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les dynamiques économiques
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Documents de travail E3i
Les politiques technologiques peuvent-elles être locales ?
Marie-Claude Bélis-Bergouignan, Christophe Carrincazeaux
Document de travail n°2002-2
Octobre 2002
Résumé
L'article s’interroge sur la pertinence et sur les fondements des politiques
technologiques au niveau infra national. La recherche combine les contributions de
l’économie de la connaissance à celles d'approches traitant des dynamiques de
localisation des activités. La première partie de l'article met en perspective les
arguments avancés pouvant militer en faveur d’une régionalisation des politiques
technologiques. La deuxième partie fait apparaître le caractère parfois trop
"localiste" de ces politiques en insistant sur la forte composante non locale de
l’espace des relations inter firmes et inter institutions.
Mots-clé : connaissance - coordination - externalités technologiques localisation - partenariats en recherche - politiques technologiques locales proximité
Abstract
The paper aims to question the pertinence and the grounds of technological policies
at infra national level. The research combines the contribution of knowledge
economics to approaches dealing with the location of activities. The first part of the
paper looks through the argumentation accounting for the regionalization of
technological policies. The second part enlightens the, too often, "localist" character
of these politics, emphasizing the non-local dimension of interfirm and
interinstitution's relational space.
Keywords : coordination - knowledge - location - research partnership local technological policies - proximity - technological spillovers
JEL : L5 - O3 - R1
Introduction
Les politiques technologiques sont souvent abordées dans la littérature sous l'angle de la
gestion publique des externalités positives de recherche (par exemple Cohendet et alii, 1998). Les
modes d'intervention possibles sont ainsi considérés selon la problématique rendement
public/rendement privé de l'innovation dans le cadre d’un relâchement de certaines hypothèses.
Ainsi la connaissance ne pouvant être assimilée à de l'information et les agents ne se coordonnant
pas uniquement par le marché, la problématique n'est plus seulement celle de la diffusion des
technologies, mais aussi celle de leur création et de leur adoption dans un univers incertain.
Dans le cadre d’un processus de globalisation de « l’économie guidée par le savoir », où il
est implicitement reconnu que la diffusion globale de la technologie coexiste avec sa création à
un niveau local (le technoglobalisme de Archibugi et Michie, 1995 ou Archibugi, Howells et
Michie, 1999), la reconnaissance de principe de la dimension à la fois locale et globale de
l’innovation n’est cependant pas sans poser problème lorsqu’il s’agit d’en apprécier concrètement
les limites géographiques. L’échelon « local » renvoie ainsi, selon les approches, à des espaces
nationaux, régionaux ou infra régionaux (cf les systèmes nationaux, régionaux ou locaux
d’innovation), la régionalisation des politiques technologiques faisant l’objet d’une attention
particulière.
Cette double problématique interroge immédiatement la pertinence des découpages
administratifs de référence des politiques technologiques. Cette question ne semble avoir été
tranchée que par la mise en place progressive de plusieurs niveaux d’actions se déployant de
façon quasi autonome du niveau européen au niveau infra national dans le cas de la France.
L’objet de notre communication consiste à s’interroger sur la pertinence de l’action
publique conduite dans ce domaine au niveau régional (au sens infra national), sachant que la
mise en place de politiques technologiques locales répond souvent à une logique de recherche de
légitimité de la part des décideurs locaux, et qu’elle se traduit donc par une approche
extrêmement « localiste » des outils mobilisés. Partant de plusieurs exemples, nous développons
l’argument selon lequel la prégnance accordée à la dimension locale des processus d’innovation
peut conduire à une sous-estimation des enjeux plus globaux de la création de technologie.
Afin de dégager les fondements de politiques technologiques locales, la méthodologie
adoptée consiste à combiner les apports d’une réflexion basée sur l’économie de la connaissance
à ceux des approches traitant des dynamiques de localisation des activités.
Dans cette perspective nous nous appuyons sur la synthèse de différents types de travaux
empiriques réalisés ces dernières années. Il s’agit tout d’abord de mobiliser les acquis de
l’importante littérature qui s’est développée autour du thème de la Géographie de l’innovation
(Feldman, Massard, 2001) et de ses implications en termes de politiques technologiques
régionales (Massard, 2002). Dans le même temps, les travaux empiriques menés par le groupe
dynamiques de proximité (Gilly, Torre, 2000 ; Dupuy, 2002), et plus spécifiquement autour de la
localisation des activités de R&D (Bélis-Bergouignan, Carrincazeaux, 2000 ; Lung et alii, 1997)
permettent de revisiter la problématique des politiques technologiques locales à partir de la
diversité des modes de coordination spatiale des agents. Enfin, un certain nombre d’études
réalisées pour le Conseil Régional d’Aquitaine nous permettent de mettre en relation l’espace des
firmes avec celui des décideurs locaux à partir de quelques exemples sectoriels (BélisBergouignan et alii, 2000, 2001).
La première partie de cette communication met en perspective les différents arguments
avancés par ces approches pouvant militer en faveur d’une régionalisation des politiques
technologiques. Dans une deuxième partie, nous nous attachons à montrer le caractère parfois
trop "localiste" de ces politiques en insistant sur la forte composante non locale à la fois de
l’espace des relations interfirmes, mais aussi de celui des relations entre les institutions.
I – La proximité comme fondement des politiques technologiques locales
La pertinence reconnue à la dimension locale des politiques technologiques repose
généralement sur la « redécouverte du local » en particulier au travers des hypothèses formulées
quant à l’accès à l’information (rôle des externalités informationnelles au sein de la nouvelle
économie géographique) ou au processus de création de connaissances (rôle de l’apprentissage
localisé dans les systèmes locaux d’innovation). Ces arguments sont souvent mobilisés pour
justifier l’importance d’une conception locale de l’action publique (les learning regions de
Maillat et Kébir, 1998).
Il reste que les approches théoriques sous-tendant cette conception insistent aussi sur les
effets négatifs des interactions locales. La référence aux externalités MAR (Marshall, Arrow,
Romer) incorpore la présence d’externalités négatives dont la proximité des agents pourrait être
porteuse : si l’accès à l’information est favorisé par la proximité, on peut avancer que les
incitations à effectuer de la recherche en seront d’autant plus réduites. De la même façon, les
approches évolutionnistes ou cognitivistes de la firme mettent à la fois l’accent sur les effets
positifs (cumulativité et appropriabilité) et négatifs (dépendance de sentier) des processus
d’apprentissage localisés. On peut alors s’étonner du caractère toujours extrêmement positif
reconnu aux politiques technologiques locales, comme si les forces de concentration
l’emportaient sur les forces de dispersion dès lors que la problématique est centrée sur
« l’économie guidée par le savoir ».
Si les approches directement centrées sur l’importance des externalités technologiques
locales permettent de justifier de la composante locale de l’intervention publique, il nous semble
qu’une entrée par la coordination des activités d’innovation dans une problématique de proximité
permet de mieux préciser l’intérêt de ce type de politique.
A – La portée limitée d’une justification par les externalités technologiques
La distinction entre information et connaissance (Foray, 2000) permet tout d’abord
de renouveler la réflexion sur l’intérêt des politiques technologiques en général en mettant
l’accent sur le fait que la technologie est un bien public impur ne satisfaisant pas aux propriétés
habituelles de « non-rivalité » et de « non-exclusivité ». Elle permet ensuite de reconsidérer
l’intérêt de la dimension locale de ces politiques en insistant sur le caractère localisé
d’externalités de connaissance (Autant-Bernard, 2000) dont les effets sont nuancés.
1 - De la dimension locale des externalités technologiques …..
Face au phénomène de concentration spatiale des activités d’innovation, les années 1990
ont vu se développer nombre de travaux autour de la question de la localisation des externalités
technologiques. Le débat initié par Krugman (1991) sur l’existence d’externalités technologiques
semble ainsi avoir été progressivement tranché même si les résultats avancés dans les études sur
les spillovers géographiques de la connaissance sont parfois jugés fragiles (Karlsson, Manduchi,
2001) ou peu nécessaires à la démonstration des phénomènes d’agglomération spatiale des
activités (toujours pour Krugman).
Il reste qu’une imposante littérature s’est progressivement développée pour tenter de
valider empiriquement l’existence de flux locaux de connaissances (Autant-Bernard, Massard,
1999 ; Feldman, 1998), deux types d’hypothèses complémentaires étant ainsi avancées.
La première ayant trait à la dimension tacite de la connaissance (Cowan, David, Foray,
2000), ramène la question de l’agglomération spatiale à celle de la réduction de coûts d’échange
et de transfert d’informations ou de connaissances, et se rapproche à bien des égards du
traitement des externalités technologiques par le courant de l’économie géographique (Thisse,
Fujita, 1997).
La deuxième, davantage centrée sur le processus d’innovation lui-même (Amendola,
Gaffard, 1988 ; Dosi, 1988), reconnaît également l’aspect tacite de la connaissance mais c’est
plutôt la dimension contextuelle de la rationalité qui fonde le rôle du local. Ainsi, « l’attention »
portée par les agents à certaines informations (Ancori, Bureth, Cohendet, 2000), la construction
de compétences et les formes d’interactions entre les agents sont dépendantes du contexte dans
lequel ils évoluent. S’est ainsi développée toute une littérature sur la notion de systèmes
d’innovation (Amable, Barré, Boyer, 1998 ; Carlsson et alii, 2002) dont émerge la justification du
rôle des espaces locaux dans le processus d’innovation.
Toute la difficulté tient alors dans la qualification « locale » des processus en jeu
puisque, par définition, l’échelle spatiale de cohérence de ces systèmes d’innovation dépend de
l’objet de l’analyse. Si les systèmes sont locaux et attachés à un contexte particulier de
coordination, ils se déploient (et se déclinent) aussi bien à des niveaux nationaux ou infra
nationaux, ce qui n’est pas sans poser problème pour la justification d’une politique
technologique régionale… Les travaux réalisés dans le domaine de la géographie de l’innovation
relèvent de cette problématique car ils contribuent à préciser l’étendue de l’espace sur lequel se
déploient les externalités technologiques. Sans reprendre l’ensemble des travaux réalisés dans ce
domaine, on rappellera avec N. Massard (2002), trois des principaux « résultats » tirés de ces
analyses :
- les externalités issues de la recherche publique ont une forte dimension locale
Ce résultat semble cependant fortement dépendant du contexte institutionnel et les
résultats obtenus dans les différents pays (Etats-Unis, France ou Allemagne par exemple) ne sont
pas forcément convergents. Certaines questions restent ici non tranchées, en particulier en ce qui
concerne le rôle de la nature des connaissances ou l’influence des « connexions directes » (entre
chercheurs).
- les externalités technologiques inter firmes existent au niveau local
Les différentes études menées à partir de données de brevets ou d’innovations indiquent
un effet local présent quel que soit le niveau géographique retenu (Etats américains, régions
italiennes ou départements français). Il reste que l’influence de la structure industrielle
(spécialisation vs diversification) ne semble pas pouvoir être clairement tranchée.
- les externalités technologiques se développent à différents niveaux spatiaux et dépendent
de la capacité d’absorption des firmes
L’originalité de dernier élément tient à la prise en compte de la non homogénéité spatiale
des externalités qui dépendent de la capacité d’absorption du récepteur. Cette capacité détermine
alors l’influence des externalités à la fois locales et non locales sur le niveau d’innovation des
firmes.
On peut ainsi en tirer un ensemble de recommandations en matière de politiques
technologiques locales qui, de façon assez traditionnelle, valorisent la mise en relation des
différents acteurs de l’innovation : soutien au transfert des universités vers les entreprises et aux
coopérations science-industrie locales, mise en relation d’entreprises d’horizons différents et
prise en compte de la capacité d’absorption des firmes. Ce dernier aspect permet d’insister sur le
rôle des infrastructures propres à favoriser le maintien de la diversité technologique,
l’apprentissage et le développement de la capacité d’absorption, ainsi que l’aptitude à capter des
externalités en dehors de la sphère strictement locale.
Pour autant, certaines zones d’ombre demeurent quant à la définition des interactions
locales et à l’ampleur des phénomènes observés.
Ces approches mobilisent, de façon souvent implicite, des concepts de distance qui ne
renvoient pas aux mêmes réalités (Carrincazeaux, 2000). La présence d’externalités
technologiques peut être liée à la concentration géographique des activités, mais dépend aussi de
la pertinence des informations échangées ainsi que des pratiques institutionnelles plus ou moins
favorables à l’existence de spillovers. Autrement dit, l’ensemble des évaluations conduites
utilisent, de façon simultanée ou non, des distances géographiques diverses (Etats, régions ou
départements français par exemple), des distances technologiques différentes (approche par les
brevets, approche sectorielle) ou des distances organisationnelles (caractéristiques des émetteurs
et récepteurs) dont l’analyse est souvent contrainte par la disponibilité des données.
