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La fin des rapport de travail - Collection CERT

2021, Collection CERT

Comme dans les autres domaines du droit, les règles de procédure sont essentielles pour concrétiser et mettre en œuvre le droit du travail, que cela soit en amont du procès ou devant un tribunal étatique ou arbitral. C’est ainsi que pour tenter de répondre aux principales questions juridiques relatives aux procédures en droit du travail, nous avons organisé le 13 mars 2020 un colloque à l’Université de Neuchâtel, sous l’égide du Centre d’étude des relations de travail (CERT) et du Centre de recherche sur les modes amiables et juridictionnels de gestion des conflits (CEMAJ). Cet ouvrage comprend les actes du colloque sous la forme de sept articles rédigés par des contributrices et contributeurs suisses romands, actifs dans l’enseignement et/ou la pratique du droit du travail et des relations de travail. Nos vifs remerciements vont en premier lieu aux auteur-e-s qui ont rédigé des contributions de qualité malgré leur emploi du temps chargé. Ils s’adressent aussi à Mesdames Lilla Balázs (étudiante en droit), Joanna David (cheffe de projet auprès de Schulthess éditions romandes) et Anouk Gillabert (collaboratrice administrative à l’Université de Neuchâtel), pour leur collaboration diligente et appréciée à la confection de l’ouvrage. Neuchâtel, mars 2020

Avant-propos Comme dans les autres domaines du droit, les règles de procédure sont essentielles pour concrétiser et mettre en œuvre le droit du travail, que cela soit en amont du procès ou devant un tribunal étatique ou arbitral. C’est ainsi que pour tenter de répondre aux principales questions juridiques relatives aux procédures en droit du travail, nous avons organisé le 13 mars 2020 un colloque à l’Université de Neuchâtel, sous l’égide du Centre d’étude des relations de travail (CERT) et du Centre de recherche sur les modes amiables et juridictionnels de gestion des conflits (CEMAJ). Cet ouvrage comprend les actes du colloque sous la forme de sept articles rédigés par des contributrices et contributeurs suisses romands, actifs dans l’enseignement et/ou la pratique du droit du travail et des relations de travail. Nos vifs remerciements vont en premier lieu aux auteur-e-s qui ont rédigé des contributions de qualité malgré leur emploi du temps chargé. Ils s’adressent aussi à Mesdames Lilla Balázs (étudiante en droit), Joanna David (cheffe de projet auprès de Schulthess éditions romandes) et Anouk Gillabert (collaboratrice administrative à l’Université de Neuchâtel), pour leur collaboration diligente et appréciée à la confection de l’ouvrage. Neuchâtel, mars 2020 Prof. Jean-Philippe Dunand Prof. Pascal Mahon Codirecteurs du CERT Prof. Anne-Sylvie Dupont Table des matières Table des abréviations La fin du contrat de travail (causes d’extinction et protections contre les congés) IX 1 Jean-Philippe Dunand Docteur en droit, avocat, professeur à l’Université de Neuchâtel La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique 75 Karine Lempen Professeure à l’Université de Genève Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? 105 Sylvain Métille Docteur en droit, avocat, professeur associé à l’Université de Lausanne La transition vers l’assurance-chômage 135 Philippe Chanson Docteur en droit, avocat Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies Anne-Sylvie Dupont Avocate, professeure aux Universités de Neuchâtel et Genève Marco Meli MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit de Neuchâtel 165 Table des abréviations Abs. Absatz AC assurance-chômage ab initio à l’origine, dès le départ ad à AELE Association européenne de libre-échange Afam allocations familiales AfamAgr allocations familiales dans l’agriculture AI assurance-invalidité AJP/PJA Aktuelle Juristische Praxis/Pratique Juridique Actuelle al. alinéa(s) APG allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité art. article(s) Art. Artikel ARV/DTA Zeitschrift für Arbeitsrecht und Arbeitslosenversicherung/Revue de droit du travail et d’assurance-chômage ATA Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise ATAF Recueil officiel des arrêts du Tribunal administratif fédéral ATF Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse AVS assurance-vieillesse et survivants BGÖ Bundesgesetz über das Öffentlichkeitsprinzip der (Öffentlichkeitsgesetz) vom 17. Dezember 2004, SR 152.3 BO Bulletin officiel BSK/BK Basler Kommentar BVG Bundesgesetz über die berufliche Alters-, Invalidenvorsorge vom 25. Juni 1982, SR 831.40 Verwaltung Hinterlassenen- und c. considérant(s) c/ contre CC Code civil suisse du 10 décembre 1907, RS 210 CCT convention collective de travail CDD contrat de durée déterminée CDI contrat de durée indéterminée CDPH Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, RS 0.109 CE/UE Communauté européenne/Union européenne CEDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, RS 0.101 Table des abréviations cf. confer ch. chiffre(s) chap. chapitre(s) cit. cité-e(-s) CJCE/CJUE Cour de justice des Communautés européennes/Cour de justice de l’Union européenne CNIL Commission nationale de l’informatique et des libertés (l’autorité française de protection de données) CO Loi fédérale complétant le Code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations) du 30 mars 1911, RS 220 CourEDH Cour européenne des droits de l’homme CPC Code de procédure civile du 19 décembre 2008, RS 272 CR Commentaire romand Cst. Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, RS 101 CTT contrat-type de travail DSG Bundesgesetz über den Datenschutz vom 19. Juni 1992, SR 235.1 éd. édition édit. éditeur(s) ég. également ELG Bundesgesetz über Ergänzungsleistungen zur Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenversicherung vom 6. Oktober 2006, SR 831.30 EPF Ecole polytechnique fédérale et al./et alii et les autres personnes etc./et cetera et les autres choses ex. exemple(s) FF Feuille fédérale HES Haute école spécialisée ibid./ibidem au même endroit IC indemnité de chômage ICI indemnité en cas d’insolvabilité id./idem le même auteur i.f./in fine à la fin infra plus bas INT indemnité en cas d’intémperies JAR Jahrbuch des Schweizerischen Arbeitsrechts JdT Journal des Tribunaux LAA Loi fédérale sur l’assurance-accidents du 20 mars 1981, RS 832.20 LACI Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (Loi sur l’assurance-chômage) du 25 juin 1982, RS 837.0 X Table des abréviations LAFam Loi fédérale sur les allocations familiales et les aides financières allouées aux organisations familiales (Loi sur les allocations familiales) du 24 mars 2006, RS 836.2 LAI Loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959, RS 831.20 LAM Loi fédérale sur l’assurance militaire du 19 juin 1992, RS 833.1 LAMal Loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994, RS 832.10 LAPG Loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (Loi sur les allocations pour perte de gain) du 25 septembre 1952, RS 834.1 LAVS Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946, RS 831.10 LCA Loi fédérale sur le contrat d’assurance (Loi sur le contrat d’assurance) du 2 avril 1908, RS 221.229.1 LEg Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995, RS 151.1 let./lit. lettre(s) LFLP Loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (Loi sur le libre passage) du 17 décembre 1993, RS 831.42 LHand Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (Loi sur l’égalité pour les handicapés) du 13 décembre 2002, RS 151.3 loc. cit./loco citato à l’endroit cité LOGA Loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration du 21 mars 1997, RS 172.010 LPAC-GE Loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du canton de Genève du 4 décembre 1997, RSG B 5 05 LPC Loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (Loi sur les prestations complémentaires) du 6 octobre 2006, RS 831.30 LPD Loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992, RS 235.1 LPers Loi fédérale sur le personnel de la Confédération du 24 mars 2000, RS 172.220.1 LPers-VD Loi sur le personnel de l'Etat de Vaud du 12 novembre 2001, RSV 172.31 LPGA Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000, RS 830.1 LPP Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982, RS 831.40 LPtra Loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés, pas encore en vigueur, [RS 837.2] LSE Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989, RS 823.11 LSt-NE Loi sur le statut de la fonction publique du canton de Neuchâtel du 3 mai 1995, RSN 152.510 XI Table des abréviations LTr Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (Loi sur le travail) du 13 mars 1964, RS 822.11 MMT mesures du marché du travail N note(s) marginale(s) n numéro(s) nLPD Loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 révisée, RS 235.1 OACI Ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (Ordonnance sur l’assurance-chômage) du 31 août 1983, RS 837.02 OCIRT Office cantonal de l’inspection et des relations de travail du canton de Genève OCSP Ordonnance sur les contrôles de sécurité relatifs aux personnes du 4 mars 2011, RS 120.4 OFAS Office fédéral des assurances sociales OHand Ordonnance sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (Ordonnance sur l’égalité pour les handicapés) du 19 novembre 2003, RS 151.31 OIT Organisation internationale du travail o OLAA Ordonnance sur l’assurance-accidents du 20 décembre 1982, RS 832.202 Olico Ordonnance concernant la tenue et la conservation des livres de comptes du 24 avril 2002, RS 221.431 OLT 1 Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail du 10 mai 2000, RS 822.111 OLT 3 Ordonnance 3 relative à la loi sur le travail (Protection de la santé) du 18 août 1993, RS 822.113 OPDC Ordonnance concernant la protection des données personnelles du personnel de la Confédération du 22 novembre 2017, RS 172.220.111.4 OPers Ordonnance sur le personnel de la Confédération du 3 juillet 2001, RS 172.220.111.3 OPP 2 Ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 18 avril 1984, RS 831.441.1 OPP 3 Ordonnance sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance du 13 novembre 1985, RS 831.461.3 OPTM Ordonnance sur la protection des travailleurs contre les risques liés aux microorganismes du 25 août 1999, RS 832.321 OR Bundesgesetz betreffend die Ergänzung des Schweizerischen Zivilgesetzbuches (Fünfter Teil: Obligationenrecht) vom 30. März 1911, SR 220 ORP office régional de placement p./pp. page/pages par. paragraphe(s) PC prestations complémentaires PFPDT Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence XII Table des abréviations RAVS Règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947, RS 831.101 RB Règlement de base REAS Revue Responsabilité et Assurances réf. référence(s) RGPD Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) du 27 avril 2016 RHT réduction de l’horaire de travail RJN Recueil de jurisprudence neuchâteloise RO Recueil officiel du droit fédéral RS Recueil systématique des lois fédérales (ou cantonales) RSG Recueil systématique de la législation genevoise RSN Recueil systématique de la législation neuchâteloise s/ss suivant/suivants SECO Secrétariat d’Etat à l’économie SJ Semaine Judiciaire supra plus haut SUVA/CNA Schweizerische Unfallversicherungsanstalt/Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents SZA/RSAS Schweizerische Zeitschrift für Sozialversicherung und berufliche Vorsorge/ Revue suisse des assurances sociales et de la prévoyance professionnelle TAF Tribunal administratif fédéral ou arrêt non publié du Tribunal administratif fédéral TC/FR Tribunal cantonal du canton de Fribourg TC/VD Tribunal cantonal du canton de Vaud TF Tribunal fédéral ou arrêt non publié du Tribunal fédéral TFA Tribunal fédéral des assurances TREX Revue Der Treuhandexperte/L’expert judiciaire UE Union européenne UNI Université Vol. volume(s) ZSR/RDS Zeitschrift für Schweizerisches Recht/Revue de droit suisse XIII JEAN-PHILIPPE DUNAND La fin du contrat de travail (causes d’extinction et protections contre les congés) Sommaire Page I. Introduction 3 II. Causes d’extinction du contrat de travail 3 A. Types de contrat de travail 1. Contrat de travail de durée déterminée a) Notion b) Contrats en chaîne c) Résiliation 2. Contrat de travail de durée indéterminée 3. Situations hybrides a) Reconduction tacite b) Contrat de travail de durée maximale c) Contrat de travail de durée minimale B. Résiliation du contrat de travail 1. Elément généraux a) Nature et forme de la résiliation b) Notification de la résiliation c) Motivation de la résiliation 2. Résiliation ordinaire a) Délais et termes b) Résiliation pendant le temps d’essai c) Résiliation après le temps d’essai 3. Congé sous réserve de modification 4. Résiliation immédiate a) Conditions d’une résiliation immédiate justifiée b) Conséquences d’une résiliation immédiate justifiée et non justifiée 5. Distinction et choix entre résiliation ordinaire et immédiate 6. Convention de résiliation a) Conditions de validité b) Conséquences d’un accord non valable C. Cas particuliers 1. Invalidation du contrat 2. Opposition au transfert des rapports de travail 3. Âge de la retraite 4. Mort du travailleur 5. Mort ou faillite de l’employeur 3 4 4 5 6 7 8 8 8 9 9 10 10 11 14 14 15 16 19 20 21 22 22 23 25 25 27 28 28 29 30 31 31 Jean-Philippe Dunand III. Protections contre les congés 32 IV. Conclusion 71 A. Résiliation abusive 1. Notion de congé abusif a) Généralités b) Cas prévus à l’art. 336 al. 1 CO c) Cas prévus à l’art. 336 al. 2 CO d) Cas consacrés par la jurisprudence e) Motifs légitimes de licenciement 2. Sanction a) Nature de l’indemnité b) Montant de l’indemnité c) Dommages-intérêts dus à un autre titre 3. Procédure a) Opposition au congé par écrit b) Action en justice B. Résiliation en temps inopportun 1. Champ d’application 2. Périodes de protection a) Service obligatoire b) Incapacité de travail c) Grossesse et maternité d) Prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident e) Services d’aide à l’étranger f) Cumul et chevauchement de périodes de protection 3. Conséquences juridiques a) Congé notifié pendant une période de protection b) Congé notifié avant une période de protection c) Effets de la prolongation du contrat de travail C. Résiliation immédiate injustifiée notifiée par l’employeur 1. Conditions d’une résiliation immédiate justifiée a) Justes motifs b) Réaction immédiate 2. Conséquences juridiques d’une résiliation immédiate injustifiée a) Dommages-intérêts b) Indemnité punitive et réparatrice D. Délimitations 1. Licenciement immédiat et licenciement abusif 2. Licenciement immédiat et licenciement en temps inopportun 3. Licenciement abusif et licenciement en temps inopportun Bibliographie 2 32 33 33 34 37 38 40 41 41 41 43 43 43 46 48 48 49 49 49 52 53 53 54 55 55 56 58 58 58 59 62 63 64 67 68 69 69 70 72 La fin du contrat de travail I. Introduction Le Code des obligations suisse ne consacre que trente-quatre articles à la fin des rapports de travail (cf. art. 334 à 340c CO1). C’est peu, vu le spectre et l’importance des questions réglées. Plus précisément, le sous-chapitre G du premier chapitre dédié au contrat individuel de travail, intitulé « Fin des rapports de travail », comporte les sept sections suivantes : contrat de durée déterminée, contrat de durée indéterminée, licenciement collectif, protection contre les congés, résiliation immédiate, décès du travailleur ou de l’employeur, conséquences de la fin du contrat et prohibition de faire concurrence. Cette sobriété de la loi a généré le besoin de règles complémentaires, que l’on trouve notamment dans les conventions collectives de travail, les règlements d’entreprise et les contrats individuels de travail, et la nécessité de clarifications et interprétations, qui sont formulées dans une jurisprudence très abondante. Nous nous concentrerons dans notre contribution sur les causes d’extinction du contrat de travail (chapitre II) et les protections contre les congés (chapitre III), telles qu’elles sont réglées dans le Code des obligations. Nous ne traiterons en principe pas du licenciement collectif (cf. art. 335d à 335k CO), ni des dispositions spécifiques applicables en matière d’égalité entre les sexes (cf. LEg2) et de travail temporaire (cf. LSE3). Nous ne pourrons malheureusement pas non plus tenir compte des règles contenues dans les conventions collectives de travail. II. Causes d’extinction du contrat de travail Le contrat de travail s’éteint de plusieurs manières en fonction du type de contrat (section A). La fin du contrat dépend généralement d’une résiliation (section B). Il existe plusieurs cas particuliers (section C). A. Types de contrat de travail La loi distingue clairement le contrat de travail de durée déterminée (sous-section 1) de celui de durée indéterminée (sous-section 2). Il faut toutefois tenir compte de situations hybrides (sous-section 3). 1 2 3 RS 220. RS 151.1. RS 823.11. 3 Jean-Philippe Dunand 1. Contrat de travail de durée déterminée a) Notion Le contrat de travail de durée déterminée est celui dont la durée est fixée d’avance ; il prend fin ipso iure, sans qu’il soit nécessaire de donner congé (art. 334 al. 1 CO). Il en résulte que les dispositions relatives à la protection contre les congés (cf. art. 336 à 336d CO) sont inapplicables4. La durée déterminée du contrat résulte de la loi (par exemple, contrat d’apprentissage, art. 334 al. 1 par renvoi de l’art. 355 CO5), de la nature du contrat, ou de la convention des parties. Celles-ci peuvent fixer soit un terme (par exemple, « jusqu’au 31 décembre 2021 »), soit une durée (par exemple, « six mois »), soit un laps de temps objectivement déterminable (par exemple, une saison)6. La durée peut également résulter du but des rapports de travail (un engagement pour la durée de la récolte)7. Le terme fixe peut être convenu au moment de la conclusion du contrat ou ultérieurement, lorsque les parties conviennent de convertir un contrat de durée indéterminée en un contrat de durée déterminée8. Le début et la fin des rapports de travail doivent être déterminables pour les deux parties ; l’évènement provoquant la fin du contrat ne peut dépendre de la volonté ou de l’influence d’une seule partie9. Dans tous les cas, les parties doivent être en mesure de connaître de façon suffisamment précise le moment de la fin des rapports de travail. Un délai dont elles ne peuvent pas au moins estimer l’ordre de grandeur n’est pas assez déterminé ou déterminable10. Ainsi, un contrat conclu pour une période courant « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de travail » ne peut constituer un contrat de durée déterminée car il ne prévoit pas une durée suffisamment précise de la relation de travail11. Dans le doute, le contrat de travail est présumé de durée indéterminée12. C’est à celui qui se prévaut du caractère déterminé de la durée du contrat d’en apporter la preuve (cf. art. 8 CC)13. 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 4 CARRON, N 18 ad art. 334 CO. TF 4A_188/2014 du 8 octobre 2014, c. 2.3. Cf. TF 4A_270/2014 du 18 septembre 2014, c. 4.4. TFA B 54/04 du 30 septembre 2005, c. 3.1. CARRON, N 8 ad art. 334 CO ; WYLER/HEINZER, p. 609. TF 4A_270/2014 du 18 septembre 2014, c. 4.4. TFA B 54/04 du 30 septembre 2005, c. 3.1. WYLER/HEINZER, p. 610. ATF 145 V 188, c. 5.1.2 ; ATF 143 V 385, c. 4.4 ; TF 4A_531/2008 du 4 février 2009, c. 2.1. TF 4A_531/2008 du 4 février 2009, c. 2.1. La fin du contrat de travail b) Contrats en chaîne Le droit suisse autorise en principe les parties à conclure un nouveau contrat de durée déterminée à la suite d’un contrat du même type. Toutefois, l’art. 2 al. 2 CC, qui prohibe la fraude à la loi, s’oppose à la conclusion de « contrats en chaîne » dont la durée ne se justifie par aucun motif objectif, et qui ont pour but d’éluder l’application des dispositions sur la protection contre les congés (cf. art. 336 à 336c CO) ou d’empêcher la naissance de prétentions juridiques dépendant d’une durée minimale des rapports de travail (cf. art. 324a, 324b, 335c, 336c ou 339b CO)14. En règle générale, une succession de deux contrats de durée déterminée ne constitue pas un abus de droit15. A partir de trois contrats successifs, il faut vérifier s’il existe des motifs objectifs, soit des circonstances économiques ou sociales particulières16. A titre d’exemples de tels motifs, le Tribunal fédéral a notamment mentionné l’engagement d’artistes, de sportifs professionnels ou d’enseignants donnant des cours par semestre ou année académique17. On peut également citer le cas du remplaçant d’une personne malade, lorsque la date du retour était prévisible, mais que la prévision ne s’est pas réalisée18. Si le retour de l’employé malade apparaît finalement impossible, le contrat est converti en un contrat de durée indéterminée19. Il faut cependant évaluer la situation de cas en cas. Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt de 2019, que la conclusion de contrats en chaîne avec un enseignant correspondait à la volonté de l’employeur d’éluder les dispositions légales relatives au contrat à durée déterminée. En l’espèce, les parties avaient conclu des contrats successifs, tout d’abord par trimestre, puis par année académique, sur une durée de quatorze ans. Selon notre Haute Cour, le travailleur, enseignant les mêmes matières dans des conditions identiques ou similaires sur une longue période, se trouvait de facto dans une relation de travail à durée indéterminée avec son employeur. Sa situation se distinguait donc de celle d’un professeur invité par une université à donner un cours sur un semestre ou une année académique, sans que l’on sache si le cours continuerait à être donné par le professeur en question à l’avenir20. Lorsque l’on se trouve en présence de contrats en chaîne prohibés, la règle contournée s’applique comme si un seul contrat avait été conclu21. En fonction des circonstances, ce 14 15 16 17 18 19 20 21 ATF 129 III 618, c. 6.2. CARRON, N 30 ad art. 334 CO. Cf. ATF 139 III 145, c. 4.1. TF 2P.26/2007 du 28 juin 2007, c. 3.7. WYLER/HEINZER, p. 642. CARRON, N 10 ad art. 334 CO. TF 4A_215/2019 du 7 octobre 2019, c. 3.1.3. TF 4A_216/2007 du 13 septembre 2007, c. 1.3. 5 Jean-Philippe Dunand contrat unique sera considéré comme un contrat de durée indéterminée, généralement avec durée minimale allant jusqu’à l’échéance prévue dans le dernier contrat successif convenu, ou comme un contrat de durée déterminée22. c) Résiliation En principe, le contrat de travail de durée déterminée prend fin sans résiliation. Il existe toutefois des exceptions : – Temps d’essai. Il n’existe pas de temps d’essai légal pour les contrats de durée déterminée, mais il est admis que les parties sont libres d’en prévoir un, à charge pour la partie qui l’invoque d’établir l’accord passé à ce sujet23. Les parties doivent alors respecter les limites de l’art. 335b CO, applicable par analogie24. Le contrat de travail se résilie selon les modalités prévues à l’art. 335b al. 1 CO25. – Contrat de longue durée. Le contrat de travail de durée déterminée conclu pour plus de dix ans peut être résilié de manière ordinaire, après dix ans, moyennant un délai de congé de six mois pour la fin d’un mois (art. 334 al. 3 CO). Ainsi, après une durée de dix ans, le contrat de travail de durée déterminée se transforme ipso iure en un contrat de durée indéterminée, résiliable avec un préavis de six mois 26. En adoptant une telle disposition, le législateur est parti de l’idée qu’un contrat de travail conclu pour plus de dix ans est un engagement excessif du point de vue de la liberté personnelle au sens de l’art. 27 al. 2 CC27. La durée admissible d’un engagement de durée déterminée est en fait de 10 ans et demi, l’art. 334 al. 3 CO prévoyant expressément la possibilité de résilier « après dix ans »28. – Résiliation d’un commun accord. Les parties sont libres de mettre fin d’un commun accord à un contrat de travail de durée déterminée avant son échéance pour autant qu’elles ne cherchent pas, par ce biais, à détourner une disposition impérative de la loi29. Cette résiliation conventionnelle n’est soumise à aucune exigence de forme (cf. art. 115 CO)30. 22 23 24 25 26 27 28 29 30 6 ATF 119 V 46, c. 1c ; CARRON, N 33 ad art. 334 CO. TF 8C_535/2011 du 27 mars 2012, c. 3.5.1. WYLER/HEINZER, p. 614. ATF 109 II 449, c. 1b. WYLER/HEINZER, p. 615. ATF 130 III 405, c. 5. TF 4C.321/2005 du 27 février 2006, c. 8.1. CARRON, N 22 ad art. 334 CO. TF 4C.61/2006 du 24 mai 2006, c. 3.1. Cf. infra, p. XXX. La fin du contrat de travail – Résiliation avec effet immédiat. En présence de justes motifs (cf. art. 337 CO), il est possible de résilier un contrat de durée déterminée avec effet immédiat 31. Selon qu’il existe ou non des justes motifs et selon la partie qui a résilié, les conséquences sont réglées par les art. 337b, 337c ou 337d CO32. 2. Contrat de travail de durée indéterminée Le contrat de travail de durée indéterminée est un contrat dont l’échéance n’est pas fixée à l’avance par les parties, de sorte qu’une résiliation est nécessaire pour mettre fin aux rapports de travail (cf. art. 335 al.1 CO)33. Le travail sur appel et le travail occasionnel posent souvent des problèmes de qualification. Selon le Tribunal fédéral, le travail sur appel est une forme d’organisation du travail qui est licite, pour autant qu’elle respecte les règles impératives sur le contrat de travail 34. On distingue deux formes35. Dans le contrat de travail sur appel proprement dit, l’horaire et la durée du temps de travail sont fixés unilatéralement par l’employeur en fonction de ses besoins et le travailleur doit se tenir à disposition de celui-ci. En revanche, dans le contrat de travail sur appel improprement dit, le travailleur a le droit de refuser une mission proposée par l’employeur. En principe, le contrat de travail sur appel, qu’il soit proprement dit ou improprement dit, constitue un contrat de travail de durée indéterminée pour lequel les délais de résiliation doivent être respectés36. Le travail occasionnel ou auxiliaire constitue une troisième forme d’organisation du travail. Il intervient lorsque l’employeur requiert les services du travailleur de temps en temps, notamment en cas de surcroît momentané de travail ou de remplacement 37. Le travail occasionnel se rapproche du travail sur appel improprement dit dans le sens que le travailleur peut également refuser une mission proposée. Il s’en distingue cependant car le travailleur sur appel improprement dit accomplit ses missions dans le cadre d’un seul rapport de travail durable, alors que le travail auxiliaire repose sur la multiplication de contrats de travail de durée déterminée. Ainsi, dans le travail auxiliaire, il n’existe pas de contrat-cadre et les rapports de travail, convenus pour chaque mission en particulier, prennent fin sans résiliation à l’expiration de la période de travail prévue38. 31 32 33 34 35 36 37 38 TF 4A_89/2007 du 29 juin 2007, c. 3.2 ; TF 4C.61/2006 du 24 mai 2006, c. 3.1. CARRON, N 20 ad art. 334 CO. TF 4A_270/2014 du 18 septembre 2014, c. 4.4 ; TF B 90/00 du 26 novembre 2001, c. 4b. ATF 125 III 65, c. 3b ; ATF 124 III 249, c. 2a. TF 8C_318/2014 du 21 mai 2015, c. 5.1. Cf. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 249-250. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 14 ad art. 319 CO. Sur ces distinctions, cf. TF 8C_318/2014 du 21 mai 2015, c. 5.1. 7 Jean-Philippe Dunand En pratique, il peut être malaisé de qualifier la nature d’un contrat de travail qui se situe aux confins de ces formes d’organisation du travail. Selon le Tribunal fédéral, pour déterminer si le rapport de travail est continu, et qu’il constitue donc un contrat de travail de durée indéterminée, il faut se fonder sur des critères objectifs comme la fréquence et la durée des prestations du travailleur. Un indice de continuité réside notamment dans la succession des prestations effectuées à intervalles relativement courts ou réguliers ou, à défaut, la durée relativement longue des relations de travail39. 3. Situations hybrides Les limites entre contrat de travail de durée déterminée et de durée indéterminée ne sont pas intangibles. Nous avons déjà évoqué le cas des contrats de durée déterminée en chaîne qui peuvent être requalifiés, suivant les circonstances, en un rapport de travail de durée indéterminée40. Nous traiterons ici de la reconduction tacite d’un contrat de durée déterminée, du contrat de travail de durée maximale et du contrat de travail de durée minimale. a) Reconduction tacite La loi prévoit que si, après l’expiration de la période convenue, le contrat de durée déterminée est reconduit tacitement, il est réputé être un contrat de durée indéterminée (art. 334 al. 2 CO). Une telle situation se produit lorsque, au terme du contrat, les parties poursuivent la relation de travail, sans rien dire ni rien prévoir de particulier41. Cependant, l’art. 334 al. 2 CO n’étant pas impératif, les parties peuvent y déroger, en convenant d’un nouveau contrat de durée déterminée, sous réserve de l’interdiction des contrats en chaîne42. Que le contrat de travail ait été reconduit pour une durée indéterminée ou déterminée, il faut considérer que les rapports de travail ont débuté dès l’entrée en vigueur du contrat initial et non au moment de la reconduction43. b) Contrat de travail de durée maximale Les parties peuvent convenir d’un contrat de travail de durée maximale, soit d’un contrat qui est limité à un terme (comme un contrat de durée déterminée), mais avec la possibilité de le résilier avant ce terme (comme un contrat de durée indéterminée), moyennant le 39 40 41 42 43 8 TF 8C_318/2014 du 21 mai 2015, c. 5.1. Cf. supra, p. XXX. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 334 CO. WYLER/HEINZER, p. 613. CARRON, N 25 ad art. 334 CO ; WYLER/HEINZER, p. 613. La fin du contrat de travail respect du délai de résiliation applicable44. Tel est le cas par exemple, d’une clause prévoyant que le contrat de travail durera, au maximum, jusqu’au moment où l’employé aura atteint l’âge légal de la retraite45. Le contrat de travail conclu pour plus de dix ans (cf. art. 334 al. 3 CO) constitue un contrat à la fois de durée minimale (dix ans) et de durée maximale (échéance initialement convenue)46. En effet, comme l’a précisé le Tribunal fédéral, un tel contrat n’est plus, après la période de dix ans, un contrat de durée déterminée à proprement parler puisque, s’il prendra fin automatiquement au terme prévu, il peut néanmoins être résilié avant son échéance moyennant le respect d’un délai de six mois47. c) Contrat de travail de durée minimale Les parties peuvent convenir d’un contrat de travail de durée minimale, soit de rapports de travail qui se déroulent sur une durée minimale (caractéristique d’un contrat de durée déterminée), après laquelle les parties peuvent résilier le contrat (comme un contrat de durée indéterminée)48. Pendant la durée minimale convenue, un tel contrat déploie les effets propres au contrat de durée déterminée, en ce sens qu’il ne peut être mis fin aux rapports de travail par un congé ordinaire pour un terme antérieur à celui de l’échéance de la durée minimale fixée conventionnellement49. Ainsi, un contrat conclu « au moins jusqu’à la fin de l’année » ne peut être résilié, par voie ordinaire, que pour la fin de l’année au plus tôt50. Pour l’employeur, la seule possibilité de mettre unilatéralement fin au contrat de travail durant la durée minimale est la résiliation pour justes motifs au sens de l’art. 337 CO51. B. Résiliation du contrat de travail Dans la plupart des cas, le contrat de travail prend fin moyennant une résiliation. Après quelques éléments généraux (sous-section 1), nous traiterons de la résiliation ordinaire (sous-section 2), du congé sous réserve de modification (sous-section 3), de la résiliation 44 45 46 47 48 49 50 51 TF 8C_166/2011 du 13 juillet 2011, c. 5.2.1 ; TF 4C.62/2001 du 8 juin 2001, c. 2a. Cf. ATF 114 II 349, c. 2a. WYLER/HEINZER, p. 615. Cf. TF 4C.321/2005 du 27 février 2006, c. 8.1. Cf. ATF 110 II 167 ; TF 4C.62/2001 du 8 juin 2001, c. 2a. TF 4A_395/2018 du 10 décembre 2019, c. 4.1. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. MARKARIAN FRANÇOISE, La résiliation prématurée d’un contrat de durée déterminée, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de mai 2020. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 3 ad art. 334 CO. TF 4A_395/2018 du 10 décembre 2019, c. 4.1. 9 Jean-Philippe Dunand immédiate (sous-section 4), des critères de distinction et de choix entre résiliation ordinaire et immédiate (sous-section 5), et enfin, de la convention de résiliation (soussection 6). 1. Elément généraux La résiliation du contrat de travail est une manifestation de volonté, sujette à réception, par laquelle son auteur communique à son cocontractant sa volonté de mettre fin aux rapports de travail52. Nous distinguerons ici la nature et la forme, la notification, ainsi que la motivation de la résiliation. a) Nature et forme de la résiliation La résiliation est un acte formateur qui s’exerce par un acte juridique unilatéral ; elle est en principe inconditionnelle et irrévocable53. S’il existe un doute quant à la volonté de mettre fin au rapport de travail, la déclaration doit être interprétée en défaveur de son auteur54. Le congé doit être notifié par la partie elle-même ou par une personne ayant reçu le pouvoir de la représenter (cf. art. 32 CO). S’agissant d’une personne morale, il peut être signifié par un organe habilité à engager celle-ci par sa signature ou par une personne au bénéfice d’une procuration à cet effet55. Si tel n’est pas le cas, le congé n’est toutefois pas nul, mais doit être ratifié par un organe compétent56. Lorsqu’un travailleur est actif au sein d’un groupe de sociétés, il faut examiner de cas en cas si un rapport de travail unique régit l’ensemble de ses activités ou si celles-ci sont réglées par différents contrats de travail. Cas échéant, il convient de résilier chaque contrat57. En principe, la résiliation n’est pas soumise à une exigence de forme. Elle peut donc être notifiée par voie écrite (courrier, fax), électronique (courriel, SMS, messageries instantanées, messagerie vocale) ou orale58. Le congé peut même être signifié par actes concluants, par exemple lorsque l’employé qui atteint l’âge de la retraite organise son départ sans que l’employeur ne s’y oppose, ni que quiconque ne formalise la résiliation 59. Evidemment, la forme écrite est préférable pour des questions de preuve. 52 53 54 55 56 57 58 59 10 TF 4C.151/2003 du 26 août 2003, c. 4.1. ATF 128 III 129, c. 2a ; TF 4C.321/2005 du 27 février 2006, c. 5.2. TF 4C.346/2004 du 15 février 2005, c. 5.5 ; TF 4C.151/2003 du 28 août 2003, c. 4.3. ATF 128 III 129, c. 1b/aa. ATF 128 III 129, c. 2. Cf. BONARD, N 10 ad art. 335 CO. Voir aussi TF 4C.217/2003 du 29 janvier 2004, c. 3.4. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 9 ad art. 335 CO. BONARD, N 6 ad art. 335 CO, note 38. La fin du contrat de travail Le contrat de travail, une convention collective de travail ou un contrat-type peuvent prévoir une forme particulière pour la résiliation, telle que la forme écrite ou la lettre recommandée60. En principe, le non-respect d’une telle clause entraîne la nullité du congé donné (cf. art. 16 CO)61. Selon le Tribunal fédéral, il convient toutefois de distinguer entre la forme de l’acte et son mode d’acheminement, la présomption de l’art. 16 CO ne s’appliquant qu’à la première. Dès lors, si les parties conviennent que la résiliation doit être signifiée par lettre recommandée, elles réservent, à défaut de précision, uniquement la forme écrite tout en prévoyant un mode d’acheminement particulier. Il en résulte, selon notre Haute Cour, que la résiliation notifiée par une remise en mains propres de la lettre de congé est valable62. En droit privé du travail, et contrairement au droit de la fonction publique, il n’existe pas de droit d’être entendu au sens formel63. Ainsi, l’employeur n’est en principe pas tenu d’entendre un employé avant de le licencier64. On peut toutefois se demander si l’employé n’est pas en droit de déduire des art. 328 CO (protection de la personnalité) et 336 CO (protection contre le congé abusif) un certain droit d’être informé et écouté, lors d’un entretien préalable, de l’intention de l’employeur de le licencier65. Le Tribunal fédéral semble avoir concrétisé un tel droit pour les travailleurs âgés envers lesquels les employeurs doivent réserver des égards particuliers. L’obligation porte notamment sur l’information, la mise en garde et l’audition du travailleur66. Notons qu’une procédure préalable au licenciement (par exemple, audition ou avertissement préalables) est parfois prévue dans certains contrats de travail ou certaines conventions collectives 67. b) Notification de la résiliation Puisqu’elle est considérée comme une manifestation de volonté sujette à réception, la résiliation ne déploie ses effets que lorsqu’elle parvient à son destinataire68. La partie qui résilie supporte la charge de la preuve de la date de la notification69. 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 WITZIG, N 620. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 9 ad art. 335 CO. ATF 128 III 212, c. 2a et 2b. Sur ces questions, cf. BONARD, N 6 ad art. 335 CO ; WYLER/HEINZER, p. 617. BONARD, N 5 ad art. 335 CO. TF 4C.174/2004 du 5 août 2004, c.2.4. Cf. BRUN POGGI, pp. 453 s ; DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 67. TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014, c. 4.2.2. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 9 ad art. 335 CO. Voir TF 4A_656/2016 du 1er septembre 2017, c. 2. ATF 133 III 517, c. 3.3 ; AUBERT, N 5 ad art. 335 CO. TF 4A_236/2009 du 3 septembre 2009, c. 2.1. 11 Jean-Philippe Dunand Le moment précis de la réception (notification) est important puisqu’il conditionne, en cas de résiliation ordinaire, le point de départ et la durée du délai de résiliation, ainsi que l’existence d’une éventuelle période de protection contre le licenciement en temps inopportun. Pourtant, ce moment n’est pas défini expressément dans la loi. Dans plusieurs arrêts relatifs à la résiliation du contrat de bail, le Tribunal fédéral a appliqué la théorie de la réception absolue70. Selon cette théorie, le point de départ du délai correspond au moment où la manifestation de volonté est parvenue dans la sphère d’influence du destinataire ou de son représentant, de telle sorte qu’en organisant normalement ses affaires celui-ci soit à même d’en prendre connaissance71. Notre Haute Cour est d’avis que la théorie de la réception absolue tient compte de manière équitable des intérêts antagonistes des deux parties, à savoir ceux de l’expéditeur et ceux du destinataire : alors que l’expéditeur supporte le risque de transmission du pli jusqu’au moment où il parvient dans la sphère d’influence du destinataire, ce dernier supporte le risque à l’intérieur de sa sphère d’influence, du fait qu’il prend connaissance tardivement, respectivement ne prend pas connaissance du support de la communication 72. La doctrine majoritaire considère que la jurisprudence précitée, rendue en matière de contrat de bail, s’applique par analogie à la résiliation du contrat de travail73. Cette jurisprudence a d’ailleurs trouvé un écho dans un arrêt du Tribunal fédéral rendu dans le cadre d’un conflit entre un employeur et un travailleur : « Une déclaration de volonté émise sous forme de lettre parvient à son destinataire au moment où elle entre dans la sphère d’influence de celui-ci, d’une manière telle que l’on peut prévoir, selon les usages, qu’il en prendra connaissance […]. Un éventuel refus de recevoir la lettre et d’en lire le contenu n’est pas opposable à l’auteur de cet écrit »74. A notre avis, il faut se garder d’appliquer ces règles avec une rigueur ou une intransigeance absolue. Il y a notamment lieu de tenir compte des contingences professionnelles et privées du travailleur concerné (horaires de travail, durée des déplacements, circonstances personnelles), ainsi que de la réduction importante du nombre de bureaux de poste dans notre pays75. Il est, par exemple, admis que le travailleur à qui une lettre de congé est envoyée à son domicile alors qu’il se trouve en vacances n’est censé en avoir pris connaissance qu’à son retour, à moins qu’il soit resté chez lui pendant la période considérée ou qu’il ait fait suivre son courrier à son adresse de vacances 76. Ainsi, dans un 70 71 72 73 74 75 76 12 ATF 143 III 15, c. 4.1 ; ATF 140 III 244, c. 5.2 ; ATF 137 III 208, c. 3.1.2. ATF 137 III 208, c. 3.1.2. ATF 143 III 15, c. 4.1. BONARD, N 4 ad art. 335 CO ; WYLER/HEINZER, pp. 617 s. Contra : BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 11 ad art. 335 CO, qui estiment qu’il faut retenir la date de la réception effective (théorie relative). TF 4A_89/2011 du 27 avril 2011, c. 3. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 11 ad art. 335 CO. TF 4P.307/1999 du 5 avril 2000, c. 3c. La fin du contrat de travail cas concret, le travailleur doit se voir reconnaître la possibilité de justifier pourquoi il n’a pas été en mesure de prendre connaissance du pli avec davantage de célérité, ce qui aura pour effet, si le motif est admissible, de décaler le jour de la notification. Sous ces réserves, on peut distinguer les cas suivants, en fonction du support de la manifestation de volonté : – Communication orale. La résiliation signifiée oralement déploie ses effets et est réputée notifiée immédiatement. – Remise d’un courrier de main à main. Le courrier de résiliation remis en mains du destinataire est notifié dès que ce dernier en prend connaissance, c’est-à-dire presque immédiatement. Il peut être conseillé de communiquer le courrier en présence de témoins et de demander au destinataire un accuser réception, en en signant une copie. Dans un tel cas, le destinataire atteste avoir reçu le congé, sans pour autant en reconnaître le bien-fondé77. – Courrier simple. Selon la théorie absolue, la notification intervient lorsque le pli est déposé dans la boîte aux lettres ou dans la case postale du destinataire, lorsque l’on peut attendre de cette personne qu’elle lève son courrier ce jour-là, indépendamment de la prise de connaissance effective78. – Courrier recommandé. Lorsque le courrier ne peut être remis en mains propres du destinataire ou à une personne autorisée à en prendre livraison, la personne employée par la Poste laisse un avis de retrait (« invitation à retirer un envoi ») dans la boîte aux lettres ou sa case postale. Selon la théorie absolue, la résiliation est alors réputée notifiée dès que le destinataire est en mesure d’en prendre connaissance au bureau de la poste selon l’avis de retrait ; il s’agit soit du jour même où l’avis de retrait est déposé dans la boîte aux lettres si l’on peut attendre du destinataire qu’il le retire aussitôt, sinon, en règle générale, le lendemain de ce jour79. – Courrier A Plus. Le courrier « A Plus » est associé à un code-barres et acheminé par voie prioritaire (A). Avant de le déposer dans la boîte aux lettres, le personnel postal scanne le code-barres et confirme la livraison du courrier, l’information étant disponible sur le site internet de la Poste80. Ce mode d’envoi remporte un succès croissant, puisqu’il pallie les inconvénients tant de la lettre ordinaire (en apportant un moyen de preuve), que du courrier recommandé (notification effective dès le dépôt dans la boîte aux lettres)81. En principe, la notification est réputée avoir eu lieu le jour 77 78 79 80 81 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 13 ad art. 335 CO. ATF 137 III 208, c. 3.1.2. ATF 137 III 208, c. 3.1.2. ATF 142 III 599, c. 2.2. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 274. 13 Jean-Philippe Dunand du dépôt dans la boîte aux lettres lorsque l’on peut attendre du destinataire qu’il lève son courrier ce jour-là. – Courrier électronique, SMS, messageries instantanées ou message vocal laissé sur le répondeur téléphonique. On retient, de cas en cas, que le congé est censé avoir été notifié dès la date à laquelle une personne diligente en aurait pris connaissance dans des circonstances normales, une fois le message parvenu dans sa sphère d’influence82. Il faut ici tenir compte du mode de communication usuel entre les parties 83. c) Motivation de la résiliation En raison du principe de la liberté de résilier, une résiliation du contrat de travail n’a pas besoin d’être motivée pour être valable84. La partie qui donne le congé doit toutefois motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande (art. 335 al. 2 CO). Le fait que l’auteur du congé manque à son obligation de motivation, que ce soit en ne répondant pas à la demande ou en fournissant une motivation fausse ou incomplète, n’empêche pas non plus le congé de déployer tous ses effets85. L’obligation de motivation a pour but de permettre à la partie dont le contrat a été résilié de vérifier le motif de la résiliation sous l’angle de l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 337 CO ou d’un abus de droit au sens de l’art. 336 CO ; elle tend à éviter les procès inutiles86. La loi ne prévoit toutefois pas de sanction directe si la partie concernée refuse de motiver par écrit. Selon le Tribunal fédéral, la violation de motiver peut cependant entraîner des sanctions indirectes dans le procès opposant employeur et travailleur, que ce soit au niveau de la répartition des frais et dépens87 ou de l’appréciation des preuves88. Une motivation inexacte d’un congé ne constitue cependant pas en soi un motif de licenciement abusif 89. 2. Résiliation ordinaire Les parties peuvent librement résilier le contrat de travail de durée déterminée (cf. art. 335 al. 1 CO), sous réserve du respect des délais et termes de congé (cf. art. 335a à 335c CO), 82 83 84 85 86 87 88 89 14 BONARD, N 4 ad art. 335 CO ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, p. 901. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 275. ATF 125 III 70, c. 2a ; ATF 121 III 60, c. 3b. WYLER/HEINZER, p. 640. ATF 121 III 60, c. 3b. TF 4C.282/2006 du 1er mars 2007, c. 4.3. TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.1.1. TF 4A_346/2009 du 10 octobre 2009, c. 3.2. La fin du contrat de travail de la protection contre les congés abusifs (cf. art. 336 à 336b CO et 3, 5 et 10 LEg) et de la protection contre le congé donné en temps inopportun (art. 336c et 336d CO). La résiliation ordinaire entraîne pour le travailleur la fin de l’obligation de travailler au terme du délai de congé et pour l’employeur la fin de l’obligation de payer le salaire90. Il peut arriver que l’employeur libère immédiatement l’employé de son obligation de travailler pendant le délai de congé. Il s’agit d’un acte juridique unilatéral exercé par l’employeur en vertu de son droit de donner des directives (cf. art. 321d CO)91. Dans ce cas, l’employeur doit le salaire jusqu’à la fin des rapports de travail, sans que le travailleur ne fournisse sa prestation de travail 92. Une situation particulière se présente quand le contrat de travail est résilié dans un délai plus court que le délai légal ou contractuel et que le terme est reporté au moment où le congé devait normalement prendre effet. Dans une telle hypothèse, le travailleur est en principe tenu d’offrir ses services pour recevoir son salaire, sauf s’il ignorait de bonne foi l’erreur relative au délai de congé et si l’employeur était l’auteur de la résiliation93. Lorsque le contrat de travail est résilié de manière ordinaire, un mécanisme propre au droit du travail prévoit que le contrat ne prendra fin qu’une fois le délai de congé écoulé. Ainsi, un contrat résilié n’est pas encore un contrat terminé. Il faut distinguer trois moments : la notification de la résiliation, le délai de congé et le terme du contrat94. La loi prévoit des délais de congé différents pendant et après le temps d’essai. a) Délais et termes Le délai de congé constitue le laps de temps minimum devant s’écouler entre la notification du congé et la fin des rapports de travail95. Le but du délai de congé est de permettre aux parties d’organiser leur avenir. L’employé doit pouvoir chercher un nouvel emploi et l’employeur effectuer des recherches pour le remplacer96. A certaines conditions, les parties ont la possibilité de déroger aux délais prévus dans la loi. Toutefois, les délais de congés doivent impérativement être identiques pour les deux parties ; si un accord prévoit des délais différents, le délai le plus long est applicable aux deux parties (art. 335a al. 1 CO)97. Une exception à ce principe est possible dans un cas 90 91 92 93 94 95 96 97 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 14 ad art. 335 CO. BONARD, N 21 ad art. 335 CO. TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.1.1 ; BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 15 ad art. 335 CO. TF 4C.155/2006 du 23 octobre 2006, c. 5.2. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 402. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 1 ad art. 335a CO. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 404. ATF 108 II 115, c. 4a ; TF 4A_270/2014 du 18 septembre 2014, c. 4.6. 15 Jean-Philippe Dunand exceptionnel. En effet, lorsque l’employeur a manifesté son intention de résilier le contrat de travail ou qu’il l’a résilié pour des motifs d’ordre économique, des délais de congé plus courts peuvent être prévus en faveur du travailleur, par accord, contrat-type de travail ou convention collective (art. 335a al. 2 CO). Quant au terme du congé, il s’agit du moment déterminé auquel les rapports de travail peuvent prendre fin98. Selon le régime légal, le contrat est en principe résilié « pour la fin d’un mois », lorsque la résiliation est notifiée après le temps d’essai. Ainsi, les délais de congé se calculent en principe pour la fin d’un mois (terme), ce qui implique d’écouler le délai sur des mois complets. Peu importe que le terme du délai donné pour la fin d’un mois s’achève un dimanche ou un jour férié ; la loi ne prévoit pas de report. Lorsqu’une partie résilie le contrat en indiquant un délai ou un terme inexact, inférieur au délai ou terme applicable, la résiliation n’est pas nulle, mais produit ses effets pour le prochain terme exact99. b) Résiliation pendant le temps d’essai Le temps d’essai doit fournir aux parties l’occasion de préparer l’établissement de rapports de travail destinés à durer, en leur permettant d’éprouver leurs relations de confiance, de déterminer si elles se conviennent mutuellement et de réfléchir avant de s’engager pour une plus longue période100. Pour ces raisons, durant le temps d’essai, le contrat de travail peut être résilié à des conditions facilitées (délai de résiliation très court). Le temps d’essai ne peut s’appliquer qu’aux relations de travail nouvelles qui impliquent des prestations de travail à l’occasion desquelles les parties n’ont pas encore eu l’occasion d’apprendre à se connaître. Ainsi, il ne peut être prévu de temps d’essai lorsque ces dernières ont déjà l’habitude de collaborer, que ce soit dans l’hypothèse où un contrat ordinaire suit un contrat d’apprentissage ou lorsque plusieurs contrats, conclus entre les mêmes personnes et portant sur la même activité, se succèdent immédiatement ou de manière rapprochée101. Selon le Tribunal fédéral, le travail temporaire doit se voir appliquer un régime particulier. Il est tout d’abord possible de prévoir un nouveau temps d’essai pour chaque mission dans une nouvelle entreprise, même si le travailleur est lié avec l’agence de travail temporaire 98 99 100 101 16 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 1 ad art. 335a CO. TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.1.1 ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, N 7 ad art. 335 CO. ATF 134 III 108, c. 7.1.1 ; ATF 124 V 246, c. 3b. ATF 136 III 562, c. 3 ; ATF 129 III 124, c. 3.2 ; TF 4A_594/2018 du 6 mai 2019, c. 4.1.2 ; TF 4C.284/2002 du 18 mars 2003, c. 4 ; TF 4C.93/1997 du 8 octobre 1997, c. 3c, in : JAR 1998 176. La fin du contrat de travail par un contrat de travail de durée indéterminée 102. Par ailleurs, lorsqu’une telle entreprise fait appel à une personne intérimaire au terme de sa mission, pour effectuer une activité comparable dans le cadre d’un emploi fixe, elle peut valablement prévoir un temps d’essai, car le passage d’un emploi intérimaire à un emploi stable implique un changement de statut important103. Avant d’aborder la question du délai de congé, il est important de définir la durée du temps d’essai. Selon l’art. 335b al. 1 CO, le premier mois de travail est considéré comme temps d’essai. Celui-ci débute le jour de l’entrée en service effective et non dès la date d’entrée prévue104. La durée légale du temps d’essai est d’un mois de calendrier, indépendamment du nombre d’heures de travail effectuées par semaine ; un travail à temps partiel n’a pas pour effet d’en prolonger la durée105. En vertu de l’art. 335b al. 2 CO, les parties peuvent, par accord écrit, contrat-type de travail ou convention collective, supprimer totalement le temps d’essai106, ou alors en réduire ou en prolonger la durée ; toutefois, ce dernier ne peut dépasser trois mois. Ce maximum vaut aussi pour le travail à temps partiel. Les accords excédant cette durée maximale sont partiellement nuls (cf. art. 20 al. 2 CO) dans le sens que la période d’essai est réduite à trois mois107. Le travailleur n’abuse pas de son droit en invoquant la nullité d’une prolongation du temps d’essai qu’il avait acceptée108. La prolongation du temps d’essai peut intervenir en cours d’emploi pour autant qu’elle soit convenue avant l’échéance du temps d’essai initial et qu’elle n’entraîne pas un dépassement de la durée maximum de trois mois109. L’art. 335b al. 3 CO prévoit qu’en cas d’interruption du travail pour cause de maladie, accident ou d’accomplissement d’une obligation légale incombant au travailleur sans qu’il ait demandé de l’assumer, le temps d’essai est prolongé d’autant. La liste figurant dans cette disposition légale est exhaustive110. Les parties ne peuvent pas valablement convenir d’une prolongation au-delà de la durée maximale de trois mois pour une autre cause que celles énumérées dans la loi (par exemple, congé non payé ou vacances)111. 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 ATF 119 V 46, c. 1c. ATF 129 III 124, c. 3.3. ATF 144 III 152, c. 4.4.1. ATF 136 III 562, c. 3. TF 4C.45/2004 du 31 mars 2004, c. 3.1. ATF 136 III 562, c. 3 ; ATF 129 III 124, c. 3.1. ATF 109 II 449, c. 2b. HEINZER, N 7 ad art. 335b CO. ATF 136 III 562, c. 3. WYLER/HEINZER, p. 634. 17 Jean-Philippe Dunand Faut-il compter le jour de l’entrée en service lors du calcul du temps d’essai ? Dans un arrêt récent112, le Tribunal fédéral a distingué les deux hypothèses suivantes : – Contrat de travail conclu le jour de l’entrée en service. Le jour de l’entrée en fonction ne compte pas comme temps d’essai. On applique le système prévu par l’art. 77 al.1 ch. 3 CO et calcule le temps d’essai de quantième en quantième. – Contrat de travail conclu avant l’entrée en service. Le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte de savoir si la règle précédemment évoquée s’appliquait également lorsque la conclusion du contrat précède l’entrée en service. Cet arrêt a été critiqué à juste titre par plusieurs auteurs qui considèrent qu’il ne convient pas d’opérer une différence selon que le contrat a été conclu avant ou le jour même de l’entrée en service113. Dans les deux cas, il convient de considérer que le temps d’essai d’un mois arrive à échéance le dernier jour du même mois. Par ailleurs, cette jurisprudence crée une insécurité juridique non souhaitée. Devrait-elle aussi, par exemple, s’appliquer lors de la computation des délais des années de service ? En principe, selon l’art. 335b al. 1 CO, le délai de congé applicable durant le temps d’essai est de sept jours nets (sans terme) et non de jours ouvrables114. Ainsi, un contrat de travail dont la résiliation est notifiée un mardi prend fin le mardi suivant. Le délai de résiliation spécifique prévu durant le temps d’essai est applicable dès l’instant où la résiliation est notifiée durant le temps d’essai ; peu importe que les rapports de travail ne soient appelés à prendre fin qu’après la fin du temps d’essai115. Des dispositions différentes peuvent être prévues par accord écrit, contrat-type de travail ou convention collective (art. 335b al. 2 CO). Le délai de résiliation applicable pendant cette période peut être augmenté, réduit, voire supprimé116. Il peut aussi être soumis au respect d’un terme, tel que la fin d’une semaine. Notons enfin que les règles sur la motivation du congé (art. 335 al. 2 CO), sur la résiliation abusive (art. 336 à 336b CO)117 ou discriminatoire (art. 5 al. 2 LEg) et sur la résiliation immédiate (art. 337 ss CO) s’appliquent pendant le temps d’essai. En revanche, celles sur la résiliation en temps inopportun (art. 336c et 336d CO) ne trouvent application qu’après le temps d’essai. 112 113 114 115 116 117 18 ATF 144 III 152, c. 4. Cf. WITZIG AURÉLIEN, Calcul du temps d’essai ; une complication excessive, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois d’avril 2018 ; WYLER/HEINZER, pp. 630 s. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 3 ad art. 335b CO. HEINZER, N 21 ad art. 335b CO. ATF 136 III 96, C. 3. ATF 134 III 108, c. 7. La fin du contrat de travail c) Résiliation après le temps d’essai Selon l’art. 335c al. 1 CO, après le temps d’essai, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié pour la fin d’un mois (terme), moyennant un délai de résiliation fixé en fonction de l’ancienneté : – un mois pendant la première année de service ; – deux mois de la deuxième à la neuvième année de service ; – trois mois à partir de la dixième année de service. Le terme légal est la fin d’un mois. Par fin d’un mois, il faut entendre le dernier jour du mois, même s’il s’agit d’un dimanche ou d’un jour férié118. Pour déterminer la durée des rapports de service, on se fonde sur la date d’entrée en fonction, et non sur la date de la conclusion du contrat. Si plusieurs contrats se succèdent de manière ininterrompue (par exemple, contrat d’apprentissage suivi d’un contrat de travail ordinaire), l’ancienneté se calcule en fonction de la durée totale des rapports de travail119. Les brèves interruptions peuvent être ignorées120. Afin de déterminer le délai applicable dans un cas concret, il faut se placer au moment de la notification du congé, indépendamment du moment auquel le contrat est appelé à prendre fin121. Les délais prévus à l’art. 335c al. 1 CO peuvent être modifiés moyennant le respect de deux conditions (art. 335c al. 2 CO). Premièrement, les parties doivent adopter la modification par accord écrit, par contrat type de travail ou par convention collective (condition formelle). Deuxièmement, les délais doivent correspondre au moins à un mois net (condition matérielle), sauf pour la première année de service et si la modification est prévue par une convention collective. Moyennant le respect de ces conditions et du principe de la parité, les parties bénéficient de la liberté contractuelle. Une dérogation peut tout d’abord porter sur la durée du délai. Les parties peuvent notamment prévoir des délais plus longs, une augmentation rythmée différemment que dans le système légal ou encore une durée unique, quelle que soit l’ancienneté122. Une dérogation est aussi susceptible de porter sur le terme. Les parties peuvent le modifier, en prévoyant par exemple un terme pour la fin d’une semaine. Elles peuvent aussi le supprimer et prévoir l’application de délais de congé nets123. Il faut considérer que le 118 119 120 121 122 123 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 335c CO ; PORTMANN/WILDHABER, N 673. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 1 ad art. 335c CO. ATF 112 II 51, c. 3. ATF 133 III 517, c. 3.3 ; HEINZER, N 5 ad art. 335c CO. HEINZER, N 9 ad art. 335c CO. HEINZER, N 10 ad art. 335c CO. 19 Jean-Philippe Dunand respect des conditions de formes prévues à l’art. 335c al. 2 CO est impératif pour toute dérogation, qu’elle porte sur le délai ou le terme124. Notons encore que le 1er janvier 2021 est entré en vigueur un nouvel article 335c al. 3 CO, dont la teneur est la suivante : « Si l’employeur résilie le contrat et que le travailleur bénéficie d’un congé de paternité au sens de l’art. 329g CO avant la fin du contrat de travail, le délai de congé est prolongé du nombre de jours de congé qui n’ont pas été pris ». Cette disposition est issue de la modification de la LAPG 125 du 27 septembre 2019, instituant un congé paternité de deux semaines (art. 329g al. 1 CO). La réforme a été acceptée par le peuple suisse lors de la votation populaire du 27 septembre 2020. 3. Congé sous réserve de modification Le congé sous réserve de modification consiste en une résiliation du contrat, notifiée par l’employeur, qui est liée à l’offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées126. L’employeur peut notamment utiliser un tel mode de résiliation pour revoir les attributions d’un travailleur, la nature et la durée du travail, le système de rémunération ou le lieu de travail127. Selon la jurisprudence, une résiliation sous réserve de modification n’est pas abusive en tant que telle, mais peut l’être selon les circonstances du cas particulier128. On distingue le congé-modification au sens étroit et au sens large. Il y a congémodification au sens étroit lorsque l’employeur résilie le contrat tout en accompagnant sa déclaration de l’offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées à l’issue du délai de congé129. Il s’agit d’une forme de congé conditionnel : en cas de refus de l’offre modificative, les rapports de travail prennent fin à l’issue du délai de congé130. Il y a congé-modification au sens large lorsque la résiliation et l’offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées ne sont pas immédiatement couplées 131. L’offre modificative précède le congé : le travailleur est licencié par ce qu’il n’a pas accepté une modification consensuelle des rapports de travail 132. Les deux procédés sont 124 125 126 127 128 129 130 131 132 20 WYLER/HEINZER, p. 638. RS 834.1. ATF 123 III 246, c. 3. BONARD, N 17 ad art. 335 CO. ATF 123 III 246, c. 3-5. TF 4C.209/2002 du 28 novembre 2002, c. 2.1. BONARD, N 18 ad art. 335 CO. TF 4C.317.2006 du 4 janvier 2007, c. 3.3. BONARD, N 19 ad art. 335 CO. La fin du contrat de travail très similaires puisque dans les deux cas, la résiliation ne tend pas à la cessation des rapports de travail, mais à leur maintien avec des conditions modifiées133. Dans certaines circonstances, un congé-modification peut être abusif134. Tel est le cas, premièrement, si l’entrée en vigueur des modifications est prévue avant l’écoulement du délai de congé applicable en cas de résiliation135, ou deuxièmement, si l’offre de modifier le contrat constitue un moyen de pression pour imposer une modification défavorable, sans justification économique136. 4. Résiliation immédiate Selon l’art. 337 al. 1 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat de travail en tout temps pour de justes motifs. En présence d’une résiliation avec effet immédiat, qu’elle soit justifiée ou non, que son exercice soit considéré comme tardif ou qu’il ait été donné pendant une période de protection au sens de l’art. 336c CO, les rapports de travail prennent fin au moment de la notification (ex nunc), à la fois dans les faits et sur le plan juridique137. La loi ne prescrit aucune forme particulière pour notifier une résiliation immédiate, mais les parties peuvent avoir réservé une forme écrite (art. 16 CO) 138. Le moment auquel la résiliation est réputée parvenue à son destinataire (moment de la notification) se détermine selon les mêmes règles qu’en cas de résiliation ordinaire du contrat de travail139. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit reçue sur le lieu de travail ou pendant les heures de travail 140. La partie qui a résilié immédiatement le contrat de travail doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande (art. 337 al. 1, 2e phrase CO). Ce devoir est le pendant du même devoir prévu en matière de résiliation ordinaire (cf. art. 335 al. 2 CO)141. Nous traiterons de manière succincte des conditions d’une résiliation extraordinaire justifiée, puis des conséquences d’une résiliation extraordinaire justifiée et injustifiée. 133 134 135 136 137 138 139 140 141 WYLER/HEINZER, p. 621. TF 4A_166/2018 du 20 mars 2019, c. 3.2. TF 4A_539/2015 du 28 janvier 2016, c. 3.2. ATF 123 III 246, c. 3a. WITZIG, N 843 ; WYLER/HEINZER, p. 750. GLOOR, N 8 et 66 ad art. 337 CO. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 436. Cf. supra, p. XX. