Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
COMMUNICATION
&
MILITANTISME
Enseignant : Benjamin Ferron
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Université Paris-Est Créteil
Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
Parcours Sciences de l’Information et de la Communication
Licence 2
année 2017 - 2018
2
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Sommaire
Présentation du cours ............................................................................................................................................... 4
Cours magistral ..................................................................................................................................................... 4
Travaux dirigés ...................................................................................................................................................... 4
Informations pratiques............................................................................................................................................. 5
Calendrier des cours............................................................................................................................................. 5
Modalités d'évaluation ......................................................................................................................................... 6
Pour joindre l’enseignant..................................................................................................................................... 6
Bibliographie du cours ............................................................................................................................................. 7
Sujets de dissertation/Exposés ............................................................................................................................. 10
Méthodologie ........................................................................................................................................................... 11
1. L’exposé ........................................................................................................................................................... 11
2. La dissertation................................................................................................................................................. 12
3. La discussion ................................................................................................................................................... 14
Lectures obligatoires............................................................................................................................................... 15
Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris, La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26. . 16
Dimensions de l'action collective ........................................................................................................................... 17
La composante politique des mouvements sociaux .................................................................................................. 20
Une arène non institutionnelle ?............................................................................................................................. 24
Instituer l'action collective : répertoires et organisations ........................................................................................ 26
Espaces des mouvements sociaux ......................................................................................................................... 29
James C. Scott, « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29 ................. 31
Le texte caché : une posture vaine ? ...................................................................................................................... 32
La résistance souterraine ..................................................................................................................................... 34
Contamin Jean-Gabriel, « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71 ............................ 37
Notes .................................................................................................................................................................. 40
Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les mouvements sociaux, Paris, La
Découverte, «Recherches», 2010 ...................................................................................................................... 41
La course aux armements communicationnels ........................................................................................................ 41
Conjurer le médiacentrisme .................................................................................................................................. 44
Une reconquête de l’autonomie médiatique ? .......................................................................................................... 50
Médias et « médiactivisme » (F. Granjon) ....................................................................................................... 54
L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique .............................................................................................. 54
L’utilisation stratégique des médias par les mouvements sociaux ............................................................................. 54
La critique des médias dominants .......................................................................................................................... 55
L’émergence d’un militantisme producteur et diffuseur d’information ....................................................................... 56
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Présentation du cours
Ce cours analyse, du point de vue de la sociologie politique, les stratégies de communication
mobilisées par les groupes militants. Ces stratégies renvoient à l'ensemble des instruments de
médiation et de médiatisation employés par des organisations citoyennes, professionnelles ou
politiques - partis, syndicats, associations, groupes d'intérêt, collectifs informels ou réseaux –
qui cherchent à publiciser leurs revendications et tentent de recruter de nouveaux membres et
bénéficier du soutien des dirigeants, des médias ou de l’opinion publique. Positionné au
quatrième semestre du Parcours Communication (niveau Licence 2), le cours se déroule sur
douze séances (voir calendrier ci-après). Chaque séance est organisée autour d’un cours
magistral (1h) et d’une séquence de travaux dirigés (1h20).
Cours magistral
Qu'il s'agisse d'organiser la communication interne, d'accéder et de séduire les médias de masse ou de
créer des réseaux de communication « alternatifs », le répertoire médiatique des organisations
militantes inclut une palette diversifiée de moyens d'action : la communication interpersonnelle à
l’occasion de la formation des militants ou d’opérations de porte-à-porte ; l'utilisation d’un microphone
ou de haut-parleur lors des réunions publiques ; l'affichage dans les rues et la diffusion de tracts ; la
rédaction de communiqués de presse ou l'invitation de journalistes à des événements tels que des
meetings, des manifestations ou des conférences de presse ; la publication de tribunes ou d'annonces
dans les journaux, la participation de militants à des émissions de radio ou de télévision ; la création de
mailing lists, de forums en ligne, le lancement d'un site Internet ou l'utilisation des réseaux sociaux ; la
création de journaux militants, de « radios libres », de télévisions associatives, le piratage informatique
ou l'utilisation de logiciels libres. Depuis les années 1970 environ, on observe ainsi dans les pratiques
militantes une véritable « course aux armements communicationnels » (Neveu, 2010) qui a des
incidences sur la division du travail au sein des organisations militantes, le profil et les compétences
réelles et attendues de leurs membres, le travail des journalistes et les relations qu'ils entretiennent avec
leurs sources d'information, ainsi que l'émergence d'un militantisme spécialisé dans les questions
d'information et de communication médiatiques. Les pratiques militantes en matière de communication
contribuent ainsi à politiser un discours - enjoué ou critique selon les cas - sur les médias et le
journalisme qui participe d’une reconfiguration des règles du jeu politique.
Travaux dirigés
Les travaux dirigés sont destinés à approfondir le cours magistral en faisant travailler les étudiant.e.s en
groupe sur des études de cas. Chacun.e d’entre vous doit renforcer et mobiliser des compétences
générales (recherche documentaire, qualités d’analyse et de synthèse, réflexivité critique, capacités à
problématiser une réflexion et structurer un plan argumenté, techniques d’écriture et de présentation
orale, référencement des sources bibliographiques et documentaires) et des compétences spécifiques
(concepts et théories de la sociologie de la participation, de l’action collective, des mouvements sociaux,
du militantisme, du journalisme, des médias…). La première séance de TD est l’occasion de présenter
le programme et les consignes méthodologiques, ainsi que de constituer les groupes de travail et de
répartir les sujets. Les séances 2 à 4 sont consacrées à des lectures et des discussions autour de textes
du dossier (voir ci-après). Les séances 5 à 11 sont organisées autour des présentations orales des
dissertations, de discussions avec le reste du groupe et de mises au point méthodologiques.
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Informations pratiques
Calendrier des cours
29/01/18
Chap.1.
05/02/18
Chap.2.
12/02/18
Chap.3.
19/02/18
Chap.4.
05/03/18
Chap.5.
12/03/18
Chap.6.
19/03/18
Chap.7.
19/03/18
Chap.8.
26/03/18
Chap9.
9/04/18
Chap.10.
16/04/18
Chap.11.
30/04/18
Chap.12.
Cours magistral
(12x1h)
Militantisme, communication et
construction des problèmes publics
(13h30-14h30)
Les sens du militant : engagement
corporel et dispositifs de sensibilisation
(13h30-14h30)
Les voix de la contestation : silences,
murmures et prises de parole
(13h30-14h30)
TD1
TD2
TD3
Les discours protestataires : luttes
TD4
symboliques et enjeux de cadrage
(13h30-14h30)
Vacances d’hiver (26/02/18)
La tactique des TIC : instruments de
TD5
communication des mobilisations
collectives (13h30-14h30)
Le journaliste et ses sources militantes :
TD6
la médiatisation des mouvements sociaux
(13h30-14h30)
Se rendre visible et légitime: les
TD7
stratégies médiatiques des entrepreneurs
de cause (13h30-14h30)
Des médias « alternatifs » : amateurs et
TD8
professionnels de la communication
militante (13h30-14h30)
Media movements : la politisation du
TD9
problème des inégalités médiatiques
(13h30-14h30)
Lundi de Pâques (02/04/18)
Le contrôle des arènes publiques :
TD10
militantisme, communication et Etat
(13h30-14h30)
Militer à l’ère néolibérale : économie
TD11
symbolique des luttes contre l’idéologie
dominante (13h30-14h30)
Vacances de Pâques (23/04/18)
La communication militante, levier ou
TD12
produit du changement social ?
(13h30-14h30)
5
Travaux dirigés
(12x1h20)
Méthodologie & répartition des travaux
14h30-15h50
Discussion sur les textes n°1 et n°2 du
dossier
14h30-15h50
Discussion sur les textes n°3 et n°4 du
dossier
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
Exposé(s) / discussion(s)
14h30-15h50
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Modalités d'évaluation
A l’issue du cours, chaque étudiant.e obtiendra deux notes principales. La première (50 % de la note)
sera attribuée à un travail seul ou en groupe qui prendra la forme d’une dissertation écrite (25 %),
présentée en exposé oral (15 %), et complétée par la discussion d’un autre exposé (10 %). La seconde
(50 % de la note) sera attribuée à un examen final sur table (dissertation, 2h).
Pour joindre l’enseignant
Adresse email : benjam1ferron@gmail.com
Bureau 411 – Immeuble La Pyramide – 80, avenue du Général de Gaulle – 94010 Créteil
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Bibliographie du cours
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Sujets de dissertation/Exposés
Entre militantisme et journalisme : le réseau des Centres de Médias Indépendants Indymedia (1999-2013)
● Produire et diffuser de l’information sur les droits de l’homme : le cas de l'ONG B'Tselem (Israël) ●
Les stratégies médiatiques de la « Commune » d'Oaxaca (Mexique, 2006) ● Le théâtre de l'opprimé :
mise en scène de luttes, luttes de mise en scène ● A quoi sert un tract ? ● Musique et politique : le hiphop ● Communication et pédagogie alternative à Summer Hill (Grande-Bretagne) ● La communication
des Indignados (Espagne) ● L’enjeux de la communication dans le mouvement Nuit Debout (France) ● Le
Média : entre information et militantisme (France, 2017-2018) ● La communication du mouvement des
paysans sans terre (Brésil) ● Pourquoi le mouvement de la Décroissance a-t-il mauvaise presse ? ● La
communication des mobilisations à faibles ressources (1) : le cas des handicapés ● La communication
des mobilisations à faibles ressources (2) : le cas des prostituées ● Les manifestations de policiers en
France : une contestation policée ? ● Le site revolutionpermanente.fr : agenda et cadrage de l’actualité
militante ● L'artivisme ou l’art du militantisme ● La campagne « Dégooglisons Internet » de Framasoft
● Médias anarchistes : le cas du réseau Sedna Médias libres ● Le mouvement pour la défense de
l’Espéranto ● Communication et mouvements « anti-pub » ● La communication des ONG de
solidarité internationale : le cas de Médecins sans frontières ● La communication dans le mouvement
du Tea party (Etats-Unis) ● Militer à l’extrême-droite : le cas du Bloc Identitaire en France (2003-2017)
● Le mouvement anti-apartheid et les médias (Afrique du Sud) ● La « Manif pour tous » : discours et
traitement médiatique ● La communication internationale du mouvement Ogoni (Nigéria) ● Le
traitement médiatique de la « révolution des parapluies » (Hong Kong) ● Les mobilisations pour une
« gouvernance démocratique » d'Internet ● Reporters sans frontière : la construction de la « cause » de
la liberté de la presse ● Le droit à la communication des minorités ethniques ● La communication des
mouvements contre la dictature de Pinochet (Chili) ● Les Samizdat (Russie et ex-bloc soviétique) ● La
communication des organisations syriennes de défense des droits de l’homme ● Les aborigènes et la
communication communautaire (Australie) ● L’affiche militante : conception, signification, usages ●
Propagande et contre-propagande sous le régime sandiniste (Nicaragua) ● La communication dans le
mouvement Occupy Wall Street (Etats-Unis) ● Sea Shepherd : les pirates de l’écologie ? ● Le BDjournalisme et le reportage de guerre ● Le clicktivisme : que signifie « militer » sur les réseaux sociaux ?
● La communication des organisations patronales : un militantisme politique dépolitisé ? ● Les
mobilisations contre les inégalités médiatiques : du rapport MacBride (1981) au rapport de l’International
Panel on Social Progress (2016) ● La communication dans le mouvement Piqueteros (Argentine) ● Les
stratégies de communication des mobilisations Our Walmart ● A quoi servent les e-pétitions ? Le cas
d’Avaaz
Remarques : cette liste de sujets est indicative. Vous pouvez choisir un sujet tel quel ou bien, avec l’accord préalable de
l’enseignant, le modifier ou en proposer un nouveau. Le sujet doit porter sur le thème du cours « Militantisme et communication ». Il
peut être lié à l’actualité du moment ou avoir une dimension plus historique. La dissertation doit avoir une longueur de 3 pages
maximum (voir consignes ci-après). L’article doit mentionner obligatoirement les sources d’information ou les outils d’analyse utilisés
(notes de bas de page avec références bibliographiques). Votre travail devra reposer sur une revue de presse (cf. outils Europress ou
Factiva disponibles via le site de la médiathèque de l’UPEC) et la lecture de travaux scientifiques dans le domaine des sciences
sociales (cf. portails Cairn, Persée, BiblioSHS, etc.). L’utilisation de matériaux originaux (photographies personnelles, interviews,
observations directes des événements relatés, etc.) est fortement encouragée dans le cadre de cet exercice.
Critères d’évaluation : le choix et la problématisation du sujet ; l’ampleur et la qualité du travail de recherche de sources
documentaires et de la bibliographie scientifique ; le travail de structuration de l’argumentaire (titre ou sous-titres, enchaînement des
parties et des paragraphes, conclusion) ; la qualité de l’expression et la correction orthographique ; le référencement des sources et de la
bibliographie (y compris liens html).
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Méthodologie
1. L’exposé
L’exposé (15 % de la note) dure 15 minutes maximum. Veillez à bien respecter le temps qui
vous est imparti, sous peine d’être interrompu avant la fin de votre exposé. Vous devez vous
émanciper de vos notes au maximum. Des supports multimédias sont autorisés, dans la mesure
où ils viennent appuyer la démonstration : un des objectifs de l’exposé est d’acquérir une
maîtrise de l’argumentation orale en public.
Les exposant-e-s doivent fournir le plan détaillé photocopié de leur exposé à l'enseignant et
aux étudiants, avant de commencer, en y faisant figurer le numéro de leur groupe et les noms
des membres du groupe, le thème de la séance du jour et leur sujet d'exposé. Si le détail du plan
peut varier, il doit impérativement faire apparaître une introduction et une conclusion
problématisées et rédigées, des titres clairs et soignés. Le nombre de parties est libre (deux, trois
voire quatre), mais la hiérarchie des titres doit comporter au moins trois niveaux (I, I.1., I.1.2.,
etc.). Le plan détaillé ne doit pas dépasser une feuille recto/verso
Les exposés sont évalués selon cinq critères :
1) L’analyse du sujet (concepts et contexte d’énonciation) et la problématique
dégagée de cette analyse.
2) Les recherches bibliographiques et lectures effectuées : quantité, variété et
originalité des références mobilisées; bonne compréhension des lectures (précision et
honnêteté dans la restitution, utilisation pertinente des références bibliographiques par
rapport au sujet et à la problématique).
3) La cohérence et la pertinence du plan, des arguments, des exemples utilisés.
4) La qualité de l’exposé oral : respect du temps, rythme, débit de la parole, distance
aux notes écrites, mobilité. Un exposé reposant sur la seule lecture d’un texte
préalablement rédigé aura une évaluation négative pour la qualité de la présentation
orale. Un exposé présenté entièrement sans support écrit aura à l’inverse une bonne
évaluation sur ce point.
5) La capacité à répondre aux questions ou objections.
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
2. La dissertation
Chaque groupe devra rendre une dissertation sur son sujet (25 % de la note).
Objectifs de la dissertation :
Entraînement à l’utilisation de sources bibliographiques, de concepts et d’outils fondamentaux
relevant de la science politique, de la sociologie et des sciences de l’information et de la
communication ;
Développement des capacités d’expression, d’organisation et d’articulation des idées ;
Amélioration des capacités d’analyse et d’évaluation critique ;
Compréhension et acceptation des approches/analyses souvent contradictoires sur un sujet
donné ;
Formulation traditionnelle des sujets :
Une question qui suppose que l’étudiant prenne position (sur la base d’arguments
scientifiques) ;
Une affirmation / une citation controversée, suivie d’une demande de commentaire ou
d’évaluation critique ;
Une affirmation non problématisée impliquant qu’il revient à l’auteur de déterminer lui-même la
problématique soulevée par un tel sujet.
Problématique :
La problématique consiste à choisir un angle, sous la forme d’un questionnement pertinent à
partir duquel vous élaborez une démonstration s’enchaînant logiquement et répondant à la question
posée par le sujet.
Pour trouver ou affiner une problématique, il est nécessaire de mettre en relation la nature de la
question posée avec le domaine de connaissance de l’objet à étudier, pour faire apparaître la questionproblème ou problématique sous-jacente au sujet : ce qui suppose, d’une part, une réflexion sur chacun
des termes du sujet (eux-mêmes porteurs de problématiques), et d’autre part, une exploration du
domaine de connaissances de l’objet ;
Il est généralement nécessaire de reformuler le sujet posé sous forme de question(s) qui
donne(nt) déjà un sens à l’argumentation que vous avez choisi de développer (sauf si le sujet est déjà
formulé ainsi) ;
Travail à réaliser sur la problématique :
Poser une / des hypothèse(s) et dessiner les étapes de la démonstration. Le sujet que l'on vous
propose formule parfois cette problématique. Dans tous les cas, vous devez déterminer vousmême l’angle à partir duquel vous traitez le sujet et le défendre jusqu'à la conclusion.
Utiliser vos connaissances en fonction de vos hypothèses de départ, pour les vérifier et les justifier.
Vous aurez besoin de maîtriser parfaitement votre cours.
Prendre en note les informations (textes, citations, faits, dates...) que vous pourrez utiliser dans
votre démonstration.
Hiérarchiser et classer ces informations en fonction de la problématique : il ne s’agit en aucun cas
d’accumuler des connaissances de façon linéaire mais de les trier et de les ordonner.
Indications générales sur le plan :
Élaborer le plan avant d’entamer la rédaction ;
Apporter une vraie réponse à la question posée ou formuler une analyse /un commentaire
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
véritable de l’affirmation / la citation concernée ;
Quelques types de plans :
Thèse (partie I), antithèse (partie II), synthèse (conclusion). NB : à utiliser lorsque le sujet
implique que l’auteur prenne position (pour/contre, oui/non), utiliser pour nuancer une position et non
pas pour « écrire tout et son contraire ».
Classification des acteurs impliqués et/ou des objets affectés. A utiliser surtout en sciences
sociales et pour traiter des sujets de sociétés. Peut alors déboucher sur un plan en 3 parties.
Distinction entre les problèmes soulevés et les solutions proposées. Notamment pour l’analyse
de processus de natures diverses ou des politiques publiques (tenants et aboutissants) et la résolution de
problèmes.
Plan chronologique, soulignant pour chaque période, ses caractéristiques principales. A utiliser
surtout pour les questions historiques et les processus et dans tous les cas où la « périodisation »
apparaît comme une véritable problématisation.
Pour l’analyse d’une institution : évaluation de son statut (I) et de ses fonctions (II)
Des combinaisons de ces différents plans permettent de former des argumentaires plus
sophistiqués. Exemples : plan historique et plan thèse/antithèse, acteurs impliqués /solutions
proposées.
Structure type d’une dissertation :
(
INTRODUCTION :
a. Accroche
)
( b. Présentation
)
( c. Problématique )
( d. plan
)
. Intérêt du sujet du point de vue de l’actualité ou exemple ;
. Présentation générale du sujet et définition des termes ;
. Présentation / hiérarchisation des questions / problèmes identifiés ;
. Présentation et justification du choix du plan du développement
devant découler logiquement de la problématique identifiée.
DEVELOPPEMENT :
( Partie I
(
Ia
(
Ib
(
(
(
Partie II
II a
II b
. Chacune des parties doit être introduite et conclue ;
. Toutes les analyses doivent être appuyées par des exemples
et/ou des arguments scientifiques, succincts, clairs et reliés
entre eux ;
. Les arguments généraux viennent toujours avant les arguments particuliers.
. Accorder une attention particulière aux liaisons/passages d’une
idée à l’autre ;
)
. Seuls les arguments et analyses nécessaires au développement
)
de la thèse seront présentés (image du déroulement d’un tapis) ;
)
. L’argumentation doit être aussi exhaustive que possible et
refléter toutes les analyses y compris celles qui ne sont
privilégiées par l’auteur.
)
)
)
CONCLUSION :
(
a.
)
(
b.
)
(
c.
)
. Rappel du sujet de la problématique ;
. Conclusions intermédiaires, conclusion globale ;
. Questions restées sans réponse et ouverture permettant la
poursuite d’une réflexion sur le sujet.
NB : « ( ) » = Image du champ de l’argumentation. L’introduction sert alors à délimiter le champ
d’investigation et à orienter/lancer l’argumentation. Le développement est l’occasion de « dérouler », de
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
façon logique et harmonieuse, la problématique. La conclusion permet de synthétiser l’argumentation,
en soulignant ces limites, et d’ouvrir les perspectives de réflexion sur le thème traité.
Important
Chaque paragraphe d’une dissertation doit être construit selon le modèle suivant, en trois phases :
une idée
un argument (qui approfondit l’idée énoncée)
un exemple (qui illustre votre idée préalablement argumentée).
Pour chaque phase, faites deux ou trois phrases concises et claires (relisez-vous, et gare aux
répétitions !). A chaque paragraphe terminé, allez à la ligne. Sautez des lignes entre les parties.
Conseils pratiques généraux :
Élégance des titres (qui doivent rendre compte de la thèse développée dans le paragraphe
concerné), du style et de la formulation de la thèse centrale ;
Rigueur du raisonnement et sobriété du discours.
Consignes formelles
La dissertation devra comporter environ 5 pages :
- une page de garde avec les noms et prénoms de.s étudiant.e.s, la date, ainsi que l’intitulé du
cours et du sujet
- La dissertation elle-même, composée d’une introduction problématisée, d’un développement
en deux ou trois parties et d’une conclusion, sera d’une longueur (+/- 10 %) de 2.000 mots ou
12.500 signes espaces compris (soit environ trois pages Word en police 12, interligne simple).
Le nombre de mots ou de signes doit être indiqué à la fin du texte.
- Une bibliographie correctement mise en page (références rangées par ordre alphabétique du
nom de l’auteur).
Modèle pour un livre : MCADAM D. (2012), Freedom Summer. Luttes pour les droits civiques. Mississipi 1964
[1988], trad. de l’anglais Célia Izoard, Marseille, Agone, coll. L’ordre des choses.
Modèle pour un article : BRACONNIER C. (1999), « Braconnages sur terres d’État. Les inscriptions
politiques séditieuses dans le Paris de l’après-Commune (1872–1885) », Genèses, 35, p. 107–130.
Modèle pour un chapitre d’ouvrage collectif : PECHU C. (2009), « Répertoire d'action », in
Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, « Références ».
Remarque : les conseils de méthode pour la dissertation à la maison sont valables pour la
dissertation individuelle sur table
3. La discussion
Chaque groupe devra préparer la discussion d’un autre exposé que le sien (10 % de la note finale).
Avant la séance, chaque étudiant.e du groupe préparera des questions sur le sujet à partir de ses
connaissances personnelles et d’éventuelles lectures complémentaires (ces dernières seront
fortement valorisées dans la note).
Durant la séance, les questions (une par étudiant.e) devront être problématisées. Il ne suffit pas pour
cet exercice de formuler une question en une phrase. Il est nécessaire de bien écouter l’exposé et de
développer un court argumentaire, soutenu par un ou des exemples, voire des concepts ou
références académiques. Exemple de question problématisée : « Comment expliquer que… alors
que… ? »
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Lectures obligatoires
NEVEU E., « Qu’est-ce qu’un mouvement social ? », Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris,
La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26
SCOTT J. C., « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29
CONTAMIN J.-G., « le tract, à quoi bon ? », Vacarme, 2008/4 (n° 45), p. 68-71
NEVEU E., « Médias et protestations collectives », in Olivier Fillieule, Eric Agrikoliansky,
Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés
contemporaines, Paris, La Découverte, 2010, p. 245-264
GRANJON F., « Média », Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po
(P.F.N.S.P.), « Références », 2009, 656 pages. URL : www.cairn.info/dictionnaire-desmouvements-sociaux--9782724611267-page-349.htm.
