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Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien

2023, Kadmos 62(1/2): 161–191

Kadmos 2023; 62(1/2): 161–191 Sylvain Patri* Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien https://doi.org/10.1515/kadmos-2023-0008 Résumé: Les réalisations des voyelles nasales ayant un statut de phonème imposent certaines propriétés à leur entourage tout en connaissant des variations de leur degré de hauteur; par contraste, les voyelles nasalisées recoivent leur propriétés de leur entourage ne varient pas selon la hauteur. L’émergence de voyelles distinctivement nasales en lycien résulte d’un conditionnement pour partie segmental (co-articulation), pour partie syllabique (élimination des codas). Mot-clefs: Lycien, phonétique, phonologie, syllabicité, voyelles nasales, nasalisation, hauteur des voyelles, voisement des plosives, clitiques. 1 Introduction Dans l’histoire des alphabets, l’écriture du lycien semble être la première à avoir affecté des signes particuliers à la représentation de voyelles nasales translittérées, depuis Thurneysen (1899), ã et ẽ. Le dessin de ces lettres est complètement différent de celui des autres voyelles orales, notamment de celles qui sont translittérées a et e, tout comme il n’a rien en commun avec celui des consonnes nasales m, m̃, n et ñ. La représentation graphique des voyelles nasales ne présente pas de similitude avec les signes de l’alphabet grec, tandis que chacune d’elle compte plus de variantes (proches les uns des autres), que n’importe quelle autre lettre du répertoire lycien1. 1 Selon Carruba 1978: 851, «una dozzina di varianti ciascuna»; Bryce 1987: 86, 94–96, relève 13 variantes pour ã, et 9 pour ẽ. Le dessin du lycien ẽ n’est pas sans analogie avec celui de ẽ en lydien (Schürr 2013: 31), mais celui du lycien ã n’évoque rien de connu. Article note: Un numéro de texte sans autre indication renvoie à Kalinka 1901; les numéros précédés de N et de M renvoient à Neumann 1979 et à Mørkholm et Neumann 1978, respectivement. Les représentations phonétiques sont entre crochets […], les représentations phonologiques, entre barres obliques /…/, les représentations morphologiques (donc, phonologiques), sont entre accolades {…}. Un point ‘.’ symbolise une frontière syllabique. *Corresponding author: Sylvain Patri, Professeur de linguistique générale, Département des sciences du langage, Université de Lyon-II. E-Mail: sylvain.patri@univ-lyon2.fr. 162 Sylvain Patri Les signes ã et ẽ peuvent représenter des phonèmes distinctivement opposables aux voyelles orales de même niveau: (1) oppositions /orales/:: /nasales/ ta- «poser, placer» myl. sla- «apporter, présenter» → stta «se tenir» → lada- «épouse» tuwe- «ériger» esedẽñnewe- «descendance» prét. 3 sg. tadẽ opt. 3 sg. slatu prés. 3 sg. sttati nom. lada prés. 3 sg. tuweti nom. sg. esedẽñnewe 3 pl. tãdẽ 3 pl. slãtu 3 pl. sttãti acc. sg. ladã 3 pl. tuwẽti acc. sg. esedẽñnewẽ Mais ces signes peuvent aussi représenter des sons qui n’apparaissent que devant consonne nasale, où leur représentation par ã et ẽ est relativement interchangeable avec a et e respectivement: (2) vacillations [orales] ~ [nasalisées] /__N mahanah- «du dieu» → ta- «poser, placer» → xθθana- «?» → Ddenewele- → Erteme/i- (Ἄρτεμις) → esedeñnewe- «descendant» → pronom 3 sg.acc. → emu pronom 1 sg. nom. → httemi- «colère» → ñtemlẽ- (type de monument) → si- «gésir» → nom. mahanahi ~ nom.-acc. pl. mahãnaha inf. tane ~ tãne adj. génit. xθθanahi- ~ nom.-acc. pl. xθθãnanom. Ddenewele ~ Ddẽnewele dat. sg. Ertemi ~ Ertẽmi nom. esedeñnewe ~ esedẽñnewe ⸗ene ~ ẽne emu ~ ẽmu nom. sg. httemi ~ httẽmi ñtemlẽ ~ ñtẽmlẽ prés. 3 sg. sijeni ~ sijẽni Il y a donc, en lycien, des voyelles nasales et des voyelles nasalisées. La stabilité des premières par rapport à la relative instabilité des secondes est naturelle puisque, dans le premier cas, ã et ẽ assument un rôle linguistiquement discriminant par rapport à a et e, alors que, dans le second, ã et ẽ ne représentent que des variantes de a et de e devant une consonne nasale. La différence de statut est, au plan phonétique, toujours corrélée à une intensité des résonances nasales toujours supérieure pour les phonèmes par rapport aux réalisations nasalisées2. Ces observations sont banales dans les langues où les voyelles nasales ont un statut phonologique, mais posent la question des rapports éventuellement différents 2 Cohn 1990, a montré que le degré de nasalité des voyelles dépendait essentiellement du volume d’air s’écoulant par la cavité nasale, ce que confirment les expérimentations de Carrignan 2018, qui en vient à considérer que les rapports aérodynamiques suffisent à caractériser l’intensité de la nasalisation. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 163 qu’une voyelle formée avec un abaissement du voile du palais peut entretenir avec son entourage. Dans une langue dont la phonologie dépend de l’appréciation des graphies, donc, partiellement accessible, les interactions avec l’entourage revêtent une portée particulière parce qu’elles représentent le seul moyen non seulement de préciser l’identité des segments mais aussi d’avoir quelque chance d’avoir accès aux normes et contraintes gouvernant l’enchaînement des sons dans le mot. Dans cette perspective, la présente étude se donnera pour objet, d’une part, de décrire la formation et la répartition des sons que représentent ã et ẽ, de l’autre, d’examiner ce que leurs comportements peuvent avoir de commun et de différent. 2 Caractérisations segmentales 2.1 Localisation La principale source d’information dont on dispose concernant la localisation de ã et de ẽ sont les graphies grecques de noms lyciens, ainsi que les adaptations lyciennes de noms grecs ou perses3: (3) équivalences onomastiques ẽ: Ἀϑηναγόρας Ερμενηννις Ξανϑίας Τισευσέμβρα (25/11-12) Μεγασθένης Τριενδασις (7) Tẽnagure (M 217b) ~ Tẽnegure (M 217a) Erm̃menẽni (121/1) Xssẽñzijah (91/1) Tikeukẽprẽ (acc. sg. - 25/5) Mexisttẽne (ex. 21, infra) Trijẽtezi (8/2; restaur. Trijẽ[tezi] 7/2) ã: Ἀϑήναι (adj.) Ἴωνες Καλλιάναξ Λύσανδρος Μελήσανδρος ir. *Āpānatamair. *Aršāmair. *Aryamanā (Ἀριαμένης) ir. *(H)utāna- Atãna- (44b27, adj. acc.), Atãnas (44c3, acc. pl.) Ijãnã (44a52, 44b2) Xelijãnaxssah (116/2) Lusãtrahñ (90/2) ~ Lusãñtrahñ (103/2) Milasãñtrã (acc. sg. - 44a45) Apñnãtama (87/2) Arssãma (N 318/1) Erijamãna (44c12) Utãna (44c5) 3 Référence faite à Robert 1963, Cau 2003, 2005a/b, Colvin 2014: 70–84, pour les témoignages en écriture grecque; à Schmitt 1982, Tavernier 2007, pour les noms iraniens; ainsi qu’à Adiego 2020: 54–55, pour certaines remarques. 164 Sylvain Patri En dépit de leur volume limité et de la répartition aléatoire de leurs attestations, ces équivalences laissent discerner quelques principes: – ‘a’ iranien + N> correspond à ã, jamais à ẽ; – ‘ω’ +N> correspond à ã, jamais à ẽ; – ‘ε’ +N> correspond à ẽ, jamais à ã; – ‘α’ + N et ‘η’ +N> correspondent à ẽ aussi bien qu’à ã. Les sons correspondant à ã et ẽ s’opposent selon l’antériorité / arrondissement en étant pareillement non hautes, avec un tendance à être plutôt basses que moyennes. La typologie des organisations phonologiques indique, d’autre part, que la propension à la nasalisation des postérieures moyennes-basses suit l’échelle de probabilité suivante: /ɔ̃ / (x 62) > /ɑ̃ / (x 8) > /ʌ̃ / = /ɒ̃ / (x 5), tandis que celle des antérieures de même hauteur est: /ɛ̃ / (x 65) > /æ̃/ (x 15) > /a̟ ̃ / (x 3) > /œ̃/ (x 1); les autres voyelles moyennes-basses possibles ne sont pas attestées comme nasales4. En croisant ces observations, il paraît donc vraisemblable de localiser ẽ dans un espace antérieur arrondi [æ̃ ɛ̃ ] et ã dans un espace soit unitairement postérieur arrondi [ɑ̃ ʌ̃ ], soit simplement postérieur [ɑ̃ ɔ̃ ]. La distinction antérieure / postérieure s’accorde avec certains aspects de la phonologie des obstruantes5, tandis que le trait d’arrondissement ne semble pas tenir de rôle particulier dans les processus phonologiques du lycien, raisons pour lesquelles une interprétation [ɑ̃ ɔ̃ ] paraît préférable à [ɑ̃ ʌ̃ ], ne serait-ce que sous considération de l’économie descriptive. 