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La Première Vague

Conférence de Claude Queyrel à l'occasion de l'exposition de Richard Leydier “La Dernière Vague“, Friche de la Belle de Mai, Marseille, le 25 mai 2013.

La Première Vague (une histoire en images) Conférence de Claude Queyrel à lʼoccasion de lʼexposition de Richard Leydier “La Dernière Vague”, Friche de la Belle de Mai, Marseille, le 25 mai 2013. (Invitation de Sébastien Carayol) Bob Burbanks (D. David Morin), Bones Brigade video show, 1984. (capture dʼécran) Pour introduire la conférence, voici une image extraite de la séquence inaugurale de la première vidéo de skateboard, la Bones Brigade video show. Commercialisée en 1984, via le réseau des skateshops, elle est produite par la marque Powell-Peralta. En France, où ces magasins spécialisés sont réduits à peau de chagrin et où seulement 10 % des foyers sont équipés dʼun magnétoscope en 1984, cette diffusion est assez confidentielle… À lʼécran, on voit le présentateur dʼune émission de télévision fictive : Weekend Today. En bon charlatan, ce personnage vante les mérites dʼun skateboard des années 70, par rapport à ceux des années 60. Pour finir son discours, il prend un skateboard en plastique en main et déclare : « This is a skateboard ». Stacy Peralta, Bones Brigade vidéo show, 1984. (capture dʼécran) On quitte le présentateur pour voir Stacy Peralta dans un fauteuil devant sa télévision en train de regarder cette émission. Hors de lui, il se lève brusquement, saisit une pioche et se précipite vers lʼécran quʼil brise en morceaux ! Du poste éventré, il dégage un modèle de Powell Peralta— la Rat Bones Mini — quʼil exhibe vers la caméra en criant : « No ! THIS, is a skateboard ! » Ce dialogue de sourd illustre les rapports amour/haine que le skateboard entretient avec les médias non spécialisés. Dès lors, comment aborder une histoire du skateboard sans s'exposer aux mêmes réactions ? En posant la question « Quʼest-ce que le skateboard ? », on sʼexpose dʼemblée à la réfutation, la résistance de chaque skateur à ce quʼune quelconque autorité statue sur cet objet avec lequel il entretient des rapports si personnels… J'ai finalement décidé de prendre l'obstacle de front, et le mot « conférence » au pied de la lettre. Je vais donc vous lire quelques notes devant des images projetées, en endossant un costume d'orateur comme on porte un masque un peu grotesque… Lʼobjet de la conférence vise à survoler lʼhistoire quʼon peut faire aujourdʼhui de la pratique du skateboard dans les années 60, lorsqu'elle apparaît en France. Dans le cadre d'une exposition qui s'intitule “La Dernière Vague”, je vais précisément vous proposer de remonter le courant jusqu'à “La Première Vague », celle des surfeurs qui s'intéressèrent au skateboard. Même si lʼon possède sur cette période, beaucoup moins de documents ou de témoignages que pour les décennies suivantes, on va tout de même essayer de voir et de comprendre que certains aspects de ce quʼon vit aujourdʼhui dans le skateboard étaient déjà là, en germe, annoncés ou mis en œuvre à partir des années 60. Skateboardʼs cover books (1999-2002). Pour cela, je mʼappuierais entre autres, sur les documents dont on a commencé à disposer depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000. Cette période assez récente constitue en effet le moment où des ouvrages de référence sur le skateboard ont commencé à être édités en quantité. Parmi ces livres, on peut citer : Dysfunctional, The Concrete wave, Dogtown-The Legend of the Z-Boys, A Onda dura, Skateboard retrospective, Skateboarding, Space and the City, ou encore The Answer is never. Une des particularités de ces ouvrages est quʼils ont été écrits par des pratiquants et leur propre engagement de skateur est toujours au centre de leur propos. Lʼhistoire nʼest pas traitée et analysée de manière scientifique selon des critères propres à la discipline historique, mais selon la subjectivité, le milieu et lʼépoque dans lesquels chacun évolue. Les points de vue sont nécessairement incomplets, récusables, mais cʼest justement parce que ces formes restent fluctuantes quʼelles résistent de manière intéressante à des tentatives normatives plus traditionnelles. Skategeezer-feedback-Page 1, c. 1996. (capture dʼécran) The Concrete wave de Mickael Brooke par exemple, publié en 1999, constitue un cas intéressant car cʼest un projet éditorial qui nʼexisterait pas, en tout cas sous cette forme, sans le développement du web. Tout commence lorsque Brooke met en ligne en 1995, une page dédiée à lʻhistoire du skateboard. À partir de ce moment, il va recevoir une grande quantité de mails, provenant de skateurs qui vont, à leur tour, apporter leurs témoignages. Porté par le succès de cette page, Brooke crée ensuite un site, Skategeezer alimenté par des contributions venant de skateurs Allemands, Anglais, Suédois, Australiens, etc., qui vont poster leurs propres histoires locales et nationales. Mickael Brooke est canadien et tout ce processus va se mettre en place, hors du berceau historique du skateboard, la Californie. Cette expérience collective et participative à une époque où lʼon ne parle pas encore beaucoup de réseaux sociaux, va permettre dʼélargir considérablement le champ dʼinvestigation. Internet devient ainsi, comme dans tous les domaines, le lieu dʼéchanges et de collecte dʼune multitude de documents de part le monde qui ne pouvaient pas, jusquʼalors, être mis en relation. Le livre Concrete Wave qui réunit une partie de ces témoignages est à ce titre un ouvrage important dans lʼhistoire récente du skateboard. e