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Megarika I, II : La caverne de Mourmouni (1980)

1980, Bulletin de Correspondance Hellénique 104

Arthur Muller Megarika. La caverne de Mourmouni In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 104, livraison 1, 1980. pp. 83-92. Citer ce document / Cite this document : Muller Arthur. Megarika. La caverne de Mourmouni . In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 104, livraison 1, 1980. pp. 83-92. doi : 10.3406/bch.1980.1956 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1980_num_104_1_1956 MEGARIKA' LA CAVERNE DE MOURMOUNI A la mémoire de mon père. I. Le mégaron de Déméter Si la topographie antique de la ville de Mégare est relativement bien connue dans ses grandes lignes, grâce à la description de Pausanias (I, 39, 4 à 44, 2)1, bien des choses restent dans l'ombre dès que l'on s'interroge sur chaque monument en parti culier. Une lecture trop rapide de Pausanias et le désir de reconnaître dans les rares vestiges les monuments les plus prestigieux mentionnés par le Périégète, ont parfois conduit à des identifications hâtives : c'est l'une d'elles, concernant le culte de Déméter, que je me propose de réexaminer ici. J. Threpsiadis a exploré en 19362 une petite caverne naturelle qui s'ouvre dans le flanc Sud de l'acropole orientale de Mégare, la colline du Prophète Ilias, l'antique Karia3; elle se trouve à côté de l'ancienne mairie de la ville, entre les rues Vasiliou Iorgaki et Georges II. L'entrée, haute de 2,30 m environ, ouvre sur une salle de quelques mètres de diamètre, au fond de laquelle un étroit passage donne accès à une deuxième salle, de dimensions moindres. Ces deux cavités sont entièrement naturelles : aucune trace d'outil n'est visible. En revanche, la petite terrasse qui se (*) Sous ce titre, j'entreprends la publication de notes de topographie mégarienne, inspirées, pour la plupart, par le commentaire du texte de Pausanias. Ces notes feront l'objet d'une numérotation continue en chiffres romains. (1) RE XV (1931), s.v. « Megara », col. 175 (E. Meyer). A. Kaloyeropoulou, ArchAnAth 7 (1974), p. 147-148. Le plan de la flg. 2 a été dessiné par Nikos Sigalas, d'après le plan de J. Travlos, 'Εγκυκλο παίδειαΔομή (1974), s.v. Μέγαρα, ρ. 205. (2) J. Threpsiadis, PraktArchEt 1936, p. 52-54. Cf. BCH 60 (1936), p. 461, et AA 52 (1937), p. 137. (3) Après de longues discussions, il est admis désormais que la colline Ouest de Mégare portait l'acropole Alkathoos, et la colline Est l'acropole Karia. (Cf. RE XV, col. 176). 84 ARTHUR MULLER [BCH 104 Fig. 1. — La caverne de Mourmouni (cliché 1936). trouve juste en avant de la caverne a été en partie gagnée sur le versant de la colline, qui a été entaillé et redressé jusqu'à former une petite falaise (fig. l)4. L'exploration de 1936 n'a pas été suivie d'une fouille approfondie5; elle a cepen dantpermis de s'assurer que la caverne était fréquentée au moins à l'époque romaine, tandis que la petite place aurait été aménagée bien avant. J. Threpsiadis a alors prudemment, et sous forme interrogative, émis l'hypothèse que la caverne et la construction qui devait s'élever sur la terrasse devant elle avaient abrité jadis le culte de quelque divinité : suggérer le nom de Déméter et faire de ces lieux le mégaron de la déesse que signale Pausanias dans sa description de la Karia (I, 40, 6) était évidemment tentant6. Si J. Threpsiadis n'avançait là qu'une (4) L'état des lieux a changé depuis la description de Threpsiadis : la caverne, désormais murée, est difficilement reconnaissable. Je remercie la Société Archéologique, qui m'a communiqué la photographie de la figure 1, prise en 1936. (5) Je n'ai du moins trouvé aucune trace écrite des recherches complémentaires que Threpsiadis se proposait de faire dans la caverne et aux alentours (loc. cit., p. 54). (6) Loc. cit., p. 54. 