2.2 Voyelles nasalisables Les unités constituant le petit effectif des voyelles orales du lycien (i, e, u, a) ne sont pas également nasalisables. Il n’existe pas de signes ou de combinaisons graphiques particulières pour représenter une éventuelle nasalisation des voyelles hautes /i u/. Pour former l’accusatif singulier, les thèmes nominaux de genre animé utilisent un morphème *-N que les thèmes en {… C-} maintiennent sous forme syllabique (4a), que les thèmes en {… Vbasse-} éliminent après qu’il ait nasalisé la voyelle (4b), mais qui laisse les thèmes en {…i-} inchangés (4c) (aucun thème en -u n’est attesté): 4 Consultation de la base LAPSyD (échantillon calibré de 743 langues). 5 Melchert 1994: 284–286, Hajnal 1995: 14–16, 28–29. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 165 (4) affixation du morphème d’accusatif singulier {-N} thème a. tuhes- «neveu/nièce» tlah- «de Tlos, tlonien» b. lada- «épouse» esedẽñnewe- «descendant» c. ẽtri- «inférieur» hlm̃mi- «gain» + {-N} tuhesñ (25/7) tlahñ (44a47) ladã (32a57) esedẽñnewẽ (89/2) ẽtri (36/6) hlm̃mi (93/2–3) Dans les équivalences onomastiques, la restitution, devant consonne nasale, des sons qui, dans l’écriture grecque, correspondent à des voyelles moyennes dépend pareillement de leur hauteur: si omicron/omega devant nasale correspondent, en lycien, à une voyelle basse, celle-ci est optionnellement nasalisable: ἴωνες: ijãnã (acc.) «ionien», Ijãnis- «Ionie», face à Εκατο|μνας (32f): Ekata|mla (32e), mais si, à la même hauteur, epsilon correspond à une voyelle haute, celle-ci n’est pas nasalisée: Αρτεμηλιν (N320Gr/5): Erttimeli (N320Ly/5); Ενδυομις (32i): Ikkwem[i] (32i). Une voyelle haute devant consonne nasale en graphie grecque correspond à une représentation identique en graphie lycienne: Μεριμαοσσα ou Μεριμαυασα: Merimawaj[e] (27/5); Τευινασος: Tewinaza (N306/1), Ιμβρασιδης: Ipresidah (29/1, gén.)6, Τιλομας: Tiluma (44b21) ~ Tilume (139/1), Ἀπολλωνίδης (6/5): Pulenjda (6/1). La restitution de ε.μ et de ι.μ par eim dans Διϝείϑεμις: Tiwihheimija (30/1), ou Σιμιας: Seimija (N320Ly/29), imite probablement l’usage consistant à utiliser ει pour ι et réciproquement en grec d’Anatolie7, ainsi que tend à l’indiquer la restitution en graphie grecque Ειδασσαλα (32v/2) du nom composé lycien Ida-zzala (32v/1, N 306; comp. Σαλας 32a/1: Zzala 32t/1, et Ειδα: Ida 57/3)8. Il est de façon générale, bien établi que la propension des voyelles orales à se nasaliser est inversement proportionnelle à leur degré de hauteur, mais aussi que, lorsque des voyelles nasales hautes sont des phonèmes, leurs réalisations sont généralement plus intensément nasalisées que celles de leurs contreparties basses9. Dans une langue où des signes spécialisés existent pour représenter des voyelles nasales basses, il serait paradoxal que des unités hautes dont la nasalité est, par principe, acoustiquement supérieure ne soient pas représentés, sauf si, comme tout porte à l’estimer, il n’y a pas de phonèmes /ı̃ ũ/10. Cette constation 6 Voir Schürr 1993, pour des équivalents de ce nom en carien (βrsi). 7 Häuser 1916: 32, 48–50; Brixhe 1987: 48–49. 8 Hajnal 1995: 127, suppose une diphthongaison. 9 Voir Hajek 1997: 116–133, avec récapitulatif bibliographique à compléter avec les études citées par Dow 2020 (n. 11, infra). 10 Contrairement à Kloekhorst 2008: 121, qui suppose arbitrairement que /ı̃ ũ/ ont existé comme phonèmes avant de disparaître. 166 Sylvain Patri ne signifie pas que les voyelles /i u/ seraient phonétiquement imperméables à toute nasalisation, mais qu’en contexte ad hoc cette nasalisation n’était pas assez intense pour être perçue comme linguistiquement significative et restituée comme telle dans l’écriture11. 2.3 Voyelles orales et nasales La place des voyelles nasales dans l’inventaire phonologique des voyelles du lycien est simple dans le sens où les cas de fluctuation ẽ ~ e, ã ~ a (tabl. 2), indiquent que leur localisation ne devait pas être notablement différente de celle des voyelles orales, ce qui s’accorde avec la localisation basse reconnue, depuis longtemps, à ces dernières12: (5) les phonèmes vocaliques en lycien orales hautes i basses e nasales ẽ antérieures /i/ [i j] /æ/ [æ ɛ] /æ̃/ [æ̃ ɛ̃ ] postérieures u /u/ [u w] a /ɑ/ [ɑ ɔ] ã /ɑ̃ / [ɑ̃ ɔ̃ ] En comparant les occurrences respectives de ẽ et de ã, par rapport à celles des e et de a, les nasales représentent 15 % des occurrences des voyelles basses. L’antérieure ẽ est plus fréquente dans le discours (64,5 %) que la postérieure ã (35,5 %), ce qui est conforme à la tendance généralisée, parmi les voyelles, à la domination globale des antérieures i, e, ẽ (66 %) sur les postérieures u, a, ã (34 %)13, laquelle s’explique, au moins en partie, par la tendance à l’assimilation inter-syllabique de l’antériorité que l’on observe en lycien14. 11 L’étude menée par Dow 2020: 259–261, sur le français montre que le ratio d’énergie des voyelles hautes devant consonne nasale est divisé par quatre par rapport aux voyelles basses. 12 Arkwright 1899: 59, Bryce 1987: 89, Melchert 1994: 291. 13 Relevés effectués sur la population des 12.639 occurences de voyelles dans le corpus numérisé par Melchert 2001 et complété par Christiansen 2019. 14 Voir Melchert 1994: 296–297, avec bibliographie. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 167 2.4 Phonotactique L’effectif des morphèmes lexicaux contenant une voyelle ẽ, ã ailleurs que devant nasale est limité. En se limitant aux termes dont le sens et la forme sont correctement identifiés15, on peut citer la totalité des formes concernées: (6) morphèmes lexicaux incluant Ṽ ailleurs que devant N aitãta- «huit, huitaine» aruwãt- «haut, supérieur» axãti- «sacrificateur» epenẽtija- «commercer» esbẽt- «cavalier, qui a un cheval» hãta-, lãta- «mort» kbijẽt- «double, apparié» mẽte- «mal» ñtawãta ««ensevelissement» (?) pddãt- «lieu, endroit» telẽzije- «de l’armée» tesẽt- «serment» A quoi s’ajoute une liste, encore plus limitée, de verbes à thème en {…V-} dont la flexion fait alterner une voyelle nasale à la troisième personne du pluriel (devant prés. -ti, prét. -te) avec une voyelle orale aux autres personnes (sur le «prétérit nasalisé», voir § 3.7): alaha- «arranger», ha- «laisser aller», pije- «donner», prñnawa- «bâtir», sm̃ma- «(re)lier» stta «se tenir», ta- «poser, placer», tuwe«ériger». La distribution des voyelles nasales dans les morphèmes lexicaux apparaît ainsi significativement contrainte puisqu’elle apparaît exclusivement devant t où une forme évoluée de *t (on interprète telẽzije- «de l’armée (campement)» comme un dérivé en *-tyo d’un prototype *kʷelen- «armée»; cf. louv. kuwalan-alli(ya)- «militaire», adj.)16. Les morphèmes flexionnels et dérivationnels contenant une nasale modifient peu ce tableau. On rencontre, en finale, l’accusatif singulier animé (lada- «épouse» → ladã 75/3; ñtẽmle- «dispositif sacrificiel» → ñtẽmlẽ N 324/25); le nominatif-accusatif singulier inanimé (kumezi- «espace sacré» → kumezijẽ N 320/7; hrm̃ma«terrain» → hrm̃mã 84/4) et le génitif pluriel (tideime- «enfant» → tideimẽ 26/10– 11). Toujours en syllabe finale, on trouve une voyelle nasale devant approximante /j/ avec mahana- «dieu» → nom pl./gén. pl. mahãi, ainsi qu’avec un morphème -ẽi exclusivement attaché à des noms propres, que Neumann (2007: 270, 354) comprend, de ce fait, comme formant des diminutifs: Τευινασος: Tewinaza (nom. N 306/1):: Tewinnezẽi (nom. 3/1); Πιγρης: Pixre (myl., 55/1):: Pigrẽi (nom. N 320/15); Σπιγασα: Sbikaza (10, 70/2):: Sbikezijẽi (nom. 61/1); Xerẽi (44a47). Par hasard ou pour quelque raison, les voyelles nasales des mots invariants sont localisées soit à l’initiale devant k, soit en finale: ãka «de même, comme», ẽke «quand»; mẽ «de 15 Référence faite à Melchert 2004, et Neumann 2007. 