Trois Couleurs 90
Trois Couleurs 90
Trois Couleurs 90
90 AVRIL 2011
by
Shannyn
Sossamon
independent
woman
Triple agent
Monte Hellman, Terrence Malick, Jerzy Skolimowski :
ce printemps marque le retour sur les écrans de trois cinéastes
révérés pour leur singularité, leur intransigeance et leur discrétion
– absence qui confine, pour certains, au camouflage. Figures-
pivots du cinéma dit « indépendant », c’est-à-dire conçu à l’écart
des normes hollywoodiennes, leur come-back est d’autant plus
attendu qu’il coïncide, dans chacun des cas, à la sortie d’un
film miroir, reflétant le parcours sinueux de leur auteur : mise
en abyme d’un tournage questionnant les chausse-trappes du
cinéma (Road to Nowhere de Monte Hellman, cinéaste nihiliste) ;
fable existentielle sur la genèse de l’humanité (The Tree of Life de
Terrence Malick, ex-professeur de philosophie) ; thriller désertique
sur la résistance d’un Afghan poursuivi par l’armée américaine
(Essential Killing de Jerzy Skolimowski, boxeur, peintre, acteur et
réalisateur en exil permanent).
_Auréliano Tonet
by
SOMMAIRE #90
ÉDITEUR : MK2 MULTIMÉDIA
55 RUE TRAVERSIÈRE, 75012 PARIS
01 44 67 30 00 / www.mk2.com
Stagiaires
Laura Pertuy
Louis Séguin
49 LE GUIDE
50 SORTIES CINÉ
Ont collaboré à ce numéro 62 SORTIES EN VILLE
Ève Beauvallet, Maxime Chamoux, Victoire de Charette, Renan 72 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
Cros, Julien Dupuy, Gladys Marivat, Yann François, Joseph
74 DOSSIER
Ghosn, Igor Hansen-Løve, Jacky Goldberg, Donald James,
Laurent Matteï, Wilfried Paris, Jérôme Provençal, Bernard Quiriny,
Guillaume Regourd, Yal Sadat, Violaine Schütz, Léo Soesanto,
Mélanie Uleyn, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente INDÉPENDANCES // Road to Nowhere, Essential Killing,
Rabbit Hole…
Photographie de couverture
107 LE BOUDOIR
© Monte Hellman
Publicité
Responsable clientèle cinéma 108 DVD-THÈQUE > Scott Pilgrim
Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 110 CD-THÈQUE > Metronomy
(stephanie.laroque@mk2.com)
112 BIBLIOTHÈQUE > Le Polygame solitaire
114 BD-THÈQUE > Une vie dans les marges
Directrice de clientèle hors captifs
Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 116 ludothèque > Total War : Shogun 2
(amelie.leenhardt@mk2.com) 118 SEX TAPE > Les Nuits rouges du bourreau de jade
© 2009 TROIS COULEURS
issn 1633-2083 / dépôt légal
quatrième trimestre 2006.
Toute reproduction, même
partielle, de textes, photos et
illustrations publiés par MK2 est
interdite sans l’accord de l’auteur
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et de l’éditeur. Magazine gratuit
Ne pas jeter sur la voie publique
8 SCÈNE CULTE /// MACADAM À DEUX VOIES
© Carlotta
BREAK
LE PITCH
Au cours de son errance automobile à travers le Il mange l’œuf dur. Le trio sort de la voiture.
Sud-Ouest américain, le trio central du film (le
GTO : J’ai en réserve tout ce que vous voulez.Calmants,
conducteur, le mécano et la fille) croise un com-
excitants ou autres. [Ils trinquent.] À votre perte !
pagnon de jeu : le conducteur d’une Pontiac 1970
jaune (crédité « GTO »). Ils se lancent un défi : le pre- LE CONDUCTEUR : Pareillement.
mier arrivé à Washington remporte la voiture de
LE MÉCANO : Vous voulez un autre œuf ?
l’autre. Durant la course, ils jettent GTO entre les
mains de la police, avant de le retrouver peu après. GTO : Non. [Long silence.] Nous voilà donc sur la
route. […] Je pourrais vous liquider sans hésiter,
vous savez.
GTO sort de sa voiture et s’approche de ses concurrents.
LE CONDUCTEUR : Oui, j’imagine.
GTO : Ne jouez pas à ça. Je connais la combine.
GTO : Mais moi, j’ai roulé ma bosse.Aussitôt arrivé, je
LE CONDUCTEUR : C’était pour vous rappeler qu’on repars dans l’autre sens. J’ai cherché des extérieurs
est là. On est dans la même course. pour des films de bolides. Mais une vraie course,
c’est plus intéressant. Je trouverai des extérieurs au
GTO : Connard, ces flics je les connais bien ! […] Ils
passage. Vous faites ça aussi ?
m’ont escorté quand ma femme a eu des jumeaux.
LE CONDUCTEUR : Un peu, oui.
LA FILLE : Félicitations !
GTO : Je le savais. Je reconnais les cinglés de
GTO : Vous foutez pas de ma gueule.
bagnole. Mais toute cette vitesse vous détruira un
LE MÉCANO : Et si on faisait une trêve ? Vous voulez jour. On ne peut pas rester un nomade pour toujours.
un œuf dur ? À moins d’être comme moi.
Macadam à deux voies de Monte Hellman // Avec James Taylor, Laurie Bird… // États-Unis, 1971, 1h42 // DVD disponible chez Carlotta
LA DERNIÈRE PISTE
Retrouvant, après Wendy and Lucy (2008), l’actrice Michelle Williams – qu’elle plonge de nouveau
dans l’inquiétante immensité des terres de l’Oregon –, Kelly Reichardt se penche dans son troisième film
sur les mythes fondateurs de l’Amérique et du cinéma. En 1845, un groupe de pionniers entame une
longue marche vers les plaines de l’Ouest, supposées gorgées d’eau et d’or. Le charismatique Meek
s’impose alors comme guide. Mais le périple s’étire, épuisant les personnages en même temps que l’in-
trigue, qui prend alors la forme épurée d’une quête des origines aride et contemplative. Cadré dans un
format presque carré, qui souligne sa rébellion vis-à-vis du western classique (tourné en cinémascope),
La Dernière Piste impose sa grâce, sourde et crépusculaire. _L.T.
Un film de Kelly Reichardt // Avec Michelle Williams, Bruce Greenwood… // Distribution : Pretty Pictures // États-Unis, 2010, 1h44 //
Sortie le 22 juin
© Pretty Pictures
13
LES
NEWS
Secouez, agitez, savourez : l’actu ciné, culture, techno fraîchement pressée
CLOSE-UP
Colosse névrosé de La Solitude des nombres premiers, LUCA MARINELLI semble
osciller entre l’assurance héritée de ses années passées sur les planches et le flou
ébahi du jeune acteur qui cherche encore sa route. Piano, piano.
Fraîchement diplômé d’une école d’art dramatique de Rome, cet habitué du théâtre rencontre le réalisa-
teur Saverio Costanzo par l’intermédiaire d’un ami. Un « coup de foudre » selon Luca Marinelli. Après un mois
d’essais, le voilà catapulté dans le troisième film de l’Italien, dans lequel il s’approprie un personnage retors,
Mattia, concentré de misanthropie et de dérision. « J’étais un enfant timide, à son image. Il y a clairement
de moi en lui, car on n’est jamais vraiment un autre ; on engage toujours un peu de ce que l’on est. »
Lui qui dit n’être intéressé que par les « bonnes rencontres » ne cache pas un appétit d’ogre pour les sujets
simples. « J’aime l’idée de témoigner de la vie à travers des éléments du quotidien, donner une hauteur
poétique à des histoires banales. » Gageons que sa carrière, elle, sera une belle histoire.
_Laura Pertuy
DR
16 NEWS /// POLÉMIQUE
LE K IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE
ET CEUX QUI LE VÉNÈRENT
© Donata Wenders
PINARAMA
Débuté en collaboration avec Pina Bausch, morte en 2009, le documentaire de
WIM WENDERS s’est transformé en oraison dansée et parlée en compagnie de sa
troupe du Tanztheater de Wuppertal, en Allemagne. Révérence empruntée ou splen-
dide hommage à l’une des plus grandes chorégraphes modernes ?
_Par Ève Beauvallet (la question) et Louis Séguin (la réponse)
La question La réponse
Wim Wenders et Pina Bausch ont comploté un film La 3D de Pina est plus qu’un artifice plaisant :
de danse pendant presque trente ans, avant d’être Wenders invente là une nouvelle façon de réaliser
séduits par la 3D numérique et d’entamer le projet afin de capter la grâce omnidirectionnelle des cho-
début 2009… quelques mois avant le décès de la régraphies. C’est loin de n’être que de la danse
chorégraphe.Le film sur Pina se meut alors en film pour filmée et c’est plus que du cinéma dansant. Les
Pina. Et c’est sûrement là son drame. Les séquences interventions plutôt austères des danseurs de Pina
de ballets comme Le Sacre du printemps ou Café Bausch, face caméra, sont alors comme des rampes
Müller sont magnifiées par un usage inédit de la 3D, de lancement pour les séquences dansées, activées
mais elles sont aussi ponctuées de témoignages rare- par des souvenirs de leur relation à la chorégraphe.
ment inspirés, que l’on finit par redouter comme les Plus que le contenu de ces témoignages, c’est leur
pubs lors de la diffusion d’un grand film : hommages dispositif qui compte : dans l’architecture en profon-
mystico-pathos,regards caméra mielleux,mignardises deur que dessine la 3D, ces regards caméra sonnent
graphiques à faire hurler Michel Gondry… Séduit par comme un appel (des danseurs et des spectateurs)
le mariage entre danse et high-tech mais crispé aux séquences de danse explosives. Le spectateur,
par la tournure documentaire, on s’inquiète : peut- entraîné dans le ballet, se rassure alors : le pané-
on déborder d’amour pour son sujet sans sombrer gyrique n’est pas un naufrage mais un envol,
dans le panégyrique ? et Pina Bausch méritait bien ça.
Pina de Wim Wenders // Documentaire // Distribution : Les Films du Losange // France-Allemagne, 2011, 1h43 // Sortie le 6 avril
LA RÉPLIQUE
© Hold-Up Films
JEUX D’ENFANTS
Dans son nouveau quartier, Laure joue au garçon le temps d’un été. Garçon manqué
mais pari tenu pour la réalisatrice de Naissance des pieuvres, qui souhaitait tourner
son nouveau film en vingt jours avec une équipe et un budget réduits. À 30 ans,
CÉLINE SCIAMMA signe avec Tomboy une fable enfantine sur le travestissement,
d’où transpire une sensualité larvée.
_Propos recueillis par Clémentine Gallot
comme un geste vivant, ici et maintenant, et de La question du genre, que le film aborde, reste
penser la mise en scène autour de ces questions-là. un point aveugle du cinéma français.
C’est une stratégie politique qui s’inscrit contre mon On s’y intéresse peu, on confond genre et sexe. Il y a
film précédent, dans sa mise en scène. peu de pensée et de représentation autour, cela reste
assez communautaire. Or, le cinéma me semble être
Pourtant, le film ne pâtit pas de ces limites ni l’outil idéal et l’enfance le moment parfait pour en
de la rapidité d’exécution. parler de façon généreuse et audacieuse. D’ailleurs
J’avais envie d’un film solaire – l’été, avec des le travestissement s’appelle déguisement à cet âge-
enfants – et de la légèreté du Canon 5D. L’image là. Par ailleurs, je ne suis pas du tout spécialiste de
est en phase avec le sujet, puisque les images ces questions, je m’y intéresse mais je ne suis pas
d’enfance sont souvent des photos. Je voulais militante. Je milite pour le cinéma, c’est tout.
des cadres et un découpage composés, une
direction artistique assez engagée, pas un semi- Vous montrez un rapport entre les générations
documentaire. La contrainte est ici productive, le très apaisé dans Tomboy…
refus de la pure captation aidant à la radicalité Oui, je n’avais pas envie d’une sociologie de la
et à l’épure. classe moyenne, je voulais que ce soit la chronique
d’une famille où il y a de la tendresse, de la parole.
Les enfants ne minaudent pas, on est plus proche Ce qui se passe dehors ne concerne pas les parents,
du conte cruel à la Pialat ou Eustache… il n’y a pas de faute ou de coupable ; les enfants ont
Il y a deux catégories de films sur les enfants : les leur loi, qui est un espace de liberté parfois permis-
films kitchs, avec des enfants mignons et surdoués ; sif et parfois normatif. C’est l’âge des possibles.
ou les enfants rebelles, le drame social. Je voulais Tomboy de Céline Sciamma // Avec Zoé Héran, Malonn Levana… //
que Tomboy convoque les sensations de l’enfance, Distribution : Pyramide // France, 2011, 1h22 // Sortie le 20 avril
© Alain Thomas
RIO activity
par accident, et se confrontent _Par Lo.Sé.
THOMAS RIO signe le à un monde peu accueillant. INDISCRETS DE TOURNAGe
premier court métrage Avec pour modèles Tim Burton
1. Rencontre au sommet dans
français tourné en 3D. et Michel Gondry, Thomas Rio
le prochain film de Jessy Terrero,
Pitrerie sur fond de fait de cette confrontation du
Freelancers, dont le tournage
drame, Hsiu Hjie, der- réel et de l’imaginaire l’occa-
est imminent : Robert De Niro
sion d’un jeu avec l’image,
rière l’écran traite le veillera sur 50 Cent, jeune flic
convoquant notamment et fiston de son collègue assas-
changement de dimen-
l’animateur Nicolas Diologent siné. Forest Whitaker hésite
sion par l’allégorie. pour une séquence en stop encore à rallier l’équipée.
_Par Louis Séguin
motion. Mais l’attention s’est
2. Contrairement à ce qui était
portée principalement sur la
LA TECHNIQUE
HARMONIE DES COULEURS
Même si Winnie l’ourson marque le retour de Disney vers le cinéma d’animation tradition-
nel (dessiné à la main), l’informatique reste essentielle au cours de la production. Le film
© Disney Enterprises, Inc.
a en effet été assemblé et colorié grâce au logiciel Harmony, développé par la société
canadienne Toon Boom. Ce programme permet surtout de modifier la totalité des teintes
All rights reserved
d’un plan suivant les conditions d’éclairage (jour, crépuscule, etc.), puis de réunir les
celluloïds et les décors pour composer l’image définitive, et ainsi simuler à travers leurs
déplacements des mouvements de caméra dans des environnements dessinés à plat.
_Julien Dupuy // Winnie l’ourson de Stephen J. Anderson et Don Hall // Sortie le 13 avril
Bête
de scène
L’hurluberlu /// NEWS 23
Traqué par des hordes de fans hystériques, ROBERT PATTINSON tente de se refaire une
image loin du vampire blafard de Twilight. Dans De l’eau pour les éléphants, il enfile
les bretelles d’un étudiant vétérinaire humaniste, confronté à la brutalité du show-business.
Un rôle sur mesure ? Nous sommes allés lui poser la question à Los Angeles.
_Par Juliette Reitzer
I
l nous attend dans une suite capitonnée, Freak show
derrière les hauts murs d’un palace hol - Dans De l’eau pour les éléphants, adapté du best-
lywoodien, à l’abri des regards : depuis la seller homonyme de la Canadienne Sara Gruen,
sortie du premier volet de Twilight, en 2008, Robert Pattinson est Jacob Jankowski, brillant étu-
Robert Pattinson mène l’existence d’une bête diant vétérinaire d’une petite ville de l’état de New
traquée, errant d’hôtel en hôtel pour « changer York. Lorsque ses parents meurent dans un acci-
d’endroit souvent et ne pas être repéré », subis- dent de voiture, le laissant sans le sou, il prend la
sant les assauts de furies adolescentes prêtes à route et croise rapidement celle d’une troupe de
tout pour l’approcher, le toucher, le photogra- cirque ambulant dirigée par un tyran notoire,August
phier. « J’essaie d’ éviter cette réalité. Les gens (Christoph Waltz, fossilisé dans les rôles de méchants
sont si bizarres…, confie-t-il. L’industrie du cinéma depuis Inglourious Basterds de Tarantino). Le jeune
tente de déchirer la moindre parcelle de mystère homme se fait embaucher comme vétérinaire du
restante en chaque individu. Je crois qu’ il faut cirque et succombe vite aux charmes de l’écuyère
juste essayer de protéger son intimité, quitte à Marlène (l’épouse malheureuse d’August, interpré-
devoir se cacher. » Inutile donc de le questionner tée par Reese Witherspoon, ) et à ceux plus ténus de
sur les rumeurs concernant son idylle avec sa Rosie, l’éléphante star du cirque, toutes deux victimes
partenaire de Twilight, Kristen Stewart. Pattinson de la violence sadique du maître des lieux. Le film
le tournage du dernier volet de la série, Twilight, dans un rôle à son image : celui d’un intello rebelle
chapitre 4 : Révélation. Le film sortira en deux par- et accro à la nicotine, qui assiste à des cours de
ties, en novembre 2011 et novembre 2012. Selon philo sur la morale et l’éthique. Car les centres d’in-
toute vraisemblance, Robert Pattinson devra donc térêt du jeune homme jurent avec l’univers mièvre
s’accommoder encore quelques années de son de Twilight. Grand cinéphile (il voue un culte à
encombrant statut d’idole des jeunes. Godard et cite en modèles les acteurs intellos Jesse
Eisenberg et James Franco), compositeur et inter-
Cage dorée prète de blues rocailleux, l’Anglais, issu d’une famille
Le comédien a vécu le tournage de De l’eau pour prospère de Barnes, en banlieue londonienne, se
les éléphants comme une parenthèse enchan- destinait à des études de relations internationales
tée, notamment grâce à ses partenaires à quatre avant d’être choisi pour jouer dans Harry Potter et
pattes, qui avaient au moins l’avantage de ne la coupe d’argent en 2005. Philosophe, il confie :
pas faire grand cas de sa notoriété. Il raconte : « Cela prend du temps de savoir quelle vie vous
« C’étaient peut-être les moments les plus émou- voulez vivre, et de réussir à la vivre. »
vants de ma carrière. Un jour, un bébé girafe était
attaché à un poteau à côté de la cage d’un tigre. Vampire weekend
La girafe était complètement affolée, personne À vrai dire, il est plutôt bien parti pour suivre le che-
n’arrivait à la calmer. Je me suis approché et, min de sa partenaire de Twilight, Kristen Stewart,
pour une obscure raison, elle s’est calmée ins- qui écume ces derniers temps les films d’auteur
tantanément. Je me suis dit : ‘‘Ouah ! Je suis un (Welcome to the Rileys de Jake Scott, On the Road
genre d’ami des bêtes !’’ » Le raccourci est facile, de Walter Salles). Le 29 juin prochain sortira Bel-Ami,
mais nous sommes tentés d’établir une analogie adapté du roman de Maupassant, réalisé par Declan
entre l’animal en cage et le jeune acteur prisonnier Donnelan et Ormerod Nick, où Pattinson – dans le
d’un rôle trop prenant. Dans une récente interview rôle principal – donne la réplique à Uma Thurman
pour Vanity Fair, Pattinson évoque cette écrasante et Kristin Scott Thomas. Avant cela, l’acteur rejoindra
sensation de ne pas être maître de son destin : à Toronto le tournage du nouveau long métrage de
« Personne ne me croirait si je voulais jouer un per- David Cronenberg, Cosmopolis, dans lequel il inter-
sonnage hyperréaliste, comme un gangster. Si je prétera, là encore, le premier rôle. « C’est un grand
faisais ça maintenant, je me ferais assassiner ! » pas pour moi », lâche-t-il fébrilement, conscient qu’il
En 2009, l’acteur acceptait de courir le risque entre tient là, à seulement 24 ans, le ticket pour donner à
deux épisodes de Twilight, avec Remember Me, sa carrière une nouvelle direction.
drame sentimental dont l’action de déroulait en
De l’eau pour les éléphants de Francis Lawrence // Avec Robert
2001, à New York. Le film n’a pas déplacé les foules, Pattinson, Christopher Waltz… // Distribution : 20th Century Fox //
mais le jeune homme s’avère plutôt convaincant États-Unis, 1h55, 2011 // Sortie le 4 mai
CORPS
PERDUS
Ce mois-ci, trois réalisatrices questionnent la place de la femme au sein des sociétés
patriarcales d’aujourd’hui. Dans L’Étrangère, Women Without Men et Mainline,
le corps féminin porte les stigmates d’une liberté toujours difficile à appréhender.
