Enjeux de la sensibilisation au patrimoine culturel
Robert L. Philippart
Lors de la Conférence sur la « Reconstruction et mise en valeur du patrimoine féodal et fortifié » organisée le 5 décembre 2018 au Musée 3 Eechelen, le directeur du Service des Sites et Monuments Nationaux a avancé le chiffre de 110.000 visiteurs pour l’ensemble des manifestations culturelles organisées au Luxembourg dans le cadre de l’année européenne du patrimoine culturel (2018)
https://ssmn.public.lu/fr/evenements/conferences/Pat_feodal_et_fortifie.html, (consulté le 27 décembre 2018).. Les activités dans le cadre de cette année se sont articulés autour des thèmes: Patrimoine culturel & éducation/sensibilisation ; Patrimoine culturel & développement durable et Patrimoine culturel & technologie(s)
https://patrimoine2018.lu/ (consulté le 27 décembre 2018)..
L’objectif de ces pages est de prendre conscience des origines des définitions du patrimoine, d’en rappeler les différences, ainsi que les conditions d’accès à la culture. Elles aborderont ainsi les thèmes relatifs aux objectifs sociaux, culturels et économiques du patrimoine. L’importance des connaissances dans la façon d’appréhender le patrimoine, les questions relatives à la gestion responsable et éthique du patrimoine seront analysés au cours de cette analyse qui se veut très succincte. Une réflexion sur la façon de sensibiliser au patrimoine culturel va clôturer ce bref aperçu de la problématique.
En 2018 quelque 1092 biens sont inscrits par l’UNESCO comme sites culturels ou naturels à valeur universelle exceptionnelle auprès de 165 pays du monde
https://whc.unesco.org/fr/list/ (consulté le 28 décembre 2018).
La Grande Région
Regroupant le Grand-Duché de Luxembourg, la Saare, la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles, la Communauté germanophone de Belgique, la Lorraine. (Conférence : Le patrimoine naturel et culturel de l’UNESCO, colloque tenu le 20 septembre 2018 au château de Bourglinster sous le haut patronage de l’Espace culturel de la Grande Région en collaboration avec la Commission luxembourgeoise pour la coopération avec l’UNESCO. présente sur un territoire de 65.401 km2 pas moins de 29 sites et biens protégés par l’UNESCO, dont 3 sont situés au Grand-Duché. Ils regroupent des sites archéologiques, de patrimoine industriel, de patrimoine urbain, mais également des paysages qui bénéficient tous de la protection de l 'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture.
Au Luxembourg, le patrimoine est protégé par la loi du 18 juillet 1983 concernant la
conservation et la protection des sites et monuments nationaux. Un projet de loi sur la protection du patrimoine culturel est en voie d’élaboration au Ministère de la Culture. En témoigne la liste d’immeubles et objets classés monuments nationaux ainsi que l’inventaire supplémentaire. Au 30 novembre 2018, le Luxembourg compte 1457 objets protégés par l'Etat, à savoir 550 objets classés comme monument national et 907 objets inscrits à l'inventaire supplémentaire.
En septembre 2018 l’inventaire du patrimoine immatériel a été lancé par le Ministre de la Culture au Luxembourg reprenant les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés et que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel
www.iki.lu (consulté le 27 décembre 2018)..
Sous cette énumération, il y a lieu de se rappeler les institutions en charge de la conservation du patrimoine, dont le Service des Sites et Monuments Nationaux, l’UNESCO Site Management « Luxembourg, vieux quartiers et fortifications », les archives nationales, le Centre national de littérature, les archives musicales, les musées, le Centre national de l’audiovisuel ainsi que les différents centres de documentation et la Bibliothèque nationale. Sur le plan communal, il faut rappeler, outre musées, archives, bibliothèques et photothèques, les inventaires de patrimoine communal protégé réalisé dans le cadre de la définition des plans d’aménagement généraux.
