La rhétorique
. Au quoi de la factualité répond une argumentation de type dialectique. On teste la véracité de ce
que l'autre sourient, on le et la met à l'épreuve.
Le ce que de la qualification définit une argumentation davantage centrée sur la signification, et
par voie de conséquence, une rhétorique plus « esthétique ». Enfin, au pourquoi de la réponse et du répondre correspond davantage une argumentation de type
« communicationnel » et politique, de métaniveau, où
se jouent les rapports de consensus (Habermas) et de
différend (Lyotard) ; c'est-à-dire une rhétorique plus
éthique (au sens moderne) et politique.
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coll. « Quadrige », 2008.
MEYER,
Du discours argumenté
à l'interaction argumentative
Rui Alexandre Grdcio
Inédit
Ce texte propose une réflexion sur la valeur et
les limites de certaines théorisations de l'argumentation"'. Tout en prenant en considération l'importance
des approches qui voient dans l'argumentativité le
tissu même du discours, nous suggérons que, du point
de vue de l'adéquation descriptive"', l'analyse argumentative doit se concentrer sur les situations d'interaction où une opposition entre discours reste claire.
Cela signifie que les arguments doivent être considérés
dans le cadre d'une tension critique entre discours et
que l'étude des argumentations est l'analyse dont
l'opposition se construit par les différents tours de
parole sur le sujet en question.
Grácio, R. A., «Du discours argumenté à
l’interactionargumentative» in M. M.ª Carrilho (Coord.), La
Rhétorique, Col. Les Essentiels d’Hermès (dirigida por Dominique
Wolton), CNRS Éditions, Paris, 2012, p. 105-121.
ISBN: 978-2-271-07510-9
105
La rhétorique
De la logique à l'argumentation
La principale conquête de la théorisation
contemporaine de l'argumentation a consisté, d'une
part, à abandonner l'approche formaliste qui privilégie une image propositionnaliste de la raison et du
raisonnement et, d'autre part, en la considérant en
termes de discours et de communication, pour
lesquels les critères de la « machine logique» sont
visiblement insuffisants.
Ce déplacement s'est réalisé, chez Perelman, par
la dissociation entre vérité et adhésion, c'est-à-dire,
en ramenant au premier plan la question des effets
communicationnels dans le cadre d'une problématique de l'influence du discours. Au lieu de prendre en
considération le raisonnement isolé du discours à des
fins d'évaluation, Perelman a préféré souligner le lien
entre les notions pratiques inhérentes à l'usage naturel
du langage et l'argumentativité ainsi que l'importance
des procédés de liaison et de dissociation de notions
dans la modulation argumentative, en montrant leur
dépendance, en termes d'effets et d'efficacité, à l'auditoire'" auquel le discours est adressé. Au lieu de chercher à formuler des critères logiques qui, au départ,
pourraient être appliqués à l'évaluation de l'argumentation (dans des paramètres tels que, par exemple,
l'acceptabilité, la pertinence ou la suffisance), Perelman a proposé que la force des argumentations soit
106
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
examinée de façon à ce que nous pUIssIOns décrire
l'efficacité des discours, leur impact en fonction des
auditoires auxquels ils sont adressés. En plaçant
l'argumentation dans le cadre du discours et dans une
situation de communication, il rompt avec une approche limitée en termes d'analyse plus ou moins formalisée des raisonnements.
Cette orientation discursive et communicative
se trouve également dans la logique naturelle de JeanBlaise Grize qui, en cherchant à savoir « comment
fonctionne la pensée lorsqu'elle ne mathématise pas»
(Grize, 1996, p. 115), considère les opérations argumentatives de saillance et filtrage comme inhérentes
aux procédures discursives qui sont à l'origine de ce
qu'il désigne comme les « schématisations». L'usage
du langage naturel surgit, ainsi, associé à « l'omniprésence de l'argumentatif », idée exprimée par Grize
lorsqu'il affirme que « communiquer ses idées à quelqu'un, c'est toujours peu ou prou argumenter»
(Grize, 1997, p. 9). Une telle vision renvoie, d'une
part, à l'affirmation que la discursivité s'organise à
partir d'opérations sélectives qui sont, en même
temps, des options qui configurent des modes de voir
et de donner à voir; et implique, d'autre part, que
les représentations parviennent toujours au discouts
avec une incidence guidée par la spécificité de la situation de communication.