16 Sur ce terme, voir van den Hout 1996. 168 Sylvain Patri même, ainsi»; ñtewẽ ««en face, vers». Enfin, on rencontre ã devant x dans des mots dont la forme et le sens sont obscurs: ãxrhi (29/4), hãxxati (84/4). Comme toutes les voyelles, les nasales ne peuvent pas être localisées à proximité d’un autre noyau syllabique, si bien qu’en définitive, on peut trouver Ṽ devant n’importe quelle classe de sons, à l’exception de r, l. (7) phonotactique des voyelles et consonnes nasales [V] (a e i u) [Ṽ] (ã ẽ) [N] (m n) [əN]~[N̩] (m̃ ñ)17 __plosives __fricatives + + + + + + __liquides + + __approx. __voyelles + + + - Les liquides ne constituant pas une classe de sons qu’il serait possible de définir en des termes articulatoires ou acoustiques, cette restriction met d’emblée en évidence que la formation des voyelles nasales a une motivation syllabique tout autant que segmentale. D’un point de vue phonétique, l’enseignement que l’on peut tirer de ces répartitions est, d’abord négatif: la réalisation phonétique des voyelles nasales n’était sûrement pas [Ṽn] ou [VṼn], les consonnes nasales n’étant pas tolérées dans plusieurs des positions où les voyelles nasales sont possibles18. Ensuite, elle laisse ouverte l’éventualité d’une réalisation avec appendice approximant [æ̃j̃ ɑ̃ w̃ ], au moins dans certains contextes, laquelle s’accorderait avec la prohibition généralisée des séquences *wr, *wl, *jr, *jl (pareillement: *Nw, *Nj) ainsi qu’avec l’acceptabilité des combinaisons Ṽw, Ṽj19. 17 Sur les réalisations concurrentes [əN] ~ [N̩] de m̃, ñ, voir Patri 2023. 18 En français méridional, par exemple, les voyelles nasales se réalisent comme longues (avec une phase orale) en générant un écho consonantique; cf. pain blanc [pɛɛ̃ ŋ blɑ̝ ɑ̝̃ ŋ] face au standard [pɛ̃ blɑ̃ ]; cf. Brun 1931: 34–35; Blanchet 1992: 173–174. 19 Une réalisation des nasales avec appendice approximant est bien documentée en polonais (Wiśniewski 2007: 109–110) et en portuguais (Goodin-Mayeda 2016). La grammaire de Palsgrave semble décrire quelque chose de cet ordre en français vers 1530: «somtyme they [= les Français] sounde hym [= le A nasal] lyke this diphtong au and a lyttell in the noose, as these wordes ambre, chambre» (voir Geschiere 1968: 184–185). Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 169 3 Processus de nasalisation 3.1 Directionalité La nasalisation opère en lycien, comme dans la grande majorité des langues, par anticipation de l’abaissement du voile du palais que demande la production des consonnes nasales. On rencontre de rares témoignages de nasalisation possiblement préservatrice avec la variation ẽnẽhi-neri «parent du côté maternel» (137/1), face à acc. ẽnehi «maternel» (89/2) et la faute évidente que représente prñnawa«tombe-maison» → acc. prñnãwu (56/1e) pour prñnawu (38/1, 39/1, 53/1). Il n’est pas certain que des témoignages aussi marginaux soient significatifs. 3.2 Voyelles non nasalisées devant N Seule la nasalisation des voyelles les plus basses est susceptible d’être restituée dans la graphie, à ceci près que, comme le tableau (2) en a déjà fourni des illustrations, les voyelles orales a et e ne sont pas nécessairement représentées comme nasalisées devant consonne nasale20. Les équivalences onomastiques offrent plusieurs exemples de cette situation: (8) absence de nasalisation de V devant N Δημοκλ[ει]δης (N 312/1) Εκατομνας (32f) Iαμαρας Iδαμαξος Κπαραμω (32k) Oστωμας Ñtemuxli[da (N 312/4) Ekatamla (32e) Ijamara (149/2) Idamaxzza (57/1)21 Xpparama (32l) Stamaha (ou Ste… ? 127/1)22 Au plan phonologique, la nasalité est un trait distinctif (oppositif), mais au plan phonétique, elle est une propriété graduelle, tant au plan acoustique que perceptif: le temps d’anticipation de l’abaissement du voile du palais, les volumes des flux s’écoulant par les cavités respectivement orales et nasales, la hauteur des voyelles, leur durée, leur accentuation, leur position hétéro- ou tautosylla- 20 On retient pas le témoignage de Alaxssatra (29/9) censé refléter Ἀλέξα(ν)δρος, dont la nasale est instable en grec même (voir Patri 2023, § 4.3, avec réf.); voir en outre § 5, ci-dessous. 21 La forme grecque est attestée dans une inscription de Myra; cf. Şahin 1999: 47. 22 Voir Akın 2016: 140 (inscription grecque de Limyra), qui mentionne aussi Οσσωνας, Οσσαμας (Xanthos), Οσσυμμας (Arkyanda). 170 Sylvain Patri bique, le lieu de formation des consonnes, leur force articulatoire, les propriétés de segments qui leurs font suite, sont autant de facteurs dont les interactions présentent un degré de complexité tel qu’il est impossible de réduire les corrélats de la nasalité vocalique à un seul paramètre23. Les données reflétées dans (2) et (8) ne signifient pas que les voyelles représentées comme orales devant une nasale ne seraient pas nasalisées, mais que, pour des raisons que l’on ne peut que présumer, leur degré de nasalisation n’est pas suffisant pour susciter la représentation explicite qui peut aussi lui être attribuée. Comme l’ont déjà mentionné Eichner (1986) au sujet du lydien et Melchert au sujet du lycien (1994: 322–323), la cause dominante de ce que des voyelles nasalisables ne sont pas représentées comme nasalisées devant consonnes nasales est, vraisemblablement, l’absence de saillance prosodique (accentuation). L’affaiblissement relative de l’intensité articulatoire des voyelles orales va, en effet, de pair avec un découplage relatif de la constriction orale de l’abaissement du voile du palais, en sorte que la co-articulation entre la voyelle et la consonne s’affaiblit pour diminuer le degré de nasalisation des voyelles24. A l’appui de cette interprétation, on peut remarquer que, lors de la transposition en lycien de nom iraniens comptant plus d’une seule séquence voyelle + nasale, la nasalisation de la voyelle se vérifie dans une syllabe, mais pas dans les autres: (9) représentations sélectives de la nasalité des voyelles devant N ir. *Āpānatamair. *Aryamanā = Ἀριαμένης Apñnãtama (87/2) Erijamãna (44c12) A quoi on peut, peut-être, ajouter Ερμενηνις: Erm̃menẽni, qui semble être un composé en *arma- (Neumann 2007: 70–71). La tendance peut être relevée, mais les conditions de l’observation font que l’on ne peut l’assimiler à une règle: dans une langue aussi faiblement documentée que le lycien, on ne peut, en effet, départager les situations où un voyelle nasale phonologique est localisée devant une consonne nasale (comme, par exemple, en français, emmurer /ɑ̃ .my.ʁe/, nous vînmes /vɛ̃ m/, etc.) de celles où une voyelle orale est, plus ou moins régulièrement, restituée comme nasalisée parce qu’elle est localisée devant une consonne nasale. Il s’ensuit que si l’on peut être certain que dans Ενδυoμις: Ẽkuwẽm[i] (M 24, 123), il y a une voyelle nasale en 23 Kawasaki 1978, Hawkins et Stevens 1985, Steven, Fant et Hawkins 1987, Beddor et Krakow 1999, Carignan et al. 2011. 24 On complètera les références discutées chez Hajek 1997: 94–104, par Byrd et al. 2009, Cho, Kim et Kim 2017, qui montrent, en outre, l’accentuation d’une voyelle orale augmente sa résistance à la co-articulation. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 171 syllabe initiale et une voyelle nasalisée en syllabe pénutième, il est impossible de discerner si dans Petẽnẽneh (gén. 27/6), on est en présence de voyelles nasales ou de voyelles nasalisées. 