Sans titre: Roman
Par J.P. von Schramm
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À propos de ce livre électronique
Boris, un jeune artiste à la veille de son exposition « Dura lex silex » (101 pénis sculptés pour dénoncer la tentation imbécile de la reproduction et de l’eugénisme) et après l’échec de la précédente en hommage aux « Merdes de Manzoni », s’interroge sur sa mission d’artiste et sur la recherche du « magnum opus « .
Et si le crime parfait était l’œuvre d’art suprême et la scène de crime, l’installation ultime ?
Boris est prêt à se damner dans cette quête artistique où le sexe et la mort sont étroitement liés. Mais on ne s’improvise pas artiste-assassin. C’est comme boulanger-pâtissier ou comme tous ces métiers associés, c’est toujours le second qui pêche.
Entre questionnements d'un artiste sur la place du sexe dans la société et la forme de l'oeuvre d'art parfaite, découvrez le récit d'un artiste hors du commun.
EXTRAIT
Boris se retourne dans lit, bâille en s’étirant. Il y a pensé toute la nuit, il s’est rêvé en Succo, en Bronson justicier et en ange exterminateur. Mais le réveil douche : on ne s’improvise pas tueur et encore moins artiste-assassin. D’ailleurs dans les emplois doubles, il y a toujours l’un des deux à la peine. Le boulanger-pâtissier réalise des glaçages et des pochages approximatifs, le charcutier-traiteur fait des vol-au-vent pâteux.
Avant d’imaginer le crime parfait, il convient donc, primo de s’assurer de sa détermination et de sa capacité à tuer et, gageure excitante, à déjouer les repérages. Secundo de choisir la victime idéale, celle qui sublime l’acte. Tertio, de déterminer le lieu, le mode opératoire et la mise en scène.
Pour le premier point, il faudrait s’entraîner en se plaçant dans les conditions réelles du crime en sacrifiant un cobaye.
Pour le second point, le crime doit être gratuit. Les crimes inspirés par la jalousie ou la haine sont hautement vulgaires et détestables.
Enfin, la scène de crime doit être soignée comme un plan de Jeunet.
Boris a dû mettre la tête sous l’oreiller pour parachever sa réflexion en présélectionnant trois candidats à la consécration ultime. Pour rire. Pour dire. Car, au-delà du fantasme qui pimente ses rêves, tout cela reste, pour l’instant, une construction intellectuelle destinée à entretenir le désir de toute-puissance de l’artiste. Et à conjurer l’échec prévisible de son expo.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien professeur de lettres spécialiste de théâtre et d’art contemporain, J-Paul von Schramm entend faire mentir l’adage selon lequel les professeurs enseignent ce qu’ils ne sont pas capables de faire eux-mêmes.
Il tient particulièrement à l’appellation « roman » : son texte est beaucoup plus une initiation à l’art contemporain qu’une œuvre érotique et il ne voudrait pas attirer un lectorat réduit, qui ne s’y retrouverait pas.
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Aperçu du livre
Sans titre - J.P. von Schramm
VON SCHRAMM
SANS TITRE
ROMAN
Cet ouvrage a été composé par les Éditions Encre Rouge
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7, rue du 11 novembre – 66680 Canohes
Mail : contact.encrerouge@gmail.com
ISBN papier : 978-2-37789-158-0
L’art moderne nous oblige à comprendre ce que c’est qu’une vérité qui ne ressemble pas aux choses, qui soit sans modèle extérieur, sans instruments d’expressions prédestinés, et qui soit cependant une vérité.
(M. MERLEAU-PONTY)
1
⸺ Et pourquoi celui-là il n’a pas de titre ?
⸺ Si, il a un titre.
⸺ Non : regarde, c’est écrit « Sans titre » !
⸺ C’est son titre.
⸺ Pardon ?
⸺ « Sans titre », c’est son titre.
⸺ Excuse-moi, mais « Sans titre », ça veut dire qu’il n’y a pas de titre, quand je prends du pain sans gluten, c’est qu’il n’y a pas de gluten !
⸺ Regarde le tableau d’avant… en-dessous, c’est écrit « Cadillac Moon », eh bien là en-dessous sur le cartel c’est écrit « Sans titre », c’est un titre au même titre que … à l’instar de « Cadillac Moon »…
⸺ Alors si « Sans titre » c’est son titre, comme tu dis, tu peux peut-être m’expliquer ce qu’il signifie ?