107
La rhétorique
Cette affirmation de l'omniprésence de l'argumentatif est aussi présente dans la Théorie de l'argumentation dans la langue d'Anscombre et de Ducrot,
qui s'organise aurour de la notion d'orientation. En
effet, Ducrot (1988, p. 14) affirme que « parler est
construire et tenter d'imposer aux aurres une sorte
d'appréhension argumentative de la réalité», ce qui
signifie refuser l'existence d'un registre soi-disant
neutre et purement informatif des phrases. Or, en
voulant expliquer les mécanismes de l'argumentation,
et en ne prenant en considération que le fonctionnement de la langue, Ducrot soutient que « l'argumentation linguistique n'a aucun rapport direct avec
l'argumentation rhétorique! ».
T ourefois, ceci est un aspect contesté par Rurh
Amossy, pour qui l'inhérence de l'argumentation au
fonctionnement de la langue est extensible à l'usage
intentionnel du langage dans le discours: « Je soutiens
que cette argumentativité constitue une caractéristique inhérente du discours. La nature argumentative
du discours n'implique pas que les arguments formels
sont urilisés, pas plus qu'il ne signifie que l'ordre
séquentiel de la prémisse à la conclusion est imposée
sur le texte oral ou écrit. Orienter la façon dont la
réalité est perçue, influencer un point de vue et diriger
le comportement sont des actions effectuées par toute
une gamme de moyens verbaux. Dans cette perspec-
108
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
tive, l'argumentation est totalement intégrée dans le
domaine des études du langage 2 • »
Penser la théorisation
de l'argumentation
Bien que nous n'ayons pris comme exemple
que certains théoriciens de l'argumentation, nous
pourrons ajourer que, cherchant à insérer l'argumentation dans le cadre des procédés linguistiques et
langagiers propres à une situation de communication,
ils partent d'une synonymie entre argumentativité et
argumentation. Toutefois, et parce qu'elles privilégient
la notion d'orientation, ces conceptions finissent par
tomber dans ce qu'on pourrait désigner comme une
« vision pan-argumentative », dont le problème principal consiste à ne pas -céder de place à la question
critique de l'évaluation des argumentations qui est,
néanmoins, essentielle à la compréhension de la dynamique argumentative même. S'il reste indéniable qu'il
n'y a pas de discours neutres et que la perspectivation
est inhérente à la discursivité - l'explicitation des
procédures d'influence contribuant à une plus ample
acuité dans la lecture et l'analyse des discours - ceci
nous semble, néanmoins, insuffisant pour capter
l'argumentation en tant que forme spécifique de
communication qui est simultanément un art prati-
109
La rhétorique
quë, c'est-à-dire, comme interaction entre argumentateurs qui thématisent leurs dissensions sur un sujet
en question.
En effet, s'il est vrai, comme l'observe Zarefsky
(2006, p. 288), que cela nous amène presque à faire
du terme « argumentation» un terme générique
commode - les paroles de Gronbeck allant dans le
même sens, lorsqu'il rappelle que « dans la mesure où
l'on pourrait appeler "stratégique" une manipulation
symbolique nous étions disposés à la designer comme
"argumentative"3 » -, nous pensons que le défi actuel
de la théorisation de l'argumentation est son adéquation descriptive qui nous conduit à souligner la
dimension
interactive et incontournablement
tensionnelle des dynamiques argumentatives. En
d'autres termes, il nous semblerait qu'il faille, d'une
part, considérer l'argumentation en tant que lieu de
controverse où se confrontent, s'évaluent et se critiquent entre soi des perspectives dissonantes et, d'autre
part, comprendre que toute perspectivation d'un sujet
implique une axiologisation qui procède à l'articulation entre le réel et le virtuel-idéal, l'empirique et le
normatif, le monde et un contre-monde. Comme le
constate incisivement Angenot (2008, p. 240), « le
raisonnement axiologique est alors "création" d'une
connexion entre ces deux mondes ou ces deux ordres
incommensurables. Axiologiser consiste à coller sur
les données empiriques des signes transcendants [... ].
110
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
Toute évaluation est transvaluation dans la mesure où
les valeurs n'émanent pas du monde brut, mais
soumettent ce monde à leur examen ».
