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L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique

2024, La Chaîne d'Unbion

Le dernier Livre du canon du « nouveau testament » chrétien est généralement dénommé, en français, « Apocalypse de Jean ». Il jouit d'une renommée certaine mais, outre la délectation que manifeste l'auteur à décrire des horreurs, son idéologie n'est guère en cohérence avec les idéaux humanistes. Certains extrémistes s'en sont d'ailleurs emparés pour fonder des idéologies à vocation totalitaire. L'article essaie de démonter le mythe et de mettre en évidence les dérives dont il est porteur.

Chaîne d’Union L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique Jean-Marc Berlioux Le dernier Livre du canon du « nouveau testament » chrétien est généralement dénommé, en français, « Apocalypse de Jean »1. On pourrait s’interroger sur l’intérêt d’étudier un texte religieux vieux d’une vingtaine de siècles, alors que tant de choses se sont passées depuis et que tant de problèmes se posent à nous aujourd’hui. Il nous semble que l’intérêt est double. Le premier est que les mythes religieux sont largement présents dans l’imaginaire de nos civilisations, même si nous les considérons parfois consciemment comme dépassés et poussiéreux. Certains peuvent constituer des véhicules féconds pour une pensée libre, d’autres peuvent être construits plutôt pour combattre la liberté humaine. Les éclairer à la lumière de la critique permet de mieux les comprendre et, pour les mythes liberticides, de réduire leur impact potentiel inconscient sur notre pensée. Le deuxième intérêt réside dans une meilleure prise en compte de leur impact social et politique. A de nombreuses époques, des groupes humains se sont appuyés sur des textes dits « sacrés » pour bâtir des politiques, des sociétés, des lois, généralement répressives, ou pour lancer des guerres ou des massacres. Or aujourd’hui s’est développé aux Etats Unis, un courant très puissant d’extrémistes religieux chrétiens. On les dénomme généralement « Chrétiens évangéliques ». Certains de ces Evangéliques ont bâti une idéologie politique, visant explicitement à la domination de la totalité de la vie humaine par la loi religieuse. Une bonne partie d’entre eux s’intéresse fortement à la « fin des temps ». Leurs textes de référence se situent dans différents livres de la Bible hébraïque et du nouveau testament. Mais au premier rang de ces livres figure l’Apocalypse de Jean2. Qu’est-ce que l’Apocalypse de Jean de Patmos ? L’Apocalypse se présente comme une prophétie sur la fin des temps3. Le sens étymologique est « révélation », « dévoilement »4. Mais ce texte met en scène tellement de catastrophes que le sens même du terme « Apocalypse » en a été transformé. L’inclusion de ce texte dans le canon chrétien a été très controversée. Il n’a été intégré au canon des églises latines qu’assez tardivement, au IVème siècle. En Orient, son adoption a même été beaucoup plus récente. 1 En occident, le canon des écritures chrétiennes a été fixé au concile de Carthage en 397 1., et confirmé au Concile de Trente (1546). Il comprend 27 livres qu’on peut répartir en quatre classes: • Quatre évangiles, dont trois (Marc, Luc et Mathieu) ont une structure proche et un (Jean) assez différent des trois autres • Des lettres ou Epitres, adressés par des leaders chrétiens à des communautés • Un texte à vocation historique, les Actes des apôtres • L’Apocalypse.. 2 Pour accéder au texte de l’Apocalypse, nous avons utilisé principalement la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB) incluant les notes intégrales (Editions du Cerf, Paris, 2011) et la traduction d’André Chouraqui (André Chouraqui est un bibliste francoisraélien éminent. Il est l’auteur de traductions de la Bible hébraïque, du « Nouveau Testament » chrétien et du Coran. Il cherche à conserver au maximum, dans ses traductions, la « saveur » de la langue originelle du texte). Nous avons aussi utilisé, ponctuellement, ou pour des vérifications, le site Lexilogos (https://www.lexilogos.com/bible.htm), qui donne accès à de nombreuses traductions et ouvrages. 