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Beaux Arts 2018 03 fr

publication Beaux arts Mars 2018

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Infimes variations de lumière

Dans cet écrin de verre et de vieilles pierres, dont certaines proviennent de temples anciens, l'artiste a choisi d'exposer une centaine de ses photographies -comme la célèbre série Seascapes, présentée en décembre dernier à la galerie Marian Goodman, à Paris -et ses collections d'antiquités. L'élément clé du bâtiment est un tunnel métallique de 70 mètres, conçu de telle façon que le soleil levant le traverse pendant le solstice d'hiver et illumine une stèle à l'autre extrémité. Par ses infimes variations de lumière, l'ensemble imprime les lieux de la conscience du temps et de l'instant. Un pavillon de thé japonais, un théâtre nô en plein air, une porte de temple restaurée datant de l'époque de Muromachi (1338-1573) et un sublime jardin zen complètent le décor. D'ici l'an prochain, une extension dédiée à la collection de fossiles de l'artiste sortira de terre. Le septuagénaire souhaite «doubler la taille d'Odawara chaque année». La fondation, dont la mission est de transmettre «l'essence de la culture japonaise», est une sorte d'utopie méditative in progress. Une oeuvre d'art totale immersive, dédiée également au théâtre classique nippon et à la performance, notamment à travers des commandes faites à des artistes contemporains comme le Californien Christian Marclay, «un vieil ami» du photographe.

Là où il vit la mer pour la première fois

Hiroshi Sugimoto a conçu lui-même l'architecture de ce lieu où convergent le ciel, la mer à l'horizon et la mémoire. C'est en effet au pied de cette colline que l'artiste, né en 1948, a vu la mer pour la première fois depuis la fenêtre d'un train, à l'âge de «trois ou quatre ans». «Ce point de vue est mon plus ancien souvenir d'homme», a-t-il confié à l'AFP. Connu pour ses images minimalistes en noir & blanc de salles de cinéma et de paysages marins, ce touche-à-tout a une grande obsession : le passage du temps. Le bâtiment qu'il a imaginé est, à l'instar de son oeuvre photographique, une invitation à la contemplation. Une expérience visuelle intense, qui interroge à la fois l'espace et la perception. Pensée comme «le dernier acte» de son existence, de son travail et de ses collections, la fondation célèbre ainsi sa vie d'artiste. Un testament ? Non, plutôt le réceptacle de la mémoire de l'humanité. «Ma pyramide !» Le photographe japonais, célèbre pour ses paysages marins, a inauguré sa fondation. Ouvert sur la baie de Sagami, au sud-ouest de Tokyo, ce lieu d'exception célèbre l'essence de la culture nippone, en symbiose avec une nature époustouflante.

l'oeuvre d'art totale d'Hiroshi Sugimoto

CI-DESSUS

Hiroshi Sugimoto a conçu lui-même l'architecture de son complexe d'art, qui surplombe le Pacifique. Par Philippe Trétiack ARCHITECTURE «L'architecture peut faire reculer la guerre» La spectaculaire bibliothèque de Tianjin, en Chine, a fait mille fois le tour du web. Une goutte d'eau dans la déferlante de projets fous portés par Winy Maas, le très charismatique leader de l'agence néerlandaise MVRDV. Rencontre au sommet. I l ressemble à Mick Jagger, même visage creusé, même silhouette d'adolescent, même énergie. À chaque phrase, Winy Maas prouve que l'architecture, ce sont d'abord des idées. Depuis sa base de Rotterdam, il arrose la planète de projets phares. La bibliothèque ultramédiatisée de Tianjin [ill. ci-dessus], l'ex-voie routière transformée en promenade piétonne à Séoul en Corée du Sud, le marché couvert et la future extension du musée Boijmans à Rotterdam, la nouvelle boutique Chanel d'Amsterdam tout en briques de verre et quelques projets en cours en France (Caen, Lyon…) sont sortis de l'agence qu'il anime avec ses associés. Dans ses bureaux, l'esprit de famille règne partout.

Sa mission n° 1 : sauver la classe moyenne mondiale

Les employés, 24 nationalités, déjeunent ensemble, les salles de réunion badigeonnées de bleu ou d'orange (comme dans la «Trump Room», où l'on acquiert la bonne mine du Président) ont un air de bande dessinée. Une tribune permet même aux orateurs de s'exprimer devant tous, comme au théâtre. Fun ? Sans doute. Mais, sous cette cool attitude, MVRDV cache une force de frappe impressionnante, et les dernières recherches de la firme le prouvent. «Nous avons défini notre agenda. Pour commencer, nous pensons que notre mission est de sauver la classe moyenne mondiale, dit Winy Maas. L'architecture peut faire reculer la guerre et cette préoccupation est centrale dans nos travaux. Nous luttons pour la mixité sociale universelle. Nos projets sont des manifestes. Les grandes ouvertures de notre bibliothèque de Tanjin posent ainsi la question de la censure en Chine. Jouer sur la transparence, c'est porter un message. Nous sommes d'ailleurs convaincus que le remède à la densité urbaine, c'est la transparence. La porosité permet de lutter contre la claustrophobie. Ensuite, et parce que je suis un admirateur de Borobudur [temple bouddhique datant des VIII e et IX e siècles, en plein coeur de Java, en Indonésie], je rêve de bâtiments-forêts. Nous réfléchissons à l'intégration de l'architecture et de la nature mais à de très grandes échelles et dans un esprit de fractales. Dans les trois tours emmêlées et parsemées de jardins et de terrasses de notre projet "la Vallée", à Amsterdam, les éléments les plus petits se retrouvent dans les plus grands. Nous nommons cela l'architecture pixel. L'évolution technologique est centrale et, d'ailleurs, la volatilité des choses nous intéresse -comme le bitcoin [monnaie virtuelle]. Ainsi, nous travaillons sur un matériau à mémoire, sorte de barbe à papa permettant de construire une maison mais qui, à la mort de son propriétaire, se dégonflerait pour disparaître d'un coup. Nous sommes des conceptuels comme le sont aussi les autres membres de la grande famille des architectes du Nord, OMA [l'agence de Rem Koolhaas] et BIG [celle de Bjarke Ingels]. Mais quand Rem est cynique, nous privilégions l'humour. Ce qui compte au fond, c'est que nos bâtiments donnent envie au public de venir et de revenir les voir.» Quand on se souvient que MVRDV aurait pu remporter le concours des Halles, on mesure ce que l'on a raté… Avec ses innombrables ouvrages en papier ou en trompe-l'oeil, la bibliothèque de Tianjin Binhai, en Chine, a littéralement bluffé la planète.

Des îlots verts en ville

Faubourgs transformés en écoquartiers, maisons nichées dans des immeubles, logements urbains aux airs de fermes... autant d'innovations qui permettent de créer des habitats collectifs atypiques, soucieux de la qualité de vie et en osmose avec la nature. >>>

I Beaux Arts

Par Claire Fayolle DESIGN FOCUS Pour un nouvel ADN de l'objet «L' impression 3D ouvre de nouvelles voies de création aux auteurs. Mais nous voulons encadrer la production afin de limiter les abus -faux et contrefaçon.» L'avertissement est lancé par la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), via son directeur juridique, Thierry Maillard. Cette société de gestion de droits, chargée d'assurer la défense et le rayonnement de l'ensemble d'une oeuvre, se dit vivement préoccupée par l'accessibilité des procédés et les possibilités infinies de reproduction non autorisée que ceux-ci permettent désormais. Apparue dans la première moitié des années 1980, la fabrication additive d'un objet consiste, à partir d'un fichier 3D, à l'«imprimer» par couches successives de matière. Utilisée à l'origine par l'industrie pour élaborer des prototypes, celle-ci a maintenant conquis un public plus large. Elle s'accompagne également d'un net perfectionnement des outils disponibles et du développement d'entreprises spécialisées dans la modélisation des objets et de services d'impression 3D en ligne. «Grâce à la technique du scanner 3D, l'objet produit peut s'avérer être très fidèle à l'original. Les sculpteurs et les designers sont particulièrement concernés», Avec la vulgarisation de l'impression 3D, les artistes et designers seront-ils tous victimes de la contrefaçon ? Rassurez-vous : une technique de traçabilité des originaux a déjà été inventée ! Jaildo Marinho Navette, 2017

Cette sculpture de l'artiste brésilien Jaildo Marinho est fabriquée en impression 3D et dotée d'un identifiant uniquement lisible aux rayons X.

insiste ainsi Thierry Maillard. «Même les peintres le sont», renchérit-il. Avant de rappeler, à titre d'exemple, la technologie mise au point par Fujifilm et utilisée par le musée Van Gogh pour la reproduction en 3D haute résolution de certaines oeuvres de l'artiste à destination des collectionneurs.

Une signature inscrite dans la matière L'ADAGP a commencé à se pencher sur la question de l'impression 3D, il y a près de quatre ans. En interrogeant des industriels du secteur, elle a pris conscience de leur méconnaissance du monde de l'art comme des règles élémentaires du droit d'auteur. C'est ainsi qu'a émergé l'idée d'«une charte des bonnes pratiques dans le domaine de la fabrication additive appliquée à l'art et au design». Les travaux préparatoires évoquent un document concret, pédagogique, auquel chacun pourra se référer. Son but : rappeler les règles en vigueur dans le code de la propriété intellectuelle, proposer des solutions pour les respecter et définir des engagements destinés à prévenir des abus (respect du droit d'auteur, traçabilité…). Une mission a été officiellement lancée en juillet 2017 par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance consultative chargée de soumettre des recommandations à la ministre de la Culture. Elle a été confiée au conseiller d'État Olivier Japiot, dont le rapport a été rendu en décembre dernier. Catherine Gorgé, secrétaire générale du groupe Prodways, spécialisé dans les imprimantes 3D, et directrice de la division dédiée à la création, a veillé, à la demande de l'ADAGP, à ce que les exigences de cette dernière soient applicables concrètement. Prodways a étudié ce qui était techniquement réalisable pour assurer la traçabilité d'une pièce originale. Une oeuvre -la seule au monde aujourd'hui -a ainsi été fabriquée en impression 3D tout en étant dotée d'un identifiant directement inscrit dans la matière. Son auteur, l'artiste brésilien Jaildo Marinho compare ce marqueur à «une sorte d'ADN», preuve d'authenticité de cette sculpture produite par le groupe Prodways. Cette solution, uniquement lisible aux rayons X, est une proposition parmi d'autres. Mais c'est un début prometteur pour rassurer les créateurs.

Par François Cusset PHILO I l y a des couples si improbables qu'ils vous libèrent de la bêtise du couple. Car un couple, a priori, c'est idiot. Prenez celui que forment l'artiste et le penseur : à force de surjouer le duo de la tête et des jambes, du praticien spontané et de son théoricien rusé, il court le risque de sombrer corps et âme dans l'océan des clichés et des hiérarchies éculées -la machine à créer soumise au cerveau de son maître, qui va lui donner sens. Fort heureusement, l'histoire de l'art (et de la pensée) est jalonnée, en la matière, par quelques exceptions magnifiques, qui rebattent les cartes et nous emmènent ailleurs, là où la pensée fabrique, là où le geste pense, là où les deux s'imbriquent ou se prolongent, à égalité de leurs intelligences. art est peut-être le seul domaine dans lequel on peut être juge et partie ; et, plus encore, dans lequel il s'avère nécessaire d'être «de la partie» pour mieux juger, précisément parce que la subjectivité et les valeurs de la pensée y prédominent, et qu'il vaut mieux savoir d'où parlent les gens d'en face. Si l'art obéissait aux règles établies par la sphère politico-économique, il va de soi que la sculpture offerte par Jeff Koons à la Ville de Paris ne souffrirait pas la moindre contestation : une oeuvre monumentale, provenant d'un des artistes les plus connus et les plus cotés sur le marché, ça ne se refuse pas. Si l'art se voyait soumis à l'éthique ordinaire, il n'y aurait rien à discuter non plus : un «geste» de l'artiste envers les victimes du terrorisme à Paris, c'est très beau. Si l'art obéissait aux diktats de la diplomatie, on l'accueillerait tout autant avec les bras ouverts, car les relations franco-américaines, notamment dans ce quartier qui en contient bon nombre de signes, méritent d'être valorisées. Mais une fois que l'on a fait le tour de tout ce qui ne concerne pas l'art lui-même, reste une oeuvre qui doit être jugée comme telle, située dans un lieu pas neutre. Mon jugement m'a donc amené à participer, c'est-à-dire à figurer parmi les premiers signataires de la récente pétition (sur change.org) contre l'installation du fameux Bouquet de tulipes que Jeff Koons destine à l'esplanade du Palais de Tokyo.

EN COUVERTURE l QU'EST-CE QUE L'ART AUJOURD'HUI ?

Faux.

La commémoration de Mai 68, à travers la myriade de débats et d'expositions organisés («Images en lutte [1968][1969][1970][1971][1972][1973][1974][1975][1976][1977] -La culture visuelle de l'extrême gauche» jusqu'au 20 mai aux Beaux-Arts de Paris, «1968 / 2018 -Des métamorphoses à l'oeuvre» du 16 mars au 26 mai à la Terrasse à Nanterre…), vient rappeler que les artistes s'impliquèrent en nombre dans le soulèvement. Les générations suivantes paraîtront peut-être moins politisées et consacrer moins de leur temps à la cause du peuple. Sauf que leur engagement, pour être moins tapageur, n'en est pas moins réel. Il prend simplement des formes plus subtiles, avec des slogans moins cinglants. Qu'on se souvienne de l'exposition «Utopia Station», une agora réunissant penseurs et artistes en 2003 à la biennale de Venise, puis en 2005 en marge du Forum social mondial à Porto Alegre. Ce modèle imaginant de nouveaux rapports entre art et pratiques sociales et politiques s'est depuis répandu dans les centres d'art (Bétonsalon ou Khiasma) qui se conçoivent comme des espaces «où s'élabore un questionnement». Par ailleurs, les luttes politiques (en faveur d'une meilleure représentation des minorités, pour l'égalité entre hommes et femmes, la préservation de la planète ou le droit des migrants) trouvent dans l'art un écho particulièrement aigu. Par exemple dans les interventions partout dans le monde de JR avec ses photographies monumentales d'anonymes ou dans les dispositifs ironiques de Neil Beloufa livrant un panorama critique du monde contemporain à travers archives, films et objets. Dans l'art, le monde n'en finit pas de s'écrouler -sur tous les airs, que ce soit sur celui de la science-fiction (avec le travail d'un Laurent Grasso et d'un Nicolas Moulin) ou sur celui de l'anthropocène. Le motif des ruines, si prisé par le romantisme noir du début du XIX e siècle (qu'incarnent les toiles de Caspar David Friedrich ou d'Horace Vernet), avait déjà trouvé une remarquable résurrection (si l'on peut dire…) dans les années 1970 avec Robert Smithson et Gordon Matta-Clark, qui perçaient les murs, fendaient les façades des maisons et s'aventuraient dans les sous-sols de Paris pour en révéler les sombres fondations (des trous, des cadavres, des mondes entiers engloutis, à peine à six pieds sous terre). Mais la pensée de l'anthropocène qui montre comment l'homme est devenu une force égale à celle de la nature, capable de bouleverser la marche de la planète et d'en précipiter la fin, a donné lieu ces dix dernières années à une pléthore d'expositions. De «Anthropocène Monument» aux Abattoirs de Toulouse en 2014, sous la houlette de Bruno Latour (avec notamment Tomás Saraceno et Pascale Marthine Tayou), à «Crash Test», proposition de Nicolas Bourriaud à voir jusqu'au 6 mai à la Panacée, à Montpellier, les menaces qui pèsent sur le vivant et les transformations en cours y sont largement mises en scène et en question.