1980] MEGARIKA 85 hypothèse, les commentateurs de Pausanias se sont empressés d'en faire une certitude7. Depuis, la modeste caverne de Mourmouni, comme on l'appelle à Mégare, a été élevée au rang de « Mégaron de Déméter », le sanctuaire le plus ancien de la ville, qui en tirerait son nom, du moins selon une invention tardive des mythographes (Paus., I, 39, 5)8. Il est vrai que si le terme de μέγαρον peut désigner un autel monumental pour sacrifices chthoniens et secrets — le plus bel exemple en est celui de Lycosoura (Paus., VIII, 37, 8)9 — il pouvait s'appliquer aussi à de simples fissures dans le sol, où s'accompliss aient, sans feu, des rites de même nature10; dès lors, l'identification du « mégaron de Déméter » avec une caverne à Mégare n'avait rien d'improbable. Mais qu'en est-il du point de vue topographique ? Les commentateurs mettent implicitement le fait que Pausanias termine la description de l'acropole par le mégaron, en rapport avec la position écartée de la caverne de Mourmouni, au flanc Sud de la colline du Prophète Ilias; mais ce raiso nnement ne résiste pas à l'examen de l'ensemble de la description de la Karia (fig. 2 et 3) : 40, 6 Μετά δε του Διός το τέμενος ες την άκρόπολιν άνελθοΰσι καλουμένην άπό Καρός του Φορωνέως και ες ήμας ετι Καρίαν, εστί μεν Διονύσου ναός Νυκτελίου, πεποίηται δε 'Αφροδίτης Έπιστροφίας ιερόν καΐ Νυκτός καλούμενόν έστι μαντεΐον και Διός Κονίου ναός ουκ έχων οροφον. Του δε 'Ασκληπιού το άγαλμα Βρύαξις και αυτό και την Ύγείαν έποίησεν. 'Ενταύθα καΐ της Δήμητρος το καλούμενόν μέγαρον ' ποιήσαι δε αυτό βασιλεύοντα Κάρα ελεγον. η" 41, 1 Έκ δε της ακροπόλεως κατιοΰσιν, προς άρκτον τέτραπται το χωρίον, μνήμα έστιν 'Αλκμήνης πλησίον του Όλυμπιείου. Après Venclos sacré de Zeus, quand on gravit l'acropole, qui tire de Kar, le fils de Phoronée, le nom de Karia qu'elle porte encore aujourd'hui, il y a un temple de Dionysos Nyctélios ; a été édifié aussi un sanctuaire d'Aphrodite Epistrophia ; il y a un oracle dit de la Nuit et un temple de Zeus Konios, qui n'a pas de toit. La statue d'Asclépios, c'est Bryaxis qui l'a faite, ainsi que celle d'Hygie. Là aussi se trouve ce qu'on appelle le mégaron de Démêler ; Kar, disait-on, le fil construire durant son règne. En descendant de l'acropole par le versant orienté vers le Nord, il y a le monument d'Alcmène à proximité de l'Olympieion (...) (7) Cf. M. Sakellariou - N. Faraklas, Μεγαρίς, Αίγόσθενα, Έρένεια [Ancient Greek Ciliés XIV, 1972), p. 49 et surtout annexe 3, p. 1 ; N. Papachatzis, Παυσανίου 'Ελλάδος Περιήγησις, Ι (1974), p. 496, n. 3, et fig. 311, p. 505. (8) Avant l'introduction tardive (cf. K. Hanell, Megarische Studien [1934], p. 51), dans la f Kônigsliste », de Kar, fondateur des μέγαρα de Mégare, le héros éponyme était, dans la version mégarienne, Mégaros fils de Zeus (Paus., I, 40, 1), et, dans la version béotienne, Mégareus