3 Le terme technique qualifiant les textes appartenant à ce genre littéraire est « eschatologique ». 4 En anglais, le texte intitulé en français « Apocalypse de Jean » porte d’ailleurs souvent le nom de « Revelation » 23/11/6021 1/6 Chaîne d’Union L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique Pour produire ce texte, Jean de Patmos s’est manifestement inspiré de différents textes de la tradition biblique, notamment des Livres d’ Ezéchiel et de Daniel5. La paternité du texte est revendiquée, dans le texte lui-même, par un dénommé Jean. En réalité, on ne sait pas précisément si ce texte a écrit d’un seul jet ou constitué à partir d’écrits distincts, produits par un ou plusieurs auteurs différents et/ou datant de différentes époques6. Dans la suite, pour simplifier l’expression, nous désignerons sous le nom générique « Jean de Patmos » l’auteur unique ou l’ensemble des auteurs du texte. Selon la plupart des exégètes, il est vraisemblable que ce texte a été écrit à la fin du premier siècle, sans doute au début des années 90, pendant le règne de l’empereur Domitien. C’était déjà la datation défendue par Irénée de Lyon, au IIe siècle. Mais l’absence de référence explicite à la destruction du Temple de Jérusalem pourrait faire envisager une date antérieure à 70. André Chouraqui évoque une plage de temps située entre les règnes de Claude (41-54) et de Trajan (98-117). L’Apocalypse pourrait donc être un instrument théologico-politique destiné à remobiliser les judéochrétiens contre la puissance occupante, à la fin du premier siècle. Et Jean y aurait laissé libre court à sa haine pour Rome, et pour tout ce qui était extérieur à sa communauté. Selon une autre hypothèse, pas nécessairement contradictoire avec la première, ce texte pourrait être constitué, au moins en partie, par des transcriptions de rêves7. On pourrait même envisager que l’auteur ait abusé de produits psychotropes8. La structure du texte La structure de ce texte est un peu paradoxale : certaines parties ont une organisation très rigoureuse, quand d’autres se présentent comme assez « échevelées » et foisonnantes. Il y a plusieurs façons de structurer le texte9. Nous vous en proposons une qui nous semble assez représentative : • • • • • • Un prologue (de 1,1 à 1,8) Une vision inaugurale (le reste de 1) Des diagnostics (on pourrait presque parler aujourd’hui d’« audits ») sur sept communautés d’Asie Mineure, avec émission de recommandations (2 et 3) deux séquences de malédiction ou de destruction, scandées par 7 ouvertures de sceaux, et 7 sonneries de trompettes, une séquence d’images plus ou moins oniriques et de prédictions politiques Une troisième séquence de destruction scandée par 7 renversements de coupes D’autres textes présentant des ressemblances avec l’Apocalypse de Jean sont restés apocryphes, c’est-à-dire non inclus dans le canon chrétien. 6 L’auteur (ou peut-être l’auteur principal) de l’Apocalypse est-il le même que celui de l’Evangile de Jean ? Les grandes figures du Christianisme primitif étaient partagées sur la question. Aujourd’hui, nombre de commentateurs considèrent que c’est peu probable. 7 Selon les traditions moyen orientales antiques, et notamment la tradition biblique, la révélation par le rêve est une des grandes méthodes utilisées par Dieu pour parler aux prophètes. D’ailleurs, c’est bien ce que remarque Moïse Maïmonide dans le Guide des égarés aux chapitres 42-45 de la deuxième partie. 8 Des archéologues israéliens ont récemment identifié des traces de cannabinoïdes (THC, CBD et CBN) sur un des deux autels du sanctuaire central de Tel Arad. Ce sanctuaire, actif de 760 à 715 avant notre ère, a été fouillé de 1962 à 1967. Des avancées technologiques ont permis, en 2020, de repérer des substances hallucinogènes qui, au même titre que l’encens et mélangées à des graisses animales, étaient brûlées au cours de cérémonies rituelles. 