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Pédiatrie

B 255

Ictère néonatal
Physiopathologie, étiologie, diagnostic
DR Véronique ZUPAN
Service de pédiatrie et réanimation néonatales, hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart Cedex.

Points Forts à comprendre


Hémoglobine
• L’ictère, qui correspond à une hyperbilirubinémie, dégradation dans le système
est un symptôme très courant chez le nouveau-né. réticulo-endothélial R1 noyau hème
% bilirubine non liée
hème-oxygénase = fraction neurotoxique
La bilirubine provient de la dégradation
de l’hémoglobine ; pour être métabolisée, Bilirubine
elle doit être captée par le foie, transformée en libre
99 % bilirubine liée
composé hydrosoluble par glycuroconjugaison à l’albumine plasmatiqu
et excrétée dans la bile puis l’intestin.
Une partie est réabsorbée par les cellules
épithéliales intestinales, déconjuguée et passe Captation par le foie
dans la circulation portale : c’est le cycle récepteurs hépatocytair
entéro-hépatique. Transport intracellulaire
• Les ictères néonatals à bilirubine libre, par les protéines Y (liga
dont la majorité sont transitoires Glycuroconjugaison
et physiologiques, sont liés une production dans le réticulum endopla
(bilirubine glucuro-tan
importante de bilirubine chez le nouveau-né, R bilirubine conjugée (hy
une immaturité hépatique et une augmentation
du cycle entéro-hépatique.
Une hyperbilirubinémie pathologique peut Cycle entéro-hépatique
Excrétion
être liée à une augmentation de la production biliaire
de bilirubine (hémolyse ou résorption
d’hématomes), à une augmentation du cycle réabsorption
entéro-hépatique (jeûne) ou à une anomalie transformation dans
l’intestin grêle
(fonctionnelle ou constitutionnelle) du transport déconjugaison
ou de la conjugaison intra-hépatocytaire. reconjugaison
• Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte
correspondent à une cholestase néonatale. réabsorption
transformation dans le
(rôle de la flore bact
Ils sont toujours pathologiques. urobiline
stercobiline
Élimination Élimination
dans les urines dans les selles
Physiopathologie
Métabolisme de la bilirubine Métabolisme de la bilirubine.

Le nouveau-né a physiologiquement dans les premiers


jours de vie une hyperbilirubinémie transitoire. Elle est Ces 3 phénomènes sont encore accentués chez les
liée à plusieurs facteurs : enfants prématurés (figure).
– une production accrue de bilirubine, 2 à 3 fois supé-
rieure à celle de l’adulte ; Ictères pathologiques
– une immaturité hépatique : diminution de la captation
intra-hépatocytaire de la bilirubine (déficit en ligandine) ; Une hyperbilirubinémie pathologique à bilirubine libre
déficit des systèmes de conjugaison notamment de peut être liée à plusieurs facteurs :
l’uridine diphosphate (UDP)-glycuronyltransférase ; – une production excessive de bilirubine (hémolyse,
– augmentation du cycle entéro-hépatique de la bilirubine : résorption d’hématomes) ;
l’absence de flore bactérienne ne permet pas la trans- – une majoration du cycle entéro-hépatique (prématurité,
formation de la bilirubine conjuguée en urobilinogène ; jeûne…) ;
celle-ci est réabsorbée et déconjuguée. Le jeûne et – une anomalie de transport ou de glycuroconjugaison
l’absence de transit intestinal favorisent le cycle entéro- hépatique (prématurité, hypothyroïdie, déficit congénital
hépatique. en bilirubine glycuronyl-transférase).

