MÉDIAS ET MIGRATIONS DANS L’ESPACE EURO-MÉDITERRANÉEN
MATTELART Tristan (dir.), Paris, Ed. Média Critic, 2014, 579 p.
Asmaa Azizi
NecPlus | « Communication & langages »
2015/3 N° 185 | pages 153 à 154
ISSN 0336-1500
DOI 10.4074/S0336150015013101
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2015-3-page-153.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
Distribution électronique Cairn.info pour NecPlus.
© NecPlus. Tous droits réservés pour tous pays.
Les livres
Fourouzan Shapour Deravi Seban), il faut aussi
garder en tête le mécanisme élitiste qu’elle peut
impliquer : ainsi a-t-il été reproché aux critiques
de Télérama d’être trop esthètes ou aux abonnés
d’HBO d’être des happy few. Cette convergence
des enjeux esthétiques et éthiques, soulignée par
Géraldine Poels (dans son article sur la lente
légitimation permise par le Festival de MonteCarlo) et Marita Soto et Oscar Steimberg (sur
les conséquences de la nouvelle loi audiovisuelle
en Argentine), est sans doute la meilleure sortie
de l’aporie sémantique qui introduisait l’ouvrage.
Il faudrait conclure en citant Eva Pujadas, pour
qui « il est possible de définir, dans chaque
contexte audiovisuel spécifique, un ensemble de
valeurs d’une portée universelle. Pour ce qui
concerne l’audiovisuel, ces valeurs sont celles de
l’engagement et de la participation citoyenne »
(p. 41). Car une fois admis qu’une définition de
la qualité de la télévision dépend de la chaîne ou
du programme, du public qui le reçoit, et ainsi de
suite, seule l’idée d’un programme ayant un intérêt émancipateur, citoyen ou pouvant s’ancrer
dans un espace discursif externe (Virginie Spies)
permet de penser la télévision de qualité au-delà
des cas particuliers et de la transformer en une
problématique politique vivante.
FLORE DI SCIULLO
MÉDIAS ET MIGRATIONS DANS L’ESPACE
EURO-MÉDITERRANÉEN
MATTELART Tristan (dir.), Paris, Ed. Média Critic,
2014, 579 p.
Cet ouvrage est le fruit d’un projet de recherche
collectif portant sur les « Médias et migrations
dans l’espace euro-méditerranéen » (Médiamigraterra), conduit entre 2009 et 2012 avec le
soutien de l’Agence nationale de la recherche
(ANR). Il vient combler un vide dans la littérature
scientifique dans la mesure où très peu de
travaux se sont intéressés aux relations entre
médias et flux migratoires dans l’espace géographique méditerranéen.
L’ouvrage s’inscrit dans la continuité d’une
série d’études conduites et dirigées par Tristan
Mattelart sur cette thématique. On citera à titre
d’exemple le livre pionnier publié en 2007 et
intitulé Médias, migrations et cultures transnationales, ainsi qu’un dossier d’articles « Tic et
diasporas », publié en 2009 dans la revue TIC &
Société.
Tristan Mattelart réunit ici une dizaine de contributions rédigées par des chercheurs internationaux issus de différentes disciplines en
sciences sociales (sciences de l’information et
de la communication, sociologie et sciences politiques). Cette polyphonie est accompagnée d’une
diversité de points de vue et de méthodologies
mobilisés pour approcher cette thématique des
communication & langages – n◦ 185 – Septembre 2015
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
pour qualifier un programme, une chaîne,
une stratégie de programmation comme étant
qualitatifs ? Soit l’on définit la qualité en partant
du particulier, mais sans pouvoir atteindre de
définition générale ni essentialiste ; soit on la
définit à partir de concepts généraux, au risque
alors que cette définition résiste difficilement
à la diversité desdits objets. Pour résoudre
cette aporie, les auteurs Stéphane Billaud et
Émile Remond (p. 69) et Sylvie Pierre (p. 84) ont
proposé une distinction entre des critères a
priori et a posteriori, c’est-à-dire entre le goût du
programmateur, les intentions des producteurs et
le goût des téléspectateurs. D’autres analysent
le balancement entre des critères intrinsèques
ou extrinsèques au média télévisuel (François
Jost, Eduardo Cintra Torres), c’est-à-dire entre
les valeurs inhérentes au programme (mise
en scène, intertextualité, etc.) ou externes
à celui-ci (succès d’audience, longévité de
programmation). La nécessité est donc celle
de pouvoir trouver des critères normatifs qui
puissent subsumer leur diversité, afin de parvenir
à une conception holistique.
