Archéopages
Archéologie et société
46 | 2018
Maisons
Une maison dans tous ses états…
La résidence seigneuriale d’Ahuy entre le XIe et le XVIIIe siècle
A house in all its forms ... The Seigniorial residence of Ahuy between the 11th
and 18th centuries
Una vivienda en todos sus estados: la residencia señorial de Ahuy entre los siglos
XI y XVIII
Stéphanie Morel Lecornué
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/archeopages/4182
DOI : 10.4000/archeopages.4182
ISSN : 2269-9872
Éditeur
INRAP - Institut national de recherches archéologiques préventives
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2018
Pagination : 60-69
ISSN : 1622-8545
Référence électronique
Stéphanie Morel Lecornué, « Une maison dans tous ses états… », Archéopages [En ligne], 46 | 2018, mis
en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 03 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/
archeopages/4182 ; DOI : https://doi.org/10.4000/archeopages.4182
© Inrap
Une maison dans
tous ses états…
La résidence seigneuriale d’Ahuy
entre le XIe et le XVIIIe siècle
Stéphanie Morel Lecornué Inrap
60
030
jardin
143
J
167
K
I
I
126
A
A
H
B
G
C
BB
maison
XIIIe-XIVe
F
D
F
E
125
appentis XVIIe
champs
cour
cour
060
059
grenier XIe-XIIe
180
036
058
057
puits
067
106
066
038
128
099
067
R1R2
067
068
098
042
B
155
A
164
124
095
106
118
porte
132
TN
162
044
C
TN
D
cave
XIIe
e
e
maison XI -XII
porte
cochère
maison XIe-XIIe
179
grange XVIIe
s
ds Clo
s Gran
rue de
1
0
m
10
1. Ahuy « Devant la Ferme » :
plan général de toutes
les structures archéologiques
découvertes lors de la
fouille de 2014.
limites de la fouille
fossé
niveau de cour
limites parcellaires
fosse ou poteau
couche de démolition
bâti existant
sépulture
tranchée de récupération
maçonnerie
niveau d’occupation
. Fouille du site
de Devant la Ferme
menée sous la direction
de Stéphanie Morel
Lecornué, Inrap.
. In eodem Divionensis
pago, villa videlicet
Aqueductu, cum capelle.
La riche maison du xiiie siècle
Le xiiie siècle marque un tournant dans
l’histoire du site. Une nouvelle maison est
construite, sur un autre plan et de manière
différente. Elle détruit une partie des fossés
agricoles précédemment mentionnés, ce qui
signale un remaniement du site [ill. 5]. S’il est fort
probable que la maison sur cave décrite ci-dessus
est encore utilisée lors de l’érection de ce nouvel
habitat, il est néanmoins possible que sa
destination change et qu’elle devienne une simple
grange. Le nouveau bâtiment en L, situé au nordouest de l’emprise de la fouille, comporte trois
pièces de tailles équivalentes. Il est maçonné et sa
construction est soigneuse. Chaque pièce est
munie d’une ou deux ouvertures sur l’extérieur,
caractérisées par un seuil de porte ou un escalier.
Un muret, conservé sur une seule assise, ceinturait
une petite cour située à l’est de la maison. Un
dernier mur, mis au jour au sud de ce bâtiment,
dans le prolongement du mur est, correspond
peut-être à une pièce supplémentaire. Mal
DOSSIER
61
2018
L’habitat des xie-xiie siècles
La première occupation réelle du site intervient
au xie siècle : trois sépultures des viiie-ixe siècles,
mises au jour au sud de l’emprise, semblent
isolées ; elles indiquent néanmoins la présence
d’un habitat proche. Au xie siècle sont édifiés deux
grands bâtiments sur poteaux porteurs associés
à des fossés de culture et à un grenier rectangulaire
sur quatre poteaux. Passons vite sur le premier
bâtiment, situé à l’est de l’emprise de fouille.
Rectangulaire, son ossature repose sur de gros
poteaux porteurs. Il n’a livré que très peu
de mobilier et aucun niveau de sol. Sa superficie
importante (120 m2) peut correspondre à
un logement.
Le bâtiment ouest est plus intéressant.
