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CRISES : A QUOI SERT LA PROSPECTIVE

La compréhension du désarroi dont les institutions semblent affectées face aux crises (financières et écologiques) demande une analyse, plus profonde, faisant appel aux neurosciences et à l'histoire. C'est en relisant différemment l'histoire de la Révolution française (notamment le rôle joué par la métrologie et les monnaies) que l'auteur espère libérer les conditions de l'élaboration d'une prospective utile et opérationnelle, face aux défis contemporains. En ce milieu des années 2010-2020, point culminant de l'indécision mondiale, les négociations sur le climat et le forum de Davos n'ont abouti à rien de précis. La COP21 déclare qu'il faudrait faire quelque chose et Davos, nostalgique, rêve d'un retour à la prospérité passée. Aucune vision de l'avenir ne semble les avoir inspirés. Les seuls éléments nouveaux sont les attentats qui, à mon avis, signalent un problème bien plus profond. Dans les périodes de rupture, quand l'avenir s'annonce très différent du passé, les représentants officiels, tant des Etats que du monde économique, ne peuvent se permettre l'audace nécessaire. La prospective du 21 e siècle n'est pas dans leur registre. Seul un vrai travail intellectuel allant au-delà des jeux d'intérêts peut dégager les fondements d'une nouvelle vision. La prospective commerciale (celle qui se vend aux institutions sous le nom de « conseil en stratégie ») a développé des méthodes : l'identification des « variables » pertinentes, l'analyse de leurs interactions puis la construction de « scénarios » en sont les étapes le plus familières. Mais, en définitive, il ne s'agit que de faire travailler ensemble des acteurs comme, par exemple, les différents services d'une même entreprise. C'est une démarche utile, qui réduit la dispersion des initiatives. Néanmoins, les sources restent en général limitées à ce que connaissent les participants, consultants inclus, et fortement marquées par les idées qu'ils se font de l'évolution du monde. C'est donc un mélange tenant à la fois de l'enquête d'opinion, des constats factuels et des intérêts des acteurs. Dans de telles conditions, il arrive souvent que les représentations de l'avenir soient teintées d'optimisme, à l'image du wishful thinking anglo-saxon, rebaptisé en l'occurrence « pensée positive ». Or, dans le contexte actuel, l'hypothèse selon laquelle l'espèce humaine maîtriserait la situation, et que le monde, la nature et les ressources ne feraient que se conformer à ses désirs, semble loin d'être vérifiée. Nous serions plutôt dans une époque où les désirs devront s'adapter à la réalité, notamment aux limites de la planète. C'est peut-être aussi pour cette raison que Davos et la COP21 ont été si peu productifs. La génération au pouvoir, qui a grandi après la Seconde guerre mondiale, a entendu dire, dans son adolescence : « Prenez vos désirs pour des réalités ». Sans doute, les désirs sont des réalités ; mais ce ne sont pas les seules… Dès lors, est-il quand même possible de se donner pour projet de faire entrer la prospective dans le champ des disciplines scientifiques (1) en la débarrassant des voeux qui l'encombrent. En d'autres termes ; pouvons-nous espérer objectiver la connaissance de l'avenir ?

CRISES : A QUOI SERT LA PROSPECTIVE ? La compréhension du désarroi dont les institutions semblent affectées face aux crises (financières et écologiques) demande une analyse, plus profonde, faisant appel aux neurosciences et à l’histoire. C’est en relisant différemment l’histoire de la Révolution française (notamment le rôle joué par la métrologie et les monnaies) que l’auteur espère libérer les conditions de l’élaboration d’une prospective utile et opérationnelle, face aux défis contemporains. En ce milieu des années 2010-2020, point culminant de l’indécision mondiale, les négociations sur le climat et le forum de Davos n’ont abouti à rien de précis. La COP21 déclare qu’il faudrait faire quelque chose et Davos, nostalgique, rêve d’un retour à la prospérité passée. Aucune vision de l’avenir ne semble les avoir inspirés. Les seuls éléments nouveaux sont les attentats qui, à mon avis, signalent un problème bien plus profond. Dans les périodes de rupture, quand l’avenir s’annonce très différent du passé, les représentants officiels, tant des Etats que du monde économique, ne peuvent se permettre l’audace nécessaire. La prospective du 21e siècle n’est pas dans leur registre. Seul un vrai travail intellectuel allant au-delà des jeux d’intérêts peut dégager les fondements d’une nouvelle vision. La prospective commerciale (celle qui se vend aux institutions sous le nom de « conseil en stratégie ») a développé des méthodes : l’identification des « variables » pertinentes, l’analyse de leurs interactions puis la construction de « scénarios » en sont les étapes le plus familières. Mais, en définitive, il ne s’agit que de faire travailler ensemble des acteurs comme, par exemple, les différents services d’une même entreprise. C’est une démarche utile, qui réduit la dispersion des initiatives. Néanmoins, les sources restent en général limitées à ce que connaissent les participants, consultants inclus, et fortement marquées par les idées qu’ils se font de l’évolution du monde. C’est donc un mélange tenant à la fois de l’enquête d’opinion, des constats factuels et des intérêts des acteurs. Dans de telles conditions, il arrive souvent que les représentations de l’avenir soient teintées d’optimisme, à l’image du wishful thinking anglo-saxon, rebaptisé en l’occurrence « pensée positive ». Or, dans le contexte actuel, l’hypothèse selon laquelle l’espèce humaine maîtriserait la situation, et que le monde, la nature et les ressources ne feraient que se conformer à ses désirs, semble loin d’être vérifiée. Nous serions plutôt dans une époque où les désirs devront s’adapter à la réalité, notamment aux limites de la planète. C’est peut-être aussi pour cette raison que Davos et la COP21 ont été si peu productifs. La génération au pouvoir, qui