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Maude Bonenfant
Des espaces d’appropriation
Des espaces d’appropriation
Maude Bonenfant, université du Québec à Montréal (UQAM)
L’espace de jeu affecte les utilisateurs. Mais il ne faut pas perdre de vue que les joueurs affectent, eux aussi, l’univers ludique.
D
evant un jeu vidéo 1, un néophyte dans le
domaine vidéoludique ne sait s’y retrouver.
À part le fait de reconnaître l’iconisme de
plusieurs représentations, l’organisation des signes visuels et
auditifs, tout comme la terminologie employée, semblent
incompréhensibles pour quiconque n’est pas initié à cet
univers ludique. Les jeux vidéo ont leur langage propre, ils
organisent leurs signes de manière particulière à partir de
règles énoncées plus ou moins explicitement (par les joueurs
et/ou les concepteurs) 2. Les signes sont présentés, disposés
et régulés spécifiquement et se voient accorder les mêmes
caractéristiques que tout autre langage : une stabilisation
des significations en même temps qu’une évolution constante dans leur formulation. Le jeu vidéo est un langage que
les joueurs connaissent et qui se transforme au fil des créations, des innovations, des usages.
L’apprentissage du langage vidéoludique dépend de la
construction de l’encyclopédie du joueur, c’est-à-dire de l’ensemble des connaissances et expériences d’un individu ou
d’une collectivité auxquelles l’individu se réfère pour construire le sens du monde qui l’entoure (Eco, 1984). Le joueur,
par ses expériences et ses connaissances du monde et du
jeu, construit sa propre encyclopédie qui sera sans cesse
réutilisée pour reconnaître, comprendre et interagir avec le
jeu. Plus les joueurs expérimentent les jeux vidéo, plus ils
acquièrent des connaissances leur permettant d’interpréter
le langage et d’agir sur le jeu. L’apprentissage du langage
vidéoludique s’avère donc essentiel d’un point de vue
cognitif et physiologique pour pouvoir « jouer le jeu » :
reconnaître les signes, savoir quoi en faire et être apte à les
utiliser grâce aux différents périphériques d’entrée
(manettes, clavier, souris, etc.).
L’encyclopédie est ainsi la base référentielle servant à l’apprentissage et à l’utilisation du langage des jeux vidéo
– de manière unique pour chacun –, la connaissance du
langage et son usage sont distincts. Le fait de connaître le
langage ne garantit pas ce que l’on en fera. Si la mise en
place des signes des jeux vidéo se trouve fixée par les
concepteurs, les rapports que le joueur entretient avec le
jeu sont, eux, imprévisibles. L’apprentissage progressif que
le joueur fait du jeu lui permet de l’utiliser pour ses propres
fins et plus le joueur maîtrise le langage des jeux vidéo,
plus il est en mesure de s’approprier le jeu tel qu’il le désire
en engageant des processus cognitifs et créatifs qui
peuvent garantir l’exercice de sa liberté. Le sujet, même
placé au cœur d’un cadre solide, se construit un espace de
jeu pour faire sien l’univers qui lui est présenté. La pratique
des joueurs définit ainsi ce que sont les jeux vidéo et ce,
dans un processus en constant devenir qui n’est pas (entièrement) contrôlé par les concepteurs (Malaby, 2007).
La définition
de l’espace d’appropriation
Une définition donnée au mot « jeu » est d’ailleurs l’interstice entre deux pièces, soit un espace libre encadré par
des barrières définies. Dans le monde vidéoludique, le
joueur est contraint par des règles et des limitations qui
régissent les frontières du jeu (cadre conceptuel, technologique, relationnel ou autres), mais, à l’intérieur de ces
bornes, existe un espace de mouvement nécessaire à l’existence du jeu où un va-et-vient dynamique stimule le
joueur, le poussant à poursuivre l’exercice du jeu. Si le
joueur ne devait obéir qu’à des impératifs prédéterminés,
sans avoir aucune latitude pour proposer des choix ou
laisser aller le hasard, par définition, il n’y aurait pas de
jeu. Le jeu est nécessairement basé sur l’incertitude du
résultat final et le joueur possède une marge à l’intérieur
de laquelle il peut influencer son expérience de jeu. La
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définition même du jeu, telle qu’elle est proposée par
Colas Duflo, est ainsi « l’invention d’une liberté dans et par
une légalité 3 ». L’espace de liberté est l’espace de jeu
comme tel, soit l’espace d’appropriation.