Rectangulaire, il comporte une cave, située sous
le quart ouest de l’édifice. Le bâtiment sur poteaux
associé à cette cave n’a pas été vu lors du premier
décapage, car il était sous les murs de l’époque
moderne [ill. 2 et 3]. Les murs de cette cave
maçonnée ont été en partie récupérés ; seule la
partie nord-ouest est bien conservée. Cette pièce
excavée de 17 m2 comporte des gradins, insérés
dans le mur nord, aménagement interprété comme
un soupirail qui descendrait jusqu’au sol de la
cave [ill. 4]. L’entrée se situe peut-être à côté de ce
puits de lumière. En effet, le mur primitif forme
un arrondi dans l’angle nord-est, que rien d’autre
ne justifie.
L’ensemble forme donc une maison d’environ
90 m2 au sol, avec des pièces à vivre au premier
niveau et une cave ayant probablement fonction
de cellier au sous-sol. Le sol de cette cave était
situé au minimum à 1 m sous le sol du bâtiment.
Ce bâtiment est daté, grâce à quelques tessons de
céramique, du xie siècle. Il est possible que le
creusement de la cave intervienne dans une
seconde étape de construction de la maison, car il
semble que le côté oriental de cette pièce enterrée
empiète sur une partie des poteaux en bois de
l’extrémité occidentale du bâtiment en matériaux
périssables. Les relations stratigraphiques ne sont
pas évidentes, car cette zone était assez perturbée.
De plus, le type de construction ainsi que les rares
tessons de céramique ramassés sur le sol de la cave
datent celle-ci du xiie siècle. Cette maison a
perduré plusieurs siècles, jusqu’à l’érection d’une
grange à l’époque moderne reposant sur les murs
de la cave et reprenant le tracé de l’habitat primitif.
La durée d’utilisation de cette maison semble
longue, puisqu’aux xive-xviie siècles ses murs ou
tout du moins ses fondations étaient encore
visibles et propres.
En Bourgogne, à cette période, les maisons
étaient souvent mixtes, réunissant sous le même
toit hommes et animaux. L’habitat rural est formé
de fonds de cabane, de silos, de bâtiments sur
poteaux porteurs et de greniers (Saint-Jean Vitus,
2012). Il existe cependant quelques constructions
maçonnées à cette période : pour le Moyen Âge
central, le seul exemple véritablement fouillé reste
celui du Verger au pied de la falaise de SaintRomain (Côte-d’Or) qui montre l’évolution d’un
petit groupe isolé de bâtiments fréquentés par une
population plutôt aisée, au cours des xiexiie siècles, puis dans un dernier état au xive siècle.
Des fossés situés au nord des deux bâtiments
leur sont associés. Relativement étroits et proches
les uns des autres, ils sont parallèles entre eux
et implantés selon une trame précise. Ces
structures fossoyées sont interprétées comme
des vestiges agricoles. L’espacement entre les axes
de tranchées est faible – 3,45 m en moyenne –
et pourrait correspondre éventuellement à des
plantations de vignes.
Pour cette période des xie-xiie siècles,
on peut donc imaginer deux grandes maisons
rectangulaires, appartenant à des cultivateurs
dont les champs sont situés en contrebas
de ces bâtiments.
ARCHÉOPAGES 46
Une fouille réalisée en 2014 par l’Inrap à Ahuy
(Côte-d’Or) a mis au jour un habitat privilégié, en
bordure sud du village ancien, sur un terrain vierge
de toute construction¹ (Morel Lecornué, 2015).
Le village d’Ahuy est situé dans la vallée du Suzon,
à 5 km au nord-ouest de Dijon ; il est construit sur
le modèle du village-rue, sur un axe est-ouest.
Il est mentionné pour la première fois en 885 dans
un diplôme de Charles le Gros, sous le toponyme
« Aqueductu »² (Arch. dép. Côte-d’Or, G 125,
fol. 5r). Les 1 800 m² fouillés ont permis la mise au
jour d’un habitat évoluant entre le xie siècle et la fin
du xviiie siècle. Plusieurs bâtiments de différentes
tailles ont été découverts, dont au moins trois
peuvent être désignés avec certitude comme des
maisons [ill. 1]. Les sources du xviiie siècle
permettent par ailleurs d’identifier cet habitat
comme la maison seigneuriale d’Ahuy, appartenant
aux chanoines de Saint-Étienne de Dijon.
62
conservé, il était pris sous un niveau marneux
beige qui a servi de remblai de nivellement à
l’époque moderne.