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 3 ad art. 337 CO. Cf. supra, p. XX. 21 Jean-Philippe Dunand a) Conditions d’une résiliation immédiate justifiée La résiliation avec effet immédiat constitue une mesure exceptionnelle (ultima ratio) qui ne doit être admise que de manière restrictive 142. Pour être justifiée, elle doit reposer sur deux conditions cumulatives, l’existence de justes motifs, d’une part, et l’immédiateté de la réaction dès la connaissance de ces motifs, d’autre part143. Nous traiterons de ces conditions de manière plus détaillée dans la seconde partie de notre contribution144. – Justes motifs. Sont notamment considérés comme justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui ou celle qui donne le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO). Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs, mais en aucun cas il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans faute empêché de travailler (art. 337 al. 3 CO). – Réaction immédiate. La partie qui entend se prévaloir d’un juste motif doit manifester sans tarder sa volonté de résilier le contrat avec effet immédiat, dès qu’elle a connaissance du motif ou au plus tard, en principe, après un bref délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables145. b) Conséquences d’une résiliation immédiate justifiée et non justifiée Comme nous l’avons vu, une résiliation extraordinaire met fin avec effet immédiat au contrat de travail, qu’elle soit justifiée ou non. Les articles 337b à 337d CO fixent les conséquences financières d’une telle résiliation146. Il faut distinguer les trois cas suivants : – Résiliation justifiée du contrat de travail. Si les justes motifs de la résiliation immédiate du contrat consistent dans son inobservation par l’une des parties, celle-ci doit réparer intégralement le dommage causé, compte tenu de toutes les prétentions découlant des rapports de travail (art. 337b al. 1 CO). Dans les autres cas, le juge apprécie librement les conséquences pécuniaires de la résiliation immédiate en tenant compte de toutes les circonstances (art. 337b al. 2 CO). – Résiliation injustifiée du contrat de travail par l’employeur. En cas de licenciement immédiat injustifié, le travailleur a droit à une créance en dommages-intérêts (art. 337c al. 1 CO), ainsi qu’à une indemnité sui generis (art. 337c al. 3 CO). Nous reviendrons sur cette hypothèse dans la seconde partie de notre article147. 142 143 144 145 146 147 22 ATF 137 III 303, c. 2.1.1. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 442. Cf. infra, p. XX. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 443. Cf. WYLER/HEINZER, pp. 755 ss. Cf. infra, pp. XX. La fin du contrat de travail – Non-entrée en service ou abandon injustifié de l’emploi par le travailleur. Lorsque le travailleur n’entre pas en service ou abandonne son emploi abruptement sans justes motifs, l’employeur a droit à une indemnité égale au quart du salaire mensuel ; il a en outre droit à la réparation du dommage supplémentaire (art. 337d al. 1 CO). Le juge peut réduire l’indemnité selon sa libre appréciation si l’employeur ne subit aucun dommage ou si le dommage est inférieur à l’indemnité (art. 337d al. 2 CO). Si le droit à l’indemnité ne s’éteint pas par compensation, il doit, sous peine de péremption, être exercé par voie d’action en justice ou de poursuites dans les trente jours à compter de la non-entrée en place ou de l’abandon d’emploi (art. 337d al. 3 CO). 5. Distinction et choix entre résiliation ordinaire et immédiate Lorsque le contrat de travail a été conclu pour une durée indéterminée, il est possible de mettre fin au contrat de manière ordinaire (cf. art. 335 CO) en respectant le délai et terme légal ou contractuels (cf. art. 335a ss CO). Le motif de résiliation est en principe sans importance, pour autant qu’il ne soit pas abusif (cf. art. 336 CO) ou discriminatoire au sens de la LEg. En présence de justes motifs, la partie peut résilier le contrat, de durée déterminée ou de durée indéterminée, avec effet immédiat (cf. art. 337 CO). La résiliation du contrat de travail est un acte formateur irrévocable, sous réserve d’une révocation par accord des parties148. Selon la jurisprudence, la partie qui apprend l’existence d’un comportement répréhensible de son partenaire contractuel, propre à justifier la cessation immédiate des rapports de travail, et qui souhaite résilier le contrat pour ce motif, a le choix entre la résiliation ordinaire et la résiliation immédiate du contrat. Si elle opte pour une résiliation ordinaire, elle renonce définitivement au droit de résiliation immédiate, du moins en tant qu’il se fonde sur la même circonstance que celle ayant entraîné la résiliation ordinaire du contrat149. Dans ces circonstances, une résiliation immédiate notifiée après une résiliation ordinaire serait dépourvue d’effet, le contrat prenant fin à l’échéance du délai ordinaire et le juge n’ayant pas à examiner l’existence de justes motifs150. La résiliation avec effet immédiat après une résiliation ordinaire reste cependant possible, mais seulement pour d’autres motifs que ceux à l’origine de cette dernière151. Inversement, la partie qui opte pour la résiliation immédiate perd définitivement le droit à la résiliation ordinaire. Si elle réalise tardivement que la résiliation est dépourvue de justes motifs, elle ne peut pas unilatéralement invalider sa déclaration. La résiliation extraordinaire étant un acte formateur, le juge ne peut pas non plus convertir une telle 148 149 150 151 ATF 128 III 129, c. 2a ; TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.2. ATF 123 III 86, c. 2b. ATF 137 I 58, c. 4.3.2. GLOOR, N 59 ad art. 337 CO. 23 Jean-Philippe Dunand résiliation qui se révélerait injustifiée en une réalisation ordinaire 152. En revanche, le Tribunal fédéral a admis que l’employeur puisse, dans certaines circonstances, octroyer un « délai social » au travailleur, qui consiste à différer l’échéance du contrat de travail qui a été résilié avec effet immédiat153. La doctrine est plutôt sceptique car une telle pratique est de nature à créer un fort risque d’insécurité juridique et de confusion entre résiliation extraordinaire et résiliation ordinaire154. La partie qui souhaite notifier un congé immédiat doit manifester sa volonté de manière claire et sans ambiguïté sur sa volonté de rompre le contrat avec effet immédiat155. Dans le doute, on doit interpréter la déclaration de volonté dans le sens que le destinataire pouvait, de bonne foi, y donner, compte tenu de toutes les circonstances (cf. art. 18 CO)156. En cas d’hésitation, on doit à notre avis, privilégier l’existence d’une résiliation ordinaire, vu le caractère exceptionnel de la résiliation extraordinaire. C’est à la partie qui entend en déduire un droit qu’il incombe de prouver l’existence d’une résiliation avec effet immédiat157. Lorsque le travailleur n’est pas certain d’avoir été licencié avec effet immédiat, il a intérêt à offrir ses services, par écrit, jusqu’à clarification des intentions de l’employeur158. Il n’existe pas de place pour d’autres formes de résiliation, en sus de la résiliation ordinaire ou de la résiliation extraordinaire159. Aussi, la suspension provisoire de travail sans salaire à l’encontre du travailleur ne correspond à aucune fin de contrat de travail prévue par le droit privé suisse. Il y a lieu d’admettre, en l’absence d’accord de l’employé avec cette mesure, qu’elle équivaut à une résiliation immédiate pour justes motifs au sens de l’art. 337 al. 1 CO160. 152 153 154 155 156 157 158 159 160 24 TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.2. ATF 140 I 320, c. 7 et 8 (pour un commentaire de cet arrêt, cf. DUNAND JEAN-PHILIPPE, Consécration de la notion de « délai social » en cas de licenciement immédiat : une [fausse] bonne idée ?, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de janvier 2015) ; TF 4C.174/2003 du 27 octobre 2003, c. 3.2.1-2. DUNAND, Délai maximal, pp. 141 ss ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, N 14 ad art. 337 CO ; WYLER/HEINZER, 751. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 2 ad art. 337 CO. GLOOR, N 7 ad art. 337 CO. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 2 ad art. 337 CO ; GLOOR, N 68 ad art. 337 CO. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 2 ad art. 337 CO. WITZIG, N 847. TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 6.1. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. NOVIER MERCEDES, Suspension provisoire de travail sans salaire : fin du contrat de travail ?, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois d’avril 2017. La fin du contrat de travail 6. Convention de résiliation La convention de résiliation permet aux parties de mettre fin à un contrat de travail de durée déterminée avant son échéance, ou à un contrat de travail de durée indéterminée sans respecter le délai de congé161. Un tel accord est en principe valable, pour autant que les parties ne cherchent pas à détourner par ce biais une disposition impérative de la loi (cf. art. 341 al. 1 CO)162. Dans la mesure où elle entraîne pour le travailleur une renonciation à se prévaloir de la protection légale contre le congé (cf. art. 336 ss CO), une restriction de ses prétentions futures de chômage (cf. art. 30 al. 1 let. a LACI163), ainsi qu’une perte d’une partie de son salaire lorsque la fin des rapports de travail intervient avant l’expiration ordinaire du contrat, la convention de résiliation ne doit être admise qu’avec retenue164. Selon le Tribunal fédéral, il convient de différencier la convention de résiliation de la transaction sur les modalités de la fin des rapports de travail. Ces deux accords se distinguent en ce sens que la convention de résiliation vise à empêcher la naissance de nouvelles prétentions, tandis que la transaction implique la renonciation à des prétentions existantes. Dès lors, si les parties entendent exclure la protection conférée au travailleur par les art. 336 ss CO, l’accord sera qualifié de convention de résiliation (qui présuppose la renonciation à une éventuelle contestation future du congé) ; dans la situation inverse (la protection des art. 336 ss CO n’est pas écartée), l’accord sera qualifié de transaction165. Nous examinerons ici les conditions de validité d’une convention de résiliation, ainsi que les conséquences d’un accord non valide. a) Conditions de validité Pour être valable, la convention de résiliation doit respecter deux conditions principales. Premièrement, l’accord doit être librement consenti et correspondre à la volonté manifeste des deux parties. Deuxièmement, il doit contenir des concessions réciproques de l’employeur et du travailleur. 161 162 163 164 165 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 24 ad art. 335 CO. ATF 119 II 449, c. 2a ; TF 4A_495/2007 du 12 janvier 2009, c. 4.3.1.1. RS 837.0. TF 4C.397/2004 du 15 mars 2005, c. 2.1. TF 4A_13/2018 du 23 octobre 2018, c. 4.1.3 (pour un commentaire de cet arrêt, cf. WITZIG AURÉLIEN, Tentative de rationalisation de la transaction en droit du travail, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de décembre 2018) ; TF 4C.37/2005 du 17 juin 2005, c. 2.2. 25 Jean-Philippe Dunand La résiliation conventionnelle n’est soumise à aucune forme particulière (cf. art. 115 CO) et peut donc être donnée par écrit, oralement ou même tacitement166. La volonté commune des parties de conclure un tel accord doit toutefois être établie sans équivoque 167. L’employeur ne peut, de bonne foi, déduire une telle volonté de la part du travailleur que si celle-ci ressort de manière claire et irréfutable de son comportement168. Le simple fait que le travailleur accepte une résiliation proposée par l’employeur ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’existence d’une résiliation conventionnelle et, par là même, à la volonté implicite du travailleur de renoncer à la protection accordée par les art. 336 ss CO169. En outre, le travailleur doit pouvoir disposer d’un délai de réflexion suffisant pour être en mesure de se déterminer en toute connaissance de cause, en tous cas quand le texte de l’accord a été formulé par l’employeur170. Lorsque la volonté des parties de mettre fin aux rapports de travail d’un commun accord est clairement établie, la validité de la cessation contractuelle suppose, en outre, que ledit accord constitue nettement un cas de transaction, c’est-à-dire qu’il comporte des concessions réciproques d’importance comparable de chaque partie171. Puisque le travailleur renonce aux protections légales contre le congé, il revient à l’employeur de proposer des prestations pouvant être considérées comme des concessions suffisantes. Il peut s’agir de la libération de l’obligation du travailleur de fournir sa prestation de travail et de son droit simultané de prendre un nouvel emploi sans imputation de salaire, de l’octroi d’un outplacement, ou du paiement d’une indemnité de départ, du salaire pour un temps plus long que le délai de résiliation légal ou contractuel, d’un treizième salaire non contractuel, ou d’une prime exceptionnelle172. Il faut examiner la volonté ou l’intérêt du travailleur à un tel accord ou l’importance que représente l’hypothétique renonciation de l’employeur. Il convient de procéder à une pesée des intérêts afin de déterminer concrètement si les droits auxquels les deux parties ont renoncé sont approximativement de valeurs équivalentes173. Dans tous les cas, la convention doit présenter un avantage raisonnable pour le travailleur174. Si le travailleur souhaite de sa propre initiative quitter l’entreprise à court terme ou profiter d’une mise en disponibilité jusqu’à la date de son 166 167 168 169 170 171 172 173 174 26 TF 4A_362/2015 du 1er décembre 2015, c. 3.2 ; TF 4C.61/2006 du 24 mai 2006, c. 3.1 ; TF 4C.397/2004 du 15 mars 2005, c. 2.1. TF 4A_364/2016 du 31 octobre 2016, c.3.1. TF 4C.397/2004 du 15 mars 2005, c. 2.1. TF 4A_563/2011 du 19 janvier 2012, c. 4.1 ; TF 4A_495/2007 du 12 janvier 2009, c. 4.3.1.1. TF 4A_376/2010 du 30 septembre 2010, c. 3 ; TF 4A_495/2007 du 12 janvier 2009, c. 4.3.1.1 ; TF 4C.51/1999 du 20 juillet 1999, c. 3c. TF 4A_13/2018 du 23 octobre 2018, c. 4.1.2 ; TF 4C.397/2004 du 15 mars 2005, c. 2.1. Cf. BONARD, N 15 ad art. 335 CO ; WITZIG, N 931. WYLER/HEINZER, p. 854. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 27 ad art. 335 CO. La fin du contrat de travail départ, les exigences sont moindres, au point que, suivant les circonstances concrètes, la dissolution immédiate du contrat de travail peut s’avérer parfaitement licite, sans obligation de prestation supplémentaire de la part de l’employeur175. L’étendue des concessions doit être appréciée au moment de la conclusion de l’accord, selon les chances de faire valoir avec succès les prétentions auxquelles il est renoncé176. Il convient cependant de réserver les évènements imprévisibles non imputables à l’une ou l’autre des parties pouvant se présenter jusqu’à la fin du délai de congé, telles que la survenance d’une période de protection en raison d’une incapacité de travail177. b) Conséquences d’un accord non valable La convention de résiliation qui ne satisfait pas aux conditions susmentionnées ne lie pas les parties. Il convient d’en faire abstraction et d’appliquer, en lieu et place, les dispositions relevant du régime légal ordinaire régissant l’extinction des rapports de travail (CO et/ou convention collective de travail applicable). En d’autres termes, les parties doivent être replacées dans la situation hypothétique qui eût prévalu si elles n’avaient pas conclu l’accord de résiliation non valable. Lorsque l’accord invalide prévoyait une extinction des rapports de travail anticipée par rapport au délai de préavis, il faudra déterminer si l’employeur aurait résilié le contrat de manière ordinaire ou avec effet immédiat dans l’hypothèse où l’accord de résiliation n’aurait pas été conclu, respectivement dans l’hypothèse où il aurait eu connaissance de l’invalidité de l’accord de résiliation. Suivant la réponse apportée à cette question, le travailleur pourra soit faire valoir une prétention de salaire jusqu’à la fin du délai de congé ordinaire, le cas échéant pour la durée prolongée découlant de l’application des art. 324a et 336c CO, soit réclamer des dommages-intérêts et une indemnité fondée sur l’art. 337c al. 1 et 3 CO178. C’est au travailleur qui soutient que son employeur l’aurait licencié avec effet immédiat d’en apporter la preuve179. Les prestations supplémentaires qui ont été octroyées par l’employeur en application de l’accord nul doivent être portées en déduction des prétentions de l’employé, lequel ne saurait cumuler les prestations de l’accord contesté avec celles résultant du régime ordinaire180. 175 176 177 178 179 180 TC/VD du 28 août 2018, c. 3.2.1, in : JAR 2019 550. TF 4A_103/2010 du 16 mars 2010, c. 2.3.3. TF 4A_376/2010 du 30 septembre 2010, c. 3 ; TF 4C.27/2002 du 19 avril 2002, c. 2. Sur les conséquences d’un accord invalide, cf. TF 4A_364/2016 du 31 octobre 2016, c. 3.2 ; TF 4A_495/2007 du 12 janvier 2009, c. 4.3.1.2. TF 4A_699/2016 du 2 juin 2017, c. 2.2. WYLER/HEINZER, p. 653. Dans le même sens, BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 28 ad art. 335 CO. 27 Jean-Philippe Dunand C. Cas particuliers Nous mentionnerons ici quelques cas particuliers pour lesquels il faudra se demander s’ils constituent des causes d’extinction du contrat de travail, et dans l’affirmative, à quelles conditions. Il s’agit de l’invalidation du contrat, de l’opposition au transfert des rapports de travail, de l’âge de la retraite, de la mort du travailleur, et de la mort ou de la faillite de l’employeur. 1. Invalidation du contrat Dans certaines situations, le contrat de travail peut être frappé d’une nullité absolue ou relative. Ainsi, un contrat est nul (nullité absolue) s’il a pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux mœurs (art. 20 al. 1 CO). Tel est le cas, par exemple, de la conclusion d’un contrat avec une partie qui n’a pas l’exercice des droits civils (cf. art. 19 al. 1 CC), de l’interdiction légale d’employer des jeunes âgés de moins de quinze ans (cf. art. 30 LTr181) ou du défaut d’autorisation du bailleur de services nécessaire à l’exercice de son activité (cf. art. 12 et 19 al. 6 LSE)182. La nullité relative concerne les vices de volonté, tels que la lésion (art. 21 CO), l’erreur essentielle (art. 23 et 24 CO), le dol (art. 28 CO) et la crainte fondée (art. 29 CO). La partie qui se prévaut d’une nullité relative doit déclarer qu’elle résilie le contrat dans le délai prévu par les art. 21 ou 31 CO, à défaut de quoi le vice est couvert183. Un dol existe, par exemple, lorsqu’un employeur découvre qu’il a engagé un travailleur sur la base d’un faux certificat de travail, attribuant à ce dernier des qualités exceptionnelles infondées184. Selon les règles générales, un contrat nul produit des effets ex tunc, avec pour conséquence que les parties doivent être replacées dans la situation précédant la conclusion du contrat. Les prestations faites par les parties l’ont été sans cause et doivent être restituées selon les règles sur l’enrichissement illégitime (art. 62 ss CO)185. Afin d’atténuer les conséquences rigoureuses de l’application de ces règles générales, le législateur a adopté une disposition qui s’applique de manière spécifique au contrat de travail. Lorsque le travailleur fournit, de bonne foi, un travail pour l’employeur en vertu d’un contrat de travail qui se révèle nul par la suite, l’art. 320 al. 3 CO prescrit que le travailleur et l’employeur doivent tous deux s’acquitter des obligations découlant des 181 182 183 184 185 28 RS 822.11. WYLER/HEINZER, p. 92. TF 4A_476/2011 du 11 novembre 2011, c. 5. Cf. ATF 132 III 242. ATF 132 III 242, c. 4.1. La fin du contrat de travail rapports de travail, comme s’il s’agissait d’un contrat valable, jusqu’à ce que l’un ou l’autre mette fin aux rapports de travail en raison de l’invalidité. L’application de l’art. 320 al. 3 CO nécessite la réalisation de trois conditions cumulatives186 : une cause de nullité (absolue ou relative), l’entrée en fonction effective du travailleur et la bonne foi de ce dernier. Dans ce contexte, la bonne foi est présumée 187. Selon le Tribunal fédéral, le travailleur ne doit être considéré comme ayant été de mauvaise foi que si l’employeur est en mesure de prouver, non seulement que l’employé connaissait le vice entachant le congé, mais aussi les conséquences de ce vice, c’est-à-dire l’influence du vice sur la nullité du contrat188. L’art. 320 al. 3 CO crée une fiction de validité du contrat jusqu’à son invalidation189. En effet, tant que les parties ne se prévalent pas de la nullité, elles doivent remplir leurs obligations, comme si elles se trouvaient liées par un contrat de travail valable. L’invalidation produit donc des effets ex nunc190. La partie qui invoque la nullité peut invalider le contrat de travail avec effet immédiat. L’invalidation ne correspond pas à une résiliation. Ainsi, en cas d’application de l’art. 320 al. 3 CO, les délais de résiliation sont inapplicables et le travailleur ne bénéficie d’aucune protection contre le congé191. Par ailleurs, comme le relève GLOOR, l’invalidation se distingue d’une résiliation immédiate pour trois autres raisons192. Premièrement, une résiliation implique la reconnaissance de la validité du contrat. Deuxièmement, le vice de volonté allégué n’a pas besoin d’atteindre la gravité objective et subjective d’un juste motif de licenciement immédiat. Troisièmement, enfin, l’invalidation n’est pas soumise au principe de la réaction immédiate. 2. Opposition au transfert des rapports de travail Lorsque l’employeur transfère l’entreprise ou une partie de celle-ci à un tiers, la loi prévoit que les rapports de travail passent à l’acquéreur avec tous les droits et les obligations qui en découlent, au jour du transfert, à moins que le travailleur ne s’y oppose (art. 333 al. 1 CO). Si les rapports de travail transférés sont régis par une convention collective, l’acquéreur est tenu de la respecter pendant une année pour autant qu’elle ne prend pas fin du fait de l’expiration de la durée convenue ou de sa dénonciation (art. 333 al. 1 bis CO). 186 187 188 189 190 191 192 WYLER/HEINZER, pp. 92 s. ATF 132 III 242, c. 4.2.3. ATF 132 III 242, c. 4.2.4-5. WYLER/HEINZER, p. 91. ATF 132 III 242, c. 4.2. WYLER/HEINZER, p. 100. GLOOR, N 12 ad art. 337 CO. 29 Jean-Philippe Dunand En cas d’opposition, les rapports de travail prennent fin à l’expiration du délai de congé légal ; jusque-là, l’acquéreur et le travailleur sont tenus d’exécuter le contrat (art. 333 al. 2 CO). L’art. 333 al. 1 et 2 CO instaure un droit individuel d’opposition du travailleur à son transfert193. Ce dernier dispose d’un délai de réflexion de quelques semaines à compter du moment où il a eu connaissance du transfert de l’entreprise. S’il ne réagit pas dans ce délai, il est présumé avoir accepté tacitement le transfert des rapports de travail 194. L’opposition n’est soumise à aucune forme. Elle peut être communiquée à l’employeur oralement ou par écrit195. En cas d’opposition, les rapports de travail prennent fin à l’expiration du délai légal de résiliation, sans qu’une résiliation ne soit nécessaire. Le délai de congé légal est calculé selon les règles des art. 335b et 335c CO. Dans l’hypothèse d’une opposition du travailleur, ce délai s’applique autant au contrat de durée indéterminée qu’à celui de durée déterminée196. Il n’est ainsi pas tenu compte d’une éventuelle disposition contractuelle dérogatoire ou d’une durée contractuelle déterminée197. Le délai légal de congé court dès la réception de l’opposition par l’employeur. L’ancien employeur et l’acquéreur répondent solidairement des créances du travailleur échues dès avant le transfert jusqu’au moment où les rapports de travail pourraient normalement prendre fin ou ont pris fin par suite de l’opposition du travailleur (art. 333 al. 3 CO). Au surplus, l’employeur ne peut pas transférer à un tiers les droits découlant des rapports de travail, à moins que le contraire n’ait été convenu ou ne résulte des circonstances (art. 333 al. 4 CO). 3. Âge de la retraite L’atteinte de l’âge de la retraite n’entraîne pas automatiquement la fin des rapports de travail198. Une résiliation du contrat est donc en principe nécessaire pour y mettre fin199. Les parties peuvent toutefois convenir ou un règlement du personnel dûment communiqué aux employés peut prévoir que le contrat durera, au maximum, jusqu’au moment de la retraite (contrat de travail de durée maximale)200. Dans une jurisprudence relativement ancienne, le Tribunal fédéral a considéré qu’une disposition du règlement de prévoyance qui fixait l’âge de la retraite constituait, dans les circonstances du cas d’espèce, une base contractuelle permettant de considérer que les parties avaient tacitement convenu d’une 193 194 195 196 197 198 199 200 30 WYLER/HEINZER, p. 573. ATF 137 V 463, c. 4.4. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 11 ad art. 333 CO. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 12 ad art. 333 CO. WYLER/HEINZER, p. 574. WYLER/HEINZER, p. 777. TF 4A_311/2009 du 8 octobre 2009, c. 3.3. GLOOR, N 19 ad art. 337 CO. La fin du contrat de travail durée maximale201. Nous considérons pour notre part qu’une telle disposition règlementaire n’est opposable au travailleur que si le contrat de travail y renvoie expressément. Lorsqu’une mise à la retraite est imposée, sans préavis légal ou contractuel, au motif de l’âge légal ou réglementaire de la retraite, elle doit être considérée comme une résiliation immédiate injustifiée202. 4. Mort du travailleur Le contrat de travail prend fin ipso iure au décès du travailleur (art. 338 al. 1 CO). Toutefois, en vertu de l’art. 560 al. 1 CC, les héritiers du travailleur sont saisis des créances, dettes et actions, issues du contrat de travail, du défunt envers l’employeur, sous réserve d’une répudiation de la succession (cf. art. 566 CC)203. L’employeur doit payer le salaire, à partir du jour du décès, pour un mois encore et, si les rapports de travail ont duré plus de cinq ans, pour deux mois encore, si le travailleur laisse un conjoint, un partenaire enregistré ou des enfants mineurs ou, à défaut, d’autres personnes en faveur desquelles il remplissait une obligation d’entretien (art. 338 al. 2 CO). Cette prestation supplémentaire est due à la condition que le contrat de travail soit encore en vigueur juste avant le décès, sans égard au fait qu’il soit de durée déterminée ou indéterminée204. 5. Mort ou faillite de l’employeur Lorsque l’employeur est une personne physique, son décès ne met pas fin au contrat de travail. En effet, le contrat de travail passe ex lege à ses héritiers ; les dispositions relatives au transfert des rapports de travail en cas de transfert d’entreprise (cf. art. 333 et 333a CO) sont applicables par analogie (art. 338a al. 1 CO). Le travailleur peut donc s’opposer à la poursuite des rapports de travail avec les héritiers (cf. art. 333 al. 1 CO par analogie). L’opposition doit intervenir dans le délai d’un mois dès le décès de l’employeur et le contrat prend alors automatiquement fin à l’échéance du délai légal de résiliation (cf. art. 333 al. 2 CO par analogie)205. Il peut toutefois arriver, exceptionnellement, que le contrat de travail ait été conclu essentiellement en considération de la personne de l’employeur. Dans un tel cas, le contrat de travail prend fin au décès de ce dernier (art. 338a al. 2, 1 re phrase CO). Toutefois, le 201 202 203 204 205 ATF 114 II 349, c. 2a. GLOOR, N 19 ad art. 337 CO. GLOOR, N 2 ad art. 338 CO. GLOOR, N 3 ad art. 338 CO ; WYLER/HEINZER, p. 775. WYLER/HEINZER, p. 777. 31 Jean-Philippe Dunand travailleur peut réclamer une indemnité équitable pour le dommage causé par l’extinction prématurée du contrat de travail (art. 338a al. 2, 2e phrase CO). Par ailleurs, le prononcé de la faillite de l’employeur ne met pas fin automatiquement aux rapports de travail (art. 337a a contrario CO), sauf disposition contractuelle contraire 206. La masse en faillite peut décider de résilier le contrat de travail pour sa plus proche échéance, de le reprendre et le poursuivre, ou encore de conclure un nouveau contrat de travail avec le travailleur207. L’existence d’une reprise doit être admise chaque fois que le travailleur poursuit son activité, sur demande ou avec l’accord tacite de l’administration de la faillite208. La faillite ne constitue pas un juste motif de résiliation au sens de l’art. 337 CO, ni pour l’employeur ou la masse en faillite, ni pour le travailleur209. En revanche, le travailleur bénéficie de la possibilité de résilier le contrat de travail avec effet immédiat aux conditions définies à l’art. 337a CO210. III. Protections contre les congés Dans les dispositions du Code des obligations sur le contrat de travail, la sous-section relative à la protection contre les congés comprend une partie consacrée à la résiliation abusive (art. 336 à 336b CO) et une partie consacrée à la résiliation en temps inopportun (art. 336c et 336d CO). Pour avoir un panorama complet, il faut encore tenir compte de la protection contre le licenciement immédiat injustifié (art. 337c CO). Ces diverses dispositions donnent lieu à une jurisprudence très abondante. Nous présenterons ici les principes essentiels de ces trois protections contre les congés en suivant l’ordre légal, à savoir, résiliation abusive (section A), résiliation en temps inopportun (section B) et résiliation immédiate injustifiée (section C), puis nous conclurons le chapitre par quelques délimitations entre ces diverses protections (section D). A. Résiliation abusive L’art. 335 CO consacre le droit de mettre fin unilatéralement au contrat de travail, même sans motif particulier. Le principe de la libre résiliation est cependant limité par les 206 207 208 209 210 32 TF 4C.239/2006 du 5 octobre 2006, c. 2.1 ; BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 337a CO ; MARKARIAN, p. 776. GLOOR, N 6 ad art. 337a CO ; MARKARIAN, pp. 776 ss ; WYLER/HEINZER, p. 778. TF 4C.239/2006 du 5 octobre 2006, c. 2.1. TF 4C.239/2006 du 5 octobre 2006, c. 2.1 ; MARKARIAN, p. 776. WYLER/HEINZER, pp. 752 ss et 778. La fin du contrat de travail dispositions de protection contre les congés abusifs211. La résiliation abusive est régie par trois dispositions. L’art. 336 CO traite du principe (sous-section 1). Il est complété par l’art. 336a CO, relatif à la sanction d’un congé abusif (sous-section 2) et par l’art. 336b CO, qui décrit la procédure à suivre (sous-section 3). 1. Notion de congé abusif L’art. 336 CO concrétise le principe général de l’interdiction générale de l’abus de droit (cf. art. 2 al. 2 CC)212. La résiliation est abusive lorsqu’elle repose sur un motif qui n’est pas digne de protection213. L’art. 336 CO ne contient pas de définition générale, mais énumère huit cas de congés abusifs214. Il est admis que cette liste n’est pas exhaustive. L’ordre juridique peut reconnaître d’autres cas pour autant qu’ils aient une gravité similaire215. Après quelques généralités, nous présenterons les cas prévus à l’art. 336 CO, puis les principaux cas consacrés par la jurisprudence. Nous évoquerons aussi les motifs de licenciement qui sont généralement considérés comme non abusifs (motifs légitimes). a) Généralités La protection contre les congés abusifs ne vise que les situations où le contrat de travail est résilié unilatéralement par une des parties, ce qui exclut les résiliations conventionnelles et les non renouvellements de contrats de durée déterminée. La protection s’applique aussi durant le temps d’essai, quoique dans une mesure atténuée, puisque les parties se trouvent dans une phase contractuelle où elles apprennent à se connaître216. Les art. 336 ss CO sont également applicables lorsque l’employeur résilie unilatéralement le contrat et que les parties passent simultanément ou postérieurement un accord régissant uniquement les modalités de la fin des rapports de travail 217. Le travailleur qui prétend que le congé qui lui a été notifié est abusif doit en apporter la preuve (cf. art. 8 CC), sauf dans l’hypothèse visée à l’art. 336 al. 2 let b CO. Il doit en principe établir non seulement le motif abusif, mais aussi l’existence du lien de causalité entre l’état de fait fondant le caractère abusif du congé et la résiliation du contrat de travail. Selon le Tribunal fédéral, il faut toutefois tenir compte des difficultés liées à la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a résilié le contrat. Le juge peut ainsi 211 212 213 214 215 216 217 TF 4A_78/2018 du 10 octobre 2018, c. 3.1.1. ATF 132 III 115, c. 2.1. DUNAND, N 7 ad art. 336 CO. Cf. FAVRE MOREILLON, pp. 98 ss. ATF 132 III 115, c. 2.1 ; TF 4A_78/2018 du 10 octobre 2018, c. 3.1.1. ATF 134 III 108, c. 7. TF 4C.37/2005 du 17 juin 2005, c. 3.2. 33 Jean-Philippe Dunand présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur218. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue une « preuve par indices »219. En pratique, la chronologie des évènements joue un rôle important. Plus court est le laps de temps entre le motif abusif supposé et la notification du licenciement, et plus l’indice de l’existence d’un congé abusif sera élevé220. Pour juger si le congé est abusif, ce qui est une question de droit, il faut se fonder sur son motif réel, dont la détermination est une question de fait221. La preuve du congé abusif peut s’avérer délicate lorsque plusieurs causes sont envisageables dont seules certaines ou une seule sont abusives : il conviendra d’établir leur influence respective sur le congé. En cas de pluralité de motifs, lorsque l’employé est parvenu à démontrer l’existence d’un motif abusif, il incombe alors à l’employeur de prouver qu’il aurait licencié le travailleur même en l’absence du motif abusif222. Il existe des cas spécifiques. Comme nous le verrons, lorsque l’employé a fondé le motif abusif sur l’art. 336 al. 1 let. a ou let. b CO, l’employeur peut démontrer que le congé est en réalité justifié par l’un des motifs justificatifs prévus dans la loi. La charge de la preuve lui en incombe. Par ailleurs, lorsque l’employeur a licencié un représentant élu du personnel, le fardeau de la preuve est inversé (cf. art. 336 al. 2 let. b CO). Il revient, en effet, à l’employeur de prouver qu’il avait un motif justifié de résiliation et que le congé a effectivement été donné en raison de ce motif. A défaut, le congé sera considéré comme abusif 223. b) Cas prévus à l’art. 336 al. 1 CO Les cinq motifs de l’article 336 alinéa 1er CO consacrent une protection paritaire et s’appliquent tant à la résiliation du contrat par l’employeur qu’à celle donnée par le travailleur. Selon cette disposition, le congé est abusif lorsqu’il est donné par une partie : – pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie (art. 336 al. 1 let. a CO). Constituent, par exemple, des raisons inhérentes à la personne, la race, la nationalité, l’âge, l’homosexualité, les antécédents judiciaires ou encore la maladie, la 218 219 220 221 222 223 34 ATF 130 III 699, c. 4.1. TF 4A_92/2017 du 26 juin 2017, c. 2.2.2. Cf. DUNAND, N 18 ad art. 336 CO. ATF 131 III 535, c. 4.3 ; TF 4A_78/2018 du 10 octobre 2018, c. 3.1.3 ; TF 4A_408/2010 du 7 octobre 2010, c. 2.3 ; WYLER/HEINZER, p. 804. TF 4A_430/2010 du 15 novembre 2010, c. 2.1.3. TF du 12 août 1997, c. 2, in : JAR 1998 199. La fin du contrat de travail séropositivité, ainsi que la religion224. Un licenciement donné pour une raison inhérente à la personnalité du travailleur n’est cependant pas abusif lorsque cette raison a un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise (art. 336 al. 1 lettre a in fine CO). Alors que la première hypothèse vise principalement la correcte exécution de la prestation de travail et le respect du devoir de fidélité par l’employé, la seconde concerne principalement la préservation d’un climat de travail agréable dans l’entreprise225. N’est ainsi pas abusif le congé qui est fondé sur des manquements ou des défauts de caractère du travailleur qui nuisent au travail en commun226. Lorsque la partie salariée a été licenciée pour une raison liée à son sexe, on est en présence d’un congé discriminatoire au sens de la LEg (cf. art. 3 LEg) ; – en raison de l’exercice par l’autre partie d’un droit constitutionnel (art. 336 al. 1 let. b CO). Cette disposition constitue une consécration de l’effet horizontal direct des droits fondamentaux dans les rapports de travail. Appartiennent aux droits constitutionnels tous les droits fondamentaux garantis par les constitutions cantonales, la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme227. Il s’agit notamment de la liberté d’association, de la liberté de conscience et de croyance, de la liberté économique, ainsi que de la liberté personnelle, qui inclut le droit d’organiser librement son temps libre228. Le congé donné en raison de l’exercice d’un droit constitutionnel n’est toutefois pas abusif lorsque l’exercice de ce droit viole une obligation résultant du contrat de travail ou porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise (art. 336 al. 1 let. b in fine CO) ; – seulement afin d’empêcher la naissance de prétentions juridiques de l’autre partie, résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. c CO). Cette disposition protège le travailleur contre une résiliation qui tend à la priver d’une prestation dont l’octroi est lié à un moment déterminé des rapports de travail. La prétention peut résulter de la loi ou du contrat. Il s’agira, par exemple, d’une gratification, d’une indemnité à raison de longs rapports de travail, d’une prime de fidélité ou du versement rétroactif du renchérissement229; – parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. d CO). La disposition vise ici le congé représailles ou congé vengeance. Elle tend à empêcher que le licenciement ne soit utilisé pour punir 224 225 226 227 228 229 ATF 130 III 699, c. 4.1. ATF 127 III 86, c. 2c. ATF 136 III 513, c. 2.5-6. TF 4C.72/2002 du 22 avril 2002, c. 2a. TF 4A_408/2011 du 15 novembre 2011, c. 5.4.1. TF 4C.388/2006 du 30 janvier 2007, c. 3.1. 35 Jean-Philippe Dunand l’employé d’avoir fait valoir des prétentions juridiques résultant du contrat de travail, en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être titulaire lui étaient acquis230. Les prétentions émises peuvent résulter de la loi, de conventions collectives, de règlements d’entreprise voire de la pratique231. Elles peuvent concerner, par exemple, une augmentation de salaire, une prime, l’exercice du droit aux vacances ou la protection de la personnalité232. Les prétentions peuvent être formulées de manière directe, orale ou écrite, auprès de l’employeur, ou par l’ouverture d’une procédure. Un travailleur n’est toutefois protégé contre un congé de représailles que s’il peut supposer de bonne foi que les prétentions qu’il fait valoir sont fondées. Il n’est pas nécessaire qu’elles le soient effectivement. La résiliation n’est cependant pas abusive si l’employé a fait valoir des prétentions qui n’ont joué aucun rôle causal dans la décision de le licencier233. Comme nous l’avions vu234, un congé-modification peut s’avérer abusif lorsque l’employeur propose des modifications qui doivent entrer en vigueur avant l’expiration du délai de licenciement, et qu’il congédie le travailleur qui n’a pas accepté. Le licenciement est alors abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO, parce qu’en refusant une modification du contrat avant l’échéance, l’employé fait valoir de bonne foi une prétention découlant de son contrat de travail et que c’est ce refus qui est à l’origine du licenciement235. Enfin, lorsque la partie salariée a été licenciée après avoir fait valoir de bonne foi des droits résultant de la LEg, on se trouve en présence d’un congé-représailles au sens de l’art. 10 LEg ; – parce que l’autre partie accomplit un service militaire ou dans la protection civile, ou un service civil, en vertu de la législation fédérale, ou parce qu’elle accomplit une obligation légale lui incombant sans qu’elle ait demandé de l’assumer (art. 336 al. 1 let. e CO). Comme exemples d’obligations légales, on peut citer les activités de tuteur, curateur, juré, scrutateur, témoin dans une procédure judiciaire, etc. Le cas type est celui du travailleur qui est licencié parce qu’il a témoigné dans un procès opposant son employeur à un ancien employé de l’entreprise236. L’atteinte aux intérêts de l’employeur ne constitue toutefois pas une condition d’application de cette disposition237. 230 231 232 233 234 235 236 237 36 TF 4A_407/2008 du 18 décembre 2008, c. 4.1. TF 4A_407/2008 du 18 décembre 2008, c. 4.2. TF 4A_652/2018 du 21 mai 2019, c. 4.1 ; TF 4C.237/2005 du 27 octobre 2005, c. 2.3. ATF 136 III 513, c. 2.4 et 2.6. Cf. supra, p. XX. TF 4A_539/2015 du 28 janvier 2016, c. 3.2. DUNAND, N 52 ad art. 336 CO. TF 4A_422/2008 du 21 novembre 2008, c. 2.2. La fin du contrat de travail c) Cas prévus à l’art. 336 al. 2 CO Les trois motifs énumérés à l’art. 336 al. 2 CO ne concernent que le licenciement donné par l’employeur. Selon cette disposition, est abusif le congé donné par l’employeur dans les cas suivants : – en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance du travailleur à une organisation de travailleurs ou en raison de l’exercice conforme au droit d’une activité syndicale (art. 336 al. 2 let. a CO). Cette disposition instaure une protection spéciale de la liberté syndicale garantie à l’art. 28 de la Constitution fédérale. Elle protège la liberté d’association positive, soit le fait de fonder, adhérer ou de rester membre d’un syndicat, aussi bien que la liberté d’association négative, soit le droit de ne pas faire partie ou de démissionner d’un syndicat. L’exercice conforme au droit d’une activité syndicale est également protégé, c’est-à-dire la possibilité d’informer l’ensemble des travailleurs sur le rôle et l’organisation des syndicats, la défense des droits des travailleurs et le renforcement de l’organisation syndicale sur le lieu de travail. Pour que le congé soit abusif, il doit exister un lien de causalité entre l’activité syndicale exercée conformément au droit et le licenciement238 ; – pendant que le travailleur, représentant élu des travailleurs, est membre d’une commission d’entreprise ou d’une institution liée à l’entreprise et que l’employeur ne peut prouver qu’il avait un motif justifié de résiliation (art. 336 al. 2 let. b CO). La disposition a pour but d’assurer aux représentants élus des travailleurs la protection nécessaire, afin qu’ils puissent défendre effectivement les intérêts de ceux-ci sans craindre des sanctions de leur employeur 239. Elle vise toute commission au sein de laquelle, seuls ou à plusieurs, des travailleurs accomplissent une activité de représentation de leurs collègues, par exemple : commission de négociation ou de travail, comité de sécurité, conseil de fondation de prévoyance, commission paritaire, commission d’entreprise, etc.240 Ce cas de congé abusif est particulier à deux égards. Premièrement, la protection du travailleur nécessite uniquement un rapport de temps (« pendant que ») et nullement un rapport de causalité entre le statut de représentant et le congé. Deuxièmement, le licenciement est présumé abusif, à moins que l’employeur ne prouve qu’il avait un motif justifié de résiliation (renversement du fardeau de la preuve). La notion de « motifs justifié », plus large que celle de « juste motif » au sens de l’art. 337 CO, vise tout motif qu’un observateur de bonne foi considérerait comme 238 239 240 TF 4A_485/2015 du 15 février 2016, c. 3.1. Pour un commentaire de cet arrêt, DUNAND JEAN-PHILIPPE, La preuve du congé abusif, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois d’avril 2016. TF 4D_12/2014 du 7 juillet 2014, c. 4.1 ; TF 4C.459/1996 du 12 août 1997, c. 2, in : JAR 1998 199. DUNAND, N 60 ad art. 336 CO. 37 Jean-Philippe Dunand objectivement dicté par les besoins de l’entreprise (cf. aussi art. 340c al. 2 CO)241. Il peut s’agir de motifs inhérents à la personne du travailleur (motifs liés à des performances ou au comportement) ou de faits objectifs, liés à l’entreprise242. Des motifs économiques sont admissibles s’ils ne constituent pas un prétexte destiné à motiver le licenciement du représentant des travailleurs243. L’employeur ne doit pas seulement établir qu’il avait ou aurait pu avoir un motif justifiant le congé ; il lui faut prouver que la résiliation litigieuse a effectivement été notifiée au travailleur pour ce motif-là244 ; – sans respecter la procédure de consultation prévue pour les licenciements collectifs (art. 336 al. 2 let. c CO). Dans le cadre de la réglementation concernant les licenciements collectifs (cf. art. 335d à 335g CO), il est prévu que l’employeur qui envisage de procéder à un tel licenciement doit consulter la représentation des travailleurs ou, à défaut, les travailleurs (cf. art. 335f CO). Un licenciement sans respecter cette procédure de consultation est abusif 245. En principe, l’art. 335f CO est violé non seulement si la procédure de consultation est inexistante, mais aussi lorsqu’elle est insuffisante, par exemple que le délai octroyé aux travailleurs pour présenter leurs propositions est trop bref ou si la consultation a lieu après la décision définitive de procéder à des licenciements collectifs246. d) Cas consacrés par la jurisprudence La jurisprudence a reconnu de nombreux cas de congés abusifs innommés247. On peut identifier les trois catégories principales suivantes248 : – l’employeur ne peut se prévaloir d’un intérêt digne de protection. En raison de la finalité du droit de résiliation, d’une part, et de la disproportion des intérêts en présence, d’autre part, le licenciement peut être tenu pour abusif lorsqu’il répond à un motif de pure convenance personnelle249. Tel est notamment le cas lorsque l’employeur notifie le congé, pour donner l’impression qu’il a pris des mesures adéquates, parce qu’il fallait un responsable, un « fusible », en faisant abstraction de l’intérêt légitime de l’employé à conserver un emploi dans lequel il s’est investi pendant de nombreuses 241 242 243 244 245 246 247 248 249 38 AUBERT, N 4 ad art. 336 CO. TF 4A_387/2016 du 26 août 2016, c. 5.5. ATF 138 III 359, c. 6 ; ATF 133 III 512, c. 6. TF 4D_12/2014 du 7 juillet 2014, c. 4.1. ATF 132 III 406, c. 2. ATF 123 III 176, c. 4 ; TF 4A_173/2011 du 31 mai 2011, c. 4.3. Cf. SATTIVA SPRING, pp. 292 ss. DUNAND, N 75 ss ad art. 336 CO. ATF 131 III 535, c. 4.2 ; TF 4A_485/2016 du 28 avril 2017, c. 2.2.1. La fin du contrat de travail années, alors que le congé n’a aucune portée pratique pour l’employeur250. Pour contrecarrer l’intérêt évident de l’employé au maintien du contrat, l’employeur doit être en mesure de démontrer qu’il peut se prévaloir d’un intérêt digne de protection au licenciement du travailleur concerné251 ; – l’employeur exploite les conséquences de sa propre violation du contrat. Lorsqu’il se fonde sur un motif de congé, dont il apparaît qu’il en est la cause ou le responsable, l’employeur exploite les conséquences de sa propre violation du contrat de travail pour justifier la résiliation des rapports de travail. Il s’agit typiquement d’un cas de congé abusif. Le devoir d’assistance de l’employeur, déduit de l’art. 328 CO, lui impose de chercher des solutions alternatives au congé ou de s’efforcer d’adoucir les conséquences de celui-ci252. L’employeur est, par exemple, tenu de prendre les mesures nécessaires pour désamorcer un conflit sur le lieu de travail avant d’en arriver à la résiliation253. De même, un licenciement motivé par une baisse de la qualité du travail de l’employé peut s’avérer abusif, lorsque cette baisse de rendement est consécutive au harcèlement subi par le travailleur254 ; – l’employeur agit sans égards. Le caractère abusif d’une résiliation peut découler non seulement de ses motifs, mais également de ses modalités, soit de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit255. En effet, même lorsqu’elle résilie un contrat de manière légitime, la partie doit exercer son droit avec des égards. Une violation grossière du contrat, telle une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d’une résiliation, peut faire apparaître le congé comme abusif256. Ainsi, le licenciement motivé par l’accusation faite au travailleur d’avoir eu un comportement contraire à l’honneur est abusif si l’accusation se révèle infondée et que l’employeur l’a formulée sans s’appuyer sur aucun indice sérieux et sans avoir entrepris aucune vérification 257. Quant aux travailleurs âgés, ils méritent des égards particuliers. Si un employeur envisage de licencier un travailleur proche de la retraite, il doit d’abord chercher des solutions permettant le maintien des rapports de travail. Si aucune alternative ne peut 250 251 252 253 254 255 256 257 ATF 131 III 535, c. 4.2-3. ATF 132 III 115, c. 5.5. ATF 133 III 512, c. 6.6. TF 8C_826/2009 du 1er juillet 2010, c. 4. ATF 125 III 70, c. 2a-b ; TF 4A_159/2016 du 1er décembre 2016, c.3.1 ; TF 8C_18/2011 du 7 février 2012, c. 6.2. TF 4A_78/2018 du 10 octobre 2018, c.3.1.1 ; TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014, c. 2.2.1. ATF 132 III 115, c. 2.2 ; ATF 131 III 535, c. 4.2 ; TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014, c. 4.2.1. TF 4A_694/2015 du 4 mai 2016, c. 2.2. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. BETTEX CHRISTIAN, Enquêtes internes, droits du dénoncé, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de juin 2016. 39 Jean-Philippe Dunand être envisagée, l’employeur doit informer à temps l’employé de son intention de le licencier en lui laissant la possibilité d’être entendu258. e) Motifs légitimes de licenciement Comme nous venons de le voir, pour qu’un licenciement soit considéré comme non abusif, l’employeur doit pouvoir se fonder sur un intérêt digne de protection, ne pas chercher à exploiter les conséquences de sa propre violation du contrat et exercer son droit de résiliation avec égards. Il en résulte, selon nous, que tout licenciement doit reposer sur une justification matérielle (motif légitime) et être notifié avec égards259. Une mauvaise exécution du contrat de travail, ainsi que des motifs économiques pertinents constituent le plus souvent un intérêt digne de protection de l’employeur260. On réservera évidemment le cas des travailleurs âgés, qui bénéficient d’une protection spécifique, ainsi que les situations dans lesquelles l’allégation de tels motifs ne constitue qu’un prétexte destiné à dissimuler un autre motif, qui serait par hypothèse abusif. Comme toujours, le juge examinera l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. – Mauvaise exécution du contrat de travail. En principe, une exécution insatisfaisante de la prestation de travail est reconnue comme valant un motif légitime de licenciement. N’est, par exemple, pas abusif le licenciement d’une collaboratrice responsable des ressources humaines, aux motifs qu’elle a délégué de manière excessive ses tâches opérationnelles et ses responsabilités, qu’elle ne s’est pas impliquée suffisamment dans la gestion courante du service et qu’elle a réparti de manière peu satisfaisante le travail entre les collaborateurs261. – Raisons économiques. Un motif économique constitue un intérêt digne de protection qui exclut généralement de considérer que le congé est abusif 262. Des motifs économiques peuvent se définir comme des motifs non inhérents à la personne du travailleur, c’est-à-dire des raisons liées à la situation économique de l’entreprise, comme sa fermeture totale ou partielle, sa restructuration ou sa rationalisation, qui rendent nécessaires la suppression ou la modification de postes de travail. En principe, la mauvaise marche des affaires, le manque de travail ou des impératifs stratégiques commerciaux constituent des motifs économiques admissibles. Pour être digne de protection, le motif économique doit dépendre d’une certaine gêne de l’employeur, ce 258 259 260 261 262 40 TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014. Sur la protection des travailleurs, cf. WYLER/HEINZER, pp. 821 ss. Voir aussi supra, p. XX. DUNAND, N 87 ad art. 336 CO. Cf. DUNAND, N 88 ad art. 336 CO. Voir aussi TC/FR du 7 mars 2018, c. 2.4, in : JAR 2019 422. TF 4A_139/2008 du 20 juin 2008, c. 4. CHANSON, pp. 76 ss. La fin du contrat de travail qui exclut la seule volonté d’augmenter les profits. L’employeur a toutefois le droit d’anticiper des difficultés prévisibles de la marche des affaires ; il n’a pas besoin d’attendre d’être dans des difficultés pour prendre les mesures de restructuration qui s’imposent263. 2. Sanction Les dispositions sur le congé abusif ne remettent pas en cause le principe de la liberté fondamentale pour chacune des parties de mettre fin unilatéralement au contrat de travail264. Ainsi, le caractère abusif d’un congé n’affecte pas sa validité et il n’y a pas, sous le régime du Code des obligations, de droit à la réintégration 265. En revanche, la victime d’un tel congé peut solliciter le paiement d’une indemnité (art. 336a al. 1 CO). Nous évoquerons la nature et le montant de cette indemnité, puis examinerons les dommagesintérêts pouvant être dus à un autre titre (que la nature abusive du congé). a) Nature de l’indemnité Le Tribunal fédéral a précisé que l’indemnité en raison du congé abusif a une double finalité, punitive et réparatrice266. Par sa fonction punitive, elle doit exercer un effet préventif, alors que par sa fonction réparatrice, elle doit atténuer pour le travailleur l’impact de la résiliation. L’indemnité n’a pas le caractère de dommages-intérêts, car elle est due même si le travailleur n’a subi ou prouvé aucun dommage. Elle revêt ainsi un caractère sui generis et s’apparente à une peine conventionnelle267. L’indemnité ne pouvant être considérée comme un revenu tiré d’une activité lucrative, elle ne fait pas partie du salaire déterminant au sens de la LAVS268 et ne donne donc pas lieu à la perception des cotisations sociales269. b) Montant de l’indemnité Le travailleur licencié de manière abusive a droit à une indemnité dont le montant est déterminé par le juge, mais correspondant au plus à six mois de son propre salaire (art. 336a al. 2 CO) ou à deux mois lorsque le congé a été donné en raison du non-respect de la procédure de consultation prévue lors de licenciements collectifs (art. 336a al. 3 CO). 263 264 265 266 267 268 269 ATF 133 III 512, c. 6.3. ATF 132 III 115, c. 2.1. TF du 12 mars 1992, c. 3, in : SJ 1993 361. ATF 132 III 115, c. 5.6 ; TF 4A_485/2017 du 25 juillet 2018, c. 4.1. ATF 123 III 391, c. 3. RS 831.10. ATF 123 V 5 ; TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 5.1. 41 Jean-Philippe Dunand Par mois de salaire, il faut comprendre le salaire brut (cf. art. 322 CO), augmenté de toutes les prestations qui ont un caractère salarial, comme la part proportionnelle du 13 e salaire, les provisions ou encore le remboursement forfaitaire des frais ayant un caractère salarial270. Il convient de se fonder sur le salaire perçu le dernier mois ou alors sur la moyenne des salaires de la dernière année271. Compte tenu des éléments qui le composent, le salaire pris en compte pour déterminer l’indemnité de licenciement abusif peut être plus élevé que le salaire horaire de base perçu par le travailleur272. Selon la loi, l’indemnité est fixée par le juge, compte tenu de toutes les circonstances (art. 336a al. 2 CO). Le juge jouit ainsi d’un large pouvoir d’appréciation (cf. art. 4 CC) qui n’est limité que dans la mesure où il ne peut allouer au maximum qu’un montant correspondant à six mois de salaire 273. Vu le caractère hybride de l’indemnité (punitive et réparatrice), les circonstances devant être prises en compte pour fixer son montant sont très diverses. Selon la jurisprudence, il faut tenir compte274 : – de la gravité de la faute de l’employeur ; – de la gravité de l’atteinte à la personnalité du travailleur ; – de l’intensité et de la durée des rapports de travail ; – des effets économiques du licenciement ; – de l’âge et de la situation personnelle du travailleur ; – des conditions existantes sur le marché du travail ; – de la situation économique des parties ; – de la qualité des appréciations obtenues par le travailleur ; – d’une éventuelle faute concomitante du travailleur licencié. En pratique, les montants alloués par les tribunaux sont d’une grande variété. Des comparaisons entre les divers cas peuvent constituer des éléments utiles d’orientation275. Lorsque le travailleur subit une atteinte à sa personnalité qui découle de son licenciement abusif, l’indemnité de l’art 336a CO comprend en principe la réparation du tort moral. En effet, vu sa finalité réparatrice, cette indemnité embrasse toutes les atteintes du travailleur qui découlent de la résiliation abusive du contrat et ne laisse donc pas de place à 270 271 272 273 274 275 42 TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 5.1. TF 4A_92/2017 du 26 juin 2017, c. 3.2.1. TF 4A_34/2019 du 15 avril 2020, c. 2.3. ATF 119 II 157, c. 2a. ATF 123 III 391, c. 3 ; ATF 123 III 246, c. 6a ; TF 4A_166/2018 du 20 mars 2019, c. 4.1 ; TF 4A_485/2017 du 25 juillet 2018, c. 4.1 et 4.3. Pour une casuistique, cf. DUNAND, N 18 ss ad art. 336a CO. La fin du contrat de travail l’application cumulative de l’art. 49 CO. Seule est réservée l’hypothèse dans laquelle l’atteinte serait à ce point grave qu’un montant correspondant à six mois de salaire du travailleur ne suffirait pas à la réparer276. c) Dommages-intérêts dus à un autre titre Selon la loi, le travailleur licencié de manière abusive est en droit de réclamer, en sus d’une indemnité pour licenciement abusif, des « dommages-intérêts qui pourraient être dus à un autre titre » (art. 336a al. 2, 2e phrase CO). Il s’agit donc de réparer un préjudice résultant d’une autre cause que celle liée au caractère abusif du congé277. Comme l’a précisé le Tribunal fédéral, le congé abusif ne fonde, en lui-même, aucune prétention supplémentaire à des dommages-intérêts, liés par exemple à une baisse de revenu lors d’une période de chômage subséquente au licenciement ; la réserve de l’art. 336a al. 2, 2e phrase CO ne concerne pas les dommages-intérêts dus sur la base d’une autre disposition, singulièrement de l’art 97 CO, mais ceux découlant d’une autre cause278. Il a, par exemple, été jugé qu’un travailleur licencié de manière abusive pouvait solliciter, en plus de l’indemnité prévue à l’art. 336a CO, le versement d’une indemnité fondée à réparer le tort moral (cf. art. 49 CO) résultant d’un harcèlement sexuel antérieur au congé ou de conditions de travail inacceptables qui ont influé sur sa santé 279. 3. Procédure L’art. 336b CO décrit la procédure à suivre par la partie qui allègue avoir été victime d’un congé abusif et qui entend demander l’indemnité fondée sur les art. 336 et 336a CO. Cette partie doit former opposition par écrit auprès de l’autre partie et agir en justice dans un délai déterminé. a) Opposition au congé par écrit Selon l’art. 336b al. 1 CO, la partie qui entend demander l’indemnité fondée sur les art. 336 et 336a CO doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé. 276 277 278 279 TF 4A_482/2017 du 17 juillet 2018, c. 4.1 ; TF 4A_607/2011 du 10 novembre 2011, c. 3 ; TF 4C.84/2005 du 16 juin 2005, c. 5.1 ; TF 4C.177/2003 du 21 octobre 2003, c. 4.1. ATF 123 III 391, c. 3c. ATF 135 III 405, c. 3.1. TF 4A_279/2008 du 12 septembre 2008, c. 4.2.1. 43 Jean-Philippe Dunand Dès lors que cette disposition pose des conditions très formalistes, il ne faut pas avoir des exigences excessives pour admettre la validité formelle de l’opposition280. Selon le Tribunal fédéral, on doit ainsi considérer comme opposition au congé toute manifestation de volonté par laquelle une partie fait connaître son désaccord avec le congé qui lui a été notifié281. En cas de doute, le juge doit rechercher le sens que l’employeur pouvait et devait raisonnablement prêter à la manifestation de volonté de la personne licenciée, en tenant compte des termes utilisés dans l’opposition, ainsi que du contexte et de l’ensemble des circonstances282. Le travailleur ne doit pas nécessairement utiliser le terme « opposition », ni motiver son opposition ou mentionner expressément qu’il considère le congé comme « abusif »283. Il suffit que l’employeur puisse comprendre, à la lecture du document, qu’il s’oppose au congé. Des formulations telles que « n’est pas d’accord », « n’accepte pas », ou indiquant que le congé est « totalement arbitraire » devraient donc être admises. Selon le Tribunal fédéral, lorsque le travailleur ne conteste dans un premier temps que les motifs du congé, puis, dans un second temps, toujours pendant le délai de congé, manifeste son opposition par écrit, l’on doit considérer qu’il a valablement formé opposition284. Dans diverses jurisprudences, les tribunaux ont considéré que les formulations choisies par le travailleur ne remplissaient pas les conditions requises285. Ne constitue, ainsi, en principe, pas une opposition valable le fait de : – s’étonner du licenciement et de faire part de sa disponibilité pour continuer le travail ; – contester les motifs du licenciement ; – ou encore, de demander la motivation du congé. Dans un arrêt rendu en 2014, notre Haute Cour a indiqué que l’employé ne pouvait se contenter de « faire opposition au motif du congé, ou aux circonstances ayant mené au congé », mais qu’il devait « manifester clairement sa volonté de vouloir poursuivre les rapports de travail »286. La portée de cette jurisprudence doit être strictement limitée aux circonstances du cas d’espèce ; l’employé s’était contenté de contester le motif du licenciement (il ne s’était pas opposé au licenciement lui-même), et avait souhaité, dans 280 281 282 283 284 285 286 44 ATF 123 III 246, c. 4c. ATF 136 III 96, c. 2 ; TF 4A_320/2014 du 8 septembre 2014, c. 3.1 ; TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 4.1.2. TF 4C.39/2004 du 8 avril 2004, c. 2.1. TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 4.1.2. TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 4.4. TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 4.1.2 ; TF 4C.233/2006 du 25 octobre 2006, c. 3.1. TF 4A_320/2014 du 8 septembre 2014, c. 3.3. La fin du contrat de travail un courrier adressé à son employeur, que les rapports de travail « se terminent dans le respect ». Comme l’a relevé dans un arrêt de 2019 la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois, il ne faut pas déduire de l’arrêt précité que le Tribunal fédéral ait entendu poser une condition supplémentaire à la validité de l’opposition, non prévue par la loi, en ce sens que, le travailleur devrait expressément offrir ses services dans son opposition. Une telle condition serait, en effet, « exorbitante », selon les termes de la Cour287. La loi exige que l’opposition soit formulée « par écrit ». Ainsi, une simple protestation verbale n’est pas suffisante, même si elle est prouvée par des témoins. La déclaration écrite prendra généralement la forme d’un courrier adressé à l’employeur par voie postale. Le travailleur licencié a intérêt, pour des raisons évidentes de sécurité juridique et de preuve, d’utiliser la forme du courrier recommandé ou du courrier A+. Il est également admis que l’opposition puisse être valablement formée par le dépôt d’une action en justice pour licenciement abusif 288. Selon l’art. 13 al. 1 CO, le contrat pour lequel la loi exige la forme écrite doit être signé par toutes les personnes auxquelles il impose des obligations. La signature électronique qualifiée est assimilée à la signature manuscrite (cf. art. 14 al. 2bis CO). La question de savoir si l’employé doit signer l’opposition, sous peine de nullité, est sujette à interprétation. Selon la jurisprudence sur l’art. 13 al. 1 CO, l’exigence de la signature a pour but d’identifier la personne qui s’oblige et de constater qu’elle reconnaît le contenu de sa déclaration289. Dans la mesure où l’opposition prévue à l’art. 336b al. 1 CO a avant tout un but informatif, on peut se demander si l’exigence d’une signature de l’opposant n’est pas superflue290. A plusieurs reprises, les tribunaux cantonaux ont fait preuve d’une certaine souplesse dans l’interprétation des règles sur la forme écrite 291. Il a, par exemple, été jugé qu’une opposition notifiée par télécopie (fax) ou par courrier électronique était admissible. Il a même été admis qu’un travailleur avait valablement formé opposition en ramenant la lettre de congé à la secrétaire de l’entreprise, dans un contexte particulier où des pourparlers avaient été entamés entre les parties. L’opposition doit être formée au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé. Le terme du contrat se calcule selon les règles légales habituelles (cf. art. 335a à 335c et 336c CO), y compris d’éventuelles règles spécifiques pouvant résulter de l’application d’un accord écrit entre les parties, d’un contrat-type ou d’une convention collective. Lorsque 287 288 289 290 291 TC/VD du 16 mai 2019, c. 4.4.1, in : JAR 2020 616. