CRISES : A QUOI SERT LA PROSPECTIVE ?
La compréhension du désarroi dont les institutions semblent affectées face
aux crises (financières et écologiques) demande une analyse, plus profonde,
faisant appel aux neurosciences et à l’histoire. C’est en relisant différemment
l’histoire de la Révolution française (notamment le rôle joué par la métrologie
et les monnaies) que l’auteur espère libérer les conditions de l’élaboration
d’une prospective utile et opérationnelle, face aux défis contemporains.
En ce milieu des années 2010-2020, point culminant de l’indécision mondiale, les
négociations sur le climat et le forum de Davos n’ont abouti à rien de précis. La
COP21 déclare qu’il faudrait faire quelque chose et Davos, nostalgique, rêve d’un
retour à la prospérité passée. Aucune vision de l’avenir ne semble les avoir inspirés.
Les seuls éléments nouveaux sont les attentats qui, à mon avis, signalent un
problème bien plus profond.
Dans les périodes de rupture, quand l’avenir s’annonce très différent du passé, les
représentants officiels, tant des Etats que du monde économique, ne peuvent se
permettre l’audace nécessaire. La prospective du 21e siècle n’est pas dans leur
registre.
Seul un vrai travail intellectuel allant au-delà des jeux d’intérêts peut dégager les
fondements d’une nouvelle vision.
La prospective commerciale (celle qui se vend aux institutions sous le nom de
« conseil en stratégie ») a développé des méthodes : l’identification des « variables »
pertinentes, l’analyse de leurs interactions puis la construction de « scénarios » en
sont les étapes le plus familières. Mais, en définitive, il ne s’agit que de faire travailler
ensemble des acteurs comme, par exemple, les différents services d’une même
entreprise.
C’est une démarche utile, qui réduit la dispersion des initiatives. Néanmoins, les
sources restent en général limitées à ce que connaissent les participants, consultants
inclus, et fortement marquées par les idées qu’ils se font de l’évolution du monde.
C’est donc un mélange tenant à la fois de l’enquête d’opinion, des constats factuels
et des intérêts des acteurs. Dans de telles conditions, il arrive souvent que les
représentations de l’avenir soient teintées d’optimisme, à l’image du wishful thinking
anglo-saxon, rebaptisé en l’occurrence « pensée positive ».
Or, dans le contexte actuel, l’hypothèse selon laquelle l’espèce humaine maîtriserait
la situation, et que le monde, la nature et les ressources ne feraient que se
conformer à ses désirs, semble loin d’être vérifiée. Nous serions plutôt dans une
époque où les désirs devront s’adapter à la réalité, notamment aux limites de la
planète. C’est peut-être aussi pour cette raison que Davos et la COP21 ont été si
peu productifs.
La génération au pouvoir, qui a grandi après la Seconde guerre mondiale, a entendu
dire, dans son adolescence : « Prenez vos désirs pour des réalités ». Sans doute, les
désirs sont des réalités ; mais ce ne sont pas les seules…
Dès lors, est-il quand même possible de se donner pour projet de faire entrer la
prospective dans le champ des disciplines scientifiques (1) en la débarrassant des
vœux qui l’encombrent. En d’autres termes ; pouvons-nous espérer objectiver la
connaissance de l’avenir ?
La pensée anticipatrice
Je propose que nous nous appuyions sur une base plus solide - celle des
neurosciences contemporaines. Avant d’imaginer l’avenir, je suggère que nous nous
interrogions sur ce que nous savons du présent et du passé, ce qui nous renvoie aux
fondements-mêmes de la connaissance : quelle est la pertinence de l’image
neuronale de la réalité ?
Ce que l’on appelle ‘pensée’ est une fonction des êtres vivants, et donc un produit de
l’évolution biologique. Autrement dit, si la sélection naturelle favorisait les êtres qui
ne pensent pas, alors ceux qui pensent n’auraient pas survécu et il n’y aurait pas
d’êtres pensants. La pensée joue un rôle dans l’évolution ; ce rôle est très facile à
comprendre. La pensée permet aux individus de « se préparer à » ce qui risque de
leur arriver et, donc, d’explorer en imagination les possibles et les liens existant entre
eux, et de comprendre (au sens étymologique de ‘prendre ensemble’) les intentions
et les mouvements.
Je proposerai, même, d’aller jusqu’au bout de cette logique et de prendre comme
définition de la pensée « le processus par lequel un être individué se prépare à… ».
La pensée est donc ontologiquement anticipatrice. Donc, la prospective se présente
comme un accomplissement (collectif ou non) de la pensée. Mais, plus précisément :
qu’est-ce que la pensée ? C’est un mouvement des neurones…
La vision du dedans (2)
Si l’on regarde le monde, non plus du dehors, mais du dedans, il n’est plus composé
d’objets fixes qui se mettent en mouvement : il est fait de mouvements engendrant
une impression de fixité.
Cette perception de la conscience est une manifestation centrale de la pensée
anticipatrice. Jean Piaget, dans le premier chapitre de son ouvrage « La construction
du réel chez l’enfant (3) », l’explique à partir de ses observations de nouveaux nés :
« La première question qu’il convienne de se poser, pour comprendre comment
l’intelligence naissante construit le monde extérieur, est de savoir si, durant les
premiers mois, l’enfant conçoit et perçoit les choses, comme nous le faisons nousmêmes, sous forme d’objets substantiels, permanents et de dimension constante ».
Après avoir décrit quelques-unes de ses observations, il précise : « Ces faits […]
nous montrent que les débuts de la permanence attribuée aux tableaux perçus sont
dus à l’action-même de l’enfant, en l’occurrence aux mouvements
d’accommodation […] Dans un second stade, l’enfant ne cherche plus seulement à
retrouver l’objet là où il l’a déjà perçu auparavant, il le recherche en une place
nouvelle. Il anticipe donc sur la perception des positions successives du mobile et
tient compte, en un sens, de ses déplacements».