La Roue à livres, Agostino Ramelli, XVI siècle. Le site endlesslines que jʼai crée en 2002 est né en partie, de la frustration de ne pas lire de témoignage sur le skateboard en France dans les ouvrages que je viens de citer. Alors que la communauté internationale témoignait de son histoire, la France restait muette… Lʼambition du site, à la fois modeste et démesurée, a été de collecter de manière assez exhaustive les documents publiés dans les magazines francophones de skateboard, des années 60 aux années 90. J'ai ensuite sélectionné des pages qui ont été scannées, classées et republiées via le net. À ce jour, parmi les milliers de pages lues, jʼen ai sélectionné à peu près 800 et j'ai indexé plus de 500 noms propres que l'on retrouve cités dans ces pages. Le site enfin, se présente sous la forme dʼune anthologie, un mot qui appartient à la famille étymologique du verbe « lire », du latin « legere » au sens de « recueillir avec les yeux ». Selon Le Petit Robert, ce mot latin pouvait aussi prendre le sens de « parcourir » ou encore « suivre une piste »… Matériel Kids at play, Ralph Morse, 1947. (DR) Voici une photo de Ralph Morse souvent reproduite, tirée des archives du magazine Life, sur laquelle on voit un garçon à genoux sur le trottoir dʼune rue de New York, en train de manier un marteau. Difficile si lʼon nʼa pas lu la légende, ou si lʼon ne voit pas la photographie qui montre la suite de lʼopération, de savoir que nous sommes en 1947 et que ce garçon nʼest pas en train de finir la construction dʼun skateboard, mais quʼil est plutôt à mi-chemin dans le montage de son scooter, lʼancêtre de nos trottinettes. Enfants sur des scooters dans une rue de Boston, vers 1955. (DR) Nous sommes toujours sur la côte est des États-Unis, dans les rues de Boston, vers 1955. Ce ne sont pas encore des skateurs, même sʼils roulent debout sur une planche et il est probable quʼils ne doivent guère penser à lʼocéan à ce moment-là. Si l'on compare cette pratique avec celle des premiers skateurs, on s'aperçoit que la seule différence — mais elle est de taille — réside dans l'affranchissement d'un support pour les mains. En libérant ses mains dʼun guidon, cʼest-à-dire dʼune conduite manuelle, cʼest son corps que le skateur va découvrir et cette émancipation va lui ouvrir de nouvelles perspectives. On sait lʼimportance de la station verticale dans le développement de lʼhomme. En voyant évoluer un skateur, on peut aussi mesurer la révolution — par soustraction — quʼa constituée la libération de ses membres supérieurs en se dispensant du guidon. Rouler en équilibre sans tenir ses mains, déplace immédiatement les gestes du pratiquant dans lʼimitation de ceux du surfeur. Tous ces documents montrent que le skateboard a également des racines hors des régions côtières et que le modèle du surf nʼest pas exclusif. Cependant, en sʼemparant de cet objet, les surfeurs vont en saisir un potentiel qui était insoupçonnable pour un enfant de Boston… Et lʼindustrie naissante du surf en Californie va immédiatement emboiter le pas pour exploiter les possibilités de ce jouet de rue. Surfin' USA, The Beach Boys, 1963. (DR) En 1963, les Beach Boys écrivent Surfin' USA qui devient un de leurs plus gros succès. Voici les premiers mots de la chanson : If everybody had an ocean across the U.S.A., Then everybody'd be surfin' like Californ-I-A. Ce rêve d'un océan qui se trouverait partout, ce sont les skateurs qui vont le réaliser, en découvrant les sensations du surf sur la terre ferme. Tout à coup, la pratique n'est plus tributaire d'un spot sur une côte du littoral, il devient à la portée de tous, quelque soit l'endroit où l'on se trouve… Cette vision prophétique du surf, telle que Brian Wilson en a eu l'intuition, s'est aujourd'hui imposée partout, non seulement sur lʼeau où l'on surfe maintenant des lacs, rivières et piscines à vagues artificielles, mais aussi sur un terrain qui lui était, à priori étranger : la terre ferme. How to build your own skateboard, Petersen's Surfing Yearbook, 1965. (DR) En 1965, paraît un article dans les pages dʼune publication californienne de surf Petersen's Surfing Yearbook qui montre à ses lecteurs la construction dʼun skateboard à partir dʼun patin à roulettes, dʼune planche de bois et de quelques vis. À cette époque, on peut déjà trouver beaucoup de skateboards manufacturés dans les magasins, mais la pratique qui consiste à fabriquer son propre skateboard — quʼon rangerait aujourdʼhui sous lʼappellation fourre-tout : Do It Yourself —est encore dʼactualité et une partie des skateboards est bricolée artisanalement par des skateurs. Hawaiian Surf, Sidewalk Surfboard, The Surf Roller, Aloha surfer, c.1960. (source : The Disposable skateboard bible, 2005) À partir du début années 60, cʼest le surfeur qui devient le modèle et la référence de cette nouvelle discipline. On fait du scooter/trottinette en chaussure, les skateurs eux, évoluent le plus souvent pieds nus, comme les surfeurs. Le nom de la pratique hésite encore entre sidewalk surfing, surf rolling, skateboarding, etc. En France, on inventera lʼappellation “Rollʼ surf“ ou “Surf à roulettes” vers 1965, alors que les québécois eux, tenterons dʼimposer lʼexpression “Rouli-roulant” dans laquelle, en tendant lʼoreille, on peut peut-être entendre encore lʼécho lointain dʼun ressac… Monsters & skulls, milieu des années 60. (source : The Disposable skateboard bible, 2005) De manière péjorative, on a souvent associé le skateboard au Hula-hoop. Pourtant, si on regarde de plus près lʼiconographie des planches, on sʼaperçoit vite quʼelles proposent un univers