L’accès à la culture – un droit fondamental
L’accès à la Culture touche directement à celui du patrimoine. Il relève d’ailleurs directement de la déclaration universelle des droits de l'homme adoptée le 10 décembre 1948, dont l’article 27 stipule que :
« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent »
http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/ (consulté le 28 décembre 2018)..
Alors que les autres conventions internationales en matière de définition ou de gestion du patrimoine ont pour objet de traiter des modalités de la protection et de la conservation des biens culturels, la Convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel adoptée par le Conseil de l’Europe à Faro en 2005, aborde les raisons de la protection et identifie les destinataires du patrimoine. Elle repose sur l’idée que la connaissance et la pratique du patrimoine représentent un aspect du droit des citoyens de participer à la vie culturelle tel que défini dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. La Convention de Faro précise que toute personne:
« a le droit de s’impliquer dans le patrimoine culturel de son choix comme un aspect du droit de prendre librement part à la vie culturelle. »
« peut prendre des mesures pour améliorer l’accès au patrimoine, en particulier auprès des jeunes et des personnes défavorisées. »
https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/faro-convention (consulté le 28 décembre 2018)
Hiérarchie des définitions du « patrimoine culturel »
Si l’accès à la culture est garanti, du moins en théorie, il faudra s’interroger ensuite sur la portée et la définition que l’on apporte au patrimoine culturel. En terminologie, les définitions sont aussi précises que générales et vagues en même temps, car celle fournie par l’UNESCO est valable pour 195 Etats, celle du Conseil de l’Europe concerne 47 Etats. La définition formulée par la Commission Européenne a valeur pour les 28 membres de l’Union Européenne.
Ces définitions se fondent sur des Conventions déjà formulées antérieurement, notamment sur la Convention culturelle européenne de 1954
https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/european-cultural-convention (consulté le 28 décembre 2018)., la Convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe adoptée en 1985
https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/granada-convention (consulté le 28 décembre 2018), la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (1992)
https://www.coe.int/fr/web/culture-and-heritage/valletta-convention (consulté le 28 décembre 2018) ou encore la convention européenne du paysage
CONSEIL DE L’EUROPE, Convention européenne du paysage, in série des traités européen N°176, Florence, 20 octobre 2000..
La caractéristique la plus originale de la Convention du patrimoine mondial adoptée par l’UNESCO en 1972 est de réunir dans un même document les notions de protection de la nature et de préservation des biens culturels. La Convention reconnaît l’interaction entre l’être humain et la nature et le besoin fondamental de préserver l’équilibre entre les deux.
La Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO de 1972 différencie entre le patrimoine culturel, d’une part qui concerne les
monuments (Architecture, sculpture, peinture inscriptions)
ensembles. Groupe de construction isolées ou réunies
sites comme oeuvres de l’homme ou œuvres conjugués de l’homme et de la nature, y compris les zones archéologiques
et d’autre part, le patrimoine naturel qui regroupe les
monuments naturels: formations physiques ou biologiques
formations géologiques et physiographiques
https://whc.unesco.org/fr/convention/ (consulté le 28 décembre 2018)..
En 2003, l’UNESCO a complété cette convention par celle définissant les critères qui permettent la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, dont les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales et rituels, les connaissances et le savoir-faire. Ce patrimoine regroupe l’œuvre littéraire, le patrimoine culinaire, le patrimoine festif
https://ich.unesco.org/fr/les-etats-parties-00024 (consulté le 28 décembre 2018).. La mémoire laissée par les documents avait fait l’objet d’un programme spécifique lancé en 1992 « Mémoire du monde » et dont le cadre duquel l’exposition « The Family of man » a été inscrite au patrimoine mondial
http://www.steichencollections-cna.lu/fra/collections/1_the-family-of-man (consulté le 28 décembre 2018)..
