I5I
Désir d'enfant chez les gays
et les lesbiennes
Martine Gross
CNRS, Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux, Paris
gross@ehess.fr
■
Zoé, 9 ans: «Ma
mère, je l'appelle
Maman, et Isa
j e l'appelle Isa ou
Zouzou. Isa, c'est à
la fois ma mère, mais
pas vraiment ma
mère. C'est ma mère
parce qu'elle a
toujours été là. Et puis
c'est pas ma mère
parce que c'est pas
elle qui m'a mise au
monde » (extrait de
Têtu, n' 96, janvier 2005).
L
ÉTUDE DES PROJETS PARENTAUX DES
gays et des lesbiennes', comme mini
laboratoire social, permet d'éclairer
points communs et différences dans
l'expression du désir d'enfant chez les
hommes et chez les femmes. Dans le
projet homoparental, le désir d'enfant
est détaché, isolé du désir hétérosexuel
pour le parent de l'autre sexe. Qu'en
est-il alors de l'articulation entre la
conjugalité et le désir d'enfant ? Désiret-on un enfant comme avenir de l'amour
du couple ici de personnes de même
sexel , fruit symbolique du couple, ou
bien désire-t-on individuellement un
enfant indépendamment de la vie de
II\ n, mur,
1 52 REPÈRES
couple ? Ou encore une combinaison des
deux, désir du couple et désir individuel?
Dans l'hétéroparentalité, lorsque le
couple ne souffre pas d'infertilité, ces
éléments sont, dans la plupart des cas,
imbriqués : l'enfant n'est pas un objet
symbolique, il est le fruit de la sexualité
procréatrice du couple de sorte que,
même si chacun porte un désir individuel de transmission, le désir d'enfant
peut être vécu par les deux parents ou
par un seul des deux comme un projet
commun : le projet parental du couple.
Les modalités choisies par les mères
lesbiennes et les pères gays pour devenir parents illustrent plusieurs questions
qui se posent à eux :
• l'articulation entre conjugalité et
parentalité
• l'articulation entre parenté biologique et parenté sociale ;
• la tension entre deux tendances :
d'une part, la persistance d'une idéologie essentialiste qui hiérarchise parents
biologiques et parents qui ne le sont pas,
les mères et les pères ; et d'autre part
une innovation fondamentale, à savoir
un rôle social équivalent, de même
ordre pour chaque sexe, auprès des
enfants.
Mon propos s'appuie sur deux enquêtes :
• une enquête par questionnaires
réalisée en 2001 auprès de 285 membres
de l'APGL (Association des parents et
futurs parents gays et lesbiens) ;
• une enquête qualitative menée en
2002-2003 au moyen d'entretiens semidirectifs auprès d'une soixantaine de
personnes : pères gays, mères lesbiennes ou homosexuel(le)s souhaitant
devenir parents.
-
-
-
Deux asymétries
Avant d'étudier plus précisément les
projets parentaux des gays et des lesbiennes et les discours qu'ils et elles
tiennent à propos de la manière de fonder une famille homoparentale, remarquons que les hommes et les femmes en
France ne sont pas égaux lorsqu'ils veulent devenir parents, que ce soit en donnant la vie ou en adoptant. Après des
siècles pendant lesquels les femmes
n'eurent aucune maîtrise sur leur corps,
elles ont obtenu aujourd'hui le droit de
disposer de leur ventre, d'avoir un
enfant quand je veux, si je veux ». Elles
sont libres d'avorter ou de procréer.
Porter un enfant puis accoucher leur
donne immédiatement le statut de mère
légale (Iacub 2004). Elles peuvent
renoncer à la maternité, mais il faut
alors que l'accouchement lui-même soit
effacé, qu'il n'ait pas eu lieu, c'est l'accouchement sous X. Autrement dit, la
maternité rime avec naturalité. Un
homme pour être père devra savoir
quelle femme a accouché de son enfant
pour déclarer sa volonté d'être père. La
paternité, détachée de la maternité,
aurait quelque chose de contre-nature.
Les gays et les lesbiennes se trouvent confrontés à cette asymétrie. Pour
concevoir, les femmes peuvent se tourner vers des pays voisins tels que la Belgique, l'Espagne pour recourir à une
IAD (Insémination artificielle par donneur) avec un donneur inconnu ou les
Pays-Bas pour une IAD avec possibilité
pour l'enfant de connaître à 16 ans
l'identité de son géniteur. Elles peuvent
demander à un ami de les aider à donner la vie sans qu'il s'implique ensuite
dans l'éducation de l'enfant, c'est ce
qu'on appelle avoir recours à un donneur connu. Elles peuvent faire une
demande pour adopter. Elles peuvent
aussi choisir la coparentalité, c'est-àdire se rapprocher d'un homme gay et
de son compagnon ou d'un homme non
gay pour coparenter » avec lui l'enfant
qu'ils auront conçu ensemble.
Force est de constater que les choix
ne sont pas aussi nombreux pour les
hommes. Ils ne peuvent se faire inséminer ni porter un enfant. Pour devenir
père, il leur faudra impérativement passer par une femme ou adopter. L'adoption n'est pas impossible mais difficile
de manière générale pour les célibataires auxquels les couples sont préférés, et sans doute plus difficile encore
pour les hommes. Ont-ils intégré cette
difficulté, comme certains pères séparés qui, ayant assimilé la difficulté à
obtenir la résidence principale de leurs
enfants jNeyrand 2001), ne font pas la
,
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES I 53
démarche de la demander, persuadés de
ne pas obtenir satisfaction ?
Les lois de bioéthique de juillet 1994
rendent impossible le recours à une
maternité de substitution en France. La
démarche est de ce fait rendue très complexe et explique sans doute le petit
nombre d'hommes qui se tournent vers
cette solution.
La très grande majorité des hommes
(83 To ) de l'APGL qui souhaitent devenir
parents se tournent ainsi vers la coparentalité, alors que seules 40 To des
femmes choisissent cette configuration
familiale.