L’espace d’appropriation est un lieu de formulation et de
construction du sens où le joueur perçoit, interprète et
évalue le jeu avant d’interagir avec les éléments du jeu.
L’espace d’appropriation est donc l’espace de liberté
permettant au joueur de devenir le créateur de sa propre
expérience ludique. Le mot appropriation signifie d’ailleurs
« l’état de ce qui est adapté à quelque chose 4 » et l’action
d’approprier est « de rendre propre à un usage, à une destination 5 ». L’appropriation est en fait un espace plus ou
moins créatif du sujet pour interpréter le monde et éventuellement l’adapter (plus ou moins consciemment) à son
usage. Dans l’espace de l’appropriation se déroule le
processus de médiation : le monde est interprété à partir
du point de vue du sujet, à partir de sa propre encyclopédie. Le sujet n’est pas un simple relais dans le monde,
mais devient un hybride (Latour, 1991) qui aménage les
représentations qui y circulent.
L’espace d’appropriation rend possible non seulement le
déploiement du jeu puisque, par définition, il permet l’existence d’un espace de jeu (de mouvements) mais, de plus, il
permet les détournements de sens et d’utilisation. Le détournement de sens s’opère lors de l’interprétation : un sens
second se substitue au sens initial voulu, par exemple par les
concepteurs, ou le modifie. Au contraire, le détournement
d’utilisation n’est pas provoqué par une interprétation singulière, mais bien par l’usage second d’un élément qui ne
possédait pas cette fonction initialement. Le joueur considère soit la fonction des éléments, soit leur nature – ce qui
lui permet alors de les détourner de leur fonction initiale.
Ces façons de s’approprier le jeu qui, souvent, ne sont pas
prévues par les concepteurs et éditeurs de jeux, permettent
un équilibre entre ce que le jeu propose et la façon dont le
joueur en dispose. Grâce à cet espace de liberté, le joueur
singularise son expérience ludique, car il s’investit dans un
espace de jeu où il trouve la latitude nécessaire pour se réaffirmer en tant qu’être humain. Si un cadre borne l’interprétation et l’usage, le joueur est toujours libre de « jouer le
jeu » et de faire ce qu’il veut de ce jeu.
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L’étendue de l’espace
d’appropriation
L’étendue du cadre du jeu définit en partie la superficie de
l’espace d’appropriation. Certains jeux offrent peu
d’espace de jeu (comme, par exemple, Tétris) alors que
d’autres jeux offrent un espace très vaste (comme, par
exemple, World of Warcraft). En outre, l’évolution des jeux
vidéo de certains genres, comme les jeux dits d’action,
d’aventure, les jeux de rôle et les jeux sportifs, tendent
majoritairement vers une expansion de cet espace d’appropriation – c’est-à-dire un élargissement du « possible »
et du « virtuel », au sens deleuzien des termes. Il y a davantage de possibilités interactives (le possible) et de puissance créatrice (le virtuel) dans World of Warcraft que
dans Tétris. Alors que, d’un côté, le joueur se voit offrir une
aire de jeu préalablement codifiée et portant en elle sa
propre structure dont plusieurs éléments se présentent
comme inaltérables, d’un autre côté, le joueur a la possibilité de délimiter lui-même le cadre du jeu par le développement d’aptitudes et d’attitudes lui permettant de
s’approprier le jeu grâce au possible et au virtuel du jeu.
