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Les politiques technologiques peuvent-elles être locales?

L'article s'interroge sur la pertinence et sur les fondements des politiques technologiques au niveau infra national. La recherche combine les contributions de l'économie de la connaissance à celles d'approches traitant des dynamiques de localisation des activités. La première partie de l'article met en perspective les arguments avancés pouvant militer en faveur d'une régionalisation des politiques technologiques. La deuxième partie fait apparaître le caractère parfois trop "localiste" de ces politiques en insistant sur la forte composante non locale de l'espace des relations inter firmes et inter institutions.

Institut fédératif de recherches sur les dynamiques économiques Equipe Industries Innovation Institutions IFREDE-E3i Université Montesquieu Bordeaux IV Avenue Léon Duguit F-33608 PESSAC CEDEX http://www.ifrede.org/ Documents de travail E3i Les politiques technologiques peuvent-elles être locales ? Marie-Claude Bélis-Bergouignan, Christophe Carrincazeaux Document de travail n°2002-2 Octobre 2002 Résumé L'article s’interroge sur la pertinence et sur les fondements des politiques technologiques au niveau infra national. La recherche combine les contributions de l’économie de la connaissance à celles d'approches traitant des dynamiques de localisation des activités. La première partie de l'article met en perspective les arguments avancés pouvant militer en faveur d’une régionalisation des politiques technologiques. La deuxième partie fait apparaître le caractère parfois trop "localiste" de ces politiques en insistant sur la forte composante non locale de l’espace des relations inter firmes et inter institutions. Mots-clé : connaissance - coordination - externalités technologiques localisation - partenariats en recherche - politiques technologiques locales proximité Abstract The paper aims to question the pertinence and the grounds of technological policies at infra national level. The research combines the contribution of knowledge economics to approaches dealing with the location of activities. The first part of the paper looks through the argumentation accounting for the regionalization of technological policies. The second part enlightens the, too often, "localist" character of these politics, emphasizing the non-local dimension of interfirm and interinstitution's relational space. Keywords : coordination - knowledge - location - research partnership local technological policies - proximity - technological spillovers JEL : L5 - O3 - R1 Introduction Les politiques technologiques sont souvent abordées dans la littérature sous l'angle de la gestion publique des externalités positives de recherche (par exemple Cohendet et alii, 1998). Les modes d'intervention possibles sont ainsi considérés selon la problématique rendement public/rendement privé de l'innovation dans le cadre d’un relâchement de certaines hypothèses. Ainsi la connaissance ne pouvant être assimilée à de l'information et les agents ne se coordonnant pas uniquement par le marché, la problématique n'est plus seulement celle de la diffusion des technologies, mais aussi celle de leur création et de leur adoption dans un univers incertain. Dans le cadre d’un processus de globalisation de « l’économie guidée par le savoir », où il est implicitement reconnu que la diffusion globale de la technologie coexiste avec sa création à un niveau local (le technoglobalisme de Archibugi et Michie, 1995 ou Archibugi, Howells et Michie, 1999), la reconnaissance de principe de la dimension à la fois locale et globale de l’innovation n’est cependant pas sans poser problème lorsqu’il s’agit d’en apprécier concrètement les limites géographiques. L’échelon « local » renvoie ainsi, selon les approches, à des espaces nationaux, régionaux ou infra régionaux (cf les systèmes nationaux, régionaux ou locaux d’innovation), la régionalisation des politiques technologiques faisant l’objet d’une attention particulière. Cette double problématique interroge immédiatement la pertinence des découpages administratifs de référence des politiques technologiques. Cette question ne semble avoir été tranchée que par la mise en place progressive de plusieurs niveaux d’actions se déployant de façon quasi autonome du niveau européen au niveau infra national dans le cas de la France. L’objet de notre communication consiste à s’interroger sur la pertinence de l’action publique conduite dans ce domaine au niveau régional (au sens infra national), sachant que la mise en place de politiques technologiques locales répond souvent à une logique de recherche de légitimité de la part des décideurs locaux, et qu’elle se traduit donc par une approche extrêmement « localiste » des outils mobilisés. Partant de plusieurs exemples, nous développons l’argument selon lequel la prégnance accordée à la dimension locale des processus d’innovation peut conduire à une sous-estimation des enjeux plus globaux de la création de technologie. Afin de dégager les fondements de politiques technologiques locales, la méthodologie adoptée consiste à combiner les apports d’une réflexion basée sur l’économie de la connaissance à ceux des approches traitant des dynamiques de localisation des activités. Dans cette perspective nous nous appuyons sur la synthèse de différents types de travaux empiriques réalisés ces dernières années. Il s’agit tout d’abord de mobiliser les acquis de l’importante littérature qui s’est développée autour du thème de la Géographie de l’innovation (Feldman, Massard, 2001) et de ses implications en termes de politiques technologiques régionales (Massard, 2002). Dans le même temps, les travaux empiriques menés par le groupe dynamiques de proximité (Gilly, Torre, 2000 ; Dupuy, 2002), et plus spécifiquement autour de la localisation des activités de R&D (Bélis-Bergouignan, Carrincazeaux, 2000 ; Lung et alii, 1997) permettent de revisiter la problématique des politiques technologiques locales à partir de la diversité des modes de coordination spatiale des agents. Enfin, un certain nombre d’études réalisées pour le Conseil Régional d’Aquitaine nous permettent de mettre en relation l’espace des firmes avec celui des décideurs locaux à partir de quelques exemples sectoriels (BélisBergouignan et alii, 2000, 2001). La première partie de cette communication met en perspective les différents arguments avancés par ces approches pouvant militer en faveur d’une régionalisation des politiques technologiques. Dans une deuxième partie, nous nous attachons à montrer le caractère parfois trop "localiste" de ces politiques en insistant sur la forte composante non locale à la fois de l’espace des relations interfirmes, mais aussi de celui des relations entre les institutions. I – La proximité comme fondement des politiques technologiques locales La pertinence reconnue à la dimension locale des politiques technologiques repose généralement sur la « redécouverte du local » en particulier au travers des hypothèses formulées quant à l’accès à l’information (rôle des externalités informationnelles au sein de la nouvelle économie géographique) ou au processus de création de connaissances (rôle de l’apprentissage localisé dans les systèmes locaux d’innovation). Ces arguments sont souvent mobilisés pour justifier l’importance d’une conception locale de l’action publique (les learning regions de Maillat et Kébir, 1998). Il reste que les approches théoriques sous-tendant cette conception insistent aussi sur les effets négatifs des interactions locales. La référence aux externalités MAR (Marshall, Arrow, Romer) incorpore la présence d’externalités négatives dont la proximité des agents pourrait être porteuse : si l’accès à l’information est favorisé par la proximité, on peut avancer que les incitations à effectuer de la recherche en seront d’autant plus réduites. De la même façon, les approches évolutionnistes ou cognitivistes de la firme mettent à la fois l’accent sur les effets positifs (cumulativité et appropriabilité) et négatifs (dépendance de sentier) des processus d’apprentissage localisés. On peut alors s’étonner du caractère toujours extrêmement positif reconnu aux politiques technologiques locales, comme si les forces de concentration l’emportaient sur les forces de dispersion dès lors que la problématique est centrée sur « l’économie guidée par le savoir ». Si les approches directement centrées sur l’importance des externalités technologiques locales permettent de justifier de la composante locale de l’intervention publique, il nous semble qu’une entrée par la coordination des activités d’innovation dans une problématique de proximité permet de mieux préciser l’intérêt de ce type de politique. A – La portée limitée d’une justification par les externalités technologiques La distinction entre information et connaissance (Foray, 2000) permet tout d’abord de renouveler la réflexion sur l’intérêt des politiques technologiques en général en mettant l’accent sur le fait que la technologie est un bien public impur ne satisfaisant pas aux propriétés habituelles de « non-rivalité » et de « non-exclusivité ». Elle permet ensuite de reconsidérer l’intérêt de la dimension locale de ces politiques en insistant sur le caractère localisé d’externalités de connaissance (Autant-Bernard, 2000) dont les effets sont nuancés. 1 - De la dimension locale des externalités technologiques ….. Face au phénomène de concentration spatiale des activités d’innovation, les années 1990 ont vu se développer nombre de travaux autour de la question de la localisation des externalités technologiques. Le débat initié par Krugman (1991) sur l’existence d’externalités technologiques semble ainsi avoir été progressivement tranché même si les résultats avancés dans les études sur les spillovers géographiques de la connaissance sont parfois jugés fragiles (Karlsson, Manduchi, 2001) ou peu nécessaires à la démonstration des phénomènes d’agglomération spatiale des activités (toujours pour Krugman). Il reste qu’une imposante littérature s’est progressivement développée pour tenter de valider empiriquement l’existence de flux locaux de connaissances (Autant-Bernard, Massard, 1999 ; Feldman, 1998), deux types d’hypothèses complémentaires étant ainsi avancées. La première ayant trait à la dimension tacite de la connaissance (Cowan, David, Foray, 2000), ramène la question de l’agglomération spatiale à celle de la réduction de coûts d’échange et de transfert d’informations ou de connaissances, et se rapproche à bien des égards du traitement des externalités technologiques par le courant de l’économie géographique (Thisse, Fujita, 1997). La deuxième, davantage centrée sur le processus d’innovation lui-même (Amendola, Gaffard, 1988 ; Dosi, 1988), reconnaît également l’aspect tacite de la connaissance mais c’est plutôt la dimension contextuelle de la rationalité qui fonde le rôle du local. Ainsi, « l’attention » portée par les agents à certaines informations (Ancori, Bureth, Cohendet, 2000), la construction de compétences et les formes d’interactions entre les agents sont dépendantes du contexte dans lequel ils évoluent. S’est ainsi développée toute une littérature sur la notion de systèmes d’innovation (Amable, Barré, Boyer, 1998 ; Carlsson et alii, 2002) dont émerge la justification du rôle des espaces locaux dans le processus d’innovation. Toute la difficulté tient alors dans la qualification « locale » des processus en jeu puisque, par définition, l’échelle spatiale de cohérence de ces systèmes d’innovation dépend de l’objet de l’analyse. Si les systèmes sont locaux et attachés à un contexte particulier de coordination, ils se déploient (et se déclinent) aussi bien à des niveaux nationaux ou infra nationaux, ce qui n’est pas sans poser problème pour la justification d’une politique technologique régionale… Les travaux réalisés dans le domaine de la géographie de l’innovation relèvent de cette problématique car ils contribuent à préciser l’étendue de l’espace sur lequel se déploient les externalités technologiques. Sans reprendre l’ensemble des travaux réalisés dans ce domaine, on rappellera avec N. Massard (2002), trois des principaux « résultats » tirés de ces analyses : - les externalités issues de la recherche publique ont une forte dimension locale Ce résultat semble cependant fortement dépendant du contexte institutionnel et les résultats obtenus dans les différents pays (Etats-Unis, France ou Allemagne par exemple) ne sont pas forcément convergents. Certaines questions restent ici non tranchées, en particulier en ce qui concerne le rôle de la nature des connaissances ou l’influence des « connexions directes » (entre chercheurs). - les externalités technologiques inter firmes existent au niveau local Les différentes études menées à partir de données de brevets ou d’innovations indiquent un effet local présent quel que soit le niveau géographique retenu (Etats américains, régions italiennes ou départements français). Il reste que l’influence de la structure industrielle (spécialisation vs diversification) ne semble pas pouvoir être clairement tranchée. - les externalités technologiques se développent à différents niveaux spatiaux et dépendent de la capacité d’absorption des firmes L’originalité de dernier élément tient à la prise en compte de la non homogénéité spatiale des externalités qui dépendent de la capacité d’absorption du récepteur. Cette capacité détermine alors l’influence des externalités à la fois locales et non locales sur le niveau d’innovation des firmes. On peut ainsi en tirer un ensemble de recommandations en matière de politiques technologiques locales qui, de façon assez traditionnelle, valorisent la mise en relation des différents acteurs de l’innovation : soutien au transfert des universités vers les entreprises et aux coopérations science-industrie locales, mise en relation d’entreprises d’horizons différents et prise en compte de la capacité d’absorption des firmes. Ce dernier aspect permet d’insister sur le rôle des infrastructures propres à favoriser le maintien de la diversité technologique, l’apprentissage et le développement de la capacité d’absorption, ainsi que l’aptitude à capter des externalités en dehors de la sphère strictement locale. Pour autant, certaines zones d’ombre demeurent quant à la définition des interactions locales et à l’ampleur des phénomènes observés. Ces approches mobilisent, de façon souvent implicite, des concepts de distance qui ne renvoient pas aux mêmes réalités (Carrincazeaux, 2000). La présence d’externalités technologiques peut être liée à la concentration géographique des activités, mais dépend aussi de la pertinence des informations échangées ainsi que des pratiques institutionnelles plus ou moins favorables à l’existence de spillovers. Autrement dit, l’ensemble des évaluations conduites utilisent, de façon simultanée ou non, des distances géographiques diverses (Etats, régions ou départements français par exemple), des distances technologiques différentes (approche par les brevets, approche sectorielle) ou des distances organisationnelles (caractéristiques des émetteurs et récepteurs) dont l’analyse est souvent contrainte par la disponibilité des données. Les résultats obtenus étant fortement influencés par le type de distance retenu et certaines conclusions étant parfois nuancées sur le rôle effectif du local, il y a là une limite importante à ce type d’approche. En outre, cet obstacle est d’autant plus difficile à surmonter que l’évaluation simultanée de l’impact de différents niveaux géographiques complexifie la tâche1. Aussi, en dépit des progrès réalisés et du développement d'études économétriques sur les spillovers géographiques de la connaissance, il est difficile d’aller au-delà de la reconnaissance d’un effet local dans l’existence d'externalités techologiques. 