EN COUVERTURE l QU'EST-CE QUE L'ART AUJOURD'HUI ?

EXPOSITION l TINTORET V enise, le 22 juin 1564. L'ambiance est parti culièrement tendue dans les locaux de la Scuola Grande di San Rocco. Giuseppe Sal viati, Federico Zuccaro, Véronèse et Tintoret, les quatre peintres les plus en vue du moment, sont chacun venus défendre leur projet pour décorer le plafond de la salle du conseil de la prestigieuse confrérie -destinée à lutter contre les épidémies de peste en apportant assistance et hospitalité à la population, elle est l'une des plus riches de la Sérénissime. L'enjeu est énorme car, à la clef, il y a pléthore d'autres commandes pour habiller les murs et les espaces encore vierges de l'ins titution. Chacun attend son tour pour présenter ses dessins devant les membres du conseil. Tintoret, lui, est venu les mains vides. D'abord surpris, ses concurrents commencent à craindre le pire. Et ils ont raison. Au moment où arrive son tour, Tintoret arrache du plafond un carton révélant devant l'assistance ébahie une peinture sur toile aboutie installée à l'emplacement prévu du projet. Quel culot, quelle audace ! Sans respect pour le protocole, Tintoret a visiblement bénéficié de l'aide d'un complice au sein de la confrérie… Face aux reproches qui lui sont adressés, l'artiste explique qu'il faut juger de peintures réelles et non de dessins préparatoires «afin de ne tromper personne», et propose d'offrir son oeuvre à San Rocco.

RENCONTRE l LEANDRO ERLICH À Buenos Aires, dans l'atelier, à la rencontre de la psychanalyse Situé dans un quartier devenu branché de la capitale argentine qu'il a investi voilà une dizaine d'années, avant la flambée immobilière, le studio d'Erlich n'a rien à envier à ceux des artistes new-yorkais tant il est vaste. De quoi traduire, dans sa conception, l'obsession de l'artiste pour la pensée et la définition des espaces. On le comprend d'autant mieux que son père, tout comme sa tante et son frère d'ailleurs, sont architectes. Et à 21 ans, sa première proposition artistique, dont le projet est toujours visible dans son atelier, avait d'abord à voir avec l'urbanisme et l'architecture. L'idée était de créer une reproduction de l'icône de Buenos Aires, l'obélisque de la Plaza de la República, non pas en pierre blanche comme l'original mais en métal rouillé, et de l'installer dans la banlieue la plus défavorisée de la ville. Las ! le projet avait été refusé par la municipalité. qui permet un réel différent. De la même façon, face aux quatre nuages présentés chacun dans une sorte de cabinet de curiosités, comme s'ils avaient été capturés dans le ciel tels des objets précieux, on est à la fois saisi par leur beauté et totalement abasourdi par la mise en scène. On tourne autour, on cherche, on regarde de côté. Et puis l'on découvre que ces nuages sont constitués de douze plaques de verre intercalées, chacune comprenant une partie du dessin du nuage, le volume étant créé par la lumière. Outre sa beauté, l'oeuvre incite à réfléchir sur l'obsession de l'homme à définir tout ce qui est impalpable. Chacun des quatre nuages adopte la forme de la géographie d'

L'HISTOIRE DU MOIS l CEIJA STOJKA « M aman, tu crois que le monde c'est ici ?» Ici, dans ces baraquements de misère, entre ces mille barbelés, dans cette odeur de corps brûlés ? La petite Ceija Stojka ne peut croire que Bergen-Belsen soit sa demeure à jamais. Déportée à dix ans, avec 3 000 autres Tsiganes, dans la rafle du 31 mars 1943, elle y est enfermée depuis début 1945 avec presque toute sa famille. Sidonie (la maman), la Mimi son amie, le petit frère Ossi, le cousin le Burli : avec eux, elle lutte contre la mort inéluctable, après avoir déjà traversé les enfers d'Auschwitz et de Ravensbrück. Elle en sortira vivante, miraculeusement, sauvée par l'armée britannique. Et toute sa vie, ou presque, elle se taira. Même son fils Hodja ne l'a jamais entendue se confier sur ces jours terribles qui ont vu la communauté rom se faire exterminer. Ils étaient environ 120 000 dans l'Autriche de l'entre-deux-guerres, pour la plupart ouvriers, sédentarisés dans la région du Burgenland (limitrophe de la Hongrie) depuis le début du XVII e siècle, selon l'historien Gerhard Baumgartner. Moins de 1 500 sont revenus des camps de la mort. Et chacun de leurs 120 villages a été anéanti. C'est pour tous ces morts qu'un jour, finalement, Ceija (prononcez Tchaïa) Stojka s'est mise à parler. Brisant un terrible tabou, elle est devenue la voix de tout un peuple. Plus de quarante ans après cette autre Shoah, la pétulante marchande de tapis autrichienne osa élever la voix pour rappeler que Roms et Sintis avaient eux aussi été décimés. Quitte à ce que ses frères et soeurs de sang lui en veuillent d'avoir évoqué cette part si sombre de leur mémoire, et de l'avoir partagée avec les gadjé, alors que tous s'étaient juré de se taire. En effet, lorsque les demandes de compensation affluèrent de la part de Tsiganes victimes du nazisme, dans les Photo de famille datant d'avant la guerre, vers 1935.

années 1960, presque aucune ne fut entendue. Les anciens tortionnaires étaient revenus à leur poste, et c'est souvent eux qui avaient à traiter ces dossiers ! «Quand l'Autriche retrouve sa pleine souveraineté en 1955, de nombreux ex-nazis sont réhabilités et réintégrés dans leurs fonctions antérieures, dans l'administration, la justice et la politique, précise Gerhard Baumgartner. Les Roms et les Sintis se rendent compte que, dans l'ambiance politique changeante des années de la guerre froide, il est probablement plus sage pour eux de garder le silence.» Poubelle, donc, pour des milliers de dossiers. Une seconde mort.

Nouveaux bâtiments, ateliers ultramodernes, cours en anglais, enseignants prestigieux… Les écoles d'art déploient diverses stratégies pour polariser l'attention des étudiants, français comme étrangers. La preuve par l'exemple, de Nantes à Strasbourg, Paris ou Lyon.

Cho Yoon-Sun L'ex-ministre sud-coréenne de la Culture a été condamnée en appel à deux ans de prison pour son rôle dans l'établissement d'une «liste noire» de près de 10 000 artistes critiques envers la présidente Park Geun-Hye, désormais destituée.

ARCHITECTURE DES ÎLOTS VERTS EN VILLE

Associer réflexion et approche pragmatique de l'architecture… Voilà l'équation recherchée par cette jeune agence néerlandaise, qui est spécialisée dans la construction de logements. Dans la commune de Nunspeet, à une centaine de kilomètres à l'est d'Amsterdam, ce programme combine l'image de la maison individuelle modèle XXL à celle de l'immeuble collectif à échelle humaine. Toits et murs de chaume, inspirés de la ferme traditionnelle, sont ici traités dans une version contemporaine qui exploite avec brio les qualités écologiques et esthétiques de ce matériau.

Le charme du chaume

Nunspeet, de Bunte Zwolle (Pays-Bas) • 2009 MIX Architectuur

Maisons en suspension

Émergence • Paris • 2016 Vincent Parreira & Manuel Aires Mateus

Situé à l'ouest du nouvel écoquartier Clichy-Batignolles, dans le XVII e arrondissement parisien, à deux pas du palais de justice signé Renzo Piano, cet ensemble de logements est articulé en quatre bâtiments de hauteur variable, aux façades blanches ou noires et aux typologies d'habitations hybrides. Aux traditionnels appartements mitoyens les architectes ont ainsi juxtaposé, à différents étages, des maisons individuelles.

La plupart des habitations disposent de balcons ou de terrasses avec vue sur le jardin intérieur ou le parc voisin.

VOTRE MAISON DE VENTES PARTENAIRE SUR LA « ROUTE DE LA SOIE » !

Notre prochain record est peut-être chez vous ! S on pied en bronze vert oxydé -première version -était un hommage africaniste à Constantin Brancusi. Son cercle de verre sablé, un halo diffuseur. La Lune aurait dû être un bougeoir, idée vite mouchée pour se muer en lampe électrique à poser. Ses auteurs, Garouste & Bonetti, le duo star de l'époque, s'était formé en coulisses des arts. Sorti du cours Florent, Mattia Bonetti faisait du théâtre avec David Rochline, le frère d'Élisabeth, mariée au peintre Gérard Garouste, et dont les parents tenaient le fameux magasin de souliers Tilbury, à Saint-Germain-des-Prés. Révélés par leurs décors du club Privilège au Palace, ils n'auront que la rue du Faubourg Montmartre à traverser pour se livrer à ces Barbares qui faisaient aussi la disco-java dans la célèbre boîte de nuit.

Un modèle très copié, même en plastique

Aux commandes, Agnès Kentish, venue de la pub, et Frédéric De Luca, styliste qui oeuvrait alors pour le chausseur italien Ugo Rossetti. Perché en étage et en appartement, En Attendant les Barbares était un ovni parisien, un bricolage sublime. La première lampe Lune sera vendue dans la cuisine à l'actrice Gabrielle Lazure, star éphèmère du jour. Son prix d'alors : 3 500 francs (soit l'équivalent de 1 000 euros aujourd'hui). Plusieurs versions plus tard, dont 20 exemplaires en bain d'argent, la lampe sera achetée par le Centre Pompidou, le Victoria & Albert Museum de Londres, le Cooper Hewitt de New York... Très copiée aussi, même en plastique. Après l'avoir décrochée, En Attendant les Barbares édite toujours la Lune de Garouste & Bonetti -le duo s'est séparé en 2001. Son bronzier, Mr. Redoutey chez Fodor, y veille depuis trente-cinq ans. Le poids total de l'objet est de 5 kilos ; le diamètre du disque : 24 centimètres ; la hauteur : 41 centimètres. Il n'a connu aucune modification notable, si ce n'est une vis pour mieux fixer le verre. En cas de casse, ce sera 280 €. La lampe est, elle, tarifée 1 750 €. En 2016, chez Piasa, un modèle «ancien», au pied en bronze doré, estimé entre 1 500 et 2 500 €, a été adjugé 6 400 €. Il était monogrammé BG, première signature de..

DESIGN

Obeliski

Elina Ulvio • Kolkhoze • 2015

Voici une pièce tout à fait unique : une horloge télescopique motorisée. À chaque heure, son cylindre, et à chaque cylindre, sa couleur et sa texture -en acier chromé, patiné, peint, traité à l'acide, cuivré ou doré à la feuille de laiton… Une fois les douze cylindres déployés, ils se rétractent, et un nouveau cycle du jour ou de la nuit reprend. Par Jacques Morice CINÉMA D e mémoire de cinéphile, on n'a jamais vu un homme enfiler ainsi un pantalon. Avec une telle prestance méticuleuse, un tel amour de l'habit. C'est l'un des premiers plans de Phantom Thread («le fil fantôme»). Cet homme, c'est Reynolds Woodcock, un grand couturier dans le Londres des années 1950, à la tête d'une maison qui habille les têtes couronnées, les stars du cinéma, les mondaines. Control freak et célibataire endurci ayant un lien fusionnel avec sa soeur, il a des liaisons avec des femmes qu'il utilise comme muses passagères. Jusqu'à sa rencontre avec une servante d'hôtel, pure et étourdie. Lui est un monstre d'orgueil, aussi courtois que cruel ; elle, une jeune proie fascinée et a priori docile. Elle va contre toute attente tenir tête à son maître.

Une merveille d'élégance vénéneuse

Histoire d'un amour suprêmement tortueux, Phantom Thread est une merveille d'élégance vénéneuse. Le scénario vertigineux écrit par Paul Thomas Anderson himself captive en étant imprévisible. Le cinéaste de There Will Be Blood et de The Master a déjà démontré qu'il était très doué, mais son esthétique a souvent frisé le m'as-tu vu, la démonstration gratuite de virtuosité moderniste. L'obsession, la manipulation, l'ambition forcenée proche de la folie, tous ses thèmes fétiches sont ici divinement corsetés et tissés -tenue du vêtement oblige. Résultat : le film est d'un grand classicisme, rappelant parfois l'âge d'or hollywoodien (Otto Preminger ou Joseph L. Mankiewicz). Sur ce que l'apparat dissimule d'oppression, le film semble dialoguer avec le Temps de l'innocence de Martin Scorsese. Il faut dire que Daniel Days-Lewis, définitivement immense, est dans les deux films, à travers un registre nettement plus vaniteux ici tout en étant d'une séduction sans nom. Il a annoncé que sa carrière s'arrêterait là. C'est ce qui s'appelle partir en beauté.

L'adieu à Daniel Day-Lewis

Un joyau de perversion rappelant l'âge d'or hollywoodien : le dernier Paul Thomas Anderson sera aussi l'ultime film de l'acteur aux trois oscars. Inconsolables nous sommes.