Il doit donc y avoir une certaine part de volonté (consciente ou inconsciente) de la part du joueur d’interpréter
le jeu, de suivre les règles ou de les transformer. Or, même
en suivant les règles à la lettre, le joueur donne forme au
jeu et rend possible l’existence même du jeu. Le joueur
affecte le jeu, mais est aussi affecté par le jeu d’une
manière qui n’est jamais statique. Son expérience de jeu,
d’une partie à l’autre, d’une fois à l’autre, ne sera jamais
la même, car l’encyclopédie (perceptuelle, conceptuelle et
affective) du joueur évolue et, donc aussi, l’interprétation
qu’il fera du jeu : cette expérience de jeu est indissociable
des autres expériences qui forment l’individu. En ce sens,
et pour reprendre le même exemple, World of Warcraft est
plus susceptible d’être affecté et d’affecter le joueur que
Tétris, par le fait même que World of Warcraft présente
plus de cas d’appropriation.
Des exemples d’appropriation
Tous les jeux vidéo offrent un espace d’appropriation
– qu’il soit restreint ou large – et plusieurs cas démontrent
explicitement une appropriation originale faite par des
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joueurs. Ces actes d’appropriation peuvent s’exprimer dans
une perspective purement ludique, mais aussi esthétique,
éthique, sociale, politique et économique, ceux-ci contribuant à construire la culture ludique dans laquelle ils s’inscrivent. Le joueur s’approprie les éléments du jeu d’abord
pour améliorer son expérience vidéoludique, mais parfois
aussi pour amuser la communauté des joueurs. Ainsi, parallèlement à la croissance de popularité des sites d’échange
de vidéos tel que YouTube, une des appropriations actuellement très populaires chez les joueurs est de produire de
courts films à l’intérieur des univers des jeux vidéo et de les
diffuser sur l’Internet. L’intérêt de ces vidéos réside, pour le
spectateur, dans leur aspect humoristique et/ou dans le
degré de difficulté à les réaliser. Ainsi, à partir du jeu World
of Warcraft, Bionic (pseudonyme du joueur) a produit une
vidéo sur la chanson I am too sexy de Right Said Fred et
selon la plus pure tradition des vidéoclips 6. Dans cette
vidéo, l’avatar, c’est-à-dire le personnage, se promène et
danse au rythme de la musique, accompagné par des
avatars de sexe féminins qui semblent impressionnées par
cet « homme trop sexy ». La codification des vidéoclips est
reprise et adaptée à l’univers des jeux vidéo et le jeu
devient le « studio » de production d’un apprenti chanteur.
Dans le même ordre d’esprit, le jeu Half Life 2 a servi de
toile de fond à un joueur pour former un domino géant à
l’intérieur même de l’espace de jeu 7. Le joueur a ramassé
des objets du jeu (portes, pneus, barils, etc.) et, en tirant
un coup de feu initiateur, a mis en branle, via son avatar,
le domino. En suivant le mouvement des objets avec son
avatar, le joueur a enregistré cet exploit puis l’a diffusé sur
l’Internet. Il a ainsi fait un usage inusité des objets en 3D
présents pour le jeu en les détournant de leur fonction
initiale d’éléments scénaristiques. Un autre joueur,
présenté sous le pseudonyme de Lytha, avait précédemment réalisé un « exploit » similaire dans le jeu Thief II 8.
Pour pouvoir se rendre sur le toit d’un bâtiment, le joueur
a pris vingt-sept caissons présents dans un tableau du jeu
pour les empiler les uns au-dessus les autres et pour y
grimper avec son avatar. Lytha s’est ainsi rendu dans un
lieu du jeu supposé inaccessible, simplement pour avoir la
satisfaction de s’y être rendu et de voir ce que les concepteurs avaient prévu comme décor à cet endroit.
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Si ces exemples sont plutôt à caractère ludique, d’autres
exemples ont une portée principalement artistique. Par
exemple, le projet Blinkenlights de Berlin 9, en 2001
et 2002, a permis à des joueurs possédant un téléphone
portable de jouer à Pong sur un immeuble : des lumières
s’allumaient et s’éteignaient selon les commandes passées
par les joueurs avec les touches de leur portable, reproduisant ainsi le jeu. Ce projet grandiose explorait les possibilités interactives des nouvelles technologies, entre autres
avec le langage des jeux vidéo. L’artiste Guillaume
Reymond réalise, quant à lui, « la plus grande partie de
Space Invaders de la planète 10 » à l’été 2006 à Fribourg,
en Suisse. Avec soixante-sept figurants servant de « pixels »
au jeu, les vaisseaux et projectiles du jeu sont reproduits
dans une salle de spectacle, les humains se déplaçant au
rythme du scénario du jeu. Le résultat est diffusé sous la
forme d’un court-métrage et remet en question la nature
des pixels dans le langage des jeux vidéo. Guillaume
Reymond et les artistes de Blinkenlights ont ainsi détourné
le sens initialement donné à ce type de jeu pour dépasser
le simplisme de leurs règles dans une mise en scène
extraordinaire. Pong devenait un objet de la ville que tous
les quidams pouvaient observer et, dans Space Invaders,
l’humain devenait le corps même du jeu.