C’est pourquoi la plupart des contributions
s’attachent à détailler les contenus de chaînes
ou de programmes déterminés. On trouve ainsi
une mise en dialogue de France Télévisions
(Marie-France Chambat-Houillon, Sylvie Pierre),
PakaPaka en Argentine (Carolina Duek) et HBO
(Kim Akass et Janet McCabe, Hélène MonnetCantagrel). Pour Eduardo Cintra Torres, la démission universitaire face à la tentative de définir
la télévision de qualité s’explique surtout par
un refus d’analyse de cas particuliers. C’est
pourquoi on en trouve ici plusieurs : l’émission
hybride produite par Jean-Luc Godard Six fois
deux (Fourouzan Shapour Deravi Seban) ; les
mini-séries italiennes (Milly Buonanno) ; la série
américaine The Simpson (Philippe Lavat) ; la
telenovela brésilienne Cordel encantando pour
la chaîne publique Globo (Maria Immacolata
Vassalo de Lopes, Maria Cristina Palma Mungioli
et Clarice Greco Alves).
On en arrive à une difficulté discursive : qui
effectue l’évaluation et selon quels critères ?
Du point de vue des producteurs, le critère de
l’audience ou des études de satisfaction auprès
du public sont les critères les plus objectifs,
mais du point de vue des publics, ces normes
se floutent considérablement. Cette question de
l’énonciateur pose celle, plus générale, de la
dimension éthique et politique portée par la
conceptualisation d’une « bonne » télévision.
En effet, comment ne pas tomber dans une
logique industrielle si l’on ne prend en compte
que les audiences ? Et à l’inverse, comment
ne pas tomber dans un élitisme réducteur si
seuls des critères esthétiques sont mobilisés ?
Si l’on peut se réjouir de l’émergence d’une
reconnaissance des téléastes (Bernard Papin,
153
Les livres
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
médias et des migrations. On a ainsi affaire
à différentes approches, à titre d’exemples :
certaines privilégiant le point de vue des acteurs
sociaux, ici les immigrés ; d’autres s’intéressant à
l’économie politique des dispositifs médiatiques
étudiés ; celles se focalisant sur les stratégies
politiques des acteurs institutionnels des États
d’origine et d’installation. Chacune des contributions est accompagnée d’une bibliographie
étoffée, permettant ainsi aux lecteurs d’élargir
leur compréhension des objets étudiés.
L’ouvrage est introduit par un chapitre intitulé
« Penser les médias et les migrations en
Méditerranée » et rédigé par le directeur de
cette publication. Ce dernier reprend en une
quarantaine de pages la genèse du projet de
recherche, ainsi que les objectifs et apports de
chaque chapitre. Il dégage d’une façon minutieuse la logique et les liens entre les différentes
contributions.
L’ouvrage est structuré autour de seize chapitres
répartis en cinq principales parties qui reflètent, dans un mouvement linéaire, la trajectoire
migratoire et le rôle qu’y jouent les dispositifs
médiatiques. Le choix d’un plan par thématique
et non par support médiatique a le mérite de
montrer l’importance que continuent de jouer les
médias dits « classiques » (la télévision par satellite, la radio et la presse) face aux « nouveaux
médias », dans un champ de recherche où le
nombre de productions scientifiques portant sur
ces derniers est foisonnant.
