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Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif

2008, POLITIQUE, Revue de débat, n° 53, Bruxelles

Pour Frederic Jameson, le postmodernisme est la logique culturelle du capitalisme tardif. Pour lui, il s’agit de décoder sous ce vocable une véritable révolution culturelle, intrinsèquement liée non pas au dépassement – ou à l’affadissement – du capitalisme mais à la vitalité insolente du capitalisme du dernier quart de siècle. Son objectif théorique n’est ni d’être un avocat du concept de postmodernité, ni de le déconstruire. En le prenant «tel qu’il se manifeste» tant dans les productions culturelles que sur le plan théorique, il cherche à cerner ce moment historique où «marché et culture fusionnent».

            Le  postmodernisme  ou  la  logique   culturelle  du  capitalisme  tardif     1     Gabriel  Maissin               Il est paradoxal que l’un des plus grands succès littéraire et cinématographique de notre époque soit une série de romans magiques : les aventures du fameux Harry Potter. Le paradoxe ne tient pas à la qualité intrinsèque de cette œuvre, mais bien au fait qu’elle surgit dans une période qui a fait du «désenchantement du monde» sa catégorie centrale. De Marcel Gauchet à Francis Fukuyama, ils sont légion les auteurs qui nous annoncent que les temps sont mûrs pour regarder le monde sans les lunettes des idéologies et des «grands récits». Démocratie libérale et marché nous offrent le véritable génome de nos sociétés postmodernes, un décodage plus fin est en cours, mais l’essentiel est là. En France, François Lyotard forgeait dès 1979 les contours de cette condition postmoderne en nous invitant à prendre congé de la période ouverte par l’époque des Lumières 2. Après Auschwitz et le Goulag, la modernité (progrès, nation, sujet, œuvre, …) est délégitimée. La faillite des grands récits idéologiques clôture à la fois les comptes du passé et scellent toute projection dans l’avenir. Un temps nouveau, une sorte de présent éternel, s’installe avec en son centre l’insoutenable légèreté de l’individu postmoderne enfin débarrassé de tous les récits et appartenances. Ou plutôt invité à en changer aussi souvent que de chemises au gré de ces désirs et pulsions, à réduire ces grands récits à de micro histoires, et à se sentir enfin chez soi dans ce remue-ménage. 1 A propos de l’ouvrage de Frederic Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, 2007. Politique, Revue de débat, n° 53 février 2008 2 Fr. Lyotard, La condition postmoderne, Éditions de minuit, Paris, 1979. Cette notion de postmodernité a souvent été assimilée à une sorte de relativisme absolu, mettant toutes les opinions sur pied d’égalité, affirmant une impossibilité radicale de choix entre valeurs et à refusant de subsumer quelques différences que ce soit dans un universel. Or, si cette manifestation de la postmodernité ne doit pas être niée, elle risque aussi d’en banaliser la portée. Le postmoderne a une logique qui va bien au-delà de ce relativisme. Pour Frederic Jameson, le postmodernisme est la logique culturelle du capitalisme tardif3. Pour lui, il s’agit de décoder sous ce vocable une véritable révolution culturelle, intrinsèquement liée non pas au dépassement – ou à l’affadissement – du capitalisme mais à la vitalité insolente du capitalisme du dernier quart de siècle. Son objectif théorique n’est ni d’être un avocat du concept de postmodernité, ni de le déconstruire. En le prenant «tel qu’il se manifeste» tant dans les productions culturelles que sur le plan théorique, il cherche à cerner ce moment historique où «marché et culture fusionnent». La démarche de Jameson est particulière dans la mesure où son fil à plomb consiste à décrire et à analyser l’ensemble des phénomènes culturels qui succèdent à la modernité. Ce qui le conduit à privilégier une périodisation historique : le postmodernisme correspond à une étape du développement capitaliste, qualifié en référence explicite à Ernest Mandel4 de tardif, dont il en est l’expression sur le plan culturel. Formes  et  contenus   Il y a cependant une difficulté à se plonger dans l’ouvrage de Jameson. Celui-ci est avant tout un dossier constitué de diverses pièces et non un opus théorique classique. Certaines pièces sont des synthèses théoriques amples comme la première partie sur la logique culturelle du capitalisme5, d’autres sont des plongées dans un domaine particulier de la production culturelle : cinéma, architecture, vidéo. Ces études particulières lui permettent de cerner les mutations en cours par rapport à des notions comme l’espace, le temps, le réel, la nature… Mais, alors que la dispersion des études de cas aboutit souvent à un éclatement des interprétations, Jameson tente de maintenir «une totalité» d’interprétation qui doit en définitive nous laisse voir la postmodernité comme une seconde peau culturelle d’un système, «qu’il faut appeler par son nom» : le capitalisme6. 