Le document décrit les événements de la création selon la Genèse de manière humoristique et critique, notamment le fait que Dieu s'ennuyait au début et a créé le monde de façon progressive plutôt que d'un seul coup. L'auteur adopte un ton moqueur envers la Bible.
100%(2)100% ont trouvé ce document utile (2 votes)
712 vues255 pages
Le document décrit les événements de la création selon la Genèse de manière humoristique et critique, notamment le fait que Dieu s'ennuyait au début et a créé le monde de façon progressive plutôt que d'un seul coup. L'auteur adopte un ton moqueur envers la Bible.
Description originale:
Le meilleur et le plus célèbre livre anticlérical de Leo Taxil de l'année 1897
Le document décrit les événements de la création selon la Genèse de manière humoristique et critique, notamment le fait que Dieu s'ennuyait au début et a créé le monde de façon progressive plutôt que d'un seul coup. L'auteur adopte un ton moqueur envers la Bible.
Le document décrit les événements de la création selon la Genèse de manière humoristique et critique, notamment le fait que Dieu s'ennuyait au début et a créé le monde de façon progressive plutôt que d'un seul coup. L'auteur adopte un ton moqueur envers la Bible.
Téléchargez comme PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 255
1
Lo Taxil - La Bible amusante
Donnant les citations textuelles de l'criture sainte et reproduisant toutes les rfutations opposes par Voltaire, Frret, lord Bolingbroke, Toland & autres critiques.
TABLE DES MATIRES -------------------------------------------------------------------------------- DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE. ....................................................................... 2 1. LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE. ............................................................... 4 2. COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES. ......................................................... 23 3. LES ANGES EN CONCUBINAGE SUR TERRE. ............................................................ 27 4. NOYADE GNRALE DE L'HUMANIT. ..................................................................... 34 5. HEUREUSE VIE D'UN PATRIARCHE BIEN-AIM. ..................................................... 40 6. UNE FAMILLE VOUE LA MULTIPLICATION. ...................................................... 58 7. MOSE ET LE VOYAGE DE QUARANTE ANS. ........................................................... 80 8. LES EXPLOITS DE JOSU ET DE GDON. .............................................................. 102 9. LES JUGES JEPHT ET SAMSON. ............................................................................... 111 10. SUAVE IDYLLE DE LA BELLE RUTH. ...................................................................... 122 11. HISTOIRE DE SAMUEL, AVANT LA ROYAUT. .................................................... 125 12. SAL, PREMIER ROI, ET SON RIVAL DAVID. ........................................................ 134 13. GLORIEUX RGNE DE S. M. SALOMON. ................................................................. 176 14. LES DEUX ROYAUMES: ISRAL ET JUDA. ............................................................. 193 15. PENDANT ET APRS LA CAPTIVIT. ....................................................................... 233 --------------------------------------------------------------------------------
2
DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE. Trs Saint-Pre, On dit que vous n'tes pas content, depuis le 19 avril de cette anne, la vingtime de votre glorieux pontificat. Le dnouement inattendu de ma joyeuse mystification vous a mis, assure- t-on, en grande colre, comme un simple pre Duchesne; car, savoir qu'on a t mystifi pendant douze ans par un libre-penseur sceptique est chose minemment dsagrable, quand on est le reprsentant de l'Esprit-Saint, quand on est directement et de faon permanente inspir par le divin pigeon; mais savoir que cette postu re ridicule est connue du monde entier, voil le comble du dsagrment, voil ce qui vexe au suprme degr. O mon pape, quelle tuile pour le dogme de votre infaillibilit!... Un fumiste Marseille s'est pay votre vnrable tte; horreur! Et il avait pris ses mesures pour que sa fumisterie se termint en clatant comme une bombe, avec un vacarme retentissant dans la presse des deux hmisphres; maldiction! Joachim, mon vieux Joachim, je comprends votre saint courroux. Il me semble voir votre grimace, la lecture de cet amusant article dans lequel Henri Rochefort rsuma si bien la situation: Ce trs saint-pre, qui a reu le fumiste en audience particulire, ne peut contester avoir t de mche avec lui; sans quoi, son infaillibilit, dont il a fait un dogme, serait immdiatement rduite en poussire. Du moment o il ne s'est pas aperu du tour que se disposait lui jouer son visiteur, que devient cette lumire d'en haut sur laquelle repose, aux yeux des gteux du catholicisme, tout le pouvoir des successeurs de saint Pierre? Lo Taxil s'est fichu de lui, mais lui se fichait de nous; et si le premier a, pendant douze ans, fait avaler ses blagues aux vques, le second nous ingurgite les siennes depuis douze sicles. Ou le nomm Pecci n'est pas plus infaillible que vous ni moi, et il ne lui reste qu' donner, sans dlai, sa dmission de reprsentant d'un dieu qu'il ne reprsente en quoi que ce soit; Ou, tant infaillible, il s'est constitu l'associ d'un blagueur dont il se servait pour soutirer l'argent des adversaires de la franc-maonnerie; auquel cas, il n'y aurait plus qu' charger les gendarmes d'aller l'arrter dans son palais, pour abus de confiance et soustraction frauduleuse.
Trois fois hlas! mon vieux Joachim, voil le dilemme qu'un illustre pamphltaire vous a pos, au milieu des bravos de la galerie. Et de Paris New-York, de Londres Montevideo, la presse universelle a rpt le dilemme; et partout les applaudissements ont retenti, partout on s'est esclaff de votre confusion, de partout les pieds de nez se sont esquisss, moqueurs, dans la direction de votre triple couronne. Et vous vous demandiez, le treizime des sacrs Lons, si ce n'tait point l un cauchemar!... De cauchemar, point. Vous tiez bien veill, et le formidable clat de rire qui secoua le globe tait l'irritante ralit. Trs Saint-Pre, je vous dois une consolation. Le flot de l'impit grossit tous les jours; c'est une vritable mare qui monte, monte sans cesse. Dans la chre France, qui est la fille ane de l'glise, l'enseignement a t lacis depuis bien des annes dj; de telle sorte que les nouvelles gnrations qui s'lvent dans les coles de l'tat ne connaissent pas le premier mot de l'Histoire Sainte. En plusieurs circonstances, j'ai constat, avec une douleur indicible, que des jeunes gens ignorent les difiantes aventures d'Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Mose, Josu, Gdon, Samson, Samuel, Booz, Sal, David, Salomon, Elie, Elise, Jonas, Ezchiel, Esther, Tobie, Judith, Daniel, etc., etc. De ces noms clbres et vnrs, ils ont tout au plus une vague ide. 3
A la question qu'un digne prtre posa nagure: Connaissez-vous les Macchabes? il fut rpondu: Trs peu; je ne suis all que deux fois voir la Morgue. Un tel tat de choses est navrant. O irons-nous, juste ciel, si la connaissance des pieux pisodes de la Bible se perd, si les crits inspirs autrefois par le divin pigeon tombent dans l'oubli?... Il est temps de ragir, Trs Saint-Pre. C'est pourquoi j'entreprends une nouvelle dition des Saintes critures. Je n'omettrai rien, et je tcherai de rendre cette lecture aussi attrayante que possible. Vous verrez a. A mon prochain voyage Rome, je solliciterai de votre auguste main encore une bndiction spciale, ajouter ma prcieuse collection. Si cependant, vous en rapportant moi, vous daignez m'envoyer cette bndiction de premier choix, sans attendre ma visite, Trs Saint-Pre, ne vous gnez pas. La joie de vous avoir mystifi ne diminue en rien mon zle pour la diffusion des grandes vrits ternelles, qui sont la base de la religion sublime dont vous tes le pontife souverain. Je ne dis pas que ma Bible Amusante contribuera beaucoup raffermir la foi; mais elle aura nanmoins un avantage incontestable: en pntrant parmi les victimes de l'tat lacisateur, en se faisant lire de ceux qui maintenant ignorent ou ne connaissent que vaguement toutes ces belles choses, elle leur rvlera ce qu'il est ncessaire de croire pour avoir le droit de se dire fils de l'glise catholique, apostolique et romaine. Si, aprs a, quelques-uns veulent admettre qu'il est possible un homme de vivre trois jours dans le ventre d'une baleine, sans parler des autres miracles bibliques, vous me devrez, mon vieux Joachim, de chaleureux remerciements pour vous avoir valu des recrues inespres. Alors, sans rancune au sujet de ma mystification, n'est-ce pas?... Ce livre vous aura consol, et nous redeviendrons bons amis, comme avant le 19 avril. Voyons, ne te fais pas prier, Lon. Envoie-moi un petit -compte de bndiction, par retour du courrier. Paris, le 20 juin 1897 - Lo Taxil.
4
1 CHAPITRE
LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE
Or, apprenez donc ce que l'esprit de Dieu dicta Mose, prtendu auteur sacr, qui est attribue la Gense, premier livre de l'criture Sainte; et vous constaterez, chaque instant, que l'esprit de Dieu, moins d'tre d'une ignorance crasse, est fumiste, essentiellement fumiste, plus fumiste que l'inventeur de la grande-matresse palladiste Diana Vaughan. Dieu est de toute ternit; mais, au commencement des temps, il tait seul dans le nant. Rien n'existait, sauf lui, s'appelant alors Elohim, nom hbreu sous lequel il est dsign par le premier verset de la Bible; et ce nom est un pluriel, ce qui est bien singulier pour un monsieur tout seul. Donc, Elohim, qui est aussi Jhovah, Sabaoth, Adona, ainsi que nous le verrons plus loin, Elohim s'embtait (ou s'embtaient) six francs par tte au milieu de son chaos; tohu- bohu est le terme biblique, tohu-bohu qui signifie sens dessus dessous. L'ternit tant dmesurment longue, matre Elohim s'embta pendant des milliards et des milliards de sicles. Enfin, il eut une ide: tant Dieu, c'est--dire tout-puissant, il jugea que s'embter toujours sans rien faire serait le comble de la btise, et il rsolut de crer. Il aurait pu tout crer d'un seul coup. Eh bien, non; mieux valait prendre son temps, lui se mbla-t-il. Et il fit le ciel et la terre, ou, pour mieux dire, la matire apparut sous le simple effort de sa volont; une matire informe, vide, confuse, encore tohu-bohu, et pleine d'humide. Et le vent de Dieu courait sur les eaux (textuel); le lecteur n'est pas forc de comprendre. Afin de ne pas commettre de gaffes, il tait ncessaire, avant tout, de voir clair; d'o l'on est en droit de conclure que, pendant les mille milliards de sicles prcdents, ce pauvre papa Bon Dieu tait dans la plus complte obscurit. Heureusement, il ne se cogna jamais le nez nulle part, puisqu'il n'y avait rien du tout. Que la lumire soit! commanda l'ternel. Et la lumire fut. Quelle tait cette lumire? La Bible ne le dit pas; elle se borne nous apprendre ceci: Dieu vit que la lumire tait bonne . Il en fut satisfait, par consquent. Son premier soin fut alors de sparer la lumire d'avec les tnbres ; inutile encore de chercher comprendre. Et Dieu nomma la lumire, Jour; et les tnbres, Nuit . Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin. Tel fut le premier jour de la cration. Aprs quoi, papa Bon Dieu s'occupa de crer... devinez quoi... l'tendue, ou, si vous aimez mieux, l'espace. Pour peu qu'on veuille y rflchir, il est clair que l'espace existait de tout temps, mme en supposant une poque o il n'tait meubl d'aucune toile, d'aucune plante. Nanmoins, l'tendue fut cre aprs la lumire, quoique cre soit ici un terme impropre. La Bible, trs embrouille dans son premier chapitre, nous a enseign, nous venons de le voir, qu'au dbut de la cration Elohim fit le ciel et la terre en tohu-bohu, avec de la matire informe et des masses d'eaux confuses sur lesquelles le vent de Dieu courait; et voici comment le livre sacr explique cette seconde opration, la formation de l'tendue: Dieu cra l'tendue et spara les eaux qui sont au-dessus de l'tendue d'avec celles qui sont au- dessous de l'tendue; et ainsi fut. (Gense 1:7) Quelques commentateurs disent qu'il s'agit de l'atmosphre. En tout cas, on lit au verset 8: Et Dieu nomma l'tendue, Cieux. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le deuxime jour. Quoi qu'il en soit, il ressort de ceci que l'Esprit-Saint conta l'auteur une superbe blague et abusa de sa navet. Cette histoire d'eaux au-dessus et d'eaux au-dessous est la reproduction d'une grosse erreur des peuples primitifs. En effet, tous les anciens croyaient que les cieux taient quelque chose de solide, de ferme, d'o le nom de firmament , et mme on se 5
les imaginait en cristal, attendu que la lumire passait travers; et l'opinion tait qu'au-dessus de cette plaque solide, de ce firmament, il y avait un immense rservoir d'eau. Aujourd'hui, nous savons que la pluie est l'eau attire, pompe par le soleil, devenue vapeurs, nuages, et retombant ensuite sur terre; mais autrefois on croyait que la pluie venait du grand rservoir suprieur; on supposait des sortes de fentres s'ouvrant et se refermant la plaque du firmament et produisant ainsi les pluies. Et cette opinion, qui maintenant nous fait rire, fut en cours fort longtemps; c'est le sentiment d'Origne, de saint Augustin, de saint Cyrille, de saint Ambroise et d'un nombre considrable de docteurs des premiers sicles du catholicisme. Le fumiste Esprit-Saint se moquait d'eux. Enfin, passons. Le troisime jour fut employ par papa Bon Dieu un travail dont les rsultats sont plus apprciables que ceux des jours prcdents. Il abaissa ses regards sur les eaux de l'au-dessous, et il se dit qu'il serait utile de les rassembler, de faon faire apparatre des parties sches, c'est--dire des continents. Alors, les eaux, trs obissantes sa volont, se runirent part, des profondeurs s'tant creuses pour leur amas; par contre, des hauteurs se formrent, hrissant de montagnes la surface de la matire solide, tandis que le liquide roulait en flots lents ou prcipits vers les gouffres nouveaux. Et Dieu nomma le sec, Terre; il nomma aussi l'amas des eaux Mers. Et Dieu vit que cela tait bon. Il est remarquer que papa Bon Dieu tait, le plus souvent, content de sa besogne. Nom d'une pipe! devait-il se dire, ce que j'ai t moule de ne pas avoir cr cela plus tt! Ce jour-l, il fut tellement satisfait de ses continents et de ses mers, qu'il voulut faire encore quelque chose avant la tombe de la nuit. Que la terre pousse son jet, dit-il, savoir, de l'herbe portant semence, et des arbres fruitiers portant du fruit chacun selon son espce, qui aient leur semence en eux-mmes sur la terre. Et ainsi fut. (1:11) On ne saurait trop admirer cette dlicate attention du Crateur. Impossible d'tre plus plein de prcautions que lui. En effet, on se demande ce que serait la terre, si Dieu l'avait plante d'arbres fruitiers portant chacun des fruits autres que ceux de son espce. Remercions le paternel Elohim de ne pas nous avoir donn des abricotiers produisant des oranges, des orangers produisant des pommes, des pommiers produisant des groseilles, etc.; ce serait ne plus s'y reconnatre. Ah! oui, remercions Dieu; quel bon papa prvoyant!... La terre lui ayant obi et les abricotiers ayant pouss en portant des abricots, Dieu, encore une fois, vit que cela tait bon. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le troisime jour . Mais voici bien une autre histoire! Trois jours dj s'taient couls avec soir et matin, grce la lumire cre ds le dbut: seulement, ce qui est bizarre, cette lumire qui disparaissait la fin du jour pour faire place aux tnbres de la nuit, cette lumire illuminait le monde naissant, sans avoir aucun foyer; pas plus de soleil qu'au fond d'une mine de houille. Cette cocasserie mrite une citation textuelle de la Bible: 14. Puis, Dieu dit: Qu'il y ait des luminaires dans l'tendue des deux, pour sparer la nuit d'avec le jour, et qui servent de signes, et pour les saisons, et pour les jours, et pour les annes; 15. Et qui soient pour luminaires dans l'tendue des cieux, afin de luire sur la terre; et ainsi fut. 16. Dieu donc fit deux grands luminaires: le plus grand luminaire, pour dominer sur le jour, et le moindre, pour dominer sur la nuit; il fit aussi les toiles. 17. Et Dieu les mit dans l'tendue des cieux, pour luire sur la terre: 18. Et pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour sparer la lumire d'avec les tnbres; et Dieu vit que cela tait bon. 19. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le quatrime jour. Aucun quiproquo, n'est-ce pas? il s'agit bien du soleil et de la lune. Par consquent, d'aprs l'Esprit-Saint, la cration du soleil a suivi de quatre jours la cration de la lumire! Or, 6
l'Esprit-Saint sait tout, videmment; sinon, il ne serait pas l'Esprit-Saint, mais un simple imbcile. Chaque fois que la science fait une dcouverte, l'Esprit-Saint doit rire dans son bec de pigeon et se murmurer en lui-mme: Moi, je sais a de toute ternit; ces pauvres pygmes d'hommes se donnent grand mal pour savoir ce qui est! Mais alors, pourquoi l'Esprit-Saint a-t-il dict Mose encore cette colossale btise, propos de la lumire et du soleil?... Quel fumiste, dcidment!... En effet, jusqu' Olas Rmer, astronome de Copenhague, qui vivait au dix-septime sicle (1644-1710), on a cru que le soleil ne produit pas la lumire, mais que la lumire existe dans l'espace et que le soleil ne sert qu' la pousser ; cette fausse conception physique a t une erreur de Descartes lui-mme. C'est Rmer que la science doit la dmonstration de cette importante vrit, directement contraire l'nonc de la Bible, c'est--dire: la lumire qui claire notre monde mane du soleil et sa propagation n'est pas instantane. Le grand astronome danois en arriva mme dterminer exactement la vitesse de la lumire solaire; il tablit, et ceci est mille fois prouv aujourd'hui, que cette lumire met huit minutes dix-huit secondes nous parvenir de l'astre qui en est le foyer, soit une vitesse de 308, 000 kilomtres par seconde. On sait que Rmer fut amen cette grande dcouverte par l'observation des clipses des satellites de Jupiter, plante faisant partie de notre systme solaire. Rmer tait alors en France, et il s'empressa d'annoncer sa dcouverte l'Acadmie (Voir l'Histoire de l'Acadmie, sance du 22 novembre 1675) On peut dire encore, avec Voltaire: Si Dieu avait d'abord rpandu la lumire dans les airs pour tre ensuite pousse par le soleil, et pour clairer le monde, elle ne pouvait tre pousse, ni clairer, ni tre spare des tnbres, ni faire un jour du soir au matin, avant que le soleil existt; cette thorie est contraire toute physique, et toute raison. Mose, fort ignorant en astronomie, s'est donc laiss berner par l'Esprit-Saint; car le divin pigeon savait, au temps o fut crite la Gense, ce que Rmer devait dcouvrir en 1675. On remarquera aussi le peu d'importance qu'ont les toiles, dans la cration selon la Bible. Les deux grands luminaires sont le soleil et la lune; la lune! qui n'est qu'un satellite de notre plante terrestre! L'ignorante Gense est bien loin de se douter que lune; terre, et mme soleil, sont fort peu de choses dans l'univers; que notre brillant soleil, astre central du monde que nous habitons, est une modeste toile, une des innombrables toiles qui composent la voie lacte. L'auteur sacr ne voit que la terre et rapporte tout la terre, infime plante qui, en ralit, tourne autour d'une toile de septime grandeur; et cette toile-soleil, le pitre crivain la fait dpendre, astronomiquement, de sa plante! Ah! l'infortun Mose serait bahi, s'il ressuscitait de nos jours. Je m'imagine quelle tte il ferait, si, venant s'instruire, en n'importe quel observatoire d'Europe ou d'Amrique, il apprenait, par exemple, ce qu'est Sirius, toile de premire grandeur: Sirius, la plus belle et la plus brillante des toiles du ciel, sur laquelle l'Esprit-Saint ngligea d'appeler son attention; Sirius, dont la lumire met prs de vingt-deux ans nous arriver, sa distance la terre tant de 52,174,000 millions de lieues, soit 1,373,000 fois la distance du soleil la terre. Que dirait le pauvre Mose, le jour o on lui rvlerait l'importance prodigieuse, dans l'univers, des autres mondes solaires qu'il ne souponna mme pas? Supposez le professeur enseignant simplement ceci Mose, d'aprs Humboldt: Quoique placs une si grande distance, Sirius et notre soleil appartiennent la mme couche d'toiles, isole dans les espaces clestes, une le d'toiles dans l'univers; et cette Ile de mondes et de soleils, de forme aplatie, lenticulaire, a dans son grand axe huit cents fois la distance de Sirius la terre; et, cependant, elle n'est qu'une petite couche, extrmement mince, si on la compare aux grandes couches, paisses et profondes, et incomparablement plus riches en toiles et en soleils, qui l'environnent. Mose, qui a bnvolement cru que la terre est le centre de l'univers cr par Dieu, en deviendrait fou. Revenons la cration selon la Bible: 7
20. Puis, Dieu dit: Que les eaux produisent en toute abondance des animaux qui se meuvent et qui aient vie; et que les oiseaux volent sur la terre, vers l'tendue des cieux. 21. Dieu cra donc les grands poissons, et tous les animaux vivants et qui se meuvent, que les eaux produisirent en toute abondance, selon leur espce, et tout oiseau ayant des ailes, selon son espce; et Dieu vit que cela tait bon. 22. Et Dieu les bnit, disant: Croissez et multipliez, et remplissez les eaux dans les mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre. 23. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le cinquime jour. 24. Puis, Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espce; les animaux domestiques, les reptiles et les btes de la terre, selon leur espce; et ainsi fut. 25. Dieu donc ft des btes de la terre selon leur espce, les animaux domestiques selon leur espce, et les reptiles de la terre selon leur espce; et Dieu vit que cela tait bon. Oui-d, tout cela tait bon, et matre Elohim, qui a des mains, les frottait avec satisfaction. Mais il y avait encore mieux crer. Pas un de ces animaux ne me ressemble, et c'est dommage! pensa-t-il. J'ai cependant une belle tte, l'oreille fine, l'il vif, le nez spirituel, et de la dent! Je pourrais bien crer un miroir, dans lequel je me contemplerais; mais il vaut mieux, je crois, me contempler en regardant mon semblable... Allons, c'est dit; il faut absolument qu'il y ait sur terre un animal qui ait ma tte. Tandis que papa Bon Dieu se tenait ce raisonnement, il est prsumer que divers singes, de cration rcente, vinrent cabrioler autour de lui. Ils ont quelque chose de moi, dut-il se dire; mais enfin ce n'est pas a. La presque totalit de ces espces est orne d'une queue, et je n'ai pas de queue. Quant ceux qui sont dpourvus de cet appendice caudal... non, ce n'est pas a encore!... Et les singes grimaaient et continuaient excuter leurs mirifiques cabrioles. Alors, papa Bon Dieu prit un bloc de terre humide, et n le ptrit . Aprs cela, venez donc soutenir que Dieu est un pur esprit et n'a pas de mains! La Bible dit aussi que Dieu, ayant form l'homme, lui souffla dans les narines une respiration de vie . Voil donc le premier homme ptri, puis anim grand renfort de postillons. C'est ainsi que l'homme fut fait en me vivante . Il est un passage, peu clair, du premier chapitre de la Gense, le verset 27, qui a donn croire quelques commentateurs occultistes que, de prime abord, l'homme avait t cr hermaphrodite, mais que Dieu s'tait ensuite ravis. En effet, ce n'est qu' la fin du second chapitre qu'il est question de la cration de la femme; or, 25 versets plus haut, la Bible dit en toutes lettres: Dieu donc cra l'homme son image; il le cra mle et femelle l'image de Dieu. C'est ce verset, traduit littralement du texte hbreu, qui a donn naissance la lgende du Dieu Andr ogyne, trs accrdite dans les diverses coles occultistes; et, d'autre part, ce verset tant fort gnant, les traducteurs chrtiens ont toujours eu soin de l'altrer. Nanmoins, on aurait tort d'attacher trop d'importance cette fantaisie biblique; bien d'autres passages sont encore moins comprhensibles! Voyons plutt ce qui est gnralement admis. Ds la formation de l'homme, papa Bon Dieu le constitua roi de la cration. Il lui fit immdiatement passer en revue tous les animaux. Car l'ternel Dieu avait form toutes les btes de la terre et tous les oiseaux des cieux; puis, il les avait fait venir vers Adam, afin qu'il vt comment il les nommerait, et que le nom qu'Adam donnerait tout animal vivant ft son nom. On se rend compte de ce dfil; c'est Buffon, sans doute, qui aurait bien voulu tre la place d'Adam! Tu rempliras la terre et l'assujettiras, avait-il t dit Adam; tu domineras sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bte qui se meut sur la terre. En tant que 8