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ICTÈRE NÉONATAL

Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte sont liés à Étiologie


une cholestase. Le trouble de l’excrétion des acides
biliaires peut avoir une origine intra-hépatique, extra- Les ictères néonatals sont classés en 2 types très
hépatique ou mixte. distincts répondant à des mécanismes et des causes bien
différentes (tableau II) : ictères à bilirubine libre, de loin
Toxicité de la bilirubine les plus fréquents ; ictères à bilirubine conjuguée ou
mixte.
La toxicité de la bilirubine libre tient à la fraction non
liée aux protéines plasmatiques (essentiellement l’albu-
mine). Cette bilirubine non liée a une grande affinité Ictères à bilirubine libre
pour les phospholipides membranaires et traverse la
barrière hémato-encéphalique. La concentration de 1. Ictère physiologique
bilirubine non liée dépend de la concentration totale de L’ictère apparaît vers le 2e jour de vie, il est habi-
bilirubine libre et d’albumine. tuellement peu intense (< 280 µmol/L) ; il disparaît
Le risque majeur d’une concentration élevée de bilirubine avant le 10e jour de vie. Sa disparition est annoncée
non liée est l’encéphalopathie hyperbilirubinémique ou par la coloration des urines qui sont initialement
ictère nucléaire caractérisé par des lésions irréversibles claires.
des noyaux gris centraux et des noyaux de certaines
paires crâniennes. Les séquelles s’expriment sous forme 2. Ictère du prématuré
de choréo-athétose et de surdité. Chez le prématuré, l’ictère est plus fréquent, plus intense
La concentration de la bilirubine non liée peut être aug- et plus dangereux. Cela est expliqué par plusieurs
mentée par différents facteurs augmentant la perméabilité phénomènes :
hémato-encéphalique à la bilirubine ou déplaçant la – une plus grande immaturité hépatique ;
bilirubine de l’albumine (tableau I). – un faible taux d’albumine ;
On peut retenir schématiquement les taux suivants – une plus grande perméabilité de la barrière hémato-
comme potentiellement neurotoxiques (indication à une cérébrale.
exsanguino-transfusion) : Le taux de bilirubine libre potentiellement toxique est
– taux de bilirubine libre en µmol/L supérieur à 15 % du d’autant plus bas que l’enfant est plus prématuré.
poids du bébé (en g) et quel que soit le poids si elle est
supérieure à 350 µmol/L ; 3. Ictère au lait maternel
– taux de bilirubine en µmol/L supérieur à 10 % en cas Il concerne 1 à 3 % des enfants nourris au sein, habituel-
d’ictère précoce par hémolyse ; lement des nouveau-nés à terme bénéficiant dès les
– concentration de bilirubine non liée supérieure à premiers jours d’une lactation abondante. L’ictère
1,5 mg/dL (ce dosage est pratiqué dans certains apparaît vers le 5 ou 6e jour de vie et persiste pendant
centres d’hémobiologie périnatale). tout l’allaitement. Il est classiquement bénin, ne contre-
indiquant pas l’allaitement ; la concentration de bilirubine
ne dépasse jamais 350 µmol/L. Son diagnostic peut être
TABLEAU I confirmé par la diminution de l’ictère après l’interruption
de l’allaitement pendant 3 jours ou le chauffage du lait
Facteurs augmentant la toxicité maternel à 60 ˚C.
de la bilirubine Le lait maternel responsable d’ictère a une activité lipo-
protéine lipase excessive (enzyme thermosensible) ; la
Facteurs augmentant la perméabilité hémato-cérébrale libération d’acides gras en excès inhibe la glycuro-
conjugaison. D’autres mécanismes moins bien identifiés
❑ prématurité sont probablement en cause.
❑ infection
❑ acidose 4. Ictères par hémolyse
❑ hypoxie L’ictère est précoce, avant la 24e heure de vie, rapide-
❑ déshydratation, hyperosmolarité ment intense ; un cordon jaune signe une hémolyse à
❑ hypothermie début anténatal. Les signes d’hémolyse sont une anémie
❑ hypoglycémie régénérative plus ou moins profonde avec une réticulo-
cytose et une érythroblastose importantes. Il existe
Facteurs augmentant la fraction de bilirubine non liée souvent une hépatosplénomégalie (le foie et la rate sont
❑ hypoalbuminémie le siège d’une érythropoïèse).
❑ médicaments déplaçant la bilirubine de l’albumine : • Incompatibilités materno-fœtales : ce sont les premières
paracétamol, oxacilline, indométacine, furosémide, causes d’ictère hémolytique. Le test de Coombs est
médicaments conservés avec du benzoate, émulsions positif. Ces incompatibilités sont, par ordre de fréquence :
lipidiques intraveineuses – dans le système Rhésus : immunisation anti-D, plus
rarement anti-C et anti-E ;

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Pédiatrie

TABLEAU II
Démarche diagnostique et principales causes des ictères néonatals

Ictère néonatal

Examen clinique : aspect du foie, signes d’hémolyse, signes de cholestase, signes infectieux ?
Groupe de la mère et recherche d’agglutinines irrégulières
Bilirubine libre et conjuguée
Numération sanguine et réticulocytes
Groupe sanguin du bébé et test de Coombs