Les résultats obtenus étant fortement influencés par le type de distance retenu et certaines
conclusions étant parfois nuancées sur le rôle effectif du local, il y a là une limite importante à ce
type d’approche. En outre, cet obstacle est d’autant plus difficile à surmonter que l’évaluation
simultanée de l’impact de différents niveaux géographiques complexifie la tâche1. Aussi, en dépit
des progrès réalisés et du développement d'études économétriques sur les spillovers
géographiques de la connaissance, il est difficile d’aller au-delà de la reconnaissance d’un effet
local dans l’existence d'externalités techologiques.
2 -…. à l’instauration d’un compromis institutionnel
L’existence d’externalités technologiques locales comme fondement de l’intervention
publique pose problème, sauf à admettre le caractère essentiellement positif de ces externalités.
Ce qui conduit, comme le rappelle Grilishes (1993), à supposer dans le cas d’agglomération des
activités que les effets externes positifs l’emportent sur les effets négatifs.
Dans cette perspective, l’approche proposée par Cohendet et alii (1998) présente l’intérêt
d’aborder directement la question du jeu entre externalités positives ou négatives en tant que
fondement de ces politiques. La distinction entre information et connaissance conduit tout
d’abord à reconsidérer la nature même de l’intervention publique. On sait qu’en termes de défaut
d’incitation à la recherche "à la Arrow", la politique technologique vise explicitement à combler
l’écart entre son rendement privé et son rendement social par des mesures d’incitations ou de
soutien à la recherche. Ces mesures vont de la mise en place d’un système de protection par les
brevets au financement d’une recherche publique, en passant par des mesures de soutien financier
(le crédit impôt recherche en France par exemple).
A une conception de la connaissance assimilée à de l’information et aux interactions
marchandes, Cohendet et alii substituent une vision de l’innovation comme processus interactif,
mobilisant des compétences spécifiques et des connaissances appropriables dont le
développement et l’orientation sont fortement dépendantes du contexte des interactions entre les
agents. Le rendement social de la recherche n’est alors plus limité par des défauts d’incitation,
mais par la spécificité des trajectoires et l’appropriabilité des connaissances technologiques.
Symétriquement, le rendement privé de la recherche est bien plus élevé que dans le cadre d’une
conception trop « informationnelle » de l’innovation.
Les enjeux portés par les politiques technologiques deviennent alors très différents car les
externalités positives sont limitées par le niveau d’appropriabilité de l’innovation, et les
externalités négatives vont plutôt concerner le risque de duplication ou de "lock in" selon le degré
de substituabilité ou de complémentarité des produits.
Dans cette situation, les politiques technologiques doivent répondre à un double impératif
de coordination ex ante et ex post dans la gestion des connaissances. Il s’agit d’une part de gérer
les externalités dans la production de connaissances face au contexte d’incertitude et de diversité
des trajectoires qui caractérisent le processus d’innovation. L’intervention publique a ainsi un
impact sur le contexte dans lequel s’inscrit le processus d’innovation en participant au processus
de sélection et d’identification de l’information pertinente (dans un contexte d’attention limitée
des acteurs, Fransman, 1994), et a pour rôle d’entretenir la diversité des trajectoires et des
interactions possibles (Cohendet Llerena, 1997). La politique technologique doit d’autre part
intervenir dans la gestion des externalités dans l’usage des connaissances, ce qui renvoie à la
1
Cf C.Autant-Bernard (2000) pour l’étude du cas français.
problématique de l’articulation entre diffusion des connaissances et maintien de l’initiative
privée.
Dans tous les cas la politique technologique est confrontée à un arbitrage entre soutien à
la diffusion ou à la création de connaissances nouvelles, et gestion des externalités négatives qui
peuvent naître de cette intervention. Le recours à la notion de compromis institutionnel rend
compte de cet arbitrage, dont la teneur peut évoluer dans le temps ou l’espace. Il s’agit de
reconnaître que l’orientation de la politique ainsi que son contenu sont eux-mêmes dépendants du
contexte technologique et institutionnel de l’innovation. L’intensité des mécanismes de protection
ou l’encouragement de différentes formes de coopérations ne peuvent être définis de façon
désincarnée, mais au contraire en tentant d’évaluer l’importance relative des aspects positifs ou
négatifs des externalités visées.
La transposition de cette analyse au niveau local a un certain nombre d’implications pour
ce qui concerne la pertinence de la politique technologique.
Ainsi, les politiques de diffusion ou de transfert de technologies au niveau local sont
souvent considérées comme pertinentes, les actions poursuivies dans ce sens consistant souvent à
favoriser le transfert de technologies à partir de la recherche publique, et en particulier des
universités. Si d’un point de vue théorique ce type d’action peut paraître justifié, il se trouve
limité par la faible diversité de l’offre locale. Les partenaires universitaires locaux associés à une
compétence spécifique sont souvent mobilisés sur des projets extrêmement proches, ce qui leur
permet d’accumuler des compétences transférables entre différents projets. De ce point de vue, le
rendement social de l’activité de recherche s’en trouve valorisé. Cependant, la situation est
beaucoup moins favorable lorsque l’on se place du côté des partenaires industriels. Ces derniers
profitent des compétences formées lors de projets antérieurs parfois financés par des concurrents.
Cette situation incite donc à ne s’engager dans un partenariat que lorsque des recherches
relativement proches ont déjà été financées. On se retrouve ainsi dans la situation classique de
défaut d’incitation à innover.
La notion de compromis institutionnel local prend ici tout son sens car l’intérêt du soutien
aux coopérations science-industrie dépend de la façon dont les contractants se comporteront par
rapport à cette exigence de « secret ». Plusieurs types de réponses sont envisageables en fonction
des technologies concernées ou des comportements des agents. Nous avons pu observer au cours
d’une étude portant sur l’industrie du bois en Aquitaine que certains universitaires invoquent des
comportements éthiques qui peuvent les conduire à refuser certains projets lorsque les
problématiques sont « trop proches ». Ces comportements supposent donc l’instauration de
relations de confiance entre les partenaires, mais le corollaire en est une limitation de l’accès à
certaines ressources publiques pour d’autres industriels.
En matière de diffusion de technologies, un autre risque peut émerger lorsque le soutien
de certains projets a une influence locale qui peut être forte sur d’autres activités. L’externalité
négative prend ici la forme d’un processus de destruction créatrice qui se traduit par le
développement de compétences nouvelles au détriment de compétences préexistantes.
L’exemple de l’industrie du bois illustre aussi ce type de risque lorsqu’il s’agit de soutenir
le développement d’une activité nouvelle. Les opportunités offertes par le développement de
nouveaux matériaux à base de bois incitent les décideurs locaux à soutenir le développement de
compétences dans ce domaine. Le développement de ces nouveaux matériaux s’accompagnerait
dans le même temps d’une nouvelle opportunité d’exploitation de connexes de bois
précédemment utilisés par d’autres activités (panneaux, papeterie). Le risque, en cas de succès de
ces nouveaux matériaux, est donc de voir se développer une concurrence dans l’utilisation
alternative d’une ressource exploitée localement et finalement de conduire à un échec relatif de
cette politique. De plus, les compétences complémentaires utiles au développement de ces
nouveaux matériaux sont souvent détenues par ces secteurs qui entreraient en concurrence dans
l’accès à la ressource, ce qui bien entendu ne pousse pas à un comportement coopératif.
Dans cette situation aussi, l’instauration d’un compromis institutionnel local est
indispensable dans la mesure où l’incertitude sur l’avenir est relativement forte (succès de ces
nouveaux matériaux, conséquences sur la base industrielle locale existante…) et les
comportements des acteurs fortement interdépendants. Seule une démarche collective et une
implication locale des différents acteurs peut aider à orienter l’action publique dans un contexte
d’externalités localisées pouvant se révéler négatives.
B – La nécessaire prise en compte des échelles spatiales de la coordination
L'entrée par les externalités technologiques et la circulation de l'information dans l'espace
constitue certes une voie privilégiée par les économistes, mais n'en reste pas moins partielle quant
à la compréhension du phénomène d’agglomération des activités d’innovation. En se limitant à
l'évaluation des effets de la proximité en matière de diffusion de l'information, ces approches
empiriques insistent finalement sur le problème de l'accès à des connaissances créées à l'extérieur
des organisations et occultent en grande partie la question du processus de création de ces
connaissances. D'autres approches permettent d'approfondir la réflexion sur le lien entre espace et
innovation (Lung, Rallet, Torre, 1999 ; Kirat, Lung, 1999) en revenant plus directement sur la
problématique de la coordination des agents et de l'organisation de l'activité.
Les études poursuivies dans ce sens s'intéressent alors aux modalités d'interactions entre
les différentes fonctions qui participent du processus d’innovation dans une perspective plus
systémique. L'intérêt de cette problématique réside dans sa portée explicative beaucoup plus large
en matière de lien entre innovation et espace. On trouve ainsi un certain nombre de travaux qui
prennent pour point de départ l’analyse du fonctionnement même de la recherche pour en
comprendre les tendances à la localisation2.
Les enseignements que l’on peut tirer de ces études sont essentiels en matière de politique
technologique locale car il s’agit de s’intéresser directement à l’organisation du processus
d’innovation par les firmes. Nous mobilisons ici un travail réalisé autour des activités de
Recherche et Développement des firmes en France de façon à rappeler la diversité des
configurations spatiales mobilisables dans ce domaine.
L'enquête Géographie de la R&D, réalisée en 1997 auprès des établissements réalisant de
la R&D en France (Carrincazeaux, 2001), a été élaborée de façon à prendre en compte à la fois ce
que l'on qualifiera de facteurs traditionnels de localisation (caractéristiques des espaces locaux) et
ce qui relève plus des impératifs de coordination de l'activité (articulation interne-externe de la
recherche). Les résultats obtenus à partir des 614 réponses traitées permettent de d’avoir une
vision plus précise des enjeux du local en matière de R&D.
1- De la localisation des activités de R&D…..
Les résultats obtenus apportent une information quelque peu différente sur les
mécanismes décrits par les approches en termes d'externalités technologiques. Les centres de
R&D des entreprises enquêtées sont d'abord localisés sur un site de production (ou siège social)
de l'entreprise d'appartenance (plus de 60% des cas). La localisation à proximité des principaux
clients ou sous-traitants est par contre beaucoup moins répandue (13 à 14% des cas). Le premier
facteur de localisation de la R&D privée concerne donc la présence d'activités de production (ce
qui est confirmé par des études statistiques plus larges sur cette dimension). Les unités de
recherche sont ensuite localisées majoritairement en zone urbaine (60%) mais moins souvent à
2
De nombreuses études empiriques mettent en évidence, à différents niveaux spatiaux, les liens étroits existant entre
les dimensions organisationnelles et géographiques de la R&D. On retiendra notamment : Malecki, 1980, 1985 ;
Archibugi, Michie, 1995 ; Howells, 1990 ; Henry et alii, 1995 ; Kenney, Florida, 1994.
proximité de laboratoires publics de recherche (42%) ou d'autres centres de recherche privée
(21%).
Si l'on s'arrête à ces premières tendances, il apparaît d'une part que la présence d'activités
de R&D (notamment publique) ne constitue pas le premier facteur de localisation de la R&D des
entreprises en France. Les tensions mises en évidence dans la coordination des activités de R&D
s'expriment aussi au travers de ces tendances : la localisation sur site de production n'est en effet
pas forcément compatible avec une localisation à proximité d'autres unités de R&D ou une
localisation urbaine.
Si l’on dépasse cette approche descriptive, des questions portant sur l'intérêt porté à la
présence locale de certains éléments permettent d'en préciser le rôle respectif. On constate en
effet que les technologies ou produits développés sont d'abord destinés à une unité de production
située à proximité (plus de la moitié des cas), ce qui renforce l'importance d'une localisation en
fonction des activités de production. En ce qui concerne les caractéristiques locales, ce sont
d'abord la disponibilité de personnel qualifié (jugée très importante par 55% des unités de R&D)
et celle de moyens de transport (35%) qui émergent loin devant les autres caractéristiques de
l'environnement local (tissu industriel, image du site, incitations financières…). Ce sont d'ailleurs
ces mêmes éléments qui sont majoritairement avancés par les unités de R&D localisées en zone
urbaine.
Trois tendances majeures sont ainsi mises en évidence par cette étude :
la R&D des entreprises se localise sur des sites de production et en zone urbaine ;
la R&D des entreprises est sensible à la présence de main d'œuvre qualifiée et à la
disponibilité de moyens de transport ;
la présence d'un potentiel de recherche local n'est pas toujours déterminante, même si la
recherche publique semble jouer un rôle particulier.