3 Frederic Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, 2007 4 E. Mandel, Le capitalisme du troisième âge, Paris, 1972, réédition 1999. Voir l’analyse dans le n° 42 de Politique (décembre 2005). www.politique.eu.org 5 Déjà publiée dans la New Left Review en 1984 6 «En ce sens le capitalisme a toujours été un drôle de mot – qui est autrement une appellation assez neutre pour un système économique et social sur les propriétés duquel tout le monde s’accorde – qui semble vous mettre dans une position vaguement critique et méfiante, voir carrément socialiste : il n’y a que les idéologues 2 S’interrogeant sur l’émergence et la généralisation de nouvelles formes de la production littéraire, médiatique ou architecturale, il souligne la fascination des postmodernes pour «ce paysage dégradé de la pacotille et du kitsch : la culture des séries TV et du Reader Digest, la publicité et les motels, les spectacles de second ordre et les films hollywoodiens de série B, la soi-disant paralittérature avec ses romans de gare […]». Cette fascination est le résultat de l’effacement de la vieille opposition (essentiellement moderniste) entre grande Culture et culture dite commerciale, la culture de masse. Pour schématiser, si les modernes7 critiquaient les contenus et les formes des produits de l’industrie culturelle émergente, les postmodernistes, eux, les «incorporent à leur substance même». Cette rupture dans le domaine de la critique n’est pas une simple affaire culturelle, elle coïncide aussi avec l’émergence de courants plus ambitieux en sociologie : ceux de la société postindustrielle. Alain Touraine en France et Daniel Bell8 aux États-Unis en sont les protagonistes les plus en vue. S’ouvre alors une période durant laquelle s’épanouissent toute une série de redéfinition du type de société : société de consommation, des médias, de l’information… La caractéristique essentielle de ces théories était de démontrer en quoi «cette nouvelle organisation sociale, à leur grand soulagement, n’obéit plus aux lois du capitalisme classique, à savoir, au primat de la production industrielle et à l’omniprésence de la lutte des classes». Or ces théorisations apparaissent au tournant des trente glorieuses, au moment où s’avance cette grande inversion de la crise économique de 1973. Ce qui a permis soit d’en nier virulemment la portée comme le fit une grande partie de la gauche marxiste, soit de s’en saisir pour élaborer progressivement ce qui apparaîtra comme le courant de la «troisième voie» qui sera réactualisé dans les années quatrevingt par Anthony Giddens9. Pour Jameson, cette périodisation n’est pas fortuite, il ne s’agit pas d’une simple «coïncidence» entre des expressions esthétiques, une réalité sociale et des théorisations diverses. Autrement dit, l’ensemble des formes culturelles propres à cette période n’est pas le simple reflet, l’illustration en quelque sorte, de mutations sociales et économiques. Elles n’accompagnent pas le capitalisme tardif comme son ombre, elles en sont un de droite et les bruyants apologistes du marché pour l’utiliser avec la même gourmandise». 7 Jameson évoque aussi bien des courants américains du New Criticism que l’École de Francfort avec des auteurs comme Adorno, Marcuse ou Habermas. 8 La société post-industrielle de Touraine paraît en 1969 et l’ouvrage de Bell en 1973. Déjà en 1960, celui-ci avait publié The end of Ideology. 9 Anthony Giddens, Capitalism and Modern Social Theory, date de 1971. 