3.3 Maintien et élimination de N derrière Ṽ La nasalisation d’une voyelle au contact d’une nasale peut aller de pair avec le maintien comme avec l’élimination de la consonne. La syllabicité paraît constituer un paramètre sinon discriminant, du moins dominant dans ce processus: en coda, les consonnes nasales sont éliminées, mais maintenues en attaque. Le mécanisme se vérifie avec les voyelles nasalisables, comme non nasalisables: (10) maintien et élimination de N derrière Ṽ a. /VN.C/ → [Ṽ.C] Τρι.εν.δα.σις Kαν.δυ.βα Λύ.σαν.δρος Tι.σευ.σεμ.βραν Ιμ.βρα.σι.δης Εν.δυο.μις Tr.jẽ.tezi Xã.kbi Lusã.traTikeukẽ.prẽ I.presidah I.kkwem[i] b. /V.NV/ → [Ṽ.NV] ἴω.νες (A)Σε.δε.πλε.μις Ἀ.ϑη.να.γό.ρας ir. *Ar.šā.ma Τι.λο.μας Mo.νις ijã.naEsedeplẽ.mi Tẽ.nagure Arssã.ma Tilu.ma Mu.ni La transposition en lycien des noms sûrement grecs Lusãtra- ~ Lusãñtra- et Μελήσανδρος: Milasãñtra- n’est pas soumise à une tendance qui a par ailleurs l’intérêt de mettre clairement en évidence qu’une consonne nasale ne se maintient pas en coda (voir plus en détails, § 5.1). 3.4 Diffusion de la nasalité L’hypothèse d’une diffusion de la nasalité peut être envisagée à partir de témoignages montant qu’une syllabe attaquée par [h] dont le noyau est une voyelle nasale nasale suscite sporadiquement une représentation comme nasale du noyau de la syllabe précédente: (11) diffusion de la nasalité dém. 3 sg. ebe- → gén. pl. ebẽhẽ (44a18) mahana- «dieu» → nom. pl. mãhãi (57/8 + 4 ex.) ebehẽ (149/5, N 314b5) mahãi (44b47) Données auxquelles il faut peut-être ajouter le témoignage de la variation ẽnẽhineri: ẽnehi déjà mentionnée (§ 3.1). 172 Sylvain Patri Les mouvements du voile du palais ne sont pas solidarisés avec la plupart des articulateurs oraux, en sorte qu’à la différence d’autres propriétés phonétiques, la nasalité peut, par inertie, se propager loin dans le mot, par anticipation aussi bien que par retard25. Il semble ici raisonnable d’évoquer la possibilité d’une diffusion car les obstruantes glottales comme [h] et les approximantes [w j], facilement nasalisables, sont parmi les sons qui font le moins obstacle à une diffusion26. Un tel processus s’est, selon toute vraisemblance, déjà déroulé dans la préhistoire du lycien. Eichner (1974: 20), suivi par Melchert (1994: 317–318, 2009), admettent que le morphème de nominatif pluriel des thèmes en -a est issu d’un processus *-ainsi → *-ainhi → *-ãihi → -ãi, ce qui est vraisemblable, mais demande de prendre en considération que la nasalité s’est étendue au ã de (mãh) ãi à travers [j]: *[ma.hã.ˈn-ãj̃.ŋhi] → *[mãh̃.ˈn-ãj̃.hi] (élimination de la voyelle pré-accentuée) → *[mã.ˈh̃-ã.j̃i] (élimination de la nasale derrière fricative)27, d’où mãhãi: mahãi (l’accentuation du thème mahana- était probablement différente dans sa préhistoire). La vacillation que reflète le démontratif 3 sg. ebe- → gén. pl. ebẽhẽ (44a18) ~ ebehẽ (149/5, N 314b5) suppose un mécanisme similaire:*ob-óin-som (comp. hitt. apā- → gén. pl. apēnzan) → *[e.ˈbẽj̃n.sẽm] → *[e.ˈbẽ.h̃ẽ]. Il y a donc quelque raison d’estimer qu’en lycien, [h] (issu de *s) a une certaine propension à diffuser la nasalité, mais que les voyelles recevant la nasalité à travers ce vecteur sont moins intensément nasales qu’à la source, d’où leur représentation instable. 3.5 Nasalisation hors contexte nasal Parmi les équivalences onomastiques, deux témoignages reflètent une voyelle nasalisée dans des contextes où il n’y a pas de consonne nasale: Ιδαγρης: Idãxre (un exemple: 78/5), et Μορωζα (72, 84): Murãzah[ (54a, 72a) ~ Murazahe (2/2). Face à une dizaine d’attestation du thème xahba- «petit-fils», on rencontre une forme isolée xãhb (55a31) qui, si elle ne repose pas sur une bévue de lapicide (on note l’absence de morphème flexionnel au nominatif), pourrait peut-être refléter une nasalisation du même ordre. Dans une série d’études, Ohala a montré qu’à proximité de consonnes non voisées caractérisées par un niveau de turbulence élevé (fricatives, affriquées ou plosives aspirées), il se produisait un couplage des cavités orale et sub-glottale 25 Récapitulatif exhaustif chez Chafcouloff et Marchal 1999: 73–77. 26 Cohn 1990: 115, 1993, Ohala et Ohala 1993: 230–231, Walker 2000, Pigott 2003. 27 Melchert 1994: 320, postule inutilement une métathèse hn → nh. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 173 dont les effets sont, en partie, assimilables à celles que produit l’abaissement du voile du palais pour les cavités orales et nasales. Par suite, en l’absence de toute consonne nasale, les voyelles localisées dans ces contextes peuvent être perçues comme nasales28. Il paraît vraisemblable de justifer ces cas de nasalisation (rares et vacillants) d’après ce processus puisque, dans les deux cas, les voyelles sont au voisinage de fricatives: [i.ðɑ̃ .xræ], [mu.rɑ̃ .(t)sɑ]29. 3.6 Voyelles sporadiquement nasalisées ailleurs que devant N Une représentation irrégulière de la nasalité s’observe encore avec deux morphèmes de la flexion verbale. Bien que la documentation soit limitée, on trouve la variante orale devant un mot à nasale initiale et la variante nasalisée devant un mot à voyelle orale initiale, ce qui met hors de cause une éventuelle proximité avec une consonne nasale: (12) réalisation des 1 sg. prét. act. a- «faire» → a-xa (+ se, 44c15) pije- «donner»→ pija-xa (+ meipẽme, 149/17) ~ a-xã (+ ñtepi 44c18) ~ a-gã (+ ijase, 149/13) ~ pija-xã (+ m[…, 149/13) Le seul témoignage actuellement connu d’une forme de prétérit moyen (Melchert 1992a) reflète également une forme nasalisée: (13) me⸗ñ[n]e⸗(e)mu a-xagã maraza conj.⸗3 pl. dat. ⸗ 1 sg. nom. faire-1 sg. prét. my. juge-nom. sg. «moi, je (me) suis fait [= je suis devenu] juge / arbitre pour eux» (44c3-4) Le louvite cunéiforme ne connaît que la variante orale (ā- «faire» → 1 sg. prét. a-ha KBo 29.49 Ro 6), mais le louvite hiéroglyphique fournit un répondant aux témoignages du lycien avec une variation écrite -ha ~ -ha-na: (14) a. KARATEPE 129 § 2 (*274)ha-ta-li(-i)-ha «j’ai détruit» 28 Voir Ohala 1993, Ohala et Busà 1995, Ohala et Solé 2010, et, pour d’autres développements, Garellek, Ritchart et Kuang 2016, Carignan 2018. 29 En grec anatolien, δ et γ sont pareillement des fricatives, au moins dans certains contextes; cf. Häuser 1916: 56–57, Brixhe 1987: 43. Sur le caractère semi-fricatif de x, voir § 3.6. 174 Sylvain Patri b. ASSUR a 8-9 ARHA-ha-wa/i-mu-u conj.⸗quot.⸗1 sg. wa/i-mu-u quot.⸗1 sg. REL-ri+i comme si MORI-ha-na mourir-1 sg. prét. u-za+ra/i (“*476.*311”)a-li-ia-ta poss. 2.abl. ?-2 sg. prét. «quant à moi, comme si j’étais mort, tu m’as ALIYA-é avec ta (missive)»30 Pour expliquer la fluctuation -xa: x/gã, plusieurs justifications peuvent être envisagées: – En hittite 1 sg. prét. -hhun (flexion active en -hhe) repose sur une forme *-h₂e recaractérisée par l’ajout d’une consonne nasale probablement analogique de la flexion secondaire 1 sg. prét. *-m → -(n)un (flexion active en -mi). Sur cette base, Eichner (1975: 77) a supposé la répétition du même processus en lycien, hypothèse systématisée par Villanueva (2009). Mais cette conjecture se heurte au fait que la flexion verbale (lacunairement) documentée en lycien ne laisse pas discerner de source à même de justifier un changement dont il faudrait, en outre, admettre qu’il serait en cours de formation en lycien alors qu’il apparaît totalement achevé en hittite plus d’un millénaire auparavant. Une autre difficulté est qu’il faudrait admettre un emprunt analogique de la flexion moyenne à la flexion active dont les données attestée ne fournissent pas d’exemples. – Une autre hypothèse pourrait être une consonne éphelcystique, dont on sait qu’elle est souvent nasale, ce qui aurait l’avantage de rejoindre un mécanisme bien attesté par ailleurs, notamment à la suite des morphèmes de flexion (verbale)31, tout en ayant l’inconvénient de ne laisser prise à aucun contrôle; – Carruba (1984: 61–62), qui a, le premier, repéré le parallélisme entre le lycien et le louvite, considère que la nasalisation occasionnelle résulterait du passage d’une consonne nasale «irrationnelle». Outre son caractère ad hoc, ce jugement s’accorde cependant mal avec le fait que la nasalisation censément irrationnelle atteint certains morphèmes et pas d’autres. Il semble plus significatif de constater que la vacillation a: ã s’observe au voisinage des obstruantes x et et g dont les représentations sont, elles aussi, relativement interchangeables: 30 La conception de Morpurgo Davies 1980: 97–101, estimant que malgré la présence de l’enclitique 1 sg., le verbe serait fléchi au pluriel («quant à moi, comme si nous étions morts…») est arbitraire. 