Ictère à bilirubine libre Ictère à bilirubine conjuguée ou mixte


Hémolyse Pas d’hémolyse Échographie hépatique
Bilan biologique : enzymes hépatiques, facteurs
Iso-immunisation Ictère physiologique de coagulation ; autres examens selon le contexte clinique
❑ Rhésus
❑ ABO Facteurs augmentant Hépatites infectieuses
❑ autres groupes l’hyperbilirubinémie ❑ septicémie
❑ prématurité ❑ infection urinaire (E. coli)
Hémolyses ❑ hépatite virale : cytomégalovirus, herpès, coxsackie,
constitutionnelles ❑ résorption
d’hématomes virus ECHO
❑ maladie ❑ polyglobulie ❑ embryofœtopathies
de Minkowski et Chauffard ❑ diabète maternel
❑ déficit en G6PD Maladies génétiques
❑ jeûne et métaboliques
❑ déficit en pyruvate-
❑ infection
kinase ❑ tyrosinémie
❑ galactosémie
Infections Ictère au lait maternel ❑ déficit en cortisol
❑ maladie de Niemann-Pick
Accidents Causes plus rares ❑ mucoviscidose
transfusionnels ❑ hypothyroïdie ❑ déficit en α-1 antitrypsine
❑ sténose du pylore ❑ maladie de Byler
❑ maladie de Gilbert Obstacles sur les voies biliaires
❑ intra-hépatiques : paucité ductulaire
Cause très rare ❑ extra-hépatiques : atrésie des voies biliaires
❑ maladie extra-hépatiques ++, kyste du cholédoque
de Crigler et Najjar
(déficit congénital en Cholestase néonatale
glycuronyl-transférase) secondaire à une anoxie hépatique périnatale

– dans le système ABO : immunisation le plus souvent symptomatique que chez les garçons ; l’hémolyse est
A/O (enfant de groupe A et mère de groupe O ayant aggravée par de nombreux médicaments dont la liste
des anticorps anti-A). L’ictère peut être très intense doit figurer dans le carnet de santé.
malgré une hémolyse souvent modérée ; • Infections : l’ictère peut associer un double mécanisme
– dans les autres systèmes : Kell, Duffy, Kidd. d’hémolyse et d’hépatite. L’infection doit être évoquée
• Hémolyses constitutionnelles : la plus fréquente en chaque fois qu’un ictère n’est pas d’origine immuno-
France est la maladie de Minkowski et Chauffard ; le logique.
diagnostic repose à la naissance sur l’étude familiale
(maladie autosomique dominante) ; les tests de résistan- 5. Anomalies de conjugaison de la bilirubine
ce globulaire ne sont pas interprétables à cet âge. L’hypothyroïdie s’accompagne fréquemment d’un ictère
Le déficit en G6PD ou pyruvate-kinase est fréquent dans prolongé, probablement par insuffisance fonctionnelle
le pourtour méditerranéen et en Extrême-Orient ; ce de l’activité en glycuronyl-transférase. L’ictère disparaît
déficit de transmission liée à l’X n’est habituellement sous traitement hormonal.

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ICTÈRE NÉONATAL

La maladie de Gilbert est responsable d’épisodes Diagnostic


récidivants de subictère, volontiers déclenchés par le
stress ou le jeûne. Elle est très fréquente (3 à 7 % de la Diagnostic de l’ictère
population) mais les révélations néonatales sont assez
inhabituelles à l’exception des associations avec une sté- L’ictère est visible cliniquement à partir d’une concen-
nose du pylore. tration de bilirubine supérieure à 70 µmol/L. Il faut être
La maladie de Crigler et Najjar est une maladie géné- vigilant chez les bébés de peau noire car l’ictère est plus
tique très rare (1 pour 100 000 naissances) corres- difficile à repérer cliniquement.
pondant à un déficit profond de la glycuroconjugaison. L’hyperbilirubinémie doit être contrôlée par un dosage
Plusieurs mutations des gènes codant les glycuronyl- sanguin de la bilirubine totale et conjuguée.
transférases ont été décrites. En maternité, l’utilisation d’un bilirubinomètre trans-
cutané permet une évaluation non invasive (mesure
optique) de l’ictère. Cet appareil ne remplace pas le
Ictères à bilirubine conjuguée dosage sanguin mais permet de réduire le nombre de
ou mixte prélèvements pour la surveillance des ictères peu
intenses.
Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte signent une
cholestase néonatale. L’origine de cette cholestase est
environ pour moitié intra-hépatique et pour moitié extra- Orientation devant un ictère
hépatique ou mixte (tableau III). à bilirubine libre
La majorité des ictères néonatals sont des ictères à
TABLEAU III bilirubine libre. Des examens complémentaires ne sont
nécessaires que si l’ictère présente des caractéristiques
Indices cliniques devant faire anormales (tableau III). La démarche diagnostique
doit alors rechercher en premier lieu une hémolyse
suspecter un ictère pathologique (tableau II).