3 élément actif. Proactif même, si nous reprenons cette terminologie typiquement postmoderne. Il montre par exemple qu’à la période d’un capitalisme impérialiste du début du XXe siècle (celui qui partit à la conquête de la planète et qui avait pour base technologique l’extension de la machine et de sa puissance - du charbon au nucléaire) correspondait dans la production esthétique le «modernisme». Les projets architecturaux d’un Le Corbusier sont «comme des immenses structures utopiques qui voguent comme autant de paquebots sur le paysage urbain d’une ancienne terre déchue». On peut se représenter facilement cette fascination moderniste avec ces affiches de locomotives aérodynamiques vantant la rapidité des déplacements, les flèches architectoniques rappelant les ailes de l’avion ou la fusée, ou la définition de la ville comme «machine à habiter». Cet enthousiasme culturel que fut le modernisme se répandit à la fois parmi les partisans du capitalisme et parmi ses adversaires. Que l’on songe à l’avant-garde russe, avant la glaciation du réalisme stalinien, ou aux œuvres murales d’un Diego de Rivera. On peut aussi y ranger l’esthétique des premières années du fascisme italien avec les tenants du futurisme, comme Marinetti. Mais si le modernisme avait cette capacité de montrer, «il saute aux yeux que la technologie de notre propre moment ne possède plus cette aptitude à la représentation […] l’ordinateur, dont la coquille extérieure n’a de pouvoir ni emblématique ni visuel ou encore […] la télévision qui n’exprime plus rien, mais au contraire implose, engloutissant en lui-même sa surface aplatie d’images». A partir d’un exemple architectural, il décrit l’effet de désorientation produit par la visite de l’hôtel Bonaventure construit en 1977 à Los Angeles. Avec ces entrées dissimulées, les ascenseurs de verres qui traversent d’immense verrières, le lac artificiel interne, l’atrium remplit de banderoles, le dédale des boutiques et le bar panoramique tournant et d’où la ville produit les images d’elle-même, ce bâtiment peut être vu comme un archétype de la mutation postmoderne de l’espace : «cet inquiétant moment de disjonction entre le corps humain et son environnement bâti […] peut lui-même apparaître comme le symbole de l’incapacité pour nos esprits, du moins pour le moment, de dresser une carte de l’immense réseau de communication mondial, multinational et décentré dans lequel nous nous trouvons pris comme sujets individuels». La désorientation de la foule des visiteurs de ce bâtiment – où la fonction hôtelière est paradoxalement marginale et de piètre qualité – est somme toute comparable à la désorientation du citoyen contemporain incapable de comprendre et de se situer face à la mondialisation inéluctable de notre monde. Dans une autre perspective, la révolution culturelle du marché, qui se cristallise dans les années Thatcher, ne fut pas une simple critique de l’Etat-providence, de l’économie publique et de ses 4 dysfonctionnements. Il ne s’agissait pas de convaincre de la supériorité d’un système par rapport à un autre, de défendre un choix par rapport à un autre, mais de faire admettre qu’il n’y avait pas de solution en dehors du marché, tout en ne donnant pas à cette notion une véritable positivité. Même si le marché idéal – par définition – n’existe pas, mais que l’on peut s’en approcher par une sorte d’épuration continue : la limitation, puis la levée des règles et des contraintes qui l’entravent. Le marché comme slogan recouvre évidemment une grande variété de situations de marchés réels. Qualifier les économies émergentes de la Chine ou de l’Inde d’économies de marché demande de leur accorder des spécificités et une distance par rapport à ce que le slogan de «marché libre» veut définir. Constater que l’extension du mécanisme de concurrence inhérent au modèle théorique du marché s’accompagne tendanciellement de la concentration et de la constitution d’oligopoles est un des paradoxes majeurs de la libéralisation en cours du marché de l’énergie. Ensuite, la notion de marché n’arrive pas à épuiser la société, à se substituer à elle. Il est dans la réalité contemporaine encore et souvent la résultante de compromis, arrangements réciproques de groupes de pressions et d’intérêts particuliers, souvent sanctionnés par le pouvoir politique. Ce qui explique que même dans de nombreux pays capitalistes d’économie de marché, une pression politique persistante est maintenue par les courants néolibéraux et de la nouvelle droite qui fustigent ces entraves et veulent comme dans le cas du Berlusconisme et du Sarkozysme accélérer les «réformes» et dépasser les blocages archaïques. Noël  à  Dubaï  …   Enfin, fait remarquer Jameson «la rhétorique du marché fut sans doute conçue pour assurer un glissement et un déplacement de la conceptualité de la production vers celle de la consommation». Au cœur du marché postmoderne, il y a la liberté et le choix. Mais les deux termes ne sont pas équivalents. Si le choix est nécessaire pour asseoir le comportement rationnel de l’individu moderne, il a surtout pour but de le mettre face à ses responsabilités et aux conséquences de ces choix. Il sera demain clair que les papys boomers ne doivent pas se plaindre du faible niveau de leur retraite, s’ils n’ont pas fait le bon choix en matière d’assurance privée. La liberté est évidemment d’une autre nature puisqu’elle ne devrait pas systématiquement comporter cette sanction économique. On fera d’ailleurs remarquer que la dureté de ce type de raisonnement a amené dans la dernière période les défenseurs les plus acharnés des mécanismes marchands, comme les néoconservateurs américains, à promouvoir un capitalisme compassionnel. 