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 4 ad art. 336b CO ; WYLER/HEINZER, p. 837. TF 4A_601/2011 du 21 décembre 2011, c. 2.4.1. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 336b CO ; DUNAND, N 16 ad art. 336b CO. Cf. DUNAND, N 17 ad art. 336b CO. 45 Jean-Philippe Dunand l’employeur indique dans sa déclaration de résiliation un délai de congé supérieur au délai contractuel ou légal, l’opposition doit pouvoir être valablement formée dans ce délai plus long292. Les règles sur la motivation du congé (cf. art. 335 al. 2 CO) sont indépendantes des exigences de l’art. 336b CO293. Ainsi, l’absence de motivation du congé n’entraîne aucune prolongation du délai d’opposition294. Il est généralement admis que l’opposition est un acte soumis à réception qui doit parvenir dans la sphère d’influence de l’employeur au plus tard le dernier jour du délai de congé295. Curieusement, dans un considérant non publié de l’ATF 136 III 96, le Tribunal fédéral a toutefois laissé la question ouverte de savoir si le dépôt de l’opposition écrite auprès d’un guichet de poste le dernier jour du délai était suffisant296. Par analogie avec les règles applicables en matière de notification de la résiliation d’un contrat de travail, il faut considérer que l’opposition a été valablement notifiée au moment où elle est entrée dans la sphère de son destinataire d’une manière telle que l’on peut prévoir, selon les usages, qu’il en prendra connaissance297. Lorsque l’opposition prend la forme d’une action en justice, l’employeur doit avoir eu connaissance de l’ouverture de l’action avant l’expiration du délai de résiliation298. Le délai prévu à l’art. 336b al. 1 CO pour former opposition est un délai de péremption299. Le travailleur qui ne forme pas opposition en temps utile et dans la forme prévue perd tout droit à l’indemnité prévue à l’art. 336a CO. Le respect de ces prescriptions de forme doit être vérifié d’office par le juge. b) Action en justice Selon l’art. 336b al. 2 CO, si l’opposition (au sens de l’art. 336b al. 1 CO) est valable et que les parties ne s’entendent pas pour maintenir le rapport de travail, la partie qui a reçu le congé peut faire valoir sa prétention à une indemnité ; elle doit agir par voie d’action en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, sous peine de péremption. Si, au contraire, les parties s’accordent et conviennent de maintenir les rapports de travail, la résiliation devient caduque et le contrat de travail continue à courir300. Dans ce cas, la 292 293 294 295 296 297 298 299 300 46 DUNAND, N 18 ad art. 336b CO. WYLER/HEINZER, p. 835. STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, p. 1062 ; WYLER/HEINZER, p. 838. PORTMANN/WILDHABER, N 703 ; SUBILIA/DUC, N 6 ad art. 336b CO ; WYLER/HEINZER, p. 838. ATF 136 III 96 = TF 4A_347/2009 du 16 novembre 2009, c. 4.1. DUNAND, N 23 ad art. 336b CO ; WYLER/HEINZER, p. 838. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 4 ad art. 336b CO ; WYLER/HEINZER, p. 837. TF 4A_316/2012 du 1er novembre 2012, c. 2.1. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 7 ad art. 336b CO. La fin du contrat de travail créance d’indemnité s’éteint301. Elle s’éteint également si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation302. La procédure tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus. Ainsi, l’employé licencié reste tenu d’examiner sérieusement d’éventuelles propositions en ce sens de l’employeur303. Il n’est, en revanche, pas obligé, sous peine de perdre son droit à l’indemnité, d’engager des pourparlers avec l’employeur304. La notion de « fin du contrat » de l’art. 336b al. 2 CO est la même que celle de « fin du délai de congé » de l’art. 336b al. 1 CO. Le délai pour ouvrir action est de 180 jours de calendrier et non de six mois305. A défaut de précisions ou d’indications contraires dans la loi, nous sommes d’avis que le calcul du délai doit s’opérer selon les règles générales relatives à la computation des délais en matière d’exécution des obligations (cf. art. 132 al. 1 et 2 ; 77 et 78 CO)306. Le délai viendra ainsi à échéance le 180e jour, à minuit, qui suit la fin du contrat. Le jour du point de départ du délai, c’est-à-dire le dernier jour de validité du contrat, n’est pas compté : le premier jour est celui qui suit (cf. art. 77 al. 1 ch. 1 CO). Lorsque le dernier jour tombe sur un dimanche ou un jour férié, le délai ne prend fin que le premier jour ouvrable qui suit (cf. art. 78 al. 1 CO). L’art. 20a al. 1 LTr prescrit que le jour de la fête nationale, soit le 1er août, est assimilé au dimanche et que les cantons peuvent assimiler au dimanche huit autres jours fériés par an. La détermination des jours fériés suppose donc la prise en compte des droits cantonaux. Par ailleurs, selon l’art. 1er de la Loi fédérale sur la supputation des délais comprenant un samedi307, dans le calcul des délais légaux du droit fédéral, le samedi est assimilé à un jour férié reconnu officiellement. Il suffit que la demande en justice soit déposée auprès de l’autorité compétente le dernier jour du délai ou qu’elle soit remise à un guichet de la Poste suisse à l’adresse de l’autorité compétente le dernier jour du délai au plus tard à minuit (date du cachet postal)308. En revanche, la notification d’un commandement de payer n’est pas suffisante. 301 302 303 304 305 306 307 308 ATF 134 III 67, c. 5. TF 4A_320/2014 du 8 septembre 2014, c. 3.1. ATF 123 III 246, c. 4d. DUNAND, N 29 ad art. 336b CO. WYLER/HEINZER, p. 839. DUNAND, N 33 ad art. 336b CO. RS 173.110.3. DUNAND, N 35 ad art. 336b CO ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, p. 1065. 47 Jean-Philippe Dunand Comme le précise expressément la loi, le délai de 180 jours pour ouvrir l’action en justice est un délai de péremption (cf. art. 336b al. 2, dernière phrase CO) 309. Selon les règles générales, la péremption entraîne l’extinction du droit et le juge doit la relever d’office. En l’absence d’action en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, le droit à l’indemnité se périme définitivement. B. Résiliation en temps inopportun L’art. 336c CO traite de la résiliation en temps inopportun lorsque le congé est donné par l’employeur310. Il protège le travailleur contre le licenciement notifié avant ou pendant des périodes de protection qu’il définit. Le but est de faire bénéficier le travailleur d’un délai de congé complet, en sus des périodes de protection, pour lui permettre de chercher un autre emploi311. L’idée n’est pas tant que le travailleur ne puisse faire les démarches en vue de retrouver un nouvel emploi, mais plutôt qu’un engagement par un nouvel employeur à la fin du délai de congé ordinaire paraît hautement invraisemblable en raison de l’incertitude quant à la durée et au degré de l’incapacité de travail du travailleur312. Selon l’art. 362 CO, l’art. 336c CO fait partie des dispositions relativement impératives. Cela signifie qu’il peut y être dérogé en faveur du travailleur, notamment en prévoyant des périodes de protection supplémentaires, des périodes de protection plus longues ou l’application de la disposition déjà durant le temps d’essai313. Nous traiterons du champ d’application de l’art. 336c CO, des périodes de protection et des conséquences juridiques. 1. Champ d’application La protection de l’art. 336c CO ne s’applique pas pendant le temps d’essai. Durant ce temps, l’employeur peut donc mettre fin au contrat, même si le travailleur se trouve dans une période de protection de l’art. 336c al. 1 CO, à condition que la résiliation soit notifiée à son destinataire avant la fin du temps d’essai314. L’art. 336c CO suppose que le contrat de travail prenne fin, après le temps d’essai, par un licenciement ordinaire. Il s’applique donc aux contrats de durée indéterminée, ainsi qu’aux contrats de durée déterminée conclus pour plus de dix ans, puisqu’après dix ans, 309 310 311 312 313 314 48 ATF 134 III 67, c. 5 ; TF 4A_316/2012 du 1er novembre 2012, c. 2.3. L’art. 336d CO traite quant à lui de la résiliation en temps inopportun notifiée par le travailleur. Il ne semble guère appliqué en pratique. ATF 134 III 354, c. 3.1 ; ATF 124 III 474, c. 2a et 2b/aa ; TF 4D.6/2009 du 7 avril 2009, c. 3. ATF 128 III 212, c. 2c. AUBRY GIRARDIN, N 2 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 13 ad art. 336c CO. La fin du contrat de travail l’employeur peut y mettre fin de manière ordinaire, selon l’art. 334 al. 3 CO315. Lorsqu’un licenciement immédiat est notifié durant une période de protection, il est régi exclusivement par les art. 337 ss CO, qu’il soit justifié ou non316. Le taux d’activité du travailleur importe peu317. Par ailleurs, le fait que l’employeur a libéré le travailleur de son obligation de travailler n’entraîne pas non plus la perte de la protection de l’art. 336c CO si un cas d’application survient pendant le délai de résiliation à la suite d’un congé ordinaire318. Enfin, le Tribunal fédéral a précisé que la protection de l’art. 336c CO s’applique également dans le cas d’une fermeture d’entreprise totale ou partielle319. 2. Périodes de protection L’art. 336c al. 1 CO contient une liste exhaustive des situations donnant lieu à protection. Les parties peuvent toutefois convenir de périodes de protection supplémentaires 320. Des cumuls et chevauchements entre les périodes de protection sont possibles. a) Service obligatoire Selon l’art. 336c al. 1 let. a CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail pendant que le travailleur accomplit un service obligatoire, militaire ou dans la protection civile, ou un service civil, en vertu de la législation fédérale, ou encore pendant les quatre semaines qui précèdent et qui suivent ce service pour autant qu’il ait duré plus de onze jours (art. 336c al. 1 let. a CO). Pour bénéficier de cette protection, le travailleur doit avoir effectué un service obligatoire au sens de la législation fédérale. Tel est par exemple le cas de l’école de recrues ou d’un cours de répétition, mais non d’un service volontaire, comme un cours de sport321. b) Incapacité de travail Selon l’art. 336c al. 1 let. b CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d’une maladie ou d’un accident non imputables à la faute du travailleur, et cela : – durant 30 jours au cours de la première année de service ; 315 316 317 318 319 320 321 AUBRY GIRARDIN, N 11 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 14 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 12 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 12 ad art. 336c CO. ATF 124 III 346, c. 1 et 2. AUBRY GIRARDIN, N 19 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 20 ad art. 336c CO. 49 Jean-Philippe Dunand – durant 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service ; – durant 180 jours à partir de la sixième année de service. Le critère déterminant porte sur l’inaptitude, même partielle322, du travailleur à exécuter sa prestation de travail. L’existence d’une maladie ou d’un accident ne suffit pas pour entraîner la protection prévue à l’art. 336c al. 1 let. b CO323. En cas d’incapacité partielle, le délai de protection n’est pas prolongé proportionnellement au degré d’incapacité324. Les jours d’incapacité sont des jours calendaires et non nécessairement des jours de travail. La protection est donc assurée sans égard au fait que l’incapacité survienne un jour ouvrable ou férié325. On peut réserver deux cas particuliers qui, à teneur de la jurisprudence, sont de nature à priver le travailleur de la protection contre le congé en temps inopportun. La première hypothèse est celle d’une atteinte à la santé et d’une incapacité de travail tellement insignifiantes qu’elles ne peuvent en rien empêcher le travailleur d’occuper son poste de travail ou un nouvel emploi326. La deuxième hypothèse est plus délicate. Allant à l’encontre d’une jurisprudence bien établie327, un arrêt du Tribunal fédéral de 2016 laisse entendre qu’une incapacité de travail limitée à un rapport de travail déterminé n’entraîne pas l’application de l’art. 336c CO328. Cela concerne principalement le cas des travailleurs qui, pour des raisons psychiques, sont incapable de travailler au service de leur employeur (conflits de travail, mobbing), mais dont un médecin estime qu’ils sont aptes à travailler au service d’un autre employeur potentiel. La doctrine est très divisée sur l’exclusion de la protection de l’art. 336c CO329. On peut certainement nourrir certains doutes quant à la portée de l’arrêt de 2016, faute pour le Tribunal fédéral d’avoir motivé un tel revirement de jurisprudence330. La question est importante car l’on constate une pratique croissante dans la délivrance d’expertises médicales ou de certificats médicaux, le plus souvent par les médecins-conseils de l’assureur perte de gain, qui concluent à une incapacité de travail limitée à la place de 322 323 324 325 326 327 328 329 330 50 ATF 128 III 212, c. 2c. AUBRY GIRARDIN, N 26 ad art. 336c CO. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 300. WYLER/HEINZER, p. 856. ATF 128 III 212, c. 2c ; TF 4A_227/2009 du 28 juillet 2009, c. 3.2. Cf. TF 4A_2/2014 du 19 février 2014, c. 3.2 ; TF 2C.2/2000 du 4 avril 2003, c. 3.1. TF 4A_391/2016 du 8 novembre 2016, c. 5.2. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. GLOOR WERNER, L’incapacité de travail limitée à la place de travail, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de février 2017. En faveur de l’exclusion : STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, pp. 1083 s ; WYLER/HEINZER, pp. 859 ss. En défaveur de l’exclusion : GEISER, pp. 198 ss ; GLOOR, L’incapacité, pp. 174 ss. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 301. La fin du contrat de travail travail, parfois appelée « incapacité à géométrie variable »331. On peine à croire, par exemple, qu’un travailleur incapable de travailler au service de son employeur en raison de troubles psychiques ait les ressources pour chercher un nouvel emploi, négocier des conditions de travail acceptables, et débuter sereinement une nouvelle activité. Selon la loi, l’incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un accident doit être non fautive. La notion de faute imputable au travailleur est interprétée restrictivement : seule une faute grave justifie la suppression de la protection332. La protection ne couvre pas nécessairement toute la durée de l’incapacité résultant d’une maladie ou d’un accident. Elle vaut, en effet, pendant une durée limitée qui augmente avec la durée des rapports de travail, selon les trois paliers indiqués dans la loi. Passés les délais de protection, le travailleur peut être licencié, même s’il se trouve toujours en incapacité de travail333. La première année de service débute avec la prise de fonction effective, indépendamment de la date de la conclusion du contrat de travail334. Le calcul de l’ancienneté s’effectue en fonction du temps écoulé entre la date de l’entrée en service et le premier jour de l’incapacité335. Chaque année de service, même incomplète, compte pour une année 336. Si l’incapacité de travail, qui a commencé durant la première année de service, empiète sur la deuxième année de service, c’est la période de protection prévue dès la deuxième année de service, soit 90 jours, qui s’applique à cette incapacité de travail. Le même principe vaut évidemment, mutatis mutandis, pour une incapacité de travail chevauchant les cinquième et sixième années de service. Pour que la protection plus favorable s’applique, il faut toutefois que le délai de congé suspendu en vertu de l’art. 336c al. 2 CO, mais non la prolongation dudit délai résultant de l’application de l’art. 336c al. 3 CO, arrive à échéance durant la nouvelle année de service337. C’est au travailleur qu’il incombe d’apporter la preuve de l’empêchement de travailler (cf. art. 8 CC)338. En cas de maladie ou d’accident, le travailleur a le plus souvent recours à un certificat médical. Celui-ci se définit comme un document destiné à prouver 331 332 333 334 335 336 337 338 NOVIER, pp. 104 ss ; SAVIOZ NICOLE, pp. 242 ss. AUBRY GIRARDIN, N 25 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 30 ad art. 336c CO. AUBRY GIRARDIN, N 28 ad art. 336c CO. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 300. WYLER/HEINZER, p. 861. ATF 133 III 517, c. 3.3. TF 4A_276/2014 du 25 février 2015, c. 2.3. 51 Jean-Philippe Dunand l’incapacité de travailler d’un patient pour des raisons médicales. Le certificat médical ne constitue toutefois pas un moyen de preuve absolu339. Il importe peu que l’employeur n’ait pas été au courant de la maladie ou de l’accident à l’origine de l’incapacité de travail, ni du reste que le travailleur en soit lui-même conscient pour que la protection s’applique. En effet, l’application de cette disposition légale n’est pas subordonnée à une connaissance de la situation réelle340. En vertu de son devoir de fidélité (cf. art. 321a al. 1 CO), le travailleur est toutefois tenu d’informer rapidement l’employeur de son état341. Cependant, un retard dans cette information ne lui fera en principe pas perdre le bénéfice de la protection, sous réserve de circonstances tout à fait exceptionnelles relevant de l’abus de droit (cf. art. 2 al. 2 CC)342. c) Grossesse et maternité Selon l’art. 336c al.1 let. c CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail pendant la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l’accouchement. Le facteur déterminant est l’état de grossesse de l’employée343. Il n’est pas nécessaire que la grossesse entraîne une incapacité de travail. La protection commence au jour de la conception, qui coïncide selon le Tribunal fédéral avec la fécondation naturelle de l’ovule et non avec son implantation344. La fécondation se calcule généralement en ajoutant 14 jours à la date des dernières règles. La protection se prolonge de seize semaines à partir de l’accouchement, sans que la loi n’exige que l’enfant naisse vivant ni qu’il survive pendant cette période. Encore faut-il qu’il y ait accouchement et non fausse-couche pour que la protection de seize semaines puisse courir. Si la grossesse se termine par une faussecouche, l’incapacité de travail de l’employée qui suit la fausse-couche tombe sous le coup de l’art. 336c al. 1 let. b CO345. La protection s’applique même si l’employée ignore sa grossesse et/ou que l’employeur n’en est pas informé au moment du licenciement. Le droit suisse n’impose aucun délai à 339 340 341 342 343 344 345 52 TF 8C_619/2014 du 13 avril 2015, c. 3.2.1 ; TF 4C.346/2004 du 15 février 2005, c. 4.1 ; NOVIER, pp. 125 ss. ATF 128 III 212, c. 2c. TF 4A_521/2016 du 1er décembre 2016, c. 3.5 ; NOVIER, pp. 112 ss. TF 4C.346/2004 du 15 février 2005, c. 5.1. Sur ces questions, cf. WYLER/HEINZER, pp. 856 ss. ATF 136 III 562, c.3. ATF 143 III 21, c. 2. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. PERRENOUD STÉPHANIE, Protection contre le licenciement en temps inopportun en cas de maternité – début de la grossesse, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de mars 2017. AUBRY GIRARDIN, N 34 ad art. 336c CO. La fin du contrat de travail celle-ci pour annoncer qu’elle est enceinte346. En particulier, il n’existe aucune obligation de la femme d’annoncer sa grossesse à un futur employeur lors de la phase précontractuelle, ni durant le temps d’essai347. Même si le devoir de fidélité commande à l’employée de ne pas taire trop longtemps son état, on ne peut subordonner la protection de l’art. 336c al. 1 let. c CO à l’exigence que l’employeur ait été informé à bref délai de la grossesse. A l’instar de la maladie ou de l’accident, il faut réserver les situations constitutives d’un abus de droit348. d) Prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident Selon l’art. 336c al.1 let. cbis CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail tant que dure le droit au congé de prise en charge visé à l’art. 329h CO, pour une période maximale de six mois à compter du jour où le délai-cadre commence à courir. Ce nouveau cas de protection, qui entre en vigueur le 1er juillet 2021, est issu de l’adoption par l’Assemblée fédérale, en date du 20 décembre 2019, de la Loi fédérale sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches349. Les nouvelles dispositions accordent un congé de 14 semaines pour la prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident aux parents qui travaillent (art. 329h al. 1 CO). Indemnisé par le régime des allocations pour perte de gain, ce congé peut être pris en l’espace d’un délai-cadre de 18 mois (art. 329h al. 2 CO), en une fois ou sous la forme de journées (art. 329h al. 2 CO). Si les deux parents travaillent, chacun a droit à un congé de prise en charge de sept semaines au plus. Ils peuvent convenir de se partager le congé de manière différente (art. 329h al. 3 CO). Dans tous les cas, l’employeur doit être informé sans délai des modalités selon lesquelles le congé est pris et de tout changement (art. 329h al. 5 CO). e) Services d’aide à l’étranger Selon l’art. 336c al. 1 let. d CO, après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail pendant que le travailleur participe, avec l’accord de l’employeur, à un service d’aide à l’étranger ordonné par l’autorité fédérale. La protection vise plus 346 347 348 349 ATF 135 III 349, c. 2.1. TF 4A_594/2018 du 6 mai 2019, c. 5.1.2. ATF 135 III 349, c. 3. Cf. FF 2019 3941 et 8195. 53 Jean-Philippe Dunand particulièrement un service international de coopération au développement ou d’aide humanitaire350. f) Cumul et chevauchement de périodes de protection Chaque situation qui ne présente pas de lien avec un épisode préalable couvert par l’art. 336c al. 1 CO fait courir une protection indépendante l’une de l’autre. Par conséquent, plusieurs périodes de protection peuvent se cumuler ou se chevaucher. La jurisprudence admet autant le cumul interlittéral que le cumul intralittéral351. Le cumul interlittéral concerne les situations où différentes lettres de l’art. 336c al. 1 CO confèrent une protection. Par exemple, une employée subit une incapacité de travail due à une maladie pendant 20 jours. Le 15e jour de cette incapacité de travail, elle devient enceinte. Il existe alors un cumul interlittéral, qui concerne les lettres b et c de l’art. 336 al. 1 CO. Quant au cumul intralittéral, il concerne la situation où différents épisodes inopportuns sont régis par une même lettre de l’art. 336c al. 1 CO. Un tel cumul se rencontre le plus souvent en relation avec la lettre b. Il implique que si des maladies et/ou accidents se recoupent ou se succèdent, chaque nouvelle incapacité de travail en découlant ouvre une nouvelle période de protection352. Pour qu’une nouvelle période de protection s’ajoute à la précédente, il faut toutefois être en présence d’un nouveau cas et pas seulement de la continuation d’une situation ayant déjà donné lieu à protection353. Il revient au travailleur de prouver l’absence de lien entre les deux cas médicaux354. Une rechute ou une aggravation de la même maladie ou les séquelles d’un même accident n’entraînent pas de cumul et ne donnent droit à une suspension du délai de congé qu’à condition que la protection de l’art. 336c al. 2 CO n’ait pas été entièrement épuisée par la maladie ou l’accident initial355. Dans le cas de l’art. 336c al. 1 let. b CO, le travailleur bénéficie donc d’un crédit en jours par cas de protection. On additionnera les différentes absences jusqu’à ce que le délai de protection soit épuisé356. Le Tribunal fédéral a précisé que lorsque les pathologies physiques et/ou psychiques sont liées de façon suffisamment étroite, en l’espèce, troubles psychiatriques liés à des troubles coronariens et à une tumeur cérébrale, la relation de causalité exclut l’ouverture d’un 350 351 352 353 354 355 356 54 AUBRY GIRARDIN, N 35 ad art. 336c CO. ATF 120 II 124, c. 3d ; TF 4A_117/2007 du 4 août 2017, c. 2.1 ; TF 8C_826/2015 du 21 septembre 2016, c. 3.3.1. ATF 124 III 474, c. 2b ; ATF 120 II 124, c. 3d. ATF 120 II 124, c. 3d-e. TF 4A_127/2007 du 13 septembre 2007, c. 5.3. TF 4A_127/2007 du 13 septembre 2007, c. 5.3. WYLER/HEINZER, p. 863. La fin du contrat de travail nouvel épisode de protection. Notre Haute Cour a toutefois indiqué qu’il fallait se garder d’exigences trop absolues qui subordonneraient l’octroi d’un nouveau délai de protection à l’absence de tout lien quel qu’il soit entre le nouvel épisode maladif et l’épisode antérieur, ou feraient entièrement abstraction du poids respectif des différents facteurs d’incapacité de travail357. Relevons encore que lorsque deux hypothèses de protection se succèdent (chevauchement de périodes de protection), elles courent parallèlement, de sorte que chaque période est calculée en fonction de l’incapacité y relative, sans égard à l’autre358. Ainsi, la seconde période commence à courir dès que les conditions de sa naissance sont remplies, même si le travailleur bénéficiait encore d’une période de protection précédemment ouverte359. 3. Conséquences juridiques L’art. 336c al. 1 et 3 CO traite de la protection contre le congé donné en temps inopportun. La loi distingue les effets juridiques suivant que le congé a été donné pendant ou avant une période de protection. Dans les deux cas, les droits et obligations des parties subsistent. a) Congé notifié pendant une période de protection Lorsque le congé est notifié pendant une des périodes de protection prévues à l’art. 336c al. 1 CO, il est nul (art. 336c al. 2, 1ère phrase CO). Le moment déterminant est celui de la notification du congé360. Celui-ci ne produit aucun effet juridique et ne peut être converti en une résiliation valable361. L’employeur qui persiste dans son intention de mettre fin au contrat de travail doit donc notifier un nouveau congé une fois la période de protection achevée362. Une simple référence relative à la résiliation nulle ne suffit pas363. Il peut arriver qu’un employé qui se voit notifier son licenciement, consulte le jour même un médecin de manière à obtenir un certificat médical constatant une incapacité de travail. Dans un cas où le travailleur ne présentait un matin aucun signe d’incapacité, mais qui a été pris d’un malaise après avoir reçu son licenciement, le Tribunal fédéral a considéré que le certificat médical délivré par un médecin dans l’après-midi n’attestait que d’une 357 358 359 360 361 362 363 TF 4A_706/2016 du 4 août 2017 c. 2-4. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. DONATIELLO GIUSEPPE, Cumul des périodes de protection en cas de nouvel épisode maladif, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de novembre 2017. WYLER/HEINZER, p. 864. WITZIG, N 724. ATF 113 II 259, c. 2. ATF 128 III 212, c. 3a. ATF 128 III 212, c. 3a. GÉTAZ KUNZ, p. 312. 55 Jean-Philippe Dunand incapacité postérieure (de quelques heures) à la notification du congé. Dans de telles circonstances, la résiliation, n’étant pas intervenue en temps inopportun, était valable364. Le congé devait être traité comme ayant été notifié avant une période de protection (suspension du délai de congé)365. Il arrive, par ailleurs, que le médecin consulté le jour du licenciement ou peu de jours après établisse un certificat médical rétroactif, sur la base des déclarations de son patient, destiné à attester d’une incapacité de travail antérieure au licenciement. De cette manière, le congé notifié serait nul. La valeur d’un tel certificat doit être admise avec réserve366. b) Congé notifié avant une période de protection Lorsque le congé a été notifié avant l’une des périodes de protection prévues à l’art. 336c al. 1 CO, si le délai de congé n’a pas expiré avant cette période, ce délai est suspendu et ne continue à courir qu’après la fin de cette période (art. 336c al. 2, 2e phrase CO). La résiliation est valable et l’employeur n’a pas à la renouveler367. Mais le délai de congé est donc prolongé, et éventuellement reporté au prochain terme (art. 336c al. 3 CO). La période de protection porte sur la durée fixée par la loi pour les lettres a, c et d et correspond, pour la lettre b, à la durée de l’incapacité de travail, mais au maximum à la durée fixée par la loi en fonction des années de services (30, 90 ou 180 jours)368. Pour la prise en charge d’un enfant gravement malade ou victime d’un accident, la période de protection existe tant que dure le droit au congé de prise en charge, pour une durée maximale de six mois à compter du jour où le délai-cadre commence à courir (lettre cbis). Dans tous ces cas, la suspension n’est pas limitée aux jours ouvrables et vaut aussi si l’incapacité de travail survient pendant les jours fériés369. La protection conférée à l’art. 336c al. 2 CO consiste à offrir un délai de congé complet au travailleur en suspendant l’écoulement de ce délai pendant une période de protection au sens de l’al. 1370. L’écoulement du délai n’est suspendu que durant le délai légal ou conventionnel de congé proprement dit. Le délai de préavis n’est donc pas pris en compte371. Ainsi, pour déterminer la période de protection, il faut procéder à un calcul rétroactif et partir, non pas de la résiliation, mais de l’échéance du contrat372. La ratio legis 364 365 366 367 368 369 370 371 372 56 TF 4A_89/2011 du 27 avril 2011, c. 3. WYLER/HEINZER, p. 859. NOVIER, pp. 101 ss ; SUBILIA/DUC, N 26 ad art. 336c CO ; WYLER/HEINZER, p. 858. WYLER/HEINZER, p. 870. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 13 ad art. 336c CO. TF 4D_6/2009 du 7 avril 2009, c. 3. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 426. AUBRY GIRARDIN, N 40 ad art. 336c CO. ATF 134 III 354, c. 2 et 3 ; ATF 115 V 437, c. 2c et 3. La fin du contrat de travail de ce système vient de la nécessité de protéger le travailleur pendant le délai de congé exclusivement373. Prenons l’exemple suivant : un licenciement est notifié durant la première année de service le 4 avril pour le 31 mai (délai de congé d’un mois). Le délai de congé, calculé rétroactivement va du 1er au 31 mai. Le mois de mai correspond à la période de protection, qui ne couvre pas le laps de temps entre le 4 et le 30 avril. Dès lors, une incapacité de travail qui survient par exemple entre le 10 et le 30 avril n’entraîne aucune suspension du délai de congé. Lorsque l’employeur notifie un congé, avec un délai de résiliation plus long que celui prévu par le contrat, le délai de congé minimum est seul déterminant sous l’angle d’une résiliation en temps inopportun au sens de l’art. 336c CO ; ainsi, le temps écoulé entre le début du délai de congé ouvert par la résiliation et le début du mois où commence le délai de congé minimum ne compte pas374. Selon l’art. 336c al. 3CO, lorsque les rapports de travail doivent cesser à un terme (selon le régime légal ou contractuel), tel que la fin d’un mois ou d’une semaine de travail, et que ce terme ne coïncide pas avec la fin du délai de congé qui a recommencé à courir, ce délai est prolongé jusqu’au prochain terme. Ce délai supplémentaire tend à faciliter concrètement aux deux parties, respectivement un changement d’emploi et le remplacement du travailleur congédié375. Lorsque la maladie, l’accident ou la rechute tombent durant le délai supplémentaire prévu par l’art. 336c al. 3 CO, le travailleur n’a pas droit à une nouvelle suspension. Peu importe que l’incapacité soit due à une cause nouvelle ou à une rechute376. Selon la jurisprudence, il ne serait pas raisonnable de reporter sur l’employeur, durant ce délai supplémentaire également, le risque d’une nouvelle incapacité de travail, la suspension prévue à l’art. 336c al. 2 CO pouvant déjà conduire à une prolongation importante du délai de congé 377. Enfin, lorsque l’application de l’art. 336c al. 3 CO a pour effet d’empiéter sur une nouvelle année de service, l’éventuel délai de protection plus long de la nouvelle année de service ne s’applique pas378. 373 374 375 376 377 378 DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 302. ATF 119 II 449, c. 3b. ATF 124 III 474, c. 2a. WYLER/HEINZER, p. 864. ATF 124 III 474, c. 2. ATF 133 III 517, c. 3.3. 57 Jean-Philippe Dunand c) Effets de la prolongation du contrat de travail Que le congé soit nul ou le délai de congé suspendu, les obligations des parties subsistent et les règles sur la demeure restent applicables379. Durant la prolongation des rapports de travail en vertu des art. 336c al. 2 et 3 CO, les droits et obligations des parties sont les mêmes que pendant le reste des rapports de travail. L’employeur doit donc verser le salaire au travailleur si ce dernier travaille effectivement, s’il est empêché sans sa faute de travailler (dans les limites de l’art. 324a CO) ou encore si l’employeur est en demeure (cf. art. 324 CO)380. Le droit au salaire suppose que l’employé a exécuté sa prestation de travail, offert en vain ses services (cf. art. 324 CO) ou, pour un temps limité, s’en est trouvé empêché ou en droit de s’en dispenser (cf. art. 324a CO)381. Le travailleur qui a recouvré sa capacité de travail doit offrir ses services sous peine d’être en demeure382. Il n’est en revanche pas tenu de le faire lorsque l’employeur l’a libéré de l’obligation de travailler jusqu’au terme du congé ou lorsqu’il n’aurait de toute manière pas accepté la prestation de travail offerte383. On réservera la situation dans laquelle les rapports de travail ont été prolongés sur une longue période, par le biais de l’art. 336c CO. Ainsi, une femme, qui a été libérée de son obligation de travailler durant le délai de congé, et qui annonce ensuite sa grossesse pendant ce délai, qui entraîne une prolongation des rapports de travail de plus d’une année, doit annoncer le recouvrement de sa capacité de travail, car il convient d’offrir l’opportunité à l’employeur d’occuper à nouveau l’employée384. C. Résiliation immédiate injustifiée notifiée par l’employeur L’art. 337c CO confère une protection au travailleur qui a été licencié immédiatement de manière injustifiée. Avant de traiter des conséquences juridiques d’une telle résiliation (sous-section 2), nous examinerons les conditions d’une résiliation immédiate justifiée (sous-section 1). 1. Conditions d’une résiliation immédiate justifiée Comme nous l’avons déjà indiqué, la résiliation avec effet immédiat constitue une mesure exceptionnelle (ultima ratio) qui ne doit être admise que de manière restrictive385. Pour 379 380 381 382 383 384 385 58 AUBRY GIRARDIN, N 43 ad art. 336c CO. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 16 ad art. 336c CO. TF 4A_297/2017 du 30 avril 2018, c. 3.2.2. ATF 135 III 349, c. 4.2 ; TF 4C.155/2006 du 23 octobre 2006, c. 5.2. TF 4C.155/2006 du 23 octobre 2006, c. 5.2 ; FULD, p. 145. TF 4A_464/2018 du 18 avril 2019, c. 4.2.1. ATF 137 III 303.c. 2.1.1 ; TF 4A_225/2018 du 6 juin 2019, c. 4.1. Cf. supra, p. XX. La fin du contrat de travail être justifiée, elle doit reposer sur deux conditions cumulatives, l’existence de justes motifs, d’une part, et l’immédiateté de la réaction dès la connaissance de ces motifs, d’autre part. a) Justes motifs Selon l’art. 337 al. 2 CO, sont notamment considérés comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail. Le juge apprécie librement l’existence de justes motifs, mais en aucun cas il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler (art. 337 al. 3 CO). L’existence ou non d’un juste motif ne s’apprécie pas dans l’abstrait, mais pour une relation de travail déterminée. Le même fait peut constituer un juste motif dans une relation de travail donnée mais pas dans une autre386. C’est à l’employeur qui entend se prévaloir de justes motifs de licenciement immédiat de démontrer leur existence (justes motifs, avertissements, immédiateté)387. Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de manière restrictive 388. Seul un manquement particulièrement grave de l’autre partie peut justifier une telle mesure389. Relève typiquement du manquement grave la commission d’une infraction pénale au détriment de l’autre partie, le refus persistant d’exécuter la prestation de travail ou une violation grave des directives de l’employeur390. Si le manquement est moins grave (par exemple, arrivées tardives ou courtes absences injustifiées), il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement391. Par manquement, on entend généralement la violation d’obligations contractuelles ou légales, en particulier, l’obligation de diligence et de fidélité (cf. art. 321a CO)392. Le manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être 386 387 388 389 390 391 392 BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 7 ad art. 337 CO ; GLOOR, N 25 ad art. 337 CO. TF 4A_485/2016 du 28 avril 2017, c. 2.1 ; TF 4C.303/2005 du 1er décembre 2005, c. 2.1 ; GLOOR, N 71 ad art. 337 CO. ATF 137 III 303, c. 2.1.1. ATF 142 III 579, c. 4.2. Pour des casuistiques illustratives, cf. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 8 ad art. 337 CO ; FAVRE MOREILLON, pp. 221 ss ; GLOOR, pp. 745 ss ; WYLER/HEINZER, pp. 724 ss. ATF 130 III 213, c. 3.1 ; ATF 127 III 310, c. 3. ATF 137 III 303, c. 2.1.1 ; ATF 130 III 28, c. 4.1. 59 Jean-Philippe Dunand exigée (gravité objective) ; de surcroît, il doit avoir abouti à un tel résultat (gravité subjective)393. L’avertissement a une double fonction : reproche et mise en garde pour le futur394. Selon la jurisprudence, l’avertissement exigé en cas de manquement de gravité moyenne ou légère ne doit pas nécessairement comporter dans chaque cas une menace expresse de résiliation immédiate. Il n’en demeure pas moins qu’en avertissant le travailleur, l’employeur doit clairement lui faire comprendre qu’il considère le comportement incriminé comme inadmissible et que sa répétition ne restera pas sans sanction ; le travailleur doit savoir quelle attitude ne sera plus tolérée à l’avenir395. Ceci dit, l’on ne saurait poser des règles rigides sur le nombre et le contenu des avertissements dont le nonrespect, par le travailleur, est susceptible de justifier un licenciement immédiat. Sont décisives les circonstances concrètes, notamment la nature et la gravité des manquements, leur fréquence ou leur durée, de même que l’attitude du travailleur face aux injonctions ou menaces formulées à son encontre396. Selon l’art. 337 al. 3 ab initio CO, le tribunal apprécie librement l’existence de justes motifs en application des règles du droit et de l’équité (cf. art. 4 CC). A cette fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position du travailleur, la nature et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des manquements397. La position de l’employé, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté398. La durée restant à courir avant la fin du délai de congé ordinaire399, ainsi que le montant du salaire400 peuvent également être pris en considération. Alors que la détermination du motif du congé est une question de fait, la conclusion que la résiliation repose sur de justes motifs relève du droit401. Si le juge apprécie librement l’existence de justes motifs, la loi lui interdit dans tous les cas de considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler (art. 337 al. 3 in fine CO). Selon le Tribunal fédéral, s’agissant de déterminer l’existence d’un tel empêchement, il convient d’appliquer les mêmes principes que ceux posés en matière de licenciement en temps inopportun et de se fonder uniquement sur les 393 394 395 396 397 398 399 400 401 60 ATF 142 III 579, c. 4.2 ; ATF 129 III 380, c. 3.1 ; GLOOR, N 21 ad art. 337 CO. TF 4A_288/2016 du 26 septembre 2016, c. 4.4. TF 4A_188/2014 du 8 octobre 2014, c. 2.3 ; TF 4C.10/2007 du 30 avril 2007, c. 2.1. ATF 127 III 153, c. 1c. ATF 130 III 28, c. 4.1 ; ATF 127 III 351, c. 4a. ATF 130 III 28, c. 4.1 ; TF 4A_569/2010 du 14 février 2011, c. 2.1. ATF 142 III 579, c. 4.2 ; TF 4C.95/2004 du 28 juin 2004, c. 2. TF 4A_723/2011 du 5 mars 2012, c. 4. ATF 136 III 513, c. 2.3 ; TF 4A_419/2015 du 19 février 2016, c. 2.1.1. La fin du contrat de travail circonstances objectives. Pour retenir ou écarter le fait que l’employé se trouvait, sans sa faute, empêché de travailler au moment où son congé lui a été notifié, il convient donc de se fonder sur la situation réelle du travailleur ; ce que savait ou ignorait son employeur apparaît indifférent. C’est la situation réelle qui prévaut, quand bien même elle ne serait établie que postérieurement à la résiliation des rapports de travail402. Une autre question délicate est de déterminer dans quelle mesure l’employeur peut invoquer des soupçons (faits non établis) pour fonder des justes motifs 403. Selon la jurisprudence, le licenciement immédiat est justifié lorsque l’employeur résilie le contrat sur la base de soupçons et parvient ensuite à établir les circonstances à raison desquelles le rapport de confiance entre les parties doit être considéré comme irrémédiablement rompu. En revanche, si les soupçons se révèlent infondés, l’employeur doit supporter les conséquences de l’absence de preuve ; le licenciement immédiat sera alors généralement considéré comme injustifié, sauf circonstances particulières, notamment lorsque l’employé a empêché la manifestation de la vérité de façon déloyale 404. C’est donc ici également la situation réelle qui prévaut, même si elle n’est établie que postérieurement à la notification de la résiliation des rapports de travail405. En toutes hypothèses, le licenciement ne peut jamais être justifié si les soupçons portent sur des actes de gravité insuffisante ou si l’employeur n’a pas entrepris toutes les démarches qu’on pouvait exiger de lui pour vérifier le bien-fondé des soupçons406. En principe, l’employeur doit offrir à la personne mise en cause la possibilité d’exprimer son point de vue407. Selon la jurisprudence, sous certaines conditions restrictives, l’employeur peut, pour justifier un licenciement immédiat, se prévaloir d’une circonstance qui existait au moment de la notification du licenciement, mais qu’il ne connaissait pas et qu’il ne pouvait connaître. Il peut même s’agir d’un motif qui n’est pas similaire ni de même nature que celui indiqué pour justifier la résiliation408. Il faut se demander, dans un tel cas, si les circonstances antérieures, non invoquées au moment du licenciement immédiat, auraient pu conduire l’employeur, s’il les avait connues, à conclure que le rapport de confiance était 402 403 404 405 406 407 408 TF 4C.413/2004 du 10 mars 2005, c. 2.2. Cf. WYLER/HEINZER, pp. 718 ss. TF 4A_251/2015 du 6 janvier 2016, c. 3.2.3 ; TF 4C.325/2000 du 7 février 2001, c. 2a. TF 4C.413/2004 du 10 mars 2005, c. 2.2. TF 4A_419/2015 du 19 février 2016, c. 2.1.2. GLOOR, N 56 ad art. 337 CO ; WYLER/HEINZER, p. 721. ATF 142 III 579, c. 4.2-3 (pour un commentaire de cet arrêt, cf. WITZIG AURÉLIEN, L’ajout de motifs en cas de licenciement immédiat, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de septembre 2016) ; AUBERT, N 14 ad art. 337 CO. 61 Jean-Philippe Dunand rompu. En revanche, des faits postérieurs au licenciement immédiat ne peuvent être invoqués comme justes motifs du licenciement contesté409. Il existe parfois des situations confuses, notamment lorsque le travailleur n’exécute pas sa prestation de travail. Le tribunal doit alors déterminer si ce dernier a cessé de travailler en raison d’un licenciement immédiat, ou alors, s’il a abandonné son emploi410. Il y a abandon d’emploi au sens de l’art. 337d al. 1 CO, lorsque le travailleur quitte son poste abruptement sans justes motifs. L’application de cette disposition suppose un refus conscient, intentionnel et définitif d’exécuter sa prestation de travail411. Dans ce cas, le contrat de travail prend fin immédiatement, sans que l’employeur doive adresser au travailleur une résiliation immédiate de son contrat412. Lorsque les conditions d’un abandon d’emploi ne sont pas réunies (par exemple, refus non définitif de travailler), l’employeur peut reprocher au travailleur un manquement et l’avertir qu’en cas de récidive, son comportement risque d’entraîner une résiliation avec effet immédiat413. Le fardeau de la preuve que l’employé a entendu abandonner son emploi incombe à l’employeur414. b) Réaction immédiate Selon la jurisprudence, la partie qui veut résilier le contrat de travail avec effet immédiat doit agir sans tarder à compter du moment où elle a connaissance d’un juste motif de licenciement, sous peine de forclusion. Si elle tarde à agir, elle donne à penser qu’elle a renoncé au licenciement immédiat, respectivement qu’elle peut s’accomoder de la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat415. Les circonstances du cas concret déterminent le laps de temps dans lequel l’on peut raisonnablement attendre de l’intéressé qu’il prenne la décision de résilier le contrat avec effet immédiat. De manière générale, la jurisprudence considère qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements nécessaires. Les week-ends et les jours fériés ne sont pas pris en considération. Un délai supplémentaire est toutefois toléré s’il se justifie par les exigences de la vie quotidienne et économique ; l’on peut ainsi admettre une prolongation de quelques jours lorsque la décision doit être prise par un organe polycéphale au sein d’une personne morale (conseil 409 410 411 412 413 414 415 62 ATF 127 III 310, c. 4a ; ATF 124 III 25, c. 3c ; ATF 121 III 467, c. 5a. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 440. ATF 121 V 277, c. 3a. TF 4C.303.2005 du 1er décembre 2005, c. 2.2. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, N 441. TC/VD du 14 juin 2019, c. 4.2, in : JAR 2020 629. ATF 138 I 113, c. 6.3.1 ; ATF 127 III 310, c. 4b. Sur la thématique, cf. DUNAND, Le délai, pp. 131 ss. La fin du contrat de travail d’administration, par exemple), lorsqu’il faut entendre le représentant de l’employé ou attendre le retour de vacances de celui-ci416. Il faut par ailleurs distinguer selon que l’état de fait est clair ou qu’il appelle des éclaircissements. Dans ce dernier cas, il faut tenir compte du temps nécessaire pour élucider les faits, étant entendu que l’employeur qui soupçonne concrètement l’existence d’un juste motif doit prendre immédiatement et sans discontinuer toutes les mesures qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour clarifier la situation417. S’il s’agit de déterminer l’ampleur des manquements, le délai de réflexion ne court pas avant que cela n’ait été fait. Si le reproche est d’emblée clair et qu’il s’agit uniquement d’en vérifier le bien-fondé, la partie qui entend résilier avec effet immédiat peut déjà songer pendant cette phase à ce qu’elle entreprendra s’il est avéré. On peut donc exiger d’elle qu’elle résilie le contrat sitôt que l’état de fait est établi, sans qu’il lui soit encore concédé un délai de réflexion supplémentaire418. Si les violations sont multiples et durables, le délai ne commence pas à courir tant que leur cumul ou, si gradation il y a, l’une d’entre elles n’a pas atteint la gravité objective nécessaire pour être qualifiée de juste motif 419. Un cas singulier a donné lieu à une jurisprudence spécifique. Il s’agissait d’un travailleur qui n’avait jamais vraiment exécuté sa prestation de travail (violation constante de son obligation de travailler). Le Tribunal fédéral a considéré que dans un tel cas de figure, il convenait de raisonner en s’inspirant de la jurisprudence pénale en relation avec le point de départ du délai de prescription des délits continus. En substance, notre Haute Cour a estimé que le délai de péremption du droit d’invoquer le juste motif de congé n’avait pas commencé à courir avant la rupture du lien contractuel résultant du licenciement avec effet immédiat du travailleur 420. 2. Conséquences juridiques d’une résiliation immédiate injustifiée Nous l’avons vu, la nature injustifiée d’une résiliation immédiate n’empêche pas que les rapports de travail cessent en fait et en droit le jour même où le congé est notifié421. Selon l’art. 337c CO, l’employeur qui a notifié une telle résiliation s’expose cependant à des conséquences financières importantes (paiement de dommages-intérêts et d’une indemnité punitive et réparatrice). 416 417 418 419 420 421 ATF 138 I 113, c. 6.3.2 ; ATF 130 III 28, c. 4.4 ; TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.1.2. ATF 138 I 113, c. 6.3.3 ; TF 4A_251/2015 du 6 janvier 2016, c. 3.2.2 (pour un commentaire de cet arrêt, cf. GLOOR WERNER, Licenciement immédiat. Un délai de péremption à géométrie variable, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de mars 2016). TF 4C.188/2006 du 25 septembre 2006, c. 2. ATF 97 II 142, c. 3c ; TF 4A_341/2019 du 15 mai 2020, c. 4.1. TF 4A_559/2008 du 13 mars 2009, c. 4.3.2. ATF 120 II 243, c. 3b ; TF 4A_372/2016 du 2 février 2017, c. 5.1.2. 63 Jean-Philippe Dunand a) Dommages-intérêts Selon l’art. 337c al. 1 CO, lorsque l’employeur résilie immédiatement le contrat de travail sans justes motifs, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné, si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai légal ou conventionnel de congé ou à la cessation du contrat conclu pour une durée déterminée (art. 337c al. 1 CO). Le travailleur dispose ainsi d’une créance en réparation de l’intérêt qu’il a à l’exécution du contrat (dommages-intérêts positifs). Il doit se trouver dans la même situation pécuniaire que si la résiliation immédiate n’avait pas eu lieu422. La créance du travailleur porte intérêt dès la notification du licenciement immédiat, même si l’hypothétique gain aurait été réalisé plus tard (cf. art. 339 al. 1 CO)423. Pour calculer le salaire qui aurait été perçu en cas de résiliation ordinaire, il convient de déterminer le délai de congé hypothétique, c’est-à-dire le terme auquel le contrat aurait pris fin si l’employeur avait opté pour une résiliation ordinaire, moyennant le délai de congé. Ce faisant, il convient de tenir compte des éventuelles périodes de protection contre le congé donné en temps inopportun (cf. art. 336c CO)424. La créance en dommages-intérêts inclut tous les éléments de rémunération qui auraient dû être perçus jusqu’au terme du contrat résilié de manière ordinaire ou, en cas de contrat de durée déterminée, jusqu’à son échéance. Elle comprend le salaire (mensuel ou payé à l’heure, fixe ou variable, dépendant en totalité ou en partie de l’atteinte de résultats objectivement déterminables, dû en cas de maladie, etc.), les prestations en nature (logement, nourriture, véhicule, abonnements, etc.), ainsi que les autres avantages résultant du contrat de travail (intéressements, gratifications non discrétionnaires, indemnités de départ, etc.)425. Lorsque la rémunération varie d’un mois à l’autre, il convient de retenir la moyenne des gains réalisés lors d’une période appropriée, par exemple durant l’année précédente426. La créance en dommages-intérêts fondée sur l’art. 337c al. 1 CO comprend aussi, en principe, le droit aux vacances remplacé par des prestations en argent (cf. art. 329d al. 2 CO)427, ainsi que, dans certaines circonstances exceptionnelles, la perte de prestations de couverture d’assurances sociales et complémentaires résultant de la résiliation anticipée 422 423 424 425 426 427 64 WYLER/HEINZER, p. 760. TF 4A_474/2010 du 12 janvier 2011, c. 2.2.1-2. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 316. GLOOR, N 9 ad art. 337c CO ; WYLER/HEINZER, pp. 760 ss. ATF 125 III 14, c. 2b-c ; GLOOR, N 9 ad art. 337c CO. ATF 117 II 270, c. 3b. La fin du contrat de travail du contrat de travail428. L’indemnité comprend en principe les cotisations aux assurances sociales, à l’exception de la cotisation LPP429. Dans un arrêt de 2020, le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte de savoir s’il fallait adapter la jurisprudence dans le sens que le travailleur soit légitimé à réclamer, dans le cadre de l’art. 337c al. 1 CO, le dommage correspondant à la part patronale des cotisations épargne que l’employeur aurait payée (prévoyance obligatoire et surobligatoire) jusqu’à l’échéance ordinaire, soit l’équivalent de la contribution de l’employeur à la prestation de libre passage, sous déduction de ce qui serait versé par un nouvel employeur pour la période correspondante en cas de prise de nouvel emploi430. L’art. 337c al. 2 CO prévoit qu’il faut imputer sur la créance en dommages-intérêts du travailleur ce qu’il a épargné par suite de la cessation du contrat de travail, ainsi que le revenu qu’il a tiré d’un autre travail ou le revenu auquel il a intentionnellement renoncé. Cette déduction est une expression du principe général imposant à celui qui subit un dommage de faire tout ce que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour le réduire (art. 44 al. 1 CO). Pour déterminer si le travailleur a renoncé intentionnellement à un revenu, il faut tenir compte de toutes les circonstances du cas431. En application de cette disposition légale, le travailleur doit chercher sérieusement un nouvel emploi. Les circonstances d’espèce sont déterminantes pour évaluer si l’on pouvait exiger raisonnablement du travailleur qu’il accepte une nouvelle place de travail432. On ne saurait toutefois attendre de ce dernier qu’il accepte n’importe quel travail. Le tribunal tiendra compte de sa formation, son expérience, son âge, ainsi que de la situation générale sur le marché du travail433. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter434. Si le travailleur a trouvé un emploi moins bien rémunéré, l’employeur lui doit la différence entre l’ancien et le nouveau salaire. Si, en revanche, le nouvel emploi est mieux rémunéré, le travailleur perd son droit à l’ancien salaire, dès la prise de ce nouvel emploi. Lorsque le travailleur renonce intentionnellement à effectuer les recherches d’emploi appropriées et que l’employeur prouve que le 428 429 430 431 432 433 434 GLOOR, N 15 ad art. 337c CO ; WYLER/HEINZER, pp. 762 ss. RS 831.40. TFA B 55/99 du 8 novembre 2001, c. 3. TF 4A_458/2018 du 29 janvier 2020, c. 6.2.1. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. TROILLET ANNE, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois d’août 2020. TF 4C.321/2005 du 27 février 2006, c. 6.2. TF 4C_362/2015 du 1er décembre 2016, c. 5.2. DUNAND/LEMPEN/PERDAEMS, p. 317. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 337c CO. 65 Jean-Philippe Dunand travailleur aurait pu facilement trouver un autre emploi convenable, l’indemnité est réduite du revenu qui aurait pu ainsi être réalisé 435. Dans le cadre de cette obligation de diminuer le dommage, le travailleur est-il tenu d’accepter l’offre de l’employeur de le réintégrer provisoirement et de lui payer le salaire jusqu’à la date à laquelle les rapports de travail auraient probablement pris fin en cas de résiliation ordinaire, lorsque l’employeur s’est rendu compte que la résiliation immédiate résultait d’une erreur manifeste436 ? Le Tribunal fédéral paraît avoir laissé la question ouverte437. Dans un arrêt de 2019, la Cour d’appel civil du Tribunal cantonal vaudois a estimé que le refus de l’offre de réintégration ne pouvait être considéré comme une renonciation volontaire à un revenu, dans un contexte où le versement des salaires n’était pas garanti et où l’on demandait au travailleur de s’investir encore plus438. Enfin, le travailleur doit aussi se laisser imputer les économies réalisées du fait de son renvoi immédiat, tels que les frais extraordinaires de déplacement que le travailleur n’a plus à supporter puisqu’il ne travaille plus439. L’employeur doit prouver l’existence et le montant des gains imputables sur le salaire dû, le travailleur étant tenu de collaborer en vertu du principe de la bonne foi440. Cette preuve est difficile à rapporter s’agissant du gain hypothétique. En principe, l’employeur peut se contenter de démontrer que dans la profession concernée, il existait au moment concerné une demande de forces de travail 441. Lorsque le contrat de travail a été conclu pour une longue durée, et qu’il n’est pas possible de fixer de manière exacte le montant des dommages-intérêts à allouer pour la période qui reste à courir (créances et déductions), le juge peut faire application de l’art. 42 al. 2 CO et déterminer équitablement le montant dû en tenant compte du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée442. La créance prévue par l’art. 337c al. 1 et 2 CO est soumise aux cotisations sociales et se prescrit par cinq ans étant donné qu’elle vise à obtenir un succédané de salaire (cf. art. 128 ch. 3 CO)443. 435 436 437 438 439 440 441 442 443 66 ATF 118 II 139, c. 1. WYLER/HEINZER, pp. 764 s, répondent affirmativement à cette question. Contra, GLOOR, N 22 ad art. 337c CO. TF 4C.321/2015 du 27 février 2006, c. 6.2. TC/VD du 13 novembre 2019, c. 3.2, in : JAR 2020 662. BRUCHEZ/MANGOLD/SCHWAAB, N 5 ad art. 337c CO ; GLOOR, N 20 ad art. 336c CO. TF 4C.246/2005 du 12 octobre 2005, c. 6.1. ATF 96 II 52, c. 3 ; TF 4A_362/2015 du 1er décembre 2015, c. 5.2. TF 4C.100/2001 du 12 juin 2001, c. 6d. GLOOR, N 17 ad art. 337c CO. La fin du contrat de travail b) Indemnité punitive et réparatrice En plus des dommages-intérêts réglés à l’al. 1, l’al. 3 de l’art. 337c CO confère au travailleur la possiblité de réclamer le versement d’une indemnité supplémentaire. En effet, selon l’art. 337c al. 3 CO, en cas de licenciement immédiat injustifié, le juge peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité dont il fixera librement le montant, compte tenu de toutes les circonstances ; elle ne peut toutefois dépasser le montant correspondant à six mois du salaire du travailleur. L’indemnité est calculée sur le salaire gagné avant la résiliation du contrat, à savoir le salaire prévalant au moment du congé ou le mois précédent, voire un salaire moyen établi sur les six ou douze derniers mois ; il n’y a pas lieu de tenir compte du montant que le travailleur aurait gagné jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat de travail444. Malgré la formule potestative de la loi (« le juge peut »), la jurisprudence estime à juste titre que cette indemnité est en principe due445. Une éventuelle exception doit répondre à des circonstances particulières, qui ne dénotent aucune faute de l’employeur et qui ne lui sont pas non plus imputables pour d’autres raisons446. Cette indemnité sui generis est de même nature et vise les mêmes buts que l’indemnité instaurée par l’art. 336a CO en cas de congé abusif. Elle a donc une double finalité, à la fois punitive et réparatrice447. Elle ne consiste pas en des dommages-intérêts au sens classique, car elle est due même si la victime ne subit ou ne prouve aucun dommage 448. L’indemnité est fixée d’après la gravité de la faute de l’employeur, la mesure de l’atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur et la manière dont la résiliation a été annoncée ; d’autres critères tels que la durée des rapports de travail, l’âge du lésé, sa situation sociale ou une éventuelle faute concomitante du travailleur entrent aussi en considération449. Le juge tiendra compte également des effets économiques du licenciement, ce qui présuppose de prendre en considération aussi bien la situation économique de l’employeur que celle de l’employé450. Le fait que l’employé perçoive un salaire confortable ou un très haut revenu n’implique pas en soi une réduction de 444 445 446 447 448 449 450 TF 4A_234/2015 du 5 août 2015, c. 3.2. ATF 133 III 657, c. 3.2. ATF 116 II 300, c. 5a ; TF 4A_431/2017 du 2 mai 2018, c. 6. Cf. supra, p. XX. ATF 135 III 405, c. 3.1. ATF 121 III 64, c, 3b-c ; TF 4A_604/2019 du 30 avril 2020, c. 8 ; TF 4C.135/2013 du 6 juin 2013, c. 3.2. ATF 123 III 391, c. 3b/aa ; TF 4A_255/2020 du 25 août 2020, c. 3.3.1. 67 Jean-Philippe Dunand l’indemnité451. En ce qui concerne l’attitude de l’employeur, il s’agit d’observer si celuici a permis à l’employé de s’exprimer sur les motifs ayant conduit au licenciement ou si, ayant connaissance de querelles au sein de l’entreprise, il a pris diverses mesures pour protéger la personnalité de ses employés 452. Cette indemnité ne constitue pas un salaire. A ce titre, elle échappe au prélèvement des cotisations sociales453 et elle se prescrit à l’échéance d’un délai de dix ans (cf. art. 127 CO)454. Les intérêts sont dus dès la date du licenciement455. En principe, l’indemnité de l’art. 337c al. 3 CO couvre le tort moral subi par le travailleur. Le cumul de cette indemnité punitive et réparatrice avec une indemnité pour tort moral n’est envisageable que de manière restrictive, aux mêmes conditions qu’en cas de congé abusif 456. Il faut donc que l’atteinte à la personnalité du travailleur soit à ce point grave qu’un montant correspondant à six mois de salaire ne suffirait pas à la réparer 457. Plus généralement, l’art. 337c CO règle exhaustivement, sous l’angle contractuel, les conséquences pécuniaires d’un licenciement immédiat injustifié. S’il invoque un dommage supplémentaire tel qu’un gain manqué après l’échéance ordinaire du contrat, le travailleur doit démontrer soit une atteinte aux droits de la personnalité allant au-delà de celle inhérente au caractère injustifié du licenciement, soit la violation d’une obligation contractuelle autre que celle découlant de l’art. 328 CO458. D. Délimitations Il existe de nombreuses connections entre les trois formes de protection contre le licenciement que nous avons examinées. Il convient de procéder à des délimitations, dans l’ordre suivant : licenciement immédiat et licenciement abusif (sous-section 1), licenciement immédiat et licenciement en temps inopportun (sous-section 2), et enfin, licenciement abusif et licenciement en temps inopportun (sous-section 3). 451 452 453 454 455 456 457 458 68 TF 4A_173/2018 du 29 janvier 2019, c. 5.3.1. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. LAM YANN, L’article 337c al. 3 CO et les très hauts revenus, in : Newsletter DroitDuTravail.ch du mois de mai 2019. TF 4A_173/2018 du 29 janvier 2019, c. 5.1. ATF 123 V 5 ; TF 4C.155/2005 du 6 juillet 2005, c. 5.2.1. GLOOR, N 26 et 28 ad art. 337c CO. WYLER/HEINZER, p. 768. Cf. supra, p. XX. TF 4A_218/2012 du 24 juillet 2012, c. 2.3. ATF 135 III 405, c. 3.1-2. La fin du contrat de travail 1. Licenciement immédiat et licenciement abusif Un licenciement immédiat peut être injustifié et présenter dans le même temps un caractère abusif. Par exemple, un employeur licencie avec effet immédiat un travailleur parce qu’il vient d’apprendre que ce dernier est membre du parti écologiste. Ce licenciement est injustifié (car il ne repose pas sur un juste motif) et abusif (parce qu’il repose sur un motif qui n’est pas digne de protection, prohibé par l’art. 336 al. 1 let. a et let. b CO). Il est admis qu’un tel cas doit être traité sous l’angle du congé immédiat injustifié. Il faut dire que le licenciement abusif, au sens de l’art. 336 CO, ne se comprend que dans une résiliation ordinaire, qui respecte le délai légal ou contractuel de la résiliation459. D’ailleurs, la loi prévoit l’obligation pour la victime d’un congé abusif de faire opposition au congé par écrit au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé (art. 336b al. 1 CO), ce qui est impossible en cas de licenciement immédiat, lequel repose sur l’absence de délai de résiliation. Ainsi, lorsqu’un congé injustifié présente également les caractères d’un congé abusif, il n’y a pas de cumul possible entre l’indemnité pour congé abusif (art. 336a CO) et l’indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO)460. Le juge n’allouera qu’une seule indemnité, fondée sur l’art. 337c al. 3 CO461. Il en va de même lorsque le licenciement immédiat injustifié est précédé d’un licenciement ordinaire abusif 462. Le juge pourra toutefois prendre en considération l’éventuel caractère abusif du congé au nombre de « toutes les circonstances » dont il doit tenir compte pour fixer l’indemnité sui generis prévue à l’art. 337c al. 3 CO463. 2. Licenciement immédiat et licenciement en temps inopportun Un licenciement immédiat peut être notifié pendant une période de protection au sens de l’art. 336c al. 1 CO. Par exemple, un employeur licencie avec effet immédiat un travailleur qui est incapable de travailler en raison d’une maladie, parce qu’il croit à tort que celui-ci a volé des matériaux de l’entreprise. Ce congé est injustifié (car il ne repose pas sur un juste motif) et donné en temps inopportun (car notifié pendant une période de protection au sens de l’art. 336c al. 1 let. b CO). Le congé immédiat notifiée durant une période de protection n’est pas nul, car les parties peuvent résilier le contrat de travail avec effet immédiat « en tout temps » (art. 337 al. 1 459 460 461 462 463 WYLER/HEINZER, p. 834. TF 4C.431/2005 du 31 janvier 2006, c. 5. ATF 121 III 64, c. 2a. ATF 121 III 64, c. 2b. ATF 121 III 64, c. 2b ; TF 4C.177/2000 du 24 avril 2001, c. 4. 