Oriens, Poésie de Charles Florentin Loriot

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Oriens

POESIES
DE

CH FLORENTIN-LORIOT

Visitavit
nosOriensexalto.
Luc,I, 78.

PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
PASSAGE
CHOISEUL

MDCCCXCV
Oriens
DE L'AUTEUR

David Livingstone.
Explorations et missions dans l'Afrique équatoriale.
La tour de Bonvouloir.
Nitocris. histoire africaine.
Essai sur les mégalithes.
L'évolution en archéologie.
La fresque de l'église Saint-Julien.
Une église champêtre.
Conférences.
Oriens

POESIES
DE

LORENTIN LORIOT
CH.
nosOriensexalto
Visitavit
Luc,I, 78.

PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
CHOISEUL
PASSAGE

MDCCCXCV
STELLAE MATVTINAE
AFrédéric
PLESSIS.

Les colonnes de Tyr alignent sur la plage


Leurs fûts blancs jetés bas depuis d'anciens revers,
Si pesants, que le flot qui les frappe en travers,
Sans pouvoir les rouler, les polit d'âge en âge.

Le pilote aperçoit au cours de son voyage,


Ces naufragés de marbre à demi recouverts
Par les sables rosés et les tamarins verts,
Et dont la forme longue est comme un sarcophage.

Monument que j'érige au bord des mers d'oubli,


D'un coeur plus généreux que ne t'ai-je établi
Dans cette intégrité qui t'aurait fait durable !

Mais, ô temple rêvé, que j'aurais dû bâtir,


Ton ébauche en ruine est déjà comparable
Aux grands troncs échoués des colonnes de Tyr.

I
I

DANS L'AUBE DES JOURS


5

LA CROIX

A M.l'abbéACKERMANN.

Les grands monts du Pamir ont vu surgir ta gloire,


Croix, mystique fardeau des ailes qu'éploya
Sur les corps embaumés dans la syringe noire
Hor, vautour envolé du vieil Hymalaya.

Sur les dolmens d'Armor, dans le temple où pria


L'Américain venu de l'Inde avant l'histoire,
De pays en pays, de mémoire en mémoire,
Ton signe voyageur jamais ne varia.

Sur son front libyen le Berbère le porte;


L'Hébreu l'écrit du sang de l'agneau sur sa porte,
Le grammate d'Assur le sculpte au sceau des rois;

Et six siècles avant que Dieu mourût sur elle


Ezéchiel marqua les justes de la Croix,
Hiéroglyphe ancien de la vie éternelle.
6

KHNOUM

BOUCHOR.
AMaurice

L'eau du Moeris est calme, et dans son pur miroir


Le trône aux longs degrés du Dieu d'Egypte plonge,
Depuis qu'Ousortesen a conçu ce grand songe
De le sculpter mitré dans le basalte noir,

Les mains sur les genoux, le regard droit, sans voir


Ces légers cils des cieux qu'un clair occident ronge,
Les palmiers dont la file à l'horizon s'allonge,
Strate bleue en suspens dans la splendeur du soir.

Et voici qu'élevant dans l'immense étendue


Vers le haut simulacre une clameur perdue,
L'hymne des peuples chante, en de lointains roseaux

Ce grand Dieu qui couva de sa chaleur profonde,


Dans le laboratoire effervescent de l'onde,
La terre qui le fête adoré sur les eaux.
7

LE PAYSAGE DE GISEH

D'un côté sont les rois, de l'autre leurs égaux,


Les hommes : tous sont morts, toute âme étant coupable ;
Et tous ils sont entrés dans l'incommensurable
Abîme, et derrière eux le pylone s'est clos.

Un mont pyramidal emmantelle les os


Des rois; les hommes vils ont trouvé dans le sable
Un oubli plus précoce, un plus léger repos,
Un asile plus vaste et plus inviolable.

Sur eux tous Harmakhis, dieu du soleil levant,


Sous la forme d'un sphinx élève un front vivant,
Et le fellah du Nil apprend de cet ancêtre

Que cinq mille ans ont cru dans l'immortalité ;


Nul, chez les fils de Cham, n'ayant jamais douté
Qu'Ammon sans repentance ait fait le don de l'être.
8

MYCÉRINOS
MENKEARA
A LéonDIERX.

Les poumons par le vide et la peur oppressés,


Nous troublâmes l'écho de son caveau sonore
Où couvait la chaleur des soleils entassés ;
Nous connûmes sa nuit cinq mille ans sans aurore.

A quelle heure ? il était mille heures... plus encore !


Mycérinos, très vieux parmi les trépassés,
Dans le profond minuit des sommeils avancés
Ouvrait ses yeux d'émail qu'aucun feu ne colore.

Dormeur inaccessible aux morsures des vers,


Chair stérile à l'écart du mouvant univers,
Il rêvait des torrents de la vie orageuse,

Et de s'y replonger pour des siècles d'amour;


Pas encore pourtant, pas avant ton retour,
Ame, ô toi qu'il aimait, lointaine voyageuse !
9

SUR LA GRANDE PYRAMIDE

Poudre infime, Chéops ! qui veux insolemment


Etre l'unique objet de mes sollicitudes,
Je t'oublie au contraire et je vois seulement
Autour de ton tombeau les vastes solitudes....

Là fut un peuple immense ... où sont ses multitudes


Fallait-il donc leur mort à ton isolement ?
Je pense aux Libyens morts dans les servitudes
Et qui, dans la douleur, créaient ce monument.

Leur peuple sur les grands escaliers de ses faces


Monte, s'assied et pleure, et demande aux espaces,
Aux temps, muets témoins des sables dépeuplés,

Les parents, les palmiers, les huttes, les villages,


Dont les ont autrefois pour jamais dépouillés
Les premiers pourvoyeurs des anciens esclavages.

I.
10

LA TOMBE DE TI
MEMPHIS
ALouisLECARDONNEL

Comme un grenier trop plein que sa richesse encombre,


L'hypogée au désert s'emplit de sables d'or ;
Là, dans les vastes murs où son ministre dort,
Memphis historia la syénite sombre.

Un patient ciseau polit de coups sans nombre


Ceux qu'étant morte l'âme associe à son sort;
Leur forme, qu'auréole un trait d'azur, ressort
En un relief léger, pâle et doux comme une ombre.

Ces esclaves hâlés par d'antiques soleils


Sont là, fauchant de nuit des blés jadis vermeils,
Présents au maître avare en rêves impalpables.

Tu t'enrichis, dormeur ! mais viendra la saison


De juger l'homme au cOEuret l'âme à la moisson:
Crains de n'avoir alors pour froment que les sables.
II

SAQQARAH
MEMPHIS
AJOSÉ DEHEREDIA.
MARIA

La pâle Saqqarah, Babel aux grands degrés,


Qui prime en vétusté toutes choses antiques,
Marque où sont les débris des dieux emblématiques,
Les sarcophages noirs des taureaux adorés.

A ses pieds les chacals et les félins sacrés,


Ces nocturnes veilleurs d'hypostyles mystiques,
Dont les yeux ont été des lampes fantastiques,
Dorment, près des ibis, sous les sables cuivrés.

Sur eux l'ombre bleuit de la vaste ruine


Que de ses rayons durs l'astre assidu calcine,
Que la dune escalade et qu'effritent les vents,

Qui, sous le morne azur des cieux ou sous leur foudre,


Immobile au désert parmi ses plis mouvants,
Tarde tant de mille ans à retourner en poudre.
12

CHANT DE PLEUREUSES

SURLE NIL

Flots d'un bleu velours frangé d'or,


Tout dort
Sur votre surface divine,
Et pourtant dans un calme noir,
Ce soir
Ta barque, ô roi, glisse et chemine.

Vers Dieu qui fit les vastes plans


Des ans
Sans subir l'heure ni le nombre,
Les rameurs poussent nos esquifs
Hâtifs
D'île en île, dans l'azur sombre ;

Vers Dieu, que l'âme, oiseau divin,


En vain
Suit dans l'abîme à tire d'aile
13

Et dont nul n'atteint les matins


Lointains
Même avec des pieds de gazelle,

Dieu de l'immense majesté,


Chanté
Des créations qu'ont semées
Sans les compter sur nos chemins
Ses mains
Pour aimer et pour être aimées !

Poussez comme elles des clameurs,


Rameurs,
Dans l'allégresse de vos âmes,
Et refoulez dans les tombeaux
Des eaux
Typhon sous les coups de vos rames !

Vogue, ô roi ! vers les univers


Ouverts
A ceux que la mort trop tôt brise ;
Déjà tu sens de l'avenir
Venir
Le soufle embaumé de leur brise.
14

LA MOMIE
A Fernand
ENGERAND
I

L'antre libyen vibre au bruit sourd du canon,


L'ombre tremble où la chair expectante demeure;
Au seuil béant et noir des corridors sans heure,
Que n'a pas connu l'aigle et troublé l'aquilon,

Celle qui n'a plus rien du sexe ni du nom,


La face aux grands yeux blancs qui ne rit ni ne pleure,
Que seul, un oiseau triste, à tête humaine, effleure,
Voit surgir, dans le jour soudain, Napoléon !

Et comme sans archet parlerait une lyre :


« France, dit-elle, si ton indiscret délire
A laissé dans mon ombre entrer l'ancien soleil,

Et si tu rends ma cendre au caprice des brises,


Dis-moi dans quel espoir profanateur tu brises
Les sceaux inviolés de mon lointain sommeil ».
15

II

O corps par la hauteur des ombres recouvert,


Ton oreille entendit le calcaire sonore
D'Aménophis thébain crépiter dans l'aurore,
Et des limons du Nil sourdre le froment vert ;

Sur les siècles naissants tes yeux se sont ouverts,


Et leurs jeunes saisons trop vite ont vu se clore
Tes lèvres, fleur pourprée, à qui restait encore
Quelque chose de grand à dire à l'univers.

Ah ! parle ! parle-lui de l'antique espérance


Des premiers nés, léguant la foi de leur enfance
Au vieux monde qui doute envahi par le soir,

Et montre-lui, d'un doigt contempteur de la cendre,


Ton Horus, le dieu jeune, et qui saura te rendre
Des yeux d'azur, d'amour, d'extase, pour le voir.
16

HARMAKHIS

A OscarHAVARD.

Ces spectres décharnés achevaient leur voyage,


Et plus d'un ossement blanchissait derrière eux;
C'étaient les Africains conduits en esclavage
Dans les carcans de fer enchaînés deux à deux.

Couché comme un lion superbe et douloureux,


Harmakhis, le grand sphinx, observait leur passage ;
Les traitants déchargeaient leurs fusils dans ses yeux,
Puis fuyaient sans oser regarder davantage.

Ah ! c'est qu'il attendait l'aube des grands soleils;


Le symbole ancien des immortels réveils,
Troublait les ravisseurs à cause de leurs crimes.

Ils entendaient ces mots que disait Harmakhis :


Elles auront leur jour, les antiques victimes !
Ils ressusciteront, les ossements blanchis !
17

THERMONTHIS

A ESTÈVE.

Memphis dormait. Six rois de pierre, dans la pose


D'Immortels qui verraient passer le vol des ans,
Dominaient, de leurs fronts mitrés de granit rose,
Les palais inégaux à leurs torses puissants.

L'aube sur les degrés des tombeaux imposants


Descendait dans sa gloire avant le jour éclose ;
Chéphren, et puis Chéops, par-dessus toute chose,
Levaient leurs deux sommets lointains et rougissants.

Droites sous leur amphore à l'égal des statues,


Des femmes, aux bras nus et bruns, de bleu vêtues,
Marchaient, sous les palmiers, vers le Nil violet...

Moïse, en ce moment, passait, dormant encore,


Et la fille des rois, Thermonthis, recueillait
Ce fils de sa pitié plus charmant que l'aurore.
18

PAROLES DE THERMONTHIS

A Gaston
RAGEOT.

Au nid de jonc tissé par la main d'une mère


Non sans art, dans la nuit de la pauvre maison,
Moïse enfant dormait, blotti dans sa prison,
Comme un fruit velouté dans une écorce amère,

Je le pris, je sauvai cette vie éphémère,


Ravie à tant d'amour en si tendre saison
Et qui fuyait, plaintive, à l'extrême horizon
Où les flots et la mort finiraient sa misère.

Comme un rêve il glissait sur le miroir de l'eau


Dans un reflet de rose : il me parut si beau
Que, vierge, je sentis la gloire maternelle ;

Il ne me semblait plus l'enfant du peuple hébreu...


Non, mais plutôt un prince, un roi, peut-être un Dieu !
Et je crus voir Horus, dieu de l'aube éternelle.
19

INQUIÉTUDE DE THERMONTHIS

AH.DEREGNIER.

Cet enfant est aussi terrible qu'il est beau :


Croirez-vous qu'il m'a dit: O toi, soeur de ma mère,
Quand le temps aura fui de ta grâce éphémère
Et que l'épervier d'or gardera ton tombeau,

Quand ta chambre empourprée ouvrira dans le sable


Sa porte, entrebâillée et noire comme un four,
Quand le Serapeum sera comme une étable
Où, sur le corps d'Apis, beuglera le vent sourd ;

Toi-même, sous un verre, au fond d'un sarcophage,


Tu montreras au froid antiquaire un visage
Où ne se lira plus l'immortel lendemain,

Et tu seras pareille aux pauvresses farouches


Qu'on voit au bord du Nil, et qui tendent la main,
Et dont les larges yeux sont rongés par les mouches.
20

CHANT DU SACRIFICE

L'urne d'or fait monter vers ton trône, Osiris,


L'encens, cet onduleux fantôme,
Que cette fleur te donne, elle aussi, son arome,
Le lotus, frère des iris !

Des hymnes et des chants enveloppe embaumée,


Monte sans ailes vers les cieux,
Parfum, spirale d'or aux contours spacieux,
Ambre qui se change en fumée,

Epanche avec lenteur au bord des encensoirs


Ta volute au loin déroulée,
Et rappelle aux pasteurs la laine ensoleillée
Des troupeaux dorés par les soirs,

Aux guerriers, le panache éclatant des victoires ;


A ceux qui dans l'ennui des flots
Monotones et bleus s'en vont, aux matelots,
Montre le front des promontoires !
21

Qu'ils y voient la fumée et pensent à leur Dieu


Qui fit larges les mers antiques,
Qui de leur eau féconde et des tons du ciel bleu
Fit les plantes aromatiques !

Que plus agile encor que le parfum subtil


Qui sort du lotus solitaire,
Mon argentine voix, légère comme un fil,
Relie avec le ciel la terre !

Qu'elle résonne au loin, pénètre par les puits


Chez les morts, dans leurs cités sombres,
Et qu'elle aille enchanter, sur la barque des ombres,
Osiris, le soleil des nuits !

Que, sous sa mitre ardente oubliant l'anathème,


Et cédant à mes chants vainqueurs,
Il sente la caresse invisible des coeurs
Et comprenne enfin comme on l'aime !..
22

MEROE

Je veux, disait Moïse, en ton honneur, ô mère,


Fonder une cité du nom de Méroé,
Pour que cet art prudent soit à jamais loué,
Qui fit un nid de joncs à ma vie éphémère.

Je bâtirai ta ville au delà de Memnon,


Et le fleuve sacré qui connut mon histoire,
D'âge en âge disant ta tendresse et ton nom,
Témoin de ta douleur, le sera de ta gloire !

Dors, source de mes jours, à la source des eaux


Qui nourrissent les blés, qui bercent les tombeaux,
Comme elles pacifique et comme elles féconde ;

Car ton fils agira lorsque tu dormiras !


Si tu vis, si tu vois, peut-être tu verras
Que par toi la Justice a coulé sur le monde.
23

AU PASSANT DU KAIRE

AuComte
G.DECONTADES.

Vois comme au loin la mort dilate sa cité,


Passant ; de stèle en stèle, avance d'âge en âge ;
Vois, sous le jaune iris au dérisoire ombrage,
Ces blancs tombeaux d'hier que calcine l'été.

Au delà, décrépits, troués de vétusté,


Vois ces dômes, funèbre et magnifique hommage
Offert à qui vivant fut prince et mort fut sage,
Et qui croulent, soumis à la fatalité...

Plus hautes et plus loin vois les trois pyramides,


Trois sépulcres ! au fond, vois les dunes arides,
Et comme au grand désert qui s'abrège au regard

La cendre qui vécut s'éparpille inféconde.


Que d'hommes ont passé ! que l'histoire est profonde :
Que le temps est immense et que nous venons tard !
24

LA REVANCHE DE CARTHAGE

A PierreDENOLHAC.

César n'a pas détruit, Armor, sur ton rivage


Les restes colossaux des tombeaux de Carthage ;
Car aux destins passés cherchant un lendemain
Qui pût longtemps encor braver l'orgueil romain,
Plus d'un fils d'Hamilcar sur l'aile de ses voiles
Suivit à l'Occident les penchantes étoiles
Et navigua, chercheur de l'ambre et de l'étain,
Vers la froide Hibernie ou les Cassitérides,
Pour ne laisser de lui qu'un sépulcre hautain
A la hâte engravé d'écritures numides.
Le monde encor tremblait sous les faisceaux romains,
Les légions marchaient de leurs pas souverains
Sur la route de pierre à travers le bois sombre,
Et les Carthaginois voyaient surgir ton ombre,
Cité de Régulus, qui poursuivais encor
Les derniers de leur race aux rives d'Occismor !
Ils étaient les maudits, leur perte était fatale,
Mais l'âpre immensité de l'onde occidentale
25

Mugissait derrière eux plus haut que cent taureaux,


Soufflant la guerre sainte et la bataille épique.
Et leur âme indignée, aux cornes des aurochs,
Chantait superbe et haute autant que l'Atlantique ;
Obligés de choisir des flots ou bien des fers,
Ils dressaient le menhir entre Rome et les mers.

Granit, contemple donc les vastes représailles


Des Chananéens vils et des gladiateurs
Dans le cirque du monde empli de funérailles ;
Contempteur épargné des ans dévastateurs,
Vois s'écrouler le temple et l'arche triomphale,
Les arènes, les tours, orgueil de la cité,
Les colonnes d'airain que la force brutale
Érigeait dans sa gloire et son iniquité,
Et toi-même, debout, attends le vain outrage
Des siècles, et d'un culte entouré d'âge en âge,
Embelli par les ans, vêtu par les soleils,
Règne sous le drap d'or de tes lichens vermeils !

Quelque jour, fatigués des hommages serviles


Ou des débris fumants à la place des villes,
Quelque jour, les Romains dans les ombres des soirs,
A l'heure où surgiront au loin les menhirs noirs
2
26

Debout dans la pâleur des crépuscules mornes,


Penseront voir du monde apparaître les bornes :
Ils n'iront pas plus loin, craignant les justes dieux ;
Immobiles de peur, croyant que devant eux,
Au bord de l'horizon plein d'ombres magnanimes,
La terre réenfante un peuple de victimes.
II

TABERNACLES DE SEM
29

LE SEIN D'ABRAM

A PaulHAREL.

Abram, au coeur pareil à l'oasis ombreux,


D'où que vînt l'étranger, du ciel ou de la terre,
Pour lui faire un asile ouvrait sa tente austère
Où dormaient tour à tour l'ange et le malheureux.

De ses yeux qui voyaient très loin étant très vieux,


Avait-il aperçu dans le désert un frère ?
Il chargeait sur son dos, de son bras centenaire,
Un taureau pour fêter l'hôte envoyé des cieux.

A ses bontés la mort n'a pas fixé de terme,


Les justes vont à lui, son grand sein les renferme;
Dans son amour immense il les tient réunis.

Le prophète, le saint, le confesseur, l'apôtre


Font tressaillir, montant vers lui, l'un après l'autre,
Son coeur pareil encore à l'ombreux oasis.

2
30

ABRAM

KERINOU.
AFleuriot

Fatigué d'avoir lui, l'astre éteignait son feu.


Abram dit : Ce n'est pas le soleil que j'adore.
Et l'étoile à son tour parut ; il dit encore
En la voyant pencher : « Elle n'est pas mon Dieu »

L'idole au front d'airain monta sous le ciel bleu,


Sur les murailles d'Ur, ainsi qu'un météore;
Le père des croyants dit : « Le temps la dévore,
De sa poudre au désert le vent se fait un jeu.

Pour Dieu je ne veux rien de ce qui passe et change,


Rien qui soit né de terre et se résolve en fange... »
Et sa race égala les étoiles des cieux

Dont il n'adora pas la mourante lumière ;


Le nombre de ses fils est comme la poussière
Immense, où son regard n'a pas cherché les dieux.
31

L'ANCIENNE JÉRUSALEM

L'un sur le Moriah, l'autre sur le Sion,


Le temple et le palais s'élèvent face à face ;
L'arche unique d'un pont de l'un à l'autre passe,
Couvrant de sa courbure un populeux vallon.

La ville haute est là. Puis, du Tyropéon


La cité, par degrés, de terrasse en terrasse,
Descend où Siloé, source en pleurs, à voix basse
Parle au fond d'un ravin que fleurit Salomon.

Et c'est un lieu très bas, et qui s'émeut à peine


Sous les psaltérions de la cité hautaine,
Sous les mugissements des parvis pleins de voix.

Mais pour que Siloë ne soit pas exilée,


Pour la prendre, descend l'écharpe crénelée
Tombant du temple d'or et du palais des rois.
32

LE TEMPLE DE JÉRUSALEM

I
VUELOINTAINE
AuR. P. HELLO.

Gravis, prêtre étranger, les monts de Belphégor,


Tourne-toi du côté de l'Occident : regarde,
Ne vois-tu pas au fond des sables un point d'or ?
On dirait qu'une étoile au bord des mers s'attarde.

En vain le soleil monte, et des rayons qu'il darde


Inonde le désert de Sion à Ségor :
Plus claire que ses feux, l'étoile toujours garde
Un éclat que midi fait resplendir encor.

Est-ce l'astre que vit au ciel des anciens âges


Balaam précurseur des voyants et des mages ?
Non, c'est le mur doré d'un temple : il semble en feu

Pour qu'aux lointains obscurs qu'emplit l'idolâtrie,


A l'Egypte, à la Grèce, à Rome, à l'Assyrie,
Comme à tout l'univers, il dise : Il n'est qu'un Dieu.
33

II
L'ARRIVÉE

Des lointains de Seïr et d'Asiongaber


Aux sables montueux de la triste Judée,
La terre fluctuait de silence inondée
Et ressemblait au lit convulsé de la mer.

En amont, en aval de ses vagues de cendre,


La file aux pieds nombreux des chameaux, tour à tour
Descendait pour monter et montait pour descendre
D'un pas égal et lent sous le poids du long jour.

Et rien ne variait cette marche sans trêve


Où le marcheur aurait voulu fuir en un rêve
Le désert monotone où s'étendait la mort.

Soudain pyramidait, merveille inattendue,


O Dieu de qui l'idée était partout perdue,
Ton temple ! éblouissant de marbre, et plaqué d'or.
34

III
VUE DE PRÈS

Gardiens de la Genèse et du Deutéronome,


Debout plus de mille ans. plus de mille ans pleurés,
Bravant la catapulte et les béliers de Rome,
Ses murs sont au sommet des escaliers sacrés.

Là montaient les tribus, par de larges degrés,


Vers l'or d'un faîte illustre acclamé par le psaume,
Où, sous des pampres d'or de la hauteur d'un homme,
Des piliers d'or avaient pour fond des murs dorés.

L'astre darde à tant d'or réflecteur de sa gloire,


Un feu réverberé qui vibre et dit de croire
Qu'un soleil va surgir aussi de l'Occident ;

Et, présage du jour que Jésus fit éclore,


Tout au long des piliers, le sacrifice ardent
Montait comme un nuage azuré dans l'aurore.
35

LE MONT SAINT-MICHEL

A PierreDENOLHAC.

