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Communication & militantisme (2015-2020)

2019, Parcours Communication -L2-UFR LLSH-UPEC

Ce cours analyse, du point de vue de la sociologie politique, les stratégies de communication mobilisées par les groupes militants. Ces stratégies renvoient à l'ensemble des instruments de médiation et de médiatisation employés par des organisations citoyennes, professionnelles ou politiques - partis, syndicats, associations, groupes d'intérêt, collectifs informels ou réseaux – qui cherchent à publiciser leurs revendications et tentent de recruter de nouveaux membres et bénéficier du soutien des dirigeants, des médias ou de l’opinion publique. Positionné au quatrième semestre du Parcours Communication (niveau Licence 2), le cours se déroule sur douze séances (voir calendrier ci-après). Chaque séance est organisée autour d’un cours magistral (1h) et d’une séquence de travaux dirigés (1h20). Cours magistral Qu'il s'agisse d'organiser la communication interne, d'accéder et de séduire les médias de masse ou de créer des réseaux de communication « alternatifs », le répertoire médiatique des organisations militantes inclut une palette diversifiée de moyens d'action : la communication interpersonnelle à l’occasion de la formation des militants ou d’opérations de porte-à-porte ; l'utilisation d’un microphone ou de haut-parleur lors des réunions publiques ; l'affichage dans les rues et la diffusion de tracts ; la rédaction de communiqués de presse ou l'invitation de journalistes à des événements tels que des meetings, des manifestations ou des conférences de presse ; la publication de tribunes ou d'annonces dans les journaux, la participation de militants à des émissions de radio ou de télévision ; la création de mailing lists, de forums en ligne, le lancement d'un site Internet ou l'utilisation des réseaux sociaux ; la création de journaux militants, de « radios libres », de télévisions associatives, le piratage informatique ou l'utilisation de logiciels libres. Depuis les années 1970 environ, on observe ainsi dans les pratiques militantes une véritable « course aux armements communicationnels » (Neveu, 2010) qui a des incidences sur la division du travail au sein des organisations militantes, le profil et les compétences réelles et attendues de leurs membres, le travail des journalistes et les relations qu'ils entretiennent avec leurs sources d'information, ainsi que l'émergence d'un militantisme spécialisé dans les questions d'information et de communication médiatiques. Les pratiques militantes en matière de communication contribuent ainsi à politiser un discours - enjoué ou critique selon les cas - sur les médias et le journalisme qui participe d’une reconfiguration des règles du jeu politique. Travaux dirigés Les travaux dirigés sont destinés à approfondir le cours magistral en faisant travailler les étudiant.e.s en groupe sur des études de cas. Chacun.e d’entre vous doit renforcer et mobiliser des compétences générales (recherche documentaire, qualités d’analyse et de synthèse, réflexivité critique, capacités à problématiser une réflexion et structurer un plan argumenté, techniques d’écriture et de présentation orale, référencement des sources bibliographiques et documentaires) et des compétences spécifiques (concepts et théories de la sociologie de la participation, de l’action collective, des mouvements sociaux, du militantisme, du journalisme, des médias…). La première séance de TD est l’occasion de présenter le programme et les consignes méthodologiques, ainsi que de constituer les groupes de travail et de répartir les sujets. Les séances 2 à 4 sont consacrées à des lectures et des discussions autour de textes du dossier (voir ci-après). Les séances 5 à 11 sont organisées autour des présentations orales des dissertations, de discussions avec le reste du groupe et de mises au point méthodologiques.

Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 COMMUNICATION & MILITANTISME Enseignant : Benjamin Ferron 1 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Université Paris-Est Créteil Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines Département de communication politique et publique Parcours Sciences de l’Information et de la Communication Licence 2 année 2017 - 2018 2 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Sommaire Présentation du cours ............................................................................................................................................... 4 Cours magistral ..................................................................................................................................................... 4 Travaux dirigés ...................................................................................................................................................... 4 Informations pratiques............................................................................................................................................. 5 Calendrier des cours............................................................................................................................................. 5 Modalités d'évaluation ......................................................................................................................................... 6 Pour joindre l’enseignant..................................................................................................................................... 6 Bibliographie du cours ............................................................................................................................................. 7 Sujets de dissertation/Exposés ............................................................................................................................. 10 Méthodologie ........................................................................................................................................................... 11 1. L’exposé ........................................................................................................................................................... 11 2. La dissertation................................................................................................................................................. 12 3. La discussion ................................................................................................................................................... 14 Lectures obligatoires............................................................................................................................................... 15 Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris, La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26. . 16 Dimensions de l'action collective ........................................................................................................................... 17 La composante politique des mouvements sociaux .................................................................................................. 20 Une arène non institutionnelle ?............................................................................................................................. 24 Instituer l'action collective : répertoires et organisations ........................................................................................ 26 Espaces des mouvements sociaux ......................................................................................................................... 29 James C. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29 ................. 31 Le texte caché : une posture vaine ? ...................................................................................................................... 32 La résistance souterraine ..................................................................................................................................... 34 Contamin Jean-Gabriel, « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71 ............................ 37 Notes .................................................................................................................................................................. 40 Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les mouvements sociaux, Paris, La Découverte, «Recherches», 2010 ...................................................................................................................... 41 La course aux armements communicationnels ........................................................................................................ 41 Conjurer le médiacentrisme .................................................................................................................................. 44 Une reconquête de l’autonomie médiatique ? .......................................................................................................... 50 Médias et « médiactivisme » (F. Granjon) ....................................................................................................... 54 L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique .............................................................................................. 54 L’utilisation stratégique des médias par les mouvements sociaux ............................................................................. 54 La critique des médias dominants .......................................................................................................................... 55 L’émergence d’un militantisme producteur et diffuseur d’information ....................................................................... 56 3 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Présentation du cours Ce cours analyse, du point de vue de la sociologie politique, les stratégies de communication mobilisées par les groupes militants. Ces stratégies renvoient à l'ensemble des instruments de médiation et de médiatisation employés par des organisations citoyennes, professionnelles ou politiques - partis, syndicats, associations, groupes d'intérêt, collectifs informels ou réseaux – qui cherchent à publiciser leurs revendications et tentent de recruter de nouveaux membres et bénéficier du soutien des dirigeants, des médias ou de l’opinion publique. Positionné au quatrième semestre du Parcours Communication (niveau Licence 2), le cours se déroule sur douze séances (voir calendrier ci-après). Chaque séance est organisée autour d’un cours magistral (1h) et d’une séquence de travaux dirigés (1h20). Cours magistral Qu'il s'agisse d'organiser la communication interne, d'accéder et de séduire les médias de masse ou de créer des réseaux de communication « alternatifs », le répertoire médiatique des organisations militantes inclut une palette diversifiée de moyens d'action : la communication interpersonnelle à l’occasion de la formation des militants ou d’opérations de porte-à-porte ; l'utilisation d’un microphone ou de haut-parleur lors des réunions publiques ; l'affichage dans les rues et la diffusion de tracts ; la rédaction de communiqués de presse ou l'invitation de journalistes à des événements tels que des meetings, des manifestations ou des conférences de presse ; la publication de tribunes ou d'annonces dans les journaux, la participation de militants à des émissions de radio ou de télévision ; la création de mailing lists, de forums en ligne, le lancement d'un site Internet ou l'utilisation des réseaux sociaux ; la création de journaux militants, de « radios libres », de télévisions associatives, le piratage informatique ou l'utilisation de logiciels libres. Depuis les années 1970 environ, on observe ainsi dans les pratiques militantes une véritable « course aux armements communicationnels » (Neveu, 2010) qui a des incidences sur la division du travail au sein des organisations militantes, le profil et les compétences réelles et attendues de leurs membres, le travail des journalistes et les relations qu'ils entretiennent avec leurs sources d'information, ainsi que l'émergence d'un militantisme spécialisé dans les questions d'information et de communication médiatiques. Les pratiques militantes en matière de communication contribuent ainsi à politiser un discours - enjoué ou critique selon les cas - sur les médias et le journalisme qui participe d’une reconfiguration des règles du jeu politique. Travaux dirigés Les travaux dirigés sont destinés à approfondir le cours magistral en faisant travailler les étudiant.e.s en groupe sur des études de cas. Chacun.e d’entre vous doit renforcer et mobiliser des compétences générales (recherche documentaire, qualités d’analyse et de synthèse, réflexivité critique, capacités à problématiser une réflexion et structurer un plan argumenté, techniques d’écriture et de présentation orale, référencement des sources bibliographiques et documentaires) et des compétences spécifiques (concepts et théories de la sociologie de la participation, de l’action collective, des mouvements sociaux, du militantisme, du journalisme, des médias…). La première séance de TD est l’occasion de présenter le programme et les consignes méthodologiques, ainsi que de constituer les groupes de travail et de répartir les sujets. Les séances 2 à 4 sont consacrées à des lectures et des discussions autour de textes du dossier (voir ci-après). Les séances 5 à 11 sont organisées autour des présentations orales des dissertations, de discussions avec le reste du groupe et de mises au point méthodologiques. 4 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Informations pratiques Calendrier des cours 29/01/18 Chap.1. 05/02/18 Chap.2. 12/02/18 Chap.3. 19/02/18 Chap.4. 05/03/18 Chap.5. 12/03/18 Chap.6. 19/03/18 Chap.7. 19/03/18 Chap.8. 26/03/18 Chap9. 9/04/18 Chap.10. 16/04/18 Chap.11. 30/04/18 Chap.12. Cours magistral (12x1h) Militantisme, communication et construction des problèmes publics (13h30-14h30) Les sens du militant : engagement corporel et dispositifs de sensibilisation (13h30-14h30) Les voix de la contestation : silences, murmures et prises de parole (13h30-14h30) TD1 TD2 TD3 Les discours protestataires : luttes TD4 symboliques et enjeux de cadrage (13h30-14h30) Vacances d’hiver (26/02/18) La tactique des TIC : instruments de TD5 communication des mobilisations collectives (13h30-14h30) Le journaliste et ses sources militantes : TD6 la médiatisation des mouvements sociaux (13h30-14h30) Se rendre visible et légitime: les TD7 stratégies médiatiques des entrepreneurs de cause (13h30-14h30) Des médias « alternatifs » : amateurs et TD8 professionnels de la communication militante (13h30-14h30) Media movements : la politisation du TD9 problème des inégalités médiatiques (13h30-14h30) Lundi de Pâques (02/04/18) Le contrôle des arènes publiques : TD10 militantisme, communication et Etat (13h30-14h30) Militer à l’ère néolibérale : économie TD11 symbolique des luttes contre l’idéologie dominante (13h30-14h30) Vacances de Pâques (23/04/18) La communication militante, levier ou TD12 produit du changement social ? (13h30-14h30) 5 Travaux dirigés (12x1h20) Méthodologie & répartition des travaux 14h30-15h50 Discussion sur les textes n°1 et n°2 du dossier 14h30-15h50 Discussion sur les textes n°3 et n°4 du dossier 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Exposé(s) / discussion(s) 14h30-15h50 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Modalités d'évaluation A l’issue du cours, chaque étudiant.e obtiendra deux notes principales. La première (50 % de la note) sera attribuée à un travail seul ou en groupe qui prendra la forme d’une dissertation écrite (25 %), présentée en exposé oral (15 %), et complétée par la discussion d’un autre exposé (10 %). La seconde (50 % de la note) sera attribuée à un examen final sur table (dissertation, 2h). Pour joindre l’enseignant Adresse email : benjam1ferron@gmail.com Bureau 411 – Immeuble La Pyramide – 80, avenue du Général de Gaulle – 94010 Créteil 6 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Bibliographie du cours dans le Paris de l’après-Commune (1872–1885) », Genèses, 35, p. 107–130 CARDON D., GRANJON F. (2010), Médiactivistes, Paris, Presses de SciencesPo., coll. Contester, 2010 CARDON D., GRANJON F. (2005), « Médias alternatifs et médiactivistes », in É. Agrikoliansky, O. Fillieule, N. Mayer (dir.), L’Altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, p. 175-198 CHAMPAGNE P. (1984), « La manifestation. La production de l'événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 52-53, p. 19-41 CHAMPAGNE P. (1990), Faire l'opinion, Paris, éditions de Minuit CONTAMIN J.-G. 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Fragments du discours subalterne [1992], 9 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Sujets de dissertation/Exposés Entre militantisme et journalisme : le réseau des Centres de Médias Indépendants Indymedia (1999-2013) ● Produire et diffuser de l’information sur les droits de l’homme : le cas de l'ONG B'Tselem (Israël) ● Les stratégies médiatiques de la « Commune » d'Oaxaca (Mexique, 2006) ● Le théâtre de l'opprimé : mise en scène de luttes, luttes de mise en scène ● A quoi sert un tract ? ● Musique et politique : le hiphop ● Communication et pédagogie alternative à Summer Hill (Grande-Bretagne) ● La communication des Indignados (Espagne) ● L’enjeux de la communication dans le mouvement Nuit Debout (France) ● Le Média : entre information et militantisme (France, 2017-2018) ● La communication du mouvement des paysans sans terre (Brésil) ● Pourquoi le mouvement de la Décroissance a-t-il mauvaise presse ? ● La communication des mobilisations à faibles ressources (1) : le cas des handicapés ● La communication des mobilisations à faibles ressources (2) : le cas des prostituées ● Les manifestations de policiers en France : une contestation policée ? ● Le site revolutionpermanente.fr : agenda et cadrage de l’actualité militante ● L'artivisme ou l’art du militantisme ● La campagne « Dégooglisons Internet » de Framasoft ● Médias anarchistes : le cas du réseau Sedna Médias libres ● Le mouvement pour la défense de l’Espéranto ● Communication et mouvements « anti-pub » ● La communication des ONG de solidarité internationale : le cas de Médecins sans frontières ● La communication dans le mouvement du Tea party (Etats-Unis) ● Militer à l’extrême-droite : le cas du Bloc Identitaire en France (2003-2017) ● Le mouvement anti-apartheid et les médias (Afrique du Sud) ● La « Manif pour tous » : discours et traitement médiatique ● La communication internationale du mouvement Ogoni (Nigéria) ● Le traitement médiatique de la « révolution des parapluies » (Hong Kong) ● Les mobilisations pour une « gouvernance démocratique » d'Internet ● Reporters sans frontière : la construction de la « cause » de la liberté de la presse ● Le droit à la communication des minorités ethniques ● La communication des mouvements contre la dictature de Pinochet (Chili) ● Les Samizdat (Russie et ex-bloc soviétique) ● La communication des organisations syriennes de défense des droits de l’homme ● Les aborigènes et la communication communautaire (Australie) ● L’affiche militante : conception, signification, usages ● Propagande et contre-propagande sous le régime sandiniste (Nicaragua) ● La communication dans le mouvement Occupy Wall Street (Etats-Unis) ● Sea Shepherd : les pirates de l’écologie ? ● Le BDjournalisme et le reportage de guerre ● Le clicktivisme : que signifie « militer » sur les réseaux sociaux ? ● La communication des organisations patronales : un militantisme politique dépolitisé ? ● Les mobilisations contre les inégalités médiatiques : du rapport MacBride (1981) au rapport de l’International Panel on Social Progress (2016) ● La communication dans le mouvement Piqueteros (Argentine) ● Les stratégies de communication des mobilisations Our Walmart ● A quoi servent les e-pétitions ? Le cas d’Avaaz Remarques : cette liste de sujets est indicative. Vous pouvez choisir un sujet tel quel ou bien, avec l’accord préalable de l’enseignant, le modifier ou en proposer un nouveau. Le sujet doit porter sur le thème du cours « Militantisme et communication ». Il peut être lié à l’actualité du moment ou avoir une dimension plus historique. La dissertation doit avoir une longueur de 3 pages maximum (voir consignes ci-après). L’article doit mentionner obligatoirement les sources d’information ou les outils d’analyse utilisés (notes de bas de page avec références bibliographiques). Votre travail devra reposer sur une revue de presse (cf. outils Europress ou Factiva disponibles via le site de la médiathèque de l’UPEC) et la lecture de travaux scientifiques dans le domaine des sciences sociales (cf. portails Cairn, Persée, BiblioSHS, etc.). L’utilisation de matériaux originaux (photographies personnelles, interviews, observations directes des événements relatés, etc.) est fortement encouragée dans le cadre de cet exercice. Critères d’évaluation : le choix et la problématisation du sujet ; l’ampleur et la qualité du travail de recherche de sources documentaires et de la bibliographie scientifique ; le travail de structuration de l’argumentaire (titre ou sous-titres, enchaînement des parties et des paragraphes, conclusion) ; la qualité de l’expression et la correction orthographique ; le référencement des sources et de la bibliographie (y compris liens html). 10 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Méthodologie 1. L’exposé  L’exposé (15 % de la note) dure 15 minutes maximum. Veillez à bien respecter le temps qui vous est imparti, sous peine d’être interrompu avant la fin de votre exposé. Vous devez vous émanciper de vos notes au maximum. Des supports multimédias sont autorisés, dans la mesure où ils viennent appuyer la démonstration : un des objectifs de l’exposé est d’acquérir une maîtrise de l’argumentation orale en public.  Les exposant-e-s doivent fournir le plan détaillé photocopié de leur exposé à l'enseignant et aux étudiants, avant de commencer, en y faisant figurer le numéro de leur groupe et les noms des membres du groupe, le thème de la séance du jour et leur sujet d'exposé. Si le détail du plan peut varier, il doit impérativement faire apparaître une introduction et une conclusion problématisées et rédigées, des titres clairs et soignés. Le nombre de parties est libre (deux, trois voire quatre), mais la hiérarchie des titres doit comporter au moins trois niveaux (I, I.1., I.1.2., etc.). Le plan détaillé ne doit pas dépasser une feuille recto/verso  Les exposés sont évalués selon cinq critères : 1) L’analyse du sujet (concepts et contexte d’énonciation) et la problématique dégagée de cette analyse. 2) Les recherches bibliographiques et lectures effectuées : quantité, variété et originalité des références mobilisées; bonne compréhension des lectures (précision et honnêteté dans la restitution, utilisation pertinente des références bibliographiques par rapport au sujet et à la problématique). 3) La cohérence et la pertinence du plan, des arguments, des exemples utilisés. 4) La qualité de l’exposé oral : respect du temps, rythme, débit de la parole, distance aux notes écrites, mobilité. Un exposé reposant sur la seule lecture d’un texte préalablement rédigé aura une évaluation négative pour la qualité de la présentation orale. Un exposé présenté entièrement sans support écrit aura à l’inverse une bonne évaluation sur ce point. 5) La capacité à répondre aux questions ou objections. 11 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 2. La dissertation Chaque groupe devra rendre une dissertation sur son sujet (25 % de la note). Objectifs de la dissertation :  Entraînement à l’utilisation de sources bibliographiques, de concepts et d’outils fondamentaux relevant de la science politique, de la sociologie et des sciences de l’information et de la communication ;  Développement des capacités d’expression, d’organisation et d’articulation des idées ;  Amélioration des capacités d’analyse et d’évaluation critique ;  Compréhension et acceptation des approches/analyses souvent contradictoires sur un sujet donné ; Formulation traditionnelle des sujets :  Une question qui suppose que l’étudiant prenne position (sur la base d’arguments scientifiques) ;  Une affirmation / une citation controversée, suivie d’une demande de commentaire ou d’évaluation critique ;  Une affirmation non problématisée impliquant qu’il revient à l’auteur de déterminer lui-même la problématique soulevée par un tel sujet. Problématique :  La problématique consiste à choisir un angle, sous la forme d’un questionnement pertinent à partir duquel vous élaborez une démonstration s’enchaînant logiquement et répondant à la question posée par le sujet.  Pour trouver ou affiner une problématique, il est nécessaire de mettre en relation la nature de la question posée avec le domaine de connaissance de l’objet à étudier, pour faire apparaître la questionproblème ou problématique sous-jacente au sujet : ce qui suppose, d’une part, une réflexion sur chacun des termes du sujet (eux-mêmes porteurs de problématiques), et d’autre part, une exploration du domaine de connaissances de l’objet ;  Il est généralement nécessaire de reformuler le sujet posé sous forme de question(s) qui donne(nt) déjà un sens à l’argumentation que vous avez choisi de développer (sauf si le sujet est déjà formulé ainsi) ;  Travail à réaliser sur la problématique : Poser une / des hypothèse(s) et dessiner les étapes de la démonstration. Le sujet que l'on vous propose formule parfois cette problématique. Dans tous les cas, vous devez déterminer vousmême l’angle à partir duquel vous traitez le sujet et le défendre jusqu'à la conclusion. Utiliser vos connaissances en fonction de vos hypothèses de départ, pour les vérifier et les justifier. Vous aurez besoin de maîtriser parfaitement votre cours. Prendre en note les informations (textes, citations, faits, dates...) que vous pourrez utiliser dans votre démonstration. Hiérarchiser et classer ces informations en fonction de la problématique : il ne s’agit en aucun cas d’accumuler des connaissances de façon linéaire mais de les trier et de les ordonner. Indications générales sur le plan :  Élaborer le plan avant d’entamer la rédaction ;  Apporter une vraie réponse à la question posée ou formuler une analyse /un commentaire 12 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 véritable de l’affirmation / la citation concernée ; Quelques types de plans :  Thèse (partie I), antithèse (partie II), synthèse (conclusion). NB : à utiliser lorsque le sujet implique que l’auteur prenne position (pour/contre, oui/non), utiliser pour nuancer une position et non pas pour « écrire tout et son contraire ».  