Ces principales logiques d'agglomération se traduisent donc par des tensions dans les
choix de localisation de la R&D des firmes qui renvoient essentiellement à la difficulté
d'articulation entre les dimensions interne (lien recherche-production en particulier) et externe
(liens avec la recherche privée ou publique), pas toujours compatibles compte tenu des logiques
d'agglomération en zone urbaine. L'appréhension plus précise de ce phénomène ainsi que des
choix qui sont effectuées par les entreprises suppose de raisonner à un niveau plus fin.
Revenant plus précisément sur les interactions développées en matière de R&D en
abordant les deux questions suivantes : de qui faut-il être proche et pourquoi ?, le travail réalisé
autour de l’enquête Géographie de la R&D montre que la dimension sectorielle constitue un
niveau pertinent d’appréhension de la variété des formes de localisation de la R&D des
entreprises.
2 - …. aux principales logiques d’agglomération des activités de R&D
Le constat d'une forte sensibilité à la présence d'activités de production ou à la localisation
urbaine ne résiste pas à une analyse plus fine des besoins d'interactions au sein de la R&D car
toute la recherche n'est pas forcément orientée par un soutien direct à la production ou par des
relations intenses avec la recherche publique. Saisir ces nuances passe par l'identification précise
des interactions nécessaires.
Partant des principaux travaux dans le domaine (Pavitt, 1984 ; von Hippel, 1994 ; Breschi
et Malerba, 1997), l’enquête a pu identifier les principaux types d'interactions orientant la R&D
des firmes au niveau sectoriel (Carrincazeaux, 2001). La recherche de certains secteurs est ainsi
très sensible aux relations avec la production (bois, métallurgie), avec les utilisateurs (fabrication
d'équipements électriques, équipements mécaniques) ou avec les fournisseurs (machines
spécifiques, instruments de contrôle). A l'inverse, les relations avec la recherche publique ou le
rôle des avancées scientifiques sont très importantes pour des secteurs tels que l'énergie, la
pharmacie ou la cosmétique, la recherche des autres entreprises étant un élément essentiel pour
l'industrie aéronautique par exemple.
La réflexion conduite au niveau sectoriel permet ainsi de lever (en partie), ou de mieux
comprendre, la contrainte d'articulation interne/externe de la R&D des entreprises en fonction des
interactions dominantes, car la sensibilité à certaines caractéristiques de localisation est très
hétérogène. A partir de cette analyse sectorielle, il est finalement possible d'identifier trois
principales logiques d'agglomération de la R&D des firmes.
- la recherche externe
Cette logique d'agglomération concerne des secteurs tels que la pharmacie,
l'informatique, les télécommunications, la fabrication d'instruments scientifiques (etc…) dont les
activités de recherche supposent des interactions fortes avec la recherche publique ou privée, et
reposent généralement sur les avancées de la science. Compte tenu de cette logique de
coordination, le recherche au sein de ces secteurs est plus sensible à la présence locale d'autres
activités de R&D, ce qui se traduit par des localisations plutôt urbaines avec un besoin de main
d'œuvre qualifiée et d'infrastructures de communication. Il s'agit donc d'une logique de
localisation qui correspond à la représentation traditionnelle qu'ont généralement les décideurs
dans la mise en œuvre d'une politique technologique.
- la production
La recherche est aussi largement orientée par des logiques plus productives, les
interactions avec la production (à la fois en interne, mais aussi avec les utilisateurs et
fournisseurs) devenant un aspect essentiel de l'efficacité de la R&D. Les secteurs concernés sont
essentiellement les équipements mécaniques, la fabrication de machines, certaines branches de la
chimie, l'industrie du bois, les industries agroalimentaires ou la fabrication d'équipements
électriques. La localisation est alors moins urbaine, les sites de production étant le lieu privilégié
de localisation (plus des deux tiers des unités de R&D appartenant à ces secteurs contre la moitié
dans les autres cas).
- les logiques hybrides
On peut finalement identifier un troisième type de secteurs pour lesquels la R&D
est prise dans un système d’interactions recouvrant à la fois des besoins de coordination en aval
(l’ingénierie et la production) ainsi qu’en amont (recherche externe, science). Il s’agit en
particulier de l’aéronautique, des composants électroniques, de l’électronique grand public ou de
la métallurgie ainsi que de l’automobile. L’organisation de la recherche au sein de ces secteurs
devient plus complexe car le jeu des interactions entre les agents est beaucoup plus large et se
traduit par une double logique d’agglomération spatiale et de fonctionnement en réseaux non
locaux.
Au total, cette étude montre que la proximité spatiale n’est pas toujours nécessaire à la
coordination des activités de R&D.
Au-delà des spécificités sectorielles, l’apport essentiel de l’étude réside dans la mise en
évidence de la variété des configurations observables à la fois en ce qui concerne le type
d’interactions et le besoin de proximité. La nécessité d'interagir avec d'autres agents ne se traduit
pas systématiquement par une localisation à proximité. Affirmer par exemple que la recherche
publique est un facteur essentiel d’attraction de la R&D privée n’est ainsi plus recevable car tout
dépend des besoins en la matière d’une part, et du rôle que peut jouer la proximité dans ce
domaine d’autre part. L’affirmation peut rester valable, mais dans certains cas seulement. On ne
peut donc pas parler de localisation de la recherche, mais de localisations des activités de
recherche.
Les implications sont immédiates en matière de politique technologique car il convient de
nuancer la justification des politiques technologiques par la seule dimension locale des
connaissances mobilisées.
Le processus d’innovation peut en effet être affecté de façon différente par la nature des
interactions nécessaires. La présence d’un potentiel scientifique local important ou
l’agglomération de firmes de haute technologie au sein de parcs scientifiques ne garantit en aucun
cas une capacité locale d’innovation supérieure. Tout dépend des secteurs concernés, du type de
ressources externes mobilisées ainsi que de l’intérêt des relations de proximité à ce niveau. La
politique technologique ne peut donc se satisfaire de l’affirmation de la dimension localisée de la
construction de connaissances spécifiques. Il existe une importante variété des configurations, à
la fois en termes de mobilisation des ressources et en termes de coordination à proximité.
C – L’information du décideur, pierre d’angle de la régionalisation des politiques
technologiques
La décentralisation des décisions de politiques technologiques se réalisant dans le cadre
de politiques de diffusion de la technologie (Llerena, Schaeffer, 1995), la question de
l’information, de l’apprentissage et de la prise de décision des acteurs publics se pose de façon
concomitante. La justification d’une telle politique tient à deux éléments essentiels : le passage
d’une technologie générique à une application spécifique et l’hétérogénéité des besoins des
firmes, qui ne peut être saisie que localement.
Une politique de diffusion de technologie3 aura une dimension locale d’autant plus
affirmée qu’elle repose sur des transferts inter firmes ou science-industrie qui sont fortement
spécifiques au contexte institutionnel local et que la capacité d’apprentissage (i.e. d’absorption)
des firmes reste faible. Le décideur public devra donc disposer d’une information suffisante sur
ce contexte, justifiant la forme verticale de la coordination (l’action est coordonnée par l’acteur
public) ainsi que la décentralisation de la politique (au niveau local). De la même façon, compte
tenu de l’hétérogénéité locale des firmes et de leurs besoins en matière de technologie, la
« qualité de la perception de l’événement » par le décideur dépend de la proximité avec les firmes
concernées.
Ce cadre de réflexion semble extrêmement pertinent lorsqu’il s’agit d’interpréter les
difficultés de régionalisation de politiques conçues au niveau national. L’analyse permet en effet
de souligner la dimension contextuelle du processus. Il reste cependant que l’acception
« informationnelle » de la diffusion de technologie revient à sous-estimer le processus de création
de connaissances qui l’accompagne, et par suite, l’importance du besoin local de redéfinition des
pratiques technologiques. En réintroduisant cette dimension de création de ressources, on peut
considérer que des politiques plus « ambitieuses » de création de technologies nouvelles (plutôt
« mission-oriented ») ont aussi une composante locale forte qui repose sur le niveau d’intensité
des interactions ainsi que des connaissances mobilisées (Bellet, 1995).
L’expérience française de régionalisation des « technologies clés » constitue une
illustration très intéressante à la fois du besoin de régionalisation de la politique régionale, ainsi
que de sa difficulté.
Prenant exemple sur la politique des « technologies critiques »4 mise en œuvre
préalablement aux Etats-Unis, les décideurs publics français, en lançant la démarche des
« technologies clés », tentent d’asseoir leur action sur un outil permettant de définir les contours
généraux de ce que pourrait être l’évolution technologique tout en mettant au point le portefeuille
3
Définie comme la transformation d’une technologie générique disponible en une technologie spécifique utilisable
par une firme.
4
Branscomb L., 1994.
de technologies porteuses de la compétitivité de demain. La publication d’un premier Annuaire
des technologies clés par le Ministère de l’Industrie en 19965 a constitué le support majeur de son
intervention en matière de prospective technologique et économique. La démarche visait non
seulement à favoriser la diffusion des technologies mais aussi à en orienter le développement à
moyen terme, ce qui représentait à coup sûr un renouveau instrumental. Si l’on a aisément perçu
l’utilité de ce type d’approche pour arrêter les grandes orientations nationales6, son usage
« localisé », sectoriel ou régional, pourtant envisagé comme la poursuite logique de l’ambition
nationale de la méthode, s’est avéré moins évident. Ainsi, l’utilisation de la démarche
« technologies clés », en dépit des améliorations dont elle a fait l’objet à la fin de la décennie
quatre-vingt-dix, se heurte toujours à un certain nombre de difficultés vis-à-vis de la
détermination de priorités sectorielles, a fortiori si ces dernières doivent être générées dans un
cadre régional.
En dépit de l’importance croissante que l’on reconnaît aux échelons locaux ou régionaux
de l’activité économique, la démarche « technologies clés » est avant tout marquée par le sceau
de la nation, les objectifs de la politique technologique demeurant, en France comme ailleurs,
intimement (si ce n’est explicitement) liés à des objectifs de souveraineté nationale. Bien sûr,
l’inclusion dans l’espace européen est venue modifier quelque peu la nature des prétentions
nationales, largement contestées par ailleurs dans le champ mondial. On peut en tout état de cause
considérer que dans ce nouveau contexte le souci de la compétitivité industrielle prévaut a
fortiori. D’où les difficultés et les limites inhérentes à l’application « localisée » d’une méthode
conçue pour l’espace national.
Outre le fait qu’elle aboutisse à dresser une typologie de « technologies clés », la grille
d’analyse est censée mettre en exergue les « points critiques », c’est-à-dire ceux qui jouent un
rôle crucial pour la technologie. Cet aspect crucial peut être situé différemment le long d’une
chaîne technico-économique d’acteurs, notamment plus ou moins en aval, à proximité du marché
(fonctions ou usages), ou plus ou moins en amont, à proximité de la « science » (recherche ou
domaines scientifiques concernés).
Vis-à-vis de la politique technologique régionale, l’Annuaire des technologies clés joue
un double rôle. Il fournit tout d’abord l’éventail des possibles, c’est-à-dire les champs technicoéconomiques susceptibles de se révéler plus ou moins favorables dans le contexte mondial et
européen. Cette image globale est utile aux régions qui, théoriquement, « n’auraient plus qu’à »
se positionner vis-à-vis de ce panorama des technologies. L’Annuaire des technologies clés
délimite également l’espace du souhaitable, le champ dans lequel il est à la fois possible mais
également opportun et, aussi, moins risqué de s’insérer. En effet, la problématique étant plus que
jamais celle de l’insertion des régions dans un cadre concurrentiel européen voire mondial, la
vision nationale telle qu’elle est développée dans l’annuaire sert à canaliser les options
régionales. Donc, le cadre national qui apparaît utile pour filtrer les effets concurrentiels
mondiaux sert aussi à définir les politiques appropriées pourvu que les politiques régionales se
positionnent dans le périmètre de moindre risque que circonscrivent les orientations nationales.
Les « technologies clés » sélectionnées expriment donc indirectement le rôle de médiation que
joue l’espace national vis-à-vis des espaces régionaux. On remarquera qu’elles ont pour avantage
de limiter les risques liés à la spécialisation régionale vis-à-vis des espaces supranationaux
(Massard, 1996, p.180). A contrario, elles peuvent se révéler un frein au développement de
spécialisations régionales dont les traits saillants peuvent être littéralement écrasés par la grille de
lecture nationale.
