Maître Huang Po

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MATRE HUANG PO

et autres Kusens et Mondos

Comments par Matre ROLAND YUNO RECH

Gyobutsu Ji
du 2 juillet 2003 au 5 aot 2003

MATRE HUANG-PO (en japonais : baku Kiun)


Mardi 15 juillet 2003 : pense intentionnelle

zazen, on revient constamment la concentration sur la posture assise, la verticalit du dos. Les paules sont relches, le ventre dtendu et on est attentif la respiration. En portant ainsi son attention la posture du corps et la respiration, lagitation mentale se calme et on peut observer ce qui apparat et disparat chaque instant, en ne rejetant pas ce qui apparat, quelles que soient les penses, les motions qui surgissent et en ne les retenant pas au moment o elles disparaissent. Cest lattitude fondamentale de zazen qui est valable galement dans la vie quotidienne. Ne pas saisir, ne pas garder, ne pas rejeter, cela ne veut pas dire ne rien sentir, ne rien voir ou ne pas penser. Cela ne veut pas dire devenir indiffrent soi-mme ou aux autres mais simplement raliser un cur et un esprit dtach, dnou. Matre Huang-po (en japonais baku Kiun) disait : La seule chose que le disciple doit craindre, cest quune seule pense le dtourne immdiatement de la voie et il ajoutait : Labsence dactivit intentionnelle tout moment, voil prcisment la voie de Bouddha . La pense qui peut nous dtourner de la voie, ce nest pas la pense qui surgit inconsciemment et naturellement mais la pense intentionnelle. Par exemple, en zazen, ce serait de vouloir quelque chose, vouloir saisir, rejeter, vouloir le satori, vouloir devenir Bouddha consciemment et persister dans cette intention en pensant que cest la pratique de la voie. Par contre, si une intention ou un dsir se manifeste, sans le refouler ni le rprimer, on en prend naturellement conscience et on le laisse passer sans retenir, sans rejeter. Dans ses recommandations, Huang-po disait que ceux qui veulent devenir bouddha, cest--dire veill, ntudient rien de la mthode spirituelle de Bouddha car la non-recherche et le non-attachement suffisent. Cest revenir lessence de lexprience de Bouddha. Le Bouddha Shakamuni avait beaucoup cherch, beaucoup pratiqu et finalement, cest lorsquil a cess de rechercher quoi que ce soit et quil sest concentr seulement sur zazen, abandonnant tout objet, toute intention quil est rellement devenu un avec zazen. Il a pu galement devenir un avec tout lunivers et sveiller avec ltoile du matin, avec tous les tres. Mercredi 16 juillet 2003 matin : corps et esprit abandonns En zazen, on rappelle constamment de se concentrer sur les points importants de la posture. Lorsque lon enseigne ainsi, chacun se reprsente la posture juste. Cette reprsentation devient comme lobjet de la pratique. Il y a soi assis sur le zafu et une certaine ide de la posture juste raliser. Bien que ceci soit invitable, il est important au

Pendant

plus tt dabandonner cette reprsentation de la posture et devenir simplement ce corps assis dans la posture sans aucune sparation entre le corps et lesprit, entre lintention et la ralisation, sinon lide de la posture devient un nouvel objet dattachement, une source de tension entre comment on est et comment on voudrait tre. En ce qui concerne ltat desprit, il en est de mme. Bouddha a enseign la voie de la ralisation de lveil. Sveiller est le vritable sens de notre pratique. Lveil consiste voir, raliser, sharmoniser avec sa vritable nature (dans le zen Rinza, on appelle cela : le Kensh). Si cette vritable nature devient comme la posture, un objet atteindre, raliser, il y a de nouveau une division lintrieur de soi, une tension, un attachement. Critiquant cette attitude de vouloir voir sa propre nature, Matre Dgen en tait venu enseigner que simplement voir est sa propre nature. Juste ici et maintenant, lactivit de la pratique de zazen est notre propre nature et non pas une tape vers la ralisation.

Bien quil ait toujours enseign que la pratique du zen est de se concentrer sur le corps et dobserver son esprit, Dgen insistait sur le fait que la vritable concentration se ralise avec le corps et lesprit abandonns, datsuraku. Le corps et lesprit ne sont plus alors les objets de la pratique. Nous devenons totalement ce corps-esprit qui pratique, assis sans plus aucune conscience de pratiquer quelque chose de spcial, sans attente, sans recherche de quoi que ce soit. Mme si une attente ou une recherche se manifeste, ceci est galement vu puis abandonn dans linstant. Cela fait compltement partie de la pratique. Corps et esprit abandonns est une pratique qui se renouvelle dinstant en instant, dinspiration en expiration. Cest la pratique daller constamment au-del de toute division et si une division se produit, laccepter totalement, devenir cette division elle-mme, ne pas rajouter une nouvelle division par rapport ce qui se passe juste ici et maintenant. Mme si ce que je vous dis ressemble une mthode, ne vous attachez pas cette mthode car comme disait Huang - po : Non-recherche et non-attachement suffisent pour raliser la voie de Bouddha .