_Par Juliette Reitzer
Si seulement elle avait été un gar- la réalisatrice : « Le droit à la liberté et à choisir son
çon », soupire un père de famille mode de vie ne devrait pas être négociable. On a
dans L’Étrangère, poignant premier une voix en tant que femmes, il faut la faire entendre. »
long métrage de l’Autrichienne Feo
Aladag. « Elle », c’est sa fille Umay, FUGUES
jeune maman d’origine turque, mariée en Turquie, Prendre la fuite ou se soumettre, c’est aussi la dia-
qui vient de fuir un mari violent et espère trouver lectique développée par Women Without Men, réa-
refuge chez ses parents en Allemagne, où elle a lisé par l’artiste vidéaste iranienne Shirin Neshat. Loin
grandi. La phrase, et la naïveté avec laquelle elle est du traitement naturaliste et intimiste de L’Étrangère,
énoncée, font sourire ; elles révèlent pourtant un état son film est une œuvre formaliste, picturale (couleurs,
de fait (l’inégalité toujours prégnante entre les sexes) lumières et cadres sont travaillés jusqu’à l’abstrac-
en même temps qu’elles en soulignent le caractère tion), plongée dans l’Iran bouleversé par l’éviction
inéluctable.« Les hommes jaugent souvent leur degré du Premier ministre Mohammad Mossadegh en 1953.
d’honneur en fonction du contrôle qu’ils exercent Le tumulte révolutionnaire sert de toile de fond au par-
sur leurs femmes, leurs filles, leurs sœurs. La violence cours tout aussi agité de quatre écorchées vives : une
vient toujours d’une peur de perdre le contrôle, donc jeune prostituée décharnée, une militante politique
l’honneur », confie la réalisatrice qui vit et travaille à maintenue recluse par son frère, une quinquagénaire
Berlin, qui rend cette violence sensible tout au long prisonnière d’un mariage malheureux et une ingénue
du film en exposant frontalement la vulnérabilité du victime d’un viol. Elles trouvent refuge dans une mai-
corps (pris de force par un mari, violenté par un frère, son isolée, loin des hommes et de leur emprise.Voilés
enlacé par un fils). Pour tenter de s’émanciper de la ou exposés, les corps portent, là encore, les stigmates
pression familiale et communautaire, Umay devra fuir de souffrances viscérales : dans une scène particuliè-
et renoncer à une partie de soi – déchirement affectif rement éprouvante, Zarin (la prostituée), nue, se frotte
et physique qui préfigure celui, tragique, de la fin de la peau jusqu’au sang, comme pour le purifier – ou
l’histoire et porte la marque de l’intransigeance de le faire disparaitre. Le chemin vers la liberté serpente
© Wild Bunch
© KMBO 2010
En haut : L’Étrangère de Feo Aladag. En bas : Women Without Men de Shirin Neshat
alors dans les recoins obscurs de l’intime, la fuite et organique. Tirant brillamment parti de l’ancrage
devenant confrontation avec soi-même, défiance documentaire de sa réalisatrice (caméra épaule,
vis-à-vis de ce corps-prison qui soumet et fait souffrir. plans-séquences laissant aux acteurs l’espace pour
improviser), le film explore le quotidien d’une mère et
LIGNES DE FUITES de sa fille héroïnomane, qui doit se sevrer en vue de
La jeune héroïne de Mainline cherche elle aussi à son mariage : le fiancé vit au Canada et ignore la
s’affranchir des contraintes de son existence : « La dépendance de la jeune fille, son engagement sera
jeunesse iranienne supporte difficilement l’isole- rompu s’il l’apprend. Paradis artificiel contre réalité
LE CAMÉO
P.DIDDY DANS HAWAÏ POLICE D’ÉTAT
La carrière d’acteur du rappeur P.Diddy, plutôt convaincant l’an passé en
patron de maison de disques halluciné dans American Trip, le mènera
en mai du côté d’Honolulu. Il apparaîtra dans un épisode du nouveau remake
d’Hawaï police d’État sur CBS (et bientôt sur M6). Des photos du tournage
le montrent menottes aux mains sous la surveillance du policier Steve McGar-
rett (Alex O’Loughlin). Si les téléspectateurs ne sont pas convaincus par son
interprétation, ils pourront toujours profiter de ses compos, intégrées en nombre
à la bande originale de l’épisode.
© CBS
_G.R.
© StudioCanal
ACTION !
Alors que, sur CinéCinéma, un cycle glorifie le thriller à l’américaine, La Proie d’ÉRIC
VALETTE déboule avec fracas pour nous rappeler que ce genre extrêmement ciné-
génique a aussi sa place de ce côté-ci de l’Atlantique.
_Par Julien Dupuy
CADRES SUP
Le mouvement préraphaélite, né au milieu du XVIIIe
rendez-vous _Par L.P.
siècle en Grande-Bretagne, se gorge d’une observa-
tion minutieuse de la nature. Au gré du pinceau puis 1. Après
Isabelle
A Huppert
Little Night
jouera
Music,
dans
de la pellicule naît peu à peu un art photographique le compositeur Stephen Sondheim
trouble, décrypté dans une expo au musée d’Orsay. revient avec un thriller musical
qui montre une humanité rongée
_Par Laura Pertuy
par le capitalisme. Loin de l’inter-
A ux fondements de l’école préraphaélite, John Ruskin, poète prétation gothique de Tim Burton,
son Sweeney Todd offre une
et critique d’art londonien, entend abandonner les codes
place terrifiante à l’humour.
académiques en place depuis Turner. Peintres emblématiques Sweeney Todd, du 22 avril au 21 mai au
des débuts du mouvement, William Henry Hunt, John Everett théâtre du Châtelet
l’after-show
LE VERNISSAGE DE STANLEY KUBRICK
Photo: Uwe Dettmar /© Deutsches
En ce 22 mars, des jeunes filles aux lunettes en cœur forment une haie d’honneur
vers la mezzanine de la Cinémathèque française, transformée pour l’occasion en
Milk Bar. Les premiers visiteurs de l’exposition Stanley Kubrick s’y désaltèrent de
Filminstitut, Frankfurt.
cocktails au lait avant d’entamer un voyage d’un bout à l’autre de son œuvre,
dans un tourbillon de sons (extraits de films), d’images (photos de tournage,
dessins préparatoires…) et de sensations (que d’émotion devant les props origi-
naux…). À la hauteur des tentations labyrinthiques du maître.
_L.T.
Stanley Kubrick, l’exposition, jusqu’au 31 juillet à la Cinémathèque française, www.cinematheque.fr
© Valerie Archeno
Jeanne Cherhal
SHADOWS
Avec Opening Night de John Cassavetes en toile de fond, l’opéra The Second Woman
propose un patchwork vocal qui saute de Puccini à la pop de Jeanne Cherhal. Un examen
vertigineux du monde de l’opéra, mis en scène par le cinéphile GUILLAUME VINCENT.
_Propos recueillis par Ève Beauvallet
© Anna Campbell
TUERIE
Merrill Garbus balance son second patchwork de
copier-coller _Par E.R.
loops en piles et en pelotes sous pseudo TUNE-YARDS.
Coupé pour le dancefloor, décalé dans l’oreille, >> Il y eut d’abord la rage du père,
Fela Kuti, pape de l’afrobeat
Whokill empile et emballe. De la balle. nigérian, qui brûlait comme nul autre
l’anche dansante et incandescente
_Par Wilfried Paris
de son indécent saxo.
VOYAGES
INTÉRIEURS
Musicien pop anglophile sous le pseudo Fugu, MEHDI ZANNAD signe de son nom de
ville une Fugue en français dans le texte, réalisée en collaboration avec le réalisa-
teur Serge Bozon. Ou la rencontre musicale réussie entre ce qui coule de source – et
ce qui y retourne. Une autre chanson française, à découvrir en sons et en images
le 9 mai au MK2 quai de Seine.
_Par Wilfried Paris
D’
un côté, le songwriter et multi- FRANCE-ALLEMAGNE
instrumentiste Mehdi Zannad,de Un pied en France, l’autre de l’autre côté des mers,
l’autre Serge Bozon, réalisateur Mehdi et Serge ont réuni leurs exils communs dans
(L’Amitié, Mods, La France), La France, film où des soldats tricolores chantaient,
acteur (La Fa m i l l e Wo l b e rg en marge de la guerre de 1914-1918, d’étranges syn-
d’Axelle Roper t, La R e i n e d e s p o m m e s de thèses de pop-sike anglaise (nerveuse, acide, victo-
Valérie Donzelli) et critique de cinéma (La Lettre rienne) et de sunshine-pop californienne (solaire,
du cinéma, Vertigo, Les Cahiers du cinéma). éthérée, alanguie), adaptées en français par Mehdi
Ces deux singuliers talents hexagonaux ont en (et Benjamin Esdraffo) et jouées sur des instruments
commun un amour profond pour la pop anglo- bricolés. De cette expérience est née l’idée de pro-
saxonne : les albums de Fugu, Fugu 1 (1999) et As longer la collaboration sous la forme d’un disque,
Found (2005), déclaraient leur flamme aux har- où ce serait au tour de Serge de s’inscrire dans l’uni-
monies sixties des Beatles, Beach Boys, Zombies vers de Mehdi, d’apposer ses mots aux mélodies du
ou Left Banke, autant qu’à la pop seventies ultra- musicien. La chanson L’Allemagne subsiste de cette
mélodique des Raspberries, Todd Rundgren ou balade (et de ces ballades) en cette France étran-
Badfinger, et lui offrirent une reconnaissance inter- gement étrangère. Selon Mehdi, ce morceau « a été
nationale (des passages radio chez John Peel, des un déclencheur. Quelque chose de magique s’est
tournées avec Stereolab ou Tahiti 80) ; tandis que passé là, j’ai eu l’impression d’inventer. » Cette histoire
le film Mods (2003) de Serge Bozon intégrait à ses de rencontre espérée entre une jeune fille aveugle
étranges chorégraphies quelques incunables du et un Allemand « dur de la feuille », où elle serait
garage américain (The Calico Wall, Phil and the ses oreilles à lui et lui ses yeux à elle, et où ils se
Frantics,The Seeds), passionnément collectionnés guideraient mutuellement vers la sortie d’un décor
par le réalisateur. « de carton-pâte », pourrait évoquer la réunion entre
le musicien et le cinéaste, que d’aucuns jugeront profondeur : les prières à quitter la capitale (Écoute),
d’abord comme « contrainte » (car quasi-oulipienne), à fuir le décor et le vide qu’il entoure (L’Aéroport),
mais qui finalement ouvre des perspectives poé- dans l’urgence du départ (Au revoir), vers d’amou-
tiques d’une singulière beauté (« Plus les rapports reuses fugues provinciales, n’auraient pas eu leur
des deux réalités rapprochées seront lointains et caractère pressant, nécessaire, si elles n’avaient été
justes, plus l’image sera forte ; plus elle aura de accompagnées par une musique aussi puissam-
puissance émotive et de réalité poétique », selon ment ancrée dans notre inconscient, aussi légère
les mots du surréaliste Pierre Reverdy). et harmonieuse qu’une étoile qui danse. Mélodies
mémorables (Oh Sarah), chœurs californiens (Le
ADIEU À L’ADOLESCENCE Tableau), refrains tambourins (Écoute), cordes lan-
« J’ai essayé de faire quelque chose qui plaise à goureuses (Paresses), surprises littérales (les accords
Mehdi. Parfois, cela a été dur. Par exemple, pour d’autoharpe sur Rivières) : « Un mélange de rock
Au revoir, dont j’ai fait une douzaine de versions adulte et de chansons très régressives, limite bub-
avant que Mehdi et son producteur soient satisfaits. blegum, cette fois un vrai adieu à l’adolescence,
Pour cette chanson, ils me demandaient d’aller vers la maturité », dit Mehdi Zannad.
vers toujours plus de simplicité. De même, des trucs
sexuels ou avec des mots triviaux ne passaient pas CŒUR GRENADINE
toujours auprès de Mehdi. Quant à savoir si ça colle Produit par le chanteur avec l’aide de Xavier Boyer et
ou non, c’est à l’auditeur de juger. En tout cas, je Pedro Resende (de Tahiti 80), Fugue est bien une col-
n’ai pas cherché à ne pas coller avec la musique. » lection de chansons pop, enlevées et efficaces, aux
Que Serge Bozon soit rassuré, ses textes s’intègrent influences anglo-saxonnes, où Buddy Holly, les Flamin’
naturellement à la subtile exigence de Fugue, non Groovies et Big Star côtoient le « revivalisme rétro fifties
par un réel effet de fluidité, mais par un effet de dans les années 1970, avec le Glitter Band et Roy
...
© Shellac
La France de Serge Bozon (2007)
Wood, le son ultraléché de Stealers Wheel ou Nick Lowe, notam- MEHDI & CO
ment ses chansons sur les Bay City Rollers ». Toutefois, L’Aéroport
rappelle aussi la synth-pop sautillante de Jacno, quand la dou- « J’ai rencontré Sean O’Hagan [High
ceur et la fragilité du chant de Mehdi évoquent parfois… Laurent Llamas], Tim Gane et Laetitia Sadier
Voulzy. « Mais ça ne me dérange pas, répond-t-il, j’aime beaucoup [Stereolab] lorsque je vivais à Londres ;
Le Cœur grenadine. » Il s’agit donc bien là de s’inscrire dans une j’ai senti que ma famille musicale était
histoire de la chanson française, mais affranchie de ses traditions, là. C’est l’année [1996] du tournant
à la fois mélodique et inédite, amoureuse et frondeuse, désireuse dans leurs carrières respectives, avec
d’offrir de nouvelles voies. « J’adhère totalement à l’approche de les albums Hawaii et Emperor Tomato
Katerine, notamment sur son dernier album ; à savoir qu’on peut Ketchup : les qualités expérimentales
encore inventer d’autres formes de “dire” sans s’inscrire dans une d’une pop sixties avec une production
tradition. C’est pour ça que je ne peux pas dire que j’ai parti- qui utilisait les instruments d’époque, les
harmonies vocales, les arrangements et
« JE NE PEUX PAS DIRE QUE J’AI des batteries qui sonnaient bien. Grâce
à eux, j’ai pu assumer mes influences
FIGURES LIBRES
DR
Okkervil River
De retour avec de nouveaux albums, ALELA DIANE, grande voix de la côte Ouest
américaine, et Will Sheff, aka OKKERVIL RIVER, songwriter texan, explorent les grands
espaces américains le temps d’une quête transcendantale : dans la terre et sa mémoire
pour Alela, dans l’éloignement et le dépassement pour Will Sheff. Parcours croisés.
_Par Wilfried Paris
© Pierre la Police
QUE FAIT LA
POLICE ? De prénom PIERRE, précédant un article fémi- statuts quotes
nin singulier. Auteur des BD les plus surprenantes de
SÉLECTION DES MEILLEURS
l’Hexagone, reposant sur l’association d’idées tous azi- STATUTS DU MOIS
muts, il table désormais sur tablette Apple. Sophie : Plus radioactif
_Par Étienne Rouillon que ça, tumeur.
2. Adj. Par extension, être dans l’incapacité de filer un coup de main. « Non je ne
peux pas te tenir la lance à incendie. Je suis DDoS, j’ai le Geiger en rut. »
© EMI Records
i-SIDES
Habitué des recueils de faces B exutoires entre deux APPLIS MOBILES _Par E.R.
albums de GORILLAZ (G-Sides et D-Sides), Damon
A lbarn a tap oté The Fall entièrement sur i Pad. BEATMAKER 2
Pour rééditer l’exploit
Eh ben nous aussi, on a un iPad. de The Fall par
_Par Étienne Rouillon Gorillaz quand on a
un larfeuille à la diète.
Cette appli concentre,
LE jeu CHRONOPHAGE
TINY WINGS
On piaffait d’impatience, guettant le moineau qui parviendrait enfin à voler dans les
plumes du jeu Angry Birds, qui nidifie depuis de longs mois sur la plus haute branche
de l’Apple Store. Cuit-cuit, le délicieux Tiny Wings se picore comme les cacahuètes :
une bouchée en appelle une autre. On y incarne un oiseau qui, tel le kiwi, pressé de
quitter le plancher, y est cloué par des embryons d’ailes paresseuses. À nous de lui faire
prendre de l’élan dans le creux des collines. Générés chaque jour, les niveaux madrés
au psychédélisme pastel se parcourent d’une seule pression du doigt. L’air pur et dur.
