CV by Frédérik Detue
Papers by Frédérik Detue
RevueAlarmer, 2022
Cet article rend compte du travail d’édition remarquable réalisé, pour le compte des éditions Ein... more Cet article rend compte du travail d’édition remarquable réalisé, pour le compte des éditions Einaudi, par Fabio Levi et Domenico Scarpa, curateurs des recueils 'Così fu Auschwitz' (2015) et 'Auschwitz, città tranquilla' (2021) de Primo Levi. Il suggère que la parution en traduction française de ces deux volumes anthologiques ('Ainsi fut Auschwitz', 2019 ; 'Auschwitz, ville tranquille', 2022) pourrait contribuer à modifier l’image de Primo Levi en France et encourager la production de nouvelles éditions scientifiques françaises. Il montre en particulier comment 'Auschwitz, ville tranquille' permet de saisir la cohérence d’un projet d’écrivain à travers ses diverses pratiques d’écriture.
Synthesis. An Anglophone Journal of Comparative Literary Studies, 2021
This article sheds light on a literary practice that critics began to reflect upon in the twentie... more This article sheds light on a literary practice that critics began to reflect upon in the twentieth century: witnessing. This genre, by adopting a narrative model based on statements of evidence presented in the courtroom, distinguishes itself from other forms of expression practiced by witnesses. Survivors of political violence take up their pens and describe the situation they have been subjected to, so as to attest to historical facts and prevent erasure of the event through forgetting, denial or negation. This enterprise, which seeks to document lived experience and thereby pay homage to victims who did not survive, constitutes both a source of evidence for legal procedure and a contribution to the writing of history. Witnessing, however literary it may be, is founded on a pact of veracity, in which witnesses are bound to relate no more than their own experience and to do so with precision. Finally, witness accounts are addressed to society at large or even to humanity as a whole, in the hope of emancipating it from such violence by raising awareness of its intolerable nature. Though witnessing still lacks legitimacy within the literary field, the link it establishes between ethical, aesthetic and political positions makes this genre exemplary of what literature is capable of.
Lignes de Crêtes, 2019
Le « moment Adèle Haenel » a été pour l’essentiel un moment d’écoute et d’effectivité sociale de ... more Le « moment Adèle Haenel » a été pour l’essentiel un moment d’écoute et d’effectivité sociale de son témoignage, comme par exception. C’est ce que je me propose d’étudier ici, eu égard au fait que les pratiques testimoniales des victimes se sont constamment heurtées dans l’histoire et continuent de se heurter à l’inaudible. Qu’est-ce qui fait que dans ce cas précis non seulement on prête attention mais on donne du crédit à la parole de la témoin ? Je tâche de mettre en lumière la pertinence et la justesse des choix opérés par Adèle Haenel, ainsi que le rôle décisif joué par le journal multimédia (Mediapart) qui a accompagné sa démarche. Nous avons eu affaire à une prise de parole exemplaire qui rappelle le rôle nécessaire des témoignages de victimes dans le bon fonctionnement de la vie démocratique d’un pays.
Lignes de Crêtes, 2019
Lettre collective à la mairie de Paris pour demander la modification de la légende de la plaque d... more Lettre collective à la mairie de Paris pour demander la modification de la légende de la plaque de rue Primo Levi (Paris 13e).
Rédacteurs : Frédérik Detue, avec la collaboration de Stéphanie Courouble-Share et d'autres signataires.
Durant cet été 2019, dans le 13e arrondissement de Paris, la rue Primo Levi a fait peau neuve. Une nouvelle plaque de rue a été posée, dont la légende corrige heureusement celle que l'on pouvait lire depuis 2003, lorsque la rue avait été inaugurée. En particulier, la mention « Déporté à Auschwitz en tant que Juif », qui remplace désormais « Résistant déporté à Monowitz », est un événement. Car, si la légende « Déportés à Auschwitz parce que nés Juifs » au pluriel honore depuis quelques années la mémoire des familles juives et de leurs enfants scolarisé·e·s qui ont été déporté·e·s, elle n'a guère été adoptée au singulier pour commémorer les personnes célèbres.
Nous publions ici la lettre adressée en février 2019 à la mairie de Paris par un collectif d'enseignant·e·s, chercheur·euse·s, défenseur·euse·s des droits humains et militant·e·s contre les racismes et l'antisémitisme. C'est en effet l'argumentaire de cette lettre, bien reçu par ses destinataires, qui a entraîné la décision de modifier le paysage urbain de la rue Primo Levi, en y inscrivant un texte plus conforme à la réalité historique. Ainsi, la mémoire de l'auteur, réputé pour son souci d'exactitude, pour son combat aussi contre la négation de l'histoire, n'en est que mieux honorée.
E-Migrinter. Récits d'exilés, 2017
Le corpus littéraire et cinématographique à l’étude dans cet article documente des expériences de... more Le corpus littéraire et cinématographique à l’étude dans cet article documente des expériences de migration, depuis l’Afrique subsaharienne jusqu’à l’Europe, en passant par le Maghreb. L’article se concentre notamment sur le témoignage Migrant au pied du mur de Fabien Didier Yene (2010), longtemps bloqué au Maroc aux abords des enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta. De façon exemplaire, cette œuvre de littérature atteste des nombreuses violences politiques que subit nécessairement un migrant dès lors que sa mobilité est illégalisée. Outre qu’il met en lumière la fausseté de la culture qui n’a pas transmis de représentations de ces réalités, l’auteur offre de comprendre pas à pas la corrélation entre elles des violences subies, dont le dénominateur commun est la chosification. Son témoignage constitue ainsi in fine une déposition contre la politique migratoire de l’Union européenne, qui, dans sa lutte obsessionnelle contre les migrants, brouille les responsabilités en chaîne de façon à organiser l’impunité.
Revue Documentaires, 2017
Coproduit par The Kingdom et Territoires en marge en 2014, le film documentaire "Les Messagers" d... more Coproduit par The Kingdom et Territoires en marge en 2014, le film documentaire "Les Messagers" d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura se consacre aux migrations des Africains subsahariens vers l’Europe et, plus précisément, à l’expérience que font ces exilés du blocage à une frontière extérieure de l’Union européenne et de l’espace Schengen : la frontière euro-africaine à la fois terrestre et maritime autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc. Ce qu’il met en lumière, c’est une situation qui, bien que particulière, est exemplaire de ce que doivent endurer celles et ceux qui rêvent de l’Europe comme d’une terre de liberté et qui se voient contraints de s’exposer à la mort pour la rejoindre. Précisément, c’est sur les circonstances d’une mort de masse que le film enquête.