qui est assez éloigné de celui des jouets pour enfants des années 60. Des monstres, des rats, des têtes de morts, des serpents, on a déjà un catalogue, traité de manière cartoonesque, dʼéléments qui constituent encore, la base de beaucoup de décorations actuelles. Si lʼon mixe le graphisme de la tête de mort avec celui du serpent quʼon voit à lʼimage, on retrouve par exemple, la célèbre décoration d'un modèle de Mike McGill pour Powell-Peralta en 1985, aujourdʼhui réédité ! Et le rat, comme motif dans les décorations de Craig Stecyk, sera aussi une des figures les plus emblématiques de la marque Powell-Peralta dans les années 80. Une publicité du Los Angeles Times, décembre 1964. Au milieu des années 60, la plupart des skateboards que lʼon trouve dans les magasins de jouets sont encore montés avec des roues en métal, des axes de patins à roulettes rudimentaires et une planche de bois parfaitement plate. Leur usage est extrêmement limité, il sʼagit essentiellement de rester debout, malgré les vibrations des roues en métal sur lʼasphalte. Pas question de faire des virages serrés avec ce genre d'engin… On peut trouver des modèles comme le Roller Derby dans cette publicité, à partir dʼun dollar et 59 cents. Et cʼest ainsi que le 25 décembre 1964 au petit matin, des milliers d'enfants américains découvriront sous leur sapin, un skateboard de qualité médiocre et très dangereux. Ces jouets pèseront longtemps sur la perception du skateboard comme une mode passagère, sans lendemain. Larry Bell par Dennis Hopper, 1964. (DR) Le skateboard devient très rapidement un phénomène de masse aux États-Unis. On avance souvent le chiffre dʼune cinquantaine de millions de skateboards écoulés en 2/3 ans. Sur cette photo de Dennis Hopper prise en 1964, on voit Larry Bell, artiste américain habitué de Venice Beach, poser devant un panneau publicitaire Blue Chip Stamps. Cette marque commercialise des timbres de fidélité qui donnent accès à des remboursements ou à des marchandises à retirer en magasin. Sur le panneau publicitaire derrière Larry Bell, on lit le slogan : «… the things you get with Blue Chip Stamps ». Et cʼest un skateboard qui est choisi pour illustrer la campagne de pub. Le skateboard comme objet publicitaire commence donc sa carrière très tôt… Skateboards métal et composites, années1960. (source : The Disposable skateboard bible, 2005) Les années 60 sont également le moment où plusieurs matériaux sont testés, souvent sur des planches bas de gamme. À gauche, on voit une planche Tukʼnʼroller de 1965 avec un antidérapant en mousse recouvert de plastique qui permet de rester plus solidaire de la planche, les pieds sʼenfonçant dans la matière. On voit également des modèles en métal qui permettent eux, avant les plastiques moulés des années 70, une assez grande liberté de forme. The Nite-Rider, publicité Skateboarder, 1964. Une marque, Nite-Rider, propose elle, une gamme en plexiglass que le constructeur présente comme la « Cadillac des skateboards » et qui possède même un système dʼéclairage qui ne passera pas, lui non plus, à la postérité ! Les planches haut de gamme : Makaha et Hobie. (source : The Disposable skateboard bible, 2005) Parallèlement à ces objets bas de gamme, deux marques vont imposer leurs produits et être les leaders du marché : Makaha en 1963 et Hobie skateboards en 1964. Toutes les deux sont issues de la culture du surf, du sud de la Californie et leurs skateboards sont “shapés” comme de véritables surfs miniatures. On voit à gauche une Makaha de 1964 réalisée en composite résine et fibre de verre rouge et à côté le premier pro-model de la marque en 1963, celui du célèbre surfeur Phil Edwards, fabriqué le tout jeune Skip Engblom, quelques années avant son aventure avec Zephyr… Les deux planches suivantes sont des Hobie. Celle de gauche utilise différentes essences de bois lamellé, une construction qui aussi est une référence aux surfs en bois. À droite, il sʼagit du modèle le plus luxueux de la gamme Hobie le Super Surfer en fibre de verre moulée. Cʼest lʼune des premières planches a posséder un cambre sur sa longueur, ce qui lui donne encore plus un aspect de surf en modèle réduit. International surfing Championship-Makaha, prospectus années 50 et 60. La marque Makaha est crée par Larry Stevenson, un maître nageur sauveteur qui avait fondé le magazine Surf Guide, dans lequel il commence à écrire les premiers articles sur le skateboard, en 1963. Le nom Makaha est choisi en référence aux championnats du monde de surf qui se déroulent chaque année à Makaha Beach, un haut lieu du surf, à Hawaï. Vita-Pakt Citrus Products Co, Covina, Calfornia, c. 1960. Lʼhistoire de Hobie Skateboards, commence elle en 1965, lorsque Barron Hilton, un riche industriel propriétaire de la chaîne dʼhôtel Hilton — il possède par ailleurs une importante compagnie de jus d'orange Vita-Pakt — décide dʼinvestir dans le secteur du skateboard. Vita-Pakt a déjà acheté une compagnie de roller, mais poussé par ses deux fils qui surfent et skatent, Hilton va voir dans le skateboard une opération commerciale intéressante, pour ne pas dire juteuse… Pour cela, il sʼassocie avec Hobart “Hobie” Alter, un surfeur qui a déjà un pied dans lʼindustrie du surf et du skateboard et il lui propose le montage suivant : la société Vita-Pakt diffusera les skateboards et Alter sʼoccupera de la conception et du design des modèles. Un team est rapidement monté, formé en grande partie par les meilleurs skateurs recrutés chez Makaha ainsi que les deux fils Hilton, Dave et Steve. Hobie va venir concurrencer Makaha sur le secteur du skateboard