Mercredi 16 juillet 2003 soir : lexistence avec

Dans la vie quotidienne, nous sommes le plus souvent tourns vers les objets du monde extrieur. Lorsque lon entre dans le dojo, on sassoit face au mur et notre attention est tourne vers lintrieur de nous-mme. On est concentr sur la posture du corps, sur la respiration. On pense que la pratique de zazen consiste observer son esprit. Mais si on est assis avec cette intention dobserver son propre esprit alors, on cre une sparation entre cette intention et lesprit lui-mme. Lesprit ne pouvant se saisir lui-mme, cette intention est impossible raliser. Matre Huang-po recommandait doublier la fois les objets et lesprit, de ne sattacher ni aux uns ni lautre. Srement en entendant cela, vous acceptez, pendant zazen tout au moins, de renoncer poursuivre les objets du monde extrieur mais abandonner son propre esprit est beaucoup plus difficile accepter. Comme le remarquait Matre Huang-po : On craint alors de tomber dans le vide sans plus avoir quoi que ce soit pour se raccrocher. Cest sans doute la raison pour laquelle durant zazen, les penses surgissent sans cesse comme pour viter de se confronter avec ce que lon croit tre le vide. Cest comme allumer un poste de radio pour masquer le silence, pour remplir le volume de la pice. En ralit, comme le remarquait Matre Huang-po : Cette crainte est injustifie . En zazen, abandonner son esprit au sens dabandonner lattachement aux penses, en raliser la vacuit, labsence de substance fixe, ce nest pas rencontrer le vide. Au contraire, cest la rencontre de notre existence constamment relie notre environnement, aux autres, tous les tres. La vacuit que lon rencontre dans la pratique, cest labsence de sparation, cest lexistence constamment relie. Ce qui fait dire que cette existence est sans ego, sans substance autonome propre. Cela na rien voir avec le vide qui donne le vertige et dans lequel on aurait peur de tomber. Au contraire. Huang-po qualifiait cette rencontre avec la vritable nature de notre existence de domaine absolu . Cette vritable nature de lexistence, on ne peut lassimiler un objet, ni la mesurer, ni la dcrire comme tant comme ceci ou comme cela. Cest notre existence en totale interdpendance avec tous les tres. De quelque cot que lon se tourne, on ne rencontre que lexistence sans sparation. Cest cette nature de lexistence que le Bouddha sest veill en contemplant, en zazen, ltoile du matin. Cest ce qui lui a fait sexclamer quil avait ralis lveil avec tous les tres. Dans cette expression, le mot avec est srement le plus important. Pntrer vritablement cette existence avec , cette existence relie, cest raliser une existence qui na pas de naissance ni de mort et qui est en constante transformation, audel de toute forme fixe. En zazen, nous pouvons exprimenter constamment cet audel de toute forme fixe . Si on cherche devenir intime avec son propre esprit, tout ce que lon peut rencontrer, cest cette absence de forme fixe. Sharmoniser avec cela, laccepter, le vivre compltement, cest retrouver un esprit fluide, sans aucune fixation, sans aucune coagulation mentale. Dans la voie du Bouddha, sveiller cette ralit et retrouver une vritable et profonde libration, sont deux choses qui fonctionnent

ensemble, qui ne peuvent pas tre spares. Raliser cela en le recherchant nest pas possible. Cest pourquoi Matre Huang-po recommandait le non-esprit, cest dire la pratique au-del de toute intention, sans arrire pense, sans calcul, qui permet la ralisation dune silencieuse concidence entre ce que nous sommes au fond et ce que nous vivons ici et maintenant. Cest retrouver lauthenticit de notre vie.

Mondo du mercredi 16 juillet 2003: la silencieuse concidence

Q : Cest au sujet de lexpression silencieuse concidence que je narrive pas situer ? RYR : Il vaut mieux ne pas pouvoir la situer. Cette silencieuse concidence se ralise lorsque lon abandonne lesprit qui veut situer, attraper, saisir quelque chose. Alors, si on commence vouloir expliquer cette silencieuse concidence, cela devient une nouvelle fabrication mentale et il ny a plus de concidence. On peut y faire allusion, en parler mais cest une approximation. Cest ce que jai fait tout lheure lorsque jai dit quau fond, cela revient la concidence qui se ralise entre ce que nous sommes et ce que nous exprimentons, ce que nous vivons. Par-l, je voulais dire qutant des tres en totale interdpendance avec tous les tres, avec tout lunivers donc sans rien de fixe, sans rien de spar, ni de permanent, la silencieuse concidence consiste raliser un esprit qui reste ouvert cette interdpendance, qui ne stagne sur rien, qui arrte de faire des sparations. Cest labandon dune certaine forme dactivit mentale qui permet la silencieuse concidence. Le fait mme de lexpliquer pour essayer de clarifier les choses, risque dempcher cette silencieuse concidence. Si on pense dans ces termes l, on est de nouveau dans la dualit, on nest pas dans cette unit. Quand on parle du silence, cest du silence du non-esprit. Cest le silence dune activit non-mentale. Cest le silence dhishiry. Cest le silence darrter les dlibrations, cest--dire darrter ce que lon fait maintenant ! .
Jeudi 17 juillet 2003 matin : linsaisissable