En reconnaissant à un bien la « Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE), l’UNESCO a signalé que le patrimoine n’appartient ni à un individu, ni à une collectivité locale, régionale ou nationale. Il fait partie des biens de l’humanité toute entière. Il est un élément non exclusif d’un projet de création d’une société de tolérance agissant dans le but d’établir la paix entre les humains
https://fr.unesco.org/about-us/introducing-unesco (consulté le 28 décembre 2018)..
La Recommandation de l’UNESCO formulée en 2011 sur le paysage urbain historique précise la conception de ce patrimoine spécifique en allant au-delà de la définition conventionnelle de Centre urbain ou d’ensemble « historique ». Une approche transversale est définie tenant compte de la topographie, de l’hydrologie, de la géologie, de l’environnement bâti historique et contemporain, des surfaces vertes et des jardins. Un accent particulier est accordé aux axes visuels, ainsi qu’aux pratiques économiques et aux valeurs sociales, aux dimensions immatérielles
http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=48857&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html (consulté le 28 décembre 2018)..
Le Conseil de l’Europe définit le patrimoine culturel comme un ensemble de ressources héritées du passé, que les personnes considèrent, par le régime de propriété des biens, comme expression de leurs valeurs, croyances, savoirs et traditions. L’ancrage ancestral est bien souligné dans cette approche et induit une « communauté patrimoniale » dont la mission est d’assurer la transmission du patrimoine.
Cette définition n’est pas sans rappeler l’affirmation de l’ethnologue Jean Pouillon qui écrit que « L'important est que l'objet ait perdu sa valeur (d'usage ou de nouveauté) pour en acquérir une nouvelle en tant que porteur d'une mémoire, d'un savoir, d'une ancienneté »
https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/090000168007a094 (consulté le 28 décembre 2018)..
Ces définitions de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe sont précisées par la Commission Européenne qui considère le patrimoine bien comme étant statique ou appartenant au passé, mais lui reconnaît une évolution au travers de l’engagement de la société contemporaine à son égard. La Commission confirme l’objectif de paix de l’UNESCO en considérant que le patrimoine soit un élément important dans la construction de l’avenir de l’Europe. La Commission inclut comme patrimoine la pratique vestimentaire, les livres comme biens physiques, les machines, les espaces cultures, la pratique linguistique et le patrimoine numérique
EUROPEAN COMMISSION, Mapping of cultural heritage, actions in European Union policies, programmes and activities, Bruxelles, août 2017..
Le passé un fantasme sociétal ?
Le présent crée une vue imaginée du passé et de ce qu’il aurait pu être. Le contexte qui avait mis en place le bien ou la pratique considérée comme patrimoine a totalement changé.
Les biens ou pratiques, isolés du cadre qui les ont produits, deviennent un symbole et se muent d’un objet privé en symbole qu’une collectivité cherche à s’approprier dans le but de le conserver. L’objet ou la tradition historique prennent un caractère inaliénable et irrévocable
RAUTENBERG, Michel, La rupture patrimoniale, Paris, 2003, p. 154-155..
Le bien devenu symbole rappelle un souvenir, une période remarquable de l’histoire, la vie d’une personnalité. Devenu patrimoine, il perd son caractère de bien de consommation et acquiert une position nouvelle au sein de la société. Son existence requiert une nouvelle prise de conscience et une attitude différente face à lui.
Un bien, un objet, une tradition ne seront considérés comme patrimoine que s’il y a eu rupture et passage par une période de deuil qui permettra d’établir une nouvelle relation au bien
KRASSIMIRA, Krastanova, RAUTENBERG, Michel, Réinterprétation du passé et imaginaire urbain, in Bulgarie-Balkanologie, volume VIII, n°2, 2005, p. 33-54.
Il faut se rendre à l’évidence qu’il s’agit de groupes sociaux qui créent un imaginaire, voire un mythe autour d’un bien ou d’une tradition historique dans le but de le conserver et pour le transmettre aux générations suivantes. Le sociologue Jean d’Avalon dit à propos de la fabrication de patrimoine, que des groupes sociaux vont jusqu’à réaliser leurs fantasmes sociaux
D’AVALON, Jean, Le Don du patrimoine : Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, 2006, p. 133..