haut de gamme, et il va en devenir leader, très rapidement. En quelques mois, il fera plusieurs millions de dollars de chiffre dʼaffaire, jusquʼà la chute brutale du marché, fin 1965. Première dʼune longue série… La famille Hilton elle, croisera encore lʼunivers du skateboard dans les années 2000, au moment où Chad Muska fréquentera pendant quelques mois la petite fille de Barron Hilton, une dénommée Paris… Gordon and Smith, publicité, c. 1964. Les skateboards issus de marques de surf ne sont pas décorés comme les jouets que nous avons vus précédemment. On voit ici une publicité de la marque de surf Gordon and Smith en 1964, avec une planche en fibre de verre, époxy et bois, sans aucune décoration. Toute lʼattention de ces marques est mise dans la conception et les matériaux utilisés. Les planches sont proposées en plusieurs tailles, on améliore la manœuvrabilité des trucks qui sont montés des roues composées dʼun curieux mélange de plastique, de papier et de sciure de bois, les clay wheels. Si elles sʼusent rapidement, elles ont une bien meilleure adhérence que celles en métal. Ces planches complètes sont vendues généralement autour de 15 $, soit 4 à 5 fois plus cher quʼun modèle basique. Malgré leur prix, elles vont être adoptés par les surfeurs pour devenir autre chose qu'un jouet. Si ces surfeurs n'inventent pas l'engin, ils posent les bases de l'usage qu'on nomme skateboard. En agissant par mimétisme, transposant leurs figures sur un élément solide, ils vont découvrir des possibilités que dʼautres ne soupçonnaient pas… Enfin, si on ne trouve pas de décoration sur ces planches comme sur les modèles pas de gammes et leurs nombreux dessins imprimés, il faut quand même sʼarrêter un peu sur un élément plus discret mais très important pour ces marques : le logo. Iconographie Rick Griffin, prospectus pour les skateboard Greg Noll, c.1962. Dès les années 50, Greg Noll est l'un des pionniers de ce qu'on nomme le “surf de gros”. Il est souvent crédité comme étant l'homme ayant surfé la plus grosse vague du XXe siècle, un jour de tempête à Hawaï, en 1969. Au début des années 60, il ouvre un magasin à Hermosa Beach dans lequel il vend les surfs qu'il fabrique sous son nom ainsi que sa propre gamme de skateboard. Ces planches sont de véritables pièces d'ébénisterie avec une construction en lamelles de bois exotiques collées, un procédé que l'on trouvera encore dans les skateboards des années 70, par exemple dans les célèbres modèles Taperkick de la marque Sims. C'est l'artiste Rick Griffin qui dessine le logo de Greg Noll et cette série de dessins publicitaires qui présentent ses skateboards. Griffin nʼest pas encore connu à lʼépoque et ce sont ses premiers dessins professionnels. Quelques mois plus tard, sa carrière de graphiste va décoller avec la création du personnage Murphy pour Surfer magazine, très proche du skateur que lʼon voit ici dans cette publicité. Rick Griffin, Murphy, Surfer magazine (couverture), 1962 / affiche de concert à l'Avalon Ballroom, 1967 / Tales from the tubes, Surfer magazine (supplément), 1972. Murphy va évoluer sous la plume de son auteur comme une espèce de double grâce auquel on peut suivre lʼaventure personnelle de Griffin et les bouleversements qui vont secouer sa génération. On le découvre en 1962, sous les trait dʼun jeune garçon bronzé aux cheveux blond puis dans les comics à la fin des années 60 et au début des années 70, déambulant dans des aventures hallucinatoires, cosmiques et mystiques. On peut suivre cette évolution entre la couverture pour Surfer magazine en 1962, une affiche d'un concert à l'Avalon Ballroom de San Fransisco en 1967 et une bande dessinée intitulée Mystic Eyes, dans un supplément de Surfer magazine en 1972. Durant sa carrière, Griffin ne reniera jamais son attachement au surf, même lorsquʼil partira pour San Francisco collaborer au fameux Zap Comix de Robert Crumb et où il sera l'un des artistes les plus représentatif de la contre-culture psychédélique, avec ses posters pour le Grateful Dead, Jimi Hendrix, les Doors ou Janis Joplin. Et lorsqu'il se converti au christianisme au début des années 70, il représentera encore Jésus surfant pieds nus sur l'écume d'une vague… Collection Vans - Rick Griffin, 2009. Et en 2009, la marque Vans sort une collection “Rick Griffin“ grâce à laquelle, si Murphy ne peut pas marcher sur lʼeau, il peut encore monter sur un skateboard… Super Surfer, logo, 1964. Le logo de Hobie Skateboards nʼest pas une création. Cʼest celui qui est déjà présent sur tous les surfs Hobie. Il s'inscrit dans un losange, comme beaucoup d'autres dans les années 60, à la suite du fameux Diamond logo des surfs de Hap Jacobs. Pour promouvoir ses produits, Hobie Skateboards sʼappuie sur sa notoriété dans le milieu du surf. Le skateur aura donc le dessin dʼun surf et les mots Super Surfer quʼil roulera sur lʼasphalte et le béton… Trophée Vita-Pakt, 1965. Loin du surf, l'univers de la marque de jus d'orange Vita-Pakt propriétaire de Hobie, s'invitera parfois, comme ici avec ce trophée où lʼon voit la mascotte de la marque en forme de goutte de jus de fruit, sur un skateboard. On retrouvera ce petit personnage comme mascotte dʼune autre marque quelques décennies plus tard… Rick Griffin, Hot and Glassy, 1972 et Marc McKee, Flame Boy et Willy Wet, début des années 90. On pourrait sʼamuser à le suivre, de la couverture de la bande dessinée Tales from the tube de Rick Griffin en 1972, sous les traits de Hot & Glassy aux fameux Flame Boy et Willy Wet de Marc McKee, déclinés sous toutes formes pour la marque World Industries depuis le début des