Classification des acteurs impliqués et/ou des objets affectés. A utiliser surtout en sciences sociales et pour traiter des sujets de sociétés. Peut alors déboucher sur un plan en 3 parties.  Distinction entre les problèmes soulevés et les solutions proposées. Notamment pour l’analyse de processus de natures diverses ou des politiques publiques (tenants et aboutissants) et la résolution de problèmes.  Plan chronologique, soulignant pour chaque période, ses caractéristiques principales. A utiliser surtout pour les questions historiques et les processus et dans tous les cas où la « périodisation » apparaît comme une véritable problématisation.  Pour l’analyse d’une institution : évaluation de son statut (I) et de ses fonctions (II)  Des combinaisons de ces différents plans permettent de former des argumentaires plus sophistiqués. Exemples : plan historique et plan thèse/antithèse, acteurs impliqués /solutions proposées. Structure type d’une dissertation : ( INTRODUCTION : a. Accroche ) ( b. Présentation ) ( c. Problématique ) ( d. plan ) . Intérêt du sujet du point de vue de l’actualité ou exemple ; . Présentation générale du sujet et définition des termes ; . Présentation / hiérarchisation des questions / problèmes identifiés ; . Présentation et justification du choix du plan du développement devant découler logiquement de la problématique identifiée. DEVELOPPEMENT : ( Partie I ( Ia ( Ib ( ( ( Partie II II a II b . Chacune des parties doit être introduite et conclue ; . Toutes les analyses doivent être appuyées par des exemples et/ou des arguments scientifiques, succincts, clairs et reliés entre eux ; . Les arguments généraux viennent toujours avant les arguments particuliers. . Accorder une attention particulière aux liaisons/passages d’une idée à l’autre ; ) . Seuls les arguments et analyses nécessaires au développement ) de la thèse seront présentés (image du déroulement d’un tapis) ; ) . L’argumentation doit être aussi exhaustive que possible et refléter toutes les analyses y compris celles qui ne sont privilégiées par l’auteur. ) ) ) CONCLUSION : ( a. ) ( b. ) ( c. ) . Rappel du sujet de la problématique ; . Conclusions intermédiaires, conclusion globale ; . Questions restées sans réponse et ouverture permettant la poursuite d’une réflexion sur le sujet. NB : « ( ) » = Image du champ de l’argumentation. L’introduction sert alors à délimiter le champ d’investigation et à orienter/lancer l’argumentation. Le développement est l’occasion de « dérouler », de 13 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 façon logique et harmonieuse, la problématique. La conclusion permet de synthétiser l’argumentation, en soulignant ces limites, et d’ouvrir les perspectives de réflexion sur le thème traité. Important Chaque paragraphe d’une dissertation doit être construit selon le modèle suivant, en trois phases :  une idée  un argument (qui approfondit l’idée énoncée)  un exemple (qui illustre votre idée préalablement argumentée). Pour chaque phase, faites deux ou trois phrases concises et claires (relisez-vous, et gare aux répétitions !). A chaque paragraphe terminé, allez à la ligne. Sautez des lignes entre les parties. Conseils pratiques généraux :  Élégance des titres (qui doivent rendre compte de la thèse développée dans le paragraphe concerné), du style et de la formulation de la thèse centrale ;  Rigueur du raisonnement et sobriété du discours. Consignes formelles La dissertation devra comporter environ 5 pages : - une page de garde avec les noms et prénoms de.s étudiant.e.s, la date, ainsi que l’intitulé du cours et du sujet - La dissertation elle-même, composée d’une introduction problématisée, d’un développement en deux ou trois parties et d’une conclusion, sera d’une longueur (+/- 10 %) de 2.000 mots ou 12.500 signes espaces compris (soit environ trois pages Word en police 12, interligne simple). Le nombre de mots ou de signes doit être indiqué à la fin du texte. - Une bibliographie correctement mise en page (références rangées par ordre alphabétique du nom de l’auteur). Modèle pour un livre : MCADAM D. (2012), Freedom Summer. Luttes pour les droits civiques. Mississipi 1964 [1988], trad. de l’anglais Célia Izoard, Marseille, Agone, coll. L’ordre des choses. Modèle pour un article : BRACONNIER C. (1999), « Braconnages sur terres d’État. Les inscriptions politiques séditieuses dans le Paris de l’après-Commune (1872–1885) », Genèses, 35, p. 107–130. Modèle pour un chapitre d’ouvrage collectif : PECHU C. (2009), « Répertoire d'action », in Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, « Références ». Remarque : les conseils de méthode pour la dissertation à la maison sont valables pour la dissertation individuelle sur table 3. La discussion Chaque groupe devra préparer la discussion d’un autre exposé que le sien (10 % de la note finale). Avant la séance, chaque étudiant.e du groupe préparera des questions sur le sujet à partir de ses connaissances personnelles et d’éventuelles lectures complémentaires (ces dernières seront fortement valorisées dans la note). Durant la séance, les questions (une par étudiant.e) devront être problématisées. Il ne suffit pas pour cet exercice de formuler une question en une phrase. Il est nécessaire de bien écouter l’exposé et de développer un court argumentaire, soutenu par un ou des exemples, voire des concepts ou références académiques. Exemple de question problématisée : « Comment expliquer que… alors que… ? » 14 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Lectures obligatoires      NEVEU E., « Qu’est-ce qu’un mouvement social ? », Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris, La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26 SCOTT J. C., « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29 CONTAMIN J.-G., « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71 NEVEU E., « Médias et protestations collectives », in Olivier Fillieule, Eric Agrikoliansky, Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 245-264 GRANJON F., « Média », Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Références », 2009, 656 pages. URL : www.cairn.info/dictionnaire-desmouvements-sociaux--9782724611267-page-349.htm. 15 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris, La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26. rarement anticipés, on feint de les éclairer par les métaphores de l'explosion, de la contagion, du carnaval. On cherche des manipulateurs, hier la main de Moscou, aujourd'hui la barbe des islamistes. La paresse analytique prend encore la forme du rangement forcé de l'événement dans des tiroirs familiers : celui du « corporatisme » quand le conflit se passe dans une entreprise, du « populisme » pour les protestations des laissés-pourcompte des modernisations contemporaines. Le simplisme des classements rejoint un autre raccourci analytique : celui qui vise à juger avant de comprendre. Trop de discours, même savants, sur les mobilisations visent à déconsidérer ou célébrer leurs objets, à jouer aux prophètes du changement social. Entrons-nous, comme certains chercheurs l'ont soutenu, dans une « société des mouvements sociaux » ? Comme toute tentative de réduire une époque à un phénomène, le propos peut être réducteur. Il demeure qu'on ne saurait comprendre le XXe siècle sans ses mouvements sociaux. Juin 1936, Mai 68, Décembre 95 sont des dates autres qu'anecdotiques dans l'histoire française. Les mobilisations du siècle passé sont aussi des luttes pour l'indépendance, comme celle symbolisée aux Indes par Ghandi, ou des combats pour l'égalité des droits, comme ceux des Noirs états-uniens avec Martin Luther King. Elles incluent des mobilisations pour la démocratie comme celui de Solidarnosc en Pologne, sans oublier les combats comme ceux des indigènes d'Amérique latine ou des habitants des bidonvilles de Téhéran [Bayat, 1998. Le XXIe siècle confirme déjà la centralité du phénomène. Les manifestations hostiles à la guerre contre l'Irak ont réuni début 2003 des foules considérables en de nombreux pays. La réforme des retraites a suscité en 2010 en France des mobilisations de grande ampleur. En Tunisie, puis en Égypte, des mouvements populaires ont contribué au départ des despotes locaux début 2011. La catégorie des mouvements sociaux a donné chair depuis un siècle au syndicalisme, au féminisme, à l'écologisme, à des processus de démocratisation de régimes autoritaires ou totalitaires, à la réémergence du religieux comme acteur politique majeur. Mais l'ordinaire d'un mouvement social, ce sont aussi des femmes et des hommes qui agissent, partagent intérêts, émotions, espoirs. C'est encore une occasion privilégiée de mettre en question le monde social tel qu'il tourne, de dire le juste et l'injuste. C'est parfois le levier qui fait bouger la politique et la société, l'événement partagé qui fait mémoire pour une génération. La recherche sur ces sujets a considérablement évolué en vingt ans. Il n'existait dans les années 1990 que deux ou trois livres de synthèse en français sur le sujet. Un flot de thèses, d'articles, de livres a pris son essor, au point qu'on puisse rêver à un moratoire sur ces travaux pour en digérer l'apport. Le bon côté de cette dynamique est d'offrir un nombre croissant d'outils de base. Cet ouvrage veut en être, mais on signalera aussi le recueil de textes problématisé par Goodwin et Jasper [2009], le Dictionnaire produit par Fillieule, Mathieu et Péchu [2009], le manuel Penser les mouvements sociaux de Fillieule, Agrikoliansky et Sommier [2010], la petite collection « Contester » des Presses de Sciences Po, les revues anglophones Mobilization et Social Movement Studies. Les sciences sociales ne sont étanches ni aux préjugés ni aux effets de mode. L'altermondialisme ou l'écologie suscitent plus de travaux et d'engouements que les mouvements xénophobes ou les mobilisations de chasseurs. Mais la force des recherches en cours est de démultiplier les terrains et les questions, de chercher à comprendre les pourquoi et les comment, les conditions objectives des mobilisations comme le sens subjectif des engagements. L'analyse à chaud de ces mouvements n'est pas toujours à la hauteur de leurs enjeux. Le réflexe suspicieux qui identifie la « rue » au désordre, à une pathologie d'une démocratie qui ne saurait être que représentative et bienséante, s'est démonétisé. La séduction d'une vision en termes d'irrationnel, parfois « policière », reste en revanche puissante. Faute d'expliquer des mouvements Les huit chapitres de ce livre composent trois séquences. Les deux premiers cadrent des questions de base : de quoi parle-t-on quand on se confronte à l'objet « mouvements 16 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 sociaux » ? La mobilisation peut-elle prendre les mêmes formes à Paris, à Kiev ou au Caire ? Comment éviter d'en faire un objet trop à part ou surinvesti par des jugements de valeur ? Les chapitres III à V synthétisent la manière dont les sciences sociales ont forgé des outils théoriques pour comprendre les mouvements sociaux. Partant du modèle d'analyse dominant au seuil des années 1980 (la théorie de la « mobilisation des ressources »), les trois derniers chapitres montrent comment la dynamique principale de la recherche a consisté depuis vingt ans, sans disqualifier ce cadre d'analyse, à explorer ce qu'il avait pu refouler pour se constituer. Il faut pour cela questionner l'expérience vécue de l'engagement, la manière dont elle travaille des identités, crée des émotions et s'en nourrit. Il faut aussi penser l'articulation entre mobilisation et jeu politique ou politiques publiques, tenter aussi de réhabiliter le rôle des idéologies, discours et « cadrages », les effets des médias. montage japonaise en pleine activité nous est-il intelligible comme l'expression d'un mécontentement collectif ? À l'inverse, notre savoir-faire pour identifier les modes de protestation dans « notre » société soulève une autre question : les formes d'expression liées au sentiment d'injustice seraient assez codifiées pour que des modes d'emploi – d'où viennent-ils ? – canalisent d'avance la protestation ? C'est encore l'association entre mouvement social et expression d'un mécontentement qui ne va pas de soi. D'où vient-il que certains groupes ne recourent presque jamais à ce que le sens commun associe aux mouvements sociaux ? La télévision n'a guère matière à rendre compte de manifestations de notaires ou de trésoriers payeurs généraux. Serait-ce que ces groupes n'ont rien à revendiquer ? Que certains groupes ne parviennent pas à se mobiliser ? Et pourquoi ? Que d'autres voies que la mobilisation publique peuvent porter leurs revendications ? Lesquelles ? Enfin, au sein des phénomènes que le langage courant associe aux mouvements sociaux, ne convient-il pas d'opérer quelques distinctions ? Il n'est pas absurde d'étiqueter comme mouvements sociaux l'Intifada, une grève de la faim de sans-papiers, une démission collective de pompiers volontaires mécontents. En rester là serait un réflexe de brocanteur du social, non d'analyste. QU’EST-CE QU’UN MOUVEMENT SOCIAL ? Introduire une explication savante sur la notion de mouvement social, n'est-ce pas compliquer à plaisir ce que chacun comprend par expérience ? Des personnes ayant en commun un intérêt ou une profession ont une revendication à faire valoir. Elles se mobilisent, utilisent des armes familières comme la grève, la manifestation. Dimensions de l'action collective Le sens commun associe à l'idée de mouvement social un ensemble de formes de protestation, relie au mot des événements, des pratiques. Mais ce constat ouvre précisément des questions. Notre capacité à meubler la notion d'exemples se double d'une fréquente impuissance à comprendre, même à voir les mouvements sociaux d'autres sociétés ou d'autres époques. Si l'historien ne nous fournissait pas une forme de « sous-titrage » de l'événement, comprendrions-nous le message de conflit social qu'adressent à leur patron, en 1730, les ouvriers d'une imprimerie de la rue Saint-Séverin via la pendaison de la « grise », la chatte favorite de son épouse [Darnton, 1985] ? Saurions-nous discerner, derrière les processions des « royaumes » du mouton, du coq et de l'aigle où se regroupent les composantes de la cité de Romans lors du carnaval de 1580, les signes d'une guerre sociale qui se terminera dans le sang [Le Roy Ladurie, 1979] ? Le port d'un brassard noir par les ouvriers sur une chaîne de Pour être banalement employée dans le langage courant, l'expression « action collective » n'en est pas moins problématique... et la difficulté vient au premier chef de l'adjectif « collective ». L'agir ensemble comme projet volontaire En partant d'une définition très molle de l'action collective, qui l'identifierait aux situations dans lesquelles se manifestent des convergences entre une pluralité d'agents sociaux, une variable d'intention de coopération peut aider à procéder à un premier tri. Les phénomènes auxquels Raymond Boudon a associé la notion d'effets pervers ou émergents méritent ainsi d'être isolés. Cette notion recouvre les processus qui résultent d'une agrégation de comportements individuels, sans intention de coordination. L'opération « escargot » de chauffeurs routiers qui 17 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Organisations contre mobilisations : confusion interdite ? bloquent un périphérique produira un résultat comparable au bouchon suscité par les vacanciers qui se précipitent en voiture vers les plages. La différence est cependant claire entre une action concertée, liée à des revendications, et un résultat imprévu, parfois imprévisible, découlant de l'addition de milliers de départs en vacances individuels. Dans une acception large, la notion d'action collective peut aussi s'appliquer à la plupart des activités liées à l'univers de la production, de l'administration. Le fonctionnement d'une entreprise, d'un SAMU requiert un haut degré de division des tâches, une organisation rigoureuse de l'agirensemble. Les différences avec l'univers des mouvements sociaux pourront sembler évidentes. La production de biens et de services ne se distingue-t-elle pas nettement de la mobilisation des énergies pour une revendication ? Le degré d'institutionnalisation n'est-il pas incomparable ? La nécessité de gagner sa vie, l'organisation hiérarchique de l'entreprise, l'importance du travail comme élément structurant des existences garantissent a priori que chaque salarié répondra à l'appel de la pointeuse. Les organisateurs d'un meeting ne disposent pas de semblables ressources pour s'assurer que la salle sera pleine, sauf – cela s'est vu – à louer des figurants. La comparaison semblera enfin oublier une dimension de la croyance. Il n'est point besoin d'une foi quelconque dans des valeurs sacrées de l'industrie automobile pour travailler dans un garage. Un minimum de croyance en la « cause » s'impose à l'inverse pour manifester contre l'apartheid ou des essais nucléaires. Les processus de diffusion culturelle sont justiciables d'une même exclusion. Il existe assurément du « collectif » dans les phénomènes de mode, de diffusion de styles de vie ou d'innovations. Mais ce collectif résulte pour une part d'effets d'agrégation qui sont ceux du marché. À travers des millions de décisions sérialisées, libres – dans les limites de tout le travail de construction des définitions de la mode et du moderne qu'opèrent les instances de critique, la presse, la publicité –, l'action des individus engendre des verdicts collectifs, souvent dotés d'une dynamique contraignante (il faut « en être »). Ceuxci se traduisent en modes vestimentaires, artistiques, en consécrations qui peuvent se porter sur des objets, des thèmes (la défense de la nature...). Mais pour être modelés socialement, ces phénomènes ne sont pas en général le fait d'une intention explicite de coopération ou d'action concertée. Le trop de succès d'une mode peut même incommoder ses adeptes, qui voient dans son extension une perte de distinction. Par ailleurs, il ne suffit pas qu'un comportement se diffuse pour y lire une volonté de peser collectivement sur les formes de la vie sociale. Il paraît donc logique de renvoyer les phénomènes de diffusion culturelle, de modes vers la sociologie de la culture ou celle de l'innovation. Ceux-ci jouent toutefois un rôle dans la construction d'identités, d'univers symboliques sur lesquels peut s'appuyer l'émergence de mouvements sociaux. La fin des années 1960 s'est accompagnée dans la jeunesse étudiante de la diffusion d'un style vestimentaire et capillaire inédit, d'une banalisation de la consommation de drogues, de nouvelles modes musicales (rock, folk), de nouvelles références intellectuelles (des marxismes à McLuhan via la revue Actuel). Ces phénomènes culturels étaient alors étroitement liés à l'émergence de mouvements sociaux tels le gauchisme, le mouvement des femmes, celui des communautés. À ce titre, il n'est jamais inutile de s'interroger sur la façon dont des évolutions culturelles peuvent être des vecteurs possibles d'essor de mouvements sociaux. Bref, l'évidence semble suggérer le caractère parfaitement artificiel d'un rapprochement entre des objets que les classements, pour une fois alliés, du sens commun et de la sociologie associent, pour les uns, à l'analyse des organisations, pour les autres, à l'étude des mobilisations. Mais un retour critique sur ces objets suggère bientôt un ensemble de recouvrements troublants. Quatre exemples l'illustreront. Le premier renvoie vers l'entreprise. L'une des tendances récentes du management a été d'introduire dans le fonctionnement de l'entreprise des techniques de mobilisation et de motivation souvent voisines de celles des univers militants, faisant des cadres ou contremaîtres de véritables militants de l'entreprise, cherchant à produire un rapport à la firme qui fasse vivre le salariat comme une forme d'engagement total au service d'une cause [Boltanski et Chiapello, 1999]. En deuxième lieu, le fonctionnement de certaines administrations, dans le domaine de la santé publique par exemple, permet de 18 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 constater que les démarches mises en œuvre pour promouvoir des politiques publiques ne sont pas sans parenté avec les objectifs et moyens d'action de groupements militants. Est-il absurde de comparer les campagnes de prévention du sida ou de l'alcoolisme que développe le ministère de la Santé avec les actions que peuvent promouvoir le mouvement AIDES ou une association antialcoolique ? Deux derniers exemples peuvent illustrer les proximités entre des formes d'action militante et la logique des organisations économiques et bureaucratiques. D'une part, les logiques d'entreprise pèsent d'un poids croissant dans le fonctionnement de nombreuses mobilisations. Une des façons à la fois de financer et de populariser une cause passe par le développement d'une gamme de « produits » : livres, teeshirts imprimés, autocollants. D'autre part, certaines structures de type associatif et militant ont connu dans la période récente une professionnalisation qui s'est traduit par le développement d'un corps de permanents et d'experts (juristes, communicateurs) qui aboutit à une organisation interne voisine de celle d'une entreprise de services. erreur par sous-estimation du degré d'organisation et de structuration d'univers en apparence très fluides comme les mouvements sociaux ; erreur par surestimation de la rigueur et de l'originalité de la formalisation des rôles et des structures dans les organisations. Dans cette logique, l'auteur invite à penser organisations, marchés et mouvements sociaux comme un dégradé de situations plus ou moins structurées et formalisées par des normes et dispositifs de régulation, eux-mêmes plus ou moins centralisés et visibles. L'action concertée en faveur d'une cause Ce tri dans le feuilleté de la notion d'action collective fournit à la fois des mises en garde et des typologies. Les premières renvoient à la diversité de la notion d'action collective et la relient à un réseau complexe de faits sociaux. Il faut réintégrer l'histoire de chaque mouvement social dans un contexte culturel et intellectuel. Mieux vaut aussi ne pas bâtir une muraille de Chine, qui risquerait davantage de ressembler à la ligne Maginot, entre l'univers des organisations et firmes et celui des mobilisations collectives. Cela conduira notamment à solliciter des outils d'analyse issus de la science économique. Ces rapprochements aident à comprendre le parti pris au premier abord paradoxal de certaines approches sociologiques qui ont, dès la fin des années 1960 [Olson, 1966], sollicité les métaphores de l'entreprise ou des grilles de lecture issues de l'économie pour comprendre mobilisations et conflits sociaux. Plus récemment, Erhard Friedberg [1992] remettait en cause la pertinence des clivages entre analyse des organisations, des marchés et des mouvements sociaux. Il observait que l'analyse des organisations s'est constituée en insistant sur « [...] le caractère formalisé de leurs buts, structures et rôles », par opposition à la plus grande fluidité d'autres espaces d'action collective. « Le raisonnement est sous-tendu par une sorte de partition [...]. D'un côté, le monde de l'organisation formalisée signifiant mise sous contrôle et soumission, capitalisation du savoir, transparence et prévisibilité, structuration et non-concurrence [...]