Souvenirs d'enfance à Oran

tonnes d'imagerie fade

J'ai hésité ; car s'engager contre un projet, donner l'impression de s'opposer à un artiste, notamment dans un pays dont l'une des caractéristiques culturelles est la négativité, où le «râleur» est sans cesse valorisé, m'est assez antipathique. Néanmoins, certains principes doivent être défendus. Commençons par l'esthétique. Je suis conscient qu'aujourd'hui, tout propos qui ne relève pas du pour ou du contre s'expose à être illisible, que la nuance et la mesure sont des valeurs en péril, mais raison de plus pour insister : certaines oeuvres, certaines séquences du travail de Koons me semblent importantes, et elles resteront dans l'histoire de l'art, tandis que d'autres paraissent bien plus faibles. Je range René Magritte ou André Masson dans la même catégorie, pour vous donner une idée. Mais cette main brandissant un bouquet de tulipes, loin du kitsch corrosif qui fait l'intérêt de Koons, relève davantage d'une imagerie fade et consensuelle, dont l'innocuité me semble plus pesante encore que les 35 tonnes nécessaires à ses soubassements. Ensuite, l'argument moral : j'ai la conviction qu'une oeuvre installée sur la place publique doit être l'expression du désir d'un collectif, quel qu'il soit, et peu importe l'adversité. Je suis attaché au principe des «Nouveaux commanditaires», inventé par le regretté Xavier Douroux à Dijon, qui défend le «portage» d'un tel projet par un groupe ou une collectivité militante. Certes, l'art ne doit en aucun cas faire l'objet d'un plébiscite, et croire que le vote démocratique s'appliquerait au goût relève de la démagogie : l'art relève davantage de la force du désir, mais le cadeau de Koons n'a guère déclenché que de la gêne, de l'embarras. Parce qu'on nous offre un diamant hors de prix, devrions-nous forcément accepter le rendez-vous à l'hôtel ? Un turbot qui a de la raie Alain Passard, chef triplement étoilé de l'Arpège, concocte tous les mois pour Beaux Arts une recette inédite, inspirée d'une oeuvre. Tel un faussaire, il transforme ici la fascinante Raie de Chardin en turbot sacrifié sur l'autel de la gourmandise.

Un cheval de Troie sur un lieu stratégique

Jean Siméon Chardin La Raie (1725-1726)

«A u-dessus de vous, un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin.» Proust ne cache pas son éblouissement en 1895 quand il découvre ce tableau peint par Chardin, dont il admire «la beauté de son architecture délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs, comme la nef d'une cathédrale polychrome». Le poisson écorché au regard vif n'a cessé de fasciner les contemplateurs de cette toile dans laquelle les objets inertes figurés à droite contrastent avec la tension émanant de la partie gauche, où un chaton au poil hérissé semble effrayé par la vision d'un élément situé hors cadre -libre à chacun d'imaginer ce qu'il veut. Digne des plus belles natures mortes flamandes, l'oeuvre valut à l'artiste d'être reçu à l'Académie royale de peinture et de sculpture. Alain Passard ayant voulu cuisiner le poisson dans son intégralité, il a choisi une variété aux formes comparables mais aux dimensions plus modestes : le turbot, qu'il fait cuire à l'ancienne : au feu de bois. D. B.

LA RECETTE D'ART

1/L'art est partout

Vrai.

On n'y échappe pas. Dans les rues aux façades tagguées, le long du tramway parisien bordé de sculptures de Bruno Peinado, Alain Bublex, Joana Vasconcelos…, ou du tram niçois avec Tania Mouraud entre autres, ou encore sur les rives du canal du Midi (un parcours d'art contemporain mis en place par le musée des Abattoirs-Frac Occitanie de Toulouse, à découvrir cet été à bord d'une péniche ou à vélo), au fin fond d'une forêt de la Meuse (grâce au beau programme «Vent des forêts»), dans les vignobles (de Château La Coste à la Commanderie de Peyrassol), chez l'habitant (des collectionneurs ouvrent régulièrement leur demeure), dans les écoles ou les prisons, les oeuvres semblent, plus que jamais, partout chez elles. C'est que l'art a su tomber des cimaises, sortir du cadre, investir l'espace et tout type de culture. C'est aussi, plus trivialement, qu'il est devenu un formidable vecteur de communication et de valorisation pour n'importe quel territoire. Un bémol : parfois, cette omniprésence s'accompagne d'une certaine dilution de la qualité des oeuvres. On peut être présent partout et visible nulle part.

Chloe Wise Lars Von Trier's The Sound of Music

Faux.

La beauté définie par des canons tels que les Académies des beaux-arts pouvaient les fixer, cette beauté-là aux proportions idéales, d'une exécution irréprochable, dans des oeuvres aux matériaux riches ou aux pigments rares, a fini par ne plus être choyée par les artistes. Trop dur d'égaler les maîtres ? Trop contraignant aussi. La beauté reste cependant une exigence, un désir, une aspiration qui portent les artistes envers et contre tout. Mais, à l'instar d'un Georg Baselitz et de ses bonshommes tête en bas, de Chloe Wise et son rapport à l'imagerie de la femme dans la société de consommation, ou de Markus Schinwald et ses prothèses faciales, ils la frottent aux aspects les moins reluisants de l'existence, la trempent dans la fange, la versent dans des tonalités (gothiques, réalistes, fantastiques, grotesques) dont elle est peu familière. Mais elle s'y fait.

Plus le monde se dématérialise, plus les images se liquéfient sur des supports digitaux, plus les artistes prennent plaisir à mettre la main à la pâte. Revendiquant une facture et des surfaces pleines d'aspérités, d'imperfections, de bosses, de reliefs, de matières brutes (la glaise, la laine, le cuir, des pigments naturels), les plasticiens (de la doyenne Sheila Hicks à Laurent Le Deunff) font tout eux-mêmes. Et adaptent leur mode de vie à ces rustres pratiques en choisissant souvent de travailler loin des villes -la plupart ont un atelier aux champs. Ils scrutent en outre des formes rustiques et des imaginaires vernaculaires. Les récentes expositions, d'une part sur la tapisserie et d'autre part sur les bijoux d'artistes au musée d'Art moderne de la Ville de Paris, témoignaient aussi de ce goût retrouvé pour les arts appliqués.

Si on pense à ces performances de body-art où le corps est mis à rude épreuve, alors, oui, ce type d'action a fait long feu. En revanche, les interventions d'artistes réaffirmant la primauté de l'oralité et de l'échange avec le public, en lui tenant un discours qui relève parfois de la conversation (Tino Sehgal) ou faisant intervenir des comédiens, des danseurs ou de simples lecteurs, ont donné lieu ces dix dernières années à des oeuvres remarquables. La preuve avec le Lion d'or remis l'an dernier à l'Allemande Anne Imhof ainsi qu'avec l'exposition performée, pittoresque leçon L'art a-t-il jamais été réservé à une catégorie de gens ? Si oui, alors, c'est probablement que ceux-là ont mis la main dessus, en en gardant pour eux la jouissance et en interdisant l'accès aux autres. Comment s'y prendre ? Claquemurer les trésors artistiques dans des châteaux aux portes fermées à double tour ? Pas seulement. On peut aussi compliquer la signification des oeuvres. Suggérer et laisser croire qu'elles ne sont pas destinées au commun des mortels. Comment ? En livrant des explications alambiquées et des commentaires ampoulés auxquels personne (probablement même pas les artistes) ne pourra rien comprendre mais conclura simplement que non, décidément, l'art n'est pas fait pour lui. Ce qui fait obstacle à la compréhension ou à la jouissance de l'art, c'est rarement l'art lui-même. C'est pourquoi tant d'artistes, d'Aurélien Froment à Ryan Gander, de Xavier Veilhan -qui exhibait cet été, à Venise, les coulisses de la création musicale -à Tino Sehgal, travaillent aujourd'hui sur le processus de la transmission.

Dépourvus de collections, les centres d'art ont pour vocation de suivre de très près la création contemporaine. À la différence des musées, ils peuvent se permettre de bredouiller leur histoire de l'art : ce sont eux et les artistes qu'ils mettent en avant qui l'écrivent. En France, la densité et l'énergie de ce réseau forcent l'admiration. Ces dernières années, nombre de ces centres se sont d'ailleurs rénovés, agrandis et diversifiés. À Dijon, le Consortium, 40 ans d'âge, a fait peau neuve dans un bâtiment lumineux signé Shigeru Ban et doté d'une salle de spectacle en sus des 16 salles d'exposition.

16/Les centres d'art ne servent plus à rien À Bourges, le Transpalette et, à Poitiers, le Confort moderne, rouvert en décembre dernier, proposent une programmation musicale, plastique et conférencière aussi pointue que réjouissante. À Montpellier, c'est en cours : sous la férule de Nicolas Bourriaud, nommé en 2016 à la tête du projet Montpellier contemporain (MoCo), la ville augmente le centre d'art de la Panacée de l'hôtel Montcalm et de ses 1 800 m 2 d'exposition (ouverture prévue en juin 2019), en y adossant également l'École des beaux-arts. «Une structure multisite» groupant recherche, création et exposition qui pourrait bien faire des émules… À noter encore la réouverture, en 2017, du Centre de création contemporaine de Tours (CCCOD) qui abrite, au coeur de ses 4 500 m 2 et autour de projets contemporains, des oeuvres d'Olivier Debré. Que ces lieux soient tous situés en région révèle assez combien l'art contemporain peut se trouver bien logé loin des épicentres -notons que le Plateau, centre d'art complémentaire du Frac Ile-de-France, a manqué de voir sa subvention supprimée par la Mairie de Paris. Car les espaces en banlieue dédiés à l'art ne manquent pas d'audace : le CAC de Brétigny-sur-Orge (et sa directrice, Céline Poulin, nommée en 2016), le Crédac à Ivry-sur-Seine, fondé en 1987 mais idéalement relogé il y a six ans à la Manufacture des oeillets, ou encore les Laboratoires d'Aubervilliers, osent tout. Sans pourtant cependant jouir des moyens faramineux des fondations privées qui, elles aussi, essaiment aux abords de la capitale.

2/La beauté n'intéresse plus les artistes

Vrai.

L'histoire de l'art moderne a ses repères commodes qui permettent aux amateurs de garder le cap et de remonter le cours des siècles. L'impressionnisme, le symbolisme, le cubisme, le fauvisme, puis, en sautant quelques décennies, l'art conceptuel, le minimalisme, le nouveau réalisme, chaque époque a son mouvement, ses artistes, ses oeuvres phares. Certes, l'histoire a fait son tri pour ne garder que les traits esthétiques saillants. Mais, par le passé, il semble que les manifestes, les écoles fédérant des artistes et des critiques autour de déclarations impérieuses commandant ce que l'art devait être, les ruptures et les coups d'éclat étaient peut-être plus fréquents, notamment parce que l'art obéissait encore à une logique moderniste de progrès. Aujourd'hui, il y a de la place pour tout. Figuration, abstraction, pop, minimalisme… Un même artiste peut d'ailleurs piocher dans toutes ces catégories à la fois, sans pour autant paraître se contredire, ni même préférer l'une à l'autre. Si aucune ligne esthétique ne domine vraiment, on parle beaucoup actuellement d'artistes post-Internet, à l'instar d'Aleksandra Domanović, ou de la zombie painting. Mais il s'agit davantage de phénomènes de mode, voire de coups marketing à l'adresse des acheteurs.

5/Les artistes contemporains n'ont rien inventé

Faux.

Certes, les oeuvres sont parfois truffées de références à l'histoire de l'art (y compris la plus récente) et seuls les plus savants des experts peuvent les apprécier tant la citation, le pastiche ou la parodie sont subtils. Qu'on songe par exemple à Maurizio Cattelan et à sa manière de détourner les Concetto spaziale de Lucio Fontana en prêtant aux fameuses fentes dans la toile la forme du Z de Zorro. De là à dire que les artistes contemporains n'inventent rien, qu'ils viennent trop tard et que tout a déjà été fait… non. Si l'innovation n'est plus un critère aussi décisif qu'à l'époque moderne, il n'en demeure pas moins qu'ils continuent à prêter forme à des techniques et des processus audacieux. Les films numériques, aussi drôles qu'intelligents, d'un Bertrand Dezoteux ou d'un Ed Atkins arborent une texture fluide et mettent en scène des créatures qu'on n'a guère pu voir auparavant. Figure) 2014 -automate troublant de réalisme, qui se meut dans l'espace d'exposition, à la fois sexy et démoniaque, tel un éclaireur agressif préparant le terrain pour ses pareils. Comme si c'était non seulement les artistes qui allaient devenir obsolètes, mais aussi les critiques et les spectateurs. En théorie, en pratique, raisonnablement et sentimentalement, oui, chacun peut se mettre à peindre, dessiner, lancer une idée en l'air et faire de l'art conceptuel. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si l'art outsider (ou art brut) revient aussi massivement sur le devant de la scène. Ces artistes, parfaits inconnus qui sortent de nulle part, qui ont souvent vécu à la marge, sont désormais exposés (en particulier au LaM de Villeneuve-d'Ascq et à la Maison rouge, à Paris) et achetés. Logique, si l'on considère que le diktat des critères esthétiques de l'Académie est tombé à force de laisser les Pompiers rallumer les mêmes mèches encore et encore. Par ailleurs, aujourd'hui, Internet et les réseaux sociaux offrent à tous ceux qui se sentent pousser des ailes d'artistes une vitrine pour le faire savoir et montrer, sans intermédiaire, sans filtre, de quoi ils sont capables. Quelques-uns se sont ainsi fait un nom sur Instagram, à l'image d'Amalia Ulman postant des selfies de pure fiction, avant d'être adoubés par le milieu. C'est à vrai dire la condition pour en être. Car, pour faire profession d'artiste, c'est-à-dire pour faire carrière en ce début du XXI e siècle, il semble qu'on ne puisse pas tout à fait rester seul avec ses followers. D'abord, les études s'imposent : une école d'art, un post-diplôme. Puis un an dans l'atelier d'un grand artiste (si possible à l'étranger), une résidence… le parcours s'est professionnalisé -d'aucuns diront uniformisé ou rationalisé. D'autant qu'il s'agit aussi de savoir gérer la paperasse et d'avoir de l'entregent, en plus du talent. Et surtout de montrer beaucoup d'obstination et de foi en soi.

Figure

Ed Atkins

8/Les artistes ne s'intéressent plus à la politique

Laurent Grasso Série Studies into the Past

Sans date, huile sur bois, 20,5 x 27 cm.

Tomás Saraceno Stillness in Motion -Cloud Cities

Vue de l'exposition éponyme au Museum of Modern Art de San Francisco en 2017.

Vrai et faux.

Le prix des oeuvres sur le marché atteint des niveaux si extravagants que les collections publiques ne peuvent plus suivre le rythme. Les valeurs d'assurance contraignent les institutions à se passer de certaines pièces pour des expositions dont le nombre annuel se réduit singulièrement. Les foires font payer cher aux galeries un stand que seules quelques-unes peuvent rentabiliser. Ce cercle vicieux fait dériver l'art vers le luxe et le lisse, le tape-à-l'oeil et l'ennui. Mais qu'on ne s'y trompe pas.

