Qu'a fait l'Inde à la littérature française ? Guillaume Bridet croise les sources et les approches pour montrer comment, après la Grande Guerre, la réception des écrivains indiens ‒ Tagore au premier chef ‒ favorise le passage de...
moreQu'a fait l'Inde à la littérature française ? Guillaume Bridet croise les sources et les approches pour montrer comment, après la Grande Guerre, la réception des écrivains indiens ‒ Tagore au premier chef ‒ favorise le passage de l'exotisme à une vision décolonisée. L'analyse décentre à la fois les études orientalistes et l'histoire littéraire traditionnelle. Recensé : Guillaume Bridet, L'Événement indien de la littérature française, Grenoble, ELLUG, 2014, 302 p., 24 €. Entre histoire littéraire, études postcoloniales et approche sociologique, L'Événement indien de la littérature française décentre la connaissance de la littérature française de l'entre-deux-guerres en la pensant dans son rapport à l'Inde. Livre-manifeste, mû non seulement par la volonté « de savoir ce qu'est [l'histoire de] la littérature française, mais de savoir quelle histoire nous voulons construire, quelle histoire nous voulons (nous) raconter, c'est-à-dire à quel type de communauté (fermée, entrouverte ou ouverte) nous appartenons mais aussi désirons appartenir » (287), il pose les bases d'une lecture dénationalisée, et renouvelle le traitement de l'orientalisme. Sans nier le caractère binaire et orienté de la réalité discursive de l'Inde dans le champ littéraire français ! et plus particulièrement parisien ! du début du XX e siècle, G. Bridet réfute l'existence d'un orientalisme intangible et hégémonique et propose de « mettre l'orientalisme au pluriel » (16) : il rend compte des écarts génériques entre les textes orientalistes au sein des différents ensembles institutionnels (recherche indianiste, historique, journalistique, spirituelle, littéraire), où il distingue trois types de discours : de l'ordre de l'autolégitimation, de la réflexivité (permettant à celui qui l'énonce de réfléchir à sa propre identité et civilisation), et de la légitimation extérieure (c'est-à-dire légitimant d'autres discours). Ce partage lui permet de dépasser la lecture dichotomique opposant l'Est à l'Ouest, pour rendre compte de la diversité des approches orientalistes de l'époque. G. Bridet s'intéresse ensuite aux productions « contre-orientalistes », voire occidentalistes. Il permet de redécouvrir au passage des auteurs français disparus du canon. L'Inde contemporaine entre en scène Avec la publication de L'Offrande lyrique de Rabindranath Tagore en 1913, pour laquelle l'écrivain bengali reçoit la même année le prix Nobel de littérature, l'Inde contemporaine et vivante entre dans le canon littéraire de langue française. Si sa présence demeure localisée et minoritaire, de nombreux auteurs indiens pénètrent néanmoins les très prestigieuses revues Europe et Le Mercure de France. G. Bridet met cette pénétration en rapport avec un mouvement de dénationalisation de l'histoire littéraire française en développement. Il démontre que le découplage est provoqué par la présence de l'Inde, et promu par les indianistes français de l'époque, même s'il s'agit souvent de mettre en valeur non l'altérité comme élément constitutif du canon, mais le pouvoir « assimilateur » du génie national français. Sans faire fi du cadre national, dont il note par ailleurs le fort potentiel mobilisateur passé et présent, G. Bridet offre, depuis sa position de professeur de littérature