L'Aventure interprétative. Hommage à Georges Kliebenstein., 2022
La phrase d’ouverture du roman carthaginois de Flaubert ne figure-t-elle pas, non seulement parmi... more La phrase d’ouverture du roman carthaginois de Flaubert ne figure-t-elle pas, non seulement parmi les plus profondément ancrées dans la mémoire scolaire, mais également parmi les plus commentées dans le champ littéraire – qu’il s’agisse d’en faire un sommet de l’écriture-artiste ou au contraire d’en déplorer les effets de saturation à la limite du mauvais-goût ? Cette phrase de douze mots appelle une herméneutique de l’infiniment petit que nous tenterons de mener selon les principes de l’exégèse kliebensteinienne.
Depuis l’unique occurrence chez Saussure jusqu’à l’ouvrage de Gérard sur l’exclamation en françai... more Depuis l’unique occurrence chez Saussure jusqu’à l’ouvrage de Gérard sur l’exclamation en français, en passant par les nombreuses interventions du terme chez Bally, les quelques mentions de Meillet et Benveniste et les analyses de Milner, cette contribution se propose de tracer les contours fluctuants de la notion d’expressivité en linguistique, avant de s’attacher plus précisément à cette modalité prototypique de l’expressivité qu’est l’exclamation. Après avoir établi une distinction entre expressivité et subjectivité (énonciative), expressivité et singularité (stylistique), on pourra s’interroger sur la notion d’exclamation, qui permettra de poser le lien entre expressivité et modalité. Dans ce vaste domaine, il s’agira d’envisager tout particulièrement les rapports entre quantité et qualité, l’expressivité de l’exclamation étant souvent associée à son côté tronqué, reposant sur un énoncé incomplet ou au contraire surdéterminé (haut degré, répétition voire tautologie). Enfin, dans la mesure où on accole souvent à la ponctuation, par opposition à une dimension supposément « logique », une fonction « expressive », on s’attardera tout particulièrement sur le point d’exclamation, ponctuant emblématique de l’affectivité, tour à tour signe mélodique, modal, admiratif, pathétique et… expressif.
En convoquant simultanément musique et littérature, cet article souhaite interroger la phrase de ... more En convoquant simultanément musique et littérature, cet article souhaite interroger la phrase de Stendhal à l’aune de ce qui se joue à la clôture en termes de ponctuation, de rythme, de cadence. Que se passe-t-il entre les phrases de Stendhal du point de vue de l’achèvement et de l’accomplissement ? Comment penser la question de la latence et du désir ? Dispositif de suspension et administration du virage phrastique sont pensés selon deux expressions en tous points opposées, celle littéraire d’Armance (désir frustré) et celle musicale de Rossini (désir récompensé) afin de sonder ce qui pourrait constituer l’un des piliers de l’imaginaire phrastique stendhalien.
A partir de ce qui est thématisé (et bien connu) chez Verlaine (goût pour le transitoire, le pore... more A partir de ce qui est thématisé (et bien connu) chez Verlaine (goût pour le transitoire, le poreux, le suspens), il est possible d'appréhender une forme de prédilection pour tout ce qui relève d'évocations in posse, autrement dit l'actualisation d'éléments en tension, sur le point de poindre ; il est possible de procéder à l'inventaire des faits de langue qui font apparaître que quelque chose, sans cesse dissimulé, encore virtuel, est susceptible d'apparaître. Une telle démarche permettrait de focaliser l'attention à rebours de la rétrospection, sur un aspect plus négligé de l'analyse verlainienne, ainsi que le notait Steve Murphy : si on a beaucoup traité de la « manière dont la poétique verlainienne puise dans le souvenir », chante « l'éloge de l'évanescent », « on a moins insisté sur l'importance qu'elle assigne à l'anticipation, à l'attente rendue encore plus délicieuse par sa frustration provisoire ». Frustration de la réticence, sustentation aphrodisiaque, tension épiphanique… Ce qui fait aussi « la force de Verlaine », pour reprendre le point de vue de Georges Kliebenstein, ce sont les « adventura » ; et le poète se présente parfois comme une Cassandre-mais une Cassandre, à l'instar de son homonyme masculin, bien dissimulée, toujours « sous son capuce » (« Colombine »). La latence serait donc à définir plus étroitement afin qu'elle ne devienne pas l'hyperonyme caractérisant vaguement n'importe quel discours gros de tous les discours. Elle ne serait pas, par exemple, le non-dit de l'ellipse, et celui de l'implicite, que suppose et suscite le discours poétique (relevant du présupposé et du sous-entendu) mais plutôt le mi-dire, à entendre comme tout ce qui oeuvre en filigrane en thématisant ou exemplifiant sans cesse les possibles commencements à venir,
Le Suspens. Revue Esquisse(s). Editions Kimé, 2019
Si l'expression avoir la langue bien pendue est usuelle, on dira rarement de quelqu'un qu'il a la... more Si l'expression avoir la langue bien pendue est usuelle, on dira rarement de quelqu'un qu'il a la langue bien suspendue. A quoi renverrait en effet la question du suspens dans la langue ? Quels éléments conviendrait-il d'examiner pour tenter d'approcher cette notion qui dit, a priori, l'interruption, l'inaccompli, et donc l'absence et l'attente - attente comblée, déçue, déjouée ?