31 Sur le grec, voir Kuryłowicz 1972. Lubotsky 1993, montre encore que, dans le Veda, un m peut prévenir un hiatus intervocalique en frontière des mots. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 175 (15) vacillations ‘x’: ‘g’ Xer[i]xe- (43/2) Πιξώδαρος: Pixe[s]ere (45a1) Zaxabah(e) (M 134c) Xeriga- (44c37, M 130) Pigesere (N 320/1-2) Zagabah(e) (M 109a, 134d) D’après les équivalences onomastiques, on sait que l’obstruante x est, le plus souvent, équivalente à une plosive non voisée (Κοδαρας: Xudara et d’autres exemples [tabl. 16]), mais les témoignages que l’on vient de mentionner et d’autres observations indiquent que x symbolise une obstruante vélaire qui n’est sûrement pas que plosive: – Le son écrit x en lycien correspond, dans les noms grecs transposés en lycien ou dans les noms lyciens écrits en graphie grecque, à quatre lettres: 1. κ: Κεσινδηλις: Xesñtedi; Κπαραμω: Xpparama; Κυδαλιης: Xudalijẽ; Κοδαρας: Xudara; Κοατα: Xuwata (formations toutes attestées dans des inscriptions bilingues); 2. ξ: Πιξώδαρος: Pixe[s]ere, tabl. 15 (écrit xz dans Iδαμαξος: Idamaxzza, tabl. 8; Ξανϑίας: Xssẽñzijah, tabl. 3); 3. χ: Μοσχος: Musxxa- (dont la confrontation avec gr. Σκυλλίης, Σκόλιος: Sxxulija, montre que la formation de ‘χ’ est, en grec, indépendante du contexte); 4. γ: Μεγασθένης: Mexisttẽne- (ex. 17, ci-dessous); Ἅρπαγος (réinterprétation de ir. *Arbaka-): Arppaxu-; ir. Humarga- = Ἀμοργης: Humrxxã-; Πιγομας: Pixm̃ma-. Le x lycien peut donc être équivalent à une plosive (κ), à des fricatives (γ et χ), et à une articulation complexe mi-plosive, mi-fricative (ξ)32; – le prototype anatolien dont x est le réflexe est une fricative non voisée [x], ainsi que l’indiquent les correspondances 1 sg. prét. act. -xa: x/gã = louv. -(h)ha; my. -xagã = hitt. -hhaha(ti)33; 32 Ces témoignages contredisent l’affirmation de Melchert 2004: 594, selon qui «Greek rendering of Lycian x in names is consistently either with kappa or qoppa, never chi». 33 Voir Melchert 1992a: 190 pour l’identification étymologique, et, sur les propriétés de h et de hh en hittite, Patri 2019: 222–224. Sur les obstruantes vélaires du lycien, voir encore Rasmussen 1974: 53–69, Laroche 1979: 83–84, Hajnal 1995: 26–30. 176 Sylvain Patri – la graphie de x en lycien copie celle de xi en grec 𐊵, , soit une articulation complexe dont la réalisation varie selon les alphabets épichoriques, mais dont il est certain qu’elle associe une plosive à une fricative [ks] ~ [kh]34. Il paraît donc légitime de considérer x comme une obstruante vélaire non voisée, suivie par une durée d’attaque vibratoire (VOT) longue, mais de faible intensité, et dépourvue de phase explosive, propriétés que certains phonéticiens résument sous le terme de «semi-fricative» ou «semi-plosive» (les affriquées ont, par contre, une explosion finale et une durée d’attaque vibratoire plus intense)35. Quoi qu’il en soit (l’examen de cette question relève d’une autre problématique), il paraît légitime d’estimer que la voyelle finale de -xagã et de -xa: -x/gã était en contexte fricatif (ou semi-fricatif), en sorte que sa nasalisation sporadique peut se justifier selon le processus déjà évoqué ci-dessus (§ 3.4). Cette conjecture paraît cohérente avec le fait que les seuls morphèmes de flexion verbale à refléter une vacillation V ~ Ṽ contiennent précisément une fricative, et que, parmi les morphèmes de la flexion nominale contenant un fricative, l’oralité de gén. sg. -he n’est pas susceptible de vaciller, celle-ci étant, en principe, distinctive par rapport à la nasalité de gén. pl. -hẽ36. 3.7 Le pronom clitique 3 sg. Il n’existe pas encore d’étude d’ensemble décrivant les clitiques lyciens, dont il est flagrant que la phonologie ne suit pas les mêmes normes que celles des mots aclitiques (par exemple: sẽ {sæ⸗æ̃} 52/1, mais sejẽni {sæ⸗æ̃ni}, ligne 2 «et à (sa) mère»)37, ce qui, au sujet d’une forme dont la phonologie n’est pas séparable des emplois, laisse subsister plusieurs interrogations. On se limitera ici à deux remarques. 1) Le pronom clitique 3 sg. référé à l’objet ou à l’attributaire peut être écrit ⸗ ene (28/1), ⸗ẽne (31/1) [ex. 20, infra], ⸗ne (133/1) (jamais *⸗(ẽ/e)nẽ), ⸗ẽ (27/1, 95/1), et ⸗e38. Si rien ne s’oppose à apprécier la variation ⸗ene ~ ⸗ẽne comme une nasalisa- 34 Astoreca 2021: 115–117. 35 Lavoie 2001, Hall, Hamann et Zygis 2006, Jones et Llamas 2008, Jones et McDougall 2009. 36 L’identification de gén. pl. -hẽ demeure fragile en n’étant documentée que par la flexion du démonstratif ebe- (qui n’est pas attesté au génitif singulier). 37 La règle imposant une approximante pour prévenir le hiatus intervocalique dont on a plusieurs exemples à l’intérieur des mots (Κοατα: Xuwata, Μλααυσις: Mlejeusi, etc.) s’applique à certains clitiques, mais pas à d’autres. 38 Melchert 1992a: 197–199, montre que ⸗ñn(e) est une forme de datif pluriel (ex. 13, ci-dessus). Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 177 tion instable devant par N (tabl. 2), la question de la concurrence ⸗(ẽ/e)ne ~ ⸗ẽ est plus problématique. Dans les textes, les variantes ne sont pas moins documentées devant un mot débutant par une consonne que par une voyelle; en revanche, ⸗ẽ apparaît exclusivement en fin de mot phonologique ou devant d’autres clitiques en ⸗C … (très souvent ⸗ti, plus rarement ⸗ñne), alors que ⸗ẽ/ene peut être utilisé en fin de mot, devant des clitiques en ⸗C … aussi bien qu’en ⸗V …, ce qui laisse entrevoir une possibilité de conditionnement, sans pour autant apporter de justification nette39. D’un point de vue phonétique, cette situation semble indiquer, face au traitement *⸗om # → ⸗ẽ #, une syllabation *⸗o.m⸗V …, sans toutefois identifier le clitique en ⸗V …, ni le rôle qu’il pourrait remplir40. 2) Un autre aspect de la phonologie de ce clitique se manifeste dans ce qu’il est convenu d’appeler le «prétérit nasalisé»: le morphème de prétérit 3 sg./3 pl. -te issu de *-to (cf. louv. -ta), prend, dans certaines constructions transitives, une forme -tẽ que Melchert (chez Garrett 1991: 17) explique comme reposant sur *-to⸗om, soit sur la cliticisation d’un pronom *⸗om référé à l’objet. Les autres personnes de ce paradigme ou celles des autres paradigmes dont on n’a, il est vrai, qu’une connaissance partielle, ne reflètent pas le même processus. On sait que la personne peut tenir un rôle discriminant dans la formation des conjugaisons dites «objectives» (ainsi en hongrois, où elle est limitée à la troisième personne), mais une limitation conditionnée par le temps ou l’aspect demeure moins compréhensible. Adiego (2015: 24) suggère d’ajouter à ces témoignages les formes de 1ère personne axa ~ agã «j’ai fait», mais cette hypothèse est contredite par le fait que axagã est nasalisé dans une construction intransitive (ex. 13), en indiquant que ce témoignage relève de la problématique étudiée § 3.6. La question du conditionnement du «prétérit nasalisé» a été souvent débat41 tue , avant qu’Adiego (2015) ne parvienne à une caractérisation qui a, sur les autres, l’avantage de ne ne pas solliciter d’hypothèses invérifiables et de ne pas rencontrer de contre-exemples, en tout cas, pas de contre-exemples qui ne seraient pas eux-mêmes discutables ou problématiques. Selon la formulation d’Adiego, -tẽ caractérise le verbe d’une construction transitive à la troisième per- 39 L’analyse de Kloekhorst 2011: 16–17, postulant que ⸗ene recouvrirait la combinaison d’un clitique objet ⸗en et d’un clitique sujet ⸗e est contradictoire dans ses termes: l’agent et le patient d’une même construction comme ebẽñnẽ xupã m⸗ene prñnawatẽ Xakbija (80/1) «cette tombe (acc.), X. l’a édifiée» ne peuvent pas simultanément donner lieu à un co-référencement dont la finalité est de rendre saillant un participant relativement à d’autres (selon Kloekhorst p. 17, «the tomb, well, it he built it, (namely) X.»); pour d’autres objections, voir encore Eichner 2017: 282, et Melchert 2021: 67, 71–73. 