5 Pourtant cette mise en avant de la consommation, basée sur le choix rationnel des individualités et leurs sobres calculs, entre également en conflit avec une autre donnée propre à la postmodernité que sont les formes les plus délirantes de consommation. En effet, ne peut-on passer un Noël féerique à Dubaï, sur une île artificielle entièrement réfrigérée, ou au sommet de la plus haute tour du monde et y visitant le nouveau musée du Louvre ? Le shopping n’est-il pas une des activités sociales la plus prisée, après la télévision. «Dans le postmoderne, c’est l’idée même de marché qui est consommé avec la plus prodigieuse satisfaction : un bonus ou un excédent du processus de marchandisation». Mais quels que soient les succès ainsi engrangés par l’idéologie du marché, nous ne sommes pas encore arrivés au cœur de l’affaire. Jameson nous propose alors de ne pas perdre de vue la version métaphysique la plus forte, la plus large, la plus invulnérable : celle «qui associe le marché et la nature humaine». En effet, il n’est pas inutile de rappeler que le prix Nobel d’économie a été attribué en 1992 à Gary Becker qui soutenait que «l’approche économique donne un cadre unifié précieux pour comprendre tous les comportements humains». Cette proposition contemporaine qui couronne l’édifice idéologique du marché est cependant présente dès les origines du libéralisme sous la forme de la main invisible, ce mécanisme interpersonnel, qui a la vertu de réguler les intérêts et d’endiguer les passions. La conclusion qui s’impose au terme de cette révolution culturelle est que «la rhétorique du marché a été une composante fondamentale et centrale dans cette lutte idéologique pour la légitimation ou déligitimation du discours de gauche. La reddition aux diverses formes de l’idéologie marchande – celle de la gauche - a été imperceptible mais, et de façon alarmante, générale». Le  produit  et  son  image…   La puissance du marché ne se manifeste pas seulement dans le domaine des conceptions politiques et des théories économiques. Elle trouve sa source dans une nouvelle symbiose née dans le domaine économique et dans la marchandisation généralisée de l’information et de la culture. C’est la symbiose qui s’est opérée progressivement mais totalement entre le marché et les médias (dans le sens le plus large et qui inclut aujourd’hui les nouveaux produits de la communication individuelle). La situation actuelle est bien différente de celle que nous connaissions : la publicité, la réclame venait s’ajouter à une série de signaux informatifs (reportages d’actualités, feuilletons, actualités…) comme une sorte d’appendice pour placer un produit commercial sans rapport. Aujourd’hui nous sommes face à une identification croissante du produit à son image (la 6 dictature des marques !) et la production de cette image du produit représente une part croissante des coûts, atteignant comme dans le cas des chaussures sportives jusqu’à représenter 90 % ! Cette identification du produit et de son image balaie non seulement le vieux monde de la publicité, pour lui substituer celui de la communication. Il y a aussi un effet plus général et profond qui «entraîne progressivement le remplacement de l’ancienne séparation entre la chose et son concept (l’économie et la culture, la base (économique) et la structure (idéologique) par une indifférenciation des niveaux». Il y a une série d’analogies qui s’installent entre les médias et le marché, pour soutenir la rhétorique sur le marché. C’est, rappelle Jameson, l’acquis précieux de Guy Debord, qui dans la Société du spectacle montre que l’image est la forme ultime de la réification de la marchandise, un mode contemporain de son existence. La marchandise se doit d’exister d’abord sous forme d’image et toute image tend à devenir marchandise. Cette inversion influence directement les médias, «les processus mêmes de divertissement et de narration, de la télévision sont à leur tour réifiés et transformés en produits». Le récit