Pas de limites ? Approche psychanalytique de la vie moderne, 2021
Julien RaULt « Toute phrase, comme Shéhérazade, énonce pour ne pas finir ; mais c'est une Shéhéra... more Julien RaULt « Toute phrase, comme Shéhérazade, énonce pour ne pas finir ; mais c'est une Shéhérazade qui doit finir, puisque c'est seulement à partir de là qu'elle sera représentable comme phrase. » Laurent Jenny, La Parole singulière « La phrase n'existe qu'achevée, et son sens lui vient après coup. Il faut que nous soyons arrivés tout à fait au bout, c'est-à-dire du côté de ce fameux Éternel. »
L’article propose une première approche des différents usages du blanc dans la prose littéraire c... more L’article propose une première approche des différents usages du blanc dans la prose littéraire contemporaine. Il s’agit ainsi de faire passer le blanc d’un arrière-plan invisible du discours à un geste énonciatif d’« espacement » (Mallarmé). Après avoir distingué le geste de ne pas noircir et celui de blanchir, les auteurs essaient de caractériser les gestes énonciatifs en fonction de la matérialité d’apparition du blanc dans l’espace graphique (blancs d’œuvre, marginal, paginal, interlinéaire, intralinéaire et intralexical), et abordent un certain nombre d’effets de sens ou de liens privilégiés entre le blanc et les dimensions générique, iconique, dialogique, emphatique des œuvres abordées.
Nous savons, grâce aux travaux de Jean-Pierre Seguin, que la réflexion sur la notion de phrase à ... more Nous savons, grâce aux travaux de Jean-Pierre Seguin, que la réflexion sur la notion de phrase à l'époque classique ne peut se comprendre qu'à l'aune d'un changement de statut du point : le point libre a laissé la place à un point de clôture. En lien avec les problématiques-centrales au XVIII e siècle-de l'achèvement et de l'inachèvement, de la complétude et de l'incomplétude, nous souhaitons montrer que ce moment charnière voit aussi apparaître un élément qui va transcrire et intro-duire du non-fini, permettre d'infinir la phrase : les points multiples. À mesure que l'usage du point se fixe, que ce dernier tend à devenir « la marque d'une vraie fin » se développe un élément de ponctuation qui fait figure de véritable contre-point. Simple convention typographique dans le théâtre du XVII e siècle, la suite de points intègre progressivement les descriptions des spécialistes de la langue et devient le point de suspension, signe de ponctuation doté de multiples fonctions. Nous tente-rons ici de décrire et de comprendre les étapes qui ont ponctué la naissance de ce signe. ABSTRACT We know, thanks to Jean-Pierre Seguin's works, that the reflection on the notion of sentence in the classical period has to be linked to a change of uses and representations of the dot : the « free » dot made way for a « closing » dot. In connection with problems-fundamental in the XVIIth century-of the completion and the incom-pletion, we wish to show that this turning point also sees appearing an element which is going to transcribe and to introduce non-finity, to allow an infinite sentence : the multiple dots (ellipsis mark). As the use of the dot tends to become « the mark of the real end », a new element of punctuation appears which makes figure of real counterpoint. Simple typographic convention in the theater of the XVIIth century, the suite of dots integrates gradually the specialists of the speech's descriptions and becomes the « point de suspension », endowed with multiple functions. We shall here try to describe and to understand the stages which punctuated the birth of this sign.