2 -…. à l’instauration d’un compromis institutionnel L’existence d’externalités technologiques locales comme fondement de l’intervention publique pose problème, sauf à admettre le caractère essentiellement positif de ces externalités. Ce qui conduit, comme le rappelle Grilishes (1993), à supposer dans le cas d’agglomération des activités que les effets externes positifs l’emportent sur les effets négatifs. Dans cette perspective, l’approche proposée par Cohendet et alii (1998) présente l’intérêt d’aborder directement la question du jeu entre externalités positives ou négatives en tant que fondement de ces politiques. La distinction entre information et connaissance conduit tout d’abord à reconsidérer la nature même de l’intervention publique. On sait qu’en termes de défaut d’incitation à la recherche "à la Arrow", la politique technologique vise explicitement à combler l’écart entre son rendement privé et son rendement social par des mesures d’incitations ou de soutien à la recherche. Ces mesures vont de la mise en place d’un système de protection par les brevets au financement d’une recherche publique, en passant par des mesures de soutien financier (le crédit impôt recherche en France par exemple). A une conception de la connaissance assimilée à de l’information et aux interactions marchandes, Cohendet et alii substituent une vision de l’innovation comme processus interactif, mobilisant des compétences spécifiques et des connaissances appropriables dont le développement et l’orientation sont fortement dépendantes du contexte des interactions entre les agents. Le rendement social de la recherche n’est alors plus limité par des défauts d’incitation, mais par la spécificité des trajectoires et l’appropriabilité des connaissances technologiques. Symétriquement, le rendement privé de la recherche est bien plus élevé que dans le cadre d’une conception trop « informationnelle » de l’innovation. Les enjeux portés par les politiques technologiques deviennent alors très différents car les externalités positives sont limitées par le niveau d’appropriabilité de l’innovation, et les externalités négatives vont plutôt concerner le risque de duplication ou de "lock in" selon le degré de substituabilité ou de complémentarité des produits. Dans cette situation, les politiques technologiques doivent répondre à un double impératif de coordination ex ante et ex post dans la gestion des connaissances. Il s’agit d’une part de gérer les externalités dans la production de connaissances face au contexte d’incertitude et de diversité des trajectoires qui caractérisent le processus d’innovation. L’intervention publique a ainsi un impact sur le contexte dans lequel s’inscrit le processus d’innovation en participant au processus de sélection et d’identification de l’information pertinente (dans un contexte d’attention limitée des acteurs, Fransman, 1994), et a pour rôle d’entretenir la diversité des trajectoires et des interactions possibles (Cohendet Llerena, 1997). La politique technologique doit d’autre part intervenir dans la gestion des externalités dans l’usage des connaissances, ce qui renvoie à la 1 Cf C.Autant-Bernard (2000) pour l’étude du cas français. problématique de l’articulation entre diffusion des connaissances et maintien de l’initiative privée. Dans tous les cas la politique technologique est confrontée à un arbitrage entre soutien à la diffusion ou à la création de connaissances nouvelles, et gestion des externalités négatives qui peuvent naître de cette intervention. Le recours à la notion de compromis institutionnel rend compte de cet arbitrage, dont la teneur peut évoluer dans le temps ou l’espace. Il s’agit de reconnaître que l’orientation de la politique ainsi que son contenu sont eux-mêmes dépendants du contexte technologique et institutionnel de l’innovation. L’intensité des mécanismes de protection ou l’encouragement de différentes formes de coopérations ne peuvent être définis de façon désincarnée, mais au contraire en tentant d’évaluer l’importance relative des aspects positifs ou négatifs des externalités visées. La transposition de cette analyse au niveau local a un certain nombre d’implications pour ce qui concerne la pertinence de la politique technologique. Ainsi, les politiques de diffusion ou de transfert de technologies au niveau local sont souvent considérées comme pertinentes, les actions poursuivies dans ce sens consistant souvent à favoriser le transfert de technologies à partir de la recherche publique, et en particulier des universités. Si d’un point de vue théorique ce type d’action peut paraître justifié, il se trouve limité par la faible diversité de l’offre locale. Les partenaires universitaires locaux associés à une compétence spécifique sont souvent mobilisés sur des projets extrêmement proches, ce qui leur permet d’accumuler des compétences transférables entre différents projets. De ce point de vue, le rendement social de l’activité de recherche s’en trouve valorisé. Cependant, la situation est beaucoup moins favorable lorsque l’on se place du côté des partenaires industriels. Ces derniers profitent des compétences formées lors de projets antérieurs parfois financés par des concurrents. Cette situation incite donc à ne s’engager dans un partenariat que lorsque des recherches relativement proches ont déjà été financées. On se retrouve ainsi dans la situation classique de défaut d’incitation à innover. La notion de compromis institutionnel local prend ici tout son sens car l’intérêt du soutien aux coopérations science-industrie dépend de la façon dont les contractants se comporteront par rapport à cette exigence de « secret ». Plusieurs types de réponses sont envisageables en fonction des technologies concernées ou des comportements des agents. Nous avons pu observer au cours d’une étude portant sur l’industrie du bois en Aquitaine que certains universitaires invoquent des comportements éthiques qui peuvent les conduire à refuser certains projets lorsque les problématiques sont « trop proches ». Ces comportements supposent donc l’instauration de relations de confiance entre les partenaires, mais le corollaire en est une limitation de l’accès à certaines ressources publiques pour d’autres industriels. En matière de diffusion de technologies, un autre risque peut émerger lorsque le soutien de certains projets a une influence locale qui peut être forte sur d’autres activités. L’externalité négative prend ici la forme d’un processus de destruction créatrice qui se traduit par le développement de compétences nouvelles au détriment de compétences préexistantes. L’exemple de l’industrie du bois illustre aussi ce type de risque lorsqu’il s’agit de soutenir le développement d’une activité nouvelle. Les opportunités offertes par le développement de nouveaux matériaux à base de bois incitent les décideurs locaux à soutenir le développement de compétences dans ce domaine. Le développement de ces nouveaux matériaux s’accompagnerait dans le même temps d’une nouvelle opportunité d’exploitation de connexes de bois précédemment utilisés par d’autres activités (panneaux, papeterie). Le risque, en cas de succès de ces nouveaux matériaux, est donc de voir se développer une concurrence dans l’utilisation alternative d’une ressource exploitée localement et finalement de conduire à un échec relatif de cette politique. De plus, les compétences complémentaires utiles au développement de ces nouveaux matériaux sont souvent détenues par ces secteurs qui entreraient en concurrence dans l’accès à la ressource, ce qui bien entendu ne pousse pas à un comportement coopératif. Dans cette situation aussi, l’instauration d’un compromis institutionnel local est indispensable dans la mesure où l’incertitude sur l’avenir est relativement forte (succès de ces nouveaux matériaux, conséquences sur la base industrielle locale existante…) et les comportements des acteurs fortement interdépendants. Seule une démarche collective et une implication locale des différents acteurs peut aider à orienter l’action publique dans un contexte d’externalités localisées pouvant se révéler négatives. B – La nécessaire prise en compte des échelles spatiales de la coordination L'entrée par les externalités technologiques et la circulation de l'information dans l'espace constitue certes une voie privilégiée par les économistes, mais n'en reste pas moins partielle quant à la compréhension du phénomène d’agglomération des activités d’innovation. En se limitant à l'évaluation des effets de la proximité en matière de diffusion de l'information, ces approches empiriques insistent finalement sur le problème de l'accès à des connaissances créées à l'extérieur des organisations et occultent en grande partie la question du processus de création de ces connaissances. D'autres approches permettent d'approfondir la réflexion sur le lien entre espace et innovation (Lung, Rallet, Torre, 1999 ; Kirat, Lung, 1999) en revenant plus directement sur la problématique de la coordination des agents et de l'organisation de l'activité. Les études poursuivies dans ce sens s'intéressent alors aux modalités d'interactions entre les différentes fonctions qui participent du processus d’innovation dans une perspective plus systémique. L'intérêt de cette problématique réside dans sa portée explicative beaucoup plus large en matière de lien entre innovation et espace. On trouve ainsi un certain nombre de travaux qui prennent pour point de départ l’analyse du fonctionnement même de la recherche pour en comprendre les tendances à la localisation2. Les enseignements que l’on peut tirer de ces études sont essentiels en matière de politique technologique locale car il s’agit de s’intéresser directement à l’organisation du processus d’innovation par les firmes. Nous mobilisons ici un travail réalisé autour des activités de Recherche et Développement des firmes en France de façon à rappeler la diversité des configurations spatiales mobilisables dans ce domaine. L'enquête Géographie de la R&D, réalisée en 1997 auprès des établissements réalisant de la R&D en France (Carrincazeaux, 2001), a été élaborée de façon à prendre en compte à la fois ce que l'on qualifiera de facteurs traditionnels de localisation (caractéristiques des espaces locaux) et ce qui relève plus des impératifs de coordination de l'activité (articulation interne-externe de la recherche). Les résultats obtenus à partir des 614 réponses traitées permettent de d’avoir une vision plus précise des enjeux du local en matière de R&D. 1- De la localisation des activités de R&D….. Les résultats obtenus apportent une information quelque peu différente sur les mécanismes décrits par les approches en termes d'externalités technologiques. Les centres de R&D des entreprises enquêtées sont d'abord localisés sur un site de production (ou siège social) de l'entreprise d'appartenance (plus de 60% des cas). La localisation à proximité des principaux clients ou sous-traitants est par contre beaucoup moins répandue (13 à 14% des cas). Le premier facteur de localisation de la R&D privée concerne donc la présence d'activités de production (ce qui est confirmé par des études statistiques plus larges sur cette dimension). Les unités de recherche sont ensuite localisées majoritairement en zone urbaine (60%) mais moins souvent à 2 De nombreuses études empiriques mettent en évidence, à différents niveaux spatiaux, les liens étroits existant entre les dimensions organisationnelles et géographiques de la R&D. On retiendra notamment : Malecki, 1980, 1985 ; Archibugi, Michie, 1995 ; Howells, 1990 ; Henry et alii, 1995 ; Kenney, Florida, 1994. proximité de laboratoires publics de recherche (42%) ou d'autres centres de recherche privée (21%). Si l'on s'arrête à ces premières tendances, il apparaît d'une part que la présence d'activités de R&D (notamment publique) ne constitue pas le premier facteur de localisation de la R&D des entreprises en France. Les tensions mises en évidence dans la coordination des activités de R&D s'expriment aussi au travers de ces tendances : la localisation sur site de production n'est en effet pas forcément compatible avec une localisation à proximité d'autres unités de R&D ou une localisation urbaine. Si l’on dépasse cette approche descriptive, des questions portant sur l'intérêt porté à la présence locale de certains éléments permettent d'en préciser le rôle respectif. On constate en effet que les technologies ou produits développés sont d'abord destinés à une unité de production située à proximité (plus de la moitié des cas), ce qui renforce l'importance d'une localisation en fonction des activités de production. En ce qui concerne les caractéristiques locales, ce sont d'abord la disponibilité de personnel qualifié (jugée très importante par 55% des unités de R&D) et celle de moyens de transport (35%) qui émergent loin devant les autres caractéristiques de l'environnement local (tissu industriel, image du site, incitations financières…). Ce sont d'ailleurs ces mêmes éléments qui sont majoritairement avancés par les unités de R&D localisées en zone urbaine. Trois tendances majeures sont ainsi mises en évidence par cette étude : la R&D des entreprises se localise sur des sites de production et en zone urbaine ; la R&D des entreprises est sensible à la présence de main d'œuvre qualifiée et à la disponibilité de moyens de transport ; la présence d'un potentiel de recherche local n'est pas toujours déterminante, même si la recherche publique semble jouer un rôle particulier. Ces principales logiques d'agglomération se traduisent donc par des tensions dans les choix de localisation de la R&D des firmes qui renvoient essentiellement à la difficulté d'articulation entre les dimensions interne (lien recherche-production en particulier) et externe (liens avec la recherche privée ou publique), pas toujours compatibles compte tenu des logiques d'agglomération en zone urbaine. L'appréhension plus précise de ce phénomène ainsi que des choix qui sont effectuées par les entreprises suppose de raisonner à un niveau plus fin. Revenant plus précisément sur les interactions développées en matière de R&D en abordant les deux questions suivantes : de qui faut-il être proche et pourquoi ?, le travail réalisé autour de l’enquête Géographie de la R&D montre que la dimension sectorielle constitue un niveau pertinent d’appréhension de la variété des formes de localisation de la R&D des entreprises. 