Les deux pièces orientales de cette maison ont
été découvertes au moment du diagnostic et ont
fourni assez peu d’éléments. La pièce A, la plus
grande, comporte un escalier, situé à l’ouest, qui a
été bouché depuis l’intérieur de la pièce : le mur est
parementé à l’intérieur [ill. 6]. Une porte permet
l’accès à la cour/jardin. La pièce B, plus petit espace
connu de cet habitat, mesure seulement 7,5 m2. Elle
est pourvue d’une ouverture sur l’extérieur, dont le
seuil, large de 0,70 m, est formé de grandes dalles
calcaires. La troisième pièce (pièce C), interprétée
comme un cellier semi-enterré, a apporté
beaucoup d’informations utiles pour la
compréhension de ce bâtiment et du site en général
[ill. 7]. De belle facture, cette pièce rectangulaire de
11 m2 comprend un escalier de cinq marches côté
sud. Cet escalier a été muré, de l’intérieur de la
pièce, ce qui suppose l’existence d’une seconde
ouverture, probablement située dans le plafond,
non conservé. Deux niveaux de sols successifs ont
été mis au jour. Le premier est en terre battue, le
second repose sur un radier en hérisson. Un mur
de soutènement, postérieur à ce radier, renforce le
mur ouest. Adossé au terrain naturel, ce mur a
probablement subi une forte poussée, qui a
nécessité ce renfort. Le comblement de cette pièce,
interprétée comme un cellier, intervient au début
du xive siècle. En effet, tout le mobilier retrouvé
dans les niveaux de sol, comme dans les remblais,
est daté de la fin du xiiie-début du xive siècle. Le
comblement de ce cellier ne signifie pas pour
autant la fin de l’occupation du reste de la maison,
qui a pu perdurer encore quelques dizaines
d’années. En effet, dans le comblement supérieur
de cette pièce, quelques éléments de céramique des
xvie-xviie siècles ont été découverts.
Le mobilier céramique du bas Moyen Âge se
concentre presque exclusivement dans la pièce C.
Ce contexte a livré 1 217 tessons. Les récipients
reconstitués sont très fragmentés et incomplets, ce
qui suggère qu’ils proviennent d’un dépotoir situé
en dehors du bâtiment. Le cellier a pu être comblé
par une vidange de latrines ou un curage de
dépotoir. Les éléments céramiques [ill. 8] sont
particulièrement intéressants et forment un lot de
qualité : l’éventail des formes est assez limité et a
trait majoritairement à la consommation du vin.
mur 122
98
mur 14
111
B
162
mur 107
D
sol 109
108
mur 21
212
172
175
173
176
2
0
m
2
murs de la cave
des xie-xiie siècles
restitution du bâtiment
des xie-xiie siècles
trou de poteau du bâtiment
des xie-xiie siècles
axe de coupe
murs de la grange
des xvie-xviie siècles
murs de la cave des xie-xiie siècles
hypothèse de restitution
DOSSIER
63
3
2018
3. La fosse 176, appartenant
à l’un des bâtiments
du XIe siècle, se situe sous
les murs de la grange
d’époque moderne. Entre
le mur et la fosse, on
distingue une couche
marneuse jaune-beige, qui
correspond à un remblai de
nivellement du XVIe siècle.
4. La cave des XIe-XIIe siècles.
On aperçoit le soupirail dans
le mur nord. En arrière-plan,
les murs du bâtiment
de l’époque moderne qui
reposent sur ceux de la cave,
40 cm plus au nord. À droite
du cliché, on aperçoit une
légère excavation,
correspondant probablement
au trou du poteau nord-ouest
de l’édifice.
ARCHÉOPAGES 46
2. Plan général du bâtiment
des XIe-XIIe siècles : une cave
et un bâtiment sur poteaux.
Seule la partie occidentale
est excavée. Les trous
de poteau mesurent 1,40
à 1,60 m de diamètre.
Le mur 122 est peut-être
un reste des élévations
primitives. En grisé, l’édifice
d’époque moderne.
4
démolition,
époque moderne
pièce B
cour ou jardin
64
escalier
seuil
pièce C
pièce A
escalier
34
8
7
seuil
muret
démolition,
époque moderne
autre pièce ?
5
0
m
2
limites de la fouille
structures antérieures
au bâtiment
5. Plan général de la maison
datée de la fin du XIIIe siècleXIVe siècle. En grisé, les
structures archéologiques
antérieures.
6. Maison du XIIIe-XIVe siècle,
escalier de la pièce A, muré.
À droite du cliché, le mur de
refend entre les pièces A et B,
coupé lors du diagnostic.