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, 6e éd., Paris,
La Découverte, « Repères », 2015, p. 3-26.
rarement anticipés, on feint de les éclairer par les
métaphores de l'explosion, de la contagion, du carnaval. On
cherche des manipulateurs, hier la main de Moscou,
aujourd'hui la barbe des islamistes. La paresse analytique
prend encore la forme du rangement forcé de l'événement
dans des tiroirs familiers : celui du « corporatisme »
quand le conflit se passe dans une entreprise, du
« populisme » pour les protestations des laissés-pourcompte des modernisations contemporaines. Le simplisme
des classements rejoint un autre raccourci analytique :
celui qui vise à juger avant de comprendre. Trop de
discours, même savants, sur les mobilisations visent à
déconsidérer ou célébrer leurs objets, à jouer aux
prophètes du changement social.
Entrons-nous, comme certains chercheurs l'ont soutenu,
dans une « société des mouvements sociaux » ? Comme
toute tentative de réduire une époque à un phénomène, le
propos peut être réducteur. Il demeure qu'on ne saurait
comprendre le XXe siècle sans ses mouvements sociaux.
Juin 1936, Mai 68, Décembre 95 sont des dates autres
qu'anecdotiques dans l'histoire française. Les
mobilisations du siècle passé sont aussi des luttes pour
l'indépendance, comme celle symbolisée aux Indes par
Ghandi, ou des combats pour l'égalité des droits, comme
ceux des Noirs états-uniens avec Martin Luther King. Elles
incluent des mobilisations pour la démocratie comme celui
de Solidarnosc en Pologne, sans oublier les combats
comme ceux des indigènes d'Amérique latine ou des
habitants des bidonvilles de Téhéran [Bayat, 1998. Le
XXIe siècle confirme déjà la centralité du phénomène. Les
manifestations hostiles à la guerre contre l'Irak ont réuni
début 2003 des foules considérables en de nombreux
pays. La réforme des retraites a suscité en 2010 en
France des mobilisations de grande ampleur. En Tunisie,
puis en Égypte, des mouvements populaires ont contribué
au départ des despotes locaux début 2011. La catégorie des
mouvements sociaux a donné chair depuis un siècle au
syndicalisme, au féminisme, à l'écologisme, à des
processus de démocratisation de régimes autoritaires ou
totalitaires, à la réémergence du religieux comme acteur
politique majeur. Mais l'ordinaire d'un mouvement social,
ce sont aussi des femmes et des hommes qui agissent,
partagent intérêts, émotions, espoirs. C'est encore une
occasion privilégiée de mettre en question le monde social
tel qu'il tourne, de dire le juste et l'injuste. C'est parfois le
levier qui fait bouger la politique et la société, l'événement
partagé qui fait mémoire pour une génération.
La recherche sur ces sujets a considérablement évolué en
vingt ans. Il n'existait dans les années 1990 que deux ou
trois livres de synthèse en français sur le sujet. Un flot de
thèses, d'articles, de livres a pris son essor, au point qu'on
puisse rêver à un moratoire sur ces travaux pour en
digérer l'apport. Le bon côté de cette dynamique est
d'offrir un nombre croissant d'outils de base. Cet ouvrage
veut en être, mais on signalera aussi le recueil de textes
problématisé par Goodwin et Jasper [2009], le
Dictionnaire produit par Fillieule, Mathieu et Péchu [2009],
le manuel Penser les mouvements sociaux de Fillieule,
Agrikoliansky et Sommier [2010], la petite collection
« Contester » des Presses de Sciences Po, les revues
anglophones Mobilization et Social Movement Studies. Les
sciences sociales ne sont étanches ni aux préjugés ni aux
effets de mode. L'altermondialisme ou l'écologie suscitent
plus de travaux et d'engouements que les mouvements
xénophobes ou les mobilisations de chasseurs. Mais la
force des recherches en cours est de démultiplier les
terrains et les questions, de chercher à comprendre les
pourquoi et les comment, les conditions objectives des
mobilisations comme le sens subjectif des engagements.
L'analyse à chaud de ces mouvements n'est pas toujours à
la hauteur de leurs enjeux. Le réflexe suspicieux qui
identifie la « rue » au désordre, à une pathologie d'une
démocratie qui ne saurait être que représentative et
bienséante, s'est démonétisé. La séduction d'une vision en
termes d'irrationnel, parfois « policière », reste en
revanche puissante. Faute d'expliquer des mouvements
Les huit chapitres de ce livre composent trois séquences.
Les deux premiers cadrent des questions de base : de quoi
parle-t-on quand on se confronte à l'objet « mouvements
16
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
sociaux » ? La mobilisation peut-elle prendre les mêmes
formes à Paris, à Kiev ou au Caire ? Comment éviter d'en
faire un objet trop à part ou surinvesti par des jugements
de valeur ? Les chapitres III à V synthétisent la manière
dont les sciences sociales ont forgé des outils théoriques
pour comprendre les mouvements sociaux. Partant du
modèle d'analyse dominant au seuil des années 1980 (la
théorie de la « mobilisation des ressources »), les trois
derniers chapitres montrent comment la dynamique
principale de la recherche a consisté depuis vingt ans,
sans disqualifier ce cadre d'analyse, à explorer ce qu'il
avait pu refouler pour se constituer. Il faut pour cela
questionner l'expérience vécue de l'engagement, la
manière dont elle travaille des identités, crée des
émotions et s'en nourrit. Il faut aussi penser l'articulation
entre mobilisation et jeu politique ou politiques publiques,
tenter aussi de réhabiliter le rôle des idéologies, discours
et « cadrages », les effets des médias.
montage japonaise en pleine activité nous est-il intelligible
comme l'expression d'un mécontentement collectif ?
À l'inverse, notre savoir-faire pour identifier les modes de
protestation dans « notre » société soulève une autre
question : les formes d'expression liées au sentiment
d'injustice seraient assez codifiées pour que des modes
d'emploi – d'où viennent-ils ? – canalisent d'avance la
protestation ? C'est encore l'association entre mouvement
social et expression d'un mécontentement qui ne va pas de
soi. D'où vient-il que certains groupes ne recourent
presque jamais à ce que le sens commun associe aux
mouvements sociaux ? La télévision n'a guère matière à
rendre compte de manifestations de notaires ou de
trésoriers payeurs généraux. Serait-ce que ces groupes
n'ont rien à revendiquer ? Que certains groupes ne
parviennent pas à se mobiliser ? Et pourquoi ? Que
d'autres voies que la mobilisation publique peuvent porter
leurs revendications ? Lesquelles ? Enfin, au sein des
phénomènes que le langage courant associe aux
mouvements sociaux, ne convient-il pas d'opérer quelques
distinctions ? Il n'est pas absurde d'étiqueter comme
mouvements sociaux l'Intifada, une grève de la faim de
sans-papiers, une démission collective de pompiers
volontaires mécontents. En rester là serait un réflexe de
brocanteur du social, non d'analyste.
QU’EST-CE QU’UN MOUVEMENT SOCIAL ?
Introduire une explication savante sur la notion de
mouvement social, n'est-ce pas compliquer à plaisir ce
que chacun comprend par expérience ? Des personnes
ayant en commun un intérêt ou une profession ont une
revendication à faire valoir. Elles se mobilisent, utilisent
des armes familières comme la grève, la manifestation.
Dimensions de l'action collective
Le sens commun associe à l'idée de mouvement social un
ensemble de formes de protestation, relie au mot des
événements, des pratiques. Mais ce constat ouvre
précisément des questions. Notre capacité à meubler la
notion d'exemples se double d'une fréquente impuissance
à comprendre, même à voir les mouvements sociaux
d'autres sociétés ou d'autres époques. Si l'historien ne
nous fournissait pas une forme de « sous-titrage » de
l'événement, comprendrions-nous le message de conflit
social qu'adressent à leur patron, en 1730, les ouvriers
d'une imprimerie de la rue Saint-Séverin via la pendaison
de la « grise », la chatte favorite de son épouse [Darnton,
1985] ? Saurions-nous discerner, derrière les processions
des « royaumes » du mouton, du coq et de l'aigle où se
regroupent les composantes de la cité de Romans lors du
carnaval de 1580, les signes d'une guerre sociale qui se
terminera dans le sang [Le Roy Ladurie, 1979] ? Le port
d'un brassard noir par les ouvriers sur une chaîne de
Pour être banalement employée dans le langage courant,
l'expression « action collective » n'en est pas moins
problématique... et la difficulté vient au premier chef de
l'adjectif « collective ».
L'agir ensemble comme projet volontaire
En partant d'une définition très molle de l'action collective,
qui l'identifierait aux situations dans lesquelles se
manifestent des convergences entre une pluralité d'agents
sociaux, une variable d'intention de coopération peut aider
à procéder à un premier tri. Les phénomènes auxquels
Raymond Boudon a associé la notion d'effets pervers ou
émergents méritent ainsi d'être isolés. Cette notion
recouvre les processus qui résultent d'une agrégation de
comportements individuels, sans intention de coordination.
L'opération « escargot » de chauffeurs routiers qui
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Organisations contre mobilisations : confusion interdite ?
bloquent un périphérique produira un résultat comparable
au bouchon suscité par les vacanciers qui se précipitent
en voiture vers les plages. La différence est cependant
claire entre une action concertée, liée à des
revendications, et un résultat imprévu, parfois
imprévisible, découlant de l'addition de milliers de départs
en vacances individuels.
Dans une acception large, la notion d'action collective peut
aussi s'appliquer à la plupart des activités liées à l'univers
de la production, de l'administration. Le fonctionnement
d'une entreprise, d'un SAMU requiert un haut degré de
division des tâches, une organisation rigoureuse de l'agirensemble. Les différences avec l'univers des mouvements
sociaux pourront sembler évidentes. La production de
biens et de services ne se distingue-t-elle pas nettement
de la mobilisation des énergies pour une revendication ?
Le degré d'institutionnalisation n'est-il pas incomparable ?
La nécessité de gagner sa vie, l'organisation hiérarchique
de l'entreprise, l'importance du travail comme élément
structurant des existences garantissent a priori que
chaque salarié répondra à l'appel de la pointeuse. Les
organisateurs d'un meeting ne disposent pas de
semblables ressources pour s'assurer que la salle sera
pleine, sauf – cela s'est vu – à louer des figurants. La
comparaison semblera enfin oublier une dimension de la
croyance. Il n'est point besoin d'une foi quelconque dans
des valeurs sacrées de l'industrie automobile pour
travailler dans un garage. Un minimum de croyance en la
« cause » s'impose à l'inverse pour manifester contre
l'apartheid ou des essais nucléaires.
Les processus de diffusion culturelle sont justiciables
d'une même exclusion. Il existe assurément du
« collectif » dans les phénomènes de mode, de diffusion de
styles de vie ou d'innovations. Mais ce collectif résulte
pour une part d'effets d'agrégation qui sont ceux du
marché. À travers des millions de décisions sérialisées,
libres – dans les limites de tout le travail de construction
des définitions de la mode et du moderne qu'opèrent les
instances de critique, la presse, la publicité –, l'action des
individus engendre des verdicts collectifs, souvent dotés
d'une dynamique contraignante (il faut « en être »). Ceuxci se traduisent en modes vestimentaires, artistiques, en
consécrations qui peuvent se porter sur des objets, des
thèmes (la défense de la nature...). Mais pour être modelés
socialement, ces phénomènes ne sont pas en général le
fait d'une intention explicite de coopération ou d'action
concertée. Le trop de succès d'une mode peut même
incommoder ses adeptes, qui voient dans son extension
une perte de distinction. Par ailleurs, il ne suffit pas qu'un
comportement se diffuse pour y lire une volonté de peser
collectivement sur les formes de la vie sociale. Il paraît
donc logique de renvoyer les phénomènes de diffusion
culturelle, de modes vers la sociologie de la culture ou
celle de l'innovation. Ceux-ci jouent toutefois un rôle dans
la construction d'identités, d'univers symboliques sur
lesquels peut s'appuyer l'émergence de mouvements
sociaux. La fin des années 1960 s'est accompagnée dans la
jeunesse étudiante de la diffusion d'un style vestimentaire
et capillaire inédit, d'une banalisation de la consommation
de drogues, de nouvelles modes musicales (rock, folk), de
nouvelles références intellectuelles (des marxismes à
McLuhan via la revue Actuel). Ces phénomènes culturels
étaient alors étroitement liés à l'émergence de
mouvements sociaux tels le gauchisme, le mouvement des
femmes, celui des communautés. À ce titre, il n'est jamais
inutile de s'interroger sur la façon dont des évolutions
culturelles peuvent être des vecteurs possibles d'essor de
mouvements sociaux.
Bref, l'évidence semble suggérer le caractère
parfaitement artificiel d'un rapprochement entre des
objets que les classements, pour une fois alliés, du sens
commun et de la sociologie associent, pour les uns, à
l'analyse des organisations, pour les autres, à l'étude des
mobilisations. Mais un retour critique sur ces objets
suggère bientôt un ensemble de recouvrements
troublants. Quatre exemples l'illustreront.
Le premier renvoie vers l'entreprise. L'une des tendances
récentes du management a été d'introduire dans le
fonctionnement de l'entreprise des techniques de
mobilisation et de motivation souvent voisines de celles
des univers militants, faisant des cadres ou contremaîtres
de véritables militants de l'entreprise, cherchant à
produire un rapport à la firme qui fasse vivre le salariat
comme une forme d'engagement total au service d'une
cause [Boltanski et Chiapello, 1999]. En deuxième lieu, le
fonctionnement de certaines administrations, dans le
domaine de la santé publique par exemple, permet de
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
constater que les démarches mises en œuvre pour
promouvoir des politiques publiques ne sont pas sans
parenté avec les objectifs et moyens d'action de
groupements militants. Est-il absurde de comparer les
campagnes de prévention du sida ou de l'alcoolisme que
développe le ministère de la Santé avec les actions que
peuvent promouvoir le mouvement AIDES ou une
association antialcoolique ? Deux derniers exemples
peuvent illustrer les proximités entre des formes d'action
militante et la logique des organisations économiques et
bureaucratiques. D'une part, les logiques d'entreprise
pèsent d'un poids croissant dans le fonctionnement de
nombreuses mobilisations. Une des façons à la fois de
financer et de populariser une cause passe par le
développement d'une gamme de « produits » : livres, teeshirts imprimés, autocollants. D'autre part, certaines
structures de type associatif et militant ont connu dans la
période récente une professionnalisation qui s'est traduit
par le développement d'un corps de permanents et
d'experts (juristes, communicateurs) qui aboutit à une
organisation interne voisine de celle d'une entreprise de
services.
erreur par sous-estimation du degré d'organisation et de
structuration d'univers en apparence très fluides comme
les mouvements sociaux ; erreur par surestimation de la
rigueur et de l'originalité de la formalisation des rôles et
des structures dans les organisations. Dans cette logique,
l'auteur invite à penser organisations, marchés et
mouvements sociaux comme un dégradé de situations plus
ou moins structurées et formalisées par des normes et
dispositifs de régulation, eux-mêmes plus ou moins
centralisés et visibles.
L'action concertée en faveur d'une cause
Ce tri dans le feuilleté de la notion d'action collective
fournit à la fois des mises en garde et des typologies. Les
premières renvoient à la diversité de la notion d'action
collective et la relient à un réseau complexe de faits
sociaux. Il faut réintégrer l'histoire de chaque mouvement
social dans un contexte culturel et intellectuel. Mieux vaut
aussi ne pas bâtir une muraille de Chine, qui risquerait
davantage de ressembler à la ligne Maginot, entre
l'univers des organisations et firmes et celui des
mobilisations collectives. Cela conduira notamment à
solliciter des outils d'analyse issus de la science
économique.
Ces rapprochements aident à comprendre le parti pris au
premier abord paradoxal de certaines approches
sociologiques qui ont, dès la fin des années 1960 [Olson,
1966], sollicité les métaphores de l'entreprise ou des
grilles de lecture issues de l'économie pour comprendre
mobilisations et conflits sociaux. Plus récemment, Erhard
Friedberg [1992] remettait en cause la pertinence des
clivages entre analyse des organisations, des marchés et
des mouvements sociaux. Il observait que l'analyse des
organisations s'est constituée en insistant sur « [...] le
caractère formalisé de leurs buts, structures et rôles »,
par opposition à la plus grande fluidité d'autres espaces
d'action collective. « Le raisonnement est sous-tendu par
une sorte de partition [...]. D'un côté, le monde de
l'organisation formalisée signifiant mise sous contrôle et
soumission, capitalisation du savoir, transparence et
prévisibilité, structuration et non-concurrence [...]. De
l'autre, le monde du "marché", de l'"action collective" ou
du "mouvement social", c'est-à-dire de la concurrence, du
surgissement, du devenir, de l'interaction non structurée,
désordonnée et aléatoire, de la fluidité, de l'égalité et de
l'absence de hiérarchie » [1992, p. 532]. Friedberg
souligne la « double erreur » qui fonde cette vision :
La notion d'action collective examinée ici renvoie à deux
critères. Il s'agit d'un agir-ensemble intentionnel, marqué
par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de
concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique
de revendication, de défense d'un intérêt matériel ou d'une
« cause ». Cette approche donne une définition resserrée
qui isole un type particulier d'action collective sans faire
violence à ce que l'on pourrait désigner comme les
définitions intuitives de l'action collective, à laquelle
s'associent des pratiques comme la grève, la
manifestation, la pétition. Pour reprendre une expression
d'Herbert Blumer [1946], cette action concertée autour
d'une cause s'incarne en « entreprises collectives visant à
établir un nouvel ordre de vie ». Ce « nouvel ordre de
vie » peut viser à des changements profonds ou, au
contraire, être inspiré par le désir de résister à des
changements ; il peut impliquer des modifications de
portée révolutionnaire ou ne viser que des enjeux très
localisés. Les individus investis dans la défense concertée
d'une cause peuvent être ceux que l'anglais désigne par
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
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l'acronyme péjoratif de NIMBY (Not In My Back Yard –
« Pas dans ma cour ! » –, refusant une centrale nucléaire
ou une autoroute au seul motif qu'elle est près de chez
eux) ou les porteurs de revendications plus
« désintéressées », plus universelles, tels l'abbé Pierre ou
Lech Walesa.
gardera cependant, là encore, de construire un clivage
absolu. Les expériences mutualistes ou coopératives
gagnent à être analysées en lien avec les mouvements
sociaux, à l'égard desquels elles ont aussi souvent
constitué un complément qu'une alternative.
Un mouvement social est-il nécessairement politique ? Il
faut définir cette notion pour y répondre. Il est possible,
comme cela fut le cas dans les années 1970, de
considérer comme « politique » tout ce qui relève des
normes de la vie en société. La conséquence –
revendiquée – d'une telle définition est que tout est
politique, notamment les mouvements sociaux. La lutte
pour une hausse de salaire ne soulève-t-elle pas la
question de la répartition sociale des richesses ? Cette
définition comporte un mérite : celui de rappeler les
rapports de pouvoir et de sens qui s'investissent dans les
actes les plus banals du quotidien, de souligner la
possibilité de les changer par la mobilisation. Mais une
conception qui met le politique partout rend impossible de
percevoir sa spécificité. L'éclairage retenu ici sera
différent. Prend une charge politique un mouvement qui
fait appel aux autorités politiques (gouvernement,
collectivités locales, administrations...) pour apporter, par
une intervention publique, la réponse à une revendication,
qui impute aux autorités politiques la responsabilité des
problèmes qui sont à l'origine de la mobilisation.
La composante politique des mouvements sociaux
Les formes d'action collective concertée en faveur d'une
cause seront désormais désignées par « mouvements
sociaux ». Ce parti pris permet de désigner une classe de
phénomènes d'une expression familière. Il vise surtout à
enrichir les premiers efforts de définition en introduisant
dans ce concept un élément d'articulation à l' activité
politique. Comme a pu le souligner Touraine [1978], les
mouvements sociaux sont une composante singulière et
importante de la participation politique.
Une action « contre »
Un mouvement social se définit par l'identification d'un
adversaire. Si des collectifs se mobilisent « pour » – une
hausse de salaire, le vote d'une loi –, cette activité
revendicative ne peut se déployer que « contre » un
adversaire désigné : employeur, administration, pouvoir
politique. Cette donnée implique d'attribuer un statut à
part à toutes les formes d'action collective qui, tout en
répondant aux critères posés précédemment, visent à
répondre à un problème ou à une revendication en
mobilisant au sein du groupe, et là seulement, les moyens
d'y répondre. Ce registre du self-help s'est illustré en
particulier à travers le mouvement mutualiste et
coopératif, par lequel le mouvement ouvrier, la
paysannerie, certains segments du secteur public ont
développé une mobilisation originale visant à mettre sur
pied, à partir de cotisations volontaires des affiliés, des
systèmes de protection contre la maladie, d'assurances,
des réseaux d'approvisionnement pour les besoins
professionnels (engrais) ou la consommation familiale à
des tarifs plus avantageux que ceux du marché privé. Une
telle mobilisation contourne le conflit frontal. Comme dans
les expériences soixante-huitardes de « communautés »
analysées par Bernard Lacroix [1981], elle cherche au sein
du groupe les énergies et les ressources pour produire le
« nouvel ordre de vie », refusant l'affrontement. On se
Mouvements sans adversaires ?
La « marche blanche » belge, les manifestations contre le
terrorisme de l'ETA en Espagne mais aussi les actions
autour de l'humanitaire ou de l'antiracisme ont suscité
l'interrogation sur la montée d'un nouveau style d'action
collective, parfois désigné comme « mouvements de
solidarité » [Ibarra, 1999] ou « nouveaux mouvements
émotionnels » [Rihoux et Walgrave, 2000].
Ces mobilisations ont en commun une puissante
composante émotionnelle d'indignation, de compassion.
Leur structure organisationnelle est souvent très lâche.
Elles peuvent aussi être caractérisées comme « sans
adversaires », soit qu'elles visent avant tout à aider des
humains souffrants (humanitaire), soit que leurs cibles
soient consensuelles (le pédophile Dutroux et ses
complices), soit encore que ce qu'elles combattent (le
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ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
racisme) puisse difficilement être revendiqué dans
l'espace public [Juhem, 2001]. Ce caractère consensuel
aboutit souvent à les faire bénéficier d'une couverture
médiatique large et favorable qui a été une des clés du
succès de la gigantesque manifestation « blanche » de
Bruxelles en 1996.
Historien-sociologue américain, Charles Tilly a mis en
évidence [1976, 1986] la tendance historique à la
politisation des mouvements sociaux et ses racines. D'une
façon schématique, on peut suggérer que, dans le cas
français, les processus de mobilisation demeurent
essentiellement locaux jusqu'au début du XIXe siècle. Dans
une société rurale, régions et « pays » demeurent
faiblement connectés à un centre économique et politique
national [Weber, 1983]. Les mouvements sociaux se
concentrent alors en affrontements restreints à l'espace
de communautés locales, souvent dans une logique de
face-à-face direct. La cible des protestations appartient le
plus souvent à un univers d'interconnaissance qui fait que
l'adversaire est un individu connu avant d'être le
représentant d'une institution abstraite (firme,
administration).