2 - …. aux principales logiques d’agglomération des activités de R&D Le constat d'une forte sensibilité à la présence d'activités de production ou à la localisation urbaine ne résiste pas à une analyse plus fine des besoins d'interactions au sein de la R&D car toute la recherche n'est pas forcément orientée par un soutien direct à la production ou par des relations intenses avec la recherche publique. Saisir ces nuances passe par l'identification précise des interactions nécessaires. Partant des principaux travaux dans le domaine (Pavitt, 1984 ; von Hippel, 1994 ; Breschi et Malerba, 1997), l’enquête a pu identifier les principaux types d'interactions orientant la R&D des firmes au niveau sectoriel (Carrincazeaux, 2001). La recherche de certains secteurs est ainsi très sensible aux relations avec la production (bois, métallurgie), avec les utilisateurs (fabrication d'équipements électriques, équipements mécaniques) ou avec les fournisseurs (machines spécifiques, instruments de contrôle). A l'inverse, les relations avec la recherche publique ou le rôle des avancées scientifiques sont très importantes pour des secteurs tels que l'énergie, la pharmacie ou la cosmétique, la recherche des autres entreprises étant un élément essentiel pour l'industrie aéronautique par exemple. La réflexion conduite au niveau sectoriel permet ainsi de lever (en partie), ou de mieux comprendre, la contrainte d'articulation interne/externe de la R&D des entreprises en fonction des interactions dominantes, car la sensibilité à certaines caractéristiques de localisation est très hétérogène. A partir de cette analyse sectorielle, il est finalement possible d'identifier trois principales logiques d'agglomération de la R&D des firmes. - la recherche externe Cette logique d'agglomération concerne des secteurs tels que la pharmacie, l'informatique, les télécommunications, la fabrication d'instruments scientifiques (etc…) dont les activités de recherche supposent des interactions fortes avec la recherche publique ou privée, et reposent généralement sur les avancées de la science. Compte tenu de cette logique de coordination, le recherche au sein de ces secteurs est plus sensible à la présence locale d'autres activités de R&D, ce qui se traduit par des localisations plutôt urbaines avec un besoin de main d'œuvre qualifiée et d'infrastructures de communication. Il s'agit donc d'une logique de localisation qui correspond à la représentation traditionnelle qu'ont généralement les décideurs dans la mise en œuvre d'une politique technologique. - la production La recherche est aussi largement orientée par des logiques plus productives, les interactions avec la production (à la fois en interne, mais aussi avec les utilisateurs et fournisseurs) devenant un aspect essentiel de l'efficacité de la R&D. Les secteurs concernés sont essentiellement les équipements mécaniques, la fabrication de machines, certaines branches de la chimie, l'industrie du bois, les industries agroalimentaires ou la fabrication d'équipements électriques. La localisation est alors moins urbaine, les sites de production étant le lieu privilégié de localisation (plus des deux tiers des unités de R&D appartenant à ces secteurs contre la moitié dans les autres cas). - les logiques hybrides On peut finalement identifier un troisième type de secteurs pour lesquels la R&D est prise dans un système d’interactions recouvrant à la fois des besoins de coordination en aval (l’ingénierie et la production) ainsi qu’en amont (recherche externe, science). Il s’agit en particulier de l’aéronautique, des composants électroniques, de l’électronique grand public ou de la métallurgie ainsi que de l’automobile. L’organisation de la recherche au sein de ces secteurs devient plus complexe car le jeu des interactions entre les agents est beaucoup plus large et se traduit par une double logique d’agglomération spatiale et de fonctionnement en réseaux non locaux. Au total, cette étude montre que la proximité spatiale n’est pas toujours nécessaire à la coordination des activités de R&D. Au-delà des spécificités sectorielles, l’apport essentiel de l’étude réside dans la mise en évidence de la variété des configurations observables à la fois en ce qui concerne le type d’interactions et le besoin de proximité. La nécessité d'interagir avec d'autres agents ne se traduit pas systématiquement par une localisation à proximité. Affirmer par exemple que la recherche publique est un facteur essentiel d’attraction de la R&D privée n’est ainsi plus recevable car tout dépend des besoins en la matière d’une part, et du rôle que peut jouer la proximité dans ce domaine d’autre part. L’affirmation peut rester valable, mais dans certains cas seulement. On ne peut donc pas parler de localisation de la recherche, mais de localisations des activités de recherche. Les implications sont immédiates en matière de politique technologique car il convient de nuancer la justification des politiques technologiques par la seule dimension locale des connaissances mobilisées. Le processus d’innovation peut en effet être affecté de façon différente par la nature des interactions nécessaires. La présence d’un potentiel scientifique local important ou l’agglomération de firmes de haute technologie au sein de parcs scientifiques ne garantit en aucun cas une capacité locale d’innovation supérieure. Tout dépend des secteurs concernés, du type de ressources externes mobilisées ainsi que de l’intérêt des relations de proximité à ce niveau. La politique technologique ne peut donc se satisfaire de l’affirmation de la dimension localisée de la construction de connaissances spécifiques. Il existe une importante variété des configurations, à la fois en termes de mobilisation des ressources et en termes de coordination à proximité. C – L’information du décideur, pierre d’angle de la régionalisation des politiques technologiques La décentralisation des décisions de politiques technologiques se réalisant dans le cadre de politiques de diffusion de la technologie (Llerena, Schaeffer, 1995), la question de l’information, de l’apprentissage et de la prise de décision des acteurs publics se pose de façon concomitante. La justification d’une telle politique tient à deux éléments essentiels : le passage d’une technologie générique à une application spécifique et l’hétérogénéité des besoins des firmes, qui ne peut être saisie que localement. Une politique de diffusion de technologie3 aura une dimension locale d’autant plus affirmée qu’elle repose sur des transferts inter firmes ou science-industrie qui sont fortement spécifiques au contexte institutionnel local et que la capacité d’apprentissage (i.e. d’absorption) des firmes reste faible. Le décideur public devra donc disposer d’une information suffisante sur ce contexte, justifiant la forme verticale de la coordination (l’action est coordonnée par l’acteur public) ainsi que la décentralisation de la politique (au niveau local). De la même façon, compte tenu de l’hétérogénéité locale des firmes et de leurs besoins en matière de technologie, la « qualité de la perception de l’événement » par le décideur dépend de la proximité avec les firmes concernées. Ce cadre de réflexion semble extrêmement pertinent lorsqu’il s’agit d’interpréter les difficultés de régionalisation de politiques conçues au niveau national. L’analyse permet en effet de souligner la dimension contextuelle du processus. Il reste cependant que l’acception « informationnelle » de la diffusion de technologie revient à sous-estimer le processus de création de connaissances qui l’accompagne, et par suite, l’importance du besoin local de redéfinition des pratiques technologiques. En réintroduisant cette dimension de création de ressources, on peut considérer que des politiques plus « ambitieuses » de création de technologies nouvelles (plutôt « mission-oriented ») ont aussi une composante locale forte qui repose sur le niveau d’intensité des interactions ainsi que des connaissances mobilisées (Bellet, 1995). L’expérience française de régionalisation des « technologies clés » constitue une illustration très intéressante à la fois du besoin de régionalisation de la politique régionale, ainsi que de sa difficulté. Prenant exemple sur la politique des « technologies critiques »4 mise en œuvre préalablement aux Etats-Unis, les décideurs publics français, en lançant la démarche des « technologies clés », tentent d’asseoir leur action sur un outil permettant de définir les contours généraux de ce que pourrait être l’évolution technologique tout en mettant au point le portefeuille 3 Définie comme la transformation d’une technologie générique disponible en une technologie spécifique utilisable par une firme. 4 Branscomb L., 1994. de technologies porteuses de la compétitivité de demain. La publication d’un premier Annuaire des technologies clés par le Ministère de l’Industrie en 19965 a constitué le support majeur de son intervention en matière de prospective technologique et économique. La démarche visait non seulement à favoriser la diffusion des technologies mais aussi à en orienter le développement à moyen terme, ce qui représentait à coup sûr un renouveau instrumental. Si l’on a aisément perçu l’utilité de ce type d’approche pour arrêter les grandes orientations nationales6, son usage « localisé », sectoriel ou régional, pourtant envisagé comme la poursuite logique de l’ambition nationale de la méthode, s’est avéré moins évident. Ainsi, l’utilisation de la démarche « technologies clés », en dépit des améliorations dont elle a fait l’objet à la fin de la décennie quatre-vingt-dix, se heurte toujours à un certain nombre de difficultés vis-à-vis de la détermination de priorités sectorielles, a fortiori si ces dernières doivent être générées dans un cadre régional. En dépit de l’importance croissante que l’on reconnaît aux échelons locaux ou régionaux de l’activité économique, la démarche « technologies clés » est avant tout marquée par le sceau de la nation, les objectifs de la politique technologique demeurant, en France comme ailleurs, intimement (si ce n’est explicitement) liés à des objectifs de souveraineté nationale. Bien sûr, l’inclusion dans l’espace européen est venue modifier quelque peu la nature des prétentions nationales, largement contestées par ailleurs dans le champ mondial. On peut en tout état de cause considérer que dans ce nouveau contexte le souci de la compétitivité industrielle prévaut a fortiori. D’où les difficultés et les limites inhérentes à l’application « localisée » d’une méthode conçue pour l’espace national. Outre le fait qu’elle aboutisse à dresser une typologie de « technologies clés », la grille d’analyse est censée mettre en exergue les « points critiques », c’est-à-dire ceux qui jouent un rôle crucial pour la technologie. Cet aspect crucial peut être situé différemment le long d’une chaîne technico-économique d’acteurs, notamment plus ou moins en aval, à proximité du marché (fonctions ou usages), ou plus ou moins en amont, à proximité de la « science » (recherche ou domaines scientifiques concernés). Vis-à-vis de la politique technologique régionale, l’Annuaire des technologies clés joue un double rôle. Il fournit tout d’abord l’éventail des possibles, c’est-à-dire les champs technicoéconomiques susceptibles de se révéler plus ou moins favorables dans le contexte mondial et européen. Cette image globale est utile aux régions qui, théoriquement, « n’auraient plus qu’à » se positionner vis-à-vis de ce panorama des technologies. L’Annuaire des technologies clés délimite également l’espace du souhaitable, le champ dans lequel il est à la fois possible mais également opportun et, aussi, moins risqué de s’insérer. En effet, la problématique étant plus que jamais celle de l’insertion des régions dans un cadre concurrentiel européen voire mondial, la vision nationale telle qu’elle est développée dans l’annuaire sert à canaliser les options régionales. Donc, le cadre national qui apparaît utile pour filtrer les effets concurrentiels mondiaux sert aussi à définir les politiques appropriées pourvu que les politiques régionales se positionnent dans le périmètre de moindre risque que circonscrivent les orientations nationales. Les « technologies clés » sélectionnées expriment donc indirectement le rôle de médiation que joue l’espace national vis-à-vis des espaces régionaux. On remarquera qu’elles ont pour avantage de limiter les risques liés à la spécialisation régionale vis-à-vis des espaces supranationaux (Massard, 1996, p.180). A contrario, elles peuvent se révéler un frein au développement de spécialisations régionales dont les traits saillants peuvent être littéralement écrasés par la grille de lecture nationale. Une étude réalisée plus spécifiquement sur les industries du bois (Bélis et alii, 2001) a été l’occasion de faire apparaître des décalages dans la manière dont les acteurs comprenaient et s’appropriaient la problématique qui leur était soumise. La récurrence de ces écarts, dont la 5 Ministère de l’économie et des finances, Les cent technologies clés pour l’industrie française à l’horizon 2000, ADIT, Secrétariat d’état à l’industrie. 