Pendant zazen, on peut observer le fonctionnement de notre esprit, non pas lesprit lui-mme mais comment il fonctionne. En tant concentr sur la posture et la respiration, on nadhre plus ses penses, on peut prendre un certain recul et voir ce qui se passe, comment cela se passe. On peut voir que lon entre dans toutes sortes dtats desprit diffrents en fonction des objets de penses : objet

agrable et lesprit devient heureux, objet dsagrable, proccupation et lesprit sassombrit. On pourrait croire quil faudrait parvenir liminer les objets dsagrables et ne conserver que les objets et les penses plaisants mais dans ce cas-l, on est toujours dpendant de lesprit qui fonctionne en fonction de lattrait et du dgot. Cest cet esprit l qui produit sans cesse de nouveaux objets. Si on veut se contenter de choisir, essayer de contrler les objets de pense, on na jamais fini. Cest ce que lon appelle la vie de transmigration. Quand on demande quelquun Comment a va ? , suivant son objet de pense du moment, la personne va rpondre : Ca va ou Ca ne va pas . Si on observe cela de cette manire, on peut facilement comprendre que ce ne sont pas les penses quil faut contrler mais lesprit qui les produit. En zazen, si on se concentre totalement sur la posture et la respiration, lesprit est parfaitement absorb par cette concentration et, abandonnant son esprit par la pratique, les objets de pense disparaissent galement. Tant quon laisse son esprit adhrer toutes sortes dobjets de pense, on ne peut pas sortir de la confusion. En revenant la concentration sur le souffle, sur la posture du corps, on abandonne ce mode de fonctionnement de lesprit qui poursuit sans arrt un objet, qui suscite mme les objets, qui les produit. Alors, tout devient clair, calme et la confusion disparat. Aussi comme le remarquait Huang-po : Tout revient uniquement lesprit et cet esprit lui-mme est insaisissable. Sharmoniser avec cet esprit, raliser cette silencieuse concidence dont il nous parle, cest juste arrter de saisir quoique ce soit. Cest le sens de se concentrer sur les pouces en zazen, sur cette position des mains qui ne saisissent rien. Cela influence lesprit afin que son fonctionnement redevienne ce quil tait originellement, cest--dire vaste et limit par rien.
Samedi 19 juillet 2003 matin : ne drangez pas lesprit

Dans ce dojo, nous navons pas de grosse cloche lextrieur mais nous avons les mouettes pour nous rappeler linstant prsent. Si on se laisse entraner par les penses, dun seul coup, un cri doiseau nous ramne lici et maintenant de notre vie, nous ramne la seule chose relle. Comment vivons-nous cet instant-ci ? Le reste nest que productions mentales, imagination, tout fait irrelles. A cause de nos projections mentales, notre vie devient souvent complique et parfois mme inquite, douloureuse. Lorsque lon vient faire zazen dans le dojo, nous nous donnons loccasion dexprimenter une autre dimension de la vie, une dimension dgage de toutes les complications mentales. Dans ses recommandations, Matre Huang-po disait : Quand un homme ordinaire (on pourrait simplement dire : quand un homme, une femme, un tre vivant) arrive sa dernire heure, il lui suffit de contempler la totale

vacuit des cinq agrgats, des quatre lments, labsence de soi. Son esprit vritable est sans caractristique. Lessence de son esprit naugmente pas la naissance et ne diminue ni ne sloigne la mort . Le bouddhisme enseigne la vacuit pour revenir cet esprit purifi de toutes obstructions mentales, cet esprit source mme de lveil et ainsi raliser la paix parfaite, lexistence sans sparation. La vacuit est une sorte de mdicament, de remde contre lattachement. Cest un mdicament qui ne se contente pas de sattaquer au symptme mais qui tranche directement la racine. Il remdie la cause profonde. Huang-po voque le moment o arrive la dernire heure. Quant Matre Deshimaru, il recommandait souvent de pratiquer zazen comme si ctait la dernire heure. Autrement dit, nattendons pas que ce soit la dernire heure, considrons chaque heure comme la dernire, vivons-la pleinement en se dbarrassant de tout ce qui obstrue notre esprit, notre vision, ce qui drange la paix fondamentale de lesprit. Si lon est trop attach son propre ego et si lon ne peut parvenir cette libration, il est recommand den observer la vacuit, de voir que le corps na pas de substance propre, que les sensations et les perceptions vont et viennent de manire impermanente, relatives aux circonstances, que les penses sont des fabrications relatives et insaisissables et que mme notre volont est changeante. On sattache un jour un objet, un projet puis on passe un autre. Ce que lon qualifie de moi existe de manire fugitive et impermanente, tout comme les nuages se transforment sans cesse au gr du vent. Si nous vivons avec ces agrgats, avec cet ego, ils ne mritent pas que lon en devienne esclave. Lorsque lon se libre de lattachement nos fabrications mentales, on ne tombe pas dans le vide ou dans le nant comme beaucoup le craignent mais au contraire, on ralise la concidence avec notre vritable esprit, lesprit vaste sans commencement ni fin, sans obstacle, on sharmonise naturellement avec la ralit. Cet esprit existe toujours exactement dans linstant prsent car il noppose pas le pass, le prsent et le futur. Rencontrer cet esprit, vivre avec, vivre partir de lui nous fait vivre ce que lon pourrait appeler lternel prsent, ce quoi les mouettes nous rappellent constamment. Sil vous plat, ne faites pas de cet esprit un nouvel objet auquel sattacher, ne cherchez pas latteindre ou le saisir mais concentrez-vous plutt sur la pratique de la posture, de la respiration sans vous laisser attirer ou repousser par quoique ce soit et permettez ainsi cet esprit de sactualiser naturellement. Lorsque lon ne le drange pas, il est exactement l, quand on le drange, il est toujours l mais on ne le peroit plus, il nanime plus notre vie. Lenseignement na dautre but que de nous inviter abandonner les causes de drangement.