En observant comment le nouveau-né donne existence aux choses, Piaget, sans en
avoir l’air, repositionne la question de l’être, qui taraude les philosophes depuis
Parménide. C’est, en effet, l’expérience de la répétition qui rend prévisibles les
choses et qui, donc, permet à notre simulateur neuronal de leur donner une
existence : cette chose existe parce que j’anticipe la perception que j’en aurai si je
tourne autour. Bien plus, dès la naissance, les messages des six sens sont
automatiquement et involontairement mis en relation : la vue, le toucher, l’odorat, le
goût, l’ouïe et le sixième sens, celui du mouvement (4).
Si je poursuis mon raisonnement en me demandant pourquoi cet enfant est doté de
reconnaissance, qu’est-ce qui, dans l’évolution, a pourvu nos ancêtres de telles
facultés, je trouve que cette performance remarquable - la construction des invariants
- est, en réalité, une faculté d’anticiper le résultat des mouvements. Et cette
anticipation est évidemment nécessaire à la survie.
Les neurophysiologistes ne manquent pas de nous rappeler à quel point cette
reconnaissance anticipatrice est approximative. Koch et Kandel affectionnent
l’exemple suivant :
Dans les dessins ci-dessus, chacun (5) reconnaît des triangles, alors qu’il n’y en a
pas. « La vision, au lieu de se contenter de la partie visible, complète l’objet. Une
boîte partiellement dissimulée par un pot de fleurs, par exemple, est perçue comme
un cube complet, en partie caché… De même, on perçoit souvent les objets comme
complets dans leurs trois dimensions, alors que seule leur partie frontale s’offre
directement au regard… La vue, normalement, a affaire à plus d’un ou de deux
objets à la fois. Dans la plupart des cas, le champ visuel est surchargé et ne se
soumet pas à une organisation intégrée de l’ensemble.
Dans une situation typique de la vie quotidienne, une personne se concentre sur
certaines zones ou certains détails particuliers ou sur quelques caractéristiques
générales, tandis que la structure du reste demeure rudimentaire et floue… La
luminosité et la couleur d’un objet dépendent en partie de la luminosité et de la
couleur de la source qui l’éclaire, ainsi que de la position de l’objet dans l’espace par
rapport à la source lumineuse et à l’observateur (6) ». Néanmoins, le cerveau arrive
à reconnaître les formes et les couleurs, malgré la diversité des apparences qui sont
présentées à la vue. On peut dire que l’on perçoit, certes, avec l’œil, mais que c’est
avec le cerveau que l’on « voit ».
Celui-ci, d’ailleurs, ‘apprend à voir en voyant’. Si l’on empêche un chaton de voir
pendant les douze premières semaines de sa vie, il ne peut plus apprendre à voir,
car ses connexions neuronales se sont structurées en l’absence de vision. Ainsi, ce
qui se déroule pendant le premier âge n’est pas l’expression d’une reconnaissance
innée, mais un programme d’apprentissage de la reconnaissance, qu‘il est
impossible de réactiver si cet apprentissage n’a pas eu lieu.
Par ailleurs, Vilayanur Ramachandran (7), professeur de neurosciences à San Diego
a exploré la faculté de reconstruction de la réalité. Il a étudié des personnes qui,
ayant été amputées d’un membre, ont la perception que leur membre manquant est
toujours là. Il a observé que ces sensations imaginaires mobilisaient les neurones qui
desservaient, avant l’amputation, ce membre disparu – des neurones qui pouvaient
être influencés par les neurones voisins.
Jean-Claude Ameisen cite le cas de jeunes aveugles de naissance qui mobilisent
leurs aires corticales visuelles (et non pas celles du toucher) pour lire le braille et de
jeunes sourds de naissance qui mobilisent leurs aires auditives pour « entendre » le
langage des signes. Ainsi, dit-il, « des enfants aveugles ‘’voient ‘’ par l’intermédiaire
de leurs doigts et des enfants sourds ‘’entendent’’ par l’intermédiaire de leurs yeux ».
Nous percevons donc ce que nous avons déjà en mémoire (8) avant,
éventuellement, de vérifier la justesse ou le degré d’approximation de notre
perception. Les exigences de la survie de nos ancêtres ont sans doute privilégié
l’alerte rapide et approximative sur l’adéquation, celle-ci demandant un travail
d’ajustement ultérieur, un travail qui, à son tour, transforme les réflexes d’alerte.
Ces observations nous amènent à accepter la distance considérable entre la
« réalité » et l’image neuronale que nous en avons. Néanmoins, la reconnaissance
(aussi imparfaite soit-elle) est la seule voie de connaissance que nous ayons à notre
disposition. Ainsi se trouve revisité l’apologue de la caverne de Platon, dans le
premier chapitre de « La Construction du réel chez l’enfant », cet ouvrage de Piaget
que nous avons cité plus haut. Quelle est, dès lors, la légitimité de nos
représentations de l’avenir ?
Relire l’Histoire
Dès lors, il est en premier lieu légitime de poser la question : Qu’est-ce que la société
actuelle propose à la pensée anticipatrice d’un adolescent : cinquante ans de travail
subalterne dans un bureau, suivi de quinze ans à ne rien faire ? Quel est le sens
d’une telle vie ?
Pour suivre les rudiments épistémologiques rappelés ci-dessus, une démarche
s’impose : la relecture de l’Histoire. Comme le nouveau-né de Piaget, c’est en
tournant autour des réalités du passé qu’on peut espérer saisir la dynamique de leur
mouvement et ainsi anticiper l’avenir.
