Manuscrit auteur, publié dans "De la culture commune au socle commun : enjeux, tensions, réinterprétations, déplacements, Lyon :
France (2009)"
Le sens du commun *
Vincent Charbonnier
sciences de l’éducation
Université Jean-Monnet (Saint-Étienne)
ATER en
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Quand des gens indignes de l’éducation viennent la
courtiser et ont avec elle un commerce honteux, quelles
sortes de raisonnements et d’opinions peuvent-ils, selon
nous, engendrer ? N’est-ce pas à proprement parler des
sophismes, rien qui ne soit légitime et tienne d’une pensée
authentique ?
Platon, République, VI, 496a
On affirme souvent, dans un mélange d’admiration et d’agacement, que l’École est « une passion
française ». On néglige cependant et tout aussi fréquemment de dire qu’elle n’est peut-être pas une
« passion triste », ni même qu’elle est sans raisons ou fondements. À tout le moins, s’ancre t-elle
profondément dans l’histoire politique de notre pays et plus exactement dans l’événement encore
fondateur de notre modernité politique, la Révolution française. L’École demeure en effet
(l’)institution de la République, au double sens de sa genèse – c’est par l’École que s’institue la
République – et de son résultat, l’École est l’institution républicaine par excellence. C’est dire
combien la question scolaire est éminemment politique et c’est dire aussi que l’École a été, et
semble toujours pensée, en France tout particulièrement, comme le creuset fondamental de la
communauté politique nationale, que sa vocation profonde est de produire du commun.
Il n’est alors guère surprenant que l’institution politique du « Socle commun des connaissances et
des compétences » n’a pas hésité à convoquer l’Histoire républicaine autant que scolaire, pour l’y
graver solennellement : « le 11 juillet 2006 restera dans les grandes dates de l’Éducation nationale.
C’est ce jour en effet qu’est paru au Journal Officiel de la République le décret instituant le “Socle
commun des connaissances et des compétences”. Ce socle a été voulu par la représentation nationale,
qui l’a inscrit dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, en date du 23 avril
2005. » Il constitue donc « un acte refondateur pour notre école, un moment exceptionnel dans l’histoire
scolaire, sans équivalent depuis les lois de Jules Ferry qui ont instauré l’instruction gratuite, laïque et
obligatoire et en ont précisé les contenus. » (France, 2006, p. 7-8 ; n. s.)
Ce qui l’est plus en revanche, c’est l’affirmation selon laquelle le socle commun et la culture
commune désignent au fond la même chose. Ainsi G. de Robien, alors ministre de l’Éducation
nationale, affirme t-il : « Qu’est-ce que le socle, sinon le fondement même d’une communauté
nationale de savoirs, de pratiques, d’attitudes ? En un mot : une culture commune ? » (France, 2006, p.
19 ; n. s.) Dans la même perspective, mais de manière plus historiquement circonstanciée, D.
Raulin, ancien secrétaire général du Conseil national des programmes (mis en place par loi
d’orientation sur l’éducation de 1989) le considère pour sa part comme un aboutissement : « on
* Version remaniée d’une communication au colloque international De la culture commune au socle commun : enjeux, tensions,
réinterprétations, déplacements, Lyon, 19-20 novembre 2009, ce texte a été soumis au comité de lecture du colloque aux fins d’une
éventuelle publication dans les actes d’icelui.
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
peut situer, écrit-il d’emblée, le début de la construction effective du socle commun, à la
publication du Plan Langevin-Wallon en 1947 », précisant en note que l’on « peut déceler des
prémices bien plus anciennes de cette notion, par exemple chez Condorcet au XVIIIe siècle. »
(Raulin, 2008, p. 12)
Une telle identification, apparemment sans reste, et quel qu’en soit le mode (aboutissement ou
confusion), ne laisse pas d’interroger. Car si les mots ont un sens, et en dépit d’un adjectif qui,
précisément commun, les qualifie, ni le socle ni la culture ne se réfèrent à la même réalité. Le
premier dénote en effet une assise sur laquelle repose un édifice, impliquant de manière figurée une
réalité stable, fixe, du reste abondée par l’usage de la métaphore des « piliers » pour désigner les
compétences. Le second désigne plutôt une réalité dynamique, avec l’idée de mise en valeur – au
sens non marchand du terme –, d’une matière et impliquant une dimension d’historicité. Il s’ensuit
que le commun du socle ne peut être le commun de la culture et que l’identification de l’un et de
l’autre suscite une question subsidiaire mais forte, celle du sens même de ce commun.
Sommairement dit, la thèse que nous voudrions ici défendre est que le commun selon le socle est
un commun faible, qu’il n’est, au fond, qu’un « simple » dénominateur, un commun nominal.
Qu’est le socle commun ? L’article 9 de la loi n° 2005-380 « d’orientation et de programme pour
l’avenir de l’école » du 23 avril 2005 le définit comme « un ensemble de connaissances et de
compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre
sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société ». Si l’on y
ajoute l’article 2 de la même loi, stipulant que « la Nation fixe comme mission première à l’École
de faire partager aux élèves les valeurs de la République », il est alors possible d’affirmer, selon le
ministère, que le socle commun « est le ciment de la Nation [puisqu’]il s’agit d’un ensemble de
valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques ». (France, 2006, p. 21)
Au-delà de la significative association de la République, de l’École et de la Nation, sur laquelle il
faudrait revenir, une notion doit ici retenir notre attention, celle de « compétences », devenue la
koinè – un sens commun assurément – des politiques d’éducation et de formation des pays européens.
En effet, et comme le précise le décret du 11 juillet 2006, la définition du socle commun prend
appui sur la Proposition de recommandation du Parlement européen et du Conseil sur les compétences clés
pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (2006), qui les définit « comme un ensemble de
connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées au contexte » et « nécessaires à tout individu
pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et
l’emploi. » (cité par Raulin, 2008, p. 49). Soulignons cette différence significative que la
revendication de cet « appui » ne consiste pas en une simple translation mais plutôt en une traduction
puisque le terme de combinaison est substitué à celui d’ensemble et que l’enchaînement des
connaissances, des capacités et des attitudes y est plus nettement affirmé : « chaque grande
compétence du socle est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales pour notre
temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées, mais aussi d’attitudes
indispensables tout au long de la vie ». (France, 2006, p. 22 ; n. s.)
Si on analyse plus précisément la facture du socle commun, trois grands traits saillissent et
s’enchainent.
Un premier est son ambition, tout à la fois interne ou verticale, puisque chacune des sept
« compétences » est structurée (stratifiée ?) en connaissances, capacités, attitudes, et externe ou
horizontale, puisque chacune englobe nécessairement la scolarité, la formation professionnelle, l’avenir
personnel et l’insertion socio-politique. Un second, qui découle du précédent, réside dans son caractère
normatif, dans la mesure où il n’indique pas seulement quelles connaissances acquérir mais prescrit
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 2
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
aussi bien les capacités dont elles doivent permettre l’exercice que les attitudes qui doivent en
découler. Chaque compétence se dé-compose ainsi hiérarchiquement en connaissances, capacités et
attitudes.