. De l'autre, le monde du "marché", de l'"action collective" ou du "mouvement social", c'est-à-dire de la concurrence, du surgissement, du devenir, de l'interaction non structurée, désordonnée et aléatoire, de la fluidité, de l'égalité et de l'absence de hiérarchie » [1992, p. 532]. Friedberg souligne la « double erreur » qui fonde cette vision : La notion d'action collective examinée ici renvoie à deux critères. Il s'agit d'un agir-ensemble intentionnel, marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique de revendication, de défense d'un intérêt matériel ou d'une « cause ». Cette approche donne une définition resserrée qui isole un type particulier d'action collective sans faire violence à ce que l'on pourrait désigner comme les définitions intuitives de l'action collective, à laquelle s'associent des pratiques comme la grève, la manifestation, la pétition. Pour reprendre une expression d'Herbert Blumer [1946], cette action concertée autour d'une cause s'incarne en « entreprises collectives visant à établir un nouvel ordre de vie ». Ce « nouvel ordre de vie » peut viser à des changements profonds ou, au contraire, être inspiré par le désir de résister à des changements ; il peut impliquer des modifications de portée révolutionnaire ou ne viser que des enjeux très localisés. Les individus investis dans la défense concertée d'une cause peuvent être ceux que l'anglais désigne par 19 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 l'acronyme péjoratif de NIMBY (Not In My Back Yard – « Pas dans ma cour ! » –, refusant une centrale nucléaire ou une autoroute au seul motif qu'elle est près de chez eux) ou les porteurs de revendications plus « désintéressées », plus universelles, tels l'abbé Pierre ou Lech Walesa. gardera cependant, là encore, de construire un clivage absolu. Les expériences mutualistes ou coopératives gagnent à être analysées en lien avec les mouvements sociaux, à l'égard desquels elles ont aussi souvent constitué un complément qu'une alternative. Un mouvement social est-il nécessairement politique ? Il faut définir cette notion pour y répondre. Il est possible, comme cela fut le cas dans les années 1970, de considérer comme « politique » tout ce qui relève des normes de la vie en société. La conséquence – revendiquée – d'une telle définition est que tout est politique, notamment les mouvements sociaux. La lutte pour une hausse de salaire ne soulève-t-elle pas la question de la répartition sociale des richesses ? Cette définition comporte un mérite : celui de rappeler les rapports de pouvoir et de sens qui s'investissent dans les actes les plus banals du quotidien, de souligner la possibilité de les changer par la mobilisation. Mais une conception qui met le politique partout rend impossible de percevoir sa spécificité. L'éclairage retenu ici sera différent. Prend une charge politique un mouvement qui fait appel aux autorités politiques (gouvernement, collectivités locales, administrations...) pour apporter, par une intervention publique, la réponse à une revendication, qui impute aux autorités politiques la responsabilité des problèmes qui sont à l'origine de la mobilisation. La composante politique des mouvements sociaux Les formes d'action collective concertée en faveur d'une cause seront désormais désignées par « mouvements sociaux ». Ce parti pris permet de désigner une classe de phénomènes d'une expression familière. Il vise surtout à enrichir les premiers efforts de définition en introduisant dans ce concept un élément d'articulation à l' activité politique. Comme a pu le souligner Touraine [1978], les mouvements sociaux sont une composante singulière et importante de la participation politique. Une action « contre » Un mouvement social se définit par l'identification d'un adversaire. Si des collectifs se mobilisent « pour » – une hausse de salaire, le vote d'une loi –, cette activité revendicative ne peut se déployer que « contre » un adversaire désigné : employeur, administration, pouvoir politique. Cette donnée implique d'attribuer un statut à part à toutes les formes d'action collective qui, tout en répondant aux critères posés précédemment, visent à répondre à un problème ou à une revendication en mobilisant au sein du groupe, et là seulement, les moyens d'y répondre. Ce registre du self-help s'est illustré en particulier à travers le mouvement mutualiste et coopératif, par lequel le mouvement ouvrier, la paysannerie, certains segments du secteur public ont développé une mobilisation originale visant à mettre sur pied, à partir de cotisations volontaires des affiliés, des systèmes de protection contre la maladie, d'assurances, des réseaux d'approvisionnement pour les besoins professionnels (engrais) ou la consommation familiale à des tarifs plus avantageux que ceux du marché privé. Une telle mobilisation contourne le conflit frontal. Comme dans les expériences soixante-huitardes de « communautés » analysées par Bernard Lacroix [1981], elle cherche au sein du groupe les énergies et les ressources pour produire le « nouvel ordre de vie », refusant l'affrontement. On se Mouvements sans adversaires ? La « marche blanche » belge, les manifestations contre le terrorisme de l'ETA en Espagne mais aussi les actions autour de l'humanitaire ou de l'antiracisme ont suscité l'interrogation sur la montée d'un nouveau style d'action collective, parfois désigné comme « mouvements de solidarité » [Ibarra, 1999] ou « nouveaux mouvements émotionnels » [Rihoux et Walgrave, 2000]. Ces mobilisations ont en commun une puissante composante émotionnelle d'indignation, de compassion. Leur structure organisationnelle est souvent très lâche. Elles peuvent aussi être caractérisées comme « sans adversaires », soit qu'elles visent avant tout à aider des humains souffrants (humanitaire), soit que leurs cibles soient consensuelles (le pédophile Dutroux et ses complices), soit encore que ce qu'elles combattent (le 20 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 racisme) puisse difficilement être revendiqué dans l'espace public [Juhem, 2001]. Ce caractère consensuel aboutit souvent à les faire bénéficier d'une couverture médiatique large et favorable qui a été une des clés du succès de la gigantesque manifestation « blanche » de Bruxelles en 1996. Historien-sociologue américain, Charles Tilly a mis en évidence [1976, 1986] la tendance historique à la politisation des mouvements sociaux et ses racines. D'une façon schématique, on peut suggérer que, dans le cas français, les processus de mobilisation demeurent essentiellement locaux jusqu'au début du XIXe siècle. Dans une société rurale, régions et « pays » demeurent faiblement connectés à un centre économique et politique national [Weber, 1983]. Les mouvements sociaux se concentrent alors en affrontements restreints à l'espace de communautés locales, souvent dans une logique de face-à-face direct. La cible des protestations appartient le plus souvent à un univers d'interconnaissance qui fait que l'adversaire est un individu connu avant d'être le représentant d'une institution abstraite (firme, administration). L'essor de ces mouvements est révélateur de mutations dans les formes de l'engagement : souci d'une action concrète aux résultats visibles (Restaurants du cœur), malaise diffus visant le système politique (marche blanche), valorisation par-delà les frontières de l'idée de commune humanité. On peut hésiter à y voir l'avant-garde d'une forme stable et centrale de mouvements pour les raisons mêmes qui font leur succès. La composante émotionnelle engendre des mobilisations souvent éphémères. La distance revendiquée à toute prise de position critique sur des enjeux politiques internes fonctionne aussi comme un piège. S'ils prennent parti, ces mouvements perdent une part de leurs soutiens, et d'abord celui des médias (cas de SOS Racisme lors de la guerre du Golfe). En demeurant dans une neutralité ostentatoire, ils s'interdisent la désignation de responsables et la formulation d'un programme de réponses qui seuls peuvent permettre à une mobilisation d'aller au-delà de la capitalisation des indignations. Deux processus vont bouleverser les conditions dans lesquelles se développe l'activité protestataire. Il s'agit, en premier lieu, du mouvement de « nationalisation » graduelle de la vie politique à travers l'unification administrative du territoire, l'essor du suffrage universel, le renforcement du rôle de l'État. Le pouvoir politique apparaît de plus en plus nettement comme le foyer de la puissance, ce d'autant que l'extension du suffrage s'accompagne du développement par le personnel politique – républicain en particulier – de catalogues de promesses plus précises, plus étendues quant à leur objet [Garrigou, 1992]. Par ailleurs, la dynamique de la révolution industrielle contribue à disloquer et à désenclaver les communautés locales, à soumettre les activités économiques aux mécanismes abstraits du marché. Elle fait reculer simultanément le poids des situations d'interconnaissance, des rapports de face-àface, éloignant physiquement et symboliquement les figures de pouvoir de l'expérience quotidienne. Ces tendances lourdes se sont accompagnées d'un processus d'élargissement des interventions étatiques. Pour une part, ce développement est le fait d'initiatives propres aux gouvernants et aux forces sociales dominantes pour répondre à ce qu'ils perçoivent comme des besoins : formation des cadres et de la main-d'œuvre par le système scolaire, lutte contre les « fléaux sociaux » par des politiques d'hygiène et de santé publique. Pour une autre part, ce développement est le fruit de mobilisations qui visent à obtenir, par le canal de la loi, des droits et Les pratiques du site de vente en ligne Amazon, entravant en 2014 les ventes de l'éditeur Hachette pour obtenir des rabais, ont suscité des réactions d'éditeurs et une mobilisation des auteurs. Pareille action au nom de la liberté des créateurs et lecteurs, même relayée dans les médias, ne peut en soi être qualifiée de politique. Elle relève d'un conflit entre acteurs privés. Une politisation des conflits autour des pratiques d'Amazon ne s'opère que lorsque – en France – une mobilisation des libraires amène les pouvoirs publics à prendre parti, à réglementer ce qui apparaît comme des atteintes aux législations sur le prix unique ou la concurrence. Au-delà de cet exemple, on posera comme principes d'une part que le caractère « politique » d'une mobilisation est affaire d'observation empirique, d'autre part qu'existe une tendance à la politisation par l'appel de plus en plus fréquent à l'intervention publique. Les tendances à la politisation des mouvements sociaux 21 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 protections que les rapports de forces qui président au contrat de travail n'ont pu faire aboutir. C'est le processus d'invention du droit social. dirigeants de Landerneau est de gérer localement, sur un registre corporatif qui laisse l'État hors du jeu, l'ensemble des problèmes et tensions que retraduisent dans d'autres régions les partis politiques, de préserver par là le poids et le rôle des élites rurales traditionnelles. Le modèle de Landerneau – qui dominera le département jusqu'aux années 1960 – offre un cas d'usage dépolitisant des structures coopératives. Elles œuvrent à monopoliser la gestion des problèmes sociaux qui font l'objet de politiques publiques (politique agricole), à figer une société rurale gérant ses tensions sans connexions au système politique national et aux partis disqualifiés comme facteurs de division du monde paysan. « Le système corporatif met sous le boisseau les tensions et les conflits d'idées et d'intérêt », souligne Suzanne Berger dans son étude significativement intitulée Les Paysans contre la politique. Le résultat convergent de ces tendances est de produire l'ubiquité de l'État. Intervenant plus et sur plus de choses, plus visible, le pouvoir politique est de plus en plus perçu comme le destinataire privilégié des protestations. Dès le milieu du XXe siècle, les mouvements sociaux privilégient, spécialement en France, le recours à l'État jusque dans les grands conflits du travail (accords Matignon de 1936 ; négociations de Grenelle en 1968). Inséparable de la construction de l'État social, cette logique de politisation va être confortée par d'autres données. Cet usage dépolitisant et conservateur du mouvement coopératif n'est cependant ni une fatalité pour ce type d'institutions, ni le mode obligatoire d'organisation du monde rural. Le développement du mouvement ouvrier dans les pays d'Europe du Nord s'est appuyé sur des réseaux de mutuelles et de coopératives de consommation. À l'époque même de l'apogée de « Landerneau », les paysans du département voisin des Côtes-d'Armor sont plus investis dans des mobilisations liées aux partis et aux enjeux politiques nationaux. L'hégémonie de « Landerneau » dans le Finistère même sera d'ailleurs remise en cause dans les années 1960 par un mouvement social animé par de jeunes paysans socialisés par la Jeunesse agricole chrétienne, beaucoup plus mobilisés, directement tournés vers une exigence de réformes par l'État. Modèle coopératif et politisation Le Finistère voit se développer à la fin du XIXe siècle un système coopératif sophistiqué, fédéré à partir de 1911 par l'Office central de Landerneau. Le réseau coopératif ainsi construit ne requiert pas de ses adhérents une participation intense. Il leur offre un ensemble de prestations qui visent à répondre à un maximum des problèmes que peuvent rencontrer les paysans. Initialement concentrée sur un système d'assurances contre la perte du bétail, de points de vente où les agriculteurs peuvent acheter à moindre coût les engrais et produits nécessaires à leur activité, l'offre de service ira se diversifiant : commercialisation des produits des exploitations, formation professionnelle, tentatives pour imposer un modèle type de bail rural prévenant les conflits entre fermiers et propriétaires. « Landerneau » contrôle dans les faits les structures syndicales agricoles du département, canalisées dans sa logique corporatiste. Sources : Berger [1975], Hascoët [1992].• L'histoire même des mouvements sociaux passe par la coûteuse expérience des limites de victoires sectorielles, et du raccourci corrélatif que représente le recours à l'État. Les États-Unis, pourtant réputés dans les mythologies contemporaines être le monde des initiatives de la société civile, en donnent un exemple éclairant [Oberschall, 1973 ; McAdam, 1982]. Dans la lutte contre la ségrégation raciale dans les États du Sud, les organisations noires des années 1950 vont au départ construire des mobilisations locales, dont les enjeux Promu par des catholiques sociaux, encadré par des aristocrates ruraux, ce registre paysan du self-help est aussi pensé par ceux-ci comme un outil destiné à préserver les équilibres de la société rurale traditionnelle, à contenir la pénétration de l'État républicain dans les campagnes. « Pendant cinquante ans, l'Office central a remplacé les services agricoles de l'État dans la région. C'était comme s'ils n'avaient pas existé », note en 1960 un responsable de la coopérative. Le projet explicite des 22 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 consistent à faire reculer la ségrégation de façon concrète sur les sites de conflit. La popularité de Martin Luther King doit ainsi beaucoup au long mouvement de boycott des bus scolaires réservés aux enfants noirs qu'il anime en 1955-1956 à Montgomery (Alabama). La dynamique du mouvement repose d'abord sur la diffusion de ces mobilisations locales. Le 1er février 1960, un groupe de jeunes Noirs d'un college local réalise le premier sit-in. Ils s'assoient dans la partie réservée aux Blancs d'une cafétéria de Greensboro (Caroline du Nord) et refusent de partir aussi longtemps qu'ils n'auront pas été servis. Deux mois plus tard, le nombre de sit-in dépasse les soixantedix, dans quinze États. Malgré cela, les mobilisations locales se révèlent épuisantes et très coûteuses en énergie. Même lorsqu'elles aboutissent à la victoire, et obligent un shérif ou un gérant de cafétéria à mettre un terme à des pratiques racistes, ces luttes n'ont d'effet que ponctuel. Les succès acquis dans un comté ne font que rendre visibles ceux à arracher dans cent autres. La stratégie du mouvement pour les droits civiques va donc se déplacer vers le pouvoir fédéral à Washington. Il s'agit désormais d'orienter les mobilisations vers une intervention fédérale sous la forme de lois, de décisions de la Cour suprême qui interdisent les pratiques racistes explicites ou larvées. Cet appel au pouvoir central évite la dispersion du combat contre une quinzaine de législatures d'États fédérés, des centaines de shérifs. On voit par là en quoi de simples considérations tactiques d'efficacité, nées de l'expérience de la lutte, contribuent aussi à une tendance lourde à l'appel à l'État, à la politisation des mobilisations. Les politiques publiques sont une dimension centrale de l'activité gouvernementale. Elles sont aussi la résultante du processus historique de division sociale du travail qui engendre une société de plus en plus sectorisée, fragmentée en micro-univers : recherche, santé publique, transports, etc. Chacun de ces sous-univers tend à se réguler, à travers des processus de décision issus des négociations entre les administrations, groupes de pression, institutions qui lui sont propres. Ainsi, si la définition des politiques agricoles s'est généralement achevée par un débat parlementaire et le vote de lois d'orientation qui reprenaient pour l'essentiel des choix issus des négociations entre hauts fonctionnaires du ministère de l'Agriculture, syndicats paysans, chambres d'agriculture, etc. Or, la juxtaposition de politiques sectorielles nées d'univers sociaux compartimentés n'aboutit pas magiquement à une politique globale cohérente. Les dysfonctionnements d'un secteur social sont, en bien des cas, les effets indirects de politiques publiques sur d'autres secteurs. Une part du « problème des banlieues » actuel découle de politiques du logement à courte vue qui, dans les années 1960, ont stimulé l'accès à la propriété, avec des arrière-pensées électorales, aboutissant à des situations accrues de ségrégation sociale dans l'habitat, d'aggravation des conditions de vie faute de politiques parallèles de maîtrise des implantations d'emplois, des transports. Bref, le développement des politiques publiques engendre... un besoin de politiques publiques plus rationnelles pour réagir aux effets des choix dans d'autres secteurs. Le lien entre les politiques publiques et l'hypothèse de politisation tendancielle des mouvements sociaux est au moins double. En stabilisant des espaces et des procédures de négociation, où les pouvoirs publics jouent un rôle clé, autour des enjeux propres à chaque microunivers social, chaque politique publique suscite le désir des groupes mobilisés d'être reconnus par telle ou telle bureaucratie étatique comme interlocuteur légitime pour peser sur les décisions. Mais, surtout, les politiques publiques sont de formidables instruments d' opacité. Elles fonctionnent pour les profanes dans ce qui est la pénombre de marchandages entre des groupes aux sigles mystérieux. Les phénomènes d'internationalisation (OMC, Union européenne) multiplient les partenaires, éloignent spatialement le site et les acteurs de la décision, suscitent Politiques publiques, opacité, politisation D'autres données sont venues depuis l'après-guerre conforter ces évolutions. Elle découlent de la place prise par les politiques publiques, et des incidences des processus de construction européenne et de « globalisation » de l'économie. La notion de politiques publiques [Muller, 1990] désigne l'action des autorités étatiques, lorsque celles-ci traitent de divers dossiers, par opposition à la politique comme lutte pour l'exercice du pouvoir. Plus explicite, l'anglais oppose les policies – politique agricole, politique énergétique, etc. – aux politics des programmes électoraux et des stratégies partisanes. 23 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 un sentiment d'illisibilité, d'opacité des choix. Des questions en apparence aussi simples que « Qui a décidé ? » « Où ? » « Quand ? » « Pourquoi ? » prennent la forme d'énigmes. Faute d'un adversaire identifiable, d'une lisibilité des phénomènes qui les affectent, les groupes et organisations se tournent vers les autorités politiques, perçus comme le seul « guichet » accessible, comme le siège d'un savoir et d'un pouvoir d'action – au demeurant revendiqués en période électorale – sur un monde complexe, des autorités lointaines et supranationales. Le mouvement des marins-pêcheurs au printemps 1993, lié à une chute des cours du poisson, aggravée par des importations de pays non membres de l'Union européenne, pouvait malaisément trouver un adversaire proche et identifiable. Affectés eux-mêmes par cette crise, les mareyeurs de villes portuaires ne pouvaient s'en voir imputer la responsabilité. Les réglementations élaborées à Bruxelles par une administration lointaine, sans visage et au fonctionnement mystérieux se prêtaient mal à l'identification d'un adversaire auquel la confrontation soit possible. Il n'est alors pas étonnant que les interviews de pêcheurs publiées par la presse fassent une large place à un sentiment de complot contre la pêche française, à l'évocation de mystérieuses influences internationales. On comprend aussi le réflexe de la profession : se tourner vers le seul « guichet » à la fois proche, identifiable et présumé efficace, le ministre français de tutelle. à travers la transformation d'une organisation de type syndical en mouvement politique, un relais au sein du Parlement qui leur donne un pouvoir direct d'élaboration des lois les concernant. Quand les associations des familles de victimes du sida à la suite de transfusions sanguines utilisent l'arène judiciaire, elles y investissent des ressources – de l'argent, la capacité d'ester en justice que donne la loi de 1901 sur les associations. Elles en retirent des ressources comparables à celles qu'elles avaient investies – de l'argent sous forme d'indemnisations – et, de façon plus essentielle pour elles, un gain symbolique à travers la reconnaissance par les tribunaux d'une faute, les sanctions qui frappent des autorités jugées coupables. L'arène des conflits sociaux Les mouvements sociaux peuvent utiliser les arènes sociales institutionnalisées : médias, tribunaux, élections, Parlement, conseil municipal. Mais en rester à cette observation ferait passer à côté d'un trait essentiel des mouvements sociaux. À travers la palette des actions protestataires, ils sont aussi les producteurs d'une arène spécifique : l'arène des conflits sociaux à travers les grèves, manifestations, boycotts, campagnes d'opinion. L'un des traits singuliers de cette arène est de fonctionner comme un espace d'appel, au double sens du terme. L'appel vaut littéralement comme cri, comme demande de réponse à un problème. Il vaut aussi au sens judiciaire de recours à une juridiction plus élevée pour obtenir la modification d'un premier verdict tenu pour injuste. En faisant appel – au sens de demande – à la mobilisation, à l'opinion publique, le mouvement social fait aussi appel – au sens judiciaire – de ce qu'il perçoit comme un refus de l'entendre ou de lui donner satisfaction au sein des arènes institutionnelles classiques. L'acquittement en 1992 des policiers de Los Angeles qui s'étaient rendus coupables du tabassage de l'automobiliste noir Rodney King va provoquer en quelques heures d'énormes émeutes dans les quartiers noirs. Cette mobilisation aura pour effet en retour de contraindre les pouvoirs publics à une réouverture de l'arène judiciaire ; à un nouveau procès au terme duquel les comportements racistes du Los Angeles Police Department seront en partie sanctionnés. Elle aboutit aussi, à travers la mise sur pied d'une énième commission d'enquête sur les troubles raciaux, à Une arène non institutionnelle ? En s'inspirant librement de Stephen Hilgartner et Charles Bosk [1988], on définira une arène comme un système organisé d'institutions, de procédures et d'acteurs dans lequel des forces sociales peuvent se faire entendre, utiliser leurs ressources pour obtenir des réponses – décisions, budgets, lois – aux problèmes qu'elles soulèvent. Deux éléments sont à souligner. Une arène est un espace de mise en visibilité et de traitement d'un dossier considéré comme problème social. Les arènes reposent sur des processus de conversion de ressources. Investir dans une arène, c'est y viser, à l'issue du processus des gains, l'acquisition de ressources ou de pouvoirs dont on ne disposait pas au début. Lorsque les travailleurs indépendants du mouvement Poujade investissent en 1956 l'arène électorale, ils visent à obtenir, 24 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 réintroduire dans l'ordre du jour des médias et des autorités municipales et fédérales les questions liées aux tensions entre groupes ethniques, aux politiques de la ville [Baldassare, 1994]. C'est aussi l'interconnexion des arènes qui ressort ici, la fonction de l'arène des mouvements sociaux comme espace d'accès aux arènes institutionnelles. dans un espace national. Des agriculteurs âgés peuvent être en position dominée et dépassée dans leur univers professionnel et se trouver au centre de réseaux de sociabilité et de pouvoir lors des élections au village. La notion de domination est relationnelle, ne préjuge pas des formes plurielles de ce rapport de forces. Une autre simplification, soulignée par Michel Offerlé [1994], consisterait à construire une dichotomie rigide entre l'univers – suspect – des mouvements sociaux et celui – plus présentable – des groupes de pression. Ce serait laisser échapper les éléments de continuité et de recouvrement entre ces deux catégories qu'il faut penser sur le mode d'un dégradé de situations. Un mouvement social qui dure et réussit tend à se cristalliser en groupe de pression. Il dispose alors – l'institutionnalisation du syndicalisme en est une illustration – d'accès routinisés aux sites de discussion et de décision sur les politiques publiques. Parmi les effets de cette inclusion dans le cercle des partenaires légitimes figurent une moindre contrainte à mobiliser en permanence pour construire des rapports de force, l'insertion aussi dans un autre régime de discussion – feutré, entre des portes closes – qui requiert un travail moins intense de prise à témoin et de mobilisation de l'opinion publique. On peut paradoxalement tirer de cette observation que l'action revendicative de la « rue », décriée au nom de la démocratie représentative, est au moins contrainte d'argumenter publiquement dans l'espace public, impératif qui pèse moins sur des lobbies assurés d'être consultés et écoutés. La limite de cette observation tient à ce que, lorsque les négociations dans la discrétion des bureaux ministériels cessent de leur permettre d'être entendus, ces groupes de pression basculent vers d'autres pratiques. La presse est riche en placards publicitaires des industries pharmaceutiques et professions protégées lorsque leurs revenus ou statuts sont mis en cause. Ce schéma d'analyse contient des présupposés qui gagnent à être explicités. Décrire les mouvements sociaux comme producteurs d'une arène singulière où s'expriment des revendications qui ne trouvent pas accès ou solution dans les arènes plus institutionnalisées, comme les parlements, les ministères, la presse, revient