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Le partitif dans les noms propres et les adjectifs

2017

International audiencePartitive constructions either with proper nouns or with adjectives have much in common: the same contexts of appearance, nearly no variations in gender and number of the partitive determiner, and a strong similarity in the expressed content, which shows an emphasis on typicality. Both can be described as nominalizations of properties. The definite article within the partitive determiner has no origin in the proper noun or in the adjective and shows the basic state of that form, a neutral proform used as a support of nominalization.Le partitif dans les noms propres et les adjectifs RESUME Les constructions partitives des noms propres et des adjectifs ont beaucoup en commun: les mêmes contextes d'occurrence, pratiquement pas de variations en genre et nombre du déterminant, et une forte ressemblance dans le sens, qui met en évidence la typicité. Les deux peuvent être décrites comme des nominalisations de propriétés. L'article défini à l'intérieur du p...

Le partitif dans les noms propres et les adjectifs Claude Muller To cite this version: Claude Muller. Le partitif dans les noms propres et les adjectifs. Points de vue, Mélanges offerts à Henning Nolke à l’occasion de sa retraite., 2017. ฀hal-01667878฀ HAL Id: hal-01667878 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01667878 Submitted on 19 Dec 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. CLAUDE MULLER, Université Bordeaux Montaigne, France claude.muller31@orange.fr publié dans : Merete Birkelund (éd.) : Points de vue, Mélanges offerts à Henning Nølke à l’occasion de sa retraite, Institut de communication et de culture, Université d’Aarhus, 2017, 58-74. Le partitif dans les noms propres et les adjectifs RESUME Les constructions partitives des noms propres et des adjectifs ont beaucoup en commun: les mêmes contextes d'occurrence, pratiquement pas de variations en genre et nombre du déterminant, et une forte ressemblance dans le sens, qui met en évidence la typicité. Les deux peuvent être décrites comme des nominalisations de propriétés. L'article défini à l'intérieur du partitif n'a pas son origine dans ce qui suit, nom propre ou adjectif, et montre l'état basique de ce morphème, une proforme neutre ayant pour unique fonction d'assurer la nominalisation. MOTS-CLES: partitif, nom propre, typicité. ABSTRACT Partitive constructions either with proper nouns or with adjectives have much in common: the same contexts of appearance, nearly no variations in gender and number of the partitive determiner, and a strong similarity in the expressed content, which shows an emphasis on typicality. Both can be described as nominalizations of properties. The definite article within the partitive determiner has no origin in the proper noun or in the adjective and shows the basic state of that form, a neutral proform used as a support of nominalization. KEYWORDS: partitive, proper noun, typicality. 1. Introduction1 En préambule, je tiens à souligner la vieille amitié qui me lie à Henning Nølke, que je connais depuis bientôt trente-cinq années, le plus français des linguistes danois, si parfaitement à son aise dans les analyses sémantiques et discursives, praticien et théoricien tout à la fois, et qui a toujours su conjuguer la finesse des intuitions avec la rigueur de l'analyse. Je voudrais faire le lien entre deux emplois du partitif qui ont nombre de traits communs: les emplois devant un nom propre (Np) et devant un adjectif, exemplifiés par les deux exemples ci-dessous: 1 Un grand merci à Georges Kleiber, qui a relu ce texte. Nos désaccords sont "véniels" comme il le dit, et ses remarques ont été stimulantes. Merci également aux participants de la journée Vast à Toulouse, où j'ai exposé ce travail, merci en particulier à Joël Miró. (1) Ce texte, c'est du Colette tout pur (Noailly 2016) et de l'emploi de l'adjectif dans: (2) Cette nappe, c'est du solide Le partitif des noms propres a été souvent étudié (pour les études récentes, Gary-Prieur, 1990, 1994; Kleiber, 1994; Flaux, 2000; Noailly, 2016; Jonasson, 2016). La construction adjectivale attribut est l'objet d'une étude de Leeman 1998. Il n'y a pas eu cependant de mise en relation de ces deux constructions, et pourtant les points communs sont nombreux. Tout d'abord, dans les deux cas, l'article n'est pas attendu: le nom propre se caractérise par l'absence de tout article, comme l'adjectif. Bien sûr, le sens serait un peu différent dans le premier cas, moins dans le deuxième, sans article: (1') (2') Ce texte, c'est