a grandi après la Seconde guerre mondiale, a entendu dire, dans son adolescence : « Prenez vos désirs pour des réalités ». Sans doute, les désirs sont des réalités ; mais ce ne sont pas les seules… Dès lors, est-il quand même possible de se donner pour projet de faire entrer la prospective dans le champ des disciplines scientifiques (1) en la débarrassant des vœux qui l’encombrent. En d’autres termes ; pouvons-nous espérer objectiver la connaissance de l’avenir ? La pensée anticipatrice Je propose que nous nous appuyions sur une base plus solide - celle des neurosciences contemporaines. Avant d’imaginer l’avenir, je suggère que nous nous interrogions sur ce que nous savons du présent et du passé, ce qui nous renvoie aux fondements-mêmes de la connaissance : quelle est la pertinence de l’image neuronale de la réalité ? Ce que l’on appelle ‘pensée’ est une fonction des êtres vivants, et donc un produit de l’évolution biologique. Autrement dit, si la sélection naturelle favorisait les êtres qui ne pensent pas, alors ceux qui pensent n’auraient pas survécu et il n’y aurait pas d’êtres pensants. La pensée joue un rôle dans l’évolution ; ce rôle est très facile à comprendre. La pensée permet aux individus de « se préparer à » ce qui risque de leur arriver et, donc, d’explorer en imagination les possibles et les liens existant entre eux, et de comprendre (au sens étymologique de ‘prendre ensemble’) les intentions et les mouvements. Je proposerai, même, d’aller jusqu’au bout de cette logique et de prendre comme définition de la pensée « le processus par lequel un être individué se prépare à… ». La pensée est donc ontologiquement anticipatrice. Donc, la prospective se présente comme un accomplissement (collectif ou non) de la pensée. Mais, plus précisément : qu’est-ce que la pensée ? C’est un mouvement des neurones… La vision du dedans (2) Si l’on regarde le monde, non plus du dehors, mais du dedans, il n’est plus composé d’objets fixes qui se mettent en mouvement : il est fait de mouvements engendrant une impression de fixité. Cette perception de la conscience est une manifestation centrale de la pensée anticipatrice. Jean Piaget, dans le premier chapitre de son ouvrage « La construction du réel chez l’enfant (3) », l’explique à partir de ses observations de nouveaux nés : « La première question qu’il convienne de se poser, pour comprendre comment l’intelligence naissante construit le monde extérieur, est de savoir si, durant les premiers mois, l’enfant conçoit et perçoit les choses, comme nous le faisons nousmêmes, sous forme d’objets substantiels, permanents et de dimension constante ». Après avoir décrit quelques-unes de ses observations, il précise : « Ces faits […] nous montrent que les débuts de la permanence attribuée aux tableaux perçus sont dus à l’action-même de l’enfant, en l’occurrence aux mouvements d’accommodation […] Dans un second stade, l’enfant ne cherche plus seulement à retrouver l’objet là où il l’a déjà perçu auparavant, il le recherche en une place nouvelle. Il anticipe donc sur la perception des positions successives du mobile et tient compte, en un sens, de ses déplacements». En observant comment le nouveau-né donne existence aux choses, Piaget, sans en avoir l’air, repositionne la question de l’être, qui taraude les philosophes depuis Parménide. C’est, en effet, l’expérience de la répétition qui rend prévisibles les choses et qui, donc, permet à notre simulateur neuronal de leur donner une existence : cette chose existe parce que j’anticipe la perception que j’en aurai si je tourne autour. Bien plus, dès la naissance, les messages des six sens sont automatiquement et involontairement mis en relation : la vue, le toucher, l’odorat, le goût, l’ouïe et le sixième sens, celui du mouvement (4). Si je poursuis mon raisonnement en me demandant pourquoi cet enfant est doté de reconnaissance, qu’est-ce qui, dans l’évolution, a pourvu nos ancêtres de telles facultés, je trouve que cette performance remarquable - la construction des invariants - est, en réalité, une faculté d’anticiper le résultat des mouvements. Et cette anticipation est évidemment nécessaire à la survie. Les neurophysiologistes ne manquent pas de nous rappeler à quel point cette reconnaissance anticipatrice est approximative. Koch et Kandel affectionnent l’exemple suivant : Dans les dessins ci-dessus, chacun (5) reconnaît des triangles, alors qu’il n’y en a pas. « La vision, au lieu de se contenter de la partie visible, complète l’objet. Une boîte partiellement dissimulée par un pot de fleurs, par exemple, est perçue comme un cube complet, en partie caché… De même, on perçoit souvent les objets comme complets dans leurs trois dimensions, alors que seule leur partie frontale s’offre directement au regard… La vue, normalement, a affaire à plus d’un ou de deux objets à la fois. Dans la plupart des cas, le champ visuel est surchargé et ne se soumet pas à une organisation intégrée de l’ensemble. Dans une situation typique de la vie quotidienne, une personne se concentre sur certaines zones ou certains détails particuliers ou sur quelques caractéristiques générales, tandis que la structure du reste demeure rudimentaire et floue… La luminosité et la couleur d’un objet dépendent en partie de la luminosité et de la couleur de la source qui l’éclaire, ainsi que de la position de l’objet dans l’espace par rapport à la source lumineuse et à l’observateur (6) ». Néanmoins, le cerveau arrive à reconnaître les formes et les couleurs, malgré la diversité des apparences qui sont présentées à la vue. On peut dire que l’on perçoit, certes, avec l’œil, mais que c’est avec le cerveau que l’on « voit ». Celui-ci, d’ailleurs, ‘apprend à voir en voyant’. Si l’on empêche un chaton de voir pendant les douze premières semaines de sa vie, il ne peut plus apprendre à voir, car ses connexions neuronales se sont structurées en l’absence de vision. Ainsi, ce qui se déroule pendant le premier âge n’est pas l’expression d’une reconnaissance innée, mais un programme d’apprentissage de la reconnaissance, qu‘il