L'église archangélique aux murs couleur de fer


Porte en écharpe, avec une fierté de reine
Et retient à ses pieds, dans les plis de sa traîne,
La chétive cité de Saint-Michel-en-Mer.

Tout autour sont les flots montueux que l'hiver


Du fond de l'Occident sur l'Atlantique entraîne...
Le ciel est tourmenté, mon âme. plus sereine,
Rêve au ciel d'Orient éternellement clair.

Mon âme, près des mers celtiques, obsédée


Par les flots sablonneux du désert de Judée,
Voit surgir sur ces flots la Sion d'autrefois,

Plus blanche que le Mont Saint-Michel, non moins grande,


Qui jusqu'à Siloë déroule la guirlande
Des murs qu'au seuil du temple ont suspendus ses rois.
III

SOUVENIR D'HOMÈRE
39

VOIX DANS LA NUIT.

D'APRÈSL'ODYSSÉE
A Diogène
MAILLART.

L'hôte et le serviteur, dans le palais tout dort.


Par la porte de corne ou la porte d'ivoire,
Du songe véridique et du rêve illusoire
Murmurant et léger l'essaim nocturne sort.
Des yeux brillent dans l'ombre et quelqu'un de terrible,
Le vainqueur d'Ilios, est déjà revenu.
Les grottes, les rochers, les bois l'ont reconnu;
Mais l'homme ignore encor sa présence invisible.
Comme un prêtre qui fait un sacrifice aux dieux
Tourne sur le brasier les entrailles brûlantes,
Tel Ulysse, accoudé sur des toisons saignantes,
Tourne et retourne en lui son coeur silencieux:
Ils sont là, profanant le palais de ses pères,
Ces rivaux qu'il réserve à des noces amères !
De la captive impure ils possèdent les flancs,
Et, repus des plaisirs qui font haïr l'aurore,
D'un coeur vide et superbe ils convoitent encore
Le lit baigné de pleurs de l'épouse aux bras blancs...
40
Elle est seule, elle est triste en sa haute demeure,
Elle écarte son voile et se lève à demi,
Et dans la grande paix du palais endormi,
Ulysse entend sa voix qui se lamente et pleure :

« Comme à l'aspect des loups la génisse aux abois


Sur un roc escarpé, dominateur des bois.
Appelle en mugissant le pâtre,
Zeus ! j'en appelle à toi de cet hymen impur!
Que ne puis-je mourir, me perdre dans l'azur,
Pareille à la vapeur de l'âtre !

Lune, qui dans l'horreur des bois sacrés et noirs


Glisses des flèches d'or dans mes cheveux, les soirs,
Belle Artémis, ô chasseresse !
Prends pour cible mon coeur, s'il est dans ton carquois
Un trait assez mortel et qui puisse des rois
M'épargner les viles caresses!

Qu'un tourbillon m'emporte en d'orageux chemins


Jusques où l'Océan, ceinture des humains,
Déroule ses ondes divines!
Ce destin fut le sort, ma mère me l'a dit,
41

De ces filles d'un roi qui, par les dieux maudit.


Mourut, les laissant orphelines !

Les déesses luttaient autour de leur berceau


A qui les doterait du présent le plus beau :
Athéné donna la sagesse.
Artémis à leur port donna la majesté,
Démêter les nourrit de miel, Aphrodité
Mit dans leur âme la tendresse.

Par l'Aurore leur sein de roses fut paré,


Hérè de leurs cheveux fit un voile doré
Nimbant leur tête virginale :
Mais avant qu'à leur coeur un coeur ait répondu,
Envoyé par Hadès, un monstre inattendu
Les ravit dans l'ombre infernale :

Je voudrais dans cette ombre habiter à mon tour.


Là du moins je pourrais retrouver mon amour,
Contempler son pâle visage...
Le revoir aussi beau qu'il était autrefois
Ou tel qu'à mes côtés en un rêve je crois
Embrasser parfois son image !
42

Encor si le sommeil apaisait mes douleurs !


Mais après de longs jours écoulés dans les pleurs.
Les nuits ne sont pas moins amères ;
Lorsque je crois qu'Ulysse est là près de mon coeur,
C'est vous qui me trompez, en un songe moqueur,
O divinités mensongères. »

Telle une douce voix dans l'ombre s'élevait,


Cependant qu'en son coeur le héros s'approuvait
D'avoir su dédaigner l'hymen d'une immortelle,
D'avoir cherché moins haut le secret du bonheur ;
Car l'immortalité, sans l'amour avec elle,
Pour lui n'eût rien été qu'un immortel malheur.
Non, ce n'est pas en vain qu'il a sur le flot sombre
Erré dans la tempête, en entendant dans l'ombre
Eole enfler son outre et Poséidôn mugir
Et Carybde et Scylla, monstres des mers, rugir;
Non, ce n'est pas en vain qu'il a fui les sirènes,
Méprisé tous les biens, souffert toutes les peines,
Puisque les biens, les maux, les flots, les dieux jaloux
N'ont pas pu séparer l'épouse de l'époux.
IV

AU FAITE DES TEMPS


45

L'ETOILE DES MAGES

A Anatole
FRANCE.

La Nuit qu'on adorait, la Nuit pleine de Dieux,


La Nuit pleine d'encens où montaient les hommages
Des pâtres Chaldéens, des Brahmes et des Mages,
Des vieilles nations idolâtres des deux:

La Nuit du Nil, Athor, qui prenait pour images


L'orbe lunaire ou bien l'épervier glorieux,
Et qui pour écarter le trépas odieux
Ouvrait en croix ses bras au fond des sarcophages;

La Nuit pleine de feux, dont l'immense univers


Ne pouvait détourner ses hommages pervers,
Tout à coup de son front vit descendre une étoile,

Qui pour toutes ses soeurs, et pour la Nuit, parla


Et dit : Debout ! ô rois ! votre Dieu, le voilà
Qu'entoure dans la nuit la Vierge de son voile !

3.
46

HOMMAGE DE L'AUBE

AAnatole
FRANCK.

Les anciens adoraient toute aube, que la rose


Sur le sommeil d'Hellas s'effeuillât de ses mains,
Ou que l'astre naissant promît des lendemains
Aux Egyptiens morts que le saint fleuve arrose.

Mais sous les oliviers une aurore est éclose


A Betsaour où dort un camp de Bédouins,
Avant que le soleil oblique ne se pose
Aux sommets onduleux des dunes sans chemins.

C'est que les premiers nés du grand Matin, les anges,


Qui bercèrent naissant le monde dans des langes
Faits de brume irisée et de réseaux vermeils,

Ont voulu qu'avant l'heure où cesse la nuit noire,


Sur le berceau du Christ, ancêtre des soleils,
L'aube qu'un monde adore à son Dieu rendît gloire.
47

LA SOURCE
AuR.P. CONSTANT
genus
Nymphtoe undeest.
amnibus
VIRGILE.
Lorsque le Tibre, roi des eaux occidentales,
Mêlait sa jaune arène aux flots Tyrrhéniens,
Quand l'Eridan tombait des monts helvétiens,
Virgile, au large azur de tes plaines natales !
Curieux de la cause en ton désir d'enfant,
Tu cherchais le secret de leurs ondes naissantes
Et d'où pouvait sortir le Mincius dormant;
Sur les berges en fleur des rives décroissantes
Tu poursuivais la source, et tu trouvas parfois,
Au plus épais de l'ombre, au plus profond du bois,
Souriante et le front étoile de pervenche,
La vierge dans sa main tenant l'urne qui penche.

Telle encore, ô Virgile ! en un monde nouveau


Tu trouverais la vierge à la source d'une onde
Qui, lorsque tu naquis, fut à peine un ruisseau,
Qui, depuis, fleuve immense, a fécondé le monde...
O fleuve de la foi, d'où sont venus tes flots?
48

Partons, partons pour voir si leur source est encore


Si charmante là-bas au pays de l'aurore !
Plus loin que Rome, Ephèse et Corinthe et Pathmos,
Que le vieux môle où Paul, secouant ses sandales,
Entra dans les hasards des mers orientales,
Au delà du Carmel. au delà du Thabor,
Le flot nous conduira jusqu'à la crypte ombreuse
Où l'anémone unie à la ronce épineuse
Croît sous la vigne lente et sur les sables d'or.
Déjà le flot expire en un léger murmure,
Une blancheur lointaine a lui sous la ramure...
Quelle est cette fraîcheur qui nous pénètre ainsi ?
La Source est près de là, nous sentons sa présence;
Quelle tranquillité!... quelle ombre... quel silence!
O Virgile ! regarde : une Vierge est ici !
49

NAZARETH

A Octave
FAGLIN.

La ville de ta Mère est là, tu la domines,


Et dans le calme soir t'arrive la chanson
Du val harmonieux tapissé de gazon
Où fut bercé ton Dieu par des mains enfantines.

Crois-tu pas retrouver sur le flanc des collines


Quelque tapisserie ancienne d'Aubusson,
Qui mêlât en un pâle et lointain unisson
Les oliviers chenus aux voûtes en ruines ?

L'immobile Orient paraît partout très vieux;


Pourtant, de par Marie et ses soins gracieux
Son pays a toujours, toujours à cause d'elle,

Des vierges unissant la force à la douceur,


Des hymnes escortés d'un cortège danseur,
Et dans l'antiquité la jeunesse éternelle.
50

PAULAM DIXERE PRIORES


BETHLÉEM
A Medela VERRERIE.
Là dort dans cette roche hospitalière et noire,
Paula, dont la fortune égala le grand nom,
Un nom qui plus qu'un autre a sonné dans l'histoire
De l'arène du Tibre au sable de Memnon.

Paula, postérité sainte d'Agamemnon,


A Rome la première, en vertu comme en gloire,
Paula, patricienne oubliant la victoire
Des aïeux, et plus haut qu'Emile ou Scipion

Plaçant la pauvreté qu'obscure elle a suivie,


Chrétienne et fugitive, ensevelit sa vie
Dans ces rochers déserts, du vieux monde ignorés.

C'est là que fut ta crèche, ô Christ, et que l'hommage


D'encens, de myrrhe et d'or apporté par le mage,
En symbole parla sous tes pieds adorés.
51

RETRAITE DES MAGES

AuR. P. BAILLY.

Chacun d'eux porte au coeur jusque dans son royaume


Le sourire divin qui les a faits heureux ;
Ils vont par le désert sous le ciel ténébreux
Sans rien voir, ni qu'au bord de la mer, sur Sodôme,

L'orbe en feu de la lune apparaît comme un dôme,


Ni que, plus pâle, il monte et fait loin derrière eux
De l'homme et des chameaux s'allonger le fantôme
Sur les dunes sans vie et dans les ravins creux ;

Ni qu'au fond des torrents les roches décharnées


Ressemblent à des os qu'ont blanchis les années,
Sans entendre qu'au loin, d'une voix qui les suit

Redemandant ses fils à l'ombre constellée,


Rachel, aïeule en pleurs, élève, inconsolée,
Un grand cri qui se perd dans l'espace et la nuit!...
52

L'EVANGILE DES NUITS

quiddenocte
Custos, ?

Sur la tour qui vibra du vol récent du psaume,


D'où l'on voit les monts nus déferler jusqu'au Ghor,
Et la lune aux confins du gouffre où gît Sodome
Empourprer dans les soirs les lointains de Ségor,
Où David a tendu ses bras vers les collines
Et comparé son âme à leur sable sans eaux,
Ou très tard écouté pleurer dans les ravines
Le Cédron qui se brise aux pierres des tombeaux,
Sur la tour dominant tout Sion de son faîte
Deux hommes sont debout: le prince, le prophète.

Les yeux sur l'au-delà que l'homme ne voit pas,


Esaias écoutait parler Ezechias.

EZECHIAS

Sentinelle debout à l'heure du silence,


Veilleur universel, toi dont la vue immense
Plonge au divin secret des jours qui vont venir,
O prophète, dis-moi si la nuit va finir!
53

ESAIAS
Il n'importe que l'ombre expire, ou que l'aurore
Pour les vivants ingrats s'épanouisse encore ;
Pour ceux qui sont couchés dans les monuments sourds
Les matins sont passés, et c'est la nuit toujours,
Et les heures ont beau mener leur char de gloire
A travers les ardeurs du midi radieux,
Les morts n'ont pas souci de leur cours glorieux,
Et tout le jour pour eux, c'est la nuit froide et noire.
Depuis le vieil Adam pas un ne s'est levé
Et pourtant quelques-uns sont morts dans l'espérance!
Beaucoup ont ennobli leur suprême souffrance
D'un cri victorieux de leur coeur envolé
Ou gravé, comme Job, héros de l'Idumée,
De leur stylet de fer sur les rochers en deuil :
« Tu revivras, ô chair, que les vers du cercueil,
Tes frères et tes soeurs, ont en vain consommée; »
La foi, paix de leurs coeurs, fit la paix de leurs os,
Mais l'ennui les a pris de l'éternel repos.

EZECHIAS
Sentinelle des nuits antiques, parle encore :
Dis, si des habitants du pays inconnu
54
Dans le calme des nuits, dans l'éclat de l'aurore,
Sur la terre natale aucun n'est revenu.

ESAIAS

Les Libyens ont dit: Les corps sont les semences,


Il faut les conserver jusqu'au jour des moissons ;
Nous ferons de granits informes leurs maisons,
Ils habiteront seuls en des déserts immenses
Qui de l'homme ennemi découragent les pas,
Aux lieux infréquentés où la vie incertaine
En arbustes rampants agonise et se traîne,
Et d'où la sainte horreur fait qu'on n'approche pas ;
Et quelque jour aussi, fidèle à nos poussières,
Le dolmen lèvera son couvercle de pierres.
Mais le dolmen est clos et, soufflant dans son cor
Nocturne, le vent rit du chef aux armes d'or.

EZECHIAS

Explorateur des nuits qu'on croirait éternelles,


Parle, et si tu le peux, donne-moi des nouvelles
D'une ombre qui tant dure, et qui se tait!...
55

ESAIAS
Je vois
Cette ombre ambitieuse envahir à la fois
Les morts et les vivants : la veilleuse nocturne,
La mourante raison vacille dans son urne,
Seb, Osiris, Ammon, Bel. Oannès, Istar,
Ces démons l'un sur l'autre entassés par les races,
Usurpent les encens de Tyr jusqu'à Cédar,
Où donc est Dieu ? Leur ombre a recouvert ses traces
Et c'est de rayons noirs que vont semant leurs cours
Ces astres, par le mage adorés sur les tours,
Car la tombe est aux morts, aux vivants l'ignorance.

EZECHIAS
Quoi de neuf sous les nuits ?

ESAIAS
Satan que rien n'endort
Par la voix du prophète évoqué dans Endor,
Jette à Saül déchu le mot « désespérance » !...
Mais elle n'eût jamais de ces cris décevants
La voix, fraîche toujours, des immortels vivants.
Révélateur promis garde-nous de ces pièges
Où, puissant de sa ruse et de ses sortilèges,
56

Un insidiateur prend le corps des aïeux


Et fait mentir les voix des ombres paternelles !
La pourpre du sang manque à ces spectres trop vieux;
Ils semblent fatigués des routes éternelles
Prompts à s'évanouir, ces fantômes sans chairs
Plus prompts que les malheurs qu'ont semés leurs menson
Fuiront exténués comme s'en vont les songes
Par la porte d'ivoire au chemin des enfers.

EZECHIAS

Qu'as-tu vu ? ton regard a des reflets d'aurore?...

ESAIAS

Oui ! j'ai vu l'avenir déroulé devant moi,


Mais l'homme n'est pas mûr pour le connaître encore
Et si je parle, c'est à voix basse et pour toi...

A l'heure où dans la nuit vaguement inquiète,


Le coq entend la voix des coqs et la répète,
Où l'arbre qui s'estompe en contours veloutés
Sème ses voiles noirs d'astres diamantés,
Je comptais, sans pouvoir en embrasser le nombre,
Les tombes qui criblaient de trous le rocher sombre,
Ruche où les morts goûtaient le miel noir des ennuis;
57
Je comptais ces aïeux, aigles qui dans leurs aires
Pliaient une aile esclave, impatients des nuits,
Dans l'innombrable creux des ravines calcaires,
Clos de disques de pierre énormes, et d'un poids tel
Que leur masse eût rompu l'effort d'un bras mortel.

L'un d'eux, j'en fus surpris, se nimbait d'une frange...

Quand la lune attardée est captive au réseau


Du lentisque du myrte ou de quelque arbrisseau
Elle a ce rouge aspect d'une auréole étrange ;
Ou tel, quand son passage éclipse les soleils,
Un fil de feu trahit encor leurs bords vermeils.

Quelles splendeurs sortaient de la tombe profonde?...


Pour faire plus de place à leur rayonnement
Le disque reculait de moment en moment.
Soudain, libre d'obstacle, une clarté géante
A touché les vallons, les murs, les monts, les cieux
Et voici, dans l'éclat d'un jour silencieux,
Le Christ, Adam nouveau que la mort réenfante !
Il marche à pas légers, doux comme le sommeil,
Parmi les lauriers blancs et les Tamarins roses,
Les regards de ses yeux font plus belles les choses;
Et la terre a pleuré qui but son sang vermeil.
58

0 terre au sein gonflé des morts de tant de races !


Après ton premier-né revivent sur ses traces,
Adam, de plus en plus courbé sous nos malheurs,
Abel au front de lys qu'accompagne Eve en pleurs,
Melchisedech, grande ombre et qui fut la figure
Du Christ à jamais prêtre et que sa coupe augure,
Enoch le seul vivant qu'ait épargné la mort,
De neuf siècles traînant après lui le cortège,
Mathusalem ; géant à la barbe de neige,
Noé qui dans l'abîme eut la foi pour son port,
Abram au sein plus grand que n'était grande l'arche,
Suivaient ce revenant qui leur ouvrait la marche ;
L'amour en liens d'or les enchaînait aux pas
Du jeune précurseur qui naissait du trépas,
Et voici qu'en arrière, au cours lointain des âges,
Une foule sans nom de justes et de sages,
Les Romains, de la terre immenses conquérants
Ceux-là que le Danube et que l'Euphrate inonde,
Les Bretons qu'on disait habiter hors du monde,
Les Ethiopiens noirs et les Scythes errants,
Les Gaulois ne craignant que le ciel et ses chutes,
Les hôtes des palais et les hôtes des huttes,
Long cortège au-delà des âges entraîné,
Dans la gloire et la nuit suivaient le premier né.
59

LES DEUX SOMMEILS

Pontius Pilatus, procurateur romain,


Pour qui l'autorité de Tibère est sacrée.
A laissé flageller l'ami du genre humain,
Jésus, brebis sans plainte aux outrages livrée.

L'homme de César dort, oublieux du destin,


Dans une profondeur inaccessible au rêve.
Or, moins calme que lui, son épouse se lève
Comme pour respirer la brise du matin.

Ce n'est pourtant pas l'heure où sur l'huile dorée


La mèche de lin va noircir dans l'urne d'or :
C'est l'heure ténébreuse où tout repose encor ;
Elle apparaît au seuil de la chambre éclairée.

Vers son beau front que presse un tragique souci


Elle élève le bras : telle une canéphore
Qui voudrait soutenir la corbeille ou l'amphore ;
Au-dessus de ses yeux pourquoi met-elle ainsi
60

L'abat-jour de sa main, comme si les étoiles


De leur rayon nocturne accablaient ses regards,
Ou comme si le songe au réseau de ses voiles
Enveloppait l'objet qui fait ses yeux hagards ?...

Elle parle à voix haute : O Galiléen sombre,


Où fuir pour éviter ton regard qui me suit ?
Je vois derrière toi des nations sans nombre
Qui me disent infâme, et grondent dans la nuit

Comme un lugubre écho de foudre qui s'écroule...


Sont-ce des voix sans nombre ou bien les grandes eaux
Roulant comme un déluge au loin? Non, c'est la foule
Des hommes les plus purs, les plus saints, les plus beaux.

Le soldat sous l'acier de l'armure, le prêtre


Sous la robe de lin et la tiare au front,
Et d'étranges vivants qui ne recevront l'être
Que pour faire à ma race un immortel affront.

Ils déplorent mon sort, disant : Infortunée,


Partage avec un lâche un lit déshonoré ;
Que n'es-tu, jeune encor, morte avant l'hyménée !
Que n'es-tu l'humble esclave à l'amour ignoré!
61

Adieu! printemps de l'âme heureuse! honneur sans taches!


Beauté fatale, orgueil du rang, et vous licteurs
Qui bientôt courberez vos faisceaux et vos haches
Devant l'univers plein de nos accusateurs.

Ils montrent une croix, disant que l'homme adore


Un Rédempteur qui pend au bois injurieux;
L'épouvante l'entoure et la gloire le dore
Ce bois pour nous terrible, et pour Lui, glorieux!

Il est là cependant, il pleure, il semble attendre,


Comme s'il me voulait pure de son trépas;
Sa voix à son regard mêle un reproche tendre,
Tu pourrais me sauver et tu ne le veux pas !

Je vous obéirai, pressentiments de l'âme !


Pontius apprendra sa honte et mes douleurs.
Mais le procurateur s'éveille et lui dit: « Femme,
Pourquoi troubler la nuit avec ta voix en pleurs?

— Encore? Eh bien,
« Jésus ! que veux-tu que je fasse !
— Mais un Dieu
vengera ce forfait odieux :
Voir le juste périr et détourner la face !
— La faveur des César est la faveur des dieux. »
4
62

CALVAIRE PRES DES FLOTS

AFleuriot
KERINOU.

Calmez, devant la croix, votre empire agité,


O flots, chantres de gloire et de magnificence,
Flots dont la cantilène achève et recommence
Un nom divin qui n'est jamais assez chanté !

Réflecteurs spacieux d'un être illimité


Dont la douceur se mire en votre azur immense,
Flots qui peignez au loin dans vos nuits d'inclémence,
Le courroux qui remplit de pleurs l'éternité !

Qui dites en murmure, en lumière, en image,


Le vivant infini dont vous êtes l'ouvrage,
Divers et varié dans l'unité du bleu !

Flots pieux ! que chacun de vous se taise et meure,


Et salue en mourant cette croix qui demeure:
Car mieux que tout au monde elle a parlé de Dieu.
63

L'ECLIPSE DE L'AN XXXIII

Mystérieux soleil de justice, Ammon-Ra,


Quand Héliopolis adorait ton image,
L'astre-roi, Denys seul, qu'attend l'Aréopage
Abhorrait les autels du soleil qui mourra.

Mais rien ne peut venger d'un culte scélérat


L'éclatant mesureur de l'espace et de l'âge,
Tant qu'on verra monter vers son disque en voyage
L'obélisque rosé dont l'ombre bleuira.

Toujours dans l'azur mauve et vibrant de lumière,


Ira de l'aube au soir sa candeur coutumière...
Soudain (jamais fut-il un spectacle pareil?)

L'astre entrant dans la nuit comme un vaisseau qui sombre,


Denys vit un calvaire attester devant l'ombre
L'éclat supérieur de l'éternel soleil.
64

SUR UNE ESTAMPE DE MANTEGNA

A PierreDENOLUAC.

Tournoyant dans leur vol à des vents d'épouvante,


Tordant de rauques sons en des cornes de fer,
Les démons, ces hérauts du château de l'enfer,
Annoncèrent le Dieu par qui la tombe enfante.

Et voici qu'au devant de la croix triomphante


Les morts des anciens jours que gardait Lucifer
Sortirent. Ton pinceau, père d'Albert Durer,
O Mantegna ! peignit leur vétusté vivante.