⸺ Un titre n’est pas forcément là pour expliquer l’œuvre, pour orienter le regard…
⸺ C’est quand même important de connaître l’intention de l’artiste… là, je trouve ça limite désinvolte, et même un peu méprisant, du genre débrouillez-vous pour comprendre ce que le grand maître a voulu exprimer…
⸺ Non, c’est le contraire. C’est une marque de respect. Mieux : un cadeau. En refusant de t’influencer, il te propose d’entrer dans son œuvre, de partager ainsi sa création…
⸺ Tu parles ! Il n’avait peut-être pas d’inspiration ce jour-là… enfin, je veux dire, pour trouver les mots…
⸺ Le titre est secondaire. D’ailleurs, tu remarqueras qu’il n’est jamais à la hauteur du regard…
⸺ D’accord, tu n’es pas obligé de le regarder en premier, mais il t’offre souvent un éclairage qui peut te permettre ensuite de reconsidérer le tableau, non ?
⸺ Non ! Le risque c’est que l’œuvre finisse par illustrer le titre… C’est Duchamp qui disait que ce sont les regardeurs qui font les tableaux… Pas les titres !
⸺ Duchamp ! Il y avait longtemps que tu ne me l’avais pas sorti celui-là ! On ne peut pas discuter avec toi, tout ce que tu veux, c’est avoir le dernier mot !
⸺ Bon, on peut passer à la salle suivante, maintenant ?
⸺ C’est sur quoi ?
⸺ Ça s’appelle « Dos Cabezas », c’est sur sa collaboration avec Warhol.
⸺ Là, au moins, il y a un titre !
⸺ Je crois que je vais m’acheter le tee-shirt des deux en boxeurs…
⸺ Tu ne le mettras pas. Avec quoi tu pourrais le mettre ?
⸺ Chais pas. Je trouverai. Cet été avec mon costume en lin noir, par exemple…
⸺ Franchement, je sais déjà ce que tu vas me répondre, mais là, quand je regarde Bananas ou Pole Star, excuse-moi, je ne vois pas où est l’art…
⸺ Donc ce n’est pas la peine que je te réponde, on a déjà eu ce débat…
⸺ Ce n’est pas contre Basquiat en particulier, ni contre toi, mais je ne suis pas réceptive à l’art contemporain, c’est comme ça, probablement que je n’ai pas une culture artistique suffisante pour pouvoir apprécier…
⸺ Je ne t’ai pas forcée à m’accompagner.
⸺ Je pensais que ça te ferait plaisir…
⸺ Je ne pensais pas que c’était une corvée pour toi.
⸺ Non, ce n’est pas le cas, c’est juste que là je n’arrive pas à accrocher et j’en suis désolée pour toi…
⸺ C’est vrai que ce n’est pas très agréable de visiter une expo d’un artiste qu’on aime avec dans son dos quelqu’un qui n’apprécie pas son œuvre … La prochaine…
⸺ Ce n’est pas toujours le cas, reconnais-le. La dernière fois, l’expo sur la narration figurative…
⸺ La figuration narrative…
⸺ Si tu veux, eh bien j’avais adoré… Arroyo, Monory… mais l’idée que « tout est art » …
⸺ Si tu parles de l’expo de Ben de l’an dernier, pour une fois je suis d’accord avec toi, dire que « tout est art » est une connerie… tout n’est pas art.
⸺ Oui, il y a des performances, des happenings, comme on dit, on se demande si…
⸺ C’est vrai qu’on a affaire parfois à des imposteurs… mais il y a un happening qui est une œuvre d’art, l’œuvre d’art suprême, absolue, ultime… le magnum opus…
⸺ C’est quoi ?
⸺ C’est celui qui aboutit à la Mort, avec un grand M, le suicide d’abord…
⸺ C’est affreux !
⸺ Et puis, le plus excitant, le crime parfait…
⸺ Un crime, ça ne peut pas être une œuvre d’art !
⸺ Oh que si ! Si la conception, le mode opératoire, la mise en scène et le choix de la victime sont remarquables…
⸺ Je suis désolée, un crime c’est un crime. On ne peut pas tuer quelqu’un pour la beauté du geste. Il n’y a pas de beauté du crime…
⸺ Je te parle d’art. Pas de beauté. L’art est entré depuis longtemps dans une période d’entropie esthétique…
⸺ Ça y est, les grands mots !