A cette asymétrie s'en ajoute une
autre. Il s'agit de l'asymétrie au regard
de la loi en ce qui concerne les positions
parentales des différents acteurs qui
fondent une famille selon qu'ils peuvent
ou non entrer dans le cadre du modèle
de filiation exclusif un père une mère,
pas un de plus » du droit de la famille en
France. Ceux qui n'entrent pas dans ce
cadre légal n'ont aucun statut de parent
au regard de la loi. Par exemple, la compagne d'une mère ou le compagnon
d'un père, s'ils se conduisent comme
des parents, se qualifient eux-mêmes de
parent social ». Etre un parent social »
désigne la situation d'une personne qui
se conduit comme un parent mais n'a
aucun des droits et devoirs prévus par la
loi pour les relations entre parents et
enfants. Soit parce que c'est une personne du même sexe que le parent légal,
soit parce qu'il y a déjà un père et une
mère et qu'il ne peut y avoir de parent
en plus.
& Groupe ACSF 1993 ; Bozon, Leridon,
Riandez & Groupe ACSF 1993 ; Jaspard
1997 ; Bajos, Bozon & al. , 1998 ; Simon
& al. 1972) sur la sexualité des Français.
Les études sur la première fois »
montrent que les filles sont plus nombreuses à associer la sexualité à l'amour
voire au couple (Bozon 20011 tandis que,
pour les garçons, il s'agit d'une étape
dans l'apprentissage de la sexualité. Par
la suite, ce malentendu des premiers
rapports, note Michèle Ferrand (20041,
se rejoue au fil des rencontres ultérieures : généralement, les hommes
recherchent d'abord une partenaire
sexuelle tandis que les femmes continuent à chercher plutôt une relation
affective stable. A propos de la manière
de vivre son homosexualité, Michèle
Ferrand (20041 note qu'elle diffère selon
qu'il s'agit de gays ou de lesbiennes. La
conjugalité, comme forme de gestion de
la vie amoureuse et sexuelle, semble
davantage préférée par les femmes. Ces
dernières privilégient le statut de relation durable fondée sur un soutien psychologique et affectif qui l'emporte sur
le rapport érotique, alors que le couple
masculin reste plus propice à une valorisation de la dimension érotique de la
relation (Schiltz 19981.
Tendance confirmée par l'enquête
APGL de 2001.
sexe x durée couple
L'articulation
entre conjugalité
et parentalité
Les projets parentaux sont-ils des projets de couples ou des projets individuels? • L'enquête par questionnaires
de 2001 auprès des adhérent(e)s de
l' APGL montre que 82 '70 des femmes et
67 Fo des hommes vivent en couple. Les
femmes sont aussi beaucoup plus nombreuses à être en couple depuis plus de
cinq ans (69 % des femmes vivent en
couple pour 41 % des hommes). Cela est
à rapprocher des enquêtes (Spira , Bajos
ho—ere
femmes
ett
=
1 54 REPÈRES
Parmi les hommes qui souhaitent
devenir parents ou qui le sont déjà, nombreux ;67 %I sont ceux qui vivent en
couple même s'ils sont proportionnellement moins nombreux que les femmes
(81 70 1. En 1995, plus de la moitié des
répondants des enquêtes sur les modes
de vie gays déclaraient une relation
stable avec un homme (Schiltz 19991. La
population masculine de l'APGL vit
donc plus souvent en couple que les
hommes gays en général. Dans cette
étude, je me suis penchée sur la dimension conjugale ou individuelle du projet
parental chez les gays et les lesbiennes
qui vivent en couple. Etre en couple au
moment de l'élaboration ou de la réalisation du projet apparaît comme une
condition nécessaire à la dimension
conjugale du projet, mais cela ne constitue pas une condition suffisante. On
peut en effet vivre en couple mais élaborer un projet parental individuel.
Les indicateurs de la dimension
conjugale du projet sont :
- des énoncés particuliers situant
par exemple « l'enfant comme prolongement du couple » ou le couple comme
préalable indispensable à la réalisation
d'un désir qui peut être antérieur à la
constitution du couple ;
- le positionnement du compagnon
ou de la compagne comme « parent ».
0
Les hommes • En ce qui concerne leurs
projets parentaux, qu'il s'agisse d'adoption, de maternité pour autrui, ou de
coparentalité, le projet est plus souvent
celui d'un seul des deux membres du
couple. Parfois, il existe deux projets
individuels.
• Alain (projet d'adoption) : « C'est
un projet que j'avais avant de le
connaître, qui n'a fait que se développer
quand je l'ai rencontré il y a quatre ans
parce qu'il est très proche des enfants.
[...] Récemment, il a déposé un dossier
d'agrément. Pour l'instant c'est pas dit,
mais ce que j'ai en tête, moi, c'est qu'on
mène chacun nos histoires jusqu'à, si ça
se passe bien, jusqu'à l'adoption plénière. En plus, lui, il ne rêve que d'une
chose, c'est d'une petite fille, donc ce
serait parfait et qu'après, on fusionne. »
• Fabien (projet de coparentalité) :
« Depuis toujours j'ai souhaité avoir un
enfant ou des enfants. Ce désir était
déjà là avant la découverte, si je peux
employer ce mot-là, de mon homosexualité. [...] Ce n'était pas un projet de
couple, ce n'était clairement pas un projet de couple. »
L'enquête quantitative vient confirmer cette tendance. A la question : « Si
vous êtes le compagnon d'un père ou la
compagne d'une mère et que le projet
d'enfant a été élaboré dans un contexte
homoparental, comment vous êtes-vous
situé par rapport à ce projet ? » la moitié
des hommes ont répondu qu'ils accompagnaient le projet mais ne se considéraient pas comme un parent.
En revanche, à la question : « En
tant que compagnon ou compagne d'un
futur parent gay ou lesbien, comment
vous situez-vous par rapport au projet
d'enfant ? » davantage d'hommes compagnon d'un futur père (59 % pour 43 %
pour les compagnons des déjà pères) se
situent comme un futur parent, ce qui
signe peut-être un assouplissement des
représentations. Les assignations de rôle
font que les gays et les lesbiennes qui ne
sont pas des parents légaux ne s'autorisent pas à se considérer comme parents.
Si vous êtes le compagnon d'un père ou la compagne
d'une mère, comment vous êtes-vous situéie
par rapport au projet ?