19/Les grandes galeries font la loi 18/Les musées sont devenus des écoles

Le Centre Pompidou a lancé, l'automne dernier, son école sous la forme d'un Mooc (un cours en ligne, ouvert à tous). Au programme, cinq gestes simples («détruire, assembler, reproduire, réduire, critiquer») pour se faufiler dans les méandres de l'histoire de l'art moderne et contemporain. Par ailleurs, dans les murs, un artiste fait sa classe (Sophie Calle ayant inauguré la session). Beaubourg n'est pas le seul musée à consolider ainsi son offre éducative. Le MoMA, la Tate offrent toute une gamme de learning programs. Ce qui signifie ceci : que l'art, son histoire certes mais, au-delà, ses portées esthétiques, conceptuelles, symboliques, s'apprennent, s'acquièrent, se conquièrent. Les musées ne sont plus seulement prétexte à contemplation pure et sensible, ou au simple divertissement pour une catégorie déjà éduquée. À l'heure des réseaux sociaux et de la diffusion massive des savoirs sur Internet, ils s'envisagent désormais inévitablement comme un lieu de transmission démocratique. La galerie Thaddaeus Ropac à Pantin dispose de 2 000 m 2 d'exposition.

Beaux Arts I 61

Vrai.

Le multiple ne date pas d'hier, mais le dynamisme de son économie -avec des galeries spécialisées, de jeunes éditeurs et un salon (Mad, créé en 2015) -est incontestable. À quoi tient-il ? Au fait que les oeuvres dites «multiples» échappent aux critères esthétiques et commerciaux du monde de l'art. En outre, elles peuvent se diffuser aisément par Internet ou physiquement, de la main à la main, sans le poids des transports, leur taille et leur prix restant modestes. Enfin, le multiple est relativement économe dans ses moyens de production. Les artistes ont donc tout loisir d'en assurer la fabrication de bout en bout sans passer par des intermédiaires. Une liberté abordable ! 20/Le multiple démocratise l'art

Jeff Koons

Tintoret

En prélude au 500 e anniversaire du peintre qui fera l'objet d'une rétrospective au palais des Doges de Venise en septembre prochain, une exposition parisienne se concentre sur la jeunesse de Tintoret. L'admirateur de Michel-Ange et de Titien dépassa-t-il l'un et l'autre par «la bizarrerie de ses inventions», comme l'affirme Vasari, le biographe des maîtres de la Renaissance ? Éléments de réponse.

Le Miracle de l'esclave

Les yeux rivés au sol, la foule incrédule tente de comprendre ce qui se passe. Mais seul le spectateur de cette mise en scène théâtrale peut voir Marc, le saint patron de Venise, surgir du ciel pour sauver l'esclave promis au martyre pour l'avoir prié, en brisant les instruments du supplice. Avec cette oeuvre sidérante aux couleurs contrastées, Tintoret se hisse au sommet de la cité des Doges.

1547-1548, huile sur toile, 416 x 544 cm.

Plus loin que l'extravagance

Un véritable coup de maître. Non seulement Tintoret a coiffé au poteau ses brillants adversaires, mais il remportera aussi par la suite l'ensemble des commandes de la Scuola Grande di San Rocco, édifice qui allait devenir un monu ment tout entier dévolu à sa gloire. Un temple où chacun pourrait admirer ad vitam aeternam la théâtralité de ses compositions originales, la puissance de formes inventées directement sur la toile, la force de ses figures en clair obscur émergeant d'un fond ténébreux, et, surtout, sa touche fougueuse et spontanée, laissant visible le travail de la matière. Au point que le célèbre biographe Vasari décrit l'artiste comme «le plus terrible esprit qu'ait jamais connu la peinture», soulignant combien «d'une manière différente et complètement en dehors de la voie suivie par les autres peintres», Tintoret «est allé plus loin que l'extravagance, par la bizarrerie de ses inventions».

Dès ses débuts, Tintoret veut casser les codes de la créa tion picturale. Il affiche une ambition démesurée. Celle d'égaler les plus grands, Raphaël, MichelAnge et, bien sûr, Titien, qui dominait alors la scène artistique vénitienne où il avait fait triompher le colorito. Le supposé passage par l'atelier de Titien dont il aurait été chassé au bout de quelques jours (le maître ayant d'emblée jalousé son talent) ou qu'il aurait quitté considérant qu'il ne serait pas un bon mentor, s'il semble relever du fantasme, en dit long sur sa soif de réussite. Tintoret veut, par son art, s'ériger au sommet, séduire les plus puissants commanditaires, lui, l'artiste de condition simple qui doit son surnom -Tintoretto, le «petit teinturier» -à la profession de son père, dont il n'a de cesse de revendiquer les racines vénitiennes.

Le Christ relégué dans l'ombre du tableau

De son vrai nom Jacopo Robusti, l'artiste est né à Venise en 1519. Il fait probablement son apprentissage chez Boni facio de Pitati, peintre originaire de Vérone à la tête d'une bottega prospère où s'activent élèves, assistants et peintres indépendants venus prêter mainforte pour les grandes commandes. Très vite, il ouvre son propre atelier, vers 1539, dans le quartier de San Cassiano, travaillant à son compte mais aussi pour des artistes tels Bonifacio et même Titien. Ses compositions surprenantes, jouant avec la perspective et détournant les règles de la représentation illusionniste pour donner à voir la vie et traduire les tourments de l'âme, remportent un franc succès. Les puissantes scuole de la République de Venise ne jurent que par lui.

EXPOSITION l TINTORET

Tintoret est désormais considéré à l'égal de Titien. Nul hasard quand le critique vénitien Paolo Pino écrit cette année-là : «Si Titien et Michel-Ange ne faisaient qu'un, c'est-à-dire le dessin de Michel-Ange allié à la couleur de Titien, on pourrait appeler cet homme le dieu de la peinture.» D'ailleurs, Carlo Ridolfi, le premier biographe de Tintoret, raconte que celui-ci aurait inscrit comme devise sur le mur de son atelier «le dessin de Michel-Ange et la couleur de Titien». Plus rien ne peut arrêter l'ascension du nouveau dieu de la scène picturale vénitienne.

Son atelier travaille sans relâche. Comme la plupart des artistes de l'époque, il y emploie ses enfants. Son fils Domenico devient son principal assistant, réalisant des oeuvres de belle qualité. Sa fille naturelle adorée Marietta, elle aussi peintre, épouse Sebastiano Casser qui les rejoindra au sein de l'atelier. Ils ne sont pas de trop pour répondre à la demande -immense. San Rocco occupe Tintoret jusqu'en 1587. Il y réalise quantité de chefs-d'oeuvre, dont la célébrissime Crucifixion, composition dramatique entre le jour et la nuit où une foule de personnages se déchaînent autour d'un Christ lumineux et immobile. Parallèlement, Tintoret s'illustre dans l'art du portrait. D'une grande sobriété, ses effigies font ressortir l'âme du modèle. Les patriciens raffolent de ces représentations dénuées de détails superflus ou ostentatoires.

Du roi d'Espagne à Sartre, tous subjugués

Après la mort de Titien, Tintoret, comme Véronèse, récupère les commandes de grands princes. Il met ses talents au service du duc de Mantoue (où il se rend en 1580) et de l'empereur Rodolphe II pour lequel il peint quatre tableaux mythologiques consacrés à la vie d'Hercule. Puis c'est au tour du roi Philippe II d'Espagne de lui passer commande. Tintoret réalise ainsi en 1583 un tableau d'autel sur le thème de la Nativité. Dix ans plus tard, c'est la consécration : avec son fils Domenico, ils deviennent membres de l'Accademia Veneziana Seconda. Dans les dernières années de sa vie, il participe également à la monumentale entreprise de décoration du palais des Doges, pour laquelle il sollicite plus que jamais l'aide de ses enfants. Domenico termine sans son père le Paradis, morceau de bravoure couronnant la carrière d'un peintre de génie. Tintoret meurt en 1594, après avoir marqué de façon indélébile la peinture de sa touche effrontément libre. Quatre siècles après Vasari, dans un texte intitulé le Séquestré de Venise, Jean-Paul Sartre constate à son tour que «sous le pinceau du Tintoret, la peinture s'est fait peur». «Une longue évolution a commencé, qui substituera partout le profane au sacré : froids, étincelants, givrés, les divers rameaux de l'activité humaine surgiront l'un après l'autre de la douce promiscuité divine. L'art est touché : d'un tassement de brumes émerge ce désenchantement somptueux, la peinture.» n Mieux que quiconque, l'artiste sait répondre aux attentes des confréries. Pour la Scuola del Sacramento, dont les membres ont épousé un idéal d'humilité, il exécute un Lavement de pieds (1547), dont les principaux protagonistes, le Christ, Pierre et Jean, sont relégués dans l'ombre du tableau, un procédé nouveau déroutant et fascinant. L'énergie qui s'en dégage et la multiplicité des points de vue (telle qu'il est impossible d'embrasser la scène d'un seul regard) impressionnent jusqu'à Bassano et Véronèse.

Violence et sidération

Mais c'est un an plus tard, avec le Miracle de l'esclave [ill. p. 60], que Tintoret marque définitivement les esprits. Le miracle en question a lieu dans la salle de réunion de la Scuola di San Marco. La scène qui y est dépeinte dans les tons ocre, rouge cramoisi, vert olive et bleu gris, est un concentré de personnages contorsionnés traduisant un sentiment de sidération exacerbée -celle des bourreaux ne pouvant accomplir leurs basses oeuvres, mais aussi celle du spectateur. L'ensemble s'organise selon un axe partant de la main droite du saint dominant la foule, sans cesse interrompu par des ombres et coups de peinture noire créant une dissonance aussi violente qu'envoûtante. Les membres de la confrérie se déchirent pour savoir s'il faut exposer cette oeuvre qui fait un bruit tel à Venise que

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Beaux Arts I 67

Montrer l'ascension d'un artiste avant la gloire et la reconnaissance officielle : tel est le propos de l'exposition du musée du Luxembourg qui se penche sur les années de jeunesse de Tintoret, période encore sujette à de nombreux débats chez les historiens de l'art. Délicat en effet, dans certains cas, de différencier la main du maître de toutes celles de son atelier, où plane l'ombre de Giovanni Galizzi, son principal collaborateur jusqu'au milieu des années 1550. S'appuyant sur les recherches de Roland Krischel, conservateur au Wallraf-Richartz-Museum de Cologne où l'exposition a d'abord été présentée, le parcours propose d'attribuer à Tintoret un Lavement de pieds conservé à Grenoble, considéré jadis comme une copie d'atelier, et un Portrait d'Andrea Calmo jusque-là donné à Carrache. Une manière d'attirer l'attention du public sur ces épineuses questions d'authentification et une invitation à se rendre à Venise où sont conservés la plupart des chefsd'oeuvre. En attendant la rétrospective célébrant les 500 ans du peintre au palais des Doges (septembre 2018-janvier 2019) puis à la National Gallery of Art de Washington (mars-juin 2019).

L'Annonciation

Jamais l'annonce faite à Marie de sa maternité divine n'avait été représentée avec autant d'énergie. Faisant irruption dans une pièce meublée à la mode vénitienne, une horde d'angelots déchaînés accompagne l'archange Gabriel. Surprise, la Vierge interrompt sa lecture tandis que l'Esprit saint se manifeste en projetant sur elle une lumière éblouissante. C ommandée en 1562 pour la Scuola Grande di San Marco (et désormais conservée aux Gallerie dell'Accademia de Venise), cette oeuvre aux teintes orageuses dédiée au saint patron de la Sérénissime fait la synthèse de deux récits. Celui, miraculeux, durant lequel, grâce à une violente pluie providentielle tombée sur Alexandrie, les chrétiens parviennent à arracher le corps de Marc du bûcher où il devait être brûlé après son martyre, pour l'enterrer selon leurs rites. Il évoque aussi simultanément le vol -commandité par le doge Giustiniano Participazio près de huit siècles plus tard, en 828 -des reliques de l'Évangéliste par deux marchands vénitiens de passage en Égypte. Les restes du saint auraient été portés triomphalement dans toute la ville jusqu'à ce que la procession s'immobilise, sans plus pouvoir avancer d'un pouce, désignant ainsi l'emplacement où serait bâtie la basilique dévolue à saint Marc. Pour traiter cet épisode sur lequel Venise asseoit sa légitimité religieuse et affirme son indépendance vis-à-vis de Saint-Pierre de Rome, Tintoret imagine une composition originale et déroutante autant pour l'oeil que pour l'esprit. n

La place Saint-Marc avant saint Marc

Tintoret situe la scène de l'enlèvement du corps de Marc dans un décor typiquement vénitien. Le dallage, la disposition des édifices, les arcades sur la gauche évoquent la piazza San Marco et les bâtiments qui l'entourent, les Procuraties. L'église, au fond, est une probable allusion à l'église San Geminiano, érigée sur la place au VI e siècle, puis plusieurs fois détruite et reconstruite. Pour élaborer ses grands décors urbains, Tintoret s'inspire d'architectes contemporains tel Sebastiano Serlio, dont il avait lu les traités et étudié les gravures.

1

Un martyr sculptural

Athlétique et puissant, évoquant la statuaire autant que la mort, le corps du saint ne porte pas les marques de son martyre. Le premier biographe du peintre, Carlo Ridolfi, raconte que celui-ci travaillait d'après des reproductions en plâtre de sculptures antiques et faisait venir de Rome des répliques miniatures des oeuvres de Michel-Ange. Qu'il étudiait ensuite à la lumière d'une lampe à huile pour traduire sur la toile leurs puissants contrastes.

Petit théâtre de la cruauté

Des ocres, des orangés, des bruns et des gris contrastant avec des blancs lumineux… Le spectateur est plongé dans un décor fantasmagorique angoissant, sous un ciel nocturne déchiré par la foudre. Pour donner un maximum de profondeur à cette mise en scène théâtrale, l'artiste a organisé l'espace selon une perspective tout en longueur. Une diagonale part de l'angle inférieur gauche, où un homme jeté à terre tire un morceau d'étoffe semblable à un rideau de scène, et se poursuit avec cet autre qui tente de tirer la corde attachée au chameau, puis avec le bûcher, avant de se perdre au loin dans les nuages noirs.