à identifier les mouvements sociaux aux seules mobilisations des groupes « dominés », « exclus », « marginaux », pour emprunter au lexique de la mise à l'écart. Pareille description risque de tomber dans le piège que signalait Friedberg : opposer un univers de l'institutionnalisé, de l'organisé, régi par des règles et des procédures fermes, à l'effervescence créatrice et confuse des mouvements sociaux. Un registre d'action dominé ? Faut-il considérer que les mouvements sociaux sont, par essence, les armes des faibles en quelque sorte réduits à manifester et à faire grève faute de pouvoir être entendus par des voies plus institutionnelles ? Une telle vision peut aboutir à des simplismes. Une conception essentialiste de la « domination » pourrait y conduire. Existeraient alors des groupes assignés en permanence au triste statut de dominés, à l'obéissance dans tout rapport de pouvoir. La diversité des formes de domination est un fait que l'expérience comme l'héritage de la sociologie, depuis Marx et Weber, se conjuguent pour illustrer et expliquer. Que des groupes (ouvriers, populations colonisées, etc.) subissent, en des moments historiques donnés, un cumul de situations de domination économique, culturelle, politique constitue un fait objectivable. Mais si les formes de la domination sont plurielles, elles n'existent aussi que relationnellement. Parler sociologiquement de domination suppose d'en réintroduire les protagonistes dans des réseaux structurés d'interdépendances. Les négociants d'une cité portuaire peuvent être « dominants » dans l'espace local, quantité négligeable et par là « dominés » On peut donc formuler une réponse à la fois claire et nuancée. Oui, les mouvements sociaux constituent tendanciellement une arme des groupes qui, dans un espace-temps donné, sont du mauvais côté des rapports de force. Une affinité structurelle existe entre les dominés et ces prises de parole plus conflictuelles, moins intégrées aux processus décisionnels. Mais cette arme est aussi chère aux « dominés des dominants », aux ressortissants 25 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 des mondes culturels et intellectuels, auxquels leurs ressources permettent d'inventer des modes de protestation originaux ou médiatiques. On précisera encore que, lorsqu'ils estiment que les voies habituelles de la concertation leur sont défavorables et leurs intérêts stratégiques menacés, des groupes socialement riches en ressources peuvent se risquer à des mobilisations protestataires. L'improbabilité des meetings de traders ou des sit-in de P-DG dit qu'ils ont d'autres outils pour se faire entendre. Mais qui aurait anticipé ces rassemblements des notaires de l'automne 2014, dont les marinières « notariat made in France » faisaient clin d'œil au ministre Montebourg, scandant « Nous ne sommes pas des rentiers ! » sur bande-son de Daft Punk, en réponse à un projet de réorganisation de la profession ? variations elles-mêmes ne sont jamais erratiques. Elles dépendent d'abord des particularités du groupe mobilisé. Une profession aux effectifs restreints, comme les avoués lors de la réforme des professions de justice, préférera une campagne de presse ou un travail de lobbying à la manifestation qui sollicite le poids du nombre. Le monde étudiant, avec ses amphithéâtres qui paraissent prédestinés à un tel usage, se prêtera davantage au rituel des assemblées générales quotidiennes que le milieu paysan, avec son habitat souvent dispersé, sa moindre propension aux joutes verbales sans fin. Plus profondément, l'apport de Tilly est, à nouveau, de réintégrer le temps long dans l'analyse des mouvements sociaux. La construction des États et le développement du capitalisme engendrent la politisation des mouvements sociaux. Ils affectent aussi leurs répertoires d'action collective. L'analyse de Tilly consiste à cerner dans un premier temps les répertoires typiques d'avant la révolution industrielle, quand les communautés villageoises ou urbaines sont encore peu marquées par une nationalisation systématique des enjeux sociaux. Trois traits se dégagent alors. Les actions protestataires se déploient dans l'espace local, vécu, celui de la communauté. Elles fonctionnent souvent par détournement ou parasitage de rituels sociaux préexistants. Dans son étude sur le Var sous la Restauration, Maurice Agulhon [1970] montre comment ce registre permet aux paysans d'exprimer symboliquement des revendications ou des attentes politiques, par des violences exercées contre un mannequin de paille dont le costume évoque celui des autorités, ou lors de parodies de procession où l'effigie du saint local est remplacée par le buste d'un personnage politique. La dimension du patronage constitue une troisième donnée de ces répertoires précapitalistes. Les groupes mobilisés cherchent le plus souvent le soutien d'un notable local, soit comme intercesseur auprès d'autorités plus lointaines, soit comme protecteur contre d'autres membres de la communauté. Edward Thompson [1993] a montré combien les débordements qui accompagnaient les fêtes villageoises anglaises, sous forme d'attaques contre les maisons des nonconformistes religieux, reposaient sur la collusion bienveillante entre paysans et représentants de la gentry, pourtant investis des missions de police. Instituer l'action collective : répertoires et organisations Tilly a élaboré [1986] la notion de « répertoire d'action collective » pour suggérer l'existence de formes d'institutionnalisation propres aux mouvements sociaux. « Les individus concrets ne se retrouvent pas pour l'Action collective. Ils se rassemblent pour adresser une pétition au Parlement, organiser une campagne d'appels téléphoniques, manifester devant la mairie, détruire des métiers à tisser mécaniques, se mettre en grève » [Tilly, 1976, p. 143]. Les groupes mobilisés puisent dans des répertoires disponibles qui leur offrent des genres, des mélodies. Tilly précise sa métaphore en évoquant le jazz, où l'existence d'un répertoire de standards n'est jamais exclusive d'improvisations sur les thèmes disponibles. L'empreinte de l'Histoire Le sens de la métaphore est clair. Tout mouvement social est confronté à une palette préexistante de formes protestataires plus ou moins codifiées, inégalement accessibles selon l'identité des groupes mobilisés. La manifestation, la réunion publique sont des formes routinisées d'expression d'une cause, d'une revendication. Elles sont aussi susceptibles d'infinies variations. Certains organisateurs de manifestations sont ainsi devenus de véritables experts en organisation de happenings colorés où le défilé peut être accompagné d'orchestres, de distribution de produits du terroir chez les paysans. Ces 26 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Vers le milieu du XIXe siècle, ce répertoire va subir un ensemble de modifications lentes mais radicales. Il se dégage d'abord des frontières de l'espace local pour élargir ses horizons d'action : grèves et mobilisations nationales, revendications portées vers le pouvoir central. La protestation acquiert également une autonomie croissante, elle s'émancipe du patronage des notables ou du clergé, se trouve prise en charge par des organisations ad hoc (syndicats, associations). Elle prend simultanément, et l'influence des compétitions électorales n'y est pas étrangère, des formes plus intellectualisées, plus abstraites : programmes et slogans l'emportent sur l'usage de symboles. Les registres expressifs du mécontentement cessent graduellement d'être dérivés de rituels sociaux préexistants pour (ré)inventer des formes d'action pleinement originales comme la grève, la manifestation. La mutation à long terme des répertoires peut aussi se penser comme marquée par un processus de pacification, de recul et de maîtrise de l'usage de la violence par policiers et protestataires. Les répertoires d'action collective Source : à partir de Tilly [1986].• La problématique de Tilly doit s'interpréter avec souplesse. Le changement des répertoires est rarement un événement brutal et datable. Les répertoires peuvent se survivre, se superposer. L'Inde contemporaine permet ainsi d'observer dans le même espace-temps des formes d'action collective propres au syndicalisme moderne, et l'activation régulière de mobilisations par lesquelles hindous et musulmans se provoquent et s'affrontent en utilisant à cette fin les rituels religieux de procession [Jaffrelot, in Martin, 2002]. Les classements de Tilly ne sont pas figés pour l'éternité. On verra (chapitre VII) qu'émerge peut-être un répertoire de troisième génération, internationalisé, reposant sur l'expertise mêlant en réseaux mouvements sociaux, ONG internationales et experts. Mais cette possible mutation viendrait confirmer que les mouvements sociaux connaissent des dimensions d'institutionnalisation, des régularités. La question de l'organisation en est une autre facette. La question de l'organisation Des mouvements sociaux peuvent émerger sans que des organisations préexistantes en soient les initiatrices. Même les plus soupçonneux d'une influence des « islamistes » n'ont pu trouver un lien d'impulsion et de coordination aux émeutes de la banlieue nord de Paris à l'automne 2005 [Mauger, 2006]. Mais tel n'est pas le cas 27 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 le plus habituel. Tout mouvement social qui tente de s'inscrire dans la durée pour atteindre des objectifs est confronté à la question de l'organisation. L'existence d'une organisation qui coordonne les actions, rassemble des ressources, mène un travail de propagande pour la cause défendue ressort comme une nécessité pour la survie du mouvement, ses succès. William Gamson [1975] en donne une preuve convaincante à partir d'une étude sur cinquante-trois mobilisations aux États-Unis entre 1800 et 1945. Il définit une norme de « bureaucratisation » des mouvements à partir de critères tels que l'existence de statuts écrits, la tenue d'un fichier des adhérents, une organisation structurée en plusieurs échelons hiérarchiques. Les mouvements sociaux dotés d'une telle organisation parviennent, dans 71 % des cas, à être reconnus par leurs interlocuteurs contre 28 % pour les mouvements moins organisés. Dans 62 % des cas, ils font aboutir une partie au moins de leurs revendications, contre 38 % pour les mobilisations moins organisées. Les chiffres montrent encore qu'une organisation centralisée, mais surtout unie, se révèle plus efficace. de domestication des mouvements sociaux rappellent qu'entre un mouvement social et un groupe de pression la différence n'est pas toujours de nature, mais peut aussi se penser en termes de trajectoire, de moments d'une institutionnalisation toujours possible, jamais inéluctable. Piven et Cloward : une sociologie spontanéiste des mouvements de « pauvres » ? Dans Poor People's Movements , Frances Fox Piven et Richard Cloward [1977] analysent divers mouvements sociaux au sein des couches les plus déshéritées de la société américaine : chômeurs et ouvriers des années 1930, mobilisations noires pour les droits civiques, luttes pour les droits sociaux. Ils y relèvent le souci constant des cadres militants de structurer la protestation par une forte organisation et dressent un bilan très critique de cette orientation. « Quand les travailleurs se lancent dans les grèves, les organisateurs vendent des cartes d'adhérent, quand les locataires refusent de payer les loyers et résistent aux policiers, les organisateurs forment des comités d'immeuble, quand des gens brûlent et pillent, les organisateurs profitent de ces "moments de folie" pour rédiger des statuts [...]. Les organisateurs n'ont pas seulement échoué à tirer profit des occasions données par la montée de l'agitation, ils ont typiquement agi en freinant ou limitant la force dévastatrice que les plus défavorisés étaient parfois capables de mobiliser [...]. Le travail de construction des organisations tendait à faire abandonner la rue aux gens pour les enfermer dans des salles de réunion [...]. Pour l'essentiel, les organisateurs tendent à agir contre les explosions sociales parce que, dans leur quête de ressources pour maintenir leurs organisations, ils sont irrésistiblement conduits vers les élites, et vers les soutiens matériels et symboliques qu'elles peuvent fournir. Mais les élites ne lâchent ces ressources que parce qu'elles comprennent que c'est la construction des organisations, pas l'agitation, qui importe aux organisateurs » (p. XXI-XXII). En pratique, l'immense majorité des mouvements sociaux est structurée par des formes plus ou moins rigides d'organisation : relais partisans, syndicats, associations, coordinations, rôle central dévolu à des animateurs. Mais ce constat laisse ouvert un débat relatif aux formes de l'organisation. Robert Michels [1914] a théorisé, à partir du cas des partis sociaux-démocrates de la IIe Internationale, une « loi d'airain de l'oligarchie » qui aboutirait inévitablement à la confiscation du pouvoir par les permanents et notables, à l'assignation des adhérents à un rôle passif, à l'affadissement de la combativité des grandes organisations soucieuses de ne pas mettre leurs structures en péril. Ces thématiques parcourent les débats dans les mouvements sociaux. Elles ne débouchent pas tant sur la négation de l'impératif organisationnel que sur la quête de formes d'organisation capables de conjurer ces périls : refus de la subordination aux partis dans l'anarcho-syndicalisme, rotation des cadres et élus dans les organisations écologistes, émergence des coordinations (Kergoat, Imbert et Le Doaré [1992] sur le mouvement des infirmières de 1988). Les mouvements sociaux ne sont donc nullement au pôle d'une pure expressivité, d'un refus de toute organisation. Le débat sur l'organisation, les stratégies possibles de légalisation ou Piven et Cloward ne prétendent pas produire une théorie générale de la « bonne » organisation, mais une réflexion sur les mobilisations des « pauvres ». Elle repose sur trois arguments. Le premier est le plus contestable empiriquement. Il consiste à souligner que les mobilisations des défavorisés éclatent spontanément. Les 28 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 deux autres ont trait aux réactions des élites menacées. Celles-ci cherchent alors des interlocuteurs organisés auxquels faire des concessions. Elles oublient promesses et interlocuteurs dès que la menace décline. Hanspeter Kriesi [1993] propose une approche dynamique de la notion de mouvement social qui peut être un bon outil d'analyse. Il s'agit de construire un espace des organisations et investissements militants liés aux mobilisations à partir de deux variables. La première a trait au degré de participation des adhérents. Il peut aller du militantisme le plus activiste à une adhésion formelle réduite au paiement d'une cotisation. Une seconde variable concerne l'orientation des organisations : visent-elles un objectif d'influence sur des autorités publiques ou privées pour obtenir des réformes ou des gains ? Visent-elles, à l'inverse, à offrir aux adhérents des prestations et services (coopérative de consommation, club de loisirs) ? Ces deux sociologues ont été eux-mêmes des organisateurs de premier plan du mouvement des welfare rights dans les années 1960. Leur thèse, inséparablement militante et sociologique, n'est donc pas un refus du principe de l'organisation. Elle suggère davantage une organisation à deux niveaux. Au plan local, des structures souples et décentralisées, usant de méthodes d'action offensives, voire illégales, pour maintenir une mobilisation en développant une action continue, marquée par des résultats tangibles, auprès des interlocuteurs directs (services publics). La force accordée à un illégalisme de masse est ici essentielle. À un second niveau, une « organisation d'organisateurs » (p. 284) faite de travailleurs sociaux, de religieux, d'étudiants aurait une tâche de coordination, d'élaboration d'une stratégie nationale. Cette semi-professionnalisation de la structure de coordination vise à prévenir la perte d'énergie militante de la base dans des luttes de pouvoir internes, dans un lobbying soucieux de respectabilité – et par là défavorable aux actions illégales – pour se faire reconnaître des autorités. Jugé potentiellement manipulateur par une majorité des cadres du mouvement, ce second volet sera récusé, au profit d'une organisation centralisée classique qui produira les effets dénoncés par Piven et Cloward et leur interdira de soumettre leur thèse à une vérification pratique. Se dessine alors un espace à quatre zones (cf. schéma). Le quadrant inférieur droit correspond à notre définition du mouvement social, il pourrait s'illustrer dans les mobilisations des printemps arabes. Le quadrant inférieur gauche regroupe à la fois les organisations qui se donnent des missions de représentation politique d'un groupe ou d'un mouvement (on peut penser aux partis « sociaux démocrates », comme le Labour britannique, initialement issus du mouvement syndical) et des groupes de pression ayant accès aux lieux de décision politique. Le quadrant supérieur gauche regroupe les organisations qui, sans être forcément sous le contrôle d'un mouvement, lui apportent une aide logistique (maisons d'édition ou imprimeries « amies » d'un mouvement, think tanks alimentant un groupe de leur réflexion). Enfin, le quadrant supérieur droit regroupe les organisations de self help qui mobilisent l'énergie des adhérents ou proches d'un mouvement pour apporter des services individuels : il peut s'agir de conseils juridiques contre la répression (Secours Rouge), de coopératives offrant des outils, des assurances, de clubs de loisirs ciblant les membres d'un mouvement. Espaces des mouvements sociaux Le modèle de Kriesi Une typologie des organisations liées au mouvement social Source : d'après Kriesi [1993].• 29 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Interdépendances et trajectoires La notion d'espace des mouvements sociaux a été reprise plus récemment par Mathieu [2012], dans une acception autre. Le recadrage théorique valorise ici d'abord une revendication d'autonomie des mouvements sociaux. La voie de l'institutionnalisation, la simple connexion à un parti politique suscitent une défiance inédite. Plus encore, beaucoup de mouvements sont interconnectés, créent des coalitions, se font concurrence sur la même cause, s'empruntent des mots d'ordre, des « cadres », des formes d'action. Leurs succès et reculs sont plus d'une fois concomitants. On gagne à les penser comme un système avec de fortes interdépendances. Cette vision relationnelle des mobilisations, illustrée par Baptiste Giraud sur les conflits du travail [2009], contribue aussi à faire tomber l'invisible barrière qui a longtemps refoulé le syndicalisme sinon comme un intrus, du moins comme une sorte de cousin trop peu déluré ou un monde trop institutionnalisé pour être inclus dans le cercle des mouvements sociaux. L'exploration des formes contemporaines de la conflictualité au travail, où seule la cécité peut identifier le recul de la grève au consensus, constitue précisément un terrain passionnant pour saisir le changement des répertoires, les conditions sociales de gestion de l'insatisfaction, les effets du travail sur les engagements hors travail. Enfin, la notion d'espace n'est pas que métaphorique. Les mobilisations se développent dans une géographie, des espaces marqués par une diversité de stratifications sociales, d'histoires locales, de protagonistes. Encourager des comparaisons entre sites (y compris ceux où rien ne se passe) quand un même risque ou changement s'y exprime permet aussi de faire avancer la connaissance des situations qui inhibent la mobilisation [McAdam et Schaffer Boudet, 2012]. Loin de dissoudre la notion de mouvement social dans un ensemble mou, ce schéma attire l'attention sur le fait que la force des mouvements sociaux stricto sensu peut aussi venir de leur capacité à se doter durablement de relais politiques, d'outils logistiques, de services qui fidélisent les adhérents. Le « mouvement ouvrier » structuré autour des partis communistes ou sociaux-démocrates en fut un exemple jadis. L'analyse du Medef par Offerlé [2013] en confirme l'actualité. La force de l'organisation patronale vient aussi de ce que, par un écheveau de mouvements et structures proches ou connectés, elle sait à la fois organiser les patrons, leur rendre des services pratiques, créer des lieux de sociabilité où ils se rencontrent. Le modèle permet en second lieu de penser ce que Kriesi nomme trajectoires. Un mouvement social peut se « convivialiser », déplaçant le centre de ses énergies de la mobilisation à l'entretien d'une sociabilité chaleureuse entre ses sympathisants, cultivant un entre-soi qui finit par primer sur l'agir. Il peut se « commercialiser », devenant avant tout un prestataire de services (combien d'adhérents savent qu'« assureur militant » n'est pas qu'un slogan publicitaire, mais la référence à la création de la MAIF par des syndicalistes enseignants contre les grandes compagnies privées ?). Il peut aussi s'institutionnaliser, devenant groupe de pression ou parti, revenant éventuellement à la case mobilisation si l'opération échoue, comme le montrent les étonnantes métamorphoses du mouvement paysan Samobroona dans la Pologne postcommuniste [Pellen, 2013]. Il peut enfin se radicaliser, jouant son va-tout sur la seule confrontation. 30 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 James C. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29 comme nous l’avons vu, que cette lutte est invisible : elle correspond à un choix tactique né d’une conscience prudente de l’équilibre des pouvoirs. La proposition faite ici est identique à celle de Léo Strauss lorsqu’il dit que la réalité de la persécution doit modifier notre lecture de la philosophie politique classique : « La persécution ne peut empêcher l’expression publique de la vérité hétérodoxe, car un homme dont la pensée est indépendante peut exprimer ses opinions en public et demeurer sain et sauf du moment qu’il le fait avec prudence. Il peut même les imprimer sans pour autant courir le moindre danger, du moment qu’il est capable « d’écrire entre les lignes » [1]. » Le texte que nous interprétons dans le cas présent n’est pas Le Banquet de Platon mais plutôt la lutte culturelle voilée et l’expression politique de groupes subalternes, qui ont toute raison de craindre d’avancer leurs opinions à découvert. Le sens du texte, dans les deux cas, est rarement simple et direct. Il est souvent censé communiquer une chose aux initiés et autre chose aux autorités et aux non-initiés. L’interprétation en est quelque peu facilitée, quand nous avons accès au texte caché [2] (analogue aux notes et conversations secrètes du philosophe), ou bien à l’expression d’une opinion plus imprudente (analogue aux textes postérieurs produits dans des conditions plus libres). Sans ces textes comparatifs, nous sommes obligés de chercher des significations non innocentes en recourant à notre savoir culturel — tout comme le ferait un censeur expérimenté ! En règle générale, quand on veut dévaluer la grande histoire politique, on fait appel aux grandes structures économiques ou sociales qui dépossèdent encore un peu plus ceux qui étaient déjà exclus de la première. En 1990, dans Domination and the Arts of Resistance : Hidden Transcripts, l’anthropologue James C. Scott prenait le parti inverse : montrer que sous les formes publiques de domination et de révolte spectaculaire existe toute une infra-politique cachée et obéissant à d’autres règles, qui, en vérité, constitue peut-être l’essentiel de la vie politique des dominés. Extraits du chapitre VII. « Les formes culturelles ne disent peut-être pas ce qu’elles savent, ne savent peut-être pas ce qu’elles disent, mais elles font ce qu’elles ont l’intention de faire — à tout le moins dans la logique de leur pratique. » Paul Willis, Learning to Labour « [L’exécution du hallebotage après les vendanges] exaspéra les esprits au dernier point ; mais il existe un si grand espace entre la classe qui se courrouçait et celle qui était menacée, que les paroles y meurent, on ne s’aperçoit de ce qui s’y passe que par les faits, elle travaille à la manière des taupes. » Balzac, Les paysans Le terme infra-politique est, je crois, approprié pour une autre raison. Quand on parle de l’infrastructure dans le domaine du commerce, on pense immédiatement aux moyens qui rendent un tel commerce possible : par exemple, les moyens de transport, les opérations bancaires, les devises, les droits immobiliers et contractuels. De la même manière, j’ai l’intention de montrer que l’infra-politique que nous avons examinée fournit une grande partie des bases culturelles et structurelles de l’action politique plus visible sur laquelle, généralement, nous avons jusqu’à maintenant porté notre Dans le domaine des sciences sociales où les néologismes sont déjà légion, d’aucuns diraient envahissants, on hésite à en inventer un de plus. Le terme infra-politique, cependant, semble être approprié pour évoquer l’idée que nous avons affaire à un domaine discret de la lutte politique. Pour des sciences sociales habituées aux politiques relativement transparentes des démocraties libérales et aux contestations, manifestations et rebellions bruyantes qui font la une des journaux, la lutte circonspecte menée quotidiennement par des groupes subalternes se situe, tels des rayons infrarouges, au-delà du spectre visible. C’est en grande partie à dessein, 31 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 attention. La majeure partie de ce chapitre est consacrée à soutenir cette thèse. dissipant les énergies collectives à l’occasion de discours et de rituels relativement inoffensifs [3]. » Tout d’abord, je reviendrai brièvement sur l’idée très répandue selon laquelle le discours « en coulisse » des « sans pouvoir » est soit une vue politique creuse, soit, et pis encore, un substitut à toute résistance réelle. Les arguments qui plaident en faveur d’une telle interprétation « hydraulique » des paroles de défi qui, tel un fleuve en crue, seraient détournées vers des zones sans valeur, sont renforcés, comme nous l’avons fait remarquer, lorsque ces paroles sont essentiellement orchestrées ou mises en scène par les groupes dominants. Carnavals, saturnales et, plus généralement, tout rite de renversement encadré, en sont les exemples les plus criants. Jusqu’à il y a peu, l’interprétation qui prédominait de l’agression ritualisée ou du renversement était que le fait de jouer la comédie pour se débarrasser de tensions engendrées par les relations sociales hiérarchisées servait à renforcer le statu quo. Des penseurs aussi différents que Hegel et Trotski considéraient ces cérémonies comme des forces conservatrices. Les analyses influentes de Max Gluckman et de Victor Turner soutiennent qu’en pointant une égalité essentielle, si brève fût-elle, parmi tous les membres de la société, et en illustrant, ne fût-ce que rituellement, les dangers du désordre et de l’anarchie, ces cérémonies ont pour fonction de souligner la nécessité d’un ordre institutionnalisé [4]. Pour Ranajit Guha [5], c’est précisément parce qu’ils sont autorisés et prescrits par les dominants que les effets des rituels de renversement sont au service de l’ordre. Permettre aux groupes subalternes de jouer à la rébellion à des périodes, et dans le cadre de règles spécifiques, permet d’éviter de bien plus dangereuses formes d’agression. Une fois pointées certaines des difficultés logiques liées à ce raisonnement, j’essaierai de montrer comment la résistance symbolique et matérielle fait partie d’un même ensemble de pratiques interdépendantes. Pour cela, il faut souligner à nouveau l’importance de l’idée que la relation entre les élites dominantes et les subalternes ressemble souvent, entre autres, à une lutte matérielle dans laquelle les deux parties cherchent inlassablement à trouver leurs faiblesses et à exploiter leurs petits avantages. En guise de récapitulation d’une partie de mon propos, j’essaierai finalement de montrer que chaque domaine de résistance publique à la domination est suivi de près par une sœur jumelle infra-politique, qui poursuit les mêmes buts stratégiques, mais dont la discrétion est mieux adaptée pour résister à un adversaire susceptible de remporter une bataille ouverte. Le texte caché : une posture vaine ? Un sceptique pourrait tout à fait accepter une grande partie des arguments évoqués jusqu’ici et cependant minimiser leur signification dans la vie politique. Même lorsqu’il se dissimule dans le texte public, le texte caché n’est-il pas un simple point de vue, une posture politique creuse rarement exprimée avec sérieux ? Cette façon de voir les choses semble signifier qu’exprimer une agression contre une figure dominante à l’abri de tout danger a une fonction de substitut — certes insatisfaisant — à ce qu’elle vise réellement : l’agression directe. Au mieux, elle a peu ou pas de conséquence, au pire c’est une dérobade. Les prisonniers qui passent leur temps à rêver de la vie au-dehors feraient mieux de creuser un tunnel ; les esclaves qui chantent la libération et la liberté feraient mieux de prendre leurs jambes à leur cou. Dans sa description des congés donnés aux esclaves dans le sud des États-Unis d’avant la Guerre de Sécession, Frederik Douglass, lui-même esclave, a recours à la même métaphore. Son raisonnement, cependant, est légèrement différent : « Avant les vacances, on se réjouit des plaisirs à venir. Après les vacances, ces plaisirs deviennent plaisirs du souvenir et servent à tenir éloignés des pensées et des souhaits d’une nature plus dangereuse. Ces vacances sont des fils conducteurs ou des soupapes de sécurité qui permettent de désamorcer les éléments explosifs inséparables de la pensée humaine quand on est réduit à l’état d’esclave. Sans elles, rigueurs et servages Barrington Moore écrit : « Rêver de libération et de vengeance peut contribuer à préserver la domination en 32 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 deviendraient insupportables et l’esclave serait inévitablement si désespéré qu’il en deviendrait dangereux [6]. » La logique de la thèse de la soupape de sécurité repose sur la proposition socio-psychologique selon laquelle l’expression de l’agression en coulisses — lors de rêveries communes, de rituels ou de contes populaires — produit autant ou presque autant de satisfaction (par conséquent une diminution de la pression) que l’agression directe contre l’objet de la frustration. Les preuves apportées à cette thèse par la psychologie sociale ne sont pas tout à fait univoques, et même la plupart d’entre elles ne vont pas dans son sens.Au contraire, ces preuves suggèrent que les sujets injustement contrariés n’éprouvent pas moins de frustration et de colère sauf s’ils sont en mesure de blesser directement l’agent responsable de leur frustration [7]. De telles preuves n’ont rien de surprenant. On pourrait s’attendre à ce que les représailles à l’encontre du responsable de l’injustice aient des effets cathartiques plus grands que les formes d’agression qui laisseraient le responsable de l’injustice indemne. Et certes, il existe de nombreux témoignages expérimentaux qui montrent que rêves et jeux agressifs font croître plutôt que décroître la possibilité d’une réelle agression. Mme Poyser se sentit très soulagée quand elle déchargea sa bile directement au visage du châtelain, mais n’était vraisemblablement pas soulagée, ou bien alors pas suffisamment soulagée, par les discours qu’elle répétait et les serments qu’elle faisait dans son dos. Il y a donc autant, voire plus, de raisons de considérer la colère « en coulisse » de Mme Poyser comme une préparation de son éventuel éclat, plutôt que comme une alternative satisfaisante. L’idée de Douglass n’est pas qu’il existe un ersatz de rébellion en lieu et place d’une rébellion réelle, mais simplement que le répit et le luxe que représente un jour de congé procurent suffisamment de plaisir pour émousser le tranchant d’une rébellion naissante. C’est comme si le maître calculait le degré de pression susceptible d’engendrer des actes désespérés et ajustait le niveau de répression juste avant que la pression n’atteigne son comble. L’élément le plus intéressant concernant les théories de la soupape de sécurité sous leurs diverses formes est peutêtre celui qui est le plus souvent négligé. Ces théories se fondent toutes sur l’hypothèse selon laquelle la subordination systématique engendre une forme de pression qui vient du dessous. Elles affirment de plus que si rien n’est fait pour soulager cette pression, celle-ci grandit et engendre une explosion d’une nature ou d’une autre. On spécifie rarement de manière précise d’où vient cette pression et en quoi elle consiste. Pour ceux qui vivent sous le joug de cette subordination, que cela soit M. Douglass ou l’imaginaire Mme Poyser, la pression est une conséquence indiscutée de la frustration et de la colère nées de l’incapacité de se défendre (physiquement ou verbalement) contre un oppresseur puissant. Cette pression engendrée par une injustice manifeste, mais face à laquelle on est impuissant, trouve son expression, nous l’avons montré, dans le texte caché, dans sa taille, sa virulence et son abondance symbolique. En d’autres termes, la thèse de la soupape de sécurité admet implicitement un certain nombre d’éléments-clés de notre plus ample thèse concernant le texte caché : à savoir que la subordination systématique suscite une réaction et que cette réaction contient un désir de vengeance ou de réponse au dominant. Mais les deux thèses divergent dans la supposition que ce désir puisse être en majeure partie assouvi, lors de conversations « en coulisses », ou lors de rituels de renversement bien surveillés, ou bien encore lors de festivités qui, de temps en temps, apaisent le feu du ressentiment. Si les témoignages socio-psychologiques corroborent peu ou pas du tout l’idée d’une catharsis opérée par un tel mécanisme de substitution, les arguments historiques en faveur de cette thèse restent à réunir. Serait-il possible de montrer, toutes choses égales d’ailleurs, que plus les élites dominantes ont fourni ou autorisé des exutoires aux agressions à leur endroit, les contenant dans des formes somme toute inoffensives, moins elle ont été exposées à la violence et à la rébellion d’un groupe subalterne ? Si une telle comparaison était entreprise, il faudrait tout d’abord commencer par distinguer l’effet du déplacement de l’agression en soi, et les concessions plus matérielles que représentent ces festivités : celles de la nourriture, de l’alcool, de la générosité, et du soulagement procuré par l’arrêt de travail et l’absence de discipline. 33 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 coulisse » parmi les étudiants, les hommes d’églises et leurs paroissiens noirs ? En d’autres mots, « le pain et le cirque », qui, de toute évidence, sont souvent des concessions politiques conquises par les classes subalternes, renforcent peutêtre l’oppression indépendamment de la ritualisation des formes d’agression [8]. Un long regard historique suffit pour se rendre compte que le luxe d’une opposition politique ouverte relativement protégée est à la fois rare et récent. La vaste majorité des gens ont toujours été et continuent d’être non pas des citoyens mais des sujets. Tant que notre conception du « politique » est réduite aux activités ouvertement déclarées, nous sommes amenés à conclure que la vie politique fait essentiellement défaut aux groupes subalternes ou se borne tout au plus à d’exceptionnels moments d’explosion sociale. Ce faisant, nous manquons le terrain politique immense qui existe entre inactivité et révolte et qui, qu’on s’en réjouisse ou non, constitue l’environnement politique des classes soumises. C’est se centrer sur l’arbre de la politique visible et ne pas voir la forêt qui se cache derrière. Si l’on suivait cette ligne de pensée, il resterait à en expliquer une anomalie importante. Si, effectivement, l’agression ritualisée détourne l’agression réelle de sa cible, pourquoi tant de révoltes d’esclaves, de paysans et de serfs ont vu le jour précisément au cours de rituels saisonniers (par exemple, le carnaval de Romans décrit par Le Roy Ladurie) créés pour éviter ces mêmes révoltes ? [...] La résistance souterraine Nous sommes maintenant en mesure de résumer une partie de notre argument. Jusqu’à il y a peu, la majeure partie de la vie politique active des groupes subalternes a été ignorée parce qu’elle a souvent lieu à un niveau que l’on reconnaît rarement comme politique. Pour insister sur l’énormité de ce qui a été négligé d’une manière générale, je tiens à faire une distinction entre les formes de résistance ouvertes et déclarées qui attirent généralement l’attention, et celles, déguisées, discrètes et non déclarées, qui constituent le domaine de l’infrapolitique (voir tableau ci-dessous). Pour les démocraties libérales occidentales modernes, seule l’action politique visible s’empare de ce qui fait sens dans la vie politique. Les succès historiques des libertés politiques d’expression et d’association ont considérablement réduit les risques et la difficulté d’une expression politique publique. Cependant, il n’y a pas si longtemps en Occident, et aujourd’hui encore, pour la plupart des minorités les moins privilégiées et pour les pauvres marginalisés, l’action politique au grand jour est loin d’être la part la plus importante de leur action politique en général. Porter une attention exclusive à la résistance déclarée ne nous permettra pas plus de comprendre le processus par lequel de nouvelles forces et exigences politiques germent avant de finalement fleurir sur la scène publique. Comment, par exemple, pourrions-nous comprendre le bouleversement manifeste qu’a représenté le Mouvement pour les droits civils ou le Mouvement du Black Power dans les années 1960, sans comprendre le discours « en Toute forme de résistance déguisée, d’infra-politique, est le partenaire silencieux d’une forme de résistance publique bruyante. Ainsi, squatter la terre lopin par lopin est le pendant infra-politique des grandes invasions nomades : tous deux visent à éviter l’appropriation de la terre. Le squat ne peut avouer ses buts et constitue une stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont pas de droits politiques. De même, la rumeur et les contes populaires de vengeance sont les pendants infra-politiques des gestes non dissimulés de mépris ou de profanation : c’est la dignité et le rang qui ont été retirés aux groupes subalternes que tous deux cherchent à restaurer. Rumeurs et contes ne peuvent agir directement et dire haut et fort leurs intentions et constituent ainsi une stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont pas de droits politiques. De même encore, l’imaginaire millénariste et les renversements symboliques de la religion populaire sont les pendants infra-politiques des contre-idéologies radicales et publiques : c’est le symbolisme public de la domination idéologique que tous deux cherchent à nier. L’infra-politique est donc essentiellement une forme stratégique que la résistance des sujets doit prendre lorsqu’elle est soumise à un trop grand danger. Les impératifs stratégiques de l’infra-politique ne la rendent pas seulement différente en degré des politiques 34 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 publiques des démocraties modernes : ils imposent une logique totalement différente de l’action politique. Aucune revendication publique n’est faite, aucune ligne symbolique n’est tracée. Toute action politique prend des formes conçues pour masquer ses intentions ou pour les dissimuler derrière un sens apparent. Pratiquement, personne n’agit en son nom pour des raisons voulues : cela irait à l’encontre du but recherché. C’est précisément parce qu’une telle action politique est scrupuleusement conçue pour être anonyme ou pour nier son but, que l’infra-politique appelle davantage qu’une interprétation réductrice. Les choses ne sont pas exactement ce qu’elles semblent être. politiques, révolutionnaires et chefs de partis), à celui de la trace écrite (résolutions, déclarations, nouvelles histoires, pétitions, procès) et à celui de l’action politique, l’infra-politique appartient quant à elle au royaume du leadership informel et de l’absence d’élite, à celui de la conversation et du discours oral, à celui de la résistance clandestine. La logique de l’infra-politique est de laisser peu de traces dans son sillage. En protégeant ses arrières, elle ne minimise pas seulement les risques encourus par ceux qui y participent, mais élimine également une grande partie des documents écrits susceptibles de convaincre les spécialistes de sciences humaines et les historiens que de la vraie politique serait en jeu. La logique du déguisement suivie par l’infra-politique s’étend à son organisation autant qu’à sa substance. Une fois encore, la forme d’une organisation naît d’une nécessité politique autant que d’un choix politique. Parce que l’activité politique au grand jour est pratiquement exclue, la résistance est vouée à se construire dans des réseaux plus informels regroupant des membres de la famille, des voisins, des amis ou des membres de la communauté. Tout comme la résistance symbolique, que l’on trouve dans les différentes formes de culture populaire, peut contenir une signification innocente, les unités organisationnelles élémentaires de l’infra-politique ont une existence erratiquement innocente. Les attroupements au marché, les assemblées informelles de voisins, de familles ou de membres d’une même communauté fournissent une structure et une couverture à la résistance. Celle-ci est parfaitement adaptée pour éviter la surveillance car elle est menée individuellement, en petits groupes, et, lorsqu’elle est menée à plus grande échelle, a recours à l’anonymat de la culture populaire ou à de réels déguisements. Il n’y a pas de meneurs à serrer, pas de listes de membres à éplucher, pas de manifestes à dénoncer, pas de manifestations publiques qui attirent l’attention. Ces assemblées informelles sont, pourrait-on dire, les formes élémentaires de la vie politique sur lesquelles des formes plus élaborées, ouvertes et institutionnelles, peuvent être bâties, et dont ces mêmes formes sont susceptibles de dépendre pour garder leur vitalité. Ces formes élémentaires expliquent également pourquoi l’infra-politique échappe à l’attention. Si l’organisation politique publique et formelle appartient au royaume des élites (par exemple aux avocats, hommes L’infra-politique est, à n’en point douter, de la vraie politique. À maints égards, elle est conduite de façon plus entière, a de plus grands enjeux et doit surmonter de plus grandes difficultés pour parvenir à ses fins, que la vie politique des démocraties libérales. On gagne du vrai terrain, ou on en perd vraiment. Les armées sont défaites et les révolutions facilitées par les désertions de l’infrapolitique. De facto, les droits de propriété sont établis et remis en question. Les États sont confrontés à des crises fiscales ou budgétaires quand les petits stratagèmes accumulés par leurs sujets leur font perdre de la main d’œuvre et des impôts. Des sous-cultures vantant la dignité et les rêves de vengeance voient le jour et prennent de l’ampleur. Des discours contre-hégémoniques sont élaborés. Ainsi, comme nous l’avons montré précédemment, l’infra-politique explore, éprouve et attaque constamment les limites de ce qui est permis. Le moindre relâchement dans la surveillance ou la répression, le moindre atermoiement, menace de se transformer en grève déclarée, les contes populaires d’agression oblique menacent de se transformer en mépris avoué et en défit frontal, et les rêves millénaristes menacent de se transformer en politique révolutionnaire. De ce poste d’observation, on peut penser que l’infrapolitique est une forme élémentaire de la politique — élémentaire dans le sens de fondamental. C’est la composante sans laquelle l’action politique élaborée et institutionnalisée n’existerait pas. Sous la tyrannie et la persécution, qui est la condition commune de la plupart des sujets historiques, c’est la vie politique. Et quand on détruit ou réduit les rares participations citoyennes à la 35 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 vie politique publique, comme cela est souvent le cas, les formes élémentaires de l’infra-politique perdurent comme le moyen de défense souterrain des « sans pouvoir ». Traduit de l’américain par Pascale Guy qui désigne l’ensemble des interactions ouvertes entre subalternes et dominés. La notion de hidden transcript désigne ainsi l’ensemble des discours et pratiques qui prennent place « en coulisse », en deçà de l’observation directe des dominants, et qui peuvent confirmer, contredire ou infléchir ce qui apparaît dans le texte public [note de la traductrice]. [3] Barrington Moore, Injustice : The Social Basis of Obedience and Revolt, 1978. [4] Max Gluckman, Rituals of Rebellion in South-East Africa, 1954 ; Victor Turner, The Ritual Process : Structure and Anti-Structure, 1969. [5] Ranajit Guha, Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, 1983. [6] Frederick Douglass, My Bondage and my Freedom , 1855. [7] Cf. Leonard Berkowitz, Aggression : A Social Psychological Analysis , 1962. [8] Cf. Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique , 1976. Notes [1] Léo Strauss, La Persécution et l’art d’écrire , p. 57, Pockett (1952, 1989). Il devrait être abondamment clair que mon analyse est fondamentalement orthogonale avec ce « straussianisme » que beaucoup ont réussi à vendre dans la philosophie et l’analyse politique contemporaines (par exemple, cette prétention indue d’avoir un accès privilégié à l’interprétation vraie des classiques, ce dédain autant pour la « multitude vulgaire » que pour les tyrans incultes). L’attitude des straussiens me frappe autant que celle de Lénine envers la classe ouvrière dans Que faire ?Ce que je trouve pourtant instructif dans la position de Strauss est cette prémisse suivant laquelle l’environnement politique dans lequel fut écrite la philosophie occidentale permet rarement une interprétation univoque de ses textes. [2] Par « texte caché », nous traduisons ici la notion centrale de l’ouvrage, hidden transcript, littéralement « transcription cachée » ou « version cachée des faits », qui s’oppose à celle de public transcript (« texte public »), 36 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 n’est en effet recensé sous son sens politique dans aucun dictionnaire français. Longtemps, il est essentiellement utilisé à titre d’anglicisme pour référer à une pratique d’origine religieuse, le « tract » (abréviation de tractate, traité), qui sert à désigner, depuis le XIIIe siècle et encore aujourd’hui, des ouvrages religieux, de tailles très diversifiées, distribués à de nombreux exemplaires, alors que c’est le terme leaflet qui est employé pour parler ce que nous avons fini par nommer des « tracts ». Si l’origine du mot est religieuse, la pratique, elle-même, se développe tôt en politique. Preuves en sont ces imprimés de 1789 que les conservateurs de la Bibliothèque nationale de France ont étiquetés en tant que « tracts », même si leurs auteurs ne revendiquent pas cette dénomination. Contamin Jean-Gabriel, « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71 Qu’il soit distribué à un camarade de manif, déjà convaincu, ou ostensiblement mis au panier par un opposant, ou refusé par un piéton pressé qui a déjà reçu, au carrefour précédent, un énième prospectus lui vantant les vertus de la dianétique ou du cheeseburger, un tract semble voué à n’être pas lu. Et pourtant, on tracte. Sans doute parce que cette vieille technique de propagande s’offre à des usages que sa fonction n’épuise pas. Sa diffusion se heurte toutefois dans un premier temps à une triple barrière. La barrière de l’écrit, d’abord, puisque ces imprimés se développent dans une société encore largement analphabète, même s’ils peuvent être l’objet de lectures publiques et de discussions. La barrière technologique, ensuite, puisque les moyens d’impression et de diffusion sont encore largement dans les mains de quelques-uns. La barrière juridique, enfin et surtout, puisque, jusqu’en 1881, et en dépit de périodes de plus ou moins grande contrainte, les imprimés demeurent en France peu ou prou sous régime d’autorisation. Un ensemble d’entraves qui n’ont du reste pas empêché les imprimés, sous forme de tracts, pétitions ou mémoires, de jouer un rôle non négligeable dans le processus de démocratisation en habituant les citoyens à la controverse et au dialogue, au point que certains voient dans ces pratiques de communication l’origine des idées démocratiques plutôt que leur simple vecteur [1] Le tract, petite feuille de papier imprimé que l’on distribue à des fins de propagande, qu’on peut ainsi distinguer tout autant du graffiti qui demeure fixé à son support et n’autorise qu’une lecture brève et instantanée, que du journal, à diffusion plus continue, distribué par des réseaux plus professionnalisés. Le tract, outil par excellence du militant qui va défendre sa cause sur les marchés, aux sorties de métro et d’usine, dans les boîtes aux lettres ou les manifestations. Le tract, moyen primaire et premier des organisations pour démontrer leur existence et faire entendre leurs voix sans s’en remettre aux médias institutionnels et à leurs logiques de sélection et de traduction. Ce moyen de mobilisation, présenté comme « traditionnel » au regard des « nouvelles » formes de mobilisation, semble de prime abord relever d’une forme d’évidence, de banalité : faire un tract, le distribuer, le recevoir, le lire… et le mettre à la poubelle... Autant d’activités d’autant plus quotidiennes qu’aux tracts militants s’est ajoutée, voire substituée, la multitude des tracts commerciaux — prospectus — qui viennent concurrencer ces messages politiques. Un regard à la fois historique et sociologique invite pourtant à remettre en cause cette impression de familiarité. En regard, la situation contemporaine pourrait sembler nettement plus ouverte à la pratique des tracts. Un développement du niveau global d’instruction de la population. Des moyens de confection, d’impression et de diffusion qui se sont démocratisés. Un régime juridique qui, depuis la loi du 29 juillet 1881, abandonne le contrôle a priori et compressif par les autorités exécutives pour lui préférer un contrôle a posteriori et répressif par les autorités judiciaires : cette loi dispose que les écrits rendus publics sont libres sous réserve de porter « indication du nom et du domicile de l’imprimeur » (même si on est soi-même ledit « imprimeur ») et de respecter Regard historique, d’abord, puisque, si la « chose » n’est pas une nouveauté, le mot « tract » lui-même est, en français, d’usage relativement tardif. Jusqu’en 1968, il 37 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 L’encadrement juridique est certes beaucoup moins contraignant et répressif qu’il ne pouvait l’être naguère ou qu’il l’est encore dans certains pays dans lesquels le fait même de distribuer des tracts peut conduire à la prison (le Tibet, par exemple). Toutefois, il prend des formes plus diffuses qui ne sont pas sans peser sur les pratiques de tractage. À la liberté d’expression a en effet été opposé un ensemble de principes — maintien de l’ordre et de la tranquillité publics, impératif de sécurité routière, respect du bon fonctionnement des entreprises, ou, depuis peu, sauvegarde de l’hygiène publique et de l’esthétique — au nom desquels la pratique du tractage se voit restreinte. les règles qui définissent les « crimes et délits commis par voie