Libération, 2017
Lettre ouverte au Président de la République parue dans les colonnes de Libération du 3 juillet 2... more Lettre ouverte au Président de la République parue dans les colonnes de Libération du 3 juillet 2017 (rubrique « Idées », p. 24)
Rédacteurs : Frédérik Detue, Sarah Kilani et Caroline Zekri, avec la collaboration d'Adam Baczko.
"Quoi pourtant de plus illégitime qu’un dictateur qui pratique le gazage des populations civiles, l’usage des barils d’explosifs, les exécutions sommaires, le viol collectif des femmes et des enfants, la destruction intentionnelle des hôpitaux et des écoles ? Vous affirmez : «Bachar, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien.» En réalité, Bachar al-Assad n’est pas uniquement l’ennemi du peuple syrien : il est l’ennemi de l’humanité tout entière. Non seulement du fait de ses crimes contre l’humanité, mais aussi parce qu’il est l’un des premiers responsables de la montée en puissance de Daech qui s’attaque à la France et au reste du monde."
Europe. Revue littéraire mensuelle, 2016
Article-manifeste de Frédérik Detue et Charlotte Lacoste qui introduit le numéro "Témoigner en li... more Article-manifeste de Frédérik Detue et Charlotte Lacoste qui introduit le numéro "Témoigner en littérature" de la revue "Europe" (n° 1041-1042, janvier-février 2016).
Longtemps, on n’a pas « témoigné » en littérature. Le fait qui consiste, pour les survivants d’un crime de masse, à rédiger et à publier le récit circonstancié des violences dont ils ont été les témoins pour les porter à la connaissance de tous est une pratique sociale récente, qui s’est inaugurée comme telle au début du XXe siècle, dans le sillage de la Première Guerre mondiale et du génocide des Arméniens.
Dans ce moment advient en effet un nouvel intolérable : la négation du crime — sous toutes ses formes. Cédant à « la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires », comme l’écrit Primo Levi, certains entreprennent alors, parfois au péril de leur vie, de décrire ce qu’ils ont subi pour l’attester. Là réside la spécificité du genre : fondé sur le modèle judiciaire, le témoignage littéraire est une déposition devant l’Histoire reposant sur le serment que fait le témoin de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». À la fois œuvre littéraire et document doté d’une valeur probatoire, le témoignage consacre une rupture radicale avec la doctrine de l’autonomie de l’art héritée du romantisme ; il invite ainsi à un réexamen critique de certains crédos contemporains relatifs à l’absolue liberté d’invention de l’artiste, à la déliaison de l’éthique et de l’esthétique, ou encore à la réduction de la littérature à la fiction. L’avènement du témoignage a produit un schisme littéraire dont on n’a peut-être pas encore pris toute la mesure.
De la Grande Guerre au génocide des Tutsi du Rwanda en passant par le génocide des Arméniens, les camps de la Kolyma, l’univers concentrationnaire nazi, l’extermination des Juifs d’Europe, le bombardement atomique d’Hiroshima, l’exil rural forcé dans la Chine populaire des années 1968-1980, le génocide cambodgien et la « décennie noire » qui ensanglanta l’Algérie des années 1990, ce numéro d’Europe invite à une nécessaire réflexion sur l’acte de témoigner en littérature. Puisse-t-il contribuer à marquer un tournant dans l’histoire de la réception d’un genre qui demeure encore trop souvent relégué dans une position marginale, alors même qu’il a donné, selon les mots de Georges Perec, « l’exemple le plus parfait de ce que peut être la littérature ».
En Jeu. Histoire et mémoires vivantes, n° 6, 2015
J’analyse la non-réception de l’œuvre de Jean Norton Cru dans les études littéraires. L’œuvre a p... more J’analyse la non-réception de l’œuvre de Jean Norton Cru dans les études littéraires. L’œuvre a pourtant été redécouverte depuis 1993, et l’on n’ignore plus son caractère fondateur dans la réflexion sur le témoignage en littérature. Pourquoi donc persiste-t-on à l’ignorer, alors même qu’on prend le témoignage pour objet d’étude ? La réponse est que l’œuvre de Cru critique de façon radicale la conception romantique de la littérature, tandis que celle-ci continue d’innerver les travaux des chercheurs. Ainsi, le point sur lequel on achoppe encore et toujours demeure celui de la valeur documentaire. Curieusement, on refuse l’idée, soutenue par Cru, qu’un témoignage soit à la fois un document historique et de la littérature. Le ressort de cette attitude n’est autre qu’une crispation disciplinaire, or celle-ci produit une fausse conscience du témoignage.
Revue de littérature comparée, janvier-mars 2014, n° 349 (Paris, Klincksieck), 2014
[fr] Cet article vise à réévaluer la position du poète Mallarmé face au défi représenté par l’œuv... more [fr] Cet article vise à réévaluer la position du poète Mallarmé face au défi représenté par l’œuvre d’art totale wagnérienne. En se mesurant à celle-ci, Mallarmé reste pris dans les rets d’un projet antidémocratique, malgré sa critique. À cet égard, il apparaît que sa conception du Livre-cathédrale se conjugue avec une autre vision de l’Art achevé au XIXe siècle : l’architecture de verre du Crystal Palace londonien. Or son rêve d’un nouveau centre symbolique de la cité, où s’exercerait idéalement un ministère du poète, a été un fantasme totalitaire au XXe siècle.
[en] This text aims at reassessing the attitude of the poet Mallarmé in front of the Wagnerian total work of art. Meeting the challenge of the total art, Mallarmé subscribes to an undemocratic project, in spite of his critique. In this regard, it appears that his conception of the Book as a cathedral is combined with another vision of completed art in the nineteenth century : the glass architecture of the Crystal Palace in London. Yet his dream of a new symbolic center of the city, where ideally the poet would exercise a ministry, happens to have been as well a totalitarian fantasy in the twentieth century.
Texto ! Textes et cultures (en ligne), vol. XVIII, n° 3, 2013
[fr] L’analyse proposée dans ce texte participe d’une œuvre de « critique de la culture », qui s’... more [fr] L’analyse proposée dans ce texte participe d’une œuvre de « critique de la culture », qui s’attache en général à déterminer la responsabilité de la culture dans l’ensemble de l’évolution politique et intellectuelle. Il s’agit de soutenir que l’œuvre d’art totale, qui devient un fantasme antidémocratique chez Wagner, est une condition de possibilité de la domination totalitaire au XXe siècle. La démonstration se fonde sur la récupération du projet wagnérien dans le domaine de l’architecture, spécialement à l’époque de l’expressionnisme. Elle vise à expliquer l’affinité particulière qui existe entre le totalitarisme nazi et l’art de bâtir.
