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ABUGNATA : Fille de la Rivière” Reconstruction d’un chaland gallo-romain

“ABUGNATA : Fille de la Rivière” Reconstruction d’un chaland gallo-romain En 1808, des ouvriers travaillant à l'extraction de tourbe mettent au jour les vestiges d’un bateau. Il est profondément enfoui en bordure de l’ancien lit du fleuve, sur la commune de Fontaine-sur-Somme. Averti de cette découverte, Laurent Traullé, Procureur impérial d’Abbeville et correspondant de l’Institut, fait effectuer une fouille de l'épave et en publie les résultats l’année suivante. Les monnaies associées à la découverte permettent de dater le bateau de l'Empire romain, sans doute du IIème siècle de notre ère. Deux cents ans après sa mise au jour, et après plus de trente nouvelles découvertes de ce type de bateau en Europe, le chaland de Fontaine demeure toujours le seul exemplaire connu au nord de la France. La jonction du fond et des flancs est constituée d’une pièce monoxyle en forme de L, façonnée d’une pièce dans une grume de bois (principe dérivé de l’architecture monoxyle des pirogues), qui permet de rigidifier le bateau et d’assurer la bonne étanchéité de la jonction fond/bordé. Il s’agit d’une méthode de construction, là encore classique – mais non exclusive –, du milieu fluvial. On qualifie ce principe de construction de “monoxyle assemblé“. Vestiges des extractions de tourbe dans le secteur supposé du lieu de la découverte Extraction de la tourbe au louchet en Baie de Somme, vers 1850 LA DECOUVERTE Nous n’en connaissons qu’une description littéraire : les plans et une maquette effectués à l’époque ont été perdus depuis et les vestiges de l’épave n’ont pas été conservés. Toutefois, cette description est assez détaillée pour permettre une reconstitution, en s’appuyant sur le texte, les traditions nautiques du bassin de la Somme, et ce que nous connaissons par ailleurs sur les exemplaires contemporains du groupe régional Rhénan (Belgique, Pays-Bas, Allemagne) auquel il se rattache. Découvert en 1975, le chaland de Pommeroeul (Belgique) est similaire à celui de Fontaine Sur la coque, la présence d’une seconde planche surmontant la précédente est probable. Elle permet de surélever le bordé (environ 60 cm de hauteur en tout) et participe sans doute au système de maintien d’un plat-bord. Le tout est maintenu par des membrures (le «squelette» transversal du bateau), espacées de 30 à 40 cm. Elles sont taillées dans une pièce de bois massive prise au niveau d’une branche et du tronc. La poupe est chargée d’une petite loge en planches, sous laquelle pouvait loger une personne. Ce dispositif, présent sur les bateaux fluviaux de la Somme au début du XIXe siècle, était nommé “dunette”. En arrière un gouvernail axial à large pale est fixé au tableau arrière. Extraits des pages du rapport de L. Traullé donnant la description du bateau Bâti presque exclusivement en chêne, il mesure plus de 12 m de longueur pour une largeur de près de 3 m. Il est conçu “sur sole“, c’est-à-dire à fond plat, constitué de sept ou huit planches, sans quille. Cette conception architecturale, classique en milieu fluvial, lui permet de minimiser au maximum le tirant d’eau, quelle que soit la charge transportée. Ce fond plat se relève aux deux extrémités. Direction scientifique et technique : Stéphane Gaudefroy, Michel Philippe Comité scientifique : Stéphane Gaudefroy, Jeroen Grillaert, Michel Philippe, Eric Rieth, Alfred Terfve Un mât, disposé au tiers avant du bateau, repose sur une emplanture pratiquée sur une membrure plus massive que les autres. Ce mât participe au système de propulsion du bateau lors de la remontée du courant, en servant de point d’ancrage aux câbles de halage. Un système de clavette permet une dépose aisée du mât (franchissement des ponts et des câbles des bacs à traille). Lors de la navigation vers l’aval, et lors des manœuvres, la propulsion est essentiellement assurée par des perches à embout ferré. Les partenaires : PRÉFET DE LA RÉGION PICARDIE DIRECTION RÉGIONALE DES