Colette tout pur ?Cette nappe, c'est solide / cette nappe, elle est solide Remarquons en passant que la reprise par ce est un peu gênante dans le second cas: on aurait tendance à avoir le pronom sujet elle sans le partitif. Comme quoi le partitif change la référence dans ce cas. Dans le premier exemple, le nom propre sans article peut aussi signifier « la prose / la façon d'écrire de Colette » mais le partitif met plus nettement l'accent sur la production de la personne nommée, sur sa façon de faire. Avec l'adjectif, on a l'impression que du renforce la propriété, non pas du point de vue scalaire: ??C'est solide, et même du solide – mais du point de vue de l'affirmation de l'identité de la propriété. Les autres points communs vont apparaître dans les exemples ci-dessous: une assez large et générale neutralisation de la variation en genre, qui surprend dans le cas du nom propre; et dans le sens, une tendance forte dans les deux cas à l'expression de la typicité de la propriété. Les différences existent aussi, bien entendu, et il importera de les souligner également. 2. Le partitif des Np Il y a plusieurs constructions dont on examinera trois, la plus emblématique étant la construction attributive. 2.1. C'est du Np La construction peut renvoyer à une œuvre matérielle, souvent le produit d'un créateur artistique ou littéraire: (3) C'est du Mozart / du Picasso L'autre interprétation se rapporte à l'activité caractéristique d'un individu, texte, paroles, comportement. L'individu ainsi « massifié » doit avoir une certaine renommée dans le cercle des locuteurs: (4) Ça, c'est du Sarkozy tout craché (5) Aussi n'y avait-il pas de jour où l'on n'entendît dire, non seulement « vous connaissez le dernier mot d'Oriane? », mais « vous savez la dernière d'Oriane? ». Et de la « dernière d'Oriane », comme du dernier « mot » d'Oriane, on répétait: « C'est bien d'Oriane »; « c'est de l'Oriane tout pur ». (Proust, Du côté de Guermantes, cité par M. Noailly). On remarque dans ce dernier exemple le « de » d'origine, préposition devant Np, construction qui est suivie du partitif avec un sens différent puisque le partitif fait en quelque sorte entrer dans la nominalisation: de l'Oriane. Ici, la dissociation de du devant voyelle est faite, mais l'accord masculin de l'adjectif interdit de voir en « l' » un féminin élidé. L'abolition de la distinction du genre, visible devant les noms au féminin quand ils commencent par une consonne, est quasi générale. Le féminin n'est normalement pas utilisé: du Ségolène, du Beauvoir, du La Callas. On a testé « c'est du Nadine Morano »: il y a de nombreux résultats pour le masculin, dont ces exemples: (6) (7) C'est du Nadine Morano dans le texte (rtl.fr, 22/8/2014) C'est du Nadine Morano tout crachée (nouvelobs.com, 18/8/2014) Aucun résultat pour: *C'est de la Nadine Morano. On peut remarquer le semi-accord au féminin crachée, qui se fait bien sur le nom propre alors que le partitif reste au masculin! Même chose pour Marine Le Pen: (8) C'est du Marine Le Pen conforme et offensif (parisvox, 14/9/2016) et aucune attestation pour le féminin: (8') *C'est de la Marine Le Pen Le partitif du est parfois aussi maintenu tel quel devant un nom propre commençant par une voyelle. L'absence de modification devant voyelle est plus fréquente que l'inverse, selon les auteurs: Noailly a trouvé 257 occurrences de « faire du Obama » contre 2 pour « fait de l'Obama ». Il y a quelques exemples quand même comme celui-ci, avec le verbe faire, également cité par M. Noailly: (9) Oh, j'suis comme ça, Monsieur le Président, j'fais d'l'Audiard. (Le Monde, 7/2/2015, compte-rendu d'audition au tribunal de Dodo la Saumure; Noailly 2016 : 114) Cette construction attributive se caractérise par l'absence de toute quantification. En témoigne l'absence de variation avec la négation: (10) Ce n'est pas du Sarkozy, c'est du Hollande La construction avec de est différente: (11) Ce n'est pas de Sarkozy Elle se rattache non pas à l'article modifié des phrases négatives, mais à la préposition à sens « origine », déjà signalée ci-dessus, ex. (5): c'est bien d 'Oriane. La quantification éventuelle, comme ci-dessous, reste cantonnée dans le modifieur adverbial, sans s'attacher le partitif sous forme de; un peu de serait exclu: (12) Fillon c'est un peu du Hollande bis. – N'importe quoi, Hollande bis c'est Macron (échange d'internautes dans jeuxvideos.com, 1/4/2017) Ce maintien n'est pas limité à la construction attribut: M. Noailly fait aussi remarquer que la négation ne modifie pas non plus le partitif dans la construction en « faire »: (13) Valls ne fait pas du Hollande (*de Hollande) Il faut dire que la modification du partitif objet direct derrière la négation n'est pas assurée, et n'a normalement pas lieu quand la quantification n'entre pas dans le sens, ce qui est le cas ci-dessus, comme dans: (14) Paul ne joue pas de la flûte /...