Se, a re: aer, e osrose_
❑
ar,ssle eaU,S ete, uc5p e rra 5,5 5, e , 5
En tant que compagnon ou compagne d'un futur
parent gay ou lesbien, comment vous situez-vous
par rapport au projet d'enfant ?
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sr — rse esscs a a au prriet eu couole raie ses serert rsa5r ér e,
Il faut cependant préciser que se
définir comme un parent ou un futur
parent dans l'énoncé d'un discours à
propos du projet parental ne dit rien sur
la réalité concrète de la vie quotidienne
avec l'enfant. Car le terme « parent »
recouvre des significations multiples : le
statut légal, le lien du sang et le lien
affectif au travers des fonctions parentales exercées au quotidien. Le fait que
le projet soit énoncé comme celui d'un
seul membre du couple ne dit rien des
relations parent-enfant qui se nouent
une fois que l'enfant est là.
Lorsque l'enfant est là, sa présence
quotidienne situe les deux hommes d'un
couple dans l'exercice des fonctions
parentales. Emmanuel Gratton (2005)
note qu'il arrive même souvent que
l'i mplication du compagnon finit par
égaler, voire dépasser l'implication de
l'initiateur du projet.
Les femmes • Le désir d'enfant est souvent clairement énoncé comme projet
du couple : c'est l'aboutissement du
couple, c'est l'enfant fruit de l'amour.
Cet énoncé du projet conjugal est
d'ailleurs encouragé par les cliniques
belges jBaetens, Ponjaert, Van Sterteghem & Devroey 1996).
• Nathalie et Antoinette (Antoinette
a adopté)
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES 1 55
Nathalie : « C'est injuste, c'est frustrant. L'enfant c'est l'aboutissement de
notre amour. Et nous ne pouvons pas.
D'ailleurs c'est injuste quand on ne peut
pas avoir d'enfant, que ce soit dans le
cas d'un couple homosexuel ou hétérosexuel. »
• Jeanne et Clothilde (projet de
coparentalité)
Q: C'était le projet de votre couple ?
Ou celui de Clothilde ?
Jeanne : « C'était toutes les deux.
C'était le couple. Le désir est né du
couple. Avant on n'avait aucun désir
d'enfant. »
Comme l'indiquent les graphiques
précédents, les compagnes des mères
légales sont significativement plus nombreuses que les hommes à se situer
comme un second parent, et à se définir
comme mère d'un enfant qui ne leur est
relié ni légalement ni biologiquement.
• Brigitte et Clarisse (IAD de Brigitte)
Clarisse : « Nous, on était pour qu'il y
ait deux mamans. » En parlant des films
tournés à la naissance de leur enfant :
« Quand on me voit, c'est vraiment la
maman: et puis évidemment on la voit
allaiter. »
Carla et Marie-Laure ont illustré
dans les médias cette position. Les
enfants nés de Marie-Laure par une IAD
ont porté les noms des deux femmes dès
leur naissance. Elles ont fait des
démarches pour obtenir que Carla
adopte les enfants de Marie-Laure. Puis,
dans une deuxième étape, que soient
restitués à Marie-Laure ses droits parentaux transférés à Carla du fait des dispositions légales de l'adoption simple
qui dépouillait Marie-Laure de son autorité parentale au profit de Carla. Les
enfants de Carla et Marie-Laure se trouvent avoir deux mères non seulement à
la maison mais aussi au regard de la loi,
tant au niveau de la filiation que de
l'exercice de l'autorité parentale.
On peut dire, pour résumer, que les
hommes élaborent plus souvent des projets individuels. Leurs compagnons
s'investissent dans des fonctions parentales lorsque l'enfant est là, mais ne se
situent pas dans la position d'un second
père. Les femmes élaborent plus souvent des projets de couples. L'enfant
■
M. vit en couple avec
son compagnon L.
M. est le papa
d'une petite fille
conçue et élevée en
coparentalité avec
une amie lesbienne.
Son compagnon est
également papa
dans le cadre d'une
coparentalité. Leurs
enfants se rencontrent
régulièrement quand
ils sont chez leurs
pères (photo A. Rastoin).
1 56 REPÈRES
n'est pas le produit naturel du couple
mais il en est l'aboutissement. Les compagnes de mères se situent assez souvent comme second parent.
On peut s'interroger sur le poids des
représentations dans cette différence
d'articulation de la conjugalité et de la
parentalité. Etre mère réintroduit une
lesbienne dans la féminité, elle redevient
une « femme comme les autres » (Hayden
19951. Par ailleurs, on l'a vu, les femmes
privilégient souvent les relations de
couple, ce qui leur permet peut-être plus
facilement de combiner attitudes parentales et conjugales. La paternité non seulement ne remplit pas cette fonction pour
les gays, de les faire redevenir « un
homme comme les autres », mais peut
même au contraire les désigner comme
« monstrueux », en les rendant suspects
de pédophilie. Par ailleurs, les hommes
privilégient la sexualité à la conjugalité.
D'où peut-être une plus grande difficulté
pour eux à combiner attitudes parentales
et conjugales.
Etre deux, comme dans le cas d'un
couple de lesbiennes qui a recours à
une IAD ou à une adoption, ou être plus
de deux, comme dans le cas de la coparentalité où il peut y avoir jusqu'à
quatre adultes concernés par le projet
parental, est un paramètre important à
prendre en compte si l'on veut étudier
la position des parents sociaux ainsi que
l'articulation entre la conjugalité et la
parentalité. Je distingue donc les configurations biparentales des configurations multiparentales. Dans les configurations biparentales, deux personnes
seulement élèvent des enfants au sein
de leur couple.
Les configurations multiparentales
sont des situations dans lesquelles
plus de deux personnes se conduisent
comme des parents, c'est entre autres le
cas de la coparentalité entre un gay et
une lesbienne lorsque leur compagnon
et leur compagne s'impliquent comme
parents sociaux.
Voyons maintenant comment l'articulation conjugalité/parentalité s'associe
ou non aux discours énoncés autour de
la décision de fonder une configuration
familiale biparentale ou multiparentale.