Pour limiter ces écueils l’UNESCO a identifié trois caractéristiques communes au patrimoine culturel.
L’authenticité traduit le caractère non altéré du bien. Il est conservé dans sa substance originale, que ce soit au niveau matériel, de son exécution, de sa conception.
Le bien doit être intègre, ce qui veut dire qu’il ne représente pas un fragment, mais un tout, qu’il soit complètement reconnaissable dans son état d’origine.
Enfin, la reconnaissance comme patrimoine à « Valeur Universelle Exceptionnelle » émane d’un processus lancé sur initiative des citoyens et qui aboutit par une décision prise par le Centre du patrimoine mondial auprès de l’UNESCO
https://whc.unesco.org/fr/criteres/.
Dans ce cadre, pour requérir la qualité de patrimoine, il faut un engagement tant personnel que collectif, l’accès tant physique qu’aux connaissances doit être accessible pour tous.
Un patrimoine fondé sur des connaissances
Les connaissances sur l’histoire de l’objet et du contexte dans lequel il est né sont essentielles, car ce qui est déclaré comme patrimoine relève toujours d’un choix, d’un tri parmi beaucoup d’autres biens et pratiques souvent très semblables. La patrimonialisation ne peut être relaissée seule aux experts, ceci reviendrait à une sorte de déresponsabilisation sociale. Le caractère de bien communautaire est un des éléments propres du patrimoine
PHILIPPART, Robert L. De l’importance de la fabrication du patrimoine, in Revue technique luxembourgeoise, N°3, Luxembourg, 2015, p. 50-58.. Pour cette collectivité, le patrimoine représente une plus-value culturelle, car il renvoie aux racines communes, exprime l’accord de groupes sur un bien, conserve des pratiques et matériaux qui risquent de disparaître et dont il faut assurer la transmission. Exprimant le lien intergénérationnel, le patrimoine traduit la mémoire collective d’une collectivité et devient ainsi un élément important de cohésion sociale, de communauté et d’expression d’identités
GIRAUD, Claude, Qu’est-ce que transmettre ?, Sociologie d’une pratique, Paris, 2015, p.33. .
Toutefois, l’appréhension du patrimoine ne peut s’enfermer dans une rigidité qui ne permette plus l’évolution. La conservation du patrimoine doit inciter à la créativité et non pas soumettre la génération qui veut transmettre le bien aux normes et règles du passé. La conservation du patrimoine ne doit pas représenter une entrave au développement social, économique ou culturel. Bien au contraire, la transmission d’un bien ou d’une pratique d’une génération à l’autre devrait, dans une situation idéale, représenter, un élément important de la qualité de vie pour tous et viser un développement durable respectueux de l’environnement naturel, culturel et historique
WEMAËRE, Jean Wemaëre ; RUANO-BORBALAN, Jean-Claude, Ce que transmettre veut dire, in Sciences humaines, Paris, 2002, p.65..
Une gestion éthique du patrimoine
L’objectif de la conservation du patrimoine est, d’après les ambitions de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe, la mise en place d’une société pacifique, stable, consciente des valeurs historiques et environnementales, mais ouverte à la diversité et au développement garant d’adaptation, de survie sociétale et de prospérité.
Ces objectifs ne peuvent pourtant se traduire que si tous les intéressés s’accordent à observer une certaine éthique.