7. Maison du XIIIe-XIVe siècle,
radier de la pièce C en cours
de fouille. On aperçoit
à droite sur le cliché le mur
de soutènement, qui repose
sur le radier de sol ; en
arrière-plan, l’escalier qui
mène à l’extérieur de la
maison.
6
7
ARCHÉOPAGES 46
2018
65
DOSSIER
8. Mobilier des XIIIe-XIVe siècles
provenant de la pièce C
du bâtiment 1. Ces quelques
exemples illustrent la
richesse des propriétaires.
8
66
cruche à deux anses et goulot
marmite
0
cm
6
matrice de sceau
double parisis
DOSSIER
pied de chaudron
chape de ceinture
67
paillette
couteau
cm
2
2018
0
. Étude réalisée par
Fabienne Ravoire, Inrap.
. Étude de
l’instrumentum par
Marie-Agnès Widehen,
Inrap.
. Site Geneanet : le nom
Baisir était porté en 2014
par 725 individus dont
504 de la région de
Namur. En 1600, il y avait
335 Baisir, provenant
tous de cette province.
. Étude de David
Cambou, Inrap.
. Recherches effectuées
avec l’aide de Romuald
Pinguet.
Les vases à liquide (pichets, cruches, gourdes)
représentent en effet près de 50 % des récipients
découverts dans le remblai de la pièce, voire 75 %
si l’on inclut les pots à bec tubulaire. Une forme
quasi inconnue de cruche a été mise au jour :
il s’agit d’une cruche à deux anses opposées et bec
tubulaire rapporté³. Ajoutons que la part de la
céramique décorée est très importante, ce qui
place le site dans un contexte seigneurial comme
celui de la ferme de la Grange-du-Mont à Charny
(Côte-d’Or), où les pichets glaçurés étaient
également très nombreux (Beck, 1989). La
présence des pichets de Saintonge à Ahuy signe,
comme dans le cas du bâtiment II de Dracy, le
statut élevé de ces habitants (Pesez, 1987). Tous ces
éléments attestent que l’on est en présence d’une
demeure de qualité. Le mobilier métallique
confirme la richesse des lieux, par la découverte
de paillettes, de chapes de ceinture, d’un pied de
chaudron en bronze, etc.⁴. Une matrice de sceau
en alliage cuivreux a également été mise au jour,
dans les niveaux de remblais inférieurs [ill. 8].
Cette matrice est ornée du viel écu de Bourgogne,
associé au nom de Guillaume Baisir. Le nom de
Baisir est inconnu à Ahuy, aussi bien aujourd’hui
que dans les archives consultées ; il semble
provenir de la région de Namur (Belgique)⁵.
Il pourrait s’agir d’un proche des ducs de
Bourgogne (peut-être un écuyer), également
proche du propriétaire de cette riche maison, voire
du propriétaire lui-même. Enfin, les restes
fauniques appuient l’hypothèse d’une maison
seigneuriale en présentant un faciès dominé en
nombre de restes par les caprinés. D’autres
éléments, tels que la consommation de morceaux
de choix, d’individus souvent jeunes, ou encore
la présence du lapin laissent envisager un
statut social élevé⁶.
Les éléments architecturaux, combinés au
mobilier découvert dans cet espace, permettent
donc de conclure que cet ensemble de petites
pièces aux portes étroites et aux escaliers raides
correspond à une maison ; il ne peut s’agir de
granges ni d’étables. Plusieurs textes mentionnant
les propriétés des chanoines de Dijon à Ahuy
ont été découverts aux Archives départementales
de la Côte-d’Or⁷. L’un d’eux date de 1248 et se
présente comme un accord, en forme d’échange,
par lequel Bertrand Pelerin, chambrier du duc
de Bourgogne, cède aux religieux de Saint-Étienne
ARCHÉOPAGES 46
8
68
9
de Dijon tous ses droits ainsi que ceux de Gervais
Chauchars, son beau-père, sur le grand enclos
situé derrière la grange d’Ahuy, qui appartient à ce
monastère (Arch. dép. Côte-d’Or, G 309). Ce texte
ne mentionne pas encore de maison seigneuriale.
Cette maison possédait donc plusieurs pièces
et probablement un étage. L’absence de tuiles
et la présence de nombreuses plaquettes calcaires
dans le comblement du cellier plaident pour une
couverture en laves, posée sur des murs en pierres
sèches (aucune trace de mortier n’a été retrouvée).