de presse ou par tout autre moyen de publication ». Si les journaux ou l’exercice du colportage supposent des formes minimales de déclaration, « la distribution et le colportage accidentels ne sont assujettis à aucune déclaration ». Toutes les conditions sont donc réunies pour une explosion du recours au tractage dont on trouve en effet la trace dans trois domaines au moins. Le domaine militant, certes. Mais, aussi, le domaine militaire : cette pratique des « boulets de papiers » prend notamment son essor pendant la seconde guerre mondiale durant laquelle les États-Unis envoient par avion six milliards de tracts sur l’Europe Occidentale (les « bombes Monroe »). Le domaine de la communication commerciale et institutionnelle, enfin, avec l’afflux des prospectus comme mode de prévention et de publicité. D’abord, des restrictions législatives ou réglementaires relevant de domaines très variés. Ainsi, le Code électoral interdit de distribuer de tels documents dans toute la France les jours et les veilles de scrutin. Sur les lieux de travail, un décret de 1982 n’autorise la distribution de documents d’origine syndicale aux agents des administrations que si elle est assurée par des agents qui ne sont pas en service, si elle a lieu en dehors des locaux ouverts au public et si elle ne porte pas « atteinte au bon fonctionnement du service », tandis que, en ce qui concerne le secteur privé, le Code du travail n’autorise la distribution de tracts syndicaux aux travailleurs d’une entreprise dans l’enceinte de celle-ci qu’aux heures d’entrée et de sortie du travail. Le Code de la route, de son côté, interdit la distribution aux conducteurs ou occupants de véhicules en circulation. Enfin, depuis 2003, le code de l’environnement souligne que toute personne physique ou morale qui distribue des imprimés est tenue de contribuer à l’élimination des déchets ainsi produits, à partir du moment où elle traite une masse annuelle d’imprimés supérieure à 500 kg. Plus généralement, la jurisprudence souligne l’interdiction de diffuser des tracts qui, par leurs couleurs et leurs formes, seraient peu aisément distingués de documents officiels. Pourtant, ces évolutions ne sont pas sans effets pervers pour le tractage militant. Certes, en termes organisationnels, si on compare la situation contemporaine à celle qui prévalait en mai 1968, le recours au tract s’est « démocratisé ». La confection des tracts en nombre minimal demandait encore alors un ensemble de ressources organisationnelles non négligeables qui tendait à la réserver à des collectifs un peu structurés alors qu’aujourd’hui chacun peut assez facilement disposer des moyens matériels pour confectionner, imprimer et reproduire « son » tract. Toutefois, cette multiplication des messages par tract tend aussi à rendre plus difficile la différenciation de l’usage militant du tract d’autres formes d’usages. Comment différencier visuellement son message de ceux que font circuler les acteurs commerciaux ou institutionnels ? Comment, à l’inverse, ne pas adopter quelque peu les normes « commerciales » alors que celles-ci contribuent à informer les normes de réception auxquelles elles tentent par ailleurs de se conformer ? D’autant que ces tracts militants ont plus de peine à se différencier des messages commerciaux par leur mode de diffusion, alors que se développe le street marketing, campagne marketing qui se déroule dans la rue, au contact de la cible souhaitée. À ces restrictions nationales et générales, s’ajoutent des restrictions propres à chaque municipalité puisqu’il est de la compétence des maires ou des préfets de prendre, sous contrôle du tribunal administratif, des arrêtés interdisant la distribution de tracts dans certains lieux ou dans certaines circonstances, ainsi que de contraindre les distributeurs de tracts à respecter telle ou telle règle. Ainsi, à Paris, la distribution gratuite d’imprimés est 38 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 relativement maître du message qu’il fait circuler, il est aussi l’objet d’autres formes d’investissement qui supposent parfois que sa fonction informative ne soit plus que secondaire. Un usage d’adjuvant au service d’autres formes d’action lorsqu’il s’agit de tester l’accueil d’une cause dans une population, de mobiliser pour une autre action ou d’en faire le prétexte d’une action médiatique. Un usage « militant » lorsqu’il s’agit d’occuper les militants par une activité « à faible rendement ». Un usage expressif lorsqu’il s’agit de faire exister une organisation, de lui donner une image, par la seule existence du tract, mais aussi en verbalisant et en construisant un « nous » et un « eux ». Un usage ludique quand on en fait essentiellement un usage oblique, destiné à divertir le lecteur, souvent en jouant avec les codes prêtés au tract politique. Mais, aussi et surtout, un usage « conatif » lorsqu’il s’agit de faire de la distribution du tract l’occasion d’engager la conversation avec ceux et celles à qui on les propose, de les aborder à moindre coût d’un côté comme de l’autre — puisque chacun peut sortir de cette interaction très rapidement — et ainsi, de sensibiliser, voire de recruter, des sympathisants potentiels en jouant de ce que les sociologues américains ont nommé l’effet foot-in-the-door, c’est-à-dire l’idée que lorsqu’une personne a été amenée à répondre favorablement à une petite requête, elle a plus de chances de répondre favorablement à une requête plus importante. interdite dans les zones piétonnes ainsi que dans un certain nombre de voies. Elle est également interdite dès lors qu’elle provoque une gêne à la circulation des véhicules ou des piétons, ou lorsqu’elle s’accompagne de l’interpellation des passants. Enfin, il est fait obligation aux distributeurs de tracts de ramasser les prospectus jetés sur la voie publique par les personnes auxquelles ils ont été remis et ce dans un rayon de 30 mètres du point de distribution. On l’aura compris, même si l’application de l’ensemble de ces règles n’est jamais aussi stricte que le voudraient les textes, la pratique du tractage suppose un savoir et un savoir-faire qui n’ont rien d’évidents ou de « naturels ». Aux risques physiques qui entourent cette pratique — la rencontre des opposants — s’ajoutent les risques juridiques dont témoignent les poursuites dont sont périodiquement l’objet des distributeurs de tracts, notamment sur les lieux de travail. Or, à ce nécessaire savoir-faire juridique s’ajoute un savoir-faire pratique qui tend à réserver de fait, et en dépit du développement de l’instruction, ce mode d’action à certaines catégories de population et à certains groupes. Savoir-faire dans la confection des tracts lorsqu’il s’agit de faire un choix entre la simplicité et la lisibilité du message et le souci d’en dire le plus possible, lorsqu’il s’agit de prendre en compte à la fois le positionnement militant et les attentes potentielles des lecteurs, lorsqu’il s’agit enfin d’être le plus précis possible tant dans les arguments avancés que dans le vocabulaire et le respect de la langue : on sait combien le rapport à l’écrit est socialement différencié. Savoir-faire dans le choix des lieux et des moments de distribution les plus adaptés en fonction des « cibles » recherchées par l’action. Savoir-faire dans les modes de distribution : la nécessité d’établir un contact visuel, d’aller vers les gens, de tenir le tract de façon à ce qu’il soit vu, de préparer une argumentation, de savoir passer du temps quand le contact peut devenir intéressant et ne pas en perdre quand le contact ne peut rien donner… Autant de savoir-faire qui expliquent que la pratique du tract fasse l’objet d’une division du travail assez stricte dans les entreprises de mobilisation qui y recourent entre ceux qui participent à sa conception — au niveau national ou plus local —, ceux qui participent à sa distribution et ceux dont on attend seulement qu’ils les lisent. On a du reste pu montrer, par exemple, que la conception des tracts était essentiellement une activité masculine, et que le fait qu’elle commence à être confiée à des femmes était en soi le signe d’un certain recul du machisme dans ces organisations [2] Plus généralement, la manière dont est organisée la conception des tracts dans un groupe est souvent très révélatrice de la façon dont ce groupe fonctionne de manière plus globale. Savoir-faire, aussi et surtout, dans l’adaptation du type de tractage aux usages qu’on souhaite en faire. En effet, si le tract militant apparaît d’abord comme un mode d’information alternatif qui permet à un groupe de rester Quel est l’avenir du tractage militant à une époque où de nouvelles technologies semblent permettre aux acteurs protestataires de transmettre leurs messages sans 39 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 autant persuader et convertir que convaincre. L’efficace du tract n’est sans doute pas dans ce qu’il donne le plus directement à voir. Et, c’est dans cette perspective qu’on peut du reste comprendre que l’un des axes que développe la CGT depuis quelques années en matière de formation syndicale soit précisément un module… de formation à la rédaction des tracts. médiation, en quelques secondes, à moindre coût et à un public plus nombreux ? Quelle utilité de passer des heures et de l’argent à distribuer des tracts sur des marchés, dans des manifestations ou aux sorties de métro, lorsque, par un seul clic, on peut toucher une population bien plus nombreuse, tout autant ciblée et, peut-être, plus encline à les recevoir ? Qui plus est, sans consommer de papier… On retrouve aujourd’hui ce type d’interrogations dans beaucoup d’entreprises militantes, avec le souci, par exemple, de développer des « e-tracts ». De même, une bonne part de la jurisprudence autour des tracts porte aujourd’hui sur ce que les organisations syndicales peuvent ou ne peuvent pas faire sur les Intranets des entreprises. Pourtant, une telle réflexion laisse de côté les autres usages du tractage militant, et tout particulièrement la possibilité qu’il donne aux militants d’entrer en contact avec ceux et celles qu’on souhaite Notes [1] David Zaret, Origins of Democratic Culture. Printing, Pétitions and the Public Sphere in Early Modern England , Princeton, Princeton University Press, 2000. [2] Par exemple : Lucie Bargel, « La résistible ascension des femmes à la direction du Mouvement des jeunes socialistes », Genèses, 2007, n°67, p.45-65. 40 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les mouvements sociaux, Paris, La Découverte, «Recherches», 2010 Moses Finley rappelle qu’une des singularités de la démocratie athénienne était d’être sans média. Agir sur les citoyens supposait de prendre la parole, personnellement, publiquement. D’une taille incomparable, régis par des mécanismes représentatifs, maillés d’un réseau de médias dense, rapide et complexe, nos systèmes politiques voient la prise de parole irrémédiablement soumise aux procédés d’amplification et de formatage rhétorique que sont les médias. On aimerait croire l’observation banale. La persistance d’une littérature qui ne cesse de s’esbaudir d’une « communication » politique qui aurait tout récemment imposé aux dirigeants de partis ou de mouvements des contraintes dont la notion même aurait été étrangère au mouvement ouvrier, à Gladstone ou Mussolini, incite cependant à appuyer la banalité. Tout mouvement social est soumis à un impératif qu’on peut nommer communicationnel s’il s’agit de dire, en bonne logique jakobsonienne, qu’un message doit être porté par des militants locuteurs vers des destinataires à mobiliser, dans un code qui leur soit intelligible et explicable, et qui fasse sens d’un référent de problèmes à résoudre. Cette dimension communicationnelle prend des formes socio-historiquement variables. Partie intégrante des « répertoires » d’action elle est tributaire de données de morphologie sociale affectant d’autres volets de ces répertoires (alphabétisation, urbanisation, réseaux de communication). La prééminence, en voie d’ébranlement, d’un répertoire « national-autonome » impose aux mouvements des exigences de justification programmatique, fait de la montée vers une scène nationale un impératif pour les mobilisations majeures. Le moyen princeps d’attirer l’attention étant aujourd’hui la télévision, les quotidiens et sites en ligne, les cibler fait partie de tout travail de mobilisation. Rappeler cette centralité des médias omnibus requiert deux observations complémentaires. La première sera de rappeler, avec les enquêtes « pratiques culturelles des Français », l’hétérogénéité des consommations et décodages de l’information selon milieux, groupes et classes d’âge. Pour être influencé par les éditorialistes de presse écrite, il faut lire un quotidien national où n’être pas encore au travail à l’heure des revues de presse radiophoniques, ce qui exclut le gros du corps social. La seconde serait de souligner combien – loin du modèle athénien – se couper du flux informatif requiert plus d’efforts que s’y connecter dans un quotidien fait de vecteurs portables de communication, d’autoradios, de chaînes d’information continue, d’écrans jusque sur les quais des gares. La formule de Palo Alto « on ne peut pas ne pas communiquer » fait aussi sens pour les groupes mobilisés. Un balisage de cette facette des mobilisations procédera en quatre étapes. La première tentera de cerner le jeu d’associés-rivaux par lequel groupes mobilisés et gens de média luttent et coopèrent pour le contrôle de la mise en récit de leurs actions. Dans un zoom arrière, une seconde étape invitera à déconstruire l’image d’un « duel » entre mouvements et journalistes pour prendre en considération la complexité du travail des rédactions, la chaine complète des acteurs, parfois peu visibles, dont les interdépendances produisent le « ce-quiest-écrit-dans-le-journal ». Cette couverture serait-elle systématiquement défavorable aux groupes en lutte ? Structurellement biaisée, indéniablement… ce qui ne veut pas dire toujours à charge : une troisième étape le montrera. L’analyse se ponctuera d’un développement centré sur Internet comme outil d’un renouvellement de l’action collective. La course aux armements communicationnels Manifestations de rue et de papier Une des tendances des mouvements sociaux contemporains – spécifiquement dans les pays dotés d’un « espace public » marqué par un minimum d’ouverture et 41 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 de pluralisme – réside dans l’attention croissante que leurs organisateurs dédient à une gestion réfléchie de leur rapport aux médias. Un article de référence de Champagne [1984] explicite ce mouvement. Un des terrains retenus est la grande manifestation des principaux syndicats paysans (FNSEA-CNJA) à Paris en mars 1982. Toute l’organisation – faut-il écrire : le casting ? – de l’événement est orientée vers la production d’images et de bonnes images du monde paysan. Dans les gares, les banlieusards reçoivent un tract illustré de photos qui met en scène le paysan laborieux et nourricier, protecteur des paysages, attentif au bien-être de ses bêtes. Un service d’ordre très organisé prévient la consommation de boissons alcoolisées et toute violence. Les agriculteurs regroupés par régions et types de production donnent une touche spectaculaire ou folklorique à leur défilé en jouant de costumes (blouses bleues du paysan des images d’Épinal) et de la présence de tracteurs qui tirent parfois bruyamment un bidon de lait. Beaucoup brandissent des pancartes, parfois humoristiques, d’autres distribuent leurs produits. Cette manifestation comporte des dimensions traditionnelles de ce répertoire : défendre des revendications, motiver le groupe mobilisé lui-même par l’exhibition de sa force. Elle exprime plus encore une tendance montante : manifester pour obtenir une forte et bienveillante couverture média, une « manifestation de papier », pensée pour son impact sur l’opinion publique et les décideurs. Au critère classique « combien de manifestants ? », se combine désormais celui de « combien de secondes de J.T., de pages de revue de presse ? ». Et ce critère modèle les formes de l’action. Il s’agit à la fois de juguler des comportements qui seraient impopulaires ou décriés par les journalistes (violence, ébriété) et de produire un spectacle qui rompe avec l’ordinaire des manifestations que leurs habitués nomment parfois le « traîne-savate ». Le processus implique une course aux armements symboliques dont on pourrait caricaturer la logique en suggérant que la couverture médiatique des mobilisations se mâtine de critique d’art. Le « déjà vu » ne garantit pas la « Une », les initiatives inventives, drôles, spectaculaires, à valeur ajoutée culturelle recevront bon accueil. Un militant de Greenpeace en tenue de protection contre la radioactivité faisant couiner un compteur Geiger sur une conduite de La Hague [Baisnée, 2001], un préservatif géant sur l’Obélisque de la Concorde ; voici des formes protestataires éligibles à l’attention des journalistes tandis que le énième Bastille-Nation suscitera peu de passion, que des actions violentes risquent une couverture critique. Pour les groupes les plus dotés en ressource (argent, capital culturel) une action protestataire peut donc devenir un quasi-spectacle pour journalistes, soigneusement anticipé, scénarisé par des professionnels de la communication. N’étant pas voués à être les dupes de ces entreprises, les journalistes développent des sensibilités critiques aux « coups médiatiques », comme lorsqu’une journaliste de Libération dévoile en janvier 1999 les consignes d’habillement données aux manifestants anti-PACS, pour gommer l’effet BC-BG produit par des Lodens et jupes plissées bleues dans un épisode antérieur. Voilà alors ceux qui protestent poussés à plus de sophistication ou de roublardise… on trouverait déjà dans The Armies of the Night, où Mailer [1968] raconte une mobilisation contre la guerre du Vietnam, le récit de conciliabules sur les manières les plus photogéniques de se faire arrêter pour une célébrité. La grille de lecture de Champagne a pu être discutée. Favre [1999] questionne en particulier le poids de ces « manifestations de papier » sur l’ensemble de la pratique manifestante. La majorité des mobilisations ne reste-t-elle pas le fait de petits groupes, sans grande couverture médiatique ? Les visées les plus classiques de l’action manifestante (afficher sa force et sa résolution) ne demeurent-elles pas les plus essentielles ? La mise en garde est convaincante contre toute généralisation abusive. L’occupation d’un collège contre une suppression de classe dépasse rarement la rubrique locale du quotidien régional. Reste que Champagne décrit adéquatement une tendance structurante des grands moments de l’activité protestataire, des mobilisations dont les acteurs sont avant tout riches de ressources culturelles. 42 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Une co-production médiatique des événements protestataires ? parler des évolutions sur les campus ; ils le dépeignent comme brouillon, radical, violent. Alors même que ce cadrage fait peu de cas de la dimension d’élaboration programmatique, une partie des leaders du SDS y discerne un point d’appui pour assurer la promotion du mouvement. Ils accentuent les prises de positions radicales et les actions conflictuelles qui stimulent une forte couverture. En évitant le réducteur « C’est la faute aux médias » – il faut aussi prendre en compte une organisation molle avec un fort turn-over, l’habitus individualiste d’étudiants – cette « symbiose conflictuelle » et la gloire médiatique soudaine du mouvement produisent une série d’effets qui doivent une part objectivable de leur teneur aux médias. Une hausse rapide des adhérents, multipliés par trois sur la seule année 1965, en large partie sur la base d’un quiproquo. Plus que des intellectuels politisés, les nouveaux venus sont des proto-hippies, souvent usagers de drogues, désireux d’en découdre avec les figures d’autorité. Organisation faiblement structuré, le SDS voit alors ses procédures internes d’organisation troublées par une procédure de « certification médiatique » des leaders. Sont présentés et perçus comme porte paroles du SDS les personnages les plus forts en gueule, les plus aptes à produire propos et spectacle attendus par les médias [par exemple : Rubin, 1971]. L’élection par les médias remplace celle par les cellules ou chapitres du mouvement. Dans une logique cousine de la course aux armements déjà évoquée, le radicalisme des propos et des actes obéit à une logique inflationniste. Les premiers drapeaux brûlés, les premières injures « pigs » garantissent une séquence dans les informations des networks. Devenues semirituelles ces provocations ne suffisent plus. L’attention médiatique requiert une surenchère de happenings, de violences plus ou moins esthétisées qu’illustrent les mobilisations chaotiques à la convention démocrate de 1968 à Chicago. Les formes et objectifs du militantisme glissant vers des actions spectaculaires et la captation de l’attention des médias, ce sont corrélativement les activités quotidiennes et modestes de propagande, de mise en place d’une L’approche de Champagne vient aussi rendre intelligible combien serait réducteur un questionnement qui se limite à savoir si tel média rend adéquatement compte de telle mobilisation. Outre qu’elle cotiserait à une vision naïve du compte rendu objectif, pareille approche place les journalistes et les médias dans une posture de greffiers ou de narrateurs, passifs ou partiaux, de mobilisations qu’ils ne pourraient affecter que par la tonalité de leurs reportages et articles. L’idée de coproduction par les médias d’une part au moins des moments protestataires est plus pertinente pour questionner l’objet. Précisons que – même si de tels cas existent quand une chaîne de télé offre à des écologistes de leur louer un Zodiac pour faire de belles images devant La Hague – cette notion ne se ramène ni à la collusion organisée, ni à une manipulation. Elle désigne plus souvent des interdépendances qui condamnent des protagonistes à jouer, plus ou moins inventivement, des marges que leur laisse une relation forcée. Le texte le plus éloquent en la matière vient de l’analyse faite par Gitlin [1980] de la couverture médiatique du mouvement étudiant SDS aux États-Unis et de ses effets (voir encadré). Sa recherche met en évidence au moins quatre niveaux possibles d’influence et d’interdépendance. Un cas d’école : les médias états-uniens et le SDS (1960-1969) [Gitlin, 1980] Créé au début des années 1960, le SDS (Students for a Democratic Society) est une organisation de la gauche radicale étudiante. Laboratoire théorique et réseau de militants investis sur le terrain, entre autre vers les communautés noires, le SDS reste un groupuscule de quelques centaines de membres. Hors de quelques journalistes intellectuels qui y discernent un révélateur des évolutions du monde étudiant, il intéresse peu la presse. Des actions contre la guerre du Vietnam qui s’accompagnent d’affrontements avec la police, vont susciter une attention médiatique inédite à partir de 1964. Les articles utilisent le mouvement comme prétexte à 43 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 organisation solide, de construction de réseaux hors du campus qui s’affaissent… Le Mouvement s’en trouvera totalement désorganisé et sans ressources lorsque pour diverses raisons les médias se lasseront de lui servir de vitrine et de haut-parleurs. Au même titre qu’un dessin animé (Jeanne et Serge pour le volley) ou la victoire d’une équipe nationale peuvent doper le nombre de licenciés d’un sport, par l’attention qu’ils consacrent (ou non) à un mouvement, la manière dont ils le mettent en récit, les médias peuvent affecter son recrutement. Juhem [1999] a montré à quel point nombre des grands médias d’information s’étaient comportés dans les années 1980 comme les sponsors de « SOS Racisme ». Par la sélection qu’ils opèrent – d’autant plus facilement qu’un mouvement est peu structuré et centralisé – sur les interlocuteurs invités pour un débat, les journalistes ont une marge d’action sur la sélection des leaders. Alors même qu’il n’y détenait plus aucun mandat, José Bové est resté désigné sur les écrans de télévision comme « porte-parole de la Confédération paysanne »… au point que celle-ci le réintègre dans son bureau dans l’espoir de le contrôler. Ce sont en troisième lieu les formes d’action sur lesquelles peuvent peser les médias. L’observation vaut pour les groupes mobilisés, lorsqu’un rassemblement à Bhopal ou Nairobi voit fleurir les pancartes en anglais pour CNN ou BBC, lorsque des nationalistes corses prennent en groupe nocturne avec kalachnikovs et cagoules la pose qui leur vaudra deux pages de Paris-Match. Mais elle vaut aussi pour leurs adversaires ou partenaires, quand les services douaniers organisent devant les caméras des contrôles dont l’utilité est aussi douteuse que le message clair : « nous luttons contre les importations abusives qui mobilisent les pécheurs » [Accardo et al. , 1995]. Les interdépendances identifiées ici débouchent sur une quatrième dimension : la dépendance médiatique. Il n’est pas besoin d’inventer un âge d’or imaginaire pour soutenir que dans des contextes historiques antérieurs, ou des sociétés contemporaines moins maillées par les médias audiovisuels et la presse écrite, des mouvements sociaux ont eu sous leur contrôle direct de vastes réseaux de médias. Les « unstamped » illégaux du mouvement Chartiste et ouvrier britannique ont longtemps eu un tirage supérieur à celui de la presse légale [Chalaby, 1998]. Les « conglomérats » associatifs [Ion, 1997] des mouvances communistes, social-démocrates, démocratechrétiennes, disposaient jusqu’aux années 1970 dans plusieurs pays européens d’un complexe d’outils de communication : quotidiens, maisons d’éditions, parfois