Les différentes parties de l’ouvrage viennent
pallier les divers écueils des travaux portant
sur la thématique des médias et migrations. En
effet, une grande majorité de ces derniers se
focalise quasi exclusivement sur l’analyse des
représentations qu’offrent les médias des pays
d’installation de l’immigration. Ainsi, la première
partie intitulée « Médias et désirs d’émigration »
vise à analyser les relations entre médias et flux
migratoires en amont de l’acte migratoire. En
effet, la question des médias et de l’émigration
constitue le parent pauvre des productions
scientifiques existantes. Les deux contributions
de cette partie étudient comment la circulation
des contenus médiatiques entre les deux rives de
la Méditerranée alimente le désir de partir. Les
quatre autres parties s’intéressent quant à elles
aux relations entre médias et migrations, mais
après l’accomplissement de l’acte migratoire.
La deuxième partie propose ainsi l’analyse de
différentes stratégies médiatiques mises en
place par les États-nations d’origine, comme le
Maroc et l’Algérie, afin de nouer et d’entretenir
des liens avec leurs populations émigrées en
Europe. Y sont analysés les cas de différentes
chaînes satellitaires, de sites web institutionnels
et d’une presse officielle. La troisième partie
se penche sur la question des politiques de
représentation médiatique des minorités issues
communication & langages – n◦ 185 – Septembre 2015
de l’immigration en Europe du Sud. Elle se
focalise notamment sur les exemples de la
France, de l’Espagne et de l’Italie.
Les travaux de recherches portant sur les médias
créés par les immigrés en étant encore à un
stade embryonnaire, les contributions proposées
dans la quatrième partie présentent un point
de vue innovant et critique sur cette question.
Ces recherches ont porté sur une diversité
de dispositifs médiatiques (sites web, presse,
radio) et ont mobilisé des approches à la fois
diachronique et synchronique, ainsi que l’étude
des modèles économiques de ces dispositifs. Les
auteurs de ces contributions étudient notamment
les rôles que jouent et se donnent ces médias
et interrogent le statut des acteurs sociaux qui
en sont les instigateurs. La cinquième et dernière
partie porte sur les expériences médiatiques et
communicationnelles ordinaires des populations
issues de l’immigration en France. Elle se penche
sur l’étude des usages des immigrés afin de
voir comment ils articulent et s’approprient les
contenus issus des médias nationaux, locaux et
transnationaux. Parmi les enseignements qu’on
peut retenir de cette dernière partie figure la
nécessité de ne pas essentialiser les pratiques
médiatiques des publics immigrés et de ne pas
les cantonner à un cadre binaire limité à la
consommation des productions médiatiques du
pays d’origine ou de celles du pays d’installation.
Les pratiques de ces publics sont sujettes,
comme pour tout autre public non immigré, aux
caractéristiques d’âge, de genre, ainsi qu’à des
questions liées à leur capital social et culturel.
Une postface rédigée par Alec G. Hargreaves
vient clore l’ouvrage qui propose une lecture
synthétique et une ouverture à ce travail à
l’aune de l’actualité internationale et de notre
monde contemporain caractérisé par les importants flux médiatiques et migratoires. Tout en
prenant le contre-pied à la fois des discours qui
considèrent la réception des médias arabes par
les populations issues de l’immigration comme
un agent favorisant le communautarisme et de
ceux qui voient ces derniers comme constituant
des passerelles permettant « le rapprochement
des peuples des deux rives de la méditerranée »,
l’ouvrage propose, selon Alec G. Hargreaves, une
réflexion sur les enjeux complexes dont sont
porteurs les flux des médias et des migrations à
notre époque.
Au regard de son analyse riche, interdisciplinaire
et critique de la question des médias et migrations, cet ouvrage constitue sans nul doute
une lecture indispensable pour tout chercheur
s’intéressant à ces questions de recherche
encore peu étudiées en France, à l’inverse des
pays anglo-saxons.
ASMAA AZIZI
© NecPlus | Téléchargé le 06/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 3.236.81.111)
154