Relevons d’ores et déjà ce fait, qu’il s’agit moins d’un socle finalement, que d’un cadre
orthonormé, ou mieux, d’une véritable résille de prescriptions, mais sans que le type de lien entre
ces trois niveaux ne soit explicitement problématisé. On devine certes des « airs de famille », des
porosités ou encore des nœuds (ou des nouements) possibles entre compétences mais leur validité
ou leur pertinence ne sont pas clairement indexées les unes aux autres, laissant manifestement cette
charge aux enseignants, ou bien aux élèves. Nous sommes en présence d’une logique résolument
mathématique d’application d’un ensemble dans un autre : des connaissances dans des capacités, des
capacités dans des attitudes, le tout formant, sinon une guirlande, au moins une chaîne descendante
du général aux particuliers.
D’un point de vue « horizontal », les compétences apparaissent juxtaposées comme autant de
« piliers » strictement adjacents, sans lien ni hiérarchie. Toutes sont formellement égales, et, pas plus
qu’il n’est permis, de privilégier en chacune, des connaissances plutôt que des capacités ou des
attitudes, aucune compétence ne peut être privilégiée par rapport à une autre, aucune ne saurait être
mise en valeur plutôt qu’une autre. Elles forment ainsi un véritable bloc, une maille inentamable et
forclose dans sa réticularité, du reste redoublé(e) d’une autre maille en l’espèce d’un vaste système
d’évaluation, tout à fois continu (le « livret de compétences » 1) et discret (les évaluations à la fin de
chaque cycle de la scolarité obligatoire). Le socle commun constitue un cadre dont le but est de
« donner un sens global à toute l’éducation obligatoire » (France, 2006, p. 10) et dont il est précisé qu’il
n’est pas ni ne peut être une condensation des programmes scolaires, lesquels devront cependant s’y
conformer à l’avenir, requérant ainsi leur réécriture selon le socle.
Un troisième trait, qui couronne les deux précédents et qui en est aussi la résultante, consiste
dans le fait que le socle excède délibérément le strict cadre de l’enseignement scolaire, délivrant ainsi
ce qui nous paraît être l’intention profonde qui l’anime : le socle c’est aussi pour la vie. Ce dont il
s’agit en effet, c’est de l’émancipation – au sens propre de lever la mainmise (mancipatio) – de
l’autorité exercée par la structuration disciplinaire des apprentissages scolaires. S’émanciper de la
mainmise disciplinaire, c’est récuser un universalisme sclérosant et réducteur, c’est assurer une plus
grande connectivité des savoirs scolaires avec les autres savoirs « extérieurs » à l’École et c’est enfin
valoriser les différences intrinsèques de chaque élève, irréfragablement(s) singulier(e)s.
Reprenant implicitement à son compte, le fameux et désormais commun adage de Montaigne
dans ses Essais, disant préférer une tête bien faite à une tête bien pleine (mais dont on néglige
toutefois de dire qu’il s’adressait d’abord au précepteur), il faut, à la trop réductrice éducation de
l’esprit, substituer la formation de la personne in toto ; non pas seulement une éducation de la tête
donc mais du corps aussi, et oserions-nous, de la force de travail. Car si maîtriser le socle commun
« c’est être capable de mobiliser ses acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’École puis
dans la vie », c’est aussi « posséder un outil indispensable pour continuer à se former tout au long de la vie
afin de prendre part aux évolutions de la société […] » (France, 2006, p. 22 ; n. s.) Le but du socle,
on le lit, est précisément de forger en chaque élève une capacité d’ajustement, une aptitude à
prendre en considération l’évolution culturelle, économique et sociale, autrement dit, de favoriser la
flexibilité et la performance. Tel est, nous semble t-il, le « doublet empirico-transcendantal » (M.
Foucault) constitutif de la philosophie du socle commun.
1. Dont l’analogie avec le « livret ouvrier » du XIXe siècle n’est pas aussi excessive que certains s’en effraient, surtout si l’on
se remémore quelques rapports et enquêtes récent(e)s, défendant sans vergogne, une naturalisation des comportements et
donc une forme rénovée, profane, de prédestination, vers la délinquance, notamment chez ces enfants qui présentent des
« troubles du comportement » – au syncrétisme d’ailleurs peu interrogé –, une défense d’autant plus puissante qu’elle est
parée des vertus la « Science », essentiellement médicale.
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 3
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Cette critique de la trop grande prégnance du disciplinaire dans l’enseignement scolaire, surtout
secondaire, se fonde sur une conception fallacieuse de la notion de discipline, reposant elle-même
sur une vulgate ou une lecture superficielle des travaux de M. Foucault. Elle défend en fait une
acception assez étroite de la notion de discipline scolaire, dont J.-C. Forquin (2008, p. 153) nous
rappelle que le sens actuel « d’ensemble de contenus d’enseignement identifiés et désignés en
référence à un domaine spécifique du savoir » est récent (début du XX e siècle ; cf. Chervel, 1998).
Ce dénuement de la notion de discipline scolaire est solidaire d’une déproblématisation des savoirs
scolaires, considérant ces derniers comme de « simples » arrangements fonctionnels, des découpages
commodes du savoir en vue de l’enseignement, mais dont on ignore ou feint d’ignorer qu’ils sont
toujours l’enjeu comme le fruit de compromis, politiques, culturels, sociaux, éducatifs, que
cristallisent les programmes pendant un temps plus ou moins long. On néglige, autrement dit, le
fait qu’il y a une « fabrique scolaire de l’histoire », comme du français, des mathématiques, des langues,
etc.
Plus fondamentalement c’est réduire la dimension curriculaire de l’enseignement à une fraction
de sa réalité, à sa modalité institutionnelle de programme de formation, au « curriculum prescrit »,
lui-même confondu avec le « curriculum explicite ». Or, de nombreux travaux ont bien insisté sur
le fait que le curriculum est en vérité beaucoup plus large que sa définition technique, et qu’il peut
aller jusqu’à désigner le « contenu latent » de l’enseignement, c’est-à-dire « tout cet ensemble de
dispositions et de compétences qu’on acquiert à l’école par expérience, familiarisation,
imprégnation ou inculcation diffuse plutôt que par le biais de procédures pédagogiques explicites ou
intentionnelles » (Forquin, 2005, p. 234).
Ce que les anglo-saxons nomment ainsi le hidden curriculum – que l’on pourrait traduire par
« curriculum implicite » –, renvoie alors à la culture ou plus exactement, au procès anthropologique
d’enculturation des jeunes générations, dont l’École est l’une des instances fondamentales, ainsi qu’à
l’historicité (et à l’historicisation), non moins fondamentale(s), des contenus d’enseignement. La
valorisation, avantageuse il faut le dire, des compétences par le socle commun, le conduit au moins
à manquer le fait que le scolaire n’a pas l’étroite consistance de savoirs disciplinaires séparés ou isolés
(sous-entendu de la vie), mais aussi, et indissociablement, en savoir-faire et/ou en savoir-être, en
savoir-que, -quoi, -comment faire et/ou être. Sans pratiques intimement nouées, les savoirs sont
muets/mutiques.
Cette critique de la structuration disciplinaire de l’enseignement est impliquée par la redéfinition
de la place de l’École dans l’économie générale du procès de socialisation, d’éducation et de
formation. Toutes deux ont pour opérateur d’effectivité commun la notion de compétences, dont F.
Ropé nous dit qu’elle est « éminemment polysémique », et que, « largement utilisée depuis les
années 1980, souvent en lieu et place de notions existantes comme capacités ou aptitudes », elle tend
surtout « à se substituer ou à se juxtaposer aux notions de savoirs et de connaissances dans la sphère
éducative et à celle de qualification dans la sphère du travail. » (2005, p. 198). Plus exactement, cette
notion « a fait l’objet d’un accord par défaut », c’est-à-dire un « ralliement sur le caractère révolu des
programmes définis en termes de savoirs disciplinaires » (Ropé et Tanguy, 2000, p. 499).