Une étude réalisée plus spécifiquement sur les industries du bois (Bélis et alii, 2001) a été
l’occasion de faire apparaître des décalages dans la manière dont les acteurs comprenaient et
s’appropriaient la problématique qui leur était soumise. La récurrence de ces écarts, dont la
5
Ministère de l’économie et des finances, Les cent technologies clés pour l’industrie française à l’horizon 2000,
ADIT, Secrétariat d’état à l’industrie.
6
Le premier annuaire a été relayé par un second Annuaire des technologies clés 2005, édité en octobre 2000.
nature était à la fois cognitive et stratégique, a non seulement permis de reconfigurer l’approche
empirique mais a été aussi l’occasion de questionner la pertinence du cadre conceptuel.
Pour l’utilisateur naïf qui verrait dans la méthode une grille qu’il suffirait d’appliquer à un
secteur donné en région, l’illusion se révèle très rapidement lors des premières tentatives
d’utilisation. Á l’issue de l’étude, on peut au contraire défendre l’idée d’une inadéquation de la
nomenclature nationale vis-à-vis de l’approche des priorités technologiques sectorielles et de la
détermination d’une politique technologique régionale.
On peut tout d’abord reprocher à l’Annuaire des technologies clés une première faiblesse,
liée à la faible lisibilité qu’il autorise. Du fait de la multiplicité des critères de classification, - ce
qui représente certes un enrichissement vis-à-vis d’une entrée « technologiste » -, il y a tout
d’abord une grande difficulté à comparer les technologies entre elles. Si l’annuaire est un outil de
la politique technologique, c’est un outil qui ne peut faire l’objet d’une application immédiate.
Des détours importants sont nécessaires en termes d’études de terrain très précises, ce qui ne va
pas dans le sens d’une économie de moyens pour aboutir à une décision raisonnée. Notamment, il
est nécessaire de développer parallèlement une recherche spécifique sur chacune des technologies
supposées intéressantes pour aboutir à la détermination de priorités sectorielles régionales.
Fait plus ennuyeux, les entreprises ne raisonnent pas en termes de « technologies clés » ce
qui pose un problème quand à la façon de poser le diagnostic de leurs besoins dans des termes
compatibles avec l’annuaire. Plus même, les entretiens ont fait apparaître l’indifférence des
entreprises voire leur hostilité à la démarche qui sous-tend les catégories de la nomenclature
nationale. Non parce que cette dernière leur paraît inadaptée au cadre sectoriel ou régional mais
parce que ne correspondant pas à leurs préoccupations. Les catégories de la nomenclature
apparaissent surtout trop générales, caractérisées par un haut degré d’abstraction et donc inaptes à
traduire correctement les préoccupations et intérêts individuels par nature « plus focalisés ».
En réalité, le diagnostic sectoriel régional pose un problème de « granulométrie » sur
lequel il faut trancher en permanence. La plupart du temps, la classification de l’annuaire propose
un regroupement de procédés répondant à une problématique donnée, par exemple, les
technologies du contrôle non destructif des matériaux. En réalité, cette « technologie clé »
englobe un nombre important de procédés (visionnique, spectrométrie, densitométrie) dont les
performances sont mal connues voire incertaines au plan industriel et concerne, en outre, des
secteurs différents, ce qui amoindrit considérablement son degré de précision. Vouloir à tout prix
faire entrer les problèmes et les besoins dans ce cadre formel revient à déformer les
problématiques telles qu’elles s’expriment au sein de la filière. Les demandes des industriels
s’expriment généralement en termes de procédés très particuliers sur lesquels doit être portée une
appréciation comparative en termes de performances technologiques et économiques (rendement
et coût d’équipement), qui est absente de la problématique des « technologies clés ». En
conséquence, si les préconisations proposent la mise en œuvre d’un contrôle non destructif, elles
confirment certes les besoins industriels mais elles ne satisfont pas aux attentes des acteurs pour
lesquels rester à ce degré de généralité ne fait « qu’enfoncer des portes ouvertes ». Ce problème
spécifique n’est pas isolé puisqu’on le retrouve pratiquement pour toutes les technologies.
Il faut également noter que cette perception négative des « technologies clés » est
renforcée par l’assimilation, spontanément faite, entre une entrée par les technologies et les
démarches de transfert de technologie de pointe qui n’ont pas très bonne presse dans la filière
bois. Ces dernières, qui privilégient la création de ressources par l’amont, sont jugées
pénalisantes pour les PME/PMI qui attendent en général la diffusion de technologies plus
standard auxquelles elles ne peuvent accéder spontanément. Pire, les projets de transfert de
technologie sont souvent dénoncés comme destinés à valoriser uniquement les recherches de
laboratoires universitaires. Ces derniers sont assez souvent accusés de prendre littéralement les
entreprises « en otage » pour monter leurs dossiers de financement, sans que ces dernières y
trouvent un avantage décisif, les projets de recherche aboutissant trop rarement ou, en tout cas,
dans des délais jugés insatisfaisants par les entreprises.
Enfin, le caractère clé d’une technologie au plan national ne suffit pas à déterminer ses
attributs « de technologie clé » au plan sectoriel ou régional. En effet, l’appartenance au groupe
des « technologies clés » résulte, comme on l’a vu, d’un arbitrage entre divers ordres de critères,
essentiellement : les atouts, les attraits et le foisonnement plus ou moins accentué des
arborescences qui caractérisent une technologie. Or, on peut souvent vérifier que la hiérarchie des
critères valant au plan national n’est pas transposable au plan régional, notamment du fait de la
spécificité et de la « finesse » des spécialisations régionales. Ainsi, dans la filière bois en
Aquitaine et Poitou-Charentes, des technologies jugées « secondaires » au plan national peuvent
se révéler primordiales au plan régional et réciproquement.
En définitive, en dépit des progrès réalisés dans la connaissance du positionnement de la
France et des régions françaises sur des technologies déterminées, les Annuaires des technologies
clés s’avèrent un outil insuffisant en région. Dans la perspective de diffusion technologique sousjacente à la méthode, il y a le risque de sélectionner des technologies définies sur un plan trop
général ou qui n’ont pas fait l’objet d’une investigation suffisante ; il y a, également, un risque
d’uniformisation des solutions technologiques préjudiciable à l’orientation de la spécialisation
des régions. En conséquence, ce mode d’intervention est fortement soumis au risque
d’enfermement dans une trajectoire technologique, créateur de « lock in » technologique. Aussi,
définir des technologies a priori, c’est considérer que leurs contours sont définis et donc
méconnaître le fait que tout processus de diffusion de technologie est aussi un processus de
création de connaissances nouvelles, consubstantielle à la détermination de la technologie ellemême.
La dimension contextuelle des politiques technologiques conduit donc à militer en
faveur de leur déclinaison au niveau local à partir des trois arguments développés : les limites à la
diffusion de l’information dans l’espace, le besoin de proximité dans la coordination des activités
innovatrices des firmes, et enfin le besoin de contextualisation de l’action publique à un niveau
infra-national.
Il reste que l’espace de l’action publique, comme celui des firmes, dépasse
largement le cadre local. La politique technologique locale s’insère dans un espace plus large de
l’action publique en termes de système de formation, de recherche et d’organisation scientifique
et industrielle qui s’exprime au sein d’un système national d’innovation. Si l’on ajoute à cela le
développement de l’initiative européenne dans ce domaine, il est évident que la réflexion ne peut
être conduite qu’en tenant compte de la cohérence et de la légitimité recherchée par ces différents
niveaux d’intervention.
En ce qui concerne le lien entre espace et innovation, la même indétermination
peut être observée quant à la prééminence du facteur local. S’il semble bien que la proximité
importe dans le contenu et l’orientation des interactions entre les acteurs, les différents niveaux
d’appréhension du « local » montrent bien la nécessité d’en préciser les contours. De plus, la
diversité des configurations sectorielles mise en évidence montre la prudence dont il convient de
faire preuve à ce niveau.
II – Un risque de valorisation excessive du « local »
La marche vers la décentralisation des politiques technologiques semble affecter la
forme et la nature des interventions aux différents niveaux administratifs européens. On observe
un renforcement progressif des compétences des régions françaises (par le biais des contrats de
plan Etat-Régions) ainsi qu’une évolution vers une plus grande « régionalisation » des objectifs
des programmes-cadre de recherche européens, en particulier.
Dans le même temps, l’échec relatif des interventions de type technopoles
(Grossetti, 1995 ; Massey, Quintas, Wield, 1992) s’accompagne d’une évolution des formes de
l’action publique vers une conception plus large de la politique de l’innovation (du soutien de la
R&D à la promotion de l’innovation selon Massard, 1996). Cette évolution peut être caractérisée
à partir de « trois grands âges » de la politique technologique locale (Colletis, Pecqueur, 1995) :
- l’âge de l’offre de technologie correspond aux politiques de renforcement de l’offre
locale dans les années 1970 à partir de la décentralisation de la recherche publique et la politique
des technopoles ;
- l’âge du transfert, dans la décennie 80, visant à compléter le dispositif par le
développement de structures d’interfaces entre recherche l’industrie ;
- l’âge de la création de technologie dans lequel la politique technologique régionale
s’inscrirait aujourd’hui, par le biais de la prise en compte d’un besoin plus large d’interactions
entre les acteurs et le soutien au développement de réseaux locaux d’innovation.
Progressivement donc, la politique technologique locale s’orienterait vers une action au
niveau des infrastructures propres à soutenir les coopérations locales entre science et industrie,
essentiellement en direction des PME. Cependant, cette évolution, pour aussi souhaitable qu’elle
soit compte tenu des éléments avancés précédemment, n’est pas sans comporter un certain
nombre de risques quant à la dimension parfois trop « localiste » des actions mises en place.
Nous reprenons donc point par point l’orientation actuelle des ces politiques (rôle de la recherche
publique locale, valorisation des interactions locales, action en direction des PME) pour en
montrer les limites à partir de différentes études réalisées sur ces thématiques.
A – Proximité et relations science-industrie
L’analyse des relations science-industrie pose directement le problème de la
pertinence du « besoin de proximité » en la matière, en particulier lorsqu’il s’agit d’en justifier le
caractère local à partir de la nature des connaissances créées.
1 - Les interrogations sur le caractère local des relations science industrie
Si l’on considère effectivement comme un fait avéré que les processus
d’apprentissage et la mise en commun de connaissances tacites supposent une proximité
géographique des agents, alors la simple co-localisation des activités pourrait être suffisante au
développement de relations bénéfiques entre science et industrie. Les échecs subis par de telles
politiques montrent bien que cette hypothèse est loin d’être suffisante pour justifier ces dernières.
L’impact de la proximité de la recherche publique sur la propension à innover des firmes est
d’ailleurs difficile à établir dans le cas français (Autant-Bernard, 2000). Dans le cas allemand,
Beise et Stahl (1999) montrent aussi que la proximité de la recherche publique ne se traduit pas
par une plus grande fréquence des collaborations.
L’examen des contrats entre laboratoires du CNRS et partenaires industriels en
France sur la période 1986-1998 apporte un certain nombre d’informations très intéressantes par
rapport à la question des relations science-industrie (Grossetti, Nguyen, 2001).
Au niveau global tout d’abord, c’est le système national d’innovation qui semble
jouer un rôle primordial puisque près de la moitié des partenariats impliquent un laboratoire de
province et un partenaire industriel en région parisienne. Les relations à l’intérieur d’une même
académie en province ne représentent par contre que 16% du total des contrats passés sur la
période. Si on ajoute les contrats passés entre laboratoires et partenaires en région parisienne
(18%), cela signifie que les relations au sein d’une même académie concernent 34% du total des
contrats passés.
En première analyse, on peut donc affirmer que l’espace dominant n’est pas celui
de la région, mais plutôt celui de la nation, ce qui traduit en réalité la prédominance de la région
parisienne en matière de concentration de l’activité industrielle. Par contre, si on exclut les
partenaires industriels localisés en région parisienne (soit 66% des contrats CNRS-industrie !), on
constate que les partenariats en province s’effectuent à 40% dans le même département, ce qui
correspond à l’échelle urbaine compte tenu de la localisation des laboratoires. On peut ainsi
considérer qu’il existe deux principaux niveaux de structuration des relations science-industrie
dans le cas français : un niveau national dominant, et un niveau urbain qui regroupe presque la
moitié des relations hors région parisienne.
Une analyse approfondie du contenu de ces contrats serait nécessaire pour en
apprécier la portée, mais si affirmer l’importance des relations locales est cohérent lorsque
l’analyse porte sur la province, ceci devient moins acceptable au niveau national.