6 Le premier annuaire a été relayé par un second Annuaire des technologies clés 2005, édité en octobre 2000. nature était à la fois cognitive et stratégique, a non seulement permis de reconfigurer l’approche empirique mais a été aussi l’occasion de questionner la pertinence du cadre conceptuel. Pour l’utilisateur naïf qui verrait dans la méthode une grille qu’il suffirait d’appliquer à un secteur donné en région, l’illusion se révèle très rapidement lors des premières tentatives d’utilisation. Á l’issue de l’étude, on peut au contraire défendre l’idée d’une inadéquation de la nomenclature nationale vis-à-vis de l’approche des priorités technologiques sectorielles et de la détermination d’une politique technologique régionale. On peut tout d’abord reprocher à l’Annuaire des technologies clés une première faiblesse, liée à la faible lisibilité qu’il autorise. Du fait de la multiplicité des critères de classification, - ce qui représente certes un enrichissement vis-à-vis d’une entrée « technologiste » -, il y a tout d’abord une grande difficulté à comparer les technologies entre elles. Si l’annuaire est un outil de la politique technologique, c’est un outil qui ne peut faire l’objet d’une application immédiate. Des détours importants sont nécessaires en termes d’études de terrain très précises, ce qui ne va pas dans le sens d’une économie de moyens pour aboutir à une décision raisonnée. Notamment, il est nécessaire de développer parallèlement une recherche spécifique sur chacune des technologies supposées intéressantes pour aboutir à la détermination de priorités sectorielles régionales. Fait plus ennuyeux, les entreprises ne raisonnent pas en termes de « technologies clés » ce qui pose un problème quand à la façon de poser le diagnostic de leurs besoins dans des termes compatibles avec l’annuaire. Plus même, les entretiens ont fait apparaître l’indifférence des entreprises voire leur hostilité à la démarche qui sous-tend les catégories de la nomenclature nationale. Non parce que cette dernière leur paraît inadaptée au cadre sectoriel ou régional mais parce que ne correspondant pas à leurs préoccupations. Les catégories de la nomenclature apparaissent surtout trop générales, caractérisées par un haut degré d’abstraction et donc inaptes à traduire correctement les préoccupations et intérêts individuels par nature « plus focalisés ». En réalité, le diagnostic sectoriel régional pose un problème de « granulométrie » sur lequel il faut trancher en permanence. La plupart du temps, la classification de l’annuaire propose un regroupement de procédés répondant à une problématique donnée, par exemple, les technologies du contrôle non destructif des matériaux. En réalité, cette « technologie clé » englobe un nombre important de procédés (visionnique, spectrométrie, densitométrie) dont les performances sont mal connues voire incertaines au plan industriel et concerne, en outre, des secteurs différents, ce qui amoindrit considérablement son degré de précision. Vouloir à tout prix faire entrer les problèmes et les besoins dans ce cadre formel revient à déformer les problématiques telles qu’elles s’expriment au sein de la filière. Les demandes des industriels s’expriment généralement en termes de procédés très particuliers sur lesquels doit être portée une appréciation comparative en termes de performances technologiques et économiques (rendement et coût d’équipement), qui est absente de la problématique des « technologies clés ». En conséquence, si les préconisations proposent la mise en œuvre d’un contrôle non destructif, elles confirment certes les besoins industriels mais elles ne satisfont pas aux attentes des acteurs pour lesquels rester à ce degré de généralité ne fait « qu’enfoncer des portes ouvertes ». Ce problème spécifique n’est pas isolé puisqu’on le retrouve pratiquement pour toutes les technologies. Il faut également noter que cette perception négative des « technologies clés » est renforcée par l’assimilation, spontanément faite, entre une entrée par les technologies et les démarches de transfert de technologie de pointe qui n’ont pas très bonne presse dans la filière bois. Ces dernières, qui privilégient la création de ressources par l’amont, sont jugées pénalisantes pour les PME/PMI qui attendent en général la diffusion de technologies plus standard auxquelles elles ne peuvent accéder spontanément. Pire, les projets de transfert de technologie sont souvent dénoncés comme destinés à valoriser uniquement les recherches de laboratoires universitaires. Ces derniers sont assez souvent accusés de prendre littéralement les entreprises « en otage » pour monter leurs dossiers de financement, sans que ces dernières y trouvent un avantage décisif, les projets de recherche aboutissant trop rarement ou, en tout cas, dans des délais jugés insatisfaisants par les entreprises. Enfin, le caractère clé d’une technologie au plan national ne suffit pas à déterminer ses attributs « de technologie clé » au plan sectoriel ou régional. En effet, l’appartenance au groupe des « technologies clés » résulte, comme on l’a vu, d’un arbitrage entre divers ordres de critères, essentiellement : les atouts, les attraits et le foisonnement plus ou moins accentué des arborescences qui caractérisent une technologie. Or, on peut souvent vérifier que la hiérarchie des critères valant au plan national n’est pas transposable au plan régional, notamment du fait de la spécificité et de la « finesse » des spécialisations régionales. Ainsi, dans la filière bois en Aquitaine et Poitou-Charentes, des technologies jugées « secondaires » au plan national peuvent se révéler primordiales au plan régional et réciproquement. En définitive, en dépit des progrès réalisés dans la connaissance du positionnement de la France et des régions françaises sur des technologies déterminées, les Annuaires des technologies clés s’avèrent un outil insuffisant en région. Dans la perspective de diffusion technologique sousjacente à la méthode, il y a le risque de sélectionner des technologies définies sur un plan trop général ou qui n’ont pas fait l’objet d’une investigation suffisante ; il y a, également, un risque d’uniformisation des solutions technologiques préjudiciable à l’orientation de la spécialisation des régions. En conséquence, ce mode d’intervention est fortement soumis au risque d’enfermement dans une trajectoire technologique, créateur de « lock in » technologique. Aussi, définir des technologies a priori, c’est considérer que leurs contours sont définis et donc méconnaître le fait que tout processus de diffusion de technologie est aussi un processus de création de connaissances nouvelles, consubstantielle à la détermination de la technologie ellemême. La dimension contextuelle des politiques technologiques conduit donc à militer en faveur de leur déclinaison au niveau local à partir des trois arguments développés : les limites à la diffusion de l’information dans l’espace, le besoin de proximité dans la coordination des activités innovatrices des firmes, et enfin le besoin de contextualisation de l’action publique à un niveau infra-national. Il reste que l’espace de l’action publique, comme celui des firmes, dépasse largement le cadre local. La politique technologique locale s’insère dans un espace plus large de l’action publique en termes de système de formation, de recherche et d’organisation scientifique et industrielle qui s’exprime au sein d’un système national d’innovation. Si l’on ajoute à cela le développement de l’initiative européenne dans ce domaine, il est évident que la réflexion ne peut être conduite qu’en tenant compte de la cohérence et de la légitimité recherchée par ces différents niveaux d’intervention. En ce qui concerne le lien entre espace et innovation, la même indétermination peut être observée quant à la prééminence du facteur local. S’il semble bien que la proximité importe dans le contenu et l’orientation des interactions entre les acteurs, les différents niveaux d’appréhension du « local » montrent bien la nécessité d’en préciser les contours. De plus, la diversité des configurations sectorielles mise en évidence montre la prudence dont il convient de faire preuve à ce niveau. II – Un risque de valorisation excessive du « local » La marche vers la décentralisation des politiques technologiques semble affecter la forme et la nature des interventions aux différents niveaux administratifs européens. On observe un renforcement progressif des compétences des régions françaises (par le biais des contrats de plan Etat-Régions) ainsi qu’une évolution vers une plus grande « régionalisation » des objectifs des programmes-cadre de recherche européens, en particulier. Dans le même temps, l’échec relatif des interventions de type technopoles (Grossetti, 1995 ; Massey, Quintas, Wield, 1992) s’accompagne d’une évolution des formes de l’action publique vers une conception plus large de la politique de l’innovation (du soutien de la R&D à la promotion de l’innovation selon Massard, 1996). Cette évolution peut être caractérisée à partir de « trois grands âges » de la politique technologique locale (Colletis, Pecqueur, 1995) : - l’âge de l’offre de technologie correspond aux politiques de renforcement de l’offre locale dans les années 1970 à partir de la décentralisation de la recherche publique et la politique des technopoles ; - l’âge du transfert, dans la décennie 80, visant à compléter le dispositif par le développement de structures d’interfaces entre recherche l’industrie ; - l’âge de la création de technologie dans lequel la politique technologique régionale s’inscrirait aujourd’hui, par le biais de la prise en compte d’un besoin plus large d’interactions entre les acteurs et le soutien au développement de réseaux locaux d’innovation. Progressivement donc, la politique technologique locale s’orienterait vers une action au niveau des infrastructures propres à soutenir les coopérations locales entre science et industrie, essentiellement en direction des PME. Cependant, cette évolution, pour aussi souhaitable qu’elle soit compte tenu des éléments avancés précédemment, n’est pas sans comporter un certain nombre de risques quant à la dimension parfois trop « localiste » des actions mises en place. Nous reprenons donc point par point l’orientation actuelle des ces politiques (rôle de la recherche publique locale, valorisation des interactions locales, action en direction des PME) pour en montrer les limites à partir de différentes études réalisées sur ces thématiques. A – Proximité et relations science-industrie L’analyse des relations science-industrie pose directement le problème de la pertinence du « besoin de proximité » en la matière, en particulier lorsqu’il s’agit d’en justifier le caractère local à partir de la nature des connaissances créées. 1 - Les interrogations sur le caractère local des relations science industrie Si l’on considère effectivement comme un fait avéré que les processus d’apprentissage et la mise en commun de connaissances tacites supposent une proximité géographique des agents, alors la simple co-localisation des activités pourrait être suffisante au développement de relations bénéfiques entre science et industrie. Les échecs subis par de telles politiques montrent bien que cette hypothèse est loin d’être suffisante pour justifier ces dernières. L’impact de la proximité de la recherche publique sur la propension à innover des firmes est d’ailleurs difficile à établir dans le cas français (Autant-Bernard, 2000). Dans le cas allemand, Beise et Stahl (1999) montrent aussi que la proximité de la recherche publique ne se traduit pas par une plus grande fréquence des collaborations. L’examen des contrats entre laboratoires du CNRS et partenaires industriels en France sur la période 1986-1998 apporte un certain nombre d’informations très intéressantes par rapport à la question des relations science-industrie (Grossetti, Nguyen, 2001). Au niveau global tout d’abord, c’est le système national d’innovation qui semble jouer un rôle primordial puisque près de la moitié des partenariats impliquent un laboratoire de province et un partenaire industriel en région parisienne. Les relations à l’intérieur d’une même académie en province ne représentent par contre que 16% du total des contrats passés sur la période. Si on ajoute les contrats passés entre laboratoires et partenaires en région parisienne (18%), cela signifie que les relations au sein d’une même académie concernent 34% du total des contrats passés. En première analyse, on peut donc affirmer que l’espace dominant n’est pas celui de la région, mais plutôt celui de la nation, ce qui traduit en réalité la prédominance de la région parisienne en matière de concentration de l’activité industrielle. Par contre, si on exclut les partenaires industriels localisés en région parisienne (soit 66% des contrats CNRS-industrie !), on constate que les partenariats en province s’effectuent à 40% dans le même département, ce qui correspond à l’échelle urbaine compte tenu de la localisation des laboratoires. On peut ainsi considérer qu’il existe deux principaux niveaux de structuration des relations science-industrie dans le cas français : un niveau national dominant, et un niveau urbain qui regroupe presque la moitié des relations hors région parisienne. Une analyse approfondie du contenu de ces contrats serait nécessaire pour en apprécier la portée, mais si affirmer l’importance des relations locales est cohérent lorsque l’analyse porte sur la province, ceci devient moins acceptable au niveau national. Ces différentes études tendent donc à montrer que le caractère local des relations science-industrie reste une question encore largement ouverte malgré les résultats apportés par les études économétriques américaines (Acs, Audresht, Feldman, 1992)7. Il existe sans doute des différences institutionnelles et historiques qui peuvent expliquer une orientation traditionnellement plus « industrielle » de la recherche publique aux Etats-Unis, mais cela interroge cependant le bien-fondé d’une politique qui viserait à soutenir impérativement les partenariats locaux dans un pays tel que la France. 