[en] The analysis proposed in this text takes its place in a work of “cultural criticism”, which usually endeavours to determine the responsibility of the culture in the process of political and intellectual evolution. It is argued that the total work of art, which becomes an undemocratic fantasy in Wagner, is a condition of possibility of totalitarian domination in the twentieth century. The demonstration is based on the recovery of the Wagnerian project in the field of architecture, especially during the era of expressionism. It aims to explain the special affinity between Nazi totalitarianism and the art of building.
Vox Poetica : Lettres et sciences humaines (en ligne), 2013
Je voudrais présenter dans cet article un résultat de ma recherche en thèse de doctorat 1 , tel q... more Je voudrais présenter dans cet article un résultat de ma recherche en thèse de doctorat 1 , tel que je l'ai exposé en mars 2012 dans un colloque consacré à « Ce que le document fait à la littérature » 2 . Ce résultat concerne en l'occurrence un type de document particulier, qui est le témoignage de crime de masse. Je soutiens en effet dans la thèse que l'art du témoignage crée un schisme littéraire au XX e siècle, et ce, dès l'époque de la Première Guerre mondiale.
Dans Littérature, décembre 2012, n° 168, p. 85-102 (Paris, Larousse / Armand Colin)., 2012
[fr] La Supplication de Svetlana Alexievitch traite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl à p... more [fr] La Supplication de Svetlana Alexievitch traite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl à partir d’entretiens menés par l’auteur en 1996 avec plus de cinq cents personnes en Biélorussie. Malgré le caractère accidentel de l’événement, cette œuvre doit être considérée comme un témoignage, héritier de la tradition testimoniale qui s’est constituée au XXe siècle en lien avec les violences politiques de masse ; car elle vise essentiellement à dénoncer un crime politique, dans la gestion de la catastrophe. Le témoignage prend ainsi la forme d’une enquête qui, tout en tâchant de penser l’impensable mal radioactif, donne à comprendre l’étendue du sacrifice humain. Si celui-ci est encore en cours, c’est notamment parce que le déni totalitaire de la catastrophe par le parti communiste de l’Union soviétique a été relayé par celui des instances nationales et internationales post-totalitaires.
[en] Writing the Future : Testimony and Politics According to Svetlana Aleksievich
Svetlana Aleksievich’s Voices from Chernobyl deals with the Chernobyl nuclear disaster through more than 500 interviews conducted in Byelorussia by the author. Despite the accidental nature of the event, this work must be understood as a form of testimony, heir to the witness tradition born in the 20th century in response to mass political violence, inasmuch as it essentially aims at denouncing, in the way the catastrophe was managed, a political crime. The testimony thus takes the shape of an enquiry which, at the same time as it tries to come to terms with the unspeakable evils of radioactivity, gives us to understand the depth of the human sacrifice involved. If the latter is still going on, it is more particularly because the totalitarian denial by the Soviet Union’s Communist party of the catastrophe has been followed by the same denial on the part of the post-totalitarian national and international authorities.
Texto ! Textes et cultures (en ligne), vol. XVII, n° 1-2, 2012
[fr] Ce texte est un chapitre à peine remanié de ma thèse de doctorat consacrée à l’histoire de l... more [fr] Ce texte est un chapitre à peine remanié de ma thèse de doctorat consacrée à l’histoire de l’idée de littérature. La thèse est une enquête historique sur la littérature telle qu’inventée par le premier romantisme allemand. J’y défends l’idée qu’au XXe siècle, à « l’heure fatale de l’art », des réflexions théoriques et des pratiques littéraires et artistiques créent un schisme, construisant un rapport critique et dialectique à l’idée de littérature romantique, déterminant un nouveau mode d’être de la littérature. Ce chapitre étudie comment, sur le plan théorique, une tradition de « critique de la culture » (Kulturkritik) forge le concept de kitsch de façon à caractériser ce qui, dans l’art et la littérature, rend possible qu’un document de culture soit « en même temps un document de barbarie » (Benjamin).
[en] This text is a hardly modified chapter from my thesis on the history of the idea of literature. The thesis is a historical enquiry into the idea of literature as invented by early German Romanticism. I promote the idea that, in the twentieth century, at a time when the fate of art hangs in the balance, theoretical inquiry and literary and artistic practice bring about a schism, creating as they do a critical and dialectical relation to the Romantic idea of literature and determining a new mode of being for literature. This chapter focuses on how, in the theoretical inquiries, a tradition of Kulturkritik elaborates the concept of kitsch so as to characterize what, in art and literature, makes possible that a document of culture is “at the same time a document of barbarism” (Benjamin).
Études littéraires, automne 2010, vol. 41, n° 3, rubrique « Débats », p. 155-161 (Presses de l’Université de Laval, Canada), 2010
Études littéraires, été 2010, vol. 41, n° 2 : La lecture littéraire et l'utopie d'une communauté, sous la dir. de Frédérik Detue et Christine Servais, p. 59-79 (Presses de l'université de Laval, Canada)., 2010
[fr] Il s’agit de considérer ce que la césure littéraire d’Auschwitz fait à la lecture littéraire... more [fr] Il s’agit de considérer ce que la césure littéraire d’Auschwitz fait à la lecture littéraire. C’est une question qui s’impose au regard de ce nouvel art d’écrire qu’est au XXe siècle le témoignage. Pour les rescapés des camps de concentration, en effet, c’est la transmission même de leur expérience qui rend problématique l’appartenance de leur témoignage à la littérature. Soucieux de la valeur documentaire de leur déposition, ils sont cependant confrontés à l’ignorance et, au-delà, au refus de comprendre des non-déportés, de sorte qu’ils ne peuvent pas se contenter de rapporter des faits, qui resteraient inaccessibles aux lecteurs. Pour atteindre ceux-ci malgré eux, ils prennent alors parfois le parti d’écrire depuis une conscience de victime, or, là où le récit tend vers l’essai, les lecteurs ne doivent pas demeurer indemnes. Car, alors que l’expérience des camps, intégralement négative, est celle de la non-humanité, qu’elle a brisé irrémédiablement les témoins, les lecteurs sont appelés à reconnaître leur semblable dans la victime. Telle est l’utopie paradoxale du témoignage, cependant, que, si les lecteurs ne se sentent plus à l’abri du danger, une communauté, négative certes mais viable, se réalise, par une transmission du « rien d’humain » qui demeure malgré tout dans une condition inhumaine.