9 Jean-Pierre Prévost (Pour Lire l’Apocalypse, Cerf 2006) propose une structuration intéressante. Une autre démarche intéressante a été proposée par Alfred Läpple à partir des mots charnières présents dans le texte. 5 23/11/6021 2/6 Chaîne d’Union • • L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique la lutte contre le diable débouchant, après des péripéties, sur la victoire finale de Jésus Christ et l’apparition de la Jérusalem nouvelle (de 17 à 21) Enfin, la conclusion qui comprend une exhortation à préserver l’intégrité du texte, c’est-à-dire à ne rien lui rajouter ni retrancher. Un texte à l’opposé des valeurs maçonniques L’Apocalypse n’est pas un texte de sagesse ou d’enseignement. Elle constitue plutôt une longue imprécation, associée à une sorte de délectation à décrire des destructions, des meurtres et des souffrances10. Elle annonce que le retour sur terre du Christ, qui est évidemment souhaité par les Chrétiens, ne sera possible qu’après la survenue d’une série de catastrophes. Elle fait preuve d’une intolérance absolue. Ainsi, elle voue au supplice tous ceux qui ne seraient pas reconnus par Jean comme parfaitement fidèles à sa pensée religieuse personnelle. Son exaltation extrême et le goût du saccage et du sang11 qui l’habite me paraissent être à l’opposé des valeurs de sérénité et de philanthropie qui participent de la démarche Maçonnique. Les auteurs de rituels de certains degrés du REAA ont tout de même tenté reprendre certains des symboles les moins violents présents dans le texte12. La Jérusalem céleste : une belle image porteuse d’une idéologie dangereuse La fin de l’Apocalypse met en scène une très belle ville descendant du ciel, la « Jérusalem céleste ». L’expression est très séduisante et beaucoup de lecteurs se sont laissé séduire par le terme, sans en comprendre les implications13. Essayons donc de décrypter l’idéologie qui se cache derrière la belle image. La Jérusalem céleste décrit tout simplement une théocratie totalitaire. Prenons un exemple significatif : cette nouvelle ville ne comporte pas de Temple14. Dieu est partout et, de ce fait, la ville toute entière est un Temple. Or la grande majorité des civilisations a tenu à construire des Temples, c’est-à-dire des lieux où est censée résider la Divinité. Certes, les dieux ont, en général, la faculté de se déplacer au dehors des temples mais ils sont plus « chez eux » dans leur temple, et parfois dans une partie des Temples15. Et donc, hors des Temples, la pression divine devrait être moins forte, et les humains devraient bénéficier d’un peu plus de liberté. Dans la plupart des cités, les domaines respectifs de Dieu et des hommes apparaissent donc comme en partie séparés. Dans la Jérusalem céleste, du fait de l’absence de temple, cette séparation n’existe pas. Dieu est partout, Quand on compare l’Apocalypse à d’autres évocations bibliques de destructions massives, la démesure du texte apparait clairement. En Genèse 19,24-28, la destruction de Sodome et Gomorrhe est bouclée en 5 versets. Pour le déluge en Genèse 6, 11-24, le volume de texte est certes un peu plus important : 15 versets. Mais cela reste très succinct par rapport à l’Apocalypse. 11 Le passage 14, 14-20 évoque la moisson et la vendange de la terre. L’épisode de la vendange est particulièrement sanglant : « L’ange […] jeta la vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu. On foula la cuve hors de la cité, et de la cuve sortit du sang qui monta jusqu’au mors des chevaux sur une étendue de mille six cents stades. ». Un calcul rapide montre que ce volume de sang correspond à celui d’un nombre d’humains compris entre 1 et 2 milliards. Or la population humaine de l’époque ne comprend probablement, au total, que quelques centaines de millions d’individus… 12 Gageons que la tâche n’a pas dû être très facile et que ces auteurs ont dû faire preuve d’un grand discernement, pour ne sélectionner que les symboles les moins alignés avec le ton général du texte. 