiques citadines, conflits d’usages, fleuve, Phnom Penh


Abstract :
Due to the singularity of its site, the river capital of Cambodia saw developing of territorial practices linked to the water of a big diversity. Territorialities which find their roots in an agrarian way of life, characteristics of societies bordering the big rivers of Asia of Monsoons, coexist with more recent urban practices in Phnom Penh. While they participated in the slow territorial reconstruction implemented since the beginning of 1980s, following genocide, these agrarian practices are put in evil to the advantage of more correspondent urban practices just like modernity today than intends to show the capital of a country in full resurgence, to the investors and to the tourists.
Key-words:Territoriality, agrarian practices, urban practices, conflicts of uses, river, Phnom Penh

Résumé : Au début des années 1990, la reconstruction des infrastructures de Phnom Penh s’engage dans un contexte de stabilisation progressive de la vie politique, en premier lieu dans les quartiers centraux couverts par les réseaux. Mais la forte
spéculation foncière et immobilière des années 2005-2008 se traduit par la mise en chantier de new towns, de tours de bureaux et de condominiums hors d’échelle, tant au centre qu’à la périphérie, et destinés à mettre Phnom Penh en concurrence
avec les grandes métropoles des pays voisins. De petits propriétaires fonciers de la périphérie cèdent alors leurs terres à des investisseurs privés. La municipalité cède elle aussi une partie de son domaine à ces investisseurs en échange de
la réalisation d’infrastructures publiques. Ces mutations sont en grande partie sous-tendues par des investissements directs étrangers, autrement dit par les capitaux de Chinois d’Asie du Sud-Est qui s’associent à des citoyens khmers. Une
recomposition du rapport centre-périphérie s’engage alors au détriment des plus pauvres, exclus de façon brutale des quartiers centraux. Faute de capitaux, et face à une nécessité de modernité, à une demande d’urbanité, la municipalité ne peut
préserver leurs territoires de vie. Les limites de ce développement contrôlé par des capitaux étrangers apparaissent pourtant avec le ralentissement économique survenu en 2008.

Abstract: In the early 1990s, the reconstruction of infrastructure in Phnom Penh was embarked on in a context of gradual stabilization of political life, primarily in the central districts covered by the networks. But the high land and property
speculation for years 2005-2008 became reflected in the launching of new towns, office towers and out of scale condominiums, both in the centre and at the periphery. These were intended to put Phnom Penh on a competitive footing with
the big cities of neighbouring countries. Small landowners then come to sell their land at the periphery to private investors, as the municipality of Phnom Penh, which assigns a portion of its estate to investors in exchange for the realization of public infrastructure. These mutations are largely underpinned by foreign direct investment, i. e. by the capital of Chinese people living in Southeast Asia who are associated with Khmer citizens. Reconfiguration of centre-periphery relations is thus being set in train to the detriment of the poor, abruptly excluded from city
center areas. Lacking of capital, and faced with a need for modernity, a demand for urbanity, the municipality cannot protect their living territories. However, limits to this foreign-capital controlled development appeared with the 2008
economic slowdown.

Résumé : Malgré la présence d’une façade littorale, le Cambodge ne dispose que d’un modeste port fluvial en situation intérieure jusqu’à la fin des années 1950. Or après l’indépendance, le royaume doit très vite affranchir son trafic portuaire du débouché fluvial situé en territoire vietnamien. Un port en eaux profondes est donc mis en construction sur le littoral. La région de Sihanoukville, ancien « angle mort » du pays, située entre littoral et forêt dense, est transformée en « périphérie intégrée et exploitée », placée en interface avec le trafic mondial. Les infrastructures portuaires sont détruites au début du conflit des années 1970, puis reconstruites grâce aux financements de la communauté internationale à partir de 1992. Tandis que le port fluvial de Phnom Penh bénéficie de sa proximité avec les entreprises textiles et les zones de productions agricoles pour accroître son trafic de marchandises, le port de Sihanoukville accueille désormais un trafic conteneurs et d’hydrocarbures en forte progression. Gérés par deux entités indépendantes, voire concurrentes, ils n’en deviennent pas moins complémentaires.
Abstract : In spite of its coastline, until the late 1950s Cambodia had only a modest inland river port. After Cambodia’s independence, the kingdom was faced with the necessity of emancipating its port traffic from the river outlet which was located at that time in Vietnamese territory. A deepwater port was consequently built on the coast, in the area of Sihanoukville—a former “blind spot” of the country located between the coast and the rainforest—which was transformed into “an integrated and exploited periphery,” positioned to interface with worldwide traffic. Port infrastructures were destroyed at the beginning of the conflict in the 1970s, then rebuilt with funds from the international community since 1992. While the port of Phnom Penh benefits from its proximity to the textile companies and the vicinity of agricultural production areas to increase its freight traffic, the port of Sihanoukville welcomes a highly increasing container and oil traffic. Managed by two independent—even competing—authorities, theses two ports are nonetheless becoming complementary.