Mercredi 29 juillet 2003 matin : la concidence des expriences

Pendant zazen, nous ramenons constamment notre attention la posture du corps assis et notamment aux points importants de cette posture. Le bassin est bien bascul en avant, la nuque et la colonne vertbrale tires vers le ciel, les genoux bien enracins dans le sol, le menton rentr, les paules relches, les paules dtendues. On inspire et on expire profondment. Ainsi enracin dans la posture et attentif la respiration, on peut observer lesprit et devenir conscient de ce qui surgit dinstant en instant, au moment mme o cela apparat, sans semparer daucune pense, sans chercher non plus les liminer ou faire le vide. On compare souvent lesprit en zazen au ciel vide qui ne retient rien mais qui contient tout. Et de fait en zazen, des souvenirs, des penses du pass refont surface mais en mme temps, on ralise que le pass est rvolu, que lesprit du pass est insaisissable et que lon ne peut pas revenir en arrire. Parfois des dsirs, des intentions, des projets surgissent. On pense au futur mais le futur nest pas encore l et nos penses du futur nont rien voir avec la ralit future. Pour cette raison, on a tendance dire que seul ici et maintenant est rel. Il faut donc revenir constamment lici et maintenant de notre existence. Le pass tant rvolu, lavenir non encore advenu, seul le prsent a une ralit que lon peut exprimenter directement. Cette ralit du prsent elle-mme est extrmement impermanente. Dinstant en dinstant, tout change. Nos sensations corporelles se transforment au cours du zazen, nos perceptions voluent en fonction des phnomnes autour de nous, les penses senchanent, vont et viennent, apparaissent et disparaissent. Alors, mme si le prsent a plus de ralit que le pass et le futur, le prsent lui aussi est insaisissable. Simprgner de cette exprience, cest raliser lesprit insaisissable dans les trois temps. Le raliser, cest laccepter, ne pas se leurrer, ne pas sembarquer dans des constructions mentales pour se dissimuler cette ralit mais au contraire, lpouser et raliser un esprit fluide sans aucune fixation. Ltat desprit insaisissable est aussi lesprit qui ne stagne pas, qui ne demeure sur rien, qui est donc constamment ouvert louvert, accueillant comme les mains qui restent ouvertes pendant zazen. Cette concidence dont parle Huang-po dans son enseignement, cest de sharmoniser avec cela. La ralit objective de lexistence et notre attitude subjective par rapport elle, sharmonisent sans dcalage. Zazen aprs zazen, nous rptons cette exprience et cette pratique de sharmoniser avec la ralit telle quelle est alors, nos conditionnements mentaux, nos habitudes de penser hritires de nos illusions se dissipent. Cest ce que lon appelle lcher prise. Ce nest pas lcher prise par rapport quelque chose de saisissable mais cest renoncer saisir ce qui (de toute faon) ne peut tre ni conserv, ni obtenu. Lorsque lon parle de transmission I shin den shin, de mon me ton me, ce nest videmment pas quelque chose qui est transmis dune personne une autre personne mais cest la concidence des expriences. Chacun par son karma pass peut avoir lcher des conditionnements diffrents et en ce sens, chacun est unique, diffrent mais dans linstant du lcher prise, lexprience est la mme et la concidence possible.

Mercredi 30 juillet 2003 soir : les trois corps du Bouddha

Lorsque lon pratique zazen, on se concentre compltement sur la posture de son corps. Lattention porte son corps permet lesprit de devenir stable, prsent, de ne pas se laisser entraner par les penses. Ainsi le corps, loin dtre un obstacle la mditation, en est le meilleur soutien. On se concentre galement sur la respiration et notamment sur lexpiration. A la fin de chaque expiration, lnergie est concentre sous le nombril, lagitation mentale se calme, on peut lcher-prise davec nos penses, nos attachements, nos proccupations du moment. Le Bouddha Shakamuni avait indiqu quil avait ralis lveil par cette concentration sur le corps, sur la respiration. Par la suite, aprs sa mort, petit petit, est apparue la comprhension du fait que le Bouddha avait en ralit trois corps, un corps de chair et dos appel corps de manifestation mais galement un corps de jouissance, qui na rien voir avec la jouissance sexuelle ou sensuelle, cest un corps travers lequel le Bouddha apparat dans les diffrentes terres (terres pures) pour continuer enseigner aux tres qui sy trouvent et un corps absolu ou corps du Dharma. Huang-po disait propos de ces trois corps que Le corps absolu de Bouddha prche la mthode de la vacuit et de la libert de notre essence. En ralit, ce nest pas seulement Bouddha qui a ces trois corps mais chacun dentre nous. Le corps absolu, cest le corps et lesprit en unit qui ralise profondment la grande libert en devenant intime avec lessence de notre existence, cest--dire labsence de substance fixe et de quoi que ce soit de limit. Cest travers ce corps-esprit en zazen que lon peut devenir intime avec cette existence qui ne commence pas avec la naissance et qui ne cesse pas avec la mort. Cette existence nest pas limite par nos conceptions, ni par lattachement notre ego, ni lide que nous nous faisons de nous-mme. Ce corps absolu est un corps dans lequel lintrieur de nous-mme et lextrieur, soi et les autres, ne sont pas spars. Cest un corps dans lequel on vit rellement cette unit de soi-mme et de tout lunivers. Lorsque lon est intime avec cette dimension du corps absolu, on nest pas drang par les inconvnients de notre ego tels que les sensations dsagrables : il fait trop chaud, il fait trop froid, il y a ceci ou cela qui ne va pas. Le corps absolu est toujours compltement un avec la ralit de linstant, sans aucun obstacle, sans limite, en complte harmonie avec lordre cosmique. Dans cette harmonie, la vritable libert est ralise car la libert vritable nest pas de vouloir saisir tous nos objets de dsir et de toujours courir dun objet lautre mais de vivre profondment ce que nous sommes en ralit, en harmonie avec ce que nous sommes. Huang-po ajoute : Le corps de jouissance prche la mthode de la puret universelle. La mthode de la puret universelle, cest la comprhension de la non-dualit entre le pur et limpur. Dans le zen, limpuret, cest tout ce qui cre les sparations, les oppositions, les dualits, cest--dire lactivit du mental ordinaire, qui juge, qui mesure, qui compare, qui tantt aime ou naime pas, qui dcrte que ceci est pur, cela est impur et qui ainsi fragmente constamment la ralit. La mthode de la puret universelle, cest lattitude de lesprit qui ne cre plus ou ne sattache plus ces sparations, qui en en observant la relativit, se trouve purifi.

