La sécurité de l'eau en Afrique australe

Alternatives Sud, Vol. VIII (2001) 4 Cahiers édités par le Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve Autorisation de reproduction ou traduction à demander à cetri@cetri.be Résumés L’eau, patrimoine commun de l’humanité Éditorial L’eau principe de vie et patrimoine collectif La question de l’eau devient centrale pour l’humanité. Or, la pénurie est une expression des rapports sociaux existant entre les nations et à l’intérieur de chacune d’entre elles. L’eau est une source de conflits qui risquent de devenir majeurs dans un avenir proche. Sa contamination fruit du modèle de développement, pose des problèmes majeurs et immédiats. Les solutions techniques ne sont pas neutres, quant à la privatisation, elle consiste à faire de l’eau une marchandise, soumise à la loi du marché et non à celle des besoins. L’eau est un problème éthique et doit être considérée comme un patrimoine universel de l’humanité. L’eau, bien commun des peuples Samir Amin Indispensable à la vie, l’eau est répartie de façon inégale sur la surface du globe. Une telle répartition conditionne largement le devenir des peuples, car elle fait de ce patrimoine commun une source d’abondance pour les uns et de rareté pour les autres. L’offensive néolibérale actuelle, sous sa bannière de marché unique et mondial, aggrave cette inégalité au sens où elle entend faire de l’eau un bien marchand et, par conséquent, sujet à la privatisation et à la concurrence propre au marché. Quelles qu’en soient les motivations, cette option ne prend pas en compte les besoins des populations, encore moins, elle respecte son droit fondamental à la vie au travers de ce qui en constitue l’élément de base : l’eau. Et donc, il est plus que jamais urgent d’affirmer le droit des peuples à ce bien commun, de promouvoir des perspectives économiques plus soucieuses du développement humain que des intérêts économiques, et d’encourager des initiatives politiques favorables aux plus défavorisés, notamment en matière d’eau. La crise de l’eau aux Philippines Antonio M. Claparols Bien que bénéficiant de l’une des plus importantes pluviosité du monde, les Philippines font l’expérience du manque d’eau. Les causes de cette situation sont à chercher dans la désertification croissante qui frappe bon nombre des pays d’ Afrique et d’ Asie. Afin d’y remédier, certains pays, dont les Philippines, ont formellement interdit la déforestation. Mais, à elle seule, cette disposition ne suffit pas pour endiguer la crise de l’eau et ses conséquences. D’autres initiatives s’avèrent nécessaires. Rappelons, entre autres choses, le souci de développer un système économique basé sur la conservation et la bonne gestion des ressources naturelles, le fait d’accorder davantage attention aux rôles et aux potentiels des écosystèmes dans l’aménagement du territoire, la diffusion de l’information 1 sur les ressources existantes et leur utilisation, la mise en place des institutions de développement adéquates et des lois appropriées. La planification des ressources en eau : changement de perspectives en Inde Ramasuwamy R. Iyer En Inde, la planification des ressources en eau a signifié très largement le développement de l’irrigation au moyen de grands projets de barrages. Au cours des années, un puissant mouvement a émergé s’opposant à de tels projets. Cet article développe les questions impliquées dans les vues opposées. En effet, une forte polarisation des attitudes existe en cette matière. La Commission mondiale des Barrages, établie par la Banque mondiale et l’Union mondiale de la conservation (IUCN) en vue de sortir de l’impasse aborda le problème. Une question cruciale en la matière est de savoir s’il existe des alternatives efficaces aux grands barrages permettant de répondre aux besoins futurs en eau et en énergie. Dans le domaine de la préservation de l’eau et celui de la protection sociale, des initiatives locales existent, qui témoignent que des résultats significatifs peuvent être obtenus par ces approches. Une réorientation majeure est nécessaire dans la politique concernant les ressources en eau. Quelques recommandations sont proposées à cet effet. L’eau, l’électricité et la population Imtiaz Ahmed Ajaya Dixit Ashis Nandy En Asie du Sud, les