Ah ! si vous ne me prenez pas au mot… » Marivaux, La Dispute, sc. 7 La propension de Marivaux à u... more Ah ! si vous ne me prenez pas au mot… » Marivaux, La Dispute, sc. 7 La propension de Marivaux à user de reprises, ou à jouer sur l'écho, d'une réplique à l'autre, est notoire 1 . Si la réflexivité, par la modalisation autonymique notamment, sert le dynamisme d'une écriture procédant par rebond, c'est aussi et surtout une façon d'importer une dimension agonique 2 : faire retour sur le mot de l'autre, introduire la non-coïncidence, n'est jamais événement anodin et induit volontiers la polémique.
Cet article souhaite montrer comment le point de suspension, dont l'usage s'est véritablement dév... more Cet article souhaite montrer comment le point de suspension, dont l'usage s'est véritablement développé au XVIIIe siècle, est absolument emblématique des enjeux esthétiques, idéologiques et épistémologiques de la pensée libertine ; comment, sur un plan diachronique, s'est constituée une dimension pérenne transgressive et satirique du signe de ponctuation au regard d'un imaginaire de la langue classique, fondé sur la clarté, l’hermétisme, l'achèvement. Le XVIIIe siècle apparaît ainsi comme le moment déterminant dans la constitution d'un imaginaire libertin du point de suspension, que l'on peut comprendre à partir de la valeur de latence, laquelle introduit, face au point de l'ordre, l'excès et la labilité du sens et du sujet. Un contre-point.
Le Pantomime joue, & le Philosophe, transporté, s'écrie : je ne te vois pas seulement ; je t'ente... more Le Pantomime joue, & le Philosophe, transporté, s'écrie : je ne te vois pas seulement ; je t'entends. Tu me parles des mains. Entretiens sur le fils naturel, 1757
Dans le discours littéraire, le point de suspension peut être employé en abondance dans les dialo... more Dans le discours littéraire, le point de suspension peut être employé en abondance dans les dialogues et les monologues, « les échappées, les rêveries » 1 , afin, notamment, de traduire la subjectivité d'un « je » qui s'exprime. Le discours à la première personne (endophasique, oralisé) est indéniablement le lieu de prédilection du signe, lequel accompagne l'expression des affects. Mon père est enterré au milieu des herbes… Les oiseaux lui ont fait fête quand il est venu ; c'était plein de fleurs près de la fosse… Le vent qui était doux séchait les larmes sur mes paupières, et me portait des odeurs de prin-temps… Un peuplier est non loin de la tombe, comme il y en avait devant la masure où il était né. J'aurais voulu resté là pour rêver, mais il a fallu ramener ma mère. 2 – Oh ! Sois tranquille !… il ne pâtira pas, ça me regarde… Et puis ça sera gentil !… N'aie pas peur, on ne saura rien… Je m'arrangerai… Tiens ! Les derniers jours, je marcherai comme ça, la tête en arrière… Je ne porterai
L'Aventure interprétative. Hommage à Georges Kliebenstein., 2022
La phrase d’ouverture du roman carthaginois de Flaubert ne figure-t-elle pas, non seulement parmi... more La phrase d’ouverture du roman carthaginois de Flaubert ne figure-t-elle pas, non seulement parmi les plus profondément ancrées dans la mémoire scolaire, mais également parmi les plus commentées dans le champ littéraire – qu’il s’agisse d’en faire un sommet de l’écriture-artiste ou au contraire d’en déplorer les effets de saturation à la limite du mauvais-goût ? Cette phrase de douze mots appelle une herméneutique de l’infiniment petit que nous tenterons de mener selon les principes de l’exégèse kliebensteinienne.
Depuis l’unique occurrence chez Saussure jusqu’à l’ouvrage de Gérard sur l’exclamation en françai... more Depuis l’unique occurrence chez Saussure jusqu’à l’ouvrage de Gérard sur l’exclamation en français, en passant par les nombreuses interventions du terme chez Bally, les quelques mentions de Meillet et Benveniste et les analyses de Milner, cette contribution se propose de tracer les contours fluctuants de la notion d’expressivité en linguistique, avant de s’attacher plus précisément à cette modalité prototypique de l’expressivité qu’est l’exclamation. Après avoir établi une distinction entre expressivité et subjectivité (énonciative), expressivité et singularité (stylistique), on pourra s’interroger sur la notion d’exclamation, qui permettra de poser le lien entre expressivité et modalité. Dans ce vaste domaine, il s’agira d’envisager tout particulièrement les rapports entre quantité et qualité, l’expressivité de l’exclamation étant souvent associée à son côté tronqué, reposant sur un énoncé incomplet ou au contraire surdéterminé (haut degré, répétition voire tautologie). Enfin, dans la mesure où on accole souvent à la ponctuation, par opposition à une dimension supposément « logique », une fonction « expressive », on s’attardera tout particulièrement sur le point d’exclamation, ponctuant emblématique de l’affectivité, tour à tour signe mélodique, modal, admiratif, pathétique et… expressif.