[en] What impact did the Auschwitz literary hiatus have on literature ? Answering that question is needed in light of the new, testimonial way of writing that came to the fore last century. By their descriptive nature, can testimonials from concentration camp survivors be truly considered as literature ? The documentary value of such testimony is pitted against the lack of knowledge, or even the denial, of those lucky enough to have escaped deportation. This confrontation requires of the survivors that they go beyond the mere retelling of events that would otherwise remain unread. Sometimes, they achieve this goal by spinning their tale from a victim’s point of view, one that may well grasp at the readers’ emotions as they go through essay-like narratives. Indeed, whereas concentration camps were thoroughly negative and de-humanising and permanently shattered their victims, readers must nonetheless be able to identify with the human side of these victims. Such is the paradoxical utopia of testimonials, whereby the writer feels compelled to go beyond his human experience so as to reach and sensitise the reader. It is in that beyond, where nothing can help writer nor reader address this experience, that both, although human, will commune paradoxically outside humanity.
Dans Littérature, septembre 2008, n° 151, p. 75-89 (Paris, Larousse / Armand Colin)., 2008
Suivant la fiction qu’il construit, Antoine Volodine traduit les œuvres « post-exotiques » de ses... more Suivant la fiction qu’il construit, Antoine Volodine traduit les œuvres « post-exotiques » de ses personnages. Derniers survivants de la culture révolutionnaire, relégués dans un monde concentrationnaire, ces personnages produisent une littérature dans la langue de la révolution, comme pour résister à l’anéantissement ; hors du monde concentrationnaire, leur camarade Volodine recueille les œuvres qui lui parviennent et les fait paraître en français. Il s’agit de considérer comment ce dispositif conditionne le lecteur à recevoir la fiction comme une œuvre de témoignage. D’un côté, la langue de la révolution reste une arme de combat (une contre-langue), et en minorant le français, Volodine en témoigne. D’un autre côté, cette langue subit les effets de l’entropie, du fait qu’elle est une langue quasi-morte, que ses locuteurs perdent la faculté de parler ; et cela aussi, la langue de traduction de Volodine doit l’inscrire. Expérience de mort et de régénération, la littérature post-exotique est comme une bouteille à la mer ; survivance de l’original, la traduction offre une culture en héritage.
Of Languages in Volodine : A Survival Drama
Volodine constructs a fiction wherein he is translating the “post-exotic” works of characters who, last remnants of a revolutionary culture, are relegated to a world of concentration camps, where they write in the language of revolution, as though to resist annihilation; outside, Volodine gathers their works and translates them into French. How does this device lead the reader to understand this fiction as witness literature?
Europe : Maurice Blanchot. Antoine Volodine, août-sept. 2007, n° 940-941, p. 226-234., 2007
Chapters by Frédérik Detue
Walter Benjamin ou les pouvoirs critiques de l’image, 2023
(French below)
Confronted with the fascist “aestheticization of politics” in the 1930s, Benjamin ... more (French below)
Confronted with the fascist “aestheticization of politics” in the 1930s, Benjamin felt an urgent need to “pave the way for the critique of the concept of art, as bequeathed to us by the 19th century”. However, despite the interest aroused by the author’s œuvre, the Benjaminian critique of the Romantic idea of literature which has informed the cultural system of modernity, has not received the attention it deserves. Arendt’s reception of Benjamin’s work fifty years ago is exemplary of the denial this critique has suffered from. The misunderstanding results in particular from the error of describing Benjamin’s own “poetic thought” in terms of the Romantic conception of metaphor. For Benjamin, however, opposing the aestheticization of politics through the politicization of art involves developing the dialectical image in opposition to the Romantic conception of metaphor.
Se confrontant dans les années 1930 à l’« esthétisation de la politique » fasciste, Benjamin a ressenti le besoin impérieux d’« ouvrir la voie à la critique du concept d’art, tel que nous l’a légué le XIXe siècle ». Or, malgré l’attention dont bénéficie l’auteur, cette critique de la culture benjaminienne, qui vise l’idée de littérature romantique au fondement du système de culture de la modernité, peine encore à se faire entendre. La réception de l’œuvre de Benjamin par Arendt il y a cinquante ans est exemplaire d’une forme de déni à ce sujet. Le malentendu vient notamment de l’erreur qui consiste à décrire la « pensée poétique » de Benjamin elle-même en la référant à la conception romantique de la métaphore. Pour Benjamin, opposer la politisation de l’art à l’esthétisation de la politique passe précisément par le parti d’opposer l’image dialectique à la métaphore romantique.
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CV by Frédérik Detue
Papers by Frédérik Detue
Rédacteurs : Frédérik Detue, avec la collaboration de Stéphanie Courouble-Share et d'autres signataires.
Durant cet été 2019, dans le 13e arrondissement de Paris, la rue Primo Levi a fait peau neuve. Une nouvelle plaque de rue a été posée, dont la légende corrige heureusement celle que l'on pouvait lire depuis 2003, lorsque la rue avait été inaugurée. En particulier, la mention « Déporté à Auschwitz en tant que Juif », qui remplace désormais « Résistant déporté à Monowitz », est un événement. Car, si la légende « Déportés à Auschwitz parce que nés Juifs » au pluriel honore depuis quelques années la mémoire des familles juives et de leurs enfants scolarisé·e·s qui ont été déporté·e·s, elle n'a guère été adoptée au singulier pour commémorer les personnes célèbres.
Nous publions ici la lettre adressée en février 2019 à la mairie de Paris par un collectif d'enseignant·e·s, chercheur·euse·s, défenseur·euse·s des droits humains et militant·e·s contre les racismes et l'antisémitisme. C'est en effet l'argumentaire de cette lettre, bien reçu par ses destinataires, qui a entraîné la décision de modifier le paysage urbain de la rue Primo Levi, en y inscrivant un texte plus conforme à la réalité historique. Ainsi, la mémoire de l'auteur, réputé pour son souci d'exactitude, pour son combat aussi contre la négation de l'histoire, n'en est que mieux honorée.
Rédacteurs : Frédérik Detue, Sarah Kilani et Caroline Zekri, avec la collaboration d'Adam Baczko.
"Quoi pourtant de plus illégitime qu’un dictateur qui pratique le gazage des populations civiles, l’usage des barils d’explosifs, les exécutions sommaires, le viol collectif des femmes et des enfants, la destruction intentionnelle des hôpitaux et des écoles ? Vous affirmez : «Bachar, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien.» En réalité, Bachar al-Assad n’est pas uniquement l’ennemi du peuple syrien : il est l’ennemi de l’humanité tout entière. Non seulement du fait de ses crimes contre l’humanité, mais aussi parce qu’il est l’un des premiers responsables de la montée en puissance de Daech qui s’attaque à la France et au reste du monde."
Longtemps, on n’a pas « témoigné » en littérature. Le fait qui consiste, pour les survivants d’un crime de masse, à rédiger et à publier le récit circonstancié des violences dont ils ont été les témoins pour les porter à la connaissance de tous est une pratique sociale récente, qui s’est inaugurée comme telle au début du XXe siècle, dans le sillage de la Première Guerre mondiale et du génocide des Arméniens.