L'essor de ces mouvements est révélateur de mutations
dans les formes de l'engagement : souci d'une action
concrète aux résultats visibles (Restaurants du cœur),
malaise diffus visant le système politique (marche
blanche), valorisation par-delà les frontières de l'idée de
commune humanité. On peut hésiter à y voir l'avant-garde
d'une forme stable et centrale de mouvements pour les
raisons mêmes qui font leur succès. La composante
émotionnelle engendre des mobilisations souvent
éphémères. La distance revendiquée à toute prise de
position critique sur des enjeux politiques internes
fonctionne aussi comme un piège. S'ils prennent parti, ces
mouvements perdent une part de leurs soutiens, et
d'abord celui des médias (cas de SOS Racisme lors de la
guerre du Golfe). En demeurant dans une neutralité
ostentatoire, ils s'interdisent la désignation de
responsables et la formulation d'un programme de
réponses qui seuls peuvent permettre à une mobilisation
d'aller au-delà de la capitalisation des indignations.
Deux processus vont bouleverser les conditions dans
lesquelles se développe l'activité protestataire. Il s'agit, en
premier lieu, du mouvement de « nationalisation »
graduelle de la vie politique à travers l'unification
administrative du territoire, l'essor du suffrage universel,
le renforcement du rôle de l'État. Le pouvoir politique
apparaît de plus en plus nettement comme le foyer de la
puissance, ce d'autant que l'extension du suffrage
s'accompagne du développement par le personnel
politique – républicain en particulier – de catalogues de
promesses plus précises, plus étendues quant à leur objet
[Garrigou, 1992]. Par ailleurs, la dynamique de la
révolution industrielle contribue à disloquer et à
désenclaver les communautés locales, à soumettre les
activités économiques aux mécanismes abstraits du
marché. Elle fait reculer simultanément le poids des
situations d'interconnaissance, des rapports de face-àface, éloignant physiquement et symboliquement les
figures de pouvoir de l'expérience quotidienne. Ces
tendances lourdes se sont accompagnées d'un processus
d'élargissement des interventions étatiques. Pour une
part, ce développement est le fait d'initiatives propres aux
gouvernants et aux forces sociales dominantes pour
répondre à ce qu'ils perçoivent comme des besoins :
formation des cadres et de la main-d'œuvre par le
système scolaire, lutte contre les « fléaux sociaux » par
des politiques d'hygiène et de santé publique. Pour une
autre part, ce développement est le fruit de mobilisations
qui visent à obtenir, par le canal de la loi, des droits et
Les pratiques du site de vente en ligne Amazon, entravant
en 2014 les ventes de l'éditeur Hachette pour obtenir des
rabais, ont suscité des réactions d'éditeurs et une
mobilisation des auteurs. Pareille action au nom de la
liberté des créateurs et lecteurs, même relayée dans les
médias, ne peut en soi être qualifiée de politique. Elle
relève d'un conflit entre acteurs privés. Une politisation
des conflits autour des pratiques d'Amazon ne s'opère que
lorsque – en France – une mobilisation des libraires
amène les pouvoirs publics à prendre parti, à réglementer
ce qui apparaît comme des atteintes aux législations sur le
prix unique ou la concurrence. Au-delà de cet exemple, on
posera comme principes d'une part que le caractère
« politique » d'une mobilisation est affaire d'observation
empirique, d'autre part qu'existe une tendance à la
politisation par l'appel de plus en plus fréquent à
l'intervention publique.
Les tendances à la politisation des mouvements sociaux
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
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protections que les rapports de forces qui président au
contrat de travail n'ont pu faire aboutir. C'est le processus
d'invention du droit social.
dirigeants de Landerneau est de gérer localement, sur un
registre corporatif qui laisse l'État hors du jeu, l'ensemble
des problèmes et tensions que retraduisent dans d'autres
régions les partis politiques, de préserver par là le poids
et le rôle des élites rurales traditionnelles. Le modèle de
Landerneau – qui dominera le département jusqu'aux
années 1960 – offre un cas d'usage dépolitisant des
structures coopératives. Elles œuvrent à monopoliser la
gestion des problèmes sociaux qui font l'objet de politiques
publiques (politique agricole), à figer une société rurale
gérant ses tensions sans connexions au système politique
national et aux partis disqualifiés comme facteurs de
division du monde paysan. « Le système corporatif met
sous le boisseau les tensions et les conflits d'idées et
d'intérêt », souligne Suzanne Berger dans son étude
significativement intitulée Les Paysans contre la politique.
Le résultat convergent de ces tendances est de produire
l'ubiquité de l'État. Intervenant plus et sur plus de choses,
plus visible, le pouvoir politique est de plus en plus perçu
comme le destinataire privilégié des protestations. Dès le
milieu du XXe siècle, les mouvements sociaux privilégient,
spécialement en France, le recours à l'État jusque dans les
grands conflits du travail (accords Matignon de 1936 ;
négociations de Grenelle en 1968). Inséparable de la
construction de l'État social, cette logique de politisation
va être confortée par d'autres données.
Cet usage dépolitisant et conservateur du mouvement
coopératif n'est cependant ni une fatalité pour ce type
d'institutions, ni le mode obligatoire d'organisation du
monde rural. Le développement du mouvement ouvrier
dans les pays d'Europe du Nord s'est appuyé sur des
réseaux de mutuelles et de coopératives de
consommation. À l'époque même de l'apogée de
« Landerneau », les paysans du département voisin des
Côtes-d'Armor sont plus investis dans des mobilisations
liées aux partis et aux enjeux politiques nationaux.
L'hégémonie de « Landerneau » dans le Finistère même
sera d'ailleurs remise en cause dans les années 1960 par
un mouvement social animé par de jeunes paysans
socialisés par la Jeunesse agricole chrétienne, beaucoup
plus mobilisés, directement tournés vers une exigence de
réformes par l'État.
Modèle coopératif et politisation
Le Finistère voit se développer à la fin du XIXe siècle un
système coopératif sophistiqué, fédéré à partir de 1911 par
l'Office central de Landerneau. Le réseau coopératif ainsi
construit ne requiert pas de ses adhérents une
participation intense. Il leur offre un ensemble de
prestations qui visent à répondre à un maximum des
problèmes que peuvent rencontrer les paysans.
Initialement concentrée sur un système d'assurances
contre la perte du bétail, de points de vente où les
agriculteurs peuvent acheter à moindre coût les engrais
et produits nécessaires à leur activité, l'offre de service
ira se diversifiant : commercialisation des produits des
exploitations, formation professionnelle, tentatives pour
imposer un modèle type de bail rural prévenant les
conflits entre fermiers et propriétaires. « Landerneau »
contrôle dans les faits les structures syndicales agricoles
du département, canalisées dans sa logique corporatiste.
Sources : Berger [1975], Hascoët [1992].•
L'histoire même des mouvements sociaux passe par la
coûteuse expérience des limites de victoires sectorielles,
et du raccourci corrélatif que représente le recours à
l'État. Les États-Unis, pourtant réputés dans les
mythologies contemporaines être le monde des initiatives
de la société civile, en donnent un exemple éclairant
[Oberschall, 1973 ; McAdam, 1982]. Dans la lutte contre la
ségrégation raciale dans les États du Sud, les
organisations noires des années 1950 vont au départ
construire des mobilisations locales, dont les enjeux
Promu par des catholiques sociaux, encadré par des
aristocrates ruraux, ce registre paysan du self-help est
aussi pensé par ceux-ci comme un outil destiné à
préserver les équilibres de la société rurale traditionnelle,
à contenir la pénétration de l'État républicain dans les
campagnes. « Pendant cinquante ans, l'Office central a
remplacé les services agricoles de l'État dans la région.
C'était comme s'ils n'avaient pas existé », note en 1960 un
responsable de la coopérative. Le projet explicite des
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
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consistent à faire reculer la ségrégation de façon
concrète sur les sites de conflit. La popularité de Martin
Luther King doit ainsi beaucoup au long mouvement de
boycott des bus scolaires réservés aux enfants noirs qu'il
anime en 1955-1956 à Montgomery (Alabama). La
dynamique du mouvement repose d'abord sur la diffusion
de ces mobilisations locales. Le 1er février 1960, un groupe
de jeunes Noirs d'un college local réalise le premier sit-in.
Ils s'assoient dans la partie réservée aux Blancs d'une
cafétéria de Greensboro (Caroline du Nord) et refusent de
partir aussi longtemps qu'ils n'auront pas été servis. Deux
mois plus tard, le nombre de sit-in dépasse les soixantedix, dans quinze États. Malgré cela, les mobilisations
locales se révèlent épuisantes et très coûteuses en
énergie. Même lorsqu'elles aboutissent à la victoire, et
obligent un shérif ou un gérant de cafétéria à mettre un
terme à des pratiques racistes, ces luttes n'ont d'effet que
ponctuel. Les succès acquis dans un comté ne font que
rendre visibles ceux à arracher dans cent autres. La
stratégie du mouvement pour les droits civiques va donc
se déplacer vers le pouvoir fédéral à Washington. Il s'agit
désormais d'orienter les mobilisations vers une
intervention fédérale sous la forme de lois, de décisions de
la Cour suprême qui interdisent les pratiques racistes
explicites ou larvées. Cet appel au pouvoir central évite la
dispersion du combat contre une quinzaine de législatures
d'États fédérés, des centaines de shérifs. On voit par là en
quoi de simples considérations tactiques d'efficacité, nées
de l'expérience de la lutte, contribuent aussi à une
tendance lourde à l'appel à l'État, à la politisation des
mobilisations.
Les politiques publiques sont une dimension centrale de
l'activité gouvernementale. Elles sont aussi la résultante
du processus historique de division sociale du travail qui
engendre une société de plus en plus sectorisée,
fragmentée en micro-univers : recherche, santé publique,
transports, etc. Chacun de ces sous-univers tend à se
réguler, à travers des processus de décision issus des
négociations entre les administrations, groupes de
pression, institutions qui lui sont propres. Ainsi, si la
définition des politiques agricoles s'est généralement
achevée par un débat parlementaire et le vote de lois
d'orientation qui reprenaient pour l'essentiel des choix
issus des négociations entre hauts fonctionnaires du
ministère de l'Agriculture, syndicats paysans, chambres
d'agriculture, etc. Or, la juxtaposition de politiques
sectorielles nées d'univers sociaux compartimentés
n'aboutit pas magiquement à une politique globale
cohérente. Les dysfonctionnements d'un secteur social
sont, en bien des cas, les effets indirects de politiques
publiques sur d'autres secteurs. Une part du « problème
des banlieues » actuel découle de politiques du logement à
courte vue qui, dans les années 1960, ont stimulé l'accès
à la propriété, avec des arrière-pensées électorales,
aboutissant à des situations accrues de ségrégation
sociale dans l'habitat, d'aggravation des conditions de vie
faute de politiques parallèles de maîtrise des
implantations d'emplois, des transports. Bref, le
développement des politiques publiques engendre... un
besoin de politiques publiques plus rationnelles pour
réagir aux effets des choix dans d'autres secteurs.
Le lien entre les politiques publiques et l'hypothèse de
politisation tendancielle des mouvements sociaux est au
moins double. En stabilisant des espaces et des
procédures de négociation, où les pouvoirs publics jouent
un rôle clé, autour des enjeux propres à chaque microunivers social, chaque politique publique suscite le désir
des groupes mobilisés d'être reconnus par telle ou telle
bureaucratie étatique comme interlocuteur légitime pour
peser sur les décisions. Mais, surtout, les politiques
publiques sont de formidables instruments d' opacité. Elles
fonctionnent pour les profanes dans ce qui est la
pénombre de marchandages entre des groupes aux sigles
mystérieux. Les phénomènes d'internationalisation (OMC,
Union européenne) multiplient les partenaires, éloignent
spatialement le site et les acteurs de la décision, suscitent
Politiques publiques, opacité, politisation
D'autres données sont venues depuis l'après-guerre
conforter ces évolutions. Elle découlent de la place prise
par les politiques publiques, et des incidences des
processus de construction européenne et de
« globalisation » de l'économie. La notion de politiques
publiques [Muller, 1990] désigne l'action des autorités
étatiques, lorsque celles-ci traitent de divers dossiers,
par opposition à la politique comme lutte pour l'exercice
du pouvoir. Plus explicite, l'anglais oppose les policies –
politique agricole, politique énergétique, etc. – aux politics
des programmes électoraux et des stratégies partisanes.
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un sentiment d'illisibilité, d'opacité des choix. Des
questions en apparence aussi simples que « Qui a
décidé ? » « Où ? » « Quand ? » « Pourquoi ? » prennent
la forme d'énigmes. Faute d'un adversaire identifiable,
d'une lisibilité des phénomènes qui les affectent, les
groupes et organisations se tournent vers les autorités
politiques, perçus comme le seul « guichet » accessible,
comme le siège d'un savoir et d'un pouvoir d'action – au
demeurant revendiqués en période électorale – sur un
monde complexe, des autorités lointaines et
supranationales. Le mouvement des marins-pêcheurs au
printemps 1993, lié à une chute des cours du poisson,
aggravée par des importations de pays non membres de
l'Union européenne, pouvait malaisément trouver un
adversaire proche et identifiable. Affectés eux-mêmes par
cette crise, les mareyeurs de villes portuaires ne
pouvaient s'en voir imputer la responsabilité. Les
réglementations élaborées à Bruxelles par une
administration lointaine, sans visage et au fonctionnement
mystérieux se prêtaient mal à l'identification d'un
adversaire auquel la confrontation soit possible. Il n'est
alors pas étonnant que les interviews de pêcheurs
publiées par la presse fassent une large place à un
sentiment de complot contre la pêche française, à
l'évocation de mystérieuses influences internationales. On
comprend aussi le réflexe de la profession : se tourner
vers le seul « guichet » à la fois proche, identifiable et
présumé efficace, le ministre français de tutelle.
à travers la transformation d'une organisation de type
syndical en mouvement politique, un relais au sein du
Parlement qui leur donne un pouvoir direct d'élaboration
des lois les concernant. Quand les associations des
familles de victimes du sida à la suite de transfusions
sanguines utilisent l'arène judiciaire, elles y investissent
des ressources – de l'argent, la capacité d'ester en
justice que donne la loi de 1901 sur les associations. Elles
en retirent des ressources comparables à celles qu'elles
avaient investies – de l'argent sous forme
d'indemnisations – et, de façon plus essentielle pour elles,
un gain symbolique à travers la reconnaissance par les
tribunaux d'une faute, les sanctions qui frappent des
autorités jugées coupables.
L'arène des conflits sociaux
Les mouvements sociaux peuvent utiliser les arènes
sociales institutionnalisées : médias, tribunaux, élections,
Parlement, conseil municipal. Mais en rester à cette
observation ferait passer à côté d'un trait essentiel des
mouvements sociaux. À travers la palette des actions
protestataires, ils sont aussi les producteurs d'une arène
spécifique : l'arène des conflits sociaux à travers les
grèves, manifestations, boycotts, campagnes d'opinion.
L'un des traits singuliers de cette arène est de fonctionner
comme un espace d'appel, au double sens du terme.
L'appel vaut littéralement comme cri, comme demande de
réponse à un problème. Il vaut aussi au sens judiciaire de
recours à une juridiction plus élevée pour obtenir la
modification d'un premier verdict tenu pour injuste. En
faisant appel – au sens de demande – à la mobilisation, à
l'opinion publique, le mouvement social fait aussi appel –
au sens judiciaire – de ce qu'il perçoit comme un refus de
l'entendre ou de lui donner satisfaction au sein des arènes
institutionnelles classiques. L'acquittement en 1992 des
policiers de Los Angeles qui s'étaient rendus coupables du
tabassage de l'automobiliste noir Rodney King va
provoquer en quelques heures d'énormes émeutes dans
les quartiers noirs. Cette mobilisation aura pour effet en
retour de contraindre les pouvoirs publics à une
réouverture de l'arène judiciaire ; à un nouveau procès au
terme duquel les comportements racistes du Los Angeles
Police Department seront en partie sanctionnés. Elle
aboutit aussi, à travers la mise sur pied d'une énième
commission d'enquête sur les troubles raciaux, à
Une arène non institutionnelle ?
En s'inspirant librement de Stephen Hilgartner et Charles
Bosk [1988], on définira une arène comme un système
organisé d'institutions, de procédures et d'acteurs dans
lequel des forces sociales peuvent se faire entendre,
utiliser leurs ressources pour obtenir des réponses –
décisions, budgets, lois – aux problèmes qu'elles
soulèvent. Deux éléments sont à souligner. Une arène est
un espace de mise en visibilité et de traitement d'un
dossier considéré comme problème social. Les arènes
reposent sur des processus de conversion de ressources.
Investir dans une arène, c'est y viser, à l'issue du
processus des gains, l'acquisition de ressources ou de
pouvoirs dont on ne disposait pas au début. Lorsque les
travailleurs indépendants du mouvement Poujade
investissent en 1956 l'arène électorale, ils visent à obtenir,
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réintroduire dans l'ordre du jour des médias et des
autorités municipales et fédérales les questions liées aux
tensions entre groupes ethniques, aux politiques de la ville
[Baldassare, 1994]. C'est aussi l'interconnexion des arènes
qui ressort ici, la fonction de l'arène des mouvements
sociaux comme espace d'accès aux arènes
institutionnelles.
dans un espace national. Des agriculteurs âgés peuvent
être en position dominée et dépassée dans leur univers
professionnel et se trouver au centre de réseaux de
sociabilité et de pouvoir lors des élections au village. La
notion de domination est relationnelle, ne préjuge pas des
formes plurielles de ce rapport de forces.
Une autre simplification, soulignée par Michel Offerlé
[1994], consisterait à construire une dichotomie rigide
entre l'univers – suspect – des mouvements sociaux et
celui – plus présentable – des groupes de pression. Ce
serait laisser échapper les éléments de continuité et de
recouvrement entre ces deux catégories qu'il faut penser
sur le mode d'un dégradé de situations. Un mouvement
social qui dure et réussit tend à se cristalliser en groupe
de pression. Il dispose alors – l'institutionnalisation du
syndicalisme en est une illustration – d'accès routinisés
aux sites de discussion et de décision sur les politiques
publiques. Parmi les effets de cette inclusion dans le
cercle des partenaires légitimes figurent une moindre
contrainte à mobiliser en permanence pour construire des
rapports de force, l'insertion aussi dans un autre régime
de discussion – feutré, entre des portes closes – qui
requiert un travail moins intense de prise à témoin et de
mobilisation de l'opinion publique. On peut paradoxalement
tirer de cette observation que l'action revendicative de la
« rue », décriée au nom de la démocratie représentative,
est au moins contrainte d'argumenter publiquement dans
l'espace public, impératif qui pèse moins sur des lobbies
assurés d'être consultés et écoutés. La limite de cette
observation tient à ce que, lorsque les négociations dans
la discrétion des bureaux ministériels cessent de leur
permettre d'être entendus, ces groupes de pression
basculent vers d'autres pratiques. La presse est riche en
placards publicitaires des industries pharmaceutiques et
professions protégées lorsque leurs revenus ou statuts
sont mis en cause.
Ce schéma d'analyse contient des présupposés qui
gagnent à être explicités. Décrire les mouvements sociaux
comme producteurs d'une arène singulière où s'expriment
des revendications qui ne trouvent pas accès ou solution
dans les arènes plus institutionnalisées, comme les
parlements, les ministères, la presse, revient à identifier
les mouvements sociaux aux seules mobilisations des
groupes « dominés », « exclus », « marginaux », pour
emprunter au lexique de la mise à l'écart. Pareille
description risque de tomber dans le piège que signalait
Friedberg : opposer un univers de l'institutionnalisé, de
l'organisé, régi par des règles et des procédures fermes,
à l'effervescence créatrice et confuse des mouvements
sociaux.
Un registre d'action dominé ?
Faut-il considérer que les mouvements sociaux sont, par
essence, les armes des faibles en quelque sorte réduits à
manifester et à faire grève faute de pouvoir être entendus
par des voies plus institutionnelles ? Une telle vision peut
aboutir à des simplismes. Une conception essentialiste de
la « domination » pourrait y conduire. Existeraient alors
des groupes assignés en permanence au triste statut de
dominés, à l'obéissance dans tout rapport de pouvoir. La
diversité des formes de domination est un fait que
l'expérience comme l'héritage de la sociologie, depuis
Marx et Weber, se conjuguent pour illustrer et expliquer.
Que des groupes (ouvriers, populations colonisées, etc.)
subissent, en des moments historiques donnés, un cumul
de situations de domination économique, culturelle,
politique constitue un fait objectivable. Mais si les formes
de la domination sont plurielles, elles n'existent aussi que
relationnellement. Parler sociologiquement de domination
suppose d'en réintroduire les protagonistes dans des
réseaux structurés d'interdépendances. Les négociants
d'une cité portuaire peuvent être « dominants » dans
l'espace local, quantité négligeable et par là « dominés »
On peut donc formuler une réponse à la fois claire et
nuancée. Oui, les mouvements sociaux constituent
tendanciellement une arme des groupes qui, dans un
espace-temps donné, sont du mauvais côté des rapports
de force. Une affinité structurelle existe entre les dominés
et ces prises de parole plus conflictuelles, moins intégrées
aux processus décisionnels. Mais cette arme est aussi
chère aux « dominés des dominants », aux ressortissants
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
des mondes culturels et intellectuels, auxquels leurs
ressources permettent d'inventer des modes de
protestation originaux ou médiatiques. On précisera
encore que, lorsqu'ils estiment que les voies habituelles de
la concertation leur sont défavorables et leurs intérêts
stratégiques menacés, des groupes socialement riches en
ressources peuvent se risquer à des mobilisations
protestataires. L'improbabilité des meetings de traders ou
des sit-in de P-DG dit qu'ils ont d'autres outils pour se
faire entendre. Mais qui aurait anticipé ces
rassemblements des notaires de l'automne 2014, dont les
marinières « notariat made in France » faisaient clin d'œil
au ministre Montebourg, scandant « Nous ne sommes pas
des rentiers ! » sur bande-son de Daft Punk, en réponse à
un projet de réorganisation de la profession ?
variations elles-mêmes ne sont jamais erratiques. Elles
dépendent d'abord des particularités du groupe mobilisé.
Une profession aux effectifs restreints, comme les avoués
lors de la réforme des professions de justice, préférera
une campagne de presse ou un travail de lobbying à la
manifestation qui sollicite le poids du nombre. Le monde
étudiant, avec ses amphithéâtres qui paraissent
prédestinés à un tel usage, se prêtera davantage au rituel
des assemblées générales quotidiennes que le milieu
paysan, avec son habitat souvent dispersé, sa moindre
propension aux joutes verbales sans fin.
Plus profondément, l'apport de Tilly est, à nouveau, de
réintégrer le temps long dans l'analyse des mouvements
sociaux. La construction des États et le développement du
capitalisme engendrent la politisation des mouvements
sociaux. Ils affectent aussi leurs répertoires d'action
collective. L'analyse de Tilly consiste à cerner dans un
premier temps les répertoires typiques d'avant la
révolution industrielle, quand les communautés
villageoises ou urbaines sont encore peu marquées par
une nationalisation systématique des enjeux sociaux. Trois
traits se dégagent alors. Les actions protestataires se
déploient dans l'espace local, vécu, celui de la
communauté. Elles fonctionnent souvent par détournement
ou parasitage de rituels sociaux préexistants. Dans son
étude sur le Var sous la Restauration, Maurice Agulhon
[1970] montre comment ce registre permet aux paysans
d'exprimer symboliquement des revendications ou des
attentes politiques, par des violences exercées contre un
mannequin de paille dont le costume évoque celui des
autorités, ou lors de parodies de procession où l'effigie du
saint local est remplacée par le buste d'un personnage
politique. La dimension du patronage constitue une
troisième donnée de ces répertoires précapitalistes. Les
groupes mobilisés cherchent le plus souvent le soutien
d'un notable local, soit comme intercesseur auprès
d'autorités plus lointaines, soit comme protecteur contre
d'autres membres de la communauté. Edward Thompson
[1993] a montré combien les débordements qui
accompagnaient les fêtes villageoises anglaises, sous
forme d'attaques contre les maisons des nonconformistes religieux, reposaient sur la collusion
bienveillante entre paysans et représentants de la gentry,
pourtant investis des missions de police.