Prenons un cas, celui de la Révolution française. Quatre lectures différentes de ces
événements ont été analysées par François Furet (9) :
- celle de Jules Michelet, romantique et enthousiaste, adhérant pleinement au
discours révolutionnaire : libération de la tyrannie et de l’oppression. C’est
l’interprétation la plus répandue. Elle fait appel à l’empathie (10) ;
- celle d’Alexis de Tocqueville : un moment de cristallisation du processus séculaire
de centralisation administrative que la royauté avait déjà entamé - une centralisation
sans doute nécessaire au nouveau système industriel ;
- celle des historiens marxistes, notamment d’Albert Soboul, qui y voient le
remplacement de l’ancienne classe dirigeante (le clergé et la noblesse) par la classe
bourgeoise, dont l’influence s’était déjà considérablement accrue tout au long du
18e siècle. Cette bourgeoisie s’était construite en fonction du nouveau mode de
production industriel ;
- celle d’un historien moins connu, Augustin Cochin, à laquelle il faut ajouter le travail
récent de Roger Chartier (11) : ces auteurs insistent sur les « sociétés de pensée »
(12) et plus généralement sur la vie culturelle du 18e siècle. Le recul de l’illettrisme et
le développement de l’édition ont permis la formation d’une opinion publique.
Chartier ajoute la frustration d’une nouvelle classe de gens éduqués, surtout de
juristes (13) trop nombreux et ne trouvant pas d’emploi. Ils sont les principaux
rédacteurs des cahiers de doléances.
Ces quatre interprétations, bien étayées par des faits, décrivent chacune un aspect
de la réalité. Elles permettent de tourner autour de l’événement, comme le nouveauné de Piaget. J’y ajouterai cependant un élément supplémentaire, plus rarement
cité :
Il s’agit d’un niveau plus profond de rationalité, une incarnation de la raison si
évidente que l’on l’oublie, bien que l’on s’en serve tous les jours : c’est la métrologie.
Il faut relire les débats qui ont défini le système métrique décimal pour apprécier à
quel point celui-ci est l’expression des exigences de la raison.
L’on utilisait, à l’époque, des milliers de mesures différentes. Chaque marché local
avait sa « canne » étalon. Ceux qui voyageaient d’un marché à l’autre connaissaient
les conversions et ils en abusaient. Dans les cahiers de doléances de 1789, on
trouve près de deux-cents-cinquante fois la revendication qu’il n’y ait plus « deux
poids deux mesures » (14).
La fin du siècle des Lumières est fascinée par la Science. Les lois de Newton
prévoient avec une grande exactitude le mouvement des astres et la physique des
gaz donne aux hommes la faculté de voler : l’opinion en est saisie ; on évalue à
800 000 le nombre des spectateurs qui assistèrent, le 1er décembre 1783, au premier
envol d’un ballon à hydrogène (15). C’est dire l’impact de ces événements
scientifiques. L’idée d’un système plus rationnel est déjà là, bien avant que la
Révolution de 1789 eut éclaté.
Plus tard - en 1795 (16) - à l’Assemblée nationale, on pensa choisir pour étalon de
mesure la longueur d’un pendule battant la seconde. Mais les physiciens firent
observer que, malgré les avantages de ce choix (la portabilité de l’étalon), de légères
différences subsistaient : la gravité étant plus faible en montagne, l’étalon ne serait
pas tout-à-fait le même partout. Finalement (17), le choix se porta sur le méridien
terrestre (18). Pourquoi ? Parce que chaque être humain, où qu’il se trouve sur notre
planète, a un méridien sous les pieds. La formule « à tous les temps, à tous les
peuples » (19) dit clairement la volonté de structurer le quotidien par la raison
universelle (20), au regard de laquelle tous les hommes sont égaux dans l’accès aux
sciences et à la technique (21).
Nous ne sommes pas aussi habitués que cela à accorder de l’importance aux
questions concrètes. La définition des unités et l’étalonnage des instruments sont,
n’est-ce pas, des détails pratiques et subalternes, que les spécialistes se doivent de
régler au mieux… ? En réalité, c’est bien plus que cela : la métrologie est le langage
commun des sciences - en quelque sorte, le socle de la connaissance. Et, au cœur
de la métrologie se trouve le doute, car le concept central, celui qui mobilise l’activité
de mesure, c’est l’incertitude : la mesure est, en effet, une tentative toujours
inachevée de réduire les incertitudes.
La métrologie est aussi le langage commun des techniques. Sans métrologie
commune, la mondialisation des échanges serait impossible. Votre téléphone
portable contient des composants provenant de plus d’une dizaine d’usines
différentes. Si ces usines n’avaient pas les mêmes références métrologiques, ces
composants ne pourraient être assemblés. Donc, sans métrologie : pas de
téléphone, pas d’ordinateurs, pas de satellites, pas de télévision et pas de radio
(22) !
Considérez l’extraordinaire éclosion des sciences, au vingtième siècle, et l’ampleur
de la mondialisation des échanges économiques. Voyez à quel point la définition de
mesures communes « à tous les temps, à tous les peuples » a rendu ces échanges
possibles et fluides. Vous comprenez, maintenant, où était le véritable projet
révolutionnaire ? Il ne résidait ni dans la prise de la Bastille, ni dans l’exécution du
Roi, des épisodes violents comme il y en eut tant, dans l’histoire.
Car le geste le plus important pour la suite, ce fut aussi le plus discret, et celui qui
manifesta le plus simplement et de la façon la plus élémentaire la raison universelle,
dont la France était la dépositaire : la définition du système métrique. Tout cela s’est
joué à un niveau profond, en-deçà des rivalités. Et ce fut un projet pour le
monde entier ! Néanmoins, une fois l’enthousiasme passé, les pesanteurs étaient
toujours là : il fallut attendre plus de trois-quarts de siècle, pour qu‘en 1875, la
Convention internationale du mètre fût adoptée (23).