_E.R. // Plateformes : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 0,79 €
GUIDE
49
SORTIES EN SALLES
SORTIE LE 13 AVRIL
50 Robert Mitchum est mort d’Olivier Babinet
et Fred Kihn
SORTIES LE 20 AVRIL
51 Détective Dee de Tsui Hark
52 Je veux seulement que vous m’aimiez
de Rainer Werner Fassbinder
SORTIES LE 27 AVRIL
53 Animal Kingdom de David Michôd
SORTIE LE 4 MAI
54 La Solitude des nombres premiers
de Saverio Costanzo
LES AUTRES SORTIES
56 Numéro quatre ; La Nostra Vita ; Morning Glory ; Philibert ;
Rio ; Mr. Nice ; L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu ;
Mon père est femme de ménage ; Le Chaperon rouge ;
Source Code ; La Pecora Nera ; Et soudain tout le monde
me manque ; Thor ; Moi Michel G… ; Coup d’éclat ;
La Lisière ; L’Aigle de la neuvième légion ; La Ballade
de l’impossible ; Country Strong ; L’Homme d’à côté
sorties en ville
62 CONCERTS
Tindersticks joue ses B.O. pour Claire Denis
à l’église Saint-Eustache
L’oreille de… Emmanuelle Parrenin
64 CLUBBING
Les soirées We Love Art
Les nuits de… Mondkopf
66 EXPOS
François Morellet à Beaubourg
Le cabinet de curiosités : Convivio
68 SPECTACLES
Mats Ek à l’Opéra de Paris
Le spectacle vivant non identifié : Haute tension
70 RESTOS
Bertrand Gerbraud chez Septime
Le palais de… Pierre La Police
P. 68
72 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
DEAD
MEN
Un film d’Olivier Babinet et Fred Kihn // Avec Olivier Gourmet, Pablo Nicomedes… // Distribution : Shellac // France-Belgique-Pologne-Norvège, 2010, 1h31
Road movie sans but, multipliant les embardées visuelles et sonores qui peu à peu trans-
forment ses personnages en âmes errantes, Robert Mitchum est mort révèle dans
le même mouvement deux réalisateurs et un acteur. Puissant.
_Par Yann François
L’histoire est celle de Franky, jeune acteur galérien. Mais Robert Mitchum… reste avant tout un film non-
Son agent (tout aussi loser) lui apprend qu’une de ses identitaire, bardé d’excentricités visuelles et sonores
idoles, un réalisateur hollywoodien, participe au Festival (bande son punk-psychobilly au taquet), traçant sa
du cercle polaire et cherche un acteur. Franky accepte voie zazoue au milieu des autoroutes de la norme.
alors de prendre la route jusqu’en Scandinavie pour Chez Kihn et Babinet, seuls comptent l’errance bre-
y passer un éventuel casting… Lorsqu’un film français douille et l’égarement existentiel. Comme enivré par
s’essaie au cinéma de genre, c’est généralement pour ce voyage au bout du monde, le film joue allégrement
imiter les tics des Américains. Mais ce road movie-là se de ce « déboussolement » des personnages, aveuglés
pose en contre-exemple et migre vers des frontières par leurs chimères hollywoodiennes et transformés en
cinéphiles peu franchies. Avec son sens aigu de l’ab- pures âmes errantes. Si Olivier Gourmet excelle en
surde, le film charrie certes avec lui un héritage anglo- impresario illuminé, la véritable découverte s’appelle
saxon – Jarmusch, les frères Coen, les productions de la Pablo Nicomedes. En quelques séquences, le jeune
Hammer. Pourtant, devant le comique neurasthénique acteur donne corps à l’angoisse dépressive d’un
de ses situations et la grâce atone de ses images, le acteur en quête de succès. Ce Vincent Gallo à la
film rappelle davantage le cinéma d’Aki Kaurismäki. gueule cassée offre peut-être la plus belle répartie à
Preuve supplémentaire : Timo Salminen, directeur photo Robert Mitchum lui-même, qui affirmait, avec ironie,
du Finlandais, signe la lumière somptueuse du film. que devenir une star était à la portée de tous.
COUP
DE DEE
Un film de Tsui Hark // Avec Andy Lau, Bingbing Li… // Distribution : Le Pacte // Chine, 2010, 2h03
Retour en grâce du génie hongkongais TSUI HARK, enlisé pendant les années 2000,
avec un film de sabres teinté d’enquête policière dans la Chine médiévale. Une fresque
foisonnante, d’une grande générosité narrative et d’une folle inventivité formelle.
_Par Laurent Mattei
La Chine au VIIe siècle, à quelques semaines du cou- Comment dépasser ces molochs hirsutes ? En faisant
ronnement contesté de l’impératrice Wu – première et un pas de côté, répond Tsui. S’il ne récidive pas tout
dernière de l’histoire. Plusieurs dignitaires du régime à fait l’audace de ses plus grands films, Détective
sont assassinés, victimes de combustions spontanées. Dee solidifie la position du cinéaste – qui tourne
Dans un pays en pleine effervescence insurrectionnelle, désormais en Chine continentale et en mandarin –,
l’impératrice n’a d’autre choix que d’appeler à la res- lui permettant de trouver un nouveau souffle, épique
cousse son vieil ennemi, Dee Renjie (Andy Lau, félin, et rageur. Mélangeant le wu-xia pan (film de sabre
ténébreux,d’une élégance folle),seul capable de régler chinois) et le whodunit (modèle d’enquête policière
cette affaire… Histoire d’un retour en grâce, film obsédé où il s’agit de retrouver un assassin),Tsui Hark retrouve
par la loyauté, la vengeance et les rêves de grandeur, le plaisir de conter qu’il avait un peu perdu, tissant
Détective Dee signe la renaissance du phénix Tsui Hark un univers baroque où les faux-semblants sont rois.
après une décennie chaotique. Le cinéaste phare de la La matière et les visages se transforment en per-
nouvelle vague hongkongaise des années 1980 sem- manence, les objets passent de main en main, les
blait en effet s’être enlisé depuis Time and Tide (2000) et alliances se font et se défont au rythme de com-
La Légende de Zu (2001), grands films esseulés, points bats aériens proprement vertigineux. Au-dessus de
de non-retour à l’abstraction jusqu’au-boutiste,complé- ce magma flotte l’insubmersible Dee /Tsui, faisant
tés en 2005 par un Seven Swords d’une beauté barbare. vœux de loyauté, mais surtout de liberté.
L’ÉTRANGER
Un film de Rainer Werner Fassbinder // Avec Vitus Zeplichal, Elke Aberle… // Distribution : Carlotta // Allemagne de l’Ouest, 1976, 1h44
Peter est un jeune homme au visage d’enfant modèle. éveillé : unheimlich, qui a donné lieu à un essai de
Pourquoi a-t-il tué à coups de téléphone un homme Freud (L’inquiétante étrangeté en français) : à la fois
qui ressemblait à son père ? Telle est grosso modo mystérieux et hostile…
la question que lui pose son interlocutrice (psycho-
logue ? écrivain ?) au parloir de la prison. Peter n’a Aux prises avec son refoulé, Peter réagit de façon ina-
pas la moindre idée de la réponse. Flash-back : il offre, déquate aux petites comédies sociales et familiales
enfant, des fleurs à sa mère, qui le remercie en le frap- auxquelles il assiste (rires nerveux et infantiles, posture
pant avec un cintre. Adulte, il construit une maison voûtée, meurtre du père de substitution). Un monde
à ses parents ; rien à faire, ils le méprisent. Cerné par anxiogène que Fassbinder met en scène avec un
l’indifférence générale, le mal-aimé veut prouver qu’il humour glacial et halluciné. À l’image de Lynch et de
peut s’en sortir seul et part faire carrière à Munich, son Twin Peaks, mais quinze ans plus tôt, il fait surgir l’ex-
traînant sa femme qui l’aime d’un amour froid et traordinaire dans le trivial, comme le cinéma sort du
comptable. Perpétuellement seul dans sa lutte pour la petit écran. Par empathie avec son sujet, Fassbinder
reconnaissance, Peter semble étranger au monde qu’il filme là un objet étranger au support télévisuel ; à la
habite, son amour se heurtant sans cesse à l’esprit de différence près que les désirs de Peter se heurtent
sérieux ambiant. La langue allemande possède un mot au monde qui l’entoure, tandis que Fassbinder tord
pour caractériser cette atmosphère de cauchemar le monde du téléfilm pour le faire sien.
Animal
on est mal
Un film de David Michôd // Avec James Frecheville, Guy Pearce… //
Distribution : ARP Sélection // Australie, 2010, 1h52 David Michôd
L’ancien critique de cinéma DAVID MICHÔD conte Le fait divers dont s’inspire votre film
l’histoire d’un clan de bandits en bout de course et constitue un matériau scénaristique idéal ?
Il n’y a jamais eu de film dessus, pour-
filme la banlieue de Melbourne comme une jungle tant c’est un événement très connu :
sans foi ni loi. Poisseux à souhait. deux policiers ont été abattus en 1988,
donnant lieu à la plus grande enquête
_Par Clémentine Gallot australienne. Celle-ci a entraîné la chute
brutale de la mafia et sa reconversion
La mafia australienne vue par les yeux d’un outsider, tel est le dans la drogue. L’antagonisme entre les
programme déroulé par ce thriller languissant qui observe ses gangs et la police était brutal, intense et
malfrats comme des animaux en voie de disparition. Recueilli par a culminé lors de cet événement.
ses oncles et cousins mafieux, chaperonnés par une matrone Vous récusez la paternité des fictions
glaçante, un adolescent taiseux surnommé « J » oppose son iner- américaines sur la mafia. Pourquoi ?
Je n’ai pas fait un Parrain australien.
tie à la guerre des gangs dans laquelle il se trouve jeté, avant de Les films américains parlent de la mafia
se laisser entraîner par la loi du milieu. Le succès du film, inspiré comme d’un business. La structure du
par un fait divers des années 1980, a mis l’Australie face à l’un milieu australien est bien plus lâche.
des épisodes les plus sanglants de son histoire. Chronique impla- Quel est votre regard sur le cinéma
cable de la professionnalisation de la criminalité australienne, de votre pays ?
C’est une industrie fragile car limitée :
Animal Kingdom suit le déclin de sa classe de bandits old school il y sort 30 à 50 films par an, mais avec
à travers l’effondrement d’une fratrie traquée par la police. une forte présence internationale. Elle
« J’ai cherché un rythme porteur d’une menace sourde, le film souffre des mêmes défis que n’importe quel
petit marché. La langue anglaise est une
ne pouvait pas être trop rock’n’roll dans ses principes de mon-
chance et une malédiction : nous sommes
tage, explique David Michôd. Les temps changent, et le en compétition avec Hollywood et c’est une
film s’articule tout entier autour de cette déliquescence. » bataille que l’on ne pourra jamais gagner.
MORDUS
Un film de Saverio Costanzo // Avec Alba Rohrwacher, Luca Marinelli… // Distribution : Le Pacte // Italie-France-Allemagne, 2010, 1h58
L’adaptation du best-seller italien de Paolo Giordano creuse une brèche dans les destins
de Mattia et Alice, deux inadaptés qui vont se croiser à plusieurs âges de leur vie pour
mieux cisailler la normalité qu’on leur impose. Découpes indolentes.
_Par Laura Pertuy
Une mélopée cristalline,composée à l’origine par Ennio en vigueur. Les traumatismes de l’enfance se traduisent
Morricone pour L’Oiseau au plumage de cristal de Dario à l’écran par des effets de lumière tailladant les corps
Argento, survole l’incongruité des lieux jalonnant le troi- et la solitude des âmes au cours d’une boum archéty-
sième long métrage de Saverio Costanzo. La sœur de pale. La silhouette d’Alice est dévorée par les morsures
Mattia hurle à pleins poumons dans la séquence d’ou- de l’adolescence, période de rites inatteignables pour
verture, où se joue déjà la petite musique de l’étrangeté. notre duo, prostrée dans son incapacité à interagir avec
Plus tard, l’effroi des mises en scène d’Argento retentit le monde réel. Le réalisateur italien répercute là des bles-
dans le dédale boisé de l’appartement où déambule sures qui parcourent également ce mois-ci La Ballade
Alice, en régression constante vers la brisure qui scinde de l’impossible de Anh Hung Tran, où une jeune femme
son existence. Dans La Solitude des nombres premiers, s’exclut de la société après le suicide de son meilleur
la fissure se fait aussi physique (un accident de ski laisse ami. Chez Costanzo, ces corps changeants sous les stig-
l’héroïne boiteuse) que psychique (Mattia perd sa sœur mates de l’horreur se réfugient dans des pratiques féro-
lors d’un jeu d’enfants), en symbiose avec le boulever- cement solitaires : les clichés d’Alice prononcent le flou
sement chronologique du récit. Costanzo désarticule dans lequel elle attend Mattia, devenu éminent mathé-
sa narration pour mieux jouer avec les cassures des maticien, dans l’espoir indicible de colmater la brèche.
personnages, inaptes à se reconstruire selon les normes De l’indivisibilité des nombres premiers.
AGENDA
SORTIES
CINé _Par J.R., L.P., Lo.Sé. et L.T.
PHILIBERT RIO
de Sylvain Fusée de Carlos Saldanha
Avec Jérémie Renier, Alexandre Astier… Avec les voix de Jesse Eisenberg, Anne Hathaway…
Gaumont, France, 1h43 20th Century Fox, Canada-Brésil-États-Unis, 1h30
Jeune paysan du XVIe siècle, Un perroquet bleu quitte sa
Philibert apprend qu’il n’est pas le cage pour se frotter à l’exo-
fils de l’homme qui l’a élevé et part tisme brésilien de Rio de
venger son vrai père assassiné. Janeiro… et apprendre à voler.
LA PECORA NERA
de Ascanio Celestini
Avec Ascanio Celestini, Giorgio Tirabassi…
Bellissima, Italie, 1h33
Plongée absurde et poétique dans les
souvenirs de deux amis ayant vécu
dans un hôpital psychiatrique.
Les sentiments amoureux y sont célé-
brés notamment grâce au charme de
Maya Sensa, visage de Buongiorno,
Notte. Une jolie découverte.
LE CHAPERON ROUGE
de Catherine Hardwicke
Avec Amanda Seyfried, Gary Oldman…
Warner, États-Unis, 1h40
Après les vampires de Twilight,
Catherine Hardwicke revisite un
classique du conte de fées :
au cœur d’un village terrorisé
par une horde de loups-garous,
l’innocence d’une jeune fille
blonde est mise à rude épreuve.
SOURCE CODE
de Duncan Jones
Avec Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan…
SND, France-États-Unis, 1h33
Colter se réveille dans un train sans
se souvenir de s’y être endormi,
et juste avant qu’une explosion ne
le détruise. Il va devoir rejouer la
scène pour identifier le responsable.
avril 2011
58 cinéma
AGENDA
SORTIES
CINé _Par J.R., L.P., Lo.Sé. et L.T.
les événements
BASTILLE BIBLIOTHÈQUE HAUTEFEUILLE ODÉON QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG GAMBETTA NATION PARNASSE QUAI DE SEINE
cinéma passerelles
flash-backs & previews le dialogue des disciplines
MARDI 5 AVRIL – 20h / AVT-PREMIÈRE / SAMEDI 30 AVRIL et SAMEDI 7 MAI – 11h /
Morning Glory de Roger Michell STUDIO PHILO par Ollivier Pourriol
« Vers la perception pure (Gilles Deleuze et le
MARDI 26 AVRIL – 20h30 / RDV DES DOCS cinéma) / Le visage de l’image-affection / Le
L’œil au-dessus du puits de Johan van der Keu- hold-up de l’image-action. »
ken. En présence de Frédéric Sabouraud, critique,
enseignant en cinéma et réalisateur. JEUDI 7 AVRIL – 19h30 / SOIRÉE ZÉRO DE
CONDUITE / « Pêcheurs d’Islande »
cycles
Avec les éditions Attila, autour des textes Entre ciel
et terre de J. Kalman Stefannson (Gallimard), Pê-
cheur d’Islande de P. Loti (Flammarion), L’Homme
qui n’avait jamais vu le printemps de P. Humbourg
OLIVIER MARTINELLI
(éd. Monsieur Toussaint Louverture).
Le 9 mai à 21h, à l’occasion de la soirée de Inscr. au 01 44 52 50 70.
lancement du dernier roman d’Olivier Martinelli,
La Nuit ne dure pas, les éditions 13e note et la MERCREDI 13 AVRIL – 16h /
librairie du MK2 quai de Loire vous convient au Point RENCONTRE / Barroux
éphémère pour une lecture-signature de l’auteur et Avec les éditions Actes Sud junior, séance de dédi-
un concert exceptionnel des Kid Bombardos. Au Point caces à l’occasion de la parution de l’album pour
éphémère, 200 quai de Valmy, 75010 Paris, entrée libre. enfants Le Paris de Léon (dès 3 ans).
FOCUS
Arthur de Pins à l’espace Arludik
Après l’exposition consacrée au jeu
vidéo Dead Space 2, c’est au tour de
la bande dessinée d’investir l’espace
Arludik du MK2 Bibliothèque.
Le dessinateur français Arthur de
Pins y dévoilera les planches de
son nouvel album, La Marche du
crabe. Collaborateur régulier des revues Max
et Fluide glacial, il s’est fait connaître du grand
public avec la BD coquine et délurée Péchés
mignon. Son univers, coloré et proche de celui
du dessin animé, l’entraîne vers le petit écran
(pour lequel il crée la série Magic) ainsi que vers
la publicité (campagnes Fnac ou Nutella). Touche-
à-tout, il décline son dernier-né en court métrage.
Des lignes plus épurées et la mise en scène de
ces bestioles estivales en héroïnes d’une grande
saga futuriste lui permettent de se renouveler, sans
rien perdre de son ton libre et malicieux. Arthur
de Pins sera présent le 30 avril pour présenter son
court métrage et dédicacer sa bande dessinée.
_L.T.
avril 2011
62 sORTIES EN VILLE
CONCERTS
© RichardDumas7x7
Tindersticks
BEAU TRAVAIL
Tindersticks score Claire Denis
Un coffret et un concert-événément à l’église Saint-Eustache déroulent le fil d’une
complicité longue de quinze années entre la réalisatrice CLAIRE DENIS et le groupe
britannique TINDERSTICKS. Tout feu, tout feutre.