❑ Survenue précoce avant 24 heures de vie


Orientation devant un ictère
❑ Signes d’hémolyse : à bilirubine conjuguée ou mixte
pâleur, hépatomégalie, splénomégalie
❑ Ictère prolongé plus de 10 jours À la différence des ictères à bilirubine libre, les ictères à
bilirubine conjuguée ou mixte, qui témoignent d’une
❑ Ictère intense cholestase, sont toujours pathologiques et nécessitent
❑ Selles décolorées (l’ictère cholestatique est toujours
des investigations souvent spécialisées.
pathologique)
Cliniquement, l’ictère est souvent présent dès la fin de la
première semaine de vie. Les urines sont foncées et les
selles plus ou moins décolorées. L’aspect du foie dépend
de la cause de la cholestase.
Ces éléments cliniques imposent de pratiquer :
1. Cholestases intra-hépatiques – un bilan biologique qui confirme la cholestase (hyper-
bilirubinémie à prédominance conjuguée, augmen-
Les causes sont multiples et une bonne place revient aux tation des phosphatases alcalines et souvent des
hépatites infectieuses, surtout bactériennes. Concernant gamma GT), recherche une éventuelle cytolyse associée
les virus, on recherche en premier lieu le cytomégalo- pouvant témoigner d’une hépatite (augmentation des
virus (CMV). Les hépatites à virus A et B n’existent aspartate amino-transférase et alanine amino-transférase
pas chez le nouveau-né en raison de leur délai d’incu- [ASAT-ALAT]) et une diminution des facteurs de
bation supérieur à 1 mois. coagulation ;
Les autres causes sont plus rares ; diverses maladies – une échographie abdominale à la recherche d’une
génétiques peuvent être à l’origine d’une cholestase dilatation des voies biliaires orientant vers un obstacle
néonatale. extra-hépatique ; l’absence de vésicule biliaire visible
peut orienter vers une atrésie des voies biliaires mais
2. Cholestases extra-hépatiques et mixtes cet élément est inconstant.
La cause principale est l’atrésie des voies biliaires Des selles franchement décolorées de façon permanente
extra-hépatiques qui doit être évoquée dès qu’un enfant orientent vers une origine extra-hépatique ou mixte de la
a des selles décolorées de façon prolongée. cholestase. Dans ce cas, surtout si l’échographie ne
Les obstacles sur les voies biliaires sont beaucoup montre pas de dilatation des voies biliaires, le premier
plus rares. diagnostic à évoquer est une atrésie des voies biliaires

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Pédiatrie

extra-hépatiques. C’est une urgence diagnostique car le


pronostic est conditionné par la précocité de la dériva-
tion bilio-digestive.
Lorsque les selles ne sont pas franchement décolorées et
que l’échographie hépatique est normale, il s’agit plutôt
d’une cholestase d’origine intra-hépatique.
En dehors des hépatites infectieuses, le diagnostic des
cholestases néonatales est souvent complexe et
nécessite des explorations en milieu très spécialisé.
Une biopsie hépatique est souvent nécessaire pour
aboutir au diagnostic final. ■

POUR EN SAVOIR PLUS


Bernard O. Diagnostic des cholestases du nouveau-né. In :
Progrès en hépato-gastro-entérologie. Paris : Doin, 1996 ; 12 :
281-8.
Bourrillon A, Dehan M. Pédiatrie pour le praticien. Paris : Masson,
1996.
Odièvre M, Labrune P, Trioche P. Hyperbilirubinémies non conju-
guées prolongées du nouveau-né. Journées parisiennes de pédia-
trie.

Points Forts à retenir

• Les ictères à bilirubine libre, très fréquents,


sont souvent physiologiques mais ne doivent
jamais être négligés. Deux entités sont à
connaître :
– les principales pathologies responsables
d’une hyperbilirubinémie intense
et (ou) prolongée, dominées par les hémolyses ;
– les facteurs augmentant la toxicité de la bilirubine
libre, notamment la prématurité.
Tout le danger réside dans la neurotoxicité
de la bilirubine non liée pouvant conduire
à l’atteinte cérébrale définitive avec des lésions
irréversibles des noyaux gris centraux : l’ictère
nucléaire.
• Les ictères à bilirubine conjuguée ou mixte
sont toujours pathologiques et nécessitent
des investigations diagnostiques particulières.
L’origine de la cholestase est intra-hépatique
(hépatites infectieuses, cholestases génétiques)
et (ou) extra-hépatique (anomalie des voies
biliaires). Une cholestase néonatale franche
avec des selles décolorées doit toujours faire
évoquer une atrésie des voies biliaires
extra-hépatiques (urgence thérapeutique).

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