Leurs bras tortionnés, leurs corps pâles et nus


Témoignaient de quel gouffre ils étaient revenus ;
Et pourtant ils pleuraient le malheur de revivre,

Le retour aux douleurs et le réveil en deuil,


Le recul vers la vie amère, et sur le seuil
Des antiques sentiers, le dégoût de les suivre.
65

LES DEUX ARCS

TITUSET L'ECCEHOMO

Juif ! regarde cette arche, austère architecture


Aux trois portes, dont l'une est faite pour les chars :
Dans le cadre cintré de sa grande arcature
Voilà l'homme, il est roi des juifs et des Césars !

Sur son front où l'épine a fait entrer ses dards,


Comme un voile sanglant, tombe sa chevelure
Et de son bras meurtri, sur sa blême encolure,
Il pose de la croix les sacrés étendards.

O Juif ! tu passeras sous une arche semblable


Avec ton candélabre à sept branches, la table
Qui servait dans ton temple au sacrificateur ;

Et promis à la mort pour fêter la victoire,


Par la via sacra, derrière un char d'ivoire,
Tu suivras en pleurant Titus triomphateur.

4-
66

COURTISANE JUIVE

ACamille
GABIAT.

Pleure, étrangère pâle avec ton Meyerbeer !


Tu méconnus le Christ, et depuis lors, ô juive!
C'est le vide qui règne en ton âme plaintive,
C'est l'Infini qui manque à ton désir amer.

Comme un rocher que bat l'infatigable mer,


Ton coeur du grand amour lassa les tentatives.
L'Infini ! tu l'attends des voluptés chétives
Que donne en défaillant ta périssable chair.

Trop longtemps tes bras blancs, au sommet des terrasses,


S'ouvrirent, implorant l'espérance des races,
Tes yeux ont trop plongé dans le ciel chaste et bleu.

Ton corps s'est fatigué de l'attitude austère


Et vend, pour en finir, aux amants de la terre
Ses flancs désespérés faits pour porter un Dieu !
67

LES PLEURS DES JUIFS

ALéonPATRIE.

Siloë peut tarir au temps de la chaleur


Mais non les pleurs des Juifs au pied des murs d'un temple.
Electre, Ismène. Orphée aux sonores douleurs,
N'ont pas sur les tombeaux traîné de deuil plus ample.

Sous ces murs foudroyés pour un antique exemple,


Ce peuple verse encor sur ses justes malheurs,
Les larmes d'un orgueil qui veut qu'on le contemple ;
Les siècles n'ont jamais connu de si longs pleurs.

Mais l'éternité doit en voir de plus durables


Tomber des yeux brûlés d'hommes plus misérables,
Des yeux des condamnés de ces jours solennels

Ou l'amour méprisé mettra le monde en cendre :


Et ces longs pleurs des Juifs sont pour nous faire entendre
Que les pleurs des Chrétiens pourraient être éternels.
68

LA !
ÉCRITSUR L'ESPLANADE
DU HARAM
AM.l'abbéGAUCHER.

Là, ce temple, impossible à jamais rebâtir,


Périt parmi des feux obstinément voraces :
Rien ne les arrêta, ni les hautes terrasses
Ni les portes d'airain, ni les marbres de Tyr.

Là vint l'imperator Titus, anéantir


Cette prison jalouse où de ses mains tenaces,
La Judée étouffait l'espérance des races :
Le Verbe que la terre entendrait retentir !

Pontius Pilatus ! là, devant ton prétoire


Le vrai juge foula, vendange expiatoire,
Tout un peuple, holocauste innombrable et fumant !

Là, sur les vastes cours du sang juif inondées,


Couronnant de leur deuil le mur de cent coudées,
Les prêtres en lambeaux fendaient leur vêtement.
69

II

L'Antechrist, empereur dernier né d'Israël


Là. passera du throne aux gehennes infâmes
Sous l'arme archangélique et le regard de flammes
Dont l'aura foudroyé le vainqueur Michael.

Là, pourprant leur écume à la rougeur du ciel,


Sous d'énormes soleils se cabreront les lames,
Et dans son lit abrupt où passeront des âmes
Le Cédron s'emplira d'un bruit torrentiel

Et là le Juge, assis sur la Porte dorée


Oubliera sa pitié d'âge en âge implorée,
Et sa croix flamboiera sur les siècles ingrats,

Les sept clairons au large épandront les alarmes


Et l'on saura devant de vrais sujets de larmes,
Pourquoi dans ce lieu même, ô Jésus, tu pleuras.
70

SUR LE MONT DES OLIVES

A Maurice
FAUCON.

A mi-côte attardé sur la colline ronde,


Où l'on voit de Sion les terrasses fleurir,
Jésus considéra ceux qui devaient périr
Dans ces murs, et plus loin, dans l'histoire profonde;

Il pleura sur la ville, il pleura sur le monde,


Pour qui, pur holocauste, il désirait mourir,
Et dont l'ingratitude allait un jour ouvrir
L'écluse aux feux promis à la vie inféconde.

Les oliviers tordaient leurs bras devant ses pleurs,


Et le bruit du Cédron entre ses bords sans fleurs
Dans son lit raviné de pierres et de sable

Paraissait un écho des vieux miserere...


Et moi, pèlerin lâche et pécheur misérable
J'ai passé dans ces lieux et je n'ai pas pleuré !
V

AU SON DES TROMPES

ÉPOQUE FÉODALE
73

LES CHEMINS CREUX

Parlez-vous d'anciennes douleurs,


Racines aux vertes pâleurs,
Qui vous tordez dans le mystère
Du chemin creux et solitaire?

Sous votre effort quand le sol roux,


S'entrebâille en de larges trous,
On croit voir par leur ouverture
Les os blancs d'une sépulture.

Vos bras douloureux sont ouverts


En croix le long des talus verts :
Parlez-vous des morts sans histoire
Souffrant dans l'ombre expiatoire?

Ou des voyageurs trépassés


Que les vieux chemins ont lassés,
Dont vous avez vu les visages
Qui passèrent sous vos ombrages?
5
74
Ces voyageurs sont arrivés,
Sont-ils perdus, sont-ils sauvés ?
Il demeure une inquiétude
Derrière eux dans la solitude.

Sur les vestiges de leurs pas,


Vos rameaux spacieux et bas
Prolongent le silence et l'ombre
D'une allée infinie et sombre.

On s'attend d'y voir revenir


Quelque aïeul au doux souvenir.
De dentelle ou de fleur coiffée,
Si la femme y passe, elle est fée ;

Et l'homme est spectre, et tous les deux


S'ils s'adorent, à côté d'eux,
Croient entendre dire à des âmes :
Nous avons aimé, nous passâmes.

Si la feuille vient à bouger,


Si tressaille d'un bruit léger
Quelque menue et longue tige,
Ce n'est pas l'oiseau qui voltige,
75

Mais la tête d'un homme est là,


Qu'un projet sinistre appela
Vers la route où seul on chemine,
Qui du talus de la ravine

Suit de l'acier d'un regard froid


Le poète qui sans effroi
Croit en marchant sous les ramures
A l'innocence des murmures.

Mais le plus souvent tout se tait,


Sous cette voûte où palpitait
Dans l'écho tremblant des feuillages
Le grelot des vieux attelages.

A peine si la faible voix


D'un ruisseau filtré par les bois,
Qui marche et jamais ne se lasse,
Témoigne de l'heure qui passe,

Compagnon quitté pour jamais,


Qui, poursuivant seul désormais
La route par d'autres suivie,
L'anime encore d'un peu de vie.
76

LE THEATRE DE JUBLAINS

AubaronAm.delaBARRE
DENANTEUIL.

Nous arrivons trop tard et la pièce est jouée.


L'amphithéâtre, après deux mille ans retrouvé.
Arrondit, sous le sol en cercle soulevé,
Le cirque souterrain de sa forme échouée.

Héritière du mime et des gladiateurs,


La nature à son tour entre dans les arènes ;
Aux deux extrémités de la rampe, deux chênes
Sont drapés face à face ainsi que deux acteurs.

Pour le plaisir des yeux la scène est faite encore :


Ces prés que le soleil apaise et décolore,
Son image éclatante au fond dormant de l'eau,

Le bleu tendre et mourant du lointain paysage...


Spectateur, spectateur! te faut-il davantage
Et peux-tu désirer un spectacle plus beau ?
77

GLOIRE DU CERF

A MarcLEGRAND.

Le prince arborescent des forêts, où parfois


Il a d'un abri sûr éprouvé la clémence,
Sous les porches dorés de l'hiver qui commence
Traîne une large suite à travers les grands bois.

Derrière lui les cors, les galops, les abois


De dôme en dôme, au loin, sous le couvert immense,
Roulent tumultueux comme un peuple en démence
Qui poursuit de longs cris le plus doux de ses rois :

Tel suivi par sa gloire un héros solitaire,


Qui doux, et cependant abhorré de la terre.
A quelque mort superbe à la fin vient s'offrir ;

S'il expire au milieu d'un aboiement sonore,


Des siècles entraînés la longue escorte honore
La victime au grand coeur qui sut si bien mourir.
73

MORT DU CERF

Ses pieds sont moins légers et moins prompts que le songe


Qui parle au cerf mourant d'un lac au bord fleuri :
La biche y venait bien et son coeur attendri
Croit que l'onde étant claire est aussi sans mensonge.

Mais l'onde le trahit au moment qu'il y plonge,


Et sous son corps nageant craque le jonc flétri ;
Le muffle ensanglanté des chiens hurleurs s'allonge
Sur la berge assombrie où la fleur a souri.

La mort aux chants cuivrés entoure le rivage...


Et sur son palefroi détournant le visage,
La châtelaine rêve à l'écart qu'en des bois

Disparus, moissonnés sous la cognée antique,


Un féodal chasseur voyait un cerf mystique
Qui, parmi sa ramure, arborait une croix.
79

PITIE DE LA DAME

A Mme deCONTADES.
lacomtesse

Sur les bois d'où jaillit la bête effarouchée,


Sur les bois que le cor funèbre emplit d'émoi,
La dame en sa pitié sereine s'est penchée :
Ouvrez, au cerf, dit-elle, et qu'il entre chez moi !

Qu'il boive au bassin clair où, de son bruit débile,


Une eau tinte au milieu de la cour en repos,
Sous l'ombre des grands toits, au milieu des murs clos
Que lambrisse un grand lierre à la feuille immobile!

Saint Hubert, quand parut le crucifix de feu,


Aux bêtes étendit la clémence du Dieu
Qui, pour les protéger, s'assimile aux victimes;

Et le cerf, dont les pleurs argentèrent les yeux,


Se coucha sur le seuil, et les chiens furieux
Ne mordirent qu'en rêve aux dépouilles opimes,
80

RÉVEIL DE LA DAME
Sequuntur
inania
saepe
Cervorum
simulacra dedita
quasi
fugoe cernant.
LUCRÈCE.

Elle a sauvé le cerf, et son âme très douce


Dans l'épaisseur des murs, à l'abri du malin,
Rêvait en un sommeil tissé d'or et de lin
Aux lunaires pâleurs qui meurent sur la mousse...

Or, autour du manoir entouré de forêts,


L'hiver mêlait d'abois le vent qui la nuit pleure.
La dame s'éveilla soudain, regarda l'heure :
Qui donc chassait si tard?... et c'étaient les regrets

Des chiens qui haletaient et hurlaient dans un rêve;


Frustrés de leur victime, ils poursuivaient sans trêve
Un simulacre vain qui les trompait encor,

Et sous la feuille sèche, et brusquement cuivrée


Par les grands feux de paille au bruit strident du cor,
Mangeaient la chair fumante et fêtaient la curée.
81

CHASSE AU CYGNE

AGaston
LATOUCHE.

Sur l'étang que la glace et l'aube font luisant


Un vil plomb termina les voyages du cygne,
Et de sa voix mystique il dit en trépassant :
« Bénissez le Seigneur, neige, blancheur insigne,

Chaste page du livre où la main de Dieu signe


La promesse des blés et le retour des ans,
Prophétiques candeurs qui brillez comme un signe
De la terre nouvelle et des cieux renaissants !

Bénissez le Seigneur, frimas, brumes et grêles,


Ombre aux champs radieux tombant des branches grêles,
Bocages esquissés en traits de diamant,

Argentines splendeurs du givre, étrange flore ! »


Et le cygne battit de l'aile en ce moment
Et mêla son sang pourpre aux roses de l'aurore.

S.
82

DIVERTISSEMENT CYNÉGÉTIQUE

Si le passé n'est pas un rêve, je fus grand :


Je me suis rétréci l'âme de crime en crime,'
Et c'est vrai que je suis enchaîné dans l'abîme.
Et l'abîme est en moi, c'est moi, c'est mon néant!

Je suis Satan : où fuir loin du gouffre béant


Qui partout me poursuit d'une épouvante intime?
Je ne veux plus me voir et cherche une victime
Un gibier, qui de moi me sorte, en le tuant.

J'irai par les cités chasser la race humaine,


Mes chiens s'appelleront orgueil, luxure et haine,
Et mon cor chantera dans l'antique univers!...

Mais au grand désoeuvré Dieu dit: Rentre en toi-même !


En lui ! c'était le mal, et c'étaient les enfers
Où le blasphémateur rejoignit le blasphème.
83

LE SAPIN TOMBÉ

Toi dont le vent d'automne a jonché la colline,


L'homme n'a point touché d'un fer injurieux
Tes blancs lichens pareils aux barbes des aïeux ;
Tu tombes, il est vrai, mais sous la main divine.

Ce qui fit ton murmure a causé ta ruine;


C'est le souffle angélique et sonore des cieux,
C'est l'invisible archet de l'air harmonieux
Qui t'anima cent ans et qui te déracine !

Et tombé, tu rends grâce aux aquilons cléments,


Car la brise immortelle en ses susurrements
Fait durer sous ta feuille une apparence d'âme,

Et ta mémoire passe au delà de la mort,


Et ton ombre en ces vers s'élève encore et clame:
Celui-là sait mourir qui se résigne au sort.
84

UNE RENCONTRE
A L. DIERX.

Le couchant est de flamme et le chemin est sombre :


Le grand corps du sapin que l'ouragan fit choir
Entasse aux bords ardents de l'horizon du soir
Nid sur nid, deuil sur deuil, décombre sur décombre !

Ce n'est pas sans honneur que sa ramure encombre


L'Occident tout entier de son feuillage noir ;
Le soleil entre en lui comme en un reposoir
Et sertit des rougeurs en ses résilles d'ombre.

Un abîme est béant où sa racine fut,


L'arrachement subit et le poids de son fût
Creuse profondément la terre entrebaillée ;

Et moi, devant ce mort si puissant et si beau,


Devant ce trou béant, cette ombre ensoleillée,
Je médite à la fois la gloire et le tombeau.
VI

LES ASSISES DE PIERRE


87

LE PUITS BYZANTIN

Heureuses dans l'éclat de leur jeune beauté,


La brune Olympias, près de la blonde Irène.
Nimbent leur front d'or fauve et de tresses d'ébène ;
Leurs yeux sont d'un saphir parlant et velouté,
Leur joue est dans sa fleur comme un marbre polie,
Leur lèvre est comme aux cieux l'ibis au vol arqué ;
Le svelte allongement du corps est indiqué
Par la tunique auguste à la forme assouplie,
Et leur bouche et leur geste, et leur port et leurs yeux
Accoutumés sans art de s'accorder entre eux
Expriment de concert la bonté, fleur suprême,
Sans laquelle ne plairait point la bonté même.
S'il manquait un honneur à leur charme décent,
Le saint lieu l'eût fait naître où ces vierges entrèrent.
C'était l'église à l'heure où le peuple est absent,
La basilique antique où les siècles prièrent.
Ses mosaïques d'or du temps de Constantin,
L'épaisseur de ses murs, sa vétusté poudreuse,
88

Son silence imposant, le grand Christ byzantin


Aux longs bras délabrés dans son abside creuse,
Tout aux enfants d'un jour parlait d'éternité.
Et la main dans la main, lentes et gracieuses,
Plus touchantes encor de plus de gravité,
Elles marchaient le long des dalles spacieuses,
Admirant et priant. Et voici qu'un vieux puits
Était là, qui dormait dans l'ombre de l'église :
La coupole au-dessus tissait de longues nuits,
Et dans ses profondeurs était l'eau qui baptise.
Comme on voit finement s'iriser sur l'or mat
Au rebord effilé d'un mystique ciboire,
Deux colombes d'émail qui d'un col délicat
Se penchent, étendant leurs ailes, pour mieux boire,
Les deux vierges ainsi sur le discret miroir
Du puits qui les tentait par l'attrait du mystère
Se penchèrent, le front auprès du front, pour voir
Le reflet de leurs traits remonter de la terre :
Te vois-tu ? — Non ma soeur, — Ni moi, mais un flambeau
Peut faire en l'éclairant parler la sombre glace...
Vingt pieds d'épaisse nuit s'accumulaient sur l'eau.
De la haute margelle à la noire surface
Une corde abaissa la lampe doucement.
La pierre s'empourpra, puis la pariétaire ;
89
Puis la flamme rougit dans l'ombre, et lentement
Diminua comme une étoile solitaire...
Au fond? — Rien... Et l'étoile encor baissa... Soudain
L'eau parut ! ce fut comme une clarté de lune.
Les vierges s'y voyaient : leur figure était brune,
Étrange démenti de leur éclat mondain !
Il ne restait plus rien des saphirs et des roses
Qu'un murmure confus de mourantes couleurs,
Un spectre ridicule en ses métamorphoses
Qu'un lointain crépuscule entourait de pâleurs.

Olympias disait : Irène, vois notre ombre !


L'ombre que nous serons très tard, très loin, très bas,
Au fond de la mémoire où le beau même sombre,
N'est-ce pas qu'elle est frêle? — Et triste, n'est-ce pas?
Ma soeur! telle aux vieillards l'ombre diminuée,
Impossible à saisir de ce qu'ils ont aimé ;
Telle au miroir du Styx ta forme atténuée,
Eurydice, ô beau lys, dans l'Hadès abîmé !
Tel notre souvenir, d'autant plus misérable
Que plus de gloire éteinte à nos fronts aura lui,
Parlera dans les coeurs quand les ans auront fui...

Et le désir les prit de la beauté durable.


90

OMBRE ET SILENCE

Qui donc, a dit l'archange, est semblable à mon Dieu ?


Nul objet, ni personne, et rien qui soit sensible
Ne pourrait exprimer la lumière invisible,
Pas même la clarté qui tombe du ciel bleu.

Maçon, si tu m'en crois, resserre encore un peu


La fenêtre anguleuse à l'homme inaccessible ;
Le soleil, cet archer, peut la prendre pour cible,
Garde bien que ses traits ne troublent le saint lieu.

Ecartes-en la vie, ô sculpteur, car en elle,


Quand tu l'imprimerais sur la pierre éternelle,
Rien ne vivrait encor de la divinité ;

Puisque tout parle en vain de l'être inabordable,


Que tout, rayons et fleurs et bruits, soit écarté :
Dans le silence et l'ombre adorons l'insondable !
91

LE ROCHER DE CAROLLE

Les moines d'Occident, parvenus aux rivages


Qui regardent d'en haut la majesté des plages,
Virent plein de grandeur et de simplicité
Surgir un rocher, d'or et d'argent tacheté :
« Certes le Créateur nous a fait cet exemple,
Dirent-ils, et ce roc a la forme d'un temple.
Imitons-le, fondons sur la côte aujourd'hui
Ce que la terre ébauche en ses rudes images,
Le monument vainqueur des ans et des orages
Sourd comme le rocher et stable comme lui. »
L'édifice roman surgit; sa croupe haute
Crénela comme un roc le vieux front de la côte ;
Le cloître et le rocher se dressèrent tous deux,
Tous deux furent dorés du couchant radieux,
Ils vibrèrent tous deux près de la mer sonore
L'un aux hymnes du cloître et l'autre au bruit du vent.
Peut-être que tous deux ils chanteraient encore,
Mais la bruyère douce efface le couvent.
92
Et toi. rocher, dis-nous si l'âme voyageuse
Des moines vient errer dans leur nid déserté,
Car s'il reste un témoin du temple dévasté,
C'est toi, clocher moussu de l'aiguille rocheuse.
93

INDIFFERENCE

A Frédéric
PLESSIS.

O nef romane, obscure et sans émotions,


Ne me diras-tu pas ce qu'on voit dans le monde ?
Si l'aube apporte encor la joie aux nations
Ou si la vérité de son jour les inonde ?

Si le Beau, des lointains de sa splendeur profonde,


Lance à de nouveaux arts l'appel de ses rayons ?
Si l'homme, lâche encore en ses soumissions,
Est satisfait des lois où l'injustice abonde ?

Dis quel maître d'un jour on acclame ou proscrit,


Si le masque trompeur du monde toujours rit
Ou si, d'ennuis ridé, son vieux visage pleure... ?

— Je suis,
répond la nef avec placidité,
L'image de la tombe et de l'éternité
Et je ne sais parler ni du temps ni de l'heure...
94

SECURITE

Carrés, trapus, veillant dans la longueur des âges,


Les piliers sont debout: on les croit, à les voir,
Antédiluviens ; ils ont sans s'émouvoir
Des hommes et des ans épuisé les outrages.

Le bruit des hauts vitraux assiégés des orages


Descend atténué comme un frisson du soir;
Ce bruit faible m'apprend que les vents et leurs rages
Contre des murs si sourds ne sauraient prévaloir.

Aussi lorsque je vois, profonds comme des dômes,


Les dogmes se poser au front des axiomes
Pilastres éternels dominateurs du moi,

Sous des sublimités que l'évidence appuie


Je dors le sommeil sûr d'une infaillible foi,
Et j'attends dans la paix le terme de ma vie.
95

ACEDIA
... tristifummo
dolce,chedalSols'allegra,
Nell'aere
Portandodentro accidioso
fumo.
Inf.VII.
DANTE,

L'Église aux murs épais, tombe monumentale


Des moines parvenus à la stabilité,
Dormait. Tout s'y taisait, la voix de la cité,
L'hymne que chante au loin la mer occidentale.

Rien ne bougeait et tout sous une loi fatale


Paraissait établi pour une éternité
Dans l'ordre, la rigueur et l'immobilité :
L'arcade, le pilier, le mur, l'orgue et la stalle...

Or, à force de voir que rien ne remuait,


Je sentis qu'un sommeil très lourd me commuait
Vivant en une forme osseuse et formidable ;

Je voulais me lever et ne le pouvais pas,


J'étais comme ceux-là que fixe le trépas,
Pierre inerte au milieu de l'Église immuable.
96

DANS LA NEF

Dans la nef, oeuvre ancien de Robert de Luzarche,


Où dure et s'éternise un jour mystérieux,
Les catholiques vont au port lointain des cieux,
Sans rien voir ni sentir de leur vaisseau qui marche.

Tel, au-dessus des monts emporté dans son arche,


Noë vers l'avenir allait fermant les yeux,
Quand le ciel où pendaient des lambeaux pluvieux
Cachait les bleus destins promis au patriarche.

Du temps où tout se perd osant la traversée,


Navigatrice au fond de siècles enfoncée,
La nef est, comme l'arche, un de ces abris sourds

Où les prédestinés font leur obscur voyage,


Et qui laboure en paix, sans roulis ni tangage,
Le flot inépuisable et fatigué des jours.
97

LE CHATEAU DE TALVAS

ALOUIS
BLANCHETIERE.

C'était le temps où l'ombre errait dans Elseneur.