_Par Wilfried Paris
Les collaborations fidèles entre un cinéaste et La lune de miel entamée en 1996, à l’occasion de la
un musicien sont une vieille histoire (pensez aux bande originale de Nénette et Boni, a viré à l’amour
couples Hitchcock-Herrmann,Truffaut-Delerue, Fellini- fou durant les quinze années suivantes, le temps de
Rota), la fréquentation et l’habitude des uns et des cinq autres œuvres de la réalisatrice : Trouble Every Day
autres permettant une compréhension intuitive, de (2001), Vendredi soir (2002), L’Intrus (2004), 35 Rhums
peu de mots. Cinéaste taiseuse, Claire Denis a sans (2008) et White Material (2010).Des films accompagnés
doute trouvé dans la voix feutrée de Stuart Stapples par l’évolution artistique du groupe (du rock lyrique
et la nonchalance de ses Nottingham lads le sens vers le jazz, la soul, la musique classique), en marge
de l’espace et des ellipses à même d’habiter ses pay- des sentiers balisés de ses albums « officiels ». Cette
sages et ses histoires. Le récitatif élégant et précis de complicité unique va enfin prendre forme sur scène,
Stapples, suivant les grandes voix masculines de l’his- dans le cadre exceptionnel de l’église Saint-Eustache,
toire du rock (Leonard Cohen, Lee Hazlewood, Scott pour accompagner la sortie d’un coffret regroupant
Walker), se pose sur le velours de cordes romantiques l’intégrale de ces bandes originales.Tindersticks jouera
dans un cabaret déglingué au ralenti, où glissent ses compositions nées pour le cinéma de Claire Denis
basses ondulantes, orgues jazz, balais ternaires, loin- devant une projection d’extraits de films, spécialement
taines trompettes. L’influence de John Barry ou d’Ennio conçue pour l’occasion. Ce qui vaut bien une messe.
Morricone et un sens aigu de l’abstraction et de la
durée (de la répétition, de l’étirement) finissent de Tindersticks le 28 avril à l’église Saint-Eustache, dès 20h30, 44 €
rendre la musique des Tindersticks intemporelle et Claire Denis Film Scores 1996-2009 de Tindersticks
irréelle, cinématographique. (Constellation / Differ-Ant)
© Philippe Lebruman
« Il se trouve que j’écoute peu de musique, car ma
quête va plus vers le silence, pour mon bien-être
et pour être libre de toute influence. J’apprécie
tout de même le dernier disque de Serafina Steer,
pour sa fraîcheur et le côté décalé de ses arran-
gements. J’ai également redécouvert un groupe
qui était parmi mes favoris dans les années 1970,
Incredible String Band, dont The Hangman’s
Beautiful Daughter vient d’être remastérisé.
Enfin, si je devais partir avec un seul disque
sur une île déserte, j’emporterais le quatuor de
Debussy, sa seule œuvre pour quatuor à cordes. »
_Propos recueillis par W.P.
Emmanuelle Parrenin, le 15 avril au Lieu unique (Nantes), dès
20h30, de 9 € à 18 € ; le 20 avril au Point éphémère, dès 20h, 11 €
Maison cube d’Emmanuelle Parrenin (Les Disques Bien / Abeille)
agenda
CONCERTs _Par W.P.
2 DEERHOOF
En pleine tournée Vs Evil, le combo de San
Francisco, indie-rock bondissant sur voix de
sucre, reste l’une des plus belles alchimies à
voir sur scène. Pop, math, prog, spazz !
Le 19 avril à La Maroquinerie, dès 20h, 19 €
4 HUSHPUPPIES
Remisant Kate Moss au garage, nos mods
dans le vent affinent leur style, citant autant
les early Pink Floyd que le krautrock en bat-
terie ou l’electro qui dépote. Sur scène, c’est
toujours dans ta face.
Le 27 avril à L’Alhambra, dès 19h30, 21 €
avril 2011
64 sORTIES EN VILLE
CLUBBING
© We Love Art
ARTernative
We Love la fête
Depuis quelques années, We Love Art réinvente le clubbing parisien à base de lieux
inédits (piscine, Cité des sciences, Aquaboulevard…) et de pointures électroniques.
À l’occasion de leur prochaine soirée, We Love Vagabundos, retour sur un parcours
qui renoue avec une certaine utopie festive.
_Par Violaine Schütz
Quand débute l’aventure We Love Art en 2004, Le lieu de la soirée n’étant jamais dévoilé à l’avance,
la nuit parisienne se joue dans des lieux balisés et les organisateurs jouent sur l’excitation contenue
destinés uniquement à cela – Rex, Batofar, Pulp… dans la devinette et l’effet de surprise. On aura ainsi
Alexandre Jaillon, ancien rédacteur en chef du droit aux inhabituels Aquaboulevard, Cité de la
magazine Trax, et sa compagne Marie Sabot, à l’ori- musique, Grande Arche de la Défense, chalet de la
gine des soirées We Love Acid avec la DJ Eva Peel, Porte jaune, mais aussi aux docks Eiffel et Haussmann.
lancent alors une idée qui fera des émules : déloca- Aujourd’hui, We Love Art est devenue une « agence
liser la fête, organiser une alternative aux clubs. Avec de création d’événements musicaux » qui travaille
pour concept primitif de développer des miniraves également pour des marques, et son concept a fait
dans des lieux décalés, le collectif frappe fort dès des petits. Beaucoup d’organisateurs détournent à sa
ses débuts. Parmi les premières soirées, la We Love suite des lieux de leur fonction première, et l’habitude
Playhouse se déroule dans un parc aquatique et la d’aller danser au musée s’est peu à peu installée à
We Love Aphex au Palais de Tokyo, alors peu ouvert Paris. Remercions donc ces amateurs de clubbing
au clubbing. Pour chaque date, le duo invite des arty pour avoir réinjecté un peu du frisson rave dans
gros DJs (Miss Kittin, Philippe Zdar, Tiefschwarz) ou le tunnel de nos habitudes nocturnes.
des labels là où on ne les attend pas, et transforme We Love Vagabundos, le 10 avril dans un lieu secret,
chacune de ses fêtes en événement. avec Luciano et Moodyman, www.weloveart.net
IN PARADISUM
« Je vis le clubbing d’une manière peu ortho-
doxe, en solitaire ; mais paradoxalement j’aime
l’idée de communion sur un dancefloor. C’est le
mélange d’intimité et de partage qui me plaît.
La In Paradisum sera la première d’une série de
soirées qui reflètent ce qui m’intéresse dans la
musique électronique. J’inviterai des artistes qui ont
des styles assez radicaux, mais toujours dans un
esprit techno. J’ai envie de retrouver les sensations
d’abandon, d’immersion, à la base de la rave. »
_Propos recueillis par V.S.
agenda
CLUBBING _Par V.S.
3 POYZ’N’PIRLZ PARTY
Ces derniers mois, le rap revient en force dans
les sets des DJs. C’est donc l’occasion de
découvrir l’une des meilleures fêtes du genre,
au Point éphémère dans son format étendu
(café et club). Aux platines, les sémillants Arthur
King, Drixxxe, Gero, Kazey, Matt’ Primeur et
Dabaaz devraient affoler les croupes.
Le 22 avril au Point éphémère, dès 23h, 12 €
avril 2011
66 sORTIES EN VILLE
EXPOS
re-play
François Morellet s’installe
Le maître de l’art cinétique investit le Centre Pompidou pour une rétrospective anticon-
formiste. Baptisée Réinstallations, elle réunit 27 créations réalisées depuis 1963, rejouées
dans un nouveau contexte spatio-temporel.
_Par Anne-Lou Vicente
En exergue de l’exposition figure une biographie ludique qui n’est pas sans témoigner de la part de
de François Morellet se terminant par l’évocation jeu présente dans l’art de Morellet ; et de l’humour
de son actuelle rétrospective au Centre Pompidou, du bonhomme lorsqu’il invite le visiteur à joyeuse-
dont on apprend que celle-ci est sa 455e exposition ! ment défigurer la sacro-sainte Joconde en activant
Anecdotique, certes, mais significatif du long parcours un ventilateur dont le souffle agite et plisse un tissu à
de l’artiste né à Cholet en 1926, qui, dès le début des l’effigie de Mona Lisa. François Morellet n’hésite pas
années 1950, s’est inscrit dans le courant de l’abstrac- non plus à littéralement « défigurer » Les Demoiselles
tion géométrique et de l’art cinétique en mettant en d’Avignon de Picasso et La Mort de Sardanapale de
place un vocabulaire formel peuplé de lignes, de grilles Delacroix, en recomposant la dynamique de cha-
et de carrés qui n’ont depuis cessé d’habiter ses pein- cun de ces tableaux mythiques à l’aide de toiles…
tures comme ses installations. Ce sont ces dernières blanches. Le tube néon, qu’il utilise depuis 1963, est
qui sont célébrées à l’occasion de cette rétrospective aussi à l’honneur : rouge, bleu ou blanc, il dessine des
parisienne, qui rompt avec la loi du genre du fait de paysages minimalistes en deux ou trois dimensions,
son caractère délibérément elliptique. à l’image de L’Avalanche (1996), forêt de 36 néons
bleus dont l’inclinaison – entre horizontale et verti-
Désolidarisées de leur contexte d’origine (géné- cale – est déterminée par la longueur du câble qui
ralement in situ), les installations sont rejouées et les retient au plafond.
réunies au sein d’un même espace grossièrement Réinstallations, jusqu’au 4 juillet au Centre Pompidou, place
découpé, voire mises en « boîtes ». L’interactivité de Georges-Pompidou, 75004 Paris. Tous les jours sauf le mardi de
nombre d’entre elles dévoile alors une dimension 11h à 21h (23h le jeudi), www.centrepompidou.fr
© Arnaud Jalut
CONVIVIO
Comment faire d’une exposition un vrai
festin ? Imaginée par l’écrivain et philosophe
Fabien Vallos et la commissaire d’exposition
Sophie Auger, Convivio ou la plastique
culinaire « voudrait montrer qu’il y a dans
le contemporain, à partir du modèle de
la festivité et de l’adresse, la possibilité de
repenser la figure de l’œuvre ». Réunissant les
travaux de onze artistes, l’exposition est assortie
de performances culinaires illustrant
de manière explicite le paradoxe existant
entre conservation et périssabilité de l’œuvre.
_A.-L.V.
Jusqu’au 2 juillet au Micro Onde, 8 bis avenue
Louis-Bréguet, 78140 Vélizy-Villacoublay, www.londe.fr
Agenda
expos _Par A.-L.V et L.S.
GRAPHISME ET CRÉATION
CONTEMPORAINE
L’exposition réunit les travaux
de 57 designers graphiques
français, pour dresser un aperçu
de la création contemporaine
dans les années 2000, des arts plastiques à
l’architecture, en passant par le théâtre, la danse,
la littérature, la musique ou la mode.
Du 27 avril au 6 juin à la BNF François-Mitterrand,
quai François-Mauriac, 75003 Paris, www.bnf.fr
GENERAL IDEA
Première rétrospective
française pour le trio canadien
fondé en 1969. L’occasion
de découvrir l’œuvre
subversive et visionnaire,
mais aussi pleine d’humour, de ce collectif
adepte de l’autodérision et de la parodie.
Jusqu’au 30 avril au musée d’Art moderne
de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson,
75016 Paris, www.mam.paris.fr
avril 2011
68 sORTIES EN VILLE
SPECTACLES
paint it black
Mats Ek fait danser le deuil
Ambassadeur d’une danse néoclassique raffinée, le chorégraphe suédois MATS EK
reprend à l’Opéra son adaptation d’un chef-d’œuvre écrit par Federico García Lorca en
1936, La Maison de Bernarda Alba. Un ballet culte, hanté par les fantômes freudiens
et le fondamentalisme religieux.
_Par Ève Beauvallet
Trente ans avant la marâtre SM inventée par Angelin psychanalytique qu’il apporte aux grands classiques
Preljocaj, femme de tête du ballet à succès Blanche (chorégraphiques et littéraires). En se souvenant que
Neige, un passionnant rôle de mère Fouettarde avait sa Giselle virevoltait dans un hôpital psychiatrique,
déjà ensorcelé les opéras internationaux. Le traitement autant préciser qu’il ne se contente pas, pour évo-
était loin d’être aussi glam rock que celui du choré- quer l’oppression de Bernarda, d’accumuler les
graphe français. D’abord parce que ladite mère était sauts de chat en les saupoudrant de folklore. On
interprétée par un homme ; ensuite parce que ledit rôle trouve bien des chignons andalous vissés sur les
provenait d’une fable autrement plus sordide que celle nuques, quelques danses traditionnelles et des sou-
des frères Grimm : le Suédois Mats Ek faisait un ballet de tanes noires comme sorties d’une BD de Marjane
La Maison de Bernarda Alba, huis clos asphyxiant du Satrapi, mais c’est sa façon de donner corps à la
poète espagnol Federico García Lorca, histoire d’une castration et à l’hystérie puritaine qui force l’intérêt de
veuve castratrice condamnant ses filles à un intermi- sa chorégraphie : gestion asphyxiante de l’espace,
nable deuil. C’était en 1978 et Mats Ek, depuis, peut « grands pliés » névrosés, déploiement tentaculaire
s’enorgueillir de briller comme une institution du néo- des bras et des jambes… Soit le constat glaçant – et
classique, aux côtés de l’Américain William Forsythe et gracieux – d’une sexualité entravée.
du Tchèque Jirí Kylián.
La Maison de Bernarda, suivi de Une sorte de… , choré-
L’enthousiasme international répété en faveur de ses graphie de Mats Ek d’après Federico García Lorca, du
créations s’explique essentiellement par l’éclairage 20 au 29 avril à l’Opéra de Paris, www.operadeparis.fr
agenda
SPECTACLES _Par E.B. et V.C.
2 SHOEBIZ
Plus jeune public que les shows tambouri-
nants de Stomp mais non moins généreux
dans le déploiement des effets, Shoebiz réunit
des champions du monde de claquettes qui
savent rythmer tout ce qui passe sous leurs
pieds. Une occasion dominicale et familiale
de faire un point sur la discipline.
Du 27 avril au 19 juin au Vingtième théâtre,
www.vingtiemetheatre.com
3 LE MISANTHROPE
Louis Jouvet décrivait cette « drôle de comédie »
comme « l’histoire d’un homme qui aime une
femme et qui n’arrive pas à le lui dire ». C’est
cela, mais aussi un peu plus. Profitez-en pour (re)
découvrir ce classique signé Molière dans une
mise en scène de Serge Lipszyc – qui avait déjà
revu le Désiré de Sacha Guitry en 2009.
Jusqu’au 21 mai au théâtre du Ranelagh,
www.theatre-ranelagh.com
avril 2011
70 sORTIES EN VILLE
RESTOS
© Bruno Verjus
MUSKATNUSS !
Bertrand Grébaut chez Septime
Rencontre avec l’humour gourmand de BERTRAND GRÉBAUT, virevoltant chef du tout
nouveau Septime. Cuisine pur jus, produits natures et sauvages autour du palais
chahutant et étoilé de ce jeune chef.
_Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Chef de 29 ans passé par les Beaux-Arts à Paris, Chez Septime, les produits sont exceptionnels, le
Bertrand Grébaut rejoint en 2006 les cuisines de quartier populaire et les prix petits. Décoration brute
L’Arpège, le restaurant triplement étoilé d’Alain associant les murs de briques à vif aux tables en bois.
Passard. En deux ans, il y avale tous les postes et Grand comptoir dès l’entrée : la simplicité est au cœur
découvre l’épure. Plus jeune chef français étoilé, à des préoccupations. Des vins de soif, une cuisine de
27 ans avec L’Agapé, il s’offre le luxe d’une année faims. Rien n’est sacrifié aux codes habituels de la
de pause pour goûter le monde. Périple par l’Asie haute gastronomie étoilée. Bertrand Grébaut fonde
et séduction immédiate via les puissantes flammes son art sur la justesse des cuissons et des assaison-
léchant le corps d’un cochon de lait patiné, l’acidulé nements. Sa sensibilité débarrasse le superflu au pro-
de la papaye verte ou le sucre doux du riz vert. De fit d’associations simples, tranchantes, brutes. Il pro-
retour, il crée Septime au mois de mars dernier, un res- pose des plats à l’équilibre subtil où les saveurs se
taurant de haute gastronomie pour tous, hommage mêlent… de nous régaler. Un délicat pigeon, agrumes
au film Le Grand Restaurant de Jacques Besnard et chicon /endive rouge ; une vive noix de veau crue,
et à sa scène culte, dans laquelle Louis de Funès, fumée elle aussi, assaisonnée d’artichauts violets et
transformé par un jeu d’ombres en Hitler, explique sa de condiment citron-vanille. Des plats au firmament
recette du soufflé à la pomme de terre à un policier du goût, des saveurs et des textures, qui font briller
allemand interloqué : « Ein Kilogram Kartoffeln. Ein mille et une étoiles dans nos yeux.
Liter Milch. Drei Eier. Neunzig Gramm Butter. Salz.
Und ! Und ! Muskatnuss ! Muskatnuss, Herr Müller ! » Septime, 80 rue de Charonne, 75011 Paris
Escale à Saïgon
« J’ai découvert ce restaurant tout à fait par
hasard dans un quartier tranquille et loin de
tout. C’est l’un des rares restaurants de Paris
qui me rappelle les saveurs et les parfums
du Vietnam. J’apprécie particulièrement les
brochettes de lotte grillée, dont la cuisson est
toujours parfaite. Outre la cuisine et le service,
délicieux, je suis sensible à la simplicité et à
l’exotisme du cadre, ainsi qu’à l’atmosphère
tamisée qui me permet de rester discret car
malheureusement je mange assez salement. »
_Propos recueillis par E.R.
Où MANGER
APRÈS… _Par B.V.
COUP D’ÉCLAT
Chez Grazie pour ce coup d’éclat
absolu : avoir importé un décor
« pur Brooklyn » en plein boulevard
Beaumarchais. Disques de feu, les
pizzas ne manquent pas de briller
sur les tables et aux palais des
gourmands. Quant à la nuit, elle s’allume des
mille éclats des cocktails d’Oscar.
Grazie, 91 boulevard Beaumarchais, 75003 Paris.