roi de la cration, l'homme n'a pas toujours le dessus, quand il a affaire un lion, un tigre, un ours, un crocodile; voil ce qu'on peut rpondre. Et non seulement les btes froces nous croquent; mais encore l'humanit est victime de mille insectes dsagrables, puces, punaises, scorpions, sans parler des jsuites et autres cafards. En outre, Dieu, qui avait cr les btes froces savourant le bifteck humain, ordonna l'homme d'tre vgtarien. Voici: je t'ai donn toute herbe portant semence et qui est sur toute la terre, et tout arbre qui a en soi du fruit d'arbre portant semence; ce qui te sera pour nourriture. Finalement, tout tant termin ou peu prs au soir du sixime jour, papa Bon Dieu, heureux et de plus en plus satisfait de son ouvrage, et peut-tre lgrement fatigu, inventa la sieste et donna l'homme l'exemple du repos en se reposant lui-mme, le septime jour, comme un bon gros rentier qui prouve le besoin de ne plus rien faire. Or, l'Eternel Dieu avait plant un jardin en Eden, du ct de l'Orient, et il y avait mis l'homme qu'il avait form... Et un fleuve sortait d'Eden, pour arroser le jardin, et il se divisait en quatre fleuves. Le nom du premier est Phison; c'est celui qui coule autour de tout le pays d'Evilath, o l'on trouve de l'or; et l'or de ce pays est bon; c'est l aussi que se trouve le bdellium et la pierre d'onyx. Le nom du second fleuve est Ghon; c'est celui qui coule autour de tout le pays de Chus. Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays des Assyriens. Et le quatrime fleuve est l'Euphrate. (Gense 2:8, 10-14) En entrant dans ces dtails, l'auteur de la Gense a voulu donner une ide approximative de l'emplacement du merveilleux Eden. Mais il aurait beaucoup mieux fait de ne rien dire; car il est impossible de se faire prendre plus sottement en flagrant dlit de gasconnade. En effet, tous les commentateurs s'accordent reconnatre que le Phison est le Phase, nomm plus tard l'Araxe, fleuve de la Mingrlie, qui a sa source dans une des branches les plus inaccessibles du Caucase, et, s'il y a dans cette rgion de l'or et de l'onyx, par contre personne n'a jamais pu dcouvrir ce qu'il fallait entendre par bdellium. D'autre part, il ne saurait y avoir aucune erreur au sujet des troisime et quatrime fleuves, le Tigre et l'Euphrate; d'o il rsulte clairement que, d'aprs la Gense, l'emplacement du paradis terrestre aurait t situ en Asie, dans la rgion du massif de l'Ararat, en Armnie, quoique (premire bvue de l'auteur sacr) Araxe, Tigre et Euphrate, tout en ayant leurs sources relativement voisines, les ont parfaitement distinctes. L'Araxe, loin d'tre driv d'un autre fleuve, sort du volcan Bingol- Dagh, d'o il coule vers la mer Caspienne. Quant au Tigre et l'Euphrate, non seulement ils ne proviennent pas d'un mme fleuve, mais au contraire ils se rejoignent Korna, pour former le C hat-el-Arab et se jeter dans le golfe Persique. Au su jet du deuxime fleuve, appel Ghon par la Gense, la bvue de l'auteur sacr est fantastique. C'est, dit-il, le fleuve du pays de Chus. Or, d'aprs la version des Septante et mme la Vulgate, la terre de Chus (fils de Cham et pre de Nemrod) n'est autre que l'Ethiopie; par consquent, ce Ghon, c'est le Nil, qui coule, non pas en Asie, mais en Afrique, et prcisment dans le sens oppos l'Araxe, au Tigre et l'Euphrate, la direction gnrale du cours du grand fleuve africain tant du sud au nord. Si l'on place la source du Nil au Victoria- Nyanza, ainsi qu'on l'admet pour ne pas remonter plus haut, il y a donc au minimum dix-huits cents lieues de distance entre les sources des premier et deuxime fleuves mentionns par la Gense comme arrosant le mme jardin d'Eden! Il est vrai que les deux autres n'ont leurs sources qu' soixante lieues l'une de l'autre; ce qui est dj gentil pour un jardin. En outre, est- ce un jardin que cet immense territoire hriss de pics des plus escarps, form d'une des rgions les p lus impraticables du globe?... Enfin, troisime bvue, et l'on pourrait appeler celle-ci: la bvue du bout de l'oreille. Les prtres, on le sait, prtendent que l'uvre de Mose est le Pentateuque, c'est--dire les cinq premiers livres de la Bible: la Gense, l'Exode, le Lvitique, les Nombres et le Deutronome. Mais les savants ont eu l'impit de faire des recherches, et leur opinion gnrale est que ces 9
livres ont t fabriqus par Esdras, au retour de la captivit de Babylone, dans le courant du cinquime sicle avant Jsus-Christ, tandis que Mose, en supposant qu'il ait exist et en admettant un instant comme authentiques les dates qui le concernent, vivait mille ans auparavant: naissance au pays de Gessen, en Egypte, en 1571 avant notre re, et m ort en Arabie, sur le mont Nbo, en 1451. Bossuet s'est indign des travaux de Hobbes, de Sp inoza et de Richard Simon contre l'authenticit des uvre de Mose; dire que le vritable auteur du Pentateuque est Esdras, c'est blasphmer, selon le fougueux vque: Que peut-on objecter, s'crie-t-il (Discours sur l'Histoire universelle), une tradition de trois mille ans, soutenue par ses propres forces et par la suite des choses? Rien de suivi, rien de positif, rien d'important! N'en dplaise Bossuet, le verset 14 du chapitre 2 de la Gense, entre autres exemples, donne une preuve clatante de la supercherie littraire et religieuse, et dmontre, net comme deux et deux font quatre, que la dite Gense ne peut pas avoir t crite par Mose. C'est dans ce Verset qu'il est dit: Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays des Assyriens. a y est en toutes lettres. Quelques traducteurs ont remplac les quatre derniers mots par: vers l'Orient d'Assyrie ; mais cela ne change rien. La question est celle-ci: Mose, mort en 1451 avant Jsus-Christ, ne pouvait pas employer les expressions Assyrie, Assyriens, par la bonne raison que l'empire assyrien, qui s'tendait la fois sur Ninive et Babylone et qui dura jusqu'au huitime sicle avant notre re, commena exister vers 1300, tout au plus. Les tmoignages d'Hrodote et du chalden Brose sont d'accord sur ce point et ont t confirms par les monuments. Les importantes dcouvertes accomplies depuis le commencement de notre sicle dans l'histoire des peuples de l'ancien Orient, avec l'aide des inscriptions en caractres hiroglyphiques et cuniformes, ne permettent plus aujourd'hui, mme dans les livres les plus lmentaires, de rditer les neries bibliques au sujet de cette premire partie des annales du genre humain. Les rsultats obtenus par les Champollion, les de Roug, les de Saulcy, les Mariette, les Oppert, les Rawlinson, les Lepsius, les Brugsch, etc., clairent l'histoire ancienne d'une lumire autrement certaine que les traditions colliges par le fumiste Esdras. Il est tabli que le fondateur de l'empire assyrien fut un prince nomm sur les monuments Ni nippaloukin, lequel vivait cent cinquante ans aprs Mose. D'autre part, la rgion qui fut appele Assyrie tait dsigne, du temps de Mose, sous le nom d'empire des Rotennou, ainsi que cela rsulte des monuments gyptiens, mentionns par Oppert et autres savants; nous voyons, en effet, dans diverses inscriptions gyptiennes, que les rois de la dix-huitime dynastie d'Egypte, contemporains de Mose, portrent leurs armes en Babylonie et se firent payer des tributs par les Rotennou, qui dominaient dans la Msopotamie, au pays mme du Tigre et de l'Euphrate. Si Mose tait le vritable auteur de la Gense, il aurait donc crit: le Tigre, fleuve qui coule au pays des Rotennou. Il est vrai que les tonsurs pourront toujours nous rpondre: Le vritable auteur de la Gense n'est pas plus Esdras que Mose; c'est l'Esprit-Saint! Par consquent, la Bible mentionnerait-elle mme Saint-Ptersbourg et New-York, cela ne devrait pas nous paratre illogique et ne saurait aucunement nous surprendre. Inclinons-nous donc, et reprenons la suite du sacr rcit, avec un joyeux rire; car cette difiante Gense ne manque vraiment pas de gat. Si le lecteur le veut bien, nous allons nous reporter par la pense ce merveilleux jardin d'Eden, o quatre grands fleuves provenant d'une seule fontaine roulent leurs eaux. Il nous semble voir Adam, se promenant dans sa proprit et se livrant aux douceurs du far-niente. Voici quel pourrait tre son monologue: Je suis l'homme, et j'ai pour nom Adam; ce qui veut dire, parat-il, terre rouge , attendu que j'ai t fabriqu avec de l'argile, comme une vulgaire poterie... Quel est mon ge?... Je suis n il y a cinq jours; mais, selon un vieux proverbe, on a l'ge que l'on parat. Et 10
voil pourquoi je puis dire qu'en ralit je suis n l'ge de vingt-huit ans, avec toutes mes dents... Non; pas avec toutes mes dents... Il me manque encore les dents de sagesse... Trs bien constitu, hein?... Dame! comment pourrais-je ne pas tre un bel individu, puisque, sauf l'ge et la barbe, je suis la fidle copie du seigneur Jhovah, l' tre le plus patamment chic qui existe dans l'univers?... Voyez-moi cette sant, ces bras robustes, ces jarrets d'acier, des nerfs en revendre, et, avec a, le teint frais... Pas le moindre rhumatisme... Je dis zut aux maladies... Je n'ai mme pas craindre la petite vrol e; papa Bon Dieu m'a fabriqu tout vaccin... Aussi, ce que je me gobe!... et je n'ai pas tort... Je me la coule douce, en ce sjour charmant... pas de concierge... aucun domestique, mme... Voil une vie heureuse!... Je vais, je viens, je cuei lle des fruits, tous succulents, et je m'en empiffre ma fichue fantaisie, bravant sans danger la diarrhe... Je n'prouve aucune fatigue, si longues que soient mes promenades, quand je me couche sur l'herbe, c'est pour mon agrment... L'autre jour, l'aimable seigneur Jhovah m'a offert une distraction, dont je garderai toute ma vie le joyeux souvenir Tous les animaux de la cration ont pass devant moi: Le nom que tu donneras chaque animal vivant sera son nom , m'a dit le vieux Pre Eternel... Comme attention, c'tait gentil, a!... C'est inou, ce qu'il en a dfil, des animaux!... Je n'aurais jamais cru qu'il y et tant d'tres vivants... Je n'ai pas t embarrass pour leur faire ma distribution de noms; car la langue que je parle sans difficult, et sans tre jamais all l'cole, est une langue d'une richesse extraordinaire, d'une abondance de termes dont il est impossible de se faire une ide... Ainsi, sans avoir besoin de chercher, je connaissais instantanment tout ce qui est propre chaque animal, rien qu'en le regardant, et par un seul mot j'exprimais toutes les proprits de chaque espce, de sorte que chaque nom donn par moi est en mme temps une dfinition complte et parfaite... Prenons, par exemple, l'animal qu'on appellera plus tard equus en latin, cheval en franais, horse en anglais, etc. Eh bien, je lui ai colloqu un nom qui exprime ce quadrupde avec ses crins, sa queue, son encolure, sa vitesse, sa force... Et l'oiseau que, dans les sicles futurs, on appellera bulbo en latin, hibou en franais, owl en anglais, etc., tous ces noms venir ne vaudront pas celui que j'ai imagin et qui caractrise le nocturne rapace, avec ses deux aigrettes mobiles sur le front, son bec court et crochu, sa grosse tte aux grands yeux ronds entours d'un cercle complet de plumes roides, ses pattes toutes garnies de plumes jusqu'aux ongles, ainsi que ses murs farouches et sauvages, son cri monotone et lugubre, son horreur de la lumire... Et ainsi de suite, pour tous les animaux vivants... Ah! elle est sans pareille, la langue que je parle, et comme il est triste de penser qu'un jour elle sera entirement et jamais perdue!... Cette pense est mon seul chagrin... Repoussons-la bien vite, et n'ayons nul souci. Oh! cette revue gnrale de tous les animaux vivants, voil ce qui a t superbe... Encore, superbe ne dit pas tout; car nous avons eu une partie drlatique dans le programme de la fte: 'a t l'arrive des poissons... Pensez donc! ce jardin est en plein continent, pas de rivages marins, rien que des fleuves, c'est--dire de l'eau douce... Alors, vous voyez la grimace que faisaient les poissons de mer, en remontant le Tigr et l'Euphrate pour venir auprs de moi; ils n'taient plus dans leur eau sale habituelle, et a les embtait !... Vrai, c'tait se tordre... Et les gros ctacs, c'est ceux-l qui taient gns!... Heureusement, pour ce jour-l et titre exceptionnel, papa Bon Dieu a largi les fleuves de mon jardin; sans quoi les diverses espces de baleines n'auraient jamais pu passer... Sitt que je leur avais donn leur nom, il fallait les voir repiquer en arrire et se prcipiter, grands coups de nageoires, pour regagner le plus vivement possible leur Ocan... J'en ris encore!... Peut-tre y aura-t-il des gens qui ne croiront pas cette histoire... Les impies nieront que des phoques du ple Nord aient pu venir jusqu'en Armnie, dans les eaux suprieures du Tigre et de l'Euphrate, et cela en un seul jour de voyage, descendant tout l'Atlantique et faisant le tour 11
complet de l'Afrique; ils diront que ces intressants mammifres marins, htes de l'ocan Glacial, n'ont pu changer d'lment sans en mourir... Eh! qu'importe la critique!... Ma parole d'honneur, j'ai vu ici, en ce jardin d'Eden, dans cette circonstance, phoques et baleines, et j'ajoute que les phoques, tout contents d'avoir reu de moi un nom, m'ont remerci en disant papa! maman!... Les esprits pointilleux objecteront: Et les poissons des lacs, par o sont-ils venus?... Veut- on faire allusion au lavaret, ce dlicieux poisson du lac du Bourget, dont les habitants d'Aix- les-Bains parlent comme d'une gloire?... Et la fra, qui vit exclusivement dans le lac Lman, qui meurt aussitt qu'elle est mise dans une autre eau, mme douce, qui ne peut seulement pas vivre dans le Rhne, en de ou sn del du Lman?... Qu'on le sache donc: le lavaret et la fra ont eu une permission spciale de Dieu; ces deux poissons lacustres sont venus, par voie arienne, me rendre visite l'Eden... Et voil! anathme aux mcrants, qui ne se contenteront pas de cette explication!... Et puis, palsambleu! je suis bien bon de discuter ces choses... Tant pis pour qui ne me croira pas, quand j'affirme que j'ai vu tous les animaux vivants, vertbrs, annels, mollusques, et zoophytes!... Il n'est pas un seul insecte qui je n'ai donn un nom... Mais celui qui m'a le plus stupfi, c'est un grand ver blanc, long, plat, qui est sorti tout doucement de moi-mme, un vilain ver que les naturalistes futurs appelleront tnia ou ver solitaire de l'homme, et qui ne ressemble pas au tnia des porcs ni au tnia des moutons; ce grand diable de ver humain, ds sa sortie, m'a fait une profonde rvrence; je lui ai donn un nom; aprs quoi, il s'est refaufil chez moi par mon anus et a repris domicile en mon individu... Si j'en parle, c'est pour ne rien omettre; car je ne me savais pas habit. A part a, mon locataire ne m'incommode en aucune faon... Rien ne trouble cette vie de cocagne que je mne depuis cinq jours... Adam se mire dans l'onde limpide de la fontaine, source des quatre grands fleuves; puis, avisant une pelouse, il s'y tale mollement. Ah! qu'il fait bon vivre ainsi! murmure-t-il. Mais voil qu'il bille... il s'tire... une langueur inconnue s'empare graduellement de lui... Voil du nouveau, par exemple!... Il ne ressent pourtant aucune fatigue... Qu'est-ce que cela signifie?... Il n'y comprend rien. Il subit la mystrieuse influence, irrsistible. Ses paupires se ferment. Adam dort. C'est le premier sommeil de l'homme. Or, tandis qu'Adam ronfle comme une toupie d'Allemagne, papa Bon Dieu descend sur terre. D'abord, il arrte assez longuement ses regards sur le dormeur. Tout de mme, je travaille bien, quand je m'y mets! fait-il avec satisfaction. Le gaillard est rudement bti; on jurerait que c'est moi... quand j'avais quelques milliards de sicles de moins. Se baissant, il lui pince le gras du mollet. A celte divine factie, Adam rpond par un ronflement plus sonore encore que les prcdents. Parfait! continue matre Elohim; je n'aurai pas besoin d'insensibilisateur pour assurer le succs de mes talents de chirurgien... Je vois que le sommeil que j'ai envoy mon jeune Adam chri tait des mieux conditionns; on tirerait le canon auprs de lui, qu'il ne se rveillerait pas... Maintenant, il s'agit de me mettre l'uvre; car je suis venu ici pour une opration de premier ordre... Pendant que personne ne m'entend, je puis bien faire un aveu: je me suis aperu ce matin qu'il y a des moments o je suis quelque peu godiche. Ainsi, o avais-je la tte, quand j'ai cr l'homme sans compagne?... J'ai donn chaque animal une femelle; du moins, il n'y a que peu d'exceptions cette rgle. Le ver solitaire, je l'ai cr hermaphrodite, et a se comprend, puisque, s'il allait par couple dans les intestins o il demeure, ce ne serait plus un ver solitaire... Mais l'homme n'est pas un tnia, nom d'une pipe!... Il faut donc que je lui fabrique une compagne, et j'ai dcid de la lui faire avec sa chair... 12
Papa Bon Dieu tourna un moment autour d'Adam; il le ttait, tout en mettant haute voix ses rflexions. J'ai consult le Pigeon ce sujet, continua-t-il, et j'ai bien fait, car il est plus malin que moi... Ma premire ide avait t de couper un cor au cher Adam et d'en ptrir une petite femme... Le Pigeon ne m'a pas approuv; il a pens qu'un cor serait trop vulgaire et que les impies pourraient y trouver prtexte pour dire que la femme est de basse extraction... La conclusion est que c'est avec une cte que je vais fabriquer la seconde crature humaine... Allons! c'est le moment, c'est l'instant; soyons prompt et adroit comme un dentiste qui en est sa vingt millime opration. Et, ce disant, papa Bon Dieu arracha Adam une de ses ctes, et il resserra la chair la place. (2:21) Et l'Eternel Dieu construisit en femme la cte qu'il avait te Adam. (2:22) J'entends le cri de l'homme, se rveillant en sursaut: Ae! ae!... Oh! l l!... On vient de m'enlever un de mes biftecks! Et sa surprise en voyant la jolie poupe vivante: Qu qu'c'est qu'a? a? c'est ta femme, et je te la prsente, rpond Jhovah... Ose dire que je ne te fais point l un agrable cadeau!... Le fait est qu'elle est gentille... On en mangerait... Veinard, va!... Et pas de belle-mre !... Tu peux te vanter d'avoir toutes les chances, mon garon. La Bible raconte qu'Adam s'cria: Cette fois, celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma chair. On la nommera hommesse, car elle a t prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme laissera son pre et sa mre, et il se joindra sa femme, et ils seront ainsi une mme chair. (2:23-24) Inutile de commenter cette exclamation d'Adam, nouveau mari. Ah! qu'en termes galants ces choses-l sont mises?... Pour ce qui est de la cte enleve, il est bon de rappeler que, selon l'avis de saint Augustin, Dieu ne la rendit point Adam. Par consquent, Adam vcut ainsi avec une cte de moins. C'tait apparemment une de ses fausses ctes, a fait remarquer Voltaire; car le manque d'une des ctes principales et t trop dangereux. La Gense nous dit encore (2:25): Or, Adam et sa femme taient tous deux nus, et ils n'en avaient point de honte. Les pieux commentateurs affirment que cette nudit sans nulle honte est une preuve de l'innocence de nos premiers parents; s'ils taient toujours demeurs dans cette pense qu'il n'y a aucune impudicit se promener tout nu, c'et t la marque d'une persvrante perfection. En vertu de ce raisonnement biblique, on pourrait donc estimer comme vivant dans l'tat de perfection les peuplades sauvages qui ne portent aucun vtement, et il y en a encore: nanmoins, lors de la dcouverte de l'Amrique, les fanatiques catholiques espagnols massacrrent en masse des peuplades indignes qui vivaient en belle innocence, et les prtres bnissaient les massacreurs. D'autre part, on a remarqu que c'est le froid qui fit inventer les habits; car les peuples nus sont ceux qui vivent dans les rgions les plus chaudes. En outre, quand tout le monde est nu, personne n'a honte de l'tre: on ne rougit que par vanit; on craint de montrer une difformit que les autres n'ont pas. Arrivons la grande affaire, l'tonnante aventure qui mit fin, hlas! au bonheur d'Adam et de son pouse. L'Eternel Dieu avait fait germer de la terre tout arbre dsirable la vue et portant fruit bon manger; et il avait mis l'arbre de vie au milieu du jardin d'Eden, et l'arbre de la science du bien et du mal. (2:9) L'Eternel Dieu avait parl l'homme avec commandement, lui disant: Tu mangeras librement de tout arbre du jardin. Toutefois, pour ce qui est de l'arbre de la science du bien et 13
du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que lu en auras mang, tu mourras de mort trs certainement. (2:16-17) Il est bon de faire observer d'abord que, sous prtexte de rsumer la Bible, les prtres ont rdig l'usage des fidles certains petits manuels portant le titre Histoire Sainte, dans lesquels ils ont soin de passer sous silence les passages de la divine Ecriture qui les gnent trop. Ainsi, en gnral, on ne parle aux fidles que du fameux arbre de la science du bien et du mal; nous verrons tout l'heure pourquoi les prtres ne soufflent mot de l'arbre de vie, parfaitement distinct de l'autre arbr e; nous reproduirons le verset 22 du chapitre 3, qui est toujours omis dans les livres donns aux na fs dvots. Pour l'instant, occupons-nous seulement de l'arbre dont le fruit causa la chute de l'homme. Rappelons que l'empereur Julien le Philosophe, dont la mmoire est si excre par les gens d'glise, se livra, au sujet de ce merveilleux arbre, quelques remarques pleines de bon sens. Il nous semble, crivit-il, que le seigneur Dieu aurait d au contraire ordonner l'homme, sa crature, de manger beaucoup de cet arbre de la science du bien et du mal; que non seulement Dieu lui avait donn une tte pensante qu'il fallait ncessairement instruire, mais qu'il tait encore plus indispensable de lui faire connatre le bien et le mal, pour qu'il remplt ses devoirs; que la dfense tait tyrannique et absurde; que c'tait cent fois pis que si on lui avait fait un estomac pour l'empcher de manger. Une autre rflexion que l'on ne peut s'empcher de se faire, c'est que le point de dpart de l'historiette prouve que le seigneur Jhovah avait une arrire-pense et qu'il tait bien aise que l'homme pcht. En somme, Adam aurait t en droit de lui dire: Mon petit pre Elohim, si je ne me trompe, le bien est ce qui est moralement bon, ce qui vous plat, et le mal, par contre, est ce qui est mauvais, ce qui vous dplat... Est-ce bien cela? Parfaitement, mon fiston, aurait rpondu le Crateur. Par consquent, aurait continu Adam, laissez-moi apprendre en quoi consiste le mal, af in que je l'vite; ou bien pourquoi avoir mis ici cet arbre, s'il ne faut pas que j'y touche?... Ce sont les curs qui se chargent de la rplique, au lieu et place de leur drle de Bon Dieu. Dieu, disent-ils, imposait une preuve l'humanit naissante; il voulait voir si Adam lui obirait, alors qu'il ne lui demandait qu'une seule et trs petite privation. Mais il est facile de rpliquer la rplique. D'aprs les curs eux-mmes, Dieu connat l'avenir: il avait donc prvu ce qui allait arriver; et, comme rien ne se fait sans sa volont, il savait parfaitement que l'homme mangerait du fruit de l'arbre en question. Il voulait donc la chute de nos premiers parents, cela ne fait aucun doute.