La reconnaissance d’un bien comme élément du patrimoine culturel, naturel ou immatériel est toujours le fruit d’une négociation entre hommes et reste donc toujours précaire. La patrimonialisation doit toujours représenter un choix citoyen et non pas de lobbyistes défendant des intérêts particuliers qu’ils soient idéologiques ou matériaux. Dans ce cadre, une attitude critique et de vigilance est requise, car nombreuses sont les occasions qui permettent d’instrumentaliser un fait, un bien ou une pratique historique dans le but caché de gain de pouvoir ou de bénéfices matériaux. La patrimonialisation doit représenter un geste d’appropriation collective d’un bien culturel ou naturel, sans aboutir nécessairement à une expropriation ou mise sous tutelle de l’héritier ancestral du bien. La protection et la mise en valeur du patrimoine culturel devrait inclure le droit aux populations de ne pas être déplacées dans le cadre de travaux de protection et de restaurations imposées. La mise en valeur du patrimoine n’est pas un alibi pour opérer la gentrification d’un quartier
Phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s'approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d'une couche sociale supérieure.. De même, la construction mythique d’un passé glorieux dans le but non ouvertement affiché de la spéculation foncière, ne révèle pas uniquement de l’instrumentalisation du patrimoine et le passé, mais affiche le mépris profond pour les sciences historiques. Les lois et règlements sur le trafic illicite de biens pour des raisons économiques devront être respectés, afin d’éviter tout genre de pillage.
De même la production de copies dérobe le bien de son caractère unique et authentique, au niveau architectural, la reconstruction à l’identique ne reproduit qu’une vue du moment, le plus souvent une forme idéalisée du passé
Paquette, Jonathan; Nelson, Robin, Ethique et politiques du patrimoine : regards sur la notion de responsabilité, in Ethique publique, vol. 19, n° 2 Patrimoine et éthique publique : enjeux politiques et professionnels de la représentation et de la communication du patrimoine, Paris, 2017, s.p.. Bien pire, lorsque des quartiers historiques sont reconstruits à l’identique, ils trahissent l’histoire, car ces tentatives cherchent à gommer des périodes bien existantes de l’histoire. Les cas du « Neues Altes Frankfurt »
DOSCH, Stefan, Frankfurt stürzt das Neue und das Alte blüht, in Augsburger Allgemeine, 8. November 2018. https://www.augsburger-allgemeine.de/kultur/In-Frankfurt-stuerzt-das-Neue-und-das-Alte-blueht-id52647056.html et de la reconstruction du palais des Hohenzollern ont relancé le débat sur la question délicate de la reconstruction. La société doit accepter le passé tel qu’il fut, les plaies et erreurs du passé étant des éléments constructif de la mémoire collective. Mettre en place des copies de l’ancien revient à réfuter l’authentique et comporte un élément d’instrumentalisation du passé
GOUDIN, Elisa, Démolition du Palais de la République et reconstruction du château des Hohenzollern : quelle place pour les considérations d éthique publique dans la gestion du patrimoine berlinois ? in Ethique publique, vol. 19, n° 2 Patrimoine et éthique publique : enjeux politiques et professionnels de la représentation et de la communication du patrimoine, Paris, 2017.s.p..
La protection du patrimoine requiert, comme acte de responsabilité politique, la mise en œuvre de lois et de règlements incluant les recommandations auxquelles l’Etat s’est obligé à en reconnaître le caractère contraignant par la ratification de conventions internationales. Ces mesures doivent s’accompagner de ressources humaines et financières suffisantes pour garantir leur implémentation.
Si les instances internationales ont réussi à se doter de définitions du patrimoine et de ses caractéristiques, les accords comme la Charte de Florence sur les jardins historiques ou la Charte de Venise sur la conservation et la restauration des monuments et des sites
https://ssmn.public.lu/fr/restauration/chartes/jardins.html
ICOMOS, Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, Venise, 1964. guident la mise en œuvre de la restauration.
Le Mouvement “Europa Nostra” agit comme défenseur du patrimoine à l’égard des décideurs politiques et des instances gouvernementales. Le contrôle du respect du patrimoine se fait par la distribution du Prix européen pour la Patrimoine / Europa Nostra
http://www.europanostra.org/ (consulté le 28 décembre 2018). Mais ce qui se fait ici sur base d’associations de citoyens et d’experts, se fait également au niveau des instances de Contrôle du respect des traités et conventions, tant à l’UNESCO qu’au Conseil de l’Europe, qu’au niveau de l’UE.