ENTREPRISES, DE LA CONCURRENCE DE LA CONSOMMATION DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI Commune de Pont-Rémy Charpentiers de marine : Jeroen Grillaert, Gauthier Henry © S. Gaudefroy/Les Ambiani / 2012 HISTOIRE DE BATEAUX La forme du chaland de Fontaine, comparable à celle des embarcations du début du XIXe siècle, est typique des bateaux de charge qui évoluent alors sur le fleuve côtier qu’est la Somme : forme rectangulaire, extrémités relevées, fond plat, faible hauteur des bordés, petite cabine sur la poupe. Il s’agit donc d’un chaland fluvial. Il est le premier bateau fluvial assemblé antique qui ait été mis au jour en Europe. MER BALTIQUE Elb Od e nt Tre Barrow Sh an no n MER D'IRLANDE er MER DU NORD De Meern Kapel-Avezaath Zwammerdam Woerden Druten Tamise Es ca ut Xanten Ca n Pommeroeul use ch e Fontaine sur Somme LA MANCHE Me Au thie So mm e Cologne Rhin Mayence Gernesey Seine Jersey e nub Da OCÉAN ATLANTIQUE Châlon-sur-Saône Loire Pont romain Yverdon Bevaix Avanches Lyon Parc St Georges Place Tolozan Taillebourg Charente Pô e nn ro Ga Rhône MER ADRIATIQUE Tib Arles re Ebre MER MÉDITERRANNÉE Corse Chaland fluvial antique Principales routes nautiques pendant l’Antiquité dans l’isthme européen (d’après Philippe, Rieth, 2008) UN BATEAU DE TRADITION CELTIQUE De nombreux documents attestent l’importance de la navigation sur les fleuves de la Gaule, principales artères de diffusion des marchandises : un bateau de ce type peut porter autant que plusieurs dizaines de chars à boeufs. Ligne de partage des eaux Répartition des épaves fluviales de tradition “Gallo-Romaine” (d’après Philippe, Rieth, 2008) D'autres procédés architecturaux varient en fonction des traditions locales et des influences culturelles. Ainsi, la ligne de partage des eaux marque une importante frontière entre les influences méditerranéennes au sud (Rhône / Saône) et les influences nordiques (système Rhénan). Le calfatage, par exemple, réalisé par tissus poissés au sud, est constitué par des fibres végétales (chanvre, mousse) au nord ; l'usage de demi-troncs de résineux destinés à améliorer la flottabilité est inconnu dans le système Rhénan. Dans l'histoire de l'architecture nautique, l'âge du Fer pose un véritable problème car aucun bateau de planches assemblées n'est parvenu jusqu’à nous pour cette période, dans l'ensemble du domaine atlantique. Les bateaux de peaux, les fameux coracles, n’étant pas non plus conservés, nous ne disposons que des pirogues comme traces matérielles. Scène de halage sur un bas-relief de Cabrières d’Aigues (Vaucluse). IIe siècle après J.-C. Musée Calvet, Avignon. Cliché : André Guerrand, Musée Calvet. Les recherches ont aussi montré la filiation étroite qui lie ces bateaux galloromains aux exemplaires préexistants dans la Gaule indépendante : de nombreux procédés de construction leur sont communs. Ce lien est traduit dans la dénomination contemporaine de cette tradition architecturale : “GalloRomaine” ou “Romano-Celtique“. C’est à dire de tradition celtique, mais réalisée durant l’époque gallo-romaine. Tous ces bateaux de charge ont en commun : - des bordés monoxyles (c'est à dire réalisés dans une seul pièce de bois) placés à la transition entre le fond et les flancs. - la liaison des éléments d'architecture par de grands clous en fer. Réplique d’un coracle gaulois (© Yann Kervran/Les Ambiani) L'une de ces pirogues, datée du IIIe siècle avant notre ère (Hasholme, estuaire de la Humber, Yorkshire, UK), est fabriquée avec des procédés techniques montrant nettement une filiation avec les bateaux à bordages ligaturés de l'âge du Bronze. La tradition “Gallo-Romaine” s’inscrit donc dans le prolongement d’une pratique traditionnelle de batellerie. © S. Gaudefroy/Les Ambiani / 2012 LE PROJET DE RECONSTITUTION Le programme de reconstitution de ce chaland fluvial et d’expérimentation de son mode d’utilisation, porté par l’association de Préfiguration du Parc naturel régional de Picardie maritime, l’association « Les Ambiani » et leurs partenaires, s’ancrent dans une dimension de conformité scientifique mais aussi dans une valorisation d'un patrimoine local. 