69 Jean-Philippe Dunand CO). Il est admis qu’il doit être exclusivement régi par les art. 337 ss CO, peu importe qu’il s’avère en définitive tardif ou injustifié464. Dans une telle hypothèse, il appartient toutefois au juge de se montrer vigilant lors de l’appréciation de l’existence de justes motifs, car l’art. 337 CO ne saurait être utilisé par l’employeur comme un prétexte pour détourner la rigueur des règles protectrices posées en matière de licenciement ordinaire 465. Lorsque le licenciement immédiat se révèle injustifié, l’employeur s’expose à de lourdes sanctions. Pour calculer le droit aux dommages-intérêts du travailleur, il s’agira de déterminer ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé (art. 337c al. 1 CO)466. Ainsi, les périodes de protection de l’art. 336c CO seront prises en compte, de même que l’obligation de l’employeur de payer le salaire durant cette période en application des art. 324a et 324b CO467. 3. Licenciement abusif et licenciement en temps inopportun Nous rappellerons que la résiliation abusive est axée sur le motif du congé, alors que la résiliation en temps inopportun vise le moment où la résiliation intervient 468. Ainsi, lorsqu’un employé est licencié pendant une période de service militaire, le congé est nul en vertu de l’art. 336c al. 1 let a CO. En revanche, si l’employé est licencié en dehors d’une période de protection de l’art. 336c al. 1 CO, mais parce qu’il accomplit du service militaire, le congé est valable, mais abusif (art. 336 al. 1 let e CO). Un licenciement qui présente un caractère abusif peut être notifié pendant une période de protection. Par exemple, un employeur licencie un employé pendant qu’il effectue un cours de répétition, au motif qu’il n’apprécie guère les employés qui font du service militaire. On considère généralement que si un licenciement tombe à la fois sous le coup de l’art. 336 CO et de l’art. 336c CO, les règles sur le congé en temps inopportun l’emportent, car la protection (nullité de la résiliation ou suspension du délai de congé) est plus adaptée à la situation d’un travailleur au bénéfice d’une des périodes de protection visées à l’art. 336c al. 1 CO469. Il est toutefois possible de nuancer cet avis en reprenant l’exemple précédent. Si le congé a été notifié pendant une période de service militaire, il est nul (art. 336c al. 2, 1re phrase CO). La protection contre le congé abusif nous semble pouvoir être écartée puisque le travailleur conserve son emploi. En revanche, si le congé a été notifié cinq semaines avant 464 465 466 467 468 469 70 TF 4A_372/2016 du février 2017, c. 5.4. TF 4C.247/2006 du 27 octobre 2006, c. 2.1. WYLER/HEINZER, p. 748. TF 4C.413/2004 du 10 mars 2005, c. 2.4 ; WYLER/HEINZER, p. 853. AUBRY GIRARDIN, N 7 ad art. 336 CO. AUBRY GIRARDIN, N 7 ad art. 336 CO ; WYLER/HEINZER, p. 855. La fin du contrat de travail le cours de répétition, il est valable, mais le délai de congé est suspendu, conformément aux prescriptions de l’art. 336c al. 1 let a et al. 2, 2e phrase CO. On peut se demander dans une telle hypothèse si les deux protections (congé abusif et congé donné en temps inopportun) ne doivent pas se cumuler470. En effet, les objectifs et les modalités des sanctions prévues aux art. 336a CO (indemnité punitive et réparatrice) et 336c al. 2 CO (octroi au travailleur d’un délai de congé complet afin qu’il puisse rechercher un nouvel emploi) sont clairement distincts471. IV. Conclusion En droit privé, le législateur helvétique fait généralement preuve de sobriété, conscient du large pouvoir d’interprétation reconnu au juge (cf. art. 1 à 4 CC472). La jurisprudence peut ainsi adapter les règles générales aux évolutions et besoins de la société. Tel est le cas en matière de droit du travail, et particulièrement des dispositions sur la fin du contrat de travail (causes d’extinction et protections contre les congés). Nous avons relevé dans cette contribution que d’innombrables décisions des tribunaux ont contribué à façonner un régime juridique assez subtil et relativement équilibré. Nous souhaitons, pour conclure, proposer quelques perspectives en matière de protection contre le licenciement. Il nous semble que l’aboutissement de la jurisprudence actuelle sur le congé abusif serait de reconnaître expressément que la partie qui résilie le contrat de travail doit pouvoir se fonder sur un motif légitime, qui est similaire au « motif justifié » de l’art. 336 al. 2 let b CO. Par ailleurs, nous sommes d’avis que le droit international du travail devrait être mobilisé à l’avenir de manière accrue473 et nous estimons que les régimes du droit privé du travail et de la fonction publique sont appelés à converger 474. Enfin, puisque des robots475 et des algorithmes476 sont utilisés pour notifier des licenciements aux travailleurs, il convient de nous demander si le droit suisse du travail est adapté aux défis de la révolution 4.0. 470 471 472 473 474 475 476 SUBILIA/DUC, N 54 ad art. 336 CO. SUBILIA/DUC, N 10 ad art. 336c CO. RS 210. Cf. BERSET BIRCHER/MEIER, pp. 579 ss ; DUNAND, La portée, pp. 57ss ; MAHON, pp. 105 ss. Sur les convergences entre le droit privé du travail et le droit de la fonction publique, cf. l’ouvrage édité par DUNAND/MAHON/PERRENOUD. WILDHABER, pp. 212 s. SCHWAAB, pp. 696 s. 71 Jean-Philippe Dunand Bibliographie Sauf indication contraire, les ouvrages ou articles de cette bibliographie sont cités dans les notes avec l’indication du seul nom de l’auteur. Les commentaires d’arrêts sont uniquement cités dans les notes de bas de page. AUBERT GABRIEL, ad art. 319 ss CO, in : Thévenoz/Werro (édit.), Commentaire romand, Code des obligations I, Bâle 2012. AUBRY GIRARDIN FLORENCE, ad art. 336c CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. BERSET BIRCHER VALÉRIE/MEIER ANNE, L’impact du droit international en droit suisse du travail, in : Wyler (édit.), Panorama III en droit du travail, Berne 2017, pp. 579-637. BONARD ALINE, ad art. 335 et 335a CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. BRUCHEZ CHRISTIAN/MANGOLD PATRICK/SCHWAAB JEAN CHRISTOPHE, Commentaire du contrat de travail, 4e éd., Lausanne 2019. BRUN POGGI STÉFANIE, L’employeur privé doit-il entendre son employé avant de le licencier ?, in : Wyler (édit.), Panorama III en droit du travail, Berne 2017, pp. 443-461. CARRON VINCENT, ad art. 334 CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. CHANSON ESTELLE, Le licenciement « pour motifs économiques » ou « pour défaut de caractère », in : Wyler (édit.), Panorama II en droit du travail, Berne 2012, pp. 67-84. DUNAND JEAN-PHILIPPE, ad art. 336 à 336b CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. DUNAND JEAN-PHILIPPE, Quel est le délai maximal pour notifier un licenciement immédiat (art. 337 CO) ? Exercice du pouvoir d’appréciation du juge (art. 4 CC), in : Wyler/Meier/Marchand (édit.), Regards croisés sur le droit du travail : Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, Genève/Zurich/Bâle 2015, pp. 131-148 (cité : DUNAND, Délai maximal). DUNAND JEAN-PHILIPPE, La portée du droit de l’Organisation internationale du travail dans l’ordre juridique suisse (1919-2019), in : Dunand/Mahon (édit.), Les aspects internationaux du droit du travail, Genève/Zurich/Bâle 2019, pp. 57-104 (cité : DUNAND, Portée). DUNAND JEAN-PHILIPPE/LEMPEN KARINE/PERDAEMS ELSA, Droit du travail, Bâle 2020. DUNAND JEAN-PHILIPPE/MAHON PASCAL/PERRENOUD STÉPHANIE (édit.), Le droit de la relation de travail à la croisée des chemins : Convergences et divergences entre le droit privé du travail et le droit de la fonction publique, Genève/Zurich/Bâle 2016. FAVRE MOREILLON MARIANNE, Les différents types de licenciements en droit du travail, Bâle 2019. FULD STÉPHANIE, L’obligation d’offrir ses services en cas de licenciement en temps inopportun, in : Wyler (édit.), Panorama II en droit du travail, Berne 2012, pp. 131-151. GEISER THOMAS, Arbeitsplatzbezogene Arbeitsunfähigkeit – Ein Gespenst im Arbeitsvertragsrecht, in : Muller/Rudolph/Schnyder/von Kaenel/Waas (édit.), Festschrift für Wolfgang Portmann, Zurich/Bâle/Genève 2020, pp. 191-202. 72 La fin du contrat de travail GÉTAZ KUNZ VALENTINE, La suspension du délai de congé selon l’art. 336c alinéa 2 CO, in : Wyler (édit.), Panorama en droit du travail, Berne 2009, pp. 309-335. GLOOR WERNER, ad art. 337 à 338a CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. GLOOR WERNER, L’incapacité de travail « à géométrie variable », in : Wyler/Meier/Marchand (édit.), Regards croisés sur le droit du travail : Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, Genève/Zurich/Bâle 2015, pp. 163-184 (cité : GLOOR, L’incapacité). HEINZER BORIS, ad art. 335b et 335c CO, in : Dunand/Mahon (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013. MAHON PASCAL, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et droit du travail, in : Dunand/Mahon (édit.), Les aspects internationaux du droit du travail, Genève/Zurich/ Bâle 2019, pp. 105-128. MARKARIAN FRANÇOISE, La continuation des activités du travailleur après la déclaration de la faillite de l’employeur : dettes dans la masse ou dettes de la masse ?, in : Wyler (édit.), Panorama en droit du travail, Berne 2009, pp. 767-787. 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Mesures préalables à la résiliation 1. Egards à avoir pour certaines catégories du personnel a) Santé b) Handicap c) Âge et ancienneté 2. Nécessité d’un avertissement et droit d’être entendu D. Résiliation avec effet immédiat 1. Justes motifs : cas particulier de motif fondé 2. Immédiateté de la réaction A. Généralités B. Personnel de la Confédération C. Personnel du canton de Genève 1. Système consacré par la LPAC-GE depuis 2015 2. Licenciement infondé 3. Révocation disproportionnée Bibliographie  78 79 80 81 82 82 83 84 85 85 86 86 87 88 90 90 91 93 93 96 96 97 98 100 102 L’auteure remercie Mme Roxane Hutmacher, assistante-doctorante à la Faculté de droit de l’Université de Genève, de son aide. Ses commentaires, ainsi que ceux de Me Rachel Salem lors de la finalisation de l’article, ont été précieux. Karine Lempen I. Introduction Le phénomène de privatisation de la fonction publique est désormais connu et abondamment étudié1. On sait que les entités étatiques ont la possibilité de soumettre tout2 ou certaines catégories3 de leur personnel au droit privé, pour autant que le recours à ce régime soit prévu dans une base légale claire 4 et respecte le principe d’égalité de traitement5. Par ailleurs, de nos jours, un grand nombre de lois sur le personnel réservent l’application par analogie du Code des obligations, à titre de droit public supplétif 6. Malgré ce rapprochement entre le droit privé du travail et le droit de la fonction publique, des différences fondamentales subsistent, notamment en lien avec la résiliation des rapports de travail7. La présente contribution vise à mettre en évidence deux spécificités importantes du droit de la fonction publique, à savoir la nécessité de disposer d’un motif suffisant8 pour prononcer un licenciement et la possibilité, prévue par certains statuts, d’annuler une résiliation non fondée et d’ordonner la réintégration sur le lieu de travail. L’analyse se concentre sur les lois relatives au personnel de la Confédération (LPers) et du canton de Genève (LPAC-GE)9 ainsi que sur le statut de la fonction publique du canton de Neuchâtel (LSt-NE). Les trois textes prévoient que la résiliation des rapports de travail 1 2 3 4 5 6 7 8 9 76 Voir DÉFAGO GAUDIN, pp. 259-260 avec les réf. TANQUEREL, Manuel, N 268 mentionne, à titre d’exemple, certaines entités autonomes comme Swisscom et la Poste. Notamment les auxiliaires et les stagiaires au sens de l’art. 6 al. 5 de la Loi sur le personnel de la Confédération du 24 mars 2000 (LPers ; RS 172.220.1). Voir aussi l’art. 7 de la Loi sur le statut de la fonction publique du canton de Neuchâtel du 28 juin 1995 (LSt-NE ; RSN 152.510). TF 8C_295/2019 du 5 mai 2020, c. 3.2. Voir aussi, parmi d’autres : TANQUEREL, Droit public, pp. 71-73 ; DÉFAGO GAUDIN, pp. 265-266 ; MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, pp. 557-558. Au sujet du risque d’inégalité de traitement que comporte le recours au droit privé pour certaines catégories du personnel : TANQUEREL, Droit public, pp. 74-75 ; DÉFAGO GAUDIN, pp. 266-267. Voir par exemple l’art. 6 al. 2 LPers, auquel se réfèrent notamment DUBEY/ZUFFEREY, N 1540 ; WYLER/BRIGUET, pp. 51-52 ; CANDRIAN, pp. 87-88. Voir PERRENOUD, pp. 463-465 ; ROSELLO, N 552. Comme l’explique ROSELLO N 585, alors que le droit privé consacre le principe de la liberté de résilier et énumère (art. 336 CO) les motifs non admissibles (abusifs), le droit de la fonction publique liste les motifs admissibles (fondés) sur lesquels un licenciement doit se baser. Loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC-GE ; RSG B 5 05). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique par l’entité employeuse prend la forme d’une décision10 sujette à recours11. En cas d’admission du recours, la LPers et la LPAC-GE consacrent expressément, à certaines conditions, un droit à la réintégration12. Si la réintégration constitue une exception dans le système prévu par la LPers, devenu proche du droit privé, son rôle demeure important dans le canton de Genève, dont la loi sur le personnel, imprégnée du modèle traditionnel13, est l’une des rares à avoir conservé le statut de fonctionnaire14. Au cours des dernières années, la Cour de justice du canton de Genève a ordonné à plusieurs reprises la réintégration de fonctionnaires injustement licenciés, suscitant parfois un fort écho médiatique. L’été dernier, par exemple, on a pu lire dans la presse des articles intitulés « La justice annule le licenciement d’une lanceuse d’alerte »15 ou « La Chambre administrative de la Cour de justice genevoise ordonne la réintégration d’un inspecteur du travail licencié par le Conseil d’Etat »16. La première affaire concernait une résiliation sans motifs fondés, alors que la seconde avait pour objet une révocation disproportionnée. Comme nous le verrons17, ces deux modes de résiliation des rapports de service coexistent dans le canton de Genève. La deuxième partie de cet article évoque divers cas de licenciement pour motifs fondés, dont celui lié à une suppression de poste18 ou signifié pour de « justes motifs »19. La troisième partie traite du droit à la réintégration en cas de résiliation sans motifs fondés ou de révocation contraire au droit. En revanche, les lignes qui suivent ne traiteront pas d’autres causes d’extinction20 des rapports de travail, comme l’avènement de l’âge de la retraite, la conclusion d’un accord 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Si les titulaires de la fonction publique sont aussi nommés par une décision à Neuchâtel (art. 9 LStNE) et à Genève (art. 10 LPAC-GE), l’engagement au service de la Confédération s’opère au moyen d’un contrat de droit administratif (art. 8 LPers). Dans ce dernier cas, la création et la fin des rapports de travail prennent une forme différente. Sur cette absence de parallélisme : WYLER/BRIGUET, pp. 11, 51 ; ROSELLO, N 546, 657. Voir les art. 34 ss LPers, 31 ou 32 al. 6 LPAC-GE et 82 al. 3 LSt-NE. Voir les art. 34c LPers et 31 LPAC-GE étudiés infra III.B-C. TANQUEREL, Manuel, N 267. Art. 5 LPAC-GE. Sur cette notion : DUBEY/ZUFFEREY, N 1536 ; TANQUEREL, Manuel, N 263. Voir l’édition du 8 septembre 2020 de www.20min.ch au sujet d’un arrêt ATA/588/2020 du 16 juin 2020, résumé infra III.C.2. Voir Le Courrier du 7 juillet 2020 « Un licenciement à l’OCIRT annulé », au sujet de ATA/137/2020 du 11 février 2020. Un recours contre cet arrêt a été rejeté par le Tribunal fédéral dans un arrêt 8C_203/2020 du 25 août 2020. Voir infra III.C.3. Infra III.C. Art. 10 al. 2 let. e LPers, 23 LPAC-GE, 44 LSt-NE. Au sens de l’art. 337 CO. Aperçu complet : HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, N 2016 ss. Voir aussi l’art. 37 LSt-NE. 77 Karine Lempen de résiliation21 ou la démission. Relevons que la résiliation notifiée par une personne au service de l’Etat n’a pas à être motivée, alors que celle émanant de l’autorité employeuse doit, comme mentionné plus haut, se fonder sur des motifs objectivement suffisants22. II. Résiliation pour motifs fondés A. Respect des principes constitutionnels L’obligation pour l’autorité étatique de fonder sa décision de résiliation sur des motifs objectifs résulte de l’application des normes constitutionnelles qui encadrent, de façon générale, l’activité administrative23. Ainsi, même lorsqu’il a soumis son personnel au droit privé24, l’Etat est tenu d’agir conformément aux principes de légalité (art. 5 al. 1 Cst.), de l’intérêt public (art. 5 al. 2 Cst.), de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) et de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.)25. En vertu de ce dernier principe, dont découle l’exigence de nécessité26, une entité étatique n’est habilitée à mettre un terme à une relation de travail qu’en dernier recours (ultima ratio), après avoir pris d’autres mesures moins incisives, comme exposé plus loin27. En outre, l’Etat employeur doit agir sans arbitraire (art. 9 Cst.) et respecter le principe d’égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.). Par exemple, si plusieurs fonctionnaires ont violé leur devoir de loyauté, il serait contraire à ce principe de ne sanctionner qu’un seul d’entre eux28. De plus, la décision de résilier les rapports de travail ne saurait se fonder sur un 21 22 23 24 25 26 27 28 78 Voir TF 8C_470/2019 du 1er octobre 2019 (convention de résiliation valablement conclue entre l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et un directeur de département). Voir aussi WYLER/BRIGUET, pp. 5657 ; ROSELLO, N 491, 498. Art. 10 al. 3 LPers a contrario. A ce sujet : WYLER/BRIGUET, p. 58 ; CANDRIAN, pp. 109-110. ROSELLO, N 555 ; CANDRIAN, p. 107 ; MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 882. MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, p. 557 ; MÜLLER/PÄRLI/CARONI, pp. 881 ss. Toutefois, selon WYLER/BRIGUET, p. 9, plus le statut de la collectivité publique s’est rapproché du droit privé, plus il sied d’appliquer avec retenue les principes qui régissent habituellement l’activité étatique. Voir aussi MAHON/JEANNERAT, N 12 ad art. 342 CO. Voir CANDRIAN, p. 88 ss. Voir p. ex. TF 8C_15/2019 du 3 août 2020, c. 7.2 (qui énonce la règle de l’aptitude, la règle de la nécessité et le principe de proportionnalité au sens étroit). Voir infra II.C, en particulier II.C.2 au sujet de la nécessité ou non de prononcer un avertissement avant la résiliation. Voir TF 8C_715/2018 du 11 juillet 2019 (licenciement d’un policier non contraire à l’art. 8 Cst. Sa situation n’était pas comparable à celle des autres fonctionnaires ayant tenu des propos contraires au devoir de loyauté. Seul le policier licencié assumait la fonction de porte-parole de la police cantonale). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique motif prohibé (au sens de l’art. 8 al. 2 Cst.)29. Nous verrons ultérieurement que le choix du poste à supprimer dans le cadre d’une restructuration doit reposer sur des critères objectifs30. Enfin, sur le plan procédural, le droit d’être entendu est garanti (art. 29 al. 2 Cst.). En particulier, la personne entendue doit être placée dans une situation où elle peut réellement faire valoir son point de vue avant le prononcé d’une décision de résiliation31. Il ne suffit pas de lui laisser la possibilité de s’exprimer lors de la notification du licenciement32. La pratique consistant à rédiger un projet de décision de résiliation avant l’exercice du droit d’être entendu risque de priver ce droit de sa substance33. Ainsi, les principes généraux énoncés par la Constitution fédérale confèrent au personnel de l’Etat une protection contre les licenciements plus forte que celle prévalant dans le secteur privé34. B. Motifs fondés Après le temps d’essai35, la décision de licenciement doit reposer sur un motif fondé. La preuve de son existence incombe à la partie employeuse et non, comme en droit privé 36, à la personne licenciée37. 29 30 31 32 33 34 35 36 37 MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 882. Voir infra II.B.3. ATF 144 I 11, c. 5.3. TF 8C_541/2017 du 14 mai 2018, c. 2.2. Plus d’explications : GRODECKI, pp. 137-138, CANDRIAN, pp. 101-102. Voir toutefois WYLER/BRIGUET, p. 26, selon lesquels la pratique est admissible lorsqu’il n’est « pas exclu » que l’entité employeuse change d’avis. Sur le droit d’être entendu et le délai pour formuler des observations, voir infra II.C.2. WYLER/BRIGUET, p. 8 ; MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 882. Durant cette période (susceptible de dépasser le maximum de trois mois fixé à l’art. 335b al. 2 CO, voir p. ex. les art. 12 LSt-NE et 27 al. 2 OPers), l’autorité n’a, en principe, pas besoin de fonder sa décision de renvoi sur un motif particulier : ROSELLO, N 500 ; MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, p. 631 ; contra WYLER/BRIGUET, pp. 71-73 (au sujet de la LPers. L’autorité d’engagement jouit toutefois d’une grande liberté dans l’appréciation des motifs). Sous réserve des art. 336 al. 2 let. b CO et 10 LEg en vertu desquels la preuve du motif justifié incombe à la partie employeuse. WYLER/BRIGUET, p. 4 ; MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 883. 79 Karine Lempen 1. Listes exemplatives Les trois lois examinées dans cet article (LPers, LPAC-GE, LSt-NE) dressent une liste exemplative de motifs fondés38. Ainsi, l’art. 10 al. 3 LPers prévoit comme motifs de renvoi « objectivement suffisants », notamment : – (a) la violation d’obligations légales ou contractuelles importantes. En particulier, il peut s’agir d’une violation du devoir de fidélité (art. 20 LPers), dont découlent des limitations parfois substantielles aux libertés fondamentales, comme la liberté d’expression39 ; – (b) les manquements dans les prestations ou dans le comportement, notamment en cas d’arrivées tardives répétées40 ; – (c) les aptitudes ou capacités insuffisantes pour effectuer le travail convenu dues, par exemple, à des problèmes de santé durables41, ou la mauvaise volonté à accomplir ce travail ; – (d) la mauvaise volonté à accomplir un autre travail raisonnablement exigible (eu égard, notamment, à la classe salariale, au lieu de travail et aux objectifs à atteindre)42, proposé p. ex. suite à une restructuration43 ou en raison d’une inaptitude à effectuer le travail initialement convenu44 ; 38 39 40 41 42 43 44 80 D’autres lois sur le personnel contiennent des listes exhaustives ou renoncent à énumérer les motifs. Aperçu chez ROSELLO, N 233. MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, pp. 556, 600-606 ; MAHON/MATTHEY, pp. 205-240. Voir aussi TF 8C_715/2018 du 11 juillet 2019 (violation du devoir de fidélité et de réserve par le porte-parole de la police cantonale, qui avait tenu des propos irrespectueux à l’encontre d’une juge de district et mis en cause l’intégrité du Ministère public). WYLER/BRIGUET, p. 76, relèvent que la distinction entre les manquements au sens de la lettre b) et la violation des obligations au sens de la lettre a) est parfois délicate à opérer et semble dénuée de portée pratique, un avertissement préalable au licenciement étant requis dans les deux cas en principe. Voir infra II.C.2. Voir TF 8C_391/2019 du 11 octobre 2019, c. 3.2, précisant qu’en vertu de l’art. 31a al. 1 OPers, « l’employeur peut, une fois la période d’essai écoulée, résilier les rapports de travail de manière ordinaire au plus tôt pour la fin d’une période d’incapacité de travail d’au moins deux ans ». Voir aussi PÄRLI/HUG/PETRIK, N 86 ; WYLER/BRIGUET, p. 78. Voir les art. 104a al. 1 et 104e al. 2 OPers. Illustration : TAF A-4057/2018 du 16 avril 2019 (restructuration, suppression du poste de directeur à Bâle, refus d’occuper un nouveau poste à Berne). Voir PÄRLI/HUG/PETRIK, N 85. La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique – (e) les impératifs économiques, susceptibles de mener à des suppressions de poste45, « dans la mesure où l’employeur ne peut proposer à l’employé un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui »46 ; – (f) la non-satisfaction de l’une des conditions d’engagement47, p. ex. le fait de ne pas parler une langue devenue nécessaire à la fonction suite à une modification de la loi48. Les motifs énumérés à l’art. 10 al. 3 LPers se recoupent avec ceux prévus à l’art. 22 LPACGE49. Aux termes de cette disposition, « il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de travail n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration ». Une violation fautive des devoirs de fonction n’est pas nécessaire50. Ainsi, la bonne marche du service constitue l’élément objectif déterminant pour admettre l’existence d’un motif fondé. Selon le Tribunal fédéral, « des manquements dans le comportement de l’employé ne peuvent constituer un motif de licenciement que lorsqu’ils sont reconnaissables également pour des tiers. Il faut que le comportement de l’employé perturbe le bon fonctionnement du service ou qu’il soit propre à ébranler le rapport de confiance avec le supérieur »51. Une rupture du lien de confiance propre à fonder un licenciement a été admise dans une affaire concernant le concierge d’un collège dans le canton de Neuchâtel. L’individu avait notamment harcelé des collaboratrices, refusé un transfert vers un autre établissement scolaire, menacé de se pendre dans l’aula puis tenté un suicide en ingérant des médicaments. La poursuite des rapports de service était devenue impossible et le renvoi justifié au sens de l’art. 45 al. 1 LSt-NE52. 2. Motif abusif : cas particulier de motif non fondé Si le premier alinéa de l’art. 45 LSt-NE mentionne (à l’instar des art. 10 al. 3 LPers et 22 LPAC-GE) les raisons justifiant que l’autorité mette fin aux rapports de service, le 45 46 47 48 49 50 51 52 Voir infra II.B.3. Voir l’art. 19 al. 1 LPers et 104 ss OPers. Voir aussi infra II.B.3.c. Voir WYLER/BRIGUET, pp. 83-85. Voir TAF A-5255/2018 du 9 juillet 2019, c. 6.5.2 (préposé au service des trains de voyageurs internationaux). A savoir : a) l’insuffisance des prestations, b) l’inaptitude à remplir les exigences du poste et c) la disparition durable d’un motif d’engagement. La résiliation suite à une suppression de poste est traitée à l’art. 23 LPAC-GE. TF 8C_392/2019 du 14 août 2020, c. 4.2 (problèmes relationnels, incapacité de travail, motif fondé de résiliation, art. 22 let. b LPAC-GE). TF 8C_392/2019 du 14 août 2020, c. 4.1 avec les réf. Voir aussi ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020, c. 7c. TF 8C_640/2018 du 19 mars 2019. 81 Karine Lempen second alinéa précise qu’aucun renvoi ne peut être prononcé de façon abusive au sens de l’art. 336 CO53. Révélatrice de l’influence du droit privé sur le droit de la fonction publique, cette référence paraît avoir une portée surtout symbolique54 puisqu’un motif « abusif » au sens de l’art. 336 CO est par définition « non fondé »55 et partant inadmissible au regard de l’art. 45 al. 1 LSt-NE. Il se peut toutefois qu’un congé soit sanctionné plus sévèrement lorsqu’il est non seulement infondé mais aussi abusif56. Nous verrons que la Confédération57 prévoit la possibilité de réintégrer une personne licenciée de façon abusive (au sens de l’art. 336 CO) ou discriminatoire (au sens de l’art. 3 LEg)58, alors que cette alternative à l’indemnisation n’existe pas dans d’autres cas de licenciements non fondés. 3. Suppression de poste La suppression de poste figure parmi les motifs propres à fonder un licenciement 59. La résiliation des rapports de service peut être contestée dans le cadre d’un recours60. En revanche, la décision de supprimer un poste est un acte d’organisation interne qui, sous réserve d’une violation des principes constitutionnels encadrant l’activité étatique61, est soustraite à l’examen judiciaire62. Ainsi, lorsqu’un poste devient inutile (suite à l’évolution technologique ou un processus de rationalisation63, p. ex.) ou trop coûteux (eu égard à la situation économique), l’entité employeuse est en droit de le supprimer64. a) Suppression de poste objectivement justifiée Selon la jurisprudence, pour qu’une décision de licenciement pour suppression de poste soit valable, il doit s’agir d’une « réelle suppression de fonction », objectivement justifiée, 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 82 L’art. 12 al. 3 LSt-NE, applicable durant le temps d’essai, renvoie aussi à l’art. 336 CO. « Constitue ainsi un congé abusif la résiliation qui serait prononcée à l’égard d’une employée de l’Etat engagée à titre probatoire parce qu’elle aurait annoncé être enceinte » (ATF 139 I 57, c. 6.2.1). Une telle résiliation des rapports de travail revêt en outre un caractère discriminatoire au sens de l’art. 3 LEg. L’art. 45 al. 2 LSt-NE met l’accent sur deux hypothèses visées par l’art. 336 CO, à savoir l’expression d’opinions religieuses, philosophiques ou politiques (art. 336 al. 1 let. b) et l’activité syndicale (art. 336 al. 2 let. a), dans la mesure où ces actes n’entraînent aucune violation des devoirs de service. Alors qu’un motif « non fondé » n’est pas nécessairement « abusif ». Voir ROSELLO, N 585-587, 659. ROSELLO, N 588. Art. 34c al. 1 let. b et d LPers. Voir infra III.B. Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg, RS 151.1). Pareille hypothèse est couverte par l’art. 10 al. 3 let. e LPers et spécifiquement traitée aux art. 23 LPACGE et 44 LSt-NE. Voir p. ex. l’art. 82 al. 3 LSt-NE. Voir supra II.A. Comme précisé par l’art. 44 al. 1 LSt-NE. Voir TF 8C_404/2018 (optimisation, suppression du poste d’un agent des Chemins de fer fédéraux). RÖTHLISBERGER, pp. 50-51 ; MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, p. 630. La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique « et non d’un simple prétexte utilisé dans le but de se séparer sans trop de difficultés d’un collaborateur »65. Ainsi, dans un arrêt du 15 septembre 2020, la Cour de justice du canton de Genève a jugé que la nécessité de supprimer un poste en raison de l’évolution technologique n’avait pas été démontrée par la ville de Genève et que la suppression invoquée à l’appui du licenciement d’un employé âgé de 55 ans s’apparentait en réalité à « un simple prétexte »66. En conséquence, la résiliation des rapports de service n’était pas fondée67. b) Choix de l’individu dont le poste va être supprimé Lorsque plusieurs personnes exercent la même activité et que seul un des postes va être supprimé, le choix de l’individu à licencier doit reposer sur des critères objectifs et a fortiori non discriminatoires68. Dans un arrêt du 1er mai 2020, le Tribunal fédéral a rejeté le recours intenté par un veilleur de nuit contre un arrêt du Tribunal cantonal neuchâtelois jugeant non arbitraire la décision de supprimer son poste plutôt que celui d’autres veilleurs. En effet, la suppression reposait sur des motifs objectifs, en l’occurrence la fermeture d’un centre d’accueil suite à une diminution du nombre de requérants d’asile. Quant au choix de l’individu devant en supporter les conséquences, il avait été effectué sur la base des critères retenus par la jurisprudence cantonale, « à savoir la situation matérielle et familiale, l’âge, les possibilités de trouver un nouvel emploi, les compétences de chacun et la préférence accordée à un collaborateur soumis à la LSt, plutôt qu’à celui engagé selon le droit privé et aux employés nommés s’ils ont tous un statut de droit public régi par cette loi »69. En l’espèce, l’un des postes maintenus était certes occupé par une personne qui, contrairement au recourant, ne pouvait se prévaloir que d’un contrat de droit privé. Il s’agissait toutefois de la seule femme de l’effectif. L’explication du Conseil d’Etat selon laquelle il était nécessaire de compter sur une veilleuse femme pour encadrer les migrantes paraissait défendable. En outre, la collaboratrice était au bénéfice d’une ancienneté plus longue que celle du veilleur licencié 65 66 67 68 69 TF 8C_454/2019 du 20 mai 2020, c. 3.1.2 (au sujet de l’art. 23 LPAC-GE). ATA 885/2020 du 20 mai 2020, c. 5-6. En outre, les exigences relatives à la procédure de reclassement n’avaient pas été respectées. Le licenciement s’avérant contraire au droit et la réintégration ayant été refusée, la ville est condamnée au versement d’une indemnité de 18 mois du dernier traitement mensuel, montant alloué en sus de l’indemnité pour suppression de poste (ATA 885/2020 du 20 mai 2020, c. 7-8. Cet arrêt fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral). MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 882 ; WYLER/BRIGUET, p. 80. TF 8C_236/2019 du 1er mai 2020, c. 3.2 qui renvoie à RJN 2006, p. 195 (décision de supprimer le poste d’un père de famille plutôt que celui d’un autre collaborateur, divorcé et sans enfants. Absence d’arbitraire eu égard à l’ancienneté plus longue du second et au fait que les enfants à charge du premier étaient majeurs ou proches de l’être). Voir aussi RÖTHLISBERGER, p. 51. 83 Karine Lempen et disposait de bonnes connaissances linguistiques. La résiliation des rapports de service du recourant n’était pas arbitraire70. Notons que l’interdiction de discriminer à raison du sexe dans les rapports de travail (art. 3 LEg) n’empêche pas de fonder une décision sur ce critère lorsque, comme dans le cas susmentionné, certaines tâches (p. ex. conseil ou supervision) semblent ne pouvoir être menées à bien que par une personne du même sexe que celle devant être aidée ou surveillée71. c) Impossibilité d’une réaffectation : indemnité spécifique L’entité qui souhaite résilier un rapport de travail suite à une suppression de poste doit démontrer qu’elle n’est pas en mesure d’affecter la personne concernée à une autre fonction correspondant à ses capacités et aptitudes professionnelles 72. Ainsi, l’unité qui supprime un poste doit rechercher activement 73 un nouvel emploi de nature équivalente pour la personne dont le licenciement est envisagé 74. Lorsque les démarches demeurent vaines, l’autorité est fondée à résilier les rapports de service mais devra néanmoins verser une indemnité pour suppression de poste 75. Si elle licencie sans avoir véritablement cherché au préalable un autre poste équivalent, elle pourra être condamnée, en sus de l’indemnité pour suppression de poste76, au versement d’une indemnité pour résiliation non fondée77. Ainsi, dans les deux hypothèses, l’indemnité pour suppression de poste doit être versée. Elle est également due lorsque la personne dont le poste est supprimé était en droit de refuser le nouvel emploi qui lui a été 70 71 72 73 74 75 76 77 84 TF 8C_236/2019 du 1er mai 2020, c. 3.2. Message LEg, FF 1993 1212 (p. ex. le soutien aux femmes confrontées à des violences conjugales). TF 8C_454/2019 du 20 mai 2020, c. 3.1.2. Voir les art. 23 al. 2 LPAC-GE, 44 al. 2 LSt-NE et 10 al. 3 let. e LPers. Voir aussi MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, p. 631. P. ex. en contactant directement des entités employeuses ou en appuyant les offres de service de la personne concernée avec une lettre de recommandation. Voir WYLER/BRIGUET, p. 81 ; RÖTHLISBERGER, p. 52. Art. 23 al. 2 LPAC-GE ; 44 al. 2 LSt-NE ; 10 al. 3 let. e et 19 al. 1 LPers. Art. 23 al. 4 LPAC-GE ; 44 al. 4 LSt-NE (sur l’indemnité pour perte du statut de fonctionnaire au sens de l’art. 44 al. 3 LSt-NE, à laquelle peut s’ajouter celle pour suppression de poste, voir TF 8C_621/2019 du 21 novembre 2019). Voir aussi l’indemnité prévue par l’art. 19 al. 3 LPers. A ce sujet : NÖTZLI, N 4-10 ad art. 19 LPers. Voir WYLER/BRIGUET, p. 105, au sujet du cumul entre les indemnités fondées sur l’art. 19 al. 3 et 34b LPers. Illustrations : ATA 885/2020 du 20 mai 2020 ; ATA 1021/2020 du 18 octobre 2020, c. 8 (la ville de Genève a failli à son obligation de soutien, notamment en raison d’un suivi insuffisant des postulations ayant donné lieu à un entretien, alors que l’intéressé avait activement participé à la procédure de reclassement, indemnité pour licenciement contraire au droit). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique proposé78. En revanche, si cette dernière refuse un nouveau travail raisonnablement exigible79, elle ne pourra prétendre à cette indemnité. Sans caractère punitif, l’indemnité pour suppression de poste fait partie du salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS80. Son montant est calculé en fonction du traitement mensuel et des années d’ancienneté81. C. Mesures préalables à la résiliation Le devoir de prendre, préalablement à la résiliation ordinaire, des mesures propres à maintenir les rapports de service résulte du principe de proportionnalité82 et figure notamment à l’art. 21 al. 3 LPAC-GE83. L’art. 4 al. 2 LPers prévoit que la Confédération emploie son personnel de façon « responsable sur le plan social ». Selon l’art. 19 al. 1 LPers, « avant de résilier le contrat de travail sans qu’il y ait faute de l’employé, l’employeur prend toutes les mesures qui peuvent raisonnablement être exigées de lui pour garder l’employé à son service »84. La résiliation ordinaire (et pas seulement avec effet immédiat comme en droit privé) ne peut donc être prononcée qu’en dernier recours (ultima ratio), à condition qu’il soit impossible de remédier à la situation par des mesures moins incisives, comme l’affectation à un autre travail, la réorientation ou le perfectionnement professionnels85. 1. Egards à avoir pour certaines catégories du personnel Lors de l’examen de la proportionnalité d’une décision de résiliation, il convient d’accorder une attention particulière au devoir de l’entité employeuse de protéger la personnalité et la santé de son personnel86. 78 79 80 81 82 83 84 85 86 Voir l’art. 44 al. 4 LSt-NE. Voir l’art. 104a OPers et TAF A-4057/2018 du 16 avril 2019 cité supra II.B.1 en lien avec l’art. 10 al. 3 let. d LPers. RÖTHLISBERGER, pp. 54-55. Voir aussi WYLER/BRIGUET, p. 104 (à propos de l’indemnité fondée sur l’art. 19 al. 3 LPers) Voir l’art. 23 al. 4 LPAC-GE et 44 al. 4 LSt-NE. Plus d’explications : RÖTHLISBERGER, p. 54. Voir supra II.A. En cas de suppression de poste, l’obligation de chercher un autre poste équivalent avant de prononcer une résiliation se fonde sur l’art. 23 al. 2 LPAC-GE. Voir aussi supra II.B.3.c. En principe, il n’y a pas faute dans les cas prévus à l’art. 10 al. 3 let. e (motifs économiques) et let. f (non-satisfaction d’une condition d’engagement), selon l’art. 31 al. 1 let. a OPers a contrario. Voir l’art. 31 al. 5 LPers et 104 ss OPers. Parmi d’autres : NÖTZLI, N 1-3 ad art. 19 LPers ; MOOR/ BELLANGER/TANQUEREL, p. 632 ; PÄRLI/HUG/PETRIK, N 82. PÄRLI/HUG/PETRIK, N 83 avec un renvoi à l’ATF 132 III 115. 85 Karine Lempen a) Santé Pour le personnel de la Confédération, le devoir de protection de la santé est prévu par l’art. 4 al. 2 let. g LPers, à mettre en relation avec les art. 6 al. 2 LPers et 328 CO87. L’art. 6 al. 2 LTr88 précise que « l’employeur doit notamment aménager ses installations et régler la marche du travail de manière à préserver autant que possible les travailleurs des dangers menaçant leur santé et du surmenage »89. En cas d’empêchement de travailler pour cause de maladie ou accident, l’art. 11a al. 1 OPers exige la mise en œuvre de « tous les moyens pertinents et raisonnables » afin de réintégrer la personne concernée dans le monde du travail. En temps de pandémie de Covid-19, le devoir de protection de la santé acquiert une importance particulière. L’administration fédérale emploie vraisemblablement un grand nombre de « personnes vulnérables »90 à ce virus et il se peut que certaines d’entre elles refusent de travailler depuis leur poste de travail par crainte d’infection. Dans un arrêt rendu avant que la pratique du télétravail ne se généralise en Suisse (suite aux recommandations des autorités fédérales pour endiguer la pandémie susmentionnée), le Tribunal administratif fédéral a considéré non fondée une résiliation motivée par une inaptitude91 médicalement attestée à travailler dans un grand bureau ouvert (open space). L’office employeur, qui n’avait pas envisagé d’autoriser la collaboratrice concernée à effectuer une partie du travail depuis son domicile, n’avait en effet pas assez examiné les alternatives au licenciement avant d’y procéder. Par conséquent, la résiliation ne reposait pas sur des motifs objectivement suffisants92. b) Handicap La Confédération a un devoir de protection accru à l’égard des membres de son personnel en situation de handicap. La loi fédérale sur l’égalité pour les handicapés93 prévoit que les 87 88 89 90 91 92 93 86 PÄRLI/HUG/PETRIK, N 644. Applicable à l’administration fédérale (art. 3a let. a LTr). Voir aussi l’art. 2 de l’Ordonnance 3 relative à la Loi sur le travail du 18 août 1993 (OLT 3 ; RS 822.113). Sur cette notion et les mesures préconisées, voir le site de l’Office fédéral de la santé publique OFSP : www.bag.admin.ch/bag/fr/home/krankheiten/ausbrueche-epidemien-pandemien/aktuelle-ausbruecheepidemien/novel-cov/krankheit-symptome-behandlung-ursprung/besonders-gefaehrdetemenschen.html (consulté le 16 décembre 2020). Art. 10 al. 3 let. c LPers. TAF A-5819/2016 du 22 novembre 2017, c. 3. Arrêt commenté par CANDRIAN, Analyse, p. 4. Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées du 13 décembre 2002 (LHand ; RS 151.3). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique entités employeuses au sens de l’art. 3 LPers94 doivent utiliser tous les moyens dont elles disposent « pour assurer des chances égales aux personnes handicapées » (art. 13 LHand)95. Afin de répondre à leurs besoins spécifiques, l’ordonnance96 consacre l’obligation de mettre en place divers aménagements 97 au niveau p. ex. des locaux ou horaires de travail (art. 12 OHand). Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le personnel qui, en raison d’un handicap (p. ex. troubles moteurs ou difficultés respiratoires), n’est pas en mesure de se conformer à l’obligation de porter un masque sur le lieu de travail doit en être dispensé98. Une adaptation des exigences relatives aux prestations et au comportement peut aussi s’avérer nécessaire, comme précisé par le Tribunal administratif fédéral dans un arrêt du 29 avril 2008. En l’espèce, une nettoyeuse atteinte d’un handicap mental avait été congédiée suite à l’introduction d’un nouveau schéma de nettoyage. Selon le Tribunal, avant d’engager une procédure de licenciement, l’Office employeur aurait dû mettre en place d’autres mesures, telles qu’un abaissement des attentes à l’égard de la collaboratrice ou un accompagnement par une personne susceptible de l’aider à accomplir ses nouvelles tâches. Le Tribunal administratif fédéral a jugé disproportionnée la décision de résilier les rapports de travail et ordonné à l’Office d’occuper à nouveau l’employée en prenant les mesures de soutien nécessaires99. Notons que la nettoyeuse travaillait depuis vingt ans au service de la Confédération au moment de son licenciement. c) Âge et ancienneté Le principe de proportionnalité au sens étroit implique de mettre en balance l’intérêt public au bon fonctionnement de l’administration et l’intérêt privé à conserver un emploi. Plus la 94 95 96 97 98 99 Y compris lorsqu’elles engagent selon le droit privé (art. 6 al. 5-6 LPers). Voir SCHEFER/HESS KLEIN, pp. 92-93. Voir aussi les art. 4 al. 2 let. f LPers et 8 OPers. Ordonnance sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées du 13 novembre 2003 (OHand ; RS 151.31). Voir aussi la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 (CDPH ; RS 0.109), en particulier l’art. 27 par. 1 obligeant les Etats à prendre des « mesures appropriées » pour « employer des personnes handicapées dans le secteur public » (let. g) et « faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail en faveur des personnes handicapées » (let. i). Le refus de mettre en place des « aménagements raisonnables » tels que définis à l’art. 2 CDPH est constitutif de discrimination au sens de cette disposition. Voir les explications de l’association faîtière « Inclusion Handicap » sur : www.inclusionhandicap.ch/fr/actualite/port-du-masque-obligatoire-551.html (consulté le 16 décembre 2020). ATAF 2008/25 du 29 avril 2008, c. 6 et 8. Voir aussi SCHEFER/HESS KLEIN, p. 97 ; LEMPEN, pp. 81-82. 87 Karine Lempen durée des rapports de travail est longue et l’âge de l’individu avancé, plus le licenciement risque d’avoir des conséquences graves pour la personne congédiée100. Inspirée par ce principe général de droit public, la jurisprudence civile – à laquelle se réfère à son tour la jurisprudence administrative 101 – consacre un devoir de diligence accru à l’égard du personnel âgé au bénéfice d’une grande ancienneté102. Lorsqu’il est impossible de remédier aux manquements constatés par des mesures telles qu’une aide à la réorientation ou au perfectionnement professionnels103, la résiliation doit s’effectuer en ménageant autant que possible la personne concernée104. Le caractère brutal de l’annonce d’une suppression de poste à un membre du personnel âgé au bénéfice d’une longue ancienneté constitue un élément aggravant à prendre en considération au niveau de l’indemnisation105. 2. Nécessité d’un avertissement et droit d’être entendu Dans la fonction publique, en vertu du principe de proportionnalité, la résiliation ordinaire des rapports de travail doit être précédée d’un avertissement106, sous réserve des cas où la relation de confiance nécessaire à la poursuite des rapports de service est définitivement rompue et où un licenciement avec effet immédiat aurait dès lors été justifié107. A titre exceptionnel, il est aussi possible de renoncer à l’avertissement lorsque cette mesure s’avère d’emblée inutile, notamment parce que la décision de licencier est indépendante du comportement de la personne employée 108. 100 101 102 103 104 105 106 107 108 88 MÜLLER/PÄRLI/CARONI, p. 883. Voir TAF A-5255/2018 du 9 juillet 2019, c. 5.3 avec les références à la doctrine et à la jurisprudence civile. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’une résiliation discriminatoire en raison de l’âge au sens de l’art. 336 al. 1 let. a CO. En particulier : ATF 132 III 115 ; TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014. Pour un résumé de ces arrêts et une analyse du devoir de diligence accru envers le personnel âgé sous l’angle du droit privé, voir LEMPEN, pp. 83-85 avec les réf. Voir l’art. 31 al. 5 LPers. TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014, c. 5.2. Illustrations (ville de Genève) : ATA 885/2020 du 20 mai 2020 (55 ans, 36 ans d’ancienneté) ; ATA 1021/2020 du 18 octobre 2020 (57 ans, 15 ans d’ancienneté). Voir aussi supra II.B.3. Voir TF 8C_189/2020 du 14 avril 2020, c. 5.3 (irrégularités dans l’enregistrement du temps de travail, avertissements, proportionnalité au sens de l’art. 5 al. 2 Cst., licenciement objectivement fondé au sens de l’art. 10 al. 3 let. a et b. LPers). Voir en revanche TAF A-5641/2019 du 9 mars 2020, c. 3.4 (faute d’avertissement clairement formulé, résiliation disproportionnée). WYLER/BRIGUET, p. 66 ; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMAN, N 2018 ; CANDRIAN, pp. 110-111 (à propos de la LPers). Au sujet du licenciement avec effet immédiat, voir infra II.D. Voir WYLER/BRIGUET, pp. 66-69 ; CANDRIAN, p. 111. En cas de suppression de poste, la mention « moyennant un avertissement écrit donné six mois à l’avance » (art. 44 al. 1bis LSt-NE) prête à La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique Ainsi, le statut du canton de Neuchâtel prévoit que « lorsque les faits reprochés au titulaire de la fonction publique dépendent de sa volonté ou lorsque les exigences de la fonction ne sont pas remplies à satisfaction, le chef de service doit en avertir par écrit l’intéressé après l’avoir entendu et lui fixer un délai raisonnable pour s’améliorer. Il lui en suggère autant que possible certains moyens. Faute d’amélioration constatée dans le délai imparti, le chef de service transmet le dossier à l’autorité de nomination avec ses observations » (art. 46 al. 1 et 2 LSt-NE). Le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) est garanti tout au long de la procédure susceptible de mener à une décision de résiliation109. En particulier, la personne employée doit être informée110 des reproches qui lui sont adressés et disposer d’un délai suffisant pour présenter ses objections. Une période de huit à dix jours ouvrables, susceptible d’être prolongée en cas de besoin (notamment s’il faut chercher un ou une mandataire et/ou obtenir l’accès au dossier), est considérée comme appropriée111. Le Tribunal fédéral a récemment rappelé que le droit d’être entendu est susceptible d’être exercé durant une période d’incapacité de travailler112. Les rapports de service prennent fin, en principe, à l’échéance des délais de résiliation ordinaires113. Dans la fonction publique, ces délais sont souvent plus longs que ceux prévus par le droit privé114, même si la tendance est au rapprochement115. Lorsque l’entité employeuse constate une grave violation des devoirs de service, elle peut procéder à un renvoi avec effet immédiat, le cas échéant sans avertissement préalable 116. En toutes hypothèses, le droit d’être entendu doit être respecté. Le délai accordé à la personne employée pour prendre position peut toutefois être plus court que les huit à dix jours susmentionnés117. 109 110 111 112 113 114 115 116 117 confusion. Cette formule vise uniquement à imposer un préavis de résiliation plus long que le délai ordinaire prévu à l’art. 48 al. 2 LSt-NE. Voir ATF 144 I 11, c. 5.3 cité supra II.A. Voir l’art. 46 al. 3 LSt-NE. WYLER/BRIGUET, pp. 24-25 ; GRODECKI, pp. 138-139 avec les réf. TF 8C_109/2020 du 27 avril 2020, c. 5 (travailleuse en congé maternité invitée à s’exprimer juste après les huit semaines d’interdiction de travailler prévues par l’art. 35a al. 3 LTr, possibilité de se déterminer par écrit via les mandataires, l’instance cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en niant une violation du droit d’être entendu). Voir WYLER/BRIGUET, pp. 35-36 ; GRODECKI, p. 139. Pour la période qui suit le temps d’essai, voir les art. 20 al. 2-3 LPAC-GE, 48 al. 3 LSt-NE. Des délais plus longs sont prévus en cas de suppression de poste : art. 20 al. 4 LPAC-GE et 44 al. 1bis LSt-NE. Art. 335b-335c CO. Comme le déplore CANDRIAN, pp. 107-108 (à propos du droit du personnel de la Confédération). Art. 48 al. 3 LSt-NE. Au sujet de l’immédiateté de la réaction, voir infra II.D.2. GRODECKI, pp. 138-139 (en cas d’urgence, le droit d’être entendu peut s’exercer par courriels). 89 Karine Lempen D. Résiliation avec effet immédiat 1. Justes motifs : cas particulier de motif fondé La résiliation pour justes motifs constitue un cas particulier de résiliation fondée, le « juste motif » se distinguant du simple « motif fondé » par sa gravité, propre à entraîner une résiliation avec effet immédiat118. La possibilité de résilier les rapports de service avec effet immédiat est prévue aux art. 20 al. 5 LPAC-GE, 48 al. 3 LSt-NE et 10 al. 4 LPers. Seule cette dernière disposition se réfère à la notion de « justes motifs »119. Même sans renvoi explicite aux art. 337ss CO, le Tribunal fédéral considère que la jurisprudence civile développée en application de ces dispositions s’applique aux résiliations fondées sur l’art. 10 al. 4 LPers120. De façon générale, la première Cour de droit social du Tribunal fédéral (compétente pour la fonction publique) interprète la notion de justes motifs à l’aune des principes dégagés par la première Cour de droit civil. Ainsi, une grave atteinte aux droits de la personnalité des collègues, notamment un harcèlement sexuel121 ou psychologique122, peut justifier un licenciement avec effet immédiat. Le fait que le comportement répréhensible soit dû en partie à l’inaction de l’entité employeuse ayant laissé une situation s’envenimer, en violation de son devoir de protection, doit être pris en considération lors de l’examen de la justification d’un renvoi avec effet immédiat, comme requis par la jurisprudence rendue sur la base de l’art. 328 CO123. Un manquement de gravité moyenne ou légère, p. ex. un coup de poing décoché suite à une provocation124 ou la désobéissance aux instructions relatives à l’hygiène au travail, ne permet de justifier un licenciement avec effet immédiat que lorsqu’il est répété malgré un ou plusieurs avertissements125. Ainsi, le refus persistant d’une ou un membre du personnel enseignant de porter un masque hygiénique en classe, conformément au plan de protection 118 119 120 121 122 123 124 125 90 Dans ce sens : ROSELLO, N 652. Le terme « justes motifs » figure aussi à l’art. 45 LSt-NE mais revêt une autre signification qu’en droit privé puisque de tels motifs peuvent donner lieu à une résiliation ordinaire, comme l’illustre l’arrêt du TF 8C_640/2018 du 19 mars 2019. Voir aussi WYLER/BRIGUET, p. 45. TF 8C_468/2019 du 28 février 2020, c. 4.1 (qui se réfère au renvoi général prévu à l’art. 6 al. 2 LPers). TF 8C_371/2019 du 14 août 2019 (constitue un juste motif de renvoi le fait, pour un enseignement, de placer son téléphone sur un mur de séparation dans les toilettes pour femmes alors que des élèves s’y trouvent). TF 8C_465/2018 du 6 mai 2019. TF 8C_879/2018 du 6 mars 2020, c. 3.2 (qui se réfère notamment à l’ATF 125 III 70). TAF A-656/2016 du 14 septembre 2016, c. 6.5 (coup de poing isolé suivi d’excuses, aucun risque de récidive, avertissement préalable nécessaire). TF 8C_879/2018 du 6 mars 2020, c. 3.2 (qui se réfère notamment à l’ATF 130 III 213). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique contre les épidémies en vigueur dans l’établissement scolaire, est propre à justifier un renvoi immédiat eu égard au risque que cette attitude entraîne pour la santé de tiers 126. Il faut réserver le cas où l’insoumission serait due à une incapacité médicalement attestée de porter le masque127. 2. Immédiateté de la réaction Alors que la notion de « justes motifs » est interprétée de façon similaire en droit privé du travail et dans la fonction publique128, la jurisprudence civile relative au délai dans lequel le licenciement pour justes motifs doit être signifié (à savoir en principe deux à cinq jours ouvrables dès la connaissance certaine des faits) n’est pas transposable en droit public eu égard aux spécificités de la procédure administrative, qui requiert notamment le prononcé d’une décision écrite et motivée129. Comme relevé plus haut, le droit d’être entendu doit être respecté même en cas de licenciement avec effet immédiat130. Toutefois, s’il se justifie d’accorder un délai de réflexion plus long que dans le secteur privé à l’Etat employeur, celui-ci doit mener la procédure avec diligence et ne saurait « laisser la procédure durablement en suspens »131, sous peine de déchéance du droit de licencier avec effet immédiat132. Bien que le temps de réaction admissible doive être jugé au cas par cas, la jurisprudence tend à considérer, dans les situations n’entraînant pas d’enquête administrative, qu’un « délai de deux mois entre la découverte des faits et la signification de la résiliation immédiate est admissible, pour autant que l’employeur ne reste pas inactif sans motif »133. Dans un arrêt concernant un employé qui avait utilisé le matériel informatique de la Confédération pour consulter huit mille images pornographiques sur une période de six mois au cours de laquelle il aurait été en proie à un profond ennui, le Tribunal administratif fédéral a jugé que l’entité employeuse avait tardé à résilier avec effet immédiat. En l’espèce, quatre mois s’étaient écoulés entre la découverte des faits et la notification de la décision. Selon le Tribunal, s’il n’est pas exclu qu’un tel délai puisse se justifier dans une situation concrète, tel n’était pas le cas en l’espèce. En effet, aucune enquête administrative 126 127 128 129 130 131 132 133 A titre d’illustration, deux articles de presse : « Thurgauer Lehrern ohne Maske droht die fristlose Kündigung », Die Ostschweiz, 30.10.2020 ; « Lehrerin ohne Maske fristlos entlassen », Neue Zürcher Zeitung, 12.11.2020 (refus de porter le masque dans une école à Zurich pour des motifs pédagogiques). Voir supra C.I.1.b en lien avec le handicap. Voir chiffre précédent. ATF 138 I 113, JdT 2012 I 321, c. 6.3.4 et 6.4. Parmi d’autres : ROSELLO, N 653. Voir supra II.C.2. ATF 138 I 113, JdT 2012 I 321, c. 6.5. Voir aussi CANDRIAN, pp. 111-112 ; WYLER/BRIGUET, pp. 46, 92-93. Voir TAF A_3861/2016 du 17 juillet 2017, c. 4.2.2 avec les références. 91 Karine Lempen n’avait été nécessaire et l’entité employeuse avait procédé d’une façon qui laissait penser qu’elle « n’était pas consciente de l’urgence de la situation ou, à tout le moins, que la continuation des rapports de travail lui était encore supportable ». En particulier, elle n’aurait pas dû laisser passer cinq semaines entre le moment où elle avait reçu les dernières déterminations de l’employé puis préparé la décision et transmis le texte au service de traduction, et le moment de la notification de la décision, étant précisé que le texte à traduire ne comportait que six pages134. La résiliation avec effet immédiat signifiée à un sergent major, référent dans le cadre de la formation des agents de la police municipale genevoise, a également été considérée tardive et donc injustifiée, puisque survenue seize mois après les faits135. En l’occurrence, le policier avait gravement violé son devoir de loyauté en participant à un groupe WhatsApp sur lequel étaient échangés des propos vulgaires, racistes et sexistes. Toutefois, il n’avait envoyé que deux messages inadmissibles, à la suite desquels il s’était comporté de façon irréprochable. Selon le Tribunal fédéral, la Cour cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en annulant la résiliation avec effet immédiat et en évoquant d’autres mesures, moins incisives. A ce propos, le Tribunal rappelle que l’annulation judiciaire d’une décision de licenciement immédiat ne s’oppose pas à ce que l’entité employeuse procède ensuite à une résiliation ordinaire sur la base des mêmes faits136. Alors que la notification d’une résiliation avec effet immédiat a pour effet, en droit privé, de mettre tout de suite fin au contrat, qu’elle repose ou non sur de justes motifs, l’affaire susmentionnée montre que la décision de résilier avec effet immédiat les rapports de travail soumis au droit public peut, en l’absence de justes motifs, être annulée et donner lieu à la réintégration lorsque cette conséquence est prévue par le droit applicable137. 134 135 136 137 92 TAF A_3861/2016 du 17 juillet 2017, c. 4.5 (du fait de sa tardiveté, la résiliation s’avère injustifiée). TF 8C_336/2019 du 9 juillet 2020, c. 5.3. TF 8C_336/2019 du 9 juillet 2020, c. 5.4 (se référant à l’ATF 144 I 11, résumé au JdT 2018 I 187). Voir HÄFELIN/MÜLLER/UHLMAN, N 2021, qui évoquent en outre la possibilité – inexistante en droit privé – qu’une instance de recours transforme une résiliation immédiate en congé ordinaire (ATF 137 I 58, c. 4.3). Voir aussi : ROSELLO, N 654. ATF 138 I 113, JdT 2012 I 231, c. 6.4.3. Voir l’art. 106 du Statut du personnel de la ville de Genève du 29 juin 2010 (objet de l’arrêt susmentionné TF 8C_336/2019 du 9 juillet 2020). La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique III. Réintégration suite à une résiliation sans motif fondé A. Généralités Une décision de résiliation non fondée peut en principe être attaquée par la voie d’un recours de droit administratif138. Sauf exception, le recours n’a pas d’effet suspensif139. Son admission est susceptible d’entraîner l’annulation de la décision et la réintégration sur le lieu de travail ou uniquement le versement d’une indemnité140. En droit de la fonction publique, sauf mécanisme « divergent prévu par la loi, l’annulation judiciaire d’un licenciement a pour conséquence le maintien du rapport de travail ou, en pratique, la réintégration si l’intéressé a été suspendu, libéré de son obligation de travailler durant la procédure ou encore si le recours contre la décision de licenciement n’avait pas d’effet suspensif »141. Toutefois, « pour qu’une réintégration puisse être prononcée, il convient par sécurité qu’une conclusion expresse soit prise en ce sens dans le recours »142. Les lignes qui suivent exposent le droit du personnel de la Confédération et celui du canton de Genève. Alors que la première a abandonné le principe selon lequel le maintien des rapports de travail est préférable à une indemnisation143, le second y reste attaché144, comme exposé en introduction. B. Personnel de la Confédération Depuis 2013, la LPers prévoit que la résiliation non fondée sur un motif objectivement suffisant (art. 10 al. 3 LPers)145 ou de justes motifs (art. 10 al. 4 LPers)146, ou qui a été 138 139 140 141 142 143 144 145 146 Sur les voies de recours, voir l’art. 36 LPers, 82 LSt-NE et 31 LPAC-GE. Explications détaillées : HÄFELIN/MÜLLER/UHLMAN, N 2020, 2076-2078. Voir l’art. 34a LPers et WYLER/BRIGUET, pp. 13-17. Voir MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, pp. 633, 635. « Certains cantons ont opté pour le principe de la réintégration, l’indemnisation constituant une exception. D’autres ont choisi de laisser à l’employeur public le choix de la réintégration ou de l’indemnisation. D’autres encore ont opté pour l’indemnisation du collaborateur concerné », ATA/287/2018 du 27 mars 2018, c. 7c. Le statut du canton de Neuchâtel ne spécifie pas les conséquences d’un congé infondé. Pour un aperçu : ROSELLO, N 630. TANQUEREL, Idées reçues, pp. 313-314. WYLER/BRIGUET, p. 99, auxquels se réfère l’arrêt ATA/287/2018 du 27 mars 2018, c. 7a. Sous réserve des cas énumérés à l’art. 34c al. 1 LPers. Voir infra III.B. Voir l’art. 31 al. 2 LPAC-GE et infra III.C. Voir supra II.B.1. Voir à ce sujet, supra II.D. 93 Karine Lempen prononcée en violation des règles de procédure, p. ex. du droit d’être entendu147, donne lieu en principe à une indemnité située entre six et douze mois de salaire (art. 34b LPers)148. Le droit à la réintégration dans l’emploi précédemment occupé ou – si cela s’avère impossible – l’affectation à un autre travail raisonnablement exigible est toutefois prévue dans quatre cas particulièrement graves (art. 34c al. 1 let. a-d LPers). Tout d’abord, il s’agit de l’hypothèse où une personne est licenciée en raison du fait qu’elle a, de bonne foi, dénoncé une infraction, signalé une irrégularité ou déposé comme témoin conformément à l’art. 22a LPers. En effet, contrairement au Code des obligations149, la LPers consacre une protection spécifique des whistleblowers. Nous n’avons toutefois trouvé aucun arrêt ordonnant la réintégration d’une personne lanceuse d’alerte sur la base de l’art. 34c al. 1 let. a LPers. Dans un arrêt récent, le Tribunal administratif fédéral a refusé une telle réintégration au motif, notamment, que l’existence d’un lien de causalité entre le signalement et la résiliation des rapports de travail n’avait pas pu être établie150. Le deuxième cas de figure est celui du licenciement abusif au sens de l’art. 336 CO151. Ainsi, le personnel de la Confédération qui reçoit son congé en raison d’une activité syndicale exercée conformément au droit (art. 336 al. 2 let. a CO) peut se prévaloir de l’art. 34c al. 1 let. b LPers afin d’obtenir sa réintégration. Là encore, la LPers demeure plus protectrice que le droit privé qui ne sanctionne les licenciements antisyndicaux que par une indemnité (art. 336a CO)152. Un licenciement discriminatoire (art. 336 al. 1 let. a CO) basé sur un handicap ou l’âge peut également donner lieu à une réintégration en vertu de l’art. 34c al. 1 let. b LPers153. Troisièmement, une réintégration peut être ordonnée sur la base de l’art. 34c al. 1 let. c LPers lorsque le licenciement a été prononcé en temps inopportun au sens de l’art. 336c 147 148 149 150 151 152 153 94 Voir supra II.C.2. Au sujet de cette indemnité et des circonstances à prendre en compte lors de sa fixation, voir WYLER/BRIGUET, pp. 94-96. En cas de résiliation immédiate injustifiée, l’art. 34b al. 2 LPers prévoit en outre une créance en dommages-intérêts similaire à celle prévue par l’art. 337c al. 1 CO. Voir WYLER/BRIGUET, pp. 100-101. Le projet de modification du CO visant à renforcer la protection en cas de signalement d’irrégularités a été définitivement refusé par le Conseil national le 5 mars 2020 (Objet du Conseil fédéral n°13.094). TAF A-5159/2019 du 18 février 2019, c. 3.1.4. Voir supra II.B.2. Voir aussi WYLER/BRIGUET, pp. 97-98, notant que le caractère abusif de la résiliation est rarement admis par le Tribunal administratif fédéral. Sur l’amélioration de la protection contre les licenciements antisyndicaux en droit privé suisse du travail à la lumière du droit de l’Organisation internationale du travail (OIT), voir notamment DUNAND, pp. 125 ss et MAHON, pp. 371 ss. Illustrations : ATAF 2008/25 du 29 avril 2008, c. 8 cité supra II.C.1.b (handicap) ; TAF A-5665/2014 du 29 septembre 2015, c. 5.6 (âge et ancienneté). L’existence d’une discrimination en raison de l’âge a en revanche été niée dans l’arrêt TAF A-5255 du 9 juillet 2019, c. 5. La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique CO154. La décision de résilier notifiée pendant l’une des éventualités énoncées à l’art. 336c al. 1 CO n’est pas nulle, comme le prévoit l’art. 336c al. 2 CO, mais annulable155. En revanche, lorsque le congé est signifié après l’expiration d’une des périodes visées à l’art. 336c al. 1 CO, il n’est plus susceptible d’être annulé pour avoir été donné en temps inopportun (art. 34c al. 1 let. c LPers). Un tel congé peut néanmoins donner lieu au versement d’une indemnité s’il s’avère dénué de fondement objectivement suffisant (art. 10 al. 3 et 34b al. 1 let. a LPers), notamment parce qu’il a été signifié à une personne incapable de travailler pour cause de maladie, après le temps d’essai, alors que le délai de protection de deux ans prévu par l’art. 31a al. 1 OPers n’était pas encore échu156. Enfin, l’art. 34c al. 1 let. d LPers consacre un droit à la réintégration en cas de licenciement discriminatoire au sens de la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg)157. Un tel droit résulte aussi de l’art. 5 al. 1 let. b LEg sur la base duquel la résiliation de rapports de travail soumis au droit public peut être annulée dans le cadre d’une action en cessation de l’atteinte158. Ces normes fondent un droit à la réintégration dans tous les cas de résiliation discriminatoire liée au sexe et non pas seulement en présence d’un congé de rétorsion au sens des art. 336 al 1 let. d CO et 10 LEg 159. Lorsqu’une résiliation infondée est signifiée avec effet immédiat dans une des quatre hypothèses prévues à l’art. 34c al. 1 let. a-d LPers (p. ex. résiliation immédiate injustifiée et abusive), il convient d’admettre que la personne licenciée peut choisir entre le maintien des rapports de travail ou une indemnisation au sens de l’art. 34b LPers160. 