2 - Les partenariats en matière de recherche L’enquête Géographie de la R&D (cf supra) apporte ici aussi un éclairage particulier sur la localisation de la R&D des entreprises par rapport à la recherche publique. La population d’entreprises concernées est spécifique quant à la question des relations science-industrie (puisqu’il s’agit d’entreprises effectuant de la R&D en interne), mais elle permet d’étudier une population a priori susceptible de pouvoir bénéficier des retombées de la recherche publique (existence d’une capacité d’absorption). La localisation la plus souvent évoquée a trait aux laboratoires universitaires puisque 42% des unités enquêtées déclarent être localisées à proximité de ces laboratoires. La proximité de centres de recherche privés est moins citée ce qui révèle un attrait a priori plus fréquent pour la recherche publique. La proximité des centres de recherche des clients ou sous-traitants principaux est aussi nettement moins évoquée, ce qui peut paraître surprenant par rapport à l’importance habituellement accordée à la prise en compte des besoins des utilisateurs. La confrontation de ces réponses concernant la localisation avec les relations effectivement développées souligne clairement les différences pouvant exister entre les mécanismes d’agglomération des unités de recherche et la coordination locale des activités. Si au niveau global le pourcentage d’unités localisées à proximité de centres de recherche privée est proche de celui retraçant les relations avec d’autres centres de recherche locaux8, cette correspondance n’est plus observée en matière de recherche universitaire. On constate en effet que 42% des centres déclarent être localisés à proximité de laboratoires académiques, mais 17% seulement jugent très importantes les relations locales avec ces mêmes centres pour le 7 Notons à ce sujet que les résultats obtenus par Jaffe (1989) en matière de recherche publique sont relativement nuancées. 8 Il est intéressant de constater ici que parmi les 20% d’unités localisées à proximité de centres de recherche privée, seulement le tiers a « souvent » des relations locales en matière de recherche. fonctionnement de leur unité de recherche. Lorsque l’échantillon est réduit aux unités ayant répondu être localisées à proximité de laboratoires académiques (soit 259 observations), seulement le quart de ces unités a souvent des relations avec ces laboratoires et les collaborations publiques dans les sources de la technologie ne sont jugées essentielles que dans 27% des cas (soit 71 unités). Par contre, la moitié de ces unités localisées à proximité de laboratoires universitaires jugent « importantes » les relations au niveau local avec ces centres. Cependant, le rôle de la proximité ne peut être évalué a priori dans la mesure où le recours à la science et/ou à la recherche académique n’est pas forcément indispensable à l’activité de R&D industrielle. Si l’on réduit l’échantillon aux unités a priori plus orientées vers la recherche publique à partir des informations recueillies quant au rôle accordé à la recherche publique dans l’avancement des recherches de chaque unité. Les réponses apportées indiquent que moins du quart des 614 unités de R&D (23%) considèrent que les recherches sont « souvent » motivées ou rendues possibles par les collaborations en R&D avec des partenaires publics. Les caractéristiques de localisation de ces unités par rapport à la recherche académique diffèrent cependant peu de celles de l’ensemble de l’échantillon puisque 52% de ces 137 unités déclarent être localisées à proximité de laboratoires universitaires et 35% jugent très importants les partenariats avec les laboratoires publics locaux9. Les fréquences de localisation et de collaborations locales sont donc plus élevées, mais le décalage persiste entre les deux dimensions. Alors que les résultats obtenus dans l’ensemble montrent que la complexité des connaissances mobilisées s’accompagne, au niveau sectoriel, d’une coordination à proximité10, les relations avec la recherche publique ne semblent pas répondre à la même logique. Les réponses apportées à l’enquête montrent que la structure de la firme peut influencer la propension à développer des relations locales. Dans le cas de la fabrication de produits pharmaceutiques de base (fortement orientée par les relations avec la recherche académique) par exemple, les relations de proximité restent relativement peu fréquentes. On remarque cependant que sur sept établissements appartenant à des entreprises ne disposant que d’une seule unité de recherche, cinq développent des relations avec des centres de recherche publics locaux, alors que le rapport est inversé lorsque les unités appartiennent à des entreprises disposant de plusieurs unités de recherche. Ce constat est encore plus évident dans le cas de la recherche du secteur de l’agriculture. L’observation des réponses individuelles montre que six unités de recherche, sur les sept appartenant à des entreprises ne disposant que d’une seule unité de recherche, développent des relations locales avec des partenaires publics, alors que seize unités sur les vingt restantes (appartenant donc à des entreprises disposant de plus d’une unité de recherche) n’ont pas de relations locales dans ce domaine. On pourrait donc avancer l’hypothèse selon laquelle le besoin de collaboration avec la recherche académique peut être satisfait par l’existence d’un laboratoire central de recherche sans que, pour autant, chaque unité ne développe ce type de relations. Il est intéressant à ce propos d’analyser la localisation des unités de recherche de secteurs caractérisés par une forte complexité de la base de connaissances et pour lesquels la R&D publique est déterminante. Il s’avère que la localisation des unités à proximité de laboratoires universitaires varie de façon importante avec le nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise d’appartenance. De plus, les relations locales avec des laboratoires publics sont jugées importantes ou très 9 Notons au passage la cohérence de ce résultat avec l’étude quantitative de Grossetti et Nguyen qui montre que 34% des contrats CNRS-industrie associent des partenaires de la même Académie. 10 Cf première partie (point B) importantes par 69% des unités de recherche « isolées » au sein de leur entreprise contre 51% des unités appartenant à une entreprise disposant d’au moins deux unités de recherche. Ceci confirme qu’en dehors de la référence sectorielle, la structure de la firme affecte le mode de coordination des activités de R&D. Trois enseignements paraissent finalement devoir être retirés de cette analyse : - l’effet attractif de la recherche publique ne semble pas résulter de dynamiques de coordination locale de la R&D ; - la dimension locale des relations entre recherche publique et recherche industrielle est affectée par la structure interne des firmes ; - et enfin, il convient de rester prudent quant à l’importance accordée aux spillovers géographiques de la connaissance en provenance des universités car le lien entre nature des connaissances et type de proximité semble plutôt fragile dans le cas de la recherche publique. Il convient donc de relativiser la justification de l’intervention publique locale par le rôle que peut jouer la nature des connaissances dans les transferts science-industrie. Si la proximité semble effectivement jouer un rôle, l’explication de ce phénomène doit être cherchée ailleurs dans la mesure où les relations non locales sont tout aussi fréquentes. B – Les dimensions locales et globales de la coordination Pour ce qui concerne le lien entre innovation et espace, l’intérêt de l’approche en termes de dynamiques de proximité réside en particulier dans sa capacité à saisir l’articulation entre les dimensions locales et globales (Kirat, Lung, 1999). La prise en compte simultanée de différentes formes de proximité (géographique, organisationnelle ou institutionnelle) conduit à considérer la proximité physique des agents comme une configuration particulière qui ne peut constituer une condition nécessaire et suffisante à la coordination. Il ne s’agit tout d’abord pas d’une condition nécessaire dans la mesure où l’existence d’une forme non géographique de proximité autorise la coordination à distance. Il ne s’agit pas non plus d’une condition suffisante car la proximité physique n’implique en rien l’existence d’une coordination locale des agents. De manière plus dynamique, la proximité géographique peut s’avérer nécessaire dans la construction et l’apprentissage de nouvelles routines, mais peut être relâchée par la suite grâce à l’existence d’une proximité organisationnelle comme l’illustre la Géographie des modèles productifs (Lung, 1995). La proximité n’est donc pas un état, mais un construit aux contours variables, qui dépend largement de dimensions historiques et institutionnelles. Dans un tel cadre, le local et le global constituent deux formes complémentaires et non alternatives de la coordination. Ce type de réflexion est indispensable à la conception de politiques technologiques locales. S’il y a bien une exigence locale dans la construction de ces politiques, elle ne doit pas se traduire par un oubli des interactions plus globales qui ne concernent pas seulement les marchés. A trop insister sur la dimension locale des interactions, il existe un risque de sous-estimer la construction plus globale de compétences qui ne se limite pas à un apprentissage géographiquement localisé. Nombre de travaux empiriques permettent d’illustrer cette complémentarité entre relations locales et non locales en matière d’innovation. 1) Connaissance et complémentarité des relations locales en non locales dans le cas de la R&D Les résultats obtenus à partir du traitement de l’enquête Géographie de la R&D nous conduisent à insister sur la diversité des configurations sectorielles mais aussi sur la forte composante non locale de la coordination. Ceci est d’autant plus surprenant que les activités de R&D, par définition "intenses en technologie", sont sensées être plus sensibles aux interactions locales. Ceci nous conduit à nuancer à deux niveaux complémentaires la justification d’interventions locales par la seule composante tacite des connaissances. En premier lieu, affirmer que la proximité n’est pas indispensable à la coordination des activités de R&D dans certains cas ne signifie pas que la localisation n’a pas d’importance. Ceci indique simplement que les relations existantes peuvent aussi bien se développer à distance, la qualité et l’intensité de ces relations pouvant parfaitement reposer sur un contexte local particulier à la fois en termes d’infrastructures et de culture. Autrement dit, il convient de s’extraire d’une sorte de déterminisme technologique qui impliquerait une réduction du local à la nature des connaissances créées. En second lieu, lorsque la proximité est nécessaire, elle ne s’exprime pas forcément à un niveau local. On observe en effet que les unités de R&D qui entretiennent le plus fréquemment des relations au niveau local sont aussi engagées dans des partenariats à une échelle géographique bien plus large (niveaux national et international). Cette configuration est caractéristique des secteurs de l'aéronautique ou de l'informatique par exemple. En poussant plus avant l’analyse, on peut mettre en évidence des relations plus nuancées entre les caractéristiques de la recherche et son inscription spatiale. Si les interactions externes sont d’autant plus fréquentes que les compétences nécessaires sont variées et les connaissances concernées émergentes, la propension relative à développer des relations locales et non locales évolue de façon divergente. On observe bien une augmentation des interactions locales lorsque les besoins de coordination sont fréquents et étroits, cependant, les interactions à distance se développent aussi mais à une fréquence plus élevée. Autrement dit, « le nombre de relations globales augmente à taux croissant avec le nombre de relations, alors que le nombre de relations locales augmente à taux décroissant » (Bouba-Olga, Carrincazeaux, 2001). Il n'y a donc pas contradiction entre localisation et globalisation des activités. Plus la recherche repose sur un processus interactif complexe, plus elle nécessite d'interactions (à la fois internes et externes) à proximité. Cependant ces interactions se développent aussi à distance de façon à profiter des synergies entre différentes localisations : c'est l'articulation globale de compétences créées localement. On obtient ainsi une articulation entre réseaux locaux et non locaux dans l'organisation spatiale de la recherche. La question du contenu de ces échanges reste toutefois en suspend : il peut exister des différences dans le contenu des relations locales et non locales en fonction de la nature des connaissances mobilisées ainsi que des habitudes de fonctionnement des agents (composante non physique de la proximité). Ces résultats sont finalement cohérents avec les analyses conduites en termes de spillovers géographiques dans la mesure où des effets spatiaux peuvent intervenir à différentes échelles géographiques (locale, nationale, européenne). Il n'y aurait donc pas un niveau spatial pertinent pour l'analyse de la localisation de la R&D, mais une imbrication de différents niveaux, ce qui implique de les appréhender simultanément. Ces effets sont aussi mis en valeur dans le cas français au travers des copublications interdépartementales (Largeron, Massard, 2000). On voit alors mal comment les politiques technologiques locales pourraient faire l’impasse sur la prise en compte de ces articulations qui dépassent largement l’incitation à coopérer localement. 