est impossible de réactiver si cet apprentissage n’a pas eu lieu. Par ailleurs, Vilayanur Ramachandran (7), professeur de neurosciences à San Diego a exploré la faculté de reconstruction de la réalité. Il a étudié des personnes qui, ayant été amputées d’un membre, ont la perception que leur membre manquant est toujours là. Il a observé que ces sensations imaginaires mobilisaient les neurones qui desservaient, avant l’amputation, ce membre disparu – des neurones qui pouvaient être influencés par les neurones voisins. Jean-Claude Ameisen cite le cas de jeunes aveugles de naissance qui mobilisent leurs aires corticales visuelles (et non pas celles du toucher) pour lire le braille et de jeunes sourds de naissance qui mobilisent leurs aires auditives pour « entendre » le langage des signes. Ainsi, dit-il, « des enfants aveugles ‘’voient ‘’ par l’intermédiaire de leurs doigts et des enfants sourds ‘’entendent’’ par l’intermédiaire de leurs yeux ». Nous percevons donc ce que nous avons déjà en mémoire (8) avant, éventuellement, de vérifier la justesse ou le degré d’approximation de notre perception. Les exigences de la survie de nos ancêtres ont sans doute privilégié l’alerte rapide et approximative sur l’adéquation, celle-ci demandant un travail d’ajustement ultérieur, un travail qui, à son tour, transforme les réflexes d’alerte. Ces observations nous amènent à accepter la distance considérable entre la « réalité » et l’image neuronale que nous en avons. Néanmoins, la reconnaissance (aussi imparfaite soit-elle) est la seule voie de connaissance que nous ayons à notre disposition. Ainsi se trouve revisité l’apologue de la caverne de Platon, dans le premier chapitre de « La Construction du réel chez l’enfant », cet ouvrage de Piaget que nous avons cité plus haut. Quelle est, dès lors, la légitimité de nos représentations de l’avenir ? Relire l’Histoire Dès lors, il est en premier lieu légitime de poser la question : Qu’est-ce que la société actuelle propose à la pensée anticipatrice d’un adolescent : cinquante ans de travail subalterne dans un bureau, suivi de quinze ans à ne rien faire ? Quel est le sens d’une telle vie ? Pour suivre les rudiments épistémologiques rappelés ci-dessus, une démarche s’impose : la relecture de l’Histoire. Comme le nouveau-né de Piaget, c’est en tournant autour des réalités du passé qu’on peut espérer saisir la dynamique de leur mouvement et ainsi anticiper l’avenir. Prenons un cas, celui de la Révolution française. Quatre lectures différentes de ces événements ont été analysées par François Furet (9) : - celle de Jules Michelet, romantique et enthousiaste, adhérant pleinement au discours révolutionnaire : libération de la tyrannie et de l’oppression. C’est l’interprétation la plus répandue. Elle fait appel à l’empathie (10) ; - celle d’Alexis de Tocqueville : un moment de cristallisation du processus séculaire de centralisation administrative que la royauté avait déjà entamé - une centralisation sans doute nécessaire au nouveau système industriel ; - celle des historiens marxistes, notamment d’Albert Soboul, qui y voient le remplacement de l’ancienne classe dirigeante (le clergé et la noblesse) par la classe bourgeoise, dont l’influence s’était déjà considérablement accrue tout au long du 18e siècle. Cette bourgeoisie s’était construite en fonction du nouveau mode de production industriel ; - celle d’un historien moins connu, Augustin Cochin, à laquelle il faut ajouter le travail récent de Roger Chartier (11) : ces auteurs insistent sur les « sociétés de pensée » (12) et plus généralement sur la vie culturelle du 18e siècle. Le recul de l’illettrisme et le développement de l’édition ont permis la formation d’une opinion publique. Chartier ajoute la frustration d’une nouvelle classe de gens éduqués, surtout de juristes (13) trop nombreux et ne trouvant pas d’emploi. Ils sont les principaux rédacteurs des cahiers de doléances. Ces quatre interprétations, bien étayées par des faits, décrivent chacune un aspect de la réalité. Elles permettent de tourner autour de l’événement, comme le nouveauné de Piaget. J’y ajouterai cependant un élément supplémentaire, plus rarement cité : Il s’agit d’un niveau plus profond de rationalité, une incarnation de la raison si évidente que l’on l’oublie, bien que l’on s’en serve tous les jours : c’est la métrologie. Il faut relire les débats qui ont défini le système métrique décimal pour apprécier à quel point celui-ci est l’expression des exigences de la raison. L’on utilisait, à l’époque, des milliers de mesures différentes. Chaque marché local avait sa « canne » étalon. Ceux qui voyageaient d’un marché à l’autre connaissaient les conversions et ils en abusaient. Dans les cahiers de doléances de 1789, on trouve près de deux-cents-cinquante fois la revendication qu’il n’y ait plus « deux poids deux mesures » (14). La fin du siècle des Lumières est fascinée par la Science. Les lois de Newton prévoient avec une grande exactitude le mouvement des astres et la physique des gaz donne aux hommes la faculté de voler : l’opinion en est saisie ; on évalue à 800 000 le nombre des spectateurs qui assistèrent, le 1er décembre 1783, au premier envol d’un ballon à hydrogène (15). C’est dire l’impact de ces événements scientifiques. L’idée d’un système plus rationnel est déjà là, bien avant que la Révolution de 1789 eut éclaté. Plus tard - en 1795 (16) - à l’Assemblée nationale, on pensa choisir pour étalon de mesure la longueur d’un pendule battant la seconde. Mais les physiciens firent observer que, malgré les avantages de ce choix (la portabilité de l’étalon), de légères différences subsistaient : la gravité étant plus faible en montagne, l’étalon ne serait pas tout-à-fait le même partout. Finalement (17), le choix se porta sur le méridien terrestre (18). Pourquoi ? Parce que chaque être humain, où qu’il se trouve sur notre planète, a un méridien sous les pieds. La formule « à tous les temps, à tous les peuples » (19) dit clairement la volonté de structurer le quotidien par la raison universelle (20), au regard de laquelle tous les hommes sont égaux dans l’accès aux sciences et à la technique (21). Nous ne sommes pas aussi habitués que cela à accorder de l’importance aux questions concrètes. La définition des unités et l’étalonnage des instruments sont, n’est-ce pas, des détails pratiques et subalternes, que les spécialistes se doivent de régler au mieux… ? En réalité, c’est bien plus que cela : la métrologie est le langage commun des sciences - en quelque sorte, le socle de la connaissance. Et, au cœur de la métrologie se trouve le doute, car le concept central, celui qui mobilise l’activité de mesure, c’est l’incertitude : la mesure est, en effet, une tentative toujours inachevée de réduire les incertitudes. La métrologie est aussi le langage commun des techniques. Sans métrologie commune, la mondialisation des échanges serait impossible. Votre téléphone portable contient des composants provenant de plus d’une dizaine d’usines différentes. Si ces usines n’avaient pas les mêmes références métrologiques, ces composants ne pourraient être assemblés. Donc, sans métrologie : pas de téléphone, pas d’ordinateurs, pas de satellites, pas de télévision et pas de radio (22) ! Considérez l’extraordinaire éclosion des sciences, au vingtième siècle, et l’ampleur de la mondialisation des échanges économiques. Voyez à quel point la définition de mesures communes « à tous les temps, à tous les peuples » a rendu ces échanges possibles et fluides. Vous comprenez, maintenant, où était le véritable projet révolutionnaire ? Il ne résidait ni dans la prise de la Bastille, ni dans l’exécution du Roi, des épisodes violents comme il y en eut tant, dans l’histoire. Car le geste le plus important pour la suite, ce fut aussi le plus discret, et celui qui manifesta le plus simplement et de la façon la plus élémentaire la raison universelle, dont la France était la dépositaire : la définition du système métrique. Tout cela s’est joué à un niveau profond, en-deçà des rivalités. Et ce fut un projet pour le monde entier ! Néanmoins, une fois l’enthousiasme passé, les pesanteurs étaient toujours là : il fallut attendre plus de trois-quarts de siècle, pour qu‘en 1875, la Convention internationale du mètre fût adoptée (23). Monnaies C’est le même texte qui, pendant la Révolution française, institue les nouveaux poids, mesures et… « monoyes » : la monnaie n’est-elle pas, aussi, une référence de mesure ? Assurément, mais c’est une référence particulière, une sorte de joker qui permet d’évaluer n’importe quoi avec cet instrument de mesure fluctuant qu’est le marché. Son histoire remonte à l’Antiquité mésopotamienne. Les premiers courants d’échange, le long de la future « Route de la soie », sont payés avec des morceaux de métal : de l’or, de l’argent ou un alliage des deux, appelé « électrum ». Au VIe siècle avant J.-C., les échanges se sont intensifiés et les fraudes se multiplient. Non seulement le poids est falsifié, mais la teneur en or des lingots est trafiquée. C’est alors que les pouvoirs s’en mêlent. En contrepartie d’un peu du précieux métal, ils « frappent » des pièces à leur effigie afin d’en garantir la qualité, en prenant l’engagement de poursuivre les fraudeurs (24), Alyatte, roi de Lydie, et son fils Crésus sont les inventeurs de cette intrusion du pouvoir dans la certification des monnaies - une invention vite reprise, en Perse, par les empereurs Achéménides et restée en vigueur jusqu’au vingtième siècle, où les Etats continuent à poursuivre les faux-monnayeurs. La certification des monnaies par les pouvoirs ayant pris petit à petit le dessus sur leur poids de métal, leur réalité physique a été de plus en plus négligée. La monnaie s’est retrouvée sous la forme de morceaux de papier (les « billets » (25), relativement peu falsifiables) puis de simples données inscrites, quelque part (26) dans des mémoires électroniques. Ainsi, très progressivement, sous la pression incessante des intérêts des marchands, la monnaie est devenue un scandale métrologique : une référence universelle (27) mais sans étalon ! -, avec un instrument de mesure fluctuant, imprécis et – surtout influençable : le marché. Les dates les plus importantes de l’évolution monétaire se situent au vingtième siècle. Dans un premier temps, après la Seconde guerre mondiale, les accords de Bretton Woods instituent les monnaies nationales comme instruments d’échange, à condition qu’elles soient convertibles en or. Puis, dans un second temps, le président Nixon, le 15 Août 1971, refusant la demande de la France de convertir 4 milliards de $, désindexe le dollar de l’or. Pour mesurer l’ampleur de la dérive depuis cette date, il suffit de regarder les chiffres. Le cours officiel de 1971, le même depuis les accords de Bretton Woods d’après-guerre était de 35 dollars l’once d’or. Savez-vous quel est le cours de l’once d’or à la fin de l’année 2009 ? (28) 1 100 dollars (29) ! En outre, pendant la seconde moitié du XXe siècle, une manœuvre, lente et subtile, a évincé les Etats et permis aux banques de redevenir les véritables créateurs de monnaie (30), en même temps que les dépositaires des avoirs de tous les agents économiques : des particuliers, des entreprises, des ONG et même… des Etats ! Glissement du pouvoir Les Etats se trouvent, tels des entreprises, dans l’obligation d’équilibrer leurs recettes et leurs dépenses (31). S’ils manquent à cette obligation, les agences de notation financières les rappellent à l’ordre en dégradant leurs notes (32). Par contre, lorsque les banques se livrent à d’incroyables turpitudes (33), comme c’est le cas de la finance anglo-saxonne depuis les années 90, les Etats leur portent secours au moyen de fonds empruntés… aux banques ! Celles-ci sont donc devenues un acteur incontournable dont émanent à la fois les questions et les réponses. Or, le pouvoir appartient, précisément, à celui qui fait à la fois les questions et les réponses. L’on se souvient de cette phrase, prononcée par Marlon Brando dans « Le Parrain » : « Je vais lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser »… Elle constitue la définition la plus claire qui soit de la relation maffieuse. C’est l’antithèse du libéralisme, puisque l’un des deux partenaires n’a plus de liberté de choix. Ainsi, subrepticement, en une vingtaine d’années, le libéralisme a dérivé vers un capitalisme qui, tout en conservant des apparences fort dignes, exerce un pouvoir d’essence maffieuse… Sans doute, d’un point de vue éthique, on peut trouver abusif que la mémorisation des avoirs des citoyens, qui est une fonction quasi notariale, soit confiée à des organisations si peu encadrées qu’elles utilisent à leur propre profit les fonds des déposants. Mais l’évolution de l’histoire suit rarement un cheminement éthique : à chaque changement de système technique, que ce soit au Moyen Age européen, aux XIIe et XIIIe siècle ou lors de la révolution Industrielle des XVIIIe et XIXe siècle, « l’accumulation primitive » du capital (34) s’est faite au moyen de prélèvements illégitimes - ceux des pouvoirs « banaux », au Moyen Age, puis ceux des fermiers receveurs et des fermiers généraux, au siècle des Lumières (35). C’était, dans les deux cas, de l’argent public détourné et « une offre qu’on ne pouvait pas refuser ». Au règne des armées avait succédé celui des bureaucraties ; alors pourquoi pas, aujourd’hui, celui des banques ? Il n’y aurait donc pas à s’étonner de cette nouvelle concentration de pouvoir, qui est mondiale et s’impose aux Etats d’une manière illégitime, si l’on considère que la seule légitimité acceptable procède d’élections au suffrage universel. Néanmoins, la prospective ne se contente pas de constater les rapports de force. Elle tient compte aussi des conditions objectives, lesquelles évoluent. D’ailleurs, si le pouvoir des financiers a pu se déployer mondialement avec une telle rapidité, c’est par l’effet d’un changement des conditions concrètes dû à l’infrastructure de communication, qui permet aux avoirs de circuler à la vitesse de la lumière tout autour de la planète. Or, cette infrastructure continue à se déployer : en 2025, plus des deux-tiers de l’humanité auront accès à Internet (36) ; elle dépassera alors largement les milieux professionnels. Elle touchera directement le grand public, lequel cherchera inévitablement à contourner l’emprise des financiers. Par Internet, le public pourra mettre les marchands en concurrence. Par la création de monnaies complémentaires (37) sur Internet ou même avec de simples téléphones portables(38), il pourra mettre les financiers en concurrence et, en cas de difficulté ou de crise, se passer de leurs services. Sécurité globale (39) D’autre part, l’épuisement des ressources naturelles et la mise en danger de très nombreuses espèces animales et végétales sont d’autres conditions objectives qui interpellent la philosophie et les présupposés de l’action. L’homme ne pourra plus se penser comme un exploitant, « maître et possesseur de la nature ». Si la sécurité globale, voire la survie de l’espèce humaine sont suspendues au bon état de la nature, il sera bien obligé d’en devenir le gardien et de modérer ses appétits en conséquence. Dès lors, les valeurs évolueront : Le déséquilibre introduit dans la nature s’achèvera nécessairement par un retour aux grandes lois de la vie. Les crises nous obligent à nous interroger sur les fondements (40), celle-ci plus que tout autre. La réalité, lorsqu’elle devient dure, stimule notre intellect, qu’une longue période de laisser-faire avait amolli, voire anesthésié : rien ne peut, alors, échapper à la redéfinition. La question de la sécurité est celle qui devrait évoluer le plus rapidement, et ce, de manière fondamentale. Depuis cinq millénaires, l’essentiel de la sécurité (et souvent, aussi, la légitimation du pouvoir) a été assuré par les forces armées. Cette période est faite de conquêtes, autrement dit de pillages, et de pouvoirs s’appuyant sur une force militaire protégeant ‘sa’ population contre les pillards. Mais, pour la première fois dans l’histoire, cette question de la sécurité se pose globalement, à l’échelle planétaire, et elle concerne l’humanité tout entière. Les innombrables conflits internes à l’espèce humaine, considérés constituer l’essentiel de l’histoire, vont sans doute devoir passer au second plan. Les techniques qu’il faudrait déployer pour protéger et enrichir la nature sont connues. Elles sont d’abord d’ordre métrologique. Par exemple, la surveillance par satellite peut détecter des objets de dimension inférieure au mètre et analyser des longueurs d’onde situées bien au-delà du spectre visible, ce qui permet de connaître l’état de santé des écosystèmes et les intrusions nocives. Mais ces moyens ne sont pas déployés à une échelle opérationnelle, c’est-à-dire permettant une vigilance permanente en temps réel, car l’attention du public, des médias et des politiciens continue à être attirée par d’anciens enjeux. Une conscience planétaire est en train de naître, mais elle ne s’impose pas encore aux intérêts particuliers. Voyons la manière dont s’établit une conscience collective... Individuation et conscience La question de la conscience comme individuation a été abordée par Gilbert Simondon (41). En introduisant au niveau ontologique la notion d’individuation, il place, en amont de l’individu, un processus. Voici ce qu’il en dit : « En un mot, qu’est-ce qu’un individu ? A cette question, nous répondrons qu’on ne peut pas, en toute rigueur, parler d’individu, mais d’individuation : c’est à l’activité, à la genèse qu’il faut remonter, au lieu d’essayer d’appréhender l’être tout fait pour découvrir les critères au moyen desquels on saura si c’est un individu ou non » Ce faisant, Simondon rejoint un courant philosophique, celui d’Henri Bergson, déjà esquissé chez les présocratiques. Ce courant perçoit le mouvement comme antérieur à toute identité permanente, si tant est qu’une telle identité existe bien. Simondon s’interroge à juste titre sur l’individuation chez les insectes sociaux : qu’est-ce qui peut être qualifié d’individu : l’abeille ou la ruche ? Ou