*pas de flûte (15) Ce n'est pas du saumon / ...*pas de saumon Le thème ou sujet de l'attribut en du est un objet indéfini, une occurrence d'événements, de particularités, de traits de style ou de caractère rendus manifestes, souvent par une réalisation quelconque, écrit ou œuvre, tels que le nom propre en soit l'auteur ou la représentation, d'où le nom souvent donné (Gary-Prieur 1994) de construction « métonymique » à cet emploi. La subdivision entre une interprétation « quantitative » (les productions artistiques) et une interprétation « qualitative » (comportement) mise en évidence dans les travaux de Gary-Prieur et Kleiber ne semble pas cruciale. J'aurais tendance à suivre Gary-Prieur sur un point, celui de la priorité de la construction « massive » sur la possible réalisation nombrable pour une œuvre: C'est du Rodin / c'est un Rodin, parce que la construction massive est la plus générale, s'appliquant aussi bien au style de l'artiste qu'au comportement de l'homme politique, en ce que chacun a de typique, alors que le nombrable est limité en français à certaines productions analysables comme des objets distincts. L'autre aspect de cette construction est la proximité avec les adjectifs; on a avec un sens très proche, la forme adjectivale attribut signé Np: (16) Dans la continuité mais en pire, c'est signé Sarkozy. (humanite.fr, 2/8/2004) (17) S'en prendre à un jeune reporter en l'insultant, c'est digne, c'est admirable, c'est exemplaire – c'est signé Mélanchon. (forums.fr2.fr, 6/4/2017) Le partitif peut d'ailleurs parfois précéder signé, formant une nominalisation adjectivale: (18) ah non non je dis des conneries mais des comme ça c'est du signé Hollande! (twitter.com/justefrancaise, 1/1/2015) Un autre indice de la nature sinon quasi adjectivale du partitif, du moins de l'interprétation comme « propriété » est l'emploi d'un adjectif comme pur : (19) C'est du pur Mélanchon dans le texte! (lexpress.fr, 28/6/2013) Le sujet de la qualification n'est pas toujours un comportement, une œuvre, c'est parfois une personne, mais elle est métaphorisée comme représentant un comportement (sans article en position sujet) (20) Montebourg, c'est du Marine Le Pen pan-européen (materialistes.com, 11/10/2011) Il s'agit non de la personne physique, mais de ce qu'elle produit (idées, comportement, façon de faire de la politique). La possibilité existe aussi de « métaphoriser » entièrement, avec le nombrable: (20') Montebourg, c'est un Marine Le Pen pan-européen Ces derniers exemples illustrent la nécessité du déterminant en position d'attribut: il s'agit de classer un objet parmi d'autres. Le nombrable un appliqué non à une œuvre, mais à un comportement, n'est possible qu'avec le renvoi à un sujet métaphorisé et une forme d'équivalence totale. L'emploi du partitif renvoie, lui, à une propriété qui trouve sa caractérisation nominalisée avec le partitif parce qu'il s'agit d'un flux pas nettement délimitable, ou plus précisément comme on le verra, d'une propriété qui englobe sous une même étiquette tout un ensemble plus ou moins disparate de comportements et d'actions. 2.2. Il y a du Np + locatif C'est une construction existentielle avec cette fois un sens quantifié « une certaine quantité/dose des propriétés de ». Le locatif peut être une personne « sujet » de la relation, ou une circonstance; le genre est très souvent masculin, quel que soit le nom propre: (21) Il y a du Marine Le Pen en elle, analyse la commentatrice Nancy Arellano. Elle doit tuer le père, mais en même temps elle joue sur sa filiation. (Il s'agit de Keiko Fujimori, fille de l'ancien président du Pérou). (liberation.fr, 8/4/2016) (22) Il y a du Marine le Pen chez Donald Trump et inversement, bien que ce dernier donne plus volontiers dans le bas de gamme. (pressreader.com, 4/2/2016) (23) Il y a du Margaret Thatcher chez cette Theresa May-là. (deezer.com, 18/1/2017) (24) Il y a du Ségolène, chez ce petit banquier (answzers.yahoo.com, 20/3/ 2017) (25) Mal-êtritude: lol: décidément, il y a du Ségolène dans l'air. (portail-traduction.fr, 20/5/2014) (26) Il y a du Margaret Thatcher dans cette volonté de briser le mouvement et d'engager une marche arrière sociale. (humanite.fr, 23/6/2003) Il peut y avoir séparation des constituants du partitif et élision: (27) S'il y a du Donald Trump en Boris Johnson, il y a de l'Angela Merkel en Theresa May (agoravox.fr, 