Tél. 01 42 78 11 96
LA BALLADE DE L’IMPOSSIBLE
Chez Kei, pour une cuisine
de mémoire, suspendue au
temps qui passe. Le Japon,
reformulé dans les plats de
Kei Kobayashi, attrape avec
poésie l’essence de la cuisine
française. Une nouvelle table tirée aux quatre
baguettes… Pour séduire et ne pas oublier.
Kei, 5 rue Coq-Héron, 75001 Paris. Tél. 01 42 33 14 74
VOIR LA MER
Chez Atao, pour les huîtres
La Gavrinis de Laurence Mahéo.
Un restaurant comme une petite
fenêtre bleue sur la Bretagne.
À table, une fraîche carte
postale : bouillon de bar et huîtres
pochées, crevettes bio, pommes rattes et beurre
demi-sel, vins nature. L’iode à Paris.
Atao, la dame aux huîtres, 86 rue Lemercier,
75017 Paris. Tél. 01 46 27 81 12
L
es punks n’avaient pas de futur, mais ils NORMALISATION
avaient une éthique : le D.I.Y., ou do it your- Cette définition a minima et par défaut de l’indépen-
self − l’autoproduction et l’autodiffusion dance comme niche de création hors-majors a long-
comme remparts aux compromissions des temps fait école. Elle était d’autant plus pratique qu’elle
majors. C’est l’époque où les marges amé- permettait de différencier l’Europe des États-Unis : là où
ricaines décident de prendre leur destin en mains, l’intelligentsia française analysait la production cultu-
et de plonger celles-ci dans le cambouis : acmé de la relle selon des typologies esthétiques (« film d’auteur »,
contre-culture des années 1960 et 1970, en même « nouvelle vague »…), les marges américaines restaient
temps que rejet individualiste de ses aspects trop prisonnières d’une approche essentiellement écono-
communautaires, le punk, né à Détroit et à New York, mique. Une approche dont les limites n’allaient pas tarder
est aussi une révolte économique. On appelle alors à poser problème : en quoi les réalisateurs du « Nouvel
indépendant tout musicien, tout cinéaste, tout des- Hollywood » (Scorsese, Coppola, Cimino…), qui ont
sinateur qui crée en dehors des majors du disque, du pris d’assaut les grands studios pour leur faire adopter
cinéma et de la BD. Prolongeant la brève mais intense une direction radicalement auteuriste, ne peuvent-ils
déflagration punk des Stooges, New York Dolls et pas être considérés comme indépendants ? Quid du
autre Television, l’underground se structure rapide- cinéma d’exploitation (horreur, porno…), tourné sans
ment autour de médias, de labels, de maisons de pro- le sou, mais à visée explicitement commerciale ? Tout
duction et de festivals alternatifs : Sonic Youth, Yo indépendant n’est-il pas une major en puissance, comme
La Tengo ou Public Enemy donnent leurs premiers l’illustrent le quasi-rachat de Sub Pop par Warner en
concerts, Jim Jamursch et Abel Ferrara filment leurs 1995 ou la normalisation d’United Artist, fondé en 1919
premiers longs dans les rues de New York, les festi- par quatre cinéastes rétifs aux diktats hollywoodiens
vals de Sundance et de South by Southwest sortent (Chaplin, Griffith, Fairbanks et Pickford), mais rapide-
de terre, le fanzine Subterranean Pop voit le jour, ment transformé en studio lambda ? La création d’Hol-
donnant bientôt naissance au label qui popularisera lywood lui-même ne procède-t-elle pas, à l’origine, du
le grunge, Sub Pop. désir indépendantiste de contrecarrer le monopole de
outhw
est en
mars
© Clé
ÉTENDARD SYMBOLIQUE
Label flottant, devenu, au même titre que le « bio »,
comestible à toutes les sauces marketing (« indie »,
« indé »…), simple « étendard symbolique » selon l’uni-
versitaire Claude Forest, le terme ne fait guère plus sens
aujourd’hui. À moins de revenir à la signification pre-
mière et littérale du mot : l’indépendance est, d’abord et
avant tout, une solitude. Selon cette acception, un créa-
teur indépendant est un artiste œuvrant au sein d’une
industrie culturelle de masse (cinéma, pop music, BD,
RV ED
_A.T. et Lo.Sé.
© 20 08 Un
Monte Hellman et son actrice Shannyn Sossamon sur le tournage de Road to Nowhere
indépendances /// dossier 79
V
ous occupez depuis longtemps une posi- Comment avez-vous travaillé la continuité entre les
tion marginale à Hollywood. Comment deux niveaux de réalité du film ?
avez-vous débuté ? Road to Nowhere est unique pour moi, car j’ai commencé
Mon premier boulot était de stocker et d’en- comme monteur et monté tous mes films. Puis une amie m’a
voyer des bobines. Un jour, j’ai rencontré assisté et a finalement monté celui-ci entièrement. Le scé-
Roger Corman, puis ma femme – qui était actrice – nario était très morcelé. Dans l’exposition, nous montrons
a joué dans ses films. Je ne connaissais personne dans juste le film dans le film : deux personnes commettent un
l’industrie et Roger m’a offert la possibilité de réali- double suicide. Est-ce vrai ou pas ? Là est le mystère. Il y a
ser mon premier long métrage, Beast From Haunted deux chronologies dans Road to Nowhere : celle du cinéaste
Cave, en 1959. Ensuite, j’ai souvent attendu de longues – qui est linéaire – et celle du film dans le film – montré
périodes entre mes films. dans l’ordre où il a été tourné –, qui n’est pas linéaire.
Road to Nowhere conte l’histoire d’un tournage mou- Le récit interroge les mensonges du cinéma, comme
vementé, comme l’a été le vôtre : à court d’argent, un scénario policier semé de fausses pistes.
sans permis… Le film est ce que chaque spectateur veut qu’il soit ; le public
Le film est devenu un document sur son propre tour- en est l’ultime cocréateur. Je ne pense pas qu’il interroge des
nage. Nous voulions qu’il chronique nos aventures ficelles ou mensonges. Comme un magicien en puissance, je
sur plusieurs années et nous amuser avec les mésa- prends plaisir à révéler les tours avant de les jouer au public.
ventures picaresques du cinéma indépendant. Dans
le scenario original de Steven Gaydos, le personnage On a présenté ce film comme une rupture dans votre
s’appelait d’ailleurs Monte Hellman. J’ai décidé de œuvre. Pourtant, il fait écho à des motifs anciens :
changer son nom parce que j’ai pensé que cela gêne- la quête existentielle, les impasses…
rait. Finalement, le personnage de Mitchell Haven est Je ne pense jamais aux thèmes. Je pense en termes de
devenu bien plus proche de l’acteur qui l’interprète, personnage et de conflit. Road to Nowhere est en subs-
Tygh Runyan, que de moi. tance un remake de Macadam à deux voies, Cockfighter
et peut-être de Stanley’s Girlfriend, dans le sens où il
Tourné avec un appareil photo Canon 5D, Road to traite du conflit entre le travail du personnage princi-
Nowhere est très ancré dans la technologie… pal et son besoin d’une relation amoureuse.
Le cinéma qui m’intéresse est celui de la réalité,
où l’on tourne dans de vrais endroits, avec de vrais Road to Nowhere fait explicitement référence à
gens. De fait, le film est plein de téléphones por- trois films (Le Septième Sceau, L’Esprit de la ruche
tables, d’ordinateurs… Originellement, je voulais et The Lady Eve), que visionne le cinéaste après le
tourner avec une caméra RED, mais elle ne m’a pas tournage. Que veulent dire ces citations ?
convaincu. Le Canon 5D est flexible et discret, son Ce sont mes films préférés. Je regarde souvent The Lady
image nous a bluffés. Eve, que je trouve brillant. C’est essentiellement la même
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histoire que celle de Road to Nowhere. Le film de Bergman était l’un des seuls. C’était une autre époque ; aujourd’hui
était une sélection plus tardive, il résonnait à ce moment tout le monde veut faire carrière. Nous ne pensions pas à ça.
de l’histoire comme un présage. Road to Nowhere vit sa
propre vie, il est bien plus malin que nous. Par exemple, je Vincent Gallo a failli vous confier la réalisation de son
dis toujours « casting, casting, casting », or j’ai fait des erreurs premier film, Buffalo 66. Quel a été, de même, votre rôle
de casting pour ce film qui se sont corrigées d’elles-mêmes ; sur Reservoir Dogs ?
certains acteurs ont eu des empêchements et ont été rem- J’ai été approché pour réaliser le film ; j’étais fasciné par le
placés, pour le mieux. scénario, que je trouvais très drôle. Mais le jour où je devais
rencontrer Quentin [Tarantino], il a vendu le scénario de
En 2006, vous consacriez un court métrage, Stanley’s True Romance, ce qui lui a permis de réaliser lui-même
Girlfriend, à Kubrick. Par son attention aux visages, aux faux- Reservoir Dogs. Il s’en est excusé, je l’ai donc aidé à faire le
semblants et aux labyrinthes, Road to Nowhere semble conti- film en trouvant des financements.
nuer ce travail d’hommage. On songe aussi à Mulholland
Drive, Sunset Boulevard ou La Nuit américaine, qui montrent Vous avez réalisé beaucoup de films de genre (westerns,
la face sombre d’Hollywood et du cinéma. slashers…) : est-ce un moyen pour vous d’interroger le
Je suis un admirateur de Kubrick, mais je n’y ai pas pensé. cinéma, en tant qu’art et industrie ?
Les références dans le film sont accidentelles, même si nous J’ai fait des films de genre parce que ce sont les films que j’aime
avons pensé à Vertigo. Après coup, j’ai aussi pensé qu’il y voir. Cela dit, les slashers ne sont pas le genre que je préfère
avait eu un précédent dans La Nuit américaine et The Player. et je n’ai réalisé que Better Watch Out, à contrecœur, parce
qu’un ami proche me l’avait demandé et qu’il m’avait laissé
Vous avez dit être attiré par les films abstraits, comme ceux réécrire le scenario sur un mode parodique. J’aime beau-
d’Alain Resnais. Vous identifiez-vous toujours à ce cinéma ? coup ce film maintenant. Franchement, je ne pense jamais au
J’adore Alain Resnais, Stavisky est l’un de mes films pré- cinéma comme étant exclusivement un art ou une industrie.
férés. Les réalisateurs contemporains que je préfère sont
mes amis Quentin Tarantino, Wes Anderson, Paul Thomas Pourquoi, selon vous, est-il si difficile de trouver des
Anderson, Rick Linklater, et aussi Fatih Akin, Arnaud financements ?
Desplechin et Nuri Bilge Ceylan. J’admire également les Les producteurs ne prennent pas en compte les niches,
réalisateurs auxquels j’ai donné des prix dans des festivals, ils cherchent un dénominateur commun. Résultat, per-
les derniers étant Patrick Grandperret et Matt Porterfield. sonne n’aime vraiment leurs blockbusters mais tout le
monde va les voir. C’est dommage.
La notion de cinéma indépendant a-t-elle encore un
sens à vos yeux aujourd’hui ? Vous dites souvent en plaisantant que vous faites un film
La seule indépendance dont j’ai fait l’expérience était celle tous les vingt ans. Pensez-vous déjà au suivant ?
de Roger Corman. Elle venait directement de ses névroses, Je crois que je vais me dépêcher pour le prochain.
qui faisaient qu’il ne pouvait pas appartenir au système.
Le terme « indépendant » a d’abord été utilisé pour désigner Road to Nowhere de Monte Hellman // Avec Shannyn Sossamon, Tygh Runyan… //
Distribution : Capricci // États-Unis, 2010, 2h01 // Sortie le 13 avril
les compagnies qui n’étaient pas des gros studios – New Line, Sympathy for the Devil, entretien avec Monte Hellman d’Emmanuel Burdeau
Miramax… Le mot ne désignait pas des individus, Roger (Capprici)
WES CRAVEN
Dans son premier long métrage, La Dernière Maison (1984) et L’Emprise des ténèbres (1987). Dans Scream,
sur la gauche (1972), Craven mettait en scène le viol en 1996, le cinéaste proclamé « maître de l’horreur »
et le meurtre de deux adolescentes, explorant au pas- flirtait cette fois avec la parodie, se jouant des codes
sage le fossé générationnel creusé par la révolution du slasher movie pour mieux les réinventer. Une même
sexuelle. Sujet scabreux pour film choc, tourné dans ironie infuse ce mois-ci Scream 4, où le tueur ques-
une indépendance radicale et bientôt suivi des clas- tionne ses victimes avant de les charcuter : « Quel est
siques La Colline a des yeux (1977), Les Griffes de la nuit ton film d’horreur préféré ? » _J.R.
JOHN LANDIS
S’il débute sa carrière au sein d’un grand studio (ado, il surprise, Landis est fan des Monty Python). Suivront
trie le courrier à la Fox), les deux premiers films de John The Blues Brothers, Le Loup-garou de Londres, le clip-
Landis sont des autoproductions fauchées : Schlock monstre Thriller pour MJ et quelques excellentes comé-
(1973) et Kentucky Fried Movie (1977). En 1978, dies satiriques (Un Fauteuil pour deux…). En 2011,
l’énorme succès d’Animal House, produit par Universal, Cadavres à la pelle ressuscite le goût du cinéaste pour
popularise le gross-out movie, savoureux mélange le mélange des genres : blagues pipi-caca et petits
de mauvais goût et d’humour irrévérencieux (sans meurtres entre amis. Poilant. _J.R.
MONTE HELLMAN
Adepte du hors-piste, Hellman se distingue plus par Shooting) et films de pirate (Iguana). Son road movie
les chemins de traverse qu’emprunte sa filmographie culte, Macadam à deux voies, dont la pellicule s’enflamme
caméléon que dans l’esseulement volontaire auquel au dernier plan, symbolisant l’impasse des seventies,
le renvoie la légende. Parrainé, comme Scorsese et marque une carrière en dents de scie, jalonnée de pro-
Coppola, par Roger Corman, producteur légendaire de jets avortés. La sortie de Road to Nowhere, attendue depuis
films fantastiques pour drive-ins, il entre de plain pied vingt ans, pourrait conjurer cette disgrâce, en même temps
dans le cinéma bis, alternant westerns (Cockfighter, qu’elle en chronique les sinuosités. _C.G.
Scream 4 de Wes Craven // Sortie le 13 avril // Cadavres à la pelle de John Landis // Sortie le 27 juillet
L
ongtemps, Shannyn a fait tapisserie, canton- puise son mystère dans le personnage duel de Laurel
née à des apparitions de girl next door dans Graham / Velma Duran, actrice arnaqueuse évoluant
des navets romantiques (40 jours et 40 nuits, dans un flou artistique. Celle-ci se dit moins travaillée
où Josh Hartnett serrait les fesses) et des par l’héritage des femmes fatales au cinéma « qu’ins-
bleuettes moyenâgeuses (Chevalier, avec feu pirée par le mystère du scénario, son rythme poétique,
Heath Ledger). Jusqu’aux Lois de l’attraction en 2002, la confusion du récit ». Sur le plateau, les indications du
troublant college movie sur la solitude d’un campus cinéaste restent minimales : « Ne joue pas. » « Du coup,
dans la Nouvelle-Angleterre foncedée des années j’ai joué sur l’intériorité, commente Shannyn Sossamon.
1980. En adaptant le roman de Brett Easton Ellis, Monte travaille comme j’aime travailler : on découvre
le scénariste de Tarantino, Roger Avary, faisait de la son personnage au fur et à mesure du tournage plutôt
jeune actrice une égérie insaisissable. Quatre ans plus que d’être dans la pure exécution d’une performance.
tard, Wristcutters de Goran Ducik, indie movie culte Son style permet beaucoup de liberté, c’est passionnant. »
outre-Atlantique sur l’histoire d’amour de deux sui-
cidés au purgatoire, la fait connaître à un public de AUDIO SCIENCE
niche. Depuis, le minois de Shannyn Sossamon réap- L’actrice a suivi le réalisateur entre l’Italie et la Caroline-
parait régulièrement dans la série How to Make it in du-Nord, sans s’attendre à un tournage aussi mouve-
America (HBO), mais cette carrière en retrait reste menté et sans le sous. « J’ai ressenti son soulagement et
inexplicable, tant le visage inquiet de la jeune femme sa joie de pouvoir tourner à nouveau, confie-t-elle. Je
nous a hantés ces dernières années. comprends qu’il n’ait pas fait de film pendant si longtemps,
mais ces périodes d’inaction peuvent aussi être productives.
LET THE SUN SHANNYN Heureusement qu’on a encore les mains libres en dehors
« Steven Gaydos, le scénariste, l’a repérée dans un café, il des studios, car nous vivons une période intense de do it
ignorait qu’elle était actrice. Je la connaissais car j’avais yourself. » Dans ce domaine, la jeune femme tatouée (elle
déjà pensé à elle pour un film que je produisais, se sou- a le nom de sa mère inscrit dans le dos) n’est pas à cours
vient Monte Hellman lors du dernier festival South de projets : ancienne DJ à l’oreille musicale (sinon pour-
by Southwest. J’avais vu Les Lois de l’attraction, elle quoi baptiser son enfant Audio Science ?), elle a pris place
était bien mais je ne soupçonnais pas à quel point. Nous derrière la batterie du groupe psychédélique Warpaint
cherchions une fille qui avait l’air cubaine, et voilà. » avec sa sœur, Jennifer Lindberg. Clipeuse, elle a aussi
L’Hawaïenne de 32 ans n’avait jamais entendu parler tourné à Los Angeles plusieurs vidéos lunaires – « des
du cinéaste avant leur rencontre : il lui fait voir ses petits films » comme elle les appelle – qu’elle poste sur
films, elle est emportée par leur vision. Un temps en un site dédié à ses projets : Maudegone. Encore habitée
stand-by, Shannyn Sossamon reconnaît le tournant par le tournage de Road to Nowhere, admiratrice de
que constitue Road to Nowhere pour sa filmographie : Wes Anderson et de Woody Allen, Shannyn Sossamon
« Au fond de moi j’attendais d’être “révélée”, d’avoir enfin réfléchit sérieusement à l’écriture et à la mise en scène
un premier rôle de cette ampleur, un personnage qui d’un premier long métrage. Qu’on se rassure donc :
évolue », avoue-t-elle. Métafilm noir sur les coulisses la tapisserie repose sur de solides fondations.
de l’industrie du cinéma, la trame de Road to Nowhere www.maudegone.com
Vincent Gallo son défunt mari dans la peau d’un garçonnet, prolon-
Dans Essential Killing, Vincent Gallo, barbu, mutique geant le rôle de mère esseulée aux prises avec une pro-
et halluciné, fait face à l’immensité neigeuse. Comme à géniture fantomatique qu’elle endossait dans Les Autres.
chaque fois qu’il est à l’écran, Gallo est partout : de chaque Elle portera le même prénom – Grace – dans Dogville
plan du film, il y rappelle son impudeur d’artiste face à la de Lars Von Trier, qui la met en scène en ange vengeur,
caméra (confirmation brillante après Tetro) et sa rareté objet des tentations vicieuses d’un microcosme humain
de franc-tireur du cinéma américain. Fuyant Buffalo détraqué. Amoureuse et névrosée, Nicole Kidman l’est
(il imaginera plus tard un douloureux retour à la mai- également dans Eyes Wide Shut, où Tom Cruise voit
son dans Buffalo 66, sa première réalisation), Gallo se rouge à force de provocations sur ses fantasmes adulté-
jette à 17 ans dans les nuits fiévreuses de l’underground rins. Femme « sereine et maîtrisée » selon John Cameron
new-yorkais. Il multiplie les expérimentations, sonores Mitchell, elle se métamorphose à l’écran, enveloppant ses
au Mudd Club (dans le groupe noise de Jean-Michel partenaires de chaudes volutes tapageuses.