fils de Poséidon, venu d'Onchestos en Béotie (Paus., I, 39, 5) (cf. FGrH, Illb Kommentar, p. 391). C'est sans doute afin de donner un support mythologique à la grande ancienneté de leur mégaron, et peut-être afin de lui conférer une antiquité compar ableà celle du sanctuaire d'Eleusis, que les Mégariens ont attribué sa fondation à un Kar imaginé pour les besoins de la cause. Il est en effet fils de Phoronée, roi d'Argos, cité qui se vantait de posséder le plus ancien culte de Déméter, dont même celui d'Eleusis serait issu (Paus., I, 14, 2). Il suffisait donc de donner à Klyménos et Chthonia, les enfants de Phoronée qui introduisirent le culte de la Grande Déesse à Hermioné (Paus., II, 35, 4), un frère, Kar, qui joua le même rôle à Mégare. (9) Kourouniotis, ArchEph 1912, p. 142-161. (10) Kourouniotis, loc. cit., p. 155; cf. F. Robert, Thymélè (1939), p. 226-227. 86 ARTHUR MULLER 500 1. 2. 3. U. [BCH 104 JQOOm CAVERNE DE MOURMOUNI. FONTAINE DE THÉAGÈNE. OLYMPIEION. PRYTANÉE. Fig. 2. — Plan topographique du centre de la ville antique (d'après J. Travlos). Fig. 3. — Mégare vue du Sud : les acropoles et le site de l'agora. 1980] MEGARIKA 87 Affirmer que Pausanias place le mégaron de Déméter« quelque part dans la région de la Karia »n, c'est faire injure à la précision du Périégète. En effet, alors que l'usage moderne entend par « acropole » non seulement le sommet d'une hauteur, mais aussi ses versants et les monuments qui s'y trouvent, Pausanias donne au terme d'axp07roXiç une acception plus restreinte : chez lui, ce mot ne désigne que le sommet de la hauteur, et, plus exactement, l'espace compris dans l'enceinte; il distingue donc régulièrement les monuments qui se trouvent dans l'acropole, de ceux qui se trouvent sur les versants. L'exemple le plus clair est celui de l'acropole d'Athènes : Pausanias commence par énumérer les monuments et les sanctuaires qui se trouvent immédiatement en contrebas du rempart de la citadelle, sur le versant Sud12, tout en précisant par deux fois qu'il se dirige vers l'acropole : 'Ιόντων δε Άθήνησιν ές την άκρόπολί-ν (Ι, 21, 4); Προς τήν άκρόπολιν ίοΰσιν (Ι, 22, 1). Vient ensuite la description de l'acropole propre mentdite; cette section est soigneusement distinguée du reste : Ές δε τήν άκρόπολίν έστιν εσοδος μία (Ι, 22, 4) signale le moment où Pausanias entre dans l'acropole, et Καταβάσι δε ουκ ές τήν κάτω πόλιν, άλλ' δσον ύπο τα προπύλαια (Ι, 28, 4) le moment où il la quitte pour visiter le versant Nord. Pour la Karia à Mégare, la démarche est exactement la même : le Périégète dit précisément à partir d'où il est dans l'acropole (après le téménos de Zeus), et tout aussi précisément quand il la quitte et par où (par le versant Nord-Ouest, puisque le monument d'Alcmène se trouve à proximité de l'Olympieion). La Karia est donc, comme l'acropole d'Athènes, un espace clos, délimité par une enceinte, où l'on entre (ες τήν άκρόπολιν) et d'où l'on sort (Έκ δε της ακροπόλεως). Cette enceinte, que suppose le texte de Pausanias, a aujourd'hui entièr ementdisparu; mais des voyageurs ont encore vu, au xixe siècle, des restes de ces murs, qu'ils qualifient de cyclopéens13. C'est sans doute cette enceinte qu'il faut reconnaître dans les longs murs représentés sur la colline orientale, dans un dessin que fit faire l'abbé Fourmont lors de son passage à Mégare en 1729 (fig. 