154 155 156 157 158 159 160 Introduit suite à un ATF 139 I 57, l’art. 12a LSt-NE (temps d’essai) renvoie aussi à l’art. 336c CO. Illustration : TAF A-3317/2018 du 29 mai 2019, c. 6.4. Voir WYLER/BRIGUET, p. 99. Voir PÄRLI/HUG/PETRIK, N 517-526 ; ROSELLO, N 603-605, 660. Voir aussi l’art. 56 OPers (salaire). RS 151.1. Ainsi, un licenciement discriminatoire au sens de l’art. 3 LEg peut être annulé et donner lieu à une réintégration même lorsque le droit du personnel ne le prévoit pas explicitement. Du même avis : ARIOLI/FURRER ISELI, N 179 ; LEMPEN/SALEM, p. 109 (avec les références aux avis contraires). Régissant en principe uniquement les rapports de travail régis par le CO, ces dispositions s’appliquent aussi au personnel de la Confédération en raison du renvoi prévu par l’art. 34c al. 1 let. b LPers : TF 8C_134/2018 du 17 septembre 2018, c. 3.2 et 4 non publiés in : ATF 144 II 345. Sur le droit à une occupation effective fondé sur l’art. 10 LEg : LEMPEN/SALEM, pp. 105-106. Selon un ATAF 2015/21 du 25 mars 2015, c. 5, le droit à la réintégration existe en cas de résiliation infondée avec effet immédiat durant les périodes visées à l’art. 336c CO. En revanche, une résiliation immédiate fondée sur de justes motifs peut être valablement prononcée en tout temps. WYLER/BRIGUET, pp. 103-104, relèvent à juste titre qu’il convient d’effectuer un raisonnement analogue pour toutes les hypothèses mentionnées à l’art. 34c al. 1 LPers. 95 Karine Lempen De façon générale, lorsque le droit à la réintégration est reconnu, la personne licenciée à tort peut demander le versement d’une indemnité en lieu et place de la réintégration (art. 34c al. 2 LPers). C. Personnel du canton de Genève 1. Système consacré par la LPAC-GE depuis 2015 Depuis 2015161, l’art. 31 LPAC-GE prévoit que lorsque la résiliation des rapports de travail « ne repose pas sur un motif fondé » (au sens de l’art. 22 LPAC-GE)162, la Chambre administrative de la Cour de justice ordonne à l’autorité compétente la réintégration (al. 2). Lorsque la résiliation est « contraire au droit », la Chambre peut uniquement proposer la réintégration (al. 3). L’expression « contraire du droit » vise notamment une violation du principe de proportionnalité ou du droit d’être entendu163. L’élaboration de cette disposition a donné lieu à de vifs débats. Comme le rappelle la Chambre administrative dans son premier arrêt en application du nouveau droit, le Conseil d’Etat du canton de Genève et l’Office du personnel de l’Etat jugèrent problématique, sous l’angle de la séparation des pouvoirs, qu’un tribunal puisse contraindre l’administration à reprendre à son service une ou un fonctionnaire licencié. Le spectre d’une « république des juges » fût brandi164. Une majorité au Grand Conseil considéra cependant qu’il revient « à l’Etat de respecter la loi et à l’administration de l’appliquer correctement. Le fonctionnaire injustement licencié doit pouvoir continuer à œuvrer pour l’Etat. La réintégration est le seul moyen de garantir le sentiment de justice », même si elle peut être à l’origine de tensions avec les collègues165. La question se pose de savoir si un licenciement qui est à la fois « non fondé » et « contraire au droit » (car prononcé en violation des règles de procédure) tombe sous le coup de l’alinéa 2 (ordre de réintégration) ou de l’alinéa 3 (proposition de réintégration). Il ressort des débats parlementaires que la réintégration doit être ordonnée sur la base de l’alinéa 2 dans toutes les situations où le licenciement ne repose pas sur un motif fondé, indépendamment d’un éventuel vice de procédure166. Si tel n’était pas le cas, en effet, il 161 162 163 164 165 166 96 Loi modifiant la Loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux (LPAC) (L 7526) du 15 octobre 2015 (B 5 05), entrée en vigueur le 19 décembre 2015. Voir supra II.B.1. Rapport PL 7526-F, p. 7. ATA 287/2018 du 17 mars 2018, c. 7b avec les références aux débats relatifs au projet de loi. ATA 287/2018 du 17 mars 2018, c. 7b avec les références. Rapport PL 7526-F, p. 11. La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique suffirait à l’Etat de violer le droit d’être entendu au cours de la procédure de résiliation pour entraîner l’application de l’art. 31 al. 3 LPAC-GE et éviter ainsi le risque d’être contraint à la réintégration167. En outre, il serait absurde qu’un licenciement non fondé mais prononcé dans le respect des garanties procédurales soit sanctionné plus sévèrement qu’un licenciement à la fois non fondé et contraire au droit168. Il sied de distinguer l’hypothèse du licenciement non fondé ou contraire au droit, susceptible d’être attaqué dans le cadre d’un recours basé sur l’art. 31 LPAC-GE, de celle de la révocation disciplinaire, pouvant faire l’objet d’un recours fondé sur l’art. 30 LPACGE. En effet, cette loi prévoit deux modes de résiliation des rapports de travail, dont le fondement diffère. Alors que la révocation (art. 16 al. 1 let. c LPAC-GE) présuppose un comportement gravement fautif et présente un caractère infamant, le licenciement (au sens de l’art. 21 LPAC-GE) doit uniquement reposer sur un motif fondé, à savoir un élément rendant la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l’administration (art. 22 LPAC-GE), sans être nécessairement lié à un comportement fautif 169. En définitive, la LPAC-GE distingue « trois situations : le licenciement prononcé en l’absence de motif fondé ; le licenciement prononcé en violation des règles de procédure170 ; la révocation disproportionnée. Les conséquences attachées à chacun de ces manquements varient. Seuls le licenciement infondé et la révocation disproportionnée [donnent] lieu à une réintégration obligatoire »171. Les lignes qui suivent examinent ces deux cas de figure. 2. Licenciement infondé Au cours des deux dernières années, la Chambre administrative de la Cour de justice a annulé plusieurs licenciements non fondés. Sur la base de l’art. 31 al. 2 LPAC-GE, la 167 168 169 170 171 Comme relevé par GRODECKI, p. 143, qui doute cependant qu’un tribunal puisse se prononcer sur le fond lorsque la violation des règles procédurales consiste p. ex. en la fourniture d’un dossier incomplet. L’auteur conclut (p. 144) à l’impossibilité de construire une interprétation conforme au droit supérieur de l’art. 31 al. 2-4 LPAC-GE, inapplicable. En vertu de l’art. 69 LPA, un licenciement mal fondé ou violant les règles de procédure doit être annulé, la personne concernée demeurant en poste. GRODECKI, p. 143, souligne l’inégalité de traitement entre la personne licenciée sans motif fondé, mais dont le droit d’être entendu a été violé, et celle licenciée pour le même motif, mais dont les droits procéduraux ont été respectés. La seconde se trouve paradoxalement mieux placée que la première eu égard au maintien des rapports de travail. MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, p. 636. TF 8C_203/2020 du 15 août 2020, c. 3.3.1. Voir ATA/1069/2020 du 27 octobre 2020 (résiliation pour motif fondé, non-respect de la procédure de reclassement au sens de l’art. 23 al. 3 LPAC-GE, réintégration proposée en vertu de l’art. 31 al. 3 LPAC-GE, suite au refus, fixation d’une indemnité selon l’art. 31 al. 4 LPAC-GE). Rapport PL 7526-F, p. 20, auquel se réfère TF 8C_203/2020 du 15 août 2020, c. 3.3.2. 97 Karine Lempen Chambre a ordonné la réintégration dans la fonction précédente ou à un poste équivalent au sein de l’administration cantonale172. Par exemple, un arrêt du 16 juin 2020 juge infondé le licenciement signifié à une fonctionnaire chargée du contrôle interne au Département des finances. En l’espèce, il n’était pas nécessaire de déterminer si la collaboratrice – qui avait signalé lors d’un audit des dysfonctionnements au sein de l’Office employeur – avait joué le rôle d’une « lanceuse d’alerte »173. En effet, contrairement à l’art. 34c al. 1 LPers selon lequel le droit à la réintégration n’existe que dans les cas les plus graves (notamment lorsqu’une personne est licenciée pour avoir, de bonne foi, dénoncé une irrégularité 174), l’art. 31 al. 2 LPAC-GE n’opère aucune distinction selon les types de résiliations infondées. La réintégration revêt un caractère obligatoire et « ne dépend pas de la bonne disposition de l’employeur ». La Chambre administrative réserve toutefois le cas « d’une impossibilité, objective ou subjective, de réintégration, dont la preuve incombe à l’employeur et qui ne peut pas être admise à la légère »175. En l’occurrence, une impossibilité de réintégrer la recourante au sein de l’administration n’avait pas été invoquée et aurait d’ailleurs été jugée « peu vraisemblable au vu de l’étendue de la ladite structure et du domaine de compétence de l’intéressée ». En outre, cette dernière n’avait « pas eu à l’égard de sa hiérarchie un comportement susceptible de rompre le rapport de confiance »176. Dès lors, la Chambre annule la décision du département et ordonne la réintégration de l’employée « au sein de l’administration cantonale dans sa fonction de responsable chargée du contrôle interne ou dans une fonction équivalente »177. A l’instar de l’art. 34c al. 2 LPers178, l’art. 31 al. 4 LPers laisse à la personne en droit d’être réintégrée la possibilité de préférer une indemnité179 au maintien des rapports de travail. 3. Révocation disproportionnée La révocation constitue la sanction disciplinaire la plus lourde prévue par l’art. 16 al. 1 LPAC-GE. Une telle sanction présuppose une violation grave ou continue des rapports de 172 173 174 175 176 177 178 179 98 Illustrations : ATA/287/2018 du 27 mars 2018 (ingénieur en génie civil âgé de 53 ans) ; ATA/1087/2018 du 16 octobre 2018 (employée de prison, relation affective avec un détenu non établie) ; ATA/915/2019 du 21 mai 2019 (huissier-chef dont le poste n’est en réalité pas supprimé). ATA/588/2020 du 16 juin 2020, c. 7-8. Voir l’art. 34c al. 1 let. a LPers et supra III.B. ATA/588/2020 du 16 juin 2020, c. 8a, qui se réfère à ATA/287/2018 du 27 mars 2018, c. 7e. Sur les assouplissements au principe de la réintégration issus de la jurisprudence, voir LEMPEN/SALEM, p. 108. ATA/588/2020 du 16 juin 2020, c. 8b. ATA/588/2020 du 16 juin 2020, dispositif. Supra III.B. Plafonnée à 24 mois du dernier traitement brut pour les fonctionnaires. La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique service180. La révocation entraîne la fin des rapports de service à l’issue du délai de résiliation ordinaire. Si l’intérêt public le commande, la révocation peut déployer des effets immédiats (art. 16 al. 2 LPAC-GE). Le canton de Genève est l’un des rares à connaître encore un régime disciplinaire181. Un tel système n’est pas nécessairement adapté à une gestion du personnel axée sur la prévention des conflits au niveau de l’institution plutôt que sur la démonstration de la faute commise par un individu182. En outre, le choix entre résiliation et révocation peut s’avérer difficile en pratique183. La révocation présuppose une enquête administrative (art. 27 al. 2 LPAC-GE)184. Une personne révoquée peut recourir contre cette mesure à la Chambre administrative de la Cour de justice (art. 30 al. 2 LPAC-GE). A titre d’illustration, on peut citer un arrêt du 11 février 2020185, qui a donné lieu à un arrêt du Tribunal fédéral du 25 août 2020186 et aux articles de presse évoqués en introduction. L’affaire concernait un inspecteur du travail auquel étaient reprochés divers manquements, notamment le fait d’avoir adressé des propos homophobes à une collègue, plusieurs violations du secret de fonction et des comportements inadéquats à l’égard de la direction de l’Office cantonal. Suite à l’enquête administrative, le collaborateur avait été révoqué de ces fonctions, malgré l’absence d’antécédents disciplinaires187. Estimant que le Conseil d’Etat avait abusé de son pouvoir d’appréciation en prononçant l’ultime sanction du catalogue prévu par l’art. 16 LPAC-GE, la Cour de justice a annulé la décision de révocation188. En l’absence de système similaire à celui prévu par l’art. 31 LPAC-GE en cas de résiliation189, les règles générales de la procédure administrative s’appliquent190. Lorsque l’admission du recours entraîne, comme dans le cas d’espèce, l’annulation de la décision de révocation, celle-ci ne déploie plus d’effets. Ainsi, le fonctionnaire demeure 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 Révocations justifiées : TF 8C_161/2019 du 26 juin 2020 (violations répétées du secret de fonction par un policier, caractère hautement sensible des informations transmises) ; TF 8C_448/2019 du 20 novembre 2019 (liaison intime entre un assistant social et une mère en détresse logée dans un foyer avec ses enfants, atteinte à la crédibilité du service de protection des mineurs). ROSELLO, N 655. Voir TANQUEREL, Manuel, N 286. A ce sujet : MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, pp. 635-636 ; WYLER/BRIGUET, p. 47. TANQUEREL, Manuel, N 278. ATA/137/2020. TF 8C_203/2020 du 25 août 2020. TF 8C_203/2020 du 25 août 2020, let. A. ATA/137/2020 du 11 février 2020, c. 17. Les dispositions consacrant un tel système, à savoir la réintégration obligatoire en cas de révocation sans violation des rapports de service, et la réintégration facultative en cas de révocation disproportionnée, ont été abrogées en 2015 lors de la révision susmentionnée (supra III.C.1). Voir ATA/137/2020 du 11 février 2020, c. 18, auquel se réfère TF 8C_203/2020 du 25 août 2020, c. 3.1. Voir l’art. 69 al. 3 LPA, auquel renvoie l’art. 32 al. 7 LPAC-GE. 99 Karine Lempen membre de l’administration cantonale et il convient de le réintégrer dans sa fonction ou, à défaut, dans un autre poste191. Le Tribunal fédéral a confirmé la validité de cette analyse. Selon notre Haute Cour, en effet, « il n’apparaît nullement insoutenable de considérer, comme l’a fait la Cour cantonale, que l’annulation de la révocation d’un fonctionnaire au motif qu’une telle sanction est disproportionnée entraîne ex lege la réintégration de l’intéressé »192. IV. Synthèse Bien que le droit de la fonction publique se soit rapproché du droit privé au cours des dernières années, des différences significatives subsistent entre les deux régimes, notamment en cas de résiliation des rapports de travail. Ainsi, il incombe à l’Etat employeur de prouver que sa décision de mettre fin aux rapports de travail repose sur un motif fondé193. Une suppression de poste liée à des impératifs économiques peut constituer un tel motif. Toutefois, le choix de l’individu dont le poste va être supprimé doit se fonder sur des critères objectifs. En outre, conformément au principe de proportionnalité, l’entité employeuse doit démontrer avoir activement recherché pour la personne concernée un autre travail raisonnablement exigible avant de se résoudre au licenciement 194. En effet, dans la fonction publique, la résiliation des rapports de travail ne peut être prononcée qu’en dernier recours, lorsqu’il est impossible de remédier à la situation par des mesures moins incisives195. La responsabilité sociale de l’entité employeuse figure parmi les principes encadrant la politique du personnel de la Confédération. Dans le contexte pandémique actuel, il convient de souligner les égards particuliers dont l’entité employeuse doit faire preuve envers les membres du personnel atteints dans leur santé, en situation de handicap ou au bénéfice d’une longue ancienneté, en vertu de son obligation de protection de la personnalité196. En principe, la résiliation des rapports de service doit être précédée d’un avertissement. Le droit d’être entendu doit être respecté tout au long de la procédure susceptible d’aboutir à un renvoi, y compris lorsqu’un licenciement avec effet immédiat 191 192 193 194 195 196 ATA/137/2020 du 11 février 2020, c. 18. TF 8C_203/2020 du 25 août 2020, c. 3.3.3, auquel se réfère ATA/1086/2020 du 3 novembre 2020, c. 6c (annulant la révocation d’un enseignant et ordonnant sa réintégration). Voir supra II.B.2. Voir supra II.B.3. Voir supra II.C. Voir supra II.C.1. 100 La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique est envisagé197. Alors qu’une résiliation avec effet immédiat a pour conséquence, en droit privé, de mettre tout de suite fin au contrat, qu’elle soit ou non justifiée, un licenciement immédiat injustifié peut être annulé et donner lieu à une réintégration 198. Le droit du personnel de la Confédération prévoit un droit à la réintégration dans les cas les plus graves de résiliation injustifiée, notamment dans le contexte d’un signalement d’irrégularité (whistleblowing), suite à un licenciement antisyndical ou en cas de résiliation fondée sur le sexe199. La loi sur le personnel du canton de Genève consacre le principe de la réintégration obligatoire pour tous les types de résiliations sans motif fondé. Lorsque le droit à la réintégration est reconnu, la personne concernée demeure libre de préférer une indemnité monétaire200. Durant ces dernières années, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a annulé plusieurs licenciements et ordonné la réintégration du ou de la fonctionnaire dans sa fonction précédente ou à un poste équivalent au sein de l’administration cantonale201. A l’heure où nous nous apprêtons à conclure cet article, la presse locale annonce que cette juridiction est à nouveau saisie d’un recours visant à obtenir la réintégration de deux « lanceuses d’alerte »202. Ainsi, il semble que la jurisprudence relative à l’art. 31 LPAC-GE continuera à s’enrichir dans un proche avenir. En définitive, la protection contre les licenciements demeure sensiblement plus forte dans la fonction publique que sous l’angle du droit privé. En période de crise économique, cette différence acquiert une signification particulière. 197 198 199 200 201 202 Voir supra II.C.2. Voir supra II.D.2. Voir supra III.B. Voir supra III.C. Voir supra III.C. Voir dans la Tribune de Genève du 15 décembre 2020 un article intitulé : « Les lanceuses d’alerte du service des votations ont été licenciées. Les deux auxiliaires demandent à être réintégrées dans leur fonction. Un recours est déposé ». 101 Karine Lempen Bibliographie Sauf indication contraire, les ouvrages ou articles de cette bibliographie sont cités dans les notes avec l’indication du seul nom de famille. ARIOLI KATHRIN/FURRER ISELI FELICITAS, L’application de la loi sur l’égalité aux rapports de travail de droit public, Bâle/Genève 2000. 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PÄRLI KURT/HUG JULIA/PETRIK ANDREAS, Arbeit, Krankheit, Invalidität : arbeits- und sozialversicherungsrechtliche Aspekte, Berne 2015. 102 La résiliation sans motif fondé et la réintégration dans la fonction publique PERRENOUD STÉPHANIE, En guise de synthèse – Quelques considérations au sujet de l’opportunité et des possibilités de soumettre l’ensemble des relations de travail à un droit uniforme, in : Dunand/Mahon/Perrenoud (édit.), Le droit de la relation de travail à la croisée des chemins : Convergences et divergences entre le droit privé du travail et le droit de la fonction publique, Genève 2016, pp. 456-482. ROSELLO HÉLOÏSE, Les influences du droit privé du travail sur le droit de la fonction publique, thèse, Genève 2016. RÖTHLISBERGER JEAN-MARIE, La fin des rapports de service selon la loi sur le statut de la fonction publique du 28 juin 1995, in : RJN 2019, pp. 31-86. SCHEFER MARKUS/HESS KLEIN CAROLINE, Droit de l’égalité des personnes handicapées, Berne 2013. 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Le traitement et la conservation de données avant et pendant les rapports de travail 116 V. Le traitement et la conservation de données après la fin des rapports de travail 118 A. La Loi fédérale sur la protection des données B. Le droit du travail 106 111 VI. Quelques raisons de conserver les données après la fin des rapports de travail 121 VII. Quelques considérations pratiques 129 Bibliographie 133 A. B. C. D. E. F. Les données comptables Les registres et autres pièces Les preuves en cas de litige Le cas de la non-embauche Les assurances sociales Le certificat de travail et les références A. Littérature juridique B. Documents officiels  121 122 124 125 127 128 133 134 Je remercie sincèrement M. Livio di Tria pour sa précieuse aide dans la rédaction de cette contribution, ainsi que Mme Annelise Ackermann et Me David Raedler et pour leurs conseils avisés. Sylvain Métille I. Introduction La présente contribution n’a pas l’ambition d’analyser sous toutes ses coutures le droit de la protection des données dans les rapports de travail de droit privé. Nous nous contentons de présenter d’abord le cadre juridique (II) et les principes fondamentaux de la protection des données (III), ainsi que le traitement et la conservation des données, avant, pendant et après les rapports de travail (IV et V). Nous passerons ensuite en revue quelques obligations et possibilités de conserver des données personnelles après la fin des rapports de travail (VI), pour terminer avec quelques remarques pratiques (VIII). II. Le cadre juridique A. La Loi fédérale sur la protection des données Tout traitement de données personnelles par des personnes privées ou par des organes fédéraux est régi par la Loi fédérale sur la protection des données (LPD) 1. Le traitement par des autorités cantonales au sens large (y compris d’éventuelles personnes privées délégataires de tâches publiques cantonales) est quant à lui régi par les lois cantonales de protection des données qui contiennent des dispositions similaires à celles du régime de la LPD applicable aux organes fédéraux2. On ne le répétera jamais assez, le but de la protection des données n’est pas de protéger une donnée en tant que telle3, mais de protéger la personnalité des personnes dont les données sont traitées. Il ne s’agit donc pas d’interdire tout traitement de données personnelles, mais bien plus de l’encadrer pour qu’il se déroule de manière conforme aux principes généraux institués par le législateur 4. En ce sens, la LPD concrétise, pour les traitements effectués par des personnes privées, la protection de la personnalité protégée 1 2 3 4 LPD ; RS 235.1. MEIER, N 356 ; BSK DSG-MAURER-LAMBROU/KUNZ, N 13 ss ad art. 2 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 4 ss ad art. 2 ; BELSER, in : Belser/Epiney/Waldmann, N 4 ss ad § 5. Ce serait juridiquement plutôt dans les domaines du droit d’auteur ou de la concurrence déloyale qu’une protection des données en tant que telles pourraient se trouver. A noter que la protection de la donnée en tant que telle est toutefois prévue par le principe de sécurité qui exige que le responsable du traitement et le sous-traitant prennent les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour éviter toute perte, modification ou accès indu à des données personnelles. Evidemment dans certaines situations un traitement de données ne pourra pas avoir lieu de manière licite et sera purement et simplement interdit. 106 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? par l’art. 28 du Code civil suisse5 et, en matière de traitements effectués par des organes fédéraux, la protection du droit à l’autodétermination informationnelle telle qu’ancrée à l’art. 13 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse6. La LPD a fait l’objet d’un long processus de révision totale7 qui a abouti à l’adoption par l’Assemblée fédérale le 25 septembre 2020 du texte final de la LPD révisée (nLPD) 8. La structure et les principes généraux demeurent, mais de nouveaux droits et obligations ont été introduits, ainsi que de nouvelles formalités. En bref, on peut mentionner l’ajout des principes de protection des données dès la conception et par défaut9, ainsi qu’un renforcement du principe de transparence avec une obligation générale d’informer10. Cette obligation n’existait précédemment que pour le traitement de données sensibles et de profils de la personnalité 11 ou le traitement de données par l’administration12, la simple reconnaissabilité étant suffisante dans les autres cas13. Les nouvelles formalités sont principalement la tenue du registre des activités de 5 6 7 8 9 10 11 12 13 CC ; RS 210. Cst. ; RS 101. Révisée partiellement plusieurs fois depuis son entrée en vigueur le 1 er juillet 1993, la révision totale a officiellement débuté le 1er avril 2015 lorsque le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police d’examiner les mesures législatives à prendre pour renforcer la protection des données, notamment au vu des évolutions technologiques toujours plus rapides. Les premières réflexions étaient bien antérieures puisqu’elles avaient déjà commencé en 2010, lorsque l’Office fédéral de la justice s’est lancé dans une évaluation de la LPD, ayant abouti à l’adoption par le Conseil fédéral du rapport sur l’évaluation de la Loi fédérale sur la protection des données (FF 2012 255-272). Le Conseil fédéral a publié son message (FF 2017 6565-6802) accompagné du projet de nouvelle loi (FF 2017 6803-6884) le 15 septembre 2017. Les discussions ont été longues et compliquées entre les Chambres fédérales et ce n’est qu’après avoir épuisé tous les aller-retours possibles qu’une séance de conciliation a été tenue pour permettre l’adoption d’un texte en vote final par les deux chambres. Pour les détails de la procédure de révision, voir : www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId= 20170059 (consulté le 4 janvier 2021). Voir également sur la nLPD ROSENTHAL. BO 2020 N 1994 ; BO 2020 E 1081. Art. 7 al. 1 et 2 nLPD en ce qui concerne la protection des données dès la conception et art. 7 al. 3 nLPD pour la protection des données par défaut. Ces deux principes sont également ancrés à l’article 25 du Règlement européen sur la protection des données (RGPD) et le Comité européen de la protection des données a publié ses lignes directrices 4/2019 précisant ces principes. Voir également TAMÒLARRIEUX. Art. 19 et 20 nLPD. Art. 14 LPD. Art. 18a et 18b LPD. Art. 4 al. 4 LPD. 107 Sylvain Métille traitements14 qui remplace la déclaration des fichiers15, l’analyse d’impact relative à la protection des données et la consultation préalable du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) dans ce cadre16, l’obligation d’information en cas de violation de la sécurité des données17 et en cas de décision automatisée18. La personne concernée peut aussi faire valoir un droit à la remise ou à la transmission des données personnelles (droit à la remise ou portabilité)19. Les pouvoirs du PFPDT sont (modestement) renforcés20, des amendes pénales sont prévues dans des situations un peu plus larges qu’actuellement (mais demeurent limitées)21 et la gratuité de la procédure judiciaire est introduite22. Finalement, la terminologie est en grande partie unifiée avec le droit cantonal et européen. On ne parle plus de maître du fichier, mais de responsable du traitement, sans que cela n’apporte de changement matériel23. Nous ferons donc référence tant au droit actuellement en vigueur (LPD), qu’au droit futur (nLPD) étant donné que l’entrée en vigueur de la nLPD est attendue pour 2022. Pour le lecteur qui est peu familier du domaine, il est utile de rappeler quelques notions propres à la protection des données. Premièrement, la notion de données personnelles est large et couvre toutes les données liées à une personne identifiée ou identifiable24. La LPD protège tant les données des personnes physiques que des personnes morales25, alors que la nLPD ne protège plus les 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Art. 12 nLPD. Le registre des activités de traitement doit notamment contenir dans la mesure du possible, le délai de conservation des données personnelles ou, à défaut, les critères pour déterminer la durée de conservation. Art. 11a LPD. Art. 22 et 23 nLPD. Art. 24 nLPD. Art. 21 nLPD. Art. 28 et 29 nLPD. Art. 49 ss nLPD. Notamment l’art. 51 nLPD qui permet dorénavant au PFPDT de prononcer des mesures administratives plutôt que de « simples » recommandations. Art. 60 ss nLPD. La révision totale de la Loi fédérale sur la protection des données introduira deux nouveaux articles, prévoyant la gratuité de la procédure, au sein du Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC ; RS 272). Il s’agit des nouveaux art. 113 al. 2 let. g (procédure de conciliation) et 114 let. g (procédure au fond). La LPD du 19 juin 1992, ainsi que certains droits cantonaux, utilisent le terme de « maître du fichier ». Pour des raisons d’uniformisation en vue de l’entrée en vigueur de la nLPD, telle qu’adoptée par le Parlement fédéral le 25 septembre 2020, nous recourrons déjà à la nouvelle appellation. MEIER, N 424 ss ; BSK DSG-BLECHTA, N 3 ss ad art. 3 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 1 ss ad art. 3 ; MÉTILLE, Internet et droit, pp. 79-80. Art. 2 al. 1 LPD. 108 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? données des personnes morales26. Elle rejoint ainsi la plupart des législations étrangères en matière de protection des données, y compris le RGPD. Une personne est identifiée lorsque l’on sait de qui il s’agit27, par exemple le travailleur Dupond. Elle est identifiable lorsqu’elle n’est pas encore identifiée, mais peut l’être directement ou indirectement, sur la base de l’information concernée et d’un ou plusieurs autres éléments. Tel sera par exemple le cas de l’utilisateur de l’ordinateur numéro IUD43828. Un nom, une adresse électronique, un numéro de téléphone, une adresse IP29, un numéro AVS, une empreinte digitale, une adresse ou une date de naissance peuvent ainsi constituer des données personnelles d’une personne identifiable. La seule date de naissance, sans autre indication, ne constitue pas en soi une donnée personnelle. Elle le devient lorsqu’elle est, par exemple, corrélée à un nom et que le responsable du traitement est en mesure d’identifier la personne sur la base de cette combinaison d’éléments30. La possibilité d’identification peut toutefois intervenir sur la base d’un seul élément comme une adresse électronique31 ou un numéro d’identification unique tel que le numéro AVS32. Les données pseudonymes33 sont typiquement des données personnelles relatives à une personne identifiable. Si une identification n’est pas possible, on parle alors de données anonymes qui, elles, sortent du champ d’application de la protection des données. La qualification juridique des données pseudonymisées a fait l’objet, au sein de la doctrine, de nombreuses controverses34. Ces dernières portent essentiellement sur la question de savoir de quel point de vue il convient d’apprécier la possibilité d’identifier une personne. Ainsi, on oppose l’approche dite « alternative » à l’approche dite « relative ». Dans la première approche, les données pseudonymisées constituent en tous les cas des données personnelles, car l’exportateur des données est à même d’identifier les personnes 26 27 28 29 30 31 32 33 34 Art. 2 al. 1 nLPD. La protection générale des art. 28 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1970 (CC ; RS 210) continue de s’appliquer aux personnes physiques et morales. MEIER, N 431 ; BSK DSG-BLECHTA, N 7 ad art. 3 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 6 ad art. 3. MEIER, N 432 ; BSK DSG-BLECHTA, N 10 ad art. 3 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 18 ss ad art. 3. MEIER N 446 et 447 ; MEIER/TSCHUMY, pp. 5-6 ; ATF 136 II 508, c. 3.5 ; Arrêt CJUE Patrick Breyer c/Bundesrepublik Deutschland, C-582/14 du 19 octobre 2016, § 49. MEIER, N 433. sylvain.metille@unil.ch. MEIER, N 433. Le RGPD définit la pseudonymisation comme le traitement de données personnelles de telle façon que celles-ci ne puissent plus être attribuées à une personne concernée précise sans avoir recours à des informations supplémentaires, pour autant que ces informations supplémentaires soient conservées séparément et soumises à des mesures techniques et organisationnelles afin de garantir que les données personnelles ne sont pas attribuées à une personne physique identifiée ou identifiable. MEIER, N 437 ss ; BSK DSG-BLECHTA, N 12-13 ad art. 3 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 37 ss ad art. 3. 109 Sylvain Métille concernées grâce à la table de concordance. La seconde approche, désormais confirmée par le Tribunal fédéral, retient que la possibilité d’identifier la personne concernée doit s’apprécier de façon relative, soit selon le point de vue de l’intéressé35. Ainsi, des données pseudonymisées constituent des données personnelles du point de vue de celui qui détient la table de concordance, mais également de celui qui peut réidentifier la personne concernée en mettant en œuvre des moyens raisonnables36. Ne sont pas raisonnables des moyens interdits par la loi ou irréalisables en pratique (ou au prix d’efforts démesurés en termes de temps, de coût et de main d’œuvre). Ces données seront donc des données anonymes pour celui pour qui l’identification n’est pas envisageable par des moyens raisonnables. Deuxièmement, il faut s’intéresser aux acteurs en présence et leurs rôles. On distingue traditionnellement la personne concernée37, le responsable du traitement38, et cas échéant le sous-traitant39. Tous les autres sont des tiers40. La personne concernée est celle dont les données personnelles sont traitées 41. Quant au responsable du traitement, c’est celui qui détermine les finalités et les moyens du traitement de données personnelles. Dans le cadre de la relation de travail, le travailleur sera généralement la personne concernée et l’employeur le responsable du traitement42. Le responsable du traitement peut aussi se faire aider par un sous-traitant, soit une personne qui traite des données personnelles pour le compte et selon les instructions du responsable du traitement43. On parle parfois encore de destinataire : ce n’est rien d’autre que celui qui 35 36 37 38 39 40 41 42 43 TF 4A_365/2017 du 26 février 2018, c. 5.1.1. TF 4A_365/2017 du 26 février 2018, c. 5.1.2 ; voir également Arrêt CJUE Patrick Breyer c/Bundesrepublik Deutschland, C-582/14 du 19 octobre 2016, § 42-46 ; FF 2017 6639-6640. Art. 3 let. b LPD ; art. 5 let. b nLPD. Art. 3 let. i LPD ; art. 5 let. j nLPD. La LPD ne définit pas le « sous-traitant », toutefois l’art. 10a LPD prévoit certaines règles légales à respecter en cas de « traitement de données par un tiers ». S’agissant de la nLPD, une définition a été introduite à l’art. 5 let. k nLPD alors que l’art. 9 nLPD reprend en partie les règles légales ancrées à l’art. 10a LPD. Le Comité européen de la protection des données a publié les Guidelines 07/2020 sur les notions de responsable du traitement et de sous-traitant. Ces lignes directrices reviennent sur les notions précitées et sont agrémentées d’exemples pratiques aidant à différencier chaque rôle. PFPDT, Guide 2014, p. 3. MEIER, N 2031. Si l’employeur est une personne morale, le travailleur pourrait traiter les données en tant que responsable du traitement (au nom de l’employeur) et être la personne concernée. Par exemple, la personne en charge des salaires traite les données personnelles des travailleurs (y compris les siennes) au nom de l’employeur. Art. 10a LPD ; 9 nLPD. 110 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? reçoit des données. Juridiquement, il peut s’agit d’un responsable du traitement (indépendant) ou d’un sous-traitant44. B. Le droit du travail Le droit du travail se compose d’une multitude de règles intégrant essentiellement le Code des obligations45, la Loi sur le travail46 et ses ordonnances, ainsi que les éventuelles Conventions collectives de travail (CCT) ou contrats-types de travail (CTT). Sous l’angle particulier du traitement des données personnelles, l’art. 328b CO a été inséré en 1993 par la LPD pour protéger la personnalité du travailleur et reprend la règle générale de l’art. 28 CC47. Cet ajout s’explique en raison du fait que, au sein d’un rapport juridique aussi fort que celui d’une relation de travail, les opérations de traitement et les types de données personnelles sont nombreux. De plus, les données personnelles peuvent être conservées pendant une longue durée48. S’y ajoute aussi le fait que le rapport de subordination existant entre le travailleur et l’employeur pourrait également mener le second à imposer un grand nombre de traitements au premier, sans que celui-ci n’ait la possibilité de s’y opposer. Enfin, et sans égard aux opérations de traitement ou aux types de données personnelles, l’introduction d’une telle disposition légale s’explique aussi en raison des nombreux rapports contractuels de travail. Selon l’art. 328b CO, l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. Il précise encore que les dispositions de la LPD sont applicables. La question de la portée de cette disposition a été très controversée en doctrine, notamment sur le sens à donner au renvoi à la LPD 49. Pour une partie de la doctrine, l’art. 328b CO ne dispose pas d’une réelle portée pratique et ne fait que reprendre les principes prévus par la LPD, notamment le principe de proportionnalité et celui de finalité. Pour une autre partie, l’art. 328b CO dérogerait aux règles générales de la protection des données en limitant, légalement, les finalités pour lesquelles un employeur est autorisé à collecter et traiter des données personnelles. Un tel courant de doctrine exclurait per se d’autres finalités et interdirait tout recours aux motifs 44 45 46 47 48 49 FF 2017 6770. CO ; RS 220. LTr ; RS 822.11. WYLER, p. 433 ; MEIER, N 2018. MEIER, N 2020. MEIER, N 2033-2035 ; DUNAND, in : Dunand/Mahon, N 6 ad art. 328b ; MEIER, N 2032-2035 ; RAEDLER, p. 150 ; WYLER, p. 433 ; CARRUZZO, p. 319 ; CR CO I-AUBERT, N 2 ad art. 328b. 111 Sylvain Métille justificatifs prévus par la LPD. Finalement, pour une troisième partie, l’art. 328b CO constitue une lex specialis à l’art. 13 LPD50. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a appliqué les motifs justificatifs de l’art. 13 LPD dans le cadre d’une relation de travail51. Il a donc confirmé que l’art. 13 LPD peut être appliqué également dans le cadre de l’art. 328b CO, refusant ainsi l’exclusion de cette disposition – et du mécanisme de la LPD – dans les rapports de travail. Malheureusement, le Tribunal fédéral ne s’est pour le reste pas prononcé sur la portée de l’art. 328b CO et la controverse doctrinale. Il est en revanche admis que l’art. 328b CO s’applique également après la fin des rapports de travail, pour autant que les traitements de données découlent des rapports de travail 52. A toutes fins utiles, il faut encore mentionner l’Ordonnance 3 du 18 août 1993 relative à la Loi sur le travail (OLT 3)53, en particulier son art. 26. Ce dernier prévoit le principe selon lequel un employeur ne peut avoir recours à des systèmes de surveillance ou de contrôle destiné à surveiller le comportement des travailleurs à leur poste de travail. Il peut cependant y avoir recours pour « d’autres raisons ». Dans ce cas, les systèmes doivent être conçus et disposés de façon à ne pas porter atteinte à la santé et à la liberté de mouvement des travailleurs. Cette disposition légale joue un rôle certain dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail mais nous ne procéderons pas un examen approfondi de toutes ses composantes, celle-ci ne concernant pas la fin des rapports de travail ; qui plus est, pareil examen a déjà été fait54. III. Les principes fondamentaux de protection des données La LPD, comme la nLPD, ancre en son sein une présomption irréfragable d’atteinte à la personnalité lorsque des données personnelles sont traitées en violation des principes qui seront passés en revue ci-dessous55. Cette atteinte à la personnalité peut néanmoins être guérie et considérée comme licite si elle peut être justifiée par le consentement de la 50 51 52 53 54 55 MEIER, N 2033-2035 et références citées, RAEDLER, p. 150 et les références citées. TF 4A_588/2018 du 17 juin 2019, c. 4.3. MEIER, N 2071, CARRUZZO, p. 319 ; et DUNAND, N 5. OLT 3 ; RS 822.113. MÉTILLE SYLVAIN, Surveillance et les références citées. Art. 12 al. 2 let. a LPD et art. 30 al. 2 let. a nLPD. 112 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? personne concernée, un intérêt prépondérant privé, un intérêt prépondérant public, ou par la loi56. Les principes fondamentaux en matière de protection des données sont le principe de licéité57, de bonne foi58, de proportionnalité59, de finalité60, de transparence61, d’exactitude62 et de sécurité63. Depuis l’adoption de la nouvelle LPD, le principe de protection des données dès la conception64 et le principe de protection des données par défaut65 s’ajoutent à ce catalogue. La jurisprudence récente a eu l’occasion de préciser, si besoin était, que le principe de licéité doit se comprendre comme l’absence de violation d’une norme impérative du droit de la protection des données ou d’une norme visant à protéger la personnalité hors LPD 66. Autrement dit, un traitement de données personnelles viole le principe de licéité s’il contrevient à une norme de droit impératif destinée à protéger la personnalité. Le principe de bonne foi est un principe général de l’ordre juridique suisse (art. 2 CC). Dans le domaine de la protection des données, celui-ci se traduit notamment par le fait qu’aucune donnée ne doit être traitée à l’insu de la personne concernée ou contre sa volonté67. Il est également exclu pour le responsable du traitement de mentir à la personne concernée sur les traitements allant être faits ou les buts poursuivis. Le principe de proportionnalité, qui sous-tend plus largement l’ordre juridique suisse à bien des égards, se divise classiquement en trois règles 68 : celle de la nécessité, de l’aptitude ou de l’adéquation, ainsi que celle de la proportionnalité au sens étroit. Ainsi l’employeur ne peut traiter que les données personnelles qui sont objectivement nécessaires et aptes à atteindre le but poursuivi, et pour autant que le traitement demeure 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 Art. 13 LPD et art. 31 nLPD. A noter que le RGPD prévoit un système différent avec l’exigence systématique d’un motif justifiant le traitement (art. 6 ou 9 RGPD). Art. 4 al. 1 LPD ; art. 6 al. 1 nLPD. Art. 4 al. 2 LPD ; art. 6 al. 2 nLPD. Art. 4 al. 2 LPD ; art. 6 al. 2 nLPD. Art. 4 al. 3 LPD ; art. 6 al. 3 nLPD. Art. 4 al. 4 LPD et les obligations d’information des art. 14 et 18a LPD, ainsi que 19 nLPD. Art. 5 LPD ; art. 6 al. 5 nLPD. Art. 7 LPD ; art. 8 nLPD. Art. 7 al. 1 et 2 nLPD. Art. 7 al. 3 nLPD. TAF A-3548/2018 du 19 mars 2019. MEIER, N 649 ; MÉTILLE, Internet et droit, p. 83 ; BSK DSG-MAURER-LAMBROU/STEINER, N 7 ss ad art. 4 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 14 ss ad art. 4. MEIER, N 665 ; MÉTILLE, Internet et droit, pp. 83-84 ; BSK DSG-MAURER-LAMBROU/STEINER, N 9 ss ad art. 4 ; ROSENTHAL/JÖHRI, N 14 ss ad art. 4 ; WALDMANN/OESCHGER, in : Belser/Epiney/ Waldmann, N 64 ss ad § 13. 113 Sylvain Métille dans un rapport raisonnable entre le résultat légitime recherché et le moyen utilisé, tout en préservant le plus possible les droits du travailleur 69. C’est aussi du principe de proportionnalité que découlent les sous-principes de minimisation des données70 et de limitation de la durée de conservation des données71. Le principe de la proportionnalité s’applique au mode de traitement, à l’étendue des données récoltées, traitées et conservées, à la nature des données ainsi qu’à l’accès aux données ou à leur communication à des tiers72. Le principe de finalité, aussi appelé parfois principe de respect du but, implique que des données personnelles ne peuvent être traitées que pour des finalités déterminées. Une collecte de données pour des buts encore inconnus ou vagues n’est pas permise. Cela s’apprécie évidemment selon les circonstances, l’objectif étant principalement de concilier les intérêts des personnes concernées et ceux du responsable du traitement 73. La nLPD précise désormais que les données peuvent également être traitées ultérieurement de manière compatible avec les finalités initiales74. Cette nouvelle formulation n’implique toutefois pas de changement majeur. On considère déjà aujourd’hui que si la personne concernée transmet son adresse, par exemple dans le cadre d’une commande, l’utilisation ultérieure de cette adresse à des fins commerciales peut être considérée comme compatible avec le principe de finalité75. Un traitement ultérieur ne sera toutefois pas admissible si la personne concernée peut légitimement le considérer comme inattendu, inapproprié ou contestable76. Le principe de transparence prévoit que le traitement de données personnelles ne doit pas avoir lieu à l’insu de la personne concernée. Au contraire, la personne doit être informée. Si la LPD se contente encore dans une large mesure d’une simple reconnaissabilité77, ce n’est pas le cas de la nLPD et du RGPD78 qui exigent un véritable devoir d’information. En effet, selon l’art. 19 nLPD, le responsable du traitement (privé et public)79 doit informer la personne concernée de manière adéquate de la collecte de données personnelles et lui 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 MEIER, N 666. MEIER, N 673 ; MÉTILLE, pp. 83-84. MEIER, N 679 ss. MEIER, N 676. MEIER, N 723. Art. 6 al. 3 nLPD. FF 2017 6645 ; MEIER, N 731. FF 2017 6645. Le devoir d’informer ne s’applique que lors du traitement de données sensibles et de profils de la personnalité par un responsable du traitement privé (art. 14 LPD) et dans tous les cas de traitement par un organe fédéral (art. 18a LPD). Art. 12 à 14 RGPD. Seules les exceptions diffèrent (art. 20 nLPD). Voir ROSENTHAL, N 92 ss. 114 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? communiquer au moins certaines informations, telles que l’identité et les coordonnées du responsable du traitement. Il est néanmoins précisé que la liste des informations à fournir est moins détaillée dans la nLPD que dans le RGPD. Le principe d’exactitude exige de celui qui traite des données personnelles qu’il s’assure qu’elles sont correctes, actuelles et objectives. L’obligation d’exactitude n’est pas absolue, mais elle doit être proportionnée à la finalité du traitement 80. Il faut donc prendre toutes les mesures appropriées qui permettent de rectifier, d’effacer ou de détruire les données personnelles inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées81. Ce principe consacre aussi un droit de la personne concernée à faire corriger une donnée personnelle inexacte82. Le principe de sécurité exige que des mesures techniques et organisationnelles appropriées garantissent une sécurité adéquate des données personnelles par rapport au risque encouru. Il faut notamment éviter toute perte de données personnelles, leur modification, leur effacement ou leur destruction, leur divulgation ou un accès non autorisé à ces données, et ce indépendamment de la question de savoir si la violation est intentionnelle ou non, licite ou illicite83. Ces mesures peuvent viser par exemple à pseudonymiser des données, à chiffrer les supports ou à contrôler les accès. S’y ajoute également la mise en œuvre de processus permettant d’identifier l’existence d’une faille de sécurité et de respecter les obligations d’annonce qui s’appliquent. Le nouveau principe de protection des données dès la conception impose au responsable du traitement de mettre en place, dès la conception du traitement, des mesures techniques et organisationnelles afin de garantir le respect des prescriptions en matière de protection des données84, alors que la protection des données par défaut doit garantir, par le biais de préréglages appropriés, que le traitement de données est limité au minimum requis par la finalité poursuivie, à moins que la personne concernée n’en dispose autrement85. Déjà ancré au sein de la législation européenne en matière de protection des données, ces notions sont détaillées par les lignes directrices 4/2019 du Comité européen de la protection des données86, ces dernières pouvant servir de source d’inspiration. 80 81 82 83 84 85 86 MEIER, N 745 et 752 ; BSK DSG-MAURER-LAMBROU/SCHÖNBÄCHLER, N 5 ad art. 5 ; MÉTILLE, Internet et droit, p. 86. TAF 4A_4232/2015 du 18 avril 2017. Art. 5 al. 1 et 15 al. 2 LPD ; art. 6 al. 5 et 32 al. 3 nLPD. MEIER, N 780 ss ; BSK DSG-STAMM-PFISTER, N 15 ss. Art. 7 al. 1 et 2 nLPD. Voir notamment ROSENTHAL, N 43-47. Art. 7 al. 3 nLPD. Voir notamment ROSENTHAL N 47-52. Guidelines 4/2019 on Article 25 Data Protection by Design and by Default du 13 novembre 2019, accessibles uniquement en langue anglaise pour le moment. 115 Sylvain Métille IV. Le traitement et la conservation de données avant et pendant les rapports de travail L’employeur peut donc traiter des données personnelles concernant le travailleur dans le respect des principes précités, et cela avant, pendant et après la relation de travail. Les principes de licéité, de bonne foi, de transparence, d’exactitude, de sécurité, de protection des données dès la conception et de protection des données par défaut ne devraient pas soulever de problèmes juridiques particuliers. Ils impliqueront toutefois des mesures pratiques pour s’assurer de leur respect. Il en va différemment pour les principes de proportionnalité et de finalité. Le premier parce que l’intérêt à traiter certaines données diminue avec l’écoulement du temps et le second parce que les buts du traitement ne sont pas les mêmes qu’il existe encore ou non une relation de travail. Avant le début de la relation de travail, l’employeur va traiter des données personnelles portant sur les aptitudes du candidat à remplir le poste visé. Il ne pourra demander au candidat que les informations dont il a besoin pour déterminer s’il satisfait aux exigences du poste87. Un dossier de candidature peut contenir des documents variés comme une lettre de motivation, un curriculum vitae, des diplômes, des certificats de travail, des lettres de recommandation, etc. Tous ces documents contiennent de nombreuses données personnelles88. L’employeur ne pouvant traiter que les informations nécessaires et aptes à vérifier l’aptitude du candidat, les données pouvant légitimement être traitées dépendront du poste concerné. Interroger un candidat sur des maladies existantes, le souhait d’avoir des enfants ou un endettement éventuel ne pourra être admis que si des raisons particulières l’exigent89. Le contrôle d’antécédents ou le contrôle de sécurité (background check) n’est admis que de manière restrictive et avec le consentement du candidat90. 87 88 89 90 PFPDT, Guide 2014, p. 8. Nom, prénom, date de naissance, nationalité, adresse électronique, numéro de téléphone, domicile, état civil, photo, résultats scolaires, style d’écriture, etc. PFPDT, Guide 2014, p. 8. Les questions liées à un éventuel endettement seront par exemple admises si le candidat postule comme convoyeur de fonds ou comme agent de sécurité devant faire des rondes au sein d’une institution bancaire. De même, les questions liées à la santé du candidat seront admises pour autant que le poste nécessite, par exemple, la manipulation de produits dangereux. Voir notamment les Explications du PFPDT relatives aux contrôles de sécurité (employés du secteur privé) disponible à l’adresse : www.edoeb.admin.ch/edoeb/fr/home/protection-des-donnees/ 116 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? Une attention particulière doit être portée s’agissant des personnes autorisées à consulter les dossiers de candidature. Selon l’organisation d’une entreprise, ceux-ci sont susceptibles de passer en de (trop) nombreuses mains alors que seules les personnes légitimées, en général le service du personnel ou le supérieur hiérarchique, doivent y avoir accès91. Souvent pratiquée, la recherche d’informations personnelles liées au candidat sur un moteur de recherche92 ou les réseaux sociaux ne sera que très rarement justifiée93. Une éventuelle recherche exclusivement sur un réseau social professionnel (par exemple LinkedIn) pourrait se justifier, à l’exclusion des réseaux privés (par exemple Facebook, Instagram, etc.). A la fin du processus de recrutement, les principes de finalité et de proportionnalité impliqueront d’ailleurs un certain nettoyage dans les données traitées. Ainsi les données concernant les candidats non retenus ne devront pas être conservées, sauf accord de leur part en vue par exemple d’être contactés pour un autre poste94. En ce qui concerne la personne engagée, on doit aussi se poser la question de l’intérêt à conserver toutes les données liées à la candidature. Un certain nombre de ces données ne sont plus nécessaires pendant la relation de travail et devraient être détruites. L’exemple classique est celui du contrôle des antécédents ou l’extrait de casier judiciaire. Si le candidat est engagé, c’est parce qu’il ne représente pas un risque. Cette question étant résolue, l’extrait du casier judiciaire ou le rapport détaillé des antécédents ne se justifie plus et doit être détruit. Si des exigences de contrôle interne impliquent qu’il faille prouver avoir effectué ces vérifications, une mention au dossier devrait suffire. Pour le rapport d’antécédents, la conservation des conclusions, dans certains cas, peut aussi se justifier. 91 92 93 94 arbeitsbereich/explications-relatives-aux-controles-de-securite--employes-du-se.html (consulté le 4 janvier 2021), la Directive du Conseil d’Etat vaudois LPers n° 17.2 : Conditions d’engagement – Antécédents judiciaires du 21 janvier 2004 disponible à l’adresse www.vd.ch/themes/etat-droitfinances/etat-employeur/bases-legales/directives-dapplication-du-conseil-detat/ (consulté le 4 janvier 2021), l’Ordonnance sur les contrôles de sécurité relatifs aux personnes (OCSP ; RS 120.4). PFPDT, Guide 2014, p. 8. On parle parfois de « googlisation ». Elle se justifierait dans le cas de la recherche d’un responsable en communication ou community manager car la gestion de sa présence en ligne est précisément une des compétences nécessaire à son futur emploi. Ibidem, p. 11. 117 Sylvain Métille Pendant la relation de travail, l’employeur va évidemment traiter un grand nombre de données personnelles du travailleur et en particulier celles qui sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail95, ou les données personnelles prévues par une loi96. L’employeur peut parfois aussi traiter des données personnelles du travailleur dans un contexte différent de celui de la relation de travail. Imaginons un travailleur qui est aussi client de l’entreprise qui l’emploie. Ces données ne sont pas liées à la relation de travail, mais bien plus au contrat de vente ou prestation. Même s’il s’agit des mêmes personnes (vendeur/employeur et acheteur/employés), les données ne doivent être mêlées. Il n’y a toutefois pas non plus une interdiction de principe de traiter les données nécessaires à la vente qui le seront de manière indépendante de la relation de travail et généralement dans des systèmes de traitement différents. L’existence de la relation de travail peut néanmoins être mentionnée dans le système de traitement des données des clients, généralement avec le consentement de l’employé (par exemple pour lui permettre de bénéficier d’un rabais s’il le souhaite). Dans certains cas cette mention reposera sur un intérêt prépondérant de l’employeur97, par exemple dans le cas d’une banque. Si l’employé est client, il est important qu’il soit reconnaissable en tant que telle pour assurer les mesures de sécurité et de confidentialité nécessaires. Généralement la fin des relations de travail n’aura pas d’influence sur le traitement de ces données, qui pourra se poursuivre. Seule la mention de la relation de travail sera remplacée par celle d’une ancienne relation, si elle est pertinente. V. Le traitement et la conservation de données après la fin des rapports de travail Le droit du travail suisse ne fixe que peu d’obligations de conservation des données personnelles après la fin des relations de travail 98. Sous l’angle du droit de la protection des données, le but du traitement qui a légitimé la conservation des données jusque-là 95 96 97 98 Certaines de ces données personnelles se recoupent avec celles précédemment évoquées. Nous pouvons rajouter de manière non-exhaustive pour l’exécution du contrat de travail les données personnelles telles que le numéro AVS, les coordonnées bancaires, les certificats attestant de l’incapacité de travail de l’employé ou encore les certificats de salaire. A l’instar des éventuelles données personnelles issues d’une compensation pour perte de gain en cas de service ou en cas de maternité conformément à la Loi fédérale du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG ; RS 834.1) ou encore des données personnelles issues du versement d’une allocation familiale conformément à la Loi fédérale du 24 mars 2006 sur les allocations familiales et les aides financières allouées aux organisations familiales (LAFam ; RS 836.2) ainsi qu’aux lois cantonales d’application. Qui peut s’ajouter à celui du travailleur. Notamment les art. 46 LTr cum 73 OLT 1 et 13 OPTM. 118 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? disparaît le plus souvent avec la fin de la relation de travail99. Il n’y a plus guère de raison de traiter des données liées à l’aptitude au travail ou à l’exécution du contrat puisque celuici a pris fin. Tout au plus peut-on imaginer le traitement de données nécessaires à la liquidation du contrat. Non seulement il ne se justifie plus de traiter de nouvelles données, mais le principe de proportionnalité impose même de détruire les données qui ne sont plus nécessaires. La proportionnalité temporelle limite la durée de conservation des informations à ce qui est apte et nécessaire à atteindre le but visé100. L’art. 6 al. 4 nLPD prévoit expressément que les données personnelles doivent être détruites ou, à tout le moins, être anonymisées dès qu’elles ne sont plus nécessaires au regard des finalités du traitement101. Nous verrons après quels buts peuvent être envisagés pour légitimer un traitement de données personnelles à ce stade102, mais la fin d’une relation de travail doit aussi être vue comme une occasion de « mettre de l’ordre » dans le dossier de l’employé si, comme souvent, cela n’a pas été fait plus tôt. On comprend en effet aisément qu’il n’est guère pertinent de conserver durablement des certificats médicaux d’incapacité de travail, un courrier indiquant un changement d’adresse ou d’établissement bancaire ou encore une demande de déplacement de vacances. L’employeur a néanmoins une obligation légale de conserver certaines données personnelles103. Il a ensuite le droit de conserver les données utiles à remplir ses obligations, par exemple les données nécessaires à l’établissement du certificat de travail (art. 330a CO). L’employeur a encore le droit de conserver d’autres données lorsqu’il y a un intérêt particulier. Techniquement, il faut qu’il dispose d’un intérêt privé à conserver les données (ce qui serait une justification à violer le principe de proportionnalité et/ou de finalité), mais encore que cet intérêt prime sur celui (présumé) de l’ancien employé à ne pas subir d’atteinte à sa personnalité du fait de la conservation des données. Il n’y a pas de règle absolue et il faudra procéder dans chaque cas d’espèce à une pesée d’intérêts. Encore une fois la durée de conservation jouera un rôle important. Si l’on peut reconnaître assez 99 100 101 102 103 VERDE, p. 13. Le droit suisse de la protection des données ne permet la conservation des données personnelles qu’aussi longtemps qu’elles sont nécessaires à atteindre le but visé. Cette règle émane de l’aspect de la « temporalité » qui ressort du principe de proportionnalité et est, dans le cas présent, étroitement lié au principe de la finalité (MEIER, N 679 ss.). Cela découle aujourd’hui déjà du principe de la proportionnalité. Le législateur a toutefois estimé qu’il était important de le préciser explicitement, et ce notamment au vu des évolutions technologiques et des capacités (presque illimitées) de stockage (FF 2017 6645). Voir chapitre VI. Cf. infra chapitre VI. 119 Sylvain Métille largement un intérêt de l’employeur à conserver les données pouvant servir de preuve dans le cadre d’un litige en cours ou à venir, l’intérêt diminuera avec l’écoulement du temps. On tiendra aussi compte de la sensibilité des données. Plus elles sont sensibles, moins une longue conservation pourra se justifier. Pour le PFPDT, seules peuvent être conservées les données indispensables telles que les données à conserver en vertu d’une obligation légale, celles dont la conservation est dans l’intérêt de l’employé (documents nécessaires à l’établissement d’un certificat de travail, par exemple) et celles dont l’employeur a besoin pour un litige pendant104. Comme nous le verrons, cela est un peu trop restrictif et il faut aussi admettre la conservation de données en vue d’un litige futur. Finalement, l’employeur pourrait aussi conserver des données avec le consentement de l’ancien travailleur. On peut imaginer le cas où la fin d’un contrat de durée déterminée, le travailleur souhaite être contacté si un nouveau poste devait être disponible. Pour que l’on puisse considérer que le consentement est suffisamment libre, il devra toutefois être donné (ou confirmé) après la fin des rapports de travail. En pratique, il est extrêmement difficile de donner une durée générale de conservation. Celle-ci dépend de chaque cas d’espèce. Pour la déterminer, il faudra d’abord se demander si le but visé n’est pas déjà atteint, puis dans le cas contraire, vérifier si les données sont toujours aptes et nécessaires à l’atteindre. Au regard de la proportionnalité au sens étroit, on s’attachera à la sensibilité et au volume de données concernées. Finalement, il sera également nécessaire de réévaluer cette durée de conservation en fonction de l’écoulement du temps. Ainsi, si la probabilité de litige diminue, l’intérêt de l’employeur à conserver les documents en lien avec l’hypothétique litige diminue également. Le PFPDT est assez généreux puisqu’il admet une durée générale de cinq ans, voire dix ans, si la loi le prescrit105. Il prend appui dans ce cadre essentiellement sur le délai de prescription général de cinq ans applicable aux prétentions de l’employé issu de l’art. 128 CO. Cette approche est trop schématique à notre sens. Premièrement, la durée de cinq ans paraît (trop) longue dans de nombreux cas. Deuxièmement, si une loi prévoit la conservation, c’est bien cette durée-là qui s’applique (qu’elle soit égale, inférieure ou supérieure à dix ans)106. 