Basquiat, Gray) et physiques dans les rues de la ville, _L.T. // Rabbit Hole de John Cameron Mitchell // Sortie le 13 avril
où son narcissisme affiché lui ouvre les portes des pla-
teaux de cinéma. Après quelques seconds rôles surpre- Owen Wilson
nants (Arizona Dream, Nénette et Boni…), Vincent Gallo Santiags immuables, accent texan au couteau, nez fra-
se révèle dans un exil plus lointain. À Los Angeles, ville cassé, sourire d’andouille : il y a, dans l’incongruité pro-
qui épouse sa solitude ombrageuse, il travaille une voix vinciale du physique d’Owen Wilson, quelque chose qui
à la Chet Baker sur l’album lancinant When, et réalise en turlupine le bon sens. Les cinéastes ne s’y sont pas trom-
autarcie le road-movie désenchanté The Brown Bunny. pés, eux qui lui ont presque toujours confié le même rôle
Dans Promises Written in Water, son prochain film pré- d’idiot esseulé et sympathique, circulant à la périphérie
senté à la dernière Mostra, il est de nouveau acteur, pro- des récits. Orphelin vaillant (La Vie aquatique, À bord du
ducteur, compositeur et monteur. L’autoportrait qu’il Darjeeling Limited), célibataire séduisant (Mon beau-père
affine ainsi dévoile un visage hors-cadre, exaspéré et et moi, Sérial noceur), casse-cou maladroit (Bottle Rocket,
intouchable, résolument cinématographique. Drillbit Taylor), Wilson ne cesse de jouer en contrepoint,
_Laura Tuillier // Essential Killing de Jerzy Skolimowski // Sortie le 6 avril bouffon amoral délivrant d’indirectes vérités, tombeur
involontaire faisant choir, en un clin d’œil, les résistances.
Des rôles à la mesure de la carrière du comédien, le seul
Nicole Kidman à avoir collaboré avec tous les grands rénovateurs de la
Mère endeuillée et épouse au bord de la crise de nerfs dans comédie U.S. de ces trente dernières années : maîtres de
le troisième film de John Cameron Mitchell, Rabbit Hole, la « bromance » (John Hughes et Judd Apatow sur Drillbit
Nicole Kidman trouve un troublant réconfort auprès du Taylor), du burlesque potache (tout Ben Stiller, les frères
jeune homme responsable de la mort de son petit gar- Farrelly pour Bon à tirer), du triangle sentimental (James
çon. Elle excelle dans ce rôle-somme, taillé pour sa froi- L. Brooks dans Comment savoir), de la neurasthénie fami-
deur délicate et aguicheuse, tout en regards ambigus et liale (tout Wes Anderson) ou de l’imposture bégayante
soupirs équivoques. Déjà, dans Prête à tout, Gus Van (Woody Allen avec Minuit à Paris). « Je suis un optimiste
Sant avait cerné le potentiel de cougar de la flamboyante qui, au fond, pense que ça ne va pas marcher », a coutume
Australienne, qui n’hésitait pas à séduire le lycéen Joaquin de dire Owen Wilson. Bingo.
Phoenix pour le convaincre d’assassiner son mari. Dans _Auréliano Tonet et Laura Pertuy // B.A.T. de Bobby et Peter Farrelly // Sortie
Birth, elle campait une veuve qui s’imagine avoir retrouvé le 27 avril // Minuit à Paris de Woody Allen // Sortie le 11 mai
© Surreal Films
© Haut et Court
© Peter Iovino - 2011 New Line Productions Inc.
De haut en bas : Vincent Gallo dans Essential Killing de Jerzy Skolimowski, Nicole Kidman dans Rabbit Hole de John
Cameron Mitchell et Owen Wilson dans Minuit à Paris de Woody Allen
La provoc’ transgenre
John Cameron Mitchell, ou l’itinéraire modèle du nouveau retour à l’ordre, à la façon dont Haynes semblait se ran-
cinéma gay ? L’Américain se fait une première fois remar- ger avec le mélo sirkien Loin du paradis. Mitchell assume :
quer avec Hedwig and the Angry Inch (2001), une comédie « Certains trouveront le film trop mainstream, sentimental.
musicale transgenre croisant le glam-rock sulfureux de C’est un film classique mais très personnel. » Très maîtrisé,
Velvet Goldmine (Todd Haynes) aux expérimentations de Rabbit Hole ménage des échappées cyniques et amorales,
Scorpio Rising (Kenneth Anger). Les fantômes de My Own raccords avec l’impertinence des débuts. « Tous mes person-
Private Idaho (Gus Van Sant) planent également sur cet nages se sont construit des prisons de solitude et cherchent à
univers décomplexé, mêlant romantisme névrosé et fron- en sortir. » Club échangiste (Shortbus) ou rencontres bor-
talité trash. Avec Shortbus (2006), Mitchell imagine un derline entre une mère et l’assassin de son fils (Rabbit Hole),
pendant new-yorkais à la Teenage Apocalypse Trilogy de les héros de Mitchell réussissent toujours, par des voies
Gregg Araki : hypersexuel, outrageux et brillant, d’Ouest plus ou moins censurées, à se trouver.
en Est. Rabbit Hole, son nouveau film, pourrait sonner le _Laura Tuillier // Rabbit Hole de John Cameron Mitchell // Sortie le 13 avril
L’amateurisme débrouillard
Dans la lignée d’une poignée de microlabels californiens Greta Gerwig). À Chicago, Joe Swanberg, sorti de sa
(Not Not Fun, Discriminate Music), qui ont opté pour dépression, a passé deux ans et demi à tourner Silver
l’antique K7 comme support de diffusion privilégié de Bullets, une relecture de La Mouette. Le constat est amer :
leur musique, les solutions do it yourself séduisent nombre « Cela fait cinq ans qu’on squatte le canapé de nos amis,
de jeunes cinéastes, regroupés sous le label « mumble- rien n’a changé. » Seule issue, s’échapper par la notoriété :
core ». Le terme désigne, faute de mieux, une bande Humpday, le gag homo-érotique de Lynn Shelton, s’est
d’acteurs et de réalisateurs fauchés dont les docu-fic- instantanément vendu à Sundance, lui permettant de
tions artisanaux combinent écriture et improvisation. tourner aujourd’hui avec Emily Blunt. Passés d’Austin à
Sélectionné en 2005 au festival SXSW, Beeswax d’Andrew L.A. pour Cyrus, les frères Duplass se sont quant à eux
Bujalski a posé les jalons de ce réseau d’entraide infor- lancés dans un nouveau projet de stoner movie, Jeff Who
mel, dans lequel gravitent habitués (les frères Joshua et Lives at Home, avec Jason Segel.
Benny Safdie) et muses paumées (Eleonore Hendricks, _Clémentine Gallot et Auréliano Tonet
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serait-on tenté d’ajouter, trente ans plus tard. r le
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uel est votre regard sur The Tree of Life de De plus en plus de films indépendants, au casting et
Terrence Malick ? au propos essentiellement américain, sont produits
C’est un film fabuleux et très inattendu, qui par des firmes européennes, comme On the Road.
a subi énormément de mutations, dans sa Vos origines françaises sont-elles un atout ?
durée et son montage – un processus habi- On n’a pas droit à l’erreur, mais les Américains vous
tuel pour Malick. Le film devait être fini en décembre accordent le bénéfice du doute. Ils considèrent que les
2010, il n’a pas tant de retard, en fait… C’est une expé- Français ont du goût. Hollywood est une famille moins
rience unique, comme pouvait l’être 2001 : l’odyssée fermée qu’elle ne l’était dans les années 1970. Il est plus
de l’espace de Kubrick à sa sortie. facile de s’y faire une place.
Retrouve-t-on les motifs clés du cinéma de Malick Votre catalogue mêle des franchises à succès, comme
– son regard panthéiste sur la nature, sa manière de Twilight et Sexy Dance, et des films d’auteurs radicaux :
filmer le couple comme s’il s’agissait d’Adam et Ève ? Démineurs, The Ghostwriter…
C’est un film très personnel, qui mêle en parallèle la Il faut joindre l’utile à l’agréable. Les succès financent les
Genèse et une histoire plus intime et contemporaine. erreurs. Nos choix se portent plus naturellement vers
Le film s’est véritablement construit durant la phase, des films qui peuvent fonctionner à l’international. Nous
très longue, de montage et de mixage. sommes très fiers de Twilight, qui continue d’attirer de
grands réalisateurs, ce qui est rare pour ce genre de saga
Summit Entertainment est-il, selon vous, un studio – Sofia Coppola a d’ailleurs failli réaliser le dernier épisode.
indépendant ?
Oui, en un sens. Je comparerais les majors à des porte- Comment se portent les majors, selon vous ?
avions : il y est difficile de changer de cap. Notre stu- Crise oblige, tout le monde est un peu effrayé, ce qui nuit à
dio se rapproche plutôt du croiseur, plus flexible dans l’inventivité. Les majors ne produisent plus que deux types
la prise de décision. Nous disposons de 175 salariés de films : des titres très bon marché, à la Justin Bieber,
aujourd’hui ; dans une major, cela correspond unique- et d’énormes machines. Au milieu de tout ça, quelques
ment au nombre de personnes qui travaillent au ser- films indépendants, comme Black Swan, se retrouvent
vice marketing. chez les majors, pour ainsi dire presque par hasard.
PIXAR
L’intelligence des studios Pixar est d’avoir mêlé l’artisanat jusqu’à son passage aux mains de Disney. La fine équipe a
à l’industrie du dessin animé. Basée à San Francisco, issue su profiter de la diffusion massive offerte par ses investis-
du microcosme florissant de la Silicon Valley et non de la seurs sans jamais trahir son esthétique, mélange inimitable
machine hollywoodienne, la petite entreprise s’est déve- de virtuosité graphique et d’humanisme mélancolique.
loppée en conservant une liberté de mouvement quasi- Disney l’a bien compris : lorsqu’elle défie toute concur-
autarcique, depuis sa fondation sous l’égide de Lucasfilm rence, l’originalité vaut très cher. _Y.S.
MAD MEN
Mad Men, ou la critique du grand capital menée en La série marque aussi le triomphe de la créativité des
sous-marin par les indés. À travers les chroniques d’un séries télé, aboutissement d’une écriture débridée par
monde publicitaire en plein boom dans les années 1960, les Sopranos ou The Wire. À se demander, trente-
Matthew Weiner éreinte le culte du marketing tout cinq ans après l’implacable réquisitoire anti-TV dressé
en exploitant ironiquement ses rouages : comme tout par Sidney Lumet dans Network, si la place des indés
programme de grande écoute, Mad Men utilise les pla- inspirés n’est pas auprès des chaînes du câble plutôt
cements de produit et s’entrecoupe de pages de pub… qu’au cinéma. _Y.S.
LA FABRIQUE APATOW
Après son double jackpot de l’été 2007 (120 millions un film de 2h40 à moitié dramatique intitulé Funny
de dollars pour SuperGrave, 150 pour En cloque, mode People. Pourtant, plutôt que de se lancer dans une course
d’emploi), Judd Apatow voit les propositions affluer dans aux profits, Apatow préfère miser sur les talents mai-
les bureaux de sa société de production. C’est que l’ac- son – une bande d’acteurs et de réalisateurs formés sur
tuel king of comedy, scénariste, producteur, réalisateur les plateaux de deux séries cultes (Freaks and Geeks
et éleveur de champions, a le pouvoir de financer à peu et Undeclared) – et sur la qualité de scripts chiadés.
près n’importe quoi d’un simple coup de fil – même Le prix de l’amitié. _Ja.Go.
Génie de Pixar d’Hervé Aubron (Capricci)
Jerzy Skolimowski réalise qu’un seul long métrage, Le Bateau phare, polar en
Né en 1938 à Lodz, en Pologne, Jerzy Skolimowski a tou- eaux troubles sur un navire immobile avec Robert Duvall.
jours cultivé l’ambigüité, quel que soit le pays où il ait vécu. « Je n’ai jamais été proche d’Hollywood, je suis trop libre d’es-
Le conflit des générations, mâtiné d’une ironie constante, prit, trop individualiste et marginal », dira-t-il. Installé à
traverse ses premiers longs métrages polonais, dans lesquels Malibu, en Californie, Skolimowski s’arrête subitement de
le cinéaste, chaperonné par Andrzej Wajda, interprète sou- filmer. « Je suis revenu à ma vraie passion : la peinture. J’ai
vent lui-même le rôle principal. Mise en musique par le jazz vendu des œuvres à des musées, à des célébrités. J’ai attendu
de Krzysztof Komeda, également compositeur de Polanski, que le désir de faire des films revienne. » Quatre nuits avec
cette mosaïque autobiographique accuse moins le système Anna, sélectionné à Cannes en 2008, marque à la fois son
qu’elle ne met en avant le désœuvrement d’une génération. retour en Pologne et au cinéma après 17 ans de silence.
« Avec Roman, nous cherchions à nous écarter des films que Ce mois-ci, il revient sur les écrans avec Essential Killing :
nous voyions ensemble à l’école de cinéma, nous voulions créer « Je crois avoir réuni les conditions idéales de mon indépen-
notre propre style en liaison directe avec notre quotidien. Sans dance pour réaliser les films qui me plaisent. [Celui-ci] n’est
le savoir, simultanément en Europe, nous étions beaucoup à surtout pas réaliste ou politique. C’est une fable philosophique
briser les vieilles règles du septième art. Lorsqu’en 1967 mon et poétique qui expérimente les limites de l’humain devenant
film Hands Up ! a été censuré, j’ai décidé de quitter la Pologne animal. » Essential Killing, qui montre Vincent Gallo en
pour continuer à filmer. » Un an plus tard, Skolimowski Afghan fugitif, se dérobant sans cesse à l’armée américaine,
reçoit l’Ours d’or à Berlin pour Le Départ, avec Jean-Pierre peut se voir comme le film miroir de ce cinéaste errant et
Léaud. On le compare alors à Godard, dont il ne connaît pas solitaire, rétif aux normes cinématographiques, porté par
les films. Dans la foulée, Skolimowski s’installe à Londres une énergie qui force l’admiration.
et commence à tourner des adaptations littéraires, copro- _Donald James
ductions internationales où il imprime sa marque tantôt
Essential Killing de Jerzy Skolimowski // Sortie le 6 avril // Réédition DVD de ses
expressionniste, absurde ou surréaliste. Après le succès premiers longs métrages disponible chez Malavida // Rétrospective intégrale, en sa
mondial de Travail au noir, il rejoint Hollywood où il ne présence, du 2 au 13 juillet lors du festival Paris Cinéma
LE POLYGAME ne va, Frangins malgré eux…). Les losers d’hier sont les
1979 et 2010. Marcello Snaporaz, le héros de La Cité des winners d’aujourd’hui : Michael Cera bastonne à tout-va
femmes de Fellini, et Bill Henrickson, celui de la série dans Scott Pilgrim et Jesse Eisenberg triomphe du capi-
télé Big Love, regagnent chacun une maison remplie de talisme traditionnel en déployant son cynisme 2.0 dans
femmes. Pour l’un, c’est le début de menus plaisirs, pour The Social Network. Les séries indés exploitent égale-
l’autre, le début de l’enfer. Sexe partout, jouissance nulle ment le potentiel hype du nerd, présenté comme drôle
part. Mormon harcelé par ses épouses (Big Love), entraî- et sexy dans Glee, The Hard Times of R.J. Berger ou Flight
neur de basket qui arrondit ses fins de mois en faisant of the Conchords : un peu en dehors de tout, il est aussi
le gigolo (Hung), jeunes gays et hétéros qui dépriment un dandy rêveur et intriguant. Il est loin, le temps des
ou tentent de se suicider entre deux partouzes (Shortbus, blousons noirs au sommet de la coolitude.