La plasticité de cette « notion-valise », sa remarquable polysémie, la divulgue alors comme le
véritable pivot du socle commun. Car, outre qu’elle subsume la concaténation du triptyque
connaissances-capacités-attitudes, elle la révèle aussi comme le substrat du commun selon le socle.
Les compétences sont ainsi et par définition communes, doublement communes même, au sens où
elles sont à la fois partagées par toutes et tous et banales – au sens non dépréciatif du terme. Un
premier sens (signification) du commun se dégage : celui d’être un commun par le fait, d’être un
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 4
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
dénominateur commun en somme puisqu’il est le même pour tous les élèves. Formellement, le socle
concerne tous les enfants de six à seize ans et coïncide par conséquent avec l’instruction et donc la
scolarité obligatoire. Rejoignant la première, la seconde signification du commun selon le socle,
réside en ce que son centre de gravité n’est plus (à) l’École, mais bien (dans) la vie. Et par la vie, il ne
faut pas seulement entendre ce qui est à côté de l’École, son environnement, mais plutôt ce qui vient
après.
L’émergence de la notion de « compétences », devenue le véritable lieu commun des politiques
d’éducation et de formation des pays européens, s’inscrit plus spécifiquement dans ce que F. Ropé
et L. Tanguy identifient comme un double mouvement de « désacralisation du savoir », lequel tend
à être considéré comme « un bien », marchand préciserons-nous, et dont la définition « est
nécessairement objet de points de vue divergents » d’une part, et de « valorisation sociale [et
marchande] accrue » d’autre part (2000, p. 494). Dans ce qu’il faut bien ici nommer un chiasme,
s’exprime une contradiction majeure entre la transmission des connaissances et de la culture, qui est
l’une des fonctions primordiales du système éducatif, et l’exigence de réponse aux impératifs du
marché, notamment du travail, lesquels ont pris une importance considérable, exigence dont on
impute de plus en plus exclusivement la responsabilité au système éducatif.
Le problème de cette contradiction ne réside pas dans son fait, mais dans son développement,
qui en amenuise la dialecticité, privilégiant un pôle, la fonction de réponse aux impératifs de
l’intégration économique et sociale, de réponse aux impératifs d’un marché du travail désormais
articulé par une nouvelle époque, historique donc, de la mondialisation capitaliste 2 – laquelle n’est
pas une glorieuse épopée –, lui sub-ordonnant la fonction de transmission et d’enculturation. Tous
ces changements participent « d’une extension de la rationalité (entendue au sens général que donne
Weber à ce terme, de propension à calculer les conséquences des actes), du calcul économique, de la
raison scientifique et technique » (Ropé et Tanguy, 2000, p. 517). Or cette rationalité calculatoire,
dont l’argent est le ferment et la logique, est précisément celle d’un commun devenu nominal, c’està-dire faible.
Il ne manquera pas de surprendre, il paraîtra même contradictoire de parler d’un commun faible,
tant le socle dégage au contraire le sentiment d’une construction très élaborée, combinant une
maille extrêmement serrée de prescriptions combinée à une extension de sa portée au-delà du strict
cadre de l’enseignement scolaire, dont on pourrait du reste estimer qu’elle constitue plutôt une
avancée puisqu’en désingularisant l’École, en la ramenant à la terre économique, sociale et culturelle
du moment, elle la rendrait (enfin ?) véritablement commune.
Nous tenons qu’il s’agit là d’une apparence trompeuse. Tout d’abord parce que ce mouvement
d’intensification normative (la maille des connaissances indispensables) et de désinsularisation
proclamée de l’École, de son quasi retour à la real life (le socle commun des connaissances et des
compétences), repose précisément sur la notion de compétences qui, lieu commun des politiques
d’éducation et de formation, est devenue le noyau d’un nouveau sens commun quant à l’École. Cette
notion en effet a tous les (at)traits de la pierre philosophale, puisque c’est elle qui transmue le plomb
de la scolarité en or de l’insertion professionnelle, qui convertit le sombre métal des connaissances
en éclat des attitudes. À cette démiurgie, s’ajoute une dimension quasi-thaumaturgique, dans la
mesure où les compétences se veulent à la fois transversales, communes donc, et individuelles ou
plus exactement, individuelles parce que communes. Leur caractère individuel est en effet dérivé de
leur caractère transversal, projeté sur l’élève, subrepticement réduit à n’être que ses compétences
2. Pour une analyse critique, profonde autant que sérieuse, cf. le remarquable ouvrage d’A. Tosel, Un monde en abîme
(2008).
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 5
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
finalement. Elles sont sa nue-propriété idiosyncrasique, ontologiquement individuelle, qu’il ne
s’agit pas tant de construire que de dévoiler à soi-même par le truchement de la scolarisation.
L’École n’est dès lors plus une instance d’enculturation mais bien d’acculturation à une norme ou
un ensemble de normes, dictées par un réel pétri de sa marchandisation systém(at)ique. Les
processus d’appropriations cognitifs et pragmatiques ne sont pas tant référés à la construction d’une
personne, faisant partie d’une communauté humaine de sens, qu’à la construction d’une force de
travail, marchandise prima inter pares, membre d’une communauté véritablement désœuvrée dans
laquelle la culture est ou vient par surcroît.
La faiblesse et le nominalisme du commun selon le socle ne reposent cependant pas en euxmêmes mais sont directement issus et hérités d’une anthropologie, politique et cognitive,
fonctionnaliste et résolument individualiste, portée par l’organisation économique, politique et
sociale actuelle, elle-même soutenue par une nouvelle phase de la mondialisation capitaliste, dont
un texte fameux, quoiqu’ancien, avait déjà célébré, de manière ambiguë certes, l’étonnante
dynamique de dissolution de tout ce qui pouvait exister. Ce faisant, c’est la capacité opératoire du
commun, son « œuvrement » qui est en question.
Désœuvré est alors le commun, parce qu’il n’œuvre plus à construire une véritable communauté
humaine culturelle et sociale, mais à bâtir une simple communauté de compétences, fluentes et
prises dans le flux d’une mondialisation liquide et liquéfiante (cf. Tosel, 2008). Le commun c’est
alors une humanité déshumanisée, une commodité arithmétique, un « comme un », pour penser une
pluralité d’atomes mais dépourvue de clinamen. Une société sans histoire(s).
BIBLIOGRAPHIE
CHERVEL A. (1998). La culture scolaire : une approche historique. Paris : Belin.
FORQUIN J.-C. (2005). « Curriculum ». In P. Champy & C. Étévé (dir.), Dictionnaire encyclopédique
de l’éducation et de la formation. Paris : Retz, p. 234-237.
—. (2008). Sociologie du curriculum. Rennes : PUR.
FRANCE : MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA
R ECHERCHE (2006). École et collège : tout ce que nos enfants doivent savoir, présenté par G. de
Robien. Paris : SCÉREN/CNDP ; Éd. XO.
H ARLÉ I. (2010). La fabrique des savoirs scolaires. Paris : La Dispute.
ISAMBERT-J AMATI V. (1995). Les savoirs scolaires : enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de
leurs réformes [1990]. Paris : L’Harmattan.
PAGET D. [dir.] (2006). Aventure commune et savoirs partagés : l’école. Paris : Syllepse.