Biparentalité,
multiparentalité :
les discours
Lorsqu'on interroge les parents gays et
lesbiens sur ce qui a motivé le choix de
l'adoption, d'une IAD, d'une gestation
pour autrui ou de la coparentalité, ils
évoquent tous le fait qu'ils ont examiné
chacune des possibilités et ont écarté
celles qui ne leur convenaient pas, tant
du point de vue de leur représentation
de ce qu'exige l'intérêt de l'enfant que
de leur représentation de la parentalité
ou de la famille. Choisir la biparentalité
pour les hommes, c'est concrétiser une
certaine représentation de la paternité,
où prime la relation à l'enfant, sa prise
en charge quotidienne et matérielle à
temps plein. Pour les femmes, choisir la
biparentalité, c'est concrétiser une certaine représentation non de la maternité, mais de la famille comme prolongement du couple. En revanche, lorsque
le choix se porte sur la coparentalité„ les
discours se ressemblent : hommes et
femmes veulent donner « un père et une
mère » à leur enfant. On verra qu'audelà de ce discours à l'unisson, la coparentalité est le nid de tensions, conduisant parfois à des conflits majeurs, entre
les représentations que se font les
hommes et les femmes du concept de
père ou de mère.
Discours sur
la biparentalité ?
Pour les hommes: il s'agit d'être père à
plein temps • La spécificité de l'identité
paternelle est plus floue que par le
passé. On ne sait plus très bien ce qu'est
un père ni quelle est exactement la fonction d'un parent masculin, disent par
exemple Françoise Hurstel (19961 ou
Geneviève Delaisi (19811. Etre géniteur
ne suffit pas à fonder l'identité paternelle. Dans les années 1960, on reprochait aux pères leur absence auprès de
leurs enfants, leur surinvestissement
professionnel. On a ensuite dénoncé
l'autorité et la contrainte comme
méthodes éducatives. La loi du 4 juin
1970, en remplaçant la puissance paternelle par l'autorité parentale, également
partagée entre le père et la mère, a
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES 1 57
contribué à rapprocher les fonctions
paternelles et maternelles et à favoriser
la représentation du « bon parent »
comme étant celui qui, loin de représenter l'autorité, s'implique dans la relation parentale jFerrand 200-11. Christine
Castelain-Meunier (2002! note à propos
des pères d'aujourd'hui que c'est « l'importance du lien affectif à l'enfant qui
caractérise, à leurs yeux, la paternité
contemporaine ».
Une des motivations régulièrement
entendue chez les gays qui choisissent
d'être pères en adoptant ou ayant
recours à une gestation pour autrui,
c'est-à-dire sans avoir à partager les
fonctions parentales avec une mère, est
de pouvoir vivre leur paternité sans
contrainte. Ils sont résolument des
« nouveaux pères », de ceux qui définissent leur rôle d'abord dans une paternité relationnelle avec l'enfant et qui se
perçoivent aussi aptes que les femmes à
s'occuper des enfants.
Ils ont d'abord pensé à la coparentalité et l'ont écartée comme incompatible
avec le lien qu'ils souhaitent développer
avec leur enfant. Ils peuvent aller jusqu'à exprimer très clairement ne pas
vouloir dépendre du bon vouloir d'une
femme pour accéder à celui-ci. Ils ne
veulent pas être des pères d'un weekend sur deux et des petites vacances. Ils
souhaitent être pères à temps plein et
assumer totalement leur paternité.
Ce désir ne signifie pas que les
femmes seront évincées de l'environnement de l'enfant car les hommes qui
sont pères sans mère s'entourent régulièrement de figures maternelles et
grand-maternelles qu'ils vont chercher
au sein de leur famille, de leur réseau
amical ou à défaut dans le milieu professionnel de la petite enfance.
Pour les femmes: c'est le projet d'un
enfant du couple • Les femmes de
l' APGL qui ont choisi d'adopter, de
recourir à une IAD ou à un donneur
connu qui ne s'impliquera pas au quotidien ont toutes pensé aussi à la coparentalité. Contrairement aux hommes,
elles n'évoquent pas de crainte particulière d'être limitées dans leurs relations
avec l'enfant, comme si ces dernières
leur étaient « naturellement » assurées.
On verra par la suite que cet aspect
occulté de la coparentalité peut engendrer des conflits inextricables. Elles ont
écarté la coparentalité à cause du risque
de fragilisation du couple face à l'introduction d'un tiers dans la relation. Elles
disent : « C'est bien assez compliqué
comme ça. Nous sommes une famille
hors norme, être plus de deux rajoutera
des difficultés. » Elles ne souhaitent pas
dissocier le parental du conjugal.
Elles ne sont pas insensibles au
discours social selon lequel l'intérêt de
l'enfant commande qu'il ait un père et
une mère. Pour résoudre cette tension
entre « ne pas complexifier la situation » et « l'exigence d'un référent paternel dans l'intérêt de l'enfant », elles
■
Louis, I I ans:
Mes parents, c'est
papa Paul et papa
Julien. Pour certains,
j'ai une maman; pour
d'autres non. Pour
moi, non je n'ai pas
de maman. C'est juste
une personne qui m'a
porté pour rendre
service à mes
parents... » (extrait de
Têtu. n - 96. jarnner 2005).
1 58 REPÈRES
choisissent parfois la solution du « donneur connu ». Opter pour un donneur
connu est risqué puisque les conventions portant sur un enfant à naître ne
sont pas légales. Un donneur connu
peut exiger d'exercer ses droits parentaux s'il reconnaît son enfant.
Nathalie, citée par Anne Cadoret
(20021: « Déjà, construire une relation
de couple avec quelqu'un, pour longtemps, ce n'est pas évident. Alors partager l'éducation d'un enfant pendant les
vingt ans à venir avec un ami dans une
relation d'amitié et non de couple, il
faudrait trouver la bonne personne... »
Nathalie et sa compagne se sont tournées vers l'adoption.