Ces différentes études tendent donc à montrer que le caractère local des relations
science-industrie reste une question encore largement ouverte malgré les résultats apportés par les
études économétriques américaines (Acs, Audresht, Feldman, 1992)7. Il existe sans doute des
différences institutionnelles et historiques qui peuvent expliquer une orientation
traditionnellement plus « industrielle » de la recherche publique aux Etats-Unis, mais cela
interroge cependant le bien-fondé d’une politique qui viserait à soutenir impérativement les
partenariats locaux dans un pays tel que la France.
2 - Les partenariats en matière de recherche
L’enquête Géographie de la R&D (cf supra) apporte ici aussi un éclairage particulier sur
la localisation de la R&D des entreprises par rapport à la recherche publique. La population
d’entreprises concernées est spécifique quant à la question des relations science-industrie
(puisqu’il s’agit d’entreprises effectuant de la R&D en interne), mais elle permet d’étudier une
population a priori susceptible de pouvoir bénéficier des retombées de la recherche publique
(existence d’une capacité d’absorption).
La localisation la plus souvent évoquée a trait aux laboratoires universitaires puisque 42%
des unités enquêtées déclarent être localisées à proximité de ces laboratoires. La proximité de
centres de recherche privés est moins citée ce qui révèle un attrait a priori plus fréquent pour la
recherche publique. La proximité des centres de recherche des clients ou sous-traitants principaux
est aussi nettement moins évoquée, ce qui peut paraître surprenant par rapport à l’importance
habituellement accordée à la prise en compte des besoins des utilisateurs.
La confrontation de ces réponses concernant la localisation avec les relations
effectivement développées souligne clairement les différences pouvant exister entre les
mécanismes d’agglomération des unités de recherche et la coordination locale des activités. Si au
niveau global le pourcentage d’unités localisées à proximité de centres de recherche privée est
proche de celui retraçant les relations avec d’autres centres de recherche locaux8, cette
correspondance n’est plus observée en matière de recherche universitaire. On constate en effet
que 42% des centres déclarent être localisés à proximité de laboratoires académiques, mais 17%
seulement jugent très importantes les relations locales avec ces mêmes centres pour le
7
Notons à ce sujet que les résultats obtenus par Jaffe (1989) en matière de recherche publique sont relativement
nuancées.
8
Il est intéressant de constater ici que parmi les 20% d’unités localisées à proximité de centres de recherche privée,
seulement le tiers a « souvent » des relations locales en matière de recherche.
fonctionnement de leur unité de recherche. Lorsque l’échantillon est réduit aux unités ayant
répondu être localisées à proximité de laboratoires académiques (soit 259 observations),
seulement le quart de ces unités a souvent des relations avec ces laboratoires et les collaborations
publiques dans les sources de la technologie ne sont jugées essentielles que dans 27% des cas
(soit 71 unités). Par contre, la moitié de ces unités localisées à proximité de laboratoires
universitaires jugent « importantes » les relations au niveau local avec ces centres.
Cependant, le rôle de la proximité ne peut être évalué a priori dans la mesure où le recours
à la science et/ou à la recherche académique n’est pas forcément indispensable à l’activité de
R&D industrielle. Si l’on réduit l’échantillon aux unités a priori plus orientées vers la recherche
publique à partir des informations recueillies quant au rôle accordé à la recherche publique dans
l’avancement des recherches de chaque unité.
Les réponses apportées indiquent que moins du quart des 614 unités de R&D (23%)
considèrent que les recherches sont « souvent » motivées ou rendues possibles par les
collaborations en R&D avec des partenaires publics. Les caractéristiques de localisation de ces
unités par rapport à la recherche académique diffèrent cependant peu de celles de l’ensemble de
l’échantillon puisque 52% de ces 137 unités déclarent être localisées à proximité de laboratoires
universitaires et 35% jugent très importants les partenariats avec les laboratoires publics locaux9.
Les fréquences de localisation et de collaborations locales sont donc plus élevées, mais le
décalage persiste entre les deux dimensions.
Alors que les résultats obtenus dans l’ensemble montrent que la complexité des
connaissances mobilisées s’accompagne, au niveau sectoriel, d’une coordination à proximité10,
les relations avec la recherche publique ne semblent pas répondre à la même logique. Les
réponses apportées à l’enquête montrent que la structure de la firme peut influencer la propension
à développer des relations locales.
Dans le cas de la fabrication de produits pharmaceutiques de base (fortement
orientée par les relations avec la recherche académique) par exemple, les relations de proximité
restent relativement peu fréquentes. On remarque cependant que sur sept établissements
appartenant à des entreprises ne disposant que d’une seule unité de recherche, cinq développent
des relations avec des centres de recherche publics locaux, alors que le rapport est inversé lorsque
les unités appartiennent à des entreprises disposant de plusieurs unités de recherche. Ce constat
est encore plus évident dans le cas de la recherche du secteur de l’agriculture. L’observation des
réponses individuelles montre que six unités de recherche, sur les sept appartenant à des
entreprises ne disposant que d’une seule unité de recherche, développent des relations locales
avec des partenaires publics, alors que seize unités sur les vingt restantes (appartenant donc à des
entreprises disposant de plus d’une unité de recherche) n’ont pas de relations locales dans ce
domaine.
On pourrait donc avancer l’hypothèse selon laquelle le besoin de collaboration avec la
recherche académique peut être satisfait par l’existence d’un laboratoire central de recherche sans
que, pour autant, chaque unité ne développe ce type de relations. Il est intéressant à ce propos
d’analyser la localisation des unités de recherche de secteurs caractérisés par une forte complexité
de la base de connaissances et pour lesquels la R&D publique est déterminante.
Il s’avère que la localisation des unités à proximité de laboratoires universitaires varie de
façon importante avec le nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise d’appartenance.
De plus, les relations locales avec des laboratoires publics sont jugées importantes ou très
9
Notons au passage la cohérence de ce résultat avec l’étude quantitative de Grossetti et Nguyen qui montre que 34%
des contrats CNRS-industrie associent des partenaires de la même Académie.
10
Cf première partie (point B)
importantes par 69% des unités de recherche « isolées » au sein de leur entreprise contre 51% des
unités appartenant à une entreprise disposant d’au moins deux unités de recherche. Ceci confirme
qu’en dehors de la référence sectorielle, la structure de la firme affecte le mode de coordination
des activités de R&D.
Trois enseignements paraissent finalement devoir être retirés de cette analyse :
- l’effet attractif de la recherche publique ne semble pas résulter de dynamiques de
coordination locale de la R&D ;
- la dimension locale des relations entre recherche publique et recherche industrielle est
affectée par la structure interne des firmes ;
- et enfin, il convient de rester prudent quant à l’importance accordée aux spillovers
géographiques de la connaissance en provenance des universités car le lien entre nature des
connaissances et type de proximité semble plutôt fragile dans le cas de la recherche publique.
Il convient donc de relativiser la justification de l’intervention publique locale par le rôle
que peut jouer la nature des connaissances dans les transferts science-industrie. Si la proximité
semble effectivement jouer un rôle, l’explication de ce phénomène doit être cherchée ailleurs
dans la mesure où les relations non locales sont tout aussi fréquentes.
B – Les dimensions locales et globales de la coordination
Pour ce qui concerne le lien entre innovation et espace, l’intérêt de l’approche en
termes de dynamiques de proximité réside en particulier dans sa capacité à saisir l’articulation
entre les dimensions locales et globales (Kirat, Lung, 1999). La prise en compte simultanée de
différentes formes de proximité (géographique, organisationnelle ou institutionnelle) conduit à
considérer la proximité physique des agents comme une configuration particulière qui ne peut
constituer une condition nécessaire et suffisante à la coordination.
Il ne s’agit tout d’abord pas d’une condition nécessaire dans la mesure où
l’existence d’une forme non géographique de proximité autorise la coordination à distance. Il ne
s’agit pas non plus d’une condition suffisante car la proximité physique n’implique en rien
l’existence d’une coordination locale des agents. De manière plus dynamique, la proximité
géographique peut s’avérer nécessaire dans la construction et l’apprentissage de nouvelles
routines, mais peut être relâchée par la suite grâce à l’existence d’une proximité organisationnelle
comme l’illustre la Géographie des modèles productifs (Lung, 1995). La proximité n’est donc pas
un état, mais un construit aux contours variables, qui dépend largement de dimensions historiques
et institutionnelles. Dans un tel cadre, le local et le global constituent deux formes
complémentaires et non alternatives de la coordination.
Ce type de réflexion est indispensable à la conception de politiques technologiques
locales. S’il y a bien une exigence locale dans la construction de ces politiques, elle ne doit pas se
traduire par un oubli des interactions plus globales qui ne concernent pas seulement les marchés.
A trop insister sur la dimension locale des interactions, il existe un risque de sous-estimer la
construction plus globale de compétences qui ne se limite pas à un apprentissage
géographiquement localisé. Nombre de travaux empiriques permettent d’illustrer cette
complémentarité entre relations locales et non locales en matière d’innovation.
1) Connaissance et complémentarité des relations locales en non locales dans le cas
de la R&D
Les résultats obtenus à partir du traitement de l’enquête Géographie de la R&D nous
conduisent à insister sur la diversité des configurations sectorielles mais aussi sur la forte
composante non locale de la coordination. Ceci est d’autant plus surprenant que les activités de
R&D, par définition "intenses en technologie", sont sensées être plus sensibles aux interactions
locales. Ceci nous conduit à nuancer à deux niveaux complémentaires la justification
d’interventions locales par la seule composante tacite des connaissances.
En premier lieu, affirmer que la proximité n’est pas indispensable à la coordination des
activités de R&D dans certains cas ne signifie pas que la localisation n’a pas d’importance. Ceci
indique simplement que les relations existantes peuvent aussi bien se développer à distance, la
qualité et l’intensité de ces relations pouvant parfaitement reposer sur un contexte local
particulier à la fois en termes d’infrastructures et de culture. Autrement dit, il convient de
s’extraire d’une sorte de déterminisme technologique qui impliquerait une réduction du local à la
nature des connaissances créées.
En second lieu, lorsque la proximité est nécessaire, elle ne s’exprime pas forcément à un
niveau local. On observe en effet que les unités de R&D qui entretiennent le plus fréquemment
des relations au niveau local sont aussi engagées dans des partenariats à une échelle géographique
bien plus large (niveaux national et international). Cette configuration est caractéristique des
secteurs de l'aéronautique ou de l'informatique par exemple.
En poussant plus avant l’analyse, on peut mettre en évidence des relations plus nuancées
entre les caractéristiques de la recherche et son inscription spatiale. Si les interactions externes
sont d’autant plus fréquentes que les compétences nécessaires sont variées et les connaissances
concernées émergentes, la propension relative à développer des relations locales et non locales
évolue de façon divergente. On observe bien une augmentation des interactions locales lorsque
les besoins de coordination sont fréquents et étroits, cependant, les interactions à distance se
développent aussi mais à une fréquence plus élevée. Autrement dit, « le nombre de relations
globales augmente à taux croissant avec le nombre de relations, alors que le nombre de relations
locales augmente à taux décroissant » (Bouba-Olga, Carrincazeaux, 2001).
Il n'y a donc pas contradiction entre localisation et globalisation des activités. Plus la
recherche repose sur un processus interactif complexe, plus elle nécessite d'interactions (à la fois
internes et externes) à proximité. Cependant ces interactions se développent aussi à distance de
façon à profiter des synergies entre différentes localisations : c'est l'articulation globale de
compétences créées localement. On obtient ainsi une articulation entre réseaux locaux et non
locaux dans l'organisation spatiale de la recherche. La question du contenu de ces échanges reste
toutefois en suspend : il peut exister des différences dans le contenu des relations locales et non
locales en fonction de la nature des connaissances mobilisées ainsi que des habitudes de
fonctionnement des agents (composante non physique de la proximité).
Ces résultats sont finalement cohérents avec les analyses conduites en termes de spillovers
géographiques dans la mesure où des effets spatiaux peuvent intervenir à différentes échelles
géographiques (locale, nationale, européenne). Il n'y aurait donc pas un niveau spatial pertinent
pour l'analyse de la localisation de la R&D, mais une imbrication de différents niveaux, ce qui
implique de les appréhender simultanément. Ces effets sont aussi mis en valeur dans le cas
français au travers des copublications interdépartementales (Largeron, Massard, 2000).
On voit alors mal comment les politiques technologiques locales pourraient faire
l’impasse sur la prise en compte de ces articulations qui dépassent largement l’incitation à
coopérer localement.