104 105 106 PFPDT, Guide 2014, p. 14. PFPDT, Guide 2014, p. 14. Et si la loi prévoit simplement un délai de prescription ou de péremption pour faire valoir une prétention, il ne se justifiera pas pour autant de conserver toujours toutes les données pouvant avoir un lien avec cette hypothétique prétention. Une certaine probabilité de la prétention et une certaine pertinence des données est au contraire nécessaire. 120 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? Finalement, et quelle que soit la durée de conservation retenue, le responsable du traitement devra adopter des mesures de sécurité supplémentaires pour les données conservées qui n’ont pas besoin d’être activement utilisées. Des restrictions d’accès doivent dès lors être mises en place : conservation séparée, clé ou mot de passe, chiffrement, etc. L’autorité française de protection des données, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) parle d’un statut « d’archivage intermédiaire » par opposition à celui de « base active »107. Ces mesures, techniques et organisationnelles, doivent apporter un niveau de protection supérieur à celles applicables aux données actives108. Toute mesure de protection rend l’utilisation des données moins facile et il faut habituellement trouver un équilibre entre le besoin de traiter la donnée et celui de la protéger. Dès lors que l’utilisation, et notamment la lecture, des données conservées dans un état d’archivage est rare, il est plus facile de mettre en place des mesures de sécurité plus contraignantes. A titre d’exemple, il peut être compliqué de chiffrer ou pseudonymiser les données utilisées par les employés pour enregistrer leur temps de travail car il faut qu’ils puissent y accéder facilement. En revanche, le dossier d’un ancien employé conservé dans la crainte d’une procédure peut être chiffré et nécessiter une opération plus compliquée pour pouvoir y accéder le moment venu. En outre, le nombre de personnes pouvant accéder à ces dossiers devrait être restreint et les modalités contrôlées. VI. Quelques raisons de conserver les données après la fin des rapports de travail A. Les données comptables Les art. 957 ss CO imposent une obligation aux personnes morales, mais également à certaines entreprises individuelles et sociétés de personnes, de tenir une comptabilité et de présenter des comptes. Le but de cette obligation est avant tout d’enregistrer les transactions et les autres faits nécessaires à la présentation de la situation économique de l’entreprise. La comptabilité doit être tenue selon le principe de régularité qui comprend notamment le fait de pouvoir justifier chaque enregistrement comptable par une pièce comptable109, soit 107 108 109 CNIL, Guide 2020, p. 5. Sur les mesures applicables en général au dossier du personnel, voir VERDE, p. 12. Art. 957a al. 2 CO. 121 Sylvain Métille tout document écrit, établi sur support papier, sur support électronique ou sous toute forme équivalente, qui permet la vérification de la transaction ou du fait qui est l’objet de l’enregistrement110. Cette obligation de tenir une comptabilité et de présenter des comptes se complète par une obligation légale de conservation. Les livres et les pièces comptables ainsi que le rapport de gestion et le rapport de révision doivent être conservés pendant une période de dix ans à compter de la fin de l’exercice comptable111. Les détails, notamment sur les supports admis, sont réglés dans l’Ordonnance du Conseil fédéral du 24 avril 2002 concernant la tenue et la conservation des livres de comptes112. Les pièces comptables contiendront régulièrement des données personnelles. Certaines données personnelles de l’ancien travailleur se retrouveront donc dans les pièces comptables que l’employeur a une obligation légale de conserver. Il peut notamment s’agir des bulletins de salaire, des preuves de versement d’une éventuelle gratification ou d’un bonus, du contrat de travail ou encore de lettres et courriels qui s’y rapportent. Cela ne pose pas de problème sous l’angle de la protection des données, car une éventuelle atteinte à la personnalité est justifiée par la loi qui impose la conservation des données113. L’employeur devra néanmoins prendre garde à ne pas utiliser ces données dans un autre but que celui prévu par la loi, à savoir remplir ses obligations comptables. Il serait par exemple contraire au but (remplir ses obligations comptables) d’utiliser les bulletins de salaire pour déterminer les absences d’un employé et évaluer son taux d’absence pour renseigner un futur employeur. B. Les registres et autres pièces La LTr s’applique dès qu’un employeur occupe un ou plusieurs travailleurs de façon durable ou temporaire, même sans faire usage d’installations ou de locaux particuliers114. Parmi ses multiples obligations, l’art. 46 LTr (complété par l’art. 73 de l’Ordonnance 1 relative à la Loi sur le travail115) prévoit que l’employeur doit tenir à la disposition des autorités de surveillance et d’exécution les registres et autres pièces nécessaires à l’exécution de la LTr et de ses ordonnances, afin de leur permettre de s’acquitter de leurs tâches légales. 110 111 112 113 114 115 Art. 957a al. 3 CO. Art. 958f al. 1 CO. Olico ; RS 221.431. A cet égard, voir également CR CO II-TORRIONE/BARAKAT, N 1 ss ad art. 958f. Art. 13 al. 1 LPD et 31 al. 1 nLPD. Art. 1 LTr, sous réserve des exceptions des art. 2 à 4 LTr. OLT 1 ; RS 822.111. 122 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? Il s’agit notamment de données concernant l’identité du travailleur et les informations liées à son contrat de travail, les données qui permettent de vérifier le respect des exigences légales en matière d’aménagement de la durée du travail et du repos, ainsi que celles en lien avec le travail de nuit et du dimanche, ainsi que de la maternité116. L’art. 73 al. 2 OLT 1 précise que ces registres et autres pièces doivent être conservés pendant un minimum de cinq ans à partir de l’expiration de leur validité. Concernant les documents qui contiennent des informations valables pendant une période déterminée (par exemple des fiches de salaire mensuelles ou les rapports sur les temps de travail), il est raisonnable de faire courir le délai à partir de l’expiration de la période saisie (soit la fin du mois)117. L’employeur n’est toutefois pas obligé de tenir ni de conserver des registres particuliers, mais il doit pouvoir présenter ces informations aux autorités sous une forme compréhensible et structurée, par exemple sur la base de documents existants (comme le contrat de travail, un registre du personnel, les décomptes horaires, les fiches de contrôle de la Suva, etc.)118. L’employeur a donc bien une obligation de conserver ces données pendant une durée de cinq ans, et cela indépendamment de la fin éventuelle des rapports de travail. De manière similaire (mais concernant un nombre plus limité de travailleurs), l’art. 13 de l’Ordonnance sur la protection des travailleurs contre les risques liés aux microorganismes119 impose à l’employeur de conserver pendant 10 ans, voire dans certains cas particuliers 40 ans120, la liste des travailleurs ayant utilisé ou été exposés à certains microorganismes. Cette liste doit contenir l’identité des travailleurs qui sont ou ont été exposés, le type de travail effectué ainsi que, dans la mesure du possible, le microorganisme en cause, ainsi que les accidents et incidents concernés. Le délai de conservation court à compter de la dernière utilisation de microorganismes ou la dernière exposition connue et n’est pas influencé par une éventuelle fin des rapports de travail. Si l’employeur cesse ses activités, la liste doit être remise à la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA)121. 116 117 118 119 120 121 Art. 73 al. 1 OLT 1. RUDOLPH, p. 39. RUDOLPH, p. 39. OPTM, RS 832.321. Par exemple si les microorganismes en cause peuvent provoquer des infections persistantes ou latentes, que l’infection ne peut être diagnostiquée que de nombreuses années plus tard ou que l’on doit s’attendre à une période d’incubation particulièrement longue avant la déclaration de la maladie. Art. 13 al. 2 et 4 OPTM. 123 Sylvain Métille C. Les preuves en cas de litige Toutes les relations de travail ne se terminent pas bien et parfois le passage devant les tribunaux est inéluctable. On pense tout de suite aux cas de licenciement immédiat pour justes motifs122 et aux cas d’abandon de poste123, puisqu’il est assez fréquent que l’autre partie ne considère pas les motifs comme justes, mais on peut aussi ajouter les résiliations abusives124 ou en temps inopportun125. Ici aussi travailleur et employeur n’ont pas toujours la même vision de la situation. Le droit du travail fixe des délais pour ouvrir action de manière précise, par exemple un délai de 180 jours après la fin des rapports de travail en cas de résiliation considérée comme abusive126, ou un délai de 30 jours à compter de l’abandon de l’emploi pour ouvrir action en justice ou engager des poursuites127. Ces délais étant assez brefs, la conservation de données personnelles pendant cette période est légitime. On ne sera pas trop strict avec le délai pour ouvrir action, puisqu’on peut y ajouter le délai raisonnable à la notification de l’action par le tribunal. Ainsi celui qui veut introduire une procédure, ou qui risque de devoir se défendre peut se prévaloir d’un intérêt légitime à la conservation des données qui sont nécessaires et aptes à prouver les prétentions qu’il allègue ou à assurer sa défense. Il y a ensuite les cas où la relation de travail a été difficile et où l’employeur a des soupçons, par exemple de violation du devoir de fidélité ou de communication d’informations protégées par un secret. L’employeur pourrait alors envisager d’engager une procédure, indépendamment de la résiliation. Là aussi l’employeur peut faire valoir un intérêt légitime à la conservation de certaines données, pendant un certain temps. A nouveau, dans le respect du principe de proportionnalité, seules les données aptes et nécessaires à prouver les faits reprochés peuvent être conservées et la durée de conservation ne sera pas illimitée. Une conservation au-delà du délai de prescription n’est pas envisageable. Une conservation durant toute la durée délai pourrait aussi être excessive dans la majorité des cas, car plus le temps s’écoule, plus l’intérêt à engager des poursuites et donc à conserver les preuves y relatives s’amenuise. Une analyse dans chaque cas d’espèce est nécessaire et l’on ne peut pas donner de règles absolues. D’un côté si l’employeur a toutes les informations utiles et choisit de « classer l’affaire », il paraît difficile de voir un intérêt important à conserver les données. En revanche, si l’employeur dans un même cas est par 122 123 124 125 126 127 Art. 337 CO. Art. 337d CO. Art. 336 CO. Art. 336c et 336d CO. Art. 336b al. 1 CO. Art. 337d al. 4 CO, sous réserve de compensation. 124 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? exemple convaincu que le travailleur a violé certaines de ses obligations et dispose des informations pour le prouver, mais qu’il choisit de ne pas engager de poursuites par opportunité considérant qu’il n’est pas impacté tant que le travailleur ne lui fait pas de concurrence directe, on pourrait alors admettre un intérêt légitime à la conservation des données nécessaires dans le cas où l’ancien travailleur viendrait à agir de manière à créer une concurrence directe. Plus la probabilité est grande, plus l’intérêt à conserver les données est légitime. Si le travailleur a fait régulièrement des reproches ou formulé des demandes pouvant prendre la forme de prétentions en justice, l’employeur pourra aussi faire valoir un intérêt à conserver des données pertinentes pour s’y opposer. Plus le temps passe, plus la probabilité d’une action diminue et donc également l’intérêt à conserver des données. On peut encore mentionner le cas d’obligations particulières du travailleur, comme un engagement de confidentialité ou une prohibition de concurrence. Dans ce cas non seulement l’employeur a un intérêt prépondérant à conserver certaines données utiles à prouver une violation de ces engagements, mais il peut aussi avoir un intérêt à traiter de nouvelles données pour vérifier le respect des engagements pris. Comme toujours, le traitement de données devra être proportionné au but visé. A titre d’exemple, on peut mentionner une observation de l’activité sur LinkedIn. Une alerte par mots-clés scannant les pages web serait au contraire disproportionnée, notamment parce qu’elle impliquerait de nombreuses données sans lien avec le but visé et violerait également l’art. 328b CO128. Finalement, il y a le cas où l’employeur n’envisage pas de prétentions (fondées ou non) du travailleur. Dans cette dernière hypothèse, une approche très prudente de l’employeur pourrait le conduire à vouloir conserver pendant un certain temps certaines données importantes. Cela n’est a priori pas exclu, mais il faudrait néanmoins des éléments particuliers liés au cas d’espèce. Une conservation systématique jusqu’à l’échéance du délai de prescription serait dans tous les cas excessive (que l’on retienne un délai de prescription de 20 ans pour des lésions corporelles129 ou celui de 5 ans pour les prestations contractuelles des travailleurs)130. D. Le cas de la non-embauche A la fin du processus de recrutement, il n’y a plus guère de justifications à conserver les données personnelles des candidats non retenus, et elles seront supprimées, sauf accord de 128 129 130 On peut se référer mutatis mutandis aux art. 57m LOGA et PFPDT, Guide 2014. Art. 60 al. 1bis CO. Art. 128 CO. 125 Sylvain Métille leur part en vue par exemple d’un autre poste131. On peut néanmoins admettre la conservation de la lettre de postulation ainsi qu’une liste des personnes ayant postulé pour pouvoir identifier des candidatures récurrentes ou en cas de réclamation de la part d’un candidat non retenu132. Le PFPDT semble plutôt s’attacher à l’origine du document et considère que les documents soumis par les personnes dont la candidature a été écartée doivent leur être restitués à l’issue de la procédure de sélection (et les copies, s’il en existe, détruites immédiatement) et que l’employeur ne peut conserver que les documents qui lui appartiennent, c’est-à-dire les lettres de candidature, les questionnaires du personnel, les tests graphologiques et les renseignements recueillis à la suite de demandes de référence. Le PFPDT précise néanmoins que ces documents et renseignements, de même que les données relatives à la santé, doivent être détruits133. Si les données doivent être retournées ou détruites, cela ne doit pas obligatoirement se faire le jour de la décision de non-embauche. La Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) prévoyant un délai de trois mois dès la notification de non-embauche pour faire valoir des prétentions134, une conservation pendant trois mois et quelques jours est parfaitement légitime. Pour le personnel de la Confédération, la question est expressément réglée dans l’Ordonnance fédérale du 22 novembre 2017 concernant la protection des données personnelles du personnel de la Confédération135 qui prévoit pour les candidats non retenus à un emploi au sein de l’administration fédérale que les dossiers de candidature transmis sur papier leur sont renvoyés. Les autres données, à l’exception de la lettre de candidature, sont détruites au plus tard dans les trois mois suivant la clôture de la procédure de candidature136. Pour les candidatures électroniques, les données sont détruites au plus tard trois mois après la clôture de la procédure de candidature137. 131 132 133 134 135 136 137 Dans le même sens, GT 29, Avis 2/2017, p. 12 : « les données recueillies au cours du processus de recrutement devraient en principe être effacées dès qu’il devient clair que la candidature ne sera pas retenue par l’employeur ou sera retirée par le candidat. » Voir également l’art. 13.2 de la Recommandation CM/Rec (2015) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le traitement des données à caractère personnel dans le cadre de l’emploi du 1 er avril 2015. On peut penser ici à une action en application de la Loi sur l’égalité (LEg ; RS 151.1), voir ci-après. PFPDT, Guide 2014, p. 11 Art. 8 al. 2 LEg. OPDC ; RS 172.220.111.4. Art. 10 al. 3 OPDC. Art. 18 OPDC. 126 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? E. Les assurances sociales Pendant la relation de travail, l’employeur doit assumer de nombreuses obligations prévues par les différences assurances, sociales et privées138. Cela inclut le traitement de données personnelles souvent « sensibles », puisqu’en lien avec l’état de santé des personnes139, ainsi que leur communication à des autorités en charge de l’application du droit des assurances sociales. Si le traitement des données par les assurances sociales fait l’objet de règles précises140, ce n’est pas tellement le cas pour l’employeur. En l’absence de règle obligeant l’employeur à conserver des données, il peut néanmoins avoir un intérêt prépondérant à conserver les données personnelles liées à des prétentions possibles, qu’il s’agisse des siennes, de celles du travailleur ou de l’assurance sociale. A cet égard, on peut mentionner l’art. 24 al. 1 LPGA qui prévoit que le droit à des prestations ou à des cotisations arriérées s’éteint cinq ans après la fin du mois pour lequel la prestation était due et cinq ans après la fin de l’année civile pour laquelle la cotisation devait être payée. Une conservation pendant cette durée pourrait se justifier pour les données personnelles connexes à l’existence d’un droit à une prestation découlant des assurances sociales comme cela a été dit précédemment s’agissant des preuves en cas de litige. Au surplus, la plupart des documents intéressants concerneront la fixation des cotisations ou des prestations et seront déjà couverts par l’obligation de conservation de dix ans applicable aux pièces comptables. 138 139 140 Telles que l’assurance-maladie, l’assurance-accidents, l’assurance-chômage, l’assurance-vieillesse et survivants ou encore l’assurance-invalidité, l’assurance perte de gain, etc. DUPONT, p. 195. Lors de l’adaptation et l’harmonisation des bases légales pour le traitement de données personnelles dans les assurances sociales, le législateur a fait le choix d’intégrer individuellement à chaque loi d’assurance sociale une disposition générale formant la base légale des traitements (FF 2000 224-225). C’est le cas des art. 85a ss LPP, 49a ss LAVS, 66 ss LAI, 29 ss LAPG. Malgré tout, ces dispositions légales n’ancrent pas en leur sein la durée de la conservation exacte des données traitées. Le message du Conseil fédéral rappelle à ce propos que le principe de la proportionnalité, qui régit tout le droit administratif, exige en particulier que le nombre et la nature des données personnelles recueillies, le flux de ces données et la durée de leur conservation se limitent à ce qui est nécessaire à l’accomplissement des tâches légales. Il y a toutefois lieu de souligner que l’Office fédéral des assurances sociales a adopté des Directives du 1er janvier 2011 sur la gestion des dossiers dans les domaines AVS/AI/APG/PC/AfamAgr/Afam. Ces directives prévoient notamment que les dossiers doivent être conservés jusqu’à dix ans après l’extinction du dernier droit à prestation et que la destruction du dossier ne peut intervenir qu’à la condition qu’ils ne soient plus nécessaires pour des prestations pouvant être octroyées ultérieurement (voir notamment les N 1602 et 1603). Partant, la durée de conservation semble particulièrement longue. 127 Sylvain Métille F. Le certificat de travail et les références Selon l’art. 330a CO, le travailleur a, en tout temps, la possibilité de demander à son employeur un certificat de travail portant sur la nature et la durée des rapports de travail, ainsi que sur la qualité de son travail et sa conduite. Le travailleur peut également exiger de l’employeur que le certificat ne puisse porter que sur la nature et la durée des rapports de travail. La loi distingue ainsi deux types de certificats, soit le certificat détaillé (art. 330a al. 1 CO) et le certificat simple (art. 330a al. 2 CO), mais dans un cas comme dans l’autre, son importance est considérable141. Indépendamment de la forme du certificat de travail, il s’agit d’un document apprécié par tout employeur dans le cadre d’un processus de recrutement. Ce dernier est censé permettre par sa simple lecture d’identifier les qualités d’un candidat et d’évaluer ses capacités professionnelles, permettant ainsi à un nouvel employeur de procéder à une première sélection parmi plusieurs candidats142. Il joue donc un rôle essentiel, à la fois pour le travailleur comme pour l’employeur, réciproquement dans la recherche d’un nouvel emploi ou dans la recherche d’un nouveau candidat. Il incombe à chaque employeur de rédiger un certificat de travail lorsqu’un collaborateur ou ancien collaborateur en fait la demande. Le contenu du certificat de travail doit répondre à certains principes, à savoir que ce contenu se doit notamment d’être objectif, bienveillant et exact143. Lors de l’établissement d’un certificat de travail simple, l’employeur doit uniquement indiquer la nature des rapports de travail ainsi que sa durée. Outre ces points, le certificat doit évidemment permettre l’identification de l’ancien employé. Ainsi, tel que rédigé, le certificat simple devrait vraisemblablement contenir le nom, le prénom, la nature de l’emploi144 ainsi que sa durée. Dans le cadre d’un certificat détaillé, l’employeur doit en plus indiquer son appréciation sur la qualité du travail ainsi que sur la conduite du travailleur. Un tel certificat indique dès lors en sus les capacités professionnelles de l’ancien employé et son aptitude à exercer le métier en cause145. 141 142 143 144 145 WYLER/HEINZER, pp. 523 ss ; CR CO I-AUBERT, N 1 ss ad art. 330a ; MARTIN ANTIPAS, p. 2 ; AUBERT, in : Dunand/Mahon, N 1 ss ad art. 330a CO. MARTIN ANTIPAS, pp. 2-3. WYLER/HEINZER, pp. 523-528 ; CR-CO-AUBERT, N 4 ad art. 330a ; MARTIN ANTIPAS, pp. 11-13 ; AUBERT, in : Dunand/Mahon, N 16-20 ad art. 330a CO. A savoir la fonction exacte du travail ainsi que ses éventuelles responsabilités ou tâches particulières. Cf. AUBERT, in : Mahon/Pascal, N 22 ad art. 330a CO. AUBERT, in : Mahon/Pascal, N 25-30 ad art. 330a CO ; MARTIN ANTIPAS, pp. 18-20. En tant que telles, les données relatives aux capacités professionnelles se doivent d’être considérées comme des données personnelles au sens de la LPD. 128 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? Si le travailleur a en tout temps l’occasion de demander un certificat de travail à son employeur, dans les faits, le moment où celui-ci est la plupart du temps demandé est à l’approche de la fin d’une relation contractuelle de travail. Dans ce cadre, et au vu de ce qui précède, l’employeur dispose d’un intérêt privé à conserver les données personnelles nécessaires à la rédaction éventuelle du certificat de travail ou, subsidiairement, en cas de potentielle contestation par le travailleur à l’encontre d’un précédent certificat de travail intermédiaire ou de tout autre document contenant une évaluation professionnelle faite par l’employeur146. Nous pensons ici notamment aux comptes-rendus d’entretiens d’évaluation. La conservation des données ne doit cependant pas intervenir « pour le cas où », notamment avec en tête l’idée d’être « consulté » par de futurs employeurs sur le travailleur en question. Ainsi, une fois rédigé, l’employeur devrait supprimer les données qui étaient uniquement nécessaires à la rédaction d’un certificat de travail et conserver à la place ce dernier. Un employé a dix ans depuis la fin des rapports de travail pour exiger la fourniture d’un certificat de travail. Les données nécessaires à sa rédaction doivent donc être conservées pendant toute cette durée afin de permettre à l’employeur de pouvoir respecter son obligation légale le cas échéant. Se pose encore la question de la prise de références par un futur employeur potentiel auprès de précédents employeurs. A cet égard, le potentiel employeur se doit d’avoir le consentement exprès du candidat avant de procéder à toute demande de références. Le consentement du candidat peut ressortir de son dossier de candidature lorsque ce dernier contient expressément les coordonnées d’une personne de référence et que cette dernière est indiquée comme telle147. A ceci s’ajoute le fait que les précédents employeurs ne peuvent donner aucun renseignement sans y avoir été autorisés par le travailleur148. Cette autorisation peut découler d’une demande générale de la part de l’ancien employé d’être cité comme référence dans son dossier de candidature ou il peut s’agir d’une autorisation spécifique à une postulation en particulier. VII. Quelques considérations pratiques Même si les principes sont relativement clairs, il faut bien admettre que la situation en pratique est souvent assez compliquée. Il est en effet plutôt rare que les données soient 146 147 148 Eventuelle car il appartient au travailleur de demander à son employeur de rédiger un tel certificat. Sa rédaction n’est pas automatique. Une simple mention du nom de son ancien responsable n’est par exemple pas suffisante. Dans le même sens, voir CARRUZZO, N 8 ad art. 328b CO. 129 Sylvain Métille naturellement séparées et triées et que l’on puisse aisément supprimer un répertoire de données en bloc et en conserver un autre. Pour les données dont la conservation est obligatoire, la situation est parfois un peu meilleure. C’est en particulier le cas des données comptables149, car l’employeur est habitué à les traiter en dehors du dossier du personnel. On pourrait s’attendre à ce que ce soit aussi le cas pour les registres et autres pièces 150 (VI.B), à tout le moins pour une partie de ces données. La réalité dépendra beaucoup de la taille de l’entreprise et de son domaine d’activité. Les employeurs soumis à l’OPTM tiennent certainement un registre séparé pour ces informations. Ce ne sera en revanche pas toujours le cas pour les obligations de l’art. 73 OLT 1 puisque précisément ces informations peuvent soit figurer dans un registre (ce qui est plus compliqué au moment de son établissement mais plus simple pour sa conservation) soit dans des documents épars et variés. Si le registre est tenu de manière informatisée, il est assez facile de prévoir dès l’enregistrement des informations une date de suppression automatique (ou pour une variante moins radicale une alerte automatique à valider avant d’engager la suppression). Pour les registres papier, ou les registres électroniques plus basiques, une suppression manuelle et régulière s’impose. Il y a ensuite souvent un dossier nominal par employé, parfois une ou plusieurs versions papier et électroniques. La nature des données contenues varie beaucoup, parfois avec des sous-dossiers. L’employeur n’échappera pas au tri de son contenu. Pour toutes les données qui ne figurent pas dans la comptabilité ou un dossier dédié, il faut bien se rendre compte que c’est uniquement la nature et le contenu du document et des données personnelles qui détermineront son intérêt à la conservation, et cas échéant sa durée. Ce ne sera ni son format, ni le lieu où il se trouve151. L’employeur, en qualité de responsable du traitement, doit donc procéder à une classification des données personnelles en sa possession et des documents contenant de telles données personnelles. Au départ de l’employé152, un tri est donc nécessaire, et pour chaque donnée personnelle, ou chaque document, le responsable du traitement doit se demander si la conservation est nécessaire. Cela concerne autant le dossier papier de 149 150 151 152 Voir VI.A ci-dessus. Voir VI.B ci-dessus. Cela surprend souvent les informaticiens, qui partent du système d’information pour identifier son contenu, et qui souhaitent pouvoir programmer des durées de suppression par système. Mais aussi régulièrement pendant la durée des rapports de travail. 130 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? l’employé que les versions électroniques, les dossiers de candidature, les documents remis ou encore la correspondance. L’employeur ne peut pas se contenter de respecter la LPD et la personnalité de ses travailleurs qu’à leur départ. Bien plus, il doit s’assurer tout au long des rapports de travail que seules les données qui doivent ou peuvent être conservées le sont. Cela implique d’établir des lignes directrices relatives à la classification des données, leur durée de conservation, les droits d’accès et les personnes responsables. Pour certaines données il est possible de fixer une durée de conservation dès leur enregistrement, alors que pour d’autres ce sera la réalisation d’un événement (par exemple un accident, un licenciement, etc.) qui déterminera le point de départ de la durée. Pour les petites entreprises, en tenant compte des risques et des moyens disponibles, on devrait admettre un tri manuel des dossiers, par exemple une fois par année et au départ des travailleurs. Une stricte limitation des accès aux données est néanmoins nécessaire. On se rend également bien compte que la messagerie électronique est un casse-tête, à tout le moins telle qu’elle est actuellement exploitée. Si l’on pense au courrier papier, tout document reçu par un collaborateur est lu puis classé là où il est nécessaire, éventuellement détruit s’il n’est pas pertinent. Il ne viendrait à personne l’idée de conserver sur son bureau, pendant des années, des copies de toutes les lettres reçues et envoyées. Et personne n’aurait l’idée d’y ajouter tous les messages vocaux laissés et reçus, les notes et post-its insignifiants, les brouillons et documents supprimés. Pourtant il faut bien admettre que c’est ce que la plupart des employés font avec leur messagerie électronique. D’un canal de communication temporaire (une boîte aux lettres), la messagerie est devenue un dépôt, plus ou moins gérée et, ce qui est plus grave, plus ou moins nécessaire, pour des informations qui sont tantôt utiles, tantôt futiles, tantôt exclusivement dans la messagerie, tantôt également enregistrées ailleurs. Il reste donc deux options pour gérer une telle messagerie : reprendre régulièrement chaque message un à un pour décider s’il doit ou non être conservé153, ou tout supprimer154. Avant d’en arriver là, la seule vraie solution consiste probablement à imposer à chaque collaborateur (et lui donner les moyens) de classer les éléments importants hors de la messagerie, qu’il s’agisse de dossiers physiques ou électroniques, ou d’un outil de gestion de documents. Ainsi une suppression automatique des courriels est possible par exemple après douze mois. Cela permet de s’assurer que les données personnelles d’un ancien 153 154 Efficace mais difficilement envisageable quand on a quelques dizaines de milliers de messages. Beaucoup plus simple mais pas sans risque si les informations et documents n’ont pas été sauvegardés ailleurs. Une variante un peu moins brutale consiste à archiver les données de manière chiffrée pendant une période intermédiaire pour limiter les risques. 131 Sylvain Métille travailleur dont la conservation n’est pas justifiée ne demeurent pas dans les messageries de ses collègues. Quant à la messagerie de l’ancien travailleur, elle doit évidemment être désactivée155. En conclusion, il faut retenir que c’est déjà au moment de la collecte des données personnelles qu’il faut envisager la durée de leur conservation 156. En les classant au bon endroit, voire en prévoyant dès le début la durée de conservation, le travail n’en sera que plus simple. Et dans tous les cas au moment du départ d’un travailleur, l’employeur doit faire un tri dans le dossier de l’ancien travailleur, mais également dans les autres dossiers et systèmes pouvant contenir des données le concernant. 155 156 Sur cette question, voir par exemple MÉTILLE, Surveillance, pp. 122-123. La nLPD prévoit d’ailleurs que cette durée figure dans le registre des traitements (art. 12 nLPD) et dans la réponse à un droit d’accès (art. 25 nLPD). Le RGPD va encore plus loin et en fait une information à fournir lors de la collecte (art. 13 RGPD). 132 Après la fin des rapports de travail, peut-on encore traiter des données personnelles ? Bibliographie Sauf indication contraire, les ouvrages ou articles de cette bibliographie sont cités dans les notes avec l’indication du seul nom de l’auteur. A. Littérature juridique BELSER EVA MARIA/EPINEY ASTRID/WALDMANN BERNHARD (édit.), Datenschutzrecht – Grundlagen und öffentliches Recht, Berne 2011 (cité : AUTEUR, in : Belser/Epiney/ Waldmann). CARRUZZO PHILIPPE, Le contrat individuel de travail – Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations, Zurich 2009. DUNAND JEAN-PHILIPPE/MAHON PASCAL (édit.), Commentaire du contrat de travail, Berne 2013 (cité : AUTEUR, in : Dunand/Mahon). DUPONT ANNE-SYLVIE, La protection des données confiées aux assureurs, in : Dunand JeanPhilippe/Mahon Pascal (édit.), La protection des données dans les relations de travail, Genève/Zurich/Bâle 2017, pp. 195 ss. MARTIN ANTIPAS FRANÇOISE, Certificats de travail, in : Dunand Jean-Philippe/Mahon Pascal, Les certificats dans les relations de travail (édit.), Zurich 2018. MAURER-LAMBROU URS/BLECHTA GABOR-PAUL (édit.), Datenschutzgesetz (DSG)/ Öffentlichkeitsgesetz (BGÖ), Basler Kommentar, 3 e éd., Bâle 2014 (cité : BSK DSGAUTEUR). MEIER PHILIPPE, Protection des données – Fondements, principes généraux et droit privé, Berne 2011. MEIER PHILIPPE/TSCHUMY NICOLAS, L’adresse IP : une donnée personnelle ? Ou quand la CJUE rejoint le TF !, in : Jusletter du 23 janvier 2017. MÉTILLE SYLVAIN, La surveillance électronique des employés, in : Dunand Jean-Philippe/Mahon Pascal (édit.), Internet au travail, Genève/Zurich/Bâle 2014 (cité : MÉTILLE, Surveillance). MÉTILLE SYLVAIN, Internet et droit, Zurich 2017 (cité : MÉTILLE, Internet et droit). RAEDLER DAVID, Les enquêtes internes dans un contexte suisse et américain : instruction de l’entreprise ou Cheval de Troie de l’autorité ?, Lausanne 2018. ROSENTHAL DAVID, Das neue Datenschutzgesetz, in : Jusletter du 16 novembre 2020. ROSENTHAL DAVID/JÖHRI YVONNE, Handkommentar zum Datenschutzgesetz, Zurich 2008. RUDOLPH ROGER, L’obligation d’enregistrement de la durée du travail selon la nouvelle réglementation, TREX 2016, pp. 38 ss. TAMÒ-LARRIEUX AURELIA, Designing for Privacy and its Legal Framework – Data Protection by Design and Default for the Internet of Things, Cham 2018. TERCIER PIERRE/AMSTUTZ MARC/TRIGO TRINDADE RITA (édit.), Commentaire romand – Code des obligations II, 2e éd., Bâle 2017 (cité : CR CO II-AUTEUR). THÉVENOZ LUC/WERRO FRANZ (édit.), Commentaire romand – Code des obligations I, 2e éd., Bâle 2012 (cité : CR CO I-AUTEUR). 133 Sylvain Métille VERDE MICHEL, Rechtliche Aspekte der Personalakte, in : Jusletter du 10 août 2020. WYLER RÉMY/HEINZER BORIS, Droit du travail, 4e éd., Berne 2019. B. Documents officiels CONSEIL FÉDÉRAL, Message du 15 septembre 2017 concernant la loi fédérale sur la révision totale de la loi fédérale sur la protection des données et la modification d’autres lois fédérales, FF 2017, pp. 6565 ss. CONSEIL FÉDÉRAL, Message du 24 novembre 1999 concernant l’adaptation et l’harmonisation des bases légales pour le traitement de données personnelles dans les assurances sociales, FF 2000, pp. 219 ss. CONSEIL FÉDÉRAL, Rapport du 9 décembre 2011 sur l’évaluation de la loi fédérale sur la protection des données, FF 2012, pp. 265 ss. COMITÉ EUROPÉEN DE LA PROTECTION DES DONNÉES, Guidelines 4/2019 on Article 25 Data Protection by Design and by Default, version 2.0 adoptées le 20 octobre 2020 (uniquement disponible en anglais pour le moment). COMITÉ EUROPÉEN DE LA PROTECTION DES DONNÉES, Guidelines 07/2020 on the concepts of controller and processor in the GDPR, version 1.0 adoptées le 2 septembre 2020 (uniquement disponible en anglais pour le moment). OFFICE FÉDÉRAL DES ASSURANCES SOCIALES, Directives du 1er janvier 2011 sur la gestion des dossiers dans les domaines AVS/AI/APG/PC/AfamAgr/Afam. PRÉPOSÉ FÉDÉRAL À LA PROTECTION DES DONNÉES ET À LA TRANSPARENCE, Guide d’octobre 2014 pour le traitement des données personnelles dans le secteur du travail – Traitement par des personnes privées (cité : PFPDT, Guide 2014). COMMISSION NATIONALE DE L’INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, Guide pratique de juillet 2020 – Les durées de conservation (cité : CNIL, Guide 2020). GROUPE DE TRAVAIL « ARTICLE 29 » SUR LA PROTECTION DES DONNÉES, Avis 2/2017 sur le traitement des données sur le lieu de travail (cité : GT 29, Avis 2/2017). 134 FRANÇOIS CHANSON La transition vers l’assurance-chômage Sommaire Page I. Systématique de cette contribution 136 II. Les principes généraux et leur implication concrète 137  A. B. C. D. Le but et les moyens de l’assurance-chômage Le financement L’organisation Les conditions du droit à l’assurance-chômage 1. Etre sans emploi ou partiellement sans emploi 2. Avoir subi une perte de travail à prendre en considération a) Le principe b) La résiliation anticipée des rapports de travail et la subrogation c) Les prestations volontaires de départ d) Le gain intermédiaire 3. Etre domicilié en Suisse a) La notion b) Le cas des frontaliers 4. Avoir achevé sa scolarité obligatoire et ne pas toucher de rente de l’AVS a) La notion b) La retraite anticipée 5. Remplir les conditions de cotisation ou en être libéré 6. Etre apte au placement 7. Satisfaire aux exigences du contrôle 8. Ne pas bénéficier d’une surindemnisation 9. Avoir cotisé sur un salaire mensuel de 500 francs 10. Ne pas disposer d’un pouvoir décisionnel dans une entreprise E. L’indemnisation 1. Les délais d’attente 2. Le nombre maximum d’indemnités journalières 3. Le montant de l’indemnité journalière a) Le gain assuré aa) Après une période de cotisation bb) Après un motif de libération b) L’indemnité de chômage 4. Le gain intermédiaire 137 137 138 139 139 140 140 140 141 143 144 144 144 145 145 145 145 147 147 148 148 148 149 149 150 151 151 151 151 152 152 Avocat au barreau du canton de Vaud, ancien directeur de la Caisse cantonale vaudoise de chômage et président de l’Association des caisses publiques de chômage de Suisse et du Liechtenstein. François Chanson III. 5. Les sanctions a) Les principes b) La perte fautive d’emploi aa) Le comportement fautif bb) La notion de travail convenable cc) La convention de départ et l’établissement de la faute c) La renonciation à des prétentions de salaire ou d’indemnisation d) L’insuffisance de recherches d’emploi 6. Les mesures relatives au marché du travail F. Les prestations collectives 1. L’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail 2. L’indemnité en cas d’intempéries 3. L’indemnité en cas d’insolvabilité 152 152 154 154 155 157 157 158 158 160 160 160 161 Conclusion 162 Bibliographie I. 163 Systématique de cette contribution L’examen des implications concrètes de la fin des rapports de travail sur l’assurancechômage requiert de poser les principes de base qui régissent cette dernière (buts poursuivis par la loi, organisation, conditions du droit à l’indemnité et modalités d’indemnisation). A titre d’exemple, pour aborder la question de la sanction en cas de perte fautive d’emploi, il paraît nécessaire de définir préalablement les notions de travail convenable ou de suspension provisoire du droit à l’indemnité. Afin de permettre au lecteur non familiarisé avec l’assurance-chômage de s’y retrouver, la présente contribution s’attachera à rappeler de manière systématique les principes généraux applicables à chacun des thèmes choisis, avant de traiter de leur implication concrète d’espèce.1 1 Compte tenu de leur constante évolution au fil des semaines, la présente contribution ne tient pas compte des mesures exceptionnelles prises en raison de la crise sanitaire due au COVID-19, aussi bien en matière de financement que de prestations. 136 La transition vers l’assurance-chômage II. Les principes généraux et leur implication concrète A. Le but et les moyens de l’assurance-chômage A teneur des art. 114 Cst. et 1a LACI, l’assurance-chômage poursuit un double but : 1. Prévenir le chômage imminent, combattre le chômage existant et favoriser l’intégration rapide et durable des assurés dans le marché du travail. Elle a mis en place pour ce faire les instruments suivants : – Un service efficace de conseil et de placement. – Des mesures relatives au marché du travail, encourageant la reconversion, le perfectionnement et l’intégration professionnels. 2. Garantir aux personnes assurées une compensation convenable du manque à gagner. Elle dispose à cet effet des prestations suivantes : B. – L’indemnité de chômage (IC) versée à titre individuel aux assurés qui en remplissent les conditions du droit. – L’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) versée aux travailleurs des entreprises qui sont contraintes de réduire temporairement leur horaire de travail pour des raisons économiques. – L’indemnité en cas d’intempéries (INT), versée aux travailleurs des entreprises qui sont contraintes de réduire temporairement leur horaire de travail en raison de conditions météorologiques défavorables. – L’indemnité en cas d’insolvabilité (ICI), versée aux travailleurs à titre de remplacement des salaires que l’employeur n’a pu verser, en règle générale suite à sa faillite. Le financement L’assurance-chômage est essentiellement financée par la perception obligatoire de cotisations paritaires réparties entre l’employeur et l’assuré (art. 90 let. c LACI). Les art. 2 à 6 LACI se réfèrent explicitement à la LAVS en posant que sont tenues de payer des cotisations d’assurance-chômage, d’une part, les personnes assurées selon cette loi et devant à ce titre s’acquitter de cotisations sur le revenu d’une activité dépendante, et, d’autre part, les personnes ou sociétés devant payer des cotisations au titre d’employeur. Contrairement à ce que prévoit pourtant la Constitution fédérale, la loi ne permet pas de s’assurer facultativement en qualité d’indépendant. 137 François Chanson Les cotisations à l’assurance-chômage comprennent : – Une cotisation ordinaire calculée d’après le salaire déterminant au sens de la LAVS et de la LAA. Cette cotisation s’élève à 1.1% du salaire annuel jusqu’à 148’200 francs (12’350 francs par mois), pour l’employé et pour l’employeur, soit 2.2% au total (art. 3 al. 1 à 3 LACI). Conformément à l’art. 90c al. 1 et 2 LACI, le Conseil fédéral peut augmenter temporairement ce taux de cotisation de 0.3% au plus, si la dette du fonds de compensation atteint 2.5% de la somme des salaires soumis à cotisation. A l’inverse, il doit baisser le taux de cotisation si le capital du fonds de compensation est largement bénéficiaire. – Toujours selon l’art. 90c al. 1 et 2 LACI, une cotisation de solidarité s’élevant à 0.5% (1% en tout pour les deux parts employé et employeur) du salaire dépassant le montant maximum du gain assuré, sans limite supérieure. La cotisation de solidarité est fixée annuellement par le Conseil fédéral, aussi longtemps que la dette de l’assurance-chômage atteint ou dépasse 0.5 milliard de francs. Elle ne donne droit à aucune prestation, le gain assuré maximum étant plafonné à 148’200 francs. La Confédération et les cantons doivent en outre participer au financement des coûts du service public de l’emploi et des mesures de marché du travail à raison de 0.159% de la somme des salaires soumis à cotisation, au travers de l’impôt. Un tiers de cette participation est à la charge des cantons (art. 90 let. b et 90a LACI). Le rendement de la fortune du fonds de compensation constitue enfin la troisième source théorique de financement de l’assurance-chômage (art. 90 let. c LACI), la réalité faisant que le fonds de l’assurance-chômage paie depuis des décennies plus d’intérêts sur la dette que ne lui en procurent ses placements. C. L’organisation Les compétences prévues dans la loi (art. 76-89 LACI et 103-126 OACI) sont, pour une part, du ressort de la Confédération et, pour une autre part, attribuées aux cantons. Il appartient à ces derniers de définir leur organisation : si elle varie d’un canton à l’autre, 138 La transition vers l’assurance-chômage elle doit s’articuler fondamentalement autour des deux grands axes prévus par la loi que sont le placement et le paiement, confiés à deux instances distinctes : – L’Office régional de placement (ORP), compétent pour tout ce qui touche à la réinsertion professionnelle du demandeur d’emploi (art. 76 al. 1 let. c et 85 à 85c LACI). – La caisse de chômage, compétente pour l’ensemble des aspects liés au droit à l’indemnité journalière et au paiement de celle-ci (art. 76 al. 1 et 77 à 82 LACI). Il existe, pour des raisons historiques, des caisses de chômage publiques et privées (rattachées pour la plupart à un syndicat). Leurs prestations sont identiques. Ont également des compétences en matière d’assurance-chômage : – Dans certains cantons, les offices communaux du travail, dont le rôle se cantonne à l’inscription des demandeurs et demandeuses d’emploi (art. 17 LACI, 18 al. 2 et 19 al. 1 OACI). – Les autorités cantonales, compétentes pour la gestion du marché du travail. Elles chapeautent les ORP et, selon les cantons, la caisse publique de chômage. Elles ont également des compétences directes en matière de réduction de l’horaire de travail et de chômage pour intempéries et, concernant l’indemnité de chômage proprement dite, peuvent être amenées à déterminer si l’assuré est apte au placement. – Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), autorité de surveillance de l’exécution de la loi au niveau fédéral. Aussi identifié sous la dénomination « d’organe de compensation », il contrôle la gestion des caisses, fournit les ressources nécessaires à leur fonctionnement et comptabilise les cotisations versées au fonds de compensation (art. 76 al. 1 let. b et 83 à 84 LACI). – Les caisses de compensation AVS qui gèrent la perception des cotisations (art. 76 al. 1 let. e et f et 86 à 87 LACI). D. Les conditions du droit à l’assurance-chômage Le droit à l’indemnité de chômage est subordonné à plusieurs conditions cumulatives prévues principalement à l’art. 8 LACI, mais ressortant également d’autres dispositions légales ou de principes jurisprudentiels définis par le Tribunal fédéral. 1. Etre sans emploi ou partiellement sans emploi Selon les art. 8 al. 1 let. a et 10 LACI, est réputé sans emploi celui qui n’est pas partie à un rapport de travail et qui cherche à exercer une activité à plein temps. Est réputé partiellement sans emploi celui qui n’est pas partie à un rapport de travail et cherche à n’exercer qu’une activité à temps partiel ou celui qui occupe un emploi à temps partiel et 139 François Chanson cherche à le remplacer par une activité à plein temps ou à le compléter par une autre activité à temps partiel. Une activité à plein temps doit être considérée comme telle lorsque le temps de travail correspond à la durée normale de la semaine de travail de l’entreprise concernée ou de la branche. 2. Avoir subi une perte de travail à prendre en considération a) Le principe Conformément aux art. 8 al. 1 let. b, 11 à 11a LACI et 4, 5, 10 à 10h OACI, la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle dure au moins deux journées de travail consécutives. Pour les personnes travaillant à temps partiel, il faut que cette perte s’élève au moins à l’équivalent de deux jours de travail entiers en l’espace de deux semaines. En d’autres termes, l’assuré qui perd l’équivalent de 20% de l’emploi qu’il occupait alors remplit cette condition. La perte de travail doit se traduire par un manque à gagner. L’indemnité journalière de l’assurance-chômage s’élevant à 70% ou 80% du gain assuré, la perte de gain doit atteindre plus de 20% ou de 30% (art. 22 LACI, cf. ci-après ch. II.E.3.b). La loi connaît cependant les exceptions à ce principe que nous examinons ci-dessous. b) La résiliation anticipée des rapports de travail et la subrogation Sur la base du raisonnement ci-dessus, la perte de travail pour laquelle le chômeur a droit au salaire ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail ne devrait en principe pas pouvoir être prise en considération. Il n’appartient en effet pas à l’assurance-chômage de se substituer aux obligations de l’employeur et l’assuré licencié devrait dans ce cas revendiquer les prestations salariales auxquelles il a droit auprès de son employeur, avant de revendiquer des indemnités journalières (TF C15/06 du 20 février 2007 ; ATF 126 V 368). L’art. 29 LACI prévoit toutefois que si la caisse de chômage a de « sérieux doutes » que l’assuré ait droit, pour la durée de la perte de travail, au versement par son ancien employeur d’un salaire ou d’une indemnité au sens de l’art. 11 al. 3, ou que ces prétentions soient satisfaites, elle verse l’indemnité de chômage (al. 1). En opérant le versement, la caisse se subroge à l’assuré dans tous ses droits, y compris le privilège légal, jusqu’à concurrence de l’indemnité journalière versée (al. 2, 1re phrase). 140 La transition vers l’assurance-chômage Concrètement, la caisse de chômage demandera à l’assuré de proposer ses services à l’employeur pour la durée du délai de congé qui n’aurait pas été respecté. Deux cas de figure peuvent alors se présenter : – Si l’employeur refuse de reprendre l’assuré à son service ou de verser le salaire revendiqué jusqu’au terme du délai de congé et que l’assuré entreprend une procédure prud’homale, la caisse se subrogera en versant des indemnités à l’assuré. Elle interviendra aux côtés de l’assuré dans la procédure judiciaire, en faisant valoir ses prétentions à hauteur du montant des indemnités versées pendant le délai de congé. Ce dernier revendiquera la part pour laquelle la caisse de chômage ne s’est pas subrogée (20 ou 30% non couvert par l’indemnité, salaire dépassant le gain assuré, vacances, indemnité pour résiliation abusive, etc.). – Si l’assuré renonce à offrir ses services, à engager une procédure prud’homale, ou s’il conclut avec son employeur une transaction portant sur un montant inférieur au salaire dû pour le délai de congé, la caisse versera les indemnités correspondant à sa perte de travail, mais le sanctionnera (cf. ci-dessous ch. II.E.5). L’indemnité versée au sens de l’art. 29 LACI doit être distinguée de l’indemnité en cas d’insolvabilité qui sera abordée plus tard dans cette contribution (ch. II.F.3). Contrairement à cette dernière, l’indemnité au sens de l’art. 29 LACI ne vise en principe pas des prestations de travail réellement fournies et requiert que l’assuré soit apte au placement et remplisse les prescriptions de contrôle de l’asssurance-chômage (ATF 121 V 377, c. 2a et 2b ; ATF 126 V 368). c) Les prestations volontaires de départ Une autre exception à la règle générale de l’art. 11 LACI est prévue aux art. 11a LACI et 10a à 10g OACI, relatifs aux prestations volontaires de l’employeur en cas de résiliation des rapports de travail. Sont considérées comme telles les prestations allouées par l’employeur qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d’indemnités pour résiliation anticipée des rapports de travail : ainsi définies de manière négative, ces prestations consisteront p. ex. en montants versés sur la base des art. 337b et 337c al. 1 CO (ATF 143 V 161), ou destinés à compenser la perte des avantages découlant de la préretraite pour les employés qui quittent leur fonction avant l’âge légal (ATF 139 V 384). Il peut aussi s’agir de versements prévus dans la règlementation interne de l’entreprise en cas de résiliation des rapports de travail (TF 4A_670/2010 du 4 avril 2011), voire prévus par une base réglementaire communale impérative en cas de suppression de poste (ATF 143 V 161 cité). La nature du montant versé importe peu, puisqu’il peut s’agir de « stock options » (ATF 145 V 188). 141 François Chanson Dès lors et quand bien même l’assuré subit une perte de travail et un manque à gagner à prendre en considération du fait de la fin de son droit au salaire, la caisse de chômage tient compte des indemnités volontairement versées en sus par l’employeur dépassant le montant du gain assuré maximum annuel (148’200 francs) avant d’ouvrir un droit aux indemnités journalières : ce montant sera converti en temps et repoussera d’autant l’ouverture du délai-cadre d’indemnisation. Ainsi, par exemple : – Un travailleur se fait licencier pour le 31 mars 2021 alors qu’il perçoit un salaire mensuel de 10’000 francs. En sus du délai de congé, son employeur lui verse une indemnité de départ de 250’000 francs. Le travailleur revendique des prestations d’assurance-chômage à compter du 1er avril 2021. – La somme prise en compte par l’assurance-chômage est de 101’800 francs (soit 250’000 francs moins 148’200 francs). Divisée par 10’000 francs par mois, elle correspond à une durée de 10.2 mois. – La perte de travail ne pourra pas être prise en considération avant l’écoulement de 10 mois et 6 jours à compter de la fin des rapports de travail, soit le 7 février 2022. Les prestations volontaires utilisées pour la prévoyance professionnelle peuvent de surcroît être déduites du montant à prendre en compte, jusqu’à concurrence d’un montant limite supérieur fixé à l’article 8 LPP (85’320 francs dès janvier 2019). Ainsi, pour reprendre notre exemple : – Sur les 101’800 francs restants, le travailleur utilise 85’320 francs pour racheter des années de cotisation à la LPP. – Seuls seront pris en compte par l’assurance-chômage les 16’480 francs restants. Divisée par 10’000 francs par mois, elle correspond à une durée de 1.65 mois. – La perte de travail ne pourra pas être prise en considération avant l’écoulement de 1 mois et 19 jours à compter de l’inscription, soit le 20 mai 2021. La période durant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération n’influencera négativement ni la période de cotisation ni le montant du gain assuré. Dans l’hypothèse où l’employeur ne verse pas les prestations volontaires en une seule fois mais sous forme de rente mensuelle, l’assuré aura droit à l’indemnité de chômage dès la fin des rapports de travail, mais l’indemnité versée sera alors déduite du montant des indemnités mensuelles. Ainsi, toujours pour notre exemple ci-dessus : – L’employeur décide de répartir les 250’000 francs à raison de 5’000 francs par mois pendant 50 mois. 142 La transition vers l’assurance-chômage – 101’800 francs divisés par 50 mois donnent un montant mensuel à prendre en compte de 2’036 francs. – Ce montant sera déduit chaque mois des indemnités normalement versées par la caisse de chômage. d) Le gain intermédiaire Le gain intermédiaire constitue également une exception à l’obligation posée par l’art. 11 LACI, lorsque l’assuré trouve et reprend un nouvel emploi moins bien payé, sans interrupion juste après l’emploi qu’il a perdu. Le manque à gagner peut alors être indemnisé à titre de gain intermédiaire, même si l’assuré n’a pas subi de perte de travail. Selon l’art. 24 LACI en effet, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle. Si ce gain est inférieur à ses indemnités de chômage, l’assuré a alors droit à la compensation de sa perte de gain, soit au paiement du 70% ou du 80% de la différence entre son gain assuré et le gain intermédiaire. Ainsi, par exemple2 : – Un travailleur se fait licencier d’un emploi à 100%, rémunéré 10’000 francs par mois. Ayant par hypothèse droit à des indemnités de chômage à 70% (cf. ci-dessous ch. II.E.3.b), il pourrait prétendre à percevoir 7’000 francs par mois de la caisse de chômage. – Durant son délai de congé, il retrouve un emploi payé 5’000 francs par mois, toujours à 100%. Bien qu’il ne subisse pas de perte de travail, sa perte de gain de 5’000 francs (10’000 francs – 5’000 francs) lui permet de prétendre à une compensation de l’assurance-chômage. – Il pourra percevoir 3’500 francs de la caisse de chômage, soit 70% de sa perte de gain. Au total, il percevra ainsi 8’500 francs par mois (5’000 francs + 3’500 francs), soit 1’500 francs de plus que s’il n’avait pas travaillé en gain intermédiaire. Ce droit à la compensation de la perte de gain n’existe que si le gain intermédiaire n’atteint pas le montant des indemnités de chômage et il est exclu si le rapport de travail a été interrompu pendant moins d’un an, ou s’il est maintenu entre les mêmes parties, à des conditions plus précaires (art. 24 al. 3bis LACI et 41a al. 3 OACI). Cette compensation peut être allouée durant douze mois au plus, à l’exception des assurés ayant des obligations d’entretien envers des enfants de moins de 25 ans ou/et âgés de plus de 45 ans qui peuvent bénéficier de ce régime durant tout leur délai-cadre d’indemnisation 2 Les calculs ont été simplifiés pour démontrer le raisonnement. 143 François Chanson (art. 24 al. 4 LACI). Si au bout de ces 12 mois, l’assuré quitte cet emploi (non convenable puisque procurant une rémunération inférieure à l’indemnité de chômage, sans compensation du gain intermédiaire), il n’encourra pas de sanction (cf. ci-dessous ch. II.E.5.b). S’il garde l’emploi, le revenu qu’il continue à réaliser sera déduit de l’indemnité de chômage à laquelle il a droit (paiement par la caisse de la différence entre l’indemnité de chômage et le gain intermédiaire) (art. 24 al. 5 LACI). Dans notre exemple ci-dessus, cela signifie que la caisse de chômage lui versera un montant de 2’000 francs, soit la différence entre son droit aux indemnités de 7’000 francs et son gain intermédiaire de 5’000 francs. 3. Etre domicilié en Suisse a) La notion Conformément aux art. 8 al. 1 let. c et 12 LACI, 13 LPGA et 23 à 26 CC, le domicile de la personne au chômage est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. Cette notion implique donc d’une part la volonté de rester dans un endroit de façon durable et d’autre part la manifestation de cette volonté par une résidence effective reconnaissable par des tiers. Les étrangers sans permis d’établissement (permis C) sont réputés domiciliés en Suisse aussi longtemps qu’ils y habitent, s’ils sont au bénéfice d’une autorisation de séjour leur permettant d’exercer une activité lucrative. b) Le cas des frontaliers Sur la base de l’accord sur la libre circulation des personnes avec les Etats membres de l’UE et de l’AELE, la Suisse applique le Règlement (CE) n o 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (Règlement de base, RB). L’art. 65a RB prévoit la règle suivante pour les « vrais frontaliers », soit les personnes qui exercent une activité salariée dans un Etat membre et résident dans un autre Etat membre où elles retournent en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine : ces personnes devront revendiquer les prestations de chômage dans leur Etat de résidence et n’auront par conséquent pas droit aux prestations de l’assurance-chômage dans l’Etat de dernière activité, soit la Suisse. Le but de leur séjour dans l’Etat voisin se résume en effet à l’exercice d’une activité lucrative et, en cas de chômage, ils n’ont plus de raison de séjourner dans cet Etat, regagnant leur lieu de résidence où se trouve le centre de leurs intérêts et où ils disposent de meilleures chances de réinsertion professionnelle. A teneur de l’art. 65 al. 2, 3e phrase, et al. 5 RB, la règle est différente pour les « faux frontaliers », à savoir les personnes actives dans un Etat et résidant dans un autre Etat où elles ne retournent pas au moins une fois par semaine : sur la base de la présomption que 144 La transition vers l’assurance-chômage ces personnes y ont dans ce cas résidé, elles ont droit aux prestations de l’Etat de dernière activité, pour autant qu’elles se mettent à la disposition du service de l’emploi de cet Etat. 4. Avoir achevé sa scolarité obligatoire et ne pas toucher de rente de l’AVS a) La notion La loi ne fixe pas à l’art. 8 al. 1 let. d LACI d’âge minimum précis au terme de la scolarité, qui dépendra dès lors de la loi d’organisation scolaire du canton de domicile de l’assuré. L’âge maximum est quant à lui calqué sur celui de l’assurance vieillesse et survivants. b) La retraite anticipée Selon l’art. 12 OACI, les assurés qui bénéficient d’une retraite anticipée, mais qui ne perçoivent que des prestations de prévoyance professionnelle, n’auront droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage que si les deux conditions suivantes sont cumulativement remplies : – Ils ont été licenciés par leur employeur sans faute de leur part (raisons économiques ou règlementation impérative entrant dans le cadre de la prévoyance professionnelle). L’assuré qui a résilié lui-même le rapport de travail et touche une prestation de vieillesse de la prévoyance professionnelle ne pourra ainsi bénéficier de prestations financières de l’assurance-chômage qu’après une nouvelle période de cotisation de 12 mois (cf. ch. 5 ci-après). – Les prestations de retraite qu’ils perçoivent sont inférieures à l’indemnité de chômage à laquelle ils ont droit. La rente LPP sera alors déduite des indemnités de chômage versées par la caisse. 5. Remplir les conditions de cotisation ou en être libéré Selon l’art. 9 LACI, les conditions relatives à la période de cotisation doivent être remplies à l’intérieur d’une période de référence déterminée appelée « délai-cadre de cotisation ». Celle-ci sera suivie d’une seconde période de référence (le « délai-cadre d’indemnisation ») déterminante pour la perception des indemnités journalières de l’assurance-chômage. Le délai-cadre d’indemnisation court, sauf disposition contraire, durant deux ans dès le premier jour où toutes les conditions dont dépend le droit sont réunies, tandis que le délaicadre de cotisation court, sauf disposition contraire, deux ans plus tôt. Les délais-cadres de cotisation et d’indemnisation peuvent être prolongés en cas d’éducation d’un enfant de moins de 10 ans (période éducative ; art. 9a LACI) ou d’exercice d’une activité indépendante définitivement abandonnée (art. 9b LACI). 145 François Chanson A teneur des art. 8 al. 1 let. e et 13 LACI, l’assuré remplit les conditions relatives à la période de cotisation si, dans les limites du délai-cadre de cotisation, il a exercé durant douze mois au moins une activité salariée soumise à cotisation. Sont considérées comme telle, même si les cotisations n’étaient pas perçues : – Les périodes de travail précédant l’âge à partir duquel sont perçues les cotisations AVS/AC (18 ans). – Les périodes de service militaire, de protection civile ou de cours d’économie familiale de trois semaines sans discontinuer au moins. – Les périodes comprises dans un rapport de travail pour lesquelles l’assuré n’a pas touché de salaire, parce qu’il a été malade ou victime d’un accident, ou pour cause de grossesse ou de maternité. – Les activités salariées exercées dans un pays membre de l’UE/AELE qui s’additionnent à un jour de travail au moins en Suisse, dernier Etat de résidence. L’art. 14 LACI permet toutefois d’indemniser certaines personnes quand bien même elles n’ont pas cotisé à l’assurance-chômage. Ce sont les personnes libérées des conditions relatives à la période de cotisation, en cas de : – Empêchement d’exercer, pendant plus de 12 mois au total, une activité salariée soumise à cotisation en raison de : – Formation scolaire, reconversion ou perfectionnement professionnel, à condition d’avoir été domicilié en Suisse pendant dix ans au moins. – Maladie, accident ou maternité, à condition d’avoir été domicilié en Suisse pendant la période correspondante. – Séjour dans un établissement suisse de détention, d’éducation au travail, ou dans une institution suisse de même nature. – Nécessité d’exercer une activité salariée ou de l’étendre par suite de : – Séparation de corps ou de divorce. – Invalidité, mort du conjoint (pas du concubin) ou « raisons semblables » (fin des tâches d’assistance envers une personne qui avait besoin d’une aide permanente, conjoint disparu, emprisonné ou dont l’entreprise individuelle tombe en faillite). – Retour d’un séjour de plus d’une année à l’étranger hors UE/AELE, à condition d’y justifier d’une activité salariée correspondant à la période de cotisation prévue à l’article 13 LACI et d’une période de cotisation supplémentaire en Suisse d’une durée de 6 mois pendant le délai-cadre de cotisation. 