4)14. La configuration des différents versants de la colline du Prophète Ilias est suffisante pour donner une idée relativement précise de l'extension de cette enceinte : elle n'enfermait que la partie haute de la colline, laissant à l'extérieur le plateau qui la prolonge vers l'Est (fig. 2). Tous les sanctuaires qu'énumère Pausanias se trouvent donc à l'intérieur de cette enceinte : le ενταύθα qui introduit la mention du mégaron devrait d'ailleurs le rappeler. Or la caverne de Mourmouni n'est pas incluse dans l'acropole, et cela justement à l'endroit où le tracé du rempart est le mieux assuré : il dominait la petite falaise abrupte où s'ouvre la caverne15. Il me paraît donc certain que le mégaron (11) M. Sakellariou - N. Faraklas, op. cit., annexe 3, p. 1 : « Το ιερό της Δήμητρος όμως τό τοποθετεί κάπως αόριστα κοντά στην Καρία. » (12) Le théâtre de Dionysos, les sanctuaires d'Asclépios, de Thémis et de Gè, sont les principales étapes de Pausanias sur son chemin vers les Propylées (I, 21, 1 à I, 22, 4). (13) E. Dodwell, A classical tour through Greece (1819), II, p. 177 ; W. M. Leake, Tiavels in northern Greece (1835), II, p. 399 ; Prokesch von Osten, Denkwurdigkeiten und Erinnerungen aus dem Orient (1837), II, p. 353 (mais ce dernier auteur identifie la colline orientale de Mégare avec l'acropole Alkathoos) ; Rangabé, « Souvenirs d'une excursion d'Athènes en Arcadie », Mémoires présentés par divers savants à Γ Académie des Inscriptions, lre série, tome V (1857), I, p. 290. (14) Voyage en Grèce de l'abbé Fourmont, Paris, Bibliothèque Nationale, Département des manuscrits : NAF 1892, folio 163. Je remercie la Bibliothèque Nationale, qui m'a autorisé à reproduire ici ce document. (15) La caverne de Mourmouri est donc, par rapport à l'enceinte de la Karia, exactement dans la même situation que la caverne du versant Sud de l'acropole d'Athènes, que Pausanias situe « εν ταΐς πέτραις ύπό τήν άκρόπολιν » (Ι, 21, 3). L'excellente photographie que donne de cette caverne Papachatzis, op. cit., p. 299, fig. 166, permet d'imaginer à quoi devait ressembler la caverne de Mourmouni, dominée par le rempart. Fig. 4. — Mégare vue du Nord (dessin de l'abbé Fourmont). La Karia est à gauche (« Olym (Phot. Bibl. nat. Paris). 1980] MEGARIKA 89 de Déméter se trouvait dans l'enceinte de la Karia, et la caverne de Mourmouni à l'extérieur : leur identification est dès lors impossible. On ne peut d'ailleurs tirer aucune indication topographique de l'ordre dans lequel Pausanias énumère les sanctuaires qu'il a vus sur la Karia. En effet, dans ce court passage, les indications habituelles de relation de proximité ou de voisinage entre les monuments font défaut; c'est que Pausanias a substitué, à l'ordre topo graphique qu'il utilise le plus souvent, un classement raisonné : il énumère les temples qui s'élèvent à l'intérieur d'un secteur nettement défini. Il me semble que le Périégète a terminé cette énumération par le mégaron de Déméter non parce qu'il était à l'écart, mais afin de mettre ainsi en valeur ce monument qui passait pour le plus ancien de Mégare. On est donc bien plus près de la vérité en plaçant le mégaron de la déesse au point le plus élevé de l'acropole, comme le propose J. Travlos (fig. 2, n° 5)16, et en l'imaginant comme un autel monumental destiné aux sacrifices chthoniens et secrets que recevait la déesse17. II. La