2) Réseaux, connaissance et interactions locales Le raisonnement qui consiste à se baser presque exclusivement sur la nature des connaissances en jeu et le besoin de face-à-face pour tenter d’expliquer les interactions locales révèle donc certaines lacunes qu’il convient de tenter de dépasser. L’étude présentée par Grossetti et Bès (2001) sur le rôle des réseaux sociaux en matière de relations science-industrie apparaît très stimulante. A partir d’entretiens approfondis avec des chercheurs appartenant aux différentes organisations concernées11, ils montrent que la dimension locale des coopérations résulte plus d’un processus d’encastrement dans des réseaux individuels que d’une contrainte liée à la nature des connaissances. Au-delà de l’approche théorique, deux aspects essentiels méritent d’être rappelés. Le premier élément a trait aux conditions d’émergence de la collaboration entre une firme et un laboratoire du CNRS qui peuvent être regroupées autour de trois logiques principales : logiques de réseau, d’institutions ou de marché. Dans le premier cas, l’émergence d’une collaboration est liée à « une chaîne relationnelle » entre les contractants, la mise en relation s’expliquant par l’existence d’une « relation clé ». Ainsi, dans 44% des cas, le partenariat a pour origine soit une relation clé de type professionnel, soit de type privé ou familial. Le type professionnel est d’ailleurs largement dominant (dans plus de 80% des cas la collaboration est initiée à partir d’anciens collègues ou étudiants…). Cette première logique met en évidence le caractère déterminant de la mobilité sur le marché du travail ainsi que celui de l’insertion des étudiants dans le monde de l’entreprise. La logique de marché se rencontre avec une fréquence presque équivalente (42 collaborations, soit 38% des cas). Il s’agit de collaborations qui ont émergé d’une démarche volontaire de recherche de partenariats, essentiellement à partir d’effets de réputation ou de rencontres au cours de congrès. Enfin, la logique d’institution correspond aux collaborations impulsées par un organisme institutionnel. Cette logique renvoie plus particulièrement au rôle de l’intervention publique dans le domaine de la politique technologique. Notons cependant qu’il s’agit de la configuration la moins fréquente (18% des cas). On le voit donc, l’intervention publique directe a certes un effet, mais qui reste largement en deçà des deux autres mécanismes de mise en relation des partenaires. Le deuxième élément qui nous intéresse ici concerne la dimension locale de la mise en relation. A un premier niveau, on constate que plus du tiers (36%) des partenaires industriels sont localisés dans la même académie que le laboratoire, ce qui traduit une importance bien réelle du local mais finalement relativement en retrait par rapport aux mises en relation à distance. L’effet dominant n’est donc pas celui de la proximité. Par contre, 60% des collaborations ayant émergé avec une entreprise locale (même académie) relèvent d’une logique de réseaux sociaux (20% pour chacune des deux autres logiques d’émergence). Les relations clés jouent donc un rôle prépondérant au niveau local, la logique de marché dominant plutôt les relations non locales12. En termes de politique locale, on pourra retenir deux enseignements principaux. Le premier concerne le faible impact de l’action publique dans la genèse de ce type de relations. Néanmoins, ceci peut tout aussi bien être interprété comme une inefficacité ou comme une insuffisance de l’action publique. Le second enseignement, et certainement le plus robuste, concerne le peu d’intérêt d’une réflexion en termes de connaissances tacites. Les différents entretiens conduits permettent d’affirmer, selon M. Grossetti et M.P. Bès, que l’hypothèse d’un besoin de relations locales lié à des savoirs tacites est « totalement erronée » dans ce cas : la fréquence des interactions n’est pas 11 Ils ont ainsi pu reconstituer 130 « histoires » de coopérations entre des entreprises et des laboratoires du département Sciences pour l’ingénieur du CNRS (localisés dans différentes villes de province). L’intérêt de la méthode réside dans la reconstitution de ces « histoires » qui vont au-delà de la simple photographie, l’objectif étant de reconstituer la genèse de la relation. 12 Cela ne signifie cependant pas que les réseaux sociaux sont fortement localisés car ils interviennent aussi largement dans les collaborations avec des entreprises de la région parisienne. affectée par la distance d’une part, et lorsque le besoin s’en fait sentir, la mise en place de supports adaptés (maquettes, séjours d’étudiants…) satisfait au besoin d’échange entre les partenaires. Le principal moteur de l’existence de relations science-industrie au niveau local relève donc en grande partie du caractère localisé des réseaux sociaux (anciens collègues, anciens étudiants…), ce qui peut expliquer le manque de pertinence de l’approche en termes de coordination des activités de R&D évoquée précédemment. Ce type d’explication peut par contre être cohérent avec la conception des externalités technologiques liées à une probabilité d’interactions plus forte des agents au niveau local. Il n’en demeure pas moins que les réseaux sociaux ne fondent pas la « supériorité du local », car ils ne correspondent à aucune contrainte en la matière, ces réseaux pouvant s’inscrire à tous les niveaux spatiaux. Il y a par contre ici un champ largement ouvert pour l’intervention publique, qui ne se justifie pas par une quelconque « contrainte de proximité », mais par la possibilité de contribuer à l’activation de ces réseaux au niveau local. La question qui demeure concerne alors l’opportunité de soutenir les coopérations locales. C – Taille des firmes et relations de proximité Une autre justification importante de la politique technologique locale réside dans le passage d’une politique de grands programmes à une politique de diffusion de la technologie axée vers le soutien aux PME. Cette action à l’endroit des PME se fonde sur deux hypothèses différentes. La première concerne la capacité d’absorption des petites entreprises qui ne disposent pas en interne de ressources suffisantes pour accéder à des compétences externes pourtant indispensables à l’innovation et à l’évolution de leur activité. La seconde hypothèse est plutôt mobilisée pour justifier de l’intérêt d’une action locale. Les PME étant généralement plus dépendantes de leur environnement immédiat et plus solidement « ancrées » sur le territoire, les retombées locales de l’intervention publique seront donc supérieures à l’action en direction des plus grandes entreprises, d’autant que le renforcement de la capacité d’innovation de ces PME constitue aussi un facteur « d’ancrage territorial » des groupes industriels dans les termes de Zimmerman et alii (1995). C’est ce dernier aspect que nous souhaitons développer ici, d’une part parce qu’il est largement controversé, et d’autre part parce que les données recueillies par l’enquête Géographie de la R&D permettent d’approfondir cette question pour les entreprises effectuant de la R&D. Le facteur taille est ainsi souvent évoqué comme critère déterminant de l’insertion spatiale des entreprises, en particulier en matière de haute technologie (Glasmeier, 1988). Deux explications principales sont mobilisées pour étayer cette hypothèse. La grande entreprise disposerait de ressources financières, techniques et organisationnelles lui permettant de mieux “ dominer la distance ” (Aydalot, 1985). La petite entreprise, plus dépendante d’un environnement local, puiserait dans cet environnement les ressources lui faisant défaut en interne. D’où l’hypothèse que les relations sont d’autant moins locales que la taille de la firme augmente. Une deuxième justification, conduisant à la même hypothèse, relève de l’approche en termes de systèmes productifs localisés. Conformément à l’approche de Scott (1983, 1988), la désintégration verticale du processus productif, liée au principe de spécialisation flexible, engendrerait des coûts de transactions dont la réduction dépendrait de l’agglomération spatiale des firmes. Il existerait donc un mécanisme cumulatif articulé autour du processus de désintégration verticale et favorisant l’agglomération spatiale qui, par la réduction des coûts de transactions qu’elle autorise, renforcerait en retour ce processus. Partant des deux hypothèses précédentes, l’analyse des systèmes productifs localisés met en avant l’importance des relations locales, que l’on fasse référence à l’existence de systèmes localisés de petites entreprises (Garofoli, 1992), ou à la nécessité d’une proximité géographique dans la constitution des réseaux de petites firmes (Maillat, Kebir, 1998), ou encore aux relations localisées en fonction du degré de désintégration de l’activité (Langlois, Robertson, 1995). En dépit de ces exemples concrets, les hypothèses soutenues sont cependant critiquables à plusieurs égards. L’aspect fortement localisé des relations ne concerne pas seulement les petites firmes (Becattini, 1992), d’autant que le facteur taille intervient de façon différente selon qu’on s’intéresse aux relations avec les fournisseurs ou les clients (approvisionnement local vs marché global pour Courlet, 1997). De plus, une sensibilité plus forte des petites firmes à leur environnement local n’est pas forcément avérée (Kleinknecht, Poot, 1992). La taille n’interviendrait d’ailleurs qu’aux côtés d’autres caractéristiques des firmes telles que le type de production ou la structure et l’organisation des établissements (Glasmeier, 1988). En particulier, l’appartenance de “ petits ” établissements à des firmes disposant de plusieurs sites spatialement dispersés affecte aussi la propension à développer des relations locales (Henry, 1992). L’influence de la taille dans le rapport des firmes à l’espace reste donc difficile à établir car ce dernier dépend fondamentalement des critères pris en compte. En matière de R&D, si le facteur taille intervient, il pourrait affecter de la même façon la dimension locale de la coordination. L’hypothèse de faiblesse des ressources internes pour les firmes de petite taille pourrait se traduire par un besoin plus marqué en ressources externes. Elle est notamment développée par Acs, Audretsch et Feldman (1994), ou Audretsch et Vivarelli (1995), qui montrent que les petites firmes sont plus sensibles aux effets de débordement localisé des connaissances en provenance des universités. Quant à l’hypothèse de fréquence plus élevée des relations verticales pour les firmes de petite taille, elle a aussi des conséquences en ce qui concerne la R&D. Si des relations productives se développent au niveau local, on peut supposer que ces liaisons apparaîtront aussi au niveau de la R&D. Les données disponibles dans l'enquête Géographie de la R&D permettent d’appréhender l’influence du facteur taille en fonction de trois indicateurs complémentaires. L’effectif du centre de recherche apporte tout d’abord une information directe sur la variété des compétences disponibles au niveau interne. Cet indicateur permet alors d’interroger le besoin de relations externes associé à la taille de l’unité de recherche. L’effectif de l’entreprise d’appartenance offre une possibilité d’évaluer plus directement la portée des hypothèses concernant le rôle de la taille de la firme dans la localisation de l’activité. On prend alors en considération l’ensemble des ressources dont dispose l’entreprise en supposant que les activités de recherche subissent l’influence des contraintes affectant l’activité de l’entreprise au sens large. Enfin, il est aussi possible de juger de l’influence de la taille de la firme dans les relations de proximité en utilisant comme indicateur le nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise d’appartenance. Ce dernier indicateur se différencie des précédents dans la mesure où il prend en compte la coopération interne à la firme, ainsi que la possibilité de complémentarité entre les différentes localisations. Le recours à ces trois indicateurs permet de tenir compte des principales critiques formulées à l’encontre d’approches ne retenant comme critère de taille que celle de l’établissement. Les résultats obtenus sont relativement nuancés. En matière de relations verticales tout d'abord, on observe un usage interne à l’entreprise des produits ou technologies développés plus fréquent avec l’augmentation de la taille (quel que soit le critère de taille retenu), ce qui illustre les mécanismes d’intégration des activités au sein de la grande firme. Un usage plutôt externe des résultats de la recherche qui caractérise les firmes de petite taille irait par contre dans le sens d’une dépendance plus forte par rapport à l’environnement. Bien que les résultats ne soient pas toujours convergents selon l’indicateur de taille retenu, la dimension locale des relations verticales n’est pas plus marquée lorsque la taille diminue. On constate, au contraire, que les produits ou technologies développés sont plus souvent destinés à des entreprises locales lorsque les unités de recherche appartiennent à des entreprises multi-établissements de R&D, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse formulée en matière d’insertion locale des petites entreprises. En matière d'insertion locale de la recherche, les collaborations en R&D sont plus fréquentes lorsque les entreprises sont de grande taille, et ceci se traduit dans la nature des relations locales plus fréquemment développées lorsque l’entreprise dispose de plusieurs centres de recherche13. Ce phénomène est sans doute renforcé par les contraintes liées aux possibilités de localisation des activités de R&D en fonction de la structure de la firme : les centres de recherche dépendant d’entreprises de dimension réduite (en termes d’effectifs ou d’établissements) sont contraints par l’inertie de localisation qui en résulte. Lorsque plusieurs sites existent, les possibilités d’exploitation de ressources locales sont plus ouvertes car les choix le sont aussi. On retrouve donc ici la même conclusion que dans le cas des relations verticales : la taille affecte peu l’insertion locale des activités de R&D, et lorsque cette influence est bien présente, elle va plutôt dans le sens d’une insertion locale des unités de R&D les plus importantes. Ceci conduit donc à rejeter l’hypothèse d’un besoin plus marqué en ressources locales lorsque les entreprises sont de petite taille, ce résultat étant cohérent avec les conclusions d’autres études