D'ailleurs, toute la suite de l'histoire se retourne contre le seigneur Jhovah. Voyons comment les choses se passrent, selon le chapitre 3 de la Gense: 1. Or, le serpent tait le plus rus de tous les animaux de la terre que l'ternel Dieu avait faits; et il dit la femme: Quoi! Dieu aurait-il dit; Vous ne mangerez point de tout arbre du jardin? 2. Et la femme rpondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin; 3. Mais, quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. 4. Alors, le serpent dit la femme: Vous ne mourrez nullement; 5. Mais Dieu sait qu'au jour que vous en mangerez vos yeux seront ouverts, et vous serez comme les dieux, connaissant le bien et le mal. 6. La femme donc vit que le fruit de cet arbre tait bon manger et d'un aspect agrable, et que cet arbre tait dsirable pour donn er de la science; et elle en prit du fruit et en mangea; et elle en donna aussi son mari, l'entranant avec elle; et il en mangea. Ce qui frappe tout d'abord, dans ce rcit, c'est que le discours du serpent, sa conversation avec la femme, le fait mme de parler, de s'exprimer dans la m me langue que nos premiers 14
parents, n'est pas donn par l'auteur sacr comme une chose surnaturelle, miraculeuse, ni comme une allgorie. C'est bien le serpent lui-mme que la Gense prsente; c'est ce reptile, jouant un rle d'animal plein de malice et d'astuce, qui se fait le tentateur de la femme, avec une facilit d'locution que lui envierait un perroquet. Le serpent a t si personnellement mis en scne, que, depuis lors, les curs, trouvant invraisemblable l'pisode racont ainsi, ont jug ncessaire d'y faire une correction qui change tout, mais qui est en contradiction avec le texte tout entier de ce chapitre de la Bible. Selon les correcteurs, aussi roublards que pieux, c'est le diable qui aurait pris la forme du serpent et qui aurait, au moyen de ce subterfuge, tent Madame Adam; telle est la faon dont les pr tres ont arrang la chose, tel est leur enseignement d'aujourd'hui. Cet arrangement est une vritable falsification de la Gense. En premier lieu, pas un mot du texte sacr ne prte une telle interprtation. En second lieu, parmi les divers auteurs des livres qui composent la Bible, il y en a deux en tout qui ont mentionn le diable: l'auteur du livre de Job, d'aprs lequel le diable discute un beau jour avec Dieu, dans le ciel: et l'auteur du livre de Tobie, qui cite un certain dmon Asmode, amoureux d'une nomme Sara, dont il trangle successivement sept maris. Or, ces deux livres viennent tout--fait la fin de la Bible, et, pas plus dans ceux-ci que dans les autres, il n'est question du Lucifer-Satan que les catholiques font intervenir tout propos, pour pimenter l'intrt de leurs lgendes. Nulle part, on ne trouve cette aventure, pourtant si connue, de Lucifer se rvoltant contre Dieu et vaincu par l'archange Michel. Cela, comme tout ce qui a rapport au diable, a t invent aprs coup, non seulement longtemps aprs Mose, mais mme postrieurement Esdras. D'autre part, certains joyeux commentateurs, en ralit philosophes sceptiques, se sont amuss transformer en pommier, d'un symbolisme quelque peu grivois, le fameux arbre de la science du bien et du mal; et ils ont suppos que cet pisode signifie, mots couverts, que Madame Adam, ignorant l'amour, en reut la premire leon d'un diable sducteur, mtamorphose en serpent pour la circonstance... Mais tout en riant de cette plaisanterie, qui est une interprtation en valant bien une autre, il faut la mettre dans le mme panier que la falsification de texte imagine par les curs. Nous devons prendre la Bible telle qu'elle est, quand nous voulons l'examiner srieusement: ainsi, dans l'historiette dont nous nous occupons en ce moment, c'est bien l'animal d it serpent qui est en cause, et non un diable quelconque, les Juifs n'ayant pas de diables dans leur mythologie avant l'poque o furent crits les livres de Job et de Tobie; et quant aux sous- entendus amoureux, prts gratuitement au serpent testateur, il est vident qu'il est impossible de les dcouvrir dans le texte de la Gense, quand on l'a sous les yeux. C'est vraiment le serpent seul, personnellement, qui est en cause; car l'auteur sacr voit cet animal avec les yeux de tous ses contemporains des diverses religions. Le serpent, dans l'antiquit, passait en effet, pour tre un animal trs rus, trs intelligent et rempli de malice. Plusieurs peuples africains l'adoraient. D'un autre ct, le cas de ce serpent qui parle, cas dont la Gense ne fait pas un miracle, est commun la littrature orientale; toutes les mythologies closes en Asie sont pleines d'animaux parlants; chez les Chaldens, le poisson Oanns sortait chaque jour sa tte hors des eaux de l'Euphrate, et, pendant des heures entires, il prchait le peuple accouru sur les rives, donnant de bons conseils, enseignant tout la fois la posie et l'agriculture. Ces temps o les animaux avaient la parole sont bien lointains; mais aucune religion d'Orient n'en eut le monopole. Donc, le serpent biblique parla, sans avoir besoin d'tre habit par un diablotin. D'ailleurs, en cette circonstance, le serpent fut moins rus qu'il ne parat. Les blagues de l'Ecriture Sainte sont d'une navet extraordinaire et crvent de contradictions. Ainsi, l'on a demand ce que le serpent entendait dire par: Vous serez comme les dieux. Cette expression, qui affirme la pluralit des dieux, ne se trouve pas dans ce seul passage de la Gense; nous verrons plus loin que le seigneur Jhovah, parlant lui-mme, ne se considre pas 15
comme le seul Dieu. Les commentateurs catholiques, embarrasss par cette phrase du serpent, ont prtendu que par les dieux, le reptile aura voulu dire les anges. On leur a rpondu qu'un serpent ne pouvait connatre les anges; mais, par la mme raison, il ne pouvait connatre les dieux. Navet, contradiction, galimatias; voil bien la Bible. Non, pas si rus que a, ce serpent!... Ses conseils taient forts incomplets. Un serpent vraiment malin aurait dit la femme: Mange du fruit dfendu, d'abord, et ensuite aussitt aprs, ne manque pas de manger du fruit de l'arbre de vie, qui, d'ailleurs, t'est permis. Et Jhovah, ne fut-il pas la cause premire do la tentation? Pourquoi avait-il donn la parole au serpent? Sans ce don, celui-ci n'et jamais pu se faire comprendre de la femme. La Bible ne nous fait pas connatre la conversation au cours de laquelle Madame Adam dcida son mari manger avec elle du fruit dfendu. Heureusement, il est facile de combler cette lacune de l'auteur sacr. Nous voyons la premire femme, dont la curiosit a t pique par le serpent, s'approcher de l'arbre de la science qui est au milieu du jardin, auprs de l'arbre de vie. Elle le considre longuement, non sans avoir quelques hsitations. Il n'est pas joli, joli, dit-elle, ce serpent qui vient de me parler tout l'heure; mais il est, ma foi, trs distingu de manires, et il a un langage charmant... Le conseil qu'il m'a donn me semble bon suivre; car, vraiment, c'est fort ennuyeux de ne rien savoir... Nous sommes, Adam et moi, comme des dindes, et nous pourrions tre comme des dieux !... Et puis, il est tentant, ce fruit... Il n'en est pas de plus beau dans tout le verger... Cependant, si le serpent m'avait cont une craque, voil qui ne serait pas gai!... La vie est si agrable!... Croquer ce fruit, j'en ai grande envie; mais si le rsultat de ma gourmandise doit tre de mourir?... Pas amusant du tout, a... Elle tourne autour de l'arbre; le serpent, cach derrire un buisson, suit de loin tous ses mouvements. Non, il n'est pas possible que nous mourions pour si peu de chose... C'est le pre Jhovah qui nous a mont un bateau!... D'abord, en y rflchissant, je lui trouve l'air ficelle, ce vieux barbon... tandis que le serpent... la bonne heure... sa petite tte, mignonne, a je ne sais quelle expression bon enfant, avec des yeux ptillants d'esprit... Ensuite, c'est d'une logique frappante, ce qu'il m'a dit... Le pre Jhovah a tout intrt ce que nous demeurions ignorants des belles choses qui sont le privilge des dieux... Sa menace, ce doit tre pour nous ficher le trac, voil... Il ne veut pas que nous sachions et tout-ci et tout-a... O h! les vieux! ils sont tous les mmes... des roublards... des conteurs de btises... Faut pas s'y fier... Elle tire un des bancs du jardin auprs de l'arbre, y monte, et cueille un des fruits. Mettons que c'est une pomme, puisque la Bible n'est pas explicite sur ce point et que d'ailleurs il importe peu d'appeler ce fruit ainsi ou autrement. Elle contemple la pomme, en se passant la langue sur les lvres. Le serpent, qui a tout vu, se dresse sur sa queue, derrire Je buisson, et pique un joyeux quadrille. Madame Adam approche la pomme de sa bouche. Au fait, comment a se mange-t-il, ce fruit?... Dois-je le peler ou y mordre mme?... Baste! d'une manire ou d'une autre, a doit tre bon... Elle hsite encore un peu. Savoir tout ou ne rien savoir, quelle alternative !... Quand nous jouons cache-cache, Adam et moi, est-ce bien ou est-ce mal?... Cruelle nigme!... Faut-il tondre nos moutons pour faire bien? ou commet-on le mal en ne pas leur laissant la laine sur le dos?... C'est y perdre la tte... Et Adam, qui se fourre tout moment les doigts dans le nez, c'est-y bien ou c'est-y mal?... Vrai de vrai, ce n'est pas vivre qu'ignorer ces choses-l!... Se dcidant net, elle donne un nergique coup de dent dans la pomme. Sapristi! que c'est bon!... Nouveau coup de dent, plus nergique encore. Nom d'ed l! que c'est bon!... Quel got dlicieux!... Ah! le vieux filou, qui m'avait dfendu ce nanan!... 16
Elle se couche sur le banc, s'y allonge et semble n'en savourer que mieux le fruit. Adam, arrivant, causant tout seul: Pour passer le temps, je viens de pcher une friture dans le Tigre... mais, comme je suis vgtarien, j'ai flanqu, sitt pche, ma friture dans l'Euphrate... Il aperoit son pouse. Hein! l'hommesse, qu'est-ce que tu grignotes l? Madame Adam, se mettant d'un bond sur son sant: Oh! ne me gronde pas!... C'est un fruit... de l'arbre... tu sais bien... de l'un des deux arbres du milieu du jardin... Je le vo is, fichtre!... C'est prcisment le fruit de l'arbre auquel il nous est interdit de toucher... Ah a! es-tu folle, ma petite femme?... Eh bien, et l'avertissement de l'autre?... Le pre Jhovah?... l'empcheur de danser en rond?... Parlons-en, ah! oui!... Il s'est pay notre tte dans les grands prix, le vieux singe!... Qu'est-ce que tu me chantes l?... Sa menace de mort... tu te rappelles, n'est-ce pas?.. Pour sr!... J'en ai froid dans le dos. Oh! la la! mon il!... Sa menace, mon cher, c'tait un truc... Voyons, tu bats Jeannot, tu perds la boule?... Un truc, que je te dis... A preuve, c'est que je sais dj des tas de choses, depuis que j'ai mordu la pomme... Tu sais ce qui est bien et ce qui est mal?... Tu sais ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire?... Tu sais le commentt le pourquoi de tout et de tout.... Oui, a commence, mon petit chien-vert... Tiens, je sais dj combien il faut mettre de grains de sel dans un uf. Pas possible! Je sais pourquoi les coqs ferment les yeux en chantant... Tu m'pates!... Et pourquoi les grenouilles n'ont pas de queue, le sais-tu? Je viens de l'apprendre l'instant mme... Dis-le, pour m'instruire... C'est parce que a les gnerait pour s'asseoir. Ah! bah!... Tu me renverses... Plus fort que a... Eli bien, je sais, je suis sre, tu entends bien, je suis sre que tu es un petit homme sage comme une image et que tu ne m'as pas fait une seule infidlit... Adam est ahuri. Mille ptards! elle en a tout--coup, de la science, ma femme!... C'est vrai, tout de mme, que je ne lui ai jamais fait une infidlit... Saprelotte de saprelotte! c'est prodigieu x!... fit si je te faisais une infidlit, a serait-il mal en a serait-il bien?... a serait mal, monsieur!... trs mal!... Elle l'attire auprs d'elle, sur le bi du bout du banc. Au surplus, Adam de mon cur, il ne tient qu' toi de devenir instruit comme moi, aussi vite et si peu de frais... Mords la pomme... Elle lui tend la pomme. a me fait envie, moi aussi, ma petite femme bienaime; mais quoi a nous servira-t-il, d'tre savants comme des acadmiciens, si nous en mourons ds aujourd'hui... Car enfin, il faut se faire un raisonnement: mourir dans mille ans, la rigueur, a me serait gal; mais casser ma pipe aujourd'hui mme, non, a serait bte comme tout... Madame Adam hausse les paules. Tu n'as pas l'air d'y croire, ma mignonne... Mais moi, je sais bien ce qu'il m'a dit, le vieux papa Bon Dieu; c'est moi-mme qu'il a parl, et je t'assure qu'il a t catgorique... 17
Permets que je te rpte textuellement ses paroles: Pour ce qui est de l'arbre de la science du bien et du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que tu en auras mang, tu mourras de mort trs certainement ... Il n'y a pas barguigner, tu vois; je tiens ma peau, moi, si tu ne tiens pas la tienne... Adam, Adam, lu me fais rire... Est-ce que je suis morte. dis? Non, t'es bien vivante... Seulement, la journe n'est pas finie; gare la bombe !.. Oh! que les hommes sont ttus!... Tu peux te vanter d'en avoir, de l'obstination, mon cher!... C'est insens, ce que tu mets de temps comprendre que le vieux rasoir s'est fichu de nous... Tiens, tu viens de citer les acadmiciens... Qui; et aprs? Les acadmiciens... so nt-ils des puits de science, ceux-l? Evidemment. Eh bien, c'est parce qu'ils sont des puits de science que les acadmiciens sont des immortels... Adam est troubl par l'argument. Son pouse se fait cline. Enfin, ne serait-ce que pour me faire plaisir, mords la pomme, mon petit homme chri... Quand tu en auras got aprs moi, nous serons tous deux comme les dieux... Gomme les dieux?... Ne cherche pas comprendre... C'est le serpent qui l'a dit... Adam, rsolu: Du moment que c'est le serpent qui l'a dit!... Donne, donne la pomme... Il croque la pomme avec avidit. Deux minutes se passent dans le silence; on entendrait voler un panamiste. Tout--coup, Adam pousse un cri; c'est la science qui lui arrive. Ventre-saint-gris! s'crie-t-il, nous sommes nus comme des vers!... C'est du propre!... Nombril du pape! fait la femme son tour, je n'ai mme pas de jarretires!... C'est indcent!... Et nous qui devons aller ce soir au bal des orangs-outangs!... Impossible de nous prsenter dans le monde, avec une tenue aussi nglige!... Vite, vite, il faut nous vtir!... Et les yeux de tous deux s'ouvrirent; et, connaissant qu'ils taient nus, ils cousirent ensemble des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. (3:7) Notez bien que le premier costume humain ne fut pas de feuilles de vigne; la gloire de l'invention de la vigne tait rserve au patriarche No. Une fois ainsi habills, les deux poux se regardent. Nous ne sommes pas trop mal en cet accoutrement, dit le mari. Moi, la feuille de figuier me sied merveille, fait la femme... Ces vtements sont peut-tre un peu poussireux; ils n'ont pas t battus depuis la saison dernire... Donne-moi un coup de brosse, Adam... Leur contentement ne devait pas tre de longue dure. Alors, ils ourent, au vent du jour qui souffle aprs midi, la voix de l'Eternel Dieu, qui se promenait (sic) dans le jardin. Et Adam et sa femme se cachrent de la face de l'Eternel Dieu, parmi les arbres du jardin. (3:8) Ce Jhovah, on le constate encore ici, est bel et bien un dieu corporel: il se promne, il parle; nous l'avons vu ptrir et souffler. La Gense prsente donc son Dieu la mode de toutes les autres mythologies. Les divers peuples de l'antiquit n'eurent, en effet, pas d'autre ide de la divinit; Platon passe pour le premier qui ait fait Dieu d'une substance plus ou moins thre, qui n'tait pas tout--fait corps. Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait Adam, et plus tard Can, aux patriarches, aux prophtes, tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les tonsurs rpondent qu'il avait une forme humaine, et qu'il ne pouvait se faire connatre autrement, 18
ayant cr l'homme son image. On rplique que la religion isralite ressemble alors singulirement, sur ce point essentiel, toutes les religions que les prtres catholiques fltrissent du nom de paganisme; les anciens Romains, qui avaient adopt les croyances des anciens Grecs, ne comprenaient, eux aussi, la divinit que sous un aspect humain. Cette remarque fait ajouter: au lieu que ce soit Dieu qui ait fait l'homme sa ressemblance, ne serait-ce pas plutt l'homme qui aurait imagin Dieu sa propre image? Mais n'insistons pas; car loger une telle opinion dans sa cervelle, c'est se vouer aux flammes de l'enfer. Rappelons seulement cette malicieuse rflexion d'un philosophe: si les chats s'taient fabriqu des dieux, ils les auraient fait courir aprs les souris. Des dtails, tels que ceux de la promenade de Dieu dans le jardin d'Eden, montrent premptoirement qu'il ne s'agit en aucune faon d'une allgorie mystique; tout le rcit de l'auteur sacr est dans le style d'une histoire vritable. 9. Et l'Eternel Dieu appela Adam, et lui dit: Adam, o es-tu? Il tait piteux et confus, messire Adam, et sa femme aussi n'en menait pas large. Ils essaient de s'esquiver, ils se cachent; mais, je t'en fiche! comment chapper au regard divin qui plane sur tout?... En vain les infortuns s'efforcent-ils de dissimuler leur personnalit aux regards du Trs-Haut; derrire eux, partout, retentit le terrible appel du Seigneur, parlant en matre puissant, svre, et s'apprtant punir son serviteur, son esclave, qui lui a dsobi. Pas moyen de se tirer de ce mauvais pas; ils so nt pincs; il va leur falloir avouer la faute commise. Penauds, ils balbutieront de mauvaises excuses. 10. Adam rpondit: Seigneur, j'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai craint, parce que j'tais nu, et je me suis cach. Les voil donc devant le patron, devant ce Dieu qui connat l'avenir, qui avait prvu l'accident du serpent et de la pomme, et qui se fche comme s'il ne s'tait dout de rien, comme si ce qui vient d'arriver ne s'tait pas produit de par son omnipotente volont. Adam et sa femme ne songent pas cela dans leur moi; ils vont tenir le langage des coliers pris en faute: M'sieu, ce n'est pas moi qui ai commenc; c'est elle! M'sieu, je ne le ferai plus, tant je suis chagrine... Ah! non, pour sr, je ne recommencerai pas, vous pouvez m'croire !... 11. Et Dieu dit Adam: Qui t'a appris que tu tais nu? Il faut que tu aies mang de ce que je t'avais dfendu de manger. 12. Et Adam rpondit: La femme que tu m'as donne pour tre avec moi m'a donn du fruit de l'arbre, et j'en ai mang. 13. Et Dieu dit la femme: Pourquoi as-tu fait cela? Et la femme rpondit: Le serpent m'a trompe, et j'ai mang du fruit. Maintenant, matre Elohim va distribuer les punitions. Il procde par ordre, et c'est celui qui a t le premier coupable qui coppera le premier. Attention ! 14. Alors l'Eternel Dieu dit au serpent: Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et btes de la terre; tu marcheras sur ton ventre dsormais, et tu te nourriras de terre tous les jours de ta vie. 15. Et je mettrai des inimitis entre toi et la femme, entre tes enfants et les enfants de la femme; ils chercheront t'craser la tte, et tu chercheras les mordre au talon. Ce chtiment inflig au serpent prouve, sans rplique possible, que les curs sont des blagueurs, quand, avec leur manie de fourrer le diable partout, ils attribuent la tentation de la femme au dmon ayant emprunt ce jour-l la forme du reptile, ce Lucifer-Satan dont les prtendues rvolte et dfaite ne se trouvent inscrites dans aucun des livres de la Bible. Si Satan tait le coupable, Dieu videmment lui aurait ordonn de rintgrer illico son domicile infernal et lui aurait octroy un supplment de supplice dans le sjour des tnbres. Or, la punition de la tentation atteint, uniquement et exclusivement, le serpent en tant qu'animal et bte de la terre. D'aprs le verset 14 du chapitre 3, il est croire que ce donneur de conseils perfides tait auparavant un animal pourvu de pattes; et c'est bien lui que Dieu 19