La fuite des ombres

Ils ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. Les païens en train de fuir ressemblent à des apparitions fantomatiques. De son coup de pinceau fougueux et spontané (qui lui vaudra tant de reproches), comme s'il avait choisi sciemment de les laisser inachevées, Tintoret a esquissé les figures en grisaille de manière à ce qu'elles se confondent avec l'architecture où elles courent se réfugier.

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Le saint, les voleurs, l'artiste et son mécène Le groupe de figures massées au premier plan dans l'angle de la toile est un procédé auquel l'artiste a souvent recours pour entraîner le regard à l'intérieur de l'image. Parmi les personnages, on identifie aisément les deux marchands s'apprêtant à hisser le corps du saint sur un chameau. Quant à l'homme qui lui soutient la tête avec délicatesse, il s'agit du commanditaire de la peinture, Tommaso Rangone en personne, grand gardien de la Scuola Grande di San Marco de Venise. Cette présence centrale de Rangone créa le malaise parmi les membres de la confrérie qui reprochèrent à Tintoret de lui avoir accordé trop d'importance. Lequel se serait lui-même représenté sous les traits du quatrième protagoniste, à l'extrême droite de ce chef-d'oeuvre. I l faut monter au 53 e étage de la tour du Mori Art Museum, à Tokyo, pour accéder au port d'embarquement des mondes improbables de Leandro Erlich. Car l'entrée dans la première rétrospective de l'artiste argentin se fait par un embarcadère qui débouche sur une salle plongée dans l'obscurité, dans laquelle de petits bateaux semblent flotter sur un lac noir. Une atmosphère de douceur pensée pour favoriser la contemplation et qui reste pourtant empreinte d'étrangeté. Car le visiteur se rend compte peu à peu qu'il n'y a pas d'eau, que les bateaux ne flottent pas, qu'ils sont juste posés sur un plot et bougent «naturellement» sous l'effet de la gravité, donnant l'illusion d'un espace maritime totalement fictif. Intitulée Port of Reflections, l'oeuvre qui ouvre l'exposition incite les visiteurs à la réflexion. Au point que Leandro Erlich a a été qualifié à tort de maître de l'illusion, voire d'artiste de l'entertainment, victime du succès de certaines de ses installations très ludiques telle celle qui avait notamment réjoui les visiteurs de la Nuit Blanche en 2004 : Bâtiment, dispositif dans lequel un miroir disposé au sol sous une façade donne au public l'impression d'être suspendu aux fenêtres et balcons de l'immeuble. Or c'est moins l'illusion que le sens du possible qui est en jeu dans son travail, comme aurait pu le définir Robert Musil dans son roman mythique paru en 1939 L'Homme sans qualité : «[…] il serait original d'essayer de se comporter non pas comme un homme défini dans un monde défini où il n'y a plus, pourrait-on dire, qu'un ou deux boutons à déplacer (ce qu'on appelle l'évolution) mais, dès le commencement, comme un homme né pour le changement dans un monde créé pour changer […]».

Devenir acteur de l'oeuvre

Les créations d'Erlich mettent ainsi les visiteurs dans cet état de questionnement. Pour Reiko Tsubaki, commissaire de la rétrospective Seeing and Believing, ses installations interrogent notre rapport à ce que l'on voit et ce en quoi l'on croit. Erlich met à mal l'expression «Je ne crois que ce que je vois». De quoi s'agit-il ? Que dois-je faire ? Autant de questions posées face aux installations d'Erlich, lequel ne livre aucune explication. Rarement simple regardeur, le visiteur est incité à devenir acteur de l'oeuvre. Ainsi en est-il de l'installation présentée au Mori Art Museum, The Classroom (la salle de classe). On pénètre dans une pièce faiblement éclairée où sont disposés derrière une vitre un tableau noir, un bureau de professeur, des tables et sièges pour écoliers. Puis on découvre une vitre transparente qui sépare cette salle de classe d'une autre identique à l'aspect poussiéreux et fantomatique, comme à l'abandon. À travers ce dispositif, Leandro Erlich centre l'attention sur deux maux du Japon contemporain : la baisse drastique des naissances et l'exode rural, ce qui provoque la fermeture de nombreuses écoles. Sans qu'aucune information ne leur soit donnée, les visiteurs s'assoient naturellement sur les bancs d'école et découvrent, ébahis, que leur image se projette dans l'autre salle, tel un spectre. Un «effet» obtenu grâce à un procédé simple , un réglage de la lumière différent entre les deux pièces. Aucune magie ni technologie sophistiquée ! D'ailleurs, Erlich prend soin de toujours mettre en évidence le «truc» À Tokyo, là où l'on s'amuse à réfléchir

CI-DESSOUS

Beaux Arts I 75

En 2015, pour une exposition organisée au musée d'Art latino-américain de Buenos Aires, Leandro Erlich a enfin réussi l'inimaginable : donner l'illusion que le pyramidion de ce même obélisque avait été supprimé ! Il en avait couvert le sommet, percé de quatre fenêtres, d'un matériau le faisant disparaître, puis avait reproduit le pyramidion à l'identique devant le musée. On pouvait y pénétrer et y expérimenter l'impossible à travers les quatre fenêtres (des écrans vidéo en réalité) : la vue depuis le sommet de l'obélisque, alors qu'accéder tout en haut du véritable monument est interdit au public. Reproduction, dualité, gémellité… autant de sujets qui traversent l'oeuvre d'Erlich, passionné comme nombre d'Argentins par la psychanalyse. Sachez-le : le pays est celui qui compte le plus grand nombre de psychanalystes par habitant. Et les ouvrages de Freud et de Lacan y sont des best-sellers ! Pourtant, Leandro Erlich n'a ni l'allure ni le mode de pensée d'un psychanalyste. Il est lumineux, le timbre de voix chantant, surtout lorsqu'il parle en français (parfaitement). Mais derrière cette grande douceur, on perçoit vite sa puissance d'analyse. Son mode de pensée navigue dans les contrées des mathématiques ou de l'esthétique. C'est un homme de l'attention. Attention pour sa famille (son épouse est aussi une artiste et ses deux enfants en montrent déjà toutes les qualités…), ses amis, pour les autres artistes, mais aussi pour les gens en général et pour la vie, notre mode de vie en particulier. C'est un philosophearchitecte qui construit son rapport à la vie. Son atelier, où travaille moins d'une dizaine de collaborateurs, est un véritable espace de production où sont fabriquées et expérimentées la plupart de ses oeuvres. Dans le calme et la bonne humeur, même quand le stress est au rendez-vous. Car même sous la pression, Leandro Erlich reste un homme qui réfléchit. Il rayonne aussi, sans cesse à la recherche de l'émerveillement.

Avec l'obélisque iconique de Buenos Aires, l'artiste réussit l'inimaginable : donner l'illusion que le pyramidion a été supprimé et le reproduire devant le musée d'Art latino-américain. pays. Sa première exposition parisienne au cours de l'automne 1998, organisée par la galerie Gabrielle Maubrie, m'avait donné le sentiment de vivre une véritable expérience. L'espace semblait immédiatement rétréci et totalement vide, mis à part un bureau derrière lequel se trouvait la galeriste, invitant d'un sourire le visiteur à ouvrir une porte. À l'intérieur se trouvait un petit salon central avec ses fauteuils, des miroirs étaient accrochés aux murs. Décontenancé par cet espace banal, j'en fis le tour et, soudainement, je fus stupéfait : face au second miroir, ce n'était pas mon reflet que je voyais mais celui de tous les objets de la pièce ! Je mis quelques secondes à comprendre l'astuce. Le deuxième miroir n'en était pas un, mais un trou creusé autour du cadre ouvrant sur une autre pièce où étaient reproduits à l'identique les meubles et objets... Une oeuvre en forme de piège psychanalytique.

CI-CONTRE

Avec plus de 4 300 m 2 d'ateliers techniques de production en plein Quartier de la création, les halles Alstom reconfigurées par l'architecte Franklin Azzi offrent un écrin de rêve aux 350 étudiants de l'École supérieure des beaux-arts de Nantes.

ancien. Au XIX e et au début du XX e siècle, de nombreux peintres chinois ont été formés dans cette institution historique qui jouit d'une position géographique unique et d'une collection de dessins exceptionnelle. Ce patrimoine continue de séduire de nouvelles générations, fascinées par le prestige du site de la rue Bonaparte. Mais pour développer ce capital, l'école organise des expositions, comme celle qui a débuté fin janvier au musée des Beaux-Arts de Pékin. Persuadée que l'enseignement de disciplines traditionnelles -mosaïque, céramique, dessin, peinture… -est l'un de ses atouts, elle a aussi ouvert en 2007 une antenne à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) axée sur les «techniques lourdes» telles que la forge, le modelage et le moulage. En attendant de pouvoir s'inscrire dans un programme plus vaste autour de l'art et du design qui devrait se concrétiser dans cette ville à l'horizon 2021.

Contre les lois physiques immuables

Depuis, Erlich est intervenu maintes fois en France. À Toulouse, où il a présenté en 2003 Eau molle, sorte de matelas offrant la sensation de marcher sur l'eau. À Paris, où il a réalisé, entre autres expositions ou projets, Maison fond pour la Nuit Blanche 2015, soit une petite maison en pierre RENCONTRE l LEANDRO ERLICH et brique implantée sur le parvis de la gare du Nord semblant se fondre dans le bitume. Intitulé Sous le ciel, son projet présenté cet hiver au Bon Marché faisait référence à sa passion pour Paris, à sa collection de nuages, mais aussi à l'idée selon laquelle «le ciel serait cette frontière délimitant le monde intelligible, aux lois scientifiques connues, soumis au temps, et la gravité de l'univers lointain, cosmique». Encore une fois, c'est à nos habitudes, à notre perception du réel, aux lois physiques immuables que s'attaque Leandro Erlich. Comme l'atteste cette spectaculaire et magnifique transformation qu'il a réalisée, pour une durée de trois mois, des escalators emblématiques du Bon Marché, conçus en 1990 par la designer Andrée Putman. Intitulée Noeud mécanique, l'installation donne le sentiment aux visiteurs que les escalators ont été entremêlés. Leur apparence nouvelle évoque un manège, un toboggan, un noeud complexe, un parcours improbable où l'on ne sait si l'on monte ou si l'on descend. Il tord les escalators pour tordre la réalité et nous déconcerter. Sous les ciels de Paris, de Tokyo et du monde entier, Leandro Erlich nous met la tête à l'envers. Cela irrigue les neurones et rend plus intelligent. Et sans aucun doute très heureux ! n

Maison fond

2015, installation sur le parvis de la gare du Nord à Paris (Nuit Blanche 2015).

Noeud mécanique

Exposition «Sous le ciel», Bon Marché Rive Gauche, Paris, 2018.

Retrouvez Leandro Erlich en vidéo sur… www.beauxarts.com Sous la verrière du Bon Marché, les escalators ont été entremêlés en un parcours improbable où l'on ne sait plus si l'on monte ou si l'on descend.

Des toiles peintes dans le secret de sa cuisine

Il faut attendre les années 1980 pour que paraissent enfin les premières recherches sur la question. Dévoilées en 1988, dans son livre Nous vivons cachés -Souvenirs d'une Rom-Tsigane (Picpus Verlag, non traduit), les révélations de Ceija Stojka font l'effet d'une bombe dans le contexte de cette prise de conscience balbutiante. Alors que l'ancien officier de la Wehrmacht et criminel de guerre présumé Kurt Waldheim est parvenu à se hisser à la tête de l'État autrichien, elle a décidé de ne plus se taire. Chercheuse et journaliste, Karin Berger a su l'en convaincre, à force de longues discussions. La jeune femme réalisait des recherches sur les femmes victimes du III e Reich, quand des connaissances l'ont aiguillée vers Kathie, la soeur de Ceija, devenue célèbre voyante… La petite Kathie, qui avait retrouvé les siens à la fin de la guerre après en avoir été séparée, et qui chantait à Auschwitz Ich weiss, es wird einmal ein Wunder geschehen, «Un jour, je le sais, un miracle arrivera», se souvient sa cadette.

Kathie préférera se taire. C'est finalement Ceija qui se fera porteuse de la parole si douloureuse. Son matricule, Z 6399, est encore tatoué sur son bras. Elle a 56 ans. Un bagout certain, et une force de vie qu'elle tient de la «mamma». Cette femme pleine de tendresse qui lui conseillait, à Bergen-Belsen, de s'abriter sous les tas de corps décharnés. «Tu seras à l'abri du vent, et, de toute façon, tu n'as pas peur», lui glissaitelle doucement, quand la faim et le froid se faisaient trop pressants.

«Parfois, quand je me lève le matin, je me dis : "Ceija, tu es au ciel et tu rêves ? Tu rêves que tu es sur Terre ? Tu n'as pas pu t'échapper de Bergen-Belsen ! Ça n'existe pas !"» Ainsi commence son récit Je rêve que je vis ? -Libérée de Bergen-Belsen (éd. Isabelle Sauvage), recueilli par Karin Berger. Le seul de ses écrits à avoir été traduit en français, avec son recueil de poèmes Auschwitz est mon manteau (éd. Bruno Doucey). Des lectures qui glacent le coeur.

Mais Ceija Stojka ne se contenta pas de mots. Elle ne se contenta pas de clamer la vérité dans cette langue romani qui a survécu à mille ans d'errances et qui reste une énigme. Elle se mit aussi, dans le secret de sa cuisine, à peindre des toiles. Par centaines. À grands coups de pinceau, de soleils rougeoyants, de ciels de ténèbres. Elle y célèbre la joyeuse vie d'antan, roulottes au coeur des champs de tournesols et joie solaire de l'enfance dans le Burgenland. Elle évoque, surtout, le souvenir des trois camps par lesquels elle est passée. La traque des nazis, dans cette Vienne où ils avaient été si heureux avant d'être contraints de se cacher derrière les feuillages épais des parcs pendant des semaines entières. Puis les trains de la mort, les charniers innommables, les brimades incessantes. Elle dessine tout, sans filtre, détaillant l'horreur au quotidien. La lutte pour la survie. Couvertures, lacets de cuir, herbe fraîche, goutte d'eau glissant sur un frêle arbuste, tout est alors bon pour calmer la faim et la soif. Tout, sauf le corps des malheureux qui n'ont pas réchappé à la mort. «Comme les cadavres étaient éventrés par les vivants, la cavité du corps était béante, il n'y avait pas de coeur, pas de foie, pas de poumons, pas d'intestins à l'intérieur, décrira-t-elle à la fin des années 1980. Quand j'ai vu ça en arrivant, j'ai dit à ma mère : "Maman, Maman !" Et elle a dit : "N'aie pas peur, t'es pas obligée de prendre ça ! Tu mangeras pas de ça ! Plutôt que faire ça, on s'allonge sur les morts et on s'endort !"» Ceija, ses amies et sa mère ont plusieurs fois failli succomber à la tentation de s'abandonner ainsi à la mort, même après la libération du camp. «Tout nous était interdit dans cette société, sauf de mourir, poursuit-elle. Et c'était à nous de savoir ce qu'on allait en faire de ce peu de vie, si on voulait mourir ou si on luttait.» Elle a choisi la lutte. Et elle a poursuivi cette lutte lorsqu'elle a rompu le silence pour dire l'ampleur du L'HISTOIRE DU MOIS l CEIJA STOJKA Au sujet de Bergen-Belsen, où elle est retournée en famille quarante ans après : «Toujours, quand je vais là-bas, c'est comme une fête, les morts volent dans un bruissement d'ailes. Ils sortent, ils remuent, je les sens, ils chantent et le ciel est rempli d'oiseaux. C'est seulement leur corps qui gît là.»