2m mat membrure dunette gouvernail 0,55 m 0,45 m 1,50 m Chaland de Fontaine hypothèse de restitution 2,25 m 12 m barrot A comité scientifique DAO Michel Philippe 3m Coupe schématique du plat-bord sur modèle Pommeroeul d'après A. Terfve Lisse B Membrure ABUGNATA : UN PROJET SCIENTIFIQUE Bordé 0,65 m A B 20 cm Ce projet est une opportunité de mieux comprendre l’architecture et l’environnement de ce vestige, dans une perspective d’archéologie nautique. Avant la construction proprement dite, une étude préliminaire a permis de rassembler les sources archivistiques, archéologiques, ethnologiques et environnementales nécessaires à cette volonté de conformité. La démarche suivie par le comité scientifique s’inscrit dans le champ de l’expérimentation en archéologie nautique. Une lecture très attentive du texte, articulée avec des considérations architecturales et nautiques, ainsi qu’un recours argumenté à des emprunts contemporains, ont permis à cette phase de finalisation de l’hypothèse primaire d’aboutir à une proposition de reconstitution qui satisfait pleinement aux principes et objectifs exprimés pour la reconstitution du bateau de Fontaine. 2,90 m Cette reconstruction a pour ambition de s’inscrire dans le « Grand Projet Vallée de Somme », socle du développement des territoires départementaux. En plus de réunir les dimensions archéologiques, territoriales et humaines qu'elle entend porter, cette démarche place la vallée de la Somme et son fleuve au cœur de son contenu. Construction des bâtiments du chantier naval à Pont-Rémy, dont la longue halle à bateau Maquette d’étude du bateau (réalisation Jeroen Grillaert) ABUGNATA : UN VERITABLE PROJET DE TERRITOIRE C’est aussi un projet de territoire réalisé avec de nombreux partenaires. Deux chantiers d’insertion, réalisés avec le soutien de l’Etat, du Fond Social Européen via le PLIE de la Picardie maritime et le Conseil général de la Somme, et portés par l’Association de préfiguration du Parc Naturel Régional de la Picardie Maritime, contribuent à la concrétisation du projet : le premier (2010/2011) pour la construction des bâtiments du chantier naval (réplique de bâtiments gaulois découverts dans la Somme) et le second (2012) pour la construction du bateau. La Mairie de Pont-Rémy fournit une aide financière importante et accueille le chantier naval sur un terrain qu’elle met à disposition du projet, en bordure du fleuve canalisé. Son aide technique est également précieuse. Le Conseil Régional de Picardie, dans le cadre du Fond Régional d’Appui aux Pays de Picardie (FRAPP) apporte son soutien au travers du Pays des Trois Vallées. Le Conseil général de la Somme apporte un concours important en finançant les matériaux et le volet social relatif aux chantiers d’insertion. Le projet a également bénéficié du soutien de la Caisse d’Epargne dans le cadre d’un mécénat sur le volet social du projet. Sélection des grumes et des membrures (forêts de Compiègne et de Villers-Cotterêts) Mise en place des grumes sur le chantier naval à Pont-Rémy © S. Gaudefroy/Les Ambiani / 2012 LES ETAPES DE LA CONSTRUCTION Chaine opératoire pour la fabrication de l’un des 600 clous nécessaires à l’assemblage des membrures et des planches de fond. Equarissage et débitage de la grume, à la scie passe-partout, à l’herminette et à la tronçonneuse Finition des bordés et des membrures, au ciseau et à l’herminette et mise en place sous la halle Découpe des planches et cintrage à chaud des planches de fond La construction va se poursuivre avec l’assemblage des pièces d’architecture, bordés monoxyles, planches de fond et membrures, puis le calfatage de toutes les liaisons au moyen de chanvre gras. Viendra ensuite l’assemblage du plat-bord et de la dunette, et la pose du mât et des barrots. Ajustage des bordés et des planches de fond Achèvement prévu en octobre 2012... Longueur totale : 22 cm Section : 0,9 cm Temps de fabrication : environ 20 mn © S. Gaudefroy/Les Ambiani / 2012