Kaboom), célébrités larguées qui s’oublient entre des cuisses _Yal Sadat
différentes chaque soir (le romancier de Californication,
l’acteur de Somewhere) : jamais la polygamie et l’hyper- L’AMAZONE
sexualité n’ont autant été exploitées par la production indé ; À l’image de Ree, la grande sœur courage de Winter’s
jamais non plus le sexe n’a autant été associé à la détresse Bone qui n’hésite pas à se frotter à la pègre du Missouri
et à l’abandon. Et même au Mal, comme dans le dernier pour retrouver la trace d’un père dealer et déserteur,
documentaire d’Errol Morris (Tabloid) sur une affaire de l’héroïne indé nouvelle génération est une affranchie
kidnapping et de viol d’un mormon dans les années 1970. pugnace, bavarde (True Grit) ou solitaire (Wendy
Le sexe libre et heureux semble bien être figé dans un & Lucy) – toujours téméraire. Le temps où la jeune fille
passé nostalgique à la Mad Men. Si cette liberté est se contentait de suivre en passagère passive les embar-
accordée dans le dernier-né des Farrelly, ce n’est qu’une dées de garçons taciturnes qui la regardaient à peine
parenthèse enchantée, un « bon à tirer » à durée limitée. (Macadam à deux voies), l’abandonnaient sur le chemin
_Gladys Marivat (Cockfighter) ou ne lui laissaient tout simplement pas de
place (Easy Rider), est révolu. Gus Van Sant, délaissant les
LE NERD jeunes éphèbes de ses premiers films, inaugure le chick
Ils ont fait leur révolution dans les années 2000, renver- movie en 1993 avec Even Cowgirls Get the Blues, dans
sant tous les standards de popularité sur leur passage. lequel Uma Thurman (déjà elle) fait craquer la farouche
Les nerds, jadis refoulés à l’entrée des bals de promo, ont et féministe Rain Phoenix. À sa suite, Quentin Tarantino
pris d’assaut la culture pop en même temps que les scé- tourne successivement trois films qui rendent hommage
naristes indés. Les hipsters, trop lisses et proprets, ont à des amazones sexys et sûres d’elles, ayant quelques
dû s’incliner humblement. Judd Apatow, conforté par le comptes à régler avec la gent masculine (Jackie Brown,
succès de quelques geeks eighties (ceux de John Hughes Kill Bill et Boulevard de la mort). Plus impénétrables, les
par exemple, pionnier du teen movie moderne), utilise héroïnes de Kelly Reichardt (Wendy & Lucy, La Dernière
ses talents d’auteur-producteur pour brouiller les ten- Piste), toutes deux interprétées par Michelle Williams,
dances. D’abord à la télé avec les incontournables Freaks défrichent avec finesse les grands espaces d’un cinéma
and Geeks, puis au cinéma, où il promeut de plus belle américain qui – aujourd’hui – dépend d’elles.
l’adulte nerdy (40 ans, toujours puceau, Sans Sarah rien _Laura Tuillier
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Extrait
Atlanta Portland
Si Memphis et La Nouvelle-Orléans attirent les jeunes Nouvelle enclave alternative de la côte Ouest, Portland
cinéastes, séduits par l’historicité des décors et le faible distance aujourd’hui Seattle, sa rivale historique, berceau
coût des loyers, c’est à Atlanta, siège des mastodontes Coca du grunge et du label Sub Pop. Terrain d’expérimentation
Cola et CNN, que s’élabore l’une des cultures juvéniles des cinéastes de l’Oregon (Van Sant, Haynes, Reichardt,
les plus inventives des années 2000 : le « dirty South », July), son climat pluvieux a inspiré les folksongs d’Elliott
sous-genre hip-hop porté par un label (LaFace Records) Smith et d’Alela Diane. La série Portlandia, sketch comedy
et des artistes locaux (Outkast, T.I., Ciara, Ludacris, du duo Fred Armisen et Carrie Brownstein, diffusée
Lil Jon). Quelques producteurs aussi géniaux que dis- sur la chaîne IFC, se moque en retour de cette utopie
crets, comme Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz, branchée. Un couple obsédé par le bio, des libraires les-
Rome), The-Dream (Rihanna, Beyoncé) ou Scott Herren biennes tatillonnes, des hipsters à l’école du cirque…
(Prefuse 73, Piano Overlord), ont usé leurs baggies sur Le tout ponctué de chansonnettes : « Le rêve des 90s est
les bancs des écoles de la ville. Les kids d’aujourd’hui bien vivant à Portland, la ville où les jeunes prennent leur
le leur rendent bien. retraite et où toutes les belles filles portent des lunettes. »
_Ja.Go. et A.T. _C.G.
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Rocks d’A
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Chels Essential Killing de Jerzy Skolimowski
98 dossier /// indépendances
C
onçu il y a vingt-cinq ans comme un fes- ont été tournés Massacre à la tronçonneuse et Slackers, et
tival de rock, SXSW (South by Southwest) où Quentin Tarantino a monté un festival de B-movies,
s’est depuis ouvert au cinéma et aux cultures il y a quelques années.
numériques. Havre libéral qui rappelle autant
Brooklyn que Portland, Austin est, chaque TREMPLIN
mois de mars, pris d’assaut par 10 000 festivaliers : Contrairement à Sundance, Toronto ou Telluride, plate-
cinémas, entrepôts et églises sont réquisitionnés, formes économiques tournées vers les professionnels, le
accueillant une horde de hipsters tatoués en chemises versant cinéma de SXSW se distingue par sa proximité
à carreaux. Côté musique, 2000 concerts s’enchaînent avec le public et son rôle de tremplin pour les nouvelles
en une semaine, le temps de découvertes (Okkervil générations d’auteurs, notamment à travers la section
River y fut révélé il y a onze ans) et de come-backs Emerging Visions. Tiny Furniture de Lena Dunham, lau-
(Tom Waits y fit son grand retour sur scène en 1999). réate en 2010, a coûté 50 000 $, en a rapporté 700 000, et
Côté cinéma et arts numériques, débats, rencontres et lui vaut désormais une collaboration avec Judd Apatow.
projections se succèdent à un rythme effréné, culti- Pour ce qui est de l’édition 2011, on regrettera que la
vant un attrait pour la nouveauté et une indépendance programmatrice Jackie Pearson soit allée piocher une
d’esprit raccord avec le slogan de la ville (« keep Austin partie de sa sélection dans des festivals concurrents, d’où
weird »). Terrence Malick, Richard Linklater et Robert quelques sundanceries fades et calibrées, des clips, docu-
Rodriguez ont d’ailleurs élu domicile dans cette cité où mentaires high-tech et autres gadgets tendance cinéma
© Clémentine Gallot
de genre (le film sur iPhone de Park Chan-wook, le nou- cinématographique à partir d’un pitch bien mince, le
veau slasher de Joseph Kahn ou le britannique Attack Britannique Andrew Haigh réussit son coup d’essai avec
the Block). Préservé du star system, le festival texan pri- Weekend, chronique minimale finement ciselée, struc-
vilégie les acteurs et cinéastes à caution indé – jusqu’à turée autour de longues scènes de badinage gay.
l’écœurement –, comme Rainn Wilson, Ellen Page,
John C. Reilly, Miranda July ou la géniale Kristen Wiig, ERRANCES
qui présentait une version de travail de Bridesmaids, Au détour d’une queue, on croise la clique mumblecore
la dernière production Apatow. (lire p. 86) venue se soutenir mutuellement : Joe Swanberg,
Mark Duplass, les frères Safdie (John is Gone), et des nou-
« I LOVE VAGINA » veaux venus comme l’actrice diaphane Kate Lyn Sheil
Entre deux virées à travers des ruelles avinées dans un (Silver Bullets) ou le cinéaste Azazel Jacobs (Terri), reje-
autocar scolaire ripoliné en noir et décoré d’un auto- ton chevelu de Ken Jacobs. Haut débit, crinière longue,
collant « I love vagina », nous rejoignons James Wan, le Kentucker Audley, par ailleurs réalisateur (Open Five),
petit malin qui, inspiré par Le Projet Blair Witch, avait apparaît en loser magnifique et balbutiant dans le premier
conçu la franchise de torture porn à petit budget Saw. film charbonneux du New-Yorkais Dustin Guy Defa, Bad
Changeant de paradigme, Insidious, travaillé par une Fever, sur l’errance d’un aspirant comédien de stand-up
épouvante plus suggestive, a été produit par le réalisa- et d’une zonarde (Eleonore Hendricks). Fugue en bord
teur de Paranormal Activity, garant de son indépendance de mer, The Dish and the Spoon suit une épouse trompée
financière (un budget de moins d’un million de dollars) : (Greta Gerwig) qui panse ses plaies avec un ado à la dérive
« Les studios vous forcent à faire du gore et à refaire la (Olly Alexander) – et vaut surtout pour le charme et la
même chose, je déteste être mis dans une case. J’ai plu- douceur de ses interprètes. Alison Bagnall, scénariste de
tôt envie de faire des comédies romantiques », se défend Buffalo 66 (« j’ai rencontré Vincent Gallo à une soirée »),
le jeune cinéaste à la toison rouge. Documentaire sin- a tourné cette comédie dramatique en équipe réduite,
gulier tourné pendant sept ans avec une petite caméra épaulée par d’autres réalisateurs mumblecore, comme Joe
Bolex, The Ballad of Genesis and Lady Jay de Marie Losier Swanberg : « J’ai été inspirée en voyant Joe faire des films
retrace l’histoire de la musique industrielle à travers celle avec si peu de moyens. Ce n’est pas un milieu compétitif,
du chanteur transgenre Genesis P-Orridge (Throbbing au contraire. Finalement, ce sont les festivals de cinéma qui
Gristle). Autre auteur désargenté revisitant la rencontre rapprochent tous ces gens. »
D
ans The Age of Adz, vos chansons sont principa- Robertson était inspiré par les films de science-fiction,
lement arrangées avec des instruments électro- comme The Day the Earth Stood Still de Robert Wise,
niques. Est-ce le thème de l’album, inspiré par et il était très religieux : il a lu l’Apocalypse du Nouveau
les visions de l’outsider artist Royal Robertson, Testament. Ses peintures montrent des invasions extrater-
qui a produit cette sorte de golem musical ? restres, des destructions, etc. Il parle de la fin du monde,
L’album parle de distorsions, de maladie physique ou men- mais pas nécessairement du monde physique, également
tale, de schizophrénie. Quand on ferme les yeux, on peut du monde mental, émotionnel. Nous sommes obsédés par
entendre un bruit blanc général à l’intérieur du corps. J’ai la fin du monde, qui reflète notre propre mortalité, parce
essayé de recréer ces sons grâce à des synthétiseurs analo- que nous avons été créés avec une conscience , comme des
giques et des pédales d’effets, qui donnent un son plus chaud êtres finis.
et rond. Je voulais que cela sonne comme un assemblage
de parties du corps humain, comme un collage fait main. The Age of Adz rappelle aussi que le corps humain est
La folk music est une musique sociale, qui parle des gens, une machine.
du corps, de la société et de ses interactions, qui sont orga- La voix est une machine très élaborée. Chacun porte en
niques. Royal faisait lui-même des collages, empruntant soi ce potentiel sonore, qu’on utilise pour communiquer ;
des sources différentes : comic books, B-movies, astrologie, mais quand nous chantons, ce son devient de l’art, un
numérologie… Il était obsédé par l’espace, autant intérieur langage transcendant. Chaque voix est idiosyncrasique,
qu’extérieur, autant psychique que cosmique. L’électronique unique. C’est pourquoi, aux États-Unis, certains l’appellent
permet d’élever cet art très folky vers le cosmos, de le rendre « la harpe sacrée », comme une machine créée à l’intérieur
plus abstrait, transcendant. de chacun de nous par Dieu.
L’album s’achève sur la phrase « Boy, we made such a Sufjan Stevens, en concert le 9 mai à l’Olympia
Seven Swans Reimagined, avec Bonnie Prince Billy, DM Stith…
mess together ». Il s’agissait de refléter les préoccupations (Sounds Familyre)
apocalyptiques de Royal ? Retrouvez la version intégrale de cet entretien sur www.mk2.com
Jay-Z / Beyoncé
Intimes du couple Obama, Jay-Z et Beyoncé ont inventé (Independent Women, Survivor, Single Ladies) le fil d’une
une entité médiatique, amoureuse et musicale inédite, discographie sans fausse note. Lançant (Rihanna) ou
modèle de longévité, mélange de surexposition et de dis- relançant (Mariah Carey) les carrières, son époux, flow
crétion, collaborant peu mais avec excellence (Crazy in fluide et flair fiable, s’est imposé en self-made man des
Love, Upgrade U, Déjà vu). En groupe (Destiny’s Child) temps modernes, passé des souterrains de Brooklyn
ou en solo, et en attendant de jouer dans le prochain aux hauteurs de Manhattan (Empire State of Mind).
Eastwood, la diva R’n’B a fait de l’autonomie féminine Du jamais vu. _A.T.
Dirty Projectors
Le sextet mené par Dave Longstreth a rendu à l’indie-rock sa New-Yorkais déconstruisent genres et codes avec la grâce
vocation avant-gardiste, lui payant son tribut (visitation du d’enfants prodiges, aux voix angéliques. Quand les tenan-
classique Rise Above de Black Flag) tout en remuant époques ciers indie (Strokes, Kills, TV on the Radio) font dans la
et frontières (collaborations avec David Byrne, Björk, The rengaine (redite), les Dirty Projectors rénovent (projettent),
Roots ou Rusko). Musiciens virtuoses, aussi à l’aise dans le emmenant Vampire Weekend, Battles, Tune-Yards ou les
groove R’n’B, le picking congolais que le riff classic-rock, les prometteurs Suuns dans leur roue. _W.P.
Animal Collective
Après avoir réveillé Brooklyn et accouché d’une ména- la poignante mélancolie teenage) des masques et des
gerie bariolée (Ariel Pink, Gang Gang Dance, Wavves et plumes de la magie (Down There d’Avey Tare, plus rep-
toute la chill-wave derrière en file indienne), le collectif tilien). Leur labo-label Paw Tracks sert de trampoline
animal bat le tambour en ordre dispersé, profitant d’une à leurs expériences psyché, faisant également rebondir
reconnaissance trop pressante pour séparer les chants la tribu (Black Dice, Dent May, Prince Rama) vers la
de chœur et la liturgie (Panda Bear et son Tomboy à lune et les étoiles. _W.P.
Tomboy de Panda Bear et Down There d’Avey Tare (Paw Tracks / La Baleine) // Animal Collective sera le curator du festival All Tomorrow’s Parties du
13 au 15 mai à Minehead (GB) et en concert le 27 mai à l’occasion du festival Villette Sonique, à Paris
Bill Callahan
S’il n’en reste qu’un… Bill Callahan, ex-Smog, ex- c’est un classique (sens aigu de l’espace, castings de
(Smog), est un peu le Clint Eastwood de l’écurie rêve) en même temps qu’une anomalie (indépen-
Drag City (label de Pavement, Will Oldham, Jim dance synonyme de solitude, pas de happy ends). Sa
O’Rourke…) : lonesome cow-boy séduisant (Cat Power dernière Apocalypse enfonce le clou, faisant exploser
ou Joanna Newsom figureraient parmi ses ex) à la voix cordes et bois colorés sur un lavis d’accords en toile
sèche et précise, débitant depuis vingt ans sa neuras- brute, son regard perçant repoussant les frontières.
thénie mordante en chansons folk-rock extralucides, La classe américaine. _W.P.
Tom Russell
L’un de ses morceaux, joué en ouverture, donne son titre prononcée, de concept-album sur ses ancêtres (The Man
à Road to Nowhere de Monte Hellman, qui parle de lui From God Knows Where) en fable christique enregistrée
comme de « l’intellectuel des songwriters, le James Joyce de avec la crème du son tex-mex (Blood and Candle Smoke,
la country » : timbre grave mais verbe haut, Tom Russell se avec Calexico). Dans une autre vie, Russell a enseigné la
pose en héritier crédible de Johnny Cash, prenant, après des criminologie ; il en a manifestement retenu la technique
débuts orthodoxes dans les 70s, une tangente de plus en plus du crime (presque) parfait. _A.T.
Snoop Dogg
Paradoxe : c’est au moment où il sort son album le plus mac entre 2003 et 2004) : s’entourer des meilleurs pro-
anecdotique (Doggumentary) que Snoop se trouve célé- ducteurs (Neptunes, Timbaland) et vocalistes (R.Kelly,
bré par la communauté indie, clôturant l’édition 2011 Timberlake) contemporains pour faire de ses chimères
de South By Southwest et collaborant par deux fois lubriques un business juteux. En entretien, le trou-
avec Gorillaz. Loin de ses primes facilités gangsta, ce badour Jean-Louis Murat a coutume de comparer le
métis afro-amérindien s’est renouvelé en appliquant débit du vieux Dylan à celui de Snoop ; le compliment
au hip-hop les préceptes pimp (il aurait été réellement a – convenez-en – du chien. _A.T.
Apocalypse de Bill Callahan (Drag City / Pias)
Doggumentary de Snoop Dogg (Capitol / EMI)
CHARLES BURNS
Une obsession traverse les livres de Charles Burns : des aventures d’El Borbah
jusqu’au récent Toxic, il est habité par les idéaux do it yourself du punk, qu’il
a assimilés lors de ses études en Californie dans les années 1970. Malgré le
succès public de son Black Hole, Burns n’a jamais cessé de publier lui-même
de petits livres, intitulés Free Shit et destinés à ses fans. Il n’hésite pas non plus
à prêter ses dessins pour des pochettes de disques et des fanzines, ou à sortir
des ouvrages sidérants chez des éditeurs confidentiels, comme les Français
Le Dernier Cri ou United Dead Artists. À l’image de Robert Crumb, l’indé-
pendance de Charles Burns est un modèle post-punk en soi.
_Jo.Gh.
Extrait de Toxic de Charles Burns
SAMMY HARKHAM
Inédite en France, l’œuvre d’Harkham est pour l’instant composée d’une poi-
gnée de petits livres et du comics Crickets. Né en 1980, Harkham tient aussi
et surtout la librairie Family à Los Angeles, île aux trésors pour publications
autoproduites (fanzines, vinyles, K7), depuis laquelle il a édité pendant les
années 2000 l’anthologie Kramer’s Ergot. En sept numéros, celle-ci rassemble
la fine fleur des jeunes dessinateurs américains qui partagent son esprit indé-
pendant face aux géants de l’édition que sont Marvel, DC ou Fantagraphics.
Harkham a ainsi fait travailler la plupart des auteurs de Kramer’s Ergot pour
un numéro spécial du comics des Simpsons, à la fois détournement réussi et
hommage respectueux.
Extrait de Kramer’s Ergot n°7, ouvrage collectif
_Jo.Gh.