Quand Talvas, à Domfront. en l'an mil du Seigneur,
Hérissa d'un donjon les roches décharnées.
Cette armure de pierre, au sanglant fils du Nord,
Fit une paix dans l'ombre à l'abri du remord ;
Malgré les longs hivers et les pires années,
Hérité tour à tour, et brisé par les rois,
Son haut débris, debout, dominateur des bois,
Semble, de l'horizon, la borne milliaire
Restée aux tristes bords du chemin traversé
Des âges, et gardant la grandeur du passé...

Plus proche, entre deux bras qu'appesantit le lierre,


Tronc sans tête, il érige, ainsi qu'un long cou noir,
Un encorbellement d'où regarde sans voir
Un oeil béant creusé par un boulet de pierre.
Malgré la fixité de cette âpre paupière
L'oiseau croit à l'accueil du spectre familier;
93
Le vent porte la graine à son faîte stérile
Pour fleurir, embaumer, le nid hospitalier :
La lente promeneuse, à l'écart de la ville,
Vient là, d'un coeur discret, lire des vers chéris ;
Un parfum lui parvient venu des bois fleuris
Et la brise odorante en s'élevant effleure
Les murs où jamais plus un vivant ne demeure.

Un jour, était-ce un rêve, une réalité?


Je ne sais, mais au soir d'un de ces jours d'été
Dont le déclin s'empourpre et dont la chaleur gronde,
Le ciel d'orage était ainsi qu'un dôme noir,
S'abaissant sur les bois et la plaine profonde:
Des nuages de feu striaient le ciel du soir.
La guerre était dans l'air en signes prophétiques ;
On eût dit le décor de ces combats antiques
Par où s'éternisa la gloire de Domfront.
Le Donjon, sur le roc, élevait son grand front...
Quand, jetant à la terre un appel de fantôme,
Une voix s'échappa de ses deux pans de mur,
Disant : Profonds lointains que noie un sombre azur
Plein de prés, plein de champs, plein de nids sous le chaume,
Plein de vie et d'amours cachés au fond des bois !
Prêtez-moi vos échos ! qu'éveillés mille fois,
99
Dans l'infini vivant de l'ombre où tout abonde ;
Ils résonnent au large et. répétant ma voix,
Redisent avec elle aux frontières du monde :

La force anéantit ce que la force fonde.

J'en atteste Talvas dont le sombre cimier


Aux créneaux de mon faîte apparut le premier :
Sa main frappe du fer et, par le fer, il tombe
Du granit de mon faîte au granit de sa tombe.
Son glaive si fatal à sa couronne d'or
Gît dans le sarcophage où le fondateur dort.
Quand l'éclair de la mine empourpra mes décombres,
Aux hurlements des loups troublés dans les bois sombres,
Il n'a rien entendu, tant son sommeil est lourd,
Tant la tombe se tait, tant le sépulcre est sourd.

La force anéantit ce que la force fonde...

Quand le normand Guillaume eut fait l'oeuvre inféconde


Qu'un siècle de revers sur la France punit,
Henri, fils de Guillaume, eut son jour dans l'histoire,
Je dis son jour, pas plus d'un jour, car tout finit.
De mon faîte avancé comme d'un promontoire
100

Il vit les sombres flots du bocage lointain


Élever sur leur crête immobile Mortain,
Et par delà Granville et Cherbourg et la grève,
Où le mont de l'archange, éthéré comme un rêve,
Brille entre la mer bleue et le céleste azur,
Son âme contemplait, d'un regard aussi sûr
Que ses yeux, par delà cette ligne dernière
Où l'Océan tordait sa neigeuse crinière,
L'Angleterre orgueilleuse et promise à sa loi.
Plus loin que le faucon, plus loin que l'hirondelle
L'âme du roi Henri s'élançait d'un coup d'aile
Et disait : Tout cela, tout cela ! c'est à moi.

La force anéantit ce que la force fonde...

L'oriflamme de pourpre où l'or des lys abonde


Montre sur mes créneaux, qu'après cent ans amers,
La France règne assise au milieu des trois mers.
Un pacifique oubli couvre ses citadelles,
Car les Anglais ont fui devant ses étendards
Et les flots n'ont jamais ramené les fuyards.
Mais de peur que mes murs ne lui soient pas fidèles,
Dans sa justice un roi brisa leur front trop fier;
Par la force fondée, par elle je succombe.
101
Le retentissement des rochers quand je tombe
Précipite son cours ainsi qu'un char de fer;
Un vol effarouché de corbeaux monte et gagne
Les paisibles hauteurs où n'aborde aucun son;
Le manant applaudit en voyant sa prison
Comme un bélier joyeux bondir sur la montagne,
Et les extrémités du sonore horizon,
Répercutent ces mots dans leur écho qui gronde:

La force anéantit ce que la force fonde...

Et la ruine, en mots plus tristes, plus pressés,


Que la neige, parlait des orgueils abaissés.
Comme dans les caveaux les tombes entassées,
Les dominations se sont superposées :
Capet dort sur Henri, Talvas sur Henri dort,
La pourpre sur la pourpre et la mort sur la mort
S'entassent à mes pieds comme l'onde sur l'onde..

La force anéantit ce que la force fonde...

Tel mugit, sur un mont, ce verbe surhumain.


Et je pensais à toi, courant vers Épidaure,
Hippolyte, qu'effare au bord de ton chemin
La rumeur de la mer que ton dernier jour dore!
6.
102

D'abord un grondement étrange, souterrain,


Te surprit; puis, tu vis une vague, si haute
Qu'elle cachait et l'Isthme et le Temple et la côte,
Et puis un autre flot, puis un autre, et soudain
Un taureau, monstrueuse expansion de l'onde...
Il en avait la voix continue et profonde;
Où qu'on allât, partout, on l'entendait mugir;
Les chevaux galopaient et ne pouvaient le fuir,
Et les monts et les bois s'emplissaient d'épouvante
Aux hurlements, aux bonds de sa masse mouvante...
Depuis lors, en tous lieux où d'éclatants revers
Ont changé le décor du tragique univers,
Dans ces murs glorieux que la tristesse inonde,
Dans Rome, dans Memphis, dans Carthage et dans Tyr,
Partout, toujours, la force entendra retentir
L'oracle du granit qui ne sait pas mentir:

La force anéantit ce que la force fonde...


103

LE DONJON

A Auguste
CANIVET.

Le doux chez-soi, si rare en des temps d'épouvante,


Où le feu flambe en paix, qu'il neige ou bien qu'il vente,
Le donjon, l'abri sur, n'était plus habité.
Dames et chevaliers l'avaient un jour quitté ;
Il était vaste et creux, et des rustres avides
Acharnés à ses flancs les avaient laissés vides.
Le corbeau rauque et noir y vivait comme un roi ;
Tumultueusement comme un torrent qui passe,
De grands battements d'aile élancés dans l'espace,
Grondaient, pour peu qu'un pas eût fait surgir l'effroi ;
Le puits profond des murs en ses margelles vertes
Des nuages passant accumulait les pleurs ;
Sur l'enfoncement roux des brèches entr'ouvertes
Un voile d'herbe longue étendait ses pâleurs.
Les trous des madriers disaient : où donc nos chênes ?
Où donc le pont-levis que soutenaient des chaînes ?
Les fenêtres disaient : où donc vont les vivants ?
Les hauts foyers éteints disaient : où sont nos flammes?
104
Les portes soupiraient: où sont les arrivants?
L'oratoire implorait les prières des âmes,
Et le quadruple écho des sonores parois
S'élevait pour mourir en lamentables voix ;
Laissant des profondeurs clamer tout ce qui clame
Par ce pan de ciel bleu qu'entourent les hauts murs,
L'homme avec le seigneur, la prière avec l'âme,
Tout ensemble est parti vers les profonds azurs.

Chambois,
1895.
105

LE PILIER DE SAINT FULBERT

Fulbertus episcopus
Carnotensis,in
scripturisdivinis
cruditissimus,
etinsecu-
larium omnium
disciplinis,
litterarum suo
temporedoctorumdoctissimus
; poeta
clarus
et dialecticus multis
subtilissimus, annis
scoloe
publicoe
praesidens,
plurimosdoctis-
simos auditoresenutrivil.
Vitaquoque
sanctissimus,
multis
legitur
miraculiscorus-
casse.
TRITHEMIUS.

Parce qu'il est dans l'ombre inébranlablement


Etabli sur le roc, ossement de la terre,
Parce que dans son calme antique et solitaire
Ce pilier qu'on ignore est un sûr fondement,
C'est pour cela qu'on voit sur la ville et la plaine,
Bondir, pressé d'un Dieu, le temple des Chartrains
Et ses clochers surgir sur la route lointaine,
Double phare éclaireur des peuples pèlerins.

Moins de nuit emplissait l'hypostyle


d'Egypte
Qu'autour de ce pilier n'en condense la crypte.
Pour le voir, je voulus de degrés en degrés
Tenter la profondeur des arcanes sacrés,
106

Et quand un air plus rare eut fait rougir ma torche,


Tout à coup, je vis comme un spectre sous un porche,
Un pilastre calcaire et qui, montant du fond,
Perdait sa blancheur blême en un dôme profond.
Je jugeais de sa force, à voir sa masse énorme.
Et scrutant dans la nuit les hauteurs de sa forme,
Je lus, et non sans peine, au côté du tailloir,
Un nom latin gravé sur le chapiteau noir :
FULBERTUS... Et j'appris qu'il était ton ouvrage,
Fulbert évèque, auprès du Roi des rois assis,
L'édifice où la Beauce implore d'âge en âge
La belle vierge mère au front noir comme Isis.

Fulbert, si ton pilier s'effondrait sous l'abside,


L'autel de marbre et d'or glisserait dans le vide,
Les arcs, les chapiteaux, l'un par l'autre emportés,
Dans un chaos commun seraient précipités ;
L'ensemble harmonieux du temple solidaire,
Sous l'effort des arceaux que plus rien ne pondère,
Unanime à monter le serait à périr;
Des porches à l'autel, on entendrait courir
Un long mugissement où l'art en deuil, la gloire,
La piété pleurante et la plaintive histoire,
L'ange et l'homme à la fois, diraient à l'avenir
107
Ce qu'il faudrait de foi. d'amour et d'espérance
Pour relever ce temple et pour rendre à la France
Une église semblable à ce grand souvenir...

Mais ton pilier, Fulbert, tient bon : sur lui s'élève


L'arche que semble avoir échafaudé le rêve,
Que dilata l'amour, qu'établit la raison,
Et par qui Dieu reçoit le peuple en sa maison.

Le monde est un grand temple et qui se rit des âges.


Ils crouleraient pourtant, ses parvis azurés,
Si les bons, si les purs, si les saints, si les sages,
Ne le portaient, pareils à des piliers sacrés.
Si pour tant de ruine ils allaient disparaître,
Lampe éteinte par Dieu d'une Église sans prêtre,
Le soleil rougirait, et la lune, astre noir,
Ne refléterait plus le jour comme un miroir;
Ou si le ciel clément prodiguait son aurore
Aux ingrats qu'il aurait longtemps sollicités
De l'appel radieux de ses grandes clartés,
Les feux impatients diraient : voici Gomorrhe !
Permets, Juste éternel, que les champs ne soient plus
Qui ne sont plus dorés de leur moisson d'élus !
Si Dieu, marcheur des deux, n'a pas roulé sa tente
108

C'est qu'il a ses amis, chère cause d'attente,


Et chère cause aussi de grâce et de bonté
Pour tout ce qu'au néant rendrait l'iniquité.
Le juste, a dit l'orgueil d'un antique délire,
Sous le monde croulant ne serait pas troublé...
Au livre des destins le monde sait mieux lire :
Le Juste empêcherait qu'il ne fût ébranlé.
Il n'est pour le sauver que l'effort solitaire
D'un apôtre en prière ou d'un humble chrétien,
Et si l'impiété prévalait sur la terre,
La nature sans but périrait sans soutien.
109

LA CITE

A HenriONFROY.

De ce balcon gothique en forme de corbeille


Où le trèfle se mêle au trilobe léger,
Ou quelque oeillet sauvage invite à voltiger,
Près du papillon bleu, l'aventureuse abeille;

Ami, je te montrai, dans la gaze vermeille


Que des pignons fumants le soir fait émerger,
Ces gables qu'en riant l'art normand sut franger
De loups aériens, Scandinave merveille ;

Les toits aigus d'ardoise ou de tuile écailleux,


Les archères aux flancs des logis cauteleux,
Les tours des escaliers gagnant la chambre haute;

Puis, tout au fond, surgir d'un essor ferme et franc


Graves comme nos coeurs, frères et côte à côte,
Les grands clochers sortis du cloître de Lanfranc.

Caen,Saint-Etienne-le-Vieux,
1894.
7
110

LE LOGIS
AJ. Germain Lacour.
obsoleta
silentis
O vetustatis !
oblivio

Nids de chaume, fermes normandes,


Guérets roux de pommiers couverts,
Herbages sans fin, vastes landes,
Coteaux frangés de festons verts,

Où l'on voit l'azur des fumées


Sur le faîte bleu des manoirs
Et des murs blancs sous les ramées
Striés de colombages noirs,

J'errais à travers vos ombrages,


Je m'arrêtais pour écouter
Dans l'air calme des pâturages
La vache lointaine brouter,

J'entendais tressaillir les herbes,


Par moments, quand les fruits dorés
Tombaient des ramures superbes
Dans le silence des grands prés;
III
Sous le velours gonflé des mousses
Tapis parmi les joncs bleutés,
Les crapauds avec leurs voix douces
Chantaient comme au soir des étés,

Au recueillement de la terre
Le silence du coloris
Se mariait dans un mystère,
Quand tout à coup je découvris

Une chose par l'ombre éteinte,


Une forme dont l'oeil doutait,
Un vieux toit dont la morne teinte
Peignait l'oubli qui le hantait.

Un ancien veilleur des prairies


Le Chesnay, ton logis normand
Montait des eaux demi-taries,
Plein de rêve et d'étonnement.

Le temps dont l'ouvrage est


magique
Avait tailladé le contour
De ce bonnet astrologique
Qui s'arrondissait sur sa tour,
112
Tissé d'ardoise fine et ronde
Pareille aux plumes des ramiers
Que l'azur et que l'or inonde
Aux feux des soleils coutumiers.

Et sous ce toit vu comme en rêve


Le mur blafard se craquelait,
La brise y flagellait sans trêve
Un lilas qui s'étiolait.

Une meurtrière entr'ouverte


Explorait en un retrait sûr
La pénombre lointaine et verte
Des vergers au long clair obscur.

Derrière la vitre livide,


Miroir dormant des bois ombreux,
On entrevoyait par un vide
Un intérieur ténébreux,

Comparable à ce deuil intime


Qu'à la foule on montre le moins,
Qui monte au visage et s'exprime
Quand on est seul et sans témoins.
113

Si l'on entrait l'âtre était blême


Et froid comme on l'avait laissé,
Les aïeux y parlaient quand même
Et disaient, songeant au passé :

Oui c'est là que nous habitâmes,


Nos enclos aux bords festonnés
Imprimaient l'élégance aux âmes
La mesure aux destins bornés;

Laissant le soleil et la gloire


Expirer dans les frondaisons,
Nous ne savions que l'humble histoire
Qui se contait dans nos maisons,

Et nous bénissions les haies,


Les talus de genets plantés,
Les prés, les vergers, les futaies,
Qui nous séparaient des cités.

LeChesnay, 1894.
Janvier
114

LES BLASONS

AHenriONFROY.

Eclatants souvenirs de gloire ou de souffrance.


Décor de la verrière ardente ou du vieux mur,
Noirs sur le fond, plaqué de fer, de l'âtre obscur,
Ou frustes sur la tombe et verdis d'oubliance ;

Honneur des clefs de voûte, appui de la monstrance,


Gloire du pendentif tombant comme un fruit mûr,
Sur la litre semant de sinople et d'azur
La noirceur d'un beau deuil tempéré d'espérance.

Gueules et pourpre en vain gardés par les lions,


Les griffons, la licorne et les alérions,
Frivolités d'un songe illustre et périssable,

Pâlissez devant l'art immortel et vainqueur


Du blason qu'au baptême imprima dans le coeur
Celui-là dont la main n'écrit pas sur le sable !
115

L'ALCHIMISTE

AJulesAPPERT.

Dans l'étang noir la haute et mémorable tour


Prolonge, renversé, son long spectre qui tremble ;
A ses pieds, l'archipel des nénuphars s'assemble
Et clôt, le soir, ses fleurs qu'entrebâillait le jour.
C'est une tour massive et seulement ouverte
En haut d'une fenêtre unique au cadre étroit :
On voit, sous le rebord sourcilleux de son toit,
Un grillage rouillé sur une vitre verte.
La cheminée exhale une ombre dans l'azur.
Les pâleurs du brouillard montent de l'eau qui fume ;
Sous ce voile brumeux monte aussi le vieux mur,
Tout s'élève, le toit, la fumée et la brume !
A la fenêtre haute, un feu mystérieux
Opiniâtrement comme un oeil étincelle...
Quel veilleur prolongeant le jour laborieux
Fatigue ainsi la nuit de sa lampe éternelle?
116

Entre le sablier et le fourneau, debout


Sous l'habit de velours et le masque de verre,
Il est là, comme un spectre, et le métal qui bout
Empourpre d'un reflet son visage sévère.

L'alchimiste poursuit ce rêve audacieux


De refaire à son gré l'intimité des choses
Ayant l'heure prédite, où, repliant les cieux,
Dieu soumettra l'atome à ses métamorphoses.
Impatient de voir le jour où les humains
Se lèveront des champs que la mort ensemence,
Il veut qu'avant ce jour, en ses savantes mains,
Le réveil éternel par le plomb vil commence :
Que le creuset enfante, à la tombe pareil,
Un métal glorieux né de cendres funèbres,
Qu'il en sorte de l'or, de l'or clair et vermeil,
Brillant comme la flamme au milieu des ténèbres.

Indigne, il convoitait des biens trop précieux


Pour l'hiver et l'exil de la terre épineuse ;
Il voulut d'une main trop prompte moissonneuse
Cueillir avant l'été les épis d'or des cieux.
L'impossible avenir lui montrait un mirage:
Il partit, mais sans voir au début du voyage,
117
Entre le terme et lui. tout l'abîme béant :
Car il était de ceux qui font vite un ouvrage
Et dont l'orgueil s'emporte à des désirs d'enfant.

Qu'au feu de son foyer le vrai sage médite


La lenteur de ces lois que rien ne précipite
Et qui d'un cours si calme élèvent l'univers :
Les siècles se léguant une oeuvre héréditaire
Et puis se couchant morts dans les flancs de la terre
Près de ces grands lézards qu'à temps elle a couverts;
Les fleurs avant les yeux et les soleils fanées;
Les marbres, les granits dans les tranquilles eaux,
Plus profonds que les rocs, et plus vieux, les métaux;
Que, content de goûter le fruit lent des années,
Se recordant leurs dons près d'un paisible feu,
Le vrai sage s'apaise et sache attendre Dieu !
Au contraire, ignorant de la leçon du monde,
L'Alchimiste inquiet, près d'un feu tourmenté,
Rythme sur les transports de son coeur agité
Les sursauts du brasier qui s'exaspère, gronde,
Palpite impatient... mais se heurte à des lois.
Ce que le feu reçut, c'est tout ce qu'il peut rendre;
Et l'insensé l'active et lui livre ses bois,
Ses meubles, son grimoire, et tout va dans la cendre,
7-
118

Et quand il n'a plus rien, il s'écrie : « O dragon,


Soufre infernal, dormeur des livides cavernes,
Franchis pour me servir les portes des avernes
Où te garde, en l'horreur des nuits, Demogorgon ! »
Puis vieux, pauvre, adouci parles mélancolies,
Quand le soufflet tombait de ses mains affaiblies,
Et qu'un reste de flamme au coin de l'âtre errait,
Il dit, trempant de pleurs une voix qui mourait :
« Si, le soir, quand l'étang se ride sous la brise
Et fait trembler les ifs dans leur premier sommeil,
Si debout au milieu du nimbe qui s'irise
Ayant la lune à gauche, à droite le soleil,
Un vieillard diaphane allait soudain paraître,
L'Ancien des jours ! et s'il me disait : « Paix à toi !
J'ai tiré du limon la source de ton être
Créature, à ton tour viens créer avec moi ! »
Ah ! j'aurais le pouvoir de changer la substance,
Et le vieil univers se pourrait embellir;
Mais la fortune avare a trahi ma constance,
Je sens mes jours manquer et mon coeur défaillir !
Ah ! si du moins un fils attisant ma fournaise
Eternisait des feux où bout une genèse,
Le prix des vieux efforts qu'on croyait superflus,
Il s'en couronnerait, quand je ne serais plus !
119
Mais non, sans rien laisser me bénir ou me suivre,
Vers le caveau des miens, d'un écho vain rempli,
Je descends marche à marche, et tout seul !... O mort, livre
A tes creusets profonds mon sort inaccompli,
Poussière ! ensevelis mes fourneaux et mon livre
Sous ton linceul léger fait de paix et d'oubli ! »

Nul feu ne brille plus dans la tour solitaire


Et le toit craquelé penche sur le flot noir;
L'étoile dans l'étang descend avec mystère;
Elle prend les carreaux de la tour pour miroir,
Et son reflet scintille à la vitre endormie
Comme si derrière elle on travaillait encore,
C'est une illusion...

Ainsi fut l'alchimie,


Ce rêve était sans fruit qui portait des fleurs d'or.

Mais nous, levons les yeux plus haut que la tour même,
Vers l'espace sans fin qu'argente au loin la nuit ;
Ce n'est pas sur la terre, astre fragile et blême,
Qu'il faut chercher le grand mystère qui nous fuit !
Etoile, tu nous dis que là haut s'élabore
Un grand oeuvre, aux creusets d'un puissant Travailleur,
120

Qu'un Alchimiste est là, qui du soir à l'aurore


Prépare pour ses fils un univers meilleur.

Qui vivrait, cieux déserts, en vos globes de flammes,


Inhabités, sans doute, excepté de leur Dieu ?
Oui, ce grand faiseur d'or a dit naguère aux âmes:
« Je vous quitte, je vais vous préparer un Lieu »;
Il fait, à leurs destins égalant sa science,
Des demeures sans nombre à des bonheurs sans fin ;
Il tarde, mais on sait que sans la patience
Nul ne fonda, fût-il un fondateur divin !
Il tarde, mais on sait pourquoi son oeuvre est lente :
L'éternelle bonté laisse aux pervers les jours,
Tandis que, bien ou mal, ils en usent, le cours
Se poursuit du vieux ciel et de la longue attente ;
Et tous, les bras tendus et les coeurs désireux,
Nous voyons, sous les feux des bleus laboratoires,
Au vestibule obscur des palais bienheureux,
La préparation nocturne de la gloire.
VII

AU CHANT DES ORGUES


123

RÉSURRECTION DES BOIS

APierredeNOLHAC.

Je ne regretterai ni l'horreur des vieux bois,


Ni les hymnes houleux des forêts primitives,
Tant qu'on verra monter dans l'ombre les ogives,
Comme de hautes mains se joignant à la fois ;

Tant que dans la longueur des nefs, au pied des croix,


L'orgue prêtant ses pleurs à la race plaintive,
En son chant qui du fond des siècles nous arrive,
De la nature entière orchestrera les voix ;

Et tant qu'arbres sacrés, les piliers d'arche en arche,


Suivant à pas égaux leur gigantesque marche,
Conduiront puissamment le regard aux autels.

Car ces titans caducs, fanés en d'autres âges,


Et qui n'eurent jamais que de changeants feuillages,
Relevés en granit, demeurent immortels.
124

LES MARGELLES

AMaurice
FAUCON.