radios comme l’émetteur « Lorraine Cœur d’acier » des sidérurgistes en 1978 [Charrasse, 1981], revues, bulletins, feuilles et tracts syndicaux, pratiques d’affichage de rue. Si cette communication militante a pu se redéployer via Internet, la crise de la presse militante, la raréfaction des usages du tract ou de l’affichage politique sont tout autant à souligner. Cela invite à poser une hypothèse de « perte d’autonomie médiatique » des mouvements sociaux [Neveu, 1999, p. 65-74], soit la dépendance accrue des mobilisations à l’égard de médias publics ou privés qu’ils ne contrôlent pas pour faire passer leur message vers le public le plus étendu. Cette dépendance contraint à des investissements spécifiques pour capter l’attention et la bienveillance de médias extérieurs. Il faut valoriser des formes d’action, un style de leadership et de parole qui assurent de façon prolongée une couverture médiatique abondante et bienveillante. La question, souvent occultée, est aussi de savoir ce que ces investissements impliquent de désinvestissements à l’égard d’un travail de terrain, de glissement entre concessions de forme et de ligne, de perception des adhérents comme autant de gêneurs potentiels, trop pris dans leurs croyances pour les virages idéologiques qu’exigerait une bonne « com » [Lefebvre, Sawicki, 2006]. Évoquant les contradictions d’une mobilisation critique contre les médias qui tente de passer par leur truchement, Halimi et Rimbert [2004] énoncent ce qui leur semble une loi d’airain : « parler pour les médias, c’est devancer leurs exigences, c’est se taire sur les médias ». Conjurer le médiacentrisme Insister sur le rôle des journalistes et des médias, c’est risquer de cotiser aux mythologies sur l’omnipotence et la malfaisance de ces médias. Il faut donc insister sur ce qui devrait être le vrai « ce qui va de soi » : les médias sont 44 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 incontournables (le ministère de l’Éducation nationale, le syndicat FEN). La solution sera « l’expertise critique », travail de desk sur dossiers et chiffres qui permettent de fonder sur l’objectivité des données mobilisées une posture critique qui ne puisse être disqualifiée en engagement politique. Des travaux postérieurs, sur le journalisme social en particulier [Manning, 1999 ; Lévêque, 2000], illustrent l’importance de ces spécialités comme supports d’une interconnaissance, de relations entre journalistes et mondes militants. Ils confirment aussi les processus suggérés par Padioleau : dépolitisation, technicisation. Jadis lié aux mondes syndicaux par sa trajectoire biographique, plus d’une fois autodidacte, le journaliste social avait pour objet privilégié les conflits du travail, le syndicalisme, l’industrie. Aujourd’hui diplômé de l’université, le journaliste social associe plus à cet adjectif les mécanismes du welfare-state, une dimension économique. Son carnet d’adresse est plus riche de portables dans les cabinets ministériels, les universités, les cadres de ministères sociaux que chez les syndicalistes ou activistes. Cette technicisation, combinée aux logiques de fonctionnement d’institutions comme la Commission européenne [Michel, 2007], n’est pas sans effets sur les mouvements sociaux. Elle les oblige à intégrer dans leurs anticipations sur les partenaires des médias une capacité à présenter des dossiers techniques élaborés, lestés de chiffres et de propositions alternatives. Les effets du rubricage ne sont pas les seuls à prendre en compte. Une autre dynamique, en partie contradictoire, pèse aussi. Elle doit aux formes qui se sont institutionnalisées comme définitions de la bonne « actu » dans une offre télévisuelle très concurrentielle : importance des images chocs, valorisation d’une dimension émotionnelle. La presse écrite a relayé ces modes de couverture, par mimétisme sur le média dominant, parce que sa situation financière – spécialement pour les titres parisiens en France – la pousse à tout tenter pour reconquérir un lectorat. Les luttes internes aux rédactions pour voir une rubrique augmenter sa pagination, accéder à la une n’ont pas été étrangères à l’évolution évoquée ici. Elle se matérialise divers, le monde journalistique fonctionne comme un champ et un espace de division sociale du travail. Ce qui se donne à voir/lire sur les pages et les écrans est le produit d’interdépendances plus compliquées qu’une relation entre le groupe mobilisé et des journalistes abstraits. Les logiques du travail journalistique Les rédactions sont organisées selon une hiérarchie et des spécialisations fonctionnelles et thématiques. Figurent au nombre des effets de la hiérarchie la sélection des sujets qui aboutit souvent à « trapper » le compte rendu de mobilisations perçues comme routinisées ou groupusculaires. En relève aussi le principe de remontée qui veut qu’à mesure qu’une mobilisation est perçue comme importante, susceptible d’effets sur le champ politique, la montée vers la « une » se double d’un glissement vers les éditorialistes ou le service politique, moins au fait que les journalistes spécialisés des acteurs et des enjeux, plus enclins à un commentaire surplombant ou politicien. C’est dire l’importance du rubricage et des spécialisations. Rien ne l’illustre mieux que la situation inconfortable des mobilisations dont les thèmes ne trouvent aucun spécialiste, aucune rubrique ayant vocation à les accueillir. La lente et difficile prise en compte des revendications et mobilisations écologistes par la presse peut être corrélée à la lenteur d’émergence d’un groupe de journalistes dédiés à un service graduellement labellisé comme « environnement » [Veron, 1981 ; Sainteny, 1984 ; Anderson, 1997]. Il faut donc, pour chaque type de mouvement social, se poser la question des journalistes qui les prennent en charge, de leur place dans les hiérarchies propres au titre et au média. Le travail fondateur de Padioleau [1976] sur les journalistes spécialisés dans les questions d’éducation montre comment une nouvelle génération de journalistes s’emploie dans les années 1970 à relever un défi. Il s’agit à la fois de ne pas rabattre l’analyse des politiques d’éducation sur une grille purement politique (gauche vs droite), et de préserver une posture critique sans se couper des deux acteurs qui sont les sources 45 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 dans l’importance de la « forme affaire » comme mode de couverture des problèmes sociaux. L’affaire peut être définie comme une mise en récit opérée à partir d’une double position : celle d’un enquêteur qui va chercher des faits, celle d’un locuteur animé d’une exigence normative d’éthique et de justice qui ne peut être réduite à une arrière-pensée politique. L’affaire révèle des faits cachés et révoltants où s’illustre l’indifférence ou le cynisme d’autorités sociales prenant le risque de mettre en danger la santé, la vie, le bien-être de personnes innocentes et souvent désarmées. La capacité des mouvements sociaux à rendre leur cause éligible au statut d’affaires peut commander des différences notables de rendement médiatique, comme le montre Henry sur le cas de l’amiante [2007]. Une dernière évolution doit être mentionnée, plus propre à la presse écrite. La traque du lectorat, l’inégal attrait d’une information trop technicisée, trop abstraite ont amené à réhabiliter des modes de reportage plus ethnographiques, plus attentifs à la mise en récit de tranches de vie, de lectures du politique et du social par le bas, l’expérience des personnes « ordinaires » [Neveu, 2000]. Lorsqu’il s’applique à des mouvements sociaux, ce prisme à souvent pour effet de susciter un mode de couverture plus compréhensif ou plus compassionnel qui se distingue des dynamiques précédemment évoquées, comme l’illustrent les portraits de caissières à temps partiel par Anne Chemin dans Le Monde(25 mars 2008, p. 14) lors d’une grève des salariés de Carrefour à Marseille. Technicisation, scandalisation et compréhension ne sont pas des modes superposables de couverture des mouvements sociaux. La diversité empiriquement observable des relations entre journalistes et médias ne se plie pas à une typologie simple. Des journalistes passent commande d’un casting de personnes à interroger à des ONG, un localier surmené demande à l’organisateur d’une manifestation d’en rédiger un brouillon de compte rendu, tel éditorialiste fustige avec mépris un groupe mobilisé. Il n’y a là aucun problème d’incohérence, mais l’indication d’un impératif : partir du terrain, d’interdépendances toujours situées. Binôme ou configuration ? Prêter attention au fonctionnement des médias comme « champ » et processus de travail ne permet encore pas de dépasser une vision polarisée sur deux acteurs (les groupes mobilisés, les gens de média). La dynamique des échanges de coups et des médiations qui produisent une « couverture », ses impacts sur les acteurs, exige d’élargir l’observation des chaînes d’interdépendance. Le rôle de la police a fait l’objet d’une attention accrue [Fillieule, Della Porta 2006]. La contrainte qu’elle peut exercer sur les manifestants n’est pas que physique. Ce sont aussi des enjeux symboliques et des programmes de perception qui sont en jeu jusque dans la survenue de heurts physiques. Ceux-ci permettront-ils de constituer l’action protestataire en entreprise d’atteinte programmée à l’ordre public, de ramener le manifestant au casseur ? Vont-ils à l’inverse suggérer l’image de citoyens exerçant un droit d’expression légitime qu’entrave une intervention brutale de la police ? La banalisation des outils (caméras vidéo, téléphones portables) susceptibles d’enregistrer des séquences de violences ou d’affrontements a donné une nouvelle acuité à ces questions. Si la présence des journalistes aboutit le plus souvent à alimenter un processus de civilisation de la protestation – les manifestants ne veulent pas apparaître comme provocateurs, les policiers comme brutaux – il faut compléter ce constat. La densité des journalistes selon les événements protestataires, leur inégale empathie pour les groupes mobilisés n’assurent pas toujours d’identiques effets modérateurs. Leur regard panoptique peut être contre-productif : laisser se développer une zone de violences, le pillage de quelques magasins, pour éviter une intervention dont les réactions en chaîne seraient périlleuses risque de susciter des images qui feront blâmer le laxisme policier, produiront à l’épisode suivant un usage accru de la violence policière. Les armes de la police ne sont pas que matraques ou canons à eau. Dotée d’institutions de recherches (l’IHESI en France), poussant sur les plateaux de télévision des commissaire-philosophes (sic) capables d’opposer au verbe des universitaires des « vérités qui dérangent » et 46 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Il faut enfin évoquer les contre-mouvements. L’existence d’un niveau significatif de couverture d’un mouvement produit des effets-retours. Ils peuvent venir d’intérêts ou de groupes que la mobilisation menace ou incommode. Si elle trouve une explication sociologique première dans les luttes pour les usages de l’espace rural, l’émergence de mouvements comme Chasse Pêche Nature et Tradition doit aussi à des formes d’exaspération devant ce qui est perçu comme la confiscation du droit de parler de la nature et de la faune par des écologistes identifiés comme des urbains de classes supérieures et intellectuelles [Traïni, 2000]. Un fétichisme de l’objectivité, ou la banale quête de propos pimentés, amène parfois les journalistes à se mettre en recherche d’organisations opposantes à une cause qui réussit, offrant à des locuteurs marginalisés un espace de parole, parfois une dynamique de recrutement. Plutôt que de poursuivre un inventaire de protagonistes qui variera selon des mobilisations qui peuvent interférer avec la religion, la science… mieux vaut souligner l’intérêt pratique et programmatique de la sociologie des « problèmes publics » née aux États-Unis et illustrée par un auteur comme Gusfield [1996] et la revue Social Problems. En réencastrant la question des mobilisations dans une problématique plus générale sur la manière dont des enjeux sont (ou non) constitués en « problèmes publics », mis en débat dans un espace public, pris en main par des politiques publiques, cette approche recèle un énorme pouvoir intégrateur. leurs typologies des violences [Bui-Trong, 2000], la police contribue désormais à la définition de catégories de perception, à des classements inséparablement techniques et normatifs des formes de la protestation. Faut-il dire que l’État ne dispose pas face aux groupes mobilisés que de la police ? Qu’il n’est jamais impuissant à faire pression sur les médias publics comme privés ? Une conférence de presse, une « fuite » opportune, une action bien médiatisée d’une administration de terrain peuvent aussi affecter la perception d’une mobilisation. Produire une statistique de l’INSEE qui montre que le pouvoir d’achat de la catégorie protestataire s’est accru, montrer combien « on s’en occupe » en nommant un médiateur – si possible assidu aux sommaires de la presse people –, rappeler que le porte-parole bon apôtre d’un groupe malheureux est aussi un encarté d’un mouvement radical : autant de moyens par lesquels les pouvoirs publics peuvent peser sur la perception d’une mobilisation dans les médias. Dans la « démocratie des relations publiques » qu’explore Davis [2002], il faut prendre en compte l’omniprésence des spécialistes de la communication événementielle, institutionnelle, des relations aux médias dans les administrations et les entreprises. Schlesinger a justement proposé la notion de « professionnalisation des sources » [1992] pour rendre compte de la place croissante de professionnels du bien-communiquer au sein des institutions qui coproduisent la perception des conflits sociaux. Derville [1997] a mis ainsi en lumière les stratégies du service d’information des armées (SIRPA) face à Greenpeace lors de la reprise des essais nucléaires français. Davis montre pour sa part [2000] à propos d’un épisode de bataille boursière au sein du secteur hôtelier, combien le travail d’un réseau de professionnels des relations publiques spécialisés dans les questions économiques et financières vient définir un espace du pensable pour discuter de cet enjeu (profitabilité pour les actionnaires, viabilité des groupes, identification du meilleur management) repoussant simultanément dans le hors sujet des journalistes économiques tout questionnement relatif à l’impact de ces fusions sur les salariés du secteur et les revendications de ceux-ci. Le regard des médias  Action collective, newsworthyness et empathie Les médias parlent-ils le plus souvent en mauvais termes des mouvements sociaux, leur opposant « la morgue et le mépris » ? Un ouvrage de l’ACRIMED [Maler, Raymond, 2007] fournit une impressionnante série de matériaux en ce sens. Il met en lumière la présence partagée chez les plus en vue des éditorialistes et grands noms du journalisme français d’une matrice de perception qui déprécierait l’action protestataire. Celle-ci se trouve 47 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 associée à des postures de crispation archaïque ou corporatiste sur des avantages acquis, à une résistance butée à un changement que les lois de l’économie et le plus élémentaire pragmatisme rendraient objectivement nécessaire. Le même impensé fait des « erreurs de communication » ou de défaillances pédagogiques des puissants l’explication première du refus de mesures que tout être raisonnable ne pourrait qu’accepter. Maler et Raymond sont convaincants quand ils soulignent l’usage d’un registre qui pathologise le conflit (fièvre, passion, déraison), illustrent les inégalités d’accès à la parole entre les groupes mobilisés et ceux qui les blâment ou s’en font les ventriloques, ou lorsqu’ils montrent – à propos des mobilisations sur le « contrat première embauche » – des usages ignares ou malintentionnés de statistiques. Un ensemble de facteurs, où les routines et l’impensé du travail journalistique pèsent plus souvent que le dessein politiquement constitué de déprécier, contribuent objectivement à une mise en récit souvent peu favorable des mouvements sociaux par les médias. On y mettra au premier rang une « épistémé » journalistique, ensemble de manières de penser-classer issues d’une socialisation scolaire, d’une faible expérience sensible de la diversité des groupes sociaux, des apprentissages professionnels. Ce paramètre a été exploré par la sociologie états-unienne du journalisme. On peut en suggérer quelques acquis. Gans [1980] met en évidence la force de filtres culturels, d’un corps de valeurs partagées qui contribuent à la fois à définir ce qui est information et à en formater les interprétations. Le journalisme étatsunien valorise l’individualisme, la modération des comportements, la vision d’un capitalisme responsable qui ne peut être que modérément régulé au profit des pauvres méritants mais non des profiteurs du welfare. Gans observe combien les faits sociaux identifiables à la catégorie du « désordre » suscitent l’attention journalistique, mais sur un mode dépréciatif. Se fixant plus directement sur le journalisme politique Bennett [1997] souligne de façon convergente combien tant le rubricage que les catégories mentales des journalistes politiques sont homologues aux logiques des institutions politiques. Les grandes institutions (présidence, gouvernement, parlement), la démocratie représentative condensée dans les rendez-vous électoraux structurent prioritairement les définitions du politiquement important. Les agendas et conflits institutionnels sont l’outil premier de hiérarchisation des informations pertinentes. Dans une approche néo-institutionnaliste, Cook [1998] invite à penser les médias comme une véritable institution politique, lieu de naturalisation de patterns de décodage du politique. Il souligne la force de gravitation de l’« officialité », des sources institutionnelles. Il y ajoute ce qu’il décrit comme le faible pouvoir explicatif d’une logique de couverture de l’information par « bulles et épisodes », moins guidée par une prise en compte de ce que serait l’importance sociale des enjeux que par leur incandescence ou leur nouveauté. Gamson [1992] souligne pour sa part combien les registres dominants de l’information font peu de place à deux types de cadrage. Il s’agit au premier chef des « cadres d’injustice » par lesquels une situation est décrite comme moralement ou socialement inique ou inacceptable, cadrage peu compatible avec la posture de surplomb objectif qui a historiquement constitué le journalisme comme ordre de discours. Il en va de même pour les « cadres d’action », modes de mise en récit qui insistent sur la capacité des groupes à changer l’ordre social par la mobilisation. Une telle approche contrevient à l’objectivité et valorise des comportements qui débordent une démocratie représentative définie par l’élection. Aucune de ces analyses ne conduit à conclure au refoulement systématique des événements protestataires. Elles suggèrent un biais structurel. Les mobilisations sont, par définition, extérieures au pôle institutionnel du politique, souvent désynchronisées des procédures électorales. La focalisation sur la vie politique traditionnelle pousse à les aplatir sur une lecture politicienne (pour qui les manifestants « roulent-ils » ?). Les mobilisations sont souvent porteuses de revendications en décalage sur la doxa interprétative (les protestataires peuvent manquer de modération, incarner le désordre, défier la pure logique du marché). L’intelligence des mouvements sociaux suppose aussi de prêter attention à des mouvements lents et 48 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 montrent les exemples mobilisés par ces auteurs elles agissent avec force lorsqu’un mouvement social vient de certains groupes (fonctionnaires, salariés des transports, secteurs ouvriers décrits en buttes-témoins du passé), prend certaines formes (violences, gêne à des « usagers » nombreux ou socialement importants), et d’autant plus que l’enjeu du conflit porte sur des questions constituées politiquement, stratégiques dans une logique de reformatage libéral de l’État-providence (par opposition à des conflits salariaux ou de conditions de travail propres à l’entreprise). La couverture dépréciative fonctionne aussi plus facilement si un mouvement peut être arrimé à telle panique morale promue alors dans les agendas politiques et médiatiques. On renverra aux travaux de Cohen [1972] sur la diabolisation des mouvements de jeunes britanniques (mods et rockers) des années soixante, à ceux de l’équipe de Birmingham [Hall, Critcher, Jefferson, 1978] sur la stigmatisation d’une criminalité associée à l’immigration dix ans plus tard, ou encore à la mise en perspective de l’affaire dite du « foulard islamique » et des mobilisations concomitantes par Tévanian [2005]. En rester à ces constats serait une double simplification. Manifester, se mobiliser est désormais perçu majoritairement comme un droit, une action possible et non une agression à l’ordre public. La perception de la légitimité des mouvements sociaux, y compris chez les journalistes, a bougé depuis les années 1970. Oliver et Myers [2000] l’illustrent dans une étude sur l’accès de divers types d’événements à la presse du Wisconsin. Dès lors qu’ils atteignent un seuil minimal de participants, ne se tiennent pas trop loin des rédactions, les événements protestataires ne sont en rien refoulés, la dimension du conflit pouvant même les rendre attractifs. En second lieu il existe des situations, assez nombreuses, où la couverture des mobilisations peut être bienveillante, au moins sensible aux raisons d’agir des protestataires. Une première illustration en est offerte par les mobilisations autour de causes consensuelles, celles qui peuvent difficilement être frontalement combattues dans l’espace public. Relèvent de cette catégorie la « marche blanche » et la mobilisation anti- morphologiques du monde social, lecture peu compatible avec la logique en « bulles et épisodes ». Le temps du journalisme n’est pas celui de l’analyse académique. L’activité journalistique est confrontée à la contrainte de produire à chaud un compte rendu, d’expliquer des événements qui peuvent être opaques, non-anticipés et complexes. Une des modalités de gestion de ce défi est de ramener l’inconnu au familier, de ligoter l’imprévisible au lit de Procuste des préjugés. On en trouverait des illustrations caricaturales dans les interprétations des émeutes de banlieue de l’hiver 2005, où le travail des journalistes fut encore rendu plus périlleux par leur extériorité sociale aux groupes mobilisés, l’accueil hostile dont ils firent l’expérience et la quasi-absence de porte-parole légitimes de ces mouvements. L’ethnicisation de malaises sociaux, la survalorisation d’un schème religieux (l’islamisme), l’usage sans nuances de la métaphore du ghetto [Wacquant, 1997] permettent alors, à chaud, d’imposer un sens peu valorisant à un événement malaisément lisible. À la condition, rarement respectée, d’observer empiriquement les médiations par lesquelles ceux-ci parviennent (ou non) à faire passer leurs injonctions jusque dans les rédactions et rubriques spécialisées, le poids croissant de groupes industriels et d’hommes d’affaires dans l’actionnariat de titres et réseaux doit aussi être pris en compte. Il n’est pas incongru de poser la question de la valorisation par ces groupes de presse de mobilisations dont les objectifs sont plus d’une fois la remise en cause du pouvoir et des leviers d’influence de leurs actionnaires.  