R AULIN D. (2008). Le socle commun des connaissances et des compétences. Paris : SCÉREN/CNDP ;
Hachette.
R OMIAN H. [dir.] (2000). Pour une culture commune de la maternelle à l’université. Paris : Hachette.
R OPÉ F. (2005). « Compétence ». In P. Champy & C. Étévé (dir.), Dictionnaire encyclopédique de
l’éducation et de la formation. Paris : Retz, p. 198.
R OPÉ F. & TANGUY L. (2000). « Le modèle des compétences : système éducatif et entreprise ».
L’Année sociologique, t. 50, n° 2, p. 493-520
TOSEL A. (2008). Un monde en abîme : essai sur la mondialisation capitaliste. Paris : Kimé.
WILLIAMS R. (2009). Culture et matérialisme. Paris : Les prairies ordinaires.
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 6
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Dire cela n’implique nullement, dans mon esprit que, par une réciproque un peu candide, la
culture commune serait par nécessité, non contradictoire. Assurément elle l’est, mais autrement, et
c’est ce qui me paraît constituer précisément sa force, qui n’est pas forcément sans faiblesse, mais
c’est une autre histoire.
L’assomption historique du socle commun, l’emphase qui l’auréole, doit nous en faire suspecter
la légitimité (comme le suggérait Marx, toujours dans le 18 brumaire, « le passé pèse comme un
cauchemar sur le cerveau des vivants »). Autrement dit, le socle commun revendique une
prétention au sens commun. Pourquoi cette ascendance prestigieuse ?
Parce qu’il fonde « en raison(s) » si l’on veut, l’idée d’une formation qui ne soit pas circonscrite
au(x) seul(s) champs discplinaire(s) mais porte au contraire une définition de la personne. Aux
variations de vocabulaire près, le commun du « socle commun » désigne la même chose que le
commun de la « culture commune », à savoir la construction d’une identité culturelle transindividuelle, une identité collective-sociale d’une communauté politique. Autrement dit, le « socle
commun » a vocation à produire du commun, entre tous les individus scolarisés. Il s’agit donc d’un
commun actif, aux fins de construire une communauté politique, ou plus exactement, une
communauté nationale, de destin en un sens.
Cette intention affichée est revendiquée et théorisée par la nature même du socle, son
organisation et sa dynamique de construction. Le « socle commun » veut sortir de la logique
strictement disciplinaire et semble vouloir viser la formation de la personne et non pas seulement
celle de l’esprit. Sortir d’un modèle de formation d’un « homme des facultés » (sans qualité ?). Au
fond, le « socle commun » est même supérieur à la « culture commune », en ce qu’il vise la
formation de la personne, envisageant la place des savoirs non-scolaires.
1/ cette prise en compte de la personne et donc cette idée que la scolarité obligatoire ne doit pas
se limiter aux connaissances disciplinaires mais intégrer toutes les dimensions, se retrouve organisée
et systématisée dans la logique des compétences qui est le cœur du S3C.
2/ paradoxalement, cette considération de la personnalité comme devant être la visée du S3C,
implique une redéfinition de la place de l’école, de l’institution scolaire, dans l’économie générale du
procès de socialisation et d’éducation. Mais le paradoxe n’est qu’apparent, dans la mesure où la
logique des compétences implique au fond, un modèle anthropologique et politique, que d’aucuns
qualifieraient de « post-moderne », mais que je préfèrerai quant à moi qualifier de « composite »,
puisque le savoir n’est pas et ne peut plus être un savoir académique-disciplinaire mais un savoir
pratique, un savoir-faire, mieux des savoirs-faire, c’est-à-dire, savoir-que, -comment, -quoi faire.
Précisément, cette dimension a ceci de problématique que la substantialité des compétence est
référée à la subjectivité et à son idiosyncrasie (pas convaincu ; à reprendre).
D’ailleurs, la logique de construction du S3C est celle d’une composition de compétences, qui se
déclinent de connaissances en attitudes en passant par des capacités. Dimension de réappropriation
politique de la question scolaire également.
Question de l’historicité, radicale finalement, du S3C qui doit être mobile, non figé. LE socle
doit accompagner les évolutions culturelles et sociales, il doit s’ajuster
|–> s’ajoute à cela la dimension composite (prothétique ?) du socle qui doit rester ouvert, afin
de pouvoir accueillir la nouveauté.
Qui plus est, le S3C revendique n’être qu’un socle et donc une position excentrée par rapport à
la culture commune ; refus de toute prévarication —> démocratie.
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 7
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Cette construction est cependant problématique par le fait que ce commun est composite, faible.
|–> question de la culture commune et non pas du commun mais de la culture et de sa
substantialité => culture= acculturation, càd pas seulement mouvement mais aussi dynamiue,
processus historique déterminé par le temps.
|–> la culture, victime de son idéalisation pas moins problématique que le pragmatisme du S3C
finalement mais problématique autrement.
Le problème de la culture commune, c’est moins la question du commun que la question de la
culture en définitive.
–> la culture commune produit elle aussi du commun, via l’école
|–> la culture commune, c’est d’abord une culture commune scolaire et défend l’idée que le
commun se construit par et dans l’école : l’école/le scolaire comme foyer/creuset de la
communauté politique, son prototype au fond.
Assurément, il s’agit là d’un commun substantiel ou a tout le moins, plus sinon autrement
substantiel et peut être moins composite que le commun du « socle commun », en ce qu’il vise à la
construction d’une identité collective sociale et politique dont le savoir est en quelque manière le
ferment, le levain.
Mais le commun, qui est en fait présupposé, est en quelque sorte une rétroprojection de la
société et de la communauté politique sur l’école et le cadre scolaire : si les individus ne sont pas
encore envisagés comme porteurs de compétences, ils sont symétriquement idéalisés comme des
sujet politiques in potentia, comme futurs porteurs/dépositaires d’une souveraineté pratique, celle de
la « communauté qui vient » en quelque sorte pour ici paraphraser G. Agamben.
–> le commun est une sorte de prétérition de lui-même alors puisqu’on suppose que la
fréquentation du même cadre historico-culturel et spatio-temporel est la condition de la
construction ou plutôt de la pérennisation d’un commun
|–> idéalisation formative de la culture. Cf. les remarques de S. Johsua dans L’école entre crise et
refondation, Paris, La Dispute, 1997, ch. V : « un socle de culture commune ? ».
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 8
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Nombreux sont qui considèrent le « socle commun des connaissances et des compétences » comme l’aboutissement
contemporain de l’idéal républicain de l’École initié par les lois Ferry à l’orée de la IIIe République et, plus encore,
comme l’achèvement d’une séquence historique initiée par le plan Langevin-Wallon (1947) et poursuivie par le
« collège unique » (loi Haby, 1975). Il ne s’agit plus de seulement poser la nécessité politique, économique et sociale –
anthropologique (voire ontologique) au fond – d’instruire et de former les jeunes générations, de la réaliser, de la rendre
effective : que l’École soit (enfin ?) le creuset républicain de la communauté nationale.
Deux éléments nous inclinent toutefois à (nous) interroger sur le sens – la signification comme l’orientation – que le
socle donne à son qualificatif le « commun ». Il y a d’abord une logique de construction, qui conçoit les apprentissages
comme l’acquisition de « compétences » qui composent le triptyque connaissances, capacités et attitudes (et qu’y
décomposent également). Il y a ensuite une redéfinition de la place de l’École dans l’économie générale du procès de
socialisation, d’éducation et de formation, dont la centralité est fortement relativisée, de telle sorte que l’école est posée
comme l’une des instances concourant, conjointement à la famille ou à la « formation tout au long de la vie » par
exemple, à ce triple procès (de socialisation, d’éducation et de formation).