40 Voir déjà, sur le principe, Houwink ten Cate 1965: 17–19. 41 Imbert 1896: 214–217, Garrett 1991, Goldstein 2014. 178 Sylvain Patri sonne de prétérit quand il est localisé soit en tête de la proposition, soit dans une proposition introduite par la conjonction adversative-contrastive me ou par la conjonction de coordination se: (16) se pijetẽ ẽtri ñtatã coord. donner-3 sg. prét. S+3 sg. O inférieur-acc. sg. chambre-acc. sg. prñnezi atlahi (36/6) maisonnée-dat. sg. de soi-dat. sg. (il a donné la chambre funéraire du haut à sa femme et à aux descendants de Mñneτeide) «et il a donné la chambre funéraire du bas à sa propre maisonnée» La construction syntaxique et la localisation du verbe jouent un rôle discriminant dans la distribution de -tẽ par rapport à -te, mais ces paramètres sont exactement ceux qui gouvernent le placement du pronom clitique: (17) Mexisttẽn(e)⸗ẽ ep[i] tuwete (27/1-2) M-nom.⸗3 sg. O sur dresser-3 sg. prét. «M. l’a dressé» (ce monument) Mexisttẽnẽ (ex. 17) transpose le nom grec Μεγασθένης42; la cliticisation de ce mot par ⸗ẽ ne laisse pas discerner si ẽ efface e ou si e assimile ẽ, mais elle fait apparaître que le clitique sélectionne son hôte d’après sa position et que, quelle que soit son ancienneté ou sa structuration linéaire, la règle … e⸗ẽ → … ẽ est effective dans la synchronie du lycien. L’enseignement que dégagent ces observations est que l’on ne saurait considérer -tẽ comme le produit d’une morphologisation, a fortiori comme un affixe de la flexion verbale: une forme telle que pijetẽ (ex. 16), ne fait que représenter une combinaison pije-te⸗ẽ conforme à l’utilisation d’un pronom co-référé à l’objet dans les contextes ci-dessus délimités. En dépit de sa dénomination, le «prétérit nasalisé» ne relève pas de la morphologie du verbe et ne fait que refléter un aspect, parmi d’autres, de la phonologie et de la syntaxe des pronoms clitiques. En définitive, ces données suggèrent que le pronom clitique 3 sg. s’est scindé en deux formes, l’une représentée par des variantes phonétiquement dérivables les unes des autres, ⸗ẽne, ⸗ene et ⸗ne, l’autre par ⸗ẽ et ⸗e: (§ 4.1), sans que la causalité de cette partition ne semble accessible. 42 Voir Schürr chez Melchert 2001 (et corriger la lecture Mexisttẽ⸗[ñ]ne⸗ẽ de Garrett 1991: 19). Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 179 3.8 Bilan Les processus susceptibles de conduire à la nasalisation d’une voyelle semblent tous attestés en lycien, en reflétant invariablement, en contexte nasalisant, une certaine instabilité, traduite par des alternances erratiques avec leurs contreparties orales. Pour autant que l’on puisse en juger, plus une voyelles est basse et accentuée (longue, saillante), plus elle est susceptible de connaître une nasalisation suffisamment intense pour être restituée comme telle dans l’écriture. 4 Comportements des voyelles nasales 4.1 La co-articulation Considérons à présent le comportement des voyelles dont la nasalité n’est pas imputable au contexte. Les données qui, dans le tableau (6), se prêtent à une analyse étymologique, indiquent, sans surprise qu’une voyelle phonologique /Ṽ/ doit sa nasalité au fait qu’elle se trouvait antérieurement devant une consonne nasale: – en fin de mot: mẽ «de même, ainsi» = hitt. mān; lada- «épouse» → acc. sg. *lada-n → ladã, etc; – en position interne, sur une combinaison *V+(V)nt (§ 2.4) restituant les divers emplois qu’assume l’affixe *-ant- en anatolien (individualisant, collectivisant adjectivisant, participial, possessif): comp. epenẽtija- «commercer»: hitt. happinant- «riche, pourvu de biens»; pddãt- «lieu, endroit»: hitt. pēdant- (idem), etc. Ce dernier mécanisme repose sur un rapport de co-articulation dont il importe de prendre en considération les diverses dimensions. Quand une plosive non voisée est localisée derrière une consonne nasale, elle tend à se voiser en raison d’une dispersion du flux aérien se prolongeant après la fermeture complète de la cavité nasale. La durée du flux transglottal nécessaire au voisement est allongée en raison de la diminution de la pression dans la cavité orale, en sorte que les vibrations se propagent à la production de la plosive43. Les conséquences de ce mécanisme, très banal dans les langues, se vérifient concrètement en lycien dans le fait que les noms propres grecs et iraniens contenant une plosive voisée sont 43 Voir Westbury 1983, Bell-Berti 1993, Ladefoged et Maddieson 1996: 123–128, Solé 2009, Ohala et Solé 2010: 69–71, 86–87, Clements et al. 2015: 209–210. 180 Sylvain Patri restitués par des graphies ÑT (18a), a fortiori s’ils contiennent déjà une séquence [nd] (18b)44: (18) voisement des plosives derrière N a. Δημοκλειδης: ir. *Dārēyauš (= Δᾱρεῖος): b. Μελήσανδρος: Λύσανδρος ir. *R̥ tam-bara- (= Ἀρτεμβάρης) Ñtemuxlida Ñtarijeus Milasãñtra Lusãñtra- ~ LusñtraArt(t)um̃para L’occlusion ne fait pas partie des mécanismes suscitant le voisement des plosives, si bien que les voyelles nasales induisent le même effet que les consonnes, ainsi que le montrent les témoignages où une graphie ṼT du lycien correspond à une graphie VND dans d’autres langues: (19) voisement des plosives derrière Ṽ Καδύανδα (topon.) Κάνδυβα (topon.) Λύσανδρος Sanda (théon.) Τριενδασις: Xadawãti- (26/21, 45a3) Xãkbi- (M 246), myl. Xãzbi- (44c54) Lusãñtra- ~ LusãtraHãta- (Melchert 2002) Trijẽtezi (8/2) La preuve de ce qu’une voyelle nasale devant t impose le voisement de cette dernière est, au demeurant, apportée par l’équivalence Mισσαυαδις: Masauwẽti (N 314a4) où graphie ṼT du lycien correspond à une voisée non précédée de nasale. Le point à considérer est qu’en lycien, les quelques témoignages de voyelles nasales alternant librement avec leur contrepartie orale s’observent invariablement devant une plosive: lãta- «mort ? plaine ?» → gén. pl. lãtãi (N 306/4) ~ latãi (N309d13); ppuwe- «écrire, graver» → 3 pl. prés. ppuwẽti (N 320/34) ~ ppuweti (N 320/23); tesẽt- «(puissance) du serment» → nom. pl. tesẽti ~ teseti: (20) a. s⸗ẽne tesẽti qãñti coord.⸗3 acc. serment-nom. pl. détruire-3 pl. prés. «et (que) les serment lyciens le(s) détruisent» (149/10) trm̃milijẽti lycien- nom. pl. b. s⸗ene teseti tubeiti coord.⸗3 acc. serment-nom. pl. frapper-3 pl. prés. «et (que) les serments lyciens le(s) frappent» (135/2) trm̃mili lycien- nom. pl. 44 Sur ce mécanisme, voir, pour plus de détails, Patri 2023, §§ 4.2–3. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 181 Dans tous les cas, on est en présence de formations en *-(V)nT-: désinence 3 pl. *-enti dans ppuwẽti ou dérivé «personnalisant» *tese-Vnt- du nom tese- «serment» (loc. tesi, 114/3)45. Dans ce dernier cas, la formation est garantie par un parallèle avec le hittite où le nom lingai-/linki- «serment», est utilisé dans une formule d’imprécation similaire, en mettant explicitement en évidence, par la variation en nombre sg. -anza {-aNT- + -s}: pl. -antes {-aNT- + -es}, l’affixation de linkiy-ant«(puissance) du serment» par -ant-46: (21) a. KBo 11.72 ii 39-40 (MH) nu⸗tta (…) linkiyanza conn.