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Rapport subjectif à l'isolement au travail : régulation, résistance, dégagement

Les approches fiabiliste et cognitive développées au sein de l’INRS sur la question de l’isolement professionnel ont permis de bien comprendre la dérive de certaines situations d’isolement pouvant porter atteinte principalement à la sécurité des salariés et parfois à leur santé. Toutefois, ces approches ne contribuent guère à expliquer la transition d’une situation où un salarié réduit les relations qu’il peut avoir avec ses collègues (situations fréquentes) vers une situation où il se sent isolé, au point de ne plus avoir la capacité de solliciter une aide en cas de nécessité. Les motifs de cette transition rendent nécessaires l’étude du ressenti des salariés confrontés à ces situations et la possibilité qu’ils ont d’influer sur ces dernières. Dans cette perspective, la charge de travail, les émotions et plus généralement les aspects intensifs de la cognition et leurs modes de régulation sont à explorer. La revue bibliographique proposée traite de manière quasi exclusive la question du rapport subjectif à l’isolement au travail, de sorte que le point de vue complémentaire ainsi développé vient s’intégrer dans la réflexion globale que l’INRS consacre à ces questions.

Rapport subjectif à l’isolement au travail : régulation, résistance, dégagement. NS 325 NOTE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE Rapport subjectif à l’isolement au travail : régulation, résistance, dégagement. Sébastien Ladreyt, Dominique Lhuilier CRTD-CNAM Jacques Marc, Marc Favaro Département Homme au travail Laboratoire Ergonomie et psychologie appliquées à la prévention Laboratoire Gestion et organisation pour la santé et sécurité au travail Publication réalisée dans le cadre de l’étude A.1/1.037 « Étude des mécanismes de régulations de l’isolement professionel » NS 325 septembre 2014 Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles Siège social : 65, boulevard Richard-Lenoir 75011 Paris • Tél. 01 40 44 30 00 Centre de Lorraine : 1, rue du Morvan CS 60027 54519 Vandœuvre-les-Nancy cedex • Tél. 03 83 50 20 00 "Rapport subjectif à l'isolement au travail : régulation, résistance, dégagement" Sébastien Ladreyt, Dominique Lhuilier CRTD-CNAM Jacques Marc, Marc Favaro INRS HT/EPAP 1 Table des matières Avant-Propos .................................................................................................................... 3 Introduction ....................................................................................................................... 9 Solitude et processus de déliaison .................................................................................. 14 I- Isolement relationnel et société contemporaine ...................................................... 14 II- Lien social et solitude ............................................................................................ 15 II-1- Anomie ........................................................................................................... 15 II-2 Exclusions et désaffiliations sociales ............................................................... 18 III- Santé et lien social ................................................................................................ 19 Isolement-solitude : figures ambivalentes de l'action ..................................................... 21 I- Isolement et solitude ontologiques .......................................................................... 21 II- Solitude et psychanalyse ........................................................................................ 22 Solitude et travail ............................................................................................................ 27 I- Accidentologie et risques liés à l’isolement au travail ............................................ 27 II- Solitude, soutien social et santé au travail ............................................................. 29 III- La fabrication sociale de la solitude au travail ..................................................... 32 IV- Clinique de la solitude professionnelle et cliniques du travail ............................. 34 IV-1- Psychopathologie et psychodynamique du travail ........................................ 34 IV-2- Clinique de l'activité ..................................................................................... 37 IV-3- Psychosociologie du travail .......................................................................... 38 Conclusion ...................................................................................................................... 40 Références bibliographiques ........................................................................................... 43 2 Avant-Propos Cette revue de littérature, établie dans le cadre d’une convention avec l’INRS par S. Ladrey et D. Lhuilier, du Centre de Recherches sur le Travail et le Développement (CRTD) du CNAM, s’inscrit au sein d’une série de travaux menés par l’INRS sur la question de l’isolement au travail. Historiquement, ces travaux ont principalement porté sur des problématiques de sécurité du travailleur isolé, ceci dans une perspective d’analyse des risques d’accidents (Guillemy, Lievin & Pagliero, 2006 pour une synthèse). La question du travailleur isolé a ensuite été étudiée dans le contexte de la gestion des risques en situations ce qui a permis notamment d’intégrer la problématique particulière des risques psychosociaux (Marc, Grosjean & Marsella, 2011 ; Grosjean, Marc & Althaus, 2011) en pointant les situations où l’individu ne peut compter sur aucune assistance (Marc et Favaro, 2013). Ce continuum d’approches développées à l’INRS a permis de mieux comprendre les mécanismes de régulations présents dans des situations d’isolement professionnel. Toutefois, si les approches fiabiliste et cognitive, qui ont été privilégiées, permettaient de caractériser des situations d’isolement au travail, elles ne contribuaient guère à expliquer la transition d’une situation où un salarié réduit les relations qu’il peut avoir avec ses collègues (situations fréquentes) vers une situation où il se sent isolé, au point de ne plus avoir la capacité de solliciter une aide en cas de nécessité. Contribuer à rendre compte de cette transition rend nécessaire l’étude du ressenti des salariés confrontés à ces situations et la possibilité qu’ils ont d’influer sur ces dernières. Dans cette perspective, la charge de travail, les émotions et plus généralement les aspects intensifs de la cognition et leurs modes de régulation sont à explorer. C’est ce que propose d’aborder cette revue bibliographique, qui traite de manière quasi exclusive la question du rapport subjectif à l’isolement au travail, de sorte que le point de vue complémentaire ainsi développé vient s’intégrer dans la réflexion globale que l’INRS consacre à ces questions. Notons que ce travail s’inscrivant pour l’essentiel dans une posture clinique référée à la psychanalyse, le lecteur ne s’étonnera pas des nombreux emprunts et références des auteurs aux concepts et travaux propres à cette école de pensée. Cependant, une telle diversification et complexification des travaux nécessite de donner en avant-propos au lecteur un aperçu des principaux éléments théoriques et d’analyse ayant conduit à formuler des propositions définitionnelles, contextuelles, terminologiques renouvelées sur la question générique de l’isolement au travail. Isolement au travail, une notion difficile à définir Bien que l’intérêt pour l’isolement professionnel se développe, il existe peu de travaux français et internationaux sur cette question. Dès le début des années 1980, la question de l’isolement professionnel a été abordée en France, essentiellement du point de vue de deux approches distinctes. La première, d’inspiration fiabiliste et psycho-ergonomique, a été développée notamment dans le cadre de travaux menés à l’INRS sur la prévention de l’accident du travailleur isolé (Krawsky, Liévin & Vautrin, 1985, Liévin & Krawsky, 1990). 3 La seconde, ancrée dans le paradigme de la psychopathologie du travail, a été développée par Dejours (1980). Elle traite des « pathologies de la solitude » et de leurs conséquences délétères dans le registre de la santé mentale au travail (Dejours & Gernet, 2012). Pendant longtemps, l’intérêt de l’INRS pour l’isolement au travail s’est porté sur la sécurité des travailleurs physiquement isolés, exposés à des dangers au cours de la réalisation de leur tâche. La demande des entreprises (essentiellement des industriels) concernait l’obligation de porter secours aux travailleurs en cas d’accident. Cependant, la montée de la problématique sociale portant sur les risques psychosociaux a amené l’INRS à vouloir dépasser ce dualisme historique, ceci en développant une réflexion plus intégrée sur les conséquences de l’isolement des salariés sur leur santé physique (accident du travailleur isolé) et mentale. Les premières études de l’INRS sur les travailleurs physiquement isolés, ont montré l’implication de l’organisation :  dans la survenue de l’accident du salarié, du fait d’une définition floue des tâches et des responsabilités,  dans l’aggravation des dommages du travailleur accidenté, lorsque l’organisation des secours était mal préparée,  dans une altération des représentations et des comportements de ces travailleurs, liée au fait d’être physiquement seuls et de ne pas pouvoir communiquer avec des tiers. Ces travaux ont rapidement mis en évidence la co-présence d’éléments objectifs et subjectifs participant aux situations d’isolement. Parmi les caractéristiques objectives, on retiendra le constat de devoir assumer seul des travaux pénibles, mais aussi d’avoir besoin de communiquer sur le travail avec des collègues ou des responsables, soulignant ainsi le rôle joué par les communications pour vérifier des informations (se rassurer aussi parfois), solliciter une assistance en cas de besoin ou mobiliser des secours en cas d’accident. En ce qui concerne les caractéristiques subjectives, « la peur de l’imprévu », « l’autonomie éprouvée » dans le travail ainsi que « la solitude psychologique » étaient les plus citées dans les diverses enquêtes INRS dédiées à ces questions. Ajoutons que de l’avis des salariés enquêtés, de telles situations vécues au travail les amèneraient à devoir « s’endurcir ». De même, bien que la relation entre santé mentale et accident soit mentionnée, la latence du développement des troubles qu’on appelle maintenant psycho-sociaux, associée à l’absence de dommages rapidement observables, rendait la mise en évidence des relations entre les accidents de travailleurs isolés et la préexistence de ce type de trouble difficiles à appréhender. Plus récemment, d’autres travaux (voir par exemple Derriennic & Vézina, 2005 ou plus récemment Estryn-Behar, Chaumon, Garcia, Mitanini-Magny, Bitot, Ravache, et al. 2011) relatifs à l’intensification du travail ont mis en cause certaines modifications organisationnelles dans le développement de nouvelles situations d’isolement au travail, avec des conséquences sur les relations entre les travailleurs au sein des collectifs de travail, sur la qualité de la production et la santé des salariés. En effet, en adoptant des modes de management empruntés à une logique de gestion (individualisation du travail, contrats 4 d’objectifs…), les entreprises influenceraient l’implication individuelle des salariés en augmentant leur responsabilisation. Au niveau psychique, les effets de l’augmentation de cette implication dans le travail sont paradoxaux : ils favorisent l’autonomie et l’intérêt pour le travail, mais participent aussi directement à l’intensification du travail et au développement de nouvelles modalités d’isolement des salariés (isolement relationnel, repli sur soi ou isolement social). L’aspect multidimensionnel de l’isolement, particulièrement au travail qui est souvent considéré comme un lieu social, rend son approche difficile, chacun y voyant du bon ou du mauvais en fonction de son vécu. D’une manière générale, le concept d’isolement pose de réels problèmes de définition selon le point de vue adopté : isolement physique ou relationnel, réel ou perçu, temporaire ou permanent… Par ailleurs, l’utilisation de nombreux synonymes (isolement, solitude, exclusion, repli sur soi…) contribue à rendre cette notion difficile à cerner. Les éléments de définition proposés ci-dessous sont destinés à clarifier la représentation des situations d’isolement, telles qu’on peut les retrouver dans la littérature. Etre seul, isolement et solitude Le fait d’être seul correspond à un état observable d’une personne à un moment donné. Cet état est souvent considéré comme temporaire, à la différence de l’isolement ou de la solitude qui s’inscrivent dans une temporalité plus longue. De leur côté, l’isolement