Instituer l'action collective : répertoires et
organisations
Tilly a élaboré [1986] la notion de « répertoire d'action
collective » pour suggérer l'existence de formes
d'institutionnalisation propres aux mouvements sociaux.
« Les individus concrets ne se retrouvent pas pour
l'Action collective. Ils se rassemblent pour adresser une
pétition au Parlement, organiser une campagne d'appels
téléphoniques, manifester devant la mairie, détruire des
métiers à tisser mécaniques, se mettre en grève » [Tilly,
1976, p. 143]. Les groupes mobilisés puisent dans des
répertoires disponibles qui leur offrent des genres, des
mélodies. Tilly précise sa métaphore en évoquant le jazz,
où l'existence d'un répertoire de standards n'est jamais
exclusive d'improvisations sur les thèmes disponibles.
L'empreinte de l'Histoire
Le sens de la métaphore est clair. Tout mouvement social
est confronté à une palette préexistante de formes
protestataires plus ou moins codifiées, inégalement
accessibles selon l'identité des groupes mobilisés. La
manifestation, la réunion publique sont des formes
routinisées d'expression d'une cause, d'une revendication.
Elles sont aussi susceptibles d'infinies variations. Certains
organisateurs de manifestations sont ainsi devenus de
véritables experts en organisation de happenings colorés
où le défilé peut être accompagné d'orchestres, de
distribution de produits du terroir chez les paysans. Ces
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Vers le milieu du XIXe siècle, ce répertoire va subir un
ensemble de modifications lentes mais radicales. Il se
dégage d'abord des frontières de l'espace local pour
élargir ses horizons d'action : grèves et mobilisations
nationales, revendications portées vers le pouvoir central.
La protestation acquiert également une autonomie
croissante, elle s'émancipe du patronage des notables ou
du clergé, se trouve prise en charge par des organisations
ad hoc (syndicats, associations). Elle prend
simultanément, et l'influence des compétitions électorales
n'y est pas étrangère, des formes plus intellectualisées,
plus abstraites : programmes et slogans l'emportent sur
l'usage de symboles. Les registres expressifs du
mécontentement cessent graduellement d'être dérivés de
rituels sociaux préexistants pour (ré)inventer des formes
d'action pleinement originales comme la grève, la
manifestation. La mutation à long terme des répertoires
peut aussi se penser comme marquée par un processus
de pacification, de recul et de maîtrise de l'usage de la
violence par policiers et protestataires.
Les répertoires d'action collective
Source : à partir de Tilly [1986].•
La problématique de Tilly doit s'interpréter avec
souplesse. Le changement des répertoires est rarement
un événement brutal et datable. Les répertoires peuvent
se survivre, se superposer. L'Inde contemporaine permet
ainsi d'observer dans le même espace-temps des formes
d'action collective propres au syndicalisme moderne, et
l'activation régulière de mobilisations par lesquelles
hindous et musulmans se provoquent et s'affrontent en
utilisant à cette fin les rituels religieux de procession
[Jaffrelot, in Martin, 2002]. Les classements de Tilly ne
sont pas figés pour l'éternité. On verra (chapitre VII)
qu'émerge peut-être un répertoire de troisième
génération, internationalisé, reposant sur l'expertise
mêlant en réseaux mouvements sociaux, ONG
internationales et experts. Mais cette possible mutation
viendrait confirmer que les mouvements sociaux
connaissent des dimensions d'institutionnalisation, des
régularités. La question de l'organisation en est une autre
facette.
La question de l'organisation
Des mouvements sociaux peuvent émerger sans que des
organisations préexistantes en soient les initiatrices.
Même les plus soupçonneux d'une influence des
« islamistes » n'ont pu trouver un lien d'impulsion et de
coordination aux émeutes de la banlieue nord de Paris à
l'automne 2005 [Mauger, 2006]. Mais tel n'est pas le cas
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le plus habituel. Tout mouvement social qui tente de
s'inscrire dans la durée pour atteindre des objectifs est
confronté à la question de l'organisation. L'existence d'une
organisation qui coordonne les actions, rassemble des
ressources, mène un travail de propagande pour la cause
défendue ressort comme une nécessité pour la survie du
mouvement, ses succès. William Gamson [1975] en donne
une preuve convaincante à partir d'une étude sur
cinquante-trois mobilisations aux États-Unis entre 1800 et
1945. Il définit une norme de « bureaucratisation » des
mouvements à partir de critères tels que l'existence de
statuts écrits, la tenue d'un fichier des adhérents, une
organisation structurée en plusieurs échelons
hiérarchiques. Les mouvements sociaux dotés d'une telle
organisation parviennent, dans 71 % des cas, à être
reconnus par leurs interlocuteurs contre 28 % pour les
mouvements moins organisés. Dans 62 % des cas, ils font
aboutir une partie au moins de leurs revendications,
contre 38 % pour les mobilisations moins organisées. Les
chiffres montrent encore qu'une organisation centralisée,
mais surtout unie, se révèle plus efficace.
de domestication des mouvements sociaux rappellent
qu'entre un mouvement social et un groupe de pression la
différence n'est pas toujours de nature, mais peut aussi se
penser en termes de trajectoire, de moments d'une
institutionnalisation toujours possible, jamais inéluctable.
Piven et Cloward : une sociologie spontanéiste des
mouvements de « pauvres » ?
Dans Poor People's Movements , Frances Fox Piven et
Richard Cloward [1977] analysent divers mouvements
sociaux au sein des couches les plus déshéritées de la
société américaine : chômeurs et ouvriers des années
1930, mobilisations noires pour les droits civiques, luttes
pour les droits sociaux. Ils y relèvent le souci constant des
cadres militants de structurer la protestation par une
forte organisation et dressent un bilan très critique de
cette orientation. « Quand les travailleurs se lancent dans
les grèves, les organisateurs vendent des cartes
d'adhérent, quand les locataires refusent de payer les
loyers et résistent aux policiers, les organisateurs
forment des comités d'immeuble, quand des gens brûlent
et pillent, les organisateurs profitent de ces "moments de
folie" pour rédiger des statuts [...]. Les organisateurs
n'ont pas seulement échoué à tirer profit des occasions
données par la montée de l'agitation, ils ont typiquement
agi en freinant ou limitant la force dévastatrice que les
plus défavorisés étaient parfois capables de mobiliser [...].
Le travail de construction des organisations tendait à faire
abandonner la rue aux gens pour les enfermer dans des
salles de réunion [...]. Pour l'essentiel, les organisateurs
tendent à agir contre les explosions sociales parce que,
dans leur quête de ressources pour maintenir leurs
organisations, ils sont irrésistiblement conduits vers les
élites, et vers les soutiens matériels et symboliques
qu'elles peuvent fournir. Mais les élites ne lâchent ces
ressources que parce qu'elles comprennent que c'est la
construction des organisations, pas l'agitation, qui importe
aux organisateurs » (p. XXI-XXII).
En pratique, l'immense majorité des mouvements sociaux
est structurée par des formes plus ou moins rigides
d'organisation : relais partisans, syndicats, associations,
coordinations, rôle central dévolu à des animateurs. Mais
ce constat laisse ouvert un débat relatif aux formes de
l'organisation. Robert Michels [1914] a théorisé, à partir du
cas des partis sociaux-démocrates de la IIe
Internationale, une « loi d'airain de l'oligarchie » qui
aboutirait inévitablement à la confiscation du pouvoir par
les permanents et notables, à l'assignation des adhérents
à un rôle passif, à l'affadissement de la combativité des
grandes organisations soucieuses de ne pas mettre leurs
structures en péril. Ces thématiques parcourent les
débats dans les mouvements sociaux. Elles ne débouchent
pas tant sur la négation de l'impératif organisationnel que
sur la quête de formes d'organisation capables de
conjurer ces périls : refus de la subordination aux partis
dans l'anarcho-syndicalisme, rotation des cadres et élus
dans les organisations écologistes, émergence des
coordinations (Kergoat, Imbert et Le Doaré [1992] sur le
mouvement des infirmières de 1988). Les mouvements
sociaux ne sont donc nullement au pôle d'une pure
expressivité, d'un refus de toute organisation. Le débat sur
l'organisation, les stratégies possibles de légalisation ou
Piven et Cloward ne prétendent pas produire une théorie
générale de la « bonne » organisation, mais une réflexion
sur les mobilisations des « pauvres ». Elle repose sur
trois arguments. Le premier est le plus contestable
empiriquement. Il consiste à souligner que les
mobilisations des défavorisés éclatent spontanément. Les
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
deux autres ont trait aux réactions des élites menacées.
Celles-ci cherchent alors des interlocuteurs organisés
auxquels faire des concessions. Elles oublient promesses
et interlocuteurs dès que la menace décline.
Hanspeter Kriesi [1993] propose une approche dynamique
de la notion de mouvement social qui peut être un bon outil
d'analyse. Il s'agit de construire un espace des
organisations et investissements militants liés aux
mobilisations à partir de deux variables. La première a
trait au degré de participation des adhérents. Il peut aller
du militantisme le plus activiste à une adhésion formelle
réduite au paiement d'une cotisation. Une seconde variable
concerne l'orientation des organisations : visent-elles un
objectif d'influence sur des autorités publiques ou privées
pour obtenir des réformes ou des gains ? Visent-elles, à
l'inverse, à offrir aux adhérents des prestations et
services (coopérative de consommation, club de loisirs) ?
Ces deux sociologues ont été eux-mêmes des
organisateurs de premier plan du mouvement des welfare
rights dans les années 1960. Leur thèse, inséparablement
militante et sociologique, n'est donc pas un refus du
principe de l'organisation. Elle suggère davantage une
organisation à deux niveaux. Au plan local, des structures
souples et décentralisées, usant de méthodes d'action
offensives, voire illégales, pour maintenir une mobilisation
en développant une action continue, marquée par des
résultats tangibles, auprès des interlocuteurs directs
(services publics). La force accordée à un illégalisme de
masse est ici essentielle. À un second niveau, une
« organisation d'organisateurs » (p. 284) faite de
travailleurs sociaux, de religieux, d'étudiants aurait une
tâche de coordination, d'élaboration d'une stratégie
nationale. Cette semi-professionnalisation de la structure
de coordination vise à prévenir la perte d'énergie militante
de la base dans des luttes de pouvoir internes, dans un
lobbying soucieux de respectabilité – et par là
défavorable aux actions illégales – pour se faire
reconnaître des autorités. Jugé potentiellement
manipulateur par une majorité des cadres du mouvement,
ce second volet sera récusé, au profit d'une organisation
centralisée classique qui produira les effets dénoncés par
Piven et Cloward et leur interdira de soumettre leur thèse
à une vérification pratique.
Se dessine alors un espace à quatre zones (cf. schéma).
Le quadrant inférieur droit correspond à notre définition
du mouvement social, il pourrait s'illustrer dans les
mobilisations des printemps arabes. Le quadrant inférieur
gauche regroupe à la fois les organisations qui se donnent
des missions de représentation politique d'un groupe ou
d'un mouvement (on peut penser aux partis « sociaux
démocrates », comme le Labour britannique, initialement
issus du mouvement syndical) et des groupes de pression
ayant accès aux lieux de décision politique. Le quadrant
supérieur gauche regroupe les organisations qui, sans
être forcément sous le contrôle d'un mouvement, lui
apportent une aide logistique (maisons d'édition ou
imprimeries « amies » d'un mouvement, think tanks
alimentant un groupe de leur réflexion). Enfin, le quadrant
supérieur droit regroupe les organisations de self help qui
mobilisent l'énergie des adhérents ou proches d'un
mouvement pour apporter des services individuels : il peut
s'agir de conseils juridiques contre la répression (Secours
Rouge), de coopératives offrant des outils, des
assurances, de clubs de loisirs ciblant les membres d'un
mouvement.
Espaces des mouvements sociaux
Le modèle de Kriesi
Une typologie des organisations liées au mouvement social
Source : d'après Kriesi [1993].•
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Interdépendances et trajectoires
La notion d'espace des mouvements sociaux a été reprise
plus récemment par Mathieu [2012], dans une acception
autre. Le recadrage théorique valorise ici d'abord une
revendication d'autonomie des mouvements sociaux. La
voie de l'institutionnalisation, la simple connexion à un
parti politique suscitent une défiance inédite. Plus encore,
beaucoup de mouvements sont interconnectés, créent des
coalitions, se font concurrence sur la même cause,
s'empruntent des mots d'ordre, des « cadres », des
formes d'action. Leurs succès et reculs sont plus d'une
fois concomitants. On gagne à les penser comme un
système avec de fortes interdépendances. Cette vision
relationnelle des mobilisations, illustrée par Baptiste
Giraud sur les conflits du travail [2009], contribue aussi à
faire tomber l'invisible barrière qui a longtemps refoulé le
syndicalisme sinon comme un intrus, du moins comme une
sorte de cousin trop peu déluré ou un monde trop
institutionnalisé pour être inclus dans le cercle des
mouvements sociaux. L'exploration des formes
contemporaines de la conflictualité au travail, où seule la
cécité peut identifier le recul de la grève au consensus,
constitue précisément un terrain passionnant pour saisir
le changement des répertoires, les conditions sociales de
gestion de l'insatisfaction, les effets du travail sur les
engagements hors travail. Enfin, la notion d'espace n'est
pas que métaphorique. Les mobilisations se développent
dans une géographie, des espaces marqués par une
diversité de stratifications sociales, d'histoires locales, de
protagonistes. Encourager des comparaisons entre sites
(y compris ceux où rien ne se passe) quand un même
risque ou changement s'y exprime permet aussi de faire
avancer la connaissance des situations qui inhibent la
mobilisation [McAdam et Schaffer Boudet, 2012].
Loin de dissoudre la notion de mouvement social dans un
ensemble mou, ce schéma attire l'attention sur le fait que
la force des mouvements sociaux stricto sensu peut aussi
venir de leur capacité à se doter durablement de relais
politiques, d'outils logistiques, de services qui fidélisent les
adhérents. Le « mouvement ouvrier » structuré autour
des partis communistes ou sociaux-démocrates en fut un
exemple jadis. L'analyse du Medef par Offerlé [2013] en
confirme l'actualité. La force de l'organisation patronale
vient aussi de ce que, par un écheveau de mouvements et
structures proches ou connectés, elle sait à la fois
organiser les patrons, leur rendre des services pratiques,
créer des lieux de sociabilité où ils se rencontrent. Le
modèle permet en second lieu de penser ce que Kriesi
nomme trajectoires. Un mouvement social peut se
« convivialiser », déplaçant le centre de ses énergies de la
mobilisation à l'entretien d'une sociabilité chaleureuse
entre ses sympathisants, cultivant un entre-soi qui finit
par primer sur l'agir. Il peut se « commercialiser »,
devenant avant tout un prestataire de services (combien
d'adhérents savent qu'« assureur militant » n'est pas
qu'un slogan publicitaire, mais la référence à la création
de la MAIF par des syndicalistes enseignants contre les
grandes compagnies privées ?). Il peut aussi
s'institutionnaliser, devenant groupe de pression ou parti,
revenant éventuellement à la case mobilisation si
l'opération échoue, comme le montrent les étonnantes
métamorphoses du mouvement paysan Samobroona dans
la Pologne postcommuniste [Pellen, 2013]. Il peut enfin se
radicaliser, jouant son va-tout sur la seule confrontation.
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James C. Scott, « Infra-politique des groupes
subalternes », Vacarme, 26/3, 2006, p. 25-29
comme nous l’avons vu, que cette lutte est invisible : elle
correspond à un choix tactique né d’une conscience
prudente de l’équilibre des pouvoirs. La proposition faite
ici est identique à celle de Léo Strauss lorsqu’il dit que la
réalité de la persécution doit modifier notre lecture de la
philosophie politique classique : « La persécution ne peut
empêcher l’expression publique de la vérité hétérodoxe,
car un homme dont la pensée est indépendante peut
exprimer ses opinions en public et demeurer sain et sauf
du moment qu’il le fait avec prudence. Il peut même les
imprimer sans pour autant courir le moindre danger, du
moment qu’il est capable « d’écrire entre les lignes »
[1]. » Le texte que nous interprétons dans le cas présent
n’est pas Le Banquet de Platon mais plutôt la lutte
culturelle voilée et l’expression politique de groupes
subalternes, qui ont toute raison de craindre d’avancer
leurs opinions à découvert. Le sens du texte, dans les deux
cas, est rarement simple et direct. Il est souvent censé
communiquer une chose aux initiés et autre chose aux
autorités et aux non-initiés. L’interprétation en est quelque
peu facilitée, quand nous avons accès au texte caché [2]
(analogue aux notes et conversations secrètes du
philosophe), ou bien à l’expression d’une opinion plus
imprudente (analogue aux textes postérieurs produits
dans des conditions plus libres). Sans ces textes
comparatifs, nous sommes obligés de chercher des
significations non innocentes en recourant à notre savoir
culturel — tout comme le ferait un censeur expérimenté !
En règle générale, quand on veut dévaluer la grande
histoire politique, on fait appel aux grandes structures
économiques ou sociales qui dépossèdent encore un
peu plus ceux qui étaient déjà exclus de la première.
En 1990, dans Domination and the Arts of Resistance :
Hidden Transcripts, l’anthropologue James C. Scott
prenait le parti inverse : montrer que sous les formes
publiques de domination et de révolte spectaculaire
existe toute une infra-politique cachée et obéissant à
d’autres règles, qui, en vérité, constitue peut-être
l’essentiel de la vie politique des dominés. Extraits du
chapitre VII.
« Les formes culturelles ne disent peut-être pas ce
qu’elles savent, ne savent peut-être pas ce qu’elles disent,
mais elles font ce qu’elles ont l’intention de faire — à tout
le moins dans la logique de leur pratique. »
Paul Willis, Learning to Labour
« [L’exécution du hallebotage après les vendanges]
exaspéra les esprits au dernier point ; mais il existe un si
grand espace entre la classe qui se courrouçait et celle
qui était menacée, que les paroles y meurent, on ne
s’aperçoit de ce qui s’y passe que par les faits, elle
travaille à la manière des taupes. »
Balzac, Les paysans
Le terme infra-politique est, je crois, approprié pour une
autre raison. Quand on parle de l’infrastructure dans le
domaine du commerce, on pense immédiatement aux
moyens qui rendent un tel commerce possible : par
exemple, les moyens de transport, les opérations
bancaires, les devises, les droits immobiliers et
contractuels. De la même manière, j’ai l’intention de
montrer que l’infra-politique que nous avons examinée
fournit une grande partie des bases culturelles et
structurelles de l’action politique plus visible sur laquelle,
généralement, nous avons jusqu’à maintenant porté notre
Dans le domaine des sciences sociales où les néologismes
sont déjà légion, d’aucuns diraient envahissants, on hésite
à en inventer un de plus. Le terme infra-politique,
cependant, semble être approprié pour évoquer l’idée que
nous avons affaire à un domaine discret de la lutte
politique. Pour des sciences sociales habituées aux
politiques relativement transparentes des démocraties
libérales et aux contestations, manifestations et rebellions
bruyantes qui font la une des journaux, la lutte
circonspecte menée quotidiennement par des groupes
subalternes se situe, tels des rayons infrarouges, au-delà
du spectre visible. C’est en grande partie à dessein,
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ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
attention. La majeure partie de ce chapitre est consacrée
à soutenir cette thèse.
dissipant les énergies collectives à l’occasion de discours
et de rituels relativement inoffensifs [3]. »
Tout d’abord, je reviendrai brièvement sur l’idée très
répandue selon laquelle le discours « en coulisse » des
« sans pouvoir » est soit une vue politique creuse, soit, et
pis encore, un substitut à toute résistance réelle.
Les arguments qui plaident en faveur d’une telle
interprétation « hydraulique » des paroles de défi qui, tel
un fleuve en crue, seraient détournées vers des zones
sans valeur, sont renforcés, comme nous l’avons fait
remarquer, lorsque ces paroles sont essentiellement
orchestrées ou mises en scène par les groupes
dominants. Carnavals, saturnales et, plus généralement,
tout rite de renversement encadré, en sont les exemples
les plus criants. Jusqu’à il y a peu, l’interprétation qui
prédominait de l’agression ritualisée ou du renversement
était que le fait de jouer la comédie pour se débarrasser
de tensions engendrées par les relations sociales
hiérarchisées servait à renforcer le statu quo. Des
penseurs aussi différents que Hegel et Trotski
considéraient ces cérémonies comme des forces
conservatrices. Les analyses influentes de Max Gluckman
et de Victor Turner soutiennent qu’en pointant une égalité
essentielle, si brève fût-elle, parmi tous les membres de la
société, et en illustrant, ne fût-ce que rituellement, les
dangers du désordre et de l’anarchie, ces cérémonies ont
pour fonction de souligner la nécessité d’un ordre
institutionnalisé [4]. Pour Ranajit Guha [5], c’est
précisément parce qu’ils sont autorisés et prescrits par
les dominants que les effets des rituels de renversement
sont au service de l’ordre. Permettre aux groupes
subalternes de jouer à la rébellion à des périodes, et dans
le cadre de règles spécifiques, permet d’éviter de bien
plus dangereuses formes d’agression.
Une fois pointées certaines des difficultés logiques liées à
ce raisonnement, j’essaierai de montrer comment la
résistance symbolique et matérielle fait partie d’un même
ensemble de pratiques interdépendantes. Pour cela, il faut
souligner à nouveau l’importance de l’idée que la relation
entre les élites dominantes et les subalternes ressemble
souvent, entre autres, à une lutte matérielle dans laquelle
les deux parties cherchent inlassablement à trouver leurs
faiblesses et à exploiter leurs petits avantages. En guise
de récapitulation d’une partie de mon propos, j’essaierai
finalement de montrer que chaque domaine de résistance
publique à la domination est suivi de près par une sœur
jumelle infra-politique, qui poursuit les mêmes buts
stratégiques, mais dont la discrétion est mieux adaptée
pour résister à un adversaire susceptible de remporter
une bataille ouverte.
Le texte caché : une posture vaine ?
Un sceptique pourrait tout à fait accepter une grande
partie des arguments évoqués jusqu’ici et cependant
minimiser leur signification dans la vie politique. Même
lorsqu’il se dissimule dans le texte public, le texte caché
n’est-il pas un simple point de vue, une posture politique
creuse rarement exprimée avec sérieux ? Cette façon de
voir les choses semble signifier qu’exprimer une
agression contre une figure dominante à l’abri de tout
danger a une fonction de substitut — certes insatisfaisant
— à ce qu’elle vise réellement : l’agression directe. Au
mieux, elle a peu ou pas de conséquence, au pire c’est une
dérobade. Les prisonniers qui passent leur temps à rêver
de la vie au-dehors feraient mieux de creuser un tunnel ;
les esclaves qui chantent la libération et la liberté feraient
mieux de prendre leurs jambes à leur cou.
Dans sa description des congés donnés aux esclaves dans
le sud des États-Unis d’avant la Guerre de Sécession,
Frederik Douglass, lui-même esclave, a recours à la même
métaphore. Son raisonnement, cependant, est légèrement
différent :
« Avant les vacances, on se réjouit des plaisirs à venir.