⸗2 sg. acc. serment-nom. sg. «que le serment te saisisse !» epdu saisir-3 sg. opt. b. KBo 6.34 iii 16 (MH/nh) n⸗an linkiyantes conn.⸗3 sg. acc. serment-nom. pl. (il s’est parjuré,) «les serments le saisirent» ēpper saisir-3 pl. prét. La vacillation Ṽ ~V devant T reflétée dans (20) ne peut se justifier d’après l’accentuation (durée), la syllabation ou le contexte; le point qui retient ici l’attention est que la représentation de la plosive ne change pas, alors même que, dans d’autres cas, les propriétés de la plosive varient selon qu’elle est derrière voyelle orale et nasale: comparer ha- «laisser aller» → prét. 3 sg. hadẽ: 3 pl. hãtẽ ou le témoignage étymologiquement transparent de ta- «poser, placer» → prés. 3 pl. tãti [tɑ̃ .di] (← *d-ánti ← *dʱh₁-énti), face à 3 sg. tadi [tɑ.ði] (← *dā́-ti ← *dʱéh₁-ti) qui, au passage, a l’avantage de confirmer que l’accentuation ne tient pas de rôle dans ce processus. Une autre illustration de cette vacillation est donnée par la variante dénasalisée ⸗e du clitique ⸗ẽ qui, comme l’a bien reconnu Garrett (1992: 203), n’apparaît que devant plosive, en contexte m⸗__⸗ti, chacune des variantes étant à peu près équivalente à l’autre en fréquence (une trentaine d’occurrences pour chacune). 45 Eichner 1993: 240, Melchert 2004: 35, comparent lãta- avec louv cun. walant(i)-/ ulant(i)-, hiér. wa-la/i-/wa+ra/i- en l’interprétant comme un participe nominalisé *la-nt- «mort» du verbe la- «mourir», tandis que Schürr 2014: 135–137, le rapproche de louv. hiér. la-tara/i- «étendre, repousser» (les limites d’un territoire), en postulant, en lycien une signification «plaine, pays» qu’il rattache au prototype *lendʱ- de got. land, sl. com. *lęd- (r. ljadá, etc.), pruss. lindan «vallée». 46 Sur ce rapprochement, voir Laroche 1979: 89 n. 12, Hajnal 1995: 159 n. 172. Melchert 2004: 63–64 postule ici un «morphème d’ergatif» qui n’a pas de justification, ces noms étant régulièrement fléchis par des morphèmes de nominatif: hitt. sg. -s ~ pl. -es; lyc. pl. -i (Schürr 2018, récuse l’analyse de Melchert avec d’autres arguments). 182 Sylvain Patri Ces témoignages montrent que la plosive de ppuwẽti, lãtãi et tesẽti (et, possiblement, d’autres lexèmes moins bien attestés), est lexicalement stabilisée comme voisée ce qui rend inutile une préservation de la nasalité de la voyelle. La situation est comparable, à cet égard, à celle du grec moderne où n’existe, en principe, qu’une seule série de plosives non voisées, les voisées n’étant que des réalisations conditionnées par la présence d’une nasale, mais où une part croissante de locuteurs, ne font plus du voisement une conséquence de la nasalité, en sorte que άνδρας «homme» est prononcé [andras] chez certains et [adras] chez d’autres, alors que ‘δ’ intervocalique a normalement une réalisation fricative47. On peut donc tenir pour plausible qu’au moins pour certains lexèmes, la réalisation voisée d’une plosive ne demande pas, ou plus exactement, ne dépend plus, de la nasalisation. Corrélativement, qu’il peut y avoir dénasalisation /Ṽ/ → [V] / __D, parallèlement au voisement /T/ → [D] / Ṽ__ à partir du moment où les propriétés phonétiques de [D] font partie de l’identité du mot, ce qui, accessoirement, pose la question, de la possible recréation d’une série de plosives voisées en lycien (la même interrogation est, pour la même raison, actuellement débattue en grec moderne). 4.2 Changement de hauteur Les exemples où une voyelle nasale est réalisée comme sa contrepartie orale sont, comme on vient de le voir, contextuellement déterminés et fréquentiellement rares. Il est, en revanche, banal qu’une nasale soit réalisée comme une voyelle orale haute, notamment avec l’accusatif singulier des thèmes en {…-a} écrit -u (mais jamais *-a)48. Melchert (1994: 324) a, en outre, relevé des exemples de la même variation à l’intérieur des mots: nom. sg. axãti (30/2) ~ axuti (29/3) «sacrificateur»; mahana- «dieu» → nom. pl. mãhãi (57/8 + 4 ex.) ~ muhãi (26/9 + 2 ex.) ainsi qu’avec une voyelle antérieure dans l’exemple isolé de ebe- → acc. ebẽñnẽ (1/1 + 94 ex.) ~ ebẽñni (14/1 + 5 ex.). La variation -ã ~ -u a été spécialement étudiée par Jenniges et Swiggers (2000) qui estiment qu’elle serait significative d’une évolution de la langue. D’après eux, les inscriptions les plus anciennes ne connaîtraient que -ã, les plus récentes n’utiliseraient que -u, en sorte que l’usage équivalent des deux formes serait caractéristique d’une période de transition. L’ambitus chronologique sur 47 Voir la discussion chez Arvaniti et Joseph 2000, qui signalent, en outre, qu’une accélération du débit favorise une élimination de la nasalité et une fricativisation des plosives voisées. 48 Houwink ten Cate 1961: 55, Neumann [1963] 1969: 375, Merrigi 1980: 276. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 183 lequel s’étendent les inscriptions lyciennes est court (vers 440–vers 280), ce qui rend difficile la périodisation des textes et, par conséquent, celles des tracés graphiques. Néanmoins, si l’on admet que le tracé des lettres p, x, n, s, b, permet de distinguer un ductus «ancien» d’un ductus plus tardif, on constate, comme l’ont relevé Rix (2015: 66 n. 139, 113–115), et, plus en détails, Christiansen (2021a: 126– 131), que -u apparaît dès les textes «anciens», tout comme on rencontre -ã dans les textes «tardifs». Autant la forme de l’accusatif singulier des thèmes en {…a-} ne saurait donc constituer un critère de datation, autant il n’en demeure pas moins que les inscriptions utilisant -u seulement semblent, relativement, se concentrer dans la tranche chronologique la plus tardive (2 témoignages dans les inscriptions à ductus ancien, 7 dans les inscriptions à ductus tardif), alors que celles qui ne connaissent que -ã sont plus fréquentes dans la tranche la plus ancienne (14 témoignages dans les inscriptions à ductus ancien, 13 dans les inscriptions à ductus tardif)49. Les volumes de ces témoignages ne sont pas assez élevés pour former un jugement statistiquement significatif, d’autant que le volume des inscriptions tardives est plus élevé que celui des inscriptions anciennes, mais il semble exister une tendance à une relative expansion de -u. Quoi qu’il en soit, la variation ã ~ u (et ẽ ~ i) a été plus largement étudiée au plan paléographique et chronologique que dans sa dimension linguistique50. Eichner (1993: 240) évoque une «assimilation régressive», tandis que Melchert (1994: 324) se borne à qualifier le processus de «quite unclear». Un changement de ce type est, pourtant, relativement banal. En persan, les voyelles basses ont tendance à se nasaliser devant /N/: /irɑn/ → [irɑ̃ n] «Iran», /man/ → [mãn] «moi», mais pas les voyelles hautes (Lazard 1957 § 6), tandis que dans le parler familier de la capitale, la voyelle postérieure basse /ɑ/ (mais pas l’antérieure /a/) tend à se réaliser [un] lorsqu’elle est nasalisée (Lazard 1957 § 8): (22) traitement phonétique de /ɑN/ en persan /ɑn/ «celui-là» /tamɑn/ «tout, achevé» /tehrɑn/ «Téhéran» /digarɑn/ «les autres» → → → → prononciation soutenue [ɑ̃ n] [tamɑ̃ n] [tehrɑ̃ n] [digarɑ̃ n] Téhéran familier [un] [tamun] [tehrun] [digarun] 49 Relevés exhaustifs chez Christiansen 2021a. 50 Jenniges et Swiggers 2000: 109, postulent un déconcertant «lowering of the uvula»; l’évocation d’une «tendency to pronounce the French vowel ã as õ or ɔ̃ , in some varieties of French» ne justifie rien car s’il existe, dans certaines variétés de français, un tendance à confondre [ɑ̃ ] et [õ] / [ɔ̃ ] (Rosset 1911: 163, cite le ban gieu pour le bon dieu, dans un texte de 1649), une neutralisation de l’opposition /ɑ̃ / - /ɔ̃ / n’est pas comparable à une réalisation [ɔ] de /ɑ̃ /. 