Petra Anaklèthra Une autre idée reçue, dont l'origine est cette fois bien plus ancienne, a empêché longtemps de reconnaître la vraie nature d'un autre lieu de culte de Déméter à Mégare, signalé lui aussi par Pausanias : 43, 2 "Εστί δε του πρυτανείου πέτρα πλησίον . Άνακλήθραν την πέτραν ονομάζουσιν18, ώς Δημήτηρ, εϊ τω πιστά, οτε την παΐδα έπλανατο ζητούσα, και ενταύθα άνεκάλεσεν αυτήν. Έοικότα δε τω λόγω δρώσιν ες ή μας ετι αά Μεγαρέων γυναίκες. A proximité du prytanée se trouve une falaise ; ils appellent cette falaise « Anaklèthra », parce que Démêler — si on peut faire foi à ce récit — , lorsqu'elle errait à la recherche de sa fille, l'appela aussi depuis cet endroit. Aujourd'hui encore, les femmes des Mégariens donnent une représentation de celle histoire. » (16) Le mégaron de Lycosoura se trouve au sommet de la petite hauteur sur le versant de laquelle se trouve le temple de Despoinè (Kourouniotis, ArchEph 1912, p. 143). (17) C'est du moins, semble-t-il, ce que Pausanias, « qui n'emploie jamais au hasard les termes religieux », entend par μέγαρον (cf. III, 25, 9 ; IV, 31, 9 ; VIII, 6, 5 ; VIII, 37, 8) ; (F. Robert, Thymélè [1939], p. 215). (18) Les meilleurs manuscrits (V, F et P) donnent la leçon Άνακλήθρα, que Schubart corrige simplement en Άνακλήθραν. Pourtant, depuis Spiro, tous les éditeurs adoptent la forme Άνακληθρίδα, correction issue de V Etymologicum Magnum, s.v. Άνακληθρίς. Rien ne justifie cependant cette correction. En effet, Άνακλήθρα est formé sur άνακαλεΐν avec le suffixe θρο / θρα, qui a été « productif au féminin, pour former des dérivés signifiant l'instrument, le moyen, le lieu » (P. Chantraine, La formation des noms en Grec ancien [1933], p. 373). De même que κολυμβήθρα est l'endroit où l'on prend un bain, άλινδήθρα la piste où se roulent les che vaux, de même Άνακλήθρα est l'endroit où Déméter appelait sa fille. La formation de Άνακληθρίς est en revanche plus difficile à expliquer ; il faut ou bien admettre une double suffixation (θρα + ιδ, ce dernier suffixe pour marquer un féminin ? mais θρα en porte déjà la marque), ou bien corriger en Άνακλητρίς : il s'agirait alors du féminin d'un nom d'agent en -τήρ ; cette catégorie comprend aussi des noms d'instrument, mais il est difficile d'y faire entrer la Petra Anaklèthra. (P. Ghantraine, op. cit., p. 340-341). 90 ARTHUR MULLER [BCH 104 Cette πέτρα a toujours été, dans l'esprit des commentateurs, un roc sur lequel Déméter se serait assise pour se reposer, lorsqu'elle errait à la recherche de Korè19. Ce n'est pas à Pausanias, mais à une notice de Méthodios dans YEtymologicum Magnum que remonte cette conception : Άνακληθρίς ' πέτρα εν Μεγάροις. "Οτι ή Δήμητρα καθεσθεΐσα έπ' αυτής, άνεκαλειτο την Κόρην. Και εκ της ανακλήσεως τήν πέτραν Άνακληθρίδα καλοΰσιν. Anaklèthris : rocher à M égare ; parce que Démêler appela Korè en étant assise dessus ; c'est à cause de cet appel qu'on donne au rocher le nom d1 Anaklèthris. Peu importe de savoir pourquoi la Petra Anaklèthra est devenue un siège dans YEtymologicum Magnum] il suffit de constater que rien, dans le texte de Pausanias, ne permet de justifier cette interprétation. Bien au contraire : Pausanias dit simplement que c'est auprès de cette πέτρα que Déméter est venue appeler sa fille. Rien dans son récit n'indique que la déesse se soit assise dessus. Or chaque fois qu'un