13 Un peu comme, à l’époque stalinienne, des militants français ont pu se laisser séduire par l’expression « les lendemains qui chantent ». 14 « 22 Mais de temple, je n’en vis point dans la cité, car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu souverain, ainsi que l’agneau. » 15 Par exemple, l’arche d’Alliance dans le tabernacle pendant l’exode des Hébreux, le Saint des saints du temple de Jérusalem, le tabernacle qui contient l’hostie dans les églises catholiques. 10 23/11/6021 3/6 Chaîne d’Union L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique tout le temps et il encadre la totalité de la vie des habitants. De plus, tous sont obligatoirement des fidèles confirmés16. Les autres sont tous morts ou condamnés à rôtir dans l’ « étang de feu et de soufre ». En effet, le texte n’a aucune pitié pour ceux qui revendiqueraient un minimum de liberté de conscience. Au chapitre 2117, il promet de jeter dans « l’étang embrasé de feu et de soufre », entre autres, les « incrédules », les « idolâtres », les « menteurs ». C’est-à-dire tous ceux qui s’écartent de l’orthodoxie stricte fixée par Jean. Tous les athées, bien sûr (en tant qu’incrédules), les croyants non-chrétiens (considérés comme des idolâtres), mais aussi probablement tous les chrétiens jugés non conformes par Jean (des menteurs puisqu’ils se proclament chrétiens alors qu’ils ne le sont pas, selon les critères de Jean). Pour des Francs-Maçons en général, qui se refusent à imposer une appartenance religieuse particulière, cette intolérance absolue est en complète opposition avec leurs principes moraux. C’est encore plus vrai pour des Francs-Maçons du Grand Orient de France, qui attachent une importance fondamentale à la liberté de conscience. Autant vous dire que, pour les adeptes actuels des thèses de l’Apocalypse, la très grande majorité des Francs-Maçons, et sans doute la totalité des membres du GODF, sont voués à bruler dans « l’étang embrasé de feu et de soufre »… Les figures et symboles de l’Apocalypse de Jean Ce livre aligne une foule exubérante de figures, personnages, symboles, allégories, qu’il est impossible de résumer. Nous nous contenterons de donner quelques indications très partielles. Parmi les septénaires, il y a trois séquences de sept événements porteurs de destruction18 : • • • Les sept sceaux : un livre est scellé de 7 sceaux. Chaque fois que l’agneau ouvre un sceau, des destructions se produisent. Les quatre premiers sceaux font apparaître les 4 cavaliers de l’Apocalypse. Les sept trompettes ou shophars : chaque fois que retentit une sonnerie, des destructions se produisent. Les sept coupes : chaque fois qu’un ange renverse une coupe, des destructions se produisent. Parmi les personnages individuels, on peut citer : • • Les deux bêtes (chapitre 13) : une première bête à sept têtes a reçu sa puissance du dragon (donc de Satan). Elle commande à « toute tribu, peuple, langue, nation ». Une seconde bête montée de la terre est au service de la première.19. Elle oblige les hommes à se prosterner devant l’image de la première. Elles sont combattues et tuées par un cavalier dont il est dit qu’ « une épée sort de sa bouche ». L’agneau : quelquefois présenté comme égorgé, il est censé symboliser Jésus. Cette métaphore est très présente dans l’Apocalypse, alors qu’elle est absente des Evangiles20. 27Il n’y entrera nulle souillure […] mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le livre de vie de l’agneau. Traduction TOB : « Quant aux lâches, aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans l’étang embrasé de feu et de soufre : c’est la seconde mort. » 18 En quasi-totalité. 