Moving Pictures, Living Machines : Automation, Animation and the Imitation of Life in Cinema and Media, 2020
Soft Materials est un film en 16 mm d'une dizaine de minutes, réalisé par Daria Martin 1 en 2004.... more Soft Materials est un film en 16 mm d'une dizaine de minutes, réalisé par Daria Martin 1 en 2004. Tourné dans un laboratoire d'intelligence artificielle à Zürich, il met en scène deux performeurs nus (un homme et une femme) interagissant avec des robots issus d'une conception « bio-inspirée », visant à produire des machines susceptibles d'évoluer en apprenant de leur environnement immédiat. En quelques courtes séquences, le film témoigne des comportements adoptés par ces organismes biologiques et artificiels dans leur découverte mutuelle : avec curiosité et sensualité, corps de chair et membres mécaniques entrent en contact, se frôlent, se caressent et se palpent. Mais c'est lorsque les performeurs se mettent à répondre aux mouvements de ces étranges machines, esquissant avec elles quelques pas de danse, que le trouble est à son comble, accru du fait que les appareils impliqués ne présentent aucun caractère anthropomorphe. Force est alors de reconnaître, en dépit de cette limite, l'excellence de l'imitation-à tel point qu'il est en fait difficile de savoir qui, du vivant ou de la machine, imite l'autre. Si le test de la danse avec le robot servait à évaluer le degré de réussite auquel parvient l'artifice dans son projet d'imitation de la vie et du mouvement, alors les machines du laboratoire zürichois l'auraient passé avec succès. Qu'elle en soit consciente ou non, Martin s'inscrit avec son film dans une longue mythographie de l'automate et de l'intelligence artificielle qui fait de la danse avec le robot l'une des modalités privilégiées de la rencontre entre le vivant et la machine, et l'étalon de sa réussite. 2 L'origine de ce motif se repère sans mal : on la trouve dans le célèbre récit d'E.T.A. Hoffmann, « L'Homme au sable », paru en 1817 dans son recueil de Contes nocturnes. On se souvient comment, dans celui-ci, l'étudiant Nathanaël est tombé amoureux d'Olympia, qu'il prend pour la fille de son professeur de physique, Spallanzani. Olympia est en fait un habile automate que le compère de Spallanzani, Coppélius, à la fois alchimiste et fabriquant d'instruments d'optiques, a doté d'une paire d'yeux qui parachève l'illusion. Coppélius a également vendu à Nathanaël la lorgnette qui lui avait permis d'apercevoir l'automate, depuis sa fenêtre et à travers celles de la maison de Spallanzani, située en face de sa propre chambre d'étudiant. Or, on n'a jamais relevé que cette situation-il faut y être attentif-reproduit typiquement la structure mythographique d'une « machine célibataire », telle que Michel Carrouges l'a déduite, dans une série de textes publiés entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1970, du fonctionnement de La Mariée mise à nu par ses Célibataires, même-autrement appelé Le Grand Verre (1915-1923). 3 Son auteur, Marcel Duchamp, y organisait la confrontation sur deux parois de verre superposées entre un automate féminin (indifféremment appelé la Mariée, la Vierge, le Pendu femelle), logé dans la partie supérieure de l'oeuvre, et, dans sa partie basse, un groupe d'entités mâles, l'« appareil célibataire », connectées à une improbable machinerie susceptible de favoriser leur commerce sexuel avec la Mariée. Carrouges n'a pas seulement décrypté le fonctionnement de cette machine sexuelle selon l'enchaînement des mouvements et la circulation des fluides séminaux qu'elle organise, mais également selon une grille mythographique dont il a étendu la structure à de nombreuses autres oeuvres littéraires et artistiques, antérieures, contemporaines,
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Papers by Arnauld Pierre
Moirés had a considerable vogue in the 1960s in the context of optical and kinetic art. We also find them in the beginnings of computer art and in the productions of the psychedelic counterculture. Arnauld Pierre's essay looks at the different manifestations of the phenomenon and traces the process that saw the moirés pass from a scientific and artistic scholarly culture to its forms of appropriation by popular culture. He rediscovers the role played in this respect by a somewhat whimsical artist-scientist, Gerald Oster, self-proclaimed "father of the moiré", who enjoyed a sudden and ephemeral fame.
Through his investigation conducted at the crossroads of art history and the cultural history of the gaze, Arnauld Pierre will satisfy, with this richly illustrated work, all readers who are fascinated by the visual universe in general and who are particularly delighted by some of its most extravagant manifestations. Of those that the merages will have carried very high.
Voici un livre d’un genre peu pratiqué, celui de l’essai monographique appliqué à une famille particulière de formes abstraites : les moirages.
Ces derniers connurent une vogue considérable au cours des années 1960 dans le contexte de l’art optique et cinétique. On les retrouve aussi dans les débuts de l’art à l’ordinateur et dans les productions de la contre-culture psychédélique. L’essai d’Arnauld Pierre se penche sur les différentes manifestations du phénomène et retrace le processus qui a vu les moirages passer d’une culture scientifique et artistique savante à ses formes d’appropriation par la culture populaire. Il redécouvre le rôle qu’a joué à cet égard une figure d’artiste-scientifique un peu fantasque, celle de Gerald Oster, auto-proclamé « père du moiré », qui connut une célébrité aussi soudaine qu’éphémère.
À travers son enquête menée à la croisée de l’histoire de l’art et de l’histoire culturelle du regard, Arnauld Pierre comblera, avec cet ouvrage richement illustré, l’ensemble des lecteurs que fascine l’univers visuel en général et que réjouissent en particulier certaines de ses manifestations les plus extravagantes. De celles que les moirages auront porté très haut.