Dans ce moment advient en effet un nouvel intolérable : la négation du crime — sous toutes ses formes. Cédant à « la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires », comme l’écrit Primo Levi, certains entreprennent alors, parfois au péril de leur vie, de décrire ce qu’ils ont subi pour l’attester. Là réside la spécificité du genre : fondé sur le modèle judiciaire, le témoignage littéraire est une déposition devant l’Histoire reposant sur le serment que fait le témoin de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». À la fois œuvre littéraire et document doté d’une valeur probatoire, le témoignage consacre une rupture radicale avec la doctrine de l’autonomie de l’art héritée du romantisme ; il invite ainsi à un réexamen critique de certains crédos contemporains relatifs à l’absolue liberté d’invention de l’artiste, à la déliaison de l’éthique et de l’esthétique, ou encore à la réduction de la littérature à la fiction. L’avènement du témoignage a produit un schisme littéraire dont on n’a peut-être pas encore pris toute la mesure.
De la Grande Guerre au génocide des Tutsi du Rwanda en passant par le génocide des Arméniens, les camps de la Kolyma, l’univers concentrationnaire nazi, l’extermination des Juifs d’Europe, le bombardement atomique d’Hiroshima, l’exil rural forcé dans la Chine populaire des années 1968-1980, le génocide cambodgien et la « décennie noire » qui ensanglanta l’Algérie des années 1990, ce numéro d’Europe invite à une nécessaire réflexion sur l’acte de témoigner en littérature. Puisse-t-il contribuer à marquer un tournant dans l’histoire de la réception d’un genre qui demeure encore trop souvent relégué dans une position marginale, alors même qu’il a donné, selon les mots de Georges Perec, « l’exemple le plus parfait de ce que peut être la littérature ».
[en] This text aims at reassessing the attitude of the poet Mallarmé in front of the Wagnerian total work of art. Meeting the challenge of the total art, Mallarmé subscribes to an undemocratic project, in spite of his critique. In this regard, it appears that his conception of the Book as a cathedral is combined with another vision of completed art in the nineteenth century : the glass architecture of the Crystal Palace in London. Yet his dream of a new symbolic center of the city, where ideally the poet would exercise a ministry, happens to have been as well a totalitarian fantasy in the twentieth century.
[en] The analysis proposed in this text takes its place in a work of “cultural criticism”, which usually endeavours to determine the responsibility of the culture in the process of political and intellectual evolution. It is argued that the total work of art, which becomes an undemocratic fantasy in Wagner, is a condition of possibility of totalitarian domination in the twentieth century. The demonstration is based on the recovery of the Wagnerian project in the field of architecture, especially during the era of expressionism. It aims to explain the special affinity between Nazi totalitarianism and the art of building.
[en] Writing the Future : Testimony and Politics According to Svetlana Aleksievich
Svetlana Aleksievich’s Voices from Chernobyl deals with the Chernobyl nuclear disaster through more than 500 interviews conducted in Byelorussia by the author. Despite the accidental nature of the event, this work must be understood as a form of testimony, heir to the witness tradition born in the 20th century in response to mass political violence, inasmuch as it essentially aims at denouncing, in the way the catastrophe was managed, a political crime. The testimony thus takes the shape of an enquiry which, at the same time as it tries to come to terms with the unspeakable evils of radioactivity, gives us to understand the depth of the human sacrifice involved. If the latter is still going on, it is more particularly because the totalitarian denial by the Soviet Union’s Communist party of the catastrophe has been followed by the same denial on the part of the post-totalitarian national and international authorities.
[en] This text is a hardly modified chapter from my thesis on the history of the idea of literature. The thesis is a historical enquiry into the idea of literature as invented by early German Romanticism. I promote the idea that, in the twentieth century, at a time when the fate of art hangs in the balance, theoretical inquiry and literary and artistic practice bring about a schism, creating as they do a critical and dialectical relation to the Romantic idea of literature and determining a new mode of being for literature. This chapter focuses on how, in the theoretical inquiries, a tradition of Kulturkritik elaborates the concept of kitsch so as to characterize what, in art and literature, makes possible that a document of culture is “at the same time a document of barbarism” (Benjamin).
[en] What impact did the Auschwitz literary hiatus have on literature ? Answering that question is needed in light of the new, testimonial way of writing that came to the fore last century. By their descriptive nature, can testimonials from concentration camp survivors be truly considered as literature ? The documentary value of such testimony is pitted against the lack of knowledge, or even the denial, of those lucky enough to have escaped deportation. This confrontation requires of the survivors that they go beyond the mere retelling of events that would otherwise remain unread. Sometimes, they achieve this goal by spinning their tale from a victim’s point of view, one that may well grasp at the readers’ emotions as they go through essay-like narratives. Indeed, whereas concentration camps were thoroughly negative and de-humanising and permanently shattered their victims, readers must nonetheless be able to identify with the human side of these victims. Such is the paradoxical utopia of testimonials, whereby the writer feels compelled to go beyond his human experience so as to reach and sensitise the reader. It is in that beyond, where nothing can help writer nor reader address this experience, that both, although human, will commune paradoxically outside humanity.
Of Languages in Volodine : A Survival Drama
Volodine constructs a fiction wherein he is translating the “post-exotic” works of characters who, last remnants of a revolutionary culture, are relegated to a world of concentration camps, where they write in the language of revolution, as though to resist annihilation; outside, Volodine gathers their works and translates them into French. How does this device lead the reader to understand this fiction as witness literature?
Chapters by Frédérik Detue
Confronted with the fascist “aestheticization of politics” in the 1930s, Benjamin felt an urgent need to “pave the way for the critique of the concept of art, as bequeathed to us by the 19th century”. However, despite the interest aroused by the author’s œuvre, the Benjaminian critique of the Romantic idea of literature which has informed the cultural system of modernity, has not received the attention it deserves. Arendt’s reception of Benjamin’s work fifty years ago is exemplary of the denial this critique has suffered from. The misunderstanding results in particular from the error of describing Benjamin’s own “poetic thought” in terms of the Romantic conception of metaphor. For Benjamin, however, opposing the aestheticization of politics through the politicization of art involves developing the dialectical image in opposition to the Romantic conception of metaphor.
Se confrontant dans les années 1930 à l’« esthétisation de la politique » fasciste, Benjamin a ressenti le besoin impérieux d’« ouvrir la voie à la critique du concept d’art, tel que nous l’a légué le XIXe siècle ». Or, malgré l’attention dont bénéficie l’auteur, cette critique de la culture benjaminienne, qui vise l’idée de littérature romantique au fondement du système de culture de la modernité, peine encore à se faire entendre. La réception de l’œuvre de Benjamin par Arendt il y a cinquante ans est exemplaire d’une forme de déni à ce sujet. Le malentendu vient notamment de l’erreur qui consiste à décrire la « pensée poétique » de Benjamin elle-même en la référant à la conception romantique de la métaphore. Pour Benjamin, opposer la politisation de l’art à l’esthétisation de la politique passe précisément par le parti d’opposer l’image dialectique à la métaphore romantique.