13/7/ 2016) Une variante sémantique de la construction n'est pas exactement quantifiée. Le partitif renvoie simplement à l'activité du Np: (28) Comment ne pas penser qu'il y a du Sarkozy là-dessous, vu qu'il est de notoriété publique qu'il est un ami de Bolloré. (presidentielles.actu.orange.fr, 3/7/2015) Il ne s'agit pas dans cet énoncé d'évaluer une proportion, parce que le locatif n'est pas une personne, mais une circonstance: 'l'intervention de Sarkozy'. Le genre est généralement masculin comme on le voit. Gary-Prieur (1994 : 175) suppose possible la phrase suivante: (29) Il y a de la Messaline en Marie Cependant cet exemple semble très isolé, selon Noailly (2016 : note, 110). On peut aussi se demander s'il n'y a pas la possibilité d'un article « féminin de notoriété » ici, comme en témoigne le poème de Paul Fort chanté par Brassens: Si le bon Dieu l'avait voulu / J'aurais connu la Messaline...Pour de tels noms, la Messaline, la Cléopâtre, la Pompadour, l'existence d'une possibilité d'article défini change la donne et va masquer le partitif masculin. On trouve souvent ce féminin avec les cantatrices (la Callas, la Castafiore, la Tebaldi), et quelques femmes notoires à des titres divers. Pour Gary-Prieur (1994 : 102), cet article « est très proche de la valeur qui était celle de ille latin: « le fameux, le célèbre, le bien connu » ». On a trouvé quelques rares emplois de ce type, avec accord au féminin donc: (30) Quel sourire!...il y a de la Cléopâtre en elle. Très beau portrait. (zphoto.fr, 30/1/2010) (31) Il y a de la Ségolène ou de la Mme Mesnard en elle! Elles sont très représentatives d'emplois quasi fictifs. (sudouest.fr, 6/3/2017) Le féminin est dans un contexte nettement dépréciatif, pour le dernier exemple, mais c'est aussi une forme de notoriété! Pour compliquer encore un peu l'interprétation, il est aussi possible, avec il y a, d'avoir une interprétation partitive en de seul; M. Wilmet (2016 : 25) distingue: (32) Il y avait de Napoléon dans l'Aiglon (33) Il y avait du Napoléon en lui Le premier de serait un « partitif défini » selon l'explicitation de Wilmet (l'Aiglon tenait de son père quelques particularités physiques): quelque chose de (l'individu) Napoléon. Le « défini » tient au nom propre, qui est défini sans déterminant. Dans le second cas, notre construction, il s'agit plus de propriétés typiques de comportement, de caractère, avec le sens de nos exemples ci-dessus. M. Noailly cite des exemples analogues, mais y voit une préposition « d'origine » : (34) Il y a de Montaigne chez cet essayiste (Noailly, 2016 : 111) Je ne partage pas l'opinion de M. Noailly parce que l'origine ne permet pas, contrairement au partitif, une construction sans premier terme du de : il est impossible de dire *J'ai de ma grand-mère dans le grenier pour désigner des objets qui me viennent de ma grand-mère. Il vaut mieux voir en de le partitif « défini » qui se trouve alors placé, non devant un nom commun, mais devant un nom propre sans article. La construction permet alors l'absence de quantifiant devant de partitif et le sens « origine » n'est pas évident, alors que l'interprétation partitive l'est. La contrainte du « partitif défini » est de précéder un déterminant défini, or c'est bien ce qu'on trouve avec un pronom personnel (exclu avec la construction du type des partitifs devant Np), un possessif; avec un appellatif familier, comme pour un Np, il n'y a rien (dernier exemple ci-dessous): (35) Il y a (un peu) d'elle chez son fils / *il y a du elle chez son fils (36) Il y a de son oncle chez Albert (37) Il y a de tante Yvonne dans le comportement de la petite Marie 2.3. Faire du Np L'expression met en évidence l'aspect « production » du partitif. Elle a été surtout étudiée par M. Noailly: (38) En avril, Valls faisait du Valls. En septembre, Valls commence à faire du Hollande. Noailly 2016 : 116) Le sens est celui d'une activité et de comportements typiques du nom, si bien que la coïncidence entre le sujet et le nom propre au partitif paraît redondante. On est pleinement dans le prototype, voire le stéréotype quand le contexte suggère une typicité caricaturale : (39) Invité sur le plateau de « C à vous », sur France 5, Fabrice Luchini a fait...du Fabrice Luchini. (Noailly 2016 : 118) (40) Bon, Nadine Morano nous a fait du Nadine Morano (...) Elle est tellement décérébrée qu'elle en est drôle. (08/2014, dans Noailly 2016: 113) La construction prend un autre sens quand les noms sont différents: l'auteur imite le comportement du porteur du nom propre partitif: (41) Difficile de faire du Zlatan quand on n'est pas Zlatan. Javier Pastore l'a appris à ses