coupa ce jour-l les pattes, puisqu'il le condamna ramper dsormais, chtiment qui serait des plus injustes, si cette bte n'avait t pour rien dans l'affaire. Supposez que l'abb Garnier se dguise un beau matin en honnte homme, qu'il prenne le costume et se fasse la tte du papa Rue l, qui est un philanthrope, et qu'il aille ensuite sous ce nom commettre des escroqueries; que se passerait-il lorsqu'il serait enfin coffr, dmasqu et traduit en correctionnelle? le tribunal condamnerait-il l'amende et la prison le brave papa Ruel? Non, certes! il prononcerait sa sentence contre le vritable escroc, il appliquerait son jugement au Garnier, c'est clair. Les tonsurs feront donc bien de renoncer leur conte bleu de Lucifer tentateur de la premire femm e; cette blague-l ne tient pas debout. Ou autrement, vu le texte sacr, s'ils veulent la maintenir quand mme, il faut dire que le diable a t plus malin que le seigneur Jhovah, et que celui-ci, compltement ramolli, n'a vu que le serpent dans toute cette affaire, n'a pas aperu le moindre bout de corne de Lucifer, et a priv de pattes l'innocent serpent. Mon vieux Lon XIII, tire-toi de l! A vrai dire, quelque point de vue qu'on envisage cet extravagant pisode, il faut reconnatre que le fumiste Esprit-Saint s'est encore moqu du pieux auteur qui crivait sous sa dicte. S'il est vrai que les enfants de la femme, les humains, ont une aversion gnrale pour les serpents, s'il est vrai qu'en cas de rencontre les uns cherchent assez volontiers craser la tte de ceux- ci, qui de leur ct se dfendent ou attaquent en cherchant mordre au pied ou la jambe ceux-l, par contre il est une peine porte par Dieu contre les serpents, qu'ils n'ont jamais subie: les serpents ne se nourrissent pas de terre, jamais, au grand jamais. Cette sentence a donc t lude, moins que Jhovah n'ait dclar la loi Brenger applicable sur ce point; auquel cas, la Bible a oubli de mentionner ce sursis indfini. Mais, pour savourer la mystification del'Esprit-Saint dans toute sa joyeuse moquerie l'gard des crdules dvots, il faut considrer l'tendue immense du chtiment inflig au serpent. Quel tait exactement l'op hidien tentateur? La Bible ne prcise pas; mais peu importe: il est vident que ce ne pouvait tre la fois une vipre et une couleuvre, ou un boa et un crotale; les espces d'ophidiens qui vivent sur notre globe sont fort nombreuses. Admettons que ce soit la couleuvre qui ait provoqu au pch Madame Adam; admettons mme, si l'on veut, que le chtiment de la couleuvre soit raisonnable en s'tendant la postrit de cette espce, et que toutes les couleuvres de l'avenir soient logiquement prives de pattes pour expier la faute de celle de l'Eden... Or , si la femme n'avait pas russi entraner l'homme dans sa dsobissance, elle seule aurait t punie, n'est-ce pas?... Eh bien, pauvres serpents! la couleuvre seule fut coupable; mais voil que, du mme coup, l'aspic, le naja, le serpent sonnettes, le craste, l'orvet, la vipre, le python, le cobra-capello, le rouleau, l'laps, l'erpton, le bothrops, le fer-de-lance, l'atropos, l'hypnale, le rhodostoma, l'humbroni, le bongare, le psammophis, l'eunecte mangeur-de-rats, l'oxy-rope, le boa constrictor, le molure, et leur postrit, ont perdu leurs pattes et rampent jamais, malgr leur incontestable innocence!... 16. Dieu dit ensuite la femme: Je multiplierai tes misres et tes grossesses; et tu enfanteras dans la douleur; et tu seras sous la domination de ton mari. A l'unanimit, les commentateurs sont d'avis que les peines de cette sentence visent non seulement Madame Adam, mais toutes les femmes jusqu' la fin du monde. Sans nous arrter ce que ce systme a d'injuste ou dnote un Dieu passablement loufoc, nous remarquerons d'abord, que, si la premire femme avait su rsister aux sductions du serpent, elle n'aurait pas enfant dans la douleur. Avant ce jour-l, elle tait donc conforme d'une faon toute diffrente de ce qu'elle fut son premier accouchement. Par consquent, en une seconde, c'est--dire l'instant mme o il pronona son arrt, Dieu bouleversa de fond en comble l'organisme de la femme. On le voit, quand le doigt de Dieu s'y met, il opre des choses tonnantes. 20
En second lieu, il est bon d'observer que, malgr cette toute-puissance, Jhovah n'est pas parvenu rendre gnrales les peines qu'il a dictes contre le sexe fminin: d'une part, il y a beaucoup de femmes qui accouchent sans douleur; d'autre part, celles qui portent la culotte dans leur mnage, celles qui mnent leur mari par le bout du nez, au lieu d'tre sous sa domination, celles-l sont lgion dans toutes les classes de la socit. 17. Puis, Dieu dit Adam: Puisque tu as cout la voix de ta femme, et que tu as mang du fruit de l'arbre que je t'avais dfendu de manger, la terre sera maudite cause de toi, et tu en mangeras en travail tous les jours de ta vie. 18. Et la terre te produira pines et chardons; et tu mangeras l'herbe des champs. 19. Et tu mangeras ton pain la sueur de ton front, jusqu' ce que tu retournes en cette terre d'o tu as t pris; car tu es poussire, et tu retourneras en poussire. Mme observation que ci-dessus: le chtiment d'Adam doit frapper aussi bien tous les hommes; parfaite unanimit des thologiens sur l'interprtation de ces trois versets de la Gense. Le plus terrible de la sentence est la condamnation mort. Il est vrai que l'ineffable Jhovah oublie ce qu'il avait dcrt prcdemment, c'est--dire qu'en cas de boulottage du fruit dfendu l'homme mourrait de mort le jour mme du dlit (2:17). Ce manque de mmoire de papa lion Dieu valut au condamn un assez important ajournement de l'excution; en effet, s'il faut en croire la Bible, Adam vcut encore... neuf cent trente ans (5:5). Mais si Adam n'avait pas mang la pomme, il ne serait jamais mort, et nous-mmes, tous, nous serions immortels. Des gens curieux demandent: Alors, qu'auraient donc fait les hommes le jour o la terre aurait t insuffisante pour les contenir? car, Adam et sa femme ayant reu ds leur cration la facult de se multiplier, un moment serait forcment venu o leurs enfants et les enfants de leurs enfants auraient peupl notre plante d'une faon exubrante. Il est vident que ce problme est insoluble. Et alors, Dieu avait besoin, en quelque sorte, qu'Adam commt le pch: la mort apparat ainsi comme une ncessit; mais Dieu tenait ce que l'homme s'imagint avoir tous les torts, et c'est pourquoi il lendit nos premiers parents le pige de la pomme et donna la parole au serpent qu'il savait capable de tentation. Si Dieu existe tel que la Bible le reprsente, c'est tellement bien cela, que le serpent est devenu muet depuis cette poque, quoique la perte de la parole ne figure pas au nombre des peines qui lui furent infliges. Une autre observation se prsente d'elle-mme l'esprit, au sujet du pain qu'Adam et sa postrit ont t condamns manger grand renfort de sueurs. Il est probable qu'il n'y avait pas de pain dans les temps primitifs et que les hommes se nourrirent alors comme les peuplades sauvages qui existent encore de nos jours. Mais ne chicanons pas pour si peu, et admettons que le seigneur Jhovah ait parl par anticipation. Les Juifs, pour qui la Bible fut crite, mangeaient, en effet, du pain. Or les tonsurs nous disent que ce livre n'a p s t crit exclusivement pour les Juifs et qu'il est, au nom de l'Esprit-Saint, la loi religieuse du monde entier. Dans ce cas, ou est forc de reconnatre que l'on ne mange du pain que dans les pays o le bl pousse: les Lapons, pasteurs de rennes et pcheurs de phoques, et, en gnral, tous les peuples des latitudes polaires, ignorent absolument l'existence de la farine; en de nombreuses rgions des Indes, de l'Amrique, de l'Afrique centrale et mridionale, on vit de fruits et du produit de la chasse. Dira-t-on que le mot pain a t employ par Dieu au figur et qu'il dsigne toute espce de nourriture? On peut rpondre que le chtiment n'est pas gnral non plus: si les ouvriers triment pour se nourrir, si quiconque vivant de son travail se voit ainsi frapp par suite de la faute d'Adam, il n'en est pas de mme des jouisseurs de la vie qui naissent riches, millionnaires par hritage. Et les gros chanoines donc! ceux-ci, lorsqu'ils suent, c'est en t, cause de leur graiss e; ce n'est pas leur travail qui leur fait arroser de sueurs leur pain quotidien! 21
Le verset 18, en particulier, est trs malveillant envers l'espce humaine, lin dehors du pain, l'homme est condamn ne manger que l'herbe des champs, comme les bestiaux; que lui produira la terre? des pines et des chardons. Le pigeon nous la baille belle! Malgr Dieu, les hommes mangent autre chose que du pain et de l'herbe. Demandez Lucullus. Ou bien, pourquoi Jhovah ne dtruit-il pas, coups de foudre, les restaurants qui se permettent de faire figurer des plats de viande sur leur carte? Inutile d'insister. C'est le cas de dire qu'Adam aurait t bien inspir en envoyant le pre Bon Dieu promener, puisque la promenade plat Jhovah. Mais voici ce qui se passa aprs le prononc du jugement: 20. Alors Adam nomma sa femme Eva, parce qu'elle est la mre de tous les vivants. Le cher homme n'avait pas encore pens donner un nom sa compagne; jusqu'alors il s'tait born la qualifier d'hommesse, ainsi qu'on l'a vu au verset 23 du chapitre 2. Ce qui est curieux, c'est que le nom donn par Adam son pouse soit prcisment un nom hbreu; Hvah signifie la vie . D'o l'on est en droit de poser ce dilemme l'auteur de la Gense: ou la langue de nos premiers parents est l'hbreu, et alors, cette langue n'ayant pas t perdue, il faut biffer l'histoire de la tour de Babel; ou Adam a donn sa femme un nom pris dans la fameuse langue primitive, aujourd'hui perdue, et alors l'auteur sacr a commis un impair. Dans un cas comme dans l'autre, le pigeon inspirateur s'est moqu, celte fois encore, de l'crivain. Maintenant, on va voir que Jhovah ne chassa pas immdiatement Adam et ve du paradis terrestre, contrairement l'opinion rpandue. D'abord, papa Bon Dieu, trouvant trop sommaire leur costume en feuilles de figuier, s'improvisa tailleur. 21. Et l'Eternel Dieu f it Adam et sa femme des robes de peaux, et il les en habilla. Pour la confection de ces vtements, voil donc un massacre d'innocentes btes; l'abattoir tait inaugur par Elohim en personne. Aprs a, comment voulez-vous que nos premiers parents n'aient pas pens aussitt utiliser pour leur nourriture la viande des animaux si prestement immols et dpouills? Zut pour le rgime au pain et l'herbe! durent-ils se dire en eux- mmes. El le seigneur Jhovah aurait fort bien laiss Adam et ve vivre et mourir en Eden, si, quelque temps aprs les avoir habills, il n'avait pas song ce mirifique arbre de vie, dont l'homme et la femme n'avaient pas eu l'ide de croquer les fruits. 22. Or, l'Eternel Dieu se dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous (sic); il connat le bien et le mal. Mais, maintenant, il faut prendre garde qu'il n'avance aussi la main vers l'arbre de vie, qu'il n'en cueille le fruit et n'en mange, et qu'ainsi il ne vive ternellement. Tel est le verset 22 que les tonsurs omettent, et pour cause, dans leurs rsums de la Bible. Ainsi, c'est clair, a: nos deux nigauds Adam et Eve, qui le fruit de l'arbre de vie n'avait pas t interdit, le ngligrent sottemen t; et si l'homme et la femme, pendant que Jhovah tait occup tailler leurs costumes de peaux, avaient eu la bonne inspiration de sauter sur un de ces fruits merveilleux et de l'avaler vivement, c'est le vieux juge rageur qui aurait fait un nez!... V'lan! sa sentence devenait tout coup inexcutable. N'est-ce pas, qu'elle est rigolotte, dcidment, la Sainte Bible, ds qu'on la lit de prs?... Non seulement il a la berlue, ce Dieu unique qui lche une constatation d'existence de plusieurs dieux; mais encore, lui, prtendu tout-puissant, il avoue, comme un imbcile, son impuissance appliquer son arrt portant condamnation mort. A quoi cela a tenu, voyez un peu! Avec de la prsence d'esprit, Adam et Eve se rendaient immortels, malgr Dieu lui-mme!!! Et ce que le vieux Jhovah dut se fliciter de s'tre enfin remmor ce coquin d'arbre de vie!... non, ce n'est rien de le dire... Bien sr, il avait fait un nud son mouchoir. Sans a!... 23. Et l'Eternel Dieu fit sortir Adam du jardin d'Eden, afin qu'il labourt la terre dont il avait t ptri. 22
24. Ainsi il chassa l'homme; et alors il plaa un Chrub au-devant de l'entre du jardin, avec une lame d'pe de feu, qui se tournait et l pour garder le chemin de l'arbre de vie. Pas d'erreur, n'est-ce pas?... C'est bien ce malencontreux arbre de vie qui proccupait le plus matre Elohim. A aucun prix, il ne fallait qu'Adam et ve pussent y retourner. Mais aussi quelle fichue ide papa Bon Dieu avait-il eue de crer cet arbre!... Voyons: avec sa connaissance de l'avenir, il savait d'une faon certaine que nos premiers parents pcheraient et qu'il les condamnerait mort, eux et toute la race humaine; alors, cet arbre de vie ne pouvait tre pour lui qu'un embarras; il tait si simple de ne pas le planter!... Voil un sacr Jhovah qui ne ferait pas mal de se mettre au rgime des douches; aprs a, peut-tre les tablissements d'hydrothrapie brillent, au ciel, par leur absence, quoique le dbut de la Gense nous ait appris l'existence d'eaux suprieures, situes au-dessus de l'tendue o se meuvent les astres... Et encore, cette ide d'immobiliser un Chrub avec pe flamboyante la porte de l'Eden, c'est a qui est d'un bte, oh! oui!... D'une parole, d'un seul effort de volont, Dieu pouvait anantir le fcheux arbre de vie, dsormais sans raison d'tre; et le Tout Puissant n'y a pas song!... Enfin, va pour le Chrub, factionnaire sans gurite!... Ce Chrub est un planton prcieux, si la dcouverte de l'Eden tente quelque nouveau Christophe Colomb. Allons, on demande un explorateur de bonne volont. Parmi mes lecteurs, quelqu'un veut-il s'inscrire?... Puisque papa Bon Dieu a pris la peine de faire garder la porte de l'Eden, puisqu'il a tant fait que de prendre des mesures dfensives pour empcher jamais l'humanit d'entrer dans le chemin qui mne l'arbre de vie, c'est que le paradis terrestre et le merveilleux arbre existent encore quelque part. Si, en explorant la rgion o sont les sources du Tigre et de l'Euphrate, nous apercevons sur une route, en avant d'un portail, un Chrub agitant une lame d'pe de feu, nous n'aurons aucun doute, nous pourrons dire: Nous y sommes t c'est ici! Cent mille francs de rcompense qui trouvera le Chrub! Et d'abord, qu'est-ce exactement que ce paroissien-l ?... Chrub est le mot qui figure dans le texte hbreu de la Gense. Ce mot signifie un buf ; il vient de charab, labourer . En effet, les Hbreux avaient gard de nombreux souvenirs de leur servitude en Egypte, et ils copirent assez largement les Egyptiens en maints usages, mme ce qui concernait les menus dtails du culte; c'est ainsi qu'ils sculptrent grossirement des bufs, dont ils firent des espces de sphinx, des animaux composs, tels qu'ils en mirent dans leurs sanctuaires. Ces figures avaient deux faces, une d'homme, une de buf, et des ailes, ainsi que des jambes d'homme et des pieds de buf. Aujourd'hui, les tonsurs ont chang tout a: de Chrub ils ont fait Chrubin, et les Chrubins du nouveau culte sont de jeunes anges joufflus, mais sans corps, n'ayant qu'une tte d'enfant avec deux petites ailes; on voit de ces anges cocasses dans quantit de tableaux d'glise... Il est probable que l'anglique portier du paradis terrestre ne rpond pas ce dernier signalement, et que c'est, au contraire, un Chrub la mode hbraque, avec tte deux faces, dont l'une de buf; ce qui permettra notre explorateur de le reconnatre de loin. Ou, si c'est un Chrubin la mode catholique, sans corps ni mains, c'est avec les dents qu'il doit tenir son pe flamboyante, et. de celte faon encore, il ne pourra pas rester inaperu. Mais je penche pour le pipelet tte mi-humaine mi-bovine. Hardidonc la recherche de l'Eden! avis aux amateurs!... Quand bien mme nous ne russirions pas pntrer, l'excursion sera intressante; on fera, tout au moins, le tour du jardin, et l'on fixera l'emplacement sur les cartes de gographie, qui, sans cela, seraient toujours incompltes. En attendant, voyons prsent ce que firent Adam et ve, une fois hors du paradis terrestre, et ayant la connaissance intgrale du bien et du mal... y compris le mal de mer.