19 Différentes interprétations sont envisageables pour les croyants : • Tous les événements décrits se sont déjà produits dans le passé (interprétation « prétériste »), avec des variantes dans l’identification des bêtes : o Soit la première bête est Rome et la seconde l’empereur o Soit la première bête est l’empereur et la seconde son général en chef ou représentant dans la région (par exemple Vespasien pour la première bête et Titus pour la seconde). • Les événements décrits sont symboliques et n’« ont pas spécifiquement de référent historique » (Gagné, p. 125). c’est l’interprétation « idéaliste » • Les événements décrits doivent se produire, au moins en partie, dans le futur (interprétation « futuriste » ou « prétérisme partiel » ou sont en train de se produire actuellement. C’est ce type d’interprétation qui est le plus souvent adopté par les Evangéliques, qui considèrent majoritairement que nous vivons actuellement la fin des temps. 20 On en trouve bien deux occurrences dans l’Evangile de Jean, mais sous forme de citations de Jean le Baptiste : Jean 16 17 23/11/6021 4/6 Chaîne d’Union L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique Les nombres Dans le canon chrétien, l’Apocalypse est, de loin, le texte qui comporte le plus de nombres. Certes, il retrouve la vive appétence pour les nombres déjà présente dans le « Livre des nombres », le quatrième livre de la Torah. Mais cela pourrait tout de même laisser penser que l’auteur avait un caractère quelque peu obsessionnel en ce qui concerne les nombres. Arrêtons-nous simplement sur le nombre 666 : c’est, en 13,18 le « chiffre de la bête ». « C’est ici qu’il faut de la finesse » commente Jean au début du verset 18, sous-entendu pour comprendre le sens caché. Compte tenu de l’intensité de la malédiction politique portée par l’Apocalypse, Jean préfère utiliser, par prudence, un langage codé. En effet, traiter l’empereur de bête malfaisante avait toutes les chances de conduire l’auteur du texte au supplice. Le 666 est, selon Jean, «un chiffre d’homme », c’est-à-dire qu’il désigne probablement un grand personnage romain. En utilisant un code bien choisi, Jean transmettrait un message qui aurait toutes les chances de rester obscur aux Romains, mais qui serait facilement compris par les destinataires du texte21. Le problème, c’est qu’aucun de ces destinataires, même aux premiers siècles du Christianisme (où les gens avaient en principe un environnement culturel équivalent à celui de Jean), n’a pu présenter une interprétation convaincante. Ainsi, Jean a manifestement échoué dans son entreprise de stigmatisation d’un de ses ennemis majeurs : nous ne savons toujours pas de qui il s’agit et nous ne le saurons sans doute jamais. Soit Jean s’est trompé dans ses calculs, ce qui ne serait pas impossible, vue l’exaltation extrême qu’il manifeste dans son écrit. Soit son exaltation lui a fait choisir un code tellement complexe qu’il perdait tout intérêt du point de vue de la diffusion de sa pensée. Les dimensions idéologiques et politiques de l’Apocalypse de Jean A l’évidence le message porté par le texte de l’apocalypse dépasse le fait religieux. D’une certaine façon il apporte une caution religieuse un peu fumeuse à un engagement politique bien réel, la résistance à Rome. Il existe de nos jours un exemple tout à fait extraordinaire de cette utilisation abusive des textes religieux, et notamment de l’Apocalypse22. Elle concerne le courant des Chrétiens protestants évangéliques américains. Pour eux, l’Apocalypse est censée décrire la fin des temps, qui débouchera sur le retour de Jésus-Christ sur terre. Comme ce retour est pour eux l’évènement le plus désirable au monde, ils acceptent sans état d’âme les conditions nécessaires à ce retour, à savoir les violences décrites dans le texte. Quelques chiffres pour donner une idée de l’importance politique du phénomène : les protestants évangéliques représenteraient de l’ordre de 25 à 30% de la population américaine. La galaxie des protestants évangéliques américains, représenterait 45000 églises distinctes23. Ce mouvement revendique hautement sa volonté d’influencer fortement la société24. A la lecture de leurs sites internet, on constate même que le projet de ces églises a une dimension clairement totalitaire. l’Evangéliste ne reprend jamais cette métaphore à son propre compte. 