empiriques en la matière (Kleinknecht, Poot, 1992). Finalement, les configurations observées en matière de localisation des activités de recherche, selon les relations verticales ou l’articulation à la recherche externe, mettent en évidence une double complémentarité. Celle-ci émerge essentiellement lorsque l’analyse est conduite à partir du nombre d’unités de recherche dont dispose l’entreprise d’appartenance (le raisonnement en termes de choix de localisation étant certainement plus pertinent lorsque le nombre d’unités est élevé). Premièrement, il existe une forte complémentarité entre activité de recherche interne et accès à des ressources externes, conformément aux conclusions de Cohen et Levinthal (1990). Ceci est parfaitement illustré par la propension plus forte à développer des relations externes en R&D lorsque l’effectif des centres ou le nombre d’unités de recherche augmentent. Le développement des relations externes avec l’augmentation de la taille est tout à fait conforme aux observations empiriques en la matière (Teece, 1988). Deuxièmement, les partenariats locaux sont complémentaires de relations à un niveau plus global14. Ainsi, parce que les relations externes sont plus développées lorsque la taille des firmes augmente, ces relations apparaissent plus marquées à la fois dans les collaborations à distance et dans les collaborations locales. L’augmentation de la taille semble donc conduire à un renforcement de l’importance de la dimension géographique de la proximité tout en s’accompagnant de relations à distance plus fréquentes. L’étude de la localisation des activités de R&D en fonction du seul critère de taille montre donc que, contrairement aux hypothèses habituellement avancées en la matière, la dépendance des petites firmes par rapport à leur environnement local n’apparaît pas lorsque l’analyse porte sur l’insertion spatiale des activités de R&D. Au contraire, les relations locales sont plus marquées pour les centres de grande dimension. Cette conclusion ne remet pas en cause les besoins liés à la faible capacité d’absorption de certaines PME, mais tend à montrer là encore que « l’impératif local » ne relève pas de besoins spécifiques en matière de coordination locale comparativement aux grandes entreprises. La taille de l’entreprise ne peut, à elle seule, justifier d’une intervention locale en direction des PME. 13 Les collaborations avec d’autres centres de recherche locaux ou avec des laboratoires publics sont jugés « très importantes » respectivement par 18% et 16% des entreprises mono établissement de R&D (420 réponses). Ces taux sont de 31% et 22% pour les unités appartenant à des entreprises ayant plus de 2 unités de recherche (118 réponses). 14 La participation à des programmes de recherche locaux concerne « souvent » 2% des unités de R&D mono établissement contre 8 à 9% des plus de 2 établissements. De la même façon, la participation à des programmes de recherche nationaux concerne 7% des mono établissements contre 37 à 40% des plus de 2 établissements. D – Retour sur la politique technologique locale Au final, on peut donc considérer que la justification des politiques technologiques locales par la présence d’externalités informationnelles ou les savoirs tacites n’offre qu’une vision partielle des processus en jeu. La pertinence de la dimension locale des politiques technologiques repose sur la caractérisation du lien entre innovation et espace, elle-même fortement conditionnée par la représentation sous-jacente du processus d’innovation. 1 - La proximité n’est pas le local Les différentes hypothèses théoriques et les études appliquées présentées nous permettent d’avancer dans le sens d’une relativisation des fondements habituellement mobilisés pour la justification d’une politique technologique locale. L’approche en termes de dynamiques de proximité montre tout d’abord à quel point la superposition de différentes composantes de la proximité peut conduire à des configurations spatiales variées. Affirmer que la proximité géographique compte n’implique absolument pas le rejet d’un besoin de coordination à un niveau plus global. Il importe donc de ne pas raisonner uniquement en termes de combinaisons de ressources locales et de marchés globaux, mais plutôt en tenant compte de l’imbrication de différents niveaux spatiaux de déploiement des systèmes sociaux d’innovation. Le fait que la proximité géographique compte ne doit pas non plus faire oublier qu’il existe de nombreuses situations de coordination qui ne sont pas portées par une quelconque forme de rapprochement physique. L’exemple des activités de R&D montre à quel point une même activité (la recherche) peut montrer un rapport variable à l’espace : tous les secteurs d’activité ne présentent pas les mêmes caractéristiques en matière de coordination par la proximité (dans les relations locales ou globales, ou dans leur combinaison). L’orientation de l’action en direction d’un développement des relations scienceindustrie au niveau local souffre d’un manque de prise en compte de ce qui en fonde l’intérêt. D’un côté, le besoin d’interactions entre les deux mondes est fortement variable d’une activité à l’autre, ce qui ne peut donc fonder une action globale dans ce sens. D’un autre côté, la proximité géographique ne semble pas un support indispensable à ce type de relations puisqu’elle résulte plus de l’encastrement dans des réseaux sociaux localisés que d’un réel besoin en la matière. Si le renforcement des liens entre science et industrie est souhaitable pour nombre d’activités, leur caractère localisé n’en est pas pour autant incontournable. En ce qui concerne l’action en direction des PME, on ne trouve pas non plus de justification à l’action locale qui soit fondée uniquement sur le critère de taille. Les petites entreprises ne sont pas forcément plus impliquées localement que les plus grandes. L’action en direction des PME se justifie de façon générale par rapport à la faiblesse de leur capacité d’absorption de compétences externes, cependant, et de la même façon que pour l’ensemble des firmes, l’intérêt de la proximité géographique dans le processus d’innovation est fortement lié aux caractéristiques de l’activité et des modes de coordination à l’œuvre au sein des industries. La problématique de l’action auprès des PME n’est donc pas autonome, elle s’inscrit dans un contexte à la fois local et global, et en particulier dans un système d’interactions localisées qui implique largement les grandes firmes. Les politiques locales ne doivent donc pas sous-estimer l’importance des grandes entreprises dans une dynamique locale d’innovation. Enfin, la capacité de maîtrise de l’information de la part du décideur semble constituer un élément majeur de la justification des politiques technologiques locales. On l’a illustré à partir de l’exemple du passage de la politique nationale à la politique régionale en matière de technologies clés. D’un point de vue plus théorique, on peut avancer l’idée que l’articulation des différentes formes de proximité est largement dépendante du contexte local. En considérant que tout processus de diffusion est aussi un processus de création de technologie, il est en effet difficile de concevoir une politique uniforme de soutien à l’innovation. La conception locale de ce type d’interventions est ainsi rendue indispensable par un certain nombre de spécificités organisationnelles et institutionnelles. Il reste que les connaissances détenues par le décideur sont elles aussi contextuelles et dépendantes de ses apprentissages passés. Se pose alors le problème de la capacité d’expertise du décideur et de sa maîtrise d’une information dont le contenu local peut rester insuffisant dans un contexte plus global. Autrement dit, la décentralisation de la politique technologique repose implicitement sur une hypothèse de meilleure maîtrise de l’information au niveau local, ce qui n’est pas évident a priori compte tenu de la limitation géographique des compétences. Le point clé sera donc ici celui de la complémentarité entre les différents niveaux de décision. On peut donc avancer l’hypothèse que les politiques technologiques, et les décideurs publics, sont soumis aux mêmes contraintes d’articulation entre les dimensions locales et globales de la coordination de l’action publique. 2 - Quelles orientations pour la politique technologique locale ? Compte tenu des différents éléments mis en évidence, on peut tenter maintenant de préciser le sens d’une action locale en matière de politique technologique. Cette réflexion nous semble d’autant plus nécessaire que l’évolution actuelle, en particulier de la politique européenne, va dans le sens d’une plus grande régionalisation des actions, avec un élargissement du champ de ces actions pour une meilleure prise en compte, moins « technologiste », de ce que recouvre le processus d’innovation. Les politiques locales peuvent intervenir à deux niveaux se rapportant aux facteurs d’agglomération des activités de recherche. Le système de formation et le soutien à la recherche universitaire constituent de puissants facteurs d’attraction de la recherche industrielle par le biais du développement d’une main-d’œuvre locale qualifiée et de la formation de réseaux locaux qu’elle supporte. De la même façon, les politiques locales de développement d’infrastructures de transport répondent à un besoin d’accessibilité clairement affirmé. Au-delà de ces aspects généraux, il convient cependant d’insister sur la nécessité de mieux cibler ce type d’interventions. Dans le cadre d’une analyse de l’écart entre rendement privé et rendement social de l’innovation, l’intervention doit non seulement porter sur le besoin de codification des connaissances pour les rendre accessibles, mais surtout sur le besoin de mise en relation des agents pour favoriser les apprentissages interactifs (Torre et alii, 1997). Compte tenu des caractéristiques d’organisation spatiale de la R&D par exemple, il faut cependant souligner que cet aspect ne concerne pas uniquement des interactions localisées. La complémentarité entre relations locales et non locales met en évidence que ce type d’actions, centré sur la mise en réseau d’acteurs locaux, peut être insuffisant, voire inadapté à certaines activités. Les politiques locales doivent donc viser à soutenir les interactions locales tout en favorisant la mise en relations d’acteurs géographiquement éloignés. L’intervention publique locale doit donc être pensée dans une perspective de mise en réseau plus « globale ». De plus, la diversité observée dans les dynamiques d’organisation spatiale de la R&D ne permet pas de définir une action de type générique. Les différences sectorielles en matière de sensibilité aux effets d’agglomération supposent l’existence de politiques locales plus ciblées en fonction de l’activité concernée. Que ce soit au niveau des politiques d’accompagnement de la recherche locale ou à celui de l’attraction de nouvelles activités, cet aspect se doit d’être pris en compte. Enfin, si la décentralisation peut sembler nécessaire pour le développement local, cela ne doit pas occulter le besoin d’agglomération très puissant qui caractérise les activités d’innovation. La dispersion des sources de création de connaissances sur le territoire national ne peut être envisagée sans que des mécanismes viennent supporter leur coordination sur une base géographique plus étendue. Il y a donc ici un arbitrage à opérer entre le soutien au développement de nouveaux pôles de recherche et le renforcement des pôles existants par une action en faveur de leur mise en relation. La recherche et l’innovation ne sont pas le seul fait des industries dites de haute technologie. L’importance du local, même si elle apparaît plus marquée au sein de ces dernières industries, est bien présente dans le cadre d’industries plus traditionnelles. Elle peut cependant s’exprimer de façon différente, notamment au travers de relations plus fortes avec les activités de production. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la coordination s’opère moins à proximité (géographique) que les politiques locales ne se justifient plus. Elles peuvent au contraire accompagner la formation de réseaux non locaux. La question de la légitimité de la dimension locale des politiques technologiques devient ainsi beaucoup plus complexe que dans une perspective informationnelle dans la mesure où l’existence de limites spatiales à la diffusion des externalités ne constitue pas un argument suffisant. Il s’agit plutôt d’inscrire l’action locale dans une perspective plus globale sans surestimer « les vertus du local ». On peut ainsi admettre que la volonté de renforcer la capacité d’innovation des PME locales, au-delà de ses effets en termes d’emploi et de croissance locale, peut être utile à la constitution d’un seuil critique local favorable à l’ancrage territorial d’activités sensibles à la proximité géographique. De la même façon, le soutien aux coopérations locales dans le domaine des relations science-industrie (par une action directe ou indirecte par le biais du soutien à la formation ou aux organismes de recherche publics) peut contribuer à favoriser l’innovation localement. Pour autant, la mise en réseau et le soutien aux coopérations locales peut aussi s’avérer peu efficace, soit par manque de disponibilité des ressources, soit en raison d’externalités négatives locales. A. Torre (2001), à propos de la mise en place des réseaux locaux d’innovation, insiste ainsi sur les difficultés rencontrées à vouloir absolument soutenir des coopérations locales. Ce type de politique se heurte en réalité à deux difficultés majeures qui ont trait aux structures productives locales ainsi qu’au poids de l’histoire dans le développement des coopérations entre les agents. La question des structures productives renvoie aux problèmes de distance cognitive entre le monde industriel et celui de la recherche publique. La perméabilité des deux mondes résulte d’un apprentissage lent basé sur des relations s’inscrivant dans la durée et permettant ainsi de développer des relations effectives basées sur la confiance. Cette perméabilité, même lorsqu’elle met en jeu des connaissances tacites, s’opère plus facilement « à l’intérieur d’un même monde professionnel (même à distance) qu’entre des