encore, chez les éponges ou les récifs coralliens, dont la reproduction ne se fait pas d’individu à individu, mais par transformation d’un même être, quasi immortel, dont une partie meurt pendant qu’une autre se développe. Ces références biologiques évoquent la vie des institutions. Le processus instituant par lequel une innovation donne naissance à une institution nouvelle (par exemple, à une entreprise) puis sa structuration autour des nécessités productrices peuvent être vues comme des phases d’un processus d’individuation, aboutissant à la construction d’une permanence résistant au changement. Le résultat de ce processus, qui ressemble à la formation des organes lors du développement de l’embryon, est donc un individu collectif. Cet être instituant, puis institué, est construit par les humains, plus ou moins volontairement (plus ou moins consciemment, aussi). Il habite aussi les humains, au sens où un acteur est habité par son rôle. Cette présence de l’institution dans les personnes peut même aller jusqu’à des formes de possession, au sens que les sorciers donnent à ce mot. Néanmoins, l’espèce humaine semble, plus que d’autres espèces, pratiquer la multiappartenance, ce qui est de nature à tempérer ces fonctionnements possessifs. Les individus sont souvent membres de plusieurs institutions simultanément : une famille, une entreprise, une communauté professionnelle ou syndicale, un mouvement politique, des associations, etc. Bien que l’individualisme ait inspiré depuis deux siècles la plupart des théories de l’évolution, allant jusqu’au fantasme du « gène égoïste » de Williams [1966] et Dawkins [1976], sans parler de la soi-disant « théorie des mêmes », on ne peut nier l’individuation collective, qui a donné naissance aux institutions que nous connaissons. Peut-on aller plus loin et imaginer une individuation planétaire ? Peutêtre, sous la pression d’un danger global, qui rende tous les humains solidaires… Encore faudrait-il qu’ils en soient conscients. Au-delà du laxisme capitaliste Consommer en préservant l’écosystème, cela ne demande nulle invention nouvelle (42) : on sait faire de l’agriculture biologique productive ; on sait faire des réserves de biodiversité ; on sait faire des bâtiments qui ne consomment pas d’énergie (et qui, même, en captent…) ; on sait faire des sources d’électricité (solaire, éoliennes, vagues…) qui ne consomment pas de ressources non-renouvelables et n’émettent pas de gaz à effet de serre ; on sait même faire des transports aériens consommant très peu d’énergie : les dirigeables !... Mais ces techniques ne se développent que très lentement, comparé à ce qui serait nécessaire à la sauvegarde de la nature. Non que l’on manque de bras : le nombre des chômeurs est considérable et il ne cesse de s’accroître, ce qui signifie qu’une force de travail importante est disponible. Au lieu de s’attaquer à ces vrais problèmes, la finance s’épuise en manipulations stériles. Dès lors, l’idéologie capitaliste, qui domine le monde depuis les années 90, apparaît comme un alibi laxiste à une mauvaise gestion des ressources humaines et matérielles de notre planète. Bien plus, les menaces pesant sur les équilibres naturels sont souvent le résultat d’une activité économique débridée et irresponsable, menée par des compagnies sans scrupule qui n’hésitent pas à employer des mercenaires (43) pour éliminer les obstacles à leur exploitation. Face à ce genre d’initiative, le recours aux forces armées classiques s’imposera. Encore faut-il que ce recours soit adossé à des décisions de justice en bonne et due forme. Les dangers que signalent les scientifiques au sujet du climat (et plus encore de la biodiversité et de l’épuisement des ressources) sont désormais bien connus ; ils concernent tous les pays. L’urgence d’actions planétaires dans les dix années qui viennent est devenue évidente. Les participants à Copenhague et Davos l’ont dit, mais sans en tirer les conséquences. Sans doute de telles actions sont-elles au-delà du système des Etats-Nations (44). Plus précisément, elles impliquent au minimum une charte planétaire de protection de la nature, un système judiciaire international ayant pour mission de juger des infractions à cette charte et une force armée (45), bras séculier faisant mettre à exécution ces décisions de justice (46)… et, surtout, comme socle de la conscience, une métrologie de l’état de la planète, dont les résultats soient accessibles et rendus intelligibles pour tous, via Internet. Reste la cause profonde des errements actuels : le scandale métrologique que constituent le système monétaire et les marchés financiers qui lui sont associés. Car, si le comportement des acteurs économiques aboutit globalement à un débordement d’activités absurdes et périlleuses, la cause ne doit pas en être cherchée dans leurs intentions, mais dans le système qui crée un champ de forces engendrant inévitablement de tels comportements. La mondialisation s’est développée, comme il a été dit, grâce au système métrique. Elle s’est aussi accompagnée d’une mondialisation monétaire, avec un flux spéculatif énorme, des bulles à répétition (on dénombre ainsi non moins de 176 crises depuis 25 ans !) et un prix de l’heure de travail qui varie d’un pays à l’autre dans des proportions défiant le bon sens. Face à ces aberrations, certains imaginent une monnaie véritablement mondiale (47). D’autres, s’inspirant de l’analyse de système, pensent à une multitude de monnaies, dont le grand nombre, à l’image de la biodiversité, stabiliserait l’économie (48). Ces deux voies, qui correspondent à deux niveaux d’individuation différents, sont d’ailleurs complémentaires entre elles. D’une part, depuis la Seconde guerre mondiale et, plus encore, depuis l’ouverture des pays de l’Est, à la fin des années 80, il est de bon ton de faire comme si l’aboutissement de l’évolution était inévitablement un monde unifié de libre-échange gouverné par les marchés. On sait maintenant que cela mènerait à la catastrophe. D’autre part, en observant l’Histoire, on voit aussi, non pas