Sensibiliser au patrimoine
Pour rendre lisible au grand public ce qui a été élevé au rang de patrimoine et pour savoir comment le préserver et le mettre en oeuvre, les connaissances autour de cette thématique sont constamment développées par la recherche scientifique souvent encadrée par les universités.
Afin de sensibiliser autant de citoyens que possible au patrimoine, l’accès à ces connaissances doit être garantie et adapté aux groupes-cibles.
Le muséologue Duncan Camerion annonce l’ambition de former le grand public à être capable d’authentifier un bien patrimonial. Pour lui, l’approche devra être transversale pour être à même d’aborder un objet ou tradition patrimonial avec toutes ses facettes
Duncan Cameron « Un point de vue, le musée considéré comme système de communication et les implications de ce système dans les programmes éducatifs muséaux », in Vagues : une anthologie de la nouvelle muséologie, vol 1, Lyon, 1992, p. 433..
Afin de sensibiliser le public à établir une relation positive au patrimoine, des études pertinentes devraient démontrer son influence réelle sur la qualité de vie etsur la possibilité d’évolution dans un cadre historique limité. L’environnement « socio-culturel » compte un des 39 critères d’évaluation de la qualité de vie dans les études MERCER, mais aucune donnée n’est fournie sur le rôle plus précis du patrimoine dans ce domaine
https://mobilityexchange.mercer.com/quality-of-living-reports (consulté le 28 décembre 2018) Mercer est une agence de conseil mondial de la santé, la richesse et des solutions de carrière pour les entreprises et est connu pour la collecte de données sur la qualité de vie dans les grandes villes du monde..
La justice sociale requiert que la protection du patrimoine doive toujours viser l’inclusion sociale. Les résultats sur l’importance que peut jouer le patrimoine, également au niveau de la structuration des identités, devront être communiqués à grande échelle. Pour mieux inclure les citoyens dans les actions de sensibilisation, il serait souhaitable de leur accorder des rôles participatifs notamment dans les débats. Ceux-ci devront guider la réflexion non uniquement sur la préservation, conservation et la mise en valeur du patrimoine civil, mais s’attacher également aux modèles de reconversion d’immeubles du patrimoine industriel, religieux ou militaire, de revitalisation de pratiques artisanales collectives mineures. Pour bien guider les actions et débats, les responsables en charge de la promotion du patrimoine s’instruisent généralement sur ce qui se fait déjà ailleurs. C’est ainsi aussi que se nourrit une profonde collaboration en réseau international.
La formation initiale et continue comme élément pour réussir une gestion durable dans l’optique de l’Agenda 2030 des Nations Unies
Le 1er janvier 2016, les 17 Objectifs de développement durable du Programme de développement durable à l horizon 2030 – adopté par les dirigeants du monde en septembre 2015 lors d’un Sommet historique des Nations Unies – sont entrés en vigueur. Les pays signataires du programme mobiliseront les énergies pour mettre fin à toutes les formes de pauvreté, combattre les inégalités et s’attaquer aux changements climatiques, en veillant à ne laisser personne de côté. représente une mesure importante de sensibilisation et de responsabilisation des acteurs en charge du patrimoine. La sensibilisation des tous jeunes en bas âge dès l’école au patrimoine est aussi importante que l’apprentissage d’adultes et de personnes issus d’horizons culturels et migratoires très différents
La sensibilisation doit assurer l’accessibilité pour tous non seulement au niveau de l’accès physique, mais aussi en garantissant l’accès aux connaissances par la lecture en « langage facile » et adoptant une pédagogie participative.