et la solitude sont associés à des états observables d’une situation dans laquelle un individu est détaché du reste de son environnement. Les effets peuvent être positifs ou négatifs en fonction des situations et des individus qui les vivent. Toutefois, alors que la notion de solitude, centrée sur l’individu qui la vit, insiste sur le vécue de la situation, la notion d’isolement s’appuie elle sur une réalité extérieure au sujet (ex : être isolé d'un groupe). Notons à ce propos qu’une personne peut très bien vivre en retrait des autres sans s’en plaindre (cf. autonomie vécue ou solitude créative dans la figure 1). Isolement physique / isolement relationnel Rappelons tout d’abord que la définition des « situations d’isolement » retenue dans les travaux de l’INRS est la suivante : « toutes situations où les salariés éprouvent des difficultés, pour quelque motif que ce soit, à obtenir une assistance en cas de nécessité ». Cette définition s’appuie sur plusieurs caractéristiques objectives et subjectives (le temps, le rapport au réel, le vécu et la possibilité de contrôle, d’avoir un pouvoir d’action sur la situation…). Elle permet aussi de mettre en œuvre les obligations qui pèsent sur l'employeur en matière de santé et sécurité au travail : son obligation d'évaluer les risques et de préserver la santé physique et mentale de ses salariés (articles L.4121-1 à L.4121-5 du Code du travail), son obligation d’organiser les secours (article R. 4224-16 du Code du travail) et de manière plus générale son obligation de ne pas mettre en danger ses salariés (articles 223-1 à 223-6 du code pénal). Au-delà de ce cadre définitionnel introductif, indiquons qu’une personne est dite isolée physiquement dès qu’elle ne peut être directement vue ou perçue par un tiers. Quant à la notion d’isolement relationnel, elle fait plutôt référence à la possibilité d’entrer en relation avec d’autres personnes. Cette forme d’isolement prend en compte à la fois la possibilité de communiquer (directement ou par l’intermédiaire de différents artefacts techniques) avec un 5 tiers et de partager des expériences ou des informations. C’est ainsi que certains salariés en situation de télétravail peuvent être isolés physiquement, mais être en communication et partager des informations avec d’autres (clients, fournisseurs, collègues…). A l’inverse, un conducteur de bus peut être entouré de clients et n’avoir rien d’autre à partager avec eux que des informations factuelles. Isolement social, isolement relationnel et repli sur soi La notion d’isolement social est employée en sociologie comme en psychiatrie. Du point de vue sociologique, la notion concerne les personnes qui ont peu de contact avec autrui alors que du point de vue psychiatrique, l’isolement social désigne les sujets qui fuient toute relation avec autrui, se détachent des autres. En psychiatrie, cet état résulte d'un désintérêt général pour tout contact, par apathie ou état dépressif. Afin de réduire les risques de confusion entre ces notions, nous utilisons plutôt l’expression « isolement relationnel » dans le premier cas et « repli sur soi » dans le second. Le repli sur soi se caractérise ainsi de manière objective par une volonté de réduire les contacts avec autrui. Dans des situations où l’on observe une forte intensification du travail, l’isolement relationnel et le repli sur soi influent sur la régulation de l’activité du collectif de travail. En effet, la diminution de la qualité et de la fréquence des relations sociales peut entraîner des problèmes de coordination de l’activité, situation susceptible d’avoir un impact sur le bienêtre au travail ou sur la sécurité, selon la nature du travail et les conditions de coordination. Isolement objectif ou subjectif et la position ambigüe de l’isolement relationnel Par sa référence à une réalité extérieure, l’isolement objectif permet une graduation des situations d’isolement (une communication par jour, 2, 3…). A contrario, l’isolement subjectif renvoie à une évaluation qualitative par le sujet de son rapport à la réalité. Si le rapport à la réalité extérieure est conservé et mentionné, le système de valeur mobilisé est celui de l’acteur et ne correspond pas forcément à une réalité objective, mesurable, ou à l’interprétation d’un autre acteur. En outre, lorsqu’il est énoncé par les sujets, l’isolement subjectif s’exprime souvent sous forme de sentiment et revêt clairement un caractère négatif. En fonction de nos définitions, deux types de sentiments liés à l’isolement sont distingués : le sentiment d’isolement et le sentiment de solitude. Dans l’expression « sentiment d’isolement », le sujet conserve une référence extérieure. Son expression correspond à un manque, un besoin d’aide identifiable. Il se différencie en cela du « sentiment de solitude », plus pathogène, affectant le sujet dans la perception qu’il a de lui-même et de ses rapports possibles aux autres. On observera alors une tendance au repli sur soi. La notion d’isolement relationnel se trouve à la frontière entre isolement objectif et isolement subjectif. Alors qu’il est simple de remarquer qu’une personne est isolée physiquement, il peut s’avérer plus malaisé de décider si les relations qu’elle entretient avec elle-même ou avec les autres (quel qu’en soit le nombre) sont satisfaisantes ou non. Le choix de la situation d’isolement et la possibilité de la contrôler Ces deux dimensions, le choix de l’isolement et son contrôle, bien que relativement indépendantes, sont cependant complémentaires : l’individu est-il à l’initiative de la situation d’isolement et peut-il exercer un pouvoir d’agir efficace ou un quelconque contrôle sur la situation ? 6 L’isolement est qualifié de « choisi » s’il renvoie à une décision de l’opérateur. Dans les autres cas, il est dit « subi », imposé ou contraint par l’activité. Si l’on intègre cette notion de contrôle de la situation dans la question de l’isolement « choisi » ou « subi », on peut alors considérer qu’un salarié qui choisira de s’isoler le fera soit parce qu’il contrôle la situation et dans ce cas l’aide extérieure n’apparaît pas nécessaire a priori, soit parce que l’isolement devient une condition indispensable pour reprendre le contrôle (total ou partiel) de la situation, par exemple en s’éloignant des sources de perturbation. Pour chacune de ces alternatives, loin d’être un élément de trouble psychosocial, l’isolement peut être indicateur d’une certaine « maturité » dans le rapport au travail de l’individu concerné. A l’inverse, une personne qui subit l’isolement verra ses possibilités d’action entravées. Toutefois, le risque de basculer d’un isolement « choisi » vers un isolement « subi » en situation dégradée n’est pas toujours à l’initiative du salarié. De plus, dans ces situations, d’autres salariés, déjà surchargés, peuvent ne pas être en mesure d’apporter une aide efficace, renforçant ainsi la sensation d’isolement perçu du sujet. Au terme de cet avant-propos, ajoutons que la multiplicité des expressions reprenant le terme d'« isolement » conduisent à envisager l’isolement, la solitude au travail et les sentiments qui leur sont associés, non pas comme des états figés, mais comme des situations dynamiques participant aux différents processus de fragilisation du rapport au travail, processus qui peuvent déboucher sur des situations d’isolement physique ou relationnel et, dans certains cas, sur des RPS. La figure 1 propose de résumer l’essentiel des notions venant d’être rappelées en les positionnant selon deux dimensions : référence externe vs interne et expérience vécue positive vs négative Figure 1 : Positionnement des différentes situations d’isolement en fonction de leur rapport à la réalité et au vécu des situations Jacques MARC & Marc Favaro INRS 7 Références Dejours C. (1980). Travail, usure mentale, Bayard, 1ère éd. Dejours, C. & Gernet, I. (2012). Psychopathologie du travail, Paris, Elsevier Masson. Derriennic, F., & Vézina, M. (2005). Intensification du travail et répercussions sur la santé mentale : arguments épidémiologiques apportés par l’enquête ESTEV. In P. Askenazy, D. Cartron, F. de Coninck, & M. Gollac (Eds.), Organisation et intensité du Travail. Editions Octares, Série Entreprise, travail, emploi. Estryn-Behar, M., Chaumon, E., Garcia, F., Mitanini-Magny, G., Bitot, T., Ravache, A.-E., et al. (2011). Isolement, parcellisation du travail et qualité des soins en gériatrie. @ctivité, 8(1), 77-103. Grosjean V., Marc J., Althaus V. (2011). Les émotions et les erreurs comme éléments de feedback individuel et collectif. Actes EPIQUE’ 2011, Sixième colloque de psychologie ergonomique, Metz 5-7 septembre 2011. Guillemy N., Liévin D., Pagliero D. (2006). Travail isolé : prévention des risques. Synthèse et application, INRS, ED 985, décembre 2006, 60 p. Krawsky G., Liévin D., Vautrin J.P. (1985) Travail isolé et sécurité : étude exploratoire du problème et des solutions techniques. Cahiers de Notes Documentaires INRS, n°1514, 37-52 Liévin D., Krawsky G. (1990). Le travail isolé et ses risques, une analyse socio-technique. Le Travail Humain, 53, 1, pp. 33-51. Marc J. & Favaro M. (2013). Cadres de références liés à la gestion des risques en situation dynamique pour « penser » les RPS, In Activités humaines, technologies et bien-être. C. Van de Leemput, C. Chauvin, C. Hallemans (Eds), VIIe colloque de psychologie ergonomique EPIQUE 2013, 10-12 juillet 2013, p. 53-58, ARPEGE Science Publishing. Marc, J., Grosjean, V. & Marsella, M.C. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail, Le Travail Humain, 74(2), 107-130 8 Introduction Dans un objectif de prévention des risques psychosociaux (RPS), l’INRS a inscrit dans son programme une étude portant sur les mécanismes de régulation de l’isolement professionnel. Cette étude vise notamment à vérifier la possibilité de transposer le corpus de connaissances et de méthodes disponibles en psychologie cognitive à certaines situations susceptibles d’entraîner des processus pouvant porter atteinte à la sécurité, à la santé mentale ou à d’autres types de situations que l’on place traditionnellement sous l’acronyme RPS (violence, harcèlement…) Toutefois si l’approche cognitive permet de donner des éléments contribuant à expliquer des dérives vers des limites de fonctionnement, elle ne permet pas d’analyser de manière satisfaisante les dynamiques symboliques (reconnaissance, sens du travail, risque éthique) ou émotionnelles en jeu dans ces situations. Dans ce cadre, l’INRS a souhaité définir les conditions et modalités de la dégradation ou de la préservation des ressources symboliques et psychoaffectives en situation d’isolement professionnel, leurs influences sur la poursuite de l’activité du salarié et son engagement dans le travail. C’est dans cette perspective que l’INRS a confié au Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD), la réalisation d’une revue bibliographique sur le thème « Rapport subjectif à l’isolement au travail : régulation, résistance, dégagement 1», La réalisation de cette revue bibliographique sur les questions d’isolement/solitude de l’individu au travail vise donc à compléter une approche plus cognitive développée au sein de 1 La notion de dégagement: se dégager des contraintes pathogènes de l'isolement pour prévenir les processus qui conduisent au sentiment de solitude. Face aux épreuves du travail, des stratégies de défense peuvent être mobilisées: elles protègent le sujet mais ne transforment pas la situation de travail et ses contraintes. Les stratégies de dégagement par contre visent à changer et donc à gagner en pouvoir d'agir sur cette situation d'isolement quand elle pèse sur l'activité et le rapport subjectif au travail. 9 l’INRS depuis les années 80 et examiner plus particulièrement le vécu subjectif du sentiment d’isolement ou de solitude au travail. Cette revue de la littérature s’inscrit dans le prolongement de travaux précédemment réalisés et publiés dans le cadre de cette même convention (Ladreyt, Lhuilier, Marc, Favaro, 2013 ; Ladreyt, Marc, 2014 ; Marc, Ladreyt, 2014). Ces articles ont notamment pour objet de préciser la nécessaire distinction entre isolement et solitude, deux notions ou concepts souvent confondus dans la littérature. Nous ne reviendrons donc pas ici sur cette question mais en rappelons préalablement les principaux enseignements afin de nous centrer ensuite très précisément sur la solitude qui est toujours un affect et à ce titre renvoie à l’expérience subjective du sujet. Le fait d’être seul correspond à l’état observable d’une personne à un moment donné. Cet état est souvent considéré comme temporaire. L’isolement ou la solitude s’inscrivent eux implicitement dans une temporalité plus longue et constituent les états d’une situation dans laquelle un individu est ou se sent à l’écart du reste de son environnement. L’isolement objectif se définit par sa référence à une réalité extérieure ; il peut être choisi ou subi. L’isolement subjectif (ou sentiment d’isolement) renvoie à une évaluation qualitative de sa situation par l’individu, indépendamment d’un rapport à la réalité de cette situation. L’isolement n’est pas forcément la condition préliminaire au sentiment de solitude ; il est certainement son terrain le plus fertile ; il est toujours son résultat. Tandis que l’isolement se caractérise donc par une situation objective de séparation, la solitude est une expérience affective intime, propre à chacun, qui ne nécessite pas forcément l’isolement pour exister : on peut ainsi vivre une expérience de solitude quand on est isolé, mais également se sentir seul au milieu des autres. La solitude est de nature bivalente : elle peut être heureuse, subjectivante et expérience de souveraineté lorsqu’elle est choisie. Mais la solitude contient toujours le risque de la désaffiliation. La solitude désolante, cas le plus extrême, est l’expérience douloureuse d’une déliaison totale, d’une dialectique empêchée du fait de la double exclusion de soi parmi les autres et des autres en soi. Cette expérience de solitude profonde s’accompagne d’un repli sur soi, d’un abandon volontaire de tout lien avec les autres. 