Monnaies
C’est le même texte qui, pendant la Révolution française, institue les nouveaux
poids, mesures et… « monoyes » : la monnaie n’est-elle pas, aussi, une référence
de mesure ? Assurément, mais c’est une référence particulière, une sorte de joker
qui permet d’évaluer n’importe quoi avec cet instrument de mesure fluctuant qu’est le
marché.
Son histoire remonte à l’Antiquité mésopotamienne. Les premiers courants
d’échange, le long de la future « Route de la soie », sont payés avec des morceaux
de métal : de l’or, de l’argent ou un alliage des deux, appelé « électrum ». Au VIe
siècle avant J.-C., les échanges se sont intensifiés et les fraudes se multiplient. Non
seulement le poids est falsifié, mais la teneur en or des lingots est trafiquée.
C’est alors que les pouvoirs s’en mêlent. En contrepartie d’un peu du précieux métal,
ils « frappent » des pièces à leur effigie afin d’en garantir la qualité, en prenant
l’engagement de poursuivre les fraudeurs (24), Alyatte, roi de Lydie, et son fils
Crésus sont les inventeurs de cette intrusion du pouvoir dans la certification des
monnaies - une invention vite reprise, en Perse, par les empereurs Achéménides et
restée en vigueur jusqu’au vingtième siècle, où les Etats continuent à poursuivre les
faux-monnayeurs.
La certification des monnaies par les pouvoirs ayant pris petit à petit le dessus sur
leur poids de métal, leur réalité physique a été de plus en plus négligée. La monnaie
s’est retrouvée sous la forme de morceaux de papier (les « billets » (25), relativement
peu falsifiables) puis de simples données inscrites, quelque part (26) dans des
mémoires électroniques.
Ainsi, très progressivement, sous la pression incessante des intérêts des marchands,
la monnaie est devenue un scandale métrologique : une référence universelle (27) mais sans étalon ! -, avec un instrument de mesure fluctuant, imprécis et – surtout influençable : le marché.
Les dates les plus importantes de l’évolution monétaire se situent au vingtième
siècle. Dans un premier temps, après la Seconde guerre mondiale, les accords de
Bretton Woods instituent les monnaies nationales comme instruments d’échange, à
condition qu’elles soient convertibles en or. Puis, dans un second temps, le président
Nixon, le 15 Août 1971, refusant la demande de la France de convertir 4 milliards de
$, désindexe le dollar de l’or.
Pour mesurer l’ampleur de la dérive depuis cette date, il suffit de regarder les
chiffres. Le cours officiel de 1971, le même depuis les accords de Bretton Woods
d’après-guerre était de 35 dollars l’once d’or. Savez-vous quel est le cours de l’once
d’or à la fin de l’année 2009 ? (28) 1 100 dollars (29) !
En outre, pendant la seconde moitié du XXe siècle, une manœuvre, lente et subtile, a
évincé les Etats et permis aux banques de redevenir les véritables créateurs de
monnaie (30), en même temps que les dépositaires des avoirs de tous les agents
économiques : des particuliers, des entreprises, des ONG et même… des Etats !
Glissement du pouvoir
Les Etats se trouvent, tels des entreprises, dans l’obligation d’équilibrer leurs recettes
et leurs dépenses (31). S’ils manquent à cette obligation, les agences de notation
financières les rappellent à l’ordre en dégradant leurs notes (32). Par contre, lorsque
les banques se livrent à d’incroyables turpitudes (33), comme c’est le cas de la
finance anglo-saxonne depuis les années 90, les Etats leur portent secours au
moyen de fonds empruntés… aux banques ! Celles-ci sont donc devenues un acteur
incontournable dont émanent à la fois les questions et les réponses.
Or, le pouvoir appartient, précisément, à celui qui fait à la fois les questions et les
réponses. L’on se souvient de cette phrase, prononcée par Marlon Brando dans « Le
Parrain » : « Je vais lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser »… Elle constitue la
définition la plus claire qui soit de la relation maffieuse. C’est l’antithèse du
libéralisme, puisque l’un des deux partenaires n’a plus de liberté de choix. Ainsi,
subrepticement, en une vingtaine d’années, le libéralisme a dérivé vers un
capitalisme qui, tout en conservant des apparences fort dignes, exerce un pouvoir
d’essence maffieuse…
Sans doute, d’un point de vue éthique, on peut trouver abusif que la mémorisation
des avoirs des citoyens, qui est une fonction quasi notariale, soit confiée à des
organisations si peu encadrées qu’elles utilisent à leur propre profit les fonds des
déposants.
Mais l’évolution de l’histoire suit rarement un cheminement éthique : à chaque
changement de système technique, que ce soit au Moyen Age européen, aux XIIe et
XIIIe siècle ou lors de la révolution Industrielle des XVIIIe et XIXe siècle,
« l’accumulation primitive » du capital (34) s’est faite au moyen de prélèvements
illégitimes - ceux des pouvoirs « banaux », au Moyen Age, puis ceux des fermiers
receveurs et des fermiers généraux, au siècle des Lumières (35). C’était, dans les
deux cas, de l’argent public détourné et « une offre qu’on ne pouvait pas refuser ».
Au règne des armées avait succédé celui des bureaucraties ; alors pourquoi pas,
aujourd’hui, celui des banques ? Il n’y aurait donc pas à s’étonner de cette nouvelle
concentration de pouvoir, qui est mondiale et s’impose aux Etats d’une manière
illégitime, si l’on considère que la seule légitimité acceptable procède d’élections au
suffrage universel.
Néanmoins, la prospective ne se contente pas de constater les rapports de force.
