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Aby Warburg: Bilderatlas Mnemosyne

2020, Esprit

À Berlin, deux expositions sont actuellement consacrées à Aby Warburg (1866-1929), historien de l’art allemand : Aby Warburg: Bilder­ atlas Mnemosyne – Das Original (Haus der Kulturen der Welt, Berlin, jusqu’au 30 novembre 2020) et Zwischen Kosmos und Pathos. Bilderatlas Mnemosyne (Gemäldegalerie, Berlin, jusqu’au 1er novembre 2020). Ce dispositif est pensé sous la forme de deux espaces complémentaires, dans des musées situés de part et d’autre du Tiergarten, le grand parc du centre-ville.

Expositions Aby Warburg: Bilderatlas Mnemosyne À Berlin, deux expositions sont actuellement consacrées à Aby Warburg (1866-1929), historien de l’art allemand : Aby Warburg: Bilder­ atlas Mnemosyne – Das Original (Haus der Kulturen der Welt, Berlin, jusqu’au 30 novembre 2020) et Zwischen Kosmos und Pathos. Bilderatlas Mnemosyne (Gemäldegalerie, Berlin, jusqu’au 1er novembre 2020). Ce dispositif est pensé sous la forme de deux espaces complémentaires, dans des musées situés de part et d’autre du Tiergarten, le grand parc du centre-ville. Warburg est le fondateur d’une bibliothèque spécialisée à Hambourg, qui existe toujours aujourd’hui à l’université de Londres, en tant que collection et centre de recherche. Son grand projet inachevé consiste en une collection de photographies d’œuvres d’art – près d’un millier d’objets de l’Antiquité jusqu’à la période moderne, avec une prédilection pour la Renaissance –, sorte de lieu de mémoire de l’art occidental qui porte le nom d’Atlas Mnemosyne. L’exposition du Haus der Kulturen der Welt présente pour la première · ESPRIT · Novembre 2020 fois l’organisation de ces photographies dans son intégralité, telle que Warburg l’a laissée au moment de sa mort en 1929, sous la forme de 79 grands panneaux thématiques (panel ou tableau, au sens de tableau de salle de classe) sans titre, mais toujours centrés autour d’un motif particulier. Le visiteur peut se mouvoir librement de l’un à l’autre des panneaux dans une grande salle où l’ensemble est arrangé en arcs de cercle. D’autres photographies montrent la bibliothèque originale à Hambourg, installée dans la maison de la famille Warburg, mais pensée d’emblée comme un institut de recherche. L’ensemble est complété par des informations sur le contexte historique (République de Weimar et montée du nazisme), sur les principales figures de l’institut (Gertrud Bing, Raymond Klibansky, Fritz Saxl…) et leurs liens avec le philosophe Ernst Cassirer, jusqu’au déménagement en Angleterre. Sauvée in extremis en 1933 grâce à l’intervention de Klibansky, la bibliothèque voulue par Warburg a une histoire qui se confond avec l’institutionnalisation de l’histoire de l’art à l’université en devenant une discipline académique comme les autres après la guerre, désormais enseignée dans le monde entier. Si la folie (Warburg a été soigné par le psychiatre et 1/ psychanalyste Ludwig Binswanger) et la mort ont laissé l’Atlas Mnemosyne inachevé, il existe toutefois plusieurs analyses critiques de ce projet, dont une nouvelle publication de référence en grand format1 qui reproduit toutes les images selon l’arrangement composé par Warburg en 1929 (ainsi qu’une précédente version, qui comprend vingt compositions d’images, car Warburg a tenté plusieurs combinaisons pour montrer les transformations). L’exposition invite aussi à la comparaison : une photo d’André Malraux en pleine réalisation du Musée imaginaire (1947) ou encore le succès populaire de L’Histoire de l’art (1950) d’Ernst H. Gombrich élargissent le jeu des correspondances. La seconde exposition, Zwischen Kosmos und Pathos. Bilderatlas Mnemosyne, rassemble une cinquantaine d’œuvres d’art de l’Antiquité à nos jours, tirées des collections des musées berlinois. Les œuvres sont soit représentées dans l’Atlas Mnemosyne, soit y font écho en raison justement du principe de l’identité thématique, symbolique ou formelle énoncée par Warburg. Certains motifs ont ainsi été choisis pour mettre à l’épreuve le jeu des correspondances pensé par Warburg : par exemple, le tableau nº 32 (Der Hosenkampf – thème du carnaval) et le tableau nº 39 (la jeune fille ou la nymphe). Celui-ci est aussi bien illustré dans l’exposition par la Vénus de Botticelli que par des dessins de publicistes du début du xxe siècle, mais encore par une reproduction de la Gradiva, un bas-relief antique qui a fasciné Sigmund Freud. Le psychanalyste lui a consacré un essai en 1907 à partir du roman du même nom de Wilhelm Jensen –, essai qui du reste a inspiré les surréalistes (Salvador Dalí, André Masson…) à leur tour. D’autres déclinaisons des motifs élus par Warburg sont proposées aux visiteurs, comme la mélancolie (tableau nº 58, composé à partir d’une gravure d’Albrecht Dürer) et bien d’autres passions incarnées par des figures mythologiques depuis l’Antiquité, choisies pour leur valeur archétypale ou leur capacité à cristalliser des émotions sous forme de scènes et de symboles repris par les artistes de siècle en siècle. On le sait, cette perspective a inspiré l’iconologie de Erwin Panofsky et, plus tard, nombre d’études sémiologiques. On regrettera peut-être que cette seconde exposition soit si petite (à peine deux pièces de la Gemäldegalerie), on louera cependant la 1 - Warburg A., Bilderatlas Mnemosyne. The Original, éd. Roberto Ohrt et Axel Heil, Berlin, Hatje Cantz / Haus der Kulturen der Welt / Warburg Institute, 2020. /2 · ESPRIT · Novembre 2020 sobriété de la muséographie et le choix des œuvres (Rembrandt, Rubens…)2. Emmanuel Delille 2 - Voir le catalogue : Neville Rowley et Jörg Völlnagel (sous la dir. de), Zwischen Kosmos und Pathos / Between Cosmos and Pathos. Berliner Werke aus Aby Warburgs Bilderatlas Mnemosyne / Berlin Works from Aby Warburg’s Mnemosyne Atlas, Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2020. · ESPRIT · Novembre 2020 3/