Plusieurs habitats du bas Moyen Âge ont été
fouillés à proximité de ce village. Ainsi de grands
bâtiments en pierres, coiffés de laves, de
construction soignée, habités aux xiiie-xive siècles,
découverts à Saint-Martin-du-Mont, la Vie aux
Maires (Chopelain, 2016). On trouve notamment
un édifice divisé en quatre pièces. Cet habitat
en dur est postérieur à un autre bâtiment sur
poteaux. L’évolution de ce site ressemble donc
à celui d’Ahuy, tout comme le mobilier retrouvé
lors de la fouille.
Une grange à l’époque moderne ?
Plusieurs bâtiments sont construits à l’époque
moderne. L’un d’eux se superpose quasi
exactement à la maison du xie siècle, ce qui permet
de supposer que le bâtiment primitif était encore
en élévation ou, tout du moins, visible [cf. supra ill. 2].
Ce grand bâtiment rectangulaire était composé
d’une seule grande pièce de 190 m2. Un mur de
refend a été rajouté dans un second temps, créant
ainsi une pièce plus petite à l’ouest. Ce bâtiment
maçonné peut être interprété de plusieurs façons.
Plusieurs éléments font pencher la balance en faveur
d’une grange. Les dimensions tout d’abord, assez
imposantes, ainsi que la présence d’un dallage au sol.
Composé de pierres calcaires plates bien serrées, ce
dallage formait un sol dur, qui se rapproche plutôt
d’un sol d’écurie. Cependant, le mobilier métallique
découvert sur l’ensemble du site contredit cette
hypothèse. En effet, très peu d’outils typiquement
agro-pastoraux ou viticoles ont été mis au jour,
tandis que de nombreux objets de la vie quotidienne
apparaissent : objets de piété, de culture, objets
personnels, qui laissent envisager que le site a une
fonction essentiellement d’habitat. La seconde
hypothèse serait donc que le grand bâtiment est
une maison, de taille imposante. Il existait peutêtre des subdivisions, qui ont disparu à cause des
labours (l’arase des murs était situé à une dizaine
de centimètres sous le sol seulement). Au xvie siècle,
le terme de « grange » désigne une exploitation
agricole et non le simple bâtiment de stockage.
L’exploitant peut être un métayer dépendant d’un
seigneur, ce qui semble être le cas ici.
De nombreux murs ont été découverts à l’est
de ce bâtiment. Ces constructions semblent plutôt
être des murs de clôture, séparant différentes
cours. Le mur est-ouest est ainsi percé de deux
grandes portes cochères. La porte orientale est
particulièrement bien aménagée : elle est formée
d’un passage pour les piétons, associé à une porte
cochère. Un petit caniveau était adjoint à ce
passage. De nombreux indices démontrent que
ces cours ont évolué dans le temps : la porte
Le statut social des habitants successifs
L’étroitesse de l’emprise de fouille ne permet
d’appréhender qu’une partie des habitations,
granges et cours situées aux confins d’Ahuy ; les
limites de l’habitat, notamment, nous échappent.
Néanmoins, les indices sont suffisants pour
permettre d’esquisser l’évolution du bâti et par
là du statut social des différents propriétaires
et locataires.
. Le cadastre dit
napoléonien, daté
de 1809, représente
un terrain vierge
de toute construction.
Références bibliographiques
Beck P., 1989, Une ferme seigneuriale au xive siècle.
La Grange du Mont (Charny, Côte-d’Or), Paris,
Éd. de la Maison des sciences de l’homme,
« Documents d’archéologie française » 20, 143 p.
Chopelain P. (dir.), 2016, La fouille de la demeure
d’un notable rural du bas Moyen Âge : Saint-Martindu-Mont, Cestres - La Vie aux Maires, Rapport
d’opération, Inrap-SRA Bourgogne, 1 vol., 298 p.
Morel Lecornué S. (dir.), 2015, Ahuy, Devant la Ferme,
un habitat médiéval et moderne, Rapport
d’opération, Inrap-SRA Bourgogne, 1 vol., 441 p.
Pesez J.-M., 1987, « Dracy (Baubigny, Côte-d’Or) village
du xive siècle (notices 256 à 338) », in La Bourgogne
médiévale, la mémoire du sol, vingt ans de recherches
archéologiques, catalogue d’exposition, Dijon,
Section fédérée des conservateurs de la région
Bourgogne, p. 141-155.