Un puits profond dormait sous des voûtes gothiques,


Et sur ses bords penchée, une lampe à la main,
L'histoire a pu compter des margelles antiques,
S'étageant dans la nuit depuis l'âge romain.

Église, source où boit Hier comme Demain,


Tu fais monter les bords des réservoirs mystiques
Où, de plus en plus grands, les siècles catholiques
Boivent, sans le tarir, ton savoir surhumain.

Si, se croyant majeure et n'étant que hautaine,


L'ingrate humanité cherche une autre fontaine
Où la bouche qui boit s'altère en s'abreuvant,

Du flot de vérité jamais tu ne nous sèvres


Et toujours en ta main ta coupe s'élevant
S'égale d'âge en âge au niveau de nos lèvres.
125

TERREUR

DE CAEN
ÉCRITDEVANTSAINT-ÉTIENNE

Lapides clamabunt! la pierre a son langage.


Un temple peut parler, c'est un Dieu qui l'a dit:
Parle donc, Saint-Etienne, et rends un témoignage
A quelque saint mystère au vulgaire interdit.

Fais taire la voix rauque et le vain bavardage


De la cité lugubre où l'homme s'étourdit,
Tire de tes flancs creux les accents d'un autre âge,
Le nôtre t'est docile et déjà t'applaudit...

J'écouterai, debout sur tes portes ouvertes,


Les dalles que ta nuit antique a recouvertes
Parler d'éternité, de mort, de jugement,

Du réveil lumineux ou sombre de la cendre...


Mais, le temple me dit, tout bas, terriblement :
Si je parlais! ami, tu ne pourrais m'entendre...
I26

CHARTRES

Al'abbéGOUSSARD.

Sors de la rue étroite et fangeuse, viens voir,


Peuple, la cathédrale, école de la France !
Un art apostolique y dompte l'ignorance
Et t'y livre gratuits les trésors du savoir.

Des fleurs du monde enfant aux fruits mûrs de son soir,


Tout l'exquis du passé, la gloire, la souffrance,
Sont là : le souvenir vibre avec l'espérance
En gemmes de lumière aux mailles du plomb noir.

Les siècles déroulés s'abrègent pour t'instruire


Des vrais biens, que le temps ne saurait point détruire,
Et des maux advenus, leçon des jours nombreux.

Si ton esprit s'attarde aux ombres coutumières,


Vois dans les hauts vitraux les anciens Bienheureux,
Revenants descendus du pays des lumières !
127

L'EGLISE OGIVALE

A Mme
la baronne
deSte-Preuve.

Plus haut que les luthiers et que les troubadours


Au fil des rimes d'or n'élèvent la pensée,
Que l'art ne fait fleurir la forme caressée,
Que ne va l'alouette au seuil brillant des jours ;

Plus haut qu'Hellas ne mit ses dieux, Rome ses tours,


Plus haut que l'éloquence en nombres cadencée,
Plus haut que la chanson dans l'espace élancée ;
Plus haut que les douleurs n'exaltent les amours,

Plus haut que les héros n'ont porté leurs courages,


Plus haut que la raison n'a fait vivre les sages,
Plus haut que les buccins n'ont chanté les vainqueurs,

Plus haut que les croyants n'ont placé leur symbole,


J'ai senti que l'ogive allait, avec nos coeurs,
Perdre dans l'infini profond, sa parabole.
128

L'EPOPEE DU TEMPLE

A FRANÇOIS
COPPÉE.

J'ai d'un vieux chroniqueur appris vos aventures,


Bourgeois au grand courage, aux noms inglorieux !
Le miroir de mes vers a grandi vos statures
Et la postérité de loin les verra mieux.
Fouteau, Faguet, tirant votre nom des vieux hêtres,
Droits, francs et chevelus comme étaient vos ancêtres,
Crestot, sieur de Cherfay, Catinat de Courtroy,
Gentilshommes ou gueux dont la main roturière,
Sous la robe ou l'épée, a lutté pour le roi,
Que vous portiez ces noms Tassel ou Prévostière
Ou bien, sur champ de gueule, aux mailles du haubert.
Les trois flèches d'argent du seigneur de Maubert,
Nobles d'âme ou de nom, rien ne vous unit comme
D'avoir d'un coeur pieux défendu la cité,
La mort et l'héroïsme égalant l'homme à l'homme
Dans la terre profonde et la haute beauté.
129
Ce n'était pas en vain que le fer et la flamme
Avaient fait hésiter et réfléchir un roi,
Et le vainqueur d'Ivry le cédait dans son âme
A celle qui vainquit le monde, à notre foi.
Quand le grand converti, tout au plan magnifique
D'unir le dogme intègre avec la paix publique,
Vers la patrie en pleurs tournait tout coeur aigri,
Quand, préparant à Rome un appui dans l'histoire,
Le pape Sixte Quint prenait pour fils Henri,
Les ligueurs attardés en des chemins sans gloire
Laissaient errer leur zèle et vieillir leur rancoeur,
Et rien ne les calmait, ni ce beau roi vainqueur,
Ni le bruit de leurs pas dans le désert des rues,
Ni le tocsin parlant aux foules disparues,
Battant comme un grand coeur au milieu d'un grand deuil.

Or au pays normand, Mortagne, qu'ils ont prise,


S'est rendue, excepté sa mémorable église,
Où de lutter toujours vingt braves ont l'orgueil.
Les ligueurs s'étonnaient que, pris comme en un piège,
Ils aient l'audace encor de soutenir un siège,
Jactance téméraire et qu'ils leur paieront cher !
Mais eux, barricadaient la porte aux ais de fer.
Ils sont un contre mille et leur défaite est sûre
130
Si l'asile imploré de l'Église n'assure
D'un prestige sacré, d'un secours immortel,
Le droit de la défense appuyée à l'autel.

La clameur de la ligue, au dehors, dans la rue,


Fait le bruit de la mer alors qu'elle se rue
Sur ses bords crépitant d'innombrables galets ;
Dans l'air au loin sonore on entend les boulets
Qui font hurler la cloche en sa cage de pierre.
Michel Archange en vain, debout dans la verrière,
Du feu d'un glaive tors transperce un stellion,
Auprès, maint chevalier, à genoux et mains jointes,
Porte en sautoir l'épée, ou le poignard en pointe,
Et sur le verre peint léoparde un lion.
Sans souci du passé, du symbole, du rêve,
Du bel accord des tons avec art varié,
Le poing ganté de fer du soudard heurte et crève
Ces prestiges légers du verre armorié.
Foulant et chevauchant la fenêtre abattue,
Medavi, les archers et les pertuisaniers,
Bondissent dans l'Église et vocifèrent : « Tue !
Tue ! oui, tous! qu'ils soient tous tués ou prisonniers,
Rendez-vous ! gens du roi ! rendez-vous !... »
« Quoi ! personne ?
131
Où sont-ils ces couards ?—chez les morts ? — le pas sonne.
Le vide est là, profond et sûr... Mais le clocher?
Non, ce n'est point ailleurs qu'ils ont pu se cacher.
Qu'ils y périssent donc et que pas un ne sorte !
Traquons-les ! à l'assaut ! — Par où ? — Par là ! » — La porte
S'embusque à fleur de sol avec un oeil sournois.
Elle est âpre de clous, close, inhospitalière,
On n'y pénètre point à deux la tête altière,
Mais, en courbant l'échine, un seul homme à la fois.
« Ah ! ah ! dit un soudard, que Lucifer me tue
Si ma hache à l'instant ne l'a pas abattue
Sous mes pieds ! » Et voilà qu'il assène un grand coup
Dont l'écho sourd, de marche en marche, monte et gronde...
Lui, cabré, de son bras tournant comme une fronde,
Frappe encore et blasphème et hurle... Tout à coup,
Comme dans la forêt sinistre tombe un fauve,
Il tombe ! sa cervelle a rougi le pavé ;
La balle a pénétré le casque, elle a crevé
La cuirasse et le corps... D'où vient-elle? — On se sauve.
Mais plus d'un reste là cloué par la stupeur.
Qui donc avait frappé ? qui ? C'était l'Invisible,
Et tout était après redevenu paisible.
Le railleur était grave et le fort avait peur ;
On entendait le coeur battre... une odeur de poudre
132
Faisait régner dans l'air, après le coup de foudre,
La présence imminente et vague du trépas.
La lampe était pensive et dormait sous la voûte,
L'heure sonnait très lente et tintait comme un glas.
Les hommes se taisaient... L'un dit à l'autre « Écoute!
Sur nos têtes là-haut, j'entends comme des pas :
Quelqu'un est là ! —Quelqu'un ? Mais c'est un bruit de foule
La voûte en ce moment tremblait sous des pieds lourds,
Comme aux plafonds d'airain que le tonnerre foule,
L'écho roule aux échos des bruits sombres et sourds...
Alors comme une torche, une âme pleine d'ombre,
Un coeur vide, amoureux du néant vaste et sombre,
Agita la rougeur d'un forfait surhumain :
« Pour agir, dit cet homme, attendez-vous demain ?
Ligueurs ! ce serait tard ! Ne cherchons pas l'entrée
D'une voûte où la ville entière est retirée :
Evitons l'escalier, car dans ses défilés
Nous serions corps à corps, marche à marche, accablés.
Que n'osons-nous plutôt faire comme en Espagne,
La noire Majesté que la peur accompagne,
Que la torture suit, le roi Philippe deux.
Rigoureux comme lui, qui pour sauver les âmes
Et les faire aborder brillantes dans les cieux,
Commence par livrer le corps impur aux flammes,
133
Ici-même faisons flamboyer le bûcher !
Que tous nos ennemis y périssent ensemble.
Voyez-vous ces claveaux prêts à se détacher ?
Remarquez-vous aussi comme la voûte tremble ?
Pour qu'elle tombe, il n'est que de l'aider un peu.
Sa pierre, qu'en poussière aura dissous le feu,
Comme une gueule ouverte, engloutira l'armée ;
On n'aura vu jamais un holocauste tel
Que cette multitude ensemble consumée,
Dans un autodafé tout entière abîmée,
Toute entière fumante, ô Dieu, vers ton autel ! »

Il dit. La cruauté de la peur furibonde


Rôde, cherchant partout dans l'Église le bois,
Stalles, chaises, prie-Dieu qui virent tant de fois
Croiser les blanches mains, pencher la tête blonde,
Catafalque des deuils, grand orgue qui d'un monde
Emportait les soupirs roulant vers l'Éternel,
Chaire d'où s'épanchait le verbe solennel,
Antiphonaire énorme, incliné pour qu'on lise,
Retraite où les soupirs imploraient les pardons,
Ce que gardait d'antique et de sacré l'Église,
Tout ce qui se liait par une attache au coeur,
Tout ce qui dit « respecte » à la main qui le brise,
8
134
Rétables et panneaux sculptés, lambris du choeur,
Déraciné, fendu, saccagé, fracassé,
Pêle-mêle en bûcher colossal entassé,
Monte, autel sur autel, décombre sur décombre,
Des dalles de la nef jusqu'à sa voûte sombre.
Au-dessus de la voûte, entre elle et le toit noir
Sous la tuile où l'on voit des étoiles éclore
Comme dans les rameaux des bois épais, le soir,
S'allongeait la charpente, oeuvre antique et sonore,
Où l'heure mesurait la marche des oublis.
Mais un orage alors de voix tumultueuses
Emplissait de longs cris ses ombres caverneuses,
Car, dans son demi-jour favorable établis,
Vingt hommes exhalaient les fureurs d'une ville,
Piétinaient et hurlaient comme s'ils étaient mille.
La voûte avait des trous où chacun s'embusquait,
Se penchait sur l'abîme et pointait le mousquet,
Ils avaient vu d'en haut s'allumer la fournaise
Dans la profonde nef; puis, très noirs, sur la braise,
Comme dans les Callot et les Albert Durer,
Des profils tailladés et des piques de fer,
Des feutres détachant leur plume en silhouette,
Des morions bombés, d'anguleux boucliers,
Et le rire macabre et sans fin des squelettes
135
Guetteurs sans yeux, debout dans l'ombre des piliers..
Vous riez du présage ? Il était vrai, pourtant ;
Oui. sincère aux héros, aux agresseurs traîtresse,
De tant d'objets sacrés repue et vengeresse,
La flamme avait tout mis en un jour éclatant;
Elle appelait le tir, et lui montrait la cible
Humaine, où visait juste un tireur invisible.
Les sépulcres alors où crépitaient les plombs,
Plus drus que sur les blés l'averse des grêlons,
Virent s'entrechoquer sur les pierres tombales
Des crânes en éclats qui craquaient sous les balles.
Tel qui soufflait les feux et qui tombait dedans,
Mordait, précipité, la braise avec ses dents ;
La flamme, par la barbe et par la chevelure,
Le happait, le brûlait vivant dans son armure ;
D'autres couraient, hurlaient, cherchaient, l'oeil anxieux,
D'où les coups si pressés pouvaient pleuvoir sur eux :
Il regardaient en haut vers la voûte... La houle
De la fumée aux flots caligineux errait
En de profonds remous où le regard sombrait.
Cependant qu'au-dessus, le roulis d'une foule
Surplombait implacable et grandissait toujours.
Des éclairs flagellaient sous des tonnerres sourds
Tous ces profanateurs qu'enivrait l'épouvante,
136
Et plus blêmes déjà que leurs compagnons morts,
Q'avait déjà surpris la Justice vivante.
Ainsi qu'un sanglier qui fait front dans les bois
L'un d'eux cria soudain : « A moi ! tirons ensemble! »
Et trois arquebusiers visèrent à la fois
La voûte impénétrable et qui sous des pieds tremble :
La clef tomba, le sol en mugit sourdement;
Mais les claveaux, sertis d'un antique ciment,
Restèrent incurvés et pendant sur le vide ;
La flamme les rongeait avec sa gueule avide;
Le sol menace, il brûle, il crépite, et les os,
Ceux du brave et du lâche, indignés, vont descendre
Et puis s'entre-baiser dans le même chaos.
Qu'importe si le lâche est le seul qui soit cendre ?

Une langue de feu çà et là siffle et sort,


Féline, en des coins noirs, dardant son jet qui mord ;
Par endroits, comme un gril où l'étincelle passe,
Les arceaux corrodés montraient de place en place
Aux lueurs du brasier leurs festons dentelés,
Comme on voit en décembre, aux clartés matinales
D'un beau jour se levant sur les bois dépouillés,
Les branches ressortir des forêts hivernales.

Les héros, sans rien voir, croient aux fidélités


137
Des vieux murs où la foi les avait abrités :
Le gouffre était béant, mais la gloire certaine,
Et sans douter du sort, pressentant le secours :
« Catinat ! dit Faguet, monte au faîte des tours,
Regarde du côté de la forêt lointaine !... »
Catinat longuement interrogea les bois
Dont la brume bleuit le contour et l'estompe :
« Ah, fit-il, un héraut sonne au loin de la trompe...
L'acier luit... tenez bon ! mes amis ! j'aperçois
Le tourbillon poudreux des galops sur la route... »

On entendait le feu qui grondait sous la voûte...


Les vitraux crépitant dans les plombs descellés
Et le grand va-et-vient confus des pieds brûlés,
Le feu ! le feu montant qui gagnait les charpentes,
Les prières, les voeux dans l'horreur des attentes....
Tout à coup Catinat crie : A nous, chevalier,
Demi-dieu casqué d'or et panaché de neige.
Une devise écrite est sur ton bouclier :
Paix à tous ! eh bien, oui, puisque nous sommes frères,
Dans notre obéissance apaisons nos colères,
Devant qui nous délivre et que je reconnais,
L'héritier du royaume, Henri le Béarnais !

Et le clairon du roi dispersa dans les plaines


8.
138
Les ligueurs comme un vol de corbeaux effarés ;
Et l'Église garda soixante corps navrés
Par la mort, qui semblaient rêver encor de haines.
La nef où vacillaient de tremblantes lueurs
Exhalait, comme un four, des effluves brûlantes ;
Des murs en deuil coulait une averse de pleurs,
C'était l'eau qu'on jetait sur les braises sanglantes.
Les murs semblaient plus grands dans l'ombre, et laissaient voir
Des armures de fer dans un sépulcre noir....

Alors, tournant le dos à l'enfoncement sombre,


Au seuil du temple vaste et que la mort encombre,
Debout sur le plus haut degré de l'escalier,
Recevant les rayons du soleil qui décline
Sur son cimier que l'or nielle et damasquine,
Sous le panache blanc où put se rallier
Le regard incertain du courage en détresse,
Splendide sous l'armure et sous le bouclier,
Superbe, souriant., pleurant, le roi se dresse.
Il parle !... il dit ces mots où vibre sa tendresse :
« Je ne distingue plus ni vaincu ni vainqueur,
J'ouvre à tous les Français les portes de mon coeur. »
139

A DU BARTAS

Météore pareil à l'arc aux sept couleurs


Que la brume perlée adoucit et divise,
Eclatant et divers ton poème s'irise
De tout ce que la terre et le ciel ont de fleurs.

Si le divin pinceau des soleils émailleurs


Dans l'or et l'émeraude et l'azur symbolise
La clémence, et prédit à Noë qu'une brise
De la face du monde essuierait les grands pleurs :

Pacifiques enfants d'une calme pensée,


Encor qu'au son lointain des clairons cadencée,
Tes vers prophétisaient la paix dans la cité.

Henri quatre les tint pour si beaux qu'il put dire


Cessez, coeurs orageux, cessez de vous maudire.
L'arc-en-ciel a paru : Dubartas a chanté.
140

AU BLESSE D'IVRY

Créateur de ta langue, opulent héritage


Qu'austère imitateur Corneille a recueilli,
Du latin paternel ton adresse dégage
La majesté d'un style antique et non vieilli.

Ton oeuvre a des trésors qui gisent dans l'oubli


Et dont pourrait demain s'enrichir le langage,
Du marbre dédaigné qui n'a pas eu d'usage,
Et que dans la carrière on trouve enseveli.

Trois siècles après toi j'ai dit: Qui de mes pères


Par le fer a sculpté ces mots, dompté ces pierres ?
Nul autre, ô Dubartas, ne le pouvait que toi,

Blessé d'Ivry, qui pour chanter dans sa victoire


Sur ta lyre laurée Henri quatre ton roi,
Doras ton verbe neuf au soleil de sa gloire.
VIII

CHANTS DE VAUCOULEURS
143

LE MONT ARCHANGÉLIQUE
Montem
sanctum tuum
ettabernacula
tua.
Ps. 42.
L'Océan montueux près du mont Saint-Michel
M'a parlé d'Orient parfois dans les vêprées,
O Sion ! j'ai rêvé de voir loin de ton ciel
Tes monts de sable rose et tes portes dorées.

De téméraires mains par le feu dévorées


N'ont pu du temple ancien recouronner Ophel,
D'un monument sans but les nations frustrées
Ne devaient pas revoir le temple d'Israël.

Mais pour en consoler David et Machabée,


Un roi croisé refit sa muraille tombée
Loin du sol interdit, sur ce mont, dans ce lieu

Où le désert des flots acclame au loin l'Archange ;


Et comme, avec les ans, le blond coloris change
Elle est de granit sombre et le désert est bleu.
144

LA HARPE DE PHILIPPE LECAT

A EmileLEMAOUT.

Celui-là qui dans l'air traînait le chant perdu


Que le marcheur lointain s'arrêtait pour entendre
Cria: Vive la France ! et l'Anglais le fit pendre:
Tout son bien : son chétif instrument fut vendu.

Quatre sols ! Le bourreau fut payé du pendu.


Pourtant sur cette harpe une voix lente et tendre,
O Jeanne célébrait le pouvoir de ta cendre
Par qui fut à son roi le royaume rendu :

Un prêtre attestant Dieu de ses miséricordes


Pour une messe obtint le bois aux longues cordes
Sonores que faisait tinter le pauvre mort.

La Harpe depuis lors vibre aux doigts de l'Église


Et ses sons délicats et plus frais que la brise
Conseillent le réveil à la France qui dort.
145

A JEANNE D'ARC

Ce que les cloîtres bien fermés


Gardent de joie et de lumières,
Ce qu'ont de vertus prisonnières
Les foyers d'amour embaumés,

Les grands désirs inexprimés


Que le coeur confie aux prières,
Ce que les vierges et les mères
Réservent pour leurs bien-aimés,

Ce qu'il faut de vaillance aux femmes


Pour sculpter dans l'ombre les âmes ;
Tout ce qu'abrita Vaucouleur

De beauté voilée et fleurie,


Jeanne, tu l'avais dans ton coeur...
Tu l'as donné pour ta patrie !

9
146

LA VIERGE PACIFIQUE

A PaulVIOLET.

Comme un corbeau prophète et vieilli dans sa tour


Appelle par ses cris le sang dans la nuit noire,
Après quatre cents ans de rancunes sans gloire,
Hastings dans l'avenir appelait Azincourt...

Des grands os des aïeux quelque vengeur un jour


Naîtrait, jusqu'à ce que, fatale, expiatoire,
La mort efface enfin deux peuples de l'histoire,
Conquérants l'un par l'autre envahis tour à tour.

Tu te lèves alors, ô vierge de Lorraine !


Et l'histoire orageuse au loin se rassérène.
Qu'importe qu'on t'offense et qu'on te livre au feu?

Des hauteurs du séjour éclatant où la flamme


En consumant ton corps, fit s'élever ton âme,
Sur les peuples rivaux tomba la paix de Dieu.
IX

LE BRUIT DU TORRENT

TEMPS PRESENT

Quomodo enimtorrensmagno im-


petuet sonitufluitet turbidus
actur-
batusincedtt,
et paulôpostcessat, et
nevestigiumquidem suirelinquit
: sic
suntreshumanae tempore hujusmor-
talitatis.
BERLLARMINUS.
148

Lefleuvedes joursroule,efface
Toutce que l'hommeméditait.
Quepeut sur l'étrangerqui passe
Unpauvrelivrequi se tait ?

Vole,feuilleoù fut ma pensée,


Fumierfavorableaux terrains,
Vole,et sur la terre lassée
Produis,si tu peux,deshumains!
149

DANS LE SILENCE DE LA NUIT

A LéonPATRIE.
gloriatua.
quumapparuerit
Satiabor
DAVID.

Que de fois, promeneur attardé dans les plaines,


Ou, privé de sommeil, quand les rumeurs humaines
Se taisent, à cette heure où l'on entend le mieux
Le pouls qui bat, la mort qui vient, le temps qui passe,
Et l'appel redoublé d'un Dieu mystérieux,
J'écoutai ces longs cris qu'un train jette à l'espace,
Semblables aux clameurs qu'un peuple sans secours
Jette aux cieux, en un temps de fatigue suprême,
Las d'étendre au dimanche, aux fêtes, aux nuits même
Son labeur à l'étroit dans la longueur des jours.

Vous qu'on entend courir à l'heure des prières,


Qui plus haut que la voix des angelus des soirs,
Faites rugir des chars sur les horizons noirs,
Chauffeurs tumultueux qu'emportent les chaudières,
Et qui, sans envier le servage aboli,
Par qui, plus épargnés, vous auriez moins pâli,
I50
Prêtez votre vaillance à l'avare industrie;
Prisonniers dont la geôle arpente la patrie,
Exposés à peu vivre, à brusquement mourir !
Ah puisse un doux dormir éteindre en vos demeures
Les souvenirs grondants d'un travail de quinze heures !
Puissent bientôt les fils de vos fils vous chérir,
Vos femmes vous baiser, courriers de nos tendresses!
Et vos jours voyageurs finir par l'allégresse !
Dans l'attente qu'un Dieu vous appelle au Thabor,
Où l'éternel désir dira : Satiabor,
Que la brise des nuits soit douce à vos visages !
Paix à vos fronts en proie aux rapides orages...