D’autres formes d’appropriation sont des manifestations
politiques (au sens large du terme, soit du « vivre
ensemble ») dont la visée est soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du jeu. Dans certains jeux de rôle joués en réseau,
des joueurs se rassemblent, grâce à leur avatar, pour
protester contre une situation, exactement à la manière de
manifestants sortant dans les rues. Ainsi, en 2000, les
joueurs du jeu Venise se sont donné rendez-vous à une
heure précise dans un endroit du jeu pour manifester,
auprès de l’éditeur du jeu, la compagnie Cryo, leur mécontentement par rapport aux bogues et incohérences de ce
jeu 11. Plus récemment, les joueurs de Second Life manifestaient devant le bureau pixellisé que le Front National a
ouvert dans le jeu pour démontrer leur désaccord quant à
la position adoptée par ce parti politique 12. Second Life est
d’ailleurs la nouvelle aire de jeu pour l’exploration des
nouvelles formes d’appropriation. On a même parlé des
premiers actes de « terrorisme » dans ce jeu…
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En fait, plusieurs des joueurs expérimentés, surtout s’ils
apprécient le jeu, tenteront toutes les manœuvres possibles
pour évaluer jusqu’où les concepteurs sont allés dans la
création du jeu. Ils exploreront toutes les possibilités interactives, y compris les bogues... Ainsi, des joueurs bien
malins ont découvert, dans le jeu Team Fortress (un mod
basé sur l’engin de Quake), une faille leur permettant, s’ils
choisissaient la classe d’avatar des soldats, de franchir des
distances « anormalement grandes » en profitant de l’onde
de choc de grenades qu’ils faisaient exploser en direction
d’un mur ou d’un ravin (ce que les joueurs ont appelé le
conc jumping) 13. Inutile de dire que les joueurs usant de ce
truc possédaient alors un avantage indéniable sur l’autre
équipe. Cette appropriation s’est d’ailleurs répandue dans
plusieurs jeux et a suscité bien des débats à caractère
éthique : sommes-nous confrontés à un usage acceptable
ou à une tricherie ? Certains ont jugé la situation comme
contrevenant aux règles du jeu alors que d’autres lui ont
fait honneur, dont les concepteurs de Team Fortress II qui
ont inclus cette fonctionnalité dans la deuxième version du
jeu.
Il est intéressant de constater que les appropriations originales faites par les joueurs sont souvent reprises par les
concepteurs et les éditeurs de jeux vidéo dans les versions
subséquentes des jeux. Par exemple, dans le jeu EverQuest I,
les joueurs ont commencé à effectuer du troc et de la
vente d’objets possédés dans le jeu, développant du même
coup une facette économique au jeu (l’appropriation à
caractère économique n’est pas en reste !). Sony, l’éditeur
du jeu, a alors mis en place, pour EverQuest II, la plateforme Station Exchange 14, « the official secure marketplace for EverQuest II players 15 », inspirée par le célèbre
eBay. L’éditeur de jeu s’est, à son tour, « approprié l’appropriation » faite par les joueurs de ce jeu. Les vases sont
communicants et l’échange entre les concepteurs et les
joueurs est constant : les concepteurs proposent de
nouveaux environnements vidéoludiques 16 et les joueurs,
par leur usage des jeux, définissent en partie ce que sera
le développement des prochaines générations de jeux.
L’espace d’appropriation permet des actions à petite
échelle ayant potentiellement des effets à grande échelle.
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Comment fonctionne
l’appropriation ?