10 Il s’agit ici d’éclairer, à partir d’une revue de la littérature, la question du rapport subjectif à une réalité externe et des mécanismes de régulation à l’œuvre, alternant entre processus de fragilisation de la structure psychologique de l’individu et mécanismes de défense et stratégies de régulation et de dégagement mis en place par celui-ci pour développer son activité propre, nécessairement en lien avec l’activité collective. Cette investigation bibliographique sur le sentiment d’isolement ou solitude au travail intègre les travaux ayant pour objet le « soutien social » et ses carences. Elle privilégie ceux centrés sur les dynamiques psychoaffectives associées aux relations sociales au travail. Contexte et enjeux La multiplication des situations de solitude et d’isolement est une problématique montante dans nos sociétés modernes,̀ qui accompagne l’abrasion communément admise du lien social. Au niveau sociétal, en 2003, un rapport gouvernemental sur la question de l’isolement à été rédigé suite à l’ampleur des décès des personnes âgées lors de la canicule de la même année (Boutin, 2003). Cet événement exceptionnel a mis en avant les carences d’assistance envers cette population fragilisée. Un sondage (TNS-Sofres) réalisé par la Société de Saint-Vincent-de-Paul, a révélé que 91% des Français pensent que la solitude est un problème important. Cette étude a eu pour conséquence de voir « la lutte contre la solitude » édictée grande cause nationale pour l’année 2011. Dans un registre similaire, la Fondation de France a mis en place en 2010 un observatoire national annuel de la solitude en France. Il domine cependant une représentation univoque et uniformisante de la solitude qu’il nous appartient de discuter : le terme “solitude”, pourtant polysémique, est indifféremment employé, nous l’avons souligné, pour désigner le sentiment de solitude, l’isolement objectif ou le sentiment d’isolement. De plus, il existe une association communément admise entre solitude et souffrance, un lien bijectif d’une fausse évidence que cette étude va nous permettre de questionner et nuancer : la solitude est-elle obligatoirement pathogène ? La recension de ses effets délétères suffit-elle à sa caractérisation ? Le sujet solitaire ne peut-il que faillir ? La solitude est un objet à la fois complexe et paradoxal : c’est une condition ontologique, pas uniquement sociale ; c’est un sentiment autant qu’une situation éprouvée avec sa temporalité propre ; c’est une expérience individuelle intime et un phénomène macro 11 social. Au signifiant “solitude”, correspondent donc des signifiés multiples : des solitudes coexistent aux côtés de la représentation sociale commune d’une solitude construite progressivement dans les plis des mutations macro-sociales. Une tentative d’étiologie de la solitude ne peut ainsi pas se limiter au débat contradictoire entre psychogénèse et sociogenèse, mais nous oblige à penser le sujet précisément sur une frontière psycho-sociale. Ainsi si le sentiment d’isolement ou la solitude, tels qu’éprouvés, sont des réalités subjectives plurielles, comment penser le rapport entretenu entre celles-ci et la santé ? Si l’isolement physique est a priori une situation risquée, la propension du sujet à se saisir des systèmes de contraintes, son activité normative, sa capacité d’adaptation puis de transformation de l’environnement vont influer sur la dynamique de son maintien en santé. Le modèle de l’activité, se substituant alors à celui du travail entendu comme contexte, autorise alors à penser la situation d’isolement/solitude comme un empêchement dont le dépassement, lorsqu’il est possible, participe du développement de l’activité et de la personnalité psycho-sociale du sujet. Objectifs Il s’agit donc de restituer sans la réduire toute sa complexité au concept « flottant » de solitude puis de rendre compte de l’évolution dynamique du rapport entre solitude et santé chez un sujet agissant. L’approche choisie est pluridisciplinaire dans le champ des sciences humaines : il nous importe de construire une réflexion étayée par une multiplicité de regards convergents vers un même objet. L’investigation bibliographique dans cette perspective dialectique a retenu les approches issues de la philosophie, la clinique psychanalytique, la sociologie, la psychologie cognitive et les cliniques du travail. L’état des lieux de la littérature réalisé ici, ne peut prétendre à l’exhaustivité étant donné l’ampleur des champs épistémologiques explorés. Mais nous avons retenu les principaux auteurs de référence dans chacune de ces disciplines, auteurs 12 cités pour leurs travaux et réflexions sur la problématique isolement-solitude et sentiments, affects, émotions. Cet éclairage préalable permettra d’entrer ensuite dans l’exploration des travaux sur isolement/solitude mais circonscrits au champ du travail, appréhendé comme un espace et un temps social particulier, lieu privilégié de l’activité et de l’action, donc des transformations individuelles et collectives. Notre rapport sera articulé autour de trois parties principales : Nous examinerons en premier lieu la façon dont l’isolement et la solitude peuvent renvoyer à un mouvement général de distanciation interindividuelle dans des sociétés favorisant l’individualisation et mettant à mal lien et soutien social. Nous relèverons ainsi les divers effets négatifs de la déliaison sociale et de l’anomie à l'aide d'approches essentiellement macro sociales ou issues de la sociologie clinique. Nous montrerons ensuite que la solitude ne peut pourtant pas se réduire à la simple conséquence de mutations macro sociales exogènes pesant sur le sujet. La solitude est une réalité existentielle avec laquelle l’homme apprend à composer et que les questionnements philosophiques et psychanalytiques ont aidé à comprendre. C’est un vécu subjectif, une expérience réflexive personnelle investie notamment par la clinique analytique, d’un sujet riche de ses singularités et de son histoire. Enfin, nous nous centrerons sur l’isolement et la solitude professionnelle grâce à des approches aussi diverses que celles de la sociologie du travail, la psycho ergonomie, l'accidentologie ou la psychologie cognitive. L’analyse des éclairages des différentes approches en clinique du travail nous sera utile pour examiner la dynamique du rapport santé/solitude au sein des organisations grâce au modèle développé d’un sujet à la fois singulier et social, contraint mais agissant sur son environnement, engagé dans un rapport complexe et mouvant avec le collectif. Ce qui nous conduira à explorer dans quelle mesure la solitude peut devenir un espace transitionnel au travail ou, pour le dire autrement, à saisir les conditions d’une solitude non plus source de souffrance au travail mais créative et développementale. 13 Solitude et processus de déliaison I- Isolement relationnel et société contemporaine Depuis les années 1980-90, isolement et solitude sont identifiés comme une problématique montante dans nos sociétés contemporaines (Peplau & Caldwell, 1978 ; Russel, Peplau, Cutrona, 1980 ; Peplau & Perlman, 1982 ; Pan Ké Shon, 1999, 2002, 2003, 2006, 2013 ; Boutin, 2003 ; Charhon, 2010). Ils semblent contaminer le monde professionnel (Linhart, 2009), comme l’atteste la multiplication de rapports (Bressol, 2004 ; Vivier, 2003), enquêtes (1998, 2005 ; Hamon-Cholet & Rougerie, 2000 ; Hamon-Cholet & Sandret, 2007) et recherches scientifiques (Vézina, Derrienic & Monfort, 2001 ; Estryn-Behar& al, 2011 ; Marc, Grosjean & Marsella, 2011). Le travail ne semble donc plus être « le grand intégrateur » (Barel, 1990) qui place et classe tout individu dans la société. Les enquêtes de la Fondation de France sur les solitudes en France montrent cette extension de l’isolement relationnel depuis 2010 (Charhon, 2010, 2011, 2012, 2013). L’isolement relationnel est ici défini comme la faible présence des individus au sein des cinq réseaux de sociabilité que sont les réseaux familial, professionnel, amical, affinitaire et territorial. Il y a selon ces études annuelles un fléchissement notamment marqué de la capacité intégratrice des réseaux amicaux, familiaux et de voisinage. Les sociabilités professionnelles tendent également à se dégrader. Les travailleurs pauvres (qui cumulent souvent précarité de l’emploi, faibles revenus, temps partiel et horaires atypiques) et les travailleurs indépendants (agriculteurs, micro entrepreneurs…) sont les plus exposés à cette incapacité à construire des relations sociales dans le cadre de leur activité professionnelle. Si l’on se centre sur les travailleurs pauvres, on peut retenir que 36% des personnes ayant un travail leur rapportant moins de 1 000€ par mois sont dans l’incapacité de construire des relations sociales dans le cadre de leur activité professionnelle (Enquête 2012). L’âge apparait comme un facteur aggravant mais toutes les tranches d’âge sont touchées : en 2012, 20% des Français qui travaillent ne sont pas en capacité de construire des relations sociales dans le cadre de leurs activités professionnelles ; 27% des Français interrogés, en activité, disent ne pas être en mesure de construire des relations autres que 14 strictement professionnelles avec leurs collègues (contre 20% en 2010) ; 14% des personnes interrogées associent l’isolement à une rupture professionnelle (perte d’emploi ou changement de travail ou de rythme de travail). On remarque qu’une distinction est faite dans ces enquêtes entre isolement relationnel et isolement ressenti. L’étude relève qu’il n’y a notamment pas de lien statistique systématique entre « être seul » et « se sentir seul ». Les causes relevées du ressenti de l’isolement sont les ruptures biographiques (divorce, perte d’emploi, décès de personnes proches…) et la péjoration de soi. Plus de 2 millions de personnes en âge de travailler, entre 18 et 60 ans, souffrent ainsi paradoxalement de l’isolement. II- Lien social et solitude Il existe pour désigner cette distension apparente du lien social “une nébuleuse conceptuelle” de termes comme anomie, exclusion ou désaffiliation sociales ; il convient de les distinguer plus rigoureusement ; à chacun de ces termes correspondent en effet des représentations différentes de la déliaison sociale. Une mise en perspective dialectique de ces trois concepts permet d’éviter d’hypostasier une solitude générique et uniforme. Il existe en effet des antinomies du lien social comme il existe des antinomies de la solitude. II-1- Anomie L’anomie est un concept qui se prête particulièrement bien à une lecture croisée et complémentaire de la sociologie et de la psychanalyse. a) Anomie et déliaison sociale Le terme anomie vient du grec anomia qui signifie absence de règles, de normes ou de lois. (a – sans ; nomos–loi). Platon la qualifie de « vice par excellence » menaçant dans ses fondements mêmes l’ordre social. Le concept d’anomie sociale est utilisé pour désigner couramment en sociologie la disparition progressive d’un ordre social symbolique porteur de valeurs et de références. Se 15 loge donc ici le paradoxe d’un individu sans étayage suffisant, inscrit malgré tout dans un maillage social mais avec une communauté de sens diluée ou en voie de disparition. A l’origine, ce concept introduit par Durkheim (1893) a une double signification : il renvoie à un mouvement général d’intensification de la division du travail qui catalyse crises, conflits et isolement aux dépends de la coopération et de la solidarité. Durkheim indique que « l’anomie est la négation de toute morale » avant de compléter : « Si l’anomie est un mal, c’est avant tout parce que la société en souffre, ne pouvant se passer pour vivre, de cohésion et de régularité ». L’anomie durkheimienne