années 90… Makaha – Surf, & ski slogo, 1963. Pour créer le logo de Makaha, Larry Stevenson fait appel lui, à John Van Hammersveld. Celui-ci est un surfeur-skateur qui travaille également pour Surfer magazine. Si vous êtes très attentif, vous aurez peut-être remarqué la ressemblance de ce logo avec celui que l'on a aperçu précédemment dans lʼimage concernant lʼInternationnal Surfing Championships à Makaha Beach. On y voit le corps dʼun surfeur en noir qui se détache dʼun aplat de couleur vive. La couleur de ce fond varie du rouge au bleu en passant par le orange, suivant le modèle de planche. Sa taille est assez réduite, il est discret et occupe la surface de la planche dans le même rapport que les logos de surf. The Endless Summer, affiche, 1964. Van Hammersveld va reprendre la même police de caractère, le même cerne noir, le même principe des corps qui se détachent dʼun fond en aplat, lorsquʼil crée lʼaffiche du film The Endless Summer de Bruce Brown en 1964. Tout le mode connaît cette affiche qui est devenue une icône bien au-delà du monde des surfeurs. Ce que lʼon sait peut-être moins, cʼest que John Van Hammersveld aura par la suite une importante carrière de graphiste en réalisant des pochettes de disque, notamment : Exile on main street des Rolling Stones, Magical Mystery Tour des Beatles, Pat Garrett and Billy the Kid de Dylan, Crown of creation du Jefferson Airplane, Eat to the beat de Blondie pour en citer quelques unes. Fibreflex by G&S, logo, c. 1975. Mike Salisbury a lui aussi commencé sa carrière dans les années 60 en réalisant des logos pour marques de surf, puis il a été directeur artistique de Surfer magazine. C'est lui qui a créé le logo de Gordon and Smith, fabriquant de surf et de skateboard. Et comme pour John Van Hammersveld, vous connaissez tous certaines de ses réalisations sans peut-être même le savoir. Jurassic Park, 1990. Du logo de Jurassic Park à son travail dans Les Aventuriers de l'Arche perdue, Alien, Rocky, Apocalypse Now ou de sa collaboration avec Lewis sur le jean 501, Salisbury a laissé son empreinte sur une importante production dʼimages de la fin du XXe siècle. Pour preuve encore, la conception de nombreuses pochettes de disque, dont celle dʼOff The Wall de Michael Jackson en 1979, dans laquelle il crée le personnage en costume noir et son fameux “gant blanc”… Salisbury comme Van Hammersveld, insistent tous les deux sur lʼimportance de la culture skateboard et surf des années 60, dans leur travail ultérieur. Les logos de cette époque sont le témoignage dʼune recherche de perfection dans les courbes et les ellipses. Sur une petite surface, leur travail tentait de répondre de manière graphique à la quête dʼidéal formel des shapeurs de planches de surf et cette exigence les a profondément influencé. Stickers, années 70. Le travail sur les logos est un aspect assez peu étudié lorsqu'on évoque les décorations de skateboard. Pourtant, jusque dans les années 70, sous forme dʼautocollant, le logo est bien souvent le seul élément graphique qui décore les planches et cʼest le skateur lui-même qui est amené à faire sa propre décoration en composant à partir des autocollants de marques de skateboard. Publicité pour lʼantidérapant transparent de la marque 3M, (détail), 1978. En 1978, la marque dʼadhésif 3M commercialise un antidérapant transparent pour permettre au skateurs de décorer la partie supérieure de leur planche. Cʼest donc un art du collage qui se développe, un langage pour le skateur qui va chercher à personnaliser et à sʼapproprier un objet manufacturé standard. La décoration dʼune planche ne relève donc pas seulement des graphismes que la marque y appose. Elle permet à chaque skateur de se différencier en jouant sur les correspondances, les ruptures et les détournements que permet la mise en relation de plusieurs éléments graphiques. Andre the giant, 1989. Cette production de sticker est encore très vivante aujourdʼhui et les autocollants de skateboard sont souvent visibles dans les villes. Lorsque Shepard Fairey commence à faire les siens, ceux dʼAndre the Giant en 1989, il explique que cʼest dʼabord pour sa petite bande de copains avec qui il pratique le skateboard. Fairey commence à les coller sur tous les spots autour de chez lui et chaque fois quʼil se déplace sur les contests de la côte est des États-Unis. Il raconte quʼil était tellement obsédé par les autocollants qu'il a lui-même utilisé lʼantidérapant transparent sur ses planches, afin de voir ses collages de stickers sous les pieds… Et comme ses prédécesseurs des années 60 qui avait commencé en créant des logos dans le milieu du skateboard et du surf, son travail le mènera lui aussi assez loin, jusquʼau récent poster Hope pour Barak Obama en 2008, devenu une de nos icônes contemporaines. Innovations Skateboard Industry News, 1978. Enfin, avant de quitter le vaste sujet des planches, leurs matériaux et leur iconographie, je voudrais encore vous dire quelques mots à propos de deux innovations majeures qui ont vu le jour dans les années 60, mais qui mettront presque une dizaine dʼannées avant dʼêtre intégrés par lʼindustrie. La première de ces innovations concerne les roues. En 1978, dans deux interviews, lʼune au magazine américain Skateboard Industry News et lʼautre dans Skatinʼ un magazine français, Larry Stevenson le patron de Makaha affirme que dès 1964, il a cherché à introduire les roues en uréthane sur ses planches en achetant quelques jeux de roues à un dénommé Frank Allbright qui sʼoccupait de la marque de patins Chicago Roller Works. Il dit les avoir montées mais ne pas les avoir mises