Ainsi, pris de pitié, chanté-je, quand tout dort


Excepté le convoi qui rend l'ombre sonore...
Comme un roulement sourd je l'entendais encore,
Puis se rétablissait un silence de mort.
Cependant que la terre aux roulis taciturnes,
Sans hâte, et sous les lois de ses marches nocturnes,
Traînait, par l'hippodrome illuminé des cieux,
Par la nuit spectatrice aux innombrables yeux,
Au port qui tente au loin la vague rêverie,

Tout ce qui pour un jour s'agite avec furie.


151

LES ARCHIVES

A Reynold
DESCOUTURES.

Il me souvient d'un lieu que j'ai vu dans un rêve.


Parbleu ! c'était ton greffe, ô Reynold, où le temps
Dans la poudre impalpable et séculaire achève
L'inglorieux combat des chicanes d'antan.

Titres parcheminés du droit ou du mensonge,


Comme vous vous taisiez, taciturnes dossiers,
Couchés dans les cercueils étagés des casiers,
Où rôde à pas menus la souris qui vous ronge !

Car c'est là que vieillit votre inutilité,


Dans un lieu froid, depuis longtemps inhabité,
Qui semble un logis mort attendant l'inventaire,

Car il a bien fallu, plaideurs des temps anciens,


Quand l'oubli, sur vos droits fit prévaloir les siens,
Finir, après vous être agités, par vous taire !
152

FUNERAILLES INDIGENTES

AV.HUGO.

Que pourrait désirer ton ombre idolâtrée?


Ce ne sont pas les chars, les couronnes, les fleurs,
Le bronze, dans la gloire annonçant ton entrée,
Les nocturnes flambeaux des cuirassiers veilleurs
Qu'en flots de pourpre et d'or leurs armes réverbèrent;
Ces superbes vaincus sur qui tes pleurs coulèrent
Sous ton arc triomphal te pleurant à ton tour;
Les enfants qui t'aimaient, qui furent ton amour,
Escortant ton cercueil comme celui d'un père;
Que regretterais-tu qui pût être envié ?
Rien. — Oui, rien que la croix sous laquelle on espère,
Geneviève proscrite et Jésus oublié!

1885.
153

L'EX-VOTO
AFrançoisCOPPÉE.
visaduci
Ingeus patriae
trepidantis
imago.
LUCAIN.
Or l'amiral Courbet, plein d'un regret amer,
Inutile vainqueur, s'éloigne sur la mer;
L'immensité l'entoure, et la mélancolie
Du monde reculé qu'il fuit et qu'il oublie,
Et qu'il voudrait quitter pour des astres meilleurs
Lui parvient dans la brise et le transporte ailleurs.
Alors la vision que ce croyant contemple,
C'est le mont des martyrs, au nord de la cité,
Elevant la blancheur et la sérénité,
D'un front marmoréen couronné par un temple :
« Portez, » dit-il, « portez vers ces parvis sacrés
Mon épée impuissante, indignée et trahie;
Elle n'a pu sauver les Français massacrés :
Qu'elle devance au moins mes os dans ma patrie ! »

9-
154

LA TOUR DE TROIS CENTS METRES

deBONNIÈRES.
ARobert

La tour de filigrane au prestige léger,


Qu'eût fait naître une fée en ses mains dentelières,
Ruisselle en écheveaux de longues cordelières,
Comme un grêle encensoir qu'on ne voit point bouger,

Mais qu'un lointain archange aux yeux de l'étranger


Suspend sur un fond d'or, d'azur et de lumières...
Telle est l'illusion de ces grâces premières
Que, de près, en laideurs on les voit se changer.

Car s'il est un fanal ignoré des flots sombres,


Perçant d'un vain regard effrontément les ombres,
Osseux, où le vent geigne et bourdonne en passant,

Chétif, échafaudant vertèbres sur vertèbres,


C'est toi, maigre Babel du siècle finissant,
Lampadaire macabre, orgueil de nos ténèbres !
155

LES EXPULSES

LAMY.
AEtienne

Comme en des fêtes séculaires,


Passaient les faisceaux consulaires
Aux mains des antiques licteurs,
Nous avons vu dans nos provinces
Passer les leviers et les pinces
Seuls faisceaux de nos dictateurs.

Ils allaient vers le cloître antique


Dont on voit d'ici le portique
Que le lierre cache à demi ;
Où durant les nuits solennelles
Veillent de blanches sentinelles,
Au milieu du monde endormi;

Ceux qui chantent et ceux qui prient


Ceux qui pensent à ce qu'oublient
Et les jouisseurs et les rois;
156
Ceux qui font monter jusqu'aux anges
Le sacrifice des louanges
Echo terrestre de leurs voix;

Ceux qui sont dans le sanctuaire


Debout sous le noir scapulaire
Autour du tabernacle d'or ;
Et dont la voix monte et s'élance
Sous les arceaux en fer de lance
Avec un fraternel essor.

Ils sont là... des coups retentissent


Et les longs corridors mugissent,
Les vitres volent en éclats
On voit luire sous les portiques
En des pénombres fantastiques
L'arme honteuse des soldats.

L'hôte de la paix millénaire


A l'envahisseur mercenaire
Parle et dit: Pourquoi venez-vous?
Est-ce pour montrer que nous sommes
Fiers et debout devant les hommes
Pour Jésus-Christ seul à genoux?
157
Est-ce pour montrer que le prêtre
Est pareil encore à son maître
Et comme lui persécuté?
Que l'égalité n'est qu'un songe?
Que nous seuls avons sans mensonge
Parlé de la fraternité ?

Il dit, et déjà l'on se rue


Sur ces hommes que dans la rue,
Attend le rire du moqueur.
En dépit des lois méprisées,
Devant les portes enfoncées,
Un préfet dit : je suis vainqueur.

Nous périssons, ta barque sombre!


Eternel Dieu qui dors dans l'ombre,
Eveille-toi, nous périssons.
Rassurez-vous, répond Dieu même,
Que celui-là parte qui m'aime,
Qu'il aille vers les nations !

Où vont la nue et le tonnerre,


Où va l'onde, où va la lumière,
Qu'il aille, expulsé radieux!
158

Qu'on voie au loin dans les campagnes


De la cime d'or des montagnes,
Descendre ses pieds glorieux!

Que sur la glace boréale,


Que sur la jungle équatoriale,
Il soit l'étoile du matin,
Et qu'ainsi l'aube rédemptrice
Autour de la terre accomplisse
Le cycle entier de son destin.

O déshérités de la France,
Consolez-vous dans l'espérance
D'un pays encore meilleur,
Où, consolés comme en un rêve,
Vous apprendrez comme s'achève
En félicité la douleur.

L'impie a pu, dans ses colères,


Disperser vos nobles poussières :
Autant en fera le trépas ;
Mais les âmes qu'unit ensemble
L'amour divin qui les rassemble,
On ne les dispersera pas.
1881.
159

LE VILLAGE ABANDONNE

AGustave
LEVAVASSEUR.
Si touslesbrasperdus
venaient auxgerbes
s'offrir !
Sileflotdesabsents
remontait
leschemins!
PaulHAREL.

Je le revois encor ce site monotone.


En l'arrière-saison, quand tout semblait mourir,
D'un ciel terne tombait l'angoisse de l'automne ;
Des frissons dans les bois commençaient de courir.

Je le revois, cet if, veilleur dont la tutelle


D'âge en âge est clémente aux terrestres sommeils;
L'if ! opulent témoin d'espérance immortelle,
Filtre où diminués scintillent les soleils!

Je revois ces tombeaux frères et côte à côte,


Et tels qu'en un dortoir l'alignement des lits,
Puis, ces croix de granit rentrant dans l'herbe haute
Comme si des espoirs rentraient dans des oublis.
160

L'Église ouvrant de haut son étroite fenêtre


Sur des champs d'un repos, d'un silence infinis !
Les toits chargés de mousse et qui ne semblaient être
Ni l'abri des berceaux, ni la place des nids.

Là quand l'éternité dans les heures résonne,


Qui peut-elle avertir des approches du soir ?
Le village est désert, il n'y mourra personne...
Une porte est ouverte, entrons... qu'allons-nous voir ?

Voici le luxe usé de la pauvre demeure,


Voici la haute armoire aux ferrures d'acier,
Voici, rythmant la marche oscillante de l'heure,
Sous un cadran jauni, l'orbe d'un balancier.

Peut-être la maison n'est pas abandonnée..,


Si quelqu'un était là ? quelqu'un qui se tairait?
Je ne l'avais pas vu près de la cheminée
Celui que le manteau de l'âtre recouvrait !

C'était l'aïeul courbant très bas sa tête blanche,


Peut-être encor plus bas son coeur lourd de souci.
Sa parole étant l'eau que l'urne avare épanche,
Le premier je lui dis : Etes-vous seul ici?
161
— « Mes enfants n'ont de moi ni pitié, ni mémoire! »
— Où sont les villageois? — Ailleurs ! dans la cité!
Là, plus d'un s'avilit en un labeur sans gloire,
Et laissa l'ajonc croître en un champ déserté !

Bientôt quand se taira l'angelus de l'aurore,


Quand le feu s'éteindra du foyer démoli,
Dans mille ans, dans cent ans, dans moins de temps encore,
On cherchera le lieu du village aboli.

Aux pierres de l'autel comme aux pierres de l'âtre,


Une bruyère douce étendra sa toison ;
L'archéologue en peine ira disant au pâtre :
« Où donc fut le château? l'église? la maison?

« J'ai cherché, dévêtu de ses mousses la pierre ;


« Je n'ai rien découvert qui vînt d'anciens vivants.
« Dis-moi du moins, ô pâtre! où fut le cimetière!
« La mort mieux que la vie est à l'abri des ans. »

Et montrant comme au loin l'arbre monte et se tasse,


Le vieux pâtre dira : « Vois-tu ce point des bois?
« Eh bien, c'est là sans doute ! et pour moi je n'y passe
« Qu'en détournant les
yeux et qu'en baissant la voix.
162

« Sans doute que les morts font abonder la sève


« Dans l'arbre ici plus vert et plus épais qu'ailleurs,
« Sans doute, il n'aurait pas la vertu qui l'élève,
« S'il n'avait pas grandi sous quelques anciens pleurs. »

Tous deux aborderont en un pieux silence


Le bois dont la stature étonne et rend pensif,
Qui, peut-être, des os se nourrit et s'élance...
Et là sous la ramure, ils trouveront un if,

Aigu, déchiqueté, d'une couleur ocreuse,


Comme un cierge au tronçon vide et demi-brûlé,
Qui s'est éteint dans l'ombre, et dont la cire creuse
En ruissellement pâle a lentement coulé.

Ce spectre sera là régnant dans le mystère !


Il dira ce forfait des siècles révolus :
« Les fils des laboureurs ont déserté la terre
« Qui change son visage et ne les connaît plus. »
163

LES PRESAGES

QUINZEANSVUSDANSUN SONGE
1881-1895
AuBranLouisRAMBAUD.

Poussant des cris lointains que l'espace atténue,


Les oiseaux migrateurs voyagent sous la nue.
Ces passants de l'automne, à l'océan des airs
Se mêlent, et par delà les flots et les déserts,
Conduits là-bas, très loin, par l'instinct de leur race,
Ils suivent comme en rêve un chemin qui s'efface.
Sous eux la lande est triste ; et les chênes rouillés,
Vêtus, par les temps froids, des feuilles desséchées
Que le vent en vain froisse et n'a pas arrachées,
Bourdonnent dans les bois qu'octobre a désolés.
Le nuage blêmit aux cieux mélancoliques,
L'épi du manoir penche à ses pignons obliques,
Et quiconque a des jours l'ennui mystérieux,
De l'heure, au loin sonnante, écoute les adieux.
Oiseaux expatriés qui fuyez dans l'espace,
Un long deuil est traîné par votre voix qui passe,
164
Et l'on voit après vous pleurer les horizons !
Précurseurs des hivers, poursuivis des orages,
De quels vagues malheurs portez-vous les messages?
Et ne présagez-vous que les froides saisons?

Les oiseaux vers la brume où le ciel et la lande,


Dans un hymen voilé semblent se réunir,
Fuyaient... Le soir tombait, la tristesse était grande.
Je vis sur le chemin d'autres marcheurs venir.

En longue file noire, ainsi que des fantômes,


Ils marchaient, gravement, sur la friche, à grands pas.
Je me disais: Où vont ces gens, vers quels royaumes?
Poussés par un destin que je ne connais pas?
Parfois, lorsque l'un d'eux regardait en arrière
L'inoubliable azur des pays traversés,
Les grands clochers muets par la brume effacés,
Une larme germait au bord de sa paupière :
« Nous sommes, disaient-ils, exclus, déshérités
Des droits des citoyens, des tombeaux des ancêtres,
Nous sommes des Français et nous sommes des prêtres,
Et nous allons au loin chercher les libertés.
— Sur nous, pourquoi sitôt secouer vos sandales ?
Vous absents, le désert sera si grand ! Restez ! »
165
Ils répondaient, ceux-là que chassaient nos scandales :
« Comment resterions-nous, si Dieu nous dit : Partez ? »
Ils vont. Mais avec eux fuit l'honneur séculaire,
Mais avec ces bannis c'est le salut qui part.
Mais la France en eux perd la bonté qui l'éclairé,
Et nous sommes exclus du jour par leur départ.
Quelle nuit descendra sur les cités funèbres,
Si le chandelier d'or de la foi luit ailleurs ?
Un homme qui marchait quand tombaient ces ténèbres,
Me dit : « Prêtez l'oreille à de nouveaux malheurs...
Vous connaissez la rose idéale et mystique,
Que dans le verre peint l'art pieux modela.
Elle est, sur le mur sombre, une aube prophétique,
Par où le temple, au peuple, en lumière parla :
On y voit Dieu le fils qui frappe et qui pardonne
En jugeant par sa croix les siècles révolus :
Vingt-quatre médaillons lui font une couronne
De vingt-quatre vieillards qui chantent sur des luths.
Eh bien, cette verrière antique, elle est brisée,
La foudre en a jonché les marches de l'autel.
Cherchez sur le pavé sa rose dispersée,
Les vieillards et les luths et le juge immortel !
Vieux Job, tu pleuras moins ta demeure en ruine
Que l'art, ainsi frappé, ne pleure son malheur.
166

Appauvri comme toi par une main divine,


L'art porte dans la nuit le deuil de la couleur.
Et toi, Dieu, si ta gloire inspira la verrière,
Ta colère et ta foudre ont repris ton bienfait!
Que l'impiété soit fragile comme un verre,
Je le comprends, mais lui, le verre, qu'a-t-il fait?
Il disait ta justice, il portait ton image,
Aux siècles à venir, il eût parlé de toi !
De quel châtiment vague ai-je vu le présage :
Dieu brisant, indigné, les tables de sa loi?
La neige, les grêlons, les éclairs, les tempêtes,
Sont les exécuteurs des ordres de leur Dieu,
Qui, nous voyant périr, effeuille sur nos têtes,
La rose où sa loi brille en pétales de feu.
Ah! serions-nous punis de l'avoir mal comprise?
Ce vitrail sur nos fronts a pourtant assez lui.
Ah ! courbons-les plus bas, ces fronts, quand Dieu le brise.
Il frappera notre oeuvre et nos fils comme lui...

Je les voyais périr, quand d'un vieux monastère,


Sortit un vieux trappiste à la barbe d'argent.
Le silence est sa règle, et moi pourtant : « O frère,
Dis-je, pourquoi sortir d'un pied si diligent?
— C'est qu'à l'heure où dormaient les cloches argentines,
167

Quand la lampe éclairait les corridors sans bruit,


J'entendis retentir, au sortir des matines,
De grands coups qui frappaient la terre dans la nuit...
J'entr'ouvris la fenêtre et vis la haute forme
De la tour qui veillait sur nous, et, par moment,
Je vis qu'il en tombait comme une pierre énorme
Et le cloître en avait comme un frémissement...
A son faîte la tour, d'une hauteur insigne,
Pareille au vieil Ossa sur le vieux Pélion,
Figurait Jésus-Christ sous le quadruple signe
De l'aigle, du taureau, de l'homme et du lion.
L'aurore et le couchant, de la pierre sublime,
Apprenaient que le Christ est semblable à la fois
A l'antique taureau par sa mort de victime,
A l'aigle par son vol, au lion par sa voix.
Depuis quatre cents ans, ces figures mystiques
Sur le fond bleu du ciel se détachaient en noir;
J'avais, de ma cellule, accoutumé de voir
Le profil assidu de ces formes antiques :
Quand se leva l'aurore, elles n'étaient plus là.
Je vis un horizon qui n'était pas le même :
La poussière des ans, qu'un ciel gris faisait blême,
Comme la neige errante aux toits s'accumula,
C'était ma vieille tour qui retournait en poudre,
168

Et qui, par le milieu, craquant comme la foudre,


Semait cette poussière au large et répandait
Sur sa tragique fin la gloire d'un nuage...
Le chaos escarpé des blocs pyramidait
Comme un tombeau d'Egypte entamé par les âges,
Et l'oreille, auscultant la ruine, entendait
Gémir ceux dont la tour accablait les paupières,
Et leurs soupirs mouraient dans l'épaisseur des pierres.
Où donc étaient la cloche et les orgues? Hélas!
Comme des coeurs meurtris, dont le sanglot se brise,
Ils s'étaient engloutis avec un dernier glas.
Sortant comme d'un antre, une voix dans l'église,
Criait : Malheur à vous, hommes des jours nouveaux !
Vous n'aurez plus ici d'amour qui vous rappelle.
Ni de Christ qui vous juge en de rouges vitraux,
Ni cloche dont la plainte ait un reproche en elle,
Ni prêtre qui revienne et vous parle de Dieu.
Qu'en vous montrant les cieux, rien ne vous importune:
On ne voit plus la tour percer l'horizon bleu! »

Le trappiste a parlé, puis suivant la fortune


Des proscrits, me laissant pensif, il m'a quitté.
L'épouvante, au-dessus des champs, de la cité,
Se dressa, grandissant de présage en présage.
169
Le ciel, qu'envahissait, à flots lents, le nuage,
Versa plus de tristesse au triste paysage,
Et l'on vit par degrés, de moment en moment,
S'accroître et s'assombrir l'ombre du châtiment...

10
170

APRES L'ÉPREUVE

Puisqu'un Sauveur naquit de la terre inféconde,


Puisqu'il renouvela l'ordre épuisé des jours,
Qu'après l'âge de fer inaugurant leur cours,
De magnifiques ans s'avancent dans le monde
A la suite du Christ père des races d'or,
Puisque tel qu'aujourd'hui, tel qu'hier, d'âge en âge,
Et par delà les jours, il doit parler encor
Et faire, quand tout passe, entendre son langage
Dans les ans éternels à ses lointains élus,
Puisque ressuscité Jésus ne mourra plus,
N'allons rien augurer des ombres d'un nuage,
Si pour nous préserver de faillir davantage
La foudre, comme un bronze évocateur des pleurs,
Épargne un pur credo gardé par nos douleurs.
Oh! comme exulteront les célestes archanges,
Quand ils verront d'en haut les peuples repentants,
Gravir les blancs degrés qui mènent loin des fanges
Vers les miserere sous les orgues chantants!
171
Les prêtres remonter les chemins des patries!
Les oiseaux qui fuyaient dans les cieux infinis,
Suspendre aux clochetons des églises fleuries,
L'édifice joyeux et léger de leurs nids !...
Car, éprouvant les siens, Dieu, triste, se retire,
Pour que, plein de regrets, cherchant son front voilé,
Au devant de l'absent qui d'en haut nous attire,
Le coeur, avec les tours, monte au ciel étoile.
172

L'INERRANCE

DEMUN.
AuCteALBERT

J'ai connu l'océan de la vaste ignorance;


Ses flots universels m'ont souvent ballotté.
J'ai vu le nombre, armé contre la vérité,
Comme un nouveau déluge, assombrir l'espérance.

Qu'un autre en ce péril ait pour seule assurance


Un livre dont le sens est mal interprété :
J'ai besoin d'un pouvoir revêtu d'inerrance,
Qui parle, après la Bible, avec autorité,

Qui complète et confirme en moi les axiomes,


Qui soit une raison pour l'ensemble des hommes,
Qui, fort d'une douceur incoercible au fer,

Oppose la faiblesse à la force surprise,


Et contre qui, toujours, sans prévaloir se brise
Le pouvoir furibond des portes de l'enfer.
X

BRISES DU TEMPS FUTUR

10.
175

PREDICATION DE LA RUINE

Redoute l'antre obscur de cette Église antique,


Profane, et que la peur te garde d'approcher ;
Crains le craquement rauque et traître du clocher,
Et que sous ton pied prompt ne glisse un seuil oblique !

Mais toi, poète, viens, en chantant ton cantique !


Que t'importe de voir le porche se pencher
Et la poutre en suspens qui va se détacher ?
Tu crois en ton destin et franchis le portique.

Vois partout la verdure aux flots réparateurs


Germer, croître, fleurir, emplir de nids chanteurs
La ruine qu'un lierre assombrit et décore !

Jamais ces murs sacrés n'ont mieux parlé de Dieu,


Jamais voûte en lambeaux mieux encadré l'aurore,
Et jamais toits ouverts mieux montré le ciel bleu.
176

APOSTOLAT DES DEBRIS

Lapides
clambunt.

Toi qu'empourpra le sang de l'agneau sans souillures.


Autel qui n'es orné que de tes moisissures ;
Couvercle entrebâillé des sépulcres anciens ;
Baptistère stérile et tari de chrétiens
Par où, filles de Dieu, les races espérèrent;
Bénitier que les doigts des vierges effleurèrent,
Nid de la cloche, oiseau pour jamais envolé,
Tour sans voix que l'oubli navre et que le temps ronge,
Où le jour transparaît comme l'aube en un songe,
Trouant la mousse d'or de ton faîte étoilé ;
Poutre debout qui pends comme une dent de herse,
Fenêtre dont l'ogive est comme un oeil ouvert
Vaguement inquiet sous le coudrier vert;
Tuiles rares du toit où la nature verse
Le torrent ténébreux des lierres aux lents flots ;
Je vous compte, ô débris flagellés par l'orage,
Je pense à ce Dieu mort dont on compta les os,
Et l'Église défunte est encor son image !
177

STYLE FUTUR

AL. PARENT.

La souplesse et l'ampleur des arceaux métalliques


Feront bâtir un jour des églises de fer,
Et comme des halliers surgit le hêtre lier,
Les piliers surgiront des grillages mystiques,

Et leurs faisceaux vibrant sous le vent des cantiques


Comme des tuyaux d'orgue au fût strident et clair,
Feront cette rumeur qui monte de la mer
Ou qui tombe d'en haut sous les sapins antiques.