Elle tient compte aussi des conditions objectives, lesquelles évoluent. D’ailleurs, si le
pouvoir des financiers a pu se déployer mondialement avec une telle rapidité, c’est
par l’effet d’un changement des conditions concrètes dû à l’infrastructure de
communication, qui permet aux avoirs de circuler à la vitesse de la lumière tout
autour de la planète.
Or, cette infrastructure continue à se déployer : en 2025, plus des deux-tiers de
l’humanité auront accès à Internet (36) ; elle dépassera alors largement les milieux
professionnels. Elle touchera directement le grand public, lequel cherchera
inévitablement à contourner l’emprise des financiers. Par Internet, le public pourra
mettre les marchands en concurrence. Par la création de monnaies
complémentaires (37) sur Internet ou même avec de simples téléphones
portables(38), il pourra mettre les financiers en concurrence et, en cas de difficulté ou
de crise, se passer de leurs services.
Sécurité globale (39)
D’autre part, l’épuisement des ressources naturelles et la mise en danger de très
nombreuses espèces animales et végétales sont d’autres conditions objectives qui
interpellent la philosophie et les présupposés de l’action. L’homme ne pourra plus se
penser comme un exploitant, « maître et possesseur de la nature ». Si la sécurité
globale, voire la survie de l’espèce humaine sont suspendues au bon état de la
nature, il sera bien obligé d’en devenir le gardien et de modérer ses appétits en
conséquence.
Dès lors, les valeurs évolueront : Le déséquilibre introduit dans la nature s’achèvera
nécessairement par un retour aux grandes lois de la vie. Les crises nous obligent à
nous interroger sur les fondements (40), celle-ci plus que tout autre. La réalité,
lorsqu’elle devient dure, stimule notre intellect, qu’une longue période de laisser-faire
avait amolli, voire anesthésié : rien ne peut, alors, échapper à la redéfinition.
La question de la sécurité est celle qui devrait évoluer le plus rapidement, et ce, de
manière fondamentale. Depuis cinq millénaires, l’essentiel de la sécurité (et souvent,
aussi, la légitimation du pouvoir) a été assuré par les forces armées. Cette période
est faite de conquêtes, autrement dit de pillages, et de pouvoirs s’appuyant sur une
force militaire protégeant ‘sa’ population contre les pillards.
Mais, pour la première fois dans l’histoire, cette question de la sécurité se pose
globalement, à l’échelle planétaire, et elle concerne l’humanité tout entière. Les
innombrables conflits internes à l’espèce humaine, considérés constituer l’essentiel
de l’histoire, vont sans doute devoir passer au second plan.
Les techniques qu’il faudrait déployer pour protéger et enrichir la nature sont
connues. Elles sont d’abord d’ordre métrologique. Par exemple, la surveillance par
satellite peut détecter des objets de dimension inférieure au mètre et analyser des
longueurs d’onde situées bien au-delà du spectre visible, ce qui permet de connaître
l’état de santé des écosystèmes et les intrusions nocives.
Mais ces moyens ne sont pas déployés à une échelle opérationnelle, c’est-à-dire
permettant une vigilance permanente en temps réel, car l’attention du public, des
médias et des politiciens continue à être attirée par d’anciens enjeux.
Une conscience planétaire est en train de naître, mais elle ne s’impose pas encore
aux intérêts particuliers. Voyons la manière dont s’établit une conscience collective...
Individuation et conscience
La question de la conscience comme individuation a été abordée par Gilbert
Simondon (41). En introduisant au niveau ontologique la notion d’individuation, il
place, en amont de l’individu, un processus. Voici ce qu’il en dit :
« En un mot, qu’est-ce qu’un individu ? A cette question, nous répondrons qu’on ne
peut pas, en toute rigueur, parler d’individu, mais d’individuation : c’est à l’activité, à
la genèse qu’il faut remonter, au lieu d’essayer d’appréhender l’être tout fait pour
découvrir les critères au moyen desquels on saura si c’est un individu ou non »
Ce faisant, Simondon rejoint un courant philosophique, celui d’Henri Bergson, déjà
esquissé chez les présocratiques. Ce courant perçoit le mouvement comme antérieur
à toute identité permanente, si tant est qu’une telle identité existe bien.
Simondon s’interroge à juste titre sur l’individuation chez les insectes sociaux :
qu’est-ce qui peut être qualifié d’individu : l’abeille ou la ruche ? Ou encore, chez les
éponges ou les récifs coralliens, dont la reproduction ne se fait pas d’individu à
individu, mais par transformation d’un même être, quasi immortel, dont une partie
meurt pendant qu’une autre se développe.
Ces références biologiques évoquent la vie des institutions. Le processus instituant
par lequel une innovation donne naissance à une institution nouvelle (par exemple, à
une entreprise) puis sa structuration autour des nécessités productrices peuvent être
vues comme des phases d’un processus d’individuation, aboutissant à la
construction d’une permanence résistant au changement.
Le résultat de ce processus, qui ressemble à la formation des organes lors du
développement de l’embryon, est donc un individu collectif. Cet être instituant, puis
institué, est construit par les humains, plus ou moins volontairement (plus ou moins
consciemment, aussi). Il habite aussi les humains, au sens où un acteur est habité
par son rôle. Cette présence de l’institution dans les personnes peut même aller
jusqu’à des formes de possession, au sens que les sorciers donnent à ce mot.
Néanmoins, l’espèce humaine semble, plus que d’autres espèces, pratiquer la multiappartenance, ce qui est de nature à tempérer ces fonctionnements possessifs. Les
individus sont souvent membres de plusieurs institutions simultanément : une famille,
une entreprise, une communauté professionnelle ou syndicale, un mouvement
politique, des associations, etc.