Tous ces exemples ne constituent pas des exceptions ou de
rares manifestations de l’appropriation dont les joueurs
font preuve, mais représentent bien la manière dont la
communauté des joueurs utilise les jeux pour leurs propres
fins. À l’intérieur du cadre qui lui est offert, le joueur occupe
une place centrale où son pouvoir décisionnel détermine en
partie ce que sera le jeu. Le joueur a un pouvoir sur le jeu,
le pouvoir étant entendu au sens que lui donne Foucault,
c’est-à-dire comme « la multiplicité des rapports de force qui
sont immanents au domaine où ils s’exercent, et sont constitutifs de leur organisation 17 ». Le joueur a parfois un
pouvoir sur le jeu et le jeu a parfois un pouvoir sur le joueur.
Seul ce déplacement des relations de pouvoir permet au jeu
de s’élaborer : le joueur trouve un certain plaisir à se laisser
mener par le jeu ou à mener le jeu.
Ce déplacement des relations de pouvoir est permis seulement si le joueur et le jeu (via les concepteurs et les autres
joueurs) possèdent une certaine forme de liberté : « Le
pouvoir ne s’exerce que sur des “sujets libres”, et en tant
qu’ils sont “libres” — entendons par là des sujets individuels
ou collectifs qui ont devant eux un champ de possibilité où
plusieurs conduites, plusieurs réactions et divers modes de
comportement peuvent prendre place 18. » Ainsi, le joueur a
une liberté d’interprétation et d’action qu’il exerce dans
l’espace d’appropriation du jeu grâce au renversement
possible des rapports de force entre, d’une part, l’ordre du
jeu et, d’autre part, le joueur qui semble y être soumis.
Comme le propose Michel de Certeau dans L’Invention du
quotidien (1980), les individus ne sont jamais entièrement
soumis à l’ordre établi. Les individus « fabriquent » les
usages et ce qu’ils font des produits (au sens large) se soustrait au système de production. En fait, De Certeau met en
lumière cet écart entre la production de l’image et les
procès d’utilisation, écart où les individus développent leurs
« manières de faire » : « Ces “manières de faire” constituent
les mille pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l’espace organisé par les techniques de la production
socioculturelle 19 ». Autant de ruses, de tactiques, de procédures qui échappent aux « structures technocratiques » et
que l’individu développe pour s’approprier le monde de
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façon originale – pour créer du « jeu ». On croit souvent que
Foucault (Michel), Histoire de la sexualité, tome 1 : La
les usagers – comme les joueurs – sont passifs et soumis à
Volonté de savoir, Paris : Gallimard, coll. « Tel », 1994 [1976].
la discipline des produits consommés. Pourtant, de
Latour (Bruno), Nous n’avons jamais été modernes. Essai
Certeau, en se basant sur Foucault et Bourdieu, expose la
d’anthropologie symétrique, Paris : La Découverte/Poche,
manière dont les pratiques populaires de créativité quoti-
coll. « Sciences humaines et sociales », 1997 [1991].
dienne constituent la contrepartie des encadrements de la
Malaby (Thomas M.), « Beyond Play : a new approach to
« mégalopole électronicisée et informatisée ». L’individu s’immisce dans les « marges de manœuvre » que l’ordre établi
semble lui imposer : « [l’individu] se crée un espace de jeu
games in games and culture », Sage publications, vol. 2,
no 2, avril 2007, p. 95 à 113.
pour des manières d’utiliser l’ordre contraignant 20 » et ce, en
Notes
faisant résonner cet ordre sur un autre registre.
1. Par « jeu vidéo » est entendu tout jeu conçu expressément pour un
support électronique. Sont donc exclus les jeux qui sont des versions
numériques de jeux de carte, de table, de hasard, etc.
2. Le mot « langage » n’est pas synonyme de « langue » et son sens est
celui donné par Ferdinand de Saussure : le langage est un système de
signes (Cours de linguistique générale, Paris : Payot, coll. « Grande bibliothèque Payot », 1995 [1916], p. 33).
3. Duflo (Colas), Jouer et philosopher, Paris : Presses universitaires de
France, coll. « Pratiques théoriques », 1997, p. 57.