Rédacteurs : Frédérik Detue, avec la collaboration de Stéphanie Courouble-Share et d'autres signataires.
Durant cet été 2019, dans le 13e arrondissement de Paris, la rue Primo Levi a fait peau neuve. Une nouvelle plaque de rue a été posée, dont la légende corrige heureusement celle que l'on pouvait lire depuis 2003, lorsque la rue avait été inaugurée. En particulier, la mention « Déporté à Auschwitz en tant que Juif », qui remplace désormais « Résistant déporté à Monowitz », est un événement. Car, si la légende « Déportés à Auschwitz parce que nés Juifs » au pluriel honore depuis quelques années la mémoire des familles juives et de leurs enfants scolarisé·e·s qui ont été déporté·e·s, elle n'a guère été adoptée au singulier pour commémorer les personnes célèbres.
Nous publions ici la lettre adressée en février 2019 à la mairie de Paris par un collectif d'enseignant·e·s, chercheur·euse·s, défenseur·euse·s des droits humains et militant·e·s contre les racismes et l'antisémitisme. C'est en effet l'argumentaire de cette lettre, bien reçu par ses destinataires, qui a entraîné la décision de modifier le paysage urbain de la rue Primo Levi, en y inscrivant un texte plus conforme à la réalité historique. Ainsi, la mémoire de l'auteur, réputé pour son souci d'exactitude, pour son combat aussi contre la négation de l'histoire, n'en est que mieux honorée.
Rédacteurs : Frédérik Detue, Sarah Kilani et Caroline Zekri, avec la collaboration d'Adam Baczko.
"Quoi pourtant de plus illégitime qu’un dictateur qui pratique le gazage des populations civiles, l’usage des barils d’explosifs, les exécutions sommaires, le viol collectif des femmes et des enfants, la destruction intentionnelle des hôpitaux et des écoles ? Vous affirmez : «Bachar, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien.» En réalité, Bachar al-Assad n’est pas uniquement l’ennemi du peuple syrien : il est l’ennemi de l’humanité tout entière. Non seulement du fait de ses crimes contre l’humanité, mais aussi parce qu’il est l’un des premiers responsables de la montée en puissance de Daech qui s’attaque à la France et au reste du monde."
Longtemps, on n’a pas « témoigné » en littérature. Le fait qui consiste, pour les survivants d’un crime de masse, à rédiger et à publier le récit circonstancié des violences dont ils ont été les témoins pour les porter à la connaissance de tous est une pratique sociale récente, qui s’est inaugurée comme telle au début du XXe siècle, dans le sillage de la Première Guerre mondiale et du génocide des Arméniens.
Dans ce moment advient en effet un nouvel intolérable : la négation du crime — sous toutes ses formes. Cédant à « la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires », comme l’écrit Primo Levi, certains entreprennent alors, parfois au péril de leur vie, de décrire ce qu’ils ont subi pour l’attester. Là réside la spécificité du genre : fondé sur le modèle judiciaire, le témoignage littéraire est une déposition devant l’Histoire reposant sur le serment que fait le témoin de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». À la fois œuvre littéraire et document doté d’une valeur probatoire, le témoignage consacre une rupture radicale avec la doctrine de l’autonomie de l’art héritée du romantisme ; il invite ainsi à un réexamen critique de certains crédos contemporains relatifs à l’absolue liberté d’invention de l’artiste, à la déliaison de l’éthique et de l’esthétique, ou encore à la réduction de la littérature à la fiction. L’avènement du témoignage a produit un schisme littéraire dont on n’a peut-être pas encore pris toute la mesure.
De la Grande Guerre au génocide des Tutsi du Rwanda en passant par le génocide des Arméniens, les camps de la Kolyma, l’univers concentrationnaire nazi, l’extermination des Juifs d’Europe, le bombardement atomique d’Hiroshima, l’exil rural forcé dans la Chine populaire des années 1968-1980, le génocide cambodgien et la « décennie noire » qui ensanglanta l’Algérie des années 1990, ce numéro d’Europe invite à une nécessaire réflexion sur l’acte de témoigner en littérature. Puisse-t-il contribuer à marquer un tournant dans l’histoire de la réception d’un genre qui demeure encore trop souvent relégué dans une position marginale, alors même qu’il a donné, selon les mots de Georges Perec, « l’exemple le plus parfait de ce que peut être la littérature ».
[en] This text aims at reassessing the attitude of the poet Mallarmé in front of the Wagnerian total work of art. Meeting the challenge of the total art, Mallarmé subscribes to an undemocratic project, in spite of his critique. In this regard, it appears that his conception of the Book as a cathedral is combined with another vision of completed art in the nineteenth century : the glass architecture of the Crystal Palace in London. Yet his dream of a new symbolic center of the city, where ideally the poet would exercise a ministry, happens to have been as well a totalitarian fantasy in the twentieth century.
[en] The analysis proposed in this text takes its place in a work of “cultural criticism”, which usually endeavours to determine the responsibility of the culture in the process of political and intellectual evolution. It is argued that the total work of art, which becomes an undemocratic fantasy in Wagner, is a condition of possibility of totalitarian domination in the twentieth century. The demonstration is based on the recovery of the Wagnerian project in the field of architecture, especially during the era of expressionism. It aims to explain the special affinity between Nazi totalitarianism and the art of building.
[en] Writing the Future : Testimony and Politics According to Svetlana Aleksievich
Svetlana Aleksievich’s Voices from Chernobyl deals with the Chernobyl nuclear disaster through more than 500 interviews conducted in Byelorussia by the author. Despite the accidental nature of the event, this work must be understood as a form of testimony, heir to the witness tradition born in the 20th century in response to mass political violence, inasmuch as it essentially aims at denouncing, in the way the catastrophe was managed, a political crime. The testimony thus takes the shape of an enquiry which, at the same time as it tries to come to terms with the unspeakable evils of radioactivity, gives us to understand the depth of the human sacrifice involved. If the latter is still going on, it is more particularly because the totalitarian denial by the Soviet Union’s Communist party of the catastrophe has been followed by the same denial on the part of the post-totalitarian national and international authorities.
[en] This text is a hardly modified chapter from my thesis on the history of the idea of literature. The thesis is a historical enquiry into the idea of literature as invented by early German Romanticism. I promote the idea that, in the twentieth century, at a time when the fate of art hangs in the balance, theoretical inquiry and literary and artistic practice bring about a schism, creating as they do a critical and dialectical relation to the Romantic idea of literature and determining a new mode of being for literature. This chapter focuses on how, in the theoretical inquiries, a tradition of Kulturkritik elaborates the concept of kitsch so as to characterize what, in art and literature, makes possible that a document of culture is “at the same time a document of barbarism” (Benjamin).