est donc un état de dérèglement délétère de la cohésion sociale, suite à une transformation trop brusque de l’environnement (crise autant que croissance économiques trop subites). Il existe dans la lignée de l’approche durkheimienne de la réalité sociale une « crise de la socialisation » (Dubar, 1996), ou du lien social (Paugam, 1996), “une non-intégration” (Soulet, 1998). Repris par les sociologues de l’Ecole de Chicago dans les années 1930-40, le concept d’anomie devient le phénomène pathologique lui-même à l’origine de l’effondrement de l’ordre normatif et de la cohésion sociale (Parsons, 1973). Les individus isolés n’ont plus les moyens de l’atteinte de leurs objectifs (Merton, 1964). La multiplication de ces situations anomiques accompagnerait ainsi le délitement du lien social. b) Anomie et déliaison pulsionnelle Mais au-delà de ses divisions sociales, une société anomique se définit aussi par sa difficulté à rester un contenant symbolique avec un système de valeurs suffisamment étayant pour cadrer et limiter les désirs individuels. Le passage à l’acte suicidaire serait ainsi selon Durkheim (1897) fonction du degré d’intégration à des groupes sociaux, et de la capacité de la société à édicter des règles et normes qui encadrent et limitent. Green souligne l’importance fondamentale de la liaison des pulsions créée et maintenue par le lien intersubjectif et social : « Toute action qui consiste à prendre soin d’un enfant dans l’enfance ou d’un sujet à l’âge adulte, grâce aux soins des parents et des responsables de la société, a pour but essentiel de lier la destructivité ». (Green, 1996) 16 Winnicott a également particulièrement souligné l’importance d’un environnement “suffisamment bon” pour le développement de l’enfant et l’adulte plus généralement : il affirme que « Un bébé, ça n’existe pas » (Winnicott, 1952). Il entend par là que son premier environnement et cette première « tenue physique et psychique » par sa mère lui est nécessaire pour avoir, plus tard, le sentiment d’être lui-même. L’anomie sociale fragilise ainsi la capacité soutenante et contenante (« holding ») de l’environnement social renvoyant les sujets déliés à leurs seuls errements face au risque de déliaison pulsionnelle. Selon Freud et ses travaux « d’anthropologie psychanalytique », la société mène un travail de culture garant d’un système symbolique qui précède l’individu : la culture, « c’est tout ce en quoi la vie humaine est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes » (Freud, 1929). Au delà du lien social, il y a un ordre et un lien symboliques, précédant l’individu, qui lui interdisent l’assouvissement non maîtrisé de sa pulsionnalité. Freud parle d’un Surmoi qui agit autant sur l’individu que sur le groupe (Freud, 1921). Puis il émet l’hypothèse d’un surmoi culturel qu’il différencie du surmoi individuel, produit du travail de culture (Kulturarbeit), et qui participe à la dérivation par sublimation des prédispositions pulsionnelles (Freud, 1929) ; le sujet selon Freud est un sujet social. Ainsi, Freud écrit en 1921 : « L'opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie de groupe, qui peut, à première vue, paraître très profonde, perd beaucoup de son acuité lorsqu'on l'examine de plus près. Sans doute, la première a pour objet l'individu et recherche les moyens dont il se sert pour obtenir la satisfaction de ses mouvements pulsionnels, mais, dans cette recherche, elle ne réussit que rarement, c'est-à-dire dans des cas tout à fait exceptionnels, à faire abstraction des rapports qui existent entre l'individu et les autres. Dans la vie psychique de l'individu, c'est invariablement l'autre qui est appréhendé comme modèle, objet, soutien et adversaire ; la psychologie individuelle est donc, dès le départ, en même temps, psychologie sociale, dans le sens élargi mais pleinement justifié du terme. » La prévention des débordements issus de la déliaison pulsionnelle nécessite donc l’entretien d’une dialectique du culturel et de l’individuel. L’action de favoriser « le travail du négatif » (Green, 1993) par la culture met ainsi en latence la poussée pulsionnelle. Ce rôle de contenant et protecteur symbolique joué par le groupe envers le sujet se retrouve chez Kaës quand il souligne les alliances et les pactes inconscients liés à l’expérience culturelle, le rôle 17 central joué par ces « structures molles » dans la défense contre les réalisations pulsionnelles. (Kaës, 2009) Indissociablement, « lier c’est donc relier intrapsychiquement et intersubjectivement ». (Green, 1993) II-2 Exclusions et désaffiliations sociales La notion d’exclusion renvoie d’emblée à la rupture consommée du lien social. L’exclu social se résume à son appartenance située, figée et délimitée à un en-dehors social. Il y a donc a priori dans cette acception du terme le constat d’une rupture tranchée du lien qui ne rend compte ni de la nature ni de la dynamique de la déliaison sociale. Le in et out caractérisent insiders et outsiders. (Lindbeck & Snower, 1989) Pour autant, l’exclusion peut se concevoir également non plus comme une rupture du lien mais un état donné du lien, caractérisé par sa nature et sa modalité nouvelle. Simmel (1998) indique ainsi que “Les pauvres se situent d’une certaine manière à l’extérieur du groupe ; mais cela n’est rien de plus qu’un mode d’interaction particulier qui les unit à l’ensemble”. Damon (2002) relève également que les sans-abris conservent une certaine sociabilité, une capacité à rester inscrits au moins temporellement dans certains réseaux de social. Le lien social peut donc être relâché mais l’exclusion n’est pas obligatoirement rupture. Ainsi l’exclusion sociale ne peut pas se résumer à l’absence de lien mais à un processus dynamique et inachevé de délitement du lien. D’autre part, le lien social distendu suppose le rejet hors des circuits dominants (mainstream) mais aussi l’intégration possible à d’autres sphères d’appartenance sociale. (Giugni & Hunyadi, 2003) Le concept de désaffiliation renvoyant à celui de désocialisation rend donc mieux compte d’un processus en cours que celui d’exclusion. La socialisation caractérise ainsi « le processus par lequel les individus intériorisent les normes et les valeurs de la société dans laquelle ils évoluent ». Simmel (1998) la conceptualise comme “le processus d’action réciproque par lequel se lient et se délient les individus, se constituent et se désagrègent les groupes”. Le lien social et son négatif en creux la solitude sociale est donc le résultat d’une réciprocité dialectique que Simmel illustre par la métaphore de la porte (Tür) et du pont (Brücke), de l’occultation alternant avec la mise en lien. A l’identification trop marquée d’espaces d’exclusion, exclusivement délimités 18 spatialement, peut se substituer l’identification de zones intermédiaires et instables de vulnérabilités marquées par la précarité du travail et la fragilité des étayages sociaux. L’étude de la désaffiliation proposée par Castel (1995) consiste ainsi précisément à analyser les processus qui font transiter les sujets de l’intégration à la vulnérabilité. Il y a donc une dialectique à relever entre les dynamiques de socialisation et de désocialisation. La solitude que nous appellerons « désocialisante » plutôt que sociale renvoie donc au double mouvement de déconstruction et reconstruction progressive du lien social, à l’action alternée de se lier et se délier, en le souhaitant ou en le subissant, à l’appartenance à des cercles concentriques d’inclusion qui varient précisément du centre à la marge (Damon, 2002). Le lien social se construit par les individus qui ne cessent de “lier ce qui est séparé et de séparer ce qui est lié”. Se pose ainsi la question de la responsabilité de l’étiologie de cette vulnérabilité sociale. Car le sujet se désaffilie mais il peut aussi être désaffilié. Il existe en effet un mécanisme social d’exclusion des vulnérables et des surnuméraires par la société qui peut devenir un de ses mode de fonctionnement et de régulation : le chômage peut s’envisager à ce titre comme une solution et non une conséquence de l’évolution économique (Olivennes, 1996). La société peut être discriminante et contribuer à l’émergence des délitements sociaux en cultivant l’entre-soi et la non-mixité (Préteceille, 2006). C’est donc une responsabilité au moins autant collective qu’individuelle. III- Santé et lien social La thématique de la souffrance sociale en lien avec ces mouvements de déliaison sociale constitue un champ de recherche important en sociologie, notamment dans les perspectives qui font place à l’expérience du sujet (sociologie clinique, sociologie de l’expérience et sociologie critique). La souffrance sociale est alors analysée comme résultant d’une vulnérabilité structurelle propre à une société valorisant propriété et gestion de soi. Elle apparaît en lien avec l'autonomisation de l'existence en tant que norme sociale : la société n’offre plus la garantie de supports institutionnels et de protections formelles. Cette souffrance sociale par défaut de ressources sociales et symboliques fabrique des fragilités perçues comme individuelles. Elles sont pourtant le produit de cette exigence sociale d’autonomie et de réalisation de soi dans 19 une configuration sociétale qui dés-institutionnalise et privatise l’ensemble de l’activité sociale. Vincent de Gaulejac (2005), souligne ainsi, parmi d’autres, que dans nos sociétés dites modernes, c'est l’individu qui est privilégié par rapport au lien social et aux unités sociales (groupes, communautés sociales…). Le rejet et l’exclusion issus de cette « lutte des places » concerneraient donc « ceux qui n’ont eu ni la chance ni la force nécessaire pour créer autour d’eux des frontières solides leur permettant paradoxalement d’être reconnus membres à part entière d’une société d’individualités dont une loi serait l’anéantissement de l’autre pour exister ». Les ruptures du lien social conduisent donc à une souffrance sociale aux effets psychiques et somatiques qu’il qualifie de maladies de l’exclusion (de Gaulejac, Léonetti & Taboada, 1994). L'affaiblissement du lien social génèrerait un isolement synonyme de souffrances individuelles d’individus solitaires à la conquête de places perdues et de reconnaissance dans nos sociétés modernes. Le lien social s’étudie donc en sociologie sous plusieurs angles : le plus représentatif est celui de la description de l’état du lien : l’exclusion économique, les inégalités, la précarisation, la déculturation… Un autre est celui de l’exploration des conséquences de son délitement. On y trouve notamment les travaux sur la déviance, la délinquance, la toxicomanie. Un autre champ concerne les « thérapeutiques » proposées comme l’action sociale ou la citoyenneté. Mais l’approche dominante (en sociologie et épidémiologie notamment) consiste à conditionner l’état de santé des individus et leur vulnérabilité à la consistance du lien social qui étaye et soutient jusqu’à assimiler l’un à l’autre. L’approche philosophique et psychanalytique qui suit nuance la bijectivité de ce rapport. Elle a également pour avantage de permettre une analyse de ce qui fait lien et non uniquement de ce qui ne fait plus lien. 20 Isolement-solitude : figures ambivalentes de l'action I- Isolement et solitude ontologiques La philosophie nous rappelle que le rapport de l’Homme à l’isolement est une question aussi ancienne que celle de la vie en société ; elle concerne la qualité du lien que l’homme entretient avec lui-même, avec les autres et, indirectement, la qualité du lien social qui les relie. Ainsi, dés l’Antiquité, Épictète (50-135) décrivait l’homme isolé comme « un homme privé de secours », tout en soulignant la nécessité de « pouvoir être seul avec soi-même ». « L'isolement est l'état d'un homme qui n'est pas secouru. Car il n'est pas vrai que l'homme seul soit par là même un isolé, ni que celui qui est dans la foule ne soit pas un isolé. […] Par définition, l'homme isolé est un homme privé de secours et exposé à ceux qui veulent lui faire tort. […] ce n'est pas la vue d'un homme qui supprime l'isolement mais celle d'un homme fidèle, consciencieux et bon. [...] Néanmoins, il faut avoir aussi la faculté de se suffire à soi-même et de pouvoir être seul avec soi-même. [...] nous devons pouvoir nous entretenir avec nous-mêmes, pouvoir nous passer des autres sans manquer d'occupations…» ÉPICTÈTE (50-135), La solitude fait partie de la condition ontologique, d'une façon d'être au monde oscillant entre le risque d'isolement, de rupture, et l'affranchissement ponctuel nécessaire à la pensée, la création, et l’action. La solitude est en effet la compagne du créateur artiste. Alfred de Vigny (1856) n'écrivait-il pas que "la solitude était sa seule inspiration" ? Montaigne (1595) recommandait pour l'écriture de se retirer, sa bibliothèque fut son espace de solitude créative. Descartes (1852) s'enfermait dans son poêle pour