23
2 CHAPITRE
COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES
L'Ecriture Sainte n'abonde pas en dtails biographiques sur le compte des premiers hommes. Le quatrime chapitre de la Gense coupe court aux suppositions des commentateurs joviaux, qui ont voulu voir l'uvre d'amour dans l'histoire de la pomme, cueillie par Eve, sur le conseil du serpent, et mange en commun avec Adam. C'est aprs l'expulsion de l'Eden que nos premiers parents se mirent en devoir de se faire une postrit. Le texte de la Bible est suffisamment explicite. 1. Or, Adam connut Eve sa femme, qui alors conut et enfanta Can; et elle dit: J'ai acquis un homme par l'Eternel. 2. Elle enfanta encore Abel son frre. Et Abel fut berger, et Can fut agriculteur. Les personnes qui n'ont pas approfondi l'tude de la thologie et des thologiens sont mille lieues de se douter des extravagantes discussions que cette grave affaire de la conception du premier bb humain a suscites parmi les commentateurs juifs et chrtiens. En dpit du texte ci-dessus, les uns, ne le trouvant pas encore assez clair, et partisans quand mme de l'uvre d'amour accomplie en Eden, ont mis l'opinion qu'Eve, peine cre, perdit sa virginit, et que le serpent profita, pour la tenter, du moment o Adam tait endormi pour se reposer de ses fatigues conjugales. Les autres, ayant leur tte saint Jrme, qui composa la Vulgate en traduisant directement de l'hbreu, sont d'avis que le verset 1 du chapitre 4 de la Gense prouve qu'Adam n'a jamais song connatre Eve que lorsqu'ils furent chasss du paradis. Et les apprciations n'en sont pas restes l!... Les thologiens qui ont adopt la manire de voir de saint Jrme, se sont diviss entre eux, en vertu du beau raisonnement que voici: tant admis que la consommation du mariage a eu lieu aprs le dpart de l'Eden, il n'y a pas de motif pour que a ait t aussitt, l, tout de suite; alors, quand? quel moment prcis?... Quand on est thologien, on veut tout fouiller; ces hommes-l sont d'une curiosit inimaginable, surtout en ces sortes de questions. Il y a donc eu des gens qui ont dbit qu'Adam diffra quinze ans et mme trente ans l'opration dcisive. D'autres poussent la chose encore plus loin et soutiennent gravement qu'Adam et ve, par une rsolution commune et pour pleurer leur pch, ne rompirent leur continence qu'au bout de... cent ans! Vous croyez que c'est fini?... Ah! que vous connaissez peu les thologiens! Quelques-uns ont dnich une tradition, en vertu de laquelle Adam serait demeur excommuni cent cinquante ans pour avoir mang du fruit dfendu, et il aurait vcu pendant ce temps-l avec une femme qui, comme lui, aurait t forme de la terre et qu'ils nomment Lilia; ils ajoutent qu'il engendra des diables par son commerce avec cette femme, et qu'enfin il pousa Eve, lorsque son excommunication fut leve, et qu'alors il engendra des hommes. Il est juste de dire que cette opinion n'a pas prvalu. Enfin, d'autres commentateurs, qualifis galement d'hrtiques et cits par saint Epiphane, ont soutenu que le diable avait eu affaire avec ve comme un mari avec sa femme, et cela mme aprs la sortie de l'Eden, et qu'il en avait eu Can et Abel. Voil donc des compensations: Adam quitte Eve pour faire des diables avec une autre femme, et le diable va trouver ve pour faire des hommes avec elle. Et la question des couches d'Eve?... Les chers thologiens y ont trouv aussi une mine inpuisable de controverses. Mais cela nous mnerait trop loin. En dernier lieu, rappelons une clbre et savante dissertation de l'allemand Reinhardt, o est agite la question de savoir si, oui ou non, Adam et ve avaient un nombril!... Tout a, c'est des btises, comme dit l'autre. Arrivons ce qui est srieux, attendu que ce qui est srieux dans la Bible n'en est pas moins mourir de rire. Donc Abel fut berger, et Can agriculteur; et nous allons voir bientt ce vieux toqu de Jhovah prfrer Abel Can. Or, je vous prie d'y rflchir une seconde seulement: lequel des 24
deux fils d'Adam, s'il vous plat, avait obi Dieu dans le choix de sa profession? C'est Can, parbleu! puisque l'Eternel avait ordonn l'humanit de cultiver la terre et de se nourrir exclusivement de ce que produiraient les champs, sauf transformer le bl en pain. Abel, lui, se met berger; s'il gardait et levait des troupeaux de moulons, ce n'tait videmment pas pour le plaisir de les regarder patre, en enfilant des perles; c'est, en ralit, parce qu'il apprciait surtout le mouton au point de vue du gigot et des ctelettes, dont il se rgalait, cela tombe sous le sens. Abel contrevenait donc carrment aux formelles et rcentes prescriptions divines; et c'est lui qui fut le petit chri du seigneur Jhovah!... Dcidment, curs impayables, ce n'est pas dans vos tabernacles qu'il faut enfermer votre papa Bon Dieu; c'est dans une cellule de Charenton. 3. Or, il arriva au bout de quelque temps que Can offrit en oblation l'Eternel des fruits de la terre; 4. Et qu'Abel aussi offrit des premiers ns de son troupeau, et de leur graisse. Et l'Eternel fut content d 'Abel et de ses prsents; 5. Mais il ne fut pas content de Can ni de ses prsents. Et Can fut irrit, et son visage fut abattu. Il y avait de quoi la trouver mauvaise, en effet. 6. Et l'Eternel dit Can: Pourquoi es-tu en colre et pourquoi ton visage est-il abattu? 7. Si lu fais bien, ne sera-t-il pas reu? Mais, si tu ne fais pas bien, la peine du pch est la porte. Or, ses dsirs se rapportent toi; et il sera sous ta puissance. La Bible ne mentionne aucune rponse de Can Dieu. J'avoue que, si je m'tais trouv sa place, le galimatias incomprhensible du verset 7 m'aurait compltement abasourdi. Can n'tait pas prophte. Sans quoi, en ngligeant le galimatias susdit, il aurait pu rpondre son interlocuteur: Ce sont donc les offrandes de viandes que vous prfrez, mon vieux Jhovah?... Eli bien, vous donnez un exemple qui sera suivi par les sacrificateurs paens... Vous avez justement mmes gots qu'auront les idoles, et ces gots seront plus tard dclars grossiers et indignes de la divinit... savez-vous par qui?... par les pitres mmes du catholicisme. Mais Can ne rpondit point. Cet homme, qui avait pris tant de peine mener bien la culture de ses melons, qui offrait au Seigneur ses cantaloups les plus succulents et qui les voyait mpriss, cet homme comprit que Dieu se fichait de lui par-dessus le march, et il en fut tellement vex qu'il en perdit un moment la tte. Au lieu d'en vouloir au capricieux et impoli Jhovah, il commit la faute de s'en prendre son fr re. 8. Et Can dit son frre Abel: Sortons dehors. Et quand ils furent aux champs, Can s'leva contre Abel son frre, et il le tua. a n'a pas tran, on le voit; Can tait un gaillard expditif. Il invite son frre faire une petite ballade au dehors; il l'entrane aux champs, sous un prtexte quelconque, pour chercher ensemble des scarabes, par exemple. Une fois-l, vite une querelle d'allemand, propos de boites; puis, un bon coup de pioche sur la tte. V'lan! a y est. Et c'est le chri de papa Bon Dieu qui, dans l'humanit, a l'trenne de la mort. Aprs quoi, que se passe-t-il dans la caboche de Can? Est-il ananti au spectacle de son crime?... Pas du tout. Il se mtamorphose subitement en sclrat endurci, en gibier de bagne. Il n'a pas le moindre remords, et lui, tout--l'heure si abattu, il va se montrer insolent envers le seigneur Jhovah, qui ne lui inspirera aucune crainte. 9. Et l'Eternel dit Can: O est Abel ton frre? Et Can lui rpondit: Je n'en sais rien; est-ce que je suis le gardien de mon frre, moi? On croit voir le tableau: papa Bon Dieu paraissant au coin d'un nuage et interpelant le meurtrier, et Can qui lui envoie quelque chose comme Et ta sur? avec la parfaite srnit d'un professionnel du crime, qui croit avoir fait disparatre toutes traces de l'assassinat et fait 25
un pied de nez aux gendarmes. Or, Jhovah n'avait pas perdu un dtail du drame; son il divin n'tait pas en dfaut, cette fois. 10. Et Dieu dit: Qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frre crie de la terre jusqu' moi. Il est clair qu'un chtiment terrible va punir tant de sclratesse et d'effronterie. Voyons donc la suite du discours de Jhovah: 11. C'est pourquoi, maintenant, tu seras maudit mme par la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frre! 12. Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit; et tu seras aussi vagabond et fugitif sur toute la terre. Voil Can condamn au vagabondage, n'avoir ni feu ni lieu, marcher toujours sans pouvoir s'arrter nulle part, prcurseur du lgendaire juif-errant. Mais, s'il va tre fugitif sans repos ni trve, il ne sera pas en mme temps laboureur, ce qui est une profession essentiellement sdentaire; comment s'y prendrait-il pour labourer, mme en pure perte? Si un inculp de vagabondage prouve au tribunal qu'il est laboureur, s'il tablit qu'il possde un champ et qu'il le cultive, son acquittement est certain; l'accusation s'est effondre, il n'est pas vagabond. L-dessus, Can prend la frousse, une telle frousse qu'il perd de vue que l'humanit se compose en tout de trois personnes, son pre, sa mre et lui-mme, et qu'il s'imagine pouvoir tre tu son tour par les autres hommes, qui n'existent pas. C'est du joli dtraquement crbral, a! Eh bien, a y est en toutes lettres dans la Bible. 13. Et Can dit l'Eternel: Ma peine est plus grande que je ne puis porter. 14. Voici: tu m'as chass aujourd'hui de dessus cette terre, et je me cacherai de devant la face, et je serai vagabond et fugitif sur toute la terre; alors il arrivera que quiconque me rencontrera me tuera. Du coup, le courroux du vieux Jhovah se calme. il ne fait pas grce Can de sa condamnation au vagabondage perptuit; mais, perdant son tour le sens de la situation, il ne veut pas que la peine soit aggrave. Aussi prend-il Can sous sa protection contre ces assassins impossibles. Si ce n'est pas du dlire, cela, je demande ce qui en sera! 15. Et l'Eternel dit Can: Quiconque tuera Can sera puni sept fois au double. Et Dieu mit une marque Can, afin que ceux qui le rencontreraient ne le tuassent pas. On s'attend lire prsent quelque rcit du vagabondage de Can. Ah! bien non, alors! Personne ne fut plus sdentaire que ce fugitif. 16. Alors, Can sortit de devant la face de l'Eternel, et il vint habiter le pays de Nod, l'orient de l'Eden. 17. L, Can connut sa femme, qui conut et enfanta Enoch; et il btit une ville qu'il appela Enoch, du nom de son fils. Nous apprenons par l que Can se maria: l'auteur ne dit pas avec qui; mais ii coule de source qu'Adam et Eve eurent des filles, dont la Bible a nglig de parler, et que Can pousa une de ses surs. Nous ne lui en ferons pas un crime; l'inceste fut obligatoire aux premiers temps de l'humanit. Ce qui nous fait plutt bondir, tant notre surprise est grande, c'est cette ville fonde par Can. C'est dj fort, un vagabond qui btit une ville; mais quels ouvriers avait-il son service? de quels instruments se servit-on pour construire les maisons? et o enfin Can recruta-t-il des citoyens pour peupler sa ville Enoch?... Et le fumiste Esprit-Saint a fait avaler cette bonne histoire au pieux auteur qu'il inspirait!... Les versets suivants nous donnent la descendance de Can. Enoch engendre Irad; Irad engendre Mavial; Mavial engendre Mathusa l. On ne sait, de ces personnages, que leur nom. Mathusal engendre un certain Lamech, plus gourmand en mariage que ses nobles aeux. Le vnrable Lamech est, en effet, l'inventeur de la polygamie; il se paie deux femmes pour lui tout seul, ce qui prouve que l'article commenait ne plus tre rare. De sa femme 26
Ada il eut deux fils, nomms Jabel et Jubal, et de sa femme Tsilla il eut un fils, Tubalcan, et une fille, Nohma. Il parat que les fils de Jabel prfrrent la campagne la ville btie par leur anctre Can; car ils furent les premiers sur terre demeurer sous des tentes (4:20). Quant aux fils de Jubal, la ville leur plaisait, au contraire, et ils furent les plus gais de la famille; ils aimaient la musique. Jubal fut pre de tous ceux qui jouent du violon et de l'orgue. (4:21) Tubalcan, lui, fut le Vulcain biblique: il forgeait toutes sortes d'instruments d'airain et de fer. (4:22) Le polygame Lamech semble avoir log dans son plafond une araigne d'assez belle taille; car la Gense nous rapporte de lui un speech qui a la qualit d'tre court, mais qu'aucun commentateur n'a jamais pu comprendre. 23. Or, Lamech dit un jour Ada et Tsilla, ses femmes: Femmes de Lamech, coulez bien mes paroles. Je tuerai un homme, si je suis bless; je tuerai mme un jeune homme, si je suis meurtri. 24. Car, si Can devait tre veng sept fois au double, moi, Lamech, je serai veng soixante- dix fois sept fois. Ce discours pata au plus haut point Mesdames Ada et Tsilla; elles en furent, sans doute, comme ptrifies et ne demandrent pas la moindre explication. L'Ecriture Sainte passe immdiatement la mention de la naissance de Seth, troisime fils d'Adam. 25. El Adam connut encore sa femme qui enfanta un fils et l'appela Seth; car Dieu, dit-elle, m'a donn un autre fils, en remplacement d'Abel que Can a tu. 26. Et, un fils naquit Seth, et il l'appela Enos. C'est alors qu'on commena d'invoquer le nom de Jhovah. Le cinquime chapitre de la Gense est consacr uniquement donner la gnalogie de No, descendant d'Adam par Seth. L'auteur sacr ne s'occupe plus de la descendance de Can. Nous trouvons donc l'ordre suivant, o ne sont nomms que les fils ans: Seth, Enos, Ca nan, Malalel, Jared, Enoch, Mathusalem, Lamech, No. Mais le plus curieux de ce chapitre est l'affirmation de l'extraordinaire longvit de tous ces patriarches. Adam avait cent trente ans, quand il eut Seth, et il vcut encore huit cents ans. Seth mourut neuf cent douze ans; Enos, neuf cent cinq ans; Canan, neuf cent dix ans, etc. Celui qui mourut le plus jeune fut. Lamech, pre de No; ce Lamech, qu'il ne faut pas confondre avec le polygame toqu de tout- -l'heure, dcda dans le sept cent soixante-dix-septime printemps de son ge. Enoch, fils de Jared, fut plus malin que tous les autres; il ne mourut pas, tout simplement. 21. Enoch vcut soixante-cinq ans, et il engendra alors Mathusalem. 22. Et Enoch, aprs qu'il eut engendr Mathusalem, se promena avec Dieu pendant trois cents ans; et il engendra des fils et des filles. 23. Tout le temps donc qu'Enoch vcut fut trois cent soixante-cinq ans. 24. Or, Enoch, s'tant ainsi promen avec Dieu, ne parut plus, parce que Dieu l'enleva. (Gense, ch. 5) Cet pisode est trop beau; n'importe quel commentaire le dflorerait. Admirons! Quant Mathusalem, c'est lui qui dcrocha la timbale de la longvit. Il avait du nerf, le bonhomme; jugez-en. Il vcut dans la continence jusqu' l'ge de cent quatre-vingt-sept ans, heureuse poque laquelle il s'offrit le luxe d'avoir un moutard, et, aprs la naissance du jeune Lamech II, il trouva le moyen de vivre encore sept cent quatre-vingt-deux ans, donnant jusqu'au bout des preuves de sa virilit. 26. Mathusalem, aprs qu'il eut engendr Lamech, vcut sept cent quatre-vingt-deux ans, engendrant encore des fils et des filles. (Textuel!) Total: neuf cent soixante-neuf ans. Excusez du peu!... On avait la vie dure, en ce temps-l. Et le pre No?... 30. Lamech appela son f ils No, en disant: Celui-ci nous soulagera de notre uvre et du travail de nos mains, sur cette terre que l'Eternel a maudite... 27
33. Et No avait pass cinq cents ans, quand il engendra Sem, Cha m et Japhet. Avoir cinq cents ans, et se mettre alors seulement becqueter sa petite femme?... Mieux vaut tard que jamais!... On a fait couler beaucoup d'encre propos de l'extraordinaire longvit des patriarches de la Gense. Des docteurs catholiques, sentant combien ces blagues taient par trop difficiles digrer, ont tent de sauver du ridicule les rcits de l'Esprit-Saint; ils ont avanc qu'il fallait peut-tre entendre annes par lunaisons, en insinuant qu' celte poque on comptait sans doute uniquement par lunes. A ce compte, Mathusalem serait mort octognaire, voil tout. Mais ces obligeants commentateurs ont t rabrous d'importance par les enrags qui tiennent ces miracles de longvit des premiers hommes. Le chanoine Rohrbacher, entre autres, dans son Histoire universelle de l'glise, dclare qu'il s'agit bien d'annes de douze mois, et il cite, notamment, l'exemple d'Abraham, qui, selon la Gense, mourut dans une heureuse vieillesse, tant fort g et rassasi de jours, ayant vcu cent soixante-quinze ans (25:7-8). S'il fallait compter par lunaisons, Abraham n'aurait donc vcu que quatorze ans et sept mois en tout, dit Rohrbacher, et cela nes 'accorderait pas avec les expressions employes par l'auteur sacr. Le mme thologien, po ur prouver que les annes indiques dans la Gense sont vraiment de douze mois, cite encore plusieurs personnages dont le texte divin fait connatre l'ge nu moment de la naissance de leur premier-n: Enos, Canan, Malalel engendrrent l'ge de quatre-vingt-dix, de septante, de soixante-cinq ans; en comptant par lunaisons, dit Rohrbacher, il faudrait donc admettre qu'ils auraient eu des enfants l' ge de sept ans et demi, de cinq ans dix mois, de cinq ans cinq mois! Et Nachor, qui engendra vingt-neuf ans, d'aprs le texte biblique, peut-on croire raisonnablement, s'crie le docte chanoine, que cela veut dire qu'il avait en ralit deux ans et cinq mois, quand il eut son premier enfant?... Non, bon Rohrbacher, et c'est vous qui tes dans le vrai: les annes dont parle la Gense sont incontestablement de douze mois. Aussi, rien n'est plus amusant que le cas du bonhomme No, qui attendit d'avoir cinq cents ans bien sonns pour faire zizi-panpan.