dépens. (lematin.ch, 20/12/2012; cité par Jonasson, 2016: 125) Les exemples suédois de ‘faire du Zlatan’ illustrent une version nombrable possible en suédois: « att göra en Zlatan », litt. « faire un Zlaran », ce qui paraît contrarier l'explication de Kleiber 1994 d'un référent obligatoirement massif dans les expressions qualitatives, comme en français. On comprend comment cela peut se produire : le suédois découpe en quelque sorte le contenu en événements, qui deviennent dans la version « qualitative » de la construction l'équivalent de l'œuvre d'un créateur (un Rodin). Cela existe bien aussi en français, mais avec une suffixation au Np pour former un nombrable. Deux exemples; le premier pour le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, suffixé en -ade: (42) Encore une Gaudinade le 23/11/2008 chez Michel Drucker à Vivement Dimanche. (archives.lepost.huftingtonpost.fr, 23/11/2008) Il s'agit d'une émission de variétés où viennent des politiciens; le terme a tout à fait le sens du « Zlatan » suédois: une action ou des propos caractéristiques, évalués de façon plutôt ironique et dépréciative. Le second pour le célèbre footballeur, qui a aussi son étiquette en français: (43) Une Zlatanerie pour finir. (titre, lequipe.fr, 15/5/2016) En somme, le français connaît aussi la construction suédoise, mais il a besoin d'un suffixe à ajouter au Np. 3. Le partitif des adjectifs. Il existe des emplois d'adjectifs à article partitif qui ne renvoient à rien d'autre qu'eux-mêmes, ou peut-être à une proforme elle-même vague dont l'adjectif serait la propriété identificatoire: (44) C'est du solide / c'est du lourd / c'est du sérieux La construction peut être utilisée largement, en plus de la position attribut (l'article est obligatoire): (45) On a affaire à du costaud (46) J'ai préféré acheter du durable / du cher / du pas salissant Le partitif semble bien ici de première mention, pas du tout l'indication d'un nom sousjacent (qui peut être nombrable pour l'objet désigné) et serait donc l'application directe du partitif indéfini à l'adjectif, classe notionnelle forcément non nombrable. A la différence du simple attribut, l'adjectif partitif ne pointe pas simplement une propriété, mais l'appartenance à un concept abstrait qui est l'entité au-delà de ses multiples supports. En quelque sorte, l'adjectif devient premier, et ses supports nominaux possibles passent à l'arrière-plan. Ni le pluriel, ni le féminin ne sont possibles dans ce sens: les deux, formes marquées, renvoient à des objets nominaux en ellipse: (47) On a acheté de la bonne / des gros (p. ex. de la bonne marchandise / des gros poissons) Le contraste est net : (48) C'est du sérieux / *C'est de la sérieuse Le féminin rend la phrase difficilement interprétable et s'il est acceptable, renvoie simplement à une construction à nom contextuel effacé. Il y a des emplois par antiphrase, exclamatifs, qui ne sont possibles qu'avec le partitif: (49) C'est du propre! / du beau! / du joli! On trouve aussi les autres constructions analogues à celle avec nom propre: (50) Il y a du solide / du sérieux là-dedans (51) Voilà du joli! (Leeman 1998 : 223) L'emploi invariable a été étudié par Leeman, 1998: il s'accompagne de restrictions fortes sur la possibilité d'y introduire des modifieurs, à l'exception de modifieurs adjectivaux: (52) C'est du très beau / ?? C'est de l'assez joli (Leeman 1998 : 226) Dans cet exemple, on pourrait aussi comprendre avoir affaire à l'emploi à nom en ellipse, qui est bien différent comme on l'a vu. D. Leeman voit dans ce partitif sans nom caché un massif « par transfert » : le terme ainsi qualifié étant fondu dans une catégorie formée de tous les termes partageant la propriété en question. On peut ajouter qu'un thème pluriel exige aussi le singulier: (53) Ses arguments, c'est du sérieux (*c'est des sérieux) Je verrais assez bien que l'opération de « massivation » dont parle D. Leeman passe par un relais non exprimé totalement indéfini, permettant à des termes divers de se fondre dans la totalité des objets ainsi qualifiables, faisant ainsi partie de la propriété: cela relève de la catégorie « sérieux ». Le de relève donc bien de la catégorie partitif, appliquée non au support nominal modifié par l'adjectif, mais directement à la propriété adjectivale. D. Leeman suppose d'ailleurs qu'il n'y a pas de changement catégoriel: l'adjectif reste un adjectif, placé dans une catégorie « nom commun ». Toute quantification « nominale » est dès lors inappropriée (*c'est beaucoup de sérieux) alors qu'un adverbe d'intensité comme très reste possible (ou encore l'expression emphatique familière c'est