Si l'élaboration de tout point de vue argumentatif est solidaire de processus de valorisation et de
dévalorisation, d'une construction qui ne dit pas le
monde mais la façon dont l'argumentateur se place
dans un discours argumenté, un point de vue dans
une argumentation implique, néanmoins, son affirmation en contre position, le processus argumentatif
étant ce qui découlera de la thématisation de cette
opposition ou divergence. C'est pour cette raison que,
à l'inverse de divers autres théoriciens, nous ne
pensons pas que l'argumentation se situe dans « la
langue» mais qu'elle est tout simplement « une branche de l'analyse du discours» (Amossy, 2006, p. 246),
parce que la spécificité du discours est d'être convoqué
dans le cadre d'une situation où il y a une différence
de perspectives, c'est-à-dire quand une situation de
conflit se trouve à l'origine du déroulement d'une
controverse.
Nous affirmerions donc que toute analyse des
argumentations doit partir d'une situation de bilatéralité par rapport au sujet en question. Faisons, néanmoins, attention au fait que ce sujet « en question»
est le dénominateur commun d'une situation de
conflit, il dérive d'un choc de perspectives et est
formulé et perceptible autour de la présence de
111
· La rhétorique
discours incompatibles et alternatifs. Aristote lie ces
sujets en question au besoin de délibérer: « nous ne
délibérons que sur des questions qui sont manifestement susceptibles de recevoir deux solutions
opposées; quant aux choses qui, dans le passé, l'avenir
ou le présent ne sauraient être autrement, nul n'en
délibère, s'il les juge telles; car cela ne lui servirait à
rien» (1967, p. 1357a). C. Kock4 (2008) met à son
tour en relief le fait que la discussion et le choix ne
sont pas des phénomènes unidimensionnels mais
multidimensionnels, tissés d'incommensurabilités.
En ce qui nous concerne, et en voulant précisément aller dans le sens de cet espace multidimensionnel, nous tenons à dire que, dans le cadre de
l'argumentation, le discours thématise et que la thématisation correspond au processus par lequel les participants d'une argumentation dessinent les sujets en
faisant des distinctions, invoquant des recours pour
donner de la force à la perspective avancée et développant des raisonnements orientés dans ce cadre. Il
s'agit donc d'un processus de configuration des sujets,
mis en perspective à partir de la sélection et de la
nucléarisation de certaines considérations vues
comme importantes et dont l'admission oriente la
pensée vers certaines normes d'évaluation, de jugement et de raisonnement.
112
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
Au-delà du propositionnalisme
Cette façon de voir l'argumentation comme une
discipline critique (en somme, organisée, contrôlée et
problématisante) de lecture permet d'éviter les
problèmes auxquels se trouvent confrontées les théorisations qui insistent sur une image propositionnaliste de la raison. Comme l'a remarqué Kock5, celles-ci
se révèlent parfaitement pénibles quand nous nous
déplaçons vers l'espace de la délibération, parce
qu'elles ne prennent pas au sérieux ces intuitions
essentielles: « 1) que l'argumentation délibérative est
le cas standard, où il y a des bons arguments des deux
côtés; 2) qu'un bon argument pour une action
n'autorise pas une inférence à cette action; 3) que les
bons arguments des côtés opposés ne s'annulent pas ».
Nous pensons que la situation de communication
appelée argumentation implique une opposition, une
incompatibilité, et la corrélative confrontation entre
discours et contre-discours menés à bout par ceux qui
y participent. C'est, en l'occurrence, pourquoi il nous
semble important de faire la distinction entre l'argumentativité, inhérente aux discours, de l'argumentation en tant que situation qui a à sa base un diptyque
argumentatif.
113
· La rhétorique
Argumentativité et argumentation
L'argumentativité des discours peut être centrée
sur trois niveaux principaux.
1. Comme une force projective inhérente à
l'usage de la langue, la tonique étant placée sur les
mécanismes d'orientation énonciative.
2. Comme une force configurative inhérente au
discours; la tonique étant, ici, placée sur les mécanismes d'influence discursive qui préparent la réception
du discours.
3. Comme une force conclusive ou d'ilation ; la
tonique, ici, étant placée sur les mécanismes d'inférence.