Cette substitution des compétences aux savoirs comme visée des apprentissages scolaires, dans le souci affirmé, de
permettre sinon d’assurer une plus grande connectivité avec les savoirs « non-scolaires » (au sens non axiologique du
terme) ainsi que le relatif décentrement de l’institution scolaire dans le procès sus-cité, nous inclinent à penser que le
commun du socle est un commun par sommation, un commun par le fait en somme. Et nous formons alors l’hypothèse
que ce commun est un commun « faible » qui, en définitive, repose sur le fait de la scolarité obligatoire en ce qu’elle
« doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun […] qu’il est
indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité » (art. 9 du décret n° 2006-830). Ce faisant, nous
voilà reconduit à (ré-)interroger le sens du commun selon la « culture commune », dont le « socle commun » se présente
(et est souvent présenté) comme l’aboutissement légitime, voire exclusif.
Nombreux sont ceux qui présentent et même revendiquent le « Socle commun des
connaissances et des compétences » comme l’équivalent de la culture commune et, qui mieux est,
comme un accomplissement de l’idéal républicain français quant à l’École, initié par les lois
instaurant la gratuité des écoles primaires publiques (1881), l’enseignement primaire obligatoire et
laïque (1882).
Cette insistance sur l’ascendance et la filiation républicaine du socle commun devrait d’ores et
déjà nous en faire suspecter la légitimité, c’est-à-dire la dimension de roman national qu’elle
comporte. Autrement dit la permanence de cet idéal à travers les tumultes des 120 dernières années
ne laisse pas d’intriguer. Outre cela, une seconde
Cette ascendance et cette filiation républicaine du socle commun n’est pas uniquement la
résultante, « naturelle » pourrait-on dire, de l’histoire se faisant, de l’approfondissement républicain
de l’idéal scolaire français. Elle est plus fondamentalement un fait politique, qui l’anoblit également,
tout à la fois héritier et accomplissement de la culture commune, s’énonce également sous le mode
de l’héritage, celui de la culture commune.
Au fond, la question est bien celle que j’énonce en titre de mon texte. Donc, présenter les
intentions du SC, son ambition, y compris dans ses aspects dithyrambiques afin de voir ensuite les
difficultés de sa mise en œuvre et son insuccès par le biais même de la notion de compétences, qui
échoue précisément à construire un commun, et doit le trouver en deçà dans la substantialisation
organiciste d’une identité nationale.
Le point de départ et la source de notre interrogation réside dans un double étonnement. Un
premier est que le « socle commun des connaissances et des compétences » est assez unanimement
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 9
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
présenté comme l’aboutissement voire l’achèvement contemporain de l’idéal républicain scolaire,
dont les lois Ferry sont le moment fondateur, un idéal scandé par le « Plan Langevin-Wallon »
(1947), l’institution du « collège unique » sous le ministère de R. Haby (1975) et peut-être aussi la
Loi d’orientation sur l’école de 1989 défendue par L. Jospin, ministre de l’Éducation nationale. À la
limite, c’est l’idéal des Lumières et de la Révolution Française qui enfin se réalise et se concrétise.
Cette présentation, très emphatique voire dithyrambique est le fait de ses promoteurs, politiques en
particulier, et plus particulièrement du ministre de l’époque, G. de Robien, qui le dit on ne peut
plus explicitement dans la préface au document public présentant le socle commun ; la même idée
se retrouve dans l’annexe du même document sous la plume anonyme qui présente les sept piliers
du « socle ». Cette présentation est aussi le fait de D. Raulin, ancien secrétaire général du Conseil
national des programmes de 2002 à 2005, « ardent défenseur » comme lui-même se définit, du socle
commun auquel il a nommément consacré un récent ouvrage Le socle commun des connaissances et des
compétences (Paris, Hachette ; CNDP-SCÉREN, 2008), défense d’ores et déjà entamée dans son
précédent ouvrage, Les programmes scolaires : des disciplines souveraines au socle commun (Paris, Retz,
2006). Et on la retrouve également, de manière non moins dithyrambique, sous la plume de G. de
Vecchi et M. Rondeau-Revelle dans Un projet pour... aborder le « socle commun de connaissances et de
compétences » (Paris, Delagrave, 2009). Le « socle commun » donc, s’inscrit dans une glorieuse lignée
que l’on vient de rappeler, dont il serait l’aboutissement contemporain ! On serait alors tenté de
s’exclamer à l’instar de Marx dans le 18 Brumaire : « Bien creusé vieille taupe » !
le premier socle et laïque à son a été accompagnée s’est accompgnée des trompettes a été
auréolée, notamment par le pouvoir politique, d’une accompagnée d’une convocation , notamment
de par le pouvoir politique notamment, n’a pas hésité à convoquer l’histoire, identifiant le scolaire
et le politique (républicaine) invoquer les mânes du glorieux passé, républicain évidemment, pour
asseoir l’importance du geste ainsi effectué.
se soit accompagnée d’une certaine emphase, parfois d’une dythirambie tout à fait significatives.
Tel qu’il a été défendu et tel qu’il est encore défendu, le « Socle commun des connaissances et des
compétences » (le socle commun) se présente comme une évidence trop longtemps retardée dans sa
mise en œuvre et se veut en effet un nouveau sens commun
Nous voudrions ici (nous) interroger sur le sens du commun qui préside
Notre réflexion procède d’un double étonnement. Un premier réside dans l’ascendance ou la
filiation dont le « Socle commun des connaissances et des compétences » (ci-après le socle commun)
est pourvu ainsi que l’emphase et la dithyrambi(qu)e qui l’accompagnent parfois, lesquelles doivent
nous en faire suspecter la légitimité. Autrement dit, l’affirmation du socle commun comme étant
l’accomplissement de l’idéal républicain scolaire français, depuis au moins les lois initiées par J.
Ferry (1881-1889), quand ce n’est pas Condorcet avec ses fameux Mémoires sur l’instruction publique
(1791), présente selon nous tous les caractères du roman national, édifiant, recherchant donc un
bénéfice politique certain.
Ainsi G. de Robien, alors ministre de l’Éducation nationale, dans sa préface au document
présentant le socle commun au grand public – École et collège : tout ce que nos enfants doivent savoir
(2006) – affirme t-il sans détours que « le 11 juillet 2006 restera dans les grandes dates de
l’Éducation nationale. C’est ce jour en effet qu’est paru au Journal Officiel de la République le
décret instituant le “Socle commun des connaissances et des compétences”. Ce socle a été voulu par
la représentation nationale, qui l’a inscrit dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 10
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
l’école, en date du 23 avril 2005 ». Et il poursuit, quelques lignes plus bas, que la publication de ce
socle commun « constitue donc un acte refondateur pour notre école, un moment exceptionnel dans
l’histoire scolaire, sans équivalent depuis les lois de Jules Ferry qui ont instauré l’instruction gratuite,
laïque et obligatoire et en ont précisé les contenus. » (France, 2006, p. 7-8 ; je souligne)
Dans le même esprit, quoique de manière plus historiquement circonstanciée, le socle commun
est présenté comme l’achèvement d’un processus amorcé par le « Plan Langevin-Wallon » et scandé
par plusieurs décisions importantes depuis lors. Les décrets Berthoin (1959) qui prolongent la
scolarité à 16 ans et créent les collèges d’enseignement général ( CEG ) et technique ( CET), prélude à
l’unification du système éducatif, la mise en place du « collège unique » par le ministre R. Haby,
(1975) et la loi d’orientation sur l’éducation, (loi Jospin, 1989). C’est grosso modo le propos de D.