rocher a servi de siège à une divinité, un héros ou un autre personnage, Pausanias ne manque pas de le signaler explicitement : les exemples abondent dans la Périégèse20; pourquoi Pausanias aurait-il omis, ici, ce détail pittoresque ? D'autre part, dans tous les cas où un rocher a servi de siège ou de tribune, Pausanias emploie le terme de λίθος, et une seule fois celui de πέτρα, pour le rocher de la Sibylle à Delphes; en revanche, il utilise régulièrement ce mot pour désigner une masse rocheuse d'un volume bien plus important que les rochers que désigne λίθος. Il peut s'agir de rochers isolés, comme celui de la Sibylle (X, 12, 1), ou celui que pousse éternellement Sisyphe (X, 31, 10), celui que Thésée souleva pour retrouver les armes d'Egée (II, 32, 7), ou encore les rochers qui suivirent Amphion, charmés par sa voix (IX, 17, 7)21. Mais plus souvent encore, πέτρα désigne des falaises plus ou moins élevées, comme la falaise du flanc Sud de l'acropole d'Athènes (I, 21, 3), la fameuse « falaise des Perses », contre laquelle les hommes de Mardonios lancèrent jadis tous leurs traits, croyant atteindre les Mégariens (I, 40, 2 et I, 44, 4), ou encore les falaises de Sciron, qui dominent la mer de plus de cent mètres de hauteur, là où les Monts Géraniens plongent brutalement dans le golfe saronique (I, 44, 7)22. La Petra Anaklèthra de Mégare est donc soit un piton rocheux isolé, à proximité de l'une des acropoles de la cité, soit une falaise, donc le versant de l'une de ces hauteurs. On pourrait penser que, dans le premier cas, la masse rocheuse devrait être encore visible : il n'y a rien de tel à Mégare; mais elle aurait pu disparaître depuis l'Antiquité — par exemple en servant de carrière — ou bien être masquée aujourd'hui (19) Cf. par exemple RE XV (1931), col. 179. Tout le monde renvoie à la notice de VEtymologicum Magnum, s.v. Άνακληθρίς. (20) A Athènes, la pierre de Silène, «juste assez grande pour s'asseoir » (I, 23, 5) ; à Salamine, la pierre de Télamon (I, 35, 3) ; à Trézène, la pierre d'Oreste (II, 31, 4) ; à Gythion, la pierre appelée « Zeus Kappotas » (III, 22, 1) ; à Thèbes, le « siège de Manto » (IX, 10, 3) ; à Delphes, le rocher de la Sibylle (X, 12, 1). (21) Dans ces derniers exemples, il est évident que plus les « πέτραι » sont volumineuses, plus le récit gagne en merveilleux. (22) Cf. aussi VIII, 13, 6. L'index de l'édition Hitzig-Blumner donne, s.v. « Felsen », la liste à peu près exhaustive des emplois de πέτρα dans la Périégèse. 1980] MEGARIKA 91 par des constructions parasites. Le seul raisonnement sur le relief actuel de Mégare, s'il est plutôt favorable au sens de « falaise », ne peut donc, cependant, constituer un argument déterminant. En revanche, c'est du texte même de la Périégèse que l'on peut tirer un renseignement supplémentaire. En effet, Déméter n'est sûrement pas venue chercher sa fille à Mégare par hasard : une raison précise a dû l'amener και ενταύθα : il devait s'y trouver un trou quelconque, une caverne, où Hadès aurait pu entraîner Korè, et d'où elle aurait pu ressurgir à l'appel de sa mère. L'emploi, dans le récit de Pausanias, du verbe composé άνεκάλεσεν alors que, a priori, le simple aurait suffit, me semble confirmer cette hypothèse : une traduction précise devrait le rendre par « elle l'appela pour la faire remonter ». Il faut donc imaginer que dans la Petra