Le troisime corps du Bouddha est le corps dapparition. Cest celui, par exemple, travers lequel Shakamuni Bouddha est apparu en Inde, sept sicles avant Jsus-Christ. Cest le corps qui prche les six paramitas, les six pratiques qui permettent daller au-del de nos attachements, de notre ego limit. Cest la pratique du don, des prceptes, de la patience (comme ce soir : patienter par rapport la chaleur extrme), lnergie qui consiste ne pas se relcher dans sa pratique mais y mettre toujours la mme nergie puis la mditation, le zazen que nous pratiquons et enfin la sagesse. Bouddha Shakamuni a enseign ces pratiques ainsi quune infinit dautres pratiques. Cest ce que prche le corps dapparition. Cette vision du Bouddha enseignant travers trois corps diffrents, des niveaux diffrents, permet de comprendre que son enseignement tait dune infinie richesse, compltement adapt au niveau de comprhension ou dvolution de chacun de ses interlocuteurs. En ralit, ce nest pas seulement Bouddha Shakamuni mais chacun dentre nous qui dispose de ces trois corps mais en gnral, nous nen sommes pas conscients car nous ne sommes pas en contact avec ces trois corps mais seulement avec le corps dapparition. Huang-po commente cela en disant : On ne peut pas rechercher la mthode que prche le corps absolu dans le langage, dans les textes, les formes, les sons car rien ny est prch. Autrement dit, le corps absolu ne prche pas, il est seulement ralisation . Huang-po ajoute : Notre essence est ouverte comme lespace, comme le vaste ciel. Cest tout. Cest simplement cela et cest en mme temps une totalit. Lessence de notre exprience de zazen ne peut pas tre explique ni prche. On essaye dindiquer de quoi il sagit, dexprimer par des comparaisons telles que le vaste ciel ou locan pour pointer en direction de cet esprit illimit mais en ralit, cela ne peut pas tre prch, seulement expriment par chacun. Le fait que cela ne puisse pas tre enseign, le raliser est le vritable enseignement. Quant aux deux autres corps, ils se manifestent selon les circonstances. Pour un bouddha, les circonstances sont celles dans lesquelles il se trouve pour venir en aide aux tres qui souffrent, il adopte alors la forme qui convient le mieux. Quant nous, ce sont les circonstances que notre karma nous fait vivre. Mme si cette distinction des trois corps de Bouddha peut paratre parfois un peu complique ou abstraite, comme la Trinit dans la religion chrtienne, elle indique que notre vie, en fait, peut tre comprise et vcue diffrents niveaux, tout comme lenseignement de Bouddha et quil est important de ne pas se laisser enfermer dans les limites de notre comprhension actuelle comme quelquun qui ne verrait la ralit qu travers des lunettes colores et qui penserait que la ralit est de telle couleur parce que ses verres sont de cette couleur-l. Pratiquer zazen, cest ouvrir son esprit cette infinit, cette vision dune vie qui nest pas enferme dans nos fabrications mentales et ainsi pouvoir comprendre lenseignement du Bouddha

diffrents niveaux. Cest pourquoi, un millnaire aprs sa mort, les stras sont apparus comme prchs par le corps du Dharma.
Mardi 5 aot 2003 : apaisez les affects