mondes différents (même à proximité) » (ibid, p. 34). L’histoire compte dans ce type d’action volontariste car la volonté de mise en place d’un réseau se heurte à des relations préexistantes. Il est d’une part difficile de mettre en place des coopérations locales lorsque les acteurs n’étaient pas en relation auparavant, et d’autre part, les acteurs étant déjà engagés dans des coopérations non locales, leur propension à s’investir localement peut en être fortement réduite. Dans ces deux situations, l’action publique locale peut se révéler contre-productive dans la mesure où les acteurs peuvent n’avoir que peu d’intérêt à coopérer ou bien se trouver confrontés à un manque de ressources locales qui nuit fortement à la pertinence de ce type de réseaux. Ces actions doivent donc être menées en tenant compte à la fois du caractère simultanément global et local de l’espace des acteurs, ainsi que de la durée indispensable à la construction de ces relations : « entre le territoire des réseaux spontanés (qui va de la région aux contacts à l’échelle mondiale) et l’échelon régional du réseau institutionnel, la construction des interrelations est lente ». Notre expérience de l’industrie du bois, réputée peu intense en technologie, nous conduit à des conclusions relativement proches. Cette industrie correspond à une spécialisation forte de la Région Aquitaine autour de l’exploitation du pin maritime. Pour autant, la concentration spatiale de cette activité est liée à la présence de la ressource et les interdépendances industrielles sont généralement limitées à des approvisionnements et des relations marchandes. De plus, la culture à dominante patrimoniale pousse traditionnellement peu aux coopérations entre les entreprises locales, et a fortiori avec la recherche publique locale. Pourtant, le pôle scientifique et technique local est extrêmement important et le potentiel dans ce domaine est de premier ordre. Les coopérations sont donc peu fréquentes et l’industrie reste relativement fragmentée : nombreuses PME traditionnelles face à des établissements industriels modernes s’inscrivant dans une perspective d’emblée mondiale, ressources allouées à l’innovation extrêmement faibles face à quelques entrepreneurs dynamiques à la recherche de niches, absence d’activité de recherche privée mais ressources des laboratoires centraux pour les groupes. Globalement, la capacité d’innovation locale reste relativement faible, soit parce que les ressources financières sont insuffisantes (PME traditionnelles), soit parce que les ressources humaines sont insuffisantes (la volonté d’innover est souvent limitée à l’initiative d’un entrepreneur isolé), soit parce que la recherche de compétitivité liée à la production de masse des groupes présents s’accommode d’un laboratoire central de recherche conduisant à une très faible décentralisation de la conception sur site. Face à ce constat et à la situation parfois difficile de nombre d’entreprises du secteur prises dans le mouvement d’internationalisation des industries du bois, les pouvoirs publics tentent de stimuler l’innovation et la modernisation locale des entreprises présentes. Malgré une volonté politique forte, la volonté de rapprocher les mondes industriels et scientifiques se heurte à de nombreuses difficultés. La première difficulté tient à la faible capacité d’absorption des PME qui considèrent le monde de la recherche comme inaccessible. Au cours de nos différents entretiens, les industriels nous ont fait part de leur relative méconnaissance de l’offre scientifique locale mais aussi du peu d’utilité qu’ils accordent à des recherches ne menant pas à des applications techniques accessibles (en termes de coûts généralement). Réciproquement, les scientifiques éprouvent des difficultés à identifier les besoins des industriels. Il en résulte que l’intervention publique sous forme d’appels d’offre thématiques ou de soutien direct à des projets associant industriels et laboratoires publics aboutit relativement peu. En réalité, et c’est là une limite importante à l’intervention publique locale, la présence de réseaux sociaux ou de coopérations antérieurs exclut une partie de la filière de ce type d’interventions. Les coopérations préexistantes sont souvent non locales et certaines des entreprises les plus dynamiques mobilisent finalement peu les ressources locales. Plus gênant encore, les réseaux professionnels existants captent en réalité une grande partie des aides distribuées, en adoptant parfois une position très attentiste : l’association avec un laboratoire local constitue parfois un service rendu pour permettre le financement de recherches correspondant aux centres d’intérêt des chercheurs. Il s’agit ainsi de maintenir une simple activité de veille sans pour autant que ces recherches n’aboutissent sur des applications industrielles immédiates. Si elle rend difficile l’extension des coopérations à de nouveaux acteurs, l’influence des réseaux existants est pourtant essentielle car elle permet d’orienter et d’asseoir l’intervention publique. Enfin, le « localisme » dont est entachée la politique technologique au sein de ce secteur nuit au développement des coopérations non locales. En dehors de la présence d’un potentiel scientifique relativement important, peu d’éléments militent en faveur du développement des relations locales : la complexité des connaissances mobilisées dans l’industrie peut s’accommoder de relations à distance de la même façon que les liens avec la recherche publique. La volonté de soutenir en priorité les interactions locales conduit finalement à conforter les réseaux déjà existants et peut parfois limiter l’accès à d’autres compétences qui existent dans d’autres régions. Ainsi, il y a un risque d’enfermement dans une trajectoire technologique locale lié au manque d’ouverture du système, d’autant que les partenariats sont parfois limités localement compte tenu de la nécessité pour les laboratoires publics de ne pas s’engager sur des thématiques trop proches avec plusieurs industriels15. L’une des principales difficultés à laquelle la politique technologique se heurte réside finalement dans sa dimension locale ! L’accès à des ressources externes (régionales ou sectorielles) nécessaires au maintien de la diversité des compétences et des opportunités technologiques est ainsi limité par la configuration du système local d’innovation. 3) Politique technologique locale et gouvernance multi-niveaux La conduite de la politique technologique régionale s’avère donc extrêmement complexe et l’incertitude qui domine, à la fois quant au type d’intervention et à ses effets, se traduit par une forte diversité dans le niveau d’implication des différentes régions en France. L’orientation générale de ces politiques va aujourd’hui vers plus de décentralisation en considérant que les besoins doivent être exprimés, et entendus, localement16. C’est donc du côté du besoin d’information du décideur que se déplace la justification de la politique technologique locale. Or, les différents éléments avancés jusqu’ici montrent bien que c’est justement cette information qui fait le plus défaut. La relative jeunesse de ces politiques s’accompagne d’un manque cruel d’outils d’aides à la décision. L’échec relatif de la politique de mise en place de réseaux formels de diffusion technologique, par exemple, se heurte essentiellement à une insuffisance dans le diagnostic des situations locales (Torre, 2001). Le premier enjeu auquel ces politiques se trouvent confrontées concerne donc le développement d’outils d’aide à la décision passant notamment par la constitution d’une information pertinente sur les systèmes productifs locaux. Il reste que le recueil de ce type d’information est difficile à mettre en œuvre compte tenu de l’exigence de coopération de la part des acteurs concernés. En effet, la multiplication des niveaux d’interventions (Europe, Εtat, Région) et des acteurs en présence (collectivités territoriales, organismes consulaires ou professionnels) limite les comportements coopératifs tant les acteurs cherchent à préserver leur légitimité. L’opacité de l’information est donc la règle, le système local d’intervention publique manquant parfois cruellement de lisibilité aux yeux des acteurs industriels. Les confrontations d’expériences régionales et la volonté d’identifier des « pratiques exemplaires » exprimée par l’Europe vont dans le sens d’une meilleure définition de ce que peut être la politique technologique locale. Toutefois, la spécificité des systèmes d’innovation locaux constitue une limite forte au « transfert de technologie » entre les collectivités territoriales, les expériences étant difficilement transférables. Le développement de compétences par les décideurs locaux peut ainsi faire l’objet d’une analyse proche de celle qui est conduite pour la firme : comte tenu de la spécificité du contexte et de l’incertitude qui 15 Voir 1ère partie. On retrouve cette orientation largement affichée dans les projets de politique technologique de l’Europe. Voir par exemple le numéro d’Innovation et transfert technologique de juillet 2002. 16 caractérisent la conduite d’une politique technologique locale, les décideurs publics assoient leur action sur un processus d’apprentissage qui s’inscrit dans la durée et au sein d’une trajectoire propre. Le transfert et le partage d’expériences dans ce domaine font aussi l’objet de création de compétences nouvelles dans le déploiement dépend à la fois du système local d’action publique (dans les termes de Jullien et alii, 2002) et de la spécificité du système d’innovation local. La politique technologique locale ne peut donc être vue comme un ensemble de règles autonomes, de recettes qu’il suffirait d’appliquer pour favoriser la diffusion et la création de technologie au niveau local. Elle s’insère dans un processus plus complexe d’interactions entre acteurs privés et publics dont il convient d’identifier les régularités. En ce sens, on peut considérer que la politique technologique locale est passible d’une analyse en termes de gouvernance territoriale qui selon Zimmerman et alii (1998) se définit comme « le processus institutionnel-organisationnel de construction d’une mise en compatibilité de différents modes de coordination entre acteurs géographiquement proches. Ce processus, par essence dynamique, vise à la formulation et/ou la résolution de problèmes productifs éventuellement inédits ». Cette mise en compatibilité repose alors sur la définition de compromis à la fois entre acteurs locaux et entre les dimensions locales et globales de l’espace d’action de ces acteurs. Cette vision de la politique technologique locale permet alors d’en concevoir le sens à la lumière des interactions croisées entre système productif et institutions dans une perspective à la fois locale et globale. Cette définition en termes de gouvernance territoriale permet d’une part de prendre en compte la « variabilité dans le temps et dans l’espace » des compromis locaux, et d’autre part de mettre l’accent sur le rôle déterminant des « acteurs clés et/ou dominant » (ibid, p.22) qui structurent le compromis local. En adoptant une perspective relativement proche, Jullien et alii (2002) montrent, à partir de la comparaison des politiques de reconversion dans les industries aérospatiales et de défense de trois régions européennes, que la réussite relative de cette action en Aquitaine repose sur la définition d’un compromis structuré autour d’un acteur clé. La régionalisation de cette politique, articulée autour d’un délégué régional spécialiste de cette industrie, et l’adhésion progressive des différents acteurs locaux et nationaux à une action qui s’est construite dans le temps, a permis de faire émerger un compromis ayant conduit à l’adoption de solutions technologiques conçues et acceptées collectivement. Ce type d’analyse permet donc de mettre en lumière l’intérêt d’une politique technologique définie localement (à partir de la notion de gouvernance territoriale), mais s’inscrivant dans un contexte plus global dépendant à la fois d’un environnement de marché, d’orientations politiques nationales (évolution des budgets et des modes de financement), et de stratégies de grands groupes internationaux. En ce sens, la gouvernance devient multi-niveaux, car la définition d’une politique technologique locale ne peut se concevoir qu’en liaison avec un ensemble de compromis qui s’établissent à différents niveaux territoriaux. Partant, loin d’être une contrainte, la superposition des niveaux d’interventions dans la politique technologique peut être considérée comme une opportunité d’élaboration de politiques locales cohérentes. L’enjeu porté par cette conception de la politique technologique locale réside dans l’impératif de ne pas tomber dans le piège d’un « localisme » excessif. Conclusion Cette communication a cherché à souligner les insuffisances qui entachent une justification des politiques technologiques locales par le seul fait des propriétés de la connaissance technologique. Si cette approche permet effectivement d’identifier l’intérêt qu’il peut y avoir à soutenir la coordination de certaines activités au niveau local, elle peut conduire à sous-estimer deux aspects essentiels : la présence « d’externalités » ou plus largement d’effets négatifs du local, ainsi que l’étroite complémentarité entre les dimensions locales et globales de la coordination. L’approche en termes de dynamiques de proximité permet ainsi de comprendre le rôle essentiel du local dans la coordination des activités d’innovation, mais aussi d’insister sur la variété des configurations envisageables. Les décideurs publics peuvent donc influencer la dynamique locale de l’innovation (Grossetti et alii, 2002), mais leur action s’inscrit dans le temps et repose sur des processus d’apprentissage longs dont la réorientation est rendue difficile par une évaluation qui ne peut se concevoir aussi qu’à long terme. On fera donc l’hypothèse que si les politiques technologiques peuvent être définies localement, elles doivent s’inscrire dans une perspective directement globale. Références Acs Z.J., Audretsch D.B., Feldman M.P., 1992, « Real Effects of Academic Research : Comment », American Economic Review, 82, 1, pp. 363-367. 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