Après les vacances, ces plaisirs deviennent plaisirs du
souvenir et servent à tenir éloignés des pensées et des
souhaits d’une nature plus dangereuse. Ces vacances sont
des fils conducteurs ou des soupapes de sécurité qui
permettent de désamorcer les éléments explosifs
inséparables de la pensée humaine quand on est réduit à
l’état d’esclave. Sans elles, rigueurs et servages
Barrington Moore écrit : « Rêver de libération et de
vengeance peut contribuer à préserver la domination en
32
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deviendraient insupportables et l’esclave serait
inévitablement si désespéré qu’il en deviendrait dangereux
[6]. »
La logique de la thèse de la soupape de sécurité repose
sur la proposition socio-psychologique selon laquelle
l’expression de l’agression en coulisses — lors de rêveries
communes, de rituels ou de contes populaires — produit
autant ou presque autant de satisfaction (par conséquent
une diminution de la pression) que l’agression directe
contre l’objet de la frustration. Les preuves apportées à
cette thèse par la psychologie sociale ne sont pas tout à
fait univoques, et même la plupart d’entre elles ne vont
pas dans son sens.Au contraire, ces preuves suggèrent
que les sujets injustement contrariés n’éprouvent pas
moins de frustration et de colère sauf s’ils sont en mesure
de blesser directement l’agent responsable de leur
frustration [7]. De telles preuves n’ont rien de
surprenant. On pourrait s’attendre à ce que les
représailles à l’encontre du responsable de l’injustice
aient des effets cathartiques plus grands que les formes
d’agression qui laisseraient le responsable de l’injustice
indemne. Et certes, il existe de nombreux témoignages
expérimentaux qui montrent que rêves et jeux agressifs
font croître plutôt que décroître la possibilité d’une réelle
agression. Mme Poyser se sentit très soulagée quand elle
déchargea sa bile directement au visage du châtelain,
mais n’était vraisemblablement pas soulagée, ou bien
alors pas suffisamment soulagée, par les discours qu’elle
répétait et les serments qu’elle faisait dans son dos. Il y a
donc autant, voire plus, de raisons de considérer la colère
« en coulisse » de Mme Poyser comme une préparation de
son éventuel éclat, plutôt que comme une alternative
satisfaisante.
L’idée de Douglass n’est pas qu’il existe un ersatz de
rébellion en lieu et place d’une rébellion réelle, mais
simplement que le répit et le luxe que représente un jour
de congé procurent suffisamment de plaisir pour
émousser le tranchant d’une rébellion naissante. C’est
comme si le maître calculait le degré de pression
susceptible d’engendrer des actes désespérés et ajustait
le niveau de répression juste avant que la pression
n’atteigne son comble.
L’élément le plus intéressant concernant les théories de la
soupape de sécurité sous leurs diverses formes est peutêtre celui qui est le plus souvent négligé. Ces théories se
fondent toutes sur l’hypothèse selon laquelle la
subordination systématique engendre une forme de
pression qui vient du dessous. Elles affirment de plus que
si rien n’est fait pour soulager cette pression, celle-ci
grandit et engendre une explosion d’une nature ou d’une
autre. On spécifie rarement de manière précise d’où vient
cette pression et en quoi elle consiste. Pour ceux qui
vivent sous le joug de cette subordination, que cela soit M.
Douglass ou l’imaginaire Mme Poyser, la pression est une
conséquence indiscutée de la frustration et de la colère
nées de l’incapacité de se défendre (physiquement ou
verbalement) contre un oppresseur puissant. Cette
pression engendrée par une injustice manifeste, mais face
à laquelle on est impuissant, trouve son expression, nous
l’avons montré, dans le texte caché, dans sa taille, sa
virulence et son abondance symbolique. En d’autres
termes, la thèse de la soupape de sécurité admet
implicitement un certain nombre d’éléments-clés de notre
plus ample thèse concernant le texte caché : à savoir que
la subordination systématique suscite une réaction et que
cette réaction contient un désir de vengeance ou de
réponse au dominant. Mais les deux thèses divergent dans
la supposition que ce désir puisse être en majeure partie
assouvi, lors de conversations « en coulisses », ou lors de
rituels de renversement bien surveillés, ou bien encore
lors de festivités qui, de temps en temps, apaisent le feu
du ressentiment.
Si les témoignages socio-psychologiques corroborent peu
ou pas du tout l’idée d’une catharsis opérée par un tel
mécanisme de substitution, les arguments historiques en
faveur de cette thèse restent à réunir. Serait-il possible
de montrer, toutes choses égales d’ailleurs, que plus les
élites dominantes ont fourni ou autorisé des exutoires aux
agressions à leur endroit, les contenant dans des formes
somme toute inoffensives, moins elle ont été exposées à la
violence et à la rébellion d’un groupe subalterne ? Si une
telle comparaison était entreprise, il faudrait tout d’abord
commencer par distinguer l’effet du déplacement de
l’agression en soi, et les concessions plus matérielles que
représentent ces festivités : celles de la nourriture, de
l’alcool, de la générosité, et du soulagement procuré par
l’arrêt de travail et l’absence de discipline.
33
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
coulisse » parmi les étudiants, les hommes d’églises et
leurs paroissiens noirs ?
En d’autres mots, « le pain et le cirque », qui, de toute
évidence, sont souvent des concessions politiques
conquises par les classes subalternes, renforcent peutêtre l’oppression indépendamment de la ritualisation des
formes d’agression [8].
Un long regard historique suffit pour se rendre compte
que le luxe d’une opposition politique ouverte relativement
protégée est à la fois rare et récent. La vaste majorité des
gens ont toujours été et continuent d’être non pas des
citoyens mais des sujets. Tant que notre conception du
« politique » est réduite aux activités ouvertement
déclarées, nous sommes amenés à conclure que la vie
politique fait essentiellement défaut aux groupes
subalternes ou se borne tout au plus à d’exceptionnels
moments d’explosion sociale. Ce faisant, nous manquons le
terrain politique immense qui existe entre inactivité et
révolte et qui, qu’on s’en réjouisse ou non, constitue
l’environnement politique des classes soumises. C’est se
centrer sur l’arbre de la politique visible et ne pas voir la
forêt qui se cache derrière.
Si l’on suivait cette ligne de pensée, il resterait à en
expliquer une anomalie importante. Si, effectivement,
l’agression ritualisée détourne l’agression réelle de sa
cible, pourquoi tant de révoltes d’esclaves, de paysans et
de serfs ont vu le jour précisément au cours de rituels
saisonniers (par exemple, le carnaval de Romans décrit
par Le Roy Ladurie) créés pour éviter ces mêmes révoltes
? [...]
La résistance souterraine
Nous sommes maintenant en mesure de résumer une
partie de notre argument. Jusqu’à il y a peu, la majeure
partie de la vie politique active des groupes subalternes a
été ignorée parce qu’elle a souvent lieu à un niveau que
l’on reconnaît rarement comme politique. Pour insister
sur l’énormité de ce qui a été négligé d’une manière
générale, je tiens à faire une distinction entre les formes
de résistance ouvertes et déclarées qui attirent
généralement l’attention, et celles, déguisées, discrètes et
non déclarées, qui constituent le domaine de l’infrapolitique (voir tableau ci-dessous). Pour les démocraties
libérales occidentales modernes, seule l’action politique
visible s’empare de ce qui fait sens dans la vie politique.
Les succès historiques des libertés politiques d’expression
et d’association ont considérablement réduit les risques et
la difficulté d’une expression politique publique. Cependant,
il n’y a pas si longtemps en Occident, et aujourd’hui
encore, pour la plupart des minorités les moins
privilégiées et pour les pauvres marginalisés, l’action
politique au grand jour est loin d’être la part la plus
importante de leur action politique en général. Porter une
attention exclusive à la résistance déclarée ne nous
permettra pas plus de comprendre le processus par
lequel de nouvelles forces et exigences politiques germent
avant de finalement fleurir sur la scène publique.
Comment, par exemple, pourrions-nous comprendre le
bouleversement manifeste qu’a représenté le Mouvement
pour les droits civils ou le Mouvement du Black Power
dans les années 1960, sans comprendre le discours « en
Toute forme de résistance déguisée, d’infra-politique, est
le partenaire silencieux d’une forme de résistance
publique bruyante. Ainsi, squatter la terre lopin par lopin
est le pendant infra-politique des grandes invasions
nomades : tous deux visent à éviter l’appropriation de la
terre. Le squat ne peut avouer ses buts et constitue une
stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont
pas de droits politiques. De même, la rumeur et les contes
populaires de vengeance sont les pendants infra-politiques
des gestes non dissimulés de mépris ou de profanation :
c’est la dignité et le rang qui ont été retirés aux groupes
subalternes que tous deux cherchent à restaurer.
Rumeurs et contes ne peuvent agir directement et dire
haut et fort leurs intentions et constituent ainsi une
stratégie qui convient parfaitement aux sujets qui n’ont
pas de droits politiques. De même encore, l’imaginaire
millénariste et les renversements symboliques de la
religion populaire sont les pendants infra-politiques des
contre-idéologies radicales et publiques : c’est le
symbolisme public de la domination idéologique que tous
deux cherchent à nier. L’infra-politique est donc
essentiellement une forme stratégique que la résistance
des sujets doit prendre lorsqu’elle est soumise à un trop
grand danger.
Les impératifs stratégiques de l’infra-politique ne la
rendent pas seulement différente en degré des politiques
34
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
publiques des démocraties modernes : ils imposent une
logique totalement différente de l’action politique. Aucune
revendication publique n’est faite, aucune ligne symbolique
n’est tracée. Toute action politique prend des formes
conçues pour masquer ses intentions ou pour les
dissimuler derrière un sens apparent. Pratiquement,
personne n’agit en son nom pour des raisons voulues :
cela irait à l’encontre du but recherché. C’est précisément
parce qu’une telle action politique est scrupuleusement
conçue pour être anonyme ou pour nier son but, que
l’infra-politique appelle davantage qu’une interprétation
réductrice. Les choses ne sont pas exactement ce qu’elles
semblent être.
politiques, révolutionnaires et chefs de partis), à celui de
la trace écrite (résolutions, déclarations, nouvelles
histoires, pétitions, procès) et à celui de l’action politique,
l’infra-politique appartient quant à elle au royaume du
leadership informel et de l’absence d’élite, à celui de la
conversation et du discours oral, à celui de la résistance
clandestine. La logique de l’infra-politique est de laisser
peu de traces dans son sillage. En protégeant ses
arrières, elle ne minimise pas seulement les risques
encourus par ceux qui y participent, mais élimine
également une grande partie des documents écrits
susceptibles de convaincre les spécialistes de sciences
humaines et les historiens que de la vraie politique serait
en jeu.
La logique du déguisement suivie par l’infra-politique
s’étend à son organisation autant qu’à sa substance. Une
fois encore, la forme d’une organisation naît d’une
nécessité politique autant que d’un choix politique. Parce
que l’activité politique au grand jour est pratiquement
exclue, la résistance est vouée à se construire dans des
réseaux plus informels regroupant des membres de la
famille, des voisins, des amis ou des membres de la
communauté. Tout comme la résistance symbolique, que
l’on trouve dans les différentes formes de culture
populaire, peut contenir une signification innocente, les
unités organisationnelles élémentaires de l’infra-politique
ont une existence erratiquement innocente. Les
attroupements au marché, les assemblées informelles de
voisins, de familles ou de membres d’une même
communauté fournissent une structure et une couverture
à la résistance. Celle-ci est parfaitement adaptée pour
éviter la surveillance car elle est menée individuellement,
en petits groupes, et, lorsqu’elle est menée à plus grande
échelle, a recours à l’anonymat de la culture populaire ou
à de réels déguisements. Il n’y a pas de meneurs à serrer,
pas de listes de membres à éplucher, pas de manifestes à
dénoncer, pas de manifestations publiques qui attirent
l’attention. Ces assemblées informelles sont, pourrait-on
dire, les formes élémentaires de la vie politique sur
lesquelles des formes plus élaborées, ouvertes et
institutionnelles, peuvent être bâties, et dont ces mêmes
formes sont susceptibles de dépendre pour garder leur
vitalité. Ces formes élémentaires expliquent également
pourquoi l’infra-politique échappe à l’attention. Si
l’organisation politique publique et formelle appartient au
royaume des élites (par exemple aux avocats, hommes
L’infra-politique est, à n’en point douter, de la vraie
politique. À maints égards, elle est conduite de façon plus
entière, a de plus grands enjeux et doit surmonter de plus
grandes difficultés pour parvenir à ses fins, que la vie
politique des démocraties libérales. On gagne du vrai
terrain, ou on en perd vraiment. Les armées sont défaites
et les révolutions facilitées par les désertions de l’infrapolitique. De facto, les droits de propriété sont établis et
remis en question. Les États sont confrontés à des crises
fiscales ou budgétaires quand les petits stratagèmes
accumulés par leurs sujets leur font perdre de la main
d’œuvre et des impôts. Des sous-cultures vantant la
dignité et les rêves de vengeance voient le jour et
prennent de l’ampleur. Des discours contre-hégémoniques
sont élaborés. Ainsi, comme nous l’avons montré
précédemment, l’infra-politique explore, éprouve et
attaque constamment les limites de ce qui est permis. Le
moindre relâchement dans la surveillance ou la
répression, le moindre atermoiement, menace de se
transformer en grève déclarée, les contes populaires
d’agression oblique menacent de se transformer en
mépris avoué et en défit frontal, et les rêves millénaristes
menacent de se transformer en politique révolutionnaire.
De ce poste d’observation, on peut penser que l’infrapolitique est une forme élémentaire de la politique —
élémentaire dans le sens de fondamental. C’est la
composante sans laquelle l’action politique élaborée et
institutionnalisée n’existerait pas. Sous la tyrannie et la
persécution, qui est la condition commune de la plupart
des sujets historiques, c’est la vie politique. Et quand on
détruit ou réduit les rares participations citoyennes à la
35
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
vie politique publique, comme cela est souvent le cas, les
formes élémentaires de l’infra-politique perdurent comme
le moyen de défense souterrain des « sans pouvoir ».
Traduit de l’américain par Pascale Guy
qui désigne l’ensemble des interactions ouvertes entre
subalternes et dominés. La notion de hidden transcript
désigne ainsi l’ensemble des discours et pratiques qui
prennent place « en coulisse », en deçà de l’observation
directe des dominants, et qui peuvent confirmer,
contredire ou infléchir ce qui apparaît dans le texte public
[note de la traductrice].
[3] Barrington Moore, Injustice : The Social Basis of
Obedience and Revolt, 1978.
[4] Max Gluckman, Rituals of Rebellion in South-East
Africa, 1954 ; Victor Turner, The Ritual Process : Structure
and Anti-Structure, 1969.
[5] Ranajit Guha, Elementary Aspects of Peasant
Insurgency in Colonial India, 1983.
[6] Frederick Douglass, My Bondage and my Freedom ,
1855.
[7] Cf. Leonard Berkowitz, Aggression : A Social
Psychological Analysis , 1962.
[8] Cf. Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie
historique d’un pluralisme politique , 1976.
Notes
[1] Léo Strauss, La Persécution et l’art d’écrire , p. 57,
Pockett (1952, 1989). Il devrait être abondamment clair
que mon analyse est fondamentalement orthogonale avec
ce « straussianisme » que beaucoup ont réussi à vendre
dans la philosophie et l’analyse politique contemporaines
(par exemple, cette prétention indue d’avoir un accès
privilégié à l’interprétation vraie des classiques, ce dédain
autant pour la « multitude vulgaire » que pour les tyrans
incultes). L’attitude des straussiens me frappe autant que
celle de Lénine envers la classe ouvrière dans Que faire
?Ce que je trouve pourtant instructif dans la position de
Strauss est cette prémisse suivant laquelle
l’environnement politique dans lequel fut écrite la
philosophie occidentale permet rarement une
interprétation univoque de ses textes.
[2] Par « texte caché », nous traduisons ici la notion
centrale de l’ouvrage, hidden transcript, littéralement
« transcription cachée » ou « version cachée des faits »,
qui s’oppose à celle de public transcript (« texte public »),
36
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
n’est en effet recensé sous son sens politique dans aucun
dictionnaire français. Longtemps, il est essentiellement
utilisé à titre d’anglicisme pour référer à une pratique
d’origine religieuse, le « tract » (abréviation de tractate,
traité), qui sert à désigner, depuis le XIIIe siècle et encore
aujourd’hui, des ouvrages religieux, de tailles très
diversifiées, distribués à de nombreux exemplaires, alors
que c’est le terme leaflet qui est employé pour parler ce
que nous avons fini par nommer des « tracts ». Si l’origine
du mot est religieuse, la pratique, elle-même, se développe
tôt en politique. Preuves en sont ces imprimés de 1789 que
les conservateurs de la Bibliothèque nationale de France
ont étiquetés en tant que « tracts », même si leurs
auteurs ne revendiquent pas cette dénomination.
Contamin Jean-Gabriel, « le
tract, à quoi bon ? »,
Vacarme, 2008/4 (n° 45),
p. 68-71
Qu’il soit distribué à un camarade de manif, déjà
convaincu, ou ostensiblement mis au panier par un
opposant, ou refusé par un piéton pressé qui a déjà
reçu, au carrefour précédent, un énième prospectus
lui vantant les vertus de la dianétique ou du
cheeseburger, un tract semble voué à n’être pas lu. Et
pourtant, on tracte. Sans doute parce que cette vieille
technique de propagande s’offre à des usages que sa
fonction n’épuise pas.
Sa diffusion se heurte toutefois dans un premier temps à
une triple barrière. La barrière de l’écrit, d’abord, puisque
ces imprimés se développent dans une société encore
largement analphabète, même s’ils peuvent être l’objet de
lectures publiques et de discussions. La barrière
technologique, ensuite, puisque les moyens d’impression
et de diffusion sont encore largement dans les mains de
quelques-uns. La barrière juridique, enfin et surtout,
puisque, jusqu’en 1881, et en dépit de périodes de plus ou
moins grande contrainte, les imprimés demeurent en
France peu ou prou sous régime d’autorisation. Un
ensemble d’entraves qui n’ont du reste pas empêché les
imprimés, sous forme de tracts, pétitions ou mémoires, de
jouer un rôle non négligeable dans le processus de
démocratisation en habituant les citoyens à la controverse
et au dialogue, au point que certains voient dans ces
pratiques de communication l’origine des idées
démocratiques plutôt que leur simple vecteur [1]
Le tract, petite feuille de papier imprimé que l’on distribue
à des fins de propagande, qu’on peut ainsi distinguer tout
autant du graffiti qui demeure fixé à son support et
n’autorise qu’une lecture brève et instantanée, que du
journal, à diffusion plus continue, distribué par des
réseaux plus professionnalisés. Le tract, outil par
excellence du militant qui va défendre sa cause sur les
marchés, aux sorties de métro et d’usine, dans les boîtes
aux lettres ou les manifestations. Le tract, moyen primaire
et premier des organisations pour démontrer leur
existence et faire entendre leurs voix sans s’en remettre
aux médias institutionnels et à leurs logiques de sélection
et de traduction.
Ce moyen de mobilisation, présenté comme
« traditionnel » au regard des « nouvelles » formes de
mobilisation, semble de prime abord relever d’une forme
d’évidence, de banalité : faire un tract, le distribuer, le
recevoir, le lire… et le mettre à la poubelle... Autant
d’activités d’autant plus quotidiennes qu’aux tracts
militants s’est ajoutée, voire substituée, la multitude des
tracts commerciaux — prospectus — qui viennent
concurrencer ces messages politiques. Un regard à la fois
historique et sociologique invite pourtant à remettre en
cause cette impression de familiarité.
En regard, la situation contemporaine pourrait sembler
nettement plus ouverte à la pratique des tracts. Un
développement du niveau global d’instruction de la
population. Des moyens de confection, d’impression et de
diffusion qui se sont démocratisés. Un régime juridique
qui, depuis la loi du 29 juillet 1881, abandonne le contrôle a
priori et compressif par les autorités exécutives pour lui
préférer un contrôle a posteriori et répressif par les
autorités judiciaires : cette loi dispose que les écrits
rendus publics sont libres sous réserve de porter
« indication du nom et du domicile de l’imprimeur » (même
si on est soi-même ledit « imprimeur ») et de respecter
Regard historique, d’abord, puisque, si la « chose » n’est
pas une nouveauté, le mot « tract » lui-même est, en
français, d’usage relativement tardif. Jusqu’en 1968, il
37
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
L’encadrement juridique est certes beaucoup moins
contraignant et répressif qu’il ne pouvait l’être naguère ou
qu’il l’est encore dans certains pays dans lesquels le fait
même de distribuer des tracts peut conduire à la prison
(le Tibet, par exemple). Toutefois, il prend des formes plus
diffuses qui ne sont pas sans peser sur les pratiques de
tractage. À la liberté d’expression a en effet été opposé un
ensemble de principes — maintien de l’ordre et de la
tranquillité publics, impératif de sécurité routière, respect
du bon fonctionnement des entreprises, ou, depuis peu,
sauvegarde de l’hygiène publique et de l’esthétique — au
nom desquels la pratique du tractage se voit restreinte.
les règles qui définissent les « crimes et délits commis
par voie de presse ou par tout autre moyen de
publication ». Si les journaux ou l’exercice du colportage
supposent des formes minimales de déclaration, « la
distribution et le colportage accidentels ne sont assujettis
à aucune déclaration ».
Toutes les conditions sont donc réunies pour une explosion
du recours au tractage dont on trouve en effet la trace
dans trois domaines au moins. Le domaine militant, certes.
Mais, aussi, le domaine militaire : cette pratique des
« boulets de papiers » prend notamment son essor
pendant la seconde guerre mondiale durant laquelle les
États-Unis envoient par avion six milliards de tracts sur
l’Europe Occidentale (les « bombes Monroe »). Le domaine
de la communication commerciale et institutionnelle, enfin,
avec l’afflux des prospectus comme mode de prévention et
de publicité.
D’abord, des restrictions législatives ou réglementaires
relevant de domaines très variés. Ainsi, le Code électoral
interdit de distribuer de tels documents dans toute la
France les jours et les veilles de scrutin. Sur les lieux de
travail, un décret de 1982 n’autorise la distribution de
documents d’origine syndicale aux agents des
administrations que si elle est assurée par des agents qui
ne sont pas en service, si elle a lieu en dehors des locaux
ouverts au public et si elle ne porte pas « atteinte au bon
fonctionnement du service », tandis que, en ce qui
concerne le secteur privé, le Code du travail n’autorise la
distribution de tracts syndicaux aux travailleurs d’une
entreprise dans l’enceinte de celle-ci qu’aux heures
d’entrée et de sortie du travail. Le Code de la route, de son
côté, interdit la distribution aux conducteurs ou occupants
de véhicules en circulation. Enfin, depuis 2003, le code de
l’environnement souligne que toute personne physique ou
morale qui distribue des imprimés est tenue de contribuer
à l’élimination des déchets ainsi produits, à partir du
moment où elle traite une masse annuelle d’imprimés
supérieure à 500 kg. Plus généralement, la jurisprudence
souligne l’interdiction de diffuser des tracts qui, par leurs
couleurs et leurs formes, seraient peu aisément
distingués de documents officiels.
Pourtant, ces évolutions ne sont pas sans effets pervers
pour le tractage militant. Certes, en termes
organisationnels, si on compare la situation
contemporaine à celle qui prévalait en mai 1968, le
recours au tract s’est « démocratisé ». La confection des
tracts en nombre minimal demandait encore alors un
ensemble de ressources organisationnelles non
négligeables qui tendait à la réserver à des collectifs un
peu structurés alors qu’aujourd’hui chacun peut assez
facilement disposer des moyens matériels pour
confectionner, imprimer et reproduire « son » tract.
Toutefois, cette multiplication des messages par tract
tend aussi à rendre plus difficile la différenciation de
l’usage militant du tract d’autres formes d’usages.