Raulin, ancien SG du CNP et chantre du socle commun.
En définitive, le socle commun apparaît comme la résultante nécessaire voire naturelle, du
mouvement même de l’histoire scolaire française, en même temps qu’est rappelé le caractère
éminemment politique de l’éducation, notamment par G. de Robien, quand il dit que le socle est
aussi une décision politique du parlement. Car le socle commun relève aussi du politique, dans la
mesure où il coïncide/double la scolarité obligatoire.
, i. e. le terme même de « commun », lequel ne suffit pas à les synonymer, tant s’en faut.
Le second étonnement, qui s’appuie et vient renforcer le précédent, réside dans le trait d’égalité
qui est délibérément tiré entre les notions de culture commune et de socle commun, faisant de la
seconde, non seulement le synonyme de la première, mais, qui mieux est, son accomplissement,
ceinte qu’elle est d’une décision de la représentation nationale qui l’a « voulu ». L’affirmation de
cette égalité se retrouve tout à fait explicitement sous la plume de G. de Robien, quand il écrit :
3
Un premier problème en effet, est que le commun du « socle commun » n’est pas, ni ne peut être
le commun de la « culture commune ».
De cette identification, apparemment sans reste, constitue selon nous le cœur
le terme de culture —> dynamique. Ainsi la métaphore spatiale du socle est abondée par le
terme de piliers pour caractériser les sept compétences qui le composent et donc assez éloigné du
champ dénotatif de la culture.
en notant d’ores et déjà que la notion même de culture commune a relativement disparu du
lexique puisque la plupart des textes consacrés au socle commun, qu’ils soient de commentaire ou
d’explicitation, c’est bien la métaphore spatiale du fondement qui est abondée au travers,
notamment, du terme « piliers » pour désigner les sept connaissances et compétences qui le
composent.
Mais au fond, cette force n’est qu’apparente, force apparente qui est précisément le vecteur et le
soubassement d’un nouveau sens commun que les promoteurs et/ou thuriféraires du socle commun
cherchent à établir, une force qui se révèle être une faiblesse. Au-delà des jeux de mots et des
paradoxes,
, la formation professionnelle – dont on peut présumer qu’elle comprend jusqu’à « la formation
tout au long de la vie » –, l’avenir personnel et l’insertion socio-politique.
Cette diatribe anti-disciplinaire est à l’image de notre présent, défendant peut surprendre est
assez remarquable qu’elle semble prendre des accents foucaldiens
3. Cf. l’article 2 de la loi n° 2005-380 « d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école » du 23 avril 2005 disposant
que « la Nation fixe comme mission première à l’École de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 11
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
, dont n’envisage qu’une acception, déduite d’une calcification de sa sémantique en valences
indépendantes les unes des autres. La notion de discipline d’enseignement, dont de multiples
travaux (Durkheim, 1938 ;; Forquin, 2008) ont insisté sur sa polysémie et sa genèse est, d’une
certaine façon déproblématisée et amenuisée à sa valence sémantique originelle de règles et de
pratiques de maintien de l’ordre.
Une combinaison plutôt qu’un ensemble donc, telle serait la plus-value du socle commun à la
française, un grand petit détail qui lui accorde sa singularité.
entendu comme considéré dans son ré compris saisi commenb d’une certaine façon, à savoir
comme Et dans cet excédent dans lequel gît le sens profond du commun selon le socle. , reposant
de surcroît sur une dévaluation du scolaire, tacitement diminué à son régime disciplinaire
(notamment le second degré).
En renvoyant prioritairement mais non exclusivement aux travaux de J.-C. Forquin, disons
brièvement que la notion de curriculum montre bien que l’activité d’enseignement ne se réduit pas à
une simple activité de transfert de savoirs mais qu’elle recoupe plusieurs extensions sans pouvoir se
réduire exclusivement à l’une d’entre elles. Assurément, l’enseignement désigne tout à la fois, une
pluralité organisée d’objets enseignables, le(s) processus étalé(s) et ordonné(s) dans le temps et l
Bref, il faut s’ajuster. Cet emboîtement des arguments est caractéristique
Le socle semble réinventer le curriculum mais purgé/épuré de sa dimension dialectique. Le
commun du socle repose alors sur une sorte d’auto-soustraction du scolaire par une partie de luimême, pour ensuite le réinvestir dans ses marges, temporelles comme spatiales. On déscolarise le
scolaire, en le restreignant pour ensuite lui retourner et lui opposer ce qu’on lui a précisément
retranché et le lui ajouter mais sous le sceau du non-scolaire, ou à tout le moins du péri-scolaire. En
somme, on reproche au scolaire de ne pas être suffisamment commun sur le fond d’une réduction
préalable de son empan véritable. Le commun scolaire, c’est-à-dire disciplinaire est, soit un faux
commun, un commun apparent, ou alors un commun qui ne l’est pas suffisamment, par trop
restreint. Et par une remarquable torsion historique, on récupère la critique de Bourdieu et Passeron
d’une culture soclaire comme masque de la culture légitime, elle-même le masque d’une culture de
classe…
L’élégance et la En dépit des apparences, l’ambition du socle n’est pas de supprimer les
découpages disciplinaires de l’enseignement mais de les assouplir, de favoriser l’inter-disciplinaire. Il
s’agit la encore d’une koinè du socle, il faut privilégier la complétude des parcours sur le pourtour
qui enclorait présomptivement le(s) savoir(s). Mais encore une fois, il y a loin de la coupe aux
lèvres, puisque le corset disciplinaire tant vilipendé par les thuriféraires du socle commun est
pratiquement démenti par sa logique de construction interne, qui en affaiblit considérablement la
proclamation de sa visée interdisciplinaire. Sans euphémisme, nous parlerons de faiblesses, dont la
première réside dans
C’est donc à l’élucidation de cette question que nous voudrions ici contribuer
Cette notion est en effet le pivot du socle commun et peut-être même le commun du socle.
La thèse que nous voudrions ici défendre est que le commun du socle commun est un commun
ontologiquement faible, et même contradictoire (sans être dialectique).
A cette aune, on en retire moins le sentiment d’une quelconque faiblesse que d’une assez massive
solidité, du reste congruente à l’usage du terme « piliers » pour désigner les sept compétences qui
composent le socle. Que telle soit l’apparence est indiscutable, en ceci qu’elle frappe l’imagination,
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 12
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
« maitresse d’erreur et de fausseté » selon le mot de Pascal et « d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est
pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité si elle l’était infaillible du mensonge. »
renforcée qu’elle est par le fait qu’elle est aussi le produit circulaire de la scolarité obligatoire qui
définit les compétences comme la composant.
À sa façon, le socle est une nouveau cercle herméneutique, quoique sans extériorité se soutenant
et se nourrissant de lui-même.