Tout le ciel entrera dans les nefs de cristal,


Pour sertir selon l'heure, aux mailles du métal,
Le rubis, le saphir, l'émeraude, l'opale,

Et, d'un dôme éthéré faîte immatériel,


La flèche amincira dans le lointain du ciel
Le labarum d'acier d'une croix triomphale.
178

L'EGLISE IMPALPABLE

A d'autres fondateurs laissant le marbre blême,


L'architecte de l'être édifie en nous-même
De symboles légers sa mystique maison :
Les parvis sont les sens, la porte est le langage
Fait du trésor des sons, des splendeurs de l'image ;
La nef est la pensée et l'acte ; la raison,
L'abside, où l'idéal tremble comme l'étoile
D'un cierge au loin mourant que la distance voile.
Les sentiments sont l'or, l'améthyste, l'azur,
Distillant leur douceur au filtre des verrières,
Qui sèment de reflets et de chaudes lumières,
La voûté aux plis gaufrés et les ocres du mur.
Car le temple, Seigneur, avant qu'au promontoire
Il dominât des flots le peuple harmonieux,
Avant qu'il fit bondir ses gables vers les cieux,
Le temple était dans l'âme, et parlait de ta gloire!
179

A CELUI QUI PEINT DANS UN MONASTERE

D'UN PUVISDE CHAVANNES


SOUVENIR

S'il est un monastère entouré de grands bois,


Ceinture épaisse et sombre et que le soir azure,
Si pour la paix, déjà formé par la nature,
Sous la paix du Seigneur, il est calme deux fois;
Si le sage y vieillit sans espérer ni craindre,
Et contemple le monde au loin comme un désert
Planté de grands cyprès montant sous un ciel vert;
Artiste au coeur pieux, c'est là que tu veux peindre.
Quand la lampe propice aux rêves enchanteurs
Au pied d'une statue, objet d'anciens honneurs,
Balance l'or tremblant de sa clarté fidèle,
C'est l'heure où ton génie ouvre sa plus grande aile.
Antique vision des voyageurs tardifs,
L'orbe à peine esquissé d'un astre de mystère
Laisse errer dans les cieux au sommet des grands ifs
Sans voile et sans rameurs, sa barque de lumière:
Les fleurs de chasteté si chères au grand art,
Les lys, qu'ont veloutés les ombres vespérales,
180

Aux marches des autels s'élèvent purs et pâles;


La charité qui veille alors qu'il est très tard,
Sous le riche ornement du ciel crépusculaire,
Ecoute pour fermer la porte hospitalière,
Si dans l'éloignement des sentiers ténébreux
Il n'approcherait pas un mortel malheureux
Pour mettre dans sa main quelque dernière aumône,
Ou pour laver ses pieds dans les bassins d'airain...
Mais toi, peintre, distrait de ce qui t'environne,
Ravi d'un idéal sans nuits et sans déclin,
Vers la beauté sans ombre emporté sans relâche,
Dans l'extase, oubliant qu'ayant fini leur tâche,
Tes disciples debout se demandent tout bas
Quelle splendeur t'éclaire et ne leur parvient pas,
Le Christ exerce encor ta main que rien ne lasse,
Et toi-même, éclairé du modèle immortel,
Tu prends sa ressemblance, et l'on voit sur ta face
Quelque image du Dieu que tu peins sur l'autel.
181

AUX MOINES DU VAL-DIEU

Revenez peuple solitaire !


Les sources ont assez pleuré,
Les mousses ont assez doré
L'arbre assez vêtu de mystère,

Vos murs qu'en un jour abhorré


Le fer extirpa de la terre.
Revenez, peuple solitaire,
Les sources ont assez pleuré !

Nos jours ont assez ignoré


Le secret de la vie austère,
Nos coeurs que la justice altère
Ont peut-être assez désiré...
Revenez, peuple solitaire !

II
182

LE BEFFROI

Comme une larme tombe l'heure


Qui sonore d'un vague émoi
Semble me dire : Hélas ! sur toi
Quelqu'un de grand dans l'ombre pleure !

Qu'un gai carillon charme et leurre


Les couples dormant sans effroi,
Comme une larme tombe l'heure
Des hauteurs sombres du beffroy.

Un Dieu contristé pleure en toi


Sur l'indigence intérieure
De ton âme où rien ne demeure
Qu'un vestige inerte de foi.
Comme une larme tombe l'heure !
183

LES YEUX TARIS

AuneSoeur.

Oh ! quand je n'aurai plus de larmes,


Comment ferai-je pour pleurer ?
Pourtant la mort va m'entourer
De regrets, de honte et d'alarmes !

Ces yeux bleus dont tu vis les charmes,


Ma soeur, on va les enterrer,
Mes péchés si dignes de larmes,
Comment pourrai-je les pleurer ?

Peut-être reviendrai-je errer,


Mais en ton rêve et sans vacarmes...
Pour que pleurante tu désarmes
Le Dieu qu'on ne peut implorer,
Dès lors que l'on n'a plus de larmes !
184

IMPRESSION

AHenriCHEGUILLAUME.

Par les airs on entend comme des pleurs de femmes,


Et ce n'est rien qu'un bruit sonore errant dans l'air,
Le cri des chemins neufs sous le rouleau de fer...

Oh! le bruit du malheur en passant sur les âmes!...

Le sol crépite au loin sous le fardeau qui court,


Sa rumeur monte et baisse à travers les prairies,
Çà et là le chien hurle au seuil des bergeries.

Oh ! les pas de la mort à travers le temps court.

Le cylindre gémit sur les routes lointaines,


Le rauque écrasement des cailloux durs et sourds,
Suffit pour attrister l'immensité des plaines.

Oh ! les morts atterrés du poids des oublis lourds !


185

LE VENT QUI PASSE DANS LES HAUTEURS

AMme
la Ctesse
D'ANGELY
SERILLAC.

Quand la colombe grise et rose


Echappe à la corbeille close
Qui fut une heure sa prison,
Messagère aux terres lointaines,
Ses ailes battent incertaines
Les quatre vents de l'horizon,
Sa pauvre couvée est perdue,
Sa voix jette dans l'étendue
Un appel au pays natal,
A la fenêtre hospitalière,
Où parmi les fleurs et le lierre
Se posait son pied matinal !
Tout est absent, le ciel est morne,
Rien qu'à ses pieds la mer sans borne
Et le silence à l'infini...
Elle interroge en vain l'espace.
Tout à coup l'esprit d'en haut passe,
Passe et l'emporte vers son nid !
186

Exilée ainsi en ce monde,


O tourterelle vagabonde,
Ame ignorante du destin,
Cherchant l'origine et la fin
Partout où la vie est amère,
Partout où le rire éphémère
Se mêle aux pleurs dans les berceaux,
Partout où l'aspect des tombeaux
Dément les courtes espérances,
Ame inquiète, tu t'élances...
Tu cherches ton pays ailleurs,
Car tu ne peux dans la nature
Sans te poser sur les douleurs,
Te poser sur la créature...
Esprits qui volez incertains,
Dites-nous, voyageurs lointains,
Si dans les hauteurs où vous êtes,
Le souffle éclatant des tempêtes,
La brise errante dans les cieux,
Quelque astre à la clarté chérie,
Ou quelque ange au vol radieux
Ne disent rien de la patrie !
187

LES LAMPES DES EAUX

A Frédéric
BEAUDOUIN.

Les vagues nénuphars se traînent sans couleur,


Dans le sommeil des eaux leur tige est comme un songe.
Sourdement inquiète, elle se tord, s'allonge,
Aspire au fond de l'ombre à se changer en fleur.

Pour mieux boire le jour, elle aplatit sa feuille


En archipels nageant qui reflètent d'abord
Sur leur disque mouillé le flot des rayons d'or ;
Une fleur dans son urne ensuite les recueille,

Et, lampe qu'environne un albâtre tranquille,


Cette blanche clarté qui jamais ne vacille
A la placidité des immortels flambeaux.

Tel au delà des jours qui font mon âme obscure,


Puissé-je épanouir en fleur ardente et pure
Mon être enraciné dans les profondes eaux.
188

NÉNUPHARS

A Ch.MARTEL.

Sur les feuilles des eaux l'albâtre de leur tige


Étincelle; on croit voir livrée au flot qui dort,
Une frêle armada d'Elfes aux barques d'or
Et que la lampe en fleur du nénuphar dirige.
Partez-vous vers l'Erèbe, elfes au vol léger
Qu'inventa Skakespeare en ses divins mensonges?
Partez-vous vers la rive où l'on voit voltiger
Sous des portiques bleus le vain peuple des songes?
189

IMPATIENCE

Tu mènes tes clameurs le long des vieux rivages,


Tu lances tes désirs et tu ne sais vers quoi,
O mer, tu bondirais, s'il ne tenait qu'à toi
De calmer ton angoisse en débordant tes plages.

Forêt que font gémir et tordent les orages,


Ne peux-tu t'élever à sentir ton émoi?
Pleureuse, prends une âme et tu te tiendras coi !
Tu ne peux..., tu t'en plains avec des voix sauvages.

Lions que la douleur fait rugir comme un frein,


Flots de vie et de sang dont nul ne bat son plein,
L'homme tient sous ses pieds vos puissances profondes.

Mais sur le divin trône alors qu'il montera,


Les êtres cesseront leur plainte et l'on verra
Leur force virtuelle éclater par les mondes.

II.
190

A LA NATURE

C'est grand'pitié qu'en proie à l'ingrate ignorance


Shopenhauer te dise : « O mère des douleurs,
Ton front ne sut jamais s'assortir à mes pleurs,
Tes soleils ont tari la source d'espérance !

Sagittaire pour cible ayant de préférence


Les fronts tristes et doux des plus saints travailleurs,
Que fait mon âme en deuil à tes printemps en fleurs,
Et ma plus chère tombe à ton indifférence ? »

« Tais-toi, dit la Nature, au penseur douloureux,


Je tisse un sort qui dure à de lointains heureux,
De qui la douleur brève aura fait l'âme forte,

Et puisque dans mes flancs germe l'avenir d'or,


Crois aux sérénités de ma face qui dort,
Il n'est rien dans mes lois qui vers Dieu ne t'emporte ! »
191

L'ART SACRIFICATEUR

A l'ARÉOPAGITE.

En vain sur mes printemps l'azur s'ensoleilla,


Je ne puis voir, et vivre, un Dieu que le jour cèle,
Et dans mon âme veuve, une larme ruisselle,
Quand, triste sous les cieux, je Le cherche au delà.

Devant quelle clarté dirai-je : Le voilà ?


Toutes je veux les fuir, toutes, et même celle
Qui dans un beau regard ou dans l'âme étincelle,
Et m'abstraire, étant mort, de tout ce qui brilla.

Par delà le vestige et l'image et l'emblême,


L'art du trépas conduit jusques au beau suprême
A même les splendeurs, l'effort de l'ébauchoir.

Eclatant univers, tombe donc en poussière !


Lumière ! écarte-toi de Celui qu'il faut voir
A grands coups de ciseau taillé dans la lumière !
192

CHANT SUR LES MERS

Vous dont la multitude au monde


Abonde,
Etres que rien ne peut tarir,
Que partout la fête de vivre
Enivre,
Qui partout, pleurez de mourir,

Dont la voix triste et triomphale,


S'exhale
En murmures doux puis amers,
Vous êtes pareils à l'écume,
Qui fume,
Mais qu'éteignent les sombres mers.

Lorsque fêtant leurs bienvenues,


Aux nues
193
Le flot lance de blanches fleurs,
Dans ce haut hommage il expire,
Soupire,
Et s'anéantit dans les pleurs.

Oh ! combien sont mortes de lames !


Que d'âmes
Ont bondi vers l'azur vermeil,
Puis sombré, formes douloureuses,
Heureuses
Pourtant d'avoir vu le soleil !

Ame ou mer que ta plainte cesse !


Abaisse
Ta voix comme un lion dompté!
Car le ciel de mauve et de rose
Impose,
Le silence à l'immensité...
XI

POUR LES HEUREUX


197

SUR UN TABLEAU DE PUVIS DE CHAVANNES

Sous l'étoile, en avril, la tribu primitive


Dort, digne du repos, près de la mer plaintive.
Ils sont là, les anciens des hommes, abrités
D'arbres patriarcaux ornement de la grève,
Que pour l'honneur des mers la hache a respectés.
Ils se tendent les bras dans l'abandon du rêve,
Ils tournent leurs yeux clos vers les êtres aimés.
En groupe harmonieux leur coeur les a formés.
Le nouveau-né, blotti près du lait qu'il espère,
Dort au sein de la femme et sous son manteau bleu
Le tendre adolescent se penche vers son père,
La mère vers l'aïeul... tous sont tournés vers Dieu !
Tous ils sont emportés vers l'antique origine,
Et boivent à longs traits le somme, onde divine,
Qui rend la force aux fils et la joie aux aïeux.
Le feu du soir s'éteint et quelque braise obscure
Sous les trépieds d'airain qu'ont renversés les jeux,
Témoigne que depuis longtemps le sommeil dure.
198

L'heure est semblable à l'heure, au cours uni des nuits;


A force d'être calme et sans métamorphose,
Il semble que le monde attende quelque chose...
Circonspecte, la biche écoute au loin les bruits,
Lève son pied léger, toute aux inquiétudes
De voir un loup soudain, rôdeur des solitudes,
A grands pas allongés fouler le sourd gazon.

Tout à coup, de blancheur éclairant l'horizon,


Pâle, énorme, apparaît l'astre que l'ombre enfante,
Entre la mer émue et la brume tremblante.
A la fois rayonnant sur les flots, dans les cieux,
Auréolant deux fois son orbe glorieux,
Il jette ses rayons au front blanc des nuages,
Il court de vague en vague au long cercle des plages,
Couvre les bois, modèle, azure leur décor,
Il atteint les dormeurs, il touche leur paupière,
Jusqu'au fond de leur âme instille sa lumière,
Y verse avec douceur un rêve d'ambre et d'or,
Un blond rêve, éclairé par des vols de colombe,
Où, sous le laurier rose et le saule bleuté,
Ou bien sous un ciel d'or en un lac reflété,
L'homme est ravi d'entendre, à l'heure où le jour tombe,
199
La parole du sage après les longs travaux ;
La femme voit ses fils magnanimes et beaux,
Exerçant dans leurs jeux leur adresse et leur force
Au jet des javelots qui vibrent dans l'écorce,
Et le rêve est si doux qui la vient visiter,
Et du léger dormir si calme est le prestige,
Qu'autour d'elle, on ne voit pas même palpiter
Un nimbe de duvet sur une frêle tige.

ENVOI

Ainsi Puvis, à qui le vieux sang des aïeux


Fit un esprit antique et plein de souvenance,
Tu peignis les sommeils du monde en son enfance,
Quand la lune d'avril faisait le rêve heureux.
200

LES SURPRISES DU RÉEL

erantpedes
Stantes inatriistuis,Jerusalem.
nostri

A Daniel DELAGARDE.
BEDJÉ

Quand nos lyres voguaient ensemble


Dans l'azur entre mer et ciel,
Vous me disiez: Que vous en semble?
Le rêve est mieux que le réel.

Voyageur épris d'impossible,


Qui sans voir la mer, ni les cieux,
Esquissiez dans l'inaccessible,
La citadelle des aïeux,

Les vieux châteaux imaginaires,


Par les nuages visités,
Aux larges vautours servant d'aires,
Par les grands oublis habités.
201

Les lierres montaient de leurs bases,


S'attardaient sur leurs longs contours,
Et comme du rebord d'un vase,
Tombaient des créneaux de leurs tours.

Mais tout disparut quand de l'onde


Aux bleus confins des flots troublés,
Sortit l'Egypte ardente et blonde
Comme les sables et les blés.

Quand le rivage asiatique,


De calcaire et d'herbe couvert,
Mêla, tapisserie antique,
Sa pâleur à son velours vert;

Quand Solyme, dont le temps rouille


Le rempart de tours fleuronné,
Parut comme sort d'une fouille
Un ossuaire calciné.

Quand saint Sabas dans ses abîmes,


Où le Cédron parle à mi-voix,
Nous montra les ruches sublimes
Des solitaires d'autrefois,
202

Quand à Jéricho, blanche et fine,


La bruyère orna de sa fleur,
L'arène écaillée et saline,
Que gerce et brise la chaleur,

Tandis qu'à travers les campagnes


Où semblait renaître l'Eden,
Entre deux chaînes de montagnes,
L'eau blonde et chaude du Jourdain

Allait vers Adama, Gomorrhe,


Seboïm et Sodôme où Dieu
Fit lever l'effrayante aurore
Qui monta des villes en feu,

Et sur l'asphalte et le bitume


S'évaporait avec la mer
Dont la profonde et lourde brume
Fumait comme un encens amer.
203

LA RELIQUE

Alamémoire
d'Ernest
MILLET.

Chanteur virgilien mort jeune, aimé des dieux,


Les bois retentissaient des vers mélodieux
Dont, malgré les tourments de ta chair offensée,
La tenace espérance empennait ta pensée,
Suivant ces feux légers d'arbre en arbre égarés,
Que prolongeait sans fin sous les rameaux pourprés
Le soleil déclinant du soir, nous avançâmes
Tous deux vers le silence et tous deux vers la nuit,
Le silence et la nuit qui parlaient à nos âmes....
Et voici qu'à nos pieds, comme un souffle, sans bruit,
Quelque chose d'ailé tomba des hauts feuillages;
Les vestiges épars d'un oiseau dévoré.
Et tu me dis : Prends-les, les bois ont leurs présages,
Un oracle est peut-être en ce débris sacré.
Je recueillis la plume errante de deux ailes.
Mon livre se ferma comme un sillon sur elles,
Pour qu'un doux souvenir semé là par hasard,
Surprît, fit soupirer, fit rêver tôt ou tard.
204
Si ces plumes d'antan étaient noires ou blanches,
Je ne l'ai pu savoir, il fit nuit sous les branches,
Mais le livre est fidèle et le sait. O surprise,
Il s'ouvre de lui-même aux pages d'autrefois !
Est-ce, pieux travail, un rinceau que je vois,
Encadrant sur vélin quelque prose d'église ?
Non, c'est d'or et d'azur la plume qui s'irise,
Couleurs dont les soleils défunts avaient vêtu
Le chanteur bocager qui dans le soir s'est tu.
Que dis-je ? il vit encore, il prend dans ma mémoire
L'essor prompt et léger qu'il n'a plus dans les cieux,
Car, c'est toi, frère absent, cet oiseau radieux,
Dont le plumage encore a des reflets de gloire !
205

L'ELUE

A la mémoire
deHenriette tuéeen
Bonnevie,
la chapelle
défendant deChateauvillain.

Quand Bonnevie entra, rien ne troublait encore


La chapelle commise à sa garde, et l'aurore
Souriait à l'essor de sa tendre oraison.
Elle disait : L'oiseau tressaille dans sa cage
Et mon âme, Seigneur, tressaille en ta maison,
Comme si tout à coup j'allais voir ton visage...
Les rêves du matin m'ont parlé de bonheur;
Mais écarte, ô mon Dieu, leur prestige illusoire !
Quand à l'égout jeté, l'étendard de ta gloire
Tombe du faîte illustre où le mit ta douleur;
Quand de lointaines morts ont montré leur enfance
Et le Dieu de leur mère aux soldats de la France
Sans qu'un prêtre ait tourné leurs yeux mourants vers toi;
Quand les petits enfants n'épellent plus ta loi,
C'est l'heure de laver au sang du sacrifice
Les crimes que ne peut laver le flot des pleurs...
Que de plus dignes mains élèvent ton calice!
Je ne puis à l'autel apporter que des fleurs?
12
2o6

J'enlacerai du moins le lys avec la rose


Autour du tabernacle où ta vertu repose,
Le lys, image en fleurs des chastes repentirs,
La rose dont la pourpre appartient aux martyrs !
Je veux qu'un dahlia, frêle et dont le front penche,
S'élève du rétable étoilé de pervenche.
Vous aussi devant Dieu je voudrais vous unir,
Violette, pareille à notre vie obscure,
Myosotis, léger comme le souvenir... »
Ainsi, lorsque du temple elle eut pris la parure
A ce que fit d'exquis l'art délicat de Dieu,
Dans la lampe des nuits, fleur au nimbe de feu,
Versé l'huile assidue à la clarté fidèle
Qui sourit, en tremblant, au veilleur éternel;
Quand sa sollicitude eût partout comme une aile
Palpité, sans troubler le calme solennel;
Quand elle eut étendu la nappe blanche et fine
Qui retombe en longs plis de claire mousseline,
Et porte sur l'autel de gloire environné
Le poids du Verbe écrit et du Verbe incarné,
Quand elle eut allumé l'aurorale lumière
Des cierges, et chassé toute vile poussière,
Pour que rien ne manquât au mystère divin
Mis dans les urnes d'or l'eau lustrale et le vin :
207
Quand le temple, les coeurs, tout fut prêt pour la messe;
Quand la cloche tinta, quand le peuple attendit

Dieu dit : « C'est toi l'hostie et c'est toi la prêtresse ! »

Alors près de l'autel à son sexe interdit,


Vierge sacerdotale et semblable au Dieu prêtre,
Vestale qui n'avait pour son souverain Maître
Que des fleurs au calice arrosé par ses pleurs,
Elle donna son sang comme elle offrait ses fleurs.
208

DU BARTAS

O Lucrèce chrétien, ô moderne Amphion,


Les mots neufs s'assemblaient aux appels de ta lyre,
Dominant les buccins des partis en délire,
Chantant la majesté de la création.

La France à ton génie a dû le grand poème,


Non pas d'un héros seul, trop chétif pour tes vers,
Non pas d'une cité, mais du monde lui-même!
Car tu trouvas français de chanter l'univers.

Tu le disais naissant dans la brume argentée,


Grandissant, comme au loin quelque Babel bleutée,
Au front démesuré pâli par le passé.

Poète imitateur du Dieu qui fit l'histoire,


Six jours aussi créant avant d'être lassé,
Le septième, tu pris ton repos dans la gloire.
209

LACORDAIRE

Lorsque tu te levas, tel que Michel-Archange,


Pour que la vieille foi, pour que le vieil honneur,
Par le prêtre immolés aux pieds d'un empereur,
Aient du moins sur la terre un prêtre qui les venge,

On dit que les accents suprêmes de ta voix


Rappelaient à notre âge avili quelque chose
D'Ambroise au seuil du temple arrêtant Théodose,
D'Élie aux chiens impurs livrant le sang des rois !

Cependant tu parlais, nonchalant de ta gloire,


Et ton oeuvre jamais ne te fut méritoire,
Excepté devant Dieu ! tu la jetas au feu.

Tu regardas, avec un dédain magnifique,


Voler ton verbe en cendre, et moins pure vers Dieu,
Sur l'autel des foyers montait la flamme antique.

12.
210

AU TROUVÈRE ALEXANDRE

Pauvre oiseau de passage abrité pour un jour


Dans les donjons qu'assiège au dehors la tourmente,
Quand tes rimes sans fin prolongeaient leur bruit sourd
Comme un flot qui de rive en rive se lamente,

Voyais-tu ton grand vers d'âge en âge exalté ?


Soit que l'alexandrin détaché d'un poème,
Beau par la solitude et la solidité,
Arc-boutant ses deux parts se suffise à lui-même,

Et qu'aux champs de mémoire, immenses et déserts,


Surgisse, inattendu, tout à coup, ton haut vers,
Comme aux steppes du nord les menhirs centenaires;

Soit qu'encor ses pareils en escadrons nombreux


Imitent de leurs pieds conquérants et pompeux
Le pas antique et lourd des vieux légionnaires.
211

A ALEXANDRE DE BERNAY

Toi qui conquis la terre où ton rythme a régné,


Homère dont Bernay revendique la cendre,
Ce n'est pas vainement qu'on t'appelle Alexandre :
Ton nom, trouvère obscur, était prédestiné.

Quand le Macédonien, du faîte abandonné


De Babel, vit l'Hadès où l'âme doit descendre,
Il voulut d'un regard parcourir et comprendre
Les plaines où, vainqueur, il s'était promené.

Toi, sous les rênes d'or de lois impérieuses,


Tu vois de toutes parts sur les routes poudreuses,
Sur les chemins gaulois du moderne univers,

Emportant là Ronsard et plus loin Lamartine,


Entraînant un Chénier aux traces d'un Racine,
Les quadriges sonnants des vers qui sont tes vers !
212

FLEUR D'ORIENT

A MlleL.