A partir de lexprience du zazen, de nombreux enseignements et mme des thories sont apparus. Souvent les gens ont confondu ltude de la voie avec ltude des thories au sujet du bouddhisme. Le propre de notre cole zen, est de ne pas sattacher aux thories mais de revenir lexprience immdiate. Ce qui faisait dire Matre Ssan : Pntrer la voie nest pas difficile, il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet. Cest--dire quil ne faut pas se laisser gouverner par ses affects, par ses motions, qui sont comme des vents nous ballottant de droite et de gauche, de haut en bas, en fonction de nos humeurs partir desquelles souvent, on chafaude des thories pour justifier nos prfrences. A ce sujet, Matre Huang-po disait : Ltude thorique prserve toujours les affects et dbouche toujours sur lgarement alors que la voie nest et ne va nulle part. Cest pourquoi on la nomme lesprit du grand vhicule. Ce nest pas quelque chose que lon puisse saisir, dfinir, tracer comme une route pour se rendre dun lieu un autre lieu. Cet esprit du grand vhicule, cest lesprit vaste du zazen qui ne stagne sur rien, ni sur lagrable, ni sur le dsagrable, ni sur une pense, ni sur une autre. Cest lesprit qui ne se laisse jamais enfermer dans rien, qui va toujours au-del du par-del de toute stagnation mentale. On ne peut pas le localiser, cest pourquoi il est dit que cet esprit ne se trouve ni dedans, ni dehors, ni entre les deux, on peut ainsi djouer la tentative dassigner une place cet esprit. Cet esprit ne demeure sur rien comme leau scoule librement, tantt torrent, tantt cascade, tantt lac, tantt ocan, tantt nuage, neige, glace et de nouveau ruisseau, rivire. Devenir comme cette eau, cest lesprit des moines Kegon. Pour raliser cela, il ne faut pas aborder la voie thoriquement et donc ne pas en faire un objet de nos prfrences et de nos affects. Comme le disait encore Huang-po : Quand il nest plus aucun affect alors lesprit nest et ne va nulle part. Mme si ces affects apparaissent, lesprit ne se laisse pas enfermer, il les remarque, constate quil y a une motion, un dsir et il passe son chemin comme leau qui scoule. Huang-po conclut : Cette voie est si naturelle quelle na pas de vritable nom. Cest la voie de la simplicit qui ne se laisse recouvrir par aucun concept, aucun nom. Il ajoutait : Du simple fait que les gens de ce monde ne la connaissent pas, ils sgarent dans les affects et les bouddhas apparaissent pour mettre fin cet tat de chose par leurs prdications. Lorsque nous pratiquons, nous ne suivons pas les prdications du Bouddha, nous retournons la source de notre propre esprit. Cest ce qui sappelle devenir shukke, un vritable moine. Cest reconnatre son esprit, rejoindre la source originelle. Lorsque toutes les penses, tous les affects sapaisent, la voie est ralise.

AUTRES KUSENS ET MONDOS


Mercredi 2 juillet 2003 soir : revenir lunit avec notre vie

Dans ses recommandations pour la pratique de la voie, Matre Dgen disait : Quand la Sangha est assise en zazen, asseyez-vous en mme temps et avec les autres. Quand la Sangha se prpare aller dormir, allez-vous coucher galement. Que ce soit dans lactivit ou dans le repos, soyez en unit avec la communaut. A travers toute votre vie et mme au-del, ne vous sparez pas du monastre, ne quittez pas le monastre. Restez constamment concentrs sur votre pratique et en unit avec la Sangha. Cest une allusion une phrase de Matre Jsh qui avait dit : Si vous ne vous sparez pas du monastre pendant toute votre vie, mme si vous ne parlez pas pendant cinq ou dix ans, personne ne dira de vous que vous tiez muet et mme les bouddhas ne pourront pas vous faire bouger . Ne pas se sparer du monastre, cela ne veut pas simplement dire ne pas franchir les portes du monastre mais rester en unit avec sa pratique chaque instant, quelque soit le lieu, quelque soit le moment. Partout et toujours est une bonne occasion pour pratiquer la voie. Tous les lieux sont un monastre, cest--dire loccasion de revenir lunit avec notre vie. Ne pas laisser notre esprit se diviser, entre ce qui est et ce que lon voudrait qui soit, entre ce qui est et ce qui a t ou ce qui sera. Le sens profond de devenir moine ou nonne, ce nest pas dtre clibataire mais cest surtout dtre un . Ltymologie du mot moine en occident est monacos, monos, un. Lorsque lon peut revenir un avec notre vie de chaque instant, dans cette unit, il ny a plus de solitude, il ny a pas soi et les autres. Il y a la vie totalement en harmonie avec tous les tres au-del de toutes nos notions damis, dennemis, de ce que nous aimons et naimons pas. Dans cette faon de pratiquer qui nous ramne lunit de notre vie, il est inutile dentrer en comptition avec les autres, de vouloir se singulariser, dtre le meilleur, par exemple de pratiquer plus et plus longtemps, de continuer zazen alors que les autres vont se coucher. Cest simplement la pratique en harmonie avec la Sangha. Cest lessence mme de lenseignement du Bouddha. Cest la pratique dans laquelle le corps et lesprit sont totalement dpouills, cest--dire plongs dans la pratique, dpouills de toute distraction, de tout attachement, de tout ce qui divise nos vies. Se concentrer ainsi sur la pratique nest pas lattente de la ralisation, cest le vritable koan de notre vie. Cest la manifestation de la vrit chaque instant au-del de toutes nos fabrications mentales, de tous nos jugements, de toutes nos opinions, au-del de toute attente.