penser. Pascal (1669) assurait, parlant des hommes, que "tout leur malheur vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre." 21 La figure du philosophe solitaire nous rappelle que la solitude est aussi un espace propice d'action. Caton rapporté par Cicéron (Cicéron, De Republica I, 17) indique : "il n'était jamais plus actif que lorsqu'il ne faisait rien, jamais moins seul que lorsqu'il était seul ". Selon Arendt (1951), la solitude comporte toujours en elle l'instance d'un dialogue intérieur qui devient une forme particulière d'action qu'elle nomme l'agir de la pensée solitaire. L’action vraie en revanche ne peut prendre place que dans la sphère publique en permettant le contact avec une pluralité effective. « L’agir politique est la forme la plus aigüe de contraste avec la besogne solitaire de penser qui œuvre dans un dialogue de moi avec moimême » (Arendt). Levinas (1983) lorsqu’il questionne l’individuation évoque une solitude qui serait la condition même de la présence au monde. La solitude se confond alors avec l’exister : « être, c’est s’isoler par l’exister. Je suis monade en tant que je suis ». La solitude est alors « l’unité indissoluble entre l’existant et son œuvre d’exister ». La solitude devient alors conquête de l’existant, « elle n’est pas seulement un désespoir et un abandon mais une visibilité et une fierté, une souveraineté ». II- Solitude et psychanalyse L’apport de la clinique psychanalytique permet un approfondissement de cette problématique : elle privilégie la question de la solitude à celle de l’isolement en considérant la première comme un éprouvé, un affect. Elle a notamment souligné toute l’ambiguïté de la solitude : elle l’a associée à la fois aux manifestations symptomatiques névrotiques et psychotiques et l’a conceptualisée aussi comme un espace d’introspection au service du sujet lors de la cure. Elle a su relever son caractère à la fois ontologique et singulier : « La solitude m’a toujours accompagnée, de près ou de loin, comme elle accompagne tous ceux qui, seuls, tentent de voir et d’entendre, là où d’aucuns ne font que regarder et écouter. Amie inestimable, ennemie mortelle, solitude qui ressource, solitude qui détruit, elle nous pousse à atteindre et à dépasser nos limites » (Dolto, 2001). La solitude apparaît d’emblée comme une expérience risquée, potentiellement destructrice ou développementale, un espace dialogique à investir, à la fois privilégié et vulnérable, qui entretient ou éradique le lien avec soi-même ou un autre intérieur. C’est ce double destin extrême de la solitude qu’évoque Gutton (2005) quand il écrit « dans la 22 solitude, le travail des objets internes est incité au risque de plaisir et de la position dépressive. » Anzieu (1987) pointe à son tour ce qu’il nomme les sept antinomies de la solitude. En évoquant la première, il indique notamment aimer la solitude dans la mesure où il ne se sent pas seul car il écoute les étrangers qui parlent en lui. C’est cette même dialogie intérieure que questionne Chiantaretto (2005) avec le concept de témoin interne, c’est à dire les semblables en soi avec qui la solitude peut se partager. Rosolato (1996) parle d’une solitude qui apparaît lorsque l’autre disparaît, mais qui peut persister en présence de l’autre. Elle caractérise ainsi l’état du lien à l’autre, dans la présence comme dans l’absence. Il fait notamment référence à une psychopathologie de la solitude sans omettre toutefois le questionnement sur l’existence « d’une solitude qui autorise la séparation dans une marge non dangereuse et qui permet une activité bénéfique» (Rosolato, 1996). Cette psychopathologie est associée aux processus d’identification à l’œuvre dans le narcissisme, le sado masochisme ou des psychoses comme la schizophrénie. Pourtant, selon lui, dans chaque état psychopathologique, il existe des stratégies conscientes de la solitude pour maintenir un contrôle de la situation par le sujet ou « une thérapeutique imaginaire ». La solitude peut devenir un solipsisme en action (Rosolato, 1996), c’est à dire contribuer à la pleine conscience de la réalité du moi identitaire, à la construction du sujet en facilitant par exemple l’accès au langage chez le jeune enfant. Freud souligne ainsi lors de la séparation d’avec la mère, une première expérience constructive de l’absence : l’enfant joue avec une bobine qu’il fait disparaître et retrouve, lie ainsi ses premiers phonèmes, éprouve à travers cette expérience du « fort-da » la possibilité de remplacer un objet par un autre. Cette solitude bénéfique car développementale est ici accompagnée d’un sentiment de maîtrise de l’absence (Freud, 1920). Pour autant, Freud n’évoque jamais l’existence possible d’une solitude nourricière ou pleine. Selon lui, la solitude est avant tout expérience du manque. Elle est désirante et se vit entre absence et conflit. La solitude est ainsi potentiellement un lieu métaphorique de construction dialogique ou de repli sur soi illusoirement autarcique. Comment comprendre alors la capacité d’appropriation inégale par le sujet des potentialités de cet espace simultanément offert à la souffrance et au plaisir ? Quels sont les 23 éléments d’histoire individuelle qui influent notamment sur la possibilité qu’a le sujet de faire bon usage de sa solitude ? Lorsqu’il évoque la cinquième antinomie de la solitude, Anzieu (1987) parle à ce propos de la place essentielle de la mère « suffisamment bonne pour laisser son enfant faire l’expérience d’être seul à côté d’elle ». L’existence d’un vécu rassurant par l’enfant d’une solitude étayante et protégée serait, selon Anzieu, primordiale. D.W.Winnicott et M. Klein développent également des hypothèses sur l’étiologie de la capacité de résistance individuelle à la solitude en lien avec l’imago de la mère. C’est la qualité des bons soins reçus dans l’enfance qui serait déterminante. Winnicott présume d’« une capacité à être seul » qui dépend de l’existence dans la réalité psychique de l’individu d’un « bon objet » (Winnicott, 1958). Ainsi, l’adulte résistant à la solitude serait avant tout un adulte qui a été auparavant un jeune enfant trouvant en sa mère un soutien, support du moi pour pallier les épreuves de la séparation et les difficultés de l’isolement. Les soins appropriés de la mère ont ainsi autorisé un rapport à la fois proche et distancié qui anticipe une séparation non douloureuse. C’est cette juste distance qui a permis à l’enfant de devenir un adulte accédant à un « sentiment continu d’existence » (Winnicott, 1975), traversant ainsi l’épreuve initiatique de solitude. Le « je suis seul », sans angoisse ni terreur, reflète l’existence ininterrompue d’une mère « fiable ». D.W. Winnicott articule « la capacité d’être seul » à la capacité créative qui implique le paradoxe du trouvé-créé : pour que l’objet puisse être créé, il faut qu’il puisse être trouvé et déjà là, donc que la mère ait deviné, anticipé le besoin de l’infans (c’est à dire de l’enfant avant son accès à la parole). La solitude selon Winnicott peut ainsi devenir un espace de plénitude potentielle. Elle est alors paradoxalement expérience de la présence. On mesure ici l’écart conceptuel avec la solitude selon Freud, qui est toujours celle de l’expérience du manque, uniquement désirante, et se vivant entre absence et conflit. L’originalité de l’approche de Mélanie Klein réside quant à elle dans le fait de faire un lien entre solitude et agressivité. Le sentiment de solitude, comme la peur de la séparation, a sa source dans « la crainte de détruire l’objet contre lequel sont dirigées les pulsions agressives » (Klein, 1946). « …Il existe ainsi une relation entre le sentiment de solitude et l’incapacité à intégrer suffisamment le bon objet ou des parties de soi que l’on sent inaccessibles. » (Klein, 1968). Face à la menace de séparation, le sujet se trouve scindé, confronté à un "splitting intra psychique". L’impression de solitude est alors doublement 24 alimentée par le sentiment d’abandon de « l’objet interne » en danger de destruction, et l’agressivité orientée vers l’objet externe pour mieux le contrôler. Le sentiment de solitude serait donc le reflet de la souffrance d'un sujet agresseur catalysée par le danger de la séparation. La solitude, selon M. Klein, s’éprouve ainsi autant « au milieu d’amis qu’en étant aimé ». L'isolement physique et la solitude ne sont alors en rien assimilables (Klein, 1968). Le sentiment de solitude atteste du ressenti d'une perte définitive du bonheur fusionnel avec la mère primitive. Ce sentiment de solitude s’atténue au fur et à mesure que se renforce l’intégration psychique. (Klein, 1968) Les psychanalystes qui ont plus particulièrement travaillé sur la période de l’adolescence soulignent que la solitude est alors un affect clé. Elle permet de maintenir une frontière à la fois symbolique et physique en cette période incertaine de possible mélange sans limite entre soi et les autres. L’adolescent doit ainsi faire l’expérience d’une solitude qualifiée de bénigne, en sécurité, en présence de ses pensées et de son corps, pour « se confier à son corps comme à un holding de l’environnement » (Winnicott, 1984). C’est précisément l’expérience de cette solitude bénigne qui permet le tissage d’un lien renouvelé au monde, d’une nouvelle entrée en relation. (Phillips, 1987). L’infans comme l’adolescent sont donc des êtres dans l’isolement initial qui par l’expérience de la solitude se raccordent au monde. La solitude a donc une fonction étayante qui participe à l’individuation subjective. Le besoin d’isolement aurait en effet sa place dans le processus normal de l’adolescence ; il serait lié au remaniement des relations objectales et des identifications. L'isolement choisi chez l'adolescent correspondrait donc à une position de retrait notamment dans les relations familiales, « qui protège contre l’intrusion et la promiscuité avec les parents. » (Bursztejn, Mises, & Boussidan, 1996). En revanche, le sentiment de solitude à l’adolescence peut aussi traduire une problématique de perte objectale que le sujet ne parvient pas à élaborer… « Cette thématique de la solitude présente notamment dans les conduites suicidaires, doit être entendue et justifie une attitude thérapeutique active ». (Bursztejn, Mises, & Boussidan, 1996) Dans l’approche psychanalytique, la solitude qualifie ainsi un état de réalité intérieure et un vécu subjectif changeant en fonction de l’histoire précoce du sujet qui influe sur la nature de l’expérience de solitude : plénitude, manque ou rupture. Cette trivalence de la solitude, toujours un processus, jamais un état (Gutton, 2007), correspond à trois gradualités différentes d’une solitude mouvante qui qualifient l’état du lien entre le sujet et le monde : une solitude 25 pleine et nourricière d’abord qui permet au sujet de « se » retrouver, une solitude résistante ensuite, c’est à dire empêchante où le sujet lutte pour la survivance de son raccord au monde, une solitude désolante enfin où le sujet n’est plus. Et c’est précisément cette solitude désolante que Gutton (2007) identifie comme une double faille, à la fois « perte de la capacité imaginaire propre du sujet et absence de confiance partagée avec les autres » ; elle laisse l’être déserté et serait à l’origine des processus psychotiques à modalités dépressive, hallucinatoire ou paranoïaque. Elle révèle un vide interne de la psyché ne prenant plus appui sur l’environnement. Dans la solitude pleine ou dans la solitude résistante, le maintien d’un écart raisonné entre les objets externes et les objets internes permet l’émergence d’une activité créative et symbolisante du sujet solitaire, qu’une rupture consommée avec le monde dans le vécu d’une solitude désolante ne permet plus. Selon Quinodoz (1991), la solitude permet également l’expérience bénéfique par le sujet de sa propre unicité et de celle d’autrui : le manque ne dégrade pas nécessairement la qualité du lien à l’autre, tout en permettant au sujet de poursuivre sa construction identitaire. Il s’agit donc d’apprécier dans le processus de solitude une juste mise à distance, une capacité à favoriser l’inclusion de l’autre sans intrusion, l’éloignement de l’autre sans abandon. Nietzsche (1974) indique ainsi : « C’est pourquoi j’entre dans la solitude, pour ne pas m’abreuver à la solitude de tout le monde (…) A partir d’un moment, on dirait qu’ils veulent me bannir de moi-même et me voler mon âme ». 