Marie-Laure et Carla, citées par Eric
Dubreuil j1998). Marie-Laure : « On envisageait un enfant avec un père. On
trouvait normal que le père étant connu,
il soit présent dans la vie de l'enfant. On
était ouvertes à une discussion avec lui
sur le rôle qu'il aurait joué... Pendant
toutes ces démarches, on s'est posé la
question de savoir ce qu'était notre
désir d'enfant et on s'est rendu compte
que c'était un désir de couple et ensuite
on s'est situées davantage comme un
couple qui a des difficultés pour avoir
des enfants, et qui fait appel à la technique pour remédier à ce problème. »
Carla : « Après réflexion, on réalisait
qu'on n'aurait pas tellement su comment intégrer quelqu'un de l'extérieur,
et toute la difficulté que cela aurait été
d'élever un enfant à trois. »
Choisir la coparentalité :
« Donner un père et une
mère à son enfant !»
Hommes et femmes semblent ci priori
énoncer des discours semblables à propos de la coparentalité. La coparentalité
donne un père et une mère à un enfant,
un modèle de l'altérité sexuelle. Ce discours, en accord avec les représentations véhiculées par les médias, les psys
et tout le discours social, est déculpabilisant par rapport à la transgression des
normes sociales. Il répond en partie aux
questions concernant ce qui sera renvoyé à l'enfant à l'école, et en général
à l'extérieur de la famille. Pourtant,
au-delà du thème « généreux » ou de
bonne conscience, selon le point de vue
où l'on se place, il faut garder à l'esprit
d'une part qu'hommes et femmes ne
sont pas égaux devant ce choix et que,
d'autre part, ils et elles sont traversés
par des représentations de la paternité
et de la maternité qui entrent aujourd'hui en tension, y compris dans les
familles hétéroparentales.
Les hommes • Comme on l'a souligné., la
coparentalité s'impose souvent comme
l' unique possibilité envisageable pour
devenir père. En effet, le recours à une
mère pour autrui est exceptionnel. Il
apparaît à la très grande majorité des
hommes interrogés comme inimaginable. Les représentations d'un enfant
que l'on prive d'une mère, celles d'une
mère qui choisit de donner l'enfant
qu'elle a porté, sont très culpabilisantes.
Par ailleurs peu d'hommes se tournent
vers l'adoption, la démarche est difficile. Il faut dissimuler l'homosexualité
dans la plupart des départements pour
obtenir un agrément. Rares sont ensuite
les pays qui confient un enfant à un
homme célibataire. La coparentalité a
pour elle deux avantages. Le premier est
qu'elle n'est soumise à aucun contrôle
social, du fait de sa « naturalité ». Un
homme et une femme peuvent procréer
comme ils l'entendent, ils deviennent
parents sans avoir à demander à la
société une autorisation. Le second
avantage est qu'elle apaise chez les
hommes, comme chez les femmes, la
culpabilité à mettre un enfant au monde
dans des conditions inhabituelles.
Reste que la représentation de la
« bonne paternité » comme étant celle
qui privilégie le temps passé avec les
enfants n'est pas absente, même si elle
n'est pas explicite au moment de l'élaboration du projet.
Les femmes • Le choix de la coparenta-
lité chez les femmes ne peut être
imputé à la difficulté de devenir mère
autrement qu'en partageant la parentalité avec un père. Elles peuvent se
tourner vers l'IAD ou l'adoption. Certaines écartent l'adoption parce qu'elles
1 58 REPÈRES
choisissent parfois la solution du « donneur connu ». Opter pour un donneur
connu est risqué puisque les conventions portant sur un enfant à naître ne
sont pas légales. Un donneur connu
peut exiger d'exercer ses droits parentaux s'il reconnaît son enfant.
Nathalie, citée par Anne Cadoret
2002! : « Déjà, construire une relation
de couple avec quelqu'un, pour longtemps, ce n'est pas évident. Alors partager l'éducation d'un enfant pendant les
vingt ans à venir avec un ami dans une
relation d'amitié et non de couple, il
faudrait trouver la bonne personne... »
Nathalie et sa compagne se sont tournées vers l'adoption.
Marie-Laure et Carla, citées par Eric
Dubreuil (19981. Marie-Laure : « On envisageait un enfant avec un père. On
trouvait normal que le père étant connu,
il soit présent dans la vie de l'enfant. On
était ouvertes à une discussion avec lui
sur le rôle qu'il aurait joué... Pendant
toutes ces démarches, on s'est posé la
question de savoir ce qu'était notre
désir d'enfant et on s'est rendu compte
que c'était un désir de couple et ensuite
on s'est situées davantage comme un
couple qui a des difficultés pour avoir
des enfants, et qui fait appel à la technique pour remédier à ce problème. »
Carla : « Après réflexion, on réalisait
qu'on n'aurait pas tellement su comment intégrer quelqu'un de l'extérieur,
et toute la difficulté que cela aurait été
d'élever un enfant à trois. »
Choisir la coparentalité :
« Donner un père et une
mère à son enfant !»
Hommes et femmes semblent a priori
énoncer des discours semblables à propos de la coparentalité. La coparentalité
donne un père et une mère à un enfant,
un modèle de l'altérité sexuelle. Ce discours, en accord avec les représentations véhiculées par les médias, les psys
et tout le discours social, est déculpabilisant par rapport à la transgression des
normes sociales. Il répond en partie aux
questions concernant ce qui sera renvoyé à l'enfant à l'école, et en général
à l'extérieur de la famille. Pourtant,
au-delà du thème « généreux » ou de
bonne conscience, selon le point de vue
où l'on se place, il faut garder à l'esprit
d'une part qu'hommes et femmes ne
sont pas égaux devant ce choix et que,
d'autre part, ils et elles sont traversés
par des représentations de la paternité
et de la maternité qui entrent aujourd'hui en tension, y compris dans les
familles hétéroparentales.
Les hommes • Comme on l'a souligné, la
coparentalité s'impose souvent comme
l' unique possibilité envisageable pour
devenir père. En effet, le recours à une
mère pour autrui est exceptionnel. Il
apparaît à la très grande majorité des
hommes interrogés comme inimaginable. Les représentations d'un enfant
que l'on prive d'une mère, celles d'une
mère qui choisit de donner l'enfant
qu'elle a porté, sont très culpabilisantes.