146 La transition vers l’assurance-chômage 6. Etre apte au placement A teneur des art. 8 al. 1 let. f et 15 LACI, est réputé apte à être placé, le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à une mesure d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement comprend ainsi les éléments suivants : – Le droit de travailler (élément juridique), soit le fait de ne pas être au bénéfice des mesures de protection de la loi sur le travail en faveur des mères après leur accouchement et ne pas faire l’objet d’une interdiction de travail découlant de prescriptions de la police des étrangers. L’aptitude au placement des ressortissants étrangers réside ainsi dans le fait qu’ils doivent être en droit d’accepter un travail, soit avoir une autorisation de travail. Le Tribunal fédéral reconnaît toutefois l’aptitude au placement de manière assez large dans ce domaine : si l’assuré n’est pas au bénéfice d’une autorisation de travailler mais seulement de séjourner, mais qu’il peut cependant s’attendre à s’en voir accorder une sans difficulté s’il trouvait un emploi convenable, il y a lieu de le considérer comme étant apte au placement (ATF 126 V 376 ; ATF 120 V 378). – La faculté de fournir un travail sans en être empêché pour des causes inhérentes à sa personne, relatives principalement à son état de santé (élément objectif). La capacité de travail est présumée et ne pourra être remise en cause que sur la base d’un certificat médical. En l’absence d’un tel certificat, lorsqu’il existe des doutes sérieux sur l’état de santé de l’assuré, l’autorité cantonale peut ordonner que l’assuré soit examiné par un médecin-conseil, aux frais de l’assurance (art. 15 al. 3 LACI). – La disposition à accepter un travail convenable, ce qui implique la volonté de prendre un travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps nécessaire à un emploi et quant au nombre d’employeurs potentiels (ATF 112 V 215). L’aptitude au placement ne doit notamment pas être limitée par l’échéance d’un événement dans un avenir relativement proche (reprise d’études, départ à l’étranger, école de recrues), une occupation parallèle au chômage (activité indépendante, bénévolat, garde d’enfants), ou une absence de volonté de travailler, identifiée par plusieurs sanctions dans le droit à l’indemnité (ATF 112 V 215, c. 1a ; TF 8C_99/2012 du 2 avril 2012 ; TF C 320/05 du 20 avril 2006). 7. Satisfaire aux exigences du contrôle Les exigences de contrôle sont réglées de manière générale aux art. 17 à 20 LACI et dans le détail aux art. 18 à 31 OACI. Selon ces dispositions, l’assuré est tout d’abord tenu de se présenter à l’office régional de placement ou à l’office communal du travail de son domicile au plus tard le premier jour pour lequel il prétend à des indemnités de chômage. 147 François Chanson L’indemnisation d’un assuré ne saurait ainsi débuter avant le premier jour où il fait contrôler son inactivité. L’obligation de suivre ensuite les instructions de l’office régional de placement implique notamment la participation aux réunions d’information, aux consultations spécialisées et aux entretiens de conseil et de contrôle fixés (en principe au moins tous les deux mois), la garantie de pouvoir être atteint dans le délai d’un jour, l’obligation d’effectuer des recherches d’emploi qualitativement et quantitativement suffisantes, la participation aux mesures relatives au marché du travail et l’obligation d’accepter tout travail convenable. Durant son délai-cadre d’indemnisation, l’assuré a droit à des jours de « vacances », soit des jours durant lesquels il est libéré de ces obligations liées au contrôle. Ce droit se constitue à hauteur de cinq jours de vacances par tranche de 60 jours ouvrables contrôlés et ne peut être pris de manière anticipée. Cette règle pose souvent problème en cas de perte d’emploi peu avant des vacances d’ores et déjà fixées et réservées. L’assuré n’a alors pas d’autre choix que de les prendre sans être indemnisé par l’assurance-chômage ou y renoncer s’il entend les percevoir. 8. Ne pas bénéficier d’une surindemnisation Conformément à l’art. 69 LPGA, le concours de prestations des différentes assurances sociales ne doit pas conduire à une surindemnisation. Une personne remplissant toutes les conditions de l’art. 8 LACI pourrait donc ne pas toucher d’indemnités, ou n’en toucher qu’une partie, en raison de prestations versées par une autre assurance sociale (p. ex. en cas d’invalidité laissant une capacité de travail suffisante). 9. Avoir cotisé sur un salaire mensuel de 500 francs Selon l’art. 23 LACI, le gain provenant d’une activité salariée n’est considéré comme assuré que s’il atteint le montant mensuel de 500 francs. L’assuré qui ne justifie pas de ce montant de cotisation n’aura donc pas droit aux indemnités journalières, même s’il a cotisé sur le montant inférieur. 10. Ne pas disposer d’un pouvoir décisionnel dans une entreprise Les personnes qui, exercent une influence significative sur le processus de décision de l’entreprise n’ont pas droit à l’indemnité de chômage à l’ouverture de leur délai-cadre 148 La transition vers l’assurance-chômage d’indemnisation, même si elles en remplissent toutes les autres conditions. Doivent être considérées comme telles : – Les membres du conseil d’administration d’une société anonyme et les gérants d’une société à responsabilité limitée, indépendamment de leur pouvoir effectif dans la société. – Les personnes qui ne rentrent pas dans la catégorie ci-dessus, mais qui disposent d’un véritable pouvoir décisionnel dans une société anonyme, une société à responsabilité limitée ou une entreprise organisée sous toute autre forme juridique. Il appartiendra à la caisse de chômage d’effectuer un examen de cas en cas sur la base des éléments d’espèce (contrat de travail, inscription au registre du commerce, statuts de la société, possession significative dans les parts de l’entreprise, etc.). – Les conjoints des personnes mentionnées ci-dessus. Par cette règle, maintes fois confirmée par le Tribunal fédéral, on veut éviter que les personnes qui sont exclues du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (art. 31 al. 3 LACI, cf. ci-dessous ch. II.F.1) puissent toucher des indemnités journalières ordinaires, même en dehors de tout abus manifeste (ATF 145 V 263 ; ATF 142 V 263 ; ATF 123 V 234 ; TF 8C_574/2017 du 4 septembre 2018 ; TF 8C_163/2016 du 17 octobre 2016). L’assuré n’aura par conséquent droit aux indemnités journalières qu’à compter du moment où il aura abandonné définitivement sa position assimilable à celle d’un employeur (démission de ses fonctions dirigeantes, radiation au registre du commerce, vente de ses parts sociales). La question se pose différemment si l’assuré occupe une telle position dans une autre entreprise que celle dans laquelle il a perdu son emploi ou s’il acquiert une telle position durant son délai-cadre d’indemnisation. Son droit à l’indemnité ne pourra pas alors être nié en application par analogie de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, mais devra être examinée sous l’angle de l’aptitude au placement (cf. ch. II.D.6 ci-dessus ; TF 8C_331/2017 du 8 mars 2018). E. L’indemnisation 1. Les délais d’attente Les délais d’attente constituent en quelque sorte la « franchise » de l’assurance-chômage. Au sens des art. 18 LACI et 6 à 8 OACI et bien qu’il remplisse les conditions du droit, l’assuré n’est, durant un certain délai d’attente, pas indemnisé par l’assurance. 149 François Chanson L’assuré subit d’abord en principe un délai d’attente général, dont la durée dépend de l’obligation d’entretien envers des enfants de moins de 25 ans, ainsi que du montant de son gain assuré, fixé dans la loi sur une base annuelle : – Personnes avec obligation d’entretien envers des enfants : – Pas de délai d’attente en cas de gain assuré jusqu’à 60’000 francs par an. – 5 jours d’attente pour un gain assuré de 60’001 francs et plus par an. – Personnes sans obligation d’entretien envers des enfants : – Pas de délai d’attente en cas de gain assuré jusqu’à 36’000 francs par an. – 5 jours d’attente pour un gain assuré de 36’001 francs à 60’000 francs par an. – 10 jours pour un gain assuré de 60’001 à 90’000 francs par an. – 15 jours pour un gain assuré de 90’001 à 125’000 francs par an. – 20 jours pour un gain assuré de 125’001 francs et plus par an. A ce délai d’attente général, peut s’ajouter un délai d’attente spécial : – 1 jour pour les personnes au sortir d’une activité à caractère saisonnier ou dans laquelle les changements de place sont fréquents (professions du spectacle). – 5 jours pour les personnes libérées des conditions relatives à la période de cotisation à l’exception des personnes figurant dans la catégorie suivante. – 120 jours pour les personnes libérées des conditions relatives à la période de cotisation en raison de formation scolaire, reconversion ou perfectionnement professionnel. 2. Le nombre maximum d’indemnités journalières Conformément aux art. 27 LACI, 40a et 41c OACI l’assuré a droit, dans les limites du délai-cadre d’indemnisation, à un nombre d’indemnités journalières dépendant de plusieurs facteurs, tels que son âge, sa situation familiale, son état de santé et la durée de sa période de cotisation : – Les assurés libérés des conditions relatives à la période de cotisation ont droit au maximum à 90 indemnités journalières. – Les assurés remplissant les conditions relatives à la période de cotisation ont droit au maximum de 200 à 640 indemnités journalières : – Les assurés de moins de 25 ans et n’ayant pas d’obligation d’entretien envers des enfants ont droit à 200 indemnités. – Les assurés de plus de 25 ans et/ou ayant des enfants à charge ont droit à : 150 – 260 indemnités s’ils justifient d’une période de 12 mois de cotisation. – 400 indemnités s’ils justifient d’une période de 18 mois de cotisation. La transition vers l’assurance-chômage – 520 indemnités s’ils justifient d’une période de 22 mois de cotisation et s’ils sont âgés de plus de 55 ans ou sont invalides (rente de 40% au moins). Pour ces trois dernières catégories, 120 indemnités supplémentaires sont accordées aux assurés s’inscrivant à moins de 4 ans de l’âge de la retraite, soit, respectivement, 380 indemnités (260 + 120), 520 indemnités (400 + 120) et 640 indemnités (520 + 120). 3. Le montant de l’indemnité journalière a) Le gain assuré aa) Après une période de cotisation L’art. 23 al. 1 LACI prévoit que le gain assuré est le salaire déterminant au sens de l’AVS, réalisé au cours d’un ou plusieurs rapports de travail et qui servira de base au calcul de l’indemnité de chômage. Conformément à l’art. 37 OACI, on tient compte, à titre de période de référence, de la moyenne du salaire réalisé au cours des six derniers mois du rapport de travail ou, si le calcul se révèle plus favorable pour l’assuré, au cours des douze derniers mois. Le gain assuré doit avoir atteint au minimum 500 francs par mois et est plafonné à 12’350 francs par mois. Le gain assuré comprend tous les éléments de la rémunération soumis à cotisation et convenus contractuellement comme le 13e mois de salaire et la gratification, la part variable du salaire due au résultat (bonus, commissions ou primes), les allocations de résidence et de renchérissement, les suppléments pour travail de nuit, travail par équipes, travail du dimanche et service de piquet, les primes de fidélité ou d’ancienneté ou les indemnités pour frais si elles sont versées de manière régulière. Ne font en revanche pas partie du gain assuré, les heures supplémentaires dépassant l’horaire contractuel, les allocations familiales ou de formation, les allocations de vacances et pour jours fériés des travailleurs payés à l’heure (dans la mesure où elles dépassent le salaire maximum réalisable). bb) Après un motif de libération Conformément à l’art. 23 al. 2 LACI, pour les assurés qui ont recours à l’assurancechômage au terme d’un apprentissage ou qui sont libérés des conditions relatives à la période de cotisation, le gain assuré est calculé sur la base d’un montant journalier forfaitaire tenant compte de l’âge, du niveau de formation ainsi que du motif de libération. Selon l’art. 41 OACI, le gain assuré journalier s’élève à : – 153 francs par jour pour les personnes au bénéfice d’une formation complète au sein d’une haute école (UNI, EPF, HES, brevet fédéral). 151 François Chanson – 127 francs par jour pour les personnes ayant terminé un apprentissage ou sortant d’une école professionnelle. – 102 francs par jour pour les personnes de plus de 20 ans, sans formation achevée. – 40 francs par jour pour les personnes de moins de 20 ans, sans formation achevée. b) L’indemnité de chômage Deux niveaux d’indemnisation sont prévus par l’art. 22 LACI : – Une indemnité pleine et entière s’élevant à 80% du gain assuré est versée aux assurés qui, alternativement, ont un enfant à charge âgé de moins de 25 ans, sont invalides (rente de 40% au moins, versée par l’assurance invalidité, accidents, militaire ou la LPP), ou bénéficient d’une indemnité journalière entière inférieure à 140 francs par jour. – Une indemnité s’élevant à 70% du gain assuré est, à l’inverse et cumulativement, versée aux assurés qui n’ont pas d’enfant à charge, sont valides et perçoivent une indemnité journalière supérieure à 140 francs par jour. L’assuré perçoit en outre un supplément qui correspond au montant, calculé par jour, de l’allocation pour enfant et l’allocation de formation professionnelle légales auxquelles il aurait droit s’il avait un emploi (art. 22 al. 1, 2e phrase LACI). La caisse de chômage déduit du montant de l’indemnité (art. 22 al. 2, 3 et 4 LACI) : – La part de cotisation due par le travailleur à l’assurance-vieillesse et survivants, à l’assurance-invalidité et au régime des allocations pour perte de gain. – La part des cotisations à la prévoyance professionnelle, afin de garantir la couverture d’assurance en cas d’invalidité ou de décès de l’assuré. – Deux tiers au maximum des primes de l’assurance-accidents non professionnels. 4. Le gain intermédiaire Cette thématique a été développée ci-dessus au ch. II.E.4. 5. Les sanctions a) Les principes La suspension provisoire dans l’exercice du droit à l’indemnité, sanction au sens de la loi, est réglée aux art. 30 LACI et 44 à 45 OACI. Elle est applicable à l’assuré qui remplit les conditions du droit à l’indemnité, mais auquel le chômage est imputable en raison d’une faute établie ou qui a violé l’une de ses obligations légales. 152 La transition vers l’assurance-chômage La loi prévoit un certain nombre de motifs de suspension qui peuvent être prononcés soit par la caisse de chômage, soit par l’autorité cantonale. Celle-ci peut à son tour déléguer ses compétences aux offices régionaux de placement : – Sanctions prononcées par la caisse de chômage : – Perte fautive d’emploi. – Renonciation à des prétentions de salaire envers l’employeur au détriment de l’assurance-chômage. – Indications fausses ou incomplètes ou infraction à l’obligation de fournir des renseignements. – Obtention ou tentative d’obtention indue des indemnités de chômage. – Sanctions prononcées par l’office régional de placement ou l’autorité cantonale : – Inobservation des prescriptions de contrôle du chômage ou des instructions de l’office du travail (absence à un entretien, refus d’un travail convenable ou d’une mesure de réinsertion, recherche d’emploi insuffisantes). – Perception d’indemnités spécifiques pour un projet d’activité indépendante sans y donner de suite par sa faute. – Indications fausses ou incomplètes ou infraction à l’obligation de fournir des renseignements. Plusieurs de ces comportements fautifs sont directement liés à la transition entre l’emploi et le chômage. Ils seront développés ci-dessous aux lettres b) à d). La durée de la suspension est proportionnelle à la gravité de la faute, allant de 1 à 15 indemnités journalières en cas de faute légère, 16 à 30 en cas de faute moyenne et 31 à 60 en cas de faute grave. Elle doit tenir compte de toutes les circonstances propres au cas d’espèce, par exemple les mobiles, la récidive ou les faits concomitants, mais également des conditions personnelles de l’assuré. Elle peut se fonder sur le dol éventuel, ne nécessitant pas une intention caractérisée de l’assuré. La jurisprudence a permis de définir à quelle gravité correspondaient la plupart des fautes pouvant être commises dans le cadre de l’assurance-chômage. La Confédération en a tiré un barème pour les sanctions prononcées par les offices régionaux de placement et les autorités cantonales, mais il n’existe pas de tel barème pour les sanctions prononcées par les caisses de chômage. En sus de ces sanctions administratives, la caisse de chômage est tenue d’exiger du bénéficiaire le remboursement des prestations qu’il a touchées et auxquelles il n’avait pas droit (art. 95 LACI). Ces dispositions ne préjugent en outre pas des sanctions pénales prévues si l’assuré s’est rendu coupable d’un délit ou d’une contravention au sens de la loi sur l’assurance-chômage ou du Code pénal suisse. L’art. 105 LACI prévoit une peine 153 François Chanson privative de liberté de six mois au plus ou une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus en cas de délit (obtention de prestations sans droit pour soi-même ou pour autrui), à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit frappé d’une peine plus sévère par le Code pénal suisse. Les contraventions de l’art. 106 LACI sont quant à elles passibles d’une amende (violation de l’obligation de renseigner, opposition à un contrôle, refus de remplir les formules prescrites, etc.). b) La perte fautive d’emploi aa) Le comportement fautif Conformément à l’art. 30 al. 1 let. a LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci est sans travail par sa propre faute. L’art. 44 OACI précise que tel est le cas lorsque : – L’assuré, par son comportement, en particulier par la violation de ses obligations contractuelles de travail, a donné à son employeur un motif de résiliation du contrat de travail. Il en va bien entendu ainsi en cas de licenciement avec effet immédiat pour de justes motifs au sens de l’art. 337 CO, mais aussi en cas de violation des règles de prudence et de sécurité prescrites par l’employeur (TF 8C_370/2014 du 11 juin 2015), de refus de dialoguer avec son employeur et de se conformer à ses obligations contractuelles (TF 8C_268/2015 du 6 août 2015), d’une manipulation frauduleuse du temps de travail (DTA 2002 n° 19 du 29 avril 2003, p. 121 ss), ou même d’un climat tendu sans faute grave de l’assuré (TF C 120/03 du 13 novembre 2003). – L’assuré a résilié lui-même un contrat de travail sans avoir été préalablement assuré d’obtenir un autre emploi ou résilié un emploi vraisemblablement de longue durée pour un autre dont il savait ou aurait dû savoir qu’il ne serait que de courte durée, sauf s’il ne pouvait être exigé de lui qu’il conservât son ancien emploi (cf. ci-dessous let. c pour la notion de travail convenable). D’après la jurisprudence, il y a lieu d’admettre de façon restrictive les circonstances pouvant justifier l’abandon d’un emploi (ATF 130 V 125 ; ATF 124V 234, c. 4b ; TF 8C_1021/2012 du 10 mai 2013). Des désaccords sur le montant du salaire ou un rapport tendu avec des supérieurs ou des collègues de travail ne suffisent pas à justifier l’abandon d’un emploi. Dans ces circonstances, on doit, au contraire, attendre de l’assuré qu’il fasse l’effort de garder sa place jusqu’à ce qu’il ait trouvé un autre emploi. De même, en cas de modification sensible du contrat par l’employeur, l’assuré doit accepter les nouvelles conditions de travail dans l’attente de retrouver un autre emploi qui corresponde mieux à ses ambitions. En revanche, on ne saurait en règle générale exiger de l’employé qu’il 154 La transition vers l’assurance-chômage conserve son emploi, lorsque les manquements d’un employeur à ses obligations contractuelles atteignent un degré de gravité justifiant une résiliation immédiate au sens de l’art. 337 CO (TF 8C_510/2017 du 8 férier 2018 et les références citées ; TF C 226/98 du 15 février 1999 ; DTA 1998, p. 41 ; DTA 1989, p. 88). – L’assuré a refusé un emploi convenable de durée indéterminée au profit d’un contrat de travail dont il savait ou aurait dû savoir qu’il ne serait que de courte durée. Selon l’art. 30 al. 4 LACI, il y a faute grave lorsque, sans motif valable, l’assuré abandonne un emploi réputé convenable sans être assuré d’obtenir un nouvel emploi, ou qu’il refuse un emploi réputé convenable. Il s’impose dès lors de définir cette notion. bb) La notion de travail convenable A son premier alinéa, l’art. 16 LACI pose le principe général voulant que l’assuré doit préférer immédiatement un travail convenable à l’indemnisation, s’attachant toutefois à en lister les exceptions à son second alinéa, définissant a contrario le travail non convenable. L’emploi peut être non convenable en tant que tel et ne pouvoir être proposé à quelque assuré que ce soit ou il peut être convenable en tant que tel, mais ne pas l’être pour un assuré particulier contrairement à un autre. N’est ainsi objectivement pas réputé convenable au sens de l’art. 16 al. 2 LACI et, par conséquent, exclu de l’obligation d’être accepté, tout travail qui : – N’est pas conforme aux usages professionnels et locaux et, en particulier ne satisfait pas aux conditions des conventions collectives ou des contrats-types de travail (let. a). Devront être respectées les règles de droit public et privé du travail ainsi que les usages portant sur salaire, la durée maximale du travail, la compensation des heures supplémentaires, l’absence de discrimination, la nature des tâches confiées (ATF 130 III 145, c. 5.2 ; ATF 127 V 479, c. 4 ; TF 4A_449/2008 du 5 février 2009). – Doit être accompli dans une entreprise où le cours ordinaire du travail est perturbé en raison d’un conflit collectif du travail (let. e). On ne vise pas par cette disposition les conflits personnels entre un employé et son employeur, mais les cas de grève ou de lock-out dans l’entreprise. – Exige du travailleur une disponibilité sur appel constante dépassant le cadre de l’occupation garantie (let. g). La loi ne prône pas l’interdiction du travail sur appel en soi, mais le travail sur appel dans lequel le travailleur n’a pas de garantie d’occupation ou de salaire correspondant à la disponibilité qu’il offre à son l’employeur (TF C 258/03 du 27 janvier 2004). – Doit être exécuté dans une entreprise ayant procédé à des licenciements aux fins de réengagement ou de nouveaux engagements à des conditions nettement plus précaires (let. h). Les conditions moins favorables dont il est question peuvent concerner aussi 155 François Chanson bien le salaire que le type de contrat (par exemple passage d’un contrat avec horaire régulier à un contrat sur appel). Il doit s’agir d’une mesure collective et non de réajustements ponctuels et justifiés. Dans ce dernier cas, le salaire réajusté à la baisse devra toujours correspondre aux usages professionnels et locaux pour que l’emploi reste convenable. N’est subjectivement pas réputé convenable au sens de l’art. 16 al. 2 LACI et, par conséquent, exclu de l’obligation d’être accepté par un assuré particulier, tout emploi qui : – Ne tient pas raisonnablement compte des aptitudes de l’assuré ou de l’activité qu’il a précédemment exercée (let. b). En regard de l’obligation d’amoindrir le dommage et de la primauté de la réinsertion sur l’indemnisation, la jurisprudence fédérale s’est toujours montrée très stricte dans l’application de ce principe (TF C 65/06 du 27 avril 2006 ; TF C 130/03 du 6 février 2004). Cette disposition ne s’applique en outre pas aux personnes de moins de 30 ans. – Ne convient pas à l’âge, à la situation personnelle, à l’état de santé de l’assuré (let. c). Le Tribunal fédéral fait là aussi montre d’une grande rigueur dans l’application du principe : le mariage d’un assuré ne l’autorise pas à quitter immédiatement son emploi afin de rejoindre son conjoint dans une autre région de Suisse sans s’exposer à une sanction de gravité moyenne dans l’exercice de son droit à l’indemnité (TF C 10/01 du 30 juillet 2003 ; TF C 274/04 du 29 mars 2005 ; TF 8C_958/2008 du 30 avril 2009). – Compromet dans une notable mesure le retour du chômeur dans sa profession, pour autant qu’il y ait une telle perspective dans un délai raisonnable (let. d). Aussi légitime que soit son désir d’avoir une meilleure situation, l’assuré ne doit pas, du point de vue de l’assurance-chômage, renoncer à la possibilité qu’il a de gagner sa vie. – Nécessite un déplacement de plus de deux heures pour l’aller et de plus de deux heures pour le retour et n’offre pas de possibilité de logement appropriée ou qui, si l’assuré bénéficie d’une telle possibilité, ne lui permet de remplir ses devoirs envers ses proches qu’avec de notables difficultés (let. f). Est déterminant le trajet de « porte à porte » et le temps de déplacement doit être estimé en fonction du moyen de transport normalement utilisé (véhicule personnel ou transports publics existants) (TF C 137/03 du 5 avril 2004). – Procure à l’assuré une rémunération qui est inférieure à 70% du gain assuré (respectivement 80%), sauf s’il touche des indemnités compensatoires conformément à l’article 24 (gain intermédiaire) (let. i, 1re phrase). Tant que l’assuré touche des indemnités compensatoires de sa caisse (paiement de la compensation à 70% ou 80% en gain intermédiaire), cette disposition n’est par définition pas applicable : l’assuré doit dans ce cas accepter l’emploi dont le salaire est conforme aux usages professionnels et locaux qui est inférieur à ses indemnités de chômage. 156 La transition vers l’assurance-chômage L’office régional de placement peut exceptionnellement, avec l’approbation de la commission tripartite, déclarer convenable un travail dont la rémunération est inférieure à 70% (respectivement 80%) du gain assuré (let. i, 2e phrase). Le législateur vise les cas où le salaire précédemment perçu n’est plus en rapport avec celui auquel peut désormais prétendre l’assuré (sportif professionnel ou trader à succès, par exemple). cc) La convention de départ et l’établissement de la faute Le risque d’une sanction pour perte fautive d’emploi existe également en cas de résiliation des rapports de travail d’un commun accord, dans la mesure où l’employé accepte le dommage causé à l’assurance-chômage (ATF 124 V 234, c. 2b ; ATF 112 V 323 ; TF 8C_773/2007 du 9 janvier 2008). Le lien de causalité entre le comportement de l’assuré et l’apparition du chômage ne fera défaut que si l’employeur avait de toute façon l’intention de le licencier à la même date, sans volonté de la part de ce dernier, ni motif qui lui soit imputable. Lorsque l’employeur place un travailleur devant l’alternative de résilier lui-même son contrat ou d’être congédié, la résiliation par le travailleur est provoquée par l’employeur, indépendamment de savoir qui a pris l’initiative de donner le congé (TF C 214/05 du 2 septembre 2005). En cas de résiliation « d’un commun accord », la caisse de chômage devra par conséquent investiguer les circonstances du congé, afin de déterminer s’il résulte de l’initiative du travailleur ou si ce dernier a donné à son employeur un motif de le licencier. Afin d’éviter le risque de sanction et d’inutiles démarches administratives, il conviendra dès lors d’être précis dans la rédaction de la convention de départ en précisant, autant que possible, à qui est imputable la résiliation des rapports de travail et sur quels motifs elle est fondée. A l’inverse (volonté de confidentialité dans la convention), il faudra s’attendre à répondre aux questions de la caisse de chômage. c) La renonciation à des prétentions de salaire ou d’indemnisation Comme on l’a vu ci-dessus en lien avec la subrogation prévue à l’art. 29 LACI (ch. II.D.2.b), l’assuré qui renonce purement et simplement à actionner son employeur en paiement d’un délai de congé non respecté est considéré comme au chômage par sa propre faute au sens de la let. a de l’art. 30 al. 2 LACI. La let. b de l’art. 30 al. 2 LACI poursuit un autre cas de figure, lorsqu’il retient que le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci renonce à faire valoir des prétentions de salaire ou d’indemnisation envers son dernier employeur, cela au détriment de l’assurance. L’assuré ne peut en effet être suspendu dans son droit à 157 François Chanson l’indemnité pour avoir renoncé à des prétentions de salaire ou d’indemnisation que s’il avait eu des prétentions à faire valoir. Ainis, s’il renonce valablement à faire valoir des créances de salaire ou d’indemnisation à la suite d’une transaction judiciaire ou extrajudiciaire, il sera passible d’une suspension en vertu de l’art. 30 al. 2 let. b LACI (ATF 136 III 467, c. 4.5 ; ATF 115 V 437). d) L’insuffisance de recherches d’emploi Comme déjà exposé, l’art. 17 al. 1 LACI prévoit que l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit, avec l’assistance de l’office du travail compétent, entreprendre tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger. Il lui incombe, en particulier, de chercher du travail, au besoin en dehors de la profession qu’il exerçait précédemment et il doit pouvoir apporter la preuve des efforts qu’il a fournis. Cette disposition constitue en quelque sorte le pendant en droit public de celle prévue par le droit privé à l’art. 329 al. 3 CO voulant que l’employeur accorde au travailleur, une fois le contrat dénoncé, le temps nécessaire pour chercher un autre emploi. L’art. 30 al. 1 let. c LACI traduit cette obligation et les conséquences de la violation de cette obligation, en retenant que le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci ne fait pas tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour trouver un travail convenable. Tel est non seulement le cas de l’assuré qui n’effectue pas les recherches d’emploi selon les indications qualitatives et quantitatives convenues avec l’ORP en cours de chômage, mais également de celui qui n’a pas fait les efforts suffisants avant son inscription au chômage (art. 20 al. 2 let. d LACI, TF 8C_854/2015 du 15 juillet 2016). Même sans assistance encore de l’autorité compétente, on attend de la personne licenciée qu’elle cherche un nouvel emploi, dès la résiliation de son contrat de durée indéterminée ou dans les derniers mois de son activité de durée déterminée. 6. Les mesures relatives au marché du travail Les mesures du marché du travail (MMT) sont prévues aux articles 59 ss LACI. Elles encouragent la reconversion, le perfectionnement et l’intégration professionnels des assurés dont le placement est impossible ou très difficile pour des raisons inhérentes au marché de l’emploi. Elles ne peuvent pas être octroyées en cas de formation de base, dans des branches saturées du marché du travail, si elles ne correspondent qu’à l’intérêt personnel de l’assuré, ou encore si elles consistent en des mesures de reconversion pour raison de santé qui doivent être prises en charge par l’assurance-invalidité. 158 La transition vers l’assurance-chômage Selon la loi, les différentes mesures consistent en : – Mesures de formation (art. 60-64 LACI), soit : – les cours de perfectionnement professionnel (langues, informatique, commerceadministration-vente, technique, etc.) ou d’intégration professionnelle (technique de recherches d’emploi, développement du potentiel personnel) ; – les entreprises d’entraînement (acquisition, au sein d’un environnement proche de la pratique, de l’expérience et de nouvelles connaissances professionnelles) ; – les stages de formation (première expérience professionnelle dans une entreprise). Selon l’art. 59 al. 1ter LACI, les personnes menacées de chômage imminent peuvent bénéficier de ces mesures de formation. L’assuré licencié et libéré de son obligation de travailler pourra par conséquent s’inscrire sans attendre auprès de l’ORP, afin de bénéficier de cours de perfectionnement financés par l’assurance-chômage, pendant son délai de congé déjà et quand bien même il ne remplit pas encore les conditions du droit à l’indemnité. – Mesures d’emploi (art. 64a-64b LACI), soit : – les programmes d’emploi temporaire (acquisition ou maintien de compétences professionnelles et sociales dans le cadre d’institutions publiques ou privées sans but lucratif) ; – les stages professionnels (acquisition d’expérience professionnelle pratique en entreprise) ; – les semestres de motivation (programmes destinés aux jeunes gens sortant de l’école ou en rupture d’apprentissage). – Mesures spécifiques (art. 65-71b LACI, 9-102c OACI), soit : – les allocations d’initiation au travail (prise en charge d’une partie du salaire par l’assurance-chômage pour les assurés engagés au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée, par une entreprise qui le formera à de nouvelles fonctions) ; – les allocations de formation (apprentissage partiellement financé par l’assurancechômage pour des personnes de plus de trente ans et sans formation ou dont la formation n’est plus en rapport avec le marché de l’emploi) ; – le soutien aux assurés qui entreprennent une activité indépendante (versement d’indemnités de chômage permettant de se consacrer exclusivement à l’élaboration d’un projet d’activité indépendante) ; – la contribution aux frais de déplacements et d’hébergement (couverture du préjudice financier subi par la personne acceptant un emploi hors de sa région de domicile). 159 François Chanson F. Les prestations collectives 1. L’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail Prévue aux art. 31 à 41 LACI et 46 à 64 OACI, la réduction de l’horaire de travail (RHT ou « chômage technique ») est une réduction temporaire de l’horaire de travail prévue contractuellement pour tous les travailleurs de l’entreprise ou une partie de ceux-ci alors que le rapport de travail continue. La prétention du droit à l’indemnité n’existe que s’il est vraisemblable que la réduction n’est que temporaire, qu’elle permettra de maintenir des emplois et qu’elle est inévitable. Elle ne s’applique pas si la perte de travail est habituelle dans la branche, la profession ou l’entreprise, ou si elle est causée par des fluctuations saisonnières de l’emploi. N’y ont pas droit les personnes exerçant une influence prépondérante sur les décisions que prend l’employeur ou leur conjoint, les travailleurs dont la perte de travail n’est pas déterminée et l’horaire de travail n’est pas contrôlable, les travailleurs dont le contrat a été résilié, qui est de durée déterminée, ou qui accomplissent une mission temporaire, de même que les travailleurs qui refusent la réduction de leur horaire de travail. L’indemnité peut en revanche être versée à des travailleurs n’ayant jamais cotisé à l’assurancechômage, ou des étrangers ne remplissant pas les conditions d’une indemnisation individuelle. A l’intérieur d’une période de deux ans, l’indemnité peut être versée durant douze périodes de décompte au maximum, durée qui peut être prolongée par ordonnance du Conseil fédéral. L’entreprise doit prendre à sa charge 2 jours de délai d’attente durant les 6 premières périodes de décompte, 3 jours de la 7e à la 12e, le Conseil fédéral pouvant fixer un délai d’attente plus court. Sur le plan financier, l’entreprise se voit verser par la caisse de chômage, pour le compte de ses employés, un montant correspondant à 80% de la perte de travail subie, mais demeure tenue de verser le 100% des cotisations sociales dues. 2. L’indemnité en cas d’intempéries Réglée aux art. 42 à 50 LACI et 65 à 72 OACI, cette indemnité est voisine de la précédente à laquelle elle se réfère par ailleurs largement. Elle permet d’indemniser les travailleurs qui exercent leur activité dans des branches où les interruptions de travail sont fréquentes en raison de conditions météorologiques défavorables. Seules les entreprises d’un nombre limité de branches économiques, listées dans l’ordonnance, peuvent y prétendre, soit la construction, le paysagisme, les exploitations agricoles et la pêche professionnelle. 160 La transition vers l’assurance-chômage Pour être prise en considération, la perte de travail doit être exclusivement imputable aux conditions météorologiques, s’étendre sur des jours entiers ou des demi-jours de travail, ne pas concerner des pertes normales pour la saison et la poursuite des travaux doit être techniquement impossible. L’indemnisation à hauteur de 80% de la perte de travail est limitée à six périodes de décompte durant une période de deux ans mais peut se combiner avec l’indemnité RHT. Elle est soumise aux mêmes jours d’attente que cette dernière. 3. L’indemnité en cas d’insolvabilité Indépendamment de l’indemnisation contre le chômage consécutive à la perte de son emploi, la LACI vise également à garantir une compensation convenable du manque à gagner causé par l'insolvabilité de l'employeur. Conformément aux art. 51 à 58 LACI et 73 à 80 OACI, cette indemnité en cas d’insolvabilité (ICI) est versée lorsque l'employeur ne peut plus, conformément au contrat, payer au travailleur le salaire qui lui est dû lorsque : – Une procédure de faillite est engagée contre l’employeur ou ne l’est pas pour la seule raison qu’aucun créancier n’est prêt à faire l’avance de frais au tribunal (let. a). – Un sursis concordataire ou un ajournement de la déclaration de faillite a été octroyé par le juge (let. b). – Une procédure de saisie pour créance de salaire a été engagée contre l’employeur (let. c). Ont droit à cette indemnité tous les travailleurs assujettis au paiement des cotisations, qui sont au service d’un employeur insolvable sujet à une procédure d’exécution forcée, sauf s’ils disposent d’un pouvoir décisionnel au sein de l’entreprise (art. 51 al. 1 et al. 2 LACI). Cette indemnité couvre 100% des arriérés de salaire portant sur les quatre derniers mois du rapport de travail, jusqu’à 12’350 francs, limite maximale du gain assuré (art. 52 al. 1 LACI). Peuvent faire partie de ce montant, la part du 13e salaire, le montant correspondant aux vacances qui n’ont pas pu être prises en nature ou les suppléments salariaux contractuellement prévus. L’ICI peut également couvrir des créances nées après l’ouverture de la faillite, tant que l’assuré ne pouvait raisonnablement savoir que la faillite de son employeur avait été prononcée (art. 52 al. 1 bis LACI). Sur le plan de la procédure, le travailleur dispose d’un délai de 60 jours, dès publication dans la Feuille officielle suisse du commerce, pour présenter sa demande d’indemnisation auprès de la caisse publique de chômage du siège de l’employeur ou de sa succursale insolvable (art. 53 al. 1 LACI et 77 al. 3 OACI). La caisse alors subrogée produira dans la procédure d’exécution forcée le montant qu’elle aura versé à l’assuré (art. 54 al. 1 LACI). Il appartiendra à ce dernier de l’assister autant que besoin et de faire valoir sa propre créance : c’est donc à lui de revendiquer les prestations non couvertes par l’indemnité en 161 François Chanson cas d’insolvabilité, par exemple les salaires non payés par l’employeur remontant à plus de quatre mois, les montants dépassant le gain assuré maximum ou ceux ne correspondant pas à un salaire (art. 55 LACI). La caisse va, dans un premier temps et quelques jours déjà après la faillite, verser à l’assuré un acompte correspondant au plus à 70% du montant brut de l’indemnité, afin de lui permettre de faire face à ses obligations. Dans un second temps, après avoir calculé et versé les montants dus aux assurances sociales, elle versera le solde à l’assuré (art. 52 al. 2 LACI et 76 OACI). A l’issue de la procédure d’exécution forcée (liquidation de la faillite par exemple), la caisse percevra le dividende auquel elle a droit ou se fera notifier un acte de défaut de bien, les indemnités versées et non récupérées se retrouvant à la charge du fonds de compensation de l’assurance-chômage (art. 57 LACI). III. Conclusion S’il est imaginable, au cours d’une existence, d’être confronté aux seules règles applicables au droit du travail et non à celles régissant l’assurance-chômage, l’inverse ne parait pas possible. Par sa nature même et les buts qui lui ont été confié par la Constitution fédérale, l’assurance-chômage est en effet intimement liée aux relations de travail. Ce sont ces dernières qui pemettront de déterminer le droit aux prestations (perte d’emploi à prendre en considération, période de cotisation suffisante, Etat de dernière activité vs. Etat de résidence, qualité de travailleur ou d’employeur), de fixer leur ampleur (durée du délai d’attente, nombre maximum d’indemnités, montant du gain assuré et de l’indemnité journalière), ainsi que de statuer sur la nécessité d’appliquer une sanction (perte fautive d’emploi, renonciation à des prétentions de salaire, insuffisance de recherches d’emploi durant le délai de congé). Il sera par conséquent utile au praticien de connaître ces règles, afin de pouvoir anticiper les conséquences, parfois très importantes, des décisions qu’il sera amené à prendre ou des conseils qu’il sera appelé à donner. 162 La transition vers l’assurance-chômage Bibliographie DUPONT ANNE-SYLVIE, L’impact des conflits au travail sur le droit aux prestations d’assurance, in : Jean-Philippe Dunand/Pascal Mahon (édit.), Conflits au travail : prévention, gestion, sanction, Genève/Zurich/Bâle 2015, pp. 179-202. DUPONT ANNE-SYLVIE/KAHIL-WOLFF BETTINA/DUNAND JEAN-PHILIPPE/WYLER REMY (édit.), Droit social, Vol. II : Droit des assurances sociales, 3ᵉ éd., Bâle 2014. MUNOZ CHARLES, La fin du contrat individuel de travail et le droit aux indemnités de l’assurancechômage, thèse, Lausanne 1992. RUBIN BORIS, Assurance-chômage et service public de l’emploi, Zurich 2019. RUBIN BORIS, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, Zurich 2014. SAVIAUX NICOLAS, Les rapports de travail en cas de difficultés économiques de l’employeur et l’assurance-chômage, thèse, Lausanne 1993, p. 264. SECRÉTARIAT D’ETAT À L’ÉCONOMIE/DIRECTION DU TRAVAIL, Bulletin LACI IC, Berne, état au 1er août 2020. SECRÉTARIAT D’ETAT À L’ÉCONOMIE/DIRECTION DU TRAVAIL, Circulaire relative aux conséquences des règlements (CE) no 883/2004 et 987/2009 sur l’assurance-chômage (Circulaire IC 883), Berne, état au 1er juillet 2019. 163 ANNE-SYLVIE DUPONT/MARCO MELI Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies Sommaire Page I. Introduction 166 II. Questions communes en cas de fin des rapports de travail 167 III. Questions propres aux résiliations abusives, injustifiées ou en temps inopportun 189 A. Conséquences dans différentes branches d’assurance sociale 1. AVS/AI et APG a) Changement du statut de personne cotisante b) Moment de la prise en compte du salaire 2. Prévoyance professionnelle obligatoire (LPP) a) Fin de la prévoyance en cas de changement d’activité salariée b) Fin de la prévoyance en cas de cessation de toute activité salariée c) Fin de la prévoyance en cas de perception d’indemnités de chômage d) Travailleuses et travailleurs proches de l’âge de la retraite 3. Assurance-accidents obligatoire (LAA) a) Notion de droit au salaire b) Exemples de situations problématiques c) Travailleuses et travailleurs à temps partiel d) Bénéficiaires des indemnités de chômage 4. Excursus : les indemnités journalières en cas de maladie B. Deux problèmes transversaux 1. Obligation d’informer de l’employeur a) En matière d’assurance-accidents b) En matière de prévoyance professionnelle c) En matière d’assurance perte de gain 2. Prestations de l’employeur en cas de résiliation du contrat a) Répercussions sur les prestations de l’assurance-chômage b) Conséquences pour la couverture LAA A. En cas de résiliation abusive 1. Règlementation en droit privé du travail 2. Nature de l’indemnité et conséquences pour les assurances sociales   167 167 167 168 169 170 170 172 173 175 176 178 179 180 181 182 182 182 183 185 186 187 187 189 189 190 Professeure aux Facultés de droit de Neuchâtel et de Genève. Les auteurs remercient Mme Gillian Gay, BLaw, assistante-étudiante à la Faculté de droit de Neuchâtel, pour la relecture attentive du manuscrit. MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit de Neuchâtel. Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli IV. B. En cas de résiliation injustifiée 1. Règlementation en droit privé du travail 2. Nature des indemnités et conséquences pour les assurances sociales a. Nature des rémunérations versées en application des art. 337c al. 1 et 3 CO b. Conséquences pour les autres assurances sociales C. En cas de résiliation en temps inopportun 1. Règlementation en droit privé du travail 2. Conséquences en matière d’assurances sociales 191 191 191 191 192 195 195 196 Conclusion 196 Bibliographie I. 198 Introduction Bien que les assurances sociales aient, en Suisse, majoritairement une vocation universelle, elles sont, du fait de leur histoire 1, intimement reliées au statut de la personne assurée, selon qu’elle exerce ou non une activité lucrative, et, dans le premier cas, selon qu’elle l’exerce en qualité de personne indépendante ou salariée. L’étendue de la protection sociale n’est ainsi pas la même dans chacun de ces cas de figure, de sorte que le début ou la fin d’une activité lucrative, singulièrement d’une activité lucrative salariée, peut avoir des répercussions importantes et soulever des questions, simples ou plus complexes. L’objet de cette contribution est d’examiner, dans ce contexte, quelques questions que soulève la fin des rapports de travail. Ces questions sont de deux ordres : premièrement, certaines sont communes à toutes les situations de fin des rapports de travail (II) ; deuxièmement, certaines questions sont spécifiques aux situations dans lesquelles les rapports de travail se terminent dans des circonstances particulières, et peuvent varier en fonction de différentes hypothèses qu’il s’agira d’explorer (III). L’hypothèse sur laquelle nos réflexions s’appuieront est celle d’un contrat de durée indéterminée (CDI). En effet, si la fin d’un contrat de durée déterminée (CDD) peut également avoir des conséquences en termes de protection sociale, elles sont davantage identifiables et prévisibles. La résiliation extraordinaire d’un CDD soulève le plus souvent les mêmes difficultés que celle d’un CDI, de sorte que nos réflexions sont transposables à cette situation. Nous n’envisagerons pas non plus, dans cet article, l’hypothèse d’une résiliation dans le cadre d’un plan social. Nous n’avons pas la prétention de dresser ici une liste exhaustive des possibles difficultés créées, pour les assurances sociales, par la fin des rapports de travail, mais nous entendons 1 Pour un bref aperçu, cf. CR LPGA-DUPONT, Intr. gén. N 3 ss. 166 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies traiter de celles qui apparaissent le plus fréquemment en pratique, ou qui soulèvent des discussions actuelles. II. Questions communes en cas de fin des rapports de travail La fin des rapports de travail entraîne un certain nombre de conséquences dans différents régimes d’assurance sociale, qui sont prévues par les lois et la législation d’exécution. Malgré leur prévisibilité, des discussions peuvent intervenir au sujet de la mise en œuvre de ces règles (A). Nous traiterons séparément de deux difficultés transversales, que l’on rencontre de manière plus générale (B). A. Conséquences dans différentes branches d’assurance sociale Nous traiterons subséquemment des conséquences de la résiliation ordinaire des rapports de travail dans l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité ainsi que dans l’assurance perte de gain en cas de service et de maternité (1), dans la prévoyance professionnelle (2) et dans l’assurance-accidents (3). Bien que la couverture de la perte de salaire en cas de maladie ne relève en principe pas de l’assurance sociale2, il se pose dans ce domaine des questions connexes à celles que nous explorons, raison pour laquelle nous avons également choisi d’aborder cette question (4). 1. AVS/AI et APG a) Changement du statut de personne cotisante Les règles applicables à la fixation et à la perception des cotisations aux régimes de l’AVS/AI et des APG dépendent du statut de la personne assurée, selon qu’elle exerce ou non une activité lucrative, dépendante dans le contexte qui nous occupe. La fin des rapports de travail n’entraîne pas de difficulté particulière si la personne assurée enchaîne immédiatement avec un nouvel engagement, son statut de cotisante n’étant pas modifié. Si le contrat de travail prend fin en cours d’année et que la travailleuse ou le travailleur ne reprend pas d’emploi, il faut alors être attentif à un éventuel changement de statut. 2 Sur cette question, cf. DUPONT, RDS, pp. 38 ss. 167 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli En effet, le statut de personne avec ou sans activité lucrative est déterminé pour l’année civile entière3. Dans l’hypothèse d’une personne qui ne travaille pas durant toute l’année, c’est-à-dire en réalité moins de neuf mois durant une année civile donnée4, il faut, conformément à l’art. 28bis RAVS5, comparer les cotisations versées sur le produit de l’activité lucrative avec celles que la personne assurée devrait verser en tant que personne sans activité lucrative, compte tenu de sa condition sociale. Si les cotisations afférentes aux revenus de l’année sont inférieures à la cotisation minimale ou à la moitié de la cotisation pour personne sans activité lucrative, alors la personne assurée doit être considérée comme une personne sans activité lucrative pour l’année civile concernée. A l’inverse, si les cotisations afférentes aux revenus de l’année sont égales ou supérieures à la moitié de la cotisation pour personne sans activité lucrative, mais au moins égales à la cotisation minimale, alors la personne assurée doit être considérée comme une personne avec activité lucrative6. Si, à la fin des rapports de travail, la personne assurée ne reprend pas d’emploi et ne débute pas une activité lucrative indépendante, il lui appartient de s’annoncer aux organes de l’AVS, en principe à la caisse cantonale de son canton de domicile, en tant que personne sans activité lucrative, au plus tard au début de l’année civile suivant celle durant laquelle les rapports de travail ont pris fin. Une telle annonce n’est pas nécessaire dans le cas où la personne assurée perçoit certaines prestations sociales. Par exemple, les cotisations AVS/AI/APG sont déduites des indemnités journalières de l’assurance-chômage, de l’assurance-invalidité et de l’assurance-militaire. Il en va de même pour les allocations pour perte de gain en cas de service ou en cas de maternité. En revanche, les bénéficiaires d’indemnités journalières en cas de maladie ou d’accident (LAA), toute comme les rentiers AI, sont réputés être sans activité lucrative et doivent s’annoncer en tant que tel à l’organe AVS compétent. b) Moment de la prise en compte du salaire En fonction des circonstances, en particulier s’il survient un litige entre les parties au contrat de travail, il est possible que le salaire ne soit pas versé durant la même année civile que celle durant laquelle la prestation de travail a été fournie. Dans un tel cas, se pose la question de savoir pour quelle année le salaire doit être crédité sur le compte individuel de la personne assurée. 3 4 5 6 OFAS, Directives sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, AI et APG (DIN), N 2002. DIN, N 2035. Règlement du 31 octobre 1947 sur l’assurance-vieillesse et survivants (RS 831.101). DIN, N 2041. 168 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies Cette question peut avoir un impact déterminant pour la fixation du droit aux prestations, par exemple pour le calcul du montant d’une rente de vieillesse. Si une personne perçoit une rémunération après avoir atteint l’âge donnant droit à une rente de vieillesse, mais relative à son activité préalable, il se peut alors que cette rémunération ne soit pas prise en compte pour calculer le montant de la rente. En effet, l’art. 30ter al. 3 LAVS7 prévoit d’inscrire ces revenus sous l’année durant laquelle ils ont été versés, à moins que la personne assurée ne travaille plus pour l’employeur à ce moment-là et pour autant que les cotisations versées durant l’année d’accomplissement de l’activité sont inférieures à la cotisation minimale. Dans ces cas seulement, il convient de s’écarter de ce principe et d’inscrire ces revenus sous l’année au cours de laquelle l’activité a été exercée. Dans un arrêt 9C_829/2019 (destiné à publication), le Tribunal fédéral a confirmé ce raisonnement et refusé de prendre en compte des revenus versés conformément à l’hypothèse décrite au paragraphe précédent, précisément parce que les conditions de l’art. 30ter al. 3 LAVS n’étaient pas remplies, une dérogation à ce principe n’étant par ailleurs pas justifiée. Ces revenus n’ont donc pas pu être pris en compte pour calculer le revenu annuel moyen de l’assurée, et, par conséquent, le montant de sa rente. 2. Prévoyance professionnelle obligatoire (LPP) Les travailleuses et les travailleurs salariés affiliés à l’AVS, âgés de plus de 17 ans, qui reçoivent d’un même employeur, pour une année civile, un salaire atteignant le seuil minimum fixé dans la loi sont obligatoirement affiliés à la prévoyance professionnelle 8. Entre 17 et 24 ans, la couverture est limitée aux risques décès et invalidité ; à partir de 24 ans, la travailleuse ou le travailleur commence à cotiser en vue de sa retraite. Conformément à l’art. 10 al. 1 LPP, la couverture commence en même temps que les rapports de travail. Elle prend notamment fin en cas de dissolution des rapports de travail 9. Les conséquences ne sont cependant pas les mêmes selon qu’après la fin des rapports de travail, la personne assurée reprend une autre activité salariée (a) ou, au contraire, cesse toute activité de cette nature (b), ou encore si elle bénéficie des indemnités journalières de l’assurance-chômage (c). La situation des personnes proches de l’âge de la retraite au moment de la fin des rapports de travail mérite en outre une attention particulière (d). 7 8 9 Loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (RS 831.10). Art. 5 al. 1, 2 al. 1 et 7 al. 1 de la Loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle (LPP ; RS 831.40). Cf. art. 10 al. 2 let. b LPP. Les autres circonstances mettant un terme à l’assurance obligatoire sont le fait d’atteindre l’âge ordinaire de la retraite, la baisse du salaire minimum en dessous du seuil d’accès et la fin du droit aux indemnités de chômage. 169 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli a) Fin de la prévoyance en cas de changement d’activité salariée En cas de changement d’activité salariée et, par hypothèse, également d’institution de prévoyance10, l’institution de prévoyance de l’ancien employeur doit transférer la prestation de sortie de la personne assurée auprès de celle du nouvel employeur 11. Si, a posteriori, la première institution s’avère être compétente pour verser des prestations d’invalidité ou de décès, la prestation de sortie doit lui être restituée12, à défaut de quoi les prestations peuvent être réduites13. En principe, de telles situations posent peu de difficultés en pratique, car si l’art. 10 al. 3 LPP prolonge pour un mois la couverture pour les risques décès et invalidité auprès de l’ancienne caisse de prévoyance, il mentionne également que la nouvelle institution est compétente à partir du moment où la travailleuse ou le travailleur est affilié auprès d’elle. Sous l’empire de l’ancien art. 6 OPP2, des problèmes de coordination pouvaient se poser lorsque le nouveau rapport de travail ne prévoyait pas le début effectif immédiat de l’activité. L’on peut par exemple imaginer un contrat de travail valable à partir du 1er janvier, mais dans le cadre duquel les parties auraient convenu que la travailleuse ou le travailleur ne débuterait effectivement son activité que le 3 janvier, en raison des congés du Nouvel-An. Plus précisément, selon l’ancien droit, la protection d’assurance débutait le premier jour effectif de travail alors que le rapport de prévoyance naissait en même temps que les rapports de travail, respectivement dès la naissance du droit au salaire. Il en résultait que la naissance du rapport de prévoyance et le début de la couverture pouvait intervenir à des moments différents. Depuis le 1 er janvier 2017, l’art. 6 OPP2 est formulé de telle sorte que la couverture d’assurance débute donc en même temps que les rapports contractuels, indépendamment du jour où la personne débute ou aurait dû débuter effectivement son travail14. b) Fin de la prévoyance en cas de cessation de toute activité salariée Lorsque, après la fin des rapports de travail, la personne assurée ne reprend pas d’activité salariée, soit qu’elle cesse toute activité lucrative, soit qu’elle accède à l’indépendance, elle demeure néanmoins assurée auprès de l’institution de prévoyance de son ancien 10 11 12 13 14 L’on peut imaginer que l’ancien et le nouvel employeur aient tous les deux affiliés leur personnel à la prévoyance professionnelle auprès de la même institution de prévoyance. Art. 3 al. 1 de la Loi fédérale du 17 décembre 1993 sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LFLP ; RS 831.42). Art. 3 al. 2 LFLP. Art. 3 al. 3 LFLP. COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 4 ad art. 10. Cette modification est intervenue en marge de la révision de la loi sur l’assurance-accidents. 170 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies employeur pour les risques décès et invalidité. Comme évoqué ci-dessus15, cette couverture perdure durant un mois après la fin des rapports de travail16. Cette référence temporelle n’est pas comprise de manière uniforme par la doctrine et la jurisprudence17. Selon une opinion qui semble s’imposer en doctrine, elle doit être interprétée différemment selon le moment où le contrat de travail a pris fin. Si la résiliation prend effet à la fin d’un mois, la couverture d’assurance est maintenue pendant le mois entier suivant, indépendamment du nombre de jours contenus dans le mois. En revanche, si les rapports de travail cessent dans le courant d’un mois, c’est un délai de 30 jours calendaires qui s’applique18. Cette prolongation légale de la couverture d’assurance prend fin préalablement à cette échéance si la personne salariée occupe un nouvel emploi et est obligatoirement affiliée auprès d’une nouvelle institution de prévoyance. La prolongation de la couverture au sens de l’art. 10 al. 3 LPP ne couvrant que les risques décès et invalidité, aucune cotisation n’est exigée, ni de l’employeur, ni de la travailleuse ou du travailleur, dans le régime de la prévoyance obligatoire à tout le moins19. Dans la prévoyance étendue, l’institution de prévoyance peut exiger de la personne assurée des cotisations de risque si elle décide de maintenir une couverture après la fin du rapport de prévoyance20. Sauf dans le cas où la travailleuse ou le travailleur accède à l’indépendance et peut alors demander le paiement en espèces de sa prestation de sortie21, elle ou il a l’obligation de maintenir sa prévoyance sous une autre forme22. Elle ou il recourt alors en général à un contrat de prévoyance conclu avec un établissement d’assurance ou à un compte de prévoyance auprès d’une fondation bancaire23. Elle ou il a l’obligation de fournir à l’institution de prévoyance de son ancien employeur toutes les informations utiles. A défaut, passé un délai de six mois, cette dernière doit transférer à l’institution supplétive la prestation de sortie, comprenant d’éventuels intérêts24. Il arrive ainsi que des fonds de 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 Cf. supra II.A.2.a. Art. 10 al. 3 LPP ; COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 29 ad art. 10. A ce sujet, cf. COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 29 ad art. 10 et la note 91. COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 29 ad art. 10 et la note 91. COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 34 ad art. 10. Art. 331a al. 3 CO. Art. 5 al. 1 let. b LFLP. Art. 4 al. 1 LFLP. Art. 1 al. 1 de l’Ordonnance du 13 novembre 1985 sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance (OPP3 ; RS 831.461.3). Art. 4 al. 2 LFLP. 171 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli prévoyance soient oubliés par leurs ayants droit25. La personne qui aimerait se renseigner sur l’existence de fonds lui appartenant doit adresser une demande à l’institution supplétive26, et peut également s’adresser à la Centrale du 2e pilier27. Les personnes qui cessent d’être assujetties au régime de la prévoyance obligatoire, en cas de dissolution des rapports de travail dans le contexte qui nous occupe, ont la possibilité de maintenir leur prévoyance professionnelle dans la même mesure que précédemment 28. Si telle est sa volonté, la personne assurée doit informer l’institution de prévoyance sous quelle forme elle souhaite maintenir sa couverture. Il lui appartient alors dans tous les cas de verser la totalité des cotisations légales29. c) Fin de la prévoyance en cas de perception d’indemnités de chômage La personne inscrite à l’assurance-chômage et bénéficiant des indemnités de chômage conformément à l’art. 8 LACI30 est obligatoirement assurée en prévoyance professionnelle, mais uniquement contre les risques décès et invalidité31. Cela vaut également si la chômeuse ou le chômeur fait l’objet d’une sanction conformément à l’art. 30 LACI32. Les bénéficiaires de l’indemnité de chômage sont assurés auprès de l’institution supplétive LPP33, aux conditions de la prévoyance obligatoire uniquement. Si la chômeuse ou le chômeur bénéficiait, auprès de son ancien employeur, d’une couverture étendue, cela signifie pour elle ou lui une baisse des prestations en cas de décès ou d’invalidité. L’articulation entre la fin de la couverture auprès de l’ancienne institution de prévoyance et le début de la couverture dans le cadre de l’assurance-chômage peut ainsi poser des questions délicates. Comme mentionné ci-dessus34, conformément à l’art. 10 al. 3 LPP, la couverture auprès de l’ancienne institution est certes prolongée d’un mois après la fin des 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 En 2016, un rapport du Contrôle fédéral des finances faisait état de 5 milliards de francs suisses « en déshérence » (Institutions de libre passage de la prévoyance professionnelle. Evaluation des avantages et des risques pour les assurés et la Confédération, EFK-14471 du 20 mai 2016). https://web.aeis.ch. www.verbindungsstelle.ch. Art. 47 al. 1 LPP. A ce propos, voir COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 1 ss ad art. 47. A propos de l’obligation pour le nouvel employeur ou la nouvelle employeuse de contribuer financièrement au maintien de la prévoyance facultative de son employée ou de son employé, cf. COMM. LPP/LFLP-BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, N 48 ss ad art. 47. Loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage (RS 837.0). Art. 1 al. 1 de l’ordonnance du 3 mars 1997 sur la prévoyance obligatoire des chômeurs (RS 837.174). Art. 2 al. 2 de l’ordonnance du 3 mars 1997 sur la prévoyance obligatoire des chômeurs. Art. 60 al.1 LPP. Cf. supra II.A.2.a. 172 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies rapports de travail, mais si une nouvelle institution prend le relai, elle est compétente à partir du début de la couverture auprès d’elle. A cet égard, il est donc important que l’art. 2 al. 1 de l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle des chômeurs précise que l’« assurance commence à l’échéance du délai d’attente prévu à l’art. 18 LACI », soit après un délai de cinq jours en principe, voire davantage en fonction des obligations familiales et des revenus de la personne au chômage35. Pendant ce délai, la couverture auprès de l’ancienne institution de prévoyance est maintenue, conformément à l’art. 10 al. 3 LPP36. Si, en revanche, la travailleuse ou le travailleur a attendu plus d’un mois après la fin des rapports de travail pour s’annoncer à l’assurance-chômage, il peut en résulter une lacune de couverture. Notons encore que si la travailleuse ou le travailleur a fait usage des possibilités offertes par l’art. 47 LPP37, il n’est pas couvert dans le cadre de la prévoyance des chômeuses et des chômeurs38. Pour le surplus, la chômeuse ou le chômeur est soumis aux mêmes obligations, s’agissant du maintien de la prévoyance, que la personne qui cesse toute activité lucrative salariée39. d) Travailleuses et travailleurs proches de l’âge de la retraite La situation des personnes qui perdent leur emploi peu de temps avant l’âge donnant droit aux prestations de vieillesse mérite une attention particulière car elle a fait l’objet de développements législatifs récents. Ces développements sont l’aboutissement de réflexions amorcées devant le constat d’une lacune de protection sociale lorsque la perte d’emploi intervient à quelques années de la retraite, sans toutefois qu’il soit possible à la personne assurée de prendre une retraite anticipée40. Dans un tel cas, il est fréquent que la travailleuse ou le travailleur ne retrouve pas d’emploi et ne soit donc pas affilié au deuxième pilier au moment d’atteindre 64 ou 65 ans41. En conséquence, elle ou il ne peut toucher de rente de la prévoyance professionnelle. Il en va de même si elle ou il était au chômage au moment d’atteindre cet âge, dans la mesure où il n’existe alors plus de protection contre le risque vieillesse42. Quant à l’avoir de vieillesse accumulé et conservé 35 36 37 38 39 40 41 42 Cf. art. 18 LACI. COMM. LPP/LFLP-SCHNEIDER, N 19 ad art. 2. Cf. supra II.A.2.b. Art. 1 al. 2 de l’ordonnance du 3 mars 1997 sur la prévoyance obligatoire des chômeurs. Cf. supra II.A.2.b. Tous les plans de prévoyance n’offrent pas cette possibilité. Par ailleurs, les plans de prévoyance qui offrent la possibilité d’une retraite anticipée ne peuvent fixer l’âge de cette dernière en dessous de 58 ans (cf. art. 1i al. 1 de l’Ordonnance du 18 avril 1984 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité [OPP2 ; RS 831.441.1]). Art. 13 al. 1 LPP. Cf. supra II.A.2.c. 173 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli sur un compte ou une police de libre passage au moment de la fin des rapports de travail 43, il a en règle générale fait l’objet de ponctions substantielles avant que la travailleuse ou le travailleur ne puisse bénéficier de l’aide sociale44. Nouvel art. 47a LPP45 Dans le cadre de la réforme de la Loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS/AI46, adoptée le 22 mars 2019 par le Parlement et entrée en vigueur au 1 er janvier 202147, un nouvel art. 47a a été introduit dans la LPP. Cette nouvelle disposition permet désormais aux personnes dont les rapports de travail sont résiliés par l’employeur après qu’elles ont atteint l’âge de 58 ans48 de maintenir leur prévoyance dans le cadre du deuxième pilier. La particularité de cette disposition est de permettre à la travailleuse ou au travailleur concerné de demeurer assuré dans l’institution de prévoyance de son ancien employeur, dans la même mesure qu’elle ou il l’a été jusqu’à la résiliation des rapports de travail, sous réserve de modifications postérieures des conditions d’assurance pour l’ensemble du personnel49. La travailleuse ou le travailleur concerné a le choix de conserver une prévoyance complète, pour les trois risques vieillesse, invalidité et décès. Elle ou il peut conserver uniquement une couverture contre les risques invalidité et décès50. Le montant pris en considération pour déterminer le salaire assuré est celui du dernier revenu réalisé par la travailleuse ou le travailleur auprès de l’employeur qui l’a licencié. Le salaire assuré n’est plus appelé à changer, sous réserve d’une augmentation de la déduction de coordination qui ne sera pas compensée. Les primes de l’assurance continuée en application de l’art. 47a LPP sont à la charge exclusive de la travailleuse ou du travailleur51. L’absence de paiement permet à 43 44 45 46 47 48 49 50 51 Cf. supra II.A.2.b. Cf. Message du Conseil fédéral du 30 octobre 2019 concernant la Loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (FF 2019 7797 ss), 7817. Pour un exposé détaillé des modalités d’application du nouvel art. 47a LPP, cf. KONRAD/LAUENER, 229 ss. Cf. également OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 152 du 6 mai 2020, N 1032 ; Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 153 du 16 septembre 2020, N 1039. Loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (LPC ; RS 831.30). RO 2020 585. L’institution de prévoyance est libre d’abaisser cette limite d’âge jusqu’à 55 ans (art. 47a al. 7 LPP). Art. 47a al. 1 LPP. L’institution de prévoyance peut prévoir réglementairement la possibilité de conserver uniquement la prévoyance vieillesse (art. 47a al. 7 LPP). Art. 47a al. 3 LPP. 174 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies l’institution de prévoyance de résilier la couverture52. Il faut en outre que le maintien de la prévoyance ait duré plus de deux ans pour que la travailleuse ou le travailleur puisse prétendre à des prestations versées sous forme de rente53. Prestations transitoires pour les chômeuses et les chômeurs âgés Le Parlement a par ailleurs adopté le 19 juin 2020 la nouvelle loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés 54. Cette loi prévoit que les personnes qui ont épuisé leur droit aux prestations de l’assurance-chômage après avoir atteint l’âge de 60 ans révolus55 touchent une prestation transitoire jusqu’à l’âge donnant droit à une rente de vieillesse dans l’AVS56. Le droit à la prestation transitoire est subordonné à la condition d’une affiliation à l’AVS durant 20 ans au moins, dont au moins cinq années après l’âge de 50 ans. Les personnes qui sollicitent ces prestations doivent avoir exercé une activité lucrative leur procurant un revenu annuel couvrant 75% de la rente AVS maximale 57. Calquées sur les prestations complémentaires à l’AVS/AI, les prestations transitoires pour les chômeuses et chômeurs âgés sont soumises à une condition de fortune58 et incluent le remboursement des frais de maladie et d’invalidité. Quant à la prestation transitoire en espèces, elle est également calculée en fonction des dépenses reconnues et des revenus déterminants59.60 3. Assurance-accidents obligatoire (LAA) Avec la prévoyance professionnelle, l’assurance-accidents obligatoire est l’autre assurance sociale qui, en Suisse, est réservée aux travailleuses et aux travailleurs salariés61. Il existe donc naturellement un lien très étroit entre la relation de travail d’une part et la couverture d’assurance d’autre part. 