par épisodes, avec ses séquences temporelles et ses ruptures qui permettent de le vendre aux annonceurs. Plus fondamentalement, cette mutation du langage télévisuel aboutit à lever la distinction fiction/réalité. Le documentaire, le reportage contiennent de plus en plus souvent une part de fiction. La fiction tend à mimer de plus en plus souvent la réalité, comme dans ses films télévisés américains où le générique de fin indique ce que sont devenus les personnages bien après la période narrée. À partir du moment où ce phénomène est produit massivement par l’ensemble des médias, il aboutit selon Jameson à «une profonde modification de la sphère publique». L’image devient «un nouveau domaine de la réalité». Lorsque le phénomène est enfin étendu à l’information elle-même, lorsque les journaux télévisés sont construits comme des feuilletons et l’analyse remplacée par le docufiction, la boucle est bouclée. Ouvrage touffu, riche qui témoigne de l’ampleur de la culture de l’auteur mais qui ne se laisse pas lire facilement tant celui-ci pratique l’art de la digression et de l’incise. Et puis il y a cette redoutable tension dialectique entre le cas particulier et la totalité qui demande à être apprivoisée. En tout état de cause, Jameson a réussi à nous faire percevoir la logique culturelle d’un capitalisme tardif, qui loin de s’épuiser attend encore son heure de vérité. Cette logique culturelle n’est plus seulement le déguisement idéologique d’un système économique qui ne veut pas dire son nom. Elle est devenue elle-même constituante de la sphère du marché. Outre que la transformation des représentations, des images, de l’information, du savoir et des œuvres culturelles en 7 marchandises permet une extension des domaines de l’accumulation, cette transformation nous donne le sentiment – à la vue de notre expérience quotidienne – qu’aucune rupture n’est plus possible. À cet égard, le mérite principal de «l’économie de marché» est d’avoir fait en sorte qu’il n’y ait plus de projets possibles10 en dehors du maintien de sa propre existence. Dans ce sens, le «There is no alternative» de Madame Thatcher était à la fois un cri de guerre et une synthèse percutante de l’état du monde. Un quart de siècle plus tard, le même slogan apparaîtra comme un communiqué de victoire. Jusqu’à quand ? Gabriel  Maissin       Frederic  Jameson   Né en 1934, il est actuellement professeur à la Duke University (Caroline du Nord, USA). Après des études universitaires et un détour par Berlin et Aix-en-Provence, il publie en 1961 sa thèse de doctorat : «Sartre : les origines d’un style». Il enseignera ensuite au début des années soixante à l’université d’Harvard. En 1967, il sera nommé professeur à l’Université de Californie à San Diego. Jameson est considéré comme un des protagonistes majeurs des «Cultural Studies» aux États-Unis, ce type d’approche au croissement entre la philosophie, la linguistique et la critique littéraire. Son travail (une vingtaine d’ouvrages) se portera sur des auteurs tels qu’Ernest Bloch, Gyorgy Luckas, Theodor Adorno, Walter Benjamin, Herbert Marcuse et Sartre. Son premier ouvrage, non traduit, porte sur les théories littéraires du XXe siècle : Marxism and Form : Twentieth Century Dialectical Theories of literature. L’autre caractéristique du travail de Jameson est de situer ses recherches dans le cadre d’une théorie marxiste. Il considère qu’il est nécessaire d’articuler la pertinence d’une approche marxiste avec les tendances de la philosophie et de la littérature contemporaine. Le résultat sera une critique culturelle du capitalisme diamétralement opposée à la vulgate marxiste-léniniste qui ne voit dans les «superstructures» culturelles que le produit complètement détermine par la «base» économique. Son approche – qu’il définit lui-même par cette injonction «allways historicize» (toujours historiciser) – constitue une véritable histoire de la colonisation de la culture par le capitalisme contemporain. Les trois ouvrages qui viennent, enfin d’être traduits, sont le résultat de cette approche :  Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Éditions des Beaux-arts de Paris, 2007. (Première édition américaine, 1991)  La totalité comme complot, Éditions les Prairies ordinaires, 2007.  Archéologies du futur, le désir nommé utopie, Max Milo, 2007. 10 L’archéologie du futur, second ouvrage qui vient d’être traduit, traite de la signification de l’utopie comme une façon de penser la différence radicale, composante et moment nécessaire pour le changement. 8