Mondo du mercredi 2 juillet 2003: bienveillance

la

Q : Une certaine bienveillance ne seraitelle pas lexpression de lego qui rclame reconnaissance, amour, voire plus ? RYR : Bien sr mais dans ce cas l, ce nest pas de la vritable bienveillance. Etre gentil avec les gens pour recueillir leur amour nest pas de la bienveillance. La bienveillance, cest tre vraiment soucieux du bien profond de lautre. La bienveillance tymologiquement, cest veiller au bien de lautre. Cest au-del de la gentillesse. La bienveillance peut inclure la solidarit et parfois aussi le fait de dire non certaines demandes. Cela ne consiste pas satisfaire les dsirs gostes de chacun sinon, cest faire plaisir dune manire extrmement limite. Dans la bienveillance, il y a le ct quasiment ducatif qui nimplique pas forcment de rpondre aux attentes de lautre. La gentillesse a de bons cts mais souvent, cest une manire dattendre de lautre de la reconnaissance. On peut sengager, rendre un service simplement par bienveillance, mme mushotoku et puis la situation volue et un moment donn on se retrouve un peu coinc dans cette situation et finalement, cette bienveillance du dpart gnre de la souffrance. Cest pourquoi, du point de vue de lenseignement du Bouddha, la bienveillance et la compassion, ne peuvent jamais tre spares de la sagesse. Cest-dire du discernement, de la capacit anticiper les consquences de ses actes, de lexprience aussi. Il faut comprendre lesprit de lautre, comprendre les enchanements karmiques, les enchanements causaux de faon viter de sembarquer dans des engagements qui peuvent aller lencontre, voir loppos de ce quon esprait. Matre Deshimaru disait toujours : Il ny a pas de compassion sans sagesse. Sinon la compassion est aveugle et cela ne devient que de la gentillesse qui affaiblit les autres au lieu de les aider rellement. Pour rellement aider, ce qui est le but de la compassion comme de la bienveillance, il faut de la sagesse.
Jeudi 3 juillet 2003 matin : penser limpensable

Pendant zazen, compltement immobile, on pense sans penser. Cest le point essentiel de la pratique de zazen que Matre Dgen a repris du mondo entre Yakusan et un moine qui lui demandait quoi il pensait en zazen. Yakusan avait rpondu : Je pense limpensable . Comment faites-vous ? . Yakusan avait rpondu : sans penser . Penser ce qui nest pas pensable, cest raliser la vritable nature de la pense. Mme si on essaye de saisir la ralit travers notre pense, au fond notre pense ne saisit rien car la ralit ultime est impensable, insaisissable. La meilleure faon de sharmoniser avec cette ralit, cest sans penser, sans utiliser le pouvoir du mental mais en ne sattachant pas non plus la non-pense. Il en est de la pense comme de la respiration, on la laisse apparatre et disparatre naturellement sans lentretenir, sans la prolonger, sans la rejeter. Cest ne pas donner de poids la pense. Les tres humains sont trs attachs leurs penses ainsi, ils ferment leur vision de la ralit, comme quelquun qui veut regarder le vaste ciel travers une paille. Pratiquer zazen, cest raliser que notre pense nest pas lultime ralit et que lultime ralit est au-del de la pense. Ainsi lesprit dattachement nos penses peut

se dtendre et lesprit vaste, fluide, peut se raliser. Pendant zazen, de mme quon laisse linspiration et lexpiration se faire naturellement comme les mouvements des vagues sur la plage, on laisse les penses apparatre et disparatre. Dailleurs, on ne peut pas dire quil sagisse rellement de penses puisque lon ne cherche pas rflchir ni penser consciemment mais il ne sagit pas non plus de non-penses. On ne rejette pas plus les penses quon ne sattache la vacuit. Les penses vont et viennent comme les nuages au ciel, le ciel nen est pas drang.
Samedi 26 juillet 2003 matin : franchir les portes du Dharma

Pendant zazen, revenez constamment la concentration sur votre posture de faon tre en unit avec la posture assise, totalement prsent dans votre corps tel quil est, assis sur ce zafu. Lesprit ordinaire divague toujours, attir par ce quil aime, repouss par ce quil naime pas. On a tendance, parfois pendant zazen, sappesantir, entretenir les penses agrables et lutter contre les penses dplaisantes. La pratique de zazen est au-del de cette attitude dentretenir ou de rejeter quoi que ce soit. Le point essentiel de zazen est de se librer de cet esprit qui veut sans cesse saisir ou rejeter quelque chose. On ne peut pas viter lapparition des penses, des sensations, des perceptions, alors on les observe un instant au moment de leur apparition. Cest important dtre conscient de ce qui nous habite et dtre conscient aussi de limpermanence, de ce qui apparat, de ne pas sen emparer mais de juste voir et laisser passer. Parfois, au cours de la pratique, on sempare de certaines penses au sujet du Dharma. On a reu un enseignement, on a limpression davoir compris quelque chose et lon sempare de cette ide. Durant la pratique de zazen, mme les enseignements fondamentaux du Bouddha tels que les quatre nobles vrits, les six paramitas ou les douze causes interdpendantes, ne sont pas des penses auxquelles il faut sattacher. Les portes du Dharma sont innombrables. On a fait le vu de les franchir toutes. En zazen, franchir la porte du Dharma signifie tre juste en contact avec la ralit telle quelle est, ici et maintenant : la ralit de ce bruit dans la cour, peut-tre de lagacement que vous en prouvez, la ralit du fait que cela ne dure pas, que toutes choses sont insaisissables, quil ny a rien sur quoi lesprit ne puisse rellement demeurer. Mme les enseignements de Bouddha sont des enseignements provisoires. Dans le stra du Lotus, il est question dune ville fantme dans laquelle ceux qui recherchent la voie (qui est assimile la chambre aux trsors) sarrtent en cours de route. La ville fantme, cest ce que lon croit parfois tre la ralisation, une certaine comprhension du Dharma que lon pense avoir atteinte, un certain mrite que lon pense avoir obtenu. Si on continue pratiquer zazen avec un esprit qui ne demeure sur rien, mme les murs de cette ville fantme finissent par svanouir. Lattachement, que lon peut avoir notre comprhension ou aux mrites, disparat et la vritable chambre aux trsors peut souvrir. Cest alors un esprit compltement libre et dtach de toutes ides, de toutes opinions y compris au sujet du Dharma et au sujet de la pratique. Ainsi, le Dharma nest plus un but, la pratique nest plus une mthode et le Dharma est vritablement ralis.