sur le marché, car leur prix de revient était exorbitant pour l'époque. Même son de cloche chez Hobie Alter qui affirme lui, avoir monté des planches pour son team en 1965, mais nʼavoir jamais pu les commercialiser, aucun skateur nʼacceptant de payer aussi cher pour un jeu de roue à cette époque… Le brevet de Larry Stevenson, 23 février 1969. Lʼautre innovation, attestée celle-là par plusieurs documents, concerne lʼinvention du kicktail dans les années 68-69. On retrouve encore Larry Stevenson qui dépose un brevet en février 1969, sous un titre qu'on pourrait traduire par : «Skateboard avec levier, inclinable au pied ». En développant ce kicktail, Stevenson a toujours en tête le procès fait au skateboard sur sa dangerosité et son interdiction dans de nombreux lieux publics qui causèrent lʼeffondrement du marché fin 1965. Lʼidée du kicktail est de rendre lʼengin plus maniable, de faciliter sa conduite et de permettre au skateur de sʼarrêter plus facilement, en cas de danger. De quoi rassurer lʼopinion publique et les parents. Comme un véhicule devient plus sûr avec un système de freinage et de conduite, le pari de Stevenson est de faire breveter son invention afin que toutes les marques lʼadoptent et de toucher ainsi un pourcentage sur chaque planche. Ce scénario, malheureusement pour lui, ne marchera pas tout à fait comme prévu et Stevenson ne se fera pas beaucoup d'argent sur les kicktails qui équipent pourtant dès la fin des années 70 toutes les planches. Son succès viendra des pratiquants qui, en lʼutilisant, découvriront le potentiel illimité de cette invention et sʼen serviront effectivement de levier pour atteindre des dimensions insoupçonnables auparavant. Dernier paradoxe, cette innovation qui apparaît à la fin des années 60 vient dʼune compagnie issue du surf et elle sera souvent analysée comme une émancipation majeure du skateboard par rapport à son modèle aquatique. Le modèle LX 10 mis au point vers 1968-69 Voici ce que donne le premier modèle que Stevenson nomme, LX 10, dʼune planche avec un kicktail. Comme le note Jim Fitzpatrick : « Il était évident que ça nʼallait pas se vendre à cause du design qui intégrait ces tubes autour de la planche. Et, bien qu'il y ait la possibilité dʼextensions réglables, ça sʼéloignait beaucoup trop de lʼapparence dʼune planche de surf. Ce n'était pas du tout le genre de truc, fait pour un môme. » LX 10, 1969. Stevenson va faire des améliorations à son LX 10 et il va produire des prototypes avec un noyau en mousse dans le courant de lʼannée 1969. À partir de ce modèle et tout doucement, le marché va redémarrer. En 1969, Makaha va ainsi vendre 5000 planches, ce qui nʼétait plus arrivé depuis 1965. LX 10, début 70. Voici encore une version simplifiée du LX 10 au début des années 70 qui se rapproche lui, des modèles qui se développeront massivement durant cette décennie. Sur lʼétiquette on peut lire que ce modèle est « 2 fois meilleur » et quʼ« il double automatiquement vos capacités »… Team En investissant dans le skateboard, les marques de surf vont apporter leur réseau commercial, leur presse avec Surfer magazine qui va créer Skateboarder magazine en 1964, mais aussi le concept de team qui va durablement marquer lʼévolution du skateboard. Le team nʼest pas une équipe au sens où on lʼentend traditionnellement dans le sport, plutôt une construction qui consiste à agglomérer des talents et des personnalités pour donner une identité à une marque. Brad Blank et Bruce Logan du Team Makaha au départ dʼune démo en Oregon, 1963. (DR) Le premier team de skateurs est naturellement formé par Makaha dès 1963 lorsque la marque apparaît. Dave Roachlen est chargé de recruter les meilleurs pratiquants qui sont souvent des enfants de 8 à 15 ans. Il les conduit en voiture pour faire des démos les weekends, principalement dans les centres commerciaux de Californie. Ce quʼil raconte de son métier est assez similaire de ce quʼon peut lire aujourdʼhui concernant une tournée de skateboard. Sa difficulté est déjà de motiver des adolescents qui sont souvent plus intéressés par les batailles de nourriture loin de leurs parents que de préparer une démonstration sur un coin de parking qui ne roule pas… Pour motiver ses troupes, Roachlen raconte quʼil a souvent promis comme récompense une session sur un spot de surf inaccessible à ces enfants sans moyen de locomotion… Le team skateboard de The Jack's Surfboards avec Duke Kahanamoku, 1965. Les compétitions de surfs sont aussi lʼoccasion de faire des démos de skateboard. En 1964, le Jackʼs Surfboard team crée un skateboard team. Ils profitent des compétitions de surf et de la notoriété de leurs surfeurs pour faire la promotion de leurs produits. On les voit ici en train de poser avec la légende hawaïenne du surf, Duke Kahanamoku, lors dʼune démo sur la plage dʼHuntington en 1965. Duke Kahanamoku aura d'ailleurs lui aussi, plusieurs modèles de skateboard dʼabord chez Koa Birch, puis chez Nash Sidewalk Skateboards. Jackʼs skateboard team sur la couverture Skateboarder magazine, 1964. Le Jackʼs skateboard team sera aussi en couverture du numéro 2 de Skateboarder magazine en 1964. On y on les skateurs vêtus de la tenue officielle du team en train de faire un meeting quasi-aérien avec des fumigènes de couleurs… Ce magazine ne publiera que 4 numéros de 1964 à 1965. Il vit grâce aux recettes publicitaires de marques comme Hobie, Makaha, Jackʼs Surfboards ou Nash et de quelques magasins spécialisés qui vendent ces skateboards comme Val Surf. La ligne éditoriale du magazine sʼattache surtout à rendre compte de la vie de ces marques, de