Bonnes et mauvaises couvertures Faut-il alors, avec des attendus plus sociologiques, conclure à un traitement médiatique des mouvements sociaux par les armes de « la morgue et du mépris », du silence et de la dépréciation ? S’enfermer dans la logique binaire du oui ou non serait renoncer à un éclairage sociologique. Les dispositions anti-grévistes mises en évidence par Maler et Raymond [2007] existent. Encore faut-il spécifier leur aire d’application. Comme le 49 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 ici. Si la mobilisation correspond à un conflit qui oppose des acteurs locaux, la couverture sera a priori distanciée, le pacte de lecture de la presse régionale renvoyant à l’appartenance partagée à un territoire que les rédactions répugnent à fracturer. Mais lorsque la mobilisation se déploie contre des cibles extérieures au territoire, une couverture souvent compréhensive, donnant la parole aux groupes mobilisés, n’a rien de singulier. Le traitement par les quotidiens bretons de la mobilisation des producteurs de légumes en 1998 donne un bon exemple de ce second cas de figure [Neveu, 2002]. La thèse de Simon [2008] sur la mobilisation antinucléaire de Plogoff détaille ces rapports complexes. Via les déclinaisons entre pages locales, départementales, les « infos générales » des pages d’ouverture, le même titre peut à la fois exhorter dans ses éditoriaux les villageois à la modernité nucléaire, et offrir en locale une couverture bienveillante d’épisodes marquants de la mobilisation. Un même journaliste s’oblige le jour à une rhétorique de l’objectivité mais ne refuse pas de prodiguer le soir en off ses conseils de bien communiquer aux élus hostiles à la centrale. S’il existe une tendance globale à un traitement critique des mobilisations labélisées comme les plus contraires aux impératifs de « modernisation » et de « réforme » partagés par le sens commun des grands éditorialistes des titres centraux de la presse nationale, on voit aussi qu’analyser le traitement d’une mobilisation concrète est une question empirique. Elle renvoie à l’identité des groupes mobilisés, à leurs répertoires et ressources, à l’inscription des enjeux dans un contexte politique et intellectuel, à la nature des médias et rubricards qui s’en saisissent, tout cela étant peu compatible avec une réponse globalisante a priori. pédophile en Belgique [Rihoux, Walgrave, 1997 ; Rihoux, Walgrave, 2000], une part des mobilisations antiracistes. On y associera les mobilisations cadrées comme correspondant à une notion d’intérêt général, de protection du public contre des dangers sanitaires ou environnementaux comme lors des protestations contre les marées noires, ou lors de la seconde constitution de l’amiante en problème public sous la forme d’un polluant environnemental [Henry, 2007]. Une seconde catégorie, recouvrant en partie la précédente, correspond à des mobilisations pouvant solliciter un registre compassionnel. Le sentiment d’injustice ou d’anormalité est alors socialement si largement diffusé qu’adopter un cadre d’injustice n’apparaît pas comme une mise en cause de l’objectivité. Des mobilisations en faveur de sans-logis, des grèves contre des pratiques patronales particulièrement cyniques (ouvrières de l’entreprise Maryflo en 1997 contre un contremaître sexiste) illustrent cette rubrique. Une troisième catégorie pourrait être associée à ce qui serait, du point de vue journalistique, des mobilisations « sympathiques ». Elles font jouer proximité culturelle et sociale avec le monde journalistique, prennent des formes ludiques ou à valeur ajoutée culturelle qui leur donnent l’attrait de l’originalité. La remarquable couverture obtenue par le mouvement des squats d’artistes parisiens [Drouët, 2001] qui combinait mobilisation, fait de société et création artistique, en est une bonne illustration. Audelà de ces cas, la course aux armements symboliques ne tourne pas toujours à la défaveur des groupes mobilisés. Saisir la variété des registres de couverture médiatique c’est aussi prendre en compte la diversité des presses et réseaux. La spécialisation thématique des chaînes, l’importance de la presse spécialisée en France créent une série de supports qui, pour ne pas atteindre le public des médias généralistes, offrent des niches favorables à diverses mobilisations. Pink télévision ne maltraite pas les mouvements homosexuels, les magazines dédiés à la chasse et à la pêche font échos aux revendications des chasseurs. Contre un tropisme jacobin, il faut aussi rappeler que 70 % des quotidiens vendus en France sont des titres de presse régionale. Une dichotomie simple dans son principe peut être suggérée Une reconquête de l’autonomie médiatique ? La prise en compte des réseaux transnationaux d’activistes, l’attention à la presse alternative, aux outils de communication en ligne ont figuré parmi les développements récents du chantier d’analyse des mouvements sociaux. Rucht [2004] propose de penser les stratégies médiatiques des mouvements en quatre A. Trois stratégies auraient longtemps prévalu. Le A d’abstention 50 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 signale des comportements faisant de nécessité vertu, renonçant à des stratégies de quête d’une couverture médiatique soit qu’elle se fasse sans cesse attendre, soit qu’on l’anticipe comme critique. Le A d’attaque désigne des stratégies agressives, de contestation et de défi frontal, comme lorsqu’Act Up s’en prit aux médias états-uniens dans une séquence où ils identifiaient le SIDA à une maladie d’homosexuels. Le A d’adaptation ramène, lui, à l’idée de course aux armements symboliques, aux stratégies de mouvements comme Greenpeace qui s’emploient à chevaucher les logiques médiatiques pour obtenir une forte couverture. Cette typologie gagnerait à être pensée moins comme un espace de choix que comme la négociation de contraintes. La sociologie des problèmes publics suggère que les stratégies agressives sont souvent celles d’entrants, de gestes inauguraux destinés à mettre le pied dans la porte des rédactions, le fait de groupes à faibles ressources médiatiquement convertibles. Dans le cas français, une part des tactiques médiatiques d’Act Up, après une intervention controversée au Sidaction de 1996, aura été d’apprivoiser une agressivité calibrée de plus en plus « adaptée » à une bonne couverture médiatique. Quant à l’abstention, il faudrait y distinguer ce qui relève de la résignation, du refus conscient de ce qui serait compromission aux exigences des médias, mais encore de ce qui peut être une absence de besoin des médias pour des groupes disposant d’accès routinisés aux arènes de décision. La typologie de Rucht ajoute un quatrième A : alternatives. Il s’agit alors pour un mouvement de produire ses propres médias, de toucher un public élargi sans passer sous les fourches caudines de la presse nationale et des télévisions généralistes. La question ramène à l’autonomie médiatique des mobilisations qu’on pensera comme re-conquête et non invention, réagissant ainsi à la tendance à attribuer à de « nouveaux » mouvements sociaux l’expérimentation de pratiques souvent anciennes (le journal Chartiste Black Dwarf remonte à 1817…) symptômes : crise de la presse partisane, prise en charge par une presse commerciale de causes et publics un moment liés à une presse militante (consommation, homosexualité), rétraction de pratiques comme la diffusion de tracts, le collage d’affiches ou le porte à porte. Une série d’évolutions suggère non un retour au statu quo ante, mais la structuration d’un autre réseau d’outils de communication autonomes. L’essor de ce qu’il est convenu de nommer médias alternatifs – tant au plan international [Downing, 2001] que dans des espaces locaux [Ferron, 2004] – mériterait à lui seul une analyse attentive, par sa capacité par exemple à introduire la « forme affaire » et des régimes de dénonciation vigoureux contre le monopole d’une presse régionale complaisante aux notables locaux. Mais l’outil structurant d’un réseau de communication tant interne qu’externe pour les mouvements sociaux aura été Internet [Granjon, 2001], parce qu’il permettait à la fois de créer un espace de parole et de développer une critique en actes des médias institués. Par simplification on ramènera à cinq thèmes l’argumentaire mouvementiste en faveur de ce média. Il offrirait en premier lieu des possibilités de coordination et de maintenance d’organisation assurant un compromis remarquable entre faible coût en temps et argent, souplesse, conjuration des logiques centralisatrices. La capacité du web, des listes de diffusion à se jouer des frontières constitue un second argument quant au caractère international de l’outil [Ollitrault, 1999]. Avec plus ou moins de naïveté ou de quant à soi critique l’idée d’instituer un authentique espace public, horizontal, ouvert, égalitaire et sans coûts d’accès matériels ou symboliques constitue un troisième registre de plaidoyer. L’Internet militant combine là les vertus de l’éducation populaire. Il catalyse réflexivité et actions. Une quatrième argumentation se fixe sur les capacités de diffusion de l’information. Les sites en ligne présentent ici deux avantages. Celui quantitatif, de rendre accessible des masses énormes d’information, allant d’échanges sur un forum de discussion à des brochures téléchargeables. Mais ces avantages sont aussi qualitatifs et directement politiques en faisant sauter deux barrages du système http://www.mouvements sociaux.org La tendance lourde à une moindre autonomie médiatique des mouvements sociaux était lisible à divers 51 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 facilité d’accès à un terminal n’est pas davantage identique à Oxford, Kotayam ou Niamey. Quant à la promesse d’une communication égalitaire et horizontale, elle est démentie par les études qui se confrontent aux simples questions : qui intervient ? Quelle est la structure de contribution au flux des messages [Le Grignou, Patou, 2004] ? Ce que montrent ces études de cas est au contraire la concentration de la production de messages entre peu de mains. Ethnographies et casestudies donnent même parfois le sentiment que le web engendre un espace d’autant plus virtuel que les militants y parlent aux seuls militants dans l’illusion que ce bavardage autoclave prépare les soulèvements populaires de demain. Si des débats à la fois ouverts et répondant à un impératif d’argumentation – et non de « monologues interactifs » – existent, ce n’est que sur des sites où ils sont encadrés par des règles et une police de la discussion. Un troisième rappel au réel tient à la persistance d’une forte sélectivité quant aux sites et espaces de production d’information qui réussissent à être « référencés », à contaminer de leurs questionnements les médias officiels. Cardon et Granjon [2006] le montrent dans de très éclairants tableaux des thèmes qui sortent (ou non) de l’espace de débat militant. Une étude de Maratea [2008] sur la blogosphère états-unienne rend visible les processus de sélectivité et de hiérarchisation qui font que quelques sites acquièrent la crédibilité et l’attention qui les fait relayer par les médias traditionnels. Si existe l’équivalent de possibilités d’irruption dans l’espace public des médias légitimes, c’est au prix d’une sélection (la « Googlearchy ») qui valorise d’une part les sites militants les plus professionnels, ou sur un mode ambigu ceux capables de propulser les rumeurs les plus singulières. En reprenant une catégorie de Klandermans et Oegema [1987], on rappellera aussi que la plus réussie des « mobilisations du consensus » par un travail de communication ne donne pas à soi seule de garanties de passage à l’acte dans la « mobilisation de l’action ». Le temps passé devant les claviers est souvent soustrait à celui des formes classiques et efficaces de contact direct avec les groupes à mobiliser. traditionnel de gate-keeping journalistique [Cardon, Granjon 2006]. Les sites contrôlés par les mouvements permettent le retour dans l’espace public d’une « critique en colère », non engluée dans le compassionnel. On rappellera pour illustration qu’un des sites les plus consultés lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen fut celui bricolé par un professeur de SES des Bouches-du-Rhône. Les sites alternatifs constitueraient aussi un cheval de Troie permettant d’introduire dans les sources et questionnements des médias traditionnels des thématiques censurées ou ignorées. C’est dire qu’un cinquième argument d’efficacité est sous jacent. L’Internet militant porte la promesse d’une sortie hors de l’autisme groupusculaire ou du travail de conviction des convaincus pour atteindre, en ligne ou par ricochet, un public global. Utopies technologiques et logiques sociales Comme le souligne Flichy [2008] il serait ridicule de nier les changements objectifs engendrés par les usages militants d’Internet. Y figurent l’accessibilité à partir de tout terminal d’une masse énorme de matériaux critiques, l’interconnexion d’énergies militantes au-delà des frontières. En relèvent encore une capacité démontrable sur des cas précis (forums sociaux, contresommets) de coordonner des rendez-vous militants, de leur donner assez de lustre pour rendre obligatoire leur couverture jusque par les médias les plus conservateurs, et donc de faire accéder à l’espace public des médias officiels des thèmes et critiques. Mais des faits têtus sont sous-estimés tant par les militants que par des chercheurs amoureux de leur objet ou souscrivant à un déterminisme technologique. Déplacer des locaux enfumés d’une maison du peuple ou de la salle municipale vers un forum en ligne l’espace des interactions militantes ou de la diffusion des idées n’abolit en rien le « cens caché ». La capacité à s’intéresser aux enjeux politiques et sociaux, à formaliser par écrit des opinions reste inégalement distribuée. S’il abolit des barrières, l’usage de l’informatique en crée d’autres : des variables d’âge et d’accoutumance créent de l’inégalité devant le clavier et l’écran. L’usage obligé de l’anglais dans une partie des réseaux est un autre filtre. La 52 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 complexité des chaînes d’interdépendances rendent le social illisible et problématique la notion même de « responsable », des actions capables à la fois de raccourcir et de donner des visages à ces rapports abstraits de pouvoir peuvent être d’une grande force. Les scènes où le cinéaste Michaël Moore apporte à un dirigeant du lobby des armes une balle tirée du corps d’un adolescent, ou mettent publiquement le patron de Nike devant l’écart entre salaires dans ses usines indonésiennes et prix de vente des chaussures en sont des illustrations. Pour ne pas se polariser sur le seul Internet il faut être attentif à d’autres initiatives qui visent à la fois à toucher un public élargi et à échapper aux formatages que requièrent les médias dominants. La basse intensité technologique peut alors révéler un potentiel rare à mobiliser en combinant mise en branle de l’émotion et de la réflexivité. Tel est le cas des escraches argentins, actions de rassemblement devant le domicile d’anciens tortionnaires, qui donnent dans l’espace urbain une incarnation concrète au problème de l’impunité. Dans un monde « globalisé » où l’extension planétaire et la 53 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 Médias et « médiactivisme » (F. Granjon) La dimension symbolique des mouvements sociaux participe à part entière à l’existence des luttes sociales. Créer l’événement, travailler à sa mise en scène, produire une représentation la plus autonome possible de ses propres intérêts et de son identité est essentiel pour les agents de la critique sociale. L’on sait que celui qui sélectionne et présente l’information détermine en majeure partie l’horizon événementiel au sein duquel elle fait sens et s’ouvre à la compréhension. La maîtrise des supports d’information et des accès à l’opinion publique se présente donc comme l’une des gageures essentielles de l’action collective. Sans image publique, les mouvements sociaux ne peuvent en effet guère prétendre à l’efficacité car, comme le rappelle Patrick Champagne, « les malaises sociaux n’ont une existence visible que lorsque les médias en parlent ». Et d’ajouter : « Les malaises ne sont pas tous également “médiatiques” et ceux qui le sont, subissent inévitablement un certain nombre de déformations dès qu’ils sont traités par les médias car, loin de se borner à les enregistrer, le champ journalistique leur fait subir un véritable travail de construction qui dépend très largement des intérêts propres à ce secteur d’activité » (Champagne, 1993, p. 61). donner, ils restent un point de passage obligé pour atteindre l’opinion publique et s’assurer une représentation sociale élargie. La construction et la structuration des luttes sociales ne peuvent donc généralement éviter de mobiliser le relais des médias dominants. Ils sont en effet les plus à même d’assurer l’ouverture à la communauté plus globale des citoyens (mobilisation du consensus), de contribuer à l’élargissement du potentiel de mobilisation de l’action et de permettre l’éventuelle imposition d’un sens partagé. D’ailleurs, la plupart des mouvements sociaux ne considèrent pas la nécessité de prendre en charge leur propre représentation comme devant être synonyme d’une défiance totale vis-à-vis des médias dominants. Le mouvement d’évitement des intermédiaires spécialisés n’est généralement pas appréhendé dans une logique de substitution mais plutôt dans une perspective d’articulation pouvant servir les processus de mise en visibilité et de montée en généralité. L’utilisation stratégique des médias par les mouvements sociaux L’investissement de la scène politico-médiatique par les mouvements sociaux reste donc l’un des principaux moyens pour inscrire la critique sociale dans le débat public et « doter la protestation d’un langage », ce qui signifie « transformer le malaise vécu en injustice, en scandale, le légitimer au regard d’un système de normes et de valeurs. […] Donner un langage, c’est aussi désigner des responsables, formuler des revendications en forme de solutions » (Neveu, 1996, p. 89). Les militants connaissent de mieux en mieux les logiques et les pratiques inhérentes à la médiasphère, clause nécessaire à la négociation de leur présence dans les pages, sur les écrans et sur les ondes. L’accès aux faveurs de l’opinion publique et l’assurance d’une visibilité maximum nécessitent ainsi un ticket d’entrée qui passe par des stratégies d’intéressement si ce n’est même par une collaboration explicite avec les médias dominants. L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique Les conditions d’accès des mouvements sociaux à l’espace public restent encore largement soumises au traitement de la conflictualité sociale par les médias dominants. Dire le sens en lieu et place des intermédiaires convenus (les journalistes), produire ses propres cadres d’interprétation et construire des scènes d’apparition publiques alternatives est un idéal qui parfois ne peut être atteint (par manque de ressources, de compétences, etc.). Réduire sa dépendance à l’égard des grands vecteurs de communication et stabiliser son autonomie médiatique n’est pas toujours possible. Et même si les médias dominants présentent le plus souvent les acteurs de la critique sociale sous un jour qui ne correspond pas franchement à l’image que ces derniers entendent se 54 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 L’enrôlement des professionnels de l’information s’effectue parfois du fait du caractère inédit de certains répertoires d’action ou de la portée symbolique de certaines actions « conformes à la définition sociale de l’événement digne de faire la une » (Champagne, 1993). De la même façon que Champagne désigne par l’expressionmanifestations de papier (1990) les convocations du nombre, qui, outre les objectifs classiques de ce type d’action, visent aussi à produire une image positive de la mobilisation et des revendications à l’intention des médias, il existe également des contenus spécifiques (communiqués de presse, sites web, blogs, etc.) « pour journalistes », qui participent de « stratégies de captation de l’attention médiatique » (Neveu, 1996, p. 89). La valeur de certains de ces contenus tient donc pour partie au potentiel de rendement médiatique qu’ils constituent. C’est par exemple le cas de l’information « en ligne » produite lors des forums sociaux mondiaux par les organisations qui y participent. Riche d’analyses argumentées et de panoplies interprétatives qui la plupart du temps sont déployées par des entrepreneurs de mobilisation parmi les plus en vue du mouvement altermondialiste, elle retient l’intérêt des journalistes qui y voient d’utiles compléments à leur propre production et matière à renouveler leurs routines interprétatives. La critique des médias dominants Au sein des mouvements sociaux, la critique des médias est de facto une cause entendue et transverse. Ils sont largement considérés comme la courroie de transmission idéologique des intérêts dominants et leurs dysfonctionnements appréhendés comme des effets assez directs de leur concentration économique, de leur financiarisation et de leur dépendance vis-à-vis des lois du marché et du champ politique. Les médias dominants s’éloigneraient ainsi de plus en plus d’un modèle théorique de l’espace public médiatique servant la pluralité et la démocratie. Mais la critique des médias dominants constitue également une cause particulière pour certains groupements qui construisent des mobilisations spécifiques autour des enjeux informationnels. Médias alternatifs, watchdogs , associations de démocratisation de l’accès à l’information, collectifs de militants de l’« internet citoyen et solidaire », etc., ambitionnent de mettre en œuvre leurs propres dispositifs de production d’information et/ou de démocratiser les médias en agissant sur leurs messages, leurs pratiques, leurs organisations et le contexte réglementaire qui les régit. Cette contestation multiforme de l’ordre médiatique révèle par ailleurs un ensemble de contradictions qui ont trait à la nécessité de structurer cette critique et de construire des stratégies d’action permettant d’intervenir efficacement dans ce domaine. Elles sont également liées aux tensions qui opposent les tenants d’une critique des médias de typecontrehégémonique (Acrimed, Observatoire français des médias, Media Watch Global, Fairness and Accuracy in Reporting, Observatorio global de medios, etc.) orientant pour l’essentiel leurs revendications vers un contrôle et une réforme radicale de l’espace public médiatique et les média-activistes (Indymedia, Samizdat, Cmaq, Direct Action Media Network, Telestreet, Sindominio, Sherwood Comunicazione, etc.) qui considèrent plus important de construire un espace médiatique alternatif à côté des médias dominants (Cardon et Granjon, 2005). Il faut cependant noter qu’à moins de créer à proprement parler l’événement en ayant recours à des modes d’action non routinisés, la réussite de l’utilisation stratégique des médias par les mouvements sociaux dépend également de fortes contraintes extérieures sur lesquelles les agents de la lutte sociale n’ont finalement que peu de moyens pour faire levier, en particulier en ce qui concerne la gestion du calendrier de l’actualité. Par ailleurs, les professionnels de l’information sont souvent rétifs à la présentation publique d’un cadre d’interprétation construit par les protagonistes des luttes, auquel ils préfèrent une construction personnelle des faits. Les usages stratégiques des médias dominants par les mouvements sociaux et l’existence de ces « liaisons dangereuses » entretenues entre les agents de la conflictualité sociale et ceux du champ journalistique prennent donc aussi forme sur fond de défiance mutuelle. Principalement fondée sur un principe de dénonciation des appareils idéologiques de domination et des contenus 55 Parcours Communication – Semestre 4 (L2) ECUE Communication & militantisme- 2017-2018 produits par les médias dominants, la critique des médias défend la nécessité d’armer les citoyens afin qu’ils soient en mesure de répondre aux agressions symboliques et à l’oppression idéologique dont ils seraient les victimes. Dénonçant la « marchandisation de la culture et de l’information », « l’homogénéisation de la pensée », la « normalisation de l’imaginable », « l’empoisonnement des consciences » ou encore le « nouveau colonialisme symbolique », elle prône une « décontamination » des médias et revendique un « droit de savoir des citoyens ». En la matière, la défense de l’information en tant que bien public, la revendication d’un exercice libre, contradictoire et pluraliste de l’expression et la défense d’un droit à la communication sont les fondements à partir desquels est envisagée la reconstruction d’un « autre espace médiatique ». Ce que la critique des médias n’envisage en revanche qu’à la marge et que les média-activistes mettent au cœur de leurs actions concerne les questions des rapports sociaux qui fondent le travail de production de l’information. Les média-activistes mettent surtout en avant la nécessité de refonder une pratique médiatique perspectiviste qui ne soit pas en décalage avec les expériences sociales des producteurs d’information. Ils fondent en acte des pratiques visant notamment à dénaturaliser la différence entre émetteurs et récepteurs, producteurs et consommateurs. Ils posent ainsi la nécessité d’un exercice participatif de construction de l’information selon des modalités autogestionnaires qui tranchent avec les normes d’une presse envisagée comme devant avoir la fonction d’agence de propagande. Les médias alternatifs ont alors pour vocation de décloisonner les savoirs et les publics et de révéler les antagonismes sociaux à partir d’outils de production dont les référents ne sauraient être ceux des médias dominants (verticalité, objectivité, professionnalisation, massification, etc.), même passés aux mains des forces progressistes. instruments collectifs d’expression qui ne soit pas seulement fondée sur une critique de l’information, mais porterait aussi sur les enjeux structurels du système médiatique. La critique et la dénonciation des médias dominants gardiens de l’ordre social s’accompagne donc en ses marges de la mise en œuvre de médias de la critique et de pratiques alternatives de communication dont l’objectif est d’assurer a minima le contrôle des structures d’interprétation et des cadres de perception de l’injustice sociale. Les initiatives allant dans ce sens se sont multipliées ces dernières années, révélant l’émergence d’un militantisme informationnel (c’est-à-dire une activité militante centralement orientée vers la production et/ou la diffusion d’information). Ces formes spécifiques de mobilisation se sont largement intéressées aux technologies de communication les plus récentes et en particulier internet, qui ont permis un renouvellement de la gestion symbolique de la conflictualité sociale en apportant à ceux qui se mobilisent des moyens d’expression inédits (Granjon, 2001, 2005). Le réseau des réseaux a ouvert des nouveaux processus collectifs d’énonciation et a permis un changement dans la facture fictionnelle de l’exercice publicitaire des luttes sociales. Pour le mouvement altermondialiste, internet a contribué à l’édification d’un répertoire médiatique transnational fait de communautés d’action et d’espaces de représentation variés, au sein duquel les dimensions à la fois locale, nationale et internationale s’interpénètrent de façon forte. Sans avoir les moyens d’avancer que de telles arènes médiatiques contribuent effectivement à la mobilisation de l’action, on peut toutefois penser que leur existence permet au moins d’assurer une meilleure représentation des intérêts des luttes altermondialistes et contribue à la construction symbolique des identités d’un mouvement hétérogène, au-delà des cercles militants qui travaillent directement à son édification. 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