du sérieux de chez sérieux) parce qu'il ne quantifie pas: il oriente vers le plus typique dans la catégorie. La construction n'est pas applicable2 à tous les adjectifs: (54) ?J'ai trouvé du singulier à cette affaire (55) *C'est du drôle / *C'est de l'étonnant On trouve, dans D. Leeman 1998, la synthèse d'une analyse de corpus sur plus de mille adjectifs, avec un certain nombre d'exemples, et une bonne centaine de constructions répertoriées. Les raisons des limitations observables ne semblent pas, à ma connaissance, avoir été explorées. Peut-être certains adjectifs ne donnent-ils pas lieu à une représentation abstraite de leur propriété comme catégorie stable? Il me semble que doivent se conjuguer deux propriétés adjectivales: une forme de stabilité référentielle (que n'a pas par définition drôle, qui relève de l'expressivité du locuteur) et la plausibilité d'un emploi renforcé vers le caractère typique de la propriété actualisée. 4. Points communs. Aussi bien Kleiber que Gary-prieur font la distinction entre une version « quantitative », stable (le travail de l'artiste) et une version qualitative, mais dans les deux cas, ils analysent le Np à partitif comme une métonymie: Np est l'auteur du contenu de du Np ou plus largement la "source" de ce partitif. Gary-Prieur propose la relation suivante: du Np = de (xi [source] qui s'appelle /Np/ - V- Xj [résultat] )SN (Gary-Prieur, 172) Tous deux insistent sur la relation d'auteur à réalisation qui préside à l'utilisation du partitif. Il faut cependant relativiser cette notion d'auteur, ce qu'ils font aussi : on a vu sur pas mal d'exemples que du Np peut être produit par quelqu'un d'autre. Quand Gary-Prieur met en garde contre l'univocité des interprétations, elle suggère elle-même que le rapport au nom propre peut être relativement distant. Par exemple, C'est du Zola, peut renvoyer, explique-telle, à: C'est une page de Zola/ le style de Zola / l'atmosphère des romans de Zola / une idée de Zola... Dans plusieurs cas, Zola n'est pas directement auteur. On peut aussi dire C'est du Proust de tout texte dont les phrases comportent des enchevêtrements de subordonnées interminables. Kleiber l'a aussi remarqué (1994 : 108) avec cet exemple: Cette page de Zola, c'est déjà du Proust. La relation d'origine n'est pas exclusive, ou plutôt elle est juste la source de la typicité. Autre cas, en art: (56) C'est typiquement du Mozart, et pourtant cette fin du Requiem n'est pas de Mozart. 2 Il faut cependant être prudent: la construction nominalisée de la pure propriété pourrait aussi apparaître dans une autre construction, celle du nom modifié: le haut de la table, et on trouve dans ce cas des adjectifs impossibles dans la construction simple partitive : le drôle de l'histoire; l'étonnant de cette affaire. Il n'est pas certain que ce soit le même déterminant mais la question mériterait d'être examinée de plus près. Il faut donc modifier l'idée d'auteur, ou même de source, en mettant en avant la typicité: du Np désigne un objet, comportement, discours, etc, ... dont le représentant typique comme auteur, évocateur, représentant, est le Np. On peut donc le plagier, faire du Np sans être soi-même le porteur du nom. M. Noailly l'a bien vu: « ce n'est pas la personne en tant que telle qui est visée ». Ses exemples sont éclairants, notamment celui-ci: (57) Ce n'est que dans votre pensée que l'expression "faire du Debussy" signifie "être Debussy". Faire du Debussy, c'est enlacer des neuvièmes, supprimer la résolution des appogiatures (...). Tous ces procédés sont à la portée des compositeurs adroits. (Le Mercure musical, 15/6/1907, cité par Noailly, 2016 : 116). On peut en tout cas écarter complètement la personne physique: (58) *Cette personne sur la photo, c'est du Marie tout craché (C'est inacceptable si la photo représente simplement Marie telle qu'elle est). Deuxième point, l'opposition entre une version quantitative (celle de l'auteur /artiste) et une version qualitative (emplois familiers, manifestations d'un caractère, d'une personnalité). Je partage l'opinion de M. Noailly supposant que cette opposition est relativement secondaire, la version dite qualitative valant aussi pour le style ou les bizarreries d'un artiste. Au final, l'interprétation est celle de « quelque chose qui se rattache typiquement à Np » (sans se confondre avec lui), que ce soit un trait de caractère, un mode d'agir, un style d'artiste, ou même une ambiance dont le Np est le meilleur évocateur si ce n'est l'auteur (c'est du Zola, c'est du Toulouse-Lautrec, c'est du Feydeau, c'est du Rohmer pour suggérer respectivement: un décor misérable de rue ouvrière