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Les karsts "alpins" de Haute-Savoie

2010, Karstologia, mémoire n°19

85 Les karsts « aLpins » de Haute-savoie Michel DELAMETTE > Des chaînons jurassiens forestiers aux karsts glaciaires Les karsts de Haute-Savoie s’étagent de moins de 300 m à la conluence Fier-Rhône, à plus de 3000 m d’altitude au mont Ruan (ig. 1). Les formations concernées s’étendent du Trias (gypse subalpin) à l’Éocène (calcaires à nummulites). Quatre ensembles karstiques se distinguent, par importance décroissante : La chaîne subalpine est constituée d’un chapelet de massifs séparés par des cluses. Du SO au NE, les déformations s’accentuent et l’altitude augmente : plis de style jurassien à relief conforme culminant à moins de 2000 m dans le nord des Bauges et l’ouest des Bornes, plis à forte inlexion axiale chevauchants dans les Alpes de Samoëns dépassant 2600 m (ig. 2), empilement de plis couchés à lancs inverses étirés dans les Alpes de Sixt, atteignant 3074 m au mont Ruan. Le Chablais est formé d’un empilement d’unités charriées (nappes préalpines) sur le bassin molassique et sur les massifs subalpins. Les karsts sont présents dans la nappe des Préalpes médianes (PM), évoluant d’écailles monoclinales (« PM rigides »), en plis serrés déversés (« PMP Préalpes médianes plastiques ») d’est en ouest, ainsi que dans la nappe de la Brèche (BR), formant un vaste synclinal. Les Chaînons jurassiens, culminant modestement à 1375 m au Salève, émergent au sein du bassin molassique, par des anticlinaux cofrés segmentés par des failles longitudinales et transverses. Les couvertures sédimentaires des massifs cristallins externes portent des aleurements karstiiés disparates : grotte de Salenton (1) et crypto-karst des Posettes (24) dans les Aiguilles Rouges, perte du lac Jovet dans le mont Blanc (26), et karst de gypse du col du Joly (22) à proximité du socle de Belledonne. Les modelés karstiques s’étagent avec l’altitude croissante vers le mont Blanc [4] : lapiaz arrondis sous-forestiers au Parmelan, lapiaz nivaux aigus dans les Aravis, lapiaz démantelés par la gélifraction sur les Grandes Platières. Corrélativement, l’héritage glaciaire est de plus en plus « frais » du sud-ouest au nord-est : « combes » glacio-karstiques riches en paléo-cavités décapitées, banquettes structurales portant des socles d’erratiques, roches moutonnées. Plus haut, le Ruan-Tenneverge, est l’un des rares karsts pro- et sous-glaciaires fonctionnels en France. Des karsts sous couverture s’expriment sous les lyschs tertiaires (combe de Gers à Platé), sous des colluvions d’argilites (Villy : vers 1) et sous des dépôts morainiques (Posettes : 24). > Des gouttières inclinées vers les grandes vallées Conséquence des déformations intenses, les percées hydrogéologiques actuelles drainant près d’une centaine de bassins versants (max. 26,5 km2 : Morette) sont presque toutes guidées par l’inclinaison des axes de plis en direction des vallées transversales aux structures [3]. Ces circulations longitudinales peuvent être contrariées par des accidents chevauchants (Leschaux : 13) ou des failles décrochantes (Ablon-Glières-Morette : 25). Le massif de Platé se singularise par un drainage divergeant autour du dôme anticlinal des Grandes Platières en quatre bassins. Il existe des karsts perchés (Diau : 14), barrés par faille (Sans Bet : 3), ou encapuchonnés dans les nappes alluviales (Jean-Bernard : 5). C’est parmi ces derniers que se trouvent les plus grands potentiels hydrogéologiques, dépassant 2200 m dans les Aravis. Des collecteurs locaux perchés sont établis sur les grès phosphatés du Crétacé moyen (combe des Foges à Platé) et localement sur les grès argileux du Priabonien (Barme Froide : 7). > Les grands réseaux alpins profonds (ig. 3) Les calcaires urgoniens du Crétacé inférieur subalpin concentrent la plupart des cavités. À l’opposé de la Savoie et de l’Isère, la Haute-Savoie est pauvre en vastes réseaux, à l’exception de la Diau [90], du fait de l’ampleur des déformations et de la dissection par les vallées. Par contre, la haute altitude des calcaires dominant des vallées profondément incisées, a permis le développement de gouffres dépassant 1500 m de profondeur (Mirolda et JeanBernard [87]) (ig. 