26 Solitude et travail Il nous appartient maintenant d’instruire la question de la solitude dans le champ professionnel. Le travail est en effet un espace social privilégié de rencontres et de confrontations individuelles et collectives : La solitude professionnelle est-elle à ce titre une solitude comme les autres ? Nous mobiliserons dans un premier temps les études développées autour du risque du travail isolé en nous référant à l'accidentologie puis aux approches cognitivistes associées. Ces références ont l'avantage d'objectiver les situations d'isolement au travail, à la fois par l'énoncé de leurs causes et l'étude de leurs conséquences sur la santé physique, puis psychique des salariés, dans le cadre notamment de la prévention des risques psychosociaux. Ce sera l'occasion d'évoquer une nuance dans les acceptions possibles des termes isolement et solitude, souvent confondus ici encore dans la littérature. I- Accidentologie et risques liés à l’isolement au travail Historiquement, les travaux concernant l’isolement au travail ont d’abord concerné la prévention des risques d’accidents de travailleurs isolés physiquement (Liévin et Vautrin, 1985 ; Liévin & Krawsky, 1990). L’étude de ces situations a permis de construire les bases de la notion d’isolement relationnel, entendu dans ce cadre comme recouvrant les difficultés à entrer en contact avec une personne pouvant porter assistance. L’isolement physique et la réduction des possibilités d’entrer en communication avec un tiers restent des caractéristiques de la situation de travail à intégrer dans l’évaluation des risques professionnels. Toutefois, cette focalisation historique sur les éléments objectifs pour caractériser l’isolement masque la complexité des processus en jeu. En effet, le fait d’être seul n’implique pas de se percevoir comme étant seul, ce qui amène à distinguer le caractère objectif de cet isolement (point de vue externe au sujet) de sa dimension plus subjective (point de vue interne au sujet). Cette double composante objective/subjective contribue à ce que, même si la question de l’isolement renvoie à une réalité que personne ne conteste, la définition de son seuil puisse demeurer dans la plupart des cas de nature conventionnelle. 27 Ainsi, sans négliger les éléments objectifs permettant de caractériser l’isolement, que ce dernier soit à dominante physique (présence de personnes à proximité) ou relationnelle (nombre de communications avec d’autres personnes), ils doivent cependant être reconsidérés à la lumière de l’appréciation subjective que le travailleur se forme de la situation et notamment de la représentation qu’il a de sa capacité à la gérer, comme de son expérience de situations apparentées (Marc & Amalberti, 2002 ; Marc & Rogalski, 2009a b, Marc & al., 2011). De plus, deux dimensions complémentaires (bien que relativement indépendantes) apparaissent ici : l’individu est-il à l’initiative de la situation d’isolement et peut-il exercer un quelconque contrôle sur la situation ? Dispose-t-il d’un pouvoir d’agir efficace sur cette même situation ? (Marc & al., 2011) Si l’on intègre cette notion de contrôle de la situation dans la question de l’isolement « choisi » ou « subi », on peut alors considérer qu’un salarié qui choisira de s’isoler le fera : soit parce qu’il contrôle la situation et dans ce cas l’aide extérieure n’apparaît pas a priori nécessaire ; soit parce que l’isolement devient une condition nécessaire pour reprendre le contrôle (total ou partiel) de la situation (Marc, al., 2011). Pour chacune de ces alternatives, l’isolement peut être indicateur d’une certaine « maturité » dans le rapport au travail de l’individu concerné. A noter toutefois que bien que le sentiment de maîtrise fournisse des informations sur la représentation que se fait cet individu quant à sa capacité de contrôler la situation, ce même sentiment ne dit rien sur la capacité réelle de l’individu à contrôler la situation (ou à anticiper son évolution). De même, ce n’est pas parce qu’une personne subit une situation qu’elle ne peut guère la contrôler (Marc & Favaro, 2013). Dans cette hypothèse, le contrôle peut alors bénéficier du concours d’un tiers et plusieurs travaux mettent en évidence l’importance d’un collaborateur dans la détection et la gestion des erreurs (Marc & Amalberti, 2002) ou d’un opérateur redondant dans la récupération d’erreurs (Clark, 2005), ceci même s’il n’est présent qu’en qualité de simple observateur (Woods, 1984 ; Marc & Rogalski, 2009a b). Par ailleurs, l’intégration de cette approche à la question du stress (de Keyser & Hansez, 1996) contribue à éclairer la genèse de certaines situations d’isolement. Ainsi, plusieurs études indiquent que lorsque la charge de travail augmente, les opérateurs tendent à préférer réduire volontairement les communications ou les demandes d’aide afin de se focaliser sur la tâche principale (Marc & Rogalski, 2009a b) ou pour éviter de donner du travail supplémentaire à un collègue déjà surchargé (Cazabat, Barthe & Cascino, 2008). De tels 28 comportements observés peuvent aller jusqu’à exclure certains collaborateurs peu expérimentés, car les exigences supplémentaires pour obtenir un niveau commun satisfaisant, sont estimées trop coûteuses. Dans de telles situations, il convient en outre de noter que l’isolement relationnel influera sur la régulation de l’activité du collectif de travail. En particulier, il est montré que la diminution de la qualité et de la fréquence des relations sociales entraîne des problèmes de coordination de l’activité, problèmes susceptibles d’impacter le bien-être au travail (EstrynBehar & al. 2011) ou la sécurité. Les travaux sur le concept de soutien social illustrent le rapport entre santé et lien social en particulier dans le champ du travail. II- Solitude, soutien social et santé au travail Le soutien social, depuis la définition proposée en 1979 par des épidémiologistes le présentant comme « le soutien accessible pour un sujet à travers des liens sociaux avec d’autres sujets, avec des groupes et l’ensemble de la communauté » (Lin & al., 1979), a fait l’objet d’un très grand nombre d’études visant à préciser ses contenus et composantes. Il apparaît alors comme multidimensionnel, comprenant à la fois l’intégration sociale et la diversité des réseaux de soutien, le soutien effectivement reçu et le soutien social perçu (Barrera, 1986). Les différentes figures relatives aux apports ou carences de ressources sociales en situation de travail sont particulièrement explorées par le modèle du stress organisationnel et le questionnaire de Karasek (Karasek & Théorell, 1990) : il reprend les deux facteurs exigence/latitude décisionnelle retenus antérieurement (Karazek, 1979), en y ajoutant un troisième, le soutien social. Ce modèle permet d’identifier des travailleurs en situation « d’iso-strain » : ils sont exposés à une exigence psychologique importante comme à une faible autonomie décisionnelle et ne peuvent compter que sur un faible soutien social de collègues ou de la hiérarchie pour y faire face. Le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman (1984), cherchant à dépasser la conception d’une relation de causalité linéaire entre stresseurs et effets délétères sur la santé, précise le rôle protecteur du soutien social : ce sont les retentissements émotionnels et les significations des stresseurs pour un individu qui importent. L’accent est mis ici sur les 29 représentations et l’évaluation de la situation ainsi que sur les stratégies de coping pour « faire face » aux situations stressantes. Ces stratégies dépendent des ressources dont l’individu dispose. Sont distinguées des stratégies passives qui sont centrées sur les émotions ou l’évitement de la situation et les stratégies actives centrées sur la situation et visant à éliminer ou contrôler la source des problèmes. La recherche de soutien appartient à la catégorie des stratégies de coping actif (Spacapan & Oskamp, 1988). Ainsi, si l’existence de liens sociaux et de réseaux de sociabilité est bien une condition nécessaire pour recevoir du soutien, elle n’est pas une condition suffisante pour que ces relations soient bénéfiques. Il convient donc de préciser les fonctions du soutien reçu. Ici, la classification la plus connue est celle de House (1981) qui distingue le soutien émotionnel, le soutien d’estime, le soutien informatif et le soutien matériel et instrumental. D’autres typologies ont été construites par la suite : elles intègrent les quatre fonctions précédentes en les complétant (Beauregard & Dumont, 1996). Mais ces travaux vont plus loin en considérant que le soutien doit être appréhendé non pas seulement comme ce qu’on reçoit (ou pas) mais comme une relation, car son efficacité dépend de la concordance entre « offres » de soutien et besoins de la personne (Cutrona & Russel, 1990). Ce « support » social étant lié à une expérience personnelle plutôt qu’à un ensemble de circonstances objectives, l’appréciation subjective du soutien social apparaît comme une dimension à privilégier pour la compréhension des liens entre soutiens sociaux et santé, comme pour éclairer la problématique isolement/solitude et santé. Les investigations qui retiennent la question des liens entre soutien social et santé privilégient ses effets positifs : Cassel (1976) et Caplan (1974) sont les premiers épidémiologistes à souligner l’importance des réseaux sociaux dans l’étiologie des maladies. Renaud, à l’occasion d’une étude historique et sociologique sur les facteurs des maladies, présente le soutien social comme « le résultat de l’intégration dans différents réseaux qui (lui) fournissent un appui cognitif, normatif, affectif et matériel » (Renaud, 1987). Le soutien social, dans ses différentes dimensions est « communément utilisé pour rendre compte du processus par lequel les relations sociales ont un effet bénéfique sur la santé et le bien-être » (Caron & Guay, 2005). Il modère l’anxiété et facilite l’élaboration de stratégies actives (Bruchon-Schweitzer, 2002). Certaines recherches s’attachent à démontrer que le soutien social du supérieur et des membres de l’équipe de travail a un effet modérateur sur la relation 30 entre stress au travail et épuisement professionnel (Russel, Altmaier & van Veltzen, 1987 ; Burke & Greenglass, 1995 ; Pines, Ben-Ari, Utasi & Larson, 2002). Le soutien social perçu apparaît comme la dimension la plus prédictive de l’étude des liens entre soutien social et stress : il intervient comme un modulateur qui tempère ou accentue la tension au travail (Ruillier, 2010). On voit donc ici se dégager des liens étroits entre stress et isolement-solitude. Plusieurs études longitudinales ont montré que cette dimension relationnelle négative était associée à une augmentation du risque de pathologie cardiovasculaire ou de troubles de la sphère mentale. La revue de littérature de Netterstrøm et al. (2008) portant sur l’analyse de 14 études de cohorte, ainsi que l’analyse réalisée par Stansfeld et al. (2006) à partir de 11 études de cohorte vont dans le sens d’un lien prédictif solide entre un faible soutien social au travail et la survenue de troubles de la santé mentale. Une revue réalisée à partir d’études épidémiologiques utilisant le modèle de Karasek confirme qu’un faible soutien social est un facteur de risque pour la santé (Niedhammer & al., 2009). Enfin, l’absence de soutien de la part des supérieurs ou de collègues semble favoriser la survenue d’accidents (Enquête SUMER, 2003 ; Hamon-Cholet & Sandret, 2007). Sans prétendre ici rendre compte d’une rétrospective systématique des travaux sur la relation entre soutien social et santé, nous pouvons souligner la prédominance des recherches affirmant, de manière assez unanime, les effets positifs du soutien social et à contrario les effets délétères pour la santé de son absence ou son défaut. Il nous faut cependant nuancer cette observation car quelques recherches questionnent cette évaluation d’effets systématiquement positifs du soutien : elles mettent en évidence qu’un soutien de même nature peut avoir des effets contrastés chez les sujets bénéficiaires. Ce qui récuse l’affirmation du soutien comme ressource en soi et conduit à prendre en compte la manière dont les receveurs le signifient et se l’approprient (Michaëlis, 2012). L’investigation se déplace alors de la mesure du soutien social (il existe aujourd’hui près d’une quarantaine d’échelles pour évaluer le soutien social) à l’action du sujet en situation. Ce dernier n’apparaît plus ici comme « exposé » aux caractéristiques de son environnement social, subissant ses « offres » ou leurs carences : il est conçu comme un sujet actif en ce qu’il donne sens aux contextes dans lesquels il déploie ses activités et les transforme. 