Par ailleurs peu d'hommes se tournent
vers l'adoption, la démarche est difficile. Il faut dissimuler l'homosexualité
dans la plupart des départements pour
obtenir un agrément. Rares sont ensuite
les pays qui confient un enfant à un
homme célibataire. La coparentalité a
pour elle deux avantages. Le premier est
qu'elle n'est soumise à aucun contrôle
social, du fait de sa « naturalité ». Un
homme et une femme peuvent procréer
comme ils l'entendent, ils deviennent
parents sans avoir à demander à la
société une autorisation. Le second
avantage est qu'elle apaise chez les
hommes, comme chez les femmes, la
culpabilité à mettre un enfant au monde
dans des conditions inhabituelles.
Reste que la représentation de la
« bonne paternité » comme étant celle
qui privilégie le temps passé avec les
enfants n'est pas absente, même si elle
n'est pas explicite au moment de l'élaboration du projet.
Les femmes • Le choix de la coparentalité chez les femmes ne peut être
imputé à la difficulté de devenir mère
autrement qu'en partageant la parentalité avec un père. Elles peuvent se
tourner vers l'IAD ou l'adoption. Certaines écartent l'adoption parce qu'elles
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES I 5 9
■
souhaitent vivre la grossesse. Lorsqu'elles écartent l'IAD, c'est parce
qu'elles disent vouloir donner un père à
leurs enfants.
Si le bon père aujourd'hui est celui
qui est proche de ses enfants, la mauvaise mère est encore celle qui les aime
trop, elle est alors fusionnelle, ou pas
assez, elle est alors abandonnante. Si la
présence nécessaire d'une mère n'est
pas évoquée par le discours social, c'est
parce qu'elle est une évidence qui ne se
laisse même pas nommer, encore moins
déconstruire. En revanche, l'absence de
père a été montrée et est toujours montrée du doigt comme la cause de bien
des maux, dont la délinquance juvénile.
La négation du père menacerait de psychose l'enfant qui serait alors pris dans
une fusion mortifère avec sa mère. Ces
discours excessifs mettent en évidence
les représentations à l'oeuvre aujourd'hui dans le prêt à penser psy véhiculé
un peu partout : le père serait celui qui
vient séparer la mère de son enfant
jNaouri 20041: la mère serait nécessairement fusionnelle, et pathogène si la
fusion qu'elle entretient avec son enfant
n'est pas interrompue par le père enfin
les maux de notre société seraient dus à
la maternisation des pères (Schneider
20041 et au trop grand pouvoir des
mères maintenant que les pères n'exercent plus la puissance paternelle 2 .
Même si les pères et mères concrets ne
se retrouvent pas dans ces images qui
ne sont qu'une manière de concevoir les
fonctions paternelle et maternelle,
qu'une construction sociale à un moment donné, comment peuvent-ils leur
échapper ? Comment ne pas être sensible à ces discours ? Accordant elles
aussi une valeur à ces représentations
d'une mère fusionnelle et du père séparateur, énonciateur de la loi... les
femmes choisissent la coparentalité en
Astrid et Myriam
avec leurs deux
filles conçues par
i nsémination
en Belgique
( photo P Kslazek/AFP).
1 60 REPÈRES
étant déjà toutes prêtes à mettre en
scène la mère fusionnelle qui justement
aura beaucoup de mal à se séparer de
son nourrisson.
Janine : « Franchement, les quatre
premiers mois, oui je peux le dire, j'étais
fusionnelle avec elle. Donc l'adaptation
à la crèche, le fait de recommencer à
travailler quand Zoé a eu trois mois,
trois mois et demi, ça a été très dur. Je
voulais faire une adaptation chez son
père aussi, l'amener quelques heures,
etc., et il me disait : "Mais je suis son
père, elle n'a pas besoin d'être adaptée."
Peut-être aussi que c'était moi qui avais
besoin de m'adapter à cela. Mais il n'a
pas du tout compris ça. Je ne pouvais
pas, c'était au-dessus de mes forces. En
plus, franchement, il me disait : "Mais
tu n'as qu'à tirer son lait et l'amener
pour la nuit", mais pour moi c'était hors
de question, vraiment ça me faisait trop
mal. J'aime pas les tire-lait, et le soir Zoé
tétait toutes les deux heures, la nuit
aussi je me réveillais et j'avais les seins
pleins de lait avant même qu'elle se
réveille jon était tout à fait synchronisées là-dessus). Et c'est vrai que si je ne
pouvais pas l'allaiter je ne savais pas
comment faire et c'était très, très douloureux. Et ça il ne pouvait pas le comprendre. Quand on allaite son enfant on
a besoin de l'avoir à proximité, parce
que ça devient vraiment une souffrance ! »
Rares sont celles qui ont réalisé que
donner un père à un enfant c'est aussi
lâcher un peu ce rôle, changer de registre et accepter de « donner » de temps à
autre l'enfant à son père.
Claudine : « On a des idées généreuses au départ, on veut donner un
père à son enfant. Mais après, on réalise
qu'il faut donner son enfant au père et
là, c'est autre chose. Ça fait mal... »
Un homme sur la mailing liste de
l' APGL « J'ai le sentiment, de plus en
plus net, que le principal obstacle à
l'aboutissement ou à la pérennité d'un
projet de coparentalité se trouve dans
cet instinct maternel qui fait que la
mère rechigne à laisser l'enfant en bas
âge au père, et craint d'avoir un jour à
lui en laisser la garde. Plus simplement,
j'ai tendance à penser que les mères
considèrent que les pères ne sont pas
"tout à fait" capables d'assurer la sécurité et l'éducation de leurs enfants. »
Nouveaux pères
et mères
« traditionnelles »:
l es tensions
de la coparentalité
L'évolution des représentations de la
paternité trouve sans doute son apogée
chez les pères gays. En effet, le parcours
entre le moment où ils prennent
conscience de l'homosexualité et celui
où, malgré les difficultés, ils deviennent
pères les amènent, peut-être plus que
d'autres hommes, à se représenter la
paternité comme essentiellement relationnelle.