⸺ Et puis je ne te parle pas d’un crime ordinaire…
⸺ Ça change quoi ?
⸺ Ça change tout ! La victime participe de l’excellence de l’œuvre.
⸺ Et elle est choisie comment ?
⸺ Première règle : la victime doit être un proche…
⸺ On tue quelqu’un qu’on aime, c’est absurde !
⸺ Tu aimes tous tes proches, toi ?
⸺ En tout cas, il ne me viendrait pas à l’idée d’en tuer un !
⸺ Un proche ou un personnage emblématique…
⸺ Une sorte de Marat, tu veux dire ?
⸺ Si tu veux. Seconde règle : l’artiste doit être le premier suspect parce que l’œuvre doit être signée.
⸺ Et il passe le restant de ses jours en prison…
⸺ Non ! Son crime est parfait. On sait que c’est lui, mais on ne peut rien prouver. C’est ça qui est artistique !
⸺ Non, là tu me parles de vice et d’ingéniosité…
⸺ Décidément, chérie, tu ne comprends rien à l’art !
2
Boris se retourne dans lit, bâille en s’étirant. Il y a pensé toute la nuit, il s’est rêvé en Succo, en Bronson justicier et en ange exterminateur. Mais le réveil douche : on ne s’improvise pas tueur et encore moins artiste-assassin. D’ailleurs dans les emplois doubles, il y a toujours l’un des deux à la peine. Le boulanger-pâtissier réalise des glaçages et des pochages approximatifs, le charcutier-traiteur fait des vol-au-vent pâteux.
Avant d’imaginer le crime parfait, il convient donc, primo de s’assurer de sa détermination et de sa capacité à tuer et, gageure excitante, à déjouer les repérages. Secundo de choisir la victime idéale, celle qui sublime l’acte. Tertio, de déterminer le lieu, le mode opératoire et la mise en scène.
Pour le premier point, il faudrait s’entraîner en se plaçant dans les conditions réelles du crime en sacrifiant un cobaye.
Pour le second point, le crime doit être gratuit. Les crimes inspirés par la jalousie ou la haine sont hautement vulgaires et détestables.
Enfin, la scène de crime doit être soignée comme un plan de Jeunet.
Boris a dû mettre la tête sous l’oreiller pour parachever sa réflexion en présélectionnant trois candidats à la consécration ultime. Pour rire. Pour dire. Car, au-delà du fantasme qui pimente ses rêves, tout cela reste, pour l’instant, une construction intellectuelle destinée à entretenir le désir de toute-puissance de l’artiste. Et à conjurer l’échec prévisible de son expo.
⸺ Bien dormi ?
⸺ Déjà levée ?
⸺ Oui. Je t’attendais pour qu’on prenne le p’tit-déj’ ensemble…
⸺ Sympa.
⸺ Dis donc, qu’est-ce que tu as bougé cette nuit !
⸺ Normal, j’ai dû trucider la moitié de la ville ! Les abrutis qui ne comprendront rien à mon expo et les cons qui ne viendront pas la voir.
⸺ C’est sûr que ça fait du monde !
⸺ Je te remercie de croire en moi à ce point ! Ça fait plaisir !
⸺ Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Mais de là à vouloir tuer… Je te trouve morbide en ce moment…
⸺ Tu te rappelles l’expo Monory, l’été dernier à Landerneau ?
⸺ Bien sûr. J’avais adoré son univers…ce bleu…
Jennifer est passée depuis peu à la biscotte sans sel-beurre allégé. Boris, levé tard, a jusque-là réussi à échapper au terrible concassage.
Les biscottes sans sel ne craquent pas comme les autres. C’est moins sec, moins brutal, comme si un croquant moins cassant devait rassurer l’hyposodé. Après un premier craquement masticatoire, comprenant combien il peut altérer la conversation et agacer l’interlocuteur, Jennifer place délicatement la biscotte dans sa bouche sans la croquer, attendant que la salive l’imbibe suffisamment pour la broyer en douceur, comme ruminant, puis l’aspirer d’un coup de menton avec un léger bruit de succion.
Un cérémonial de mastication étouffée avec ce mâchonnement écoeurant qui lui vaut aussitôt de compléter le tiercé des prétendants à l’onction suprême. Première sur la liste d’attente.
Mais le classement n’est pas définitif, elle peut encore décrocher le rôle-titre.