L'argumentation, telle que nous nous proposons
de la concevoir, ne peut se réduire à l'argumentativité,
à la force argumentative en termes de produit ou hors
d'un cadre tensionnel, ni à la présentation d'arguments considérés du point de vue des mécanismes
d'orientation, d'influence ou d'inférence, mais doit
être envisagée comme une interaction qui a pour base
une situation argumentative caractérisée selon les
aspects suivants:
a) L'existence d'une opposition entre discours
(c'est-à-dire, d'une situation d'interaction entre deux
argumentateurs et dans laquelle on peut signaler la
présence d'un discours et d'un contre-discours).
b) L'alternance de tours de parole polarisés dans
un sujet en question et prenant en considération les
114
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
interventions des participants. C'est dans cette alternance que peut être capté le dynamisme propre aux
argumentations.
c) Une éventuelle progression au-delà du diptyque argumentatif initial et où l'interdépendance discursive est visible, c'est-à-dire où le discours de chacun
est, d'une certaine façon, repris et mis en référence
dans le discours de l'autre.
Nous pouvons donc dire qu'une interaction
communicative devient une argumentation quand,
dans cette interaction, les discours en confrontation
polarisés dans un sujet en question deviennent détachables. Dans les pratiques conversationnelles, les
sujets sont rarement abordés sous la forme du « en
question» ou suffisamment thématisés pour que l'on
parvienne à se concentrer sur le sujet à traiter, bien
que l'on reconnaisse fréquemment des épisodes de
contradiction conversationnelle.
Stratégies et rationalité rhétoriques
Nous pouvons donc dire que nous trouvons
aussi dans l'interaction des stratégies rhétoriques qui
visent à encourager les participants à l'argumentation,
et Goodwin suggère que nous les voyions à partir des
analogies suivantes: « Les incitations peuvent généralement être classées comme des carottes ou des
bâtonnets. En offrant les carottes, l'argumentateur
115
· La rhétorique
veut faire un problème de la question; la question
apparaîtra comme souhaitable, attrayante ou intéressante pour l'autre. Menaçant avec des bâtonnets,
l'argumentateur essaierait d'obliger l'autre à faire une
question de celui-ci; la question semblera être quelque chose auquel l' autre a été obligé, ou forcé par les
circonstances, de faire face et à s'adresser ou, au
moins, à tenter d'esquiver, d'éviter, éluder ou patiner
sur6 • »
D'autre part, l'argumentable dérive de la dissonance de perspectives, et c'est à partir de cette dernière
que doivent être éompris les arguments présentés et
les raisonnements développés. En effet, nous pouvons
toujours être d'accord avec un raisonnement et en
désaccord avec la perspective à partir de laquelle il
prétend avoir du sens. C'est-à-dire que l'essentiel de
la rationalité argumentative ne se trouve pas dans les
raisons qui sont présentées, mais dans la perspectivation en fonction de laquelle les raisons peuvent être
présentées en tant que justification. Willard (1983,
p. 141 sq.) a donc pu conclure que la prise d'une
perspective est le mouvement qui sert le mieux la
définition de la rationnalité. C'est également en
mettant en relief l'identité des stratégies rhétoriques
avec l'activité de perspectivation que Manuel Maria
Carrilho a suggéré le déplacement du registre métaphysique, dont plusieurs théoriciens continuent à
thématiser l'argumentation, et qu'il a proposé la possi-
116
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
bilité d'un « perspectivisme sans nihilisme» (1994,
p. 100). La vision interactionniste de l'argumentation
que nous proposons partage cette orientation philosophique et ne souligne pas seulement les situations
d'incompatibilité comme base des situations argumentatives, mais recentre également les dynamiques
argumentatives dans la notion de sujet en question.
Discours argumenté et interaction
argumentative
Si cette proposition de théorisation a plus
d'acuité du point de vue de l'adéquation descriptive,
certaines distinctions additionnelles devront être alors
mises en relief, surtout celle qui établit la différence
entre la considération monologale et monogérée des
discours et la situation dialogale, où peut être constatée une polygestion.