184 Sylvain Patri Pandit (1961: 56) mentionne (sans exemples) un même processus dans plusieurs langues indiennes: «The development of final vowels with nasalization is the same as that of simple vowels, i.e. they lose their nasalization and are shortened. There is one exception. Final -ã has two developments: either the nasal is lost or -ã develops to -u; the latter is predominant in late M[iddle] I[ndo-]A[ryan].» En béarnais de la vallée d’Aure, Egurtzegi (2018) met pareillement en évidence une évolution [ɑ̃ ] → [ɔ] (lanam «laine» → [lɔ]), parallèle à [ɔ̃ ] → [u] (pontis «pont» → [pun]); des changements similaires s’observent en basque de la Basse-Soule. Toute chose égale par ailleurs, ce traitement est celui que l’on observe avec le nom hérité de l’«oie» dans les langues indo-européennes où la hauteur de la voyelle est basse devant une nasale (lat. anser, all. gans, pruss. sansy), mais moyenne ou haute si la nasale est éliminée (angl. goose, lette zùoss). Pour ce qui intéresse plus directement, le présent propos, le processus est clairement documenté, au IVe siècle, en Anatolie, dans le dialecte grec de Pamphylie: (23) restitution de /oN #/ en pamphylien (Brixhe 1976: 21, § 21.131b) koiné anatolienne ἱαρός/ἱερός «fort» → ϝοἶκος «maison» → Εστϝεδιον Στλεγιον pamphylien acc. sg. hιιαρύ acc. sg. иοῖκυ Εστϝεδιυ Στλεγι(ι)υ Ces témoignages illustrent concrètement ce que la phonétique acoustique a mis en lumière au cours des années 1970: le F₂ des voyelles postérieures a généralement une propension plus élevée que celui des antérieures à s’abaisser en cas de nasalisation, tandis que le F₁ des voyelles basses nasalisées a plus tendance à s’abaisser que celui des voyelles hautes51. Une voyelle [ɑ̃ ] a ainsi tendance à être perçue comme plus haute que [ɑ], ce qui est moins vrai pour [ã] par rapport à [a] (les écarts sont inégaux selon les langues, mais ils ne sont jamais nuls)52. Une réalisation /ɑ̃ / → [u] suivie, le cas échéant, d’une assimilation de [u] à une réalisation de /u/, est donc naturelle dans une langue où les voyelles qui ne sont pas basses sont nécessairement hautes et réciproquement (§§ 2.1, 2.3) et où les voyelles hautes ne sont pas nasalisables (§ 2.2). La rareté du mécanisme avec 51 Schourup 1973, Wright 1975, Beddor 1982 (échantillon de 75 langues), Beddor, Krakow et Goldstein 1986, Wright 1986, Krakow, Beddor et Goldstein 1988, Carignan 2018. 52 Toute chose égale par ailleurs, ce traitement est attesté dans la préhistoire de bien d’autres langues (sur le slave, voir Troubetzkoy 1922: 222–224), dont le hittite, à ceci près qu’il y est dépendant de l’accentuation et de la durée, ainsi que le montre le traitement du démontratif kāà l’accusatif: *k͂óm → *k͂ṓm → kūn face à celui du pronom enclitique 3 sg. *⸗om → ⸗an (sur quoi, voir Melchert 1994: 186–187). Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 185 ẽ (unique témoignage: ebẽñni pour ebẽñnẽ) peut se justifier d’après son caractère antérieur, sans exclure le simple fait que les noms en {… -e} de genre animé étant considérablement moins fréquents que les noms en {… -e} (Hajnal 1994), la seule probabilité de les observer est réduite en proportion. Le point que ces données mettent en évidence est que l’élévation et l’oralisation de /Ṽ/ constituent un processus (i) limité aux seuls phonèmes et (ii) indépendant du contexte. 5 Origine des voyelles nasales Les causalités phonétiques à l’origine des nasalisées ont été traitées ci-dessus (§§ 3.2–7), mais leur origine phonologique sollicite quelques précisions. Melchert (1994: 323) a fait valoir que «all final consonants are lost in Lycian», ce qui, comme le montre l’accusatif singulier des thèmes en {… C-} (tuhes- «neveu/ nièce» → tuhesñ, etc. [tabl. 3]), constitue une formulation inadéquate. Il est vrai, en revanche, que les coda syllabiques sont régulièrement éliminées en fin de mot, en sorte que les rimes des syllabes finales sont exclusivement constituées d’un noyau, sans préjuger de son caractère vocalique ou consonantique (ñ symbolise une nasale syllabique; cf. Patri 2023). La même observation s’applique de façon moins nette à l’intérieur du mot (§ 3.3) où, si l’on fait abstraction de la prolifération de géminées graphiques dont le caractère phonétiquement géminé est parfois sujet à caution et dont les ressorts sont peu clairs, le lycien ne serait pas loin d’être une langue à syllabes ouvertes. La tendance à éliminer les voyelles (notamment, inaccentuées), compensée, là où c’est possible, par les aptitudes des résonantes à la syllabicité (*endo → hitt. anda = lyc. ñte), a quelque peu brouillé le tableau d’ensemble, mais il n’en demeure pas moins que, pour autant que l’étymologie permette de le vérifier, les séquences [VC.CV] évoluent régulièrement vers [V.C(V)]: outre les exemples déjà cités §§ 3.3, 3.5, on peut mentionner *kʷisk̑ e/o- «quiconque» (hitt. kuiski) → tise-; *ok̑ to- «huit» → ait-; 3 pl. prét. *-onto (louv. anta) → -ñte ~ -Ṽte; *ánnem (louv. ānnam) «sous, en-dessous» → ẽnẽ; *mán «de même, ainsi» (hitt. mān) → mẽ. Le même mécanisme est également documenté, particulièrement en ce qui concerne les nasales, dans les documents épigraphiques grecs d’Anatolie, au point que dans le dialecte pamphylien, les nasales en coda sont, par règle, éliminées: νύφες «nymphes» pour nom. pl. νύμφαις (etc.), et qu’en territoire lycien, on rencontre ἄδρα «homme» pour acc. sg. ἄνδρα53. 53 Voir Brixhe 1976: 64–68, 1987: 33–37. 186 Sylvain Patri Il y a donc tout lieu d’estimer que le processus N → ∅ /__.(#) est celui qui est à l’origine des voyelles nasales: dans une forme telle que 3 pl. prés. *dʱh₁-énti → *d-ánti «ils posent, placent», la nasalisation de la voyelle et le voisement de la plosive sont mécaniquement générés par le contexte, d’où *[tɑ̃ n.di]. L’élimination de la nasale en coda survenant par la suite fait que la nasalité de la voyelle devient une propriété distinctive de ce segment par rapport à sa contrepartie orale, d’où l’émergence des oppositions /ɑ̃ /-/ɑ/, /æ̃/-/æ/ illustrées dans le tableau (1). (24) nasalisation des voyelles en lycien */V/ → *[Ṽ] */N/ → ∅ / (C)__N.(C …) / __ ⇒ *[Ṽ] → /Ṽ/ . Un même enchaînement s’observe dans d’autres langues, notamment en slave commun: les codas syllabiques sont régulièrement éliminées (1 sg. prés. *dad-mi → v. sl. da.mĭ «je donne(rai)») en conséquence de quoi émergent des voyelles nasales (3 pl. *dad-ẽnti → *da.dẽ.ti → da.dę.tŭ «ils donnent/donneront»). 6 Conclusion La nasalisation des voyelles repose, en lycien, sur des mécanismes de co-articulation ou d’hyper-correction perceptive, tandis que leur phonologisation procède d’un processus de restructuration syllabique sans rapport avec le premier. Les voyelles nasalisées à raison du contexte dans lequel elles se trouvent reflètent invariablement une certaine instabilité, motivée par un degré de nasalisation relativement faible se traduisant par des alternances erratiques avec leurs contreparties orales, sans jamais entretenir, avec leur entourage, d’interactions que leur nasalité suffirait à susciter. Le comportement des voyelles nasales est autre: leurs réalisations sont le plus souvent nasales, tandis que leurs réalisations orales soit se situent au même degré de hauteur sous condition d’avoir préalablement modifié les propriétés des segments de l’entourage, soit connaissent des réalisations à un autre degré de hauteur. Références bibliographiques Adiego, Ignasi-Xavier. 2015. Lycian Nasalized Preterites Revisited. Indogermanische Forschungen 120: 1–30. Voyelles nasales et voyelles nasalisées en lycien 187 Adiego, Ignasi-Xavier. 2020. 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