une évolution à sens unique, mais comme un mouvement de balancier séculaire entre des périodes d’économie marchande et des périodes d’économie administrée. L’histoire de la Chine, celle de la Mésopotamie, celle de la Méditerranée, celle de l’Europe depuis le haut Moyen âge aussi, montrent de telles oscillations. Le scénario standard est le suivant : l’activité marchande met un certain temps, de l’ordre du siècle, à se déployer ; elle croît, puis elle devient envahissante et abusive, à force d’arnaques et de désinformation. Alors, de nouveaux pouvoirs se lèvent, qui reprennent les choses en main. D’ailleurs, les réalisations du passé que nous admirons le plus, en Egypte, en Inde, en Chine, en Iran ou à Rome ont été le fait d’économies administrées, impériales ou pharaonique. L’estime que nous portons aux œuvres du passé est donc en contradiction avec l’idéologie du libre-marché et de la « fin de l’Histoire » (49)… Conscience prospective Il n’est pas exclu que la maturation des consciences soit assez rapide. Pourquoi cela ? La réponse tient en un mot, un seul : Internet… (avec les outils de communication qui lui sont associés, portables notamment). Pourquoi Internet ? En référence à l’évolution culturelle observée au XVIIIe siècle par Augustin Cochin et Roger Chartier : le constat de la désadaptation. Les structures anciennes n’avaient plus de sens ; elles ne correspondaient plus aux problèmes de l’époque. La classe dirigeante, voyant que la situation lui échappait, déposa les armes. Internet est aussi une implosion de communication, planétaire, cette fois, d’une rapidité et d’une ampleur bien supérieures à celle des Etats Généraux. Il est donc logique de supposer qu’il produira des effets comparables, mais, cette fois-ci, à la dimension des enjeux du troisième millénaire. Alors, quelle réponse donner à la question : « A quoi sert la prospective ? » Actuellement, à rien ! Mais quand la conscience planétaire sera éveillée, la prospectives servira à tout, notamment à concevoir le dispositif dont il vient d’être question, lequel, vu par un adolescent, peut donner sens à une vie. Il ne faut pas se dissimuler l’ampleur de la mutation qu’inspirera la raison ; elle touchera aux fondements du contrat social, au socle philosophique implicite des comportements. A titre d’illustration, le tableau suivant esquisse les valeurs anciennes, celles de la civilisation industrielle, en comparaison des valeurs nouvelles de la civilisation dite « cognitive » en gestation, inspirée par la logique du vivant et répandue par le nouveau système de communication : Civilisation industrielle Domination Conquête Performance Civilisation cognitive Empathie (50) Individuation (51) Résilience (52) Si l’on suit cette orientation, le signe de la richesse ne sera plus l’appropriation ni la consommation ostentatoire, mais, au contraire, le don fait à la vie. Cette prospectivelà anticipe une nouvelle révolution, mondiale cette fois, concernant, d’une part, la nature et, d’autre part, les monnaies, et s’appuyant sur une discipline métrologique. Thierry GAUDIN Ingénieur Général des Mines, Docteur en Sciences de l’information et de la communication, Président de « Prospective 2100 », rapporteur du groupe « Le Monde en 2025 » pour la DG Recherche de la Commission européenne. http://gaudin.org - http://2100.org NOTES : (1) Non pas au sens de Popper, mais selon la vision de Claude Kordon : voir Claude Grignon, Claude Kordon : Sciences de l’homme et sciences de la nature. Essais d’épistémologie comparée, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009. (2) Allusion au livre Inner Vision du neurologue anglais Semir Zeki, tentative de synthèse entre la neurophysiologie et la perception artistique. (3) Jean Piaget, La Construction du réel chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, 1950. (4) Tel que le décrit Alain Berthoz, Le Sens du mouvement, op. cit. (5) Sauf peut-être certaines personnes atteintes d’une lésion du cerveau droit. Voir « L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau », d’Olivier Sachs. (6) Rudolph Arnheim, La Pensée visuelle. (7) Ramachandran, Le Fantôme intérieur, Odile Jacob. (8) C’est, entre autres performances, ce qui nous permet de lire rapidement. Voir Stanislas Dehaene, « Les Neurones de la lecture », Odile Jacob. (9) François Furet, « Penser la Révolution française », Folio Histoire, Gallimard, 1978. (10) Mais « les acteurs ne savent pas l’Histoire qu’ils font ». (11) Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Points Seuil, 1990, 2000. (12) Notamment les loges maçonniques. (13) On peut se demander, en effet, si le fond de l’inspiration révolutionnaire est celui de Rousseau (Le Contrat social), comme on le croit souvent, ou celui de Montesquieu (L’Esprit des lois). (14) Voir la thèse de Marie-Ange Cotteret, dans laquelle apparaît aussi le rôle de Talleyrand dans l’adoption d’un système métrologique inspiré de la Science. (15) Le premier envoi date du 21 novembre 1783 ; c’était une montgolfière (donc à air chaud) avec Jean-François Pilâtre de Rozier et le Marquis d’Arlandes à bord. Mais Louis XVI avait demandé que ce soit discret, à cause du risque. Le second envol dont il est question ici, le 1er décembre, était un ballon à hydrogène, avec à bord le physicien Charles et son assistant Robert. Ce fut un succès à la fois scientifique et médiatique. Charles fut convié à l’Académie des Sciences pour décrire l’expérience… et les calculs du lieutenant Meunier, qui avait prévu l’altitude de l’envol, avaient enthousiasmé l’assistance : la pensée anticipatrice trouvait son aboutissement dans le calcul ! (16) Voir http://smdsi.quartier-rural.org/histoire/18germ_3.htm : le décret instituant le système métrique. (17) Pour un récit plus détaillé, voir « Le Mètre du monde », de Denis Guedj. (18) Le mètre fut alors défini comme la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre et un étalon de référence fut construit, en platine iridié, un matériau à faible dilatation (que l’on conserve au Pavillon de Breteuil, à Sèvres). (19) Voir le