⸺ Toi qui aimes les titres, tu te rappelles celui du compte rendu de la presse locale ?
⸺ Non.
⸺ « Monory le peintre-assassin » à cause de sa série Meurtres…
⸺ Ça ne veut pas dire que le crime est une œuvre d’art ! Je ne comprends pas pourquoi cette idée t’obsède… toi qui as horreur de la violence…
⸺ Si tu te rappelles, il y avait aussi une citation de lui, qui disait que l’œuvre d’art doit être comme un crime parfait…
⸺ Je me rappelle surtout qu’on s’était fâchés après, parce que je t’avais dit que ça ressemblait parfois à de la bande dessinée…
⸺ Tu aimes vraiment les biscottes sans sel, ça ne doit pas avoir de goût… ?
⸺ J’hésite, je vais peut-être passer aux petits pains grillés suédois…
⸺ Les Krisp … machin ? Les trucs crispants ?
⸺ Oui, j’ai vu qu’ils en font maintenant à la cardamone !
⸺ … mome !
⸺ Tu es sûr ? Je crois qu’on peut dire les deux, non ? A propos, je te rappelle que mes parents viennent déjeuner…
⸺ Encore ?
⸺ Cette fois-ci, c’est pour l’anniversaire de Papa…
⸺ Tu leur fais quoi ?
⸺ J’ai prévu un filet de bœuf en croûte avec des pommes soufflées… Tu pourras aller chercher le pain et des pâtisseries ? Et t’occuper du vin ?
⸺ Qu’est-ce que je ne ferais pas pour tes parents !
⸺ Pour les pâtisseries, tu prends des éclairs pour mes parents, un au café, un au chocolat, un truc aux fruits pour moi, pour toi, tu vois…
⸺ Ok.
Boris se frotte les mains : finalement voici une visite qui va lui permettre d’examiner de près une victime potentielle, d’évaluer ses dispositions de martyr et de confirmer sa présence dans le tiercé gagnant. Ou de la déclasser.
⸺ Tu me promets, tu ne parles pas de politique…
⸺ Même s’il me cherche sur Mélenchon ?
⸺ Même. Et on ne parle pas non plus des migrants …
⸺ Même si ta mère les traite de terroristes ? On pourra parler de la météo ? Ils sont vachement balèzes là-dessus…
⸺ Ecoute, c’est l’anniversaire de mon père… Je te demande de faire un effort, pour une fois.
⸺ Promis. Tu lui offres quoi ?
⸺ Un livre sur la chasse en Russie.
⸺ Ah, j’avais oublié ! Il chasse, en plus !
Ce sont des spécialistes de la dégustation de l’éclair. Des années de pratique. Ils procèdent avec un étonnant mimétisme. D’abord ils observent les deux extrémités de l’éclair. Leur œil exercé perçoit en deux secondes les infimes défauts, ici le glaçage est un peu plus terne, là le soubassement du chou est moins régulier. Une fois choisi le bout le mieux formé, celui que la bouche va entamer, l’index et le pouce en tenaille, avec un synchronisme parfait, ils pincent la barquette, ouvrent grand la bouche et l’introduisent avec précaution, pas plus de deux centimètres. La mâchoire, prognathe, se referme du bas vers le haut. Elle mord le bas d’abord pour apprécier le moelleux de la pâte à chou puis imprime les dents dans le glaçage avant de presser le fondant dans le palais et de remâcher le mélange des textures.
Captivé et écœuré par le spectacle, Boris décide que c’est celui des deux qui finira son éclair le dernier qui aura droit à sa place sur le podium. Il reste attentif au final, le café semble avoir pris un léger avantage sur le chocolat mais ça va se jouer à rien. Il faudra peut-être même la photo-finish pour les départager !
⸺ Tu ne manges pas ton baba, Boris ?
3
Boris se dit que quelle que soit la victime, de la mère ou du père, Jennifer, -celle qui s’est léché les doigts étant revenue au score- il rendra service au survivant. Cependant, il n’est plus certain qu’ils méritent de participer à une telle œuvre d’art. D’une part, il se suspecte de trouver un certain plaisir à leur disparition, ce qui dénature l’entreprise. D’autre part, ne manquent-ils pas d’envergure pour être les acteurs d’un projet aussi ambitieux ?