4. Le Grand Robert de la langue française, Paris, 2001 [1951-1966].
5. Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Paris, 2000
[1992].
6. World of Warcraft too sexy, http://www.youtube.com/
watch?v=ePx57vkg5zI (consulté le 24 mai 2007).
7. Half Life 2 Dominos, http://www.break.com/index/halfdomino.html#
(consulté le 24 mai 2007).
8. Roof Climbing – Reaching the “Impossible”, http://
www.lytha.com/thief/t2demo/roof.phtml, (consulté le 24 mai 2007).
9. http://www.blinkenlights.de/interactive.fr.html
10. Game Over Project – Space Invaders, http://www.notsonoisy.com/
spaceinvaders/ (consulté le 24 mai 2007).
11. Le journal L’Alsace Multimédia rapportait le fait en 2004 (le lien
électronique est aujourd’hui disparu).
12. Marie Lechner, Manifs anti-FN sur Second Life, http://
www.ecrans.fr/spip.php?article681, publié le 11 janvier 2007 (consulté
le 24 mai 2007).
13. Killjoy’s Corner – Concing guide, http://killjoy.planetfortress.
gamespy.com/ concguide1.htm, (consulté le 24 mai 2007).
14. http://stationexchange.station.sony.com/
15. « Le marché officiel et sécuritaire pour les joueurs de EverQuest II »
(notre traduction).
16. Les concepteurs ont d’ailleurs bien compris ce type d’appropriation
des joueurs et placent parfois à des endroits plus ou moins cachés des
« œufs de Pâques » (easter eggs). Ces « clins d’oeil » ou caméos placés ici
et là dans les jeux vidéo peuvent prendre des formes diverses tels que
des messages, des dessins, des sons, etc. que seuls les « initiés » découvrent et comprennent. Par exemple, dans une version du jeu The Legend
of Zelda – Ocarina of Time, un avion du jeu StarFox y a été introduit
(Zelda vs Star Fox, http://www.gamespot.com/pages/filter/
video_player.php ? id=dyMzljTx5bsKvzDc, consulté le 24 mai 2007).
17. Foucault (Michel), Histoire de la sexualité, tome 1 : La Volonté de
savoir, Paris : Gallimard, coll. « Tel », 1994 [1976] p. 121-122.
18. Foucault (Michel), « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits II (19761988), Paris : Gallimard, coll. « Quarto », 2001 [1982], p. 1056.
19. De Certeau (Michel), L’invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire
(nouvelle édition), Paris : Union Générale d’Éditions, coll. 10/18, 1980,
p. 14.
20. Ibid., p. 77.
Ainsi, l’interprétation et l’utilisation que fait le joueur des
jeux vidéo sont toujours garantes de la « marge de
manœuvre » que le joueur s’approprie, même si le jeu
semble être, a priori, un système contraignant et totalement imposé par les concepteurs. Le jeu ne sera pas entièrement transformé par les pratiques du joueur (là n’est
certainement pas l’objectif, sinon, pourquoi jouer ?), mais
il sera certainement adapté à la signification que le joueur
lui donnera et à l’usage qu’il en fera. Le joueur est la condition du jeu (de la forme que le jeu prendra lors de son
actualisation) mais, en même temps, il faut demeurer
lucide : le jeu conditionne aussi le joueur à une certaine
forme d’expérience ludique...
Bibliographie
Certeau (Michel de), L’invention du quotidien, tome 1 :
Arts de faire, Paris : Union Générale d’Éditions, coll.
10/18, 1980.
Saussure (Ferdinand de), Cours de linguistique générale,
Paris : Payot, coll. « Grande bibliothèque Payot », 1995
[1916].
Duflo (Colas), Jouer et philosopher, Paris : Presses universitaires de France, coll. « Pratiques théoriques », 1997.
Eco (Umberto), « Dictionnaire versus encyclopédie » in
Sémiotique et philosophie du langage, Paris : PUF, coll.
« Quadrige », 2002 [1984 (Semiotica e filosofia del
linguaggio)], p. 63 à 87.
Foucault (Michel), « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits
II (1976-1988), Paris : Gallimard, coll. « Quarto », 2001
[1982], p. 1041 à 1062.
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