2) Réseaux, connaissance et interactions locales
Le raisonnement qui consiste à se baser presque exclusivement sur la nature des
connaissances en jeu et le besoin de face-à-face pour tenter d’expliquer les interactions locales
révèle donc certaines lacunes qu’il convient de tenter de dépasser. L’étude présentée par Grossetti
et Bès (2001) sur le rôle des réseaux sociaux en matière de relations science-industrie apparaît
très stimulante. A partir d’entretiens approfondis avec des chercheurs appartenant aux différentes
organisations concernées11, ils montrent que la dimension locale des coopérations résulte plus
d’un processus d’encastrement dans des réseaux individuels que d’une contrainte liée à la nature
des connaissances. Au-delà de l’approche théorique, deux aspects essentiels méritent d’être
rappelés.
Le premier élément a trait aux conditions d’émergence de la collaboration entre
une firme et un laboratoire du CNRS qui peuvent être regroupées autour de trois logiques
principales : logiques de réseau, d’institutions ou de marché.
Dans le premier cas, l’émergence d’une collaboration est liée à « une chaîne
relationnelle » entre les contractants, la mise en relation s’expliquant par l’existence d’une
« relation clé ». Ainsi, dans 44% des cas, le partenariat a pour origine soit une relation clé de type
professionnel, soit de type privé ou familial. Le type professionnel est d’ailleurs largement
dominant (dans plus de 80% des cas la collaboration est initiée à partir d’anciens collègues ou
étudiants…). Cette première logique met en évidence le caractère déterminant de la mobilité sur
le marché du travail ainsi que celui de l’insertion des étudiants dans le monde de l’entreprise. La
logique de marché se rencontre avec une fréquence presque équivalente (42 collaborations, soit
38% des cas). Il s’agit de collaborations qui ont émergé d’une démarche volontaire de recherche
de partenariats, essentiellement à partir d’effets de réputation ou de rencontres au cours de
congrès. Enfin, la logique d’institution correspond aux collaborations impulsées par un organisme
institutionnel. Cette logique renvoie plus particulièrement au rôle de l’intervention publique dans
le domaine de la politique technologique. Notons cependant qu’il s’agit de la configuration la
moins fréquente (18% des cas). On le voit donc, l’intervention publique directe a certes un effet,
mais qui reste largement en deçà des deux autres mécanismes de mise en relation des partenaires.
Le deuxième élément qui nous intéresse ici concerne la dimension locale de la
mise en relation. A un premier niveau, on constate que plus du tiers (36%) des partenaires
industriels sont localisés dans la même académie que le laboratoire, ce qui traduit une importance
bien réelle du local mais finalement relativement en retrait par rapport aux mises en relation à
distance. L’effet dominant n’est donc pas celui de la proximité. Par contre, 60% des
collaborations ayant émergé avec une entreprise locale (même académie) relèvent d’une logique
de réseaux sociaux (20% pour chacune des deux autres logiques d’émergence). Les relations clés
jouent donc un rôle prépondérant au niveau local, la logique de marché dominant plutôt les
relations non locales12.
En termes de politique locale, on pourra retenir deux enseignements principaux.
Le premier concerne le faible impact de l’action publique dans la genèse de ce type de relations.
Néanmoins, ceci peut tout aussi bien être interprété comme une inefficacité ou comme une
insuffisance de l’action publique.
Le second enseignement, et certainement le plus robuste, concerne le peu d’intérêt d’une
réflexion en termes de connaissances tacites. Les différents entretiens conduits permettent
d’affirmer, selon M. Grossetti et M.P. Bès, que l’hypothèse d’un besoin de relations locales lié à
des savoirs tacites est « totalement erronée » dans ce cas : la fréquence des interactions n’est pas
11
Ils ont ainsi pu reconstituer 130 « histoires » de coopérations entre des entreprises et des laboratoires du
département Sciences pour l’ingénieur du CNRS (localisés dans différentes villes de province). L’intérêt de la
méthode réside dans la reconstitution de ces « histoires » qui vont au-delà de la simple photographie, l’objectif étant
de reconstituer la genèse de la relation.
12
Cela ne signifie cependant pas que les réseaux sociaux sont fortement localisés car ils interviennent aussi
largement dans les collaborations avec des entreprises de la région parisienne.
affectée par la distance d’une part, et lorsque le besoin s’en fait sentir, la mise en place de
supports adaptés (maquettes, séjours d’étudiants…) satisfait au besoin d’échange entre les
partenaires.
Le principal moteur de l’existence de relations science-industrie au niveau local relève
donc en grande partie du caractère localisé des réseaux sociaux (anciens collègues, anciens
étudiants…), ce qui peut expliquer le manque de pertinence de l’approche en termes de
coordination des activités de R&D évoquée précédemment. Ce type d’explication peut par contre
être cohérent avec la conception des externalités technologiques liées à une probabilité
d’interactions plus forte des agents au niveau local. Il n’en demeure pas moins que les réseaux
sociaux ne fondent pas la « supériorité du local », car ils ne correspondent à aucune contrainte en
la matière, ces réseaux pouvant s’inscrire à tous les niveaux spatiaux.
Il y a par contre ici un champ largement ouvert pour l’intervention publique, qui ne se
justifie pas par une quelconque « contrainte de proximité », mais par la possibilité de contribuer à
l’activation de ces réseaux au niveau local. La question qui demeure concerne alors l’opportunité
de soutenir les coopérations locales.
C – Taille des firmes et relations de proximité
Une autre justification importante de la politique technologique locale réside dans
le passage d’une politique de grands programmes à une politique de diffusion de la technologie
axée vers le soutien aux PME. Cette action à l’endroit des PME se fonde sur deux hypothèses
différentes. La première concerne la capacité d’absorption des petites entreprises qui ne disposent
pas en interne de ressources suffisantes pour accéder à des compétences externes pourtant
indispensables à l’innovation et à l’évolution de leur activité. La seconde hypothèse est plutôt
mobilisée pour justifier de l’intérêt d’une action locale. Les PME étant généralement plus
dépendantes de leur environnement immédiat et plus solidement « ancrées » sur le territoire, les
retombées locales de l’intervention publique seront donc supérieures à l’action en direction des
plus grandes entreprises, d’autant que le renforcement de la capacité d’innovation de ces PME
constitue aussi un facteur « d’ancrage territorial » des groupes industriels dans les termes de
Zimmerman et alii (1995).
C’est ce dernier aspect que nous souhaitons développer ici, d’une part parce qu’il
est largement controversé, et d’autre part parce que les données recueillies par l’enquête
Géographie de la R&D permettent d’approfondir cette question pour les entreprises effectuant de
la R&D.
Le facteur taille est ainsi souvent évoqué comme critère déterminant de l’insertion
spatiale des entreprises, en particulier en matière de haute technologie (Glasmeier, 1988). Deux
explications principales sont mobilisées pour étayer cette hypothèse. La grande entreprise
disposerait de ressources financières, techniques et organisationnelles lui permettant de mieux
“ dominer la distance ” (Aydalot, 1985). La petite entreprise, plus dépendante d’un
environnement local, puiserait dans cet environnement les ressources lui faisant défaut en
interne. D’où l’hypothèse que les relations sont d’autant moins locales que la taille de la firme
augmente. Une deuxième justification, conduisant à la même hypothèse, relève de l’approche en
termes de systèmes productifs localisés. Conformément à l’approche de Scott (1983, 1988), la
désintégration verticale du processus productif, liée au principe de spécialisation flexible,
engendrerait des coûts de transactions dont la réduction dépendrait de l’agglomération spatiale
des firmes. Il existerait donc un mécanisme cumulatif articulé autour du processus de
désintégration verticale et favorisant l’agglomération spatiale qui, par la réduction des coûts de
transactions qu’elle autorise, renforcerait en retour ce processus.
Partant des deux hypothèses précédentes, l’analyse des systèmes productifs
localisés met en avant l’importance des relations locales, que l’on fasse référence à l’existence de
systèmes localisés de petites entreprises (Garofoli, 1992), ou à la nécessité d’une proximité
géographique dans la constitution des réseaux de petites firmes (Maillat, Kebir, 1998), ou encore
aux relations localisées en fonction du degré de désintégration de l’activité (Langlois, Robertson,
1995). En dépit de ces exemples concrets, les hypothèses soutenues sont cependant critiquables à
plusieurs égards. L’aspect fortement localisé des relations ne concerne pas seulement les petites
firmes (Becattini, 1992), d’autant que le facteur taille intervient de façon différente selon qu’on
s’intéresse aux relations avec les fournisseurs ou les clients (approvisionnement local vs marché
global pour Courlet, 1997). De plus, une sensibilité plus forte des petites firmes à leur
environnement local n’est pas forcément avérée (Kleinknecht, Poot, 1992). La taille
n’interviendrait d’ailleurs qu’aux côtés d’autres caractéristiques des firmes telles que le type de
production ou la structure et l’organisation des établissements (Glasmeier, 1988). En particulier,
l’appartenance de “ petits ” établissements à des firmes disposant de plusieurs sites spatialement
dispersés affecte aussi la propension à développer des relations locales (Henry, 1992).
L’influence de la taille dans le rapport des firmes à l’espace reste donc difficile à établir car ce
dernier dépend fondamentalement des critères pris en compte.
En matière de R&D, si le facteur taille intervient, il pourrait affecter de la même
façon la dimension locale de la coordination. L’hypothèse de faiblesse des ressources internes
pour les firmes de petite taille pourrait se traduire par un besoin plus marqué en ressources
externes. Elle est notamment développée par Acs, Audretsch et Feldman (1994), ou Audretsch et
Vivarelli (1995), qui montrent que les petites firmes sont plus sensibles aux effets de
débordement localisé des connaissances en provenance des universités. Quant à l’hypothèse de
fréquence plus élevée des relations verticales pour les firmes de petite taille, elle a aussi des
conséquences en ce qui concerne la R&D. Si des relations productives se développent au niveau
local, on peut supposer que ces liaisons apparaîtront aussi au niveau de la R&D.
Les données disponibles dans l'enquête Géographie de la R&D permettent
d’appréhender l’influence du facteur taille en fonction de trois indicateurs complémentaires.
L’effectif du centre de recherche apporte tout d’abord une information directe sur la variété des
compétences disponibles au niveau interne. Cet indicateur permet alors d’interroger le besoin de
relations externes associé à la taille de l’unité de recherche. L’effectif de l’entreprise
d’appartenance offre une possibilité d’évaluer plus directement la portée des hypothèses
concernant le rôle de la taille de la firme dans la localisation de l’activité. On prend alors en
considération l’ensemble des ressources dont dispose l’entreprise en supposant que les activités
de recherche subissent l’influence des contraintes affectant l’activité de l’entreprise au sens large.
Enfin, il est aussi possible de juger de l’influence de la taille de la firme dans les relations de
proximité en utilisant comme indicateur le nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise
d’appartenance. Ce dernier indicateur se différencie des précédents dans la mesure où il prend en
compte la coopération interne à la firme, ainsi que la possibilité de complémentarité entre les
différentes localisations.
Le recours à ces trois indicateurs permet de tenir compte des principales critiques
formulées à l’encontre d’approches ne retenant comme critère de taille que celle de
l’établissement. Les résultats obtenus sont relativement nuancés. En matière de relations
verticales tout d'abord, on observe un usage interne à l’entreprise des produits ou technologies
développés plus fréquent avec l’augmentation de la taille (quel que soit le critère de taille retenu),
ce qui illustre les mécanismes d’intégration des activités au sein de la grande firme. Un usage
plutôt externe des résultats de la recherche qui caractérise les firmes de petite taille irait par
contre dans le sens d’une dépendance plus forte par rapport à l’environnement. Bien que les
résultats ne soient pas toujours convergents selon l’indicateur de taille retenu, la dimension locale
des relations verticales n’est pas plus marquée lorsque la taille diminue. On constate, au contraire,
que les produits ou technologies développés sont plus souvent destinés à des entreprises locales
lorsque les unités de recherche appartiennent à des entreprises multi-établissements de R&D, ce
qui va à l’encontre de l’hypothèse formulée en matière d’insertion locale des petites entreprises.
En matière d'insertion locale de la recherche, les collaborations en R&D sont plus
fréquentes lorsque les entreprises sont de grande taille, et ceci se traduit dans la nature des
relations locales plus fréquemment développées lorsque l’entreprise dispose de plusieurs centres
de recherche13. Ce phénomène est sans doute renforcé par les contraintes liées aux possibilités de
localisation des activités de R&D en fonction de la structure de la firme : les centres de recherche
dépendant d’entreprises de dimension réduite (en termes d’effectifs ou d’établissements) sont
contraints par l’inertie de localisation qui en résulte. Lorsque plusieurs sites existent, les
possibilités d’exploitation de ressources locales sont plus ouvertes car les choix le sont aussi. On
retrouve donc ici la même conclusion que dans le cas des relations verticales : la taille affecte peu
l’insertion locale des activités de R&D, et lorsque cette influence est bien présente, elle va plutôt
dans le sens d’une insertion locale des unités de R&D les plus importantes. Ceci conduit donc à
rejeter l’hypothèse d’un besoin plus marqué en ressources locales lorsque les entreprises sont de
petite taille, ce résultat étant cohérent avec les conclusions d’autres études empiriques en la
matière (Kleinknecht, Poot, 1992).