Comment différencier visuellement son message de ceux
que font circuler les acteurs commerciaux ou
institutionnels ? Comment, à l’inverse, ne pas adopter
quelque peu les normes « commerciales » alors que
celles-ci contribuent à informer les normes de réception
auxquelles elles tentent par ailleurs de se conformer ?
D’autant que ces tracts militants ont plus de peine à se
différencier des messages commerciaux par leur mode de
diffusion, alors que se développe le street marketing,
campagne marketing qui se déroule dans la rue, au
contact de la cible souhaitée.
À ces restrictions nationales et générales, s’ajoutent des
restrictions propres à chaque municipalité puisqu’il est de
la compétence des maires ou des préfets de prendre, sous
contrôle du tribunal administratif, des arrêtés interdisant
la distribution de tracts dans certains lieux ou dans
certaines circonstances, ainsi que de contraindre les
distributeurs de tracts à respecter telle ou telle règle.
Ainsi, à Paris, la distribution gratuite d’imprimés est
38
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
relativement maître du message qu’il fait circuler, il est
aussi l’objet d’autres formes d’investissement qui
supposent parfois que sa fonction informative ne soit plus
que secondaire. Un usage d’adjuvant au service d’autres
formes d’action lorsqu’il s’agit de tester l’accueil d’une
cause dans une population, de mobiliser pour une autre
action ou d’en faire le prétexte d’une action médiatique. Un
usage « militant » lorsqu’il s’agit d’occuper les militants
par une activité « à faible rendement ». Un usage
expressif lorsqu’il s’agit de faire exister une organisation,
de lui donner une image, par la seule existence du tract,
mais aussi en verbalisant et en construisant un « nous »
et un « eux ». Un usage ludique quand on en fait
essentiellement un usage oblique, destiné à divertir le
lecteur, souvent en jouant avec les codes prêtés au tract
politique. Mais, aussi et surtout, un usage « conatif »
lorsqu’il s’agit de faire de la distribution du tract
l’occasion d’engager la conversation avec ceux et celles à
qui on les propose, de les aborder à moindre coût d’un
côté comme de l’autre — puisque chacun peut sortir de
cette interaction très rapidement — et ainsi, de
sensibiliser, voire de recruter, des sympathisants
potentiels en jouant de ce que les sociologues américains
ont nommé l’effet foot-in-the-door, c’est-à-dire l’idée que
lorsqu’une personne a été amenée à répondre
favorablement à une petite requête, elle a plus de chances
de répondre favorablement à une requête plus importante.
interdite dans les zones piétonnes ainsi que dans un
certain nombre de voies. Elle est également interdite dès
lors qu’elle provoque une gêne à la circulation des
véhicules ou des piétons, ou lorsqu’elle s’accompagne de
l’interpellation des passants. Enfin, il est fait obligation aux
distributeurs de tracts de ramasser les prospectus jetés
sur la voie publique par les personnes auxquelles ils ont
été remis et ce dans un rayon de 30 mètres du point de
distribution.
On l’aura compris, même si l’application de l’ensemble de
ces règles n’est jamais aussi stricte que le voudraient les
textes, la pratique du tractage suppose un savoir et un
savoir-faire qui n’ont rien d’évidents ou de « naturels ».
Aux risques physiques qui entourent cette pratique — la
rencontre des opposants — s’ajoutent les risques
juridiques dont témoignent les poursuites dont sont
périodiquement l’objet des distributeurs de tracts,
notamment sur les lieux de travail.
Or, à ce nécessaire savoir-faire juridique s’ajoute un
savoir-faire pratique qui tend à réserver de fait, et en
dépit du développement de l’instruction, ce mode d’action
à certaines catégories de population et à certains
groupes. Savoir-faire dans la confection des tracts
lorsqu’il s’agit de faire un choix entre la simplicité et la
lisibilité du message et le souci d’en dire le plus possible,
lorsqu’il s’agit de prendre en compte à la fois le
positionnement militant et les attentes potentielles des
lecteurs, lorsqu’il s’agit enfin d’être le plus précis possible
tant dans les arguments avancés que dans le vocabulaire
et le respect de la langue : on sait combien le rapport à
l’écrit est socialement différencié. Savoir-faire dans le
choix des lieux et des moments de distribution les plus
adaptés en fonction des « cibles » recherchées par
l’action. Savoir-faire dans les modes de distribution : la
nécessité d’établir un contact visuel, d’aller vers les gens,
de tenir le tract de façon à ce qu’il soit vu, de préparer
une argumentation, de savoir passer du temps quand le
contact peut devenir intéressant et ne pas en perdre
quand le contact ne peut rien donner…
Autant de savoir-faire qui expliquent que la pratique du
tract fasse l’objet d’une division du travail assez stricte
dans les entreprises de mobilisation qui y recourent entre
ceux qui participent à sa conception — au niveau national
ou plus local —, ceux qui participent à sa distribution et
ceux dont on attend seulement qu’ils les lisent. On a du
reste pu montrer, par exemple, que la conception des
tracts était essentiellement une activité masculine, et que
le fait qu’elle commence à être confiée à des femmes était
en soi le signe d’un certain recul du machisme dans ces
organisations [2] Plus généralement, la manière dont est
organisée la conception des tracts dans un groupe est
souvent très révélatrice de la façon dont ce groupe
fonctionne de manière plus globale.
Savoir-faire, aussi et surtout, dans l’adaptation du type de
tractage aux usages qu’on souhaite en faire. En effet, si le
tract militant apparaît d’abord comme un mode
d’information alternatif qui permet à un groupe de rester
Quel est l’avenir du tractage militant à une époque où de
nouvelles technologies semblent permettre aux acteurs
protestataires de transmettre leurs messages sans
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
autant persuader et convertir que convaincre. L’efficace
du tract n’est sans doute pas dans ce qu’il donne le plus
directement à voir. Et, c’est dans cette perspective qu’on
peut du reste comprendre que l’un des axes que développe
la CGT depuis quelques années en matière de formation
syndicale soit précisément un module… de formation à la
rédaction des tracts.
médiation, en quelques secondes, à moindre coût et à un
public plus nombreux ? Quelle utilité de passer des heures
et de l’argent à distribuer des tracts sur des marchés,
dans des manifestations ou aux sorties de métro, lorsque,
par un seul clic, on peut toucher une population bien plus
nombreuse, tout autant ciblée et, peut-être, plus encline à
les recevoir ? Qui plus est, sans consommer de papier…
On retrouve aujourd’hui ce type d’interrogations dans
beaucoup d’entreprises militantes, avec le souci, par
exemple, de développer des « e-tracts ». De même, une
bonne part de la jurisprudence autour des tracts porte
aujourd’hui sur ce que les organisations syndicales
peuvent ou ne peuvent pas faire sur les Intranets des
entreprises. Pourtant, une telle réflexion laisse de côté les
autres usages du tractage militant, et tout
particulièrement la possibilité qu’il donne aux militants
d’entrer en contact avec ceux et celles qu’on souhaite
Notes
[1] David Zaret, Origins of Democratic Culture. Printing,
Pétitions and the Public Sphere in Early Modern England ,
Princeton, Princeton University Press, 2000.
[2] Par exemple : Lucie Bargel, « La résistible ascension
des femmes à la direction du Mouvement des jeunes
socialistes », Genèses, 2007, n°67, p.45-65.
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Erik Neveu, « Médias et protestation collective », in Penser les
mouvements sociaux, Paris, La Découverte, «Recherches»,
2010
Moses Finley rappelle qu’une des singularités de la
démocratie athénienne était d’être sans média. Agir sur
les citoyens supposait de prendre la parole,
personnellement, publiquement. D’une taille incomparable,
régis par des mécanismes représentatifs, maillés d’un
réseau de médias dense, rapide et complexe, nos
systèmes politiques voient la prise de parole
irrémédiablement soumise aux procédés d’amplification et
de formatage rhétorique que sont les médias. On aimerait
croire l’observation banale. La persistance d’une
littérature qui ne cesse de s’esbaudir d’une
« communication » politique qui aurait tout récemment
imposé aux dirigeants de partis ou de mouvements des
contraintes dont la notion même aurait été étrangère au
mouvement ouvrier, à Gladstone ou Mussolini, incite
cependant à appuyer la banalité. Tout mouvement social
est soumis à un impératif qu’on peut nommer
communicationnel s’il s’agit de dire, en bonne logique
jakobsonienne, qu’un message doit être porté par des
militants locuteurs vers des destinataires à mobiliser,
dans un code qui leur soit intelligible et explicable, et qui
fasse sens d’un référent de problèmes à résoudre.
Cette dimension communicationnelle prend des
formes socio-historiquement variables. Partie intégrante
des « répertoires » d’action elle est tributaire de données
de morphologie sociale affectant d’autres volets de ces
répertoires (alphabétisation, urbanisation, réseaux de
communication). La prééminence, en voie d’ébranlement,
d’un répertoire « national-autonome » impose aux
mouvements
des exigences de justification
programmatique, fait de la montée vers une scène
nationale un impératif pour les mobilisations majeures. Le
moyen princeps d’attirer l’attention étant aujourd’hui la
télévision, les quotidiens et sites en ligne, les cibler fait
partie de tout travail de mobilisation. Rappeler cette
centralité des médias omnibus requiert deux observations
complémentaires. La première sera de rappeler, avec les
enquêtes « pratiques culturelles des Français »,
l’hétérogénéité des consommations et décodages de
l’information selon milieux, groupes et classes d’âge. Pour
être influencé par les éditorialistes de presse écrite, il
faut lire un quotidien national où n’être pas encore au
travail à l’heure des revues de presse radiophoniques, ce
qui exclut le gros du corps social. La seconde serait de
souligner combien – loin du modèle athénien – se couper
du flux informatif requiert plus d’efforts que s’y connecter
dans un quotidien fait de vecteurs portables de
communication, d’autoradios, de chaînes d’information
continue, d’écrans jusque sur les quais des gares. La
formule de Palo Alto « on ne peut pas ne pas
communiquer » fait aussi sens pour les groupes mobilisés.
Un balisage de cette facette des mobilisations
procédera en quatre étapes. La première tentera de
cerner le jeu d’associés-rivaux par lequel groupes
mobilisés et gens de média luttent et coopèrent pour le
contrôle de la mise en récit de leurs actions. Dans un
zoom arrière, une seconde étape invitera à déconstruire
l’image d’un « duel » entre mouvements et journalistes
pour prendre en considération la complexité du travail des
rédactions, la chaine complète des acteurs, parfois peu
visibles, dont les interdépendances produisent le « ce-quiest-écrit-dans-le-journal ». Cette couverture serait-elle
systématiquement défavorable aux groupes en lutte ?
Structurellement biaisée, indéniablement… ce qui ne veut
pas dire toujours à charge : une troisième étape le
montrera. L’analyse se ponctuera d’un développement
centré sur Internet comme outil d’un renouvellement de
l’action collective.
La course aux armements communicationnels
Manifestations de rue et de papier
Une des tendances des mouvements sociaux
contemporains – spécifiquement dans les pays dotés d’un
« espace public » marqué par un minimum d’ouverture et
41
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
de pluralisme – réside dans l’attention croissante que
leurs organisateurs dédient à une gestion réfléchie de leur
rapport aux médias. Un article de référence de
Champagne [1984] explicite ce mouvement. Un des
terrains retenus est la grande manifestation des
principaux syndicats paysans (FNSEA-CNJA) à Paris en
mars 1982. Toute l’organisation – faut-il écrire : le
casting ? – de l’événement est orientée vers la production
d’images et de bonnes images du monde paysan. Dans les
gares, les banlieusards reçoivent un tract illustré de
photos qui met en scène le paysan laborieux et nourricier,
protecteur des paysages, attentif au bien-être de ses
bêtes. Un service d’ordre très organisé prévient la
consommation de boissons alcoolisées et toute violence.
Les agriculteurs regroupés par régions et types de
production donnent une touche spectaculaire ou
folklorique à leur défilé en jouant de costumes (blouses
bleues du paysan des images d’Épinal) et de la présence
de tracteurs qui tirent parfois bruyamment un bidon de
lait. Beaucoup brandissent des pancartes, parfois
humoristiques, d’autres distribuent leurs produits. Cette
manifestation comporte des dimensions traditionnelles de
ce répertoire : défendre des revendications, motiver le
groupe mobilisé lui-même par l’exhibition de sa force. Elle
exprime plus encore une tendance montante : manifester
pour obtenir une forte et bienveillante couverture média,
une « manifestation de papier », pensée pour son impact
sur l’opinion publique et les décideurs. Au critère
classique « combien de manifestants ? », se combine
désormais celui de « combien de secondes de J.T., de
pages de revue de presse ? ». Et ce critère modèle les
formes de l’action. Il s’agit à la fois de juguler des
comportements qui seraient impopulaires ou décriés par
les journalistes (violence, ébriété) et de produire un
spectacle qui rompe avec l’ordinaire des manifestations
que leurs habitués nomment parfois le « traîne-savate ».
Le processus implique une course aux
armements symboliques dont on pourrait caricaturer la
logique en suggérant que la couverture médiatique des
mobilisations se mâtine de critique d’art. Le « déjà vu » ne
garantit pas la « Une », les initiatives inventives, drôles,
spectaculaires, à valeur ajoutée culturelle recevront bon
accueil. Un militant de Greenpeace en tenue de protection
contre la radioactivité faisant couiner un compteur Geiger
sur une conduite de La Hague [Baisnée, 2001], un
préservatif géant sur l’Obélisque de la Concorde ; voici des
formes protestataires éligibles à l’attention des
journalistes tandis que le énième Bastille-Nation suscitera
peu de passion, que des actions violentes risquent une
couverture critique. Pour les groupes les plus dotés en
ressource (argent, capital culturel) une action
protestataire peut donc devenir un quasi-spectacle pour
journalistes, soigneusement anticipé, scénarisé par des
professionnels de la communication. N’étant pas voués à
être les dupes de ces entreprises, les journalistes
développent des sensibilités critiques aux « coups
médiatiques »,
comme
lorsqu’une
journaliste
de Libération dévoile en janvier 1999 les consignes
d’habillement données aux manifestants anti-PACS, pour
gommer l’effet BC-BG produit par des Lodens et jupes
plissées bleues dans un épisode antérieur. Voilà alors ceux
qui protestent poussés à plus de sophistication ou de
roublardise… on trouverait déjà dans The Armies of the
Night, où Mailer [1968] raconte une mobilisation contre la
guerre du Vietnam, le récit de conciliabules sur les
manières les plus photogéniques de se faire arrêter pour
une célébrité.
La grille de lecture de Champagne a pu être
discutée. Favre [1999] questionne en particulier le poids
de ces « manifestations de papier » sur l’ensemble de la
pratique manifestante. La majorité des mobilisations ne
reste-t-elle pas le fait de petits groupes, sans grande
couverture médiatique ? Les visées les plus classiques de
l’action manifestante (afficher sa force et sa résolution)
ne demeurent-elles pas les plus essentielles ? La mise en
garde est convaincante contre toute généralisation
abusive. L’occupation d’un collège contre une suppression
de classe dépasse rarement la rubrique locale du
quotidien régional. Reste que Champagne décrit
adéquatement une tendance structurante des grands
moments de l’activité protestataire, des mobilisations dont
les acteurs sont avant tout riches de ressources
culturelles.
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Une co-production médiatique des événements
protestataires ?
parler des évolutions sur les campus ; ils le dépeignent
comme brouillon, radical, violent. Alors même que ce
cadrage fait peu de cas de la dimension d’élaboration
programmatique, une partie des leaders du SDS y
discerne un point d’appui pour assurer la promotion du
mouvement. Ils accentuent les prises de positions
radicales et les actions conflictuelles qui stimulent une
forte couverture. En évitant le réducteur « C’est la faute
aux médias » – il faut aussi prendre en compte une
organisation molle avec un fort turn-over, l’habitus
individualiste
d’étudiants – cette
« symbiose
conflictuelle » et la gloire médiatique soudaine du
mouvement produisent une série d’effets qui doivent une
part objectivable de leur teneur aux médias.
Une hausse rapide des adhérents, multipliés par trois sur
la seule année 1965, en large partie sur la base d’un
quiproquo. Plus que des intellectuels politisés, les
nouveaux venus sont des proto-hippies, souvent usagers
de drogues, désireux d’en découdre avec les figures
d’autorité.
Organisation faiblement structuré, le SDS voit alors ses
procédures internes d’organisation troublées par une
procédure de « certification médiatique » des leaders.
Sont présentés et perçus comme porte paroles du SDS les
personnages les plus forts en gueule, les plus aptes à
produire propos et spectacle attendus par les médias [par
exemple : Rubin, 1971]. L’élection par les médias remplace
celle par les cellules ou chapitres du mouvement.
Dans une logique cousine de la course aux armements
déjà évoquée, le radicalisme des propos et des actes obéit
à une logique inflationniste. Les premiers drapeaux brûlés,
les premières injures « pigs » garantissent une séquence
dans les informations des networks. Devenues semirituelles ces provocations ne suffisent plus. L’attention
médiatique requiert une surenchère de happenings, de
violences plus ou moins esthétisées qu’illustrent les
mobilisations chaotiques à la convention démocrate
de 1968 à Chicago.
Les formes et objectifs du militantisme glissant vers des
actions spectaculaires et la captation de l’attention des
médias, ce sont corrélativement les activités quotidiennes
et modestes de propagande, de mise en place d’une
L’approche de Champagne vient aussi rendre
intelligible combien serait réducteur un questionnement
qui se limite à savoir si tel média rend adéquatement
compte de telle mobilisation. Outre qu’elle cotiserait à une
vision naïve du compte rendu objectif, pareille approche
place les journalistes et les médias dans une posture de
greffiers ou de narrateurs, passifs ou partiaux, de
mobilisations qu’ils ne pourraient affecter que par la
tonalité de leurs reportages et articles. L’idée de
coproduction par les médias d’une part au moins des
moments protestataires est plus pertinente pour
questionner l’objet. Précisons que – même si de tels cas
existent quand une chaîne de télé offre à des écologistes
de leur louer un Zodiac pour faire de belles images devant
La Hague – cette notion ne se ramène ni à la collusion
organisée, ni à une manipulation. Elle désigne plus souvent
des interdépendances qui condamnent des protagonistes à
jouer, plus ou moins inventivement, des marges que leur
laisse une relation forcée. Le texte le plus éloquent en la
matière vient de l’analyse faite par Gitlin [1980] de la
couverture médiatique du mouvement étudiant SDS aux
États-Unis et de ses effets (voir encadré). Sa recherche
met en évidence au moins quatre niveaux possibles
d’influence et d’interdépendance.
Un cas d’école : les médias états-uniens et le SDS
(1960-1969) [Gitlin, 1980]
Créé au début des années 1960, le SDS (Students for a
Democratic Society) est une organisation de la gauche
radicale étudiante. Laboratoire théorique et réseau de
militants investis sur le terrain, entre autre vers les
communautés noires, le SDS reste un groupuscule de
quelques centaines de membres. Hors de quelques
journalistes intellectuels qui y discernent un révélateur
des évolutions du monde étudiant, il intéresse peu la
presse.
Des actions contre la guerre du Vietnam qui
s’accompagnent d’affrontements avec la police, vont
susciter une attention médiatique inédite à partir de 1964.
Les articles utilisent le mouvement comme prétexte à
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
organisation solide, de construction de réseaux hors du
campus qui s’affaissent… Le Mouvement s’en trouvera
totalement désorganisé et sans ressources lorsque pour
diverses raisons les médias se lasseront de lui servir de
vitrine et de haut-parleurs.
Au même titre qu’un dessin animé (Jeanne et
Serge pour le volley) ou la victoire d’une équipe nationale
peuvent doper le nombre de licenciés d’un sport, par
l’attention qu’ils consacrent (ou non) à un mouvement, la
manière dont ils le mettent en récit, les médias peuvent
affecter son recrutement. Juhem [1999] a montré à quel
point nombre des grands médias d’information s’étaient
comportés dans les années 1980 comme les sponsors de
« SOS Racisme ». Par la sélection qu’ils opèrent – d’autant
plus facilement qu’un mouvement est peu structuré et
centralisé – sur les interlocuteurs invités pour un débat,
les journalistes ont une marge d’action sur la sélection
des leaders. Alors même qu’il n’y détenait plus aucun
mandat, José Bové est resté désigné sur les écrans de
télévision comme « porte-parole de la Confédération
paysanne »… au point que celle-ci le réintègre dans son
bureau dans l’espoir de le contrôler. Ce sont en troisième
lieu les formes d’action sur lesquelles peuvent peser les
médias. L’observation vaut pour les groupes mobilisés,
lorsqu’un rassemblement à Bhopal ou Nairobi voit fleurir
les pancartes en anglais pour CNN ou BBC, lorsque des
nationalistes corses prennent en groupe nocturne avec
kalachnikovs et cagoules la pose qui leur vaudra deux
pages de Paris-Match. Mais elle vaut aussi pour leurs
adversaires ou partenaires, quand les services douaniers
organisent devant les caméras des contrôles dont l’utilité
est aussi douteuse que le message clair : « nous luttons
contre les importations abusives qui mobilisent les
pécheurs » [Accardo et al. , 1995].
Les interdépendances identifiées ici débouchent
sur une quatrième dimension : la dépendance médiatique.
Il n’est pas besoin d’inventer un âge d’or imaginaire pour
soutenir que dans des contextes historiques antérieurs,
ou des sociétés contemporaines moins maillées par les
médias audiovisuels et la presse écrite, des mouvements
sociaux ont eu sous leur contrôle direct de vastes réseaux
de médias. Les « unstamped » illégaux du mouvement
Chartiste et ouvrier britannique ont longtemps eu un
tirage supérieur à celui de la presse légale [Chalaby,
1998]. Les « conglomérats » associatifs [Ion, 1997] des
mouvances communistes, social-démocrates, démocratechrétiennes, disposaient jusqu’aux années 1970 dans
plusieurs pays européens d’un complexe d’outils de
communication : quotidiens, maisons d’éditions, parfois
radios comme l’émetteur « Lorraine Cœur d’acier » des
sidérurgistes en 1978 [Charrasse, 1981], revues, bulletins,
feuilles et tracts syndicaux, pratiques d’affichage de rue.
Si cette communication militante a pu se
redéployer via Internet, la crise de la presse militante, la
raréfaction des usages du tract ou de l’affichage politique
sont tout autant à souligner. Cela invite à poser une
hypothèse de « perte d’autonomie médiatique » des
mouvements sociaux [Neveu, 1999, p. 65-74], soit la
dépendance accrue des mobilisations à l’égard de médias
publics ou privés qu’ils ne contrôlent pas pour faire
passer leur message vers le public le plus étendu. Cette
dépendance contraint à des investissements spécifiques
pour capter l’attention et la bienveillance de médias
extérieurs. Il faut valoriser des formes d’action, un style
de leadership et de parole qui assurent de façon prolongée
une couverture médiatique abondante et bienveillante. La
question, souvent occultée, est aussi de savoir ce que ces
investissements impliquent de désinvestissements à
l’égard d’un travail de terrain, de glissement entre
concessions de forme et de ligne, de perception des
adhérents comme autant de gêneurs potentiels, trop pris
dans leurs croyances pour les virages idéologiques
qu’exigerait une bonne « com » [Lefebvre, Sawicki, 2006].
Évoquant les contradictions d’une mobilisation critique
contre les médias qui tente de passer par leur
truchement, Halimi et Rimbert [2004] énoncent ce qui leur
semble une loi d’airain : « parler pour les médias, c’est
devancer leurs exigences, c’est se taire sur les médias ».