Grosso modo, nous pourrions dire que les phénomènes de l'argumentativité renvoient à une approche
monologale ou monogérée du langage, où celui-ci est
vu comme un produit textuel susceptible d'être
analysé. Une telle analyse part d'une théorie préliminaire de ce que peut être un argument, cherche à
identifier et interpréter la présence d'arguments dans
le discours, à reconstruire et analyser ces arguments
117
· La rhétorique
et; pour certains théoriciens, à les évaluer dans leur
force.
L'argumentation, telle que nous l'avons définie
ci-dessus, implique une situation d'interaction qui,
plus que dialogique (c'est-à-dire de s'adresser toujours
à quelqu'un et d'invoquer, ou de renvoyer polyphoniquement à d'autres voix, ne cessant pas, toutefois,
d'être monogérée) est dialogale (ce qui veut dire
qu'elle invoque la polygestion d'un sujet en question
et par rapport auquel il y a une différence de perspectives), où les participants peuvent assumer tout
rôle qui définisse la dynamique argumentative : celui
de proposant, d'opposant et de questionneur. Les arguments ne sont jamais, dans ce cas précis, considérés
« en solo» mais toujours à partir (au moins) du
« duo» d'argumentateurs en interaction et en tant que
valeurs d'échanges assujettis à la vigilance, lors de
l'interaction communicationnelle.
Par conséquent, l'analyse et l'évaluation d'arguments « en solo» ne sont pas conformes au caractère
profondément situationnel et interdépendant des
argumentations. Il faut ajourer à cela la profonde
divergence entre l'attitude de l'analyste et les
contraintes impliquées quand on se trouve dans la
peau de l'argumentateur, dont la position est différente de celle d'un juge qui évalue avec les critères
méta-argumentatifs. Nous pourrions rétorquer que,
de cette façon, nous n'aurions pas de critères pour
118
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
évaluer les argumentations. Sauf si, comme le propose
Plantin, nous avancions vers une vision immanente
de la question critique de l'argumentation, et, dans
ce cas, nous pourrons dire que la norme du discours
de l'un est dans le discours de l'autre. Si c'est le cas,
« la pratique de l'évaluation des arguments est guidée
par un principe simple: celui qui n'admet pas un
discours en est le premier, voire le meilleur critique, et
il parle d'abord; il faut donc prendre en compte sa
parole. Cette dernière affirmation est un principe
normatif portant non pas sur l'activité argumentative,
mais sur la méthode en théorie de l'argumentation.
La tâche de cette théorie est de rendre compte du
mieux possible de cette activité critique, et non pas
de s'y substituer7 • »
Conclusion
En ce qui concerne la pratique argumentative,
plus que de vouloir faire de la pédagogie en disant
que l'important est d'éviter les conflits, en réussissant
à transformer les argumentations en une activité
coopérative, plus que de mettre en relief qu'elle représente une voie de civilité alternative à la violence et,
finalement, plus que de chercher à enseigner que la
meilleure voie pour gérer les conflits est de dépersonnaliser les arguments, il nous semble plus correct,
119
Du discours argumenté à l'interaction argumentative
La rhécorique
Van Eemeren, F. H., Blair, A. J., Willard, Ch. A., Garssen,
B. (eds.), Proceedings ofthe 6th ISSA Conference, 2007, International Center for the Study of Argumentation, Sic Sat,
Amsterdam, 2008.
cômme le propose Goodwin de partir du fait que les
« controverses sont réelles, les arguments ont de la
force, et leur force est inévitablement personnelle8 ».
Promouvoir la mise au point des perspectives
qui vont au-delà d'une logique possibiliste qui ne
défie pas mais se conforme, qui ne propose pas mais
se limite à faire des tests, qui ne crée pas d'alternatives
mais s'incline devant des règles, tout comme prôner
l'élaboration de contre-discours en fonction des situations spécifiques d'interaction, dont le but varie selon
notre participation en tant qu'argumentateur, voilà
donc quelques corollaires de la perspective interactionniste que nous avons cherché à ébaucher dans ses
lignes générales.
7. PLANTIN, Ch., « Laissez dire: La norme du discours de l'un
est dans le discours de l'autre », in Atayan, V., Pirazzini, D .
(eds.), Argumentation: théorie - langue - discours. Actes de
la section Argumentation du 30° Congrès des Romanistes
Allemands, Vienne, septembre 2007, Bonn, Peter Lang,
2009, p. 70.
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