3 CHAPITRE
LES ANGES EN CONCUBINAGE SUR TERRE
Nous voici arrivs l'un des passages les plus curieux de la Bible, un de ceux dont la suppression dans les manuels d'histoire sainte montre le mieux le sans-gne des prtres en leur art de fabriquer et remanier les dogmes. Voil des lascars qui serinent sur tous les tons leurs ouailles que la Bible est une uvre essentiellement divine, qu'elle a t crite sous l'inspiration directe de l'Esprit-Saint, que tout ce qui y est crit est la vrit mme, la vrit la plus parfaite et la plus pure, que c'est le livre vnrable par excellence. Si donc nos tonsurs pensaient ce qu'ils disent, ils devraient, pleins de respect pour la Bible, la faire connatre intgralement aux dvots, ne pas en cacher un seul verset. Car, en matire de croyance religieuse, il faut accepter un livre sacr tel qu'il est; ou, si l'on en limine tel passage, parce qu'il est en contradiction avec certains points de science thologique que l'on a dclars articles de foi, le livre tout entier est rejeter, il n'est plus sacr, mais mprisable; le mensonge d'un fait, nu cours d'un chapitre, suffit pour dtruire le renom d'inspiration divine de toute l'uvre. Or, les curs aussitt qu'ils viennent de nommer No, abordent sans transition l'histoire du dluge et disent succinctement que la corruption des hommes mit Dieu en courroux et le 28
dcida cette noyade gnrale, la seule exception d'une famille dont le chef tait demeur un juste. Ce n'est pas la Bible, cela!... Elle parle d'autre chose; elle dit, en quatre versets, quelle fut la cause premire de cette corruption des hommes. Messieurs les curs, vous n'avez pas le droit de passer sous silence cet important pisode de votre Ecriture Sainte. S'il vous embarrasse aujourd'hui, tant pis! l'Esprit-Saint n'avait qu' ne pas le dicter l'crivain du Pentateuque!... Certes, la pilule est am re; mais, saint Jrme et les Pres de l'Eglise l'ayant avale autrefois, avalez-la, chers tonsurs, votre tour. La pilule, que les thologiens catholiques modernes s'efforcent de recracher sans bruit et dont ils voudraient bien qu'il ne restt aucune trace, se compose des quatre premiers versets du sixime chapitre de la Gense: 1. Or, il arriva que, lorsque les hommes eurent commenc se multiplier sur la terre et qu'ils eurent engendr des filles; 2. Les anges de Dieu (littralement: les fils de Dieu), voyant que les filles des hommes taient belles, vinrent, coucher avec toutes celles qui leur avaient le mieux plu. 3. Alors, l'Eternel dit: Mon esprit ne demeurera plus avec les hommes; car, maintenant, ils sont devenus trop charnels. Leur vie, donc, ne dpassera plus six fois vingt ans. 4. C'est en ce temps-l qu'il y avait des gants sur la terre, et cela aprs que les anges de Dieu se furent accoupls aux filles des hommes et quand celles-ci leur eurent donn des enfants; ces enfants, ainsi ns, sont ces hommes puissants, qui de tout temps ont eu une grande renomme. Quoique la Gense ne nous ait pas racont l'histoire de la cration des anges, voici la seconde fois qu'elle nous parle de ces tres surnaturels; la premire mention est celle du Chrub, plac la porte de l'Eden. Il est donc utile de dire quelques mots de la croyance aux anges chez les Juifs. Les chrtiens, en greffant leur culte sur la religion isralite, ont imagin des articles de foi, dont on ne trouve aucune trace dans la Bible: c'est ainsi qu'a t fabrique de toutes pices, longtemps aprs l'poque assigne la vie de Jsus-Christ, l'histoire de la rvolte de Satan et de sa dfaite par l'archange saint Michel. Or, comme nous examinons la Bible principalement au point de vue de la croyance catholique, c'est ici qu'il nous parait utile de nous occuper de celte addition. En un temps quelconque, donc, messire Jhovah se dit qu'il ne suffisait pas, un Tout- Puissant comme lui, d'avoir cr le ciel et la terre. Puisqu'il peuplait la terre, pourquoi ne peuplerait-il pas aussi le ciel? Il s'tait embt dans le chaos; il s'embtait de plus belle, tout seul, dans son paradis. Comme avec rien il pouvait fabriquer des masses d'objets et d'tres anims, il avait cr des anges dont le rle fut de lui former une agrable compagnie. Aprs quoi, il s'tait pay un beau fauteuil son chiffre, afin de prsider convenablement la cleste assemble. Et, pour le distraire, les anges chantaient tout le temps; en leur qualit d'tres surnaturels, ils ne se fatiguent pas. Mais voici que le plus beau de tous les anges, un gaillard auquel les tonsurs ont donn le nom de Lucifer, guigna du coin de l'il le sige du Trs-Haut et conut le rve audacieux de se substituer son crateur comme prsident du paradis. Sa criminelle tentative parut une dlicieuse farce quelques anges qui l'exercice du chant semblait monotone, et ils s'associrent au rvolt, tandis que la grande majorit se montra scandalise au plus haut point. C'est alors que Michel, ange fidle, vrai caniche pour le dvouement, se chargea de faire triompher la cause de Dieu en administrant Lucifer une formidable racle. L'ange rebelle fut prcipit aux enfers, crs subit en son honneur; ses complices y dgringolrent en mme temps; et le pre Jhovah put replacer son divin postrieur dans le fauteuil prsidentiel. 29
Telle est, succinctement, la lgende dont les pasteurs catholiques ont fait un dogme pour leurs tremblantes ouailles; car, au fond, cet pisode sert surtout donner le frisson aux dvots et dvotes. Gare vous, pieuses brebis! si vous n'obissez pas aux messieurs-prtres, vous irez rejoindre les mauvais anges au fin fond des enfers. Dans la Bible hbraque, quand il est question des diables, c'est--dire en des livres crits incontestablement aprs la captivit de Babylone (mille ans aprs la mort de Mose, ne l'oublions pas), le plus important de ces dmons est appel Satan; mais ces diables sont des mauvais gnies, sans aucune autre explication; ils ne sont nullement reprsents comme des rvolts, expulss du paradis cleste et enchans dans un enfer de flammes. Ainsi, dans la lgende de Job, le mauvais gnie Satan se promne au ciel, y va et vient comme s'il tait chez lui, y discute avec Jhovah. En voyant ces diables des derniers livres de la Bible prendre si bien leurs aises et n'endurer aucun supplice, les critiques ont fait remarquer que c'tait exactement la croyance des Chaldens, des Perses, dont les livres sacrs remontent une plus haute antiquit que ceux des Juifs. On en a conclu que les Isralites, pendant la longue captivit de Babylone, avaient ajout leurs croyances une partie de celles des peuples avec lesquels ils avaient t en contact. D'ailleurs, le nom que les Juifs adoptrent alors pour dsigner le principal diable trahit l'emprunt fait la religion de la Chalde ou Babylonie; car Satan n'est pas un mot hbreu, mais bien un mot chalden, qui signifie la haine . L'Esprit-Saint avait donc cach au peuple de Dieu non seulement l'histoire de la rvolte d'un certain nombre d'anges, mais mme le vritable nom du principal diable, puisque celui-ci n'est jamais nomm Lucifer dans la Bible. Ce sont les chrtiens qui ont dcouvert tout cela. Toutefois, les Pres de l'Eglise ont prtendu trouver toute force une mention de Lucifer dans l'Ancien Testament: et, pour cela, ils ont eu recours un subterfuge trompant assez habilement les ouailles qui les croient sur parole et ne lisent de la Bible que ce qu'on leur en laisse lire. Ce subterfuge roublard mrite d'tre perc jour, et je demande au lecteur de me pardonner une petite digression ncessaire. C'est dans les prophties d'Isae, au chapitre 14, verset 12, disent les tonsurs, qu'il est question de Lucifer sous ce nom mme, et ils citent le commencement du verset, mais en le falsifiant au moyen de la traduction latine de saint Jrme, dite la Vulgate. Voici le passage en question. Dans ce chapitre 14, Isae, en bon juif furieux de ce que les Babyloniens ont tenu longtemps sa nation en captivit, exhale sa patriotique colre et annonce au roi de Babylone que son royaume subira son tour la dcadence et sera ruin de fond en comble. L'Eternel, s'crie Isae, aura piti de Jacob et choisira encore Isral; et il rtablira les Isralites dans leur terre... Isral, tu te moqueras alors du roi de Babylone, et tu diras: Comment le tyran se repose-t-il? Comment se repose cette ville qui tait toute d'or? L'Eternel a rompu le bton des mchants et la verge des dominateurs... Il fera lever de leurs siges tous les principaux de la terre, tous les rois des nations. Ils prendront tous la parole et diront au roi de Babylone: Tu as t aussi affaibli comme nous! tu as t rendu semblable nous! On a fait descendre ta magnificence dans le spulcre, avec le bruit de tes instruments; tu es couch sur une couche de vers, et la vermine te couvre (versets 9- 10- 11). 12. Comment es-tu tomb du ciel, o Hlel, astre qui te levais an matin? Toi qui foulais les n ations, tu es abattu jusqu' terre. 13. Tu disais en ton cur: Je monterai jusqu'aux cieux, j'lverai mon trne par-dessus les toiles du Dieu fort; je serai assis sur la montagne de l'assemble, ct d'Aquilon... Et toutefois on t'a fait descendre au spulcre, au fond de la fosse. Ceux qui te verront, te regarderont en disant N'est-ce pas ici cet homme qui faisait trembler la terre et qui branlait les royaumes, qui a rduit le monde en dsert, qui a dtruit les villes et n'a point rendu la libert ses prisonniers? Tous les rois des nations, tous tant qu'ils sont, sont morts avec 30
gloire, chacun dans son palais. Mais toi, tu as t jet loin de ton spulcre, comme un tronc pourri, comme un habit de gens tus, transpercs avec l'pe, qui sont descendus parmi les pierres dans une fosse, et comme un corps mort foul aux pieds. Il faut vraiment un toupet de ratichon pour prtendre qu 'Isae parlait de Lucifer-Satan dans ce chapitre 14. C'est bien du roi de Babylone qu'il s'agit; ce dbordement de colre, ce flot de menaces, tout cela est l'adresse du roi de Babylone, uniquement, exclusivement. Maintenant, comment saint Jrme a-t-il opr la falsification du texte?... Gn par la version grecque des Septante, Jrme a traduit la Bible en latin, et, profitant de ce qu'Isae compare accidentellement le roi de Babylone l'toile du matin, nomme Hlel (aurore) chez les Juifs et Lucifer (porte-lumire) chez les Romains, il a crit ainsi la premire partie du verset 12: Quomodo cecidisti de clo, LUCIFER, qui mane oriebaris? Comment es-tu tomb du ciel, Lucifer, toi qui te levais au matin. Et nos tonsurs, adoptant cette traduction inexacte, se gardant bien de dire leurs ouailles que le texte original hbreu porte Hlel et qu'il s'agit du roi de Babylone compar l'astre Vnus, toile du matin, nos tonsurs, ayant soin de ne pas mettre le reste du chapitre sous les yeux des gogos dont ils empochent le saint-frusquin, s'crient, avec des airs de triomphe; La chute de Lucifer est mentionne dans la Bible! Isae en a parl ! Comme aplomb, c'est raide... Or, dans ce mme chapitre, au verset 28, Isae dit qu'il a prononc sa prophtie en l'an o mourut le roi Achaz, soit en 723 avant Jsus-Christ. Mme en supposant qu'Isae n'ait pas crit sa prophtie aprs coup, il faut bien reconnatre que l'auteur parle au futur, depuis la premire ligne jusqu' la dernire. Si donc cette chute du ciel s'appliquait Lucifer-Satan, elle aurait eu lieu aprs la mort du roi Achaz! Et les prtres catholiques disent ailleurs que c'est ce mme Lucifer, devenu diable, qui tenta ve sous la forme du serpent! Quelle salade de contradictions!... Allons, voil encore une blague catholique biffer une bonne fois. De cette digression, qu'il importait de faire, le lecteur retiendra la preuve dfinitive de l'absence totale de la lgende de Lucifer rvolt et vaincu, dans les livres sacres des Juifs. Nous revenons donc aux anges du chapitre 6 de la Gense, et nous allons recourir des sources, galement trs sacres, o nous puiserons plus de dtails sur le concubinage de ces bons anges avec les belles filles des hommes. Les manuels d'histoire sainte, l'usage des simples fidles, ne font aucune allusion, c'est entendu, l'aventure rvle par les quatre versets que j'ai reproduits tout l'heure; mais ces quatre versets ne sont pas retranchs des ditions bibliques rserves aux curs. Ce n'est pas tout: les tonsurs ont un autre livre pour eux seuls, un livre qu'ils entourent d'une grande vnration, sans le divulguer, et qui se nomme le Livre d'Enoch. Enoch, vous ne l'avez pas oubli, est ce patriarche de trois cent soixante-cinq ans, dont Jhovah se toqua et qu'il enleva au ciel, non l'tat d'me, mais en chair et en os, comme Jupiter enleva Ganymde, dont il s'tait, lui aussi, toqu. Or, d'aprs une tradition, Enoch crivit un livre, qu'il n'emporta pas en paradis, heureusement; il le lgua son fils Mathusalem, et No, dit-on, mit dans l'arche le prcieux manuscrit. Toutefois, le livre d'Enoch fut longtemps perdu. On dit qu' il existait, on ne sait o, par exemple! au temps des aptres. La preuve qu'on en donne est dans le Nouveau Testament. L, l'ptre de saint Jude s'exprime ainsi, aux versets 14-15: C'est d'eux encore (les impies) qu'Enoch, septime depuis Adam, a prophtis en ces termes: Voil que le Seigneur vient avec ses milliers de saints, pour exercer le jugement contre tous, et pour convaincre tous les impies de toutes leurs uvres d' impit. Puisque saint Jude a cit un passage de ce livre, c'est qu'il le connaissait, parbleu! Et, pendant plusieurs sicles, les thologiens se demandaient: Qu'est devenu le livre d'Enoch? Enfin, un voyageur assez clbre, l'cossais Jacques Bruce, dcouvrit en Abyssinie le fameux livre; pour dire la vrit, c'est sur une version thiopienne qu'il mit la main, car il est peu 31
probable qu'Enoch ait crit ses belles histoires dans la langue de Mnlik... Voyez un peu, tout de mme, combien il est utile d'avoir une providence, quand on est thologien! Ecrit par Enoch dans la langue d'avant la tour de Babel, ce livre merveilleux avait eu la chance, quoique la langue primitive ait t brusquement perdue, de trouver un traducteur hbreu; puis, cette traduction hbraque, connue des aptres et des premiers pres de l'Eglise, avait disparu comme une muscade. Crac! un cossais en dcouvre, vers la (in du dix-huitime sicle, une version thiopienne complte chez les anctres de Mnlik. Merci, divine providence! Notre Bruce apporta sa trouvaille la bibliothque bodlienne d'Oxford; joie immense des thologiens; nouvelles traductions, dont la premire (1838) fut imprime en anglais et eut pour auteur Mgr Richard Laurence, archevque de Casel, en Irlande. Le livre d'Enoch est divis en onze sections. C'est dans la section 2 qu'est raconte l'histoire des amours des anges avec les filles des hommes. Le nombre des hommes s' tant prodigieusement accru, ils eurent de trs belles filles. Or, les plus brillants des anges en devinrent amoureux, et ils furent entrans, par ce fait, dans beaucoup d'erreurs. Ils s'animrent entre eux, et ils se dirent: Allons sur terre, et choisissons-nous des femmes parmi les plus belles filles des hommes. Alors, Semiazas, que Dieu avait cr prince des anges les plus brillants, leur dit: Un tel projet est excellent; mais je crains que vous n'osiez pas le mettre excution et que je ne demeure le seul de nous tous faire des enfants aux belles filles des hommes. Tous rpondirent: Faisons serment d'excuter notre projet, et dvouons-nous l'anathme si nous y manquons. Ils s'unirent donc par serment et firent des imprcations. Ils taient au nombre de deux cents, d'abord. C'tait le temps o vivait Jared (pre d'Enoch). Ils partirent ensemble, descendirent du ciel, et vinrent sur la montagne Hermoni m, ou mont des serments. Et voici les noms des vingt principaux d'entre eux: Semiazas, Atarcuph, Araciel, Chobabiel, Horammame, Ramiel, Sampsich, Zaciel, Balciel, Azalcel, Pharmarus, Amariel, Anagemas, Thausa l, Samiel, Sarinas, Eumiel, Tyriel, Jumiel, Sariel. Eux et les autres, et d'autres encore, prirent des femmes l'an onze cent soixante-dix de la cration du monde. De ce commerce naquirent les gants, etc., etc. On voit qu'il ne s'agit aucunement d'une rvolte contre Dieu: les plus brillants des anges, ayant leur tte le prince Semiazas, qui n'est ni Lucifer ni Satan, vont en partie de plaisir sur terre, voil tout. Il est vrai que, leur exemple tant suivi par un grand nombre, Jhovah, se voyant dlaiss, commena grogner; cependant, il mit longtemps se fcher tout--fait, et sur la cause de la grande colre dfinitive le livre d'Enoch et la Gense ne sont pas absolument d'accord. C'est le cas de dire: Il y a de la magie l-dessous. Vous allez voir. Selon la Gense: la suite des relations des anges avec les belles humaines, les hommes devinrent trop charnels. Un thologien pourrait traiter la question. En effet, dirait-il, si les belles filles trouvrent got l'aventure et se montrrent insatiables, les anges furent en mesure de les satisfaire, et cela dut exciter l'mulation des simples hommes, leurs rivaux. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien faire au papa Bon Dieu? rpondrons-nous; n'avait-il pas recommand l'humanit de crotre et de multiplier?... Le livre d'Enoch ne prsente pas les faits sous le mme aspect. Les anges, devenus papas, s'intressrent leurs enfants et furent, pour les gants, des professeurs hors ligne. Non seulement, ils leur apprirent faonner les joyaux et les pierreries (sic); mais encore, ils leur enseignrent la magie, l'art de lire l'avenir dans les astres. En outre, ils initirent leurs concubines aux grands mystres. On comprend ce qui s'ensuivit: mesdemoiselles les matresses des anges et leurs btards gants furent bientt suprieurs aux autres hommes; que 32
de fumisteries on peut faire ses contemporains, quand on est magicien!... La terre se plaignit et retentit de cris de douleur. mus des douleurs de la terre, les quatre anges de l'harmonie demandrent Dieu de mettre un terme ces maux. Sur ces entrefaites, le sieur Azazel, un des anges qui couchaient avec les filles des hommes, avait cherch noise Semiazas, lui avait flanqu une tripote, et avait pris sa place comme chef des balladeurs sur terre. Dieu envoya l'ange Raphal combattre l'ange Azazel, et notre Azazel, vaincu, fut enferm par Raphal dans une caverne, au dsert de Dodol. D'autre part, Dieu trouva le dluge ncessaire: pour empcher les gants de continuer leurs exercices de magie, il allait noyer tout le monde, y compris les simples hommes qui souffraient des sorciers. Quant aux anges, qui taient alls mener sur terre une vie de btons de chaise, ils rintgreraient le ciel et devraient rester bien sages dsormais. C'est, sans doute, depuis cette poque que les anges sont des tres insexuels: le pre Jhovah, pour se garantir contre de nouvelles escapades, dut les obliger dposer leur cautionnement, comme font les pachas l'gard de tout monsieur postulant un emploi dans leur srail. Les curs ont donc grand tort de supprimer cet pisode dans leurs manuels d'histoire sainte; on saurait au moins pourquoi les anges sont eunuques! Est-il besoin d'ajouter que le pauvre bougre d'ange Azazel, oubli dans la caverne o Raphal l'avait boucl, fut, naturellement, noy lors de l'universelle inondation?... Versons une larme sur son triste sort. Allez donc dire, aprs cela, qu'il n'est pas providentiel que le livre d'Enoch ait t retrouv!... En somme, il n'avait pas gn les premiers chrtiens, puisque saint Jude le cite expressment: plusieurs Pres de l'Eglise ne se sont pas fait faute, leur tour, d'en parler comme d'un livre trs connu: Origne, que saint Jrme appelait le matre des Eglises, invoqua son autorit; Tertullien accorde une grande vnration cet ouvrage dans son Trait sur le paganisme. Le livre d'Enoch fut donc en honneur dans le catholicisme jusqu'au quatrime sicle. Plus tard, en rflchissant qu'il consolidait les quatre ennuyeux premiers versets du chapitre 6 de la Gense, les prtres le firent disparatre; mais des fragments purent tre conservs et ont t cits par Scaliger, Semler et Fabricius. Enfin, il faut remercier l'archevque Laurence, qui traduisit la version thiopienne rapporte par Jacques Bruce. En voyant quelle ide les Juifs se faisaient des anges, nous constatons que les catholiques ont chang aujourd'hui tout cela, et pourtant ils dclarent que la nation isralite tait le peuple de Dieu et ils ont adopt comme divinement inspirs leurs livres religieux. Ainsi les Juifs classaient les anges en une hirarchie de dix degrs: 1. les Kadoschim, ou trs-saints; 2. les Ofamim ou rapides; 3. les Oralim, ou forts; 4. les Chasmalim, ou anges-flammes; 5. les Sraphim, ou anges-tincelles; 6. les Malachim, ou messagers; 7. les Elohim, ou divins; 8. les Ben-Elohim, ou enfants des dieux; 9. les Chrubim, ou anges-bufs; 10. les Ychim, ou anims. Mais le pape Grgoire I a t d'avis de rpartir tout autrement les anges, et depuis lors, on a eu la division suivante, trois hirarchies de trois churs chacune: premire hirarchie, compose des Sraphins, des Chrubins et des Trnes; deuxime hirarchie, compose des Dominations, des Vertus et des Puissances; troisime hirarchie, compose des Principauts, des Archanges 33
et des simples Anges. On voit par l combien est grand le pouvoir d'un pape; avoir le droit de rgler les rangs du ciel, ce n'est pas une bagatelle!... Les prtres catholiques ont donc affirm leurs benotes ouailles que les Juifs n'entendaient rien leurs livres saints, ne comprenaient pas leur religion. Pensez un peu! ces imbciles Juifs n'avaient jamais devin que leur Isae, en apostrophant le roi de Babylone, leur ennemi, et en lui prdisant qu'un jour viendrait o sa puissance serait dtruite, avait voulu parler, non pas de la future chute de ce roi, mais en ralit de l'antique rvolte de Lucifer contre Dieu et de sa dgringolade et transformation en Satan. Fallait-il que les rabbins aient l'esprit bouch pour n'avoir pas su lire entre les lignes!... Et, disent les tonsurs, il y a bien d'autres choses encore que les Isralites n'ont pas souponn dans leur Bible. Par exemple, la Trinit. Essayez de faire comprendre un Juif qu'il adore un dieu en trois personnes; vous perdrez votre temps, il vous rira au nez. Il vous rpondra que, si papa Bon Dieu tait triple, il l'aurait dit Mose, aux patriarches, aux prophtes. La Bible en main, il vous soutiendra que pas un mot n'y fait allusion cette trinit, d'ailleurs incomprhensible, et qu'au contraire, d'un bout l'autre, l'criture Sainte atteste la personnalit de Jhovah comme essentiellement une et indivisible. Devant ce manque de perspicacit, le thologien catholique sourit de piti, hausse les paules. Les deux premiers versets de la Gense lui suffisent pour dmontrer que la trinit divine a exist de tout temps, tellement c'est clair! Il les cite triomphalement, ces deux premiers versets: 1. Dans le commencement, Elohim fit le ciel et la terre; 2. Or, la terre tait tohu-bohu, les tnbres taient sur la face de l'abme, et le vent de Dieu courait sur les eaux. Telle est la traduction littrale du texte hbreu, avec la conservation des mots Elohim et tohu- bohu qui ont t adopts en d'autres langues. Vous ne voyez pas Dieu le Pre, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit l-dedans?... En effet, au premier coup d'il, on ne les aperoit gure; mais prenez une lorgnette, et vous allez trs-bien distinguer la Trinit. Notre lorgnette, si vous le permettez, ce sera le raisonnement de saint Augustin dans son beau livre De cantico novo, chapitre 7. Bien n'est plus convaincant que ce raisonnement de l'vque d'Hippone; l'glise et tous ses thologiens le proclament d'une limpidit de cristal de roche. Dans le commencement , qui est le commencement des temps ou des choses, quivaut dans le principe . Or, qu'est-ce que le principe, si ce n'est le Verbe, c'est--dire Dieu le Fils?... Dsirez-vous des preuves? En voici. Ouvrez l'Apocalypse de saint Jean, au chapitre 3; le Christ lui-mme s'appelle le principe de la crature de Dieu (verset 14). Maintenant, ouvrez l'Evangile du mme Jean, au chapitre 8. Interrog par les Juifs, lui demandant: Qui tes-vous? Je suis le principe, rpondit Jsus (verset 25). Par consquent le premier verset de la Gense doit se lire ainsi: En Dieu le Fils, qui est le principe, Dieu le Pre lit le ciel et la terre. Vous n'tes pas tout--fait satisfait?... Vous venez de voir tes deux premires personnes de la Trinit; mais vous ne distinguez pas encore la troisime. Un peu de patience; reprenez la lorgnette de saint Augustin. La troisime personne, Dieu le Saint-Esprit est au verset 2, l-bas, la fin. Le vent de Dieu courait sur les eaux... Ce petit vent ne vous dit-il rien?... En latin, le vent, le souffle, c'est spiritus, et l'esprit, c'est aussi spiritus; donc le vent de Dieu n'est autre que l'esprit de Dieu, c'est--dire Dieu le Saint-Esprit. 34
C'est pourquoi, la vraie traduction du texte hbreu est celle-ci: En Dieu le Fils, principe de toutes choses, Dieu le Pre fit le ciel et la terre; or, la terre tait tohu-bohu, les tnbres taient sur la face de l'abme, et Dieu le Saint -Esprit courait sur les eaux. Cette fois, a y est... Et dire que les Juifs n'ont jamais pu voir a dans les deux premiers versets de la Gense!... Un tel aveuglement est vraiment extraordinaire. Quant moi, chers lecteurs, vous reconnatrez que j'ai mis profit mes douze ans passs votre intention sous la bannire de l'Eglise. J'ai appris les belles choses de la thologie, et voici que je vous les fais savourer. Admirez donc avec moi ce Dieu le Saint-Esprit, qui, l'poque du tohu-bohu, employait tout son temps courir sur les eaux. Os qu'est mon fusil?... Et la rflexion finale qui s'impose: l'Esprit-Saint n'est pas un pigeon, alors?... C'est un canard!!!