En résumé, le socle commun se présente sous la forme d’un ensemble de piliers, et pour ainsi dire
comme autant de prothèses censées habiliter l’apprentissage humain, par leur combinaison
systém(at)ique, tout au long de la scolarité obligatoire, combinaison dont on infère qu’elle sera
réitérable tout au long de la vie et se transformera même en méta-compétence, en « combinatoire »
proprement dite. Cette rigidité, cette soclarisation si on nous autorise ce est en outre
Cette combinatoire se supplémente d’une forte normativité, puisque le socle n’indique pas
seulement quelles connaissances acquérir mais prescrit aussi bien les capacités dont elles doivent
permettre l’exercice, lesquelles impliquent à leur tour les attitudes qui doivent en découler.
Pareillement, la scolarité
Cette dimension réticulaire se retrouve également dans la logique de construction du socle,
cumulative à sa manière, en juxtaposant des savoirs qui s’empilent ou plutôt s’imbriquent comme
autant de pièces relativement indépendantes, à la façon d’un puzzle.
TANGUY L. (2002). « La mise en équivalence de la formation avec l’emploi dans les IVe et Ve plans
(1962-1970) ». Revue française de sociologie, t. 43, n° 4, p. 685-709.
–
en reprenant avantageusement à son compte la fameuse maxime des Essais de Montaigne
déclarant préférer une tête bien faite à une bien pleine (mais dont on omet souvent de dire
qu’elle s’adresse d’abord au précepteur…),
Car il s’agit d’assurer une plus grande connectivité des savoirs scolaires avec les autres savoirs
« extérieurs », de valoriser ainsi les différences intrinsèques, les singularités irréfragablement
individuelles de chacun des élèves, de s’émanciper de l’universalisme, jugé sclérosant et
finalement réducteur des programmes, qui semblent peut-être oublier l’essentiel : la vie. En
somme, la dynamique du socle comme se définit
promouvant une forme assez inédite mais radicale d’historicisme.
En somme, le socle commun des connaissances et des compétences dispose est d’un empan
beaucoup plus large que le champ scolaire Cela dit, le socle n’est pas comme la Rose d’A. Silesius,
qui « fleurit parce qu’elle fleurit », mais un produit historique, à tous les sens du terme, dont la
construction est régie par plusieurs motifs congruents qui se recoupent et s’empiètent
mutuellement.
Le premier et peut-être le plus cardinal est de s’émanciper d’une logique strictement disciplinaire
des apprentissages, jugée sclérosante, et donc d’assurer la formation de la personne in toto, non pas
seulement son esprit, reprenant avantageusement la fameuse maxime de Montaigne dans les
Essais : « Mieux vaut une tête bien faite que bien pleine », laquelle, on l’omet fréquemment,
s’adresse au précepteur… En d’autres termes, il s’agit d’assurer une plus grande connectivité des
savoirs scolaires avec les autres savoirs, de valoriser ainsi les différences intrinsèques, les singularités
irréfragablement individuelles de chacun des élèves. En somme, la dynamique du socle comme se
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 13
définit par sa capacité d’ajustement, par son aptitude à prendre en considération l’évolution
culturelle, économique et sociale, par une forme assez inédite d’historicisme, peut-être ultra.
Son « organisation » donne alors moins l’impression d’un socle, que d’un cadre orthonormé, ou
mieux, d’une résille de prescriptions mais sans que le type de liaison/lien entre ces trois niveaux ne
soit explicitement problématisé. Il s’agit là d’une logique résolument mathématique d’application
d’un ensemble dans un autre : des connaissances dans des capacités, des capacités dans des attitudes,
le tout formant une chaîne. De manière externe (horizontale), les compétences sont manifestement
conçues comme autant de « piliers », strictement adjacents et sans aucun lien hiérarchique entre
eux : tous sont formellement équivalents et aucun ne doit être privilégié. Les sept compétences
forment ainsi un véritable bloc, une maille inentamable et forclose dans sa réticularité, un socle
assurément, dynamisé par un vaste système d’évaluation, tout à fois continu (le « livret de
compétences » 4), et discret (les évaluations à la fin de chaque cycle de la scolarité obligatoire).
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
5
La notion de compétence se révèle donc être le véritable pivot du socle commun, c’est-à-dire
l’axe autour de quoi se meuvent, le commun et les connaissances.
C’est dans la compétence que gît le commun
Au fond, le véritable sens du commun réside dans la notion de compétence(s), réputée être plus
large, moins fermée. Ce décentrement vis-à-vis du scolaire repose en fait sur une tacite
dévaluation/diminution du scolaire à l’organisation disciplinaire de l’enseignement – notamment le
second degré et en son sein, le collège, « unique » depuis 1975. Or comme un fait exprès, ce régime
disciplinaire de l’enseignement est assez systématiquement incriminé par les tenants du socle
commun : rigide et sclérosant, il est en somme inapte à favoriser l’ajustement nécessaire à la fluence
de notre modernité devenue monde, d’une mondialisation aussi « enchantée » qu’elle est en
mouvement permanent 6.
Si donc la notion de « compétence(s) » est le pivot du socle, c’est qu’elle est au fond le commun
lui-même.
Le socle est le produit d’une rationalité analytique et atomistique
Cela est particulièrement renforcé par l’interdiction, expressément rappelée, d’une quelconque
hiérarchisation des compétences, accordant la priorité à l’une plutôt qu’à l’autre.
Comment caractériser ce commun ? comme un commun de fait, comme un commun
d’uniformité en quelque sorte.
On en retire ensuite l’idée quoiqu’implicite, selon laquelle la maille du commun, ne repose pas
entièrement sur le scolaire. Autrement dit, la question qui affleure est
4. L’analogie avec le « livret ouvrier » du XIXe siècle n’est pas excessif, si l’on conserve en mémoire quelques rapports et
enquêtes récent(e)s, défendant sans détour une naturalisation des comportements et donc une forme rénovée, profane, de
prédestination, voire, plus crûment, de déterminisme socio-culturel (en particulier vers la délinquance chez certains enfants
présentant des troubles du comportement), et d’autant plus puissants qu’il sont parés des vertus de la Science, médicale
notamment.
5. Pour une (petite) histoire, cf. notamment Ropé et Tanguy, 2000.
6. Pour une analyse critique, sérieuse et argumentée de ce phénomène, qui n’est pas (seulement) une épopée mais bien
une époque – historique donc, voir le remarquable ouvrage d’A. Tosel, Un monde en abîme (2008).
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 14
Il convient ensuite de préciser en et par quoi le socle est commun. Dans les textes officiels qui le
présentent comme dans les travaux parlementaires qui le prennent pour objet (ainsi le récent
Rapport d’information de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée
nationale, n° 2446, du 7 avril 2010), il l’est en ceci
Naît alors la question de savoir quelle est ou peut être la « valeur ajoutée » (au sens toujours non
marchand) du socle commun ?
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Si l’on doit résumer la philosophie du socle commun/ Ressuée, la philosophie du socle commun,
(elle) se donne sous la forme d’un doublet (empirico-trancendantal eût pu dire M. Foucault),
flexibilité et performance. Et on en arrive au – peut-être – paradoxe que le socle commun défend
une sorte d’ultra-historicisme lequel se renverse finalement en son contraire, requérant une
substantialisation du commun, mais à un autre niveau, infra-politique, un commun du Blut und
Boden (du sang et du sol), de sinistre mémoire (cf. le débat sur « l’identité nationale » en 20092010).
Il se prolonge dans une conception plutôt appauvrie des apprentissages, entendus comme
translation de contenus de savoir d’un maître à un élève, et non pas comme un processus complexe
et dialectique de transmission-appropriation de ces mêmes contenus de savoir.