Bien que l’individualisme ait inspiré depuis deux siècles la plupart des théories de
l’évolution, allant jusqu’au fantasme du « gène égoïste » de Williams [1966] et
Dawkins [1976], sans parler de la soi-disant « théorie des mêmes », on ne peut nier
l’individuation collective, qui a donné naissance aux institutions que nous
connaissons. Peut-on aller plus loin et imaginer une individuation planétaire ? Peutêtre, sous la pression d’un danger global, qui rende tous les humains solidaires…
Encore faudrait-il qu’ils en soient conscients.
Au-delà du laxisme capitaliste
Consommer en préservant l’écosystème, cela ne demande nulle invention nouvelle
(42) : on sait faire de l’agriculture biologique productive ; on sait faire des réserves de
biodiversité ; on sait faire des bâtiments qui ne consomment pas d’énergie (et qui,
même, en captent…) ; on sait faire des sources d’électricité (solaire, éoliennes,
vagues…) qui ne consomment pas de ressources non-renouvelables et n’émettent
pas de gaz à effet de serre ; on sait même faire des transports aériens consommant
très peu d’énergie : les dirigeables !...
Mais ces techniques ne se développent que très lentement, comparé à ce qui serait
nécessaire à la sauvegarde de la nature. Non que l’on manque de bras : le nombre
des chômeurs est considérable et il ne cesse de s’accroître, ce qui signifie qu’une
force de travail importante est disponible.
Au lieu de s’attaquer à ces vrais problèmes, la finance s’épuise en manipulations
stériles. Dès lors, l’idéologie capitaliste, qui domine le monde depuis les années 90,
apparaît comme un alibi laxiste à une mauvaise gestion des ressources humaines et
matérielles de notre planète.
Bien plus, les menaces pesant sur les équilibres naturels sont souvent le résultat
d’une activité économique débridée et irresponsable, menée par des compagnies
sans scrupule qui n’hésitent pas à employer des mercenaires (43) pour éliminer les
obstacles à leur exploitation. Face à ce genre d’initiative, le recours aux forces
armées classiques s’imposera. Encore faut-il que ce recours soit adossé à des
décisions de justice en bonne et due forme.
Les dangers que signalent les scientifiques au sujet du climat (et plus encore de la
biodiversité et de l’épuisement des ressources) sont désormais bien connus ; ils
concernent tous les pays. L’urgence d’actions planétaires dans les dix années qui
viennent est devenue évidente. Les participants à Copenhague et Davos l’ont dit,
mais sans en tirer les conséquences.
Sans doute de telles actions sont-elles au-delà du système des Etats-Nations (44).
Plus précisément, elles impliquent au minimum une charte planétaire de protection
de la nature, un système judiciaire international ayant pour mission de juger des
infractions à cette charte et une force armée (45), bras séculier faisant mettre à
exécution ces décisions de justice (46)… et, surtout, comme socle de la conscience,
une métrologie de l’état de la planète, dont les résultats soient accessibles et rendus
intelligibles pour tous, via Internet.
Reste la cause profonde des errements actuels : le scandale métrologique que
constituent le système monétaire et les marchés financiers qui lui sont associés. Car,
si le comportement des acteurs économiques aboutit globalement à un débordement
d’activités absurdes et périlleuses, la cause ne doit pas en être cherchée dans leurs
intentions, mais dans le système qui crée un champ de forces engendrant
inévitablement de tels comportements.
La mondialisation s’est développée, comme il a été dit, grâce au système métrique.
Elle s’est aussi accompagnée d’une mondialisation monétaire, avec un flux spéculatif
énorme, des bulles à répétition (on dénombre ainsi non moins de 176 crises depuis
25 ans !) et un prix de l’heure de travail qui varie d’un pays à l’autre dans des
proportions défiant le bon sens. Face à ces aberrations, certains imaginent une
monnaie véritablement mondiale (47). D’autres, s’inspirant de l’analyse de système,
pensent à une multitude de monnaies, dont le grand nombre, à l’image de la
biodiversité, stabiliserait l’économie (48). Ces deux voies, qui correspondent à deux
niveaux d’individuation différents, sont d’ailleurs complémentaires entre elles.
D’une part, depuis la Seconde guerre mondiale et, plus encore, depuis l’ouverture
des pays de l’Est, à la fin des années 80, il est de bon ton de faire comme si
l’aboutissement de l’évolution était inévitablement un monde unifié de libre-échange
gouverné par les marchés. On sait maintenant que cela mènerait à la catastrophe.
D’autre part, en observant l’Histoire, on voit aussi, non pas une évolution à sens
unique, mais comme un mouvement de balancier séculaire entre des périodes
d’économie marchande et des périodes d’économie administrée.
L’histoire de la Chine, celle de la Mésopotamie, celle de la Méditerranée, celle de
l’Europe depuis le haut Moyen âge aussi, montrent de telles oscillations. Le scénario
standard est le suivant : l’activité marchande met un certain temps, de l’ordre du
siècle, à se déployer ; elle croît, puis elle devient envahissante et abusive, à force
d’arnaques et de désinformation. Alors, de nouveaux pouvoirs se lèvent, qui
reprennent les choses en main.
D’ailleurs, les réalisations du passé que nous admirons le plus, en Egypte, en Inde,
en Chine, en Iran ou à Rome ont été le fait d’économies administrées, impériales ou
pharaonique. L’estime que nous portons aux œuvres du passé est donc en
contradiction avec l’idéologie du libre-marché et de la « fin de l’Histoire » (49)…
Conscience prospective
Il n’est pas exclu que la maturation des consciences soit assez rapide. Pourquoi
cela ? La réponse tient en un mot, un seul : Internet… (avec les outils de
communication qui lui sont associés, portables notamment).