21 Les caractères alphabétiques hébreux ont aussi une valeur numérique. Passer d’un mot à un nombre est donc une pratique relativement naturelle dans la tradition juive, déjà à cette époque. 22 Pour cette partie, nous nous sommes appuyés sur l’étude de différents sites évangéliques américains, et sur deux ouvrages : le livre de Célia Belin, Jésus est juif en Amérique, Fayard, Paris, 2011 (qui est tiré de sa thèse de science politique), et celui d’André Gagné : Ces Evangéliques derrière Trump, Labor et Fides, Genève, 2020. 23 Selon la National Association of Evangelicals (https://www.nae.org/) 24 Voir http://dominionfilm.reelxpozure.com/what-is-dominionism 23/11/6021 5/6 Chaîne d’Union L'Apocalypse de Jean : Imprécation et politique Le peuple juif et la fin des temps Nombre d’Evangéliques considèrent qu’il existe un préalable à la venue du Christ : pour le théologien évangélique John Nelson Darby (1800-1882), le retour du peuple juif en Palestine est un prélude aux événements de la fin des temps. Il faudrait même attendre que l’Etat d’Israël soit restauré sur un territoire suffisant, incluant généralement la Cisjordanie, pour que la fin des temps puisse se déclencher. Certes, la dernière étape du processus ne serait pas particulièrement favorable aux Juifs. En effet, ceux-ci seraient destinés à être damnés, sauf bien entendu ceux qui se convertiraient au Christianisme évangélique. Mais, en attendant, conformément à leur interprétation des écritures, l’intérêt bien compris des Chrétiens consisterait à aider l’Etat d’Israël à annexer le plus vite possible, et par tous les moyens, les territoires palestiniens. Dans la perspective évangélique, le risque d’une guerre ne pose pas de problème, bien au contraire25. Le déclenchement d’un conflit majeur au Moyen Orient pourrait donc être tout simplement le signe (très bénéfique de leur point de vue) que la fin des temps est en cours et donc que le Christ va revenir prochainement. Une partie des personnes d’origine ou de religion juives aux Etats-Unis se méfient sérieusement des Évangéliques. En effet, une bonne partie de la communauté juive américaine est de tradition libérale et urbaine. Or les Evangéliques sont souvent très conservateurs, très étroits d’esprit sur les questions sociales et leur soutien à Israël n’est pas incompatible avec un fond d’antisémitisme. Les protestants évangéliques ont soutenu et soutiennent massivement l’ancien président Donald J. Trump. Ils ont joué un rôle considérable dans l’élection présidentielle américaine de 201626°. Ils l’ont aidé à prendre le contrôle du parti républicain, et 81% d’entre eux ont voté pour lui. Conclusion Le texte de l’Apocalypse manifeste essentiellement la violence, la rage et la rancœur de son auteur envers Rome, mais aussi son intolérance absolue. L’analyse de ce texte et de ses effets politiques montre que certains textes dits sacrés sont tout sauf anodins du point de vue politique. Ils pourraient servir (ou servent déjà) à justifier les actions d’extrémistes religieux. L’Apocalypse bénéficie auprès de certains d’une aura totalement injustifiée. Le principal contresens concerne l’image de la « Jérusalem céleste », souvent imaginée comme une sorte de paradis retrouvé, et qui est définie dans le texte comme une théocratie totalitaire et violemment intolérante. Il nous semble que le Franc-Maçon doit donc rester vigilant face à de tels textes, et être prêt à combattre les utilisations haineuses, déstabilisatrices, meurtrières ou politiquement dangereuses qui peuvent en être faites, ou qui en sont déjà faites. Par exemple au verset 16, 14. « Oui, ce sont les souffles des démons, faiseurs de signes; ils vont vers les rois de tout l’univers, pour les rassembler pour la guerre au grand jour d’Elohîms Sebaot. » 26 André Gagné Op cit. p.10 25 23/11/6021 6/6