leurs teams et des événements quʼils organisent. Ils vont tenter dʼimposer une image professionnelle du skateboard en militant pour son entrée aux Jeux Olympiques et en couvrant les différentes compétitions. Mais ils ne parviendront pas à résister aux campagnes dʼinterdiction par les municipalités ni à l'image de simple passe-temps passager pour teenagers. Cʼest ce même magazine qui renaîtra 10 ans plus tard en 1975 avec la nouvelle vague portée par lʼintroduction des roues en uréthane. Danny Bearer, Dave Hilton, John Freis, Danny Ascalante, le Hobie team dans lʼavion, 1965. (DR) Mais le véritable team qui va, comme la Bones Brigade dans les années 80, surclasser tous les autres, est celui créé par Hobie skateboards. On les voir ici dans un costume officiel avec le blason Vita-Patk brodé sur la poche. Avec ce team, pour la première fois, de très jeunes skateurs vont avoir la possibilité dʼêtre rémunéré pour faire cette activité. Comme le rapporte Skip Engblom, ce fut une révolution, comme si « Nike venait vous proposer un million de dollars pour vous balader en ville et y faire des graffitis ». Hobie va donc recruter les meilleurs skateurs et la compagnie va leur offrir la possibilité de voyager en avion aux quatre coins du pays pour faire des démonstrations. Une des idées pour promouvoir la marque sera dʼorganiser une tournée des États-Unis en accompagnant les projections du film Endless Summer de Bruce Brown dont le succès touche un grand public de plus en plus large. America's newest sport, 1965. (capture dʼécran) Bruce Brown va aussi réaliser un film dʼune dizaine de minutes pour présenter le team Hobie de skateboard et ses produits. On peut légitimement considérer ce document intitulé America's newest sport de 1965, comme le modèle de la longue série des vidéos de skateboard qui apparaîtront plus tard. Malheureusement, les interdictions qui se succèdent dans plusieurs villes des États-Unis et la campagne menée par la California Medical Association qui déclare la pratique dangereuse ne permettra pas à Hobie de capitaliser ces efforts de promotion et le film restera très confidentiel. Makaha team, 1969. (DR) On va terminer ce tour dʼhorizon des teams en nous arrêtant à lʼannée 1969. On a vu précédemment que cʼest lʼannée où Larry Stevenson a déposé son brevet de planche avec un kicktail et cʼest également lʼannée où il va remonter un team pour essayer de promouvoir son invention. Makaha va ainsi redynamiser son activité en faisant des démos et réussir à relancer un marché moribond. On voit sur cette photo de 1969, de gauche à droite Ty Page, Rusty Henderson, Brad Logan et Bruce Logan en train de faire la démonstration de la stabilité dʼune planche munie dʼun kicktail, à lʼarrêt ! Ceux qui ont connu le skateboard dans les années 70 connaissent bien ses noms qui seront encore des acteurs importants de la seconde vague à partir de 1975. En France Surfer magazine », 1962, 1964 et 1966. En 1962, suite à une correspondance entre Joël de Rosnay et John Severson lʼéditeur de Surfer magazine, le premier article sur le surf en France paraît dans ces pages. À partir de là, les reportages vont se succéder et les Californiens, les Australiens et les Européens vont commencer à débarquer en France goûter ces vagues encore épargnées par la surpopulation. “La Barre” à Anglet, aujourdʼhui défigurée par la construction de plusieurs digues, devient par exemple lʼun des spots les plus connus mondialement. Skateboard Makaha, 3 juillet 1964, aéroport de LAX. (DR) En 1963, Bill Cleary lʼéditeur de la revue Surf Guide voyage en Europe et au Maroc. À son retour, il a l'idée dʼorganiser on vol par charter pour amener des surfeurs vers des destinations exotiques. La France est choisie pour être la première de ces destinations. Il va concevoir lʼopération European Surfing Holiday comme un voyagiste, en proposant le vol aller-retour Los-Angeles/Paris sur World Airways, le séjour à Biarritz pour 2 semaines de surf et 6 semaines de temps libre jusquʼau retour deux mois plus tard, à Los Angeles. Larry Stevenson de Makaha propose à Jim Fitzpatrick surfeur et skateur, de faire le voyage et dʼemporter une douzaine de skateboards dans ses bagages avec pour mission dʼen faire la promotion et de les laisser en Europe. Jim Fitzpatrick à Tours dans The Quaterly Skateboarder, 1965. (DR) Fitzpatrick s'embarque le 3 juillet 1964 de l'aéroport de LAX, avec ses surfs et ses skateboards pour 30 heures de vol dans un avion à hélice. Voici comment il mʼa raconté ses premiers tours de roues sur le sol français début juillet 1964 : « J'ai skaté dès l'aéroport Charles de Gaulle, à l'extérieur du terminal. Jʼai fait un peu de tictac en tournant en rond, peut-être un équilibre sur les mains. Les gens étaient assemblés en cercle en tapant des mains et en murmurant entre eux tout le tout temps… Quand je me suis arrêté, il devai t y avoir 150 personnes, des applaudissements ont éclaté dʼun seul coup. C'était très étonnant, j'ai tenu ma planche au-dessus de ma tête et ils ont frappé des mains encore plus fort ! » Durant son cours séjour à Paris, il skate devant la Tour Eiffel, puis il prend la route pour Biarritz en faisant des démonstrations improvisées tout au long du trajet. Il sera lʼambassadeur du skateboard dans toute l'Europe, puisquʼaprès Biarritz et ses 2 semaines de surf, il parcourra l'Espagne, longera la côte méditerranéenne en passant par Marseille pour visiter lʼItalie, lʼAllemagne, les Pays-Bas, lʼAngleterre et reprendra le vol du retour au début septembre. Durant ce bref passage en France, Jim Fitzpatrick va laisser quelques planches