⸺ Ça s’est bien passé ! Tu vois, quand tu y mets du tien… Tu l’as trouvé comment mon rôti ?
⸺ Rôti.
⸺ Il n’était pas bon, ton baba, tu l’as à peine touché ?
⸺ Bof…
⸺ Je les ai trouvés plutôt en forme tous les deux, non ?
⸺ Tu préfères ton père ou ta mère ?
⸺ Elle est bête ta question ! On ne peut pas préférer…
⸺ Je te pose la question différemment : qui de ta mère ou ton père te manquerait le plus… je veux dire si l’un des deux venait à disparaître ?
⸺ Elle est dégueulasse, ta question ! Je n’ai pas envie de spéculer sur la disparition de l’un ou de l’autre…
⸺ Excuse-moi, on peut rêver…
⸺ T’as vraiment un humour à la con ! On ne plaisante pas avec la mort des gens, comme ça !
⸺ Excuse… Disons que je me sens un peu espiègle en ce moment…
⸺ Espiègle ? Je te trouve surtout un peu tordu… déjà hier à l’expo…
⸺ On ne va pas refaire le match, si ?
⸺ Non. Mais je sens que tu m’en veux…
⸺ Pourquoi ? J’aurais une raison ? Bon, je vais à l’atelier…
⸺ Tu devrais le ranger un peu… c’est pas demain que les types de FR3 viennent ?
⸺ Si. Mais ranger, non. C’est le désordre, le chaos qu’ils viennent filmer.
⸺ Ils savent ce qu’ils viennent voir ?
⸺ Oui et non. Je suppose qu’ils ont vu l’affiche. Mais de là à comprendre de quoi il s’agit vraiment…
⸺ Un moment, quand Papa t’a posé la question, j’ai eu peur que tu lui montres l’affiche…
⸺ C’est à ta mère que j’aurais dû la montrer, ça doit faire longtemps qu’elle n’a pas vu une bite !
⸺ Très drôle. A propos, moi aussi ! Je vais finir par me demander si tu n’as pas une petite élève aux Beaux-Arts… qui…
⸺ Qui ?
⸺ Tu leur as parlé de ton expo à tes élèves ? Ils savent de quoi…
⸺ Plus ou moins. Bien sûr, ils ont vu l’affiche dans le hall. Ils ont bien aimé le titre. Il y en a même une qui m’a demandé si j’étais sponsorisé par une marque de préservatifs…
⸺ C’est celle qui en utilise avec toi ?
⸺ Tu vois, au fond, je regrette un peu le titre…
⸺ Moi je le trouve drôle… enfin, ce n’est pas ce que je veux dire… euh… plutôt… évocateur, percutant…
⸺ Justement. C’est ça qui me déplaît. « Dura lex, silex », le jeu de mots décrédibilise le propos, je trouve.
⸺ Pas d’accord. Au contraire, il illustre bien la pérennité primitive de la race humaine…
⸺ La perpétuité à laquelle elle se condamne, je dirai plutôt… Et la photo sur l’affiche, je ne suis plus sûr…
⸺ Oui, cette couleur… sépia… on dirait plus une conférence sur l’Age de la pierre…
⸺ Non, on voit bien qu’il s’agit d’un phallus sculpté dans la pierre ! Non, ce que je voulais dire, c’est qu’on n’aurait pas dû ajouter les outils… il y a un côté Musée de l’Homme…
⸺ Tiens, à ce propos, j’ai vu un reportage sur un artiste qui y expose en ce moment, tu vois, ça, ça me plairait d’aller voir…
4
⸺ Alors, comment ça s’est passé avec FR3 ?
⸺ Bof. L’axe du journaliste, c’est comme d’habitude : votre démarche consiste toujours à provoquer pour remettre en question la société…
⸺ C’est celui qui avait descendu ta dernière expo ?
⸺ Non. Mais il y a fait allusion. Il a dit qu’il avait « trouvé ça gonflé ». Et je me suis rendu compte, à répondre à ses questions, comme ça devant la caméra, qu’il faudrait que je prépare un petit discours pour le vernissage…
⸺ C’est sûr. Il passe quand son reportage ?
⸺ Vendredi soir. J’ai mis quelques idées sur le papier. C’est un brouillon. Je peux te le lire… ?
⸺ D’accord. Je t’écoute.
⸺ Je ne sais plus dans quel film Marie Laforêt, en parlant de son mari qui vient de s’électrocuter