2). Ces cavités recoupent vers 1600 1900 m d’altitude des drains anciens subhorizontaux ou en montagnes russes, témoins d’une position de vallées 1000 m plus haut qu’actuellement (grotte de l’Envers : 12). Dans le Chablais, du fait des calcaires peu épais et disloqués, les cavités sont de taille modeste, à l’exception de la tanne à Chalow (16) dans le secteur d’Oche-Cornettes de Bise, culminant à plus 2000 m au-dessus du lac Léman. > Des réseaux karstiques mio-pliocènes Les paléokarsts jurassiques des Préalpes Médianes [1] et [1] BAUD A., MASSON H. & SEPTFONTAINE M. 1979 - Karsts et paléotectonique jurassique du Domaine briançonnais des Préalpes. Symposium sur la sédimentation jurassique ouest-européenne, publication spéciale n° 1, p. 441- 452. Association de sédimentologie française, Paris. [2] GIDON M. 1996 - Vues nouvelles sur la structure des massifs des Bornes et des Bauges orientales. Géologie Alpine, t. 72, p. 35 -59, Grenoble. [3] LEPILLER M., MONDAIN P.-H. & CARDIN P. 1988 - Les recherches en hydrogéologie karstique menées depuis 10 ans dans les massifs subalpins septentrionaux par le laboratoire d’Hydrogéologie de l’Université d’Orléans (France). Bulletin du Centre d’Hydrogéologie de l’Université de Neuchâtel, n° 8, p. 27- 48. [4] MAIRE R. 1990 - La Haute Montagne Calcaire. Karstologia Mémoires, n° 3, 731 p. 192 ceux du Tertiaire inférieur des chaînons jurassiens et des massifs subalpins sont nettement antérieurs aux réseaux qui les recoupent. Les paysages actuels ont été façonnés après une première phase de plissement et l’érosion des couvertures imperméables, à in du Miocène moyen, de -13 à -11 Ma [2]. Les anciens drains de la tranche altitudinale 1700 - 2000 m (grotte de l’Envers : 12) datent probablement du Serravalien. Ces anciens drains sont actuellement segmentés par des trémies (Combe Marto : 10), tronçonnés par les failles gravitaires et la néotectonique, et recoupés par les réseaux verticaux plio-quaternaires. Le soulèvement pliocène, accompagné de voussures des massifs cristallins et de chevauchements tardifs des massifs subalpins et des nappes préalpines [2], est responsable de l’enfoncement du drainage, donnant les réseaux alpins typiques à polypuits-méandres. Les phases glaciaires n’afectent pratiquement pas les réseaux qui ne présentent que des retouches mineures : ennoyages et colmatages détritiques durant les décrues glaciaires, et décolmatages et concrétionnements durant les interglaciaires [4]. M. Delamette < Figure 1 - Principales unités karstiques de Haute-Savoie. Les numéros renvoient aux citations dans le texte et à la ig. 3. Figure 2 - Structure des Alpes de Samoëns (HautGiffre) : chevauchement (trait rouge) de l’unité du Criou sur les unités de Folly-Avoudrues : le réseau Jean-Bernard s’enfonce ainsi sous le réseau Mirolda du Criou. Les structures plongent de gauche à droite vers la vallée du Giffre où se situent les émergences. Les lèches indiquent le sens des drainages karstiques compartimentés par des chevauchements secondaires. Entités géographiques Aiguilles Rouges Alpes de Sixt Alpes de Samoëns Platé Aravis Bornes Préalpes médianes du Chablais Nappe de la Brèche du Chablais Chaînons jurassiens Réf. sur la carte 1 Exemples de cavités Grotte de salenton Alt. (m) Dév. (km) Prof. (m) 2 400 0,3 ≈0 2 Gouffre du Carré d’as (Buet) 2 565 1,5 - 236 3 réseau de sans Bet (salvadon) 1 875 8 - 660 4 réseau Mirolda (Criou) 2 342 12 - 1733 5 réseau Jean-Bernard (Folly) 2 318 20,5 - 1602 6 réseau de la tête des verds 2 070 11 - 768 7 Grotte de Barme Froide (sales) 2060 4,2 - 107 8 Grotte de Balme 720 4,1 - 118 / + 23 9 Gouffre de Chombas 2250 1,5 - 374 10 réseau de Combe Marto 2000 3,5 - 154 11 Gouffre du Mikado 700 2 - 111 / + 32 12 Grotte de l’envers (Bargy) 2080 2,9 - 487 13 Gouffre de la Glacière (Leschaux) 1660 2,6 - 532 14 réseau de la diau (parmelan) 962 > 45 - 720 15 réseau des prad’zeurs (tournette) 2040 13 - 1148 16 tanne à Challow (dent d’oche) 1950 0,9 - 580 17 Grottes de Mégevette 980 1 - 100 18 Gouffre des portes de la nuit 1790 0,5 - 60 / + 30 19 Grotte de Montriond 1200 0,2 - 48 20 Grotte des Crânes (salève) 980 2,5 + 119 21 Bachaï-di-Fayes (sillingy) 620 1,5 90 Figure 3 - Spéléométrie des principales cavités de Haute-Savoie. 193