Mondo du 26 juillet 2003 : zen et art

Q : Quest-ce que lart au regard du zen? Est-ce un samu ? RYR : On va dire oui, au sens noble du samu. Le samu, cest trs noble, lart aussi. Le samu est un service aux autres. Cest aussi loccasion dexprimer notre ralisation de la voie, une faon dtre prsent aux choses, aux tres, dans un esprit dunit, de non-sparation, de non-dualit. La premire fois que jai pratiqu zazen au Japon (il y a plus de trente ans), jai t stupfait par le moine avec lequel jtais dans le temple. Aprs zazen, il faisait une demi-heure de calligraphie. Puis il allait jardiner tout comme il faisait la calligraphie. Ctait une pratique qui tait vraiment lexpression de zazen. Samu, cest aussi une communication vers les autres. En gnral, lart nest pas quelque chose que lon garde cach, au contraire lart, cest montrer. Cest loccasion de communiquer aux autres quelque chose de lexprience que lon a travers la pratique de zazen. La diffrence avec lart occidental, cest quil est inspir par le zazen. Lart zen ne devient pas un objet dattachement, lartiste ne sattache pas son uvre et mme parfois il ne la signe pas. Il ne sattache pas dvelopper un style pour affirmer sa personnalit travers lart, pour exister travers lart, au contraire, il sefface totalement. Cest une cration presque inconsciente et naturelle. Ce qui importe, cest ce qui surgit naturellement. Cest la pratique du dtachement. Cest un bon enseignement pour les artistes occidentaux. Q : La signature est-elle une preuve dattachement montrer qui on est ? RYR : Oui, mais par exemple, cette calligraphie de Matre Deshimaru dans le dojo est signe. La plupart des calligraphies sont signes. Ce nest pas le fait quelles soient signes mais cest lattitude que lon entretient vis vis de luvre et ce que lon en fait. Ce quil y a de commun justement avec le samu, cest que le moine zen qui peint, qui fait un bouquet, qui fait une crmonie de th ou dautres formes dexpression artistique, il le fait comme un fuse, un samu, un don, un service. Il ne sattache pas au fruit de ce travail, de cette uvre, de cette cration, cest gratuit, cest juste comme cela, comme les oiseaux chantent. Cest une chose naturelle et il ny a pas de rcupration par lego, sinon ce nest plus du zen. Q : Est-ce que par extension un samu ou un mtier que lon exerce devient un art galement ? RYR : Bien sr. Toute la vie peut tre un art, dans le sens dune expression harmonieuse dune ralisation. La condition premire est dexercer cette activit avec un esprit de service et de don qui manifeste bien que lon est en harmonie avec notre ralit profonde et non pas centr sur un ego illusoire qui cherche tout rcuprer pour lui, pour conforter son illusion.

Jeudi 31 juillet 2003 matin : juste Bouddha qui regarde Bouddha

Pour venir faire zazen au dojo le matin, il faut parfois faire des efforts. Il faut se lever. On a galement besoin dtre stimul par une motivation mais lorsque lon pntre dans le dojo et que lon sassoit en zazen, on se contente de simplement sasseoir. Notre pratique consiste abandonner toute intention, laisser tomber toute arrirepense, ne poursuivre aucun objet et cesser de combattre quoique ce soit. On se contente simplement dtre un avec la posture et avec la respiration, dentendre les sons, de voir les formes, de voir surgir les penses, juste tels quils sont. Juste quelque chose qui apparat puis disparat. On observe cela sans aucune discrimination, sans jugement, sans tenter de retenir ce qui nous intresse, de rejeter ce que nous naimons pas. Pratiquant ainsi, on va au-del de lesprit ordinaire qui prfre, juge, choisit, observe le monde travers ses dsirs, ses aversions. On voit les choses et soi-mme tels que cest, juste ainsi, comme cela. Lorsque lon pratique ainsi, cest comme le dit un jour Niwa Zenji : Cest juste Bouddha qui regarde Bouddha. Lesprit de paix est retrouv et rien nentrave notre libert. Mme si de retour dans la vie quotidienne, nous allons devoir adopter un autre fonctionnement, faire des choix, le fait davoir contact cette dimension de lesprit de Bouddha en zazen, permet dtre dans la vie avec une autre vision, un autre esprit, moins dpendant, moins limit, plus souple. Ceci est le fruit naturel de zazen. Ce nest pas quelque chose que lon peut rechercher, cela se produit inconsciemment et naturellement.

Tables Des Matieres


Matre Huang-po
Pense intentionnelle Corps et esprit abandonns Lexistence avec La silencieuse concidence Linsaisissable Ne drangez pas lesprit La concidence des expriences Les trois corps du Bouddha Apaisez les affects p2 p3 p4 p5 p6 p7 p8 p9 p 11

Autres kusens et mondos


revenir lunit avec notre vie La bienveillance Penser limpensable Franchir les portes du Dharma Zen et art Juste Bouddha qui regarde Bouddha p 12 p 13 p 14 p 15 p 16 p 17

Crdit photographique : Dominique Villermet (2004) Calligraphie GYO BUTSU JI : Keiko Yokoyama (2004) Avant dernire page : P-O Reynaud (2004).

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