Conjurer le médiacentrisme
Insister sur le rôle des journalistes et des médias, c’est
risquer de cotiser aux mythologies sur l’omnipotence et la
malfaisance de ces médias. Il faut donc insister sur ce qui
devrait être le vrai « ce qui va de soi » : les médias sont
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
incontournables (le ministère de l’Éducation nationale,
le syndicat FEN). La solution sera « l’expertise critique »,
travail de desk sur dossiers et chiffres qui permettent de
fonder sur l’objectivité des données mobilisées une
posture critique qui ne puisse être disqualifiée en
engagement politique. Des travaux postérieurs, sur le
journalisme social en particulier [Manning, 1999 ; Lévêque,
2000], illustrent l’importance de ces spécialités comme
supports d’une interconnaissance, de relations entre
journalistes et mondes militants. Ils confirment aussi les
processus suggérés par Padioleau : dépolitisation,
technicisation. Jadis lié aux mondes syndicaux par sa
trajectoire biographique, plus d’une fois autodidacte, le
journaliste social avait pour objet privilégié les conflits du
travail, le syndicalisme, l’industrie. Aujourd’hui diplômé de
l’université, le journaliste social associe plus à cet adjectif
les mécanismes du welfare-state, une dimension
économique. Son carnet d’adresse est plus riche de
portables dans les cabinets ministériels, les universités,
les cadres de ministères sociaux que chez les
syndicalistes ou activistes. Cette technicisation, combinée
aux logiques de fonctionnement d’institutions comme la
Commission européenne [Michel, 2007], n’est pas sans
effets sur les mouvements sociaux. Elle les oblige à
intégrer dans leurs anticipations sur les partenaires des
médias une capacité à présenter des dossiers techniques
élaborés, lestés de chiffres et de propositions
alternatives.
Les effets du rubricage ne sont pas les seuls à
prendre en compte. Une autre dynamique, en partie
contradictoire, pèse aussi. Elle doit aux formes qui se sont
institutionnalisées comme définitions de la bonne « actu »
dans une offre télévisuelle très concurrentielle :
importance des images chocs, valorisation d’une
dimension émotionnelle. La presse écrite a relayé ces
modes de couverture, par mimétisme sur le média
dominant, parce que sa situation financière –
spécialement pour les titres parisiens en France – la
pousse à tout tenter pour reconquérir un lectorat. Les
luttes internes aux rédactions pour voir une rubrique
augmenter sa pagination, accéder à la une n’ont pas été
étrangères à l’évolution évoquée ici. Elle se matérialise
divers, le monde journalistique fonctionne comme un
champ et un espace de division sociale du travail. Ce qui
se donne à voir/lire sur les pages et les écrans est le
produit d’interdépendances plus compliquées qu’une
relation entre le groupe mobilisé et des journalistes
abstraits.
Les logiques du travail journalistique
Les rédactions sont organisées selon une
hiérarchie et des spécialisations fonctionnelles et
thématiques. Figurent au nombre des effets de la
hiérarchie la sélection des sujets qui aboutit souvent à
« trapper » le compte rendu de mobilisations perçues
comme routinisées ou groupusculaires. En relève aussi le
principe de remontée qui veut qu’à mesure qu’une
mobilisation est perçue comme importante, susceptible
d’effets sur le champ politique, la montée vers la « une »
se double d’un glissement vers les éditorialistes ou le
service politique, moins au fait que les journalistes
spécialisés des acteurs et des enjeux, plus enclins à un
commentaire surplombant ou politicien. C’est dire
l’importance du rubricage et des spécialisations. Rien ne
l’illustre mieux que la situation inconfortable des
mobilisations dont les thèmes ne trouvent aucun
spécialiste, aucune rubrique ayant vocation à les
accueillir. La lente et difficile prise en compte des
revendications et mobilisations écologistes par la presse
peut être corrélée à la lenteur d’émergence d’un groupe
de journalistes dédiés à un service graduellement labellisé
comme « environnement » [Veron, 1981 ; Sainteny, 1984 ;
Anderson, 1997]. Il faut donc, pour chaque type de
mouvement social, se poser la question des journalistes
qui les prennent en charge, de leur place dans les
hiérarchies propres au titre et au média. Le travail
fondateur de Padioleau [1976] sur les journalistes
spécialisés dans les questions d’éducation montre
comment une nouvelle génération de journalistes
s’emploie dans les années 1970 à relever un défi. Il s’agit à
la fois de ne pas rabattre l’analyse des politiques
d’éducation sur une grille purement politique
(gauche vs droite), et de préserver une posture critique
sans se couper des deux acteurs qui sont les sources
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
dans l’importance de la « forme affaire » comme mode de
couverture des problèmes sociaux. L’affaire peut être
définie comme une mise en récit opérée à partir d’une
double position : celle d’un enquêteur qui va chercher des
faits, celle d’un locuteur animé d’une exigence normative
d’éthique et de justice qui ne peut être réduite à une
arrière-pensée politique. L’affaire révèle des faits cachés
et révoltants où s’illustre l’indifférence ou le cynisme
d’autorités sociales prenant le risque de mettre en danger
la santé, la vie, le bien-être de personnes innocentes et
souvent désarmées. La capacité des mouvements sociaux
à rendre leur cause éligible au statut d’affaires peut
commander des différences notables de rendement
médiatique, comme le montre Henry sur le cas de
l’amiante [2007].
Une dernière évolution doit être mentionnée, plus
propre à la presse écrite. La traque du lectorat, l’inégal
attrait d’une information trop technicisée, trop abstraite
ont amené à réhabiliter des modes de reportage plus
ethnographiques, plus attentifs à la mise en récit de
tranches de vie, de lectures du politique et du social par le
bas, l’expérience des personnes « ordinaires » [Neveu,
2000]. Lorsqu’il s’applique à des mouvements sociaux, ce
prisme à souvent pour effet de susciter un mode de
couverture plus compréhensif ou plus compassionnel qui
se distingue des dynamiques précédemment évoquées,
comme l’illustrent les portraits de caissières à temps
partiel par Anne Chemin dans Le Monde(25 mars 2008,
p. 14) lors d’une grève des salariés de Carrefour à
Marseille.
Technicisation, scandalisation et compréhension
ne sont pas des modes superposables de couverture des
mouvements sociaux. La diversité empiriquement
observable des relations entre journalistes et médias ne
se plie pas à une typologie simple. Des journalistes
passent commande d’un casting de personnes à
interroger à des ONG, un localier surmené demande à
l’organisateur d’une manifestation d’en rédiger un
brouillon de compte rendu, tel éditorialiste fustige avec
mépris un groupe mobilisé. Il n’y a là aucun problème
d’incohérence, mais l’indication d’un impératif : partir du
terrain, d’interdépendances toujours situées.
Binôme ou configuration ?
Prêter attention au fonctionnement des médias
comme « champ » et processus de travail ne permet
encore pas de dépasser une vision polarisée sur deux
acteurs (les groupes mobilisés, les gens de média). La
dynamique des échanges de coups et des médiations qui
produisent une « couverture », ses impacts sur les
acteurs, exige d’élargir l’observation des chaînes
d’interdépendance.
Le rôle de la police a fait l’objet d’une attention
accrue [Fillieule, Della Porta 2006]. La contrainte qu’elle
peut exercer sur les manifestants n’est pas que physique.
Ce sont aussi des enjeux symboliques et des programmes
de perception qui sont en jeu jusque dans la survenue de
heurts physiques. Ceux-ci permettront-ils de constituer
l’action protestataire en entreprise d’atteinte
programmée à l’ordre public, de ramener le manifestant
au casseur ? Vont-ils à l’inverse suggérer l’image de
citoyens exerçant un droit d’expression légitime
qu’entrave une intervention brutale de la police ? La
banalisation des outils (caméras vidéo, téléphones
portables) susceptibles d’enregistrer des séquences de
violences ou d’affrontements a donné une nouvelle acuité
à ces questions. Si la présence des journalistes aboutit le
plus souvent à alimenter un processus de civilisation de la
protestation – les manifestants ne veulent pas apparaître
comme provocateurs, les policiers comme brutaux – il
faut compléter ce constat. La densité des journalistes
selon les événements protestataires, leur inégale
empathie pour les groupes mobilisés n’assurent pas
toujours d’identiques effets modérateurs. Leur regard
panoptique peut être contre-productif : laisser se
développer une zone de violences, le pillage de quelques
magasins, pour éviter une intervention dont les réactions
en chaîne seraient périlleuses risque de susciter des
images qui feront blâmer le laxisme policier, produiront à
l’épisode suivant un usage accru de la violence policière.
Les armes de la police ne sont pas que matraques ou
canons à eau. Dotée d’institutions de recherches (l’IHESI
en France), poussant sur les plateaux de télévision des
commissaire-philosophes (sic) capables d’opposer au
verbe des universitaires des « vérités qui dérangent » et
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Il faut enfin évoquer les contre-mouvements.
L’existence d’un niveau significatif de couverture d’un
mouvement produit des effets-retours. Ils peuvent venir
d’intérêts ou de groupes que la mobilisation menace ou
incommode. Si elle trouve une explication sociologique
première dans les luttes pour les usages de l’espace rural,
l’émergence de mouvements comme Chasse Pêche Nature
et Tradition doit aussi à des formes d’exaspération devant
ce qui est perçu comme la confiscation du droit de parler
de la nature et de la faune par des écologistes identifiés
comme des urbains de classes supérieures et
intellectuelles [Traïni, 2000]. Un fétichisme de l’objectivité,
ou la banale quête de propos pimentés, amène parfois les
journalistes à se mettre en recherche d’organisations
opposantes à une cause qui réussit, offrant à des
locuteurs marginalisés un espace de parole, parfois une
dynamique de recrutement.
Plutôt que de poursuivre un inventaire de
protagonistes qui variera selon des mobilisations qui
peuvent interférer avec la religion, la science… mieux vaut
souligner l’intérêt pratique et programmatique de la
sociologie des « problèmes publics » née aux États-Unis et
illustrée par un auteur comme Gusfield [1996] et la
revue Social Problems. En réencastrant la question des
mobilisations dans une problématique plus générale sur la
manière dont des enjeux sont (ou non) constitués en
« problèmes publics », mis en débat dans un espace
public, pris en main par des politiques publiques, cette
approche recèle un énorme pouvoir intégrateur.
leurs typologies des violences [Bui-Trong, 2000], la police
contribue désormais à la définition de catégories de
perception, à des classements inséparablement
techniques et normatifs des formes de la protestation.
Faut-il dire que l’État ne dispose pas face aux groupes
mobilisés que de la police ? Qu’il n’est jamais impuissant à
faire pression sur les médias publics comme privés ? Une
conférence de presse, une « fuite » opportune, une action
bien médiatisée d’une administration de terrain peuvent
aussi affecter la perception d’une mobilisation. Produire
une statistique de l’INSEE qui montre que le pouvoir
d’achat de la catégorie protestataire s’est accru, montrer
combien « on s’en occupe » en nommant un médiateur –
si possible assidu aux sommaires de la presse people –,
rappeler que le porte-parole bon apôtre d’un groupe
malheureux est aussi un encarté d’un mouvement radical :
autant de moyens par lesquels les pouvoirs publics
peuvent peser sur la perception d’une mobilisation dans
les médias.
Dans la « démocratie des relations publiques »
qu’explore Davis [2002], il faut prendre en compte
l’omniprésence des spécialistes de la communication
événementielle, institutionnelle, des relations aux médias
dans les administrations et les entreprises. Schlesinger a
justement proposé la notion de « professionnalisation des
sources » [1992] pour rendre compte de la place
croissante de professionnels du bien-communiquer au
sein des institutions qui coproduisent la perception des
conflits sociaux. Derville [1997] a mis ainsi en lumière les
stratégies du service d’information des armées (SIRPA)
face à Greenpeace lors de la reprise des essais nucléaires
français. Davis montre pour sa part [2000] à propos d’un
épisode de bataille boursière au sein du secteur hôtelier,
combien le travail d’un réseau de professionnels des
relations publiques spécialisés dans les questions
économiques et financières vient définir un espace du
pensable pour discuter de cet enjeu (profitabilité pour les
actionnaires, viabilité des groupes, identification du
meilleur management) repoussant simultanément dans le
hors sujet des journalistes économiques tout
questionnement relatif à l’impact de ces fusions sur les
salariés du secteur et les revendications de ceux-ci.
Le regard des médias
Action collective, newsworthyness et empathie
Les médias parlent-ils le plus souvent en mauvais
termes des mouvements sociaux, leur opposant « la
morgue et le mépris » ? Un ouvrage de l’ACRIMED [Maler,
Raymond, 2007] fournit une impressionnante série de
matériaux en ce sens. Il met en lumière la présence
partagée chez les plus en vue des éditorialistes et grands
noms du journalisme français d’une matrice de perception
qui déprécierait l’action protestataire. Celle-ci se trouve
47
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associée à des postures de crispation archaïque ou
corporatiste sur des avantages acquis, à une résistance
butée à un changement que les lois de l’économie et le
plus élémentaire pragmatisme rendraient objectivement
nécessaire. Le même impensé fait des « erreurs de
communication » ou de défaillances pédagogiques des
puissants l’explication première du refus de mesures que
tout être raisonnable ne pourrait qu’accepter. Maler et
Raymond sont convaincants quand ils soulignent l’usage
d’un registre qui pathologise le conflit (fièvre, passion,
déraison), illustrent les inégalités d’accès à la parole entre
les groupes mobilisés et ceux qui les blâment ou s’en font
les ventriloques, ou lorsqu’ils montrent – à propos des
mobilisations sur le « contrat première embauche » – des
usages ignares ou malintentionnés de statistiques.
Un ensemble de facteurs, où les routines et
l’impensé du travail journalistique pèsent plus souvent que
le dessein politiquement constitué de déprécier,
contribuent objectivement à une mise en récit souvent peu
favorable des mouvements sociaux par les médias. On y
mettra au premier rang une « épistémé » journalistique,
ensemble de manières de penser-classer issues d’une
socialisation scolaire, d’une faible expérience sensible de
la diversité des groupes sociaux, des apprentissages
professionnels. Ce paramètre a été exploré par la
sociologie états-unienne du journalisme. On peut en
suggérer quelques acquis. Gans [1980] met en évidence la
force de filtres culturels, d’un corps de valeurs partagées
qui contribuent à la fois à définir ce qui est information et
à en formater les interprétations. Le journalisme étatsunien valorise l’individualisme, la modération des
comportements, la vision d’un capitalisme responsable qui
ne peut être que modérément régulé au profit des pauvres
méritants mais non des profiteurs du welfare. Gans
observe combien les faits sociaux identifiables à la
catégorie du « désordre » suscitent l’attention
journalistique, mais sur un mode dépréciatif. Se fixant plus
directement sur le journalisme politique Bennett [1997]
souligne de façon convergente combien tant le rubricage
que les catégories mentales des journalistes politiques
sont homologues aux logiques des institutions politiques.
Les grandes institutions (présidence, gouvernement,
parlement), la démocratie représentative condensée dans
les rendez-vous électoraux structurent prioritairement
les définitions du politiquement important. Les agendas et
conflits institutionnels sont l’outil premier de
hiérarchisation des informations pertinentes. Dans une
approche néo-institutionnaliste, Cook [1998] invite à
penser les médias comme une véritable institution
politique, lieu de naturalisation de patterns de décodage
du politique. Il souligne la force de gravitation de
l’« officialité », des sources institutionnelles. Il y ajoute ce
qu’il décrit comme le faible pouvoir explicatif d’une logique
de couverture de l’information par « bulles et
épisodes », moins guidée par une prise en compte de ce
que serait l’importance sociale des enjeux que par leur
incandescence ou leur nouveauté. Gamson [1992] souligne
pour sa part combien les registres dominants de
l’information font peu de place à deux types de cadrage. Il
s’agit au premier chef des « cadres d’injustice » par
lesquels une situation est décrite comme moralement ou
socialement inique ou inacceptable, cadrage peu
compatible avec la posture de surplomb objectif qui a
historiquement constitué le journalisme comme ordre de
discours. Il en va de même pour les « cadres d’action »,
modes de mise en récit qui insistent sur la capacité des
groupes à changer l’ordre social par la mobilisation. Une
telle approche contrevient à l’objectivité et valorise des
comportements qui débordent une démocratie
représentative définie par l’élection.
Aucune de ces analyses ne conduit à conclure au
refoulement systématique des événements protestataires.
Elles suggèrent un biais structurel. Les mobilisations sont,
par définition, extérieures au pôle institutionnel du
politique, souvent désynchronisées des procédures
électorales. La focalisation sur la vie politique
traditionnelle pousse à les aplatir sur une lecture
politicienne (pour qui les manifestants « roulent-ils » ?).
Les mobilisations sont souvent porteuses de
revendications en décalage sur la doxa interprétative (les
protestataires peuvent manquer de modération, incarner
le désordre, défier la pure logique du marché).
L’intelligence des mouvements sociaux suppose aussi de
prêter attention à des mouvements lents et
48
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ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
montrent les exemples mobilisés par ces auteurs elles
agissent avec force lorsqu’un mouvement social vient de
certains groupes (fonctionnaires, salariés des transports,
secteurs ouvriers décrits en buttes-témoins du passé),
prend certaines formes (violences, gêne à des
« usagers » nombreux ou socialement importants), et
d’autant plus que l’enjeu du conflit porte sur des questions
constituées politiquement, stratégiques dans une logique
de reformatage libéral de l’État-providence (par
opposition à des conflits salariaux ou de conditions de
travail propres à l’entreprise). La couverture dépréciative
fonctionne aussi plus facilement si un mouvement peut
être arrimé à telle panique morale promue alors dans les
agendas politiques et médiatiques. On renverra aux
travaux de Cohen [1972] sur la diabolisation des
mouvements de jeunes britanniques (mods et rockers) des
années soixante, à ceux de l’équipe de Birmingham [Hall,
Critcher, Jefferson, 1978] sur la stigmatisation d’une
criminalité associée à l’immigration dix ans plus tard, ou
encore à la mise en perspective de l’affaire dite du
« foulard islamique » et des mobilisations concomitantes
par Tévanian [2005].
En rester à ces constats serait une double
simplification. Manifester, se mobiliser est désormais
perçu majoritairement comme un droit, une action
possible et non une agression à l’ordre public. La
perception de la légitimité des mouvements sociaux, y
compris chez les journalistes, a bougé depuis les
années 1970. Oliver et Myers [2000] l’illustrent dans une
étude sur l’accès de divers types d’événements à la
presse du Wisconsin. Dès lors qu’ils atteignent un seuil
minimal de participants, ne se tiennent pas trop loin des
rédactions, les événements protestataires ne sont en rien
refoulés, la dimension du conflit pouvant même les rendre
attractifs. En second lieu il existe des situations, assez
nombreuses, où la couverture des mobilisations peut être
bienveillante, au moins sensible aux raisons d’agir des
protestataires. Une première illustration en est offerte
par les mobilisations autour de causes consensuelles,
celles qui peuvent difficilement être frontalement
combattues dans l’espace public. Relèvent de cette
catégorie la « marche blanche » et la mobilisation anti-
morphologiques du monde social, lecture peu compatible
avec la logique en « bulles et épisodes ».
Le temps du journalisme n’est pas celui de
l’analyse académique. L’activité journalistique est
confrontée à la contrainte de produire à chaud un compte
rendu, d’expliquer des événements qui peuvent être
opaques, non-anticipés et complexes. Une des modalités
de gestion de ce défi est de ramener l’inconnu au familier,
de ligoter l’imprévisible au lit de Procuste des préjugés. On
en trouverait des illustrations caricaturales dans les
interprétations des émeutes de banlieue de l’hiver 2005,
où le travail des journalistes fut encore rendu plus
périlleux par leur extériorité sociale aux groupes
mobilisés, l’accueil hostile dont ils firent l’expérience et la
quasi-absence de porte-parole légitimes de ces
mouvements. L’ethnicisation de malaises sociaux, la
survalorisation d’un schème religieux (l’islamisme),
l’usage sans nuances de la métaphore du ghetto
[Wacquant, 1997] permettent alors, à chaud, d’imposer un
sens peu valorisant à un événement malaisément lisible.
À la condition, rarement respectée, d’observer
empiriquement les médiations par lesquelles ceux-ci
parviennent (ou non) à faire passer leurs injonctions
jusque dans les rédactions et rubriques spécialisées,
le poids croissant de groupes industriels et d’hommes
d’affaires dans l’actionnariat de titres et réseaux doit
aussi être pris en compte. Il n’est pas incongru de poser la
question de la valorisation par ces groupes de presse de
mobilisations dont les objectifs sont plus d’une fois la
remise en cause du pouvoir et des leviers d’influence de
leurs actionnaires.
Bonnes et mauvaises couvertures
Faut-il alors, avec des attendus plus
sociologiques, conclure à un traitement médiatique des
mouvements sociaux par les armes de « la morgue et du
mépris », du silence et de la dépréciation ? S’enfermer
dans la logique binaire du oui ou non serait renoncer à un
éclairage sociologique. Les dispositions anti-grévistes
mises en évidence par Maler et Raymond [2007] existent.
Encore faut-il spécifier leur aire d’application. Comme le
49
Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
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ici. Si la mobilisation correspond à un conflit qui oppose
des acteurs locaux, la couverture sera a priori distanciée,
le pacte de lecture de la presse régionale renvoyant à
l’appartenance partagée à un territoire que les rédactions
répugnent à fracturer. Mais lorsque la mobilisation se
déploie contre des cibles extérieures au territoire, une
couverture souvent compréhensive, donnant la parole aux
groupes mobilisés, n’a rien de singulier. Le traitement par
les quotidiens bretons de la mobilisation des producteurs
de légumes en 1998 donne un bon exemple de ce second
cas de figure [Neveu, 2002]. La thèse de Simon [2008]
sur la mobilisation antinucléaire de Plogoff détaille ces
rapports complexes. Via les déclinaisons entre pages
locales, départementales, les « infos générales » des
pages d’ouverture, le même titre peut à la fois exhorter
dans ses éditoriaux les villageois à la modernité nucléaire,
et offrir en locale une couverture bienveillante d’épisodes
marquants de la mobilisation. Un même journaliste s’oblige
le jour à une rhétorique de l’objectivité mais ne refuse pas
de prodiguer le soir en off ses conseils de bien
communiquer aux élus hostiles à la centrale.
S’il existe une tendance globale à un traitement
critique des mobilisations labélisées comme les plus
contraires aux impératifs de « modernisation » et de
« réforme » partagés par le sens commun des grands
éditorialistes des titres centraux de la presse nationale,
on voit aussi qu’analyser le traitement d’une mobilisation
concrète est une question empirique. Elle renvoie à
l’identité des groupes mobilisés, à leurs répertoires et
ressources, à l’inscription des enjeux dans un contexte
politique et intellectuel, à la nature des médias et
rubricards qui s’en saisissent, tout cela étant peu
compatible avec une réponse globalisante a priori.
pédophile en Belgique [Rihoux, Walgrave, 1997 ; Rihoux,
Walgrave, 2000], une part des mobilisations antiracistes.
On y associera les mobilisations cadrées comme
correspondant à une notion d’intérêt général, de
protection du public contre des dangers sanitaires ou
environnementaux comme lors des protestations contre
les marées noires, ou lors de la seconde constitution de
l’amiante en problème public sous la forme d’un polluant
environnemental [Henry, 2007]. Une seconde catégorie,
recouvrant en partie la précédente, correspond à des
mobilisations pouvant solliciter un registre compassionnel.