4 CHAPITRE
NOYADE GNRALE DE L'HUMANIT
Sobre de dtails sur les fautes commises par les descendants d'Adam depuis le concubinage des anges, la Gense nous dit simplement: L'Eternel Dieu vit que la malice des hommes tait devenue trs-grande sur la terre et que toute l'imagination des penses de leur cur n'tait que mal en tout temps. (6:5) Disons le mot: les descendants d'Adam devaient ngliger leurs prires du matin et du soir; car il n'y a rien de tel pour vexer Monsieur Dieu. Au surplus, n'importe quel cur vous l'apprendra, si vous l'ignorez: quand on oublie ses prires, on est sur la pente de tous les crimes. 6. Dieu se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il en eut un grand dplaisir dans son cur. 7. Et il dit: J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai form, depuis l'homme jusqu'au btail, et tous les animaux, jusqu' ceux qui rampent, mme jusqu'aux oiseaux des cieux; car je me repens de les avoir faits. Le repentir d'un dieu, voil qui n'est pas vulgaire. La douleur de matre Jhovah tait des plus vives, puisqu'elle lui troubla la cervelle, au point de lui faire dcrter l'extermination des animaux, qui, eux, n'avaient pas pch. La critique pourra dire aussi que le plus simple aurait t pour Dieu, attendu qu'il est tout-puissant, de changer le cur des hommes; mais il prfra les noyer, comme on va voir, ce qui n'est pas trs paternel. 8. Mais No trouva grce devant l'ternel. C'tait un homme juste et plein d'intgrit en son temps (6:9); papa Bon Dieu vint lui faire visite, pour le prvenir de la catastrophe qu'il mditait et lui donner le moyen d'y chapper. Et Dieu dit No: la fin de toute chair est venue devant moi; car la terre est remplie des iniquits de leur face, et je les dtruirai avec la terre. Fais-toi une arche de bois de gopher; tu feras cette arche par loges, et tu l'enduiras de bitume en dedans et en dehors. Et tu la feras ainsi: elle aura trois cents coudes de long, cinquante de large, et trente de haut. Tu donneras du jour l'arche; tu feras son comble d'une coude de haut; tu mettras une porte sur le ct; et tu la feras avec un bas tage, un second et un troisime. Et voici: je ferai tomber un dluge d'eaux sur la terre, pour dtruire toute chair qui a souffle de vie en soi sous les cieux; et tout ce qui est sur la terre expirera. Mais j'tablirai mon alliance avec toi; et tu entreras dans l'arche, toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils avec toi. Et de tout ce qui a vie d'entre toute chair, tu en feras entrer deux de chaque espce dans l'arche, pour les conserver en vie avec toi; savoir, le mle et la femelle; des oiseaux, 35
selon leur espce; des btes, selon leur espce; et de tous les reptiles, selon leur espce. Prends aussi avec toi de toute nourriture qu'on mange, et fais-en ta provision, afin qu'elle serve pour ta nourriture et pour celle des animaux. Et No fit toutes les choses que Dieu lui avait commandes; il les fit ainsi. (6:13-22) La construction de l'arche dura cent ans. Jhovah n'avait pas dit No de prvenir les autres hommes de ce qui allait arriver; on est donc en droit de prsumer que le patriarche et sa famille gardrent le secret. Les gens taient pats de voir No construire en pleins champs cet immense vaisseau, long de trois cents coudes, ce qui fait environ cent cinquante mtres, c'est--dire la longueur d'un de nos grands paquebots du courrier de Chine; mais ces formidables paquebots ont quinze mtres de large, tandis que l'arche en eut vingt-cinq. Les autres hommes prenaient le vieux No pour fou et se moquaient de lui qui mieux mieux; mais le patriarche se laissait blaguer, sans sourciller, et n'en tait que plus actif sa besogne. Rira bien qui rira le dernier, murmurait-il dans sa barbe. Les cent annes employes construire l'arche ne paratront pas un nombre exagr, si l'on songe tout ce que la Bible passe sous silence, mais qui fut nanmoins d'absolue ncessit pour se conformer aux ordres de Dieu. Ainsi, les trois fils de No eurent, videmment, de longs voyages faire dans les contres les plus lointaines du monde, afin d'en rapporter les animaux qui ne vivaient pas dans leur rgion. Comme il s'agissait aussi de ne pas tre croqus, une fois dans l'arche, par les lions, les tigres, les alligators et autres terribles btes, ils durent se faire enseigner (par les gants, sans doute) le mtier de dompteur. Il fallut fabriquer des conserves de viande pour les innombrables carnassiers. Il convient aussi de remarquer que ce bois de gopher, dont l'arche fut faite, devait tre le meilleur des bois. Si aujourd'hui on s'avisait de mettre cent ans pour construire un vaisseau, il n'est pas de bois, si dur qu'on le puisse rver, qui ne serait pourri avant l'achvement du navire; la poupe s'mietterait de vtust quand on en arriverait travailler la proue, et ce serait toujours recommencer, comme pour le couteau de Jeannot, qui est ternel, parce qu'on en remplace alternativement la lame et le manche. Personne n'a pu dire au juste ce qu'tait ce fameux bois de gopher; on n'en a jamais pu retrouver nulle part depuis le dluge, et c'est bien fcheux. Quand le vaisseau sauveur fut achev, l'Eternel dit No: Entre, toi et toute ta maison, dans l'arche; car je t'ai vu juste devant moi en ce temps. (Gense 7:1) La suite du discours divin prouve que matre Jhovah avait oubli ses premires prescriptions; il avait recommand au patriarche de ne prendre avec lui qu'un couple de chaque espce de btes. Au dernier moment, papa Bon Dieu changea quelque peu le programme. Tu prendras, dit-il No, de toutes les btes nettes sept de cbaque espce; mais des btes qui ne sont point nettes, un couple seulement, le mle et la femelle. (7:2) La Bible n'ajoute pas que Dieu ait expliqu No ses distinctions; mais cela est probable. D'ailleurs, le Lvitique, autre livre attribu Mose, indique (ch. 11) ce que les Hbreux entendaient par animaux purs ou btes nettes et animaux impurs ou btes qui ne sont point nettes. Parmi les quadrupdes, les purs sont ceux qui ont l'ongle divis, le pied fourchu, et qui ruminent: le chameau, le lapin, le livre, qui ruminent, mais qui n'ont pas l'ongle divis, sont animaux impurs; le cochon, qui a l'ongle divis et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas, est galement animal impur. Parmi les oiseaux, Jhovah a dclar impurs l'aigle, l'orfraie, le faucon, le vautour, le milan, le corbeau, le chat-huant, le coucou, l'pervier, la chouette, le plongeon, le hibou, le cygne, le cormoran, le plican, la cigogne, le hron, la huppe et la chauve-souris. Enfin, ont t dclars animaux impurs la belette, la souris, la tortue, le hrisson, le crocodile, le lzard, la limace et la taupe. Toutes les autres btes sont des animaux purs. 36
D'autre part, papa Bon Dieu annona No que la petite fte diluvienne commencerait dans sept jours. Le patriarche eut donc apprendre lestement son histoire naturelle, pour savoir s'il devait embarquer avec lui deux ou sept girafes, deux ou sept lphants, deux ou sept rhinocros, deux ou sept hippopotames, etc. Et il arriva qu'au septime jour les eaux du dluge tombrent sur la terre. En l'an six cent de la vie de No, au second mois, au dix-septime jour du mois, en ce jour-l toutes les fontaines du grand abme furent rompues, et les bondes des cieux furent ouvertes. (7:10-11) On constate par l que l'Esprit-Saint persistait faire croire l'existence d'un immense rservoir d'eaux suprieures, se vidant en quelque sorte au moyen d'cluses. Et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. En ce mme jour- l, No, Se m, Cham et Japhet, fils de No, entrrent dans l'arche, avec la femme de No, et les trois femmes de ses fils avec eux; eux, et toutes les btes selon leur espce, et tous les animaux domestiques selon leur espce, et tous les reptiles qui rampent sur terre selon leur espce, et tout petit oiseau ayant des ailes, de quelque sorte que ce soit. (7:12-14) Quelle arche! quelle arche!... En additionnant les diverses priodes indiques dans la suite de ce chapitre et dans le chapitre suivant, on trouve que No, sa famille et les animaux sauvs restrent dans l'arche pendant 393 jours au total. Les thologiens ne nous disent pas comment huit personnes purent suffire durant toute une anne donner manger et boire tous ces animaux, et vider leurs excrments. Il faut songer aussi la reproduction de toutes ces btes, aux races trs prolifiques!... Quelle place il fallait! quelles immenses provisions de toute nature! quelle besogne pour No, sa femme, ses fils et ses brus! C'est Dieu qui s'tait charg de fermer la porte de l'arche (7:16). Quand le navire se mit flotter, les eaux se renforcrent et s'accrurent fort sur la terre; et toutes les plus hautes montagnes qui taient sous tous les cieux furent couvertes; les eaux s'levrent de quinze coudes plus haut (7:17-20). Il est impossible de se faire une ide exacte de cette masse d'eau, mme lorsqu'on sait que la plus grande profondeur marine connue est la fosse du Tuscarora, dans l'Ocan Pacifique (les Kouriles), 8,606 mtres de profondeur, et que la plus haute montagne du globe, le Gaourisankar, de l'Himalaya, a son sommet 8,840 mtres au- dessus du niveau de la mer!... Et le Gaourisankar fut dpass de quinze coudes par le niveau de l'inondation universelle!... J'appellerai, en passant, l'attention du lecteur sur la dsagrable surprise que le dluge fit prouver aux poissons: au dbut, ils durent certainement passer un mauvais quart d'heure par l'effet du mlange des eaux douces et sales; mais, sans doute, ils s'y habiturent, et Dieu leur accorda une protection spciale, pour les empcher de prir. Mais toute chair qui se mouvait sur la terre expira, tant des oiseaux que du btail, des btes et de tous les reptiles qui se tranent sur la terre, et tous les hommes. Toutes les choses qui taient sur le sec, et qui avaient respiration en leurs narines, moururent. Tout ce donc qui subsistait sur la terre fut extermin, depuis les hommes jusqu'aux btes, jusqu'aux reptiles, et jusqu'aux oiseaux des cieux. No demeura seul vivant, et tout ce qui tait avec lui dans l'arche. Et les eaux se maintinrent sur la terre pendant cent cinquante jours. (7:21-24) Cependant, il y a une tin tout. Or, l'Eternel se souvint de No et de tous les animaux qui taient avec lui dans l'arche. Et alors Dieu fit souffler son vent sur la terre, et les eaux s'arrtrent. Car les sources de l'abime et les bondes des cieux avaient t fermes, et la pluie des cieux avait t retenue. Et les eaux se retiraient de plus en plus de dessus la terre; et au bout des cent cinquante jours elles diminurent. Et au dix-septime jour du septime mois, l'arche s'arrta au sommet du mont Ararat. Et les eaux allaient en diminuant de plus en plus, jusqu'au dixime mois; et au premier jour du dixime mois les sommets des autres montagnes se montrrent. (8:1-5) C'est inou, ce qu'il y a de miracles mentionns en ce peu de lignes! 37
D'abord, nous avons grand plaisir renouveler connaissance avec cet aimable vent de Dieu qui n'avait eu aucune occupation depuis la cessation du chaos. Au commencement, il courut longtemps sur les eaux dans le tohu-bohu, et saint Augustin et les thologiens catholiques nous ont appris que ce vent coureur tait tout btement Dieu le Saint-Esprit. Or, maintenant, pour scher les eaux du dluge, voil que Jhovah, c'est--dire Dieu le Pre, lche ledit Saint- Esprit, qui devient souffleur; car ici l'expression du texte hbreu, le vent de Dieu , se retrouve la mme qu'au verset 2 du chapitre 1; c'est donc indubitablement le divin pigeon (ou le divin canard, comme vous voudrez) qui entre en scne et assume la tche de desscher l'universelle inondation. Il fallait, d'ailleurs, qu'un des personnages de la Trinit s'en mlt: jamais un vent quelconque n'et pu venir bout d'une telle immensit d'eaux. Le niveau du dluge dpassant de quinze coudes les plus hautes Montagnes de la terre, on a calcul que cette accumulation d'eaux reprsentait la valeur de plus de douze ocans l'un sur l'autre et que la douzime zone diluvienne tait, par consquent, elle seule, vingt-quatre fois plus grande que les eaux runies de toutes les mers qui entourent aujourd'hui les deux continents. Aussi peut-on considrer le miracle du dluge comme le plus extraordinaire des miracles que Dieu a accomplis, puisqu'aprs avoir cr tous ces ocans nouveaux, ce qui tait dj un tour de force inimaginable, il les a ensuite anantis rien qu'en faisant souffler son vent. Voil un pigeon qui a du souffle!... Autre miracle, qui ne saurait passer inaperu: au dix-septime jour du septime mois, l'arche de No s'est arrte au sommet de l'Ararat, dont l'altitude est de 5,156 mtres; et les montagnes qui sont plus hautes que l'Ararat, telles que le Gaourisankar, dj nomm (8,840 mtres), le Dapsang (8,615 mtres), le Nanda-Devi (7,813 mtres), l'Aconcagua (6,970 mtres), le Chimborazo (6,254 mtres), le Kilimandjaro (6,000 mtres), le Cotopaxi (5,970 mtres), etc., etc., n'ont montr leurs sommets que dix semaines aprs, soit le premier jour du dixime mois. a encore, comme miracle, c'est patant ! La vierge de Lourdes elle-mme n'en opre pas de ce calibre-l. Le rcit biblique de la fin du dluge comporte, en outre, une histoire de corbeau et de colombe qui n'offre pas un intrt trs palpitant. No lcha, d'abord, un corbeau qui sortit, allant et revenant, jusqu' ce que les eaux se schassent. . Ensuite, il envoya une colombe qui, ne trouvant pas sur quoi asseoir la plante de son pied, retourna lui dans l'arche ; mais il la lcha de nouveau au bout de sept jours, et, cette fois, quand elle revint, elle tenait dans son bec une branche d'olivier; No connut ainsi que les eaux s'taient retires de dessus la terre. Le patriarche avait alors six cent un ans. Dieu lui parla pour lui faire savoir que le moment tait venu de sortir. La sortie de tous les animaux s'opra en bon ordre. D'autre part, il est prsumer, bien que la Bible ne le dise pas, que l'eau sale se spara de l'eau douce (nouveau mir acle!), afin que les fleuves, les lacs, les mers et les rivires pussent se reformer distincts comme auparavant; et tous les poissons rentrrent alors dans les diverses ondes qui convenaient leur nature. Et No btit un autel l'Eternel, et prit de toute ble nette et de tout oiseau net, et il offrit des holocaustes sur l'autel. Et l'Eternel flaira une odeur qui l'apaisa, et il dit en son cur: Je ne maudirai plus la terre, cause des hommes; car l'imagination du cur des hommes est mauvaise ds leur jeunesse; et je ne dtruirai plus tout ce qui vit, comme j'ai fait. (8:20-21) L-dessus, papa Bon Dieu administra No et ses enfants une bndiction de premire classe et leur donna la permission de se nourrir dsormais d'aliments autres que le pain et les herbages. Et Dieu bnit No et ses fils, et leur dit: Croissez et multipliez, et remplissez la terre. Et toutes les btes de la terre, tous les oiseaux des cieux, avec tout ce qui se meut sur la terre, et tous les poissons de la mer, vous craindront et vous redouteront; ils sont remis entre vos mains. Tout ce qui se meut et qui a vie sera votre nourriture, aussi bien que l'herbe verte. 38
Toutefois, vous ne mangerez point de chair avec son me, laquelle est le sang. En effet, je redemanderai le sang de vos mes la main des btes qui vous auront mangs; et mme je redemanderai l'me de l'homme la main de l'homme son frre. Quiconque rpandra le sang humain aura son sang rpandu; car l'homme est fait l'image de Dieu. (9:1-6) De ce qui prcde il rsulte que les btes ont une me, au dire de l'Esprit-Saint, et que l'me rside dans le sang. On voit aussi que le seigneur Jhovah a horreur de l'homicide; mais, comme le Dieu de la Bible a souvent la berlue, nous le verrons plus loin pousser les Isralites aux massacres et trouver que son peuple chri ne verse jamais assez de sang humain. Papa Bon Dieu prenant l'engagement de ne plus noyer l'humanit, une signature tait ncessaire ce pacte; la signature divine fut l'arc-en-ciel, inaugur ce jour-l. Je mettrai mon arc dans les nues, dit l'Eternel, et il sera le signe de mon alliance entre moi et la terre. Et, quand il arrivera que j'aurai couvert de nues la terre, alors l'arc paratra dans les nues. Ainsi, le voyant, je me souviendrai de mon pacte entre moi, Dieu, et vous, entre moi et tout animal vivant en chair sur la terre. (9:13-15) La prcaution tait bonne, papa Bon Dieu se dfiant de ses frquents manques de mmoire. On remarquera, en outre, que le texte sacr ne dit pas: Mon arc qui est dans les nues sera dsormais le signe de mon alliance; mais: Je mettrai mon arc dans les nues; ce qui donne entendre trs nettement qu'auparavant il n'y avait point eu d'arc-en-ciel. Or, comme l'arc-en- ciel n'est form que par les rfractions et les rflexions des rayons du soleil dans les gouttes de pluie, il s'ensuit que, pendant les sicles couls entre la cration d'Adam et le dluge, l'arrosage pluvial ne se produisit jamais; les arbres et les plantes poussrent donc tout seuls, ou bien la sueur du front des hommes leur suffisait, ou encore le vagabond Can qui btissait des villes organisa sur tout le globe des compagnies d'arrosage artificiel. L'histoire du dluge se complte par deux pisodes intressants: l'ivresse de No, et la tour de Babel. No, qui tait laboureur, fut le premier qui planta la vigne. Or, ayant bu du vin, il s'enivra, et s'tendit tout nu, au milieu de sa tente. Et Cham, pre de Canaan, ayant vu la nudit de son pre, sortit et le rapporta ses deux frres. Alors, Sem et Japhet prirent un manteau, et marchant reculons, ils couvrirent le sexe de leur pre, et leurs visages taient tourns en arrire, de sorte qu'ils ne virent pas la nudit de leur pre. (9:20-23) Ainsi, Sem et Japhet se conduisirent respectueusement, en bons fils ayant piti de l'ivresse de monsieur leur papa; Cham, au contraire, avait agi en malotru. Une maldiction ne pouvait tarder; mais vous allez voir qui la reut. No, s'tant veill aprs son vin, apprit la moquerie de son fils Cham. C'est pourquoi il dit: Maudit soit Canaan; il sera l'esclave des esclaves de ses frres! Il dit encore: Bni soit l'Eternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave! Que Dieu attire en douceur Japhet, et que Canaan soit son esclave! (9:24-27) Et voil comment fut maudit le jeune Canaan, qui ne s'tait aucunement moqu de son grand- pre. Il n'est gure possible de croire que No avait fini de cuver son vin, quand il pronona sa sentence; mais elle fut nanmoins confirme par le seigneur Jhovah. En effet, les thologiens s'accordent reconna tre que No attribua l'Asie Sem, l'Europe Japhet, et l'Afrique Cham; Canaan et Cham devinrent ngres, et eux et leur race furent ainsi mpriss. Comment les trois fils de No, quoique issus d'un mme pre et d'une mme mre, purent-ils tre les chefs de trois races diffrentes? Ce serait perdre son temps que chercher le comprendre. Il faut donc s'incliner et admettre gu de Sem descend la race asiatique la peau jaune; de Japhet, la race europenne la peau blanche; et de Cham et Canaan, la race africaine la peau noire. Mais les peaux-rouges d'Amrique, de qui descendent-ils? L'Esprit-Saint oublia de le dire l'crivain de la Gense; ou bien la race cuivre n'a pas eu de pre. Miracle et mystre. 39
Le chapitre 10 donne la gnalogie de Japhet, de Sem et de Cham, et fait connatre les premires villes bties. De tous les noms cits, le plus connu est celui de Nemrod, qui fut un puissant chasseur devant l'ternel . Alors toute la terre avait un mme langage et une mme parole. Mais il arriva, comme les hommes partirent de l'Orient, qu'ils trouvrent une campagne au pays de Sennaar, o ils habitrent. Et ils se dirent entre eux: Allons, faisons des briques et cuisons-les au feu; et ils eurent des briques au lieu de pierres, et du bitume au lieu de mortier. Et ils se dirent encore: Venez, btissons-nous une ville, ainsi qu'une tour dont le sommet atteigne jusqu'aux cieux, et acqurons-nous une grande renomme avant de nous disperser sur toute la terre. Alors l'Eternel descendit pour voir la ville et la tour que btissaient les fils des hommes. Et il dit: Voici, ils ne sont qu'un peuple, et tous ont un mme langage, et ils commencent travailler; et maintenant rien ne les empchera d'excuter ce qu'ils ont projet. Venez donc, descendons, et confondons l leur langage, afin que nul d'entre eux ne comprenne plus ce que lui dira son voisin. Ainsi l'Eternel les dispersa de l par toute la terre, et ils cessrent de btir la cit. C'est pourquoi son nom fut appel Babel. (11:1-9) Saint Jrme, dans son commentaire sur Isae, dit que la tour de Babel avait dj quatre mille pas de hauteur, quand Jhovah dcrta l'interruption des travaux, et Voltaire observe que cela ferait vingt mille pieds, soit dix fois plus d'lvation que la grande pyramide d'Egypte, laquelle a 142 mtres de haut. Or, les pyramides ont subsist, et il ne reste aucune trace de cette prodigieuse entreprise de la tour de Babel, que la Gense place vers la cent dix-septime anne aprs le dluge. Pour une hauteur de quatorze cents mtres, qui n'tait pas encore le fate, il a fallu une base d'un dveloppement formidable; comment cette immense masse de maonnerie, si compacte et si solide, a-t-elle pu disparatre? On ne peut que supposer un tour d'escamotage divin, que l'auteur sacr a nglig de mentionner. A un autre point de vue: si la population du genre humain avait suivi l'ordre de progression qu'elle suit aujourd'hui, il n'y aurait eu ni assez d'hommes ni assez de temps pour inventer tous les arts ncessaires dont un ouvrage si colossal exigeait l'usage. Il faut donc regarder cette aventure comme un prodige. Un prodige non moins grand est la formation subite de tant de langues. Les commentateurs, dit Voltaire, ont recherch quelles langues-mres naquirent tout coup de cette dispersion des peuples; mais ils n'ont jamais fait attention aucune des langues anciennes qu'on parle depuis l'Indus jusqu'au Japon. Il serait curieux de compter le nombre des diffrents langages qui se parlent aujourd'hui sur la surface du globe. Il y en a plus de trois cents dans ce que nous connaissons de l'Amrique, et plus de trois mille dans ce que nous connaissons de notre continent. Chaque province chinoise a son idiome; le peuple de Pkin entend trs difficilement le peuple de Canton, et l'Indien des ctes du Malabar ne comprend pas du tout l'Indien de Bnars. Au reste, toute la terre ignora le prodige de la tour de Babel; il ne fut connu que des crivains hbreux. Ce qui domine tout, d'ailleurs, ce qui provoque au plus haut degr la stupfaction, c'est de constater que les grands faits historiques, relats par la Bible au sujet des origines de l'humanit, sont totalement ignors de tous les peuples. On comprend que les Grecs, les Romains, les Egyptiens, les Chaldens, les Perses, les Hindous, les Chinois, n'aient pas eu connaissance des faits et gestes d'un Gdon, d'un Samson ou de tout autre hros simplement isralite; mais que les noms d'Adam et de No soient inconnus chez ces nations, c'est une autre affaire. Puisque le dluge de la Gense dtruisit tout et que No fut le restaurateur du genre humain, la gnalogie de ce patriarche devrait tre la seule en honneur chez les historiens de toutes les nations. Comment les noms d'Adam et Eve, de Can et Abel, d'noch et Mathusalem, de Lamech, No, Sem, Cham et Japhet, n'ont-ils pas t inscrits sur tous les parchemins ds qu'on a su crire, au lieu de figurer uniquement dans les livres des Juifs, nation intime? 40
Lorsque les survivants de l'arche se rpandirent dans les diverses contres et donnrent naissance tous les peuples, ils oublirent donc jusqu'aux noms de nos premiers parents! La culture de la vigne ne russit mme pas prserver No de l'oubli gnral, puisque chez un grand nombre de nations Bacchus fut clbr comme inventeur du vin. Quant au dluge, les critiques y voient un des cataclysmes naturels des premiers ges du monde, et ils prtendent qu'il y eut plusieurs cataclysmes rgionaux de ce genre; car les Grecs ont le dluge de Deucalion, qui ne ressemble pas celui de No; les Egyptiens ont la submersion de l'Ile Atlantide, diffrente aussi du dluge juif; chez les Chaldens, la grande catastrophe est l'inondation du Pont-Euxin, avec un sauvetage opr par le roi Xissutre. Si le dluge avait t universel, osent dire les critiques, le nom de No aurait t universel aussi, et ce sont les noms de Deucalion et du roi Xissutre qui ne se trouveraient nulle part. Et rien n'est plus extraordinaire qu'Hsiode et Homre, qui parlent de tout, n'aient pas dit un mot d'Adam et de No, l'un, pre du genre humain, l'autre, tige de toutes les races. Il faut avouer qu'une telle rticence est sans exemple; car on ne peut, dcemment, accuser le divin pigeon d'avoir pouss la fumisterie jusqu' donner au premier homme et au sauveur de l'espce humaine noye des noms de pure fantaisie, dpourvus de toute authenticit.