Pour réussir une sensibilisation facile, on s’accorde généralement sur l’observation de trois règles :
sortir de sa tour d’ivoire et se mettre en relation avec et à l’écoute du grand public
transmettre la conscience que chaque individu peut se charger de la mission de transmettre un savoir, une connaissance, un bien patrimonial
promouvoir que la culture est un bien accessible pour tous, qu’il faut continuer à la démocratiser.
Pédagogiquement parlant, il faut susciter l’enthousiasme du public en lui donnant la sensation de découvrir pour la première fois, et personnellement, un bien patrimonial, qui en réalité fait partie de sa banalité quotidienne.
Le fil rouge que tisse l’histoire au quotidien lie le passé au présent et celui-ci à l’avenir. Il n’y a pas ni rupture, ni perte, mais changement dans la continuité.
Même si pour le monde de la culture, le terme « Marketing » puisse choquer, ses stratégies de communications doivent être mises au service des actions de sensibilisation au patrimoine. Ainsi, il est important de définir les groupes-cibles auxquelles il faudra adresser des messages appropriés :
les jeunes, les familles, les seniors, les touristes, les miniorités, les migrants, les résidents, les autochtones, les couches sociales défavorisées, les populations sur fond migratoires.
Pour réussir, le message doit être adapté à ces différents groupes-cibles et tenir compte de leurs niveaux de connaissances et zones d’intérêts très différents. Leur lien spécifique au patrimoine et la plus-value qu’il leur peut apporter doit leur être rendu perceptible.
Une des façons les plus à succès pour sensibiliser au patrimoine c’est d’expliquer les causes et leurs effets qui produisent le changement, au lieu de s’axer sur une chronologie rigide ou des biographies confuses ou orientées. L’essentiel consiste à montrer que le changement qui se dégage d’une situation antérieure est inhérent au monde en évolution permanente. Ainsi, il semble utile d’établir, dans le discours patrimonial, des liens vers le contemporain. Expliquer que l’humanité s’est toujours posé les mêmes questions sur la vie, sur sa qualité et son caractère éphémère de tout existant et décrire qu’elle s’est livrée de génération en génération de nouvelles solutions, facilite une considération plus neutre, ni admiratrice, ni dévalorisante des phénomènes historiques. Les anecdotes faisant partie du récit historique sont destinées à illustrer des propos et des hypothèses, elles ne visent ni la récréation, ni l’amusement des auditeurs.
En restant neutre et objectif et en transmettant des connaissances transversales, le visiteur ou le lecteur sera appelé à réfléchir lui-même sur les questions soulevées et de formuler ses propres réponses.
La visite sur le terrain, au musée, ou l’apprentissage d’un savoir-faire ou d’une tradition mettent à l’évidence que l’histoire se fonde sur du concret et que ces traces attestent d’une présence réelle de faits. Dans ce cadre, il importe de distinguer entre le signifiant et le signifié d’un bien pour remonter à sa signification initiale, et que celle actuelle et futures deviennent tangibles. Il importe également d’appeler à distinguer entre souvenir, nostalgie d’un passé, mémoire et attitude de repli devant le changement
D’HAENENS, Albert, CENTRE DE RECHERCHE POUR LA COMMUNICATION EN HISTOIRE, Pour une autre histoire: éléments pour une théorie de la trace, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 13..
Terminons ces quelques réflexions avec une citation de l’anthropologue Maurice Godelier: « Il ne peut y avoir de société, il ne peut y avoir d'identité qui traverse le temps et serve de socle aux individus comme aux groupes qui composent une société, s'il n'existe des points fixes, des réalités soustraites aux échanges de dons et aux échanges marchands
GODELIER, Maurice, L’Enigme du don, Paris, 1996, p.16.. »
Légendes :
Logo : Année européenne du patrimoine © Ministère de la Culture
Photo : Unesco Promenade © Rolph
Photo : visite guidée © Rolph
Vue sur le plateau du Kirchberg © Rolph
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