[en] What impact did the Auschwitz literary hiatus have on literature ? Answering that question is needed in light of the new, testimonial way of writing that came to the fore last century. By their descriptive nature, can testimonials from concentration camp survivors be truly considered as literature ? The documentary value of such testimony is pitted against the lack of knowledge, or even the denial, of those lucky enough to have escaped deportation. This confrontation requires of the survivors that they go beyond the mere retelling of events that would otherwise remain unread. Sometimes, they achieve this goal by spinning their tale from a victim’s point of view, one that may well grasp at the readers’ emotions as they go through essay-like narratives. Indeed, whereas concentration camps were thoroughly negative and de-humanising and permanently shattered their victims, readers must nonetheless be able to identify with the human side of these victims. Such is the paradoxical utopia of testimonials, whereby the writer feels compelled to go beyond his human experience so as to reach and sensitise the reader. It is in that beyond, where nothing can help writer nor reader address this experience, that both, although human, will commune paradoxically outside humanity.
Of Languages in Volodine : A Survival Drama
Volodine constructs a fiction wherein he is translating the “post-exotic” works of characters who, last remnants of a revolutionary culture, are relegated to a world of concentration camps, where they write in the language of revolution, as though to resist annihilation; outside, Volodine gathers their works and translates them into French. How does this device lead the reader to understand this fiction as witness literature?
Confronted with the fascist “aestheticization of politics” in the 1930s, Benjamin felt an urgent need to “pave the way for the critique of the concept of art, as bequeathed to us by the 19th century”. However, despite the interest aroused by the author’s œuvre, the Benjaminian critique of the Romantic idea of literature which has informed the cultural system of modernity, has not received the attention it deserves. Arendt’s reception of Benjamin’s work fifty years ago is exemplary of the denial this critique has suffered from. The misunderstanding results in particular from the error of describing Benjamin’s own “poetic thought” in terms of the Romantic conception of metaphor. For Benjamin, however, opposing the aestheticization of politics through the politicization of art involves developing the dialectical image in opposition to the Romantic conception of metaphor.
Se confrontant dans les années 1930 à l’« esthétisation de la politique » fasciste, Benjamin a ressenti le besoin impérieux d’« ouvrir la voie à la critique du concept d’art, tel que nous l’a légué le XIXe siècle ». Or, malgré l’attention dont bénéficie l’auteur, cette critique de la culture benjaminienne, qui vise l’idée de littérature romantique au fondement du système de culture de la modernité, peine encore à se faire entendre. La réception de l’œuvre de Benjamin par Arendt il y a cinquante ans est exemplaire d’une forme de déni à ce sujet. Le malentendu vient notamment de l’erreur qui consiste à décrire la « pensée poétique » de Benjamin elle-même en la référant à la conception romantique de la métaphore. Pour Benjamin, opposer la politisation de l’art à l’esthétisation de la politique passe précisément par le parti d’opposer l’image dialectique à la métaphore romantique.
Première parution : « De la critique littéraire comme science sociale », En attendant Nadeau. Journal de la littérature, des idées et des arts [en ligne], n° 183, 18.10-31.10.2023, URL : https://bit.ly/3saWn1f.
Seconde parution : « Michel Borwicz : Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie (1939-1945). Préface de René Cassin, nouvelle édition critique de Judith Lyon-Caen (Gallimard, « Tel », 16 €) », note de lecture, Europe, n° 1137-1138, janv.-fév. 2024, p. 331-334.
Le film Les Âmes perdues, de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne, présente l'envers de l'histoire contemporaine, lente mais terrifiante, de la réhabilitation du régime syrien sur la scène internationale.
La plupart des textes qui sont rassemblés ici sont directement issus de ce colloque ; d’autres sont venus s’y ajouter parce qu’ils permettaient, à partir d’un ensemble de thèmes et de principes communs, d’en enrichir les propositions. On verra donc se dessiner, sous des modalités multiples, une réflexion sur le langage et sur son rapport à la scène : qu’il s’agisse de la scène de théâtre où le texte de Novarina vient s’incarner, de la scène du langage elle-même, plan fondamental où s’épanouit l’écriture et où s’ouvre, en deçà de toute représentation, l’espace du théâtre, ou encore de la scène du monde, des théâtres politiques, des tragédies humaines, des comédies sociales, du « drame de la vie » où le langage se fait conducteur de la pensée et des passions.
The conference aims both to deepen and broaden reflections initiated along these various steps, all while keeping in sight the notion of experience: by giving voice both to the primary actors involved in migration, the migrant people themselves, and by equally giving voice to researchers, journalists, artists and activists, it will situate itself alongside people undertaking migration who, most often exiled and “made illegal”, have lived through experiences “where shock has become the norm” (Walter Benjamin).
Charlotte Lacoste, maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine,
Judith Lyon-Caen, directrice d’études à l’EHESS (CRH-GRIHL, CRH-HHS) - Cette enseignante est référente pour cette UE.
2e et 4e vendredis du mois de 15h à 17h (salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris et via la plateforme en ligne BBB), du 13 novembre 2020 au 11 juin 2021.
Le séminaire se tient en mode dit « hybride ». L’inscription est obligatoire sur listem : http://listsem.ehess.fr/courses/226/requests/new. Le lien de connexion sera transmis aux inscrit·es.
Présentation et programme.
Nos invité.es cette année (par ordre d'apparition) : François Rastier, Tristan Leperlier, Gilles Karmasyn, Piotr Laskowski, Clément Sigalas, Carlo Ginzburg, Nikolay Koposov, Maryline Heck.
Charlotte Lacoste, maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine,
Judith Lyon-Caen, directrice d’études à l’EHESS (CRH-GRIHL, CRH-HHS) - Cette enseignante est référente pour cette UE.
2e et 4e vendredis du mois de 15h à 17h (salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 9 novembre 2017 au 14 juin 2018
Ce séminaire collectif s’intéresse aux pratiques et aux formes de l’écriture de témoignage depuis le début du XXe siècle, selon une approche interdisciplinaire qui considère la production d’écrits, leurs modalités de publication, leurs circulations et leurs appropriations comme autant d’actions dans l’histoire, et comme autant d’événements, et non pas seulement comme des sources possibles sur ces événements. Actions dans l’histoire, événements d’écriture, bien des écrits ne sont désignés comme « testimoniaux » qu’à distance de leur première effectuation. Les cadres matériels, moraux, institutionnels (judiciaires ou disciplinaires par exemple) de ces premières effectuations, mais aussi l’ensemble des opérations qui qualifient tel ou tel écrit comme « témoignage » sont au cœur de nos questionnements. Ainsi nous interrogeons-nous par exemple sur les idiomes du témoignage, ses épistémologies et les temporalités qu’elles dessinent, sur l’émergence et les usages de catégories contemporaines comme « littérature de témoignage » ou « genre testimonial », ou encore « littérature documentaire ».