DURKHEIM A. (1999). L’évolution pédagogique en France [1938]. Paris : PUF.
Nous revendiquons cette contradiction, car elle fait précisément signe vers la faiblesse et le
nominalisme que nous affirmons du commun selon le socle.
Sans répéter ce que nous avons déjà dit sur sa plasticité et sa polysémie, qui désignent son
caractère abstrait, mais au sens négatif d’une absence de complétude
, puisque c’est finalement elle qui permet de faire le lien, d’assurer la percolation des
connaissances en capacités puis en attitudes, qui permet de nouer la scolarité à la formation
professionnelle puis à l’avenir personnel et à l’insertion socio-politique.
Les compétences sont donc polymorphes, variables, et très fortement liées aux contextes et aux
situations de leur exercice et en un sens abstraites, c’est précisément en cela que réside leur
faiblesse,.
C’est elle qui est le vecteur des connaissances de faire la liaison de cette notion qui permet Sans
répéter ce qui a déjà été dit, rappelons que tout le monde est pourvu de compétences, que celles-ci
sont éminemment variables et dépendantes d’une situation ou d’un contexte, qu’elles sont parfois
difficilement transposables et objectivables, relevant finalement plutôt de l’idiosyncrasie de chacun,
que d’une construction étayée sur un savoir.
commun est alors abstrait, ou plutôt, pour mieux en marquer le mouvement, une abstraction,
celle du dénominateur commun, dont il importe finalement peu qu’il soit grand ou petit.
, Cette banalisation Précisément, cette Nous ne le pensons pas. Cette désincarcération de l’École
s’agit d’abord d’une bade l’École en sa banalisation, c’est-à-dire, par une sorte de déspéciation
L’École est , Précisément, cette désincarcération du Nous maintenons pourtant notre affirmation
que le commun selon le socle, est faible parce qu’il est nominal.
Ce caractère d’abstraction résonne assez précisément avec un modèle anthropologique, politique
et cognitif fondé sur une assomption radicale de l’individu, lui-même développée par l’organisation
économique et politique de notre société actuelle, exhaussée par une mondialisation « enchantée ».
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 15
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
Commun désœuvré affirmons-nous pour marquer ici l’idée qu’il ne fait plus œuvre, contrairement
à ce que l’idéal républicain de l’École peut encore souhaiter, un commun-dénominateur, au sens
clairement arithmétique du terme, réduisant les individus à eux-mêmes, à des atomes dans une
société de flux, ou plutôt en fluence permanente, une société liquide en somme exhaussée par une
mondialisation « enchantée ». Commun désœuvré et donc faible parce que fondamentalement
nominal en fait, reposant in fine sur les compétences, également distribuées comme le bon sens, le
sensus communis.
Du coup les compétences sont une propriété individuelle du sujet, un propre ontologiquement
individuel qu’il s’agit de dévoiler à lui-même. L’école n’est plus un lieu d’enculturation mais
d’acculturation à une norme ou un ensemble de normes, lesquelles disent le réel actuel, pétri de sa
marchandisation system(at)ique. Le processus d’appropriation n’est pas tant référé à la construction
d’une personne comme faisant partie d’une communauté humaine, qu’à la construction d’une force
de travail, marchandise inter pares. Le commun gît dans cette factualité. Mais il ne récuse nullement,
pour autant l’exigence d’une véritable communauté, d’une communauté plus organique. Celle-ci,
cependant, s’établit comme une régression en deçà du politique, dans l’identité, aujourd’hui
nationale, celle du sang et du sol (Blut und Boden), de la terre dont Barrès disait qu’elle ne mentait
pas. Assurément, ce commun est universel, mais d’un universalisme étroit, amenuisé à sa dimension
nationaliste ou ethniciste mais nullement incompatible avec celui du marché, qui ne vise pas le bien
commun.
Telle est la faiblesse du commun, de projeter l’individu dans ses compétences, croyant y retrouver sa substance organique.
« pure unité de compte » comme le suggère A. Badiou. Le commun selon le socle est bien ce
commun faible, une
Le commun selon le socle trouve sa vérité dans le commun telle que l’impolitique actuelle le
pense : une inflexion du réel marchand ou alors une qualité substantielle, un propre, celui de la
propriété, nécessairement privée et non pas le fruit d’un processus d’appropriation, dialectique,
fragmentaire, en mouvement, toujours à reprendre, non réifié… Le commun n’est-il qu’un
dénominateur, une abstraction arithmétique, une « pure unité de compte » (A. Badiou) commode
pour penser le pluriel ou bien une réalité ontologique fondamentale, une « généricité muette »
comme l’affirme Lukács dans son Ontologie de l’être social, qui appelle son accomplissement… ?
Dé-dialectisation de la culture et du commun. Anthropologie fonctionnaliste, réduisant
l’humanité à sa force de travail et donc à sa potentialisation marchande au sens capitaliste du terme.
La culture, au fond, est un surcroît. La société est une société liquide d’atomes, d’individus qui
doivent s’acculturer à une norme dominante et non plus s’enculturer, c’est-à-dire apprendre pour se
construire et réciproquement se construire pour apprendre. Une humanité déshumanisée, un
commun arithmétique, une pluie d’atomes dépourvue de clinamen, une société sans histoire(s).
Poser la question de la culture commune comme culture contradictoire à quoi est opposée le
socle finalement qui envisage une société et une culture sans contradiction. Au fond, l’école est
ramenée à sa fonction édifiante et nullement émancipatrice comme il put un temps en avoir
l’illusion. L’école reste une école de classe.
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 16
hal-00525493, version 1 - 12 Oct 2010
conjonction d’une intensification normative et si vivement célébrée accréditant l’idée que le
socle commun ne s’oppose nullement à la culture commune mais l’achève au contraire
Cette désinsularisation de l’École vis-à-vis de la société ne se délivre pas tant sur le mode de
l’exhaussement, de l’unification par le haut, que sur celui, de la banalisation, de la déspéciation de
l’École et de sa culture, par Expressément revendiqué comme tel par le socle, ce décentrement de
l’École repose centralement sur la notion commune de compétences, possédant
Comme le bon sens en effet, les compétences sont la chose la mieux partagée au monde
Qu’est-ce que le commun selon le socle ?
Dé-dialectisation de la culture et du commun. Anthropologie fonctionnaliste, réduisant
l’humanité à sa force de travail et donc à sa potentialisation marchande au sens capitaliste du terme.
La culture, au fond, est un surcroît. La société est une société liquide d’atomes, d’individus qui
doivent s’acculturer à une norme dominante et non plus s’enculturer, c’est-à-dire apprendre pour se
construire et réciproquement se construire pour apprendre.
une inflexion du réel marchand ou alors une qualité substantielle, un propre, celui de la propriété,
nécessairement privée et non pas le fruit d’un processus d’appropriation, dialectique, fragmentaire,
en mouvement, toujours à reprendre, non réifié… Le commun n’est-il qu’un dénominateur, une
abstraction arithmétique, une « pure unité de compte » (A. Badiou) commode pour penser le pluriel
ou bien une réalité ontologique fondamentale, une « généricité muette » comme l’affirme Lukács
dans son Ontologie de l’être social, qui appelle son accomplissement… ?
L’oubli ! l’oubli ! c’est l’onde où tout se noie ;
C’est la mer sombre où l’on jette sa joie.
V. Hugo, Les contemplations, II, 28.
Vincent Charbonnier, Le sens du commun (proposition de contribution) | 17