Saint-Jean Vitus B., 2012, « Habitat et processus
d’agglomération en Bourgogne au cours du Moyen
Âge (ve-xvie s.) : l’apport des travaux archéologiques
des années 1995-2005, contribution au Bilan
scientifique régional », Revue archéologique
de l’Est, t. 61, n° 184, p. 259-301
DOSSIER
69
Les premiers bâtiments des xie-xiie siècles
qui peuvent être interprétés comme des maisons,
probablement mixtes, relèvent d’un habitat rural,
vraisemblablement relativement aisé. Un monde
d’agriculteurs, assez riches pour construire une
cave maçonnée.
Un changement net intervient au xiiie siècle,
avec l’édification d’une maison en dur, comportant
plusieurs pièces et très probablement un
étage, ouvrant sur une cour ou un jardinet.
Sa construction soignée confirme la richesse de
ses propriétaires. Les murs sont maçonnés,
le toit est probablement constitué de laves.
Les chanoines de Saint-Étienne louent cette
maison, vraisemblablement à de riches fermiers.
Les nombreuses mentions de pressoirs indiquent
que ces exploitants sont probablement des
vignerons. À partir de cette période, on peut
supposer que les animaux sont séparés des
hommes. Ils sont peut-être repoussés dans
l’ancienne maison transformée en grange. Les
textes confirment ensuite que cette propriété des
chanoines de Dijon subit moult évolutions au fil
des années (incendie, partage, reconstructions…).
Où se situe la maison seigneuriale à l’époque
moderne ? Peut-être au même emplacement qu’au
xiiie siècle, dans les étages supérieurs disparus,
au-dessus du cellier condamné au début du
xive siècle ; peut-être plus à l’ouest, en dehors de
l’emprise de fouille. Peut-être enfin, est-ce
ce très grand bâtiment, qui marque la limite sud
du village. En effet, au moment de la Révolution
française, la commune a son aspect actuel de
village-rue. La maison des chanoines est située
en bordure du village et sera l’une des victimes des
fureurs anticléricales : vendue comme Bien
national, elle sera démantelée rapidement,
avant 1809⁸.
2018
cochère a été murée et certains murs ont été
doublés. La cour située au sud a ainsi été divisée en
deux (au moins) par l’adjonction d’une cloison.
Les textes concernant la maison seigneuriale
d’Ahuy sont plus nombreux et plus descriptifs
à partir du xve siècle. Tout en restant prudent,
on peut essayer de mettre en parallèle les vestiges
archéologiques et les éléments textuels. Ainsi, en
1451, le Manuel des Censes (Arch. dép. Côte-d’Or,
G 230 et G 318, fol. 1) mentionne la maison
seigneuriale des chanoines de Saint-Étienne et
indique qu’elle possède « une chambre-grenier,
deux granges, une écurie, une cour, devant un pré
entouré de murailles ». Le texte mentionne
également une autre cour avec deux halles abritant
trois pressoirs banaux. Le terrier du chapitre de
Saint-Étienne de 1452 (Arch. dép. Côte-d’Or,
G 233) donne d’autres précisions. On apprend ainsi
que le terrain dénommé le Grand Clos est planté
de vignes. Les noms de deux locataires du
xve siècle sont connus : Huguenin Motet en 1473,
Pierre Millot de Beaulieu en 1482 (Arch. dép.
Côte-d’Or, E 2177, fol. 42r-45v et G 233, fol. 1).
Les modifications de l’époque moderne, visibles
notamment dans les murs de clôture, pourraient
être rapprochées du partage en quatre lots
équivalents, en 1661, des bâtiments, enclos, vivier
et terres du domaine, chacun des lots étant affecté
à un chanoine de Saint-Étienne de Dijon (Arch.
dép. Côte-d’Or, G 318, fol. 31). Un plan terrier
de 1751 figure cette maison seigneuriale [ill. 9], située
en lisière du village.
ARCHÉOPAGES 46
9. Plan de la maison
seigneuriale d’Ahuy, 1751
« Plan de la maison
seigneurialle d’Ahuy et ses
dépendances et d’une vigne
apellée ès grands clos,
apartenant à Messieurs les
doyen, chanoines en chapitre
de l’église cathédrale
Saint-Etienne de Dijon […]
1751 ». La description
accompagnant ce plan est
assez précise : 1. « une
maison, petite cave, trois
pressoirs qui sont bannaux,
une autre maison, grange,
écurie, cour, puis, entrée et
terre […] ». 2 Pré et réservoir.
3. Vigne. Arch. dép. Côte-d’Or,
G 319. Le nord
(S « septentrion ») est
à gauche du plan. Le puits
mentionné pourrait
correspondre à celui
découvert lors de la fouille.