Un homme sur la mailing liste de
l' APGL : « Un gay qui veut des enfants
ne veut pas a priori d'une situation où il
serait la troisième roue du carrosse. Si
c'est le cas, il faut qu'il s'interroge sur
son désir d'enfant jil y a des loisirs [I]
moins compliqués et qui entraînent
moins de souffrances!. On ne les entend
jamais ces hommes js'ils existent!. Je ne
peux pas m'empêcher de les considérer
comme des arriérés joups, excusez le
non-non-jugement) ou des inconscients
qui ne font pas la différence entre un
animal de compagnie et un enfant. Si
c'est juste pour le sortir toutes les deux
semaines pour le montrer à sa propre
mère ou à qui que ce soit, et se sentir
gonflé d'importance à l'idée d'Etre Père,
je trouve ça un peu ridicule. »
Claudine : « On peut parler du projet
pendant des mois, mais la réalité est
autre. Après, il y a des tensions, des
limites... Par exemple, on était d'accord
pour la garde alternée avec une période
de progressivité. Moi, cette progressivité, je la voyais sur cinq ans, Marc sur
cinq semaines ! Le fait est qu'on n'avait
pas précisé par écrit... Je pense que
nous ne voulions pas arrêter le projet
pour ça. De toute manière, quel que soit
le temps de garde de chaque parent, la
mère trouvera toujours qu'elle n'a pas
assez, et le père qu'elle a toujours trop
On a essayé dix rythmes différents jsur
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES 1 61
deux ansl et, à chaque fois, je trouve
qu'il l'a trop, et lui pas assez »
Ces exemples illustrent les tensions
inévitables entre ces pères qui placent
leur paternité dans une relation qui ne
peut se construire que dans un temps
réel passé avec l'enfant, et des mères
pour lesquelles les représentations de la
maternité se situent sur le même terrain : temps passé avec l'enfant, vécu
relationnel et corporel. Si les pères sont
« nouveaux », les mères, elles, sont
encore assez « traditionnelles ». Hommes et femmes ne mettent pas la même
chose derrière le mot « père ». Quand
elles veulent donner un père à leur
enfant, les femmes semblent vouloir
donner davantage une idée de père que
des conditions pour que se nouent une
relation père-enfant qui pourrait être
une relation rivale de la leur. Elles
disent : « Je veux que mon enfant sache
qui est son père », « Il faut qu'il ait une
référence paternelle ». Cette référence
paternelle est non exempte des représentations véhiculées par les médias, du
père comme étant celui qui fait autorité,
qui fait loi.
Elles sont alors critiques devant des
pères maternants. Déçues qu'ils ne
soient pas plus dans une position de
tiers qui dit la loi, elles ne voulaient pas
d'un « papa poule » mais d'un père qui
dit la loi. Christine Castelain-Meunier
120021 décrit cette situation pour les
familles hétéroparentales : « L'homme
■
Dans le monde
entier, des familles
homoparentales
l uttent pour la
reconnaissance
de leurs droits.
Manifestation à Taipei,
Taiwan, I er novembre
2003 (photo AFP).
1 62 REPÈRES
est souvent sollicité de manière contradictoire, d'une part autour de l'exercice
de son rôle que la femme attend et
conteste, d'autre part autour de l'expérience d'un nouveau rôle, qu'elle
redoute de crainte de perdre ses anciens
privilèges dans ses rapports spécifiques
à l'enfant. » Elle note « qu'une image
d'usurpateur est véhiculée par un courant de la pédiatrie (Aldo Naouri1, par
des représentations psychanalytiques
concernant le rôle du père - par référence à la loi (Freudl et en fonction du
mode d'introduction du père par la
mère (Lacan) -, qui obturent ou limitent
pour le père les modes d'habituer sa
paternité. Il se trouve enfermé dans des
stéréotypes qui le réduisent à une
" mère" bis ou qui le rendent dépendant
de la place que lui fait la mère ».
Lorsque paternité et maternité s'autonomisent de l'interaction hommefemme au sein du conjugal se pose la
question d'une redéfinition des fonctions et des rôles non assignés sexuellement. Les fonctions paternelles et
maternelles deviennent des fonctions
familiales et ne se confondent pas avec
les personnes concrètes.
Un autre élément rend ces tensions
plus aiguës encore. Il s'agit de la concurrence entre la parentalité conjugale et
l'hétéroparentalité. On l'a vu, les lesbiennes ont souvent élaboré un projet
parental de couple. Or, dans la coparentalité, l'absence de statut légal de la
compagne est d'autant plus douloureux
qu'elle ne peut se situer en tant que
« second » parent, mais seulement en
tant que troisième. Dans les premiers
mois après la naissance, la mère va
essayer de rassurer la compagne sur sa
place auprès de l'enfant, d'autant qu'au
quotidien, c'est bien le couple de
femmes qui s'occupe de lui. Le père,
déjà impatient pendant la grossesse, ressent cette situation comme une mise à
l' écart.
Il peut arriver que, lorsqu'une
entente est enfin trouvée entre le père et
la mère, le couple formé par la mère et
sa compagne se défasse.
Ce tableau assez sombre de la coparentalité des premiers mois, parfois des
premières années, finit par s'éclaircir
avec le temps. Des ajustements des
accommodements sont trouvés. Il n'empêche que ceux-ci illustrent une tension
entre d'une part la persistance d'une
conception essentialiste du rôle des
hommes et des femmes dans la famille
et d'autre part une innovation dans les
rapports sociaux de sexe, vers plus
d'égalité pour chaque sexe au sein des
rôles parentaux. La représentation
essentialiste à l'oeuvre dans la coparentalité fait perdurer une hiérarchisation
inversée des rôles au sein de laquelle les
mères parce qu'elles ont donné la vie
ont le pouvoir de désigner quel autre
parent elles souhaitent à leurs côtés :
leur compagne ou bien le père. Deux
hiérarchies sont possibles : la mère, la
compagne, le père, son compagnon ou
bien la mère, le père, la compagne de la
mère, le compagnon du père. La maîtrise de leur maternité par les femmes
les place, comme le dit Marcela Iacub
(20021, en tant que « protagonistes principales du nouvel ordre sexué de la
reproduction ». Le domaine de la procréation a placé historiquement les
femmes sous la domination masculine.
Elles ont conquis dorénavant ce
domaine, mais si elles écartent les
hommes du lien avec l'enfant, elles risquent de reconduire les inégalités en se
maintenant seules dépositaires des
charges parentales.