Beaux Arts I 83

Sans titre

Le tournesol, c'est la fleur des gitans. Une image solaire, troublée par cet envol d'oiseaux noirs que l'artiste comparait souvent aux âmes des morts.

L'HISTOIRE DU MOIS l CEIJA STOJKA Samudaripen, ce génocide tsigane dont tous ignorent encore le nom et la réalité.

Quand elle commence à parler, quasiment aucune publication n'a encore touché le grand public concernant le sort tragique des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais ni sa communauté ni son pays ne peuvent rester indifférents à sa voix. D'autant plus que le passé nazi se retrouve à nouveau sous les feux de l'actualité européenne. Des associations roms font tout pour que Ceija soit entendue, jusqu'à en faire une égérie. «L'émergence d'un mouvement international des Roms, marquée […] par la grève de la faim des survivants des camps de concentration de Dachau en 1981 et la publication des premières monographies sur le thème du génocide, va inciter les militants roms et sintis autrichiens à coopérer avec les organisations de défense d'autres minorités ethniques reconnues», analyse Gerhard Baumgartner.

«On sent le vent glacé passer sur nous»

Aujourd'hui, un square de Vienne porte le nom de Ceija Stojka. La galerie berlinoise Kai Dikhas défend son travail, qu'a acquis notamment le musée de Vienne. Quelques collectionneurs s'y intéressent aussi. Antoine de Galbert, fondateur de la Maison rouge, n'est pas le dernier d'entre eux ! Voilà plusieurs années qu'il se passionne pour cette découverte, l'un des grands chocs de sa vie d'esthète. «Il faut l'avouer, si Ceija avait abordé d'autres thèmes dans sa peinture, je ne l'aurais certainement pas regardée. Mais elle le fait avec une telle force qu'il est impossible de rester indifférent, raconte-t-il. Face à ses toiles, on sent le vent glacé passer sur nous.» Xavier Marchand a, le premier, attiré l'attention d'Antoine de Galbert sur cette personnalité si singulière. Car il n'est pas uniquement directeur d'une compagnie de théâtre marseillaise, mais aussi fin connaisseur de la Seconde Guerre mondiale, notamment de la Résistance. «Je ne me serais peut-être pas penché sur l'oeuvre de Ceija Stojka sans avoir préalablement connu celle, édifiante et passionnante, de Germaine Tillion. Que l'une et l'autre aient partagé l'expérience des camps de concentration et fait oeuvre d'en témoigner a attiré mon attention», résume-t-il dans le catalogue de l'exposition. Se sont-elles croisées, à l'hiver 1944, au camp de Ravensbrück, où Tillion était enfermée pour faits de Résistance ? Peu importe. Dans les toiles de Ceija, il reconnaît notamment la figure «d'une "grande vedette du camp", l'Oberaufseherin Binz, que décrit Germaine Tillion : "Quand elle apparaissait quelque part, on sentait littéralement passer un vent de terreur. Elle se promenait lentement dans les rangs, sa cravache derrière le dos, cherchant de ses petits yeux méchants la femme la plus faible ou la plus effrayée pour la rouer de coups."» Le voilà emporté dans cette autre histoire.

L'avant-dernière exposition de la Maison rouge

Très vite, Xavier Marchand parvient à convaincre Antoine de Galbert de lui consacrer une exposition, en lui montrant la seule anthologie à ce jour de sa peinture, intitulée Même la mort a peur d'Auschwitz (Verlag für moderne Kunst, non traduit). Ce dernier ne réfléchit pas longtemps avant de repousser la date de fermeture de son centre d'art à l'été 2018. «Je suis allé à Vienne rendre visite à sa famille, qui ne sait pas vraiment que faire de ce trésor qu'ils ont entre les mains, mais qui vénère Ceija Stojka. Elle, malheureusement, je ne l'ai jamais rencontrée, elle est morte en 2013 avant que je ne découvre le travail. C'est un grand regret ! Elle avait l'air tellement pleine de vie ! À voir ses photos, on n'a qu'une envie, c'est de s'asseoir près d'elle et de boire des coups.» Pas question, pour le collectionneur hors normes, de chercher à cataloguer cette autodidacte à la fulgurante vocation. «Ni art brut ni art naïf, elle n'entre dans aucune catégorie.» Le plus beau compliment qu'Antoine de Galbert puisse faire à un artiste sans doute. Désormais propriétaire d'une vingtaine de toiles, sur un corpus de 1 000, il a aidé à la première exposition consacrée en France à son oeuvre, au printemps 2017 à Marseille. Il lui ouvre désormais les portes de la Maison rouge pour un second chapitre, près de 120 toiles qui mènent de la lumière à la pénombre, avant de revenir à la lumière. Dans les entretiens qu'elle donnait, Ceija Stojka confiait souvent sa crainte «qu'Auschwitz dorme seulement». Elle qui, toute sa vie, a gardé dans le nez la terrible odeur des camps vient une nouvelle fois réveiller les consciences. n Ceija Stokja devant son stand de vente de tapis, au début des années 1970.

Réinventer les formes du roman

Désormais au coeur d'une actualité à sensation, ultramédiatisées, les affaires liées à l'art -qu'il s'agisse de vols d'oeuvres, de restitutions, d'attributions, d'histoires rocambolesques de faussaires, mais aussi de prix de ventes records ou de frasques d'artistes vedettes -constituent une extraordinaire matière dans laquelle les écrivains peuvent puiser leur inspi ration. Et le succès d'ouvrages comme la Jeune Fille à la perle, de Tracy Chevalier (1998), et le fameux Da Vinci Code, de Dan Brown (2003), tous deux adaptés au cinéma avec des stars américaines en tête d'affiche, a achevé d'ouvrir aux éditeurs de nouveaux horizons.

Mais il semblerait que cette tendance réponde aussi à un besoin de réinventer les formes mêmes de l'écriture. «Dans les années 1980, la vague du Nouveau Roman a connu un essoufflement, devenant sa propre caricature à force de performances à tout prix. Il y a eu par réaction un retour à l'académisme, au roman linéaire, descriptif, analyse Jean-Hubert Guillot, écrivain et cofondateur des éditions Tristram. Les romanciers se sont réintéressés au personnage de type balzacien et se sont tournés vers des figures à dimension mythique.» Celle de l'artiste intervient dans ce cadre. Parce que ses motivations restent obscures, parce qu'«il invente une forme que personne ne lui demande d'inventer», ajoute Jean-Hubert Guillot, le créateur ouvre un champ illimité de possibles en termes de choix de sujet et même d'écriture. Les arts plastiques permettent de projeter des sensations, des émotions dont la littérature s'empare pour créer à son tour ses propres images. Tour d'horizon d'un phénomène multiforme en pleine expansion.

ENQUÊTE

S'emparer de la vie d'un artiste célèbre

Adapter en roman la vie d'un artiste n'est pas nouveau, mais jamais on n'avait publié autant de biographies romancées. Pourtant, l'exercice est délicat puisqu'il s'agit de transcender la réalité sans trahir le créateur ni son oeuvre. «Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais», souligne comme un paradoxe Catherine Cusset, en préambule de son ouvrage sur David Hockney dans lequel elle a cherché à se glisser dans la peau du créateur «pour le rendre vivant» ; «le roman, pour moi, c'est cela : le moment où l'on commence à habiter l'autre -ou à se laisser habiter par lui».

Harry Bellet, critique d'art et journaliste au Monde, explique ainsi être devenu «schizophrène» et vivre à moitié au XVI e siècle depuis qu'il se consacre à Hans Holbein. Nourris de fabliaux médiévaux, ses romans racontent l'itinéraire d'un virtuose du pinceau, arriviste et un peu salaud. Un régal d'érudition et d'humour écrit dans une veine rabelaisienne grivoise. «Damien Hirst m'a d'ailleurs beaucoup inspiré ! Mais ce livre est aussi un hommage à des écrivains du XVI e siècle qu'on ne lit plus», explique-t-il à quelques mois de la sortie du deuxième tome et après le joli succès du premier. Les lecteurs ont, semble-t-il, apprécié sa capacité à s'engouffrer dans les brèches de l'histoire de l'art.

Ce qu'a fait aussi avec brio Jacek Dehnel, peintre et romancier polonais, dans son portrait magistral de Goya (Saturne, éd. Noir sur blanc, 2014). Il s'est appuyé sur des recherches récentes affirmant que les fameuses fresques de la Quinta del Sordo n'étaient pas de la main de Francisco. L'auteur fait parler les oeuvres avec une telle émotion qu'il donne raison au philosophe Hubert Damisch : «Une chose m'a toujours frappé : un texte réussi d'un écrivain sur un peintre est toujours meilleur que celui d'un historien de l'art.» Une oeuvre découverte dans une exposition ou simplement reproduite sur une carte postale : il n'en faut pas plus pour avoir envie de raconter une histoire. «Chaque fois que j'entre dans la salle d'un musée où elle se trouve et où je suis venue la chercher, pour une raison dont je n'ai pas le secret, mon coeur se serre», raconte Camille Laurens, spécialiste de l'autofiction, laquelle s'est prise d'affection pour la Petite Danseuse de quatorze ans sculptée par Degas et révélée lors de l'exposition impressionniste de 1881, où elle fut critiquée pour son réalisme exacerbé. La romancière retrace ce que fut l'existence de cette «jeune ouvrière de la danse», qui, loin de vivre un conte de fées, travaillait d'arrache-pied dans des conditions misérables. En 2004, Adrien Goetz, lui, avait troqué sa plume d'historien de l'art contre celle de l'écrivain pour se permettre ce que sa discipline ne l'autorisait pas à faire : résoudre le mystère d'un tableau disparu d'Ingres, la Dormeuse de Naples. Dans d'autres cas, l'oeuvre sert juste de prétexte à une divagation littéraire. Ainsi, l'Allemand Bernhard Schlink prêtait au modèle de Ema (Nu sur un escalier), de Gerhard Richter, une liaison avec le peintre auquel son riche mari avait commandé le portrait… Ou comment coucher sur la page blanche les fantasmes suscités par une oeuvre. -Becker (1876-Becker ( -1907, auteur de nus féminins avant-gardistes. Elle dit avoir opté pour «une écriture comme des coups d'éclat, pleine de vie et de désir de peindre, à son image» et avoir calé son écriture «sur son tempérament bipolaire». Son texte alterne avec des extraits de sa correspondance ou de son journal intime. «J'avais un souci : dire ce que je savais vrai, ne rien inventer ; j'ai aimé respecter ce que je ne savais pas, laisser des vides pour lui redonner vie.» Et la faire connaître à travers une exposition au musée d'Art moderne de la Ville de Paris, organisée durant l'écriture du livre. Un beau succès : le roman s'est vendu à 50 000 exemplaires et l'exposition a attiré 90 000 visiteurs.

Autre femme de la modernité à redécouvrir : Else Blankenhorn (1873-1920), peintre allemande internée pour démence précoce et personnage principal du dernier ouvrage de François Rachline, écrivain et économiste de formation. Elle fait partie des artistes montrés dans l'exposition de la Maison Victor Hugo, «La Folie en tête -Aux racines de l'art brut» (jusqu'au 18 mars). Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé n'est pas fortuite. Les lectures les plus entraînantes sont celles où la littérature prend le dessus et soumet l'art aux pures spéculations de l'esprit. Dans Un monde flamboyant, Siri Hustvedt, par ailleurs critique d'art, avait imaginé l'oeuvre d'une artiste fictive avec un tel talent que le lecteur ne pouvait que croire à son existence réelle. Le plus époustouflant reste peut-être le Soleil de Jean-Hubert Gaillot ; l'histoire d'un écrivain à la dérive parti sur les traces d'un mystérieux manuscrit surréaliste que le lecteur aura eu la sensation d'avoir lu en refermant le livre. La forme expérimentale du roman, écrit au jour le jour sans qu'aucun chapitre ne soit pensé à l'avance, doit beaucoup à l'esthétique et aux méthodes d'André Breton, qui s'en remettait à la force de l'inconscient. Dans cette déambula-tion onirique troublante, les oeuvres de Man Ray, Lee Miller ou Cy Twombly ne sont jamais bien loin.

Redécouvrir des peintres oubliés

Chez Niña Weijers, il faudrait plutôt chercher du côté des jusqu'au-boutistes de la performance, Marina Abramović et plus encore Sophie Calle. La plasticienne est omniprésente dans ce récit contant les aventures de Minnie Panis, jeune artiste conceptuelle qui demande à un photographe de la suivre tel un détective privé… Un récit tout en délicatesse, prouvant à quel point le mariage de différents domaines de la création peut donner naissance à des formes hybrides passionnantes. n Un second musée. Sur ce créneau, ils sont nombreux à postuler, de l'excellent Pierre-Louis Faloci (musée de la bataille de Valmy) à David Chipperfield, auteur de la somptueuse renaissance du Neues Museum de Berlin, en passant par Renzo Piano (Whitney Museum à New York, Centro Botín à Santander). La palme du snobisme serait de regarder ailleurs, vers Ai Weiwei par exemple. L'artiste-architecte, en délicatesse avec les autorités chinoises, ne fréquentera pas souvent votre chantier, mais la presse se fera le relais de ses moindres esquisses.

DERNIÈRES PARUTIONS

Un bâtiment propre sur lui.