En convoquant simultanément musique et littérature, cet article souhaite interroger la phrase de ... more En convoquant simultanément musique et littérature, cet article souhaite interroger la phrase de Stendhal à l’aune de ce qui se joue à la clôture en termes de ponctuation, de rythme, de cadence. Que se passe-t-il entre les phrases de Stendhal du point de vue de l’achèvement et de l’accomplissement ? Comment penser la question de la latence et du désir ? Dispositif de suspension et administration du virage phrastique sont pensés selon deux expressions en tous points opposées, celle littéraire d’Armance (désir frustré) et celle musicale de Rossini (désir récompensé) afin de sonder ce qui pourrait constituer l’un des piliers de l’imaginaire phrastique stendhalien.
A partir de ce qui est thématisé (et bien connu) chez Verlaine (goût pour le transitoire, le pore... more A partir de ce qui est thématisé (et bien connu) chez Verlaine (goût pour le transitoire, le poreux, le suspens), il est possible d'appréhender une forme de prédilection pour tout ce qui relève d'évocations in posse, autrement dit l'actualisation d'éléments en tension, sur le point de poindre ; il est possible de procéder à l'inventaire des faits de langue qui font apparaître que quelque chose, sans cesse dissimulé, encore virtuel, est susceptible d'apparaître. Une telle démarche permettrait de focaliser l'attention à rebours de la rétrospection, sur un aspect plus négligé de l'analyse verlainienne, ainsi que le notait Steve Murphy : si on a beaucoup traité de la « manière dont la poétique verlainienne puise dans le souvenir », chante « l'éloge de l'évanescent », « on a moins insisté sur l'importance qu'elle assigne à l'anticipation, à l'attente rendue encore plus délicieuse par sa frustration provisoire ». Frustration de la réticence, sustentation aphrodisiaque, tension épiphanique… Ce qui fait aussi « la force de Verlaine », pour reprendre le point de vue de Georges Kliebenstein, ce sont les « adventura » ; et le poète se présente parfois comme une Cassandre-mais une Cassandre, à l'instar de son homonyme masculin, bien dissimulée, toujours « sous son capuce » (« Colombine »). La latence serait donc à définir plus étroitement afin qu'elle ne devienne pas l'hyperonyme caractérisant vaguement n'importe quel discours gros de tous les discours. Elle ne serait pas, par exemple, le non-dit de l'ellipse, et celui de l'implicite, que suppose et suscite le discours poétique (relevant du présupposé et du sous-entendu) mais plutôt le mi-dire, à entendre comme tout ce qui oeuvre en filigrane en thématisant ou exemplifiant sans cesse les possibles commencements à venir,
Le Suspens. Revue Esquisse(s). Editions Kimé, 2019
Si l'expression avoir la langue bien pendue est usuelle, on dira rarement de quelqu'un qu'il a la... more Si l'expression avoir la langue bien pendue est usuelle, on dira rarement de quelqu'un qu'il a la langue bien suspendue. A quoi renverrait en effet la question du suspens dans la langue ? Quels éléments conviendrait-il d'examiner pour tenter d'approcher cette notion qui dit, a priori, l'interruption, l'inaccompli, et donc l'absence et l'attente - attente comblée, déçue, déjouée ?