Anaklèthra s'ouvrait une caverne qui passait pour être une entrée des Enfers : cet élément de description fait préférer pour πέτρα le sens de « falaise » plutôt que celui de « piton rocheux ». Reste maintenant à situer cette falaise. Pausanias nous apprend que la Petra Anaklèthra se trouve dans la région de l'agora — donc au Sud des acropoles de Mégare — et à proximité du Prytanée (I, 43, 2) (fig. 2 et 3). Si un rocher susceptible de servir de siège peut trouver sa place n'importe où sur l'agora — J. Travlos le place en 6 sur le plan de la fig. 2 — , une falaise en revanche ne peut être que le flanc Sud de l'une des deux collines; là encore, les indications de Pausanias sont d'une aide précieuse. En effet, en I, 42, 6, il annonce qu'il quitte l'acropole Ouest, l'Alkathoos : Κατιουσι, δε εντεύθεν, pour se diriger vers le prytanée : Κατά δε την ες το πρυτανεΐον όδον (Ι, 42, 7). Le prytanée se trouve en haut de l'agora, dans la dépression qui sépare les deux acropoles : Pausanias longe donc le flanc Sud de l'acropole occidentale, en se dirigeant vers l'Est : si la Petra Anaklèthra était une falaise de cette colline, c'était le moment de la signaler, avant le prytanée. Or le Périégète la signale après le prytanée : c'est donc au-delà de ce monument, contre le flanc Sud de l'acropole orientale, la Karia, qu'il faut chercher la Petra Anaklèthra. On dispose maintenant de toutes les précisions souhaitables concernant la Petra Anaklèthra : c'est une falaise où s'ouvre une caverne, contre le flanc Sud de la colline Est de Mégare : la caverne de Mourmouni répond parfaitement à tous les points de cette description; c'est donc là23 qu'il faut placer l'entrée des Enfers — ou plutôt l'une des entrées des Enfers — où Déméter vint chercher sa fille. Les Mégariennes célébraient encore du temps de Pausanias une fête annuelle, au cours de laquelle elles mimaient la quête de la déesse et son appel devant l'entrée des Enfers : il est probable que la petite terrasse aménagée devant l'entrée de la caverne de Mourmouni servait de scène à ce drame sacré24. La caverne de Mourmouni prend donc place dans la nombreuse série d'entrées des Enfers que les Anciens connaissaient en Grèce25. Mais c'est plus particulièrement de la Πέτρα 'Αγέλαστος d'Eleusis, que Rubensohn a identifiée avec le Plutonion26, qu'il faut rapprocher la Petra Anaklèthra. C'est en effet à Eleusis, auprès de cette (23) II n'y a pas, à ma connaissance, d'autre endroit dans la région de la Karia qui réponde à ces indications. (24) Cf. p. 84 et fig. 1 ; il est donc inutile d'imaginer que cette terrasse portait une construction, comme le supposait J. Threpsiadis. (25) Cf. RE XXI (1951), s.v. « Pluton », col. 995 (E. Wurst). (26) Rubensohn, AM 24 (1899), p. 49. 92 ARTHUR MULLER [BCH 104 entrée des Enfers, d'où Thésée était parti pour le monde « qui ignore la joie », et par où avait disparu Korè, que Déméter est venue s'asseoir en larmes, après une quête de neuf jours et neuf nuits27. Sans doute est-ce une erreur analogue à celle d'Hésychius quant à la Πέτρα 'Αγέλαστος εφ' ή*ς έκαθέσθη ή Δημήτηρ28 qui a transformé en siège, dans VEtymologicum Magnum, la Petra Anaklèthra de Mégare. Arthur Muller. (27) Souda, s.v. Σαλαμίνος et D. M. Jones - N. G. Wilson, Scholia in Aristophanem, 1-2, in Equités (1969), p. 188, 785 a et 785 c. (28) Hésychius, s.v. αγέλαστος πέτρα.