Finalement, les configurations observées en matière de localisation des activités de
recherche, selon les relations verticales ou l’articulation à la recherche externe, mettent en
évidence une double complémentarité. Celle-ci émerge essentiellement lorsque l’analyse est
conduite à partir du nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise d’appartenance (le
raisonnement en termes de choix de localisation étant certainement plus pertinent lorsque le
nombre d’unités est élevé). Premièrement, il existe une forte complémentarité entre activité de
recherche interne et accès à des ressources externes, conformément aux conclusions de Cohen et
Levinthal (1990). Ceci est parfaitement illustré par la propension plus forte à développer des
relations externes en R&D lorsque l’effectif des centres ou le nombre d’unités de recherche
augmentent. Le développement des relations externes avec l’augmentation de la taille est tout à
fait conforme aux observations empiriques en la matière (Teece, 1988). Deuxièmement, les
partenariats locaux sont complémentaires de relations à un niveau plus global14. Ainsi, parce que
les relations externes sont plus développées lorsque la taille des firmes augmente, ces relations
apparaissent plus marquées à la fois dans les collaborations à distance et dans les collaborations
locales. L’augmentation de la taille semble donc conduire à un renforcement de l’importance de
la dimension géographique de la proximité tout en s’accompagnant de relations à distance plus
fréquentes.
L’étude de la localisation des activités de R&D en fonction du seul critère de taille
montre donc que, contrairement aux hypothèses habituellement avancées en la matière, la
dépendance des petites firmes par rapport à leur environnement local n’apparaît pas lorsque
l’analyse porte sur l’insertion spatiale des activités de R&D. Au contraire, les relations locales
sont plus marquées pour les centres de grande dimension.
Cette conclusion ne remet pas en cause les besoins liés à la faible capacité
d’absorption de certaines PME, mais tend à montrer là encore que « l’impératif local » ne relève
pas de besoins spécifiques en matière de coordination locale comparativement aux grandes
entreprises. La taille de l’entreprise ne peut, à elle seule, justifier d’une intervention locale en
direction des PME.
13
Les collaborations avec d’autres centres de recherche locaux ou avec des laboratoires publics sont jugés « très
importantes » respectivement par 18% et 16% des entreprises mono établissement de R&D (420 réponses). Ces taux
sont de 31% et 22% pour les unités appartenant à des entreprises ayant plus de 2 unités de recherche (118 réponses).
14
La participation à des programmes de recherche locaux concerne « souvent » 2% des unités de R&D mono
établissement contre 8 à 9% des plus de 2 établissements. De la même façon, la participation à des programmes de
recherche nationaux concerne 7% des mono établissements contre 37 à 40% des plus de 2 établissements.
D – Retour sur la politique technologique locale
Au final, on peut donc considérer que la justification des politiques technologiques
locales par la présence d’externalités informationnelles ou les savoirs tacites n’offre qu’une
vision partielle des processus en jeu. La pertinence de la dimension locale des politiques
technologiques repose sur la caractérisation du lien entre innovation et espace, elle-même
fortement conditionnée par la représentation sous-jacente du processus d’innovation.
1 - La proximité n’est pas le local
Les différentes hypothèses théoriques et les études appliquées présentées nous
permettent d’avancer dans le sens d’une relativisation des fondements habituellement mobilisés
pour la justification d’une politique technologique locale.
L’approche en termes de dynamiques de proximité montre tout d’abord à quel
point la superposition de différentes composantes de la proximité peut conduire à des
configurations spatiales variées. Affirmer que la proximité géographique compte n’implique
absolument pas le rejet d’un besoin de coordination à un niveau plus global. Il importe donc de
ne pas raisonner uniquement en termes de combinaisons de ressources locales et de marchés
globaux, mais plutôt en tenant compte de l’imbrication de différents niveaux spatiaux de
déploiement des systèmes sociaux d’innovation.
Le fait que la proximité géographique compte ne doit pas non plus faire oublier
qu’il existe de nombreuses situations de coordination qui ne sont pas portées par une quelconque
forme de rapprochement physique. L’exemple des activités de R&D montre à quel point une
même activité (la recherche) peut montrer un rapport variable à l’espace : tous les secteurs
d’activité ne présentent pas les mêmes caractéristiques en matière de coordination par la
proximité (dans les relations locales ou globales, ou dans leur combinaison).
L’orientation de l’action en direction d’un développement des relations scienceindustrie au niveau local souffre d’un manque de prise en compte de ce qui en fonde l’intérêt.
D’un côté, le besoin d’interactions entre les deux mondes est fortement variable d’une activité à
l’autre, ce qui ne peut donc fonder une action globale dans ce sens. D’un autre côté, la proximité
géographique ne semble pas un support indispensable à ce type de relations puisqu’elle résulte
plus de l’encastrement dans des réseaux sociaux localisés que d’un réel besoin en la matière. Si le
renforcement des liens entre science et industrie est souhaitable pour nombre d’activités, leur
caractère localisé n’en est pas pour autant incontournable.
En ce qui concerne l’action en direction des PME, on ne trouve pas non plus de
justification à l’action locale qui soit fondée uniquement sur le critère de taille. Les petites
entreprises ne sont pas forcément plus impliquées localement que les plus grandes. L’action en
direction des PME se justifie de façon générale par rapport à la faiblesse de leur capacité
d’absorption de compétences externes, cependant, et de la même façon que pour l’ensemble des
firmes, l’intérêt de la proximité géographique dans le processus d’innovation est fortement lié
aux caractéristiques de l’activité et des modes de coordination à l’œuvre au sein des industries.
La problématique de l’action auprès des PME n’est donc pas autonome, elle s’inscrit dans un
contexte à la fois local et global, et en particulier dans un système d’interactions localisées qui
implique largement les grandes firmes. Les politiques locales ne doivent donc pas sous-estimer
l’importance des grandes entreprises dans une dynamique locale d’innovation.
Enfin, la capacité de maîtrise de l’information de la part du décideur semble
constituer un élément majeur de la justification des politiques technologiques locales. On l’a
illustré à partir de l’exemple du passage de la politique nationale à la politique régionale en
matière de technologies clés. D’un point de vue plus théorique, on peut avancer l’idée que
l’articulation des différentes formes de proximité est largement dépendante du contexte local. En
considérant que tout processus de diffusion est aussi un processus de création de technologie, il
est en effet difficile de concevoir une politique uniforme de soutien à l’innovation. La conception
locale de ce type d’interventions est ainsi rendue indispensable par un certain nombre de
spécificités organisationnelles et institutionnelles.
Il reste que les connaissances détenues par le décideur sont elles aussi
contextuelles et dépendantes de ses apprentissages passés. Se pose alors le problème de la
capacité d’expertise du décideur et de sa maîtrise d’une information dont le contenu local peut
rester insuffisant dans un contexte plus global. Autrement dit, la décentralisation de la politique
technologique repose implicitement sur une hypothèse de meilleure maîtrise de l’information au
niveau local, ce qui n’est pas évident a priori compte tenu de la limitation géographique des
compétences. Le point clé sera donc ici celui de la complémentarité entre les différents niveaux
de décision. On peut donc avancer l’hypothèse que les politiques technologiques, et les décideurs
publics, sont soumis aux mêmes contraintes d’articulation entre les dimensions locales et globales
de la coordination de l’action publique.
2 - Quelles orientations pour la politique technologique locale ?
Compte tenu des différents éléments mis en évidence, on peut tenter maintenant de
préciser le sens d’une action locale en matière de politique technologique. Cette réflexion nous
semble d’autant plus nécessaire que l’évolution actuelle, en particulier de la politique
européenne, va dans le sens d’une plus grande régionalisation des actions, avec un élargissement
du champ de ces actions pour une meilleure prise en compte, moins « technologiste », de ce que
recouvre le processus d’innovation.
Les politiques locales peuvent intervenir à deux niveaux se rapportant aux facteurs
d’agglomération des activités de recherche. Le système de formation et le soutien à la recherche
universitaire constituent de puissants facteurs d’attraction de la recherche industrielle par le biais
du développement d’une main-d’œuvre locale qualifiée et de la formation de réseaux locaux
qu’elle supporte. De la même façon, les politiques locales de développement d’infrastructures de
transport répondent à un besoin d’accessibilité clairement affirmé. Au-delà de ces aspects
généraux, il convient cependant d’insister sur la nécessité de mieux cibler ce type d’interventions.
Dans le cadre d’une analyse de l’écart entre rendement privé et rendement social
de l’innovation, l’intervention doit non seulement porter sur le besoin de codification des
connaissances pour les rendre accessibles, mais surtout sur le besoin de mise en relation des
agents pour favoriser les apprentissages interactifs (Torre et alii, 1997). Compte tenu des
caractéristiques d’organisation spatiale de la R&D par exemple, il faut cependant souligner que
cet aspect ne concerne pas uniquement des interactions localisées. La complémentarité entre
relations locales et non locales met en évidence que ce type d’actions, centré sur la mise en
réseau d’acteurs locaux, peut être insuffisant, voire inadapté à certaines activités. Les politiques
locales doivent donc viser à soutenir les interactions locales tout en favorisant la mise en relations
d’acteurs géographiquement éloignés. L’intervention publique locale doit donc être pensée dans
une perspective de mise en réseau plus « globale ».
De plus, la diversité observée dans les dynamiques d’organisation spatiale de la
R&D ne permet pas de définir une action de type générique. Les différences sectorielles en
matière de sensibilité aux effets d’agglomération supposent l’existence de politiques locales plus
ciblées en fonction de l’activité concernée. Que ce soit au niveau des politiques
d’accompagnement de la recherche locale ou à celui de l’attraction de nouvelles activités, cet
aspect se doit d’être pris en compte.
Enfin, si la décentralisation peut sembler nécessaire pour le développement local, cela ne
doit pas occulter le besoin d’agglomération très puissant qui caractérise les activités d’innovation.
La dispersion des sources de création de connaissances sur le territoire national ne peut être
envisagée sans que des mécanismes viennent supporter leur coordination sur une base
géographique plus étendue. Il y a donc ici un arbitrage à opérer entre le soutien au développement
de nouveaux pôles de recherche et le renforcement des pôles existants par une action en faveur de
leur mise en relation.
La recherche et l’innovation ne sont pas le seul fait des industries dites de haute
technologie. L’importance du local, même si elle apparaît plus marquée au sein de ces dernières
industries, est bien présente dans le cadre d’industries plus traditionnelles. Elle peut cependant
s’exprimer de façon différente, notamment au travers de relations plus fortes avec les activités de
production. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la coordination s’opère moins à proximité
(géographique) que les politiques locales ne se justifient plus. Elles peuvent au contraire
accompagner la formation de réseaux non locaux.
La question de la légitimité de la dimension locale des politiques technologiques devient
ainsi beaucoup plus complexe que dans une perspective informationnelle dans la mesure où
l’existence de limites spatiales à la diffusion des externalités ne constitue pas un argument
suffisant. Il s’agit plutôt d’inscrire l’action locale dans une perspective plus globale sans
surestimer « les vertus du local ».
On peut ainsi admettre que la volonté de renforcer la capacité d’innovation des PME
locales, au-delà de ses effets en termes d’emploi et de croissance locale, peut être utile à la
constitution d’un seuil critique local favorable à l’ancrage territorial d’activités sensibles à la
proximité géographique. De la même façon, le soutien aux coopérations locales dans le domaine
des relations science-industrie (par une action directe ou indirecte par le biais du soutien à la
formation ou aux organismes de recherche publics) peut contribuer à favoriser l’innovation
localement. Pour autant, la mise en réseau et le soutien aux coopérations locales peut aussi
s’avérer peu efficace, soit par manque de disponibilité des ressources, soit en raison d’externalités
négatives locales.
A. Torre (2001), à propos de la mise en place des réseaux locaux d’innovation, insiste
ainsi sur les difficultés rencontrées à vouloir absolument soutenir des coopérations locales. Ce
type de politique se heurte en réalité à deux difficultés majeures qui ont trait aux structures
productives locales ainsi qu’au poids de l’histoire dans le développement des coopérations entre
les agents.
La question des structures productives renvoie aux problèmes de distance cognitive entre
le monde industriel et celui de la recherche publique. La perméabilité des deux mondes résulte
d’un apprentissage lent basé sur des relations s’inscrivant dans la durée et permettant ainsi de
développer des relations effectives basées sur la confiance. Cette perméabilité, même lorsqu’elle
met en jeu des connaissances tacites, s’opère plus facilement « à l’intérieur d’un même monde
professionnel (même à distance) qu’entre des mondes différents (même à proximité) » (ibid, p.