BOUDOIR
107
DVD-THèQUE
SCOTT PILGRIM repart en pèlerinage 108/109
CD-THèQUE
La pop ensablée de METRONOMY 110/111
BIBLIOTHèQUE
Le Polygame solitaire de BRADY UDALL 112/113
BD-THèQUE
YOSHIHIRO TATSUMI, portrait du dessinateur en artiste 114/115
BD-THèQUE
Les duels homériques de TOTAL WAR : SHOGUN 2 116/117
avril 2011 WWW.MK2.COM
108 LE BOUDOIR /// DVD-THÈQUE
Des projections tests élogieuses, le soutien dithyram- des quatre formidables commentaires audio (malheu-
bique de Jason Reitman, Quentin Tarantino, Kevin Smith reusement non sous-titrés) ou du making of, les disques
ou Guillermo del Toro, puis un marathon promotionnel débordent de la passion d’une équipe très investie,
enthousiaste n’ont pas suffi à faire de Scott Pilgrim un dont la motivation fut pourtant mise à rude épreuve
succès en salles. Quelques mois après cette première pas un tournage éreintant. Car, et c’est la seconde
vie troublée, son réalisateur Edgar Wright (Shaun of the grande révélation des suppléments, on s’étonne sans
Dead, Hot Fuzz) surmonte cet échec comme il cesse devant la masse de défis relevés par
le peut : « Ce qui demeure frustrant, c’est qu’au- le film. On notera aussi l’exploit physique de
jourd’hui le sort d’un film se joue dans ses 72 Michael Cera, qui est parvenu à rendre son
premières heures d’exploitation. Ça n’a pas interprétation aussi naturelle dans les scènes
toujours été le cas ; et d’ailleurs, la plupart des de combat que dans les séquences de pure
grands films de l’histoire du cinéma n’ont pas comédie.Les amateurs de BD apprécieront de
été des succès instantanés. » leur côté la passionnante réflexion qui sous-
tend cette adaptation : de la gestion de la
Il faut dire que le projet, adaptation du manga ligne claire aux raccords de montage, le film
canadien Scott Pilgrim vs. The World de Bryan est rempli de trouvailles graphiques destinées
Scott Pilgrim
Lee O’Malley,n’avait rien d’évident : il s’agissait à tendre un pont entre le septième et le neu-
d’Edgar Wright
de retranscrire les aléas de l’éducation senti- (Universal) vième art. Après des heures passées à explo-
mentale d’un jeune adulte à travers un pat- rer cette édition DVD, il semble évident que la
chwork de références allant du jeu vidéo au film de kung- vie de ce film étrange ne fait que commencer, comme
fu en passant par le rock indépendant… « Aujourd’hui, l’espère Wright : « Dès que nous avons commencé à
j’ai un sentiment doux-amer sur mon film, continue projeter Scott Pilgrim en public, j’ai compris qu’il ne
Edgar Wright. On ne lui a pas donné la chance de ferait jamais l’unanimité mais qu’il allait rassembler
trouver son public en salles, mais j’en suis en même un noyau dur de fans fidèles. » C’est ce qu’on appelle
temps extrêmement fier, comme toutes les personnes un film culte.
qui ont travaillé dessus. » Un ressenti très affirmé dans Retrouvez l’i ntégra lité de notre entretien a vec Edga r Wright
le DVD et le Blu-Ray qui sort aujourd’hui : qu’il s’agisse sur www.mk2.com
MONDES AGRICOLES
BOURGEONS CHORÉGRAPHIQUES
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110 LE BOUDOIR /// CD-THÈQUE
© Gabriel Green
new wave La pop ensablée de Metronomy
Avec The English Riviera, le groupe electro-pop britannique METRONOMY troque ses
breloques kraftwerkiennes contre de vrais instruments et glisse sur l’autoroute du soleil,
de la côte anglaise jusqu’aux 70s américaines. Cette autoroute, bien sûr, est une vague.
_Par Wilfried Paris
Le soleil et la mer de la West Coast font décidé- Rien de très glorieux donc, dans cette English Riviera
ment fantasmer bien des Européens. Tandis que de rêves et de toc, où les histoires d’amour se délitent
les Normands Da Brasilians s’abîment les pupilles sur des arpèges de guitares tristes (Trouble) et où l’on
sur l’horizon lointain de leurs aînés californiens, ou préfère rêver à la maison plutôt que de s’ennuyer en
que La Femme surfe à Biarritz sur les sensations soirées. Pourtant, une Talk Box (qui modifie la voix,
d’une vague enroulant Beach Boys et Jacno, c’est entre vocoder et auto-tune) droit sortie d’une bal-
aujourd’hui la côte anglaise – le Devon – qui se fait rha- lade de Stevie Wonder fait dévier le même morceau
biller par Metronomy au couleurs sable, coco et pam- vers la touche bizarrement mécanique qui carac-
plemousse du bout du monde américain. térise Metronomy. Remarqué en trio avec
Comme si Fleetwood Mac ou Steely Dan se Night Outs (2008) pour son electro-pop
retrouvaient en villégiature dans les plaines homemade et déglinguée en machinettes
du Dartmoor, dansant dans quelque dis- dancefloor tordues, Metronomy est devenu
cothèque de station balnéaire britannique un supergroupe pop (batteuse blonde,
avec un clone de Robert Smith (sur l’emblé- bassiste noir, clavier-saxo, guitare-lead) qui
matique She Wants). Cette scène musicale peaufine un songwriting classique (chanté
The English Riviera
imaginaire, où des hipsters palots fréquen- haut, fragile), et humanise sa présence. Si la
de Metronomy
teraient en bermuda des record stores au (Because) mélancolie se joue laid back (Some Written)
bord de l’eau, Joseph Mount, meneur de et mid-tempo (The Look), de fugitives éclair-
Metronomy, l’a nommée « Devon sound ». « Les gens cies balaient la piste (The Bay, hymne locale en cres-
qui ont grandi dans ces paysages ont dû apprendre cendo de synthés 80s ; Everything Goes My Way, mer-
à user de leur imagination pour faire les meilleures veilleuse petite comptine amoureuse), passant de la
choses à partir de… pas grand-chose ! Pendant un plage à la danse – même à cloche-pied. Surprenant
mois, en été, ça peut être très joli, doux, vivant. Et de bout en bout (au sein d’une chanson ou d’une
puis on retourne vite à la réalité : c’est juste une sta- discographie), Metronomy explore dans The English
tion balnéaire et il ne s’y passe rien. Mais ça fait du Riviera l’art du contre-pied. Pas du tout chillwave, pas
bien de retourner en Angleterre… » du tout métronomique.
PLAISIR SAADIQ
STONE ROLLIN’
de Raphael Saadiq
(Sony Music)
Retour du plus doué des revivalistes
soul américains, après l’acclamé
The Way I See It en 2008. Stone
Rollin’, quatrième album studio de
Raphael Saadiq, ne révolutionne pas le genre mais
confirme le talent du Californien pour le songwriting
raffiné et l’arrangement qui tue. En quête de groove
atemporel, le fondateur de feu Tony!Toni!Toné! amorce
ce disque par une enfilade de tracks criards et éner-
giques, sous le patronage rock’n’roll de Mick Jagger
(Saadiq a rencontré le chanteur des Rolling Stones
lors d’un hommage à Solomon Burke, d’où le nom
de cet album) avant d’embrayer sur une échappée
« gospeledic », pour finir en beauté sur un mouvement
plus soul, façon Marvin Gaye, superbement orchestré.
_E.V.
TRUE COLORS
NO COLOR
de The Dodos (Wichita / Cooperative)
Les nouvelles de San Francisco
étaient bonnes. Via Pitchfork,
Meric Long, Dodo en chef, avait
fait entendre que le temps des égarements trop
pop était terminé. No Color, quatrième LP du duo
californien, marque effectivement un retour aux
sources, dans la lignée de Visiter – le plus beau
bijou psyché folk de la dernière décennie, rien
de moins : jeu recentré autour des percussions
tribales et guitare fingerpicked, omniprésence
des riffs (moins blues, plus nineties), et la partici-
pation de la charmante Neko Case de The New
Pornographers. Si les Dodos semblent avoir perdu
une partie de leur spontanéité et leur sens de
l’autodérision, cet album confirme que l’intensité
et la fougue sont bel et bien de retour.
_I.H.-L.
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112 LE BOUDOIR /// BIBLIOTHÈQUE
© Hector Udall
Brady Udall
Ils sont aujourd’hui quelques milliers, retirés dans Mais cette vie de famille envahissante commence à
leurs ranchs de l’Utah, à pratiquer le mode de vie mor- lui peser. « Il ne voulait plus entendre parler du match
mon. Ces polygames américains, pères de dizaines de basket d’untel ou untel qu’il avait oublié, ni de
d’enfants qu’ils élèvent avec austérité dans la foi chré- telle réunion de parents d’élèves qu’il avait ratée ;
tienne fondamentaliste, ne laissent pas de fasciner il ne voulait plus voir de facture d’électricité ni de
– notamment à cause des fantasmes sexuels qu’ils feuille d’impôt. » Pour prendre l’air, il accepte alors
suscitent. Bizarrement, ce sujet a peu été des chantiers de plus en plus éloignés et finit
traité par la fiction, à part dans Big Love, par se retrouver dans le Nevada à construire
série américaine diffusée sur HBO depuis un immeuble qui se révèle être un bordel.
2006. Brady Udall ne pouvait, quant à lui, pas Une situation gênante pour un chrétien fon-
passer à côté : comme l’écrivain né dans damentaliste, qui ne s’arrange pas lorsqu’il
une famille mormone de l’Arizona le dit avec tombe amoureux de la femme du maque-
humour, « si la polygamie n’avait pas existé, reau… Brady Udall alterne dans son livre les
je n’existerais pas non plus ». Élevé parmi points de vue de son héros, de sa quatrième
huit frères et sœurs, Udall possède égale- femme et de l’un de ses rejetons, mêlant ainsi
ment une expérience de première main le destin paradoxal d’un homme et le tableau
en matière de fratries étendues… Après Le Polygame solitaire d’ensemble de sa famille aberrante. Installé
un article sur la question dans Esquire, en de Brady Udall dans l’Amérique des années 1970, avec la
(Albin Michel, roman)
1998, il s’est donc lancé dans l’écriture de paranoïa nucléaire en arrière-plan (le bordel
ce roman mettant en scène une famille adepte du voisine avec un champ de tests atomiques), le roman
« mariage plural », selon le terme retenu par les fonda- évite élégamment l’écueil du scabreux (la polygamie,
mentalistes. Dix ans plus tard, son travail est devenu c’est aussi des scandales de viols et de mariages for-
une fresque colorée de plus de 700 pages. cés) pour composer avec tendresse le portrait d’une
famille à la fois hors du commun et étrangement nor-
Le héros s’appelle Golden Richards : artisan, croyant male, attachante dans sa différence. Et Brady Udall de
et pilier de sa communauté, marié à quatre femmes confirmer sa patte, celle d’un héritier de Dickens ou
avec qui il a eu 28 enfants répartis dans trois maisons. d’Irving, dans cette comédie au long cours.
DÉMIURGE ET AUTRES
NOUVELLES de Florian Mazoyer
(Gallimard, roman)
Depuis sa fenêtre, Grosz Mann peut
voir l’écrivain Raoul Inkerman à
sa table de travail. Mann a lu tous
ses romans, y compris le dernier,
lauréat du prix Goncourt. Voyeur
indélicat, il connaît les habitudes
de son idole par cœur et sait que
l’histoire selon laquelle il utilise toujours le même stylo
plume n’est pas une légende. Et s’il s’en emparait,
pour mieux entrer dans sa peau ? Doubles, impos-
tures, créateurs, œuvres, bibliophilie et frontière entre
réel et fiction : Florian Mazoyer marche sur un chemin
proche du fantastique et des miroirs borgésiens dans
ces quatre nouvelles classieuses et astucieuses
– premier livre publié et belle entrée en littérature.
On est impatient de lire la suite.
_B.Q.
Double mixte
JOSEPH L. MANKIEWICZ
ET SON DOUBLE de Vincent Amiel
(PUF, essai)
Dans l’euphorie créatrice des an-
nées 1950, Mankiewicz fut « l’un des
fleurons de l’empire hollywoodien
en même temps que l’un de ses
plus ironiques commentateurs »,
écrit Vincent Amiel dans cet essai,
résumant l’ambivalence du réalisateur. Présences
fantomatiques (L’Aventure de Mme Muir), faux sem-
blants (Le Limier), réflexion sur le spectacle (Eve) : son
œuvre, entre classicisme et modernité, convoque de
multiples figures du double, rigoureusement analysées
ici. Parmi toutes ces ombres plane celle du frère du
cinéaste, Herman, génial scénariste de Citizen Kane
et noceur invétéré, dont Joseph disait : « Il a toujours
été le génie de la famille. » Passionnant.
_J.R.
WWW.MK2.COM
114 LE BOUDOIR /// BD-THÈQUE
On ne pouvait songer à plus beau titre pour un masquant les noms, recréant les visages… Tatsumi
livre qui s’emploie à narrer la trame d’une vie pas- lui-même est représenté sous un nom différent ; sans
sée dans les marges de la société, mais aussi en doute par modestie ? Quoi qu’il en soit, Une vie dans
marge des cercles officiels de la bande dessinée. Une les marges montre un auteur s’acharnant à dessiner
vie dévolue à faire reculer les limites qui ont comme et infiltrer le milieu du manga, dont sont montrés les
emmuré l’auteur : marges de ses racines familiales, évolutions drastiques mais aussi les comportements
marges de sa pratique… Yoshihiro Tatsumi, quasi-mafieux.Tatsumi intègre d’ailleurs dans
qui est à n’en pas douter l’un des dix plus son récit un personnage dont il garde le vrai
importants auteurs de bande dessinée au nom : Osamu Tezuka (Astro, le Roi Léo…), qui
Japon et sans doute dans le monde entier, tient une place centrale dans la BD japonaise
raconte ici un bout de sa propre vie. Ce fai- contemporaine, par son succès, l’influence
sant, il revient sur le parcours qui l’a mené qu’il a pu avoir et la manière dont il a toujours
à inventer, dès la fin des années 1950, une remis en cause son propre travail. Sa ren-
forme inédite de manga, plus adulte dans ses contre avec Tatsumi est, en ce sens, un évé-
thèmes et ses options narratives : le gekiga. nement fondateur pour la bande dessinée
moderne. Graphiquement, le livre témoigne
Une vie dans les marges
Tatsumi est parti pour cela de son désir de l’habituelle dextérité de Tatsumi, qui s’at-
de Yoshihiro Tatsumi
d’enfant, qui le poussait à raconter des his- (Cornélius) tarde sur les visages et les corps plutôt que
toires, investir le champ de la BD japonaise sur des décors fastidieux et insère parfois
qui fleurissait dans les années d’après-guerre. Son livre, des images retravaillées d’affiches de cinéma ou de
dont l’éditeur Cornélius publie ce mois-ci la première figures populaires, qui placent son récit au cœur d’un
partie de près de 400 pages avant d’en faire paraître mouvement historique. En peu de traits, il rend ainsi
la suite en septembre, oscille ainsi entre l’autofiction et compte d’une époque tout en disséquant avec force
l’autobiographie. Sans jamais sombrer dans la com- ce qui l’a conduit à devenir dessinateur : au-delà de
plaisance ou le pathos, l’histoire prend ses sources son expérience propre, c’est toute une frange de la
dans le parcours de Tatsumi mais s’en détache en comédie humaine qui est restituée.
L’ALBUM JEUNESSE
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116 LE BOUDOIR /// ludothÈque
© Sega
Dessin préparatoire pour Shogun 2
On en avait vidé la moitié de notre grec-frites sur front, cohérence visuelle avec l’époque convoquée,
le clavier. C’était quand même passer de l’angoisse et surtout rigueur historique frisant la thèse universi-
du déjeuner collégien en vitesse chez un pote – dans taire. De la Rome antique (2004) à la préhistoire des
la panique de l’interro digestive du cours d’histoire – États-Unis (2009), Total War consacre une grosse par-
au commandement impérieux d’une horde tie de son travail à la collecte d’un matériau
de cavaliers campés dans un Japon du XVIe de première main : plans d’écoles navales,
siècle. Avant Shogun : Total War, nous ne bit- estampes d’autres siècles, carnets de cam-
tions rien aux jeux de stratégie.Par paresse bien pagne… S’ajoute un soin maniaque pour
sûr, m’enfin vous vous souvenez de la tronche la bande-son et la direction artistique dans
rébarbative du premier Age of Empire ? En 2000, Shogun 2. Parcourir les menus, peints dans la
l’investissement vidéoludique d’un élève de toile de La Grande Vague de Kanagawa, au
troisième se cantonnait à chasser le dahu sous son du martellement des taikos traditionnels
la forme d’un hypothétique code permettant tient déjà de l’expérience de jeu.
de dessaper Lara Croft sur PlayStation. Alors,
pour nous intéresser, les développeurs de The Total War : Shogun 2 On sait que cette compilation studieuse d’ar-
Creative Assembly eurent la grande idée de Genre : Stratégie chives vaut régulièrement aux productions
mêler des phases de conquête au tour par Éditeur : Sega Total War la couverture du magazine Historia.
Plateforme : (PC)
tour, figurées sur une carte militaire, et des Mais il faut reconnaître, cette fois, que donner
séquences d’escarmouche en temps réel où les unités du sens à la pagaille épique des dissensions utérines
s’affrontaient dans le blanc des yeux, pilotées en 3D par du Japon féodal tient de la gageure. Shogun 2 par-
un joueur-général tout-puissant. vient à faire des trahisons familiales et des instabilités
des potentats locaux un élément de la progression du
En une décennie, la série des Total War a toujours validé joueur, conférant un intérêt propre à ce volet par ailleurs
ce cahier des charges d’infanterie : manœuvres mar- catalogue du meilleur de ses prédécesseurs. Si le Japon
tiales à petite échelle, moteur graphique stupéfiant de des samouraïs est au programme de troisième l’année
détail, affichage de milliers d’hommes sur le même prochaine, le brevet des collèges sera pure formalité.
C’EST LA ZONE
FAIT MAISON
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118 SEX-TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
FÉTICHE
CHIC
Taille cintrée dans son trench et chignon vertigineux de blonde hitchcockienne, Catherine
(Frédérique Bel) élance des jambes interminables sur l’asphalte oriental. Julien Carbon et
Laurent Courtiaud, scénaristes (français) fétiches du maître Tsui Hark – pour qui ils ont écrit
Black Mask 2 : City of Masks –, s’adonnent aux codes de la série B hongkongaise dans leur
premier long métrage. Quand les talons de Catherine s’arrêtent devant une cloison japo-
naise, c’est pour mieux révéler ses pieds, vulnérables puisque dénudés. Élégante succube
aux griffes dévastatrices, Carrie (Carie Ng) s’amuse de ces faiblesses et éviscère les douces
étrangères afin d’asseoir la longévité d’un poison millénaire. Sensuellement moribond.
© Morgan Ommer
_L.P. // Les Nuits rouges du bourreau de jade de Julien Carbon et Laurent Courtiaud // Sortie le 27 avril