31 Ainsi, le rapport entre isolement, solitude et défaut de soutien social conduit à prendre en compte, au delà de la présence ou absence d’autrui, l’évaluation subjective de la situation par le sujet, ainsi que ses attentes et ressources. Quelles sont donc les approches mobilisées par la sociologie du travail et les cliniques du travail pour penser l'étiologie de la solitude professionnelle de manière plus qualitative et clinique ? III- La fabrication sociale de la solitude au travail De nombreux travaux, notamment en sociologie du travail, analysent les changements du travail contemporain et la "fabrication" de la solitude par, à la fois, les modes d'organisation du travail, l'intensification du travail et les orientations qui président à la gestion des ressources humaines (Friedmann, 2007). Parmi ces mutations, on recense notamment « un cumul des contraintes pesant simultanément sur les salariés, augmentant leur rythme de travail et la charge de travail ressentie » (Thery, 2010). Le lien entre ces nouvelles modalités organisationnelles, l’intensification du travail et la dégradation de la qualité des conditions de travail est pointé (Askenazy, Cartron, de Coninck, & Gollac, 2006). D. Linhart souligne un mouvement général de distanciation interindividuelle dans l'organisation contemporaine du travail. Selon elle, la modernisation actuelle du travail détermine un effacement des collectifs de travail "qui entraîne le salarié dans une relative solitude, le propulse ainsi dans un face à face solitaire avec la société comme avec le sens de son travail" (Linhart, 2009). Dans les secteurs privé comme public, la performance individuelle assujettie aux impératifs de productivité est survalorisée au risque de l’effacement d’une pensée réflexive collective sur les pratiques de métier. De Gaulejac dénonce le développement d’une idéologie gestionnaire dans les organisations (de Gaulejac, 2005) qui place le sujet au travail sous la triple injonction d’être « productif, performant et rentable » (de Gaulejac, 2006). Cet idéal organisationnel, fruit de l’idéalisation du travail prescrit, se confond progressivement avec l’idéal de métier construit dans l’action. (Dujarier, 2006 a). Au nom précisément de cet idéal, les organisations exigent une adhésion et un dévouement sans failles de leurs salariés pris au piège de leur narcissisme auquel elles apportent une réponse leurrante mais séduisante (Enriquez, 1999). Elles 32 instrumentalisent donc ce besoin d’identification narcissique pour l'assujettir au service des idéaux gestionnaires qu’elles donnent à voir. Il existe ainsi une forme d’abstraction et de folie organisationnelle (Sigaut, 1990), une conception gestionnaire dominante au sein des organisations qui évalue, objective et rationnalise les résultats du travail en favorisant le déni du réel du travail (Lhuilier, 2010). Les nombreuses contradictions de natures politique, gestionnaire et managériale submergent l’activité. L’organisation du travail traversée par ces injonctions souvent contradictoires doit pouvoir être repensée collectivement et de manière opérationnelle pour ne pas peser sur les sujets au travail. Or, « l’évitement successif du travail d’organisation dessine alors une division sociale du travail d’organisation dans laquelle le travail de médiation des contradictions est chaque fois évité, repoussé jusqu’au dernier niveau.» (Dujarier, 2006 b). La confiance nécessaire à la coopération et l’organisation opérationnelle du travail (Dejours & Molinier, 1994) s’affaiblit face à une autorité gestionnaire qui contrôle et suspecte. Ce mouvement général d’intensification malmène le lien social et crée ainsi de la solitude au travail par excès d’individualisation. (Hanique, 2004). La construction identitaire au travail est plus complexe que par le passé (Kaufmann, 2004 ; Ehrenberg, 2001) car elle passe plus par l’expérience que par l’appartenance (Sainsaulieu, 1977) à des collectifs qui assignent les individus au travail à « une identité attribuée et réactualisée dans les relations de pouvoir dans les organisations » (Dujarier, 2006 a). La dynamique de métier, pourtant ressource socialisante contre l’isolement au sein d’un collectif de pairs, est plus à l’œuvre dans les pratiques autonomes et individuelles que dans des mouvements collectifs au sein des organisations (Reynaud, 1989). Il s’impose alors souvent plus une dynamique de coordination que de coopération au travail, la coopération renvoyant à la notion d’œuvre commune (Arendt, 1951). Comment conserver dans ce contexte suffisamment d’espaces de discussion qui permettent d’élaborer collectivement ? Il y a en effet une difficulté à construire et préserver des espaces de délibération qui sont « des espaces d’élaboration de rationalités subjectives ou pathiques, se servant de la parole pour accéder au vécu subjectif au travail. Ces espaces sont également des espaces de construction d’une technique de travail partagée ». (Dejours, 2012). La peur de la solitude qui surgit est ainsi avant tout la « peur de se trouver privé de reconnaissance » (Gernet & Dejours, 2009), car c'est toute la dynamique d’une reconnaissance au travail, liée au faire et non à l’être qui est fragilisée. Les conditions d’exercice d’un jugement sur la qualité de la contribution ou la qualité du travail ne sont plus 33 réunies. L’évaluation par les pairs a du mal à s’imposer face à une passion évaluative (Amado & Enriquez, 2009) à la fois individualisante et peu préoccupée du réel du travail (Dejours, 2003). Nous retrouvons donc dans les conséquences de l’intensification du travail un mouvement de privation de reconnaissance qui conduit à la désolation d’Hannah Arendt (1951), forme la plus radicale de la solitude. D’autre part, le passage de la logique de poste à la logique de compétences conduit l’entreprise à pratiquer une gestion plus individualisée des salariés. Ce phénomène d’individualisation à la fois des salaires et des carrières (Garner-Moyer, 2009) fragilise l’individu en accroissant le sentiment d’insécurité au travail. Il existe bien un paradoxe de l’individualisation, entretenu par une gestion des ressources humaines devenue gestion des individus. Elle est censée en effet apporter d’une part plus d’équité par rapport à un système antérieur fondé sur l’ancienneté et les augmentations collectives. Mais elle confronte d’autre part le salarié à une évaluation subjective risquée a priori de ses « aptitudes subjectives » à l’autonomie, la polyvalence, la maîtrise des émotions ou la réactivité. Cette tendance accroît le risque d’isolement : « les formes modernes du management, à travers notamment la gestion des emplois et des carrières individualisent les salariés et les isolent du collectif. » (Gollac & Volkoff, 2007). Les approches développées par les cliniques du travail, "au plus près du travail", nous semblent à ce niveau de notre étude essentielles pour examiner in situ les interactions entre solitude et santé, et plus particulièrement le rôle du collectif, lui aussi parfois ambivalent. IV- Clinique de la solitude professionnelle et cliniques du travail IV-1- Psychopathologie et psychodynamique du travail Les travaux relatifs à la souffrance au travail relèvent pour l’essentiel de la psychopathologie du travail et de la psychodynamique du travail (Dejours, 1993, 2009). Si les deux principales figures sémiologiques de la psychopathologie des hommes au travail ont été d’abord la peur et l’aliénation (Dejours, Veil & Wisner, 1985), des travaux plus récents analysent les entités psychopathologiques liées aux nouvelles formes d’organisation du travail. Ici sont essentiellement retenues les pathologies de la solitude et les pathologies de la servitude (Dejours & Gernet, 2012). Ainsi, plusieurs intervenants de consultations « souffrance au travail » mettent en cause l’intensification du travail et les organisations du 34 travail qui « produisent de la solitude » (Pezé, 2008). Ces travaux mettent en évidence une relation entre certaines formes d’isolement au travail (isolement relationnel, sentiment d’isolement, repli sur soi) et le développement de troubles de la santé (dépression, angoisse…). Dans les analyses proposées en clinique du travail, le « collectif de travail » et ses ressources occupent une place centrale, révélée le plus souvent par défaut c’est à dire quand le sujet au travail ne peut contribuer à sa construction. Pour la psychodynamique du travail, il y a collectif lorsque plusieurs travailleurs concourent à une œuvre commune dans le respect de règles. Gernet & Dejours (2009) soulignent la centralité des accords normatifs : normes, règles, valeurs, ressorts éthiques du vivre ensemble au service à la fois de la santé et de la construction du lien social. La coopération (réelle) n’est pas la coordination (prescrite), comme l’activité n’est pas la tâche. Elle est développée à travers le travail collectif qui implique « la mobilisation des intelligences individuelles, des habiletés singularisées et leur fédération pour les inscrire dans une dynamique collective commune ». Pour Dejours, « le travail vécu comme souffrance est premier » (1995) en raison de la résistance opposée par le réel aux désirs et projets du sujet. Mais cette souffrance peut être subvertie en plaisir par la voie de la reconnaissance, c’est à dire des jugements portés sur les contributions de chacun. L’enjeu de la reconnaissance symbolique du faire singulier, inscrit dans un cadre normatif partagé, est double : identitaire (Dejours, 1993), mais aussi de conjuration de la violence entre les êtres humains (Dejours, 2007). Aujourd’hui, nombre de travaux en psychodynamique du travail convergent vers l’analyse d’une érosion des rapports d’entraide et de solidarité au travail, le développement de relations de compétition et de méfiance réciproque, et un isolement croissant de chacun qui fait le lit d’une montée de la solitude et des troubles associés. Ainsi, la question du harcèlement moral au travail ne serait pas nouvelle, mais dans un contexte de dégradation du « vivre ensemble au travail », chacun peut se trouver seul en butte à l’injustice ou la maltraitance. Dejours (2000) analyse plus globalement ces « pathologies consécutives non seulement à un harcèlement ou à une persécution, mais à un contexte de solitude résultant d’une stratégie d’isolement par une technique de management visant la désagrégation de la 35 solidarité et du collectif de travail». De même, les travaux sur les suicides au travail (Dejours & Begue, 2009) indiquent que ceux-ci sont la conséquence d’un niveau ultime de solitude dans un tel contexte de désolidarisation des collectifs de travail et donc de fragilisation des stratégies défensives. Le suicide au travail est identifié comme l’expression de la déstructuration de la communauté de travail et des liens à autrui. Ils ne sont pas, dans la majorité des cas, le fait d’individus isolés ou mis à l’écart, mais ils traduisent une profonde solitude affective. Cette solitude que Arendt, comme nous l’avons souligné précédemment, a théorisée sous le terme de « désolation » (loneliness) et qui est reprise par la psychodynamique du travail. Elle s’éprouve dans « le sentiment d’inutilité, de nonappartenance au monde, dans l’abandon par autrui, dans le déracinement, dans le sentiment de se faire défaut à soi-même » (Courtine-Denamy, préface à Arendt, 2001). Pour Dejours, les mutations actuelles du travail nuisent à la collaboration véritable : "la solitude dans un environnement social hostile est devenue l'un des événements majeurs dans la genèse de la souffrance au travail et dans la déstabilisation de l'équilibre psychique". (Dejours, 2012). Naissent ainsi des pathologies de la solitude qui, aux côtés des pathologies de la servitude, rendent compte des implications psycho pathologiques de la relation de service dans le contexte de méthodes d'organisation structurées par le recours au flux tendu et à la flexibilité". (Dejours & Gernet, 2012). L'apparition des pathologies de la solitude est notamment le signe du recul des défenses collectives face aux nouvelles méthodes de management et d'évaluation individualisée des performances. Le sujet se fragilise en faisant face seul à l'injonction de performance et aux conflits éthiques. Il a moins aisément recours aux stratégies collectives de défense qui s'érodent et fait face seul aux risques du réel du travail. Dans certains cas, c'est le collectif lui-même qui exclut le sujet au travail qui ne participe plus suffisamment à la construction des stratégies de défense du collectif de travail (Dejours & Gernet, 2012). Dans ce cas-là, le processus de maîtrise symbolique du risque est certes assuré par le collectif et permet à l'individu de faire l'économie psychique de sa propre défense individuelle. En revanche, il est intéressant de souligner que paradoxalement, le collectif pourra exclure l'individu dans le cas où celui-ci remettrait en cause la stratégie collective d'occultation du danger par exemple. Le collectif peut donc générer exclusion et isolement lorsque la question de sa survie est posée. Il y a alors, notamment dans le cas des idéologies défensives de métier, une résistance "massifiante" qui ne tolère pas les écarts et la désobéissance face à l'ordre défensif établi qui fait bloc. La cohésion supporte alors mal 36 l'individuation et la reconnaissance des singularités, autant d'entorses possibles à l'impératif de loyauté exigé par le groupe. IV-2- Clinique de l'activité Pour la clinique de l’activité, comme dans l’ensemble des courants de la clinique du travail, le travail collectif est la condition de la construction