34).
L’histoire compte dans ce type d’action volontariste car la volonté de mise en place d’un
réseau se heurte à des relations préexistantes. Il est d’une part difficile de mettre en place des
coopérations locales lorsque les acteurs n’étaient pas en relation auparavant, et d’autre part, les
acteurs étant déjà engagés dans des coopérations non locales, leur propension à s’investir
localement peut en être fortement réduite.
Dans ces deux situations, l’action publique locale peut se révéler contre-productive dans
la mesure où les acteurs peuvent n’avoir que peu d’intérêt à coopérer ou bien se trouver
confrontés à un manque de ressources locales qui nuit fortement à la pertinence de ce type de
réseaux. Ces actions doivent donc être menées en tenant compte à la fois du caractère
simultanément global et local de l’espace des acteurs, ainsi que de la durée indispensable à la
construction de ces relations : « entre le territoire des réseaux spontanés (qui va de la région aux
contacts à l’échelle mondiale) et l’échelon régional du réseau institutionnel, la construction des
interrelations est lente ».
Notre expérience de l’industrie du bois, réputée peu intense en technologie, nous conduit
à des conclusions relativement proches. Cette industrie correspond à une spécialisation forte de la
Région Aquitaine autour de l’exploitation du pin maritime. Pour autant, la concentration spatiale
de cette activité est liée à la présence de la ressource et les interdépendances industrielles sont
généralement limitées à des approvisionnements et des relations marchandes. De plus, la culture à
dominante patrimoniale pousse traditionnellement peu aux coopérations entre les entreprises
locales, et a fortiori avec la recherche publique locale. Pourtant, le pôle scientifique et technique
local est extrêmement important et le potentiel dans ce domaine est de premier ordre. Les
coopérations sont donc peu fréquentes et l’industrie reste relativement fragmentée : nombreuses
PME traditionnelles face à des établissements industriels modernes s’inscrivant dans une
perspective d’emblée mondiale, ressources allouées à l’innovation extrêmement faibles face à
quelques entrepreneurs dynamiques à la recherche de niches, absence d’activité de recherche
privée mais ressources des laboratoires centraux pour les groupes.
Globalement, la capacité d’innovation locale reste relativement faible, soit parce que les
ressources financières sont insuffisantes (PME traditionnelles), soit parce que les ressources
humaines sont insuffisantes (la volonté d’innover est souvent limitée à l’initiative d’un
entrepreneur isolé), soit parce que la recherche de compétitivité liée à la production de masse des
groupes présents s’accommode d’un laboratoire central de recherche conduisant à une très faible
décentralisation de la conception sur site. Face à ce constat et à la situation parfois difficile de
nombre d’entreprises du secteur prises dans le mouvement d’internationalisation des industries du
bois, les pouvoirs publics tentent de stimuler l’innovation et la modernisation locale des
entreprises présentes. Malgré une volonté politique forte, la volonté de rapprocher les mondes
industriels et scientifiques se heurte à de nombreuses difficultés.
La première difficulté tient à la faible capacité d’absorption des PME qui considèrent le
monde de la recherche comme inaccessible. Au cours de nos différents entretiens, les industriels
nous ont fait part de leur relative méconnaissance de l’offre scientifique locale mais aussi du peu
d’utilité qu’ils accordent à des recherches ne menant pas à des applications techniques accessibles
(en termes de coûts généralement). Réciproquement, les scientifiques éprouvent des difficultés à
identifier les besoins des industriels. Il en résulte que l’intervention publique sous forme d’appels
d’offre thématiques ou de soutien direct à des projets associant industriels et laboratoires publics
aboutit relativement peu.
En réalité, et c’est là une limite importante à l’intervention publique locale, la présence de
réseaux sociaux ou de coopérations antérieurs exclut une partie de la filière de ce type
d’interventions. Les coopérations préexistantes sont souvent non locales et certaines des
entreprises les plus dynamiques mobilisent finalement peu les ressources locales. Plus gênant
encore, les réseaux professionnels existants captent en réalité une grande partie des aides
distribuées, en adoptant parfois une position très attentiste : l’association avec un laboratoire local
constitue parfois un service rendu pour permettre le financement de recherches correspondant aux
centres d’intérêt des chercheurs. Il s’agit ainsi de maintenir une simple activité de veille sans pour
autant que ces recherches n’aboutissent sur des applications industrielles immédiates. Si elle rend
difficile l’extension des coopérations à de nouveaux acteurs, l’influence des réseaux existants est
pourtant essentielle car elle permet d’orienter et d’asseoir l’intervention publique.
Enfin, le « localisme » dont est entachée la politique technologique au sein de ce secteur
nuit au développement des coopérations non locales. En dehors de la présence d’un potentiel
scientifique relativement important, peu d’éléments militent en faveur du développement des
relations locales : la complexité des connaissances mobilisées dans l’industrie peut
s’accommoder de relations à distance de la même façon que les liens avec la recherche publique.
La volonté de soutenir en priorité les interactions locales conduit finalement à conforter les
réseaux déjà existants et peut parfois limiter l’accès à d’autres compétences qui existent dans
d’autres régions. Ainsi, il y a un risque d’enfermement dans une trajectoire technologique locale
lié au manque d’ouverture du système, d’autant que les partenariats sont parfois limités
localement compte tenu de la nécessité pour les laboratoires publics de ne pas s’engager sur des
thématiques trop proches avec plusieurs industriels15.
L’une des principales difficultés à laquelle la politique technologique se heurte
réside finalement dans sa dimension locale ! L’accès à des ressources externes (régionales ou
sectorielles) nécessaires au maintien de la diversité des compétences et des opportunités
technologiques est ainsi limité par la configuration du système local d’innovation.
3) Politique technologique locale et gouvernance multi-niveaux
La conduite de la politique technologique régionale s’avère donc extrêmement
complexe et l’incertitude qui domine, à la fois quant au type d’intervention et à ses effets, se
traduit par une forte diversité dans le niveau d’implication des différentes régions en France.
L’orientation générale de ces politiques va aujourd’hui vers plus de
décentralisation en considérant que les besoins doivent être exprimés, et entendus, localement16.
C’est donc du côté du besoin d’information du décideur que se déplace la justification de la
politique technologique locale. Or, les différents éléments avancés jusqu’ici montrent bien que
c’est justement cette information qui fait le plus défaut. La relative jeunesse de ces politiques
s’accompagne d’un manque cruel d’outils d’aides à la décision. L’échec relatif de la politique de
mise en place de réseaux formels de diffusion technologique, par exemple, se heurte
essentiellement à une insuffisance dans le diagnostic des situations locales (Torre, 2001). Le
premier enjeu auquel ces politiques se trouvent confrontées concerne donc le développement
d’outils d’aide à la décision passant notamment par la constitution d’une information pertinente
sur les systèmes productifs locaux.
Il reste que le recueil de ce type d’information est difficile à mettre en œuvre
compte tenu de l’exigence de coopération de la part des acteurs concernés. En effet, la
multiplication des niveaux d’interventions (Europe, Εtat, Région) et des acteurs en présence
(collectivités territoriales, organismes consulaires ou professionnels) limite les comportements
coopératifs tant les acteurs cherchent à préserver leur légitimité. L’opacité de l’information est
donc la règle, le système local d’intervention publique manquant parfois cruellement de lisibilité
aux yeux des acteurs industriels.
Les confrontations d’expériences régionales et la volonté d’identifier des
« pratiques exemplaires » exprimée par l’Europe vont dans le sens d’une meilleure définition de
ce que peut être la politique technologique locale. Toutefois, la spécificité des systèmes
d’innovation locaux constitue une limite forte au « transfert de technologie » entre les
collectivités territoriales, les expériences étant difficilement transférables. Le développement de
compétences par les décideurs locaux peut ainsi faire l’objet d’une analyse proche de celle qui est
conduite pour la firme : comte tenu de la spécificité du contexte et de l’incertitude qui
15
Voir 1ère partie.
On retrouve cette orientation largement affichée dans les projets de politique technologique de l’Europe. Voir par
exemple le numéro d’Innovation et transfert technologique de juillet 2002.
16
caractérisent la conduite d’une politique technologique locale, les décideurs publics assoient leur
action sur un processus d’apprentissage qui s’inscrit dans la durée et au sein d’une trajectoire
propre. Le transfert et le partage d’expériences dans ce domaine font aussi l’objet de création de
compétences nouvelles dans le déploiement dépend à la fois du système local d’action publique
(dans les termes de Jullien et alii, 2002) et de la spécificité du système d’innovation local.
La politique technologique locale ne peut donc être vue comme un ensemble de règles
autonomes, de recettes qu’il suffirait d’appliquer pour favoriser la diffusion et la création de
technologie au niveau local. Elle s’insère dans un processus plus complexe d’interactions entre
acteurs privés et publics dont il convient d’identifier les régularités. En ce sens, on peut
considérer que la politique technologique locale est passible d’une analyse en termes de
gouvernance territoriale qui selon Zimmerman et alii (1998) se définit comme « le processus
institutionnel-organisationnel de construction d’une mise en compatibilité de différents modes de
coordination entre acteurs géographiquement proches. Ce processus, par essence dynamique, vise
à la formulation et/ou la résolution de problèmes productifs éventuellement inédits ». Cette mise
en compatibilité repose alors sur la définition de compromis à la fois entre acteurs locaux et entre
les dimensions locales et globales de l’espace d’action de ces acteurs.
Cette vision de la politique technologique locale permet alors d’en concevoir le sens à la
lumière des interactions croisées entre système productif et institutions dans une perspective à la
fois locale et globale. Cette définition en termes de gouvernance territoriale permet d’une part de
prendre en compte la « variabilité dans le temps et dans l’espace » des compromis locaux, et
d’autre part de mettre l’accent sur le rôle déterminant des « acteurs clés et/ou dominant » (ibid,
p.22) qui structurent le compromis local.
En adoptant une perspective relativement proche, Jullien et alii (2002) montrent, à
partir de la comparaison des politiques de reconversion dans les industries aérospatiales et de
défense de trois régions européennes, que la réussite relative de cette action en Aquitaine repose
sur la définition d’un compromis structuré autour d’un acteur clé. La régionalisation de cette
politique, articulée autour d’un délégué régional spécialiste de cette industrie, et l’adhésion
progressive des différents acteurs locaux et nationaux à une action qui s’est construite dans le
temps, a permis de faire émerger un compromis ayant conduit à l’adoption de solutions
technologiques conçues et acceptées collectivement.
Ce type d’analyse permet donc de mettre en lumière l’intérêt d’une politique
technologique définie localement (à partir de la notion de gouvernance territoriale), mais
s’inscrivant dans un contexte plus global dépendant à la fois d’un environnement de marché,
d’orientations politiques nationales (évolution des budgets et des modes de financement), et de
stratégies de grands groupes internationaux.
En ce sens, la gouvernance devient multi-niveaux, car la définition d’une politique
technologique locale ne peut se concevoir qu’en liaison avec un ensemble de compromis qui
s’établissent à différents niveaux territoriaux. Partant, loin d’être une contrainte, la superposition
des niveaux d’interventions dans la politique technologique peut être considérée comme une
opportunité d’élaboration de politiques locales cohérentes. L’enjeu porté par cette conception de
la politique technologique locale réside dans l’impératif de ne pas tomber dans le piège d’un
« localisme » excessif.
Conclusion
Cette communication a cherché à souligner les insuffisances qui entachent une
justification des politiques technologiques locales par le seul fait des propriétés de la
connaissance technologique. Si cette approche permet effectivement d’identifier l’intérêt qu’il
peut y avoir à soutenir la coordination de certaines activités au niveau local, elle peut conduire à
sous-estimer deux aspects essentiels : la présence « d’externalités » ou plus largement d’effets
négatifs du local, ainsi que l’étroite complémentarité entre les dimensions locales et globales de
la coordination.
L’approche en termes de dynamiques de proximité permet ainsi de comprendre le rôle
essentiel du local dans la coordination des activités d’innovation, mais aussi d’insister sur la
variété des configurations envisageables. Les décideurs publics peuvent donc influencer la
dynamique locale de l’innovation (Grossetti et alii, 2002), mais leur action s’inscrit dans le temps
et repose sur des processus d’apprentissage longs dont la réorientation est rendue difficile par une
évaluation qui ne peut se concevoir aussi qu’à long terme.
On fera donc l’hypothèse que si les politiques technologiques peuvent être définies
localement, elles doivent s’inscrire dans une perspective directement globale.
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