Pas de limites ? Approche psychanalytique de la vie moderne, 2021
Julien RaULt « Toute phrase, comme Shéhérazade, énonce pour ne pas finir ; mais c'est une Shéhéra... more Julien RaULt « Toute phrase, comme Shéhérazade, énonce pour ne pas finir ; mais c'est une Shéhérazade qui doit finir, puisque c'est seulement à partir de là qu'elle sera représentable comme phrase. » Laurent Jenny, La Parole singulière « La phrase n'existe qu'achevée, et son sens lui vient après coup. Il faut que nous soyons arrivés tout à fait au bout, c'est-à-dire du côté de ce fameux Éternel. »
L’article propose une première approche des différents usages du blanc dans la prose littéraire c... more L’article propose une première approche des différents usages du blanc dans la prose littéraire contemporaine. Il s’agit ainsi de faire passer le blanc d’un arrière-plan invisible du discours à un geste énonciatif d’« espacement » (Mallarmé). Après avoir distingué le geste de ne pas noircir et celui de blanchir, les auteurs essaient de caractériser les gestes énonciatifs en fonction de la matérialité d’apparition du blanc dans l’espace graphique (blancs d’œuvre, marginal, paginal, interlinéaire, intralinéaire et intralexical), et abordent un certain nombre d’effets de sens ou de liens privilégiés entre le blanc et les dimensions générique, iconique, dialogique, emphatique des œuvres abordées.
Nous savons, grâce aux travaux de Jean-Pierre Seguin, que la réflexion sur la notion de phrase à ... more Nous savons, grâce aux travaux de Jean-Pierre Seguin, que la réflexion sur la notion de phrase à l'époque classique ne peut se comprendre qu'à l'aune d'un changement de statut du point : le point libre a laissé la place à un point de clôture. En lien avec les problématiques-centrales au XVIII e siècle-de l'achèvement et de l'inachèvement, de la complétude et de l'incomplétude, nous souhaitons montrer que ce moment charnière voit aussi apparaître un élément qui va transcrire et intro-duire du non-fini, permettre d'infinir la phrase : les points multiples. À mesure que l'usage du point se fixe, que ce dernier tend à devenir « la marque d'une vraie fin » se développe un élément de ponctuation qui fait figure de véritable contre-point. Simple convention typographique dans le théâtre du XVII e siècle, la suite de points intègre progressivement les descriptions des spécialistes de la langue et devient le point de suspension, signe de ponctuation doté de multiples fonctions. Nous tente-rons ici de décrire et de comprendre les étapes qui ont ponctué la naissance de ce signe. ABSTRACT We know, thanks to Jean-Pierre Seguin's works, that the reflection on the notion of sentence in the classical period has to be linked to a change of uses and representations of the dot : the « free » dot made way for a « closing » dot. In connection with problems-fundamental in the XVIIth century-of the completion and the incom-pletion, we wish to show that this turning point also sees appearing an element which is going to transcribe and to introduce non-finity, to allow an infinite sentence : the multiple dots (ellipsis mark). As the use of the dot tends to become « the mark of the real end », a new element of punctuation appears which makes figure of real counterpoint. Simple typographic convention in the theater of the XVIIth century, the suite of dots integrates gradually the specialists of the speech's descriptions and becomes the « point de suspension », endowed with multiple functions. We shall here try to describe and to understand the stages which punctuated the birth of this sign.
Ah ! si vous ne me prenez pas au mot… » Marivaux, La Dispute, sc. 7 La propension de Marivaux à u... more Ah ! si vous ne me prenez pas au mot… » Marivaux, La Dispute, sc. 7 La propension de Marivaux à user de reprises, ou à jouer sur l'écho, d'une réplique à l'autre, est notoire 1 . Si la réflexivité, par la modalisation autonymique notamment, sert le dynamisme d'une écriture procédant par rebond, c'est aussi et surtout une façon d'importer une dimension agonique 2 : faire retour sur le mot de l'autre, introduire la non-coïncidence, n'est jamais événement anodin et induit volontiers la polémique.
Cet article souhaite montrer comment le point de suspension, dont l'usage s'est véritablement dév... more Cet article souhaite montrer comment le point de suspension, dont l'usage s'est véritablement développé au XVIIIe siècle, est absolument emblématique des enjeux esthétiques, idéologiques et épistémologiques de la pensée libertine ; comment, sur un plan diachronique, s'est constituée une dimension pérenne transgressive et satirique du signe de ponctuation au regard d'un imaginaire de la langue classique, fondé sur la clarté, l’hermétisme, l'achèvement. Le XVIIIe siècle apparaît ainsi comme le moment déterminant dans la constitution d'un imaginaire libertin du point de suspension, que l'on peut comprendre à partir de la valeur de latence, laquelle introduit, face au point de l'ordre, l'excès et la labilité du sens et du sujet. Un contre-point.