Makaha à des surfeurs landais et ces skateboards vont marquer le début de la pratique en France par cette proximité avec le milieu du surf. Prospectus RollʼSurf (1965) La première marque française qui propose du matériel de qualité équivalente aux skateboards américains sʼappelle RollʼSurf. Elle apparaît en 1965 à Hossegor, à quelques kilomètres de Biarritz. Le nom de la marque Roll'Surf sera aussi celui donné à la pratique en France. Sur son prospectus, la société présente ainsi sa gamme : « Le « Surf à roulettes » doit sa création aux surfeurs privés de vagues, qui ont trouvé un homologue terrestre à leur sport favori. » Les figures décrites se nomment Hellie Weelie, Roll' Top, Kamikaze, Ducky Roll' Spinner, Genius ou encore Fancy' Roll. Si elles nʼévoquent plus rien pour un skateur aujourdʼhui, on devine en les écoutant que la référence nʼest ni le patin à roulettes, ni le ski et que leur fantaisie lexicale sʼéloigne aussi du modèle descriptif des figures de surf. Le skateboard est à la recherche dʼun vocabulaire pour mettre en mot sa spécificité. Le cahier rollʼsurf de Jean-Louis Bianco dans le site endlesslines. (capture dʼécran) De 1965 à 1967, Jean-Louis Bianco tient un journal dans lequel il rend compte de sa découverte conjointe du roll'surf et du surf, à Hossegor. Le cahier dans sa forme même est double : un côté est consacré à lʼapprentissage du rollʼsurf et en le retournant, on découvre la partie concernant le surf. Avec ce cahier manuscrit et illustré par des photos personnelles, lʼarchive change aussi de nature. Nous sommes ici au plus près de lʼexpérience dʼun adolescent qui raconte dans sa langue, ses espoirs, ses doutes et ses déceptions. On le suit sur 2 années, au rythme de sa progression. La lecture de chacune des deux parties, skateboard ou surf, nous amène toujours un peu plus de lʼune vers lʼautre, comme si ces deux points de fuite pouvaient se rejoindre et fusionner. Ce texte témoigne précisément de ce moment historique où les deux pratiques étaient inextricablement liées. Tintin n° 916 et Pilote n° 316, 1965. Dans son cahier, Jean-Louis Bianco colle deux pages extraites du journal Pilote et du journal de Tintin en 1965. Ces deux articles sont des publi-reportages qui décrivent succinctement ce nouveau sport. Pour Tintin, il s'agit, je cite : d' « un sport complet, très voisin du ski, dont il retrouve les principales attitudes les virages, les slaloms, les arrêts en dérapage contrôlé. ». Dans Pilote on pose la question : « Vous connaissez tous le surf ? Pas la danse, le sport […]. Et bien, ce sport, vous allez pouvoir le pratiquer sur la terre ferme, grâce au « roll' surf ». Une autre publication française, nommée Surf Atlantique, fera le compte-rendu du championnat de France de roll'surf dans son numéro en 1965. Comme aux États-Unis, les débuts du skateboard oscillent donc entre deux pôles, un jeu pour enfant et un substitut pour les surfeurs. Et comme aux États-Unis, les photos qui illustrent l'article sont prises sur la côte Atlantique, qui semble le principal lieu, à en juger par ces magazines, où se pratiquait le roll'surf en France… Surf Skate, juin 1977. En juin1977, le premier magazine français qui accompagne la deuxième vague du skateboard s'appellera Surf Skate. Basé à Bayonne, il traite le temps d'un seul numéro, des deux pratiques. On y trouve par exemple, le compte-rendu d'une compétition en novembre 1976, à la Z.U.P. de Bayonne, un spot décrit comme étant l'équivalent de “La Barre” pour les skateurs. Les championnats de France de skateboard de 1977, premiers a voir le jour depuis les années 60, s'y dérouleront en août. Logo FFSS, 1978. En décembre 1977, la Fédération Française de Surfing devient la Fédération Française de Surf et Skate. La récupération du skateboard et son assimilation à la Fédération de surf sont issus de la volonté du président de l'époque, Jean-Baptiste Caulonque, d'obtenir plus de subventions grâce au nombre important des skateurs. Ce montage ne sera jamais véritablement assumé par les deux parties et il signera finalement une rupture assez définitive entre ces 2 pratiques, dans les années 80. Jean-Louis Bianco sera président de la Fédération Française de Surf et de Skate de 1985 à 1989, mais 20 ans après sa découverte concomitante du skateboard et du surf, il aura beaucoup de difficultés à les faire coexister dans une même famille. Depuis 1994, le skateboard s'est définitivement séparé du surf pour rejoindre la Fédération Française de Roller-Skating en 1997. Mais là, c'est encore autre une histoire… Sur une planche…,1966. (capture dʼécran) Je termine ce tour dʼhorizon par 2 petits films tournés en 1965, dont Jean-Louis Bianco parle dans son cahier et auxquels il a participé. Le premier sʼintitule : Sur une planche… Il passe en revue le surf, le rollʼsurf, la soucoupe volante (dont vous allez découvrir lʼutilisation) et le remorquage du surf à cheval. Les Insolites du sport, 1965. (capture dʼécran) Le second fait partie dʼune série Les insolites du sport et il est consacré exclusivement au rollʼsurf. Le reportage commence par cette question : « Connaissez-vous le surf ? » et il sʻachève avec une séquence de chien sur un skateboard qui est un cliché toujours dʼactualité dans de nombreuses videos visibles sur le net ! Lance Mountain y a lui-même contribué dans une célèbre séquence dans la vidéo Public Domain en 1988. Il existe tellement de documents sur les canidés qui font du skateboard quʼon pourrait envisager une prochaine conférence à ce sujet ! Il est temps pour moi dʻarrêter et de vous laisser visionner ces 2 capsules… Mai 2013