A côté de cette hiérarchisation
inversée des sexes s'instaurent progressivement des valeurs égalitaires quant
aux rôles de chaque sexe dans la coparentalité. Ces valeurs égalitaires se traduisent par exemple par la mise en
place de plus en plus fréquente d'une
résidence alternée.
Une femme sur la mailing liste de
l' APGL : « S'agissant de l'instinct maternel et de la capacité des pères à élever
des enfants, il convient d'éviter de généraliser, il est des femmes (nous en
sommes! qui ne se sentent pas investies
de compétences supérieures aux
hommes dans ce domaine. De notre
côté nous avons évoqué le sujet avec les
garçons, nous envisageons de commencer la garde alternée dès les premières
,
1 62 REPÈRES
est souvent sollicité de manière contradictoire d'une part autour de l'exercice
de son rôle que la femme attend et
conteste, d'autre part autour de l'expérience d'un nouveau rôle, qu'elle
redoute de crainte de perdre ses anciens
privilèges dans ses rapports spécifiques
à l'enfant. » Elle note qu'une image
d'usurpateur est véhiculée par un courant de la pédiatrie (Aldo Naouril, par
des représentations psychanalytiques
concernant le rôle du père - par référence à la loi (Freud) et en fonction du
mode d'introduction du père par la
mère (Lacan) -, qui obturent ou limitent
pour le père les modes d'habituer sa
paternité. Il se trouve enfermé dans des
stéréotypes qui le réduisent à une
" mère" bis ou qui le rendent dépendant
de la place que lui fait la mère ».
Lorsque paternité et maternité s'autonomisent de l'interaction hommefemme au sein du conjugal se pose la
question d'une redéfinition des fonctions et des rôles non assignés sexuellement. Les fonctions paternelles et
maternelles deviennent des fonctions
familiales et ne se confondent pas avec
les personnes concrètes.
Un autre élément rend ces tensions
plus aiguës encore. Il s'agit de la concurrence entre la parentalité conjugale et
l' hétéroparentalité. On l'a vu, les lesbiennes ont souvent élaboré un projet
parental de couple. Or, dans la coparentalité, l'absence de statut légal de la
compagne est d'autant plus douloureux
qu'elle ne peut se situer en tant que
second » parent, mais seulement en
tant que troisième. Dans les premiers
mois après la naissance, la mère va
essayer de rassurer la compagne sur sa
place auprès de l'enfant, d'autant qu'au
quotidien, c'est bien le couple de
femmes qui s'occupe de lui. Le père,
déjà impatient pendant la grossesse, ressent cette situation comme une mise à
l'écart.
Il peut arriver que, lorsqu'une
entente est enfin trouvée entre le père et
la mère, le couple formé par la mère et
sa compagne se défasse.
Ce tableau assez sombre de la coparentalité des premiers mois, parfois des
premières années, finit par s'éclaircir
avec le temps. Des ajustements, des
accommodements sont trouvés. Il n'empêche que ceux-ci illustrent une tension
entre d'une part la persistance d'une
conception essentialiste du rôle des
hommes et des femmes dans la famille
et d'autre part une innovation dans les
rapports sociaux de sexe, vers plus
d'égalité pour chaque sexe au sein des
rôles parentaux. La représentation
essentialiste à l'oeuvre dans la coparentalité fait perdurer une hiérarchisation
inversée des rôles au sein de laquelle les
mères parce qu'elles ont donné la vie
ont le pouvoir de désigner quel autre
parent elles souhaitent à leurs côtés :
leur compagne ou bien le père. Deux
hiérarchies sont possibles : la mère, la
compagne, le père, son compagnon ou
bien la mère, le père, la compagne de la
mère, le compagnon du père. La maîtrise de leur maternité par les femmes
les place, comme le dit Marcela Iacub
(2002), en tant que protagonistes principales du nouvel ordre sexué de la
reproduction ». Le domaine de la procréation a placé historiquement les
femmes sous la domination masculine.
Elles ont conquis dorénavant ce
domaine, mais si elles écartent les
hommes du lien avec l'enfant, elles risquent de reconduire les inégalités en se
maintenant seules dépositaires des
charges parentales.
A côté de cette hiérarchisation
inversée des sexes s'instaurent progressivement des valeurs égalitaires quant
aux rôles de chaque sexe dans la coparentalité. Ces valeurs égalitaires se traduisent par exemple par la mise en
place de plus en plus fréquente d'une
résidence alternée.
Une femme sur la mailing liste de
l' APGL : S'agissant de l'instinct maternel et de la capacité des pères à élever
des enfants, il convient d'éviter de généraliser, il est des femmes (nous en
sommes) qui ne se sentent pas investies
de compétences supérieures aux
hommes dans ce domaine. De notre
côté nous avons évoqué le sujet avec les
garçons, nous envisageons de commencer la garde alternée dès les premières
DÉSIR D'ENFANT CHEZ LES GAYS ET LES LESBIENNES I 6 3
■
A la Marche des
fiertés, le ballon de
l' Association des
parents et futurs
parents gays et
l esbiens. L'association
milite pour l'inscription
des familles
homoparentales
dans la réalité
j uridique et sociale
( photo M Cross).
semaines javant la fin du premier
»
On entend des femmes dire qu'elles
se forceront à laisser la iuste place du
père à l'homme, on entend des hommes
dire qu'ils font confiance à la mère ou
au couple de lesbiennes pour partager
équitablement la parentalité. Des
chartes s'efforçant à l'équité sont rédigées et signées entre les père et mère de
la coparentalité.
Conclusion
Les données de l'enquête auprès des
adhérents de l'APGL en 2001 et les
entretiens montrent qu'hommes et
femmes n'articulent pas de la même
manière leurs projets parentaux à la
conjugalité. Pour les femmes, il s'agit un
peu plus souvent d'un projet de couple.
Du fait de l'importance accordée au biologique dans notre droit de la famille
mais aussi dans nos représentations se
confrontent deux tendances dans les
rapports de genre entre les parents : une
tendance à rendre les pères dépendants
des mères pour accéder à la paternité,
une tendance à l'égalité des rôles et des
fonctions.
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