Le Pantomime joue, & le Philosophe, transporté, s'écrie : je ne te vois pas seulement ; je t'ente... more Le Pantomime joue, & le Philosophe, transporté, s'écrie : je ne te vois pas seulement ; je t'entends. Tu me parles des mains. Entretiens sur le fils naturel, 1757
Dans le discours littéraire, le point de suspension peut être employé en abondance dans les dialo... more Dans le discours littéraire, le point de suspension peut être employé en abondance dans les dialogues et les monologues, « les échappées, les rêveries » 1 , afin, notamment, de traduire la subjectivité d'un « je » qui s'exprime. Le discours à la première personne (endophasique, oralisé) est indéniablement le lieu de prédilection du signe, lequel accompagne l'expression des affects. Mon père est enterré au milieu des herbes… Les oiseaux lui ont fait fête quand il est venu ; c'était plein de fleurs près de la fosse… Le vent qui était doux séchait les larmes sur mes paupières, et me portait des odeurs de prin-temps… Un peuplier est non loin de la tombe, comme il y en avait devant la masure où il était né. J'aurais voulu resté là pour rêver, mais il a fallu ramener ma mère. 2 – Oh ! Sois tranquille !… il ne pâtira pas, ça me regarde… Et puis ça sera gentil !… N'aie pas peur, on ne saura rien… Je m'arrangerai… Tiens ! Les derniers jours, je marcherai comme ça, la tête en arrière… Je ne porterai
De tous les poils, le sourcil est sans conteste le plus éloquent. C'est l'accent de nos mots, la ... more De tous les poils, le sourcil est sans conteste le plus éloquent. C'est l'accent de nos mots, la ponctuation de nos phrases, la transcription, volontaire ou non, de nos émotions. À travers l'art et la culture, l'histoire, la littérature ou encore la politique, le présent ouvrage propose de suivre les métamorphoses et les ondulations de ces arches vagabondes qui esquissent sur nos fronts la chorégraphie, singulière autant qu'universelle, des grandes affections humaines.
Que dit-on exactement au nom du réalisme ? Quels sont les usages politiques de ce mot ? À qui et ... more Que dit-on exactement au nom du réalisme ? Quels sont les usages politiques de ce mot ? À qui et à quoi sert-il ? Omniprésent depuis quelques décennies, y compris dans les discours dits de gauche, il est devenu une injonction qui témoigne notamment de la dérive du parti socialiste. Le réalisme apparaît aujourd'hui comme un mot-repère traduisant la dilution recherchée par certains des clivages traditionnels, et dont une des fonctions est d'anesthésier le débat démocratique. En analysant les prises de parole de responsables politiques, des années 1930-1940 à Manuel Valls, de Michel Rocard à Emmanuel Macron, cet ouvrage décrypte l'utilisation d'un mot d'ordre, un mot de et du pouvoir. Car le réalisme est une arme de déconsidération massive : le brandir, c'est abolir et anéantir aussitôt toute alternative, tout discours d'opposition. L'invoquer, c'est renvoyer immédiatement l'autre à ses idéaux, à son utopisme. Le réalisme n'admet pas la réplique. Il est une injonction à ne pas concevoir ni à revendiquer la possibilité d'autres mondes, d'autres voies. C'est une assignation à se soumettre, à dire oui au monde tel qu'il est. Ou, désormais, au monde tel qu'il va, dissimulant, sous l'invocation du changement et de l'adaptation nécessaire, la perpétuelle reproduction du statu quo.
séduisants, providentiels, agaçants : les points de suspension laissent rarement indifférent. mai... more séduisants, providentiels, agaçants : les points de suspension laissent rarement indifférent. mais que nous dit ce signe exactement ? Pourquoi l’emploie-t-on ? Depuis quand ? Et où ? Pourquoi faire le choix, curieux, de dire tout en ne disant pas ? En suivant la trace en trois points laissée dans l’écrit au fil des époques, cet essai propose un parcours littéraire et historique, dans une forme inédite : celle de la biographie d’un signe de ponctuation. un signe en forme de mi-dire équivoque, transgressif, auquel on peut attribuer une valeur hautement réflexive, mettant en jeu la langue même : la latence. Depuis le théâtre français du xviie siècle jusqu’aux emplois les plus contemporains, dans la presse, les textos, l’ouvrage se veut une invitation à entrer dans la langue par une porte minuscule, pour mieux ouvrir, par ailleurs, sur les enjeux essentiels de notre rapport singulier au langage, aux autres et au monde.