De la Première guerre mondiale au génocide des Tutsi au Rwanda, de la Shoah à la guerre d’Algérie, la question du témoignage occupe une place croissante dans les savoirs sur les violences extrêmes de notre temps. Ce séminaire cherche à faire dialoguer des « savants du témoignage », des chercheurs qui s’intéressent au témoignage dans des contextes historiques multiples et selon les horizons disciplinaires variés des sciences sociales. Il s’ouvre aussi à des praticiens du témoignage, dans les arènes artistique, littéraire ou judiciaire, qui se tiennent parfois à la charnière des champs et des postures. Car le propre de la question du témoignage – comme catégorie utilisée par les acteurs et/ou construite par les chercheurs ou les institutions – est souvent de produire du brouillage dans les catégorisations, les positions, les discours. De produire de l’inclassable. D’où l’intérêt, à notre sens, de chercher à esquisser des perspectives, de partage ou de clivage, qui n’écrasent pas la spécificité des pratiques, des gestes, des objets testimoniaux envisagés.
Ce séminaire collectif s'intéresse aux pratiques et aux formes de l'écriture de témoignage depuis le début du XXe siècle, selon une approche interdisciplinaire qui considère la production d'écrits, leurs modalités de publication, leurs circulations et leurs appropriations comme autant d'actions dans l'histoire, et comme autant d'événements, et non pas seulement comme des sources possibles sur ces événements. Actions dans l'histoire, événements d'écriture, bien des écrits ne sont désignés comme « testimoniaux » qu'à distance de leur première effectuation. Les cadres matériels, moraux, institutionnels (judiciaires ou disciplinaires par exemple) de ces premières effectuations, mais aussi l'ensemble des opérations qui qualifient tel ou tel écrit comme « témoignage » sont au coeur de nos questionnements. Ainsi nous interrogeons-nous par exemple sur les idiomes du témoignage, ses épistémologies et les temporalités qu'elles dessinent, sur l'émergence et les usages de catégories contemporaines comme « littérature de témoignage » ou « genre testimonial », ou encore « littérature documentaire ».
De la Première guerre mondiale au génocide des Tutsis au Rwanda, de la Shoah à la guerre d'Algérie, la question du témoignage occupe une place croissante dans les savoirs sur les violences extrêmes de notre temps. Ce séminaire cherche à faire dialoguer des « savants du témoignage », des chercheurs qui s'intéressent au témoignage dans des contextes historiques multiples et selon les horizons disciplinaires variés des sciences sociales. Il s'ouvre aussi à des praticiens du témoignage, dans les arènes artistique, littéraire ou judiciaire, qui se tiennent parfois à la charnière des champs et des postures. Car le propre de la question du témoignage – comme catégorie utilisée par les acteurs et/ou construite par les chercheurs ou les institutions – est souvent de produire du brouillage dans les catégorisations, les positions, les discours. De produire de l'inclassable. D'où l'intérêt, à notre sens, de chercher à esquisser des perspectives, de partage ou de clivage, qui n'écrasent pas la spécificité des pratiques, des gestes, des objets testimoniaux envisagés.
Savoirs du témoignage en Europe au XX e siècle •
2e et 4e vendredis du mois de 11 h à 13 h (salle 11, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 25 novembre 2016 au 9 juin 2017. La séance du 28 avril est avancée au 21 avril (même horaire, même salle)
Ce séminaire collectif s'intéresse aux pratiques et aux formes de l'écriture de témoignage, selon une approche interdisciplinaire qui considère les écrits, leurs modalités de publication, leurs circulations et leurs appropriations, comme autant d'actions dans l'histoire, et comme autant d'événements de leur temps, et non pas seulement comme des sources possibles sur ces événements.
Tandis que l'extrême droite tente de s'approprier la figure de George Orwell, Isabelle Kersimon montre qu'elle donne corps au plus grand cauchemar de l'auteur anglais : un véritable « système de mensonge organisé », dans lequel Orwell reconnaissait la spécificité du totalitarisme.
Ce workshop interdisciplinaire se propose, en présence de l'autrice, de croiser les approches scientifiques de ce livre, de manière à en saisir l'importance à la fois comme proposition littéraire et comme apport intellectuel au débat public.
S'inscrire : http://paiementenligne.univ-poitiers.fr/FoReLLIS-Migration2018/inscription/etape1.php
Journée d'étude au Musée national de l'histoire de l'immigration
Table ronde de réfugiés d'hier et d'aujourd'hui à la BULAC
L’enjeu de cette Journée d’étude n’est pas d’ajouter à la réflexion sur le bienfondé, l’évolution et les limites du statut de réfugié mais d’interroger, dans une perspective diachronique et interdisciplinaire, la réception des phénomènes de déplacement massif, d’apatridie et de dispersion migratoire, appelés à se répéter dramatiquement au long du XXe siècle, jusqu’à nos jours. Il sera postulé que les grandes scansions du refuge ont tendu aux sociétés européennes – et leur tendent encore, nonobstant l’édification supranationale de l’Union européenne – le miroir inversé de leurs propres constructions idéologiques, dans un contexte croissant de « judiciarisation du statut de l’homme » (Dzovinar Kévonian) et de territorialisation des appartenances nationales.
Cet essai est consacré à un film documentaire : Palmyre (Liban, 2016), de Monika Borgmann et Lokman Slim. Le film frappe corrélativement par son dispositif testimonial inédit et par sa mémoire multidirectionnelle, libanaise et syrienne. Il est réalisé durant la révolution syrienne avec des Libanais qui ont été détenus dans la prison de Palmyre à l'époque de Hafez al-Assad. Or, ces rescapés témoignant de leur expérience en décrivant mais aussi en rejouant des scènes vécues, il tend à abolir la distance entre le passé et le présent.
L'étude de l'image dialectique produite à l'écran passe par un travail de contextualisation du film, de façon à mesurer sa force d'interpellation. Selon Frédérik Detue, le savoir sur le cinéma documentaire et ses pouvoirs nécessite en effet de pratiquer la critique de cinéma comme une science sociale.
Frédérik Detue est maître de conférences en littérature comparée à l'Université Côte d'Azur et membre du Comité Syrie-Europe, après Alep. Témoigner au cinéma. Une action dans l'histoire est son premier livre.