Certes, j'aurais voulu l'offrir vivante et rose,


Et qu'au vent de la mer elle n'eût point terni
Sa robe purpurine : hélas ! la fleur morose
Parlera dans son deuil du vieux Getsemani.

Mauve comme en hiver le ciel d'un jour fini,


Elle est la fleur des temps passés, la passerose ;
Elle est le souvenir sans parfum de la rose,
Elle est la floraison triste d'un sol puni.

Sa racine est là-bas dans les cendres arides,


Elle a gardé, malgré sa vieillesse et ses rides,
Un coloris léger qui la ranime un peu,

Et qui fait que l'on songe au lieu qui la vit naître,


Au roc de Palestine, où pour elle, peut-être,
Une goutte de sang tomba du front de Dieu.
213

A MADEMOISELLE L...
Nullen'asilongtemps danslacité
porté
Cette nomme
fragilefleurqu'on labeauté.

Le monde aux fronts charmants n'ose parler de l'âge,


Parce que de vieillir lui-même est attristé ;
Sa réserve indiscrète et son lâche langage
En l'estimant mortelle insulte à la beauté.

Le monde ne sait pas qu'elle est, sur le visage,


L'éclat extérieur du coeur manifesté.
Si le corps cède aux jours, le coeur à leur outrage
Oppose, dédaigneux, son immortalité.

Vous marchez, belle et douce, à travers les années :


Prenez donc en pitié les grâces tôt fanées
D'une fleur qui brilla dans les soleils levants !

Regardez sans dédain ma triste passerose ;


La fleur qui dans l'exil se ride et n'est plus rose,
N'a pas franchi les mers ainsi que vous les ans.
214

A CEUX QUI S'AIMERENT SOUS LES PALMIERS

AL. B...età Miss.S...

Lorsqu'au delà des bords d'Italie ou de Grèce,


Dans ses déserts sacrés Sion nous appela,
Les minarets perçaient comme un cri d'allégresse,
Le ciel où se perdait en paix le nom d'Allah.
Fleuris de laurier rose ou dorés par les treilles,
S'étageaient les toits plats, escaliers des ciels purs,
Les dômes réunis dans l'enceinte des murs
Semblaient des fruits dorés groupés dans des corbeilles.
A travers les lambris et les marbres épais,
On entendait sortir des demeures en paix
Comme un vol délicat de notes cristallines,
Qui perlaient sur le bois nacré des mandolines.
Par la grille d'un porche on voyait des jasmins
Étoiler dans la vasque une onde brune et claire
Des choeurs formaient la danse à l'essor circulaire,
Rythmée aux battements multipliés des mains,
Et dans l'ombre faisaient éclater sous les branches
De beaux rires de pourpre éclos sur des dents blanches.
215
Les lointains pâlissaient dans les champs spacieux
Sous la blanche lumière où le regard se noie;
Des fraîcheurs de l'azur au sable qui flamboie,
Régnait la plénitude intense de la joie !
Mais dans cet Orient, délices de nos yeux,
Une ombre lamentable attristait la lumière.
C'était l'antique Agar assise sur la pierre,
La femme : elle était là sans devoir, sans prière,
Sans droit qui l'égalât à son terrestre roi,
Car l'homme, maître ingrat, ne l'aimait que pour soi,
Et pour elle jamais, jamais pour sa faiblesse
Exquise et dont l'empire à l'homme est gracieux,
Pour le don de son coeur, doux même à qui le blesse,
Ou pour l'instinct qu'elle a de regarder les cieux !
Tu la vis, triste épouse, en ces lieux où Marie
Dans les brumes d'argent remonta vers son Dieu,
Imposer l'urne noire à sa tête flétrie,
Drapée aux vieux lambeaux de son long voile bleu.
Ami, tu dis, alors: C'est là qu'il faut qu'on aime,
Ah ! la femme est esclave! ah ! c'est là que je veux
De l'oranger en fleurs couronner ses cheveux,
Ceindre d'honneur son front comme d'un diadème.
Je ne la veux chérir pour le plaisir ni l'or,
Ni même pour son sein lourd d'un vivant trésor,
216

Mais pour elle! Oui, je veux l'aimer pour elle-même,


Oui, pour son corps très pur, où reluit la beauté,
Pour son âme invisible abri de la bonté,
Pour sa personne entière où réside et domine
La dignité !
Va donc aux champs de Palestine,
Vite rouvre ta voile à la brise des flots,
Prends la chair de ta chair et prends l'os de tes os,
Repars, et va montrer au pays de l'aurore
Comme on traite la femme ici, comme on l'honore !

Entrez donc, vierge épouse, en votre mission !


Car où le Christ est roi, la femme souveraine
Établit la concorde auguste, elle est la reine
Aux cieux, dans la famille et dans la nation.
Dans le champ clos du monde au tournoi des idées,
Présidez équitable, et que le droit vainqueur
Reçoive de vos mains les palmes accordées
Par la femme, selon la justice du coeur;
Et si sourire et pleur restent vos seules armes
Au service d'un preux votre maître et seigneur,
Contre la lâcheté protestez par vos larmes,
Et par votre sourire engagez à l'honneur!
217
Ah si de l'Orient vous gardez souvenance,
Si jamais emportés par la reconnaissance,
Pour le Dieu de l'aurore et ses bienfaits lointains,
Vous confiez encor à la mer vos destins
Et si le vieux POITOUpliant sous ses mâtures,
Prête ses flancs de fer à vos courses futures,
La vierge veillera qui sourit au départ.
La sirène a rugi, le bateau fume, il part;
Les aurores de feu que la nuit encor voile
Frangent la mer d'acier de reflets mordorés;
De tous les horizons la brume comme un voile
S'élève nuptiale aux dômes azurés ;
La nuit vient, le regard prend plaisir aux délires
Des astres vacillant dans les agrès mouvants;
Telle une idée en feu sur les cordes des lyres.
Le flot, thuriféraire incurvé sous les vents,
Fait monter jusqu'à vous sa fumante rosée;
Le poisson fait vibrer le transparent saphir
Aux coups de sa nageoire à l'écaille irisée
Où tout l'or resplendit du fabuleux ophir ;
Le sillage en mourant jette aux plaines moirées
Le rosaire égrené de ses perles nacrées;
Entre le ciel et l'eau le navire emporté
Marche pompeusement dans l'azur vers l'aurore ;
15
218

Le ciel renvoie aux mers l'hymne deux fois sonore


Orchestré par l'abîme et par les flots chanté,
Que croyez-vous ainsi qu'ils chantent dans l'espace?
La vanité de l'or ou l'orgueil de la race?
Le mariage avare au triste lendemain,
Qui néglige le coeur et pervertit l'hymen?
Où l'amour sans autel qui dans sa joie infâme
Traîne le deuil secret d'avoir déserté l'âme ?
Non, non, ces flots si purs et si religieux,
Qui bondissent d'amour en montant vers les cieux,
Ce qu'ils chantent c'est vous, unité triomphante
De l'amour, de l'hymen qu'on osa désunir,
C'est l'épouse et l'époux, c'est l'amant et l'amante
Qui tous deux ne font qu'un ! O voix pure des lames,
Tu peux redire aux mers leurs purs épithalames.

Voyageurs de la vie arrivés dans le port,


Si l'Anjou doux et gai suffit à votre sort,
Si le cercle vivant de l'olivier prospère
D'un fin et doux feuillage emprisonne le père,
Près des berceaux nombreux si vos fils caressants
Vous prennent aux rayons de leurs yeux innocents
Et vous gardent; si Dieu, de la porte enfoncée
Des vieux cloîtres d'où sort sa milice expulsée,
219
Fait signe aux chevaliers de n'être pas absents,
Le souvenir du moins, consolateur de l'âge.
Chez vous qui serez vieux s'assoiera souriant.
Et vous ferez encore avec lui le voyage,
Encore vous verrez le pays d'Orient;
Puis lorsqu'au souvenir s'unira comme un frère
L'espoir, fuyez alors déliés d'une terre
Où les plus doux climats sont hantés des ennuis.
Aux éternels amours, les cieux infranchissables,
Préparent, plus nombreux, plus dorés que les sables,
Les caravansérails du désert bleu des nuits.
220

ÈPITHALAME DE NORMANDIE ET DE PROVENCE

A Mme
HONORAT.

Vivez
prospères,
Etgardez
purslagloire
etlesangdevospères.
CAZALIS.

La tendresse aux confins des coeurs par un beau soir


Errait comme un arome autour d'un encensoir;
L'heure auguste invitait aux heureux sacrifices,
Les époux en chantant élevaient deux calices,
Qui des dons de leurs coeurs étaient pleins jusqu'au bord.
L'époux au coeur vaillant et doux parla d'abord :

L'ÉPOUX
S'il n'est pas à l'amour de lointain sur la terre,
Et si son vol immense ignore la frontière,
Si les monts et les eaux n'ont jamais arrêté
Le tendre élan du coeur vers le coeur emporté,
Venez où la douceur d'un ciel clair vous devance,
Je vous donne ma terre illustre, ma Provence.
221

L'ÉPOUSÉE
Je vous donne les fleurs des paradis normands,
L'ombre que le poirier tisse à mes jeunes ans ;
Je vous donne au printemps les floraisons écloses
Autour des pommiers noirs, ronds en coupoles roses;
Je vous donne le fruit automnal du verger.

L'ÉPOUX
Les fleurs de nos lilas et de nos orangers
Embaumeront vos jours de leurs parfums légers;
A vous l'enchaînement si bleu de nos montagnes
Que frange à leurs sommets le parasol des pins,
L'arche des aqueducs à travers les campagnes
Cheminant de la grève aux contreforts alpins,
Les flots au pied des monts, la neige au haut des cimes !

L'ÉPOUSÉE
A vous nos chemins creux, leurs ombres sont intimes.

L'ÉPOUX
Moi je vous offrirai l'ombre de l'olivier ;
Cet arbre n'est jamais stérile et solitaire...
Près de lui ses rejets prennent racine en terre :
Nous en couronnerons la table et le foyer.
222

L'ÉPOUSÉE
A vous soient mes parents, mon frère aîné, ma mère;
Mon absence pour eux sera sans doute amère ;
Je devrais leur rester pour tant de biens reçus,
Pour tant de soins aussi que je n'ai jamais sus ;
Sans doute ils vont sentir de cruelles alarmes.
Faut-il que ma corbeille ait pour perles leurs larmes ?
Mais ces pleurs, gardez-les dans les écrins du coeur!

L'ÉPOUX
Ma famille est la vôtre, et votre amour vainqueur
A reçu de ma mère une blanche couronne.

L'ÉPOUSÉE
Auprès d'elle, que sont mes biens? Je vous les donne.
L'ÉPOUX
Je vous donne les fruits des ans laborieux,
Et ce trésor aussi que, longtemps à l'avance,
J'ai gardé d'un sang pur hérité des aïeux!

L'ÉPOUSÉE
Ah ! souffrez qu'en vos dons ma beauté vous devance,
Mes pères me l'ont faite et vous la tiendrez d'eux.
223

L'ÉPOUX

Je vous fais de ma vie un don impérissable.

L'ÉPOUSÉE

Que l'oeuvre et les destins soient communs entre nous.

L'ÉPOUX

Je n'ai jamais reçu pour d'autres que pour vous


La faculté d'aimer, puissance inépuisable.

L'ÉPOUSÉE

A vous ma conscience, et je vous donne encor


Ce qui me joint à vous mieux que votre anneau d'or :
La foi de Jésus-Christ.

L'ÉPOUX

C'est pour un jour qu'on aime,


Si l'on ne vient d'abord embrasser son autel.
Mais, pour que de cette heure à notre heure suprême
L'amour sans défaillir reste en nos coeurs le même,
Je vous donne mon Dieu, qui le fait immortel.
224

BULLE DE SAVON

Acelleducoeur.

Un cercle gracieux l'entoure, elle s'envole


Brillante comme un ciel, pure comme un symbole,
On retient son haleine en la voyant passer,
Et l'on parle tout bas de peur de la froisser,
Tant qu'on y voit durer les tremblantes images
De ces grands yeux d'enfants, de ces jeunes visages,
Qui près d'elle groupés sourient à son essor,
Et, quand elle n'est plus, la regardent encor...
Hélas ! évanescente et volatilisée,
Elle a fui comme un songe au chemin des cieux clairs,
Et nul ne s'en souvient... que la fleur épuisée
Qui sent une fraîcheur et croit qu'une rosée
Tombe du haut des airs.

Telle est la poésie; elle aussi, de la terre,


S'élance non sans grâce et monte avec mystère,
Orbe pur où se moule un rêve harmonieux
Comme un souffle la crée, un souffle aussi l'altère ;
225

Un souffle peut troubler son essor radieux!


Pourtant, j'en sais d'heureux et qui reçurent d'elle
Le prestige léger de la gloire mortelle,
Dont les noms tardent, plus que d'autres, à périr!
S'il est l'orbe sacré que rien ne peut flétrir,
Que mon vers, dans l'azur, peignant votre visage.
A travers l'avenir emporte votre image!
Si fragile, au contraire, il cède au temps vainqueur
Qu'il soit encor pareil à la bulle irisée,
Qu'il se transforme en perle, et comme une rosée
Tombe dans votre coeur!

13-
226

ARMOIRIES NUPTIALES
AMme la Vtesse
DU MOTEY.
« d'urgent
à l'oranger
desinople,
fruitéd'or.»

Comme le chèvrefeuille au tronc noueux du chêne,


Comme un gai liseron sur un saule argenté,
Comme l'azur qui dort en un lac enchanté,
Comme auprès d'une grâce une grâce prochaine;

Comme au semis léger de perles qu'elle égrène,


Un chant de mandoline égaie un andante,
Comme une bienveillance achève une beauté,
Comme à la souvenance un espoir qui s'enchaîne.

Tel votre accord nous plaît, frères harmonieux,


Oranger de l'épouse, oranger des aïeux,
L'un que nous désirons, isolés que nous sommes,

L'autre, écrit par l'histoire, au blason paternel,


Arbre d'honneur, où l'or héraldique des pommes
Embellit et parfume un sinople éternel.
227

AMOUR VEILLEUR

AFernand
ENGERAND.

Quand l'artiste qui tombe abandonne au destin


Son oeuvre qu'il aimait, nul ne veille sur elle
Et la mémoire perd l'écho du vers lointain,
Les soleils assidus font pâlir l'aquarelle.

L'airain verdit, la mousse aux marbres s'amoncelle :


Le soir est oublieux des chansons du matin,
La langue change et meurt... pauvre gloire que celle
Qui n'a pas dans une âme un asile certain !

Mais au solide honneur celui-là peut prétendre,


Qui forme à son image un coeur docile et tendre
Et reçoit d'une épouse un immortel soutien.

Qu'un autre au soin peu sûr des foules se confie


Et livre à leurs dédains l'oeuvre qu'il édifie :
Tu préposes l'amour à la garde du tien.
228

AMOUR ET AMITIE

c'estla veilleuse
L'amitié
LouisRAMBAUD.

et à sa fiancée.
LOUVEL
A Georges

Quand vous êtes la poésie,


Que me demandez-vous des vers ?
Qu'importe au ciel des matins clairs,
La lampe de la nuit transie ?

Que peut l'amitié pour l'amour ?


Elle offre à plus opulent qu'elle.
Que fait au chêne l'humble airelle
Ou l'oeillet sauvage à la tour ?

Amour, c'est toi le bien suprême !


A toi que pourrai-je ajouter ?
Il n'est qu'à toi de te chanter,
Amour, couronne-toi toi-même.
229

Couronne-toi d'enfants joyeux,


De vie immortelle et de roses,
De blonds garçons, de filles roses,
Des fleurs de la terre et des cieux,

De la gloire des deux calices


Où chacun a mis son trésor
De tendresse, de sang et d'or,
Et l'offre en joyeux sacrifices.

De la merveille de n'avoir,
En deux corps, qu'un esprit, qu'une âme,
A deux, le même sort que trame
La constance d'un seul vouloir,

D'éterniser l'être éphémère.


De l'apaiser dans l'unité,
Et de créer la Trinité
Du fils, du père et de la mère...

Prolixe amitié, c'est assez,


C'est trop t'écarter de ton rôle !
Il n'est trésors en ta parole,
Qu'amour déjà n'ait surpassés.
230
Tais-toi, reste la fleur exquise,
Mais discrète, dans le bouquet,
Que l'amant s'en pare au banquet,
Si par l'amante elle est admise.

Myosotis de l'amitié,
Qui scintille dans l'herbe grêle,
Tigelle débile, azur frêle,
Ne te flétris pas par pitié,

Par pitié pour le solitaire,


Pour les époux que l'âge a mis
Dans l'état de très vieux amis
Sur le point de quitter la terre.

Dans leurs soirs, amitié, tu luis,


Avec des douceurs de pervenche
Comme une étoile fine et blanche
Qui point dans le désert des nuits.

Quand on est pauvre et dans l'attente


Des surprises que garde un Dieu,
Si l'on n'a plus qu'un petit feu,
Pour peu qu'il chauffe, on s'en contente.
231

L'amour, c'est le soleil d'été,


Mais l'amitié, c'est la veilleuse ;
On passe en la saison frileuse
De bons quarts d'heure à sa clarté.
232

LA FEMME
A Adrien
REMACLE.

Univers, unité, diversité des choses,


Qui jamais ne cessez dans vos métamorphoses
D'exprimer d'âge en âge un modèle éternel,
Créations sortant du chaos paternel.
Étoiles, fleurs des champs qui buvez les rosées,
Colombes sur le faîte aérien posées,
Perles qui constellez le lit des flots amers,
Lumineuse blancheur, azur pourpré des mers,
Campagnes qui chantez au réveil de l'aurore,
Ondoyantes forêts, monts que le soleil dore,
Parthénon au front pur d'une aube environné,
Homme au front souverain vers les astres tourné,
Fragments épars du beau que l'oeil mortel divise,
Vous êtes rassemblés dans la femme, oeuvre exquise,
OEuvre où tout l'agrément des choses résumé,
Se couronne de grâce et désire être aimé.
Mais, ô très digne objet d'un haut amour, pardonne
Si, près de t'adorer, je pense au Créateur ;
La femme est le bienfait, Dieu c'est le bienfaiteur;
Il faut baiser, avant le don, la main qui donne.
233

L'EPEE A LA MER

AuBronLouisRAMBAUD.

Quand Arthur défenseur dernier de l'Armorique


Des grandeurs d'ici-bas dut prendre les chemins,
Il voulut épargner à son glaive héroïque
L'opprobre de tomber en de chétives mains,
Et confiant aux flots l'instrument de sa gloire :
« Prends, dit-il, écuyer, prends cet illustre fer!
Et tu le jetteras du haut d'un promontoire,
Dans l'immensité de la mer! »

Courbet, comme l'Arthur de l'antique épopée,


Mourant, à l'Infini fit un suprême appel ;
Il vit la gloire vaine et la force trompée
Et plus rien ne rester que la mer et le ciel.
Sollicité deux fois à pardonner l'injure
Par les deux majestés des flots et du ciel bleu,
Il jeta son épée à la mer sans mesure,
A l'amour sans borne de Dieu !
234

DERNIER AMOUR

C'en est fait, ton destin s'achève,


Eurydice, fleur de beauté,
Et tu pâlis comme un doux rêve
Dans l'oubli furtif emporté...

Mais c'est une aube qui t'efface.


Si tu meurs, c'est au seuil des cieux !
Je vois s'éteindre tes grands yeux,
Je vois apparaître la face

De l'Eternel qu'en toi j'aimais,


Et qui seul devra désormais,
Occuper mon coeur immuable,

Après avoir, dans l'univers,


Tenté le regard au travers
De l'apparence périssable.
TABLE

Sonnet liminaire I

I. — DANSL'AUBE
DESJOURS
La Croix 5
Khnoum 6
Le paysagede Giseh 7
Mycérinos 8
Sur la grande pyramide 9
La tombe de Ti 10
Saqqarah. 11
Chant de pleureuses 12
La momie 14
Harmakhis 16
Thermonthis 17
Paroles de Thermonthis 18
Inquiétude de Thermonthis 19
Chant du sacrifice 20
Méroé 22
Au passantdu Kaire. 23
La revanchede Cartilage 24
236

II. — TABERNACLES
DESEM
Le sein d'Abram 29
Abram 30
L'ancienneJérusalem 31
Le temple de Jérusalem 32
Lemont Saint-Michel 35

III, — SOUVENIR
D'HOMÈRE

Voix dans la nuit 39

IV. — AUFAITEDESTEMPS

L'étoile des mages 45


Hommage de l'aube 46
La source 47
Nazareth 49
Paulamdixere priores 50
Retraitedes mages 51
L'évangiledes nuits 52
Les deux sommeils 59
Calvaireprès des flots 62
L'éclipsede l'an XXXIII 63
Sur une estampede Mantegna 64
Les deux arcs 65
Courtisanejuive 66
Les pleurs des Juifs 67
Là! 68
Sur le mont des Olives 70
257

V. — AUSONDESTROMPES
FÉODALE
ÉPOQUE
Les cheminscreux 73
Le théâtre de Jublains 76
Gloire du cerf 77
Mort du cerf. 78
Pitié de la dame 79
Réveilde la dame 80
Chasse au cygne 81
Divertissementcynégétique 82
Le sapintombé 83
Une rencontre 84

VI. — LESASSISES
DEPIERRE
ROMANE
ÉPOQUE
Le puits byzantin 87
Ombre et silence 90
Le rocher de Carolle 91
Indifférence 93
Sécurité 94
Acédia 95
Dans la nef. 96
Le châteaude Talvas 97
Le donjon 103
Le pilier de saint Fulbert 105
La cité 109
Le logis 110
Lesblasons 114
L'alchimiste 115
238

VII — AUCHANT
DESORGUES

Résurrectiondes bois 123


Les margelles 124
Terreur 125
Chartres 126
L'égliseogivale 127
128
L'épopéedu temple
A du Bartas 139
Au blesséd'Ivry 140

VIII.— CHANTS
DEVAUCOULEURS

Le mont archangélique 143


La harpe de PhilippeLecat 144
A Jeanne d'Arc 145
La Viergepacifique 146

IX. — LEBRUITDUTORRENT
CONTEMPORAINE
ÉPOQUE

Le fleuvedes jours 148


Dans le silencede la nuit 149
Les archives 151
Funéraillesindigentes. 152
L'ex-voto 153
La tour de trois cents mètres 154
Les expulsés 155
239
Le villageabandonné 159
Les présages 163
Après l'épreuve 170
L'inerrance 172

X. — BRISESDUTEMPSFUTUR

Prédicationde la ruine 175


Apostolatdes débris 176
Style futur 177
L'égliseimpalpable 178
A celui qui peint dans un monastère 179
Aux moinesdu Val-Dieu 181
Le beffroi 182
Les yeux taris 183
Impression 184
Le vent qui passedansles hauteurs 185
Les lampesdes eaux 187
Les nénuphars 188
Impatience 189
La nature 190
L'art sacrificateur 191
Chant sur les mers 192

XI. — POURLESHEUREUX

Sur un tableaude Puvis de Chavannes 197


Les surprisesdu réel 200
240

Relique 203
L'élue 205
Du Bartas 208
Lacordaire 209
Au trouvèreAlexandre 210
Au même 211
Fleurd'Orient 212
A MlleL 213
A deux qui s'aimèrent sous les palmiers 214
Épithalamede Normandieet de Provence 220
Bulle de savon 224
Armoiriesnuptiales 226
Amour veilleur 227
Amour et amitié 228
La femme 232
L'épée à la mer 233
Dernier amour 234

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Chartres. rueFulbert.
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