Longtemps ignorée des discours sur la langue, la ponctuation est dans le même temps l'objet d'un ... more Longtemps ignorée des discours sur la langue, la ponctuation est dans le même temps l'objet d'un imaginaire particulièrement fécond. Cet imaginaire peut être appréhendé du point de vue de la pratique, à partir des usages, mais aussi à travers les différents discours, qu'ils soient le fait de scripteurs ordinaires, d'au-teurs, ou de spécialistes de la langue. Le présent ouvrage souhaite ainsi s'intéres-ser à l'imaginaire littéraire de la ponctuation, en analysant la façon dont celle-ci est investie par la littérature moderne et contemporaine: au fil du parcours, se dessine un imaginaire singulier, entre intériorité et oralité, entre voix et corps, entre flux et discontinu, témoignant d'une conscience aiguë des enjeux et des représentations liés à cet ensemble disparate que constituent nos signes de ponctuation. Stéphane Bikialo, maître de conférences en langue et littérature françaises à l'université de Poitiers, est directeur de La Licorne (http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/) ; s'intéresse aux rapports entre langue et style dans la prose des XX e et XXI e siècles, en particulier chez Claude Simon et Bernard Noël. Il travaille actuellement sur le rapport mots / choses ainsi qu'aux enjeux du rythme graphique dans la littérature contemporaine (Lydie Salvayre, Leslie Kaplan, Jean-Charles Massera, etc.) ; il vient de codiriger un volume de la revue de linguistique LINX sur l'imaginaire de la ponctuation. Julien Rault, agrégé de lettres modernes, est docteur en langue et en littérature françaises. Il enseigne la linguistique et la stylistique à l'université de Poitiers en qualité d'ATER. Il a soutenu en 2014 une thèse intitulée Poétique du point de suspension. Valeur et interprétations et publié plusieurs articles sur la ponctua-tion (Armand Colin, Lambert Lucas…).
Résilience, crise, nature, développement durable, transition, croissance verte … quels sont les m... more Résilience, crise, nature, développement durable, transition, croissance verte … quels sont les mots piégés, usés, manipulés, détournés ou au contraire efficaces, quand il s’agit de parler d’écologie ? Comment nommer, pour faire prendre la réelle mesure de la situation ? Décrypter les enjeux et les représentations que véhiculent les mots, c’est le travail de Julien Rault. Maître de conférence en Langue et Littérature française à l’Université de Poitiers, il est spécialisé en lexicologie, soit dans l’étude des mots, de leurs sens et de leur utilisation. Entretien.
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Après avoir établi une distinction entre expressivité et subjectivité (énonciative), expressivité et singularité (stylistique), on pourra s’interroger sur la notion d’exclamation, qui permettra de poser le lien entre expressivité et modalité. Dans ce vaste domaine, il s’agira d’envisager tout particulièrement les rapports entre quantité et qualité, l’expressivité de l’exclamation étant souvent associée à son côté tronqué, reposant sur un énoncé incomplet ou au contraire surdéterminé (haut degré, répétition voire tautologie).
Enfin, dans la mesure où on accole souvent à la ponctuation, par opposition à une dimension supposément « logique », une fonction « expressive », on s’attardera tout particulièrement sur le point d’exclamation, ponctuant emblématique de l’affectivité, tour à tour signe mélodique, modal, admiratif, pathétique et… expressif.
Après avoir établi une distinction entre expressivité et subjectivité (énonciative), expressivité et singularité (stylistique), on pourra s’interroger sur la notion d’exclamation, qui permettra de poser le lien entre expressivité et modalité. Dans ce vaste domaine, il s’agira d’envisager tout particulièrement les rapports entre quantité et qualité, l’expressivité de l’exclamation étant souvent associée à son côté tronqué, reposant sur un énoncé incomplet ou au contraire surdéterminé (haut degré, répétition voire tautologie).
Enfin, dans la mesure où on accole souvent à la ponctuation, par opposition à une dimension supposément « logique », une fonction « expressive », on s’attardera tout particulièrement sur le point d’exclamation, ponctuant emblématique de l’affectivité, tour à tour signe mélodique, modal, admiratif, pathétique et… expressif.