Le sentiment d’injustice ou d’anormalité est alors
socialement si largement diffusé qu’adopter un cadre
d’injustice n’apparaît pas comme une mise en cause de
l’objectivité. Des mobilisations en faveur de sans-logis, des
grèves contre des pratiques patronales particulièrement
cyniques (ouvrières de l’entreprise Maryflo en 1997 contre
un contremaître sexiste) illustrent cette rubrique. Une
troisième catégorie pourrait être associée à ce qui serait,
du point de vue journalistique, des mobilisations
« sympathiques ». Elles font jouer proximité culturelle et
sociale avec le monde journalistique, prennent des formes
ludiques ou à valeur ajoutée culturelle qui leur donnent
l’attrait de l’originalité. La remarquable couverture
obtenue par le mouvement des squats d’artistes parisiens
[Drouët, 2001] qui combinait mobilisation, fait de société
et création artistique, en est une bonne illustration. Audelà de ces cas, la course aux armements symboliques ne
tourne pas toujours à la défaveur des groupes mobilisés.
Saisir la variété des registres de couverture
médiatique c’est aussi prendre en compte la diversité des
presses et réseaux. La spécialisation thématique des
chaînes, l’importance de la presse spécialisée en France
créent une série de supports qui, pour ne pas atteindre le
public des médias généralistes, offrent des niches
favorables à diverses mobilisations. Pink télévision ne
maltraite pas les mouvements homosexuels, les magazines
dédiés à la chasse et à la pêche font échos aux
revendications des chasseurs. Contre un tropisme jacobin,
il faut aussi rappeler que 70 % des quotidiens vendus en
France sont des titres de presse régionale. Une
dichotomie simple dans son principe peut être suggérée
Une reconquête de l’autonomie médiatique ?
La prise en compte des réseaux transnationaux
d’activistes, l’attention à la presse alternative, aux outils
de communication en ligne ont figuré parmi les
développements récents du chantier d’analyse des
mouvements sociaux. Rucht [2004] propose de penser les
stratégies médiatiques des mouvements en quatre A. Trois
stratégies auraient longtemps prévalu. Le A d’abstention
50
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signale des comportements faisant de nécessité vertu,
renonçant à des stratégies de quête d’une couverture
médiatique soit qu’elle se fasse sans cesse attendre, soit
qu’on l’anticipe comme critique. Le A d’attaque désigne des
stratégies agressives, de contestation et de défi frontal,
comme lorsqu’Act Up s’en prit aux médias états-uniens
dans une séquence où ils identifiaient le SIDA à une
maladie d’homosexuels. Le A d’adaptation ramène, lui, à
l’idée de course aux armements symboliques, aux
stratégies de mouvements comme Greenpeace qui
s’emploient à chevaucher les logiques médiatiques pour
obtenir une forte couverture. Cette typologie gagnerait à
être pensée moins comme un espace de choix que comme
la négociation de contraintes. La sociologie des problèmes
publics suggère que les stratégies agressives sont
souvent celles d’entrants, de gestes inauguraux destinés à
mettre le pied dans la porte des rédactions, le fait de
groupes à faibles ressources médiatiquement
convertibles. Dans le cas français, une part des tactiques
médiatiques d’Act Up, après une intervention controversée
au Sidaction de 1996, aura été d’apprivoiser une
agressivité calibrée de plus en plus « adaptée » à une
bonne couverture médiatique. Quant à l’abstention, il
faudrait y distinguer ce qui relève de la résignation, du
refus conscient de ce qui serait compromission aux
exigences des médias, mais encore de ce qui peut être une
absence de besoin des médias pour des groupes disposant
d’accès routinisés aux arènes de décision. La typologie de
Rucht ajoute un quatrième A : alternatives. Il s’agit alors
pour un mouvement de produire ses propres médias, de
toucher un public élargi sans passer sous les fourches
caudines de la presse nationale et des télévisions
généralistes. La question ramène à l’autonomie médiatique
des mobilisations qu’on pensera comme re-conquête et
non invention, réagissant ainsi à la tendance à attribuer à
de « nouveaux » mouvements sociaux l’expérimentation de
pratiques souvent anciennes (le journal Chartiste Black
Dwarf remonte à 1817…)
symptômes : crise de la presse partisane, prise en charge
par une presse commerciale de causes et publics un
moment liés à une presse militante (consommation,
homosexualité), rétraction de pratiques comme la
diffusion de tracts, le collage d’affiches ou le porte à
porte. Une série d’évolutions suggère non un retour
au statu quo ante, mais la structuration d’un autre réseau
d’outils de communication autonomes. L’essor de ce qu’il
est convenu de nommer médias alternatifs – tant au plan
international [Downing, 2001] que dans des espaces locaux
[Ferron, 2004] – mériterait à lui seul une analyse
attentive, par sa capacité par exemple à introduire la
« forme affaire » et des régimes de dénonciation
vigoureux contre le monopole d’une presse régionale
complaisante aux notables locaux. Mais l’outil structurant
d’un réseau de communication tant interne qu’externe
pour les mouvements sociaux aura été Internet [Granjon,
2001], parce qu’il permettait à la fois de créer un espace
de parole et de développer une critique en actes des
médias institués.
Par simplification on ramènera à cinq thèmes
l’argumentaire mouvementiste en faveur de ce média. Il
offrirait en premier lieu des possibilités de coordination et
de maintenance d’organisation assurant un compromis
remarquable entre faible coût en temps et argent,
souplesse, conjuration des logiques centralisatrices. La
capacité du web, des listes de diffusion à se jouer des
frontières constitue un second argument quant au
caractère international de l’outil [Ollitrault, 1999]. Avec
plus ou moins de naïveté ou de quant à soi critique l’idée
d’instituer un authentique espace public, horizontal,
ouvert, égalitaire et sans coûts d’accès matériels ou
symboliques constitue un troisième registre de plaidoyer.
L’Internet militant combine là les vertus de l’éducation
populaire. Il catalyse réflexivité et actions. Une quatrième
argumentation se fixe sur les capacités de diffusion de
l’information. Les sites en ligne présentent ici deux
avantages. Celui quantitatif, de rendre accessible des
masses énormes d’information, allant d’échanges sur un
forum de discussion à des brochures téléchargeables.
Mais ces avantages sont aussi qualitatifs et directement
politiques en faisant sauter deux barrages du système
http://www.mouvements sociaux.org
La tendance lourde à une moindre autonomie
médiatique des mouvements sociaux était lisible à divers
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facilité d’accès à un terminal n’est pas davantage
identique à Oxford, Kotayam ou Niamey. Quant à la
promesse d’une communication égalitaire et horizontale,
elle est démentie par les études qui se confrontent aux
simples questions : qui intervient ? Quelle est la structure
de contribution au flux des messages [Le Grignou, Patou,
2004] ? Ce que montrent ces études de cas est au
contraire la concentration de la production de messages
entre peu de mains. Ethnographies et casestudies donnent même parfois le sentiment que le web
engendre un espace d’autant plus virtuel que les militants
y parlent aux seuls militants dans l’illusion que ce
bavardage autoclave prépare les soulèvements populaires
de demain. Si des débats à la fois ouverts et répondant à
un impératif d’argumentation – et non de « monologues
interactifs » – existent, ce n’est que sur des sites où ils
sont encadrés par des règles et une police de la
discussion.
Un troisième rappel au réel tient à la persistance
d’une forte sélectivité quant aux sites et espaces de
production d’information qui réussissent à être
« référencés », à contaminer de leurs questionnements
les médias officiels. Cardon et Granjon [2006] le montrent
dans de très éclairants tableaux des thèmes qui sortent
(ou non) de l’espace de débat militant. Une étude de
Maratea [2008] sur la blogosphère états-unienne rend
visible les processus de sélectivité et de hiérarchisation
qui font que quelques sites acquièrent la crédibilité et
l’attention qui les fait relayer par les médias traditionnels.
Si existe l’équivalent de possibilités d’irruption dans
l’espace public des médias légitimes, c’est au prix d’une
sélection (la « Googlearchy ») qui valorise d’une part les
sites militants les plus professionnels, ou sur un mode
ambigu ceux capables de propulser les rumeurs les plus
singulières. En reprenant une catégorie de Klandermans et
Oegema [1987], on rappellera aussi que la plus réussie des
« mobilisations du consensus » par un travail de
communication ne donne pas à soi seule de garanties de
passage à l’acte dans la « mobilisation de l’action ». Le
temps passé devant les claviers est souvent soustrait à
celui des formes classiques et efficaces de contact direct
avec les groupes à mobiliser.
traditionnel de gate-keeping journalistique [Cardon,
Granjon 2006]. Les sites contrôlés par les mouvements
permettent le retour dans l’espace public d’une « critique
en colère », non engluée dans le compassionnel. On
rappellera pour illustration qu’un des sites les plus
consultés lors du référendum sur le Traité Constitutionnel
Européen fut celui bricolé par un professeur de SES des
Bouches-du-Rhône. Les sites alternatifs constitueraient
aussi un cheval de Troie permettant d’introduire dans les
sources et questionnements des médias traditionnels des
thématiques censurées ou ignorées. C’est dire qu’un
cinquième argument d’efficacité est sous jacent. L’Internet
militant porte la promesse d’une sortie hors de l’autisme
groupusculaire ou du travail de conviction des convaincus
pour atteindre, en ligne ou par ricochet, un public global.
Utopies technologiques et logiques sociales
Comme le souligne Flichy [2008] il serait ridicule
de nier les changements objectifs engendrés par les
usages militants d’Internet. Y figurent l’accessibilité à
partir de tout terminal d’une masse énorme de matériaux
critiques, l’interconnexion d’énergies militantes au-delà
des frontières. En relèvent encore une capacité
démontrable sur des cas précis (forums sociaux, contresommets) de coordonner des rendez-vous militants, de
leur donner assez de lustre pour rendre obligatoire leur
couverture jusque par les médias les plus conservateurs,
et donc de faire accéder à l’espace public des médias
officiels des thèmes et critiques. Mais des faits têtus sont
sous-estimés tant par les militants que par des
chercheurs amoureux de leur objet ou souscrivant à un
déterminisme technologique.
Déplacer des locaux enfumés d’une maison du
peuple ou de la salle municipale vers un forum en ligne
l’espace des interactions militantes ou de la diffusion des
idées n’abolit en rien le « cens caché ». La capacité à
s’intéresser aux enjeux politiques et sociaux, à formaliser
par écrit des opinions reste inégalement distribuée. S’il
abolit des barrières, l’usage de l’informatique en crée
d’autres : des variables d’âge et d’accoutumance créent
de l’inégalité devant le clavier et l’écran. L’usage obligé de
l’anglais dans une partie des réseaux est un autre filtre. La
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complexité des chaînes d’interdépendances rendent le
social illisible et problématique la notion même de
« responsable », des actions capables à la fois de
raccourcir et de donner des visages à ces rapports
abstraits de pouvoir peuvent être d’une grande force. Les
scènes où le cinéaste Michaël Moore apporte à un
dirigeant du lobby des armes une balle tirée du corps d’un
adolescent, ou mettent publiquement le patron de Nike
devant l’écart entre salaires dans ses usines
indonésiennes et prix de vente des chaussures en sont des
illustrations.
Pour ne pas se polariser sur le seul Internet il faut
être attentif à d’autres initiatives qui visent à la fois à
toucher un public élargi et à échapper aux formatages que
requièrent les médias dominants. La basse intensité
technologique peut alors révéler un potentiel rare à
mobiliser en combinant mise en branle de l’émotion et de
la réflexivité. Tel est le cas des escraches argentins,
actions de rassemblement devant le domicile d’anciens
tortionnaires, qui donnent dans l’espace urbain une
incarnation concrète au problème de l’impunité. Dans un
monde « globalisé » où l’extension planétaire et la
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Médias et « médiactivisme » (F. Granjon)
La dimension symbolique des mouvements sociaux
participe à part entière à l’existence des luttes sociales.
Créer l’événement, travailler à sa mise en scène, produire
une représentation la plus autonome possible de ses
propres intérêts et de son identité est essentiel pour les
agents de la critique sociale. L’on sait que celui qui
sélectionne et présente l’information détermine en
majeure partie l’horizon événementiel au sein duquel elle
fait sens et s’ouvre à la compréhension. La maîtrise des
supports d’information et des accès à l’opinion publique se
présente donc comme l’une des gageures essentielles de
l’action collective. Sans image publique, les mouvements
sociaux ne peuvent en effet guère prétendre à l’efficacité
car, comme le rappelle Patrick Champagne, « les malaises
sociaux n’ont une existence visible que lorsque les médias
en parlent ». Et d’ajouter : « Les malaises ne sont pas tous
également “médiatiques” et ceux qui le sont, subissent
inévitablement un certain nombre de déformations dès
qu’ils sont traités par les médias car, loin de se borner à
les enregistrer, le champ journalistique leur fait subir un
véritable travail de construction qui dépend très
largement des intérêts propres à ce secteur d’activité »
(Champagne, 1993, p. 61).
donner, ils restent un point de passage obligé pour
atteindre l’opinion publique et s’assurer une
représentation sociale élargie. La construction et la
structuration des luttes sociales ne peuvent donc
généralement éviter de mobiliser le relais des médias
dominants. Ils sont en effet les plus à même d’assurer
l’ouverture à la communauté plus globale des citoyens
(mobilisation du consensus), de contribuer à
l’élargissement du potentiel de mobilisation de l’action et
de permettre l’éventuelle imposition d’un sens partagé.
D’ailleurs, la plupart des mouvements sociaux ne
considèrent pas la nécessité de prendre en charge leur
propre représentation comme devant être synonyme
d’une défiance totale vis-à-vis des médias dominants. Le
mouvement d’évitement des intermédiaires spécialisés
n’est généralement pas appréhendé dans une logique de
substitution mais plutôt dans une perspective
d’articulation pouvant servir les processus de mise en
visibilité et de montée en généralité.
L’utilisation stratégique des médias par les
mouvements sociaux
L’investissement de la scène politico-médiatique par les
mouvements sociaux reste donc l’un des principaux
moyens pour inscrire la critique sociale dans le débat
public et « doter la protestation d’un langage », ce qui
signifie « transformer le malaise vécu en injustice, en
scandale, le légitimer au regard d’un système de normes
et de valeurs. […] Donner un langage, c’est aussi
désigner des responsables, formuler des revendications
en forme de solutions » (Neveu, 1996, p. 89). Les militants
connaissent de mieux en mieux les logiques et les
pratiques inhérentes à la médiasphère, clause nécessaire
à la négociation de leur présence dans les pages, sur les
écrans et sur les ondes. L’accès aux faveurs de l’opinion
publique et l’assurance d’une visibilité maximum
nécessitent ainsi un ticket d’entrée qui passe par des
stratégies d’intéressement si ce n’est même par une
collaboration explicite avec les médias dominants.
L’accès des mouvements sociaux à l’opinion publique
Les conditions d’accès des mouvements sociaux à l’espace
public restent encore largement soumises au traitement
de la conflictualité sociale par les médias dominants. Dire
le sens en lieu et place des intermédiaires convenus (les
journalistes), produire ses propres cadres
d’interprétation et construire des scènes d’apparition
publiques alternatives est un idéal qui parfois ne peut être
atteint (par manque de ressources, de compétences, etc.).
Réduire sa dépendance à l’égard des grands vecteurs de
communication et stabiliser son autonomie médiatique
n’est pas toujours possible. Et même si les médias
dominants présentent le plus souvent les acteurs de la
critique sociale sous un jour qui ne correspond pas
franchement à l’image que ces derniers entendent se
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L’enrôlement des professionnels de l’information
s’effectue parfois du fait du caractère inédit de certains
répertoires d’action ou de la portée symbolique de
certaines actions « conformes à la définition sociale de
l’événement digne de faire la une » (Champagne, 1993). De
la même façon que Champagne désigne par
l’expressionmanifestations de papier (1990) les
convocations du nombre, qui, outre les objectifs
classiques de ce type d’action, visent aussi à produire une
image positive de la mobilisation et des revendications à
l’intention des médias, il existe également des contenus
spécifiques (communiqués de presse, sites web, blogs,
etc.) « pour journalistes », qui participent de « stratégies
de captation de l’attention médiatique » (Neveu, 1996, p.
89). La valeur de certains de ces contenus tient donc pour
partie au potentiel de rendement médiatique qu’ils
constituent. C’est par exemple le cas de l’information « en
ligne » produite lors des forums sociaux mondiaux par les
organisations qui y participent. Riche d’analyses
argumentées et de panoplies interprétatives qui la plupart
du temps sont déployées par des entrepreneurs de
mobilisation parmi les plus en vue du mouvement
altermondialiste, elle retient l’intérêt des journalistes qui y
voient d’utiles compléments à leur propre production et
matière à renouveler leurs routines interprétatives.
La critique des médias dominants
Au sein des mouvements sociaux, la critique des médias
est de facto une cause entendue et transverse. Ils sont
largement considérés comme la courroie de transmission
idéologique des intérêts dominants et leurs
dysfonctionnements appréhendés comme des effets assez
directs de leur concentration économique, de leur
financiarisation et de leur dépendance vis-à-vis des lois du
marché et du champ politique. Les médias dominants
s’éloigneraient ainsi de plus en plus d’un modèle théorique
de l’espace public médiatique servant la pluralité et la
démocratie. Mais la critique des médias dominants
constitue également une cause particulière pour certains
groupements qui construisent des mobilisations
spécifiques autour des enjeux informationnels. Médias
alternatifs, watchdogs , associations de démocratisation de
l’accès à l’information, collectifs de militants de l’«
internet citoyen et solidaire », etc., ambitionnent de
mettre en œuvre leurs propres dispositifs de production
d’information et/ou de démocratiser les médias
en agissant sur leurs messages, leurs pratiques, leurs
organisations et le contexte réglementaire qui les régit.
Cette contestation multiforme de l’ordre médiatique révèle
par ailleurs un ensemble de contradictions qui ont trait à
la nécessité de structurer cette critique et de construire
des stratégies d’action permettant d’intervenir
efficacement dans ce domaine. Elles sont également liées
aux tensions qui opposent les tenants d’une critique des
médias de typecontrehégémonique (Acrimed, Observatoire
français des médias, Media Watch Global, Fairness and
Accuracy in Reporting, Observatorio global de medios,
etc.) orientant pour l’essentiel leurs revendications vers
un contrôle et une réforme radicale de l’espace public
médiatique et les média-activistes (Indymedia, Samizdat,
Cmaq, Direct Action Media Network, Telestreet, Sindominio,
Sherwood Comunicazione, etc.) qui considèrent plus
important de construire un espace médiatique alternatif à
côté des médias dominants (Cardon et Granjon, 2005).
Il faut cependant noter qu’à moins de créer à proprement
parler l’événement en ayant recours à des modes d’action
non routinisés, la réussite de l’utilisation stratégique des
médias par les mouvements sociaux dépend également de
fortes contraintes extérieures sur lesquelles les agents de
la lutte sociale n’ont finalement que peu de moyens pour
faire levier, en particulier en ce qui concerne la gestion du
calendrier de l’actualité. Par ailleurs, les professionnels de
l’information sont souvent rétifs à la présentation publique
d’un cadre d’interprétation construit par les protagonistes
des luttes, auquel ils préfèrent une construction
personnelle des faits. Les usages stratégiques des médias
dominants par les mouvements sociaux et l’existence de
ces « liaisons dangereuses » entretenues entre les agents
de la conflictualité sociale et ceux du champ journalistique
prennent donc aussi forme sur fond de défiance mutuelle.
Principalement fondée sur un principe de dénonciation des
appareils idéologiques de domination et des contenus
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
produits par les médias dominants, la critique des médias
défend la nécessité d’armer les citoyens afin qu’ils soient
en mesure de répondre aux agressions symboliques et à
l’oppression idéologique dont ils seraient les victimes.
Dénonçant la « marchandisation de la culture et de
l’information », « l’homogénéisation de la pensée », la «
normalisation de l’imaginable », « l’empoisonnement des
consciences » ou encore le « nouveau colonialisme
symbolique », elle prône une « décontamination » des
médias et revendique un « droit de savoir des citoyens ».
En la matière, la défense de l’information en tant que bien
public, la revendication d’un exercice libre, contradictoire
et pluraliste de l’expression et la défense d’un droit à la
communication sont les fondements à partir desquels est
envisagée la reconstruction d’un « autre espace
médiatique ». Ce que la critique des médias n’envisage en
revanche qu’à la marge et que les média-activistes
mettent au cœur de leurs actions concerne les questions
des rapports sociaux qui fondent le travail de production
de l’information. Les média-activistes mettent surtout en
avant la nécessité de refonder une pratique médiatique
perspectiviste qui ne soit pas en décalage avec les
expériences sociales des producteurs d’information. Ils
fondent en acte des pratiques visant notamment à
dénaturaliser la différence entre émetteurs et récepteurs,
producteurs et consommateurs. Ils posent ainsi la
nécessité d’un exercice participatif de construction de
l’information selon des modalités autogestionnaires qui
tranchent avec les normes d’une presse envisagée comme
devant avoir la fonction d’agence de propagande. Les
médias alternatifs ont alors pour vocation de décloisonner
les savoirs et les publics et de révéler les antagonismes
sociaux à partir d’outils de production dont les référents
ne sauraient être ceux des médias dominants (verticalité,
objectivité, professionnalisation, massification, etc.),
même passés aux mains des forces progressistes.
instruments collectifs d’expression qui ne soit pas
seulement fondée sur une critique de l’information, mais
porterait aussi sur les enjeux structurels du système
médiatique. La critique et la dénonciation des médias
dominants gardiens de l’ordre social s’accompagne donc
en ses marges de la mise en œuvre de médias de la
critique et de pratiques alternatives de communication
dont l’objectif est d’assurer a minima le contrôle des
structures d’interprétation et des cadres de perception de
l’injustice sociale. Les initiatives allant dans ce sens se
sont multipliées ces dernières années, révélant
l’émergence d’un militantisme informationnel (c’est-à-dire
une activité militante centralement orientée vers la
production et/ou la diffusion d’information). Ces formes
spécifiques de mobilisation se sont largement intéressées
aux technologies de communication les plus récentes et en
particulier internet, qui ont permis un renouvellement de
la gestion symbolique de la conflictualité sociale en
apportant à ceux qui se mobilisent des moyens
d’expression inédits (Granjon, 2001, 2005). Le réseau des
réseaux a ouvert des nouveaux processus collectifs
d’énonciation et a permis un changement dans la facture
fictionnelle de l’exercice publicitaire des luttes sociales.
Pour le mouvement altermondialiste, internet a contribué
à l’édification d’un répertoire médiatique transnational fait
de communautés d’action et d’espaces de représentation
variés, au sein duquel les dimensions à la fois locale,
nationale et internationale s’interpénètrent de façon forte.
Sans avoir les moyens d’avancer que de telles arènes
médiatiques contribuent effectivement à la mobilisation de
l’action, on peut toutefois penser que leur existence
permet au moins d’assurer une meilleure représentation
des intérêts des luttes altermondialistes et contribue à la
construction symbolique des identités d’un mouvement
hétérogène, au-delà des cercles militants qui travaillent
directement à son édification.
L’émergence d’un militantisme producteur et
diffuseur d’information
Bibliographie
CARDON (Dominique) et GRANJON (Fabien), « Médias
alternatifs et médiactivistes », dans Éric Agrikoliansky,
Olivier Fillieule et Nonna Mayer (dir.),L’Altermondialisme en
France. La longue histoire d’une nouvelle cause , Paris,
Flammarion, 2005, p. 175-198.
Critique des médias et média-activistes se battent pour
une appropriation sociale de l’espace médiatique et des
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Parcours Communication – Semestre 4 (L2)
ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
CHAMPAGNE (Patrick), Faire l’opinion. Le nouveau jeu
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LANGLOIS (Andrea) et DUBOIS (Frédéric), Médias autonomes,
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ECUE Communication & militantisme- 2017-2018
Université Paris-Est Créteil
Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
Parcours Sciences de l’Information et de la Communication
Licence 2
année 2017 - 2018
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