du collectif de travail. Mais ici il est indissociable d’un autre concept, celui de genre professionnel (au sens de Clot, 2008). Le collectif comme « répondant » professionnel est cet intercalaire sociosymbolique attaché à une situation et à un milieu stabilisé qui retient, mais jamais de façon définitive, les règles de métier, c’est-à-dire les attendus sociaux tant en ce qui concerne les activités techniques, corporelles que langagières (Clot, 2005). Entre la tâche et l’activité, entre l’organisation sociale du travail et l’activité personnelle, s’opère - comme souligné par l’ergonomie - un travail de reconception et de réorganisation de la tâche par « l’opérateur », mais aussi par « le collectif professionnel ». Ce collectif n’est pas réductible à celui qui est engagé dans le travail collectif de coopération situé ici et maintenant entre sujets. Il est aussi « un répondant collectif interne, la mémoire et le diapason professionnel : « quand il n’y a pas de répondant collectif, le collectif professionnel se réduit à une collection d’individus exposés à l’isolement, sans répondant, sans sur-destinataire auquel se mesurer, sans réunion entre passé et présent » (Clot, 2005). La conceptualisation du genre professionnel inscrit le collectif ici non seulement hors de l’individu mais aussi en lui. Ce qui conduit à réévaluer la problématique de l’isolement : celui-ci n’est pas tant le produit d’un défaut de collectif de travail dans le ici et maintenant de la situation de travail que cette absence du genre professionnel, instance transpersonnelle du métier, auquel se référer et contribuer. Reste que le maintien de la vitalité du métier et donc du genre suppose qu’un travail sur le travail puisse être mené par le collectif afin de recréer ce qui est susceptible de guider l’activité : « le genre, momentanément stabilisé, est un moyen de s’y retrouver dans le monde et de savoir comment agir, recours pour éviter d’errer tout seul devant l’étendue des bêtises possibles » (Darré, 1994, cité par Clot & Faïta, 2000). A défaut de ce système de variantes normatives, le sujet ne peut compter que sur ses ressources propres pour se jouer des contraintes du milieu et éviter de les subir. Alors, il y a un risque pour sa santé : celle-ci est entendue comme un pouvoir d'action sur soi et sur le monde gagné auprès des autres. Elle se rattache à l'activité vitale d'un sujet, à ce qu'il réussit ou non à mobiliser de 37 son activité à lui dans l'univers des activités d'autrui et, inversement, à ce qu'il parvient ou pas à engager des activités d'autrui dans son monde à lui : sans les autres. Clot (2013), dans son analyse du suicide au travail comme drame de la conscience professionnelle, pointe les dangers des processus de déliaison dans l'activité professionnelle. Il en identifie deux principaux : d'une part le risque de l'exercice dépersonnalisé, solitaire et subordonné du métier, celui qui répond uniquement aux injonctions d'une prescription coupée du réel du travail, un métier "sans répondant transpersonnel" ; et d'autre part, le risque du monologue social et du contact social défaillant avec soi-même lorsque la controverse et la bonne circulation entre les différents registres du métier qui se confondent n’opèrent plus. "Le monologue social assourdit alors le dialogue intérieur" (Clot, 2013). Le suicide au travail devient "vindicatif" dans le sens où il reste l'ultime signe d'une vitalité désespérée. IV-3- Psychosociologie du travail Pour la psychosociologie du travail, le sujet est un sujet social : il ne peut se construire hors du rapport à l’autre. Mais ici le social ne se résume pas à l’environnement social du sujet, aux relations interpersonnelles, hiérarchiques, aux dynamiques collectives mobilisées dans la coactivité. Le social est aussi dans le sujet. Freud lui-même conteste l’opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie sociale. Et il rappelle que : « dans la vie psychique du sujet singulier, l’autre intervient très régulièrement comme modèle, soutien, adversaire » (1921). L’autre comme modèle conduit à explorer les voies et les formes d’identification (à quelqu’un, à des valeurs, à une idéologie) dans la construction de la professionnalité, dans l’élaboration des règles et des valeurs du travail. L’autre comme soutien renvoie aux ressources interpersonnelles, collectives, construites dans la coopération, dans la résistance aux contraintes du travail et dans le dégagement des obstacles, des empêchements rencontrés. Mais aussi aux ressources symboliques transindividuelles comme celle du métier par exemple. Enfin, l’autre comme adversaire se manifeste à travers les conflits, les rapports de compétition, domination, exploitation…etc. L’activité individuelle ou collective exige toujours une circulation de la pensée entre le temps présent de l’acte, le passé et les ressources symboliques accumulées, le futur impliqué dans l’anticipation. Elle a à puiser dans le donné et a à compter sur la fonction de contenance symbolique du groupe. Ces manières de penser, sentir, dire, faire, élaborées guident l’action, orientent les régulations et compromis entre les conflits de buts et constituent autant de 38 repères et valeurs partagées qui sollicitent le jeu des identifications réciproques. Mis à l’épreuve de l’action, ce « donné » peut être renouvelé, développé quand le « créé » n’est pas empêché (Lhuilier, Andrade de Barros & Newton Garcia, 2013). La placardisation dans les organisations est un phénomène psychosocial où le créé est précisément empêché au profit du donné d'une situation de mise à l'écart du sujet par les autres. Elle montre que l'exclusion renvoie au sentiment de perte de sens au travail et au risque de rupture d’un raccord au monde pour le placardisé (Lhuilier, 2002). Pour tenir au placard, le développement de stratégies d’auteurs, c’est-à-dire la construction d’alternatives à l’isolement subi, est nécessaire. L’entre-deux ambigu de la position du placardisé aux frontières du système organisationnel lui permet parfois d’associer solitude et espace d’action créative. En réaction à ce processus de destruction de l’individualité avec assentiment de l’entourage, le sujet peut « saisir l’occasion de développer une réflexion sur les interstices du système, rechercher des espaces alternatifs d’action, reconstituer sa propre capacité d’être sujet en consolidant son réseau relationnel, se prouver son utilité au monde par le développement d’une activité propre comme l’engagement associatif par exemple. » (Lhuilier, 2002). Si le placardisé ne se situe précisément nulle part, la solitude peut permettre d’accéder à un espace transitionnel possible à la frontière entre espace psychique et environnement isolé permettant paradoxalement de favoriser les processus de symbolisation (Amado, 2008). L’intervention menée par Ladreyt (Ladreyt & al., 2013) sur les « Agents de Surveillance de parcs et jardins urbains » illustre l’utilisation des guérites de surveillance comme espaces transitionnels nécessaires pour subvertir la solitude imposée en instrument de travail au service de l’activité de surveillance. La solitude se dompte donc en se risquant dans l’action. La maladie nait à l’inverse d’une réification dévitalisée de la solitude qu’il dénomme « sentiment de solitude. » (Ladreyt & Marc, 2014) 39 Conclusion De l’analyse des travaux présentés, nous retiendrons plusieurs constats. En premier lieu, nous avons d’emblée souligné que la notion d’isolement pose de réels problèmes de définition : parle-t-on d’un isolement physique ou d’un isolement relationnel ? D’un isolement réel ou d’un isolement perçu ? D’un isolement temporaire ou permanent ? Il en va de même avec la notion de solitude : s’agit-il de cet état de grâce et de plénitude associé par exemple à la vie contemplative ou de ce sentiment que l’on retrouve si souvent associé à la dépression ? Par ailleurs, l’utilisation dans la littérature de nombreux synonymes « isolement », « solitude », mais aussi « exclusion », « repli », etc. rend les notions d’isolement et de solitude discutées ici d’autant plus difficiles à cerner. En second lieu, le sentiment d’isolement comme la solitude ne peuvent pas être limités à une lecture conçue en terme d’un état, mais gagnent aussi à se concevoir comme processus susceptible de « fragiliser » la relation du salarié avec son travail et sa santé. Cette caractéristique processuelle des notions de sentiment d’isolement et de solitude débattues ici nous apparaît en effet centrale, en ce qu’elle contribue à donner accès aux divers mécanismes de régulation et de protection mis en œuvre par les salariés ou les collectifs en vue de se dégager des contraintes de l’isolement objectif et subjectif au travail et, le cas échéant, prévenir une solitude potentiellement pathogène. De nombreux travaux indiquent que la possibilité d’agir (Clot, 2008 ; Mendel, 1998) est primordiale pour le maintien de la santé. Dans ce cadre, si le sentiment d’isolement n’entrave pas des possibilités d’action, il est probable que le vécu de ces situations ne soit pas pathogène. L’exploration des différentes formes de régulation individuelles et collectives (Leplat, 2008) doit donc compléter les analyses afin de se dégager des modèles de « l’exposition aux risques » qui tendent à sous estimer l’activité des opérateurs au profit d’une centration sur les tâches et les conditions de travail. Par conséquent, on ne peut occulter le fait que le registre, positif cette fois, du vécu des situations d’isolement ne peut être négligé. En effet, nous retrouvons ici la deuxième partie de 40 la réflexion d’Epictète sur l’homme isolé : «Néanmoins, il faut avoir aussi la faculté de se suffire à soi-même et de pouvoir être seul avec soi-même. [...] nous devons pouvoir nous entretenir avec nous-mêmes, pouvoir nous passer des autres sans manquer d'occupations ». Des observations empiriques mettent en évidence que s’isoler physiquement devient, dans certaines circonstances professionnelles, un moyen de se concentrer sur son activité, de faire le point, de se recentrer en dehors de toute influence extérieure. Sans compter que cette « capacité à être seul » contribue à faire la démonstration de son autonomie. Dans de semblables situations, le choix de l’isolement pourrait être considéré alors comme un élément contributif de la régulation de l’activité concernée. ll existe non pas une, mais des solitudes diverses par leurs natures, leurs incidences, leur étiologie en fonction des approches épistémologiques mobilisées. Mais il est fondamental de souligner que les incidences psycho-affectives de ces solitudes sur le sujet dépendent justement de la capacité de ce sujet agissant à opposer sa propre capacité d'action. Face à ces solitudes plurielles subsistent ainsi une pluralité de tentatives de résistance et de développement possibles pour lutter contre le risque de souffrance et de décompensation psychopathologique induit par la déliaison. Si la solitude peut ainsi réintroduire une tiercéité (Amado, 2010), investir un lieufrontière non situé, entre le dedans et le dehors, « bondary » selon les cliniciens du Tavistock, elle permet l’aménagement d’un espace transitionnel, imprévu si subi, construit si choisi, qui donne la capacité au sujet de développer sa personnalité psycho-sociale en trouvant réactionnellement une capacité de recréation et d’action sur son environnement. C’est précisément un acte-pouvoir (Mendel, 1998) mobilisé dans la solitude qui redonne possiblement une capacité normative au sujet et contribue ainsi à son maintien en santé. (Canguilhem, 1966). Le concept de solitude peut donc être en partie désincarcéré de la souffrance obligée et d'une paralysie sans appel de l’action, même si ses effets délétères sont indéniables et ne doivent pas être minorés. Reste à s’interroger sur la capacité du sujet de faire du donné de la solitude un recréé et un repensé. Si la solitude se pense et se vit uniquement comme injonction d’adaptation à un milieu nouveau car rétréci, alors elle provoque la maladie et elle devient une norme unique imposée (Goldstein, 1934) sans capacité de restauration de normes individuelles. 41 Dans le cas contraire, une praxis de la solitude serait alors possible, tentative d'instrumentalisation de la solitude au service de l’activité : le processus de solitude permet l’alternance entre des mouvements diastoliques de rapprochement des autres pour nourrir le lien social, et des mouvements de retrait systoliques nécessaires à l’individuation et à la préservation de soi, particulièrement au travail. 42 Références bibliographiques Amado G. (2008). « Emprise et dégagement dans les organisations et les relations de travail », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2008/2 n° 51, 15-32. Amado, G. (2010). Subjectivité, activité et travail, In travail et Santé : Observations cliniques Clot, Y. & Lhuilier, D. 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