Abstract :
Since the begin of the 1970s, it is now common to assimilate a city to a system, closed (Forrester WJ. 1969) or opened (Rosnay de J. 1975). Our research on urban geography on Phnom Penh city leads us to assimilate to an opened system this city which has been built in the alluvial plain of the Mekong river with polderisation process. It is surrounded by dikes, subdivided into catchments areas and covered by a sewer network which allows to evacuate waters out of the city core. Water is at once entrance, component and exit of the system. So we can consider it as an hydraulic system. But the breaking of dikes are increasing all over the world. So from the case of Phnom Penh the question is to know if a systemic analysis would allow to define some invariants in order to forecast the path of a diked city in case of crisis.

Résumé :
Depuis le début des années 1970, il est devenu banal d’assimiler une ville à un système, fermé pour certains (Forrester W.J. 1969), ouvert pour d’autres (Rosnay de J. 1975). Notre recherche en géographie urbaine sur la ville de Phnom Penh nous amène à assimiler à un système ouvert cette ville qui s’est étendue dans la plaine alluviale du Mékong par un processus de poldérisation. Ceinturée de digues, elle est subdivisée en bassins versants, parcourue par un réseau d’égouts qui permettent d’évacuer les eaux hors de la ville. L’eau, à la fois entrée, composante et sortie du système, vient singulariser ce système spatial en un système hydraulique. Face à la multiplication des cas de ruptures de digues et à partir de l’histoire récente de cette capitale fluviale, cet article pose la question de savoir si l’analyse systémique ne permettrait pas de dégager des invariants, d’une cité endiguée à l’autre, afin d’en prévoir la trajectoire en cas de crise.

We propose to compare the resilience to hydraulic crises of two river dammed Asian cities, as well as actors and tools used in each case for the implementation of priority actions identified at the conference of Hyogo in 2005. This conference has established a framework of action to make communities "resilient" against climate change. If the adaptability of Phnom Penh to a hydraulic crisis is lower than that of Bangkok, the two cities still remain very vulnerable to frequent crises. These cities gradually incorporate into their planning instructions to promote risk reduction, under pressure guidelines and international actors. But the notion of resilience is meaningless to national and local levels because of the disappearance of systemic references, and its use as a positive concept of vulnerability.

"This article assimilates the city of Phnom Penh into an open system that has spread into the Mekong River flood plain with the backfilling of tidelands and the building of successive dykes. The city’s hydraulic networks were damaged by the major crisis suffered under the Khmer Rouge characterized by a strong de-urbanization process. Since 1979, the progressive restoration
of institutions, in addition to ad hoc interventions in the city’s networks by ‘pioneer actors’, allowed vertical interactions in the city-system between stakeholders and structures to redevelop, and also permitted horizontal interactions between structures. Despite more recent crises, the city-system has proved resilient and it maintains its dualistic kernel–margins structure."

La compétitivité, un horizon incontournable de la ville ? Aucune ville n’y est en tout cas insensible, ni les favorites des classements internationaux, ni celles ne pouvant prétendre qu’à une place régionale, ni même les autres, reléguées de la hiérarchie mondiale mais impatientes de faire bonne figure. Cet ouvrage a précisément pour objectif d’interroger une telle unanimité. Que signifie au juste ce terme de « compétitivité » dont toutes les villes usent voire abusent ? Comment se fait-il que les autorités des villes les plus pauvres de la planète, pourtant incapables de concourir, se laissent prendre elles-mêmes à ce discours ? Quelle place accorder à un « impératif » de compétitivité dans le fonctionnement des villes et particulièrement des métropoles, en regard des autres enjeux urbains, notamment de justice sociale et de justice spatiale ? Qui dit la ville compétitive, qui la construit idéologiquement et matériellement ? Cet ouvrage tient toute sa place dans les débats contemporains sur l’urbain : il a pour ambition de démontrer que c’est bien à la lecture de la tension entre compétitivité et justice, entre enjeu économique et enjeu social, que l’injonction à la ville compétitive et ses conséquences spatiales méritent d’être déconstruites.

Compte-rendu de mission réalisé à la demande du prof. Charles GOLDBLUM

Destinataire : ministère des Affaires étrangères (pour le renouvellement des crédits de mission du prof. Charles GOLDBLUM)

Financement de la mission au LAOS, avec une escale à Bangkok (3 semaines en janv-févr 1999) : Céline PIERDET (budget d'étudiante en DEA, paiement du billet d'avion, des frais de visa, des frais d'hébergement)