Pourquoi Internet ? En référence à l’évolution culturelle observée au XVIIIe siècle par
Augustin Cochin et Roger Chartier : le constat de la désadaptation. Les structures
anciennes n’avaient plus de sens ; elles ne correspondaient plus aux problèmes de
l’époque. La classe dirigeante, voyant que la situation lui échappait, déposa les
armes.
Internet est aussi une implosion de communication, planétaire, cette fois, d’une
rapidité et d’une ampleur bien supérieures à celle des Etats Généraux. Il est donc
logique de supposer qu’il produira des effets comparables, mais, cette fois-ci, à la
dimension des enjeux du troisième millénaire.
Alors, quelle réponse donner à la question : « A quoi sert la prospective ? »
Actuellement, à rien ! Mais quand la conscience planétaire sera éveillée, la
prospectives servira à tout, notamment à concevoir le dispositif dont il vient d’être
question, lequel, vu par un adolescent, peut donner sens à une vie.
Il ne faut pas se dissimuler l’ampleur de la mutation qu’inspirera la raison ; elle
touchera aux fondements du contrat social, au socle philosophique implicite des
comportements. A titre d’illustration, le tableau suivant esquisse les valeurs
anciennes, celles de la civilisation industrielle, en comparaison des valeurs nouvelles
de la civilisation dite « cognitive » en gestation, inspirée par la logique du vivant et
répandue par le nouveau système de communication :
Civilisation industrielle
Domination
Conquête
Performance
Civilisation cognitive
Empathie (50)
Individuation (51)
Résilience (52)
Si l’on suit cette orientation, le signe de la richesse ne sera plus l’appropriation ni la
consommation ostentatoire, mais, au contraire, le don fait à la vie. Cette prospectivelà anticipe une nouvelle révolution, mondiale cette fois, concernant, d’une part, la
nature et, d’autre part, les monnaies, et s’appuyant sur une discipline métrologique.
Thierry GAUDIN
Ingénieur Général des Mines, Docteur en Sciences de l’information et de la
communication, Président de « Prospective 2100 », rapporteur du groupe « Le
Monde en 2025 » pour la DG Recherche de la Commission européenne.
http://gaudin.org - http://2100.org
NOTES :
(1) Non pas au sens de Popper, mais selon la vision de Claude Kordon : voir Claude
Grignon, Claude Kordon : Sciences de l’homme et sciences de la nature. Essais
d’épistémologie comparée, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009.
(2) Allusion au livre Inner Vision du neurologue anglais Semir Zeki, tentative de
synthèse entre la neurophysiologie et la perception artistique.
(3) Jean Piaget, La Construction du réel chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, 1950.
(4) Tel que le décrit Alain Berthoz, Le Sens du mouvement, op. cit.
(5) Sauf peut-être certaines personnes atteintes d’une lésion du cerveau droit. Voir
« L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau », d’Olivier Sachs.
(6) Rudolph Arnheim, La Pensée visuelle.
(7) Ramachandran, Le Fantôme intérieur, Odile Jacob.
(8) C’est, entre autres performances, ce qui nous permet de lire rapidement. Voir
Stanislas Dehaene, « Les Neurones de la lecture », Odile Jacob.
(9) François Furet, « Penser la Révolution française », Folio Histoire, Gallimard,
1978.
(10) Mais « les acteurs ne savent pas l’Histoire qu’ils font ».
(11) Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Points Seuil,
1990, 2000.
(12) Notamment les loges maçonniques.
(13) On peut se demander, en effet, si le fond de l’inspiration révolutionnaire est celui
de Rousseau (Le Contrat social), comme on le croit souvent, ou celui de
Montesquieu (L’Esprit des lois).
(14) Voir la thèse de Marie-Ange Cotteret, dans laquelle apparaît aussi le rôle de
Talleyrand dans l’adoption d’un système métrologique inspiré de la Science.
(15) Le premier envoi date du 21 novembre 1783 ; c’était une montgolfière (donc à
air chaud) avec Jean-François Pilâtre de Rozier et le Marquis d’Arlandes à bord.
Mais Louis XVI avait demandé que ce soit discret, à cause du risque. Le second
envol dont il est question ici, le 1er décembre, était un ballon à hydrogène, avec à
bord le physicien Charles et son assistant Robert. Ce fut un succès à la fois
scientifique et médiatique. Charles fut convié à l’Académie des Sciences pour décrire
l’expérience… et les calculs du lieutenant Meunier, qui avait prévu l’altitude de
l’envol, avaient enthousiasmé l’assistance : la pensée anticipatrice trouvait son
aboutissement dans le calcul !
(16) Voir http://smdsi.quartier-rural.org/histoire/18germ_3.htm : le décret instituant le
système métrique.
(17) Pour un récit plus détaillé, voir « Le Mètre du monde », de Denis Guedj.
(18) Le mètre fut alors défini comme la dix-millionième partie du quart du méridien
terrestre et un étalon de référence fut construit, en platine iridié, un matériau à faible
dilatation (que l’on conserve au Pavillon de Breteuil, à Sèvres).
(19) Voir le livre « A tous les temps, à tous les peuples » des Anciens du Service des
Instruments de Mesure, publié sur le site http://metrodiff.org
(20) D’autres références sont venues depuis lors se substituer au méridien : la raie
spectrographique du krypton, puis le parcours de la lumière dans le vide. Elles ont le
mérite d’une meilleure précision et d’être aussi valables dans l’espace, au-delà de la
Terre, de notre système solaire ou de notre galaxie. Néanmoins, ce sont les mêmes
principes scientifiques et idéologiques que ceux de la Révolution qui ont présidé à
ces choix.
(21) Objectif repris par la Charte des droits de l’enfant de l’Unesco.