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 Art. 47a al. 4, 3e phrase, LPP. Art. 47a al. 6 LPP. LPTRA (FF 2020 5357). La date de l’entrée en vigueur de la loi n’était pas encore connue au moment de rendre cet article (décembre 2020). Art. 3 al. 1 LPTRA. 64/65 ans (cf. art. 21 al. 1 LAVS). Art. 5 al. 1 let. b LPTRA. A partir du 1er janvier 2021, la rente AVS maximale s’élève à CHF 2’390.par mois. Art. 5 al. 1 let. c et al. 2 LPTRA. L’avoir de libre passage ne sera pas pris en compte comme élément de fortune tant qu’il se trouvera auprès d’une institution de libre passage. Art. 7 al. 1 LPTRA. Pour davantage de précisions, cf. DUPONT, Plaidoyer, pp. 30 s. Art. 1a de la Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’assurance-accidents (LAA ; RS 832.20) et 1 de l’Ordonnance du 20 décembre 1982 sur l’assurance-accidents (OLAA ; RS 832.202). Notons que les travailleuses et les travailleurs indépendants peuvent s’affilier à titre facultatif (art. 4 LAA). 175 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli Conformément à l’art. 3 al. 1 LAA, la couverture prend effet dès que débute le rapport de travail ou dès que naît le droit au salaire. Il existe ainsi une coïncidence entre la date de prise d’effet du contrat de travail et celle du début de la couverture d’assurance62. En revanche, la fin de la couverture d’assurance ne dépend pas de la fin des rapports de travail, mais de la fin du droit au salaire63. L’art. 3 al. 2 LAA prévoit en effet que « l’assurance cesse de produire ses effets à la fin du 31e jour qui suit le jour où prend fin le droit au demisalaire au moins »64. L’esprit de cette règlementation, rappelé dans la jurisprudence, est d’éviter des lacunes de couverture chez les personnes qui, à la fin d’un contrat de travail, ne reprennent pas immédiatement un emploi65. En couplant la fin de la couverture d’assurance avec le droit au salaire, le législateur a cependant pris le risque d’autres lacunes, plus sournoises car moins facilement identifiables. Nous en donnerons quelques exemples ci-dessous (b). Avant cela, nous verrons que la notion de droit au salaire est déjà de nature à entraîner un certain nombre de difficultés (a). La situation des travailleuses et des travailleurs à temps partiel (c) ainsi que des personnes au chômage (d) mérite par ailleurs que l’on y consacre quelques lignes. a) Notion de droit au salaire La notion de droit au salaire se comprend par référence aux règles applicables au contrat de travail. Si celui-ci est soumis aux règles du Code des obligations66, le droit au salaire découle de l’art. 322 al. 1 CO, qui prévoit que « l’employeur paie au travailleur le salaire convenu, usuel ou fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective ». En cas d’empêchement non fautif de la travailleuse ou du travailleur d’accomplir la prestation de travail convenue, le droit au salaire existe dans la mesure prévue aux art. 324a et 324b CO, pour une durée dépendant de son ancienneté67.68 62 63 64 65 66 67 68 Jusqu’au 31 décembre 2016, la couverture d’assurance prenait effet depuis le premier jour d’activité contractuellement convenu, dont la date ne coïncidait pas nécessairement avec la date du début du contrat de travail (pour la prévoyance professionnelle, cf. supra 2.a). Cf. ATF 143 V 385 ; ATF 132 V 215, c. 5.1.1. Jusqu’au 31 décembre 2016, le délai était de 30 jours, ce qui pouvait entraîner des lacunes de couverture si le mois durant lequel une travailleuse ou un travailleur n’avait pas d’occupation comptait 31 jours (cf. BK UVG-MATTER/HELMLE, N 19 ad art. 3). ATF 127 V 458, c. 2.b.ee. Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations) (RS 220). Cf. art. 324a al. 2 CO : trois semaines durant la première année de service, puis, au-delà, selon le barème de l’échelle bernoise (en Suisse romande). Pour plus de détails à ce sujet, cf. WYLER/HEINZER, 275 ss ; COMM. CT-LONGCHAMP, ad art. 324a et 324b CO. 176 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies La notion de salaire désigne usuellement le droit au salaire convenu entre les parties au contrat de travail et déterminant au sens de la législation sur l’AVS (salaire AVS)69. Elle peut cependant également désigner d’autres prestations qui sont versées en lieu et place du salaire habituel, comme les indemnités journalières versées par les assurances sociales ou privées70. Elle désigne finalement les allocations familiales71 et les salaires inférieurs à CHF 1’400.- par mois72 versés aux travailleuses et travailleurs qui continuent d’exercer une activité lucrative au-delà de l’âge AVS73. En revanche, ni les indemnités versées en cas de résiliation des rapports de travail, ni les rémunérations telles que gratifications, primes de Noël, participations au résultat de l’exploitation, actions distribuées au personnel, tantièmes et primes de fidélité ou d’ancienneté, ne font partie du salaire au sens de l’art. 3 al. 2 LAA74. Elles ne sont donc pas susceptibles de prolonger la couverture de l’assurance-accidents. Si cette distinction est a priori claire, il existe des situations dans lesquelles la qualification des montants reçus est plus délicate. L’on peut alors recourir parfois à la jurisprudence rendue en matière d’AVS afin de délimiter la notion de salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS. Dans ce contexte, toute rémunération qui présente un lien économique avec le rapport de travail doit être considérée comme un salaire, indépendamment de savoir si elle a été versée volontairement ou si elle était due contractuellement. Doivent en revanche être exclus de la notion de salaire les montant soustraits, de par la loi, au paiement de charges sociales75. S’agissant des montants versés en lien avec la fin des rapports de travail sont qualifiés de salaire s’ils présentent, même indirectement, les caractéristiques d’une rémunération pour une prestation de travail effectuée. Il en va notamment ainsi de l’indemnité perçue pour compenser des vacances non prises76. Ce n’est en revanche pas le cas des indemnités versées en cas de résiliation injustifiée des rapports de travail 77. Les difficultés liées à cette qualification sont d’autant plus grandes qu’il faut parfois attendre la résolution d’un litige pour être finalement fixé sur la nature salariale d’un élément de rémunération et, par conséquent, sur la durée de la couverture dans le cadre de l’assuranceaccidents78. 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 Art. 7 al. 1 let. a OLAA. Art. 7 al. 1 let. b OLAA. Art. 7 al. 1 let. c OLAA. Cf. art. 6quater al. 1 RAVS. Art. 7 al. 1 let. d OLAA. Art. 7 al. 2 OLAA. BK UVG-MATTER/HEMLE, N 30 ad art. 3. Cf. DUC, pp. 92 ss. Cf. infra III.B.2. Cf. infra III.B.2. 177 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli Lorsque la personne assurée ne reçoit plus son salaire, mais des prestations qui se substituent à ce dernier, comme des indemnités journalières de l’assurance-accidents ou d’une assurance perte de gain en cas de maladie, elles ne sont toutefois considérées comme telles que jusqu’à l’échéance des rapports de travail79. Cas échéant, le délai de 31 jours prévu par l’art. 3 al. 2 LAA courra donc depuis cette date. b) Exemples de situations problématiques En associant la fin de la couverture de l’assurance-accidents au droit au salaire, le législateur a, vraisemblablement involontairement80, rendues possibles des situations potentiellement problématiques, dans la mesure où le droit au salaire peut parfois prendre fin alors même que le contrat de travail reste en vigueur. Il en va notamment ainsi lorsque la travailleuse ou le travailleur, incapable sans sa faute de fournir sa prestation de travail, a épuisé son droit au salaire sans toutefois que son employeur n’ait résilié le contrat de travail81. Dès la fin du droit au salaire, le délai de 31 jours de l’art. 3 al. 2 LAA court, et l’échéance de ce dernier, la travailleuse ou le travailleur verra sa couverture contre les accidents prendre fin, sans qu’elle ou il en ait forcément conscience dans la mesure où son contrat de travail n’a pas été résilié. Il en ira de même pour la travailleuse ou le travailleur qui bénéficie d’un congé non payé, si celui-ci dure plus de 31 jours. En pratique, cette situation est toutefois moins risquée, car les congés non payés et leurs conséquences sont en règle générale anticipés et planifiés. Une autre difficulté découle de ce que l’art. 3 al. 2 LAA fait courir le délai de 31 jours depuis la fin du droit « au demi-salaire au moins ». Cette condition ne pose pas de difficulté particulière tant et aussi longtemps que les rapports de travail se déroulent normalement et que chacune des parties exécute les obligations contractuellement convenues. En revanche, si la personne assurée ne touche plus son salaire, mais un salaire de substitution, par exemple sous forme d’indemnités journalières d’une assurance sociale ou privée, le délai de 31 jours courra si celui-ci ne couvre pas la moitié du salaire brut. En pratique, les indemnités journalières couvrent en règle générale 80% du salaire. Néanmoins, il se peut qu’une proportion inférieure soit couverte, lorsque le montant soit des indemnités journalières, soit du salaire assuré, est plafonné. Le régime du congé maternité 82, par 79 80 81 82 KSS UVG-RIEMER-KAFKA/LISCHER, N 23 ad art. 3 ; BK UVG-MATTER/HEMLE, N 32 ad art. 3. Cf. FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 44. Cf. art. 324a CO. Cf. également supra II.A.3.a. Pour le congé paternité, dont les indemnités journalières sont également plafonnées à CHF 196.- par jour, le problème ne se pose à notre avis pas compte tenue de la durée maximale de ce congé (14 jours). 178 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies exemple, plafonne le montant de l’indemnité journalière à CHF 196.- par jour83, ce qui représente un montant d’environ CHF 6’000.- par mois84. Ainsi, les femmes dont le salaire est supérieur à CHF 12’000.- par mois perçoivent moins de la moitié de leur salaire depuis la date de leur accouchement. Le délai de 31 jours de l’art. 3 al. 2 LAA court donc à partir de ce moment, de sorte que la mère pourrait voir sa couverture LAA supprimée en cours de congé maternité85. Le problème ne se pose pas si l’employeur a l’obligation de compléter le salaire ou s’il a conclu une police d’assurance privée versant des indemnités journalières complémentaires, et se pose moins fréquemment si la mère travaille dans le canton de Genève, qui prévoit des indemnités cantonales complémentaires 86. Dans tous les cas, pour pallier les difficultés évoquées ici, la personne assurée a la possibilité de prolonger, par convention spéciale, la couverture de son assuranceaccidents pendant six mois au plus87. Cette possibilité doit impérativement être proposée par l’employeur, qui, de son côté, doit avoir été renseigné par l’assureur-accidents88. A défaut d’information, l’employeur peut être tenu de prendre en charge le dommage qui en résulte89. Cette prolongation est spécialement judicieuse lorsqu’une personne n’occupe aucun nouvel emploi à la fin des rapports de travail et qu’elle ne s’inscrit pas à l’assurancechômage. La prolongation doit être convenue avant l’expiration du rapport d’assurance90. c) Travailleuses et travailleurs à temps partiel Comme mentionné plus haut91, la prolongation de la couverture d’assurance pendant les 31 jours qui suivent la fin du droit au salaire (art. 3 al. 2 LAA) a pour but de protéger la personne assurée contre une lacune de couverture qui résulterait de ce qu’elle n’enchaîne pas immédiatement avec une nouvelle relation de travail. Logiquement, les accidents couverts pendant ce laps de temps sont uniquement des accidents non professionnels92. 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 Cf. art. 16f al. 1 de la Loi fédérale du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain en cas de service, de maternité et de paternité (LAPG ; RS 834.1). CHF 5’580.- pour les mois à 30 jours, et CHF 6’076.- pour les mois à 31 jours. Sur cette problématique, cf. également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 44. Cf. Loi genevoise du 21 avril 2005 instituant une assurance en cas de maternité et d’adoption (RS GE J 5 07). Le danger n’est cependant pas totalement écarté dans la mesure où la loi genevoise plafonne le salaire assuré à CHF 148’200.-. Art. 3 al. 3 LAA. Cf. FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 698. ATF 121 V 28, c. 2c. Cf. également infra II.B.1.a. Art. 3 al. 3 LAA et 8 OLAA. Cf. supra 3. Cf. ATF 127 V 458 c. 2.b.ee. FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 38. 179 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli En conséquence, cette prolongation ne vaut que pour les travailleuses et les travailleurs qui bénéficient d’une couverture contre les accidents non professionnels pendant la durée des rapports de travail. Il en va uniquement ainsi des travailleuses et des travailleurs occupés plus de huit heures par semaine par le même employeur 93. Dans le cas contraire, la couverture d’assurance cesse au plus tard au moment où elle ou il a rejoint son domicile au terme de sa dernière journée de travail94. De même, une prolongation conventionnelle conformément à l’art. 3 al. 3 LAA n’est pas possible pour les travailleuses et les travailleurs à temps partiel, dans la mesure où elle vise la couverture des accidents non professionnels et où ces travailleuses et ces travailleurs ne bénéficiaient pas d’une telle couverture pendant la durée des rapports de travail95. En revanche, la travailleuse ou le travailleur qui voit son horaire de travail, habituellement supérieur à 8 heures par semaines, réduit endessous de ce pensum peut prolonger conventionnellement la couverture des accidents non professionnels. d) Bénéficiaires des indemnités de chômage Conformément à l’art. 1a al. 1 let. b LAA, les personnes qui remplissent les conditions pour toucher les indemnités de chômage (art. 8 LACI) sont également assurées dans le cadre de l’assurance-accidents obligatoire. Pour ces personnes, la couverture d’assurance prend fin à l’expiration du 31e jour qui suit celui où elles remplissent pour la dernière fois les conditions visées à l’art. 8 LACI ou perçoivent pour la dernière fois des indemnités en vertu de l’art. 29 LACI96. Cela vaut également lorsque la personne assurée touche des indemnités malgré une inaptitude passagère au placement, conformément à l’art. 28 LACI97. En revanche, les prestations cantonales accordées aux personnes en fin de droit ne prolongent pas la durée de la couverture98. Bien que la question n’ait pas été expressément tranchée pour les personnes qui bénéficient d’indemnités de maladie pour chômeuses et chômeurs, prévues par certains droits cantonaux99, il est vraisemblable que le même raisonnement leur est applicable, mutatis mutandis. 93 94 95 96 97 98 99 Art. 8 al. 2 cum 7 al. 2 LAA et 13 al. 1 LAA. ATF 126 V 26, c. 3c. Cf. également KSS UVG-RIEMER-KAFKA/LISCHER, N 19 ad art. 3. KSS UVG-RIEMER-KAFKA/LISCHER, N 36 ad art. 3. Art. 3 al. 2, 2e phrase, LAA. TF U 160/02 du 2 décembre 2002. FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 45 et la référence citée en note 63. Pour le canton de Vaud, cf. art. 19a ss de la Loi vaudoise du 5 juillet 2005 sur l’emploi (RS VD 822.11) ; pour le canton de Genève, cf. art. 8 ss de la Loi genevoise du 11 novembre 1983 en matière de chômage (RS GE J 2 20). 180 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies Les personnes qui ont épuisé leurs droits à l’égard de l’assurance-chômage ont également la possibilité de prolonger conventionnellement pour six mois au plus leur couverture LAA100. 4. Excursus : les indemnités journalières en cas de maladie Dans cet article consacré aux conséquences de la fin des rapports de travail sur la protection sociale, il nous a semblé nécessaire de traiter brièvement de ces conséquences en matière d’assurance dite perte de gain, ou plus exactement d’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une assurance sociale, mais elle présente des caractéristiques qui, matériellement, la rapproche de notre sujet. En cas d’incapacité de travail, le droit suisse des assurances sociales ne prévoit de compensation que dans le cadre de l’assurance-accidents (LAA) ou de l’assurance militaire (LAM). Si l’incapacité de travail découle d’une maladie101, il n’existe pas de régime obligatoire de compensation102. Conformément à l’art. 324a CO, c’est à l’employeur qu’il incombe de verser le salaire à la travailleuse ou au travailleur empêché de travailler sans faute de sa part. Son obligation est limitée dans le temps, soit à trois semaines durant la première année de service puis, au-delà, en fonction de l’ancienneté103. Sous réserve que cela soit prévu par écrit dans le contrat de travail ou dans une convention collective104, l’employeur peut opter pour une solution différente, pour autant qu’elle offre à ses employées et à ses employés une protection équivalente. En pratique, cette protection découle de polices d’assurance collectives prévoyant le versement d’indemnités journalières. Dans la majorité des cas, il s’agit de produits d’assurance soumis à la LCA105 ; plus rarement désormais, il peut également s’agir de produits soumis aux art. 67 ss LAMal106. Pour être jugées équivalentes à l’obligation de l’employeur de verser le salaire, les polices d’assurance collectives prévoient en règle générale la couverture de 80% du salaire, pendant une durée de 720 ou 730 jours. Toutefois, les conditions générales d’assurance de certains produits prévoient que le droit aux indemnités journalières cesse à la fin des 100 101 102 103 104 105 106 FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 47. Ou d’un accident non assuré en LAA, par exemple chez une personne qui ne travaille pas, ou alors qui exerce une activité lucrative dépendante. Sur toute cette question, cf. DUPONT, RDS, pp. 38 ss. Cf. note 67. Art. 324a al. 4 CO. Loi fédérale du 2 avril 1908 sur le contrat d’assurance (RS 221.229.1). Loi fédérale du 18 mars 1994 sur l’assurance-maladie (RS 832.10). 181 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli rapports de travail si la travailleuse ou le travailleur ne conclut pas de police d’assurance individuelle. Une telle démarche pose naturellement des difficultés économiques pour la travailleuse ou le travailleur qui, licencié et en incapacité de travail, ne dispose pas de moyens suffisants pour s’acquitter de la prime. Par ailleurs, cela suppose qu’elle ou il ait été informé de cette modalité du contrat, qui ne correspond pas à la pratique majoritaire. Nous aurons l’occasion de traiter plus loin des conséquences lorsque l’information ne lui a pas été transmise107. B. Deux problèmes transversaux La fin des rapports de travail peut entraîner des difficultés transversales, c’est-à-dire touchant à plusieurs régimes d’assurance sociale. Là encore, il s’agit de difficultés que l’on rencontre aussi bien lorsque les rapports de travail sont résiliés de manière ordinaire que lorsqu’ils le sont dans des circonstances moins fluides, que la résiliation soit le fait de l’une ou de l’autre partie au contrat. Il s’agit dans un premier temps de savoir si l’employeur a l’obligation de fournir à la travailleuse ou au travailleur qui le quitte des obligations spécifiques en matière d’assurances sociales et, cas échéant, quelles sont les conséquences d’une violation de cette obligation (1). Dans un second temps, il s’agit du sort qu’il convient de réserver, sous l’angle des assurances sociales, aux prestations versées par l’employeur à cause de la résiliation de travail (2). 1. Obligation d’informer de l’employeur Après la fin des rapports de travail, la travailleuse ou le travailleur a la possibilité de rester affilié à certains régimes d’assurance sociale. Nous avons vu ci-dessus qu’elle ou il peut ainsi prolonger conventionnellement sa couverture LAA108 (a), ou encore maintenir sa prévoyance professionnelle auprès de l’institution de prévoyance de son ancien employeur109 (b). En matière d’assurance perte de gain, l’employeur doit également transmettre certaines informations aux employées ou aux employés qui le quittent (c). a) En matière d’assurance-accidents En matière d’assurance-accidents, l’employeur joue le rôle de relai entre l’assureur d’une part et son personnel d’autre part. L’art. 72 OLAA prévoit ainsi que les assureurs doivent veiller à ce que les employeurs soient suffisamment informés de la pratique de l’assurance- 107 108 109 Cf. infra B.1.c. Cf. supra II.A.3.b. Cf. supra II.A.2.b. 182 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies accidents (al. 1). Les employeurs doivent à leur tour transmettre ces informations à leur personnel, l’ordonnance insistant spécifiquement sur leur obligation de renseigner quant à la possibilité de prolonger leur couverture d’assurance par convention (al. 2). A cet égard, la jurisprudence précise qu’il ne doit pas nécessairement s’agir d’une information ad personam, mais qu’une affiche accessible à toutes et à tous, par exemple dans un local de pause, et mentionnant la possibilité de la prolongation de couverture, est suffisante110. Il n’est ainsi pas nécessaire que cette possibilité soit expressément rappelée au moment de la résiliation des rapports de travail. L’employeur apparaissant ici comme l’auxiliaire de l’assureur-accidents dans la transmission de l’information, la violation de ses devoirs est imputable à ce dernier, qui doit alors, si la travailleuse ou le travailleur parvient à démontrer que, correctement informé, elle ou il aurait prolongé sa couverture d’assurance par convention, prendre en charge conformément aux prescriptions légales les conséquences d’accidents non professionnels111. Cette obligation s’inscrit dans le contexte de la protection de la bonne foi des administrées et des administrés à l’égard de l’administration112. En l’espèce, le Tribunal fédéral admet l’existence d’une présomption de fait selon laquelle une personne assurée correctement informée aurait fait usage de la possibilité de prolonger la couverture par convention spéciale, en particulier si elle envisage une interruption professionnelle temporaire. En revanche, la bonne foi doit être niée si la personne assurée avait, par le passé, déjà fait usage de la possibilité offerte par l’art. 3 al. 3 LAA, cette circonstance étant de nature à prouver qu’elle connaissait ses droits113. b) En matière de prévoyance professionnelle En matière de prévoyance obligatoire, le régime de l’obligation d’informer varie selon que l’on considère la prévoyance professionnelle obligatoire ou la prévoyance professionnelle étendue. Dans le régime de la prévoyance professionnelle selon la LPP, l’information des personnes assurées incombe en premier lieu à l’institution de prévoyance114. Conformément à l’art. 86b LPP, il lui revient, pendant la durée des rapports de prévoyance, de renseigner annuellement les personnes assurées sur leurs situations et sur les modalités de leur prévoyance. A la fin des rapports de travail, c’est à elle également qu’il revient, outre d’établir un décompte faisant état de la situation de la travailleuse ou du travailleur dont 110 111 112 113 114 TF U 255/03 du 29 mars 2004. ATF 121 V 28, c. 2c. FRÉSARD/MOSER-SZELESS, N 703. Art. 5 al. 3 de la Constitution de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101). ATF 131 V 472, c. 5 ; ATF 121 II 473, c. 2c. WYLER/HEINZER, pp. 896 ss. L’employeur a, de son côté, l’obligation de renseigner l’institution de prévoyance (cf. art. 10 OPP2). 183 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli les rapports de travail prennent fin, d’indiquer à cette dernière ou à ce dernier toutes les possibilités législatives et réglementaires pour maintenir la prévoyance. Elle doit notamment l’informer sur la prévoyance en cas de décès ou d’invalidité115. Le droit à l’information consacré à l’art. 86b LPP, en relation avec les art. 52 et 62 al. 1 let. e LPP, prévoit, en cas de violation, un régime de responsabilité fondé sur la bonne foi. Le fait de donner des renseignements inexacts à la personne assurée, de refuser ou d’omettre de la renseigner, peut engager la responsabilité de l’institution de prévoyance, qui peut être amenée à réparer le préjudice qui en résulte116. Depuis l’introduction de l’art. 86b LPP, le comportement par omission est mis sur un pied d’égalité avec le refus de renseigner. Ces comportements entraînent ainsi la même conséquence en cas de violation117. L’art. 86b al. 4 LPP renvoie par ailleurs aux dispositions pénales118. Celui qui, en violation de son obligation de renseigner, donne sciemment une information inexacte ou refuse de renseigner, est notamment punissable d’une amende de CHF 10’000 au plus. A priori, la même solution s’impose en matière de prévoyance professionnelle étendue, l’art. 86b LPP étant applicable dans la même mesure 119. Néanmoins, dans ce contexte, l’art. 331 al. 4 CO impose également à l’employeur de donner aux travailleuses et aux travailleurs les renseignements nécessaires sur leurs droits envers une institution de prévoyance professionnelle. Bien que l’articulation entre l’art. 86b LPP et l’art. 331 al. 4 CO ne fasse pas l’objet d’une solution claire, il est acquis que la première disposition ne peut fonder que des obligations à charge de l’institution de prévoyance, et la seconde des obligations à charge de l’employeur exclusivement. Il n’est pas admis de considérer l’une ou l’un comme l’auxiliaire de l’autre120. Le Tribunal fédéral a confirmé que les institutions de prévoyance n’ont pas à répondre d’une violation par l’employeur de l’obligation d’informer qui lui incombe en vertu de l’art. 331 al. 4 CO121. Sans le dire clairement, le Tribunal fédéral semble admettre que les deux responsabilités coexistent 122. 115 116 117 118 119 120 121 122 Art. 8 LFLP. ATF 127 I 136 ; ATF 131 V 472, c. 5 ; TF 9C_159/2019 du 31 octobre 2019, c. 5.3.1. COMM. LPP/LFLP-PÄRLI, N 16 ad art. 86b LPP ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, N 1173 ss. COMM. LPP/LFLP-PÄRLI, N 8 ad art. 86b LPP. Art. 75 LPP. Cf. art. 49 al. 2 ch. 26 LPP. COMM. LPP/LFLP-PÄRLI, N 3 ad art. 86b LPP. TF 9C_710/2007 du 28 novembre 2008, c. 5.1. Cf. ATF 140 V 22, qui ne porte pas spécifiquement sur la question de la fin des rapports de travail, mais qui confirme l’importance pratique de l’art. 331 al. 4 CO. 184 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies Si la travailleuse ou le travailleur subit un dommage en raison de la violation par l’employeur de son obligation de renseigner, elle ou il peut agir contre lui sur la base des règles générales en matière de responsabilité contractuelle123. c) En matière d’assurance perte de gain Comme nous l’avons exposé plus haut124, les employeurs choisissent souvent, en pratique, de se libérer de leur obligation de verser le salaire en cas d’incapacité de travail consécutive à une maladie de leurs employées et employés en concluant des polices collectives d’indemnités journalières. Lorsque les rapports de travail prennent fin, la possibilité existe en principe125 pour les travailleuses et les travailleurs de conserver une couverture individuelle. Le titulaire de l’obligation d’informer sur cette possibilité et les conséquences d’un défaut d’information ne sont pas les mêmes selon que l’employeur a opté pour un produit d’assurance soumis à la LAMal ou à la LCA. Dans le premier cas, l’assureur est responsable de veiller à ce que la personne assurée soit renseignée par écrit sur son droit de passage dans l’assurance individuelle. S’il omet de le faire, la travailleuse ou le travailleur reste assuré dans l’assurance collective126, de sorte qu’elle ou il n’a pas à pâtir d’un défaut d’information. Dans le second cas, l’obligation d’informer le travailleur incombe à l’employeur en vertu de l’art. 331 al. 4 CO, dont il est admis qu’il s’applique, au-delà de la prévoyance professionnelle au sens strict, à l’ensemble des assurances conclues par l’employeur en faveur de son personnel pour le prémunir en cas de maladie, d’accidents, de vieillesse, de décès ou encore d’invalidité127. A défaut d’information ou d’information suffisante, l’employeur engage sa responsabilité et peut être amené à répondre du préjudice subi 128. Cette solution est insatisfaisante en pratique, car au-delà des désagréments liés à la perspective d’une procédure judiciaire, la travailleuse ou le travailleur peut éprouver des scrupules à entamer une telle procédure lorsqu’elle ou il sait que la situation financière de l’employeur est mauvaise, qu’une condamnation pourrait être de nature à entraîner la faillite de l’entreprise et, par conséquent, le licenciement de leurs anciens collègues. 123 124 125 126 127 128 Art. 97 CO. TF 4A_186/2010 du 3 août 2010, c. 3. COMM. CT-DUPONT, N 26 ad art. 331 ; GLOOR, pp. 162 s. ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, N 10 ad art. 331 ; RANZANICI, p. 277. Cf. supra II.A.4. En fonction des produits d’assurance, certaines catégories de travailleuses et de travailleurs, comme les frontalières et les frontaliers, n’ont pas cette possibilité (cf. DUPONT, REAS, p. 407). Art. 71 al. 2 LAMal. WYLER/HEINZER, p. 331. TF 4A_186/2010 du 3 juin 2010, c. 3 et 4. HERGER, pp. 46 s. 185 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli L’insolvabilité de l’employeur les empêchera, dans les faits, d’obtenir l’indemnisation à laquelle elles ou ils ont droit129. Les personnes bénéficiant des indemnités de l’assurance-chômage après la fin de leur contrat de travail bénéficient sur ce point d’un traitement préférentiel. L’art. 100 al. 2 LCA prévoit en effet que les deux alinéas de l’art. 71 LAMal s’appliquent par analogie. Cela signifie, d’une part, que la compagnie d’assurance est responsable d’informer par écrit la personne assurée sur la possibilité de passage dans l’assurance individuelle, et, d’autre part, qu’à défaut d’information, elle demeure dans le cercle des personnes assurées par le contrat collectif. Cette règlementation pose un certain nombre de difficultés en pratique130. En effet, les assurances collectives d’indemnités journalières sont conçues de manière à assurer une masse salariale, sans que la compagnie d’assurance ait nécessairement connaissance de l’identité des bénéficiaires, encore moins des mouvements au sein de l’entreprise. Il lui est ainsi difficile de délivrer par écrit l’information demandée131. En pratique, les conditions générales d’assurance prévoient souvent le transfert de cette obligation vers l’employeur. Certaines compagnies remettent à l’employeur des fiches d’information prérédigées, avec la consigne d’en remettre un exemplaire aux travailleuses et travailleurs qui quittent l’entreprise. La question de la responsabilité, dans une telle constellation, en cas de défaut d’information, ne fait pas l’objet d’une solution claire dans la jurisprudence, ni de propositions uniformes dans la doctrine. Dans les deux cas de figure (LAMal ou LCA), l’obligation d’informer porte aussi bien sur l’existence du droit de passer dans l’assurance individuelle que sur le délai dans lequel la demande doit être présentée. 2. Prestations de l’employeur en cas de résiliation du contrat Il arrive qu’à la fin des rapports de travail, l’employeur verse à la travailleuse ou au travailleur qui le quitte des prestations qui n’ont pas directement pour objectif de rémunérer les prestations de travail fournies. Il en va notamment ainsi de prestations volontaires de l’employeur qui souhaite, par exemple, remercier une collaboratrice ou un collaborateur de longue date, ou encore compenser un départ anticipé 132. Ces prestations peuvent avoir un impact sur les droits de la travailleuse ou du travailleur aux prestations de l’assurance-chômage et, indirectement, sur sa couverture LAA et LPP. 129 130 131 132 Pour une proposition de solution, cf. DUPONT, Conflits, pp. 196 s. Pour d’autres difficultés que le devoir d’information, cf. FUHRER, N 5.23. Cf. FUHRER, N 28.40 et 6.95 ss. Au sujet des montants versés en cas de résiliation abusive, injustifiée ou en temps inopportun, cf. infra III. 186 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies a) Répercussions sur les prestations de l’assurance-chômage Conformément à l’art. 11 al. 1 LACI, la perte de travail de la personne assurée qui s’annonce auprès de l’assurance-chômage ne peut être prise en considération, et donc donner droit à l’indemnité de chômage, que si elle se traduit par un manque à gagner. Si, à la fin des rapports de travail, celle-ci touche des montants afférents à la période postérieure à leur licenciement133, comme une indemnité pour résiliation anticipée consensuelle134, elle ne subit pas de perte de travail à prendre en considération aussi longtemps que l’indemnité perçue couvre l’équivalent du salaire. Les prestations volontaires de l’employeur135, qui font l’objet de l’art. 11a LACI, bénéficient d’un régime particulier. Elles n’empêchent d’admettre une perte de gain que dans la mesure où elles dépassent le gain assuré maximum dans l’assurance-chômage, soit CHF 148’200.-136. Les montants dépassant cette limite sont alors comptabilisés en compensation du salaire perdu, et privent la travailleuse ou le travailleur du droit aux indemnités de chômage tant et aussi longtemps qu’ils ne sont pas épuisés, compte tenu du salaire réalisé jusque-là137. Plus largement, tant et aussi longtemps qu’il existe un droit au salaire pour la période postérieure à la fin des rapports de travail138, il n’y a pas de perte de travail à prendre en considération au sens de l’art. 11 al. 1 LACI. b) Conséquences pour la couverture LAA Comme nous l’avons vu plus haut139, les travailleuses et les travailleurs salariés occupés en Suisse bénéficient d’une couverture contre les accidents qui les protège, en principe, aussi bien contre les conséquences d’un accident professionnel que d’un accident non professionnel (LAA). Cette couverture prend fin à l’échéance du 31e jour qui suit la fin du 133 134 135 136 137 138 139 Ce n’est pas le cas d’une rémunération destinée à compenser des heures supplémentaires ou des vacances non prises en nature (cf. art. 11 al. 4 LACI). A ce sujet, cf. ATF 145 V 188, c. 3.3. Sont réputées prestations volontaires de l’employeur les prestations allouées en cas de résiliation de rapports de travail régis par le droit privé ou par le droit public qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d’indemnités pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail (art. 10a de l’Ordonnance du 31 août 1983 sur l’assurance-chômage [OACI ; RS 837.02]). Art. 11a al. 2 cum 3 al. 2 LACI et 22 al. 1 OLAA. Pour davantage d’explications et des exemples chiffrés, voir la contribution de FRANÇOIS CHANSON, dans cet ouvrage, pp. 135 ss. A ce sujet, cf. infra III.B. Cf. supra II.A.3. 187 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli droit à un demi-salaire au moins140. Les personnes bénéficiant des indemnités de chômage bénéficient également d’une couverture par l’assurance-accidents141. Dans les deux hypothèses évoquées au début de ce chapitre142, les travailleuses et les travailleurs concernés voient leur droit au salaire prendre fin avec l’échéance des rapports de travail143. Si l’indemnité perçue, ou à tout le moins la part qui doit être prise en considération par l’assurance-chômage, excède l’équivalent d’un mois de salaire, leur couverture LAA en tant que personne salariée prendra fin après l’écoulement du délai de 31 jours, sans qu’une nouvelle couverture en tant que bénéficiaire des indemnités de chômage ne prenne le relai. Il peut ainsi en résulter une lacune de couverture. A défaut de couverture LAA, les travailleuses et les travailleurs concernés, victimes par hypothèse d’un accident avant de pouvoir bénéficier des indemnités de chômage, verraient les soins médicaux pris en charge par leur assurance-maladie (LAMal), ce qui impliquerait qu’ils devraient s’acquitter d’une participation aux coûts144. Conséquence plus grave, elles ou ils ne bénéficieraient d’aucune protection en cas d’incapacité de travail consécutive à l’accident. A notre sens, cette situation implique un devoir d’information, tant de la part de l’employeur que de l’assurance-accidents. En effet, une lacune de couverture peut, jusqu’à six mois à tout le moins, être évitée par le biais d’une prolongation conventionnelle de l’assurance145. Dans le sens où les prestations volontaires de l’employeur, ou bien les modalités d’une convention de départ, sont le plus souvent négociées individuellement, il est indispensable que la travailleuse ou le travailleur soit spécifiquement rendu attentif aux conséquences des prestations qu’elle ou il accepte pour sa couverture sociale. L’on peut également se demander si les organes de l’assurance-chômage qui détecteraient, à cet égard, un risque de lacune, n’ont pas également l’obligation de renseigner la personne qui s’annonce à eux. Nous pensons en l’espèce que cette obligation peut être déduite de l’art. 27 al. 1 LPGA146. Cette question pourrait cependant s’avérer exclusivement théorique, dans la mesure où la prolongation conventionnelle de la couverture LAA doit être convenue avant la fin des rapports de travail et où les personnes concernées s’annoncent souvent à l’assurance-chômage après cette échéance. 140 141 142 143 144 145 146 Art. 3 al. 2 LAA. Art. 1a al. 1 let. b LAA. Cf. II.B.2.a. Pour le cas d’une résiliation abusive, injustifiée ou en temps inopportun, cf. infra III. Rappelons que dans le cadre de la LAA, les indemnités versées en cas de résiliation des rapports de travail ne comptent pas comme salaire (art. 7 al. 2 let. a OLAA). Cf. art. 64 al. 2 et 5 LAMal. Art. 3 al. 3 LAA. Cf. supra II.A.3.b. Loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS 830.1). 188 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies III. Questions propres aux résiliations abusives, injustifiées ou en temps inopportun Si les questions que nous avons évoquées dans la partie précédente de cette contribution sont susceptibles de se poser quelle que soit les circonstances dans lesquelles les rapports de travail prennent fin, la résiliation abusive (A), injustifiée (B) ou donnée en temps inopportun (C) peut entraîner des complications additionnelles, en raison notamment de la qualification, par les assurances sociales, des indemnités versées dans ces différentes situations. A. En cas de résiliation abusive 1. Règlementation en droit privé du travail Lorsque le congé est donné pour un motif dénué d’un intérêt digne de protection, il peut être considéré comme abusif 147. L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère, de manière non exhaustive, huit motifs qui, s’ils sont à l’origine du licenciement, permettent de le considérer comme abusif 148. La partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l’autre une indemnité, qui est fixée par le juge en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce. Celle-ci sera ajoutée au salaire dû jusqu’à la fin des rapports de travail149. S’agissant de son montant, elle ne peut dépasser l’équivalent de six mois de salaire150. La partie qui entend demander une telle indemnité doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé151. Si l’opposition est valable et que les parties ne s’entendent pas pour maintenir le rapport de travail, la partie qui a reçu le congé peut faire valoir sa prétention à une indemnité. Elle doit agir par voie d’action en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, sous peine de péremption152. 147 148 149 150 151 152 DUNAND/LEMPEN/PAERDEMS, N 407 ss. COMM. CT-DUNAND, N 23 ss ad art. 336. COMM. CT-DUNAND, N 7 ad art. 336a ; DUNAND/LEMPEN/PAERDEMS, N 420. Art. 336a al. 1 et 2 CO. Par exception, le montant de l’indemnité prévue par l’art. 336a al. 3 CO ne peut excéder deux mois de salaire Art. 336b al. 1 CO. Art. 336b al. 2 CO. 189 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli 2. Nature de l’indemnité et conséquences pour les assurances sociales La finalité de l’indemnité prévue par l’art. 336a CO est double. Elle est à la fois punitive et réparatrice, dans ce sens qu’elle permet aussi de compenser l’atteinte résultant de la résiliation153. Sa nature est comparable à celle d’une peine conventionnelle154 et elle s’ajoute au salaire dû jusqu’à la fin des rapports de travail. Sous l’angle des assurances sociales, il s’agit de déterminer si elle est soumise à la perception de cotisations sociales. Une réponse positive reviendrait à lui reconnaître un caractère de salaire, ce qui pourrait avoir des effets en termes de durée de la couverture de certaines assurances sociales155. Le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence, a toujours considéré que cette indemnité n’était pas assimilable à un salaire provenant d’une activité lucrative156. Elle ne fait donc pas partie du salaire déterminant au sens de la LAVS et ne donne pas lieu à la perception de cotisations sociales157. La nature salariale faisant défaut à l’indemnité de l’art. 336a CO, elle n’a pas pour effet de rallonger le droit au salaire au sens de l’art. 3 al. 2 LAA158, de sorte que le délai de 31 jours au terme duquel la couverture d’assurance prend fin court bel et bien depuis le dernier jour des rapports de travail. La même solution s’impose pour la prévoyance professionnelle159. Elle n’empêche pas non plus la travailleuse ou le travailleur de sortir, à l’issue du dernier jour de travail, du cercle des personnes assurées dans le cadre d’une éventuelle police collective d’indemnités journalières en cas de maladie. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’un salaire afférent à la période postérieure à la résiliation des rapports de travail, elle ne doit pas empêcher de prendre en considération la perte de travail ouvrant le droit aux indemnités de chômage160. Sous l’angle du droit aux prestations, l’absence de nature salariale signifie que le montant de l’indemnité ne peut être pris en compte dans le calcul du droit aux prestations, qu’il 153 154 155 156 157 158 159 160 DUNAND/LEMPEN/PAERDEMS, N 420. ATF 123 III 391. DUC, p. 98. ATF 123 III 391, c. 3b ; ATF 123 V 5 ; TF 4A_571/2008 du 5 mars 2009, c. 5.1 ; TF 4A_310/2008 du 25 septembre 2008, c. 4. OFAS, Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, N 2097. COMM. CT-DUNAND, N 9 ad art. 336a ; DUNAND/LEMPEN/PAERDEMS, N 447. L’art. 7 al. 2 let. a OLAA le confirme. Cf. également DUC, p. 101. Cf. DUC, p. 102. Sur cette question, cf. supra II.B.2.a. 190 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies s’agisse des rentes de l’AVS ou de la LPP161, ou encore du montant des prestations en espèces de l’assurance-accidents ou de l’assurance-chômage. B. En cas de résiliation injustifiée 1. Règlementation en droit privé du travail L’art. 337c al. 1 CO prévoit que, lorsque l’employeur résilie immédiatement le contrat sans justes motifs, la travailleuse ou le travailleur a droit à ce qu’elle ou il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé. A la différence d’une résiliation abusive au sens des art. 336 ss CO, une résiliation immédiate du contrat, même injustifiée, met fin aux rapports de travail avec effet immédiat. Si la résiliation est justifiée parce que l’employeur peut se prévaloir de justes motifs162, la travailleuse ou le travailleur licencié n’a en principe droit à rien, sinon à son salaire jusqu’au dernier jour des rapports de travail. Si la résiliation est injustifiée, c’est-à-dire si l’employeur ne peut invoquer de justes motifs, elle ou il a droit à deux choses : premièrement, elle ou il peut exiger le paiement de son salaire jusqu’à l’échéance du délai de congé qui aurait dû être respecté163 ; deuxièmement, elle ou il a droit à une indemnité supplémentaire prévue par l’art. 337c al. 3 CO, dont le montant peut être fixé librement par le juge en tenant compte de toutes les circonstances, mais qui ne peut dépasser six mois de salaire. 2. Nature des indemnités et conséquences pour les assurances sociales a. Nature des rémunérations versées en application des art. 337c al. 1 et 3 CO La qualification de ces deux prestations sous l’angle du droit des assurances sociales est importante, et doit être faite de manière distincte pour chacune d’elle. S’agissant de la première, à savoir le droit à l’équivalent du salaire pendant la durée de congé découlant de l’art. 337c al. 1 CO, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) considère qu’elle est de nature salariale. En conséquence, elle est soumise à la perception des cotisations sociales à l’AVS/AI/APG et fait partie intégrante du salaire à prendre en 161 162 163 Le montant de l’indemnité ne doit ainsi pas être inscrit au compte individuel AVS de la personne assurée, ni pris en compte pour le calcul de la bonification de vieillesse LPP (cf. DUC, p. 102). Cf. art. 337b CO. Pour des exemples de justes motifs, cf. WYLER/HEINZER, pp. 724 ss. Art. 337c al. 1 CO. 191 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli considération au moment de fixer le droit aux prestations dans ces trois régimes d’assurance164. A l’inverse, l’indemnité supplémentaire versée en application de l’art. 337c al. 3 CO n’est pas considérée comme étant de nature salariale. A ce titre, elle échappe au prélèvement de cotisations sociales et ne fait pas partie du salaire déterminant pour le calcul des prestations165. b. Conséquences pour les autres assurances sociales La nature salariale de la rémunération versée en application de l’art. 337c al. 1 CO entraîne un certain nombre de questions pour les autres régimes d’assurance sociale que l’AVS, AI et APG. Assurance-accidents. Bien que l’art. 3 al. 2 LAA associe la fin de la couverture de l’assurance-accidents à la fin du droit au salaire166, la rémunération versée en application de l’art. 337c al. 1 CO, malgré sa nature salariale, ne permet pas de reporter la fin de la protection167. Elle est en effet assimilée aux « indemnités versées en cas de résiliation des rapports de travail » au sens de l’art. 7 al. 2 let. a OLAA et est, de ce fait, exclue de la notion de salaire déterminante dans le cadre de la LAA 168. Elle ne donne pas non plus lieu à la perception de primes169. En conséquence, le délai de 31 jours prévu par l’art. 3 al. 2 LAA commence à courir le lendemain de la date à laquelle le licenciement avec effet immédiat a été prononcé. Le fait que le licenciement soit, par la suite, qualifié d’injustifié et que l’employeur soit condamné à verser la rémunération prévue par l’art. 337c al. 1 CO n’y change rien. Si la travailleuse ou le travailleur concerné n’a pas prolongé conventionnellement la couverture ou ne retrouve pas immédiatement un autre emploi, il peut ainsi en résulter une lacune de couverture, même si l’intervention de l’assurancechômage peut réduire ce risque. Assurance-chômage. Comme nous l’avons vu plus haut170, le droit à l’indemnité de chômage suppose que la travailleuse ou le travailleur qui la sollicite n’ait pas droit à une rémunération de nature salariale pour la période postérieure à la fin des rapports de travail, ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail 171. 164 165 166 167 168 169 170 171 OFAS, Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, N 2097. Sur cette question, cf. supra III.A.2. Cf. supra II.A.3. HERGER, pp. 44 s. HERGER, pp. 31 s. HERGER, pp. 31 s. Moins affirmatif, STAUFFER, p. 531. Cf. supra II.B.2.a. Art. 11 al. 3 LACI. 192 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies L’indemnisation versée en application de l’art. 337c al. 1 CO fait ainsi obstacle au versement de l’indemnité de chômage172, contrairement à celle qui l’est en application de l’art. 337c al. 3 CO. En pratique, savoir si la résiliation du contrat de travail est justifiée ou non est malaisé et donne très souvent lieu à un débat judiciaire. Pendant cette période d’incertitude, dans la mesure où l’on ignore encore si la travailleuse ou le travailleur a droit à l’indemnisation prévue par l’art. 337c al. 1 CO et, donc, aux indemnités de chômage, l’art. 29 LACI prévoit la possibilité, pour la caisse de chômage, de verser les indemnités journalières ; elle est alors subrogée aux droits de la travailleuse ou du travailleur, selon un mécanisme que FRANÇOIS CHANSON a décrit de manière détaillée dans sa contribution à cet ouvrage173. Si, finalement, le licenciement s’avère injustifié, la caisse de chômage sera remboursée pour les indemnités avancées 174. Si, au contraire, il s’avère que l’employeur était légitimé à résilier le contrat de travail avec effet immédiat, les indemnités de chômage étaient effectivement dues depuis le premier jour de la perte de travail ; en revanche, la chômeuse ou le chômeur fera alors l’objet d’une sanction pour avoir fautivement provoqué son chômage175, sanction qui prendra la forme d’une suspension du droit à l’indemnité journalière176. L’art. 29 LACI ne s’applique toutefois que s’il existe « de sérieux doutes » quant au bien-fondé de la créance envers l’employeur, ou si le recouvrement de la créance est aléatoire, en raison de difficultés économiques ou du comportement de l’employeur177. En l’absence de doutes, la perte de travail ne sera pas prise en considération et le droit à l’indemnité de chômage sera nié178. Coordination entre l’assurance-chômage, l’assurance-accidents et la prévoyance professionnelle. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer179, la personne qui bénéficie des indemnités de chômage est assurée dans le cadre de l’assurance-accidents180, ainsi que dans le cadre de la prévoyance professionnelle obligatoire contre les risques 172 173 174 175 176 177 178 179 180 ATF 143 V 161, c. 3.2. Cf. pp. 135 ss. En pratique, les montants recouvrés par la caisse auprès de l’employeur sont convertis en indemnités journalières, qui sont ajoutées au nombre d’indemnités journalières auxquelles la personne assurée a droit (SECO, Bulletin LACI IC, C237. RUBIN, N 9 ad art. 29). Cf. art. 30 al. 1 let. a LACI cum 44 al. 1 let. a OACI. La durée de la suspension dépend de la gravité de la faute de la personne assurée (cf. art. 45 OACI. En cas de chômage fautif, la faute est en règle générale qualifiée de grave). En pratique, la caisse de chômage attend rarement l’issue du litige en droit du travail pour prononcer la sanction, pour éviter de se voir opposer le délai de péremption de six mois prévus par l’art. 30 al. 3 LACI. RUBIN, art. 11 N 26. RUBIN, art. 11 N 25. Cf. supra II.A.3.d. Art. 1a al. 1 let. b LAA. 193 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli invalidité et décès181. Cette couverture est également donnée si les prestations de l’assurance-chômage sont versées en application de l’art. 29 LACI, quelle que soit l’issue du litige en droit du travail ; elle est maintenue pendant la durée d’une éventuelle suspension des indemnités prononcée par la caisse de chômage 182. En revanche, si la caisse de chômage refuse d’avancer les prestations conformément à l’art. 29 LACI, motif pris qu’il n’existe pas, selon elle, de doutes sérieux quant à l’obligation de prester de l’employeur, la lacune de couverture est bien réelle. Prévoyance professionnelle. De la même manière que pour l’assurance-accidents, la résiliation avec effet immédiat provoque instantanément la fin des rapports de prévoyance183. En conséquence, la rémunération versée en application de l’art. 337c al. 1 CO ne donne pas lieu au paiement de cotisations à la prévoyance professionnelle, pas même dans le cadre de la prévoyance obligatoire184. En conséquence, la travailleuse ou le travailleur concerné verra le montant de sa prestation de libre passage réduit par rapport à ce qu’il aurait été en cas de résiliation ordinaire. Cette différence, qualifiée de « dommage LPP », correspond au montant total de la part patronale des cotisations épargne que l’employeur aurait payé jusqu’à l’échéance ordinaire des rapports de travail185. L’on considère que ce dommage est compensé par le biais de l’indemnité prévue à l’art. 337c al. 1 CO186. A notre sens, ce dommage devrait également s’étendre à la part employé des cotisations, dans la mesure où il n’est pas établi que celui-ci a pu affecter les montants perçus à des rachats, et où l’absence de ses propres cotisations diminue d’autant les intérêts rémunératoires. La question de savoir si, dans l’hypothèse où un cas d’assurance se réaliserait pendant la lacune de couverture, la travailleuse ou le travailleur, respectivement leurs ayants droit, disposeraient d’une action en responsabilité distincte contre son 181 182 183 184 185 186 Art. 1 al. 1 let. a de l’ordonnance du 3 mars 1997 sur la prévoyance professionnelle obligatoire des chômeurs. Art. 16 al. 4 LAA. Art. 2 al. 2 de l’Ordonnance du 3 mars 1997 sur la prévoyance professionnelle obligatoire des chômeurs. Art. 10 al. 2 let. b LPP. COMM. CT-GLOOR, N 15 ad art. 337c. COMM. CT-GLOOR, N 15 ad art. 337c. TF 4A_458/2018 du 29 janvier 2020, c. 6.2.1, et les nombreuses références de doctrine citées. TF 4A_458/2018 du 29 janvier 2020, c. 6.2.2. COMM. CT-GLOOR, N 15 ad art. 337c ; HERGER, p. 44 (et les nombreuses références citées en note 254). 194 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies employeur187, fondée sur les art. 97 ss CO, respectivement 41 ss CO 188, n’a à ce jour pas été tranchée par les tribunaux189. Perte de gain. Notons finalement qu’en matière d’assurance d’indemnités journalières en cas d’incapacité de travail consécutive à une maladie, la travailleuse ou le travailleur sort du cercle des personnes assurées au moment de la fin des rapports de travail, soit à la date du licenciement avec effet immédiat, indépendamment de la question de savoir si ce dernier est justifié ou non. Le fait qu’une prestation de nature salariale soit, dans cette seconde hypothèse, versée a posteriori n’y change rien. C. En cas de résiliation en temps inopportun 1. Règlementation en droit privé du travail Les art. 336c et 336d CO protègent les parties au contrat de travail contre toute résiliation qui serait donnée en temps inopportun190. Ainsi, l’employeur ne peut pas, après l’échéance du temps d’essai, résilier le contrat de son employée ou de son employé pendant certaines périodes durant lesquelles ceux-ci sont plus exposés. L’art. 336c al. 1 CO donne une liste exhaustive des situations offrant cette protection191. Si le congé est donné pendant une période de protection, ce dernier est considéré comme nul et il ne produit aucun effet192. S’il est donné avant qu’une telle période ne commence, sans pour autant que le délai de congé n’ait expiré auparavant, ce délai est suspendu et ne continue à courir qu’après la fin de la période de protection193. Cette dernière ne permet donc pas de faire indéfiniment obstacle à la fin des rapports de travail. Un congé notifié en temps inopportun ou avant le début d’une période de protection ne donne pas lieu, s’il n’est pas par ailleurs abusif 194, à une indemnisation spécifique, autre que le droit au salaire jusqu’au terme des rapports de travail. 187 188 189 190 191 192 193 194 Même si la prévoyance professionnelle doit intervenir parce que la personne assurée était au bénéfice des indemnités de chômage, elle peut, respectivement ses ayants droit peuvent subir un dommage car la prévoyance professionnelle des chômeurs se limite à la prévoyance obligatoire, dont les prestations sont inférieures à celle d’un plan plus étendu éventuellement souscrit par l’employeur. Les ayants droit ne sont en effet pas partie au contrat de travail et ne pourraient déduire de droit de la violation du contrat. HERGER, p. 44. DUNAND/LEMPEN/PAERDEMS, N 424 ss ; COMM. CT-AUBRY GIRARDIN, N 1 ss ad art. 336c. COMM. CT-AUBRY GIRARDIN, N 1 et N 19 ss ad art. 336c. Art. 336c al. 2 CO. Art. 336c al. 2 CO. Cf. supra III.A. 195 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli 2. Conséquences en matière d’assurances sociales D’une manière générale, la résiliation du contrat de travail en temps inopportun n’entraîne pas de conséquences particulières en matière d’assurances sociales. Si le licenciement est nul, la situation juridique de la travailleuse ou du travailleur n’est pas modifiée. Si le licenciement est valable, mais que le délai de congé est prolongé, sa situation juridique reste en principe la même jusqu’à la fin des rapports de travail. Il faut néanmoins prendre garde aux conséquences assécurologiques qui peuvent découler de la fin du droit au salaire intervenant pendant la durée du délai de congé prolongé. Si le droit au salaire prend fin, le délai de 31 jours prévu par l’art. 3 al. 2 LAA commence à courir et, à son terme, la travailleuse ou le travailleur concerné ne sera plus couvert par l’assurance-accidents, à moins d’avoir convenu avec l’assureur d’une prolongation conventionnelle195. Lorsque la couverture d’assurance ne dépend pas du droit au salaire, mais de l’existence d’un rapport de travail, ce qui est le cas dans la prévoyance professionnelle, elle est maintenue sans changement. Il doit également en aller ainsi dans l’assurance collective d’indemnités journalières, la travailleuse ou le travailleur ne quittant pas le cercle des personnes assurées aussi longtemps qu’elle ou il bénéficie d’un contrat de travail valable. IV. Conclusion Cette contribution a été l’occasion de souligner une fois encore l’étroite relation qui existe entre les rapports de travail et la couverture sociale. Du fait de cette relation, la fin des rapports de travail a nécessairement des effets sur les différents régimes d’assurance sociale. En cas de résiliation ordinaire des rapports de travail, ces effets sont relativement bien connus et identifiés, à tout le moins pour les employeurs. Ils ne le sont en revanche pas nécessairement pour les travailleuses et les travailleurs, qui doivent bénéficier d’une information complète et exacte, au moment pertinent. Le fait que l’obligation d’informer soit « dispatchée » entre les différents intervenants crée à cet égard un certain risque, tout comme l’absence de palliatif assécurologique en cas de violation par l’employeur de son obligation d’informer. La voie de la responsabilité contractuelle est, en pratique, un pisaller. En cas de résiliation abusive ou de résiliation injustifiée des rapports de travail, la qualification des montants que l’employeur peut se trouver devoir est également de nature 195 Cf. supra II.A.3.b. 196 Fin des rapports de travail et assurances sociales : questions choisies à entraîner des difficultés et, cas échéant, des lacunes de couverture dont il n’est pas certain qu’elles aient été envisagées et voulues par le législateur. Dans tous les cas, la protection sociale de la travailleuse ou du travailleur dont les rapports de travail prennent fin dépend sans doute un peu trop des informations qu’elle ou il recevra et des démarches individuelles qu’elle ou il entreprendra, à commencer par l’annonce à l’assurance-chômage. Si elle ou s’il y renonce, par exemple parce qu’elle ou il sait que le droit aux indemnités journalière ne lui sera pas ouvert en raison d’une période insuffisante de cotisation, le niveau de sa protection sociale sera difficile à maintenir, sauf si elle ou il retrouve rapidement un autre emploi. 197 Anne-Sylvie Dupont/Marco Meli Bibliographie AUER ANDREAS/MALINVERNI GIORGIO/HOTTELIER MICHEL, Droit constitutionnel suisse, Vol. II (Les droits fondamentaux), 3e éd., Berne 2013. DUC JEAN-LOUIS, Effets de la résiliation du contrat de travail dans le domaine des assurances sociales, in : Gabriel Aubert (édit.), Journée 1990 de droit du travail et de la sécurité sociale, Zurich 1990, pp. 89-109. 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