5 CHAPITRE
HEUREUSE VIE D'UN PATRIARCHE BIEN-AIM
On se rappelle, sans doute, que Jhovah avait arrt que la vie des hommes ne dpasserait plus six fois vingt ans (6:3). En dpit de ce dcret, Sem s'obstina vivre six cents ans (11:11); Arphaxad, quatre cent trente-huit ans (v. 13); Sal, quatre cent trente-trois ans (v. 15); Hber, quatre cent soixante-quatre ans (v. 17); Phaleg et Rhu, chacun deux cent trente-neuf ans (v. 19-21); Saroug, deux cent trente ans (v. 23); Nachor, cent quarante-huit ans (v. 25); Thar, deux cent cinq ans (v. 32). Ces huit descendants de Sem nous mnent Abraham, qui allait jouer un rle considrable dans la lgende du peuple juif. La Gense ne dit pas pourquoi papa Bon Dieu s'enticha de cet Abraham, nomm d'abord Abram, fils de Thar. Il vivait en un pays nomm Caran, lorsque Jhovah parut devant lui un beau matin et lui ordonna brusquement, mais amicalement, de faire ses malles. L'ternel dit Abram: Sors de ton pays et de ton parentage, et de la maison de ton pre, et viens au pays que je te montrerai. Je te ferai devenir une grande nation; je te bnirai, je magnifierai ton nom, et tu seras bndiction. Je bnirai ceux qui te bniront, je maudirai ceux qui te maudiront, et, toutes les familles de la terre seront bnies en toi. (12:1-3) Abram, alors g de soixante-quinze ans, ne demanda aucune explication, ralisa les biens qu'il avait acquis, et se mit en voyage, sans savoir au juste o il allait, emmenant sa femme Sara, son neveu Loth et sa femme dith, et quelques domestiques. La caravane eut d'abord deux cents lieues faire pour rechercher le pays de Canaan, que Dieu tenait montrer Abram, afin de le rgaler d'une prophtie; il lui promit, en effet, que ce territoire appartiendrait un jour sa postrit. Nos voyageurs marchaient, marchaient toujours, travers des plaines sablonneuses o n'existait aucune vgtation. Pour ranimer sa foi et son courage, le patriarche nomade levait un autel dans le dsert et priait le Trs-Haut de le faire arriver au plus tt destination; car cette longue excursion lui usait par trop la plante des pieds, ainsi qu' toute sa famille. Aprs avoir travers le pays de Canaan, ceux de Bthel et d'Ha, la caravane s'avana vers le midi; enfin, on arriva en Egypte. Et, comme Abram tait prs d'entrer en gypte, il dit Sara, sa femme: Voici, je sais que tu es une belle femme; et, quand les gyptiens t'auront vue, ils me tueront et ils te garderont. 41
Dis donc, je te prie, que tu es ma sur, afin que je sois bien trait cause de toi et que mon me vive cause de ta grce. Il arriva donc, sitt qu'Abram fut venu en Egypte, que les gyptiens virent que cette femme tait fort belle. L es principaux de la cour du Pharaon la virent aussi, et, devant le roi, ils firent l'loge de sa beaut; et elle fut enleve dans le palais du Pharaon; lequel fit du bien Abram cause d'elle; de sorte qu'il obtint des brebis, des bufs, des nes, des serviteurs, des servantes, des nesses et des chameaux. (12:11-16) Cette aventure est difiante. L'criture Sainte n'a pas un mot de blme pour l'Alphonse patriarcal. Des commentateurs ont censur svrement la conduite d'Abraham; mais saint Augustin l'a dfendue dans son livre contre le mensonge. Notons, en passant, que Sara avait alors soixante-cinq ans; ni l'ge ni les fatigues du long voyage travers le dsert ne parvinrent diminuer sa beaut; c'est merveilleux! Plus tard, quand elle aura quatre-vingt-dix ans, nous la verrons enleve encore par un autre roi, et toujours cause de sa beaut. Le Pharaon se payait donc la superbe vieille et ne croyait aucunement cornifier un mari. Patatrac! l'il de Dieu aperut ce qui se passait au srail gyptien. Alors l'ternel frappa de grandes plaies le Pharaon et les gens de sa maison, cause de Sara. Le Pharaon appela donc Abram et lui dit: Pourquoi as-tu agi ainsi? pourquoi ne m'as-tu pas dit que c'tait ta femme? Tu m'as dit, au contraire: C'est ma sur; et j'en avais fait ma femme. Mais maintenant, voici ta femme, reprends-la, et va-t'en. Et le Pharaon donna des ordres ses gens; et Abram, sa femme, et tout ce qui lui appartenait, furent reconduits. (12:17-20) Voil notre Abram de nouveau en route. Il tait trs riche en btail, en argent et en or (13:2); il n'avait rien rendu au Pharaon, parbleu! Et il s'en retourna par le mme chemin qu'il tait venu, du midi jusqu' Bthel (13:3). Au cours de cette nouvelle prgrination, survint une querelle entre les bergers d'Abram et ceux de Loth. L'oncle et le neveu se sparrent, tout en demeurant les meilleurs amis du monde. Abram dcida de demeurer au pays de Canaan, tandis que Loth, se rendant dans la plaine du Jourdain, se fixa Sodome, o il dressa ses tentes. A quelque temps de l, une guerre clata entre divers rois, parmi lesquels celui de Sodome, et, dans la bagarre, Loth fut fait prisonnier. L'oncle Abram, qui avait dmnag encore une fois, ayant transport ses tentes en Hbron, apprit la triste nouvelle; une sainte indignation remplit son cur; il rsolut donc de dlivrer Loth. On vit alors ce que peut la vaillance d'un patriarche. Ce nomade, qui n'avait pas un pouce de terre dans le pays, tenait sous ses ordres un grand nombre de domestiques, parat-il; car il en choisit trois cent dix-huit, qu'il arma , et, avec cette poigne de valets, il tailla en pices les armes des quatre rois les plus puissants de la contre: Amraphel, roi de Sennaar, Arioch, roi de Pont, Chodorlahomor, roi des Elamites, et Thadal, roi des nations ; excusez du peu!... La victoire fut telle, qu'il poursuivit les quatre monarques jusqu' Dan , qui n'tait pas encore bt i; et, ayant partag ses serviteurs, il se jeta encore sur les rois durant la nuit, les battit et les poursuivit jusqu' Hobar, la gauche de Damas; et il ramena tout un riche butin, il ramena mme Loth, et les femmes, et tout le peuple. (14:1-16) Or, les annes s'coulaient, et Abram tait navr ; il se demandait comment il aurait une postrit, comment se raliseraient les promesses divines, en vertu desquelles il devait tre le pre d'une grande nation. L'ternel lui dit: Abram, ne crains point; je suis ton bouclier et ta magnifique rcompense. Et Abram rpondit: Seigneur, que me donneras-tu? Je passe ma vie sans avoir d'enfant s: et voil, le serviteur qui est n dans ma maison sera mon hritier. Mais l'ternel lui adressa celte parole: Non, celui-ci ne sera point ton hritier; mais celui qui sortira de tes entrailles sera ton hritier. Et, aprs l'avoir men dehors, Dieu lui dit: Lve maintenant les yeux vers le ciel, et compte les toiles, si tu peux les compter; c'est ainsi que sera ta postrit. (15:1-5) 42
Abram patienta encore. Or, Sara, sa femme, ne lui avait point encore fait d'enfant; mais elle avait une servante gyptienne, nomme Agar. Et elle dit Abram: En vrit, Dieu m'a ferme, afin que je ne puisse enfanter. Joins-toi donc ma servante; peut- tre aurais-je ainsi des enfants par elle. Et Abram obit la parole de Sara. (16:1-2) Ceci voulait dire que Sara adopterait l'enfant de sa servante, selon la coutume orientale: un pre ou une mre mettait l'enfant d'un autre sur ses genoux, et cela suffisait pour le lgitimer. Alors, Sara prit Agar, sa servante gyptienne, et la donna pour concubine Abram, son mari, aprs qu'il et demeur dix ans au pays de Canaan. Il connut donc Agar, et elle conut; mais Agar, voyant qu'elle avait conu, mprisa sa matresse. Sara dit alors Abram: L'outrage qu'on me fait rejaillit sur toi. J'ai mis ma servante dans ton sein, et depuis qu'elle s'est vue enceinte, elle me regarde avec mpris. Que Dieu juge entre moi et toi! Abram rpondit: Allons, la servante est entre tes mains; traite-la comme il te plaira. Sara donc la battit, et Agar s'enfuit. (16:3-6) Charmant, n'est-ce pas, ce petit intrieur de patriarche?... Heureusement, un ange rencontra Agar dans le dsert, et, aprs lui avoir fait la leon, il l'encouragea. Retourne ta matresse, dit l'ange du Seigneur, et humilie-toi sous elle. Je multiplierai tellement ta postrit qu'elle ne se pourra compter. Et le fils que tu mettras au monde, tu l'appelleras Ismal; car l'ternel a entendu la voix dans ton affliction. (16:9-11) Voici un dtail curieux que les tonsurs omettent dans leurs manuels d'histoire sainte, et qui est pourtant dans la Bible: l'ange qui apparut Agar, et qu'elle prit pour un dieu, ne se fit pas voir d'elle de face; il ne lui montra que son derrire. Textuel! Ton fils, lui dit l'ange, sera semblable un ne sauvage; il lvera la main contre tous, et tous lveront leurs mains contre lui. Alors, Agar appela l'ange qui lui parlait: le dieu qui m'a vue ; car, certainement, dit-elle, j'ai vu le derrire de celui qui m'a vue. (v. 12-13) Celte bizarrerie est base sur une croyance des anciens: Dieu tait si blouissant, qu'on ne pouvait voir son visage sans mourir, moins d'une protection tout--lait exceptionnelle. Ainsi, dans la suite, Mose ne vit Jhovah que par derrire, travers la fente d'un rocher; mais, d'autres fois, D ieu lui accorda la faveur de le voir face face. Il serait fcheux de laisser dans l'obscurit de telles perles bibliques. Puis, Abram tant g de quatre-vingt-dix-neuf ans, l'ternel lui apparut et lui dit: Je suis le Dieu Schadda; marche devant ma face, et sois sans taches. Et je ferai alliance avec toi, et je te multiplierai prodigieusement. Alors, Abram tomba sur sa face, et Dieu lui parla, disant: Voici, mon alliance est avec toi; et tu ne t'appelleras plus Abram, mais ton nom sera Abraham dsormais; et je te ferai crotre trs abondamment, mme des rois sortiront de toi. Je te donnerai, et ta postrit aprs toi, le pays o tu demeures comme tranger, et tout le pays de Canaan, en possession perptuelle; et c'est moi qui serai leur Dieu. Voici quel sera le pacte entre moi et tes descendants: tout mle d'entre vous sera circoncis. Tu couperas la chair de ton prpuce, et ce sera le signe de mon alliance avec toi et les tiens. Tout enfant mle, ds qu'il aura huit jours, sera circoncis parmi vous dans vos gnrations, tant celui n dans la maison que l'esclave, achet par argent de tout tranger qui n'est pas de ta race. Ainsi mon alliance sera dans votre chair, pour tre une alliance perptuelle. Et le mle incirconcis, duquel la chair du prpuce n'aura pas t coupe, sera extermin, parce qu'il aura viol mon alliance. Quant Sara, ta femme, tu ne l'appelleras plus Sara, mais son nom sera Sara dsormais. Je la bnirai; elle te donnera un fils que je bnirai. Il sera sur les nations, et les rois des peuples sortiront de lui. Alors, Abraham se prosterna, le visage contre terre; mais il se mit rire, et il disait en lui-mme: Pense-t-il qu'un homme de cent ans fera un fils? et qu'une 43
femme de quatre-vingt-dix ans accouchera? Et il dit Dieu: Ce que je te demande, c'est qu'Ismal vive! Et Dieu rpondit Abraham: Sois-en certain, Sara ta femme t'enfantera un fils, et tu l'appelleras Isaac; je ferai un pacte avec lui aussi et avec sa race jamais. Quant Ismal, je t'ai exauc dj; je l'ai bni, et je le multiplierai trs-abondamment; il sera pre de douze princes, et je le ferai devenir une grande nation. Mais c'est avec Isaac que j'tablirai mon alliance, avec Isaac que Sara t'enfantera dans un an, en cette mme saison. Et, aprs que Dieu eut achev de parler, il remonta de devant Abraham. (17:1-22) On ne saurait lire avec trop de respect le rcit officiel de cette apparition de Jhovah Abraham. Quand les yeux tombent sur ce passage de la Bible, il devient impossible de mettre en doute que l'auteur sacr, quel qu'il soit, Mose ou Esdras, ait t vraiment inspir par l'Esprit-Saint. Les tonsurs n'ont pas besoin d'insister; car le discours du Seigneur atteint une telle hauteur de sublimit, qu'aucun crivain humain n'aurait pu l'imaginer. Jamais il ne serait venu la pense d'Alexandre-le-Grand, lorsqu'il f it alliance avec les rois indiens Taxile et Porus, de leur proposer de se circoncire et de couper les prpuces de tous leurs sujets, comme marque d'une amiti indissoluble. Et quand Napolon, Tilsitt, sur l'historique radeau du Nimen, reut dans ses bras le tsar Alexandre, il ne songea qu' la haine commune de l'Angleterre pour cimenter, d'une faon indestructible, l'alliance qu'il voulait sincrement entre la France et la Russie; si Murat, qui accompagnait le vainqueur de Friedland, lui avait dit alors: Sire, au lieu de demander au tsar de mettre sa signature au bas du trait d'alliance offensive et dfensive, exigez de lui qu'il vous apporte demain son prpuce coup et les prpuces de tout son tat-major, car voil ce qui serait le plus beau gage du pacte entre les deux empires , il est probable que Napolon aurait cru une dmence subite de Murat et l'aurait immdiatement confi ses meilleurs mdecins. Mais Alexandre et Napolon n'taient que des hommes! Seule, la cervelle d'un dieu pouvait concevoir l'ide divine d'une ternelle alliance base sur un holocauste de prpuces, se perptuant de gnration en gnration. D'autre part, c'est prcisment parce que la circoncision est d'institution divine, que l'on demeure stupfait en constatant que les chrtiens se sont empresss de la supprimer. Le patriarche bien-aim n'avait pourtant pas hsit obir au Trs-Haut. Alors, Abraham prit son fils et tous ses esclaves qu'il avait achets, et gnralement tous les mles de sa maison, et il leur coupa la chair du prpuce, comme le dieu Schadda l'avait ordonn. Abraham se coupa la chair de son prpu ce lui-mme, l'ge de quatre-vingt-dix- neuf ans. Et Ismal son fils avait treize ans accomplis, quand il fut circoncis. Abraham et Ismal furent donc circoncis le mme jour. Et tous les mles de sa maison, tant ceux qui y taient ns que ceux qui avaient t achets des trangers, tous furent circoncis. (17:23- 27) Il en fut toujours ainsi chez les Juifs. Or, il est de toute vidence que les chrtiens ne peuvent pas greffer leur religion sur celle du peuple hbreu, sans en excuter fidlement les prescriptions qui sont d'origine divine. Jsus- Christ a t circoncis; son prpuce est vnr, comme une des plus prcieuses reliques, Saint-Jean de Latran, Rome, et mme il s'est multipli, par l'effet d'un miracle trs significatif, puisque la mme relique se trouve aussi Charroux (prs Poitiers), au P uy-en- Velay, Coulombs (prs Chartres), Ch lons-sur-Marne, Anvers et Hildeshei m; en outre, le jour o Jsus-Christ fut circoncis est clbr par l'glise, c'est la fte qui ouvre l'anne grgorienne. L'empereur Julien-le-Philosophe, dans sa critique du christianisme, ne manqua pas de faire ressortir quel point les adeptes du nouveau culte violent les prescriptions de cette religion juive dont ils se disent les continuateurs, plus purement fidles que les juifs eux-mmes: il 44
montra la diffrence de rite, la suppression des sacrifices, la violation de la loi dans l'usage des viandes, le remplacement du jour du sabbat (samedi) par son lendemain, etc. A propos de la circoncision, il crivait: Il faut que je vous demande, Galilens, pourquoi ne vous circoncisez-vous pas?... Jsus n'a- t-il pas ordonn lui-mme d'observer exactement la loi? Je ne suis point venu, dit-il, pour dtruire la loi et les prophtes, mais pour les accomplir . (Matthieu 5:17) Et peu aprs il dit encore: Celui qui manquera au plus petit des prceptes de la loi, et qui enseignera aux hommes ne pas l'observer, celui-l sera appel trs-petit dans le royaume des cieux. (v. 19) Or, puisque Jsus a ordonn expressment d'observer scrupuleusement la loi, et qu'il a tabli des peines pour punir celui qui pchait contre le moindre commandement de cette loi, vous, Galilens, qui manquez tous, quelle excuse pouvez-vous justifier? Ou Jsus ne dit pas la vrit, ou bien vous tes des dserteurs de la loi. (Discours de l'empereur Julien contre les chrtiens, traduit par le marquis d'Argens.) Le traducteur, aprs avoir donn cette critique de l'empereur philosophe, fait connatre comment saint Cyrille prtendit le rfuter; et l'on reconnatra, avec le marquis d'Argens, que les arguments de saint Cyrille sont piteux et faibles. Voyons, dit saint Cyrille, quoi est bonne la circoncision charnelle, lorsque nous en rejetterons le sens mystique? S'il est ncessaire que les hommes circoncisent le membre qui sert la procration des enfants, et si Dieu dsapprouve et condamne le prpuce, pourquoi, ds le commencement, ne l'a-t-il pas supprim, et pourquoi n'a-t-il pas form ce membre comme il croyait qu'il devait tre? A cette premire raison de l'inutilit de la circoncision, joignons-en une autre. Dans tous les corps humains qui ne sont point gts ou altrs par quelques maladies, on ne voit rien qui soit superflu ou qui y manque: tout y est arrang par la nature d'une manire utile, ncessaire et parfaite; et je pense que les corps seraient dfectueux, s'ils taient dpourvus de quelques-unes des choses qui sont pour ainsi dire innes avec eux. Est-ce que l'auteur de l'univers n'a pas connu ce qui tait utile et dcent? est-ce qu'il ne l'a pas employ dans le corps humain, puisque partout ailleurs il a form les cratures dans leur tat de perfection? Quelle est donc l'utilit de la circoncision? Peut-tre quelqu'un apportera, pour en autoriser l'usage, le ridicule prtexte dont les juifs et plusieurs idoltres se servent pour le soutenir: c'est af in, disent-ils, que le corps soit exempt de crasse et de souillure; il est donc ncessaire de dpouiller le membre viril des tguments qui le couvrent. Je ne suis pas de cet avis. Je pense que c'est outrager la nature, qui n'a rien de superflu et d'inutile. Au contraire, ce qui parat en elle vicieux et dshonnte est ncessaire et convenable, surtout si l'on fuit les impurets charnelles; qu'on en souffre les incommodits, comme on supporte celles de la chair, celles des choses qui sont la suite de cette chair, et qu'on laisse couverte par le prpuce la fontaine d'o dcoulent les enfants: car il convient plutt de s'opposer fermement l'coulement de cette fontaine impure, et d'en arrter le cours, que d'offenser ses conduits par des sections et des coupures. La nature du corps, lors mme qu'elle sort des lois ordinaires, ne souille pas l'esprit. Ainsi, saint Cyrille demande quoi est bonne la circoncision, si l'on en te le sens mystique. L'empereur Julien aurait pu rpondre l'vque d'Alexandrie: A rien, si vous voulez, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit; il s'agit de savoir si le Dieu d'Abraham a ordonn ce patriarche la circoncision comme une marque ternelle et certaine de son alliance entre lui et les fidles de sa religion. Il est vident, par le texte de l'criture dite Sainte, que cela a t l'intention de Dieu et qu'il s'est expliqu l-dessus de la faon la plus claire et la plus formelle. Mose renouvela dans la suite la loi de la circoncision dans celle qu'