livre « A tous les temps, à tous les peuples » des Anciens du Service des Instruments de Mesure, publié sur le site http://metrodiff.org (20) D’autres références sont venues depuis lors se substituer au méridien : la raie spectrographique du krypton, puis le parcours de la lumière dans le vide. Elles ont le mérite d’une meilleure précision et d’être aussi valables dans l’espace, au-delà de la Terre, de notre système solaire ou de notre galaxie. Néanmoins, ce sont les mêmes principes scientifiques et idéologiques que ceux de la Révolution qui ont présidé à ces choix. (21) Objectif repris par la Charte des droits de l’enfant de l’Unesco. (22) Ces considérations donnent la mesure de l’erreur que fut, dans les années 80 et jusqu’à récemment, la négligence de la métrologie et de la protection du consommateur. Selon un adage bien connu : « Il n’y a pas de grande cuisine sans gastronomes », la compétence du producteur s’adapte à celle de l’usager. C’est donc cette dernière qu’il aurait fallu renforcer. (23) Par des pays qui d’ailleurs étaient en guerre. Les anglo-saxons ont maintenu des réticences ; ce peuple semble fonctionner, en effet, depuis des siècles, en référence à des clans et à des clubs. Il lui faut un langage codé. C’est pourquoi, même après avoir accepté le raccordement au système métrique, il a tenu à conserver le nom de ses anciennes unités, ce qui nous vaut l’absurdité d’écrans d’ordinateur dimensionnés en pouces et de parfums vendus à l’once ! (24) On interprète souvent l’expression « battre monnaie » comme un « pouvoir régalien » d’émettre – de créer – de la monnaie. C’est un contresens ! Les pouvoirs publics sont supposés certifier l’authenticité des instruments d’échange, par exemple en frappant des pièces (d’où l’expression « battre monnaie »). Ils sont aussi supposés ne pas créer de monnaie supplémentaire, les recettes fiscales devant être, en principe, égales aux dépenses publiques. S’ils en créent, néanmoins, c’est en dérogation, par des « déficits budgétaires » placés sous surveillance et non par une « émission » libre de monnaie. (25) Une invention chinoise. (26) Savez-vous dans quelle machine se trouve mémorisé votre compte en banque ? Moi non plus ! (27) Du moins, en ce qui concerne les prétentions du dollar américain. (28) Faites-en l’expérience : posez la question à vos amis... (29) Il est assez plaisant de voir comment l’optimisme revient à la presse financière dès que les bourses remontent, alors que, vu les injections massives de liquidités, on pourrait aussi bien interpréter cette remontée comme une baisse de la valeur réelle des monnaies... (30) Comme à l’époque où dominaient Venise et les banquiers lombards et hollandais. (31) En Europe, par les contraintes du traité de Maastricht ; dans le reste du monde (sauf aux Etats-Unis !), sous la pression du Fonds Monétaire International. (32) Et en le faisant savoir : ces agences, qui ont partie liée avec les banques, défendent l’hégémonie du dollar. C’est pourquoi le cas de la Grèce a été bien plus médiatisé que celui des Etats-Unis. (33) La crise des subprimes résulte d’une entourloupe mathématique consistant à faire comme si des variables aléatoires étaient indépendantes, alors qu’elles ne l’étaient évidemment pas et ce, malgré les avertissements de plusieurs grands mathématiciens, dont Mandelbrot. (34) Je reprends ici la formulation de Marx. (35) Epoques où le prélèvement de l’impôt était privatisé. Notre temps organise aussi la privatisation des prélèvements obligatoires : péages autoroutiers, eau, électricité, téléphone et autres consommations « inélastiques », particulièrement appréciées des investisseurs ! (36) En 2009, ils sont déjà 25 %. (37) Une ingénierie des monnaies complémentaires, telle celle développée par Bernard Lietaer, permet en plus de mieux faire coïncider les intérêts particuliers avec l’intérêt général. Voir son livre « Monnaies régionales », aux éditions CharlesLéopold Meyer, et son site http://lietaer.com (38) Ces pratiques risquent de se développer d’abord dans les pays peu « bancarisés », en Afrique par exemple, et de revenir, ensuite, vers les pays dits développés. (39) Voir le rapport rédigé en 2008 pour la Commission européenne : The World in 2005, A Challenge to Reason, http://2100.org/World 2025.pdf (40) Ce fut le cas lors de la première crise pétrolière des années 70. Puis, lorsque le prix du pétrole ayant rebaissé, la somnolence reprit le dessus. (41) Gilbert Simondon, « L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information », Jérôme Million, 2005. (42) Voir le livre de Danièle Bretelle Desmazières, « Terre 2100 », qui fait la synthèse du séminaire tenu à l’Ecole des Mines sur ce sujet en 2007 et 2008. (43) On retrouve là les caractéristiques du capitalisme maffieux, maintenant présent sur tous les continents. La dévastation de l’Amazonie, plus grande forêt tropicale du monde, s’effectue selon ce processus. (44) Le concept d’Etat Nation est récent. Il date du traité de Westphalie (1648), qui avait pour objectif de terminer la période des guerres de religion en donnant à chaque Etat la responsabilité de régler le problème séparément sur son territoire. (45) Sans doute l’ex-Otan, comprenant en plus, évidemment, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde et le Brésil. (46) Ce qui aura aussi pour effet de restaurer la noblesse du métier des armes, lequel fut par le passé trop souvent dévoyé dans le pillage et trop proche des fonctionnements maffieux. (47) Collective (comme l’euro), et non impériale (comme le dollar). (48) Voir notamment le travail de Bernard Lietaer, Monnaies régionales, éditions Charles-Léopold Meyer. (49) Allusion à l’ouvrage de Francis Fukuyama : « La Fin de l’Histoire et le dernier homme », Flammarion, 1993. (50) Voir « L’Empathie », d’Alain Berthoz et Gérard Jorland, éd. Odile Jacob. (51) Voir « L’Individuation psychique et collective », Gilbert Simondon, Aubier. (52) Voir, sur le site de Bernard performance/résilience d’Uranowicz. Tableau 1 Thierry Gaudin Lietaer [http://lietaer.com] l’analyse