(22) Ces considérations donnent la mesure de l’erreur que fut, dans les années 80 et
jusqu’à récemment, la négligence de la métrologie et de la protection du
consommateur. Selon un adage bien connu : « Il n’y a pas de grande cuisine sans
gastronomes », la compétence du producteur s’adapte à celle de l’usager. C’est
donc cette dernière qu’il aurait fallu renforcer.
(23) Par des pays qui d’ailleurs étaient en guerre. Les anglo-saxons ont maintenu
des réticences ; ce peuple semble fonctionner, en effet, depuis des siècles, en
référence à des clans et à des clubs. Il lui faut un langage codé. C’est pourquoi,
même après avoir accepté le raccordement au système métrique, il a tenu à
conserver le nom de ses anciennes unités, ce qui nous vaut l’absurdité d’écrans
d’ordinateur dimensionnés en pouces et de parfums vendus à l’once !
(24) On interprète souvent l’expression « battre monnaie » comme un « pouvoir
régalien » d’émettre – de créer – de la monnaie. C’est un contresens ! Les pouvoirs
publics sont supposés certifier l’authenticité des instruments d’échange, par exemple
en frappant des pièces (d’où l’expression « battre monnaie »). Ils sont aussi
supposés ne pas créer de monnaie supplémentaire, les recettes fiscales devant être,
en principe, égales aux dépenses publiques. S’ils en créent, néanmoins, c’est en
dérogation, par des « déficits budgétaires » placés sous surveillance et non par une
« émission » libre de monnaie.
(25) Une invention chinoise.
(26) Savez-vous dans quelle machine se trouve mémorisé votre compte en banque ?
Moi non plus !
(27) Du moins, en ce qui concerne les prétentions du dollar américain.
(28) Faites-en l’expérience : posez la question à vos amis...
(29) Il est assez plaisant de voir comment l’optimisme revient à la presse financière
dès que les bourses remontent, alors que, vu les injections massives de liquidités, on
pourrait aussi bien interpréter cette remontée comme une baisse de la valeur réelle
des monnaies...
(30) Comme à l’époque où dominaient Venise et les banquiers lombards et
hollandais.
(31) En Europe, par les contraintes du traité de Maastricht ; dans le reste du monde
(sauf aux Etats-Unis !), sous la pression du Fonds Monétaire International.
(32) Et en le faisant savoir : ces agences, qui ont partie liée avec les banques,
défendent l’hégémonie du dollar. C’est pourquoi le cas de la Grèce a été bien plus
médiatisé que celui des Etats-Unis.
(33) La crise des subprimes résulte d’une entourloupe mathématique consistant à
faire comme si des variables aléatoires étaient indépendantes, alors qu’elles ne
l’étaient évidemment pas et ce, malgré les avertissements de plusieurs grands
mathématiciens, dont Mandelbrot.
(34) Je reprends ici la formulation de Marx.
(35) Epoques où le prélèvement de l’impôt était privatisé. Notre temps organise aussi
la privatisation des prélèvements obligatoires : péages autoroutiers, eau, électricité,
téléphone et autres consommations « inélastiques », particulièrement appréciées
des investisseurs !
(36) En 2009, ils sont déjà 25 %.
(37) Une ingénierie des monnaies complémentaires, telle celle développée par
Bernard Lietaer, permet en plus de mieux faire coïncider les intérêts particuliers avec
l’intérêt général. Voir son livre « Monnaies régionales », aux éditions CharlesLéopold Meyer, et son site http://lietaer.com
(38) Ces pratiques risquent de se développer d’abord dans les pays peu
« bancarisés », en Afrique par exemple, et de revenir, ensuite, vers les pays dits
développés.
(39) Voir le rapport rédigé en 2008 pour la Commission européenne : The World in
2005, A Challenge to Reason, http://2100.org/World 2025.pdf
(40) Ce fut le cas lors de la première crise pétrolière des années 70. Puis, lorsque le
prix du pétrole ayant rebaissé, la somnolence reprit le dessus.
(41) Gilbert Simondon, « L’Individuation à la lumière des notions de forme et
d’information », Jérôme Million, 2005.
(42) Voir le livre de Danièle Bretelle Desmazières, « Terre 2100 », qui fait la synthèse
du séminaire tenu à l’Ecole des Mines sur ce sujet en 2007 et 2008.
(43) On retrouve là les caractéristiques du capitalisme maffieux, maintenant présent
sur tous les continents. La dévastation de l’Amazonie, plus grande forêt tropicale du
monde, s’effectue selon ce processus.
(44) Le concept d’Etat Nation est récent. Il date du traité de Westphalie (1648), qui
avait pour objectif de terminer la période des guerres de religion en donnant à
chaque Etat la responsabilité de régler le problème séparément sur son territoire.
(45) Sans doute l’ex-Otan, comprenant en plus, évidemment, la Russie, la Chine, le
Japon, l’Inde et le Brésil.
(46) Ce qui aura aussi pour effet de restaurer la noblesse du métier des armes,
lequel fut par le passé trop souvent dévoyé dans le pillage et trop proche des
fonctionnements maffieux.
(47) Collective (comme l’euro), et non impériale (comme le dollar).
(48) Voir notamment le travail de Bernard Lietaer, Monnaies régionales, éditions
Charles-Léopold Meyer.
(49) Allusion à l’ouvrage de Francis Fukuyama : « La Fin de l’Histoire et le dernier
homme », Flammarion, 1993.
(50) Voir « L’Empathie », d’Alain Berthoz et Gérard Jorland, éd. Odile Jacob.
(51) Voir « L’Individuation psychique et collective », Gilbert Simondon, Aubier.
(52) Voir, sur le site de Bernard
performance/résilience d’Uranowicz.
Tableau 1
Thierry Gaudin
Lietaer
[http://lietaer.com]
l’analyse