du 19e siècle, une guinguette parisienne à Montmartre, une pièce de boulevard, un film avec des dialogues très littéraires et de jeunes interprètes disséquant leurs sentiments...). Le Np partitif désigne une propriété nominalisée dont le Np suggère le contenu, donc une catégorisation possible sous le chapeau d'un Np représentatif, selon les contextes et les connaissances des interlocuteurs. Le nom propre est alors la désignation nominalisée d'une propriété. N. Flaux (2000 : 105) rapproche: C'est vraiment du Michel de ce que serait un adjectif formé sur le nom: c'est vraiment michelesque. Plus facilement, pour le style, on dira avec une presque équivalence, en attribut: C'est typiquement du Beethoven / beethovenien. L'équivalence n'est pas parfaite, l'adjectif se prêtant mieux que le Np partitif à la similitude sans l'origine. Cette intuition d'une proximité de cet emploi du nom propre avec l'adjectif semble partagée aussi par Gary-Prieur (1994 : 189, note) qui souligne « le pouvoir qualificatif du nom propre, en même temps que la proximité entre nom propre et adjectif ». La nominalisation d'une propriété, c'est exactement ce qui se réalise aussi avec le partitif des adjectifs. 5. Conclusion. Le rôle du partitif. Le partitif paraît assez naturel pour l'expression d'une propriété essentiellement perçue comme continue, ou inhérente à celui qui la manifeste. Son emploi pose cependant deux questions: celle de la source du de; celle de la source du le, exclusivement masculin dans de nombreux cas. - Le de : ce n'est sans doute pas la préposition signalant l'origine (ce serait invalide dans tous les cas de "plagiat" comme le dit M. Noailly); c'est le partitif, puisque l'objet plus ou moins consistant (propriétés, mode d'agir, style) est catégorisé comme faisant partie d'un ensemble de même texture; la préposition d'origine est en quelque sorte secondaire et dépendante du partitif: du Np = de la catégorie des "objets" relevant de Np Dans le cas de l'adjectif, et surtout pour la construction attributive, où l'adjectif pourrait être construit directement, le partitif renforce l'appartenance en la matérialisant explicitement: du Adj = de la catégorie partagée par tous les X qui sont Adj - L'article le : Aucune de ces deux constructions, Np, Adj, ne possède naturellement un article défini susceptible de se combiner à de pour obtenir un partitif. Pourquoi un le dans le du, si on garde la composition traditionnelle, observable souvent par la dissociation due à l'élision? La réponse tient d'abord à la contrainte: sans le, on a le plus souvent une préposition à sens d'origine, pas un article: C'est bien d'Oriane (ex. cidessus): ‘cela vient d'Oriane’ ; avec le partitif, le sens est différent: C'est de l'Oriane : ‘cela appartient au style, aux productions d'Oriane’. Le sens "article partitif" impose un support de type nominal (le) indispensable à la distinction caractéristique des noms en massif vs. comptable. En cela, il se différencie du partitif "défini" qu'on a pu identifier dans la construction il y a de Np. Le partitif défini est normalement une construction quantifiée, dans laquelle la préposition-article à sens partitif découpe en quelque sorte un morceau dans un ensemble défini, le complément du de. Dans il y a de Napoléon en lui, le sens est "un morceau", "un peu", "quelque chose" de Napoléon considéré comme un ensemble défini. Il n'y a rien de tel dans l'article partitif, qu'il faudrait reclasser comme un "partitif indéfini" pour le distinguer du précédent. G. Kleiber (2008) a montré l'inanité du point de vue ensembliste avec des exemples dans lesquels l'article partitif ne renvoie à aucun ensemble: (59) Pierre a des ennuis (60) Il y a de la buée sur le pare-brise (Kleiber 2008) Il n'y a pas d'« extraction » à partir d'un ensemble d'ennuis, ou de buée, qui permettre de concevoir ou de conceptualiser ce qui se passe: le partitif « indéfini » signale simplement que le syntagme actualisé appartient à la catégorie abstraite, métalinguistique, d'objets du monde présentés comme « fragmentaires » qu'on peut dénommer ainsi. Autrement dit, l'article le dans l'article partitif n'est pas un « ensemble », même considéré comme générique, mais une simple cataphore de contenu nominal, une forme de « classifieur » si on préfère, forme indispensable pour le fonctionnement comme article de la préposition partitive, et qui peut s'appliquer pour le nominaliser à un complément en soi sans article. Le le avec Np est donc créé pour les besoins de la cause, il n'a pas vocation à désigner un ensemble, jamais visible comme tel, « l'Oriane », « le Morano, le Ségolène, le Picasso ». Sa forme est celle, sans genre propre, qu'on trouve dans les pronoms indéfinis (quelque chose n'est jamais au féminin, pas plus que personne), et n'a sans doute rien à faire avec le genre des inanimés (hypothèse évoquée par Kleiber (1994 : 99), qui suggère ensuite (ibid.: 100, une forme de neutralisation); c'est aussi le même que pour les adjectifs nominalisés. C'est peutêtre, comme me l'a suggéré le linguiste gascon et catalan Joël Miró, l'équivalent rare en français de l'article neutre espagnol lo, qu'on trouve d'ailleurs dans les nominalisations d'adjectifs: lo blanco, « le blanc » ou plus exactement « ce qui est blanc ». Les quelques cas minoritaires d'accord au féminin sont forcés par une contamination de cet article le basique avec soit un la de notoriété, soit un la de familiarité plutôt dépréciative, comme on l'a constaté, et qui est associé au Np. L'analyse proposée ci-dessus de support de nominalisation, de cataphore de contenu nominal sans spécification de genre, sans interprétation ensembliste, est évidemment tout à fait adaptée ici. Les cas usuels d'emploi de l'article partitif, avec un nom commun normalement déterminé, voient apparaître les phénomènes d'accord et les possibilités d'emploi indépendant des formes le qui sont usuelles avec les noms communs. Il y a cependant une différence entre les deux constructions, nom propre et adjectif, dont témoigne l'élision, qui s'effectue toujours avec les adjectifs, et facultativement avec le nom propre. On ne dira jamais *c'est du épais pour c'est de l'épais, alors qu'on trouve c'est du Obama, c'est du Ionesco, c'est du Artaud. Il semble qu'avec l'adjectif, la construction soit directe, alors qu'avec un nom propre, il soit laissé la place d'un intermédiaire non prononcé, le nom propre n'étant pas directement interprétable comme une propriété nominalisée, un peu comme si on avait: c'est du X...de Np. Le hiatus en est le témoin3. Pour terminer, il reste un mot à dire sur l'association entre partitif et typicité. Il ne faut pas oublier que dans les deux cas, les objets du monde présentés sous cette forme sont des propriétés, comme on l'a souligné; donc, avec le partitif, des illustrations, des fragments, de la propriété. Les propriétés sont généralement gradables, en termes qualitatifs, et la typicité y figure comme, une sorte de domaine central; de plus, le domaine caractérisé par un Np étant fluctuant, les objets susceptibles d'y être inscrits demandent une adhésion qui n'est pas automatique, d'où l'insistance sur l'appartenance, marquée par le de partitif. Le partitif est indispensable pour les propriétés découlant du Np, et dans le cas de l'adjectif il renforce l'attribution de la qualité par une affirmation d'appartenance à la catégorie secondaire formée par cette qualité, au-delà des objets. Comme Kleiber l'a remarqué (1994: 107), la massivation renforce l'interprétation qualitative de l'objet, donc la typicité, dans le cas de noms communs, qu'ils soient nombrables (ça, c'est de la bagnole!) ou pas (ça, c'est de la laine!). Le partitif associé à la construction attributive met en évidence l'appartenance à la catégorie, donc oriente naturellement vers ses aspects les plus caractéristiques. Bibliographie FLAUX N. (2000). «Le nom propre et le partitif». Lexique 15. Lille : Presses du Septentrion, 93-116. GARY-PRIEUR M.N. (1990). «'Du Bach, du Colette': neutralisation du genre et recatégorisation des noms de personne». Le français moderne 58, 3-4, 174-189. GARY-PRIEUR M.N. (1994). Grammaire du nom propre. Paris : PUF. JONASSON K. (2016). «Le nom propre métonymique: massif et/ou comptable? Le cas du nom propre Zlatan en français et en suédois». Langue française 190, 121-136. KLEIBER G. (1994). Nominales, Essais de sémantique référentielle. Paris : Armand Colin. KLEIBER G. (2008). «Article partitif : une histoire vraiment ambiguë». In S. Reinheimer Ripeanu (éd), Studia Luinguistica in Honorem Mariae Manoliu, Bucarest : Editura Universitatii din Bucuresti, 152-163. LEEMAN D. (1998). «"C'est du joli!" Remarques sur un emploi d'adjectif dit "substantivé"». In D. Leeman, A. Boone (éds), Du percevoir au dire, Hommage à André Joly. Paris : L'harmattan, 221-233. NOAILLY M. (2016). «Faire du Np ou l'art du plagiat». Langue française 190, 109-120. WILMET M. (2016). «Ces noms communément appelés "propres" et improprement appelés "communs"». Langue française 190, 15-27. 3 Cela renforce l'hypothèse métonymiste, me fait remarquer G. Kleiber. Cela serait une trace syntaxique de l'incapacité du nom propre à désigner exactement le contenu, style, propriétés, caractère...dont il est l'auteur ou l'inspirateur.