Qui privilégie l'audace se tournera vers Jeanne Gang, du Studio Gang basé à Chicago, à l'origine de l'Aqua Tower. Innovatrice mais raisonnable, elle devrait remplir sa mission en bousculant juste ce qu'il faut des convenances. En version plus «notable», on optera pour notre Jean-Michel Wilmotte national, récemment élu à l'Académie des beaux-arts. Son carnet de commandes explose. Être doté d'un bon réseau pour le convaincre. En un geste inconscient ? frénétique ou apaisé, une main, un bras, un corps et un esprit s'abandonnent machinalement, espérant que le support en retienne une trace palpable. Dans ces échappées graphiques sauvages, l'artiste ne s'aventure pourtant pas seul. Il dessine bien équipé. Il s'accroche à la puissance du geste, certes, mais cette puissance-là n'est rien sans celle de la matière. Et c'est autant aux zones obscures de son imagination qu'aux capacités de l'encre de Chine, de la mine de plomb, du fusain ou du stylo qu'il donne la priorité, les laissant divaguer à bride abattue sur le papier. Le dessin devient une zone de négociation entre la matière et le geste, entre le motif dessiné et la surface de son inscription. À l'image des oeuvres sur papier de Jean-Michel Hannecart, portraits décalqués des pages de quotidiens qui, une fois transférés sur papier ou sur des plaques crayeuses, se retrouvent pris dans les caprices de leur support, plus ou moins transparent, ou ceux de la matière, plus ou moins épaisse ou liquide. Outre ces jeux aux inépuisables effets de disparition et d'apparition de l'image, la manière permet aux artistes de s'abandonner avec délectation aux réactions de l'encre elle-même quand, sans aucune décision volontaire de leur part, elle vient conquérir le papier. À l'exemple de Ceal Floyer, qui applique simplement la pointe de ses feutres contre une feuille, les laissant lentement se vider pour former des ronds, plus ou moins denses et larges. Quant à Hicham Berrada, il utilise le procédé physico-chimique de la chromatographie à l'encre pour séparer les différents colorants contenus dans les stylos-billes. Il a obtenu ainsi d'évanescentes nuées de couleurs grasses et translucides sur papier coton dans une série d'oeuvres appartenant à la collection d'arts graphiques Bic (comme les stylos), constituée d'oeuvres réalisées ou inspirées par les célèbres stylos de la marque et exposée en partie ce printemps au Centquatre, à Paris (lire p. 142). Dans le lot, d'élégants gribouillages de Il Lee, traçant les contours d'un astre bleuté à force de répéter le même geste. C'est déjà au stylo à bille noir que Rémy Jacquier inscrivait sur le papier comme des sortes d'astres saturniens -sans le vouloir probablement tant la forme qui s'affiche relève plutôt d'une gestuelle spontanée et frénétique. Une vigueur manuelle que semble ainsi exiger le dessin. Nerveux, brouillon, cet écheveau de lignes lie indubitablement la main à l'inconscient.

Jean-Michel Hannecart Délicate décalcomanie

Extrayant une figure des pages d'un journal et la plongeant dans un autre environnement, l'artiste met en scène, avec délicatesse, des personnages qui luttent pour exister -au moins sur le papier.

Antoine Marquis

Ne pas déranger Avec une minutie troublante, Antoine Marquis s'arrête sur des motifs paisibles sur lesquels le temps qui passe n'a pas de prise. Telles des natures mortes que l'on n'ose pas troubler.

Nature morte au dieu Thot

2013, graphite sur papier, 29,7 x 21 cm. Nick Devereux sont de ceux qui viennent toutefois contrarier l'extrême ressemblance qu'ils cultivent avec leurs modèles (des aristocrates cravatés, posant le buste droit), en les affublant d'une espèce de chiffonnade de papier. La série Known Unknown vient ainsi faire et défaire la puissance du dessin hyperréaliste. Pour dire que sa prétention à incarner une personne sur le papier ne suffit jamais si le modèle n'a jamais été là, quelque part, devant l'artiste. Pour dire encore que le dessin est d'abord un rêve, un projet, un dessein, celui de faire que quelqu'un soit là. Mais à l'époque contemporaine, il n'y a plus personne devant le dessinateur : il travaille d'après des photographies, d'après des archives. Le modèle est mort et son nom oublié, si bien que le dessin se froisse et, d'une manière tout aussi hyperréaliste, se replie sur luimême et voile son modèle. n

Julien Carreyn Comme une photo érotique

Le dessin sous le manteau. Julien Carreyn a mis en suspens sa pratique graphique (et on le regrette) au profit de la photographie (très bien aussi). Mais, parfois, on ne sait plus si la photo est un dessin, ou l'inverse, tant le second s'applique à imiter la première... Au printemps, les feuilles se ramassent à la pelle Expérimentaux et contemporains, les dessins s'exposent à la 12 e édition de Drawing Now, sur les stands d'une vingtaine de galeries internationales, au coeur du Carreau du Temple, mais aussi à DDessin. Au Palais Brongniart, près de 40 marchands présentent le meilleur du dessin classique, sans oublier un focus sur les arts appliqués avec un ensemble issu de la collection d'arts graphiques de la Maison Chaumet. Autre collection privée dévoilée : celle de l'entreprise Bic, avec des dessins… au Bic. On ira aussi à Vitry-sur-Seine voir la présentation du fonds municipal qui, depuis 1970, rassemble des oeuvres sur papierde Calder ou Messagier.

Par Françoise-Aline Blain & Marion Rousset

« L es étudiants en art choisissent d'abord leur école pour la qualité de son équipement technique», affirme Pierre-Jean Galdin, directeur des Beaux-Arts de Nantes Métropole. Dont acte : son école a fait peau neuve à la rentrée 2017. Elle a déménagé dans une ancienne halle industrielle réhabilitée par l'architecte Franklin Azzi, au coeur du Quartier de la création, qui abrite également des écoles d'architecture, de cinéma et de communication. Au rez-de-chaussée, une allée centrale dessert désormais plus de 4 000 mètres carrés d'ateliers dotés de machines perfectionnées comme une table de découpe plasma pour le métal, un poste de travail à extraction des vapeurs ou encore des outils informatiques permettant par exemple d'incruster un fonds en arrièreplan d'une vidéo. Mais pour gagner en attractivité, l'école fait aussi des efforts en direction des étudiants étrangers, auxquels tout le dernier étage est consacré. Depuis 2015, ils peuvent participer à un programme international unique en France : une année de formation pour se préparer à intégrer une école d'art, d'architecture, de design, de danse, de musique ou de cinéma. «Il faut valoriser le choix de la France pour les étudiants étrangers», estime Pierre-Jean Galdin qui va en outre ouvrir à la rentrée 2018 une classe préparatoire internationale à Saint-Nazaire, avec l'ambition de former 150 étudiants quand la plupart des prépas accueillent au maximum une trentaine d'élèves.

Être attractif à l'international fait partie des critères mis en avant par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Et toutes disciplines de l'enseignement supérieur confondues, la France arrive en quatrième position des destinations les plus prisées, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Autant dire que cet enjeu incite les écoles d'art à innover. Pour rester compétitives face à la concurrence des Belges, des Suisses, des Britanniques ou des Néerlandais, elles déploient des stratégies diverses : regroupements, création d'annexes, investissements en matériel, partenariats, classes préparatoires adaptées aux besoins des étrangers, révision des modes de sélection… «Nos écoles d'art sont meilleures sur la mobilité des sortants que des entrants. De plus en plus de Français partent étudier à l'étranger, dans le cadre d'échanges Erasmus, mais on attire encore peu d'étudiants internationaux, en particulier européens», estime David Cascaro, directeur de la Haute école des arts du Rhin (HEAR). Cette structure née de la fusion de l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, de l'École supérieure d'art de Mulhouse et des enseignements supérieurs de la musique du Conservatoire de Strasbourg a permis d'accroître l'offre de services, de renforcer le réseau des partenaires, de gagner en visibilité et du même coup de développer l'attractivité de ce regroupement en France et à l'étranger. «C'est particulièrement visible pour le site de Mulhouse, où beaucoup plus de candidats se sont présentés de toute la France au concours d'entrée. Et alors qu'avant la fusion, l'école de cette ville n'accueillait aucun étudiant étranger, aujourd'hui elle en intègre une dizaine par an», précise David Cascaro.

Entre les Beaux-Arts de Paris et la Chine, une longue histoire d'amour

L'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA) attire quant à elle 20 à 25 % d'étudiants étrangers. Son directeur, Jean-Marc Bustamante, s'en préoccupe : «Nous faisons sans cesse attention à garder un lien fort avec le continent asiatique qui est très orienté vers la France, mais il nous faut en même temps reconquérir l'Europe et l'Amérique du Sud», avance-t-il. Le lien avec la Chine est GUIDE l LES ÉCOLES D'ART 2018

Des écoles toujours plus attractives

Épreuves en ligne et numerus clausus élargi

Reste une difficulté majeure à laquelle se confrontent les étudiants étrangers : les places sont chères et certains concours très sélectifs handicapent les candidats ne maîtrisant ni la langue ni la culture françaises. Une classe préparatoire comme celle qui devrait s'ouvrir à Saint-Nazaire aidera ceux qui l'intégreront à surmonter ces obstacles. Mais d'autres solutions sont à l'étude, l'idée, par exemple, de faire évoluer les règles de la sélection. Marc Partouche, directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) à Paris, y travaille : «On a un petit problème d'attractivité à cause de notre concours, qui est conçu de telle sorte que les étrangers mais aussi les jeunes issus de milieux défavorisés peinent à le réussir.» A donc été engagée une réforme afin de pouvoir soutenir les épreuves du concours en anglais. L'ENSAD a également simplifié la procédure administrative en ouvrant une épreuve en ligne accessible à des candidats du monde entier.

Par ailleurs, Marc Partouche songe à élargir le numerus clausus en première année, qui est à l'heure actuelle fixé à 80 places pour 2 500 candidatures. Le nombre de nouveaux élèves pourrait être augmenté dans une fourchette allant de 300 à 1 000 places, selon les hypothèses envisagées. Sur sa lancée, le directeur de l'ENSAD se prend même à rêver de supprimer le concours d'entrée en première année : «Imaginons que je prenne les 2 500 candidats. Même si je ne les garde pas tous en deuxième année, ils pourront aller n'importe où en Europe après être passés chez nous !»

Des collaborations avec des maisons de luxe

L'attractivité d'une école tient également aux conditions d'accueil. Aux Beaux-Arts de Lyon, dont l'option Art comporte 15 % d'étudiants étrangers en master, Emmanuel Tibloux a mis en place un plan de formation à l'anglais pour tous les personnels de son établissement, depuis les agents d'entretien jusqu'au personnel de direction. «Pour internationaliser les écoles, il faut construire les conditions d'ouverture en leur sein», explique-t-il.

Quoi qu'il en soit, cette ouverture à l'international est un objectif complexe qui tient à de multiples facteurs, comme la renommée des enseignants ou la professionnalisation des études. À Paris, l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art (ENSAAMA) a créé en 2011 une chaire permettant aux étudiants de master 2 de collaborer avec plusieurs maisons de luxe membres du Comité Colbert, lequel s'est fixé pour mission de renforcer la notoriété internationale des écoles françaises. «L'artiste doit avoir une parole, mais il doit aussi manger !», rappelle Fleur Dujat, étudiante à l'École des beaux-arts de Nantes, qui a passé un an à Central Saint Martins, à Londres, pour développer son réseau. «C'est en train de changer, mais Nantes reste davantage un laboratoire de recherche alors que Londres inscrit dans son cursus des conférences avec des curateurs, des galeristes, entre autres. Les deux se complètent», estime François Durel, parti avec elle outre-Manche. Pour Emmanuel Tibloux, le directeur des Beaux-Arts de Lyon, «il existe une idée de l'école d'art française. Et l'international est vraiment un lieu d'articulation entre compétition et solidarité.» M. R.

À quand une «coupole» d'excellence du Grand Paris ?

Une «coupole» des écoles supérieures d'art du Grand Paris. C'est ce que proposait de mettre en place un rapport baptisé «Grand Paris Scola» remis à l'ancienne ministre de la Culture Fleur Pellerin. Il suggérait de regrouper l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, l'École nationale supérieure des arts décoratifs, l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy et l'École nationale supérieure de création industrielle autour de projets communs, en respectant l'autonomie de chaque établissement. Pour donner corps aux préconisations de ce rapport, qui n'a pas été publié, ces quatre institutions d'Ile-de-France tentent de concrétiser un plan d'action dont le détail n'est pas encore connu. Une manière de concurrencer l'Université des arts de Londres ?

Les Arts déco vont mener la vie de château à Versailles L'École nationale supérieure des arts décoratifs a conclu un partenariat avec le château de Versailles qui devrait mettre à sa disposition un espace au sein de la Grande Écurie du Roi pour accueillir de nouveaux étudiants au profil diversifié, développer des actions de formation professionnelle pour les entreprises et les particuliers, ainsi que des projets de création avec des partenaires publics et privés, notamment étrangers. De quoi accroître encore son rayonnement.

GUIDE l LES ÉCOLES D'ART 2018

CI-CONTRE EN HAUT

Étudiante en cours d'accrochage lors d'une semaine de workshop à la HEAR (Haute école des arts du Rhin).

CI-CONTRE EN BAS

Les candidats au concours des Beaux-Arts de Paris passent l'épreuve de dessin au sein de la chapelle des Petits-Augustins, l'un des plus anciens bâtiments de l'école où sont conservés des moulages historiques.

Beaux Arts I 109

Napoléon superstar

Le héros d'Austerlitz est à l'honneur en ce début d'année avec les réouvertures du musée Napoléon de Brienne-le-Château (Aube), fin janvier, et du musée Napoléon I er du château de Fontainebleau, fin février, après dix mois de travaux de mise en sécurité. Nichée entre les murs de l'ancienne académie militaire, l'institution briennoise, labellisée «musée de France», retrace la jeunesse de Bonaparte, élève à l'École royale de la ville (1779-1784), et la campagne de France de 1814. Au terme d'un chantier de dix-huit mois, 350 oeuvres sont désormais présentées (dont le fameux bicorne) dans une scénographie revisitée. L'objectif est d'accueillir de 15 000 à 20 000 visiteurs par an.

www.musee-napoleon-brienne.fr www.musee-chateau-fontainebleau.fr À Arles, le musée Réattu célèbre ses 150 ans Installé au bord du Rhône dans le Grand Prieuré de l'ordre de Malte, le musée Réattu -qui doit son nom au peintre Jacques Réattu, Grand Prix de Rome en 1790, lequel fit de l'édifice sa maison-atelier -célèbre ses 150 ans. Pour l'occasion, l'institution redéploie ses collections. Au programme : une nouvelle galerie de peintures, associant les oeuvres de Réattu et celles des artistes qu'il a collectionnés (Simon Vouet, Antoine Coypel…) ; des salles thématiques questionnant la représentation de la femme dans l'art ; un nouvel espace dédié aux arts graphiques, grâce à la donation que Picasso concéda au musée en 1971, et un parcours «art contemporain» très féminin avec des oeuvres de Germaine Richier, Corinne Mercadier ou Gisèle Freund.

www.museereattu.arles.fr Bientôt une galerie virtuelle pour le patrimoine africain Le musée vivant des Arts et Civilisations d'Afrique de Nantes (Muvacan), association créée en 2012 par le Pr Jacques Barrier (ancien coordinateur des missions de santé publique au CHU de la ville), crée un musée virtuel, en partenariat avec l'agence de communication Henri 8. Son but ? Défendre la visibilité du patrimoine culturel africain en valorisant les archives de dizaines d'expositions itinérantes organisées par l'institution -la dernière, intitulée «Naître et être en Afrique », est présentée à l'université libre de Bruxelles de mars à juin. Pour finaliser ce projet, qui devrait voir le jour courant 2018, le Muvacan lance un appel aux dons.