projets de développement des ressources en eau restent, à ce jour, une prérogative de la majorité, organisée et mise en oeuvre en grande partie aux dépens des besoins et du bien être des groupes sociaux minoritaires, en particulier des populations indigènes. Ceci est surtout vrai des barrages, canaux et réservoirs. De tels projets déplacent des populations de leurs terres ancestrales en leur payant des compensations insuffisantes ou sans aucun dédommagement. Allouer l’héritage commun : le droit à l’eau et son type de gestion en Inde Marcus Moench Comment dégager une base sociale à la réforme des droits sur les nappes aquifères en Inde et proposer les structures légales aptes à assurer que ceux qui détiennent les enjeux ne soient pas lésés par les processus d’allocation de l’eau ? Ceci amène à envisager d’abord les bases philosophiques qui distinguent l’eau en tant que marchandise utile et l’eau en tant qu’objet d’un héritage commun. Les structures déterminant les droits usuels et statutaires qui s’appliquent aux nappes aquifères et aux eaux de surface en Inde sont soumises à discussion ; viennent ensuite les débats actuels sur leur réforme et des réflexions sur de nouveaux droits et sur une structure gouvernementale tenant compte des caractéristiques principales de la pratique actuelle. En conclusion, les structures gouvernementales doivent être telles qu’un équilibre soit assuré dans les décisions entre les détenteurs (individuels ou groupés) de droits et les droits usuels qui découlent du caractère d’héritage commun des ressources en eau. H2O des villes africaines Mwanza wa Mwanza Sur fond de privatisation, la gestion de l’eau dans les villes africaines se heurte à plusieurs problèmes : l’inadéquation de l’offre à une demande poussée par la croissance des populations urbaines, la faible qualité du traitement de l’eau ainsi que ses répercussions sur la santé publique. Quelle politique adopter qui assure le droit fondamental que représente l’accès à l’eau ? 2 La sécurité de l’eau en Afrique australe Jo-Ansie van Wyk Nombre de pays d’ Afrique australe ont en commun différents cours d’eau. Cette situation convertit l’eau en une ressource stratégique inestimable pouvant être utilisée soit pour forger la coopération au développement et la sécurité entre les États, soit pour exercer des pressions sur des riverains souvent en aval. Conscients de cet enjeu et de l’absence de réglementation internationale en la matière, les États d’ Afrique australe ont tissé leur sécurité réciproque autour de l’eau et leur diplomatie se déploie également autour de cette réalité. Les grands projets et les accords de coopération signés dans le cadre de la SADC, comme par exemple le LHWP et le ZACOPLAN, trouvent ici leur explication. L’eau, source de vie et de conflits dans les communautés andines d’ Équateur Aline Arroyo Castillo Pour les populations andines de l’ Équateur, l’eau est source de vie. Un mauvais partage ou une utilisation peu judicieuse de celle-ci peut conduire à des conflits profonds, voire violents entre les communautés. Si théoriquement l’État est le seul dépositaire de cette ressource, sa gestion courante est aux mains des communautés locales, des ONG et de quelques institutions spécialisées. La collaboration entre ces trois instances a permis, entre autres choses, de développer des projets d’irrigation et de répartition de l’eau dans les communautés de Yurac Yacu et de Batán Puela. Face aux crises inhérentes au partage et à la gestion de cette ressource, il a été non seulement nécessaire de prendre en compte les aspects juridiques et techniques relatifs à l’eau mais aussi important d’écouter le savoir des populations indigènes, leur histoire et leur engagement pour l’eau. Au Pérou, l’eau vaut de l’or Étienne Durt Le Pérou est divisé entre plusieurs régions naturelles qui ont toutes leurs problèmes spécifiques. Dans le versant pacifique, la solution adaptée fut celle de grands barrages, avec leurs effets techniques et sociaux négatifs. Sur le versant atlantique, la pollution des rivières par les industries minières et par les villes ne trouve guère de solutions adéquates. Par contre les plans réalisés dans les microbassins ont été un succès. Dans la région du lac Titicaca, la réhabilitation de techniques