Rêver à d'autres nuits blanches

Cabanes cosmiques

Puis, le visiteur est convié à fouler une immense toile jetée au sol. Maculée d'éclats de couleur, elle mène vers le recoin le plus secret et le plus touchant de l'exposition.

Deux femmes à l'assaut de la Villa Médicis

Béatrice Salmon

La conservatrice du patrimoine, ancienne directrice du musée des Arts décoratifs de Paris et conseillère de coopération et d'action culturelle à l'ambassade de France à Bruxelles, prend la tête des arts plastiques au sein du ministère de la Culture. C'est la première fois qu'une femme est nommée à ce poste.

Simon Baker

Ce Britannique de 44 ans, conservateur pour la photographie de la Tate Gallery de Londres, a été nommé directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris, succédant à Jean-Luc Monterosso. Son projet est centré sur la valorisation de la collection et sur l'ouverture à la création et aux jeunes artistes La tribune de… L'oeil du collectionneur A u nombre des nouveaux poncifs figure l'inutilité supposée de la gratuité des musées. Retour de balancier à l'encontre des utopies du siècle dernier, ce préjugé soulage les consciences à l'heure des réductions budgétaires et de la quête de ressources inédites. Certes, l'entrée gratuite ne suffit en rien à attirer massivement dans les musées les franges les plus à l'écart de la culture. Seule une vraie politique d'accompagnement, relayée par les associations du champ social, peut favoriser l'accès à des établissements dont on ignore les codes, l'intérêt qu'ils peuvent représenter pour soi, voire leur existence tout court. À l'opposé, pourquoi offrir la gratuité à des catégories aisées ayant déjà bénéficié d'un enseignement coûteux -il s'en trouve dans leurs rangs pour plaider en faveur de tarifs relevés, étant entendu que l'on ne doit rien avoir sans rien. Reste toutefois un entre-deux, une part majoritaire en fait de la population, pour qui une visite au musée constitue un loisir agréable pour soi et éducatif pour les enfants. Mais cela implique le coût du transport et des à-côtés, qui sera forcément mis en balance avec une sortie au cinéma ou une simple promenade. Aller au Louvre une fois dans sa vie est de l'ordre du devoir culturel ; se rendre au Petit Palais sans savoir si la visite vaudra le coup est un pari. C'est là que la gratuité peut servir de levier et c'est une fierté pour les musées municipaux d'offrir depuis 2001 cette opportunité rare à Paris -nous ne sommes ni à Londres ni à Washington.

Favoriser la réussite du premier contact avec l'art

Pour une expérience réussie de la visite, le Petit Palais bénéficie d'un cadre séduisant par ses volumes, ses décors et son jardin intérieur, loin du cliché d'une succession sans fin de galeries rébarbatives. Le lieu se prête à y revenir, à le faire découvrir à ses amis, à en devenir un habitué, heureux d'y retrouver certaines oeuvres ou d'en admirer de nouvelles au fil des acquisitions et des restaurations. Beaucoup reste encore à faire pour rendre plus accessibles les collections, comme nous venons de le réaliser grâce au mécénat de la fondation Sisley-d'Ornano pour la collection d'icônes présentée de façon plus avenante et pédagogique qu'auparavant. Il faut favoriser la réussite du premier contact avec l'art. Libre ensuite aux visiteurs déjà convaincus de sauter le pas et d'acheter leurs billets pour les expositions temporaires, dont les coûts de transport et d'assurance rendent cette contribution nécessaire. En ayant déjà très largement dépassé le million de visiteurs en 2017, dont plus de 700 000 pour ses seules collections permanentes, le Petit Palais illustre la mise en oeuvre par la Ville de cette démocratisation culturelle. Le public n'y est pas composé de groupes de touristes, mais bien d'habitants de la région parisienne devenus familiers de Courbet, Dalou et Gustave Doré -artistes d'ailleurs peu versés dans l'élitisme. C. L.

Établi depuis 2001 pour les musées municipaux parisiens, l'accès libre aux collections permanentes n'est pas un luxe. C'est une nécessité.

Un rôle protecteur sous une apparence maléfique

Ces masques et sculptures incarnent en réalité la force et la puissance de l'art des sociétés africaines. Très recherchés par les amateurs, ils ne s'intègrent pas toujours facilement dans un intérieur. Il arriverait qu'un(e) conjoint(e) effrayé(e) s'y oppose de façon radicale... Avec humour, les marchands les surnomment parfois des «cas de divorce». Mais si ces pièces inspirent la crainte, c'est surtout par méconnaissance ! Ainsi, loin d'être maléfiques, les fétiches à charge magique, comme chez les Songyé, ont des fonctions protectrices. Les dents taillées, qui donnent un aspect inquiétant aux masques pende, sont en réalité représentatives des canons de beauté de ce peuple congolais. Aucun côté obscur de la force à redouter ! A. M.

Les statuettes et masques traditionnels africains séduisent aujourd'hui autant par leurs lignes cubisantes que par leur pouvoir surnaturel. Le fétiche à clous Le pouvoir bienveillant de la magie Sculptures anthropomorphes un peu effrayantes pouvant atteindre la taille humaine, les fétiches à clous étaient utilisés pour résoudre toutes sortes de problèmes (maladie, stérilité, récolte, conflits…). Leur pouvoir était activé par le nganga (devin) du village qui plaçait une charge magique (un mélange de substances animales et végétales) dans une cavité centrale refermée par un bouchon orné de coquillages ou d'un miroir. Lors d'un rituel public, chaque clou planté par le nganga correspondait à un voeu à réaliser pour aider un membre de la communauté. Le fétiche à clous jouait donc un rôle protecteur. 4 oeuvres graphiques entre 10 000 et 100 000 € L e marché des oeuvres symbolistes a connu des hauts et des bas. «Après avoir été très recherché dans les années 1970-1980, le symbolisme a été mis à l'écart dans les années 1990-2000. Il semble que ce mouvement européen revienne au goût du jour depuis quelques années, observe l'antiquaire parisien spécialisé Mathieu Néouze. Avec la raréfaction des dessins anciens, les collectionneurs en viennent à ce courant du XIX e siècle attaché aux sujets religieux et mythologiques, avec un savoir-faire technique classique.» Entre l'exposition «L'art du pastel» au Petit Palais, dominée par les représentations symbolistes (jusqu'au 8 avril), et deux accrochages à venir -«La porte des rêves» à la propriété Caillebotte de Yerres dans l'Essonne, réunissant 160 oeuvres (du 7 avril au 29 juillet), et «Âmes sauvages» au musée d'Orsay, explorant le symbolisme dans les pays baltes (du 10 avril au 15 juillet) -, la programmation muséale a de quoi réveiller l'appétit des amateurs.

Statue sénoufo déblé

Des ventes annuelles consacrées au symbolisme

Deux maisons de ventes parisiennes accompagnent cette demande. En 2017, Artcurial a organisé une vacation, «Éloge du symbolisme», qui, au vu de ses excellents résultats, est promise à un rendez-vous annuel. «Cela a révélé un vrai intérêt du marché international pour ce mouvement singulier, rarement présenté aux enchères, dont la quête du sublime et du mystique entre en résonance avec les interrogations de notre époque», rapporte Matthieu Fournier, directeur de la vente. Chez Christie's, les oeuvres symbolistes sont de plus en plus mises en lumière, mais sans trancher la question de les glisser dans une vacation d'art ancien ou moderne. Plus abordables et davantage profus que les tableaux, les dessins séduisent par leur palette de couleurs sublimées par la technique du pastel qui prend un nouvel essor à la fin du XIX e siècle, à côté de la gouache et de l'aquarelle. Selon la notoriété de l'artiste ( Connaissez-vous cette statuette callipyge couverte de dessins ? Cette Vénus mexicaine, qui est l'emblème du musée du quai Branly, appartient à la culture Chupícuaro, marquée par son culte de la maternité. Ce type d'objet était peu considéré par les musées et les collectionneurs d'art précolombien, avant d'être rendue célèbre par l'institution parisienne. Depuis, on s'arrache ses rares cousines mises sur le marché. Celle de la prestigieuse collection américaine Ziff, estimée 120 000 € au bas mot, a tout pour plaire. Y compris un pedigree exceptionnel puisque l'oeuvre a été exposée dans les collections permanentes du Il en a chiné 500, des incontournables aux moins connues. De «CRS SS» à «La lutte continue», en passant par «La chienlit, c'est lui». À l'occasion des cinquante ans du mouvement, il a choisi de disperser sa collection aux enchères. Si les affiches les plus courantes sont estimées à partir de 100 €, les plus rares sont attendues à plusieurs milliers d'euros, telles celle titrée «Nous sommes tous des Juifs et des Allemands», qui montre Daniel Cohn-Bendit narguant un garde mobile (est. 2 500 €), et celle où une femme lance un pavé avec le slogan «La beauté est dans la rue» (est. 3 000 €). Ne cherchez pas «Sous les pavés, la plage» : seul le slogan a existé, pas l'affiche. A. M. À l'occasion de la Fashion Week parisienne et de la cérémonie des César, Drouot propose une vacation consacrée à la photographie de mode et de cinéma. Sous le signe de l'élégance, 350 tirages de collection sont proposés aux amateurs. week-end, pour étendre son vernissage à deux jours (au lieu d'un), afin de permettre aux grands collectionneurs privés et aux institutions d'optimiser leur visite. Désormais, une avant-première VIP est réservée à 5 000 invités le jeudi 8 mars, tandis qu'un vernissage est organisé le lendemain pour 7 000 personnes. Après avoir conquis l'Amérique avec le lancement en 2016 de deux éditions annuelles new-yorkaises (en octobre et mai), la Tefaf renforce sa manifestation historique néerlandaise avec 16 nouveaux exposants. À l'exemple de la galerie S Franses (Londres) pour les tapis et tapisseries de l'époque médiévale à l'entre-deux-guerres, la galerie Zlotowski (Paris) pour l'art moderne et d'avant-garde du XX e siècle, ou encore les galeries Massimo De Carlo (Milan) et Emmanuel Perrotin (Paris) pour l'art contemporain. L'attractivité croissante des arts décoratifs a convaincu les organisateurs de la foire d'étendre cette spécialité en 2018. Ainsi, la section accueille quatre nouveaux participants : le Belge Marc Heiremans pour la verrerie d'art et la céramique du XX e siècle, et les galeries françaises Thomas Théodore Lambert

Les Français en force

Nombreux sont les Français qui ont grossi les rangs de la Tefaf ces dernières années, comme Xavier Eeckhout, spécialiste de la sculpture animalière. Il propose notamment un rare lama en bronze du Français Gaston-Étienne Le Bourgeois. «Cet ami proche de Bugatti est un artiste un peu confidentiel, mais très recherché», précise le galeriste. Citons encore pour l'art tribal -devenu récemment un volet important de la foire -les participations de Lucas Ratton et de Bernard Dulon. Ce dernier vient présenter une sélection muséale d'objets africains, dont un appui-nuque Lega du Congo en ivoire qui a fait partie de l'exposition «African Negro Art» au MoMA de New York en 1935. Un trésor unique en son genre dont il n'est pas peu fier : «Je suis comme un marchand de la Haute Époque qui aurait trouvé la couronne de Charlemagne.» A. M. L e titre et un récent article de votre collaboratrice Emmanuelle Lequeux dans votre revue étaient de nature à laisser croire que l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris que je dirige ne serait que «mollement mobilisée contre le harcèlement sexuel». C'est -fort heureusement -l'exact contraire qui est vrai. Tout d'abord, dès le 26 octobre, j'ai reçu, avec mes équipes et des représentants des étudiants dans notre école, la ministre de la Culture Françoise Nyssen pour un long échange consacré à l'égalité homme / femme et à la lutte contre le harcèlement. Un mois plus tard, soit le 27 novembre, j'ai publié un communiqué sans aucune ambiguïté décrétant la «tolérance zéro» pour les faits de harcèlement sexuel avérés. Enfin, je supervise en personne, en ce moment même, la mise en place par mes équipes de mesures d'écoute et de prévention du harcèlement sexuel, en coopération étroite avec la mission dirigée par le ministère de la Culture. Je me plais à croire qu'un simple entretien avec votre journaliste eut permis d'éviter les quelques approximations regrettables que contient son article et l'adresse de la présente lettre.»

COULEURS

LES

Jean-Marc Bustamante

La réponse de la rédaction

Jamais nous n'avons remis en question l'engagement des Beaux-Arts de Paris contre le harcèlement sexuel, nous en faisons même un récit assez détaillé, précisant les structures d'écoute que votre école est en train de mettre en place dans ce cadre et la prise de conscience, au sein de toute l'équipe que vous dirigez, de la nécessité de réagir vite. Plusieurs contacts, au sein de votre direction mais aussi des étudiants, m'ont permis d'en faire état. Quant au «mollement» du titre, ce dernier est, comme vous avez dû le noter, au pluriel et s'adresse à l'ensemble des écoles d'art. Il faut en effet rappeler que différents cas avaient soulevé un premier débat en 2013, lui aussi public, mais qu'il avait trop rapidement été étouffé, sans aucune répercussion au sein des institutions : rares, voire rarissimes sont les écoles à avoir pris le sujet à bras-le-corps. Ce «mollement» rappelle donc le caractère tardif de cette prise de conscience, dont les prémices s'étaient fait entendre bien avant l'affaire Weinstein. Je vous accorde qu'il est sans doute trop expéditif, faisant oublier que les Beaux-Arts de Paris, dont traite en majorité l'article, sont désormais à l'avant-garde du mouvement.