traditionnelles pour l’utilisation des ressources hydrauliques donne de bons résultats. Il s’agit donc de développer une véritable écologie politique pou aborder ces questions. L’eau bien public, bien privé : l’État, les communautés locales et les multinationales Amougou Joseph Patience Thiery Le problème de la gestion de l’eau par les secteurs publics ou privés est en plein débat. La privatisation augmente partout, sous diverses formes, depuis l’introduction de l’eau dans la logique mercantile, jusqu’aux formules concessionnaires. Le dilemme est de combiner le caractère patrimonial de l’eau avec des critères économiques pour sa distribution et sa consommation. Diverses hypothèses sont envisagées. La montée en puissance des multinationales est un élément très préoccupant pour l’avenir. 3 L’accès a l’eau au Sahel à l’heure de la privatisation Mariam Sow L’eau est censée devenir l’une des principales sources de conflit au XXIe siècle. Pour les populations sahéliennes, ce conflit existe déjà et depuis longtemps. Aujourd’hui, celui-ci gravite autour de l’idée de privatisation de l’eau. Une fois avérées les faiblesses de la gestion publique de cette ressource, la privatisation serait-elle la seule et unique alternative ? Assurerait-elle à la population un meilleur accès aux ressources en eau ? En d’autres termes, quel supplément social, économique ou politique celle-ci apporte-t-elle à la population ? Loin d’être un simple exercice de rhétorique, ces questions invitent à un examen minutieux de la situation actuelle de l’eau dans cette région menacée par la progression du désert du Sahara : les perspectives et les dangers de la privatisation, mais aussi la part d’action des gouvernements et des populations concernées. La guerre pour l’eau de Cochabamba Carmen Julieta Peredo Montaño En Bolivie, comme partout en Amérique latine, le problème de l’eau est très lié à l’application des politiques néolibérales. Plus que jamais au service des investisseurs privés, les gouvernements font sourde oreille à la demande des populations et n’hésitent pas à réprimer celles-ci, parfois dans la violence et le sang, afin de défendre les intérêts des sociétés transnationales. Face aux problèmes de l’augmentation du prix de l’eau, l’insuffisance des services d’approvisionnement et les frauduleuses manipulations de la loi par les gouvernants, les Boliviens ont fait le choix de la désobéissance civique, sous ses multiples formes, afin de se faire entendre et défendre leurs droits. Le cas des citoyens de Cochabamba montre qu’il n’est pas nécessaire, pour résoudre ses problèmes sociaux et économiques, de se soumettre aux diktats des organismes financiers internationaux. Des eaux troubles : les désastres causés à la rivière Tana ( Kenya) par la Banque mondiale Korinna Horta Un peu partout dans les pays du Sud, la Banque mondiale finance des projets onéreux ayant trait à la production de l’énergie, au développement agricole et à la gestion de l’environnement. Dans la plupart des cas, ces projets sont contre-performants à cause de l’absence de coordination efficiente de la part des instances de la Banque impliquées dans leur élaboration, du manque d’études de faisabilité préalables et fiables, et de la mauvaise gestion des ressources de la part des autorités locales, etc. C’est dans ce contexte qu’ont été entrepris, en 1985, tout le long de la rivière Tana, au Kenya, les ouvrages dont la construction du barrage de Kiambere, le projets d’irrigation de Bura et celui de protection des primates de cette région. Les effets négatifs de ces initiatives ont été immédiats tant d’un point de vue écologique, agricole que social. À cet effet, une évaluation objective et une profonde réorientation de la politique de la Banque mondiale s’avère nécessaire. Les barrages hydroélectriques. La fin justifie-t-elle les moyens ? Eduardo Tamayo G. Sous prétexte de promouvoir une industrialisation rapide, les pays du Sud on connu, durant les dernières décennies, une prolifération étonnante en ce qui concerne la construction des barrages hydroélectriques. Dans l’ensemble, au-delà de leur faible rendement, ces ouvrages ont eu pour effets, entre autres, la destruction des écosystèmes, les inondations des terres et les déplacements des populations. Face à ces dégâts, la conscience pour la protection de l’environnement est en train de naître et de s’enraciner dans le chef de beaucoup d’habitants du Sud. C’est le cas dans les communautés du Honduras et du Salvador qui, après avoir mis sur pied une organisation pour la défense de leurs intérêts, ont, avec succès, affronté les arguments des institutions gouvernementales et financières internationales qui, sans recul, soutiennent la construction des barrages hydroélectriques. 4 La «mise en valeur» de l’«or blanc» du Lesotho Falmata Liman Plusieurs États d’Afrique australe ont en commun 70% des ressources en eau disponibles dans cette région. Conscients des problèmes de stabilité politique et de développement économique liés à la gestion de celles-ci, ils ont signé un accord visant à en assurer un partage équitable et une exploitation judicieuse. Dans ce cadre s’inscrit la collaboration entre la République Sud Africaine et le Lesotho, centré autour d’un grand projet de construction des barrages (Lesotho Higlands Water Project) ayant pour objectif de ravitailler en eau et en électricité ces deux pays et de promouvoir leur développement respectif. Toutefois, la réalisation totale de ce projet révèle des limites et des nombreux problèmes connexes qui n’étaient pas prévus au départ. C’est le cas, par exemple, des préjudices causés à la nature, les déplacements des populations et leur reclassement, les difficultés de financement et la mauvaise gestion des ressources de la part des responsables. En outre, il convient de signaler aussi le fait que, comptant sur sa puissance et son prestige, la République Sud Africaine entend s’octroyer la meilleure part des ressources disponibles à peu de frais et surtout au détriment de son partenaire, le Lesotho. L’eau, ressource vitale et source de conflits à l’aube du nouveau millénaire Zelmys M. Dominguez Cortina L’eau est source de vie et cause de conflits dans le monde. Elle est inégalement repartie sur la planète et sa demande augmente de plus en plus tant du point de vue de la consommation humaine que de la satisfaction des besoins agricoles et industriels. Sa gestion est cause de bien des conflits surtout dans les régions où elle est très peu abondante, comme c’est le cas en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Beaucoup d’experts estiment qu’elle sera, au cours de ce nouveau millénaire, davantage au centre des débats nationaux et internationaux. Malgré la «décennie de l’eau» proclamée par l’ONU et les différentes initiatives prises à ce sujet, le chemin pour en assurer l’assainissement, l’environnement adéquat et l’équitable répartition s’avère encore long. Notes sur le Farakka. Le problème du partage de l’eau entre l’Inde et le Bangladesh Nazrul Islam Malgré d’importants cours d’eau communs, les pays du delta du Bengale ne s’entendent pas quant au partage de l’eau. La construction du barrage Farakka sur le Gange, sa gestion presque unilatérale de la part de l’Inde ainsi que les dommages écologiques qui s’ensuivent dans la région illustrent bien cette tension. Souvent géré entre politiciens et technocrates, le problème de l’eau dans la région exige également la participation des populations concernées en dehors du respect à la nature et à l’environnement. À cet effet, une large diffusion de l’information et un constant échange des points de vue en ce qui concerne l’eau est un point de départ important pour une conscientisation à partir de la base. L’eau du bassin du Jourdain Quelles solutions aux problèmes posés par la répartition des eaux du bassin du Jourdain ? Maghfour El-Hassane Le Jourdain a toujours été une source de conflits entre les Arabes et les Israéliens. Ces deux peuples partagent une région où les ressources hydrauliques sont rares. Pour ce faire, la coopération dans la gestion de l’eau s’avère indispensable, mais elle n’a jamais été réalisée jusqu’à ce jour. La plupart des projets se faisant de manière unilatérale, portent préjudice à l’autre partie. Il est donc important de revoir non seulement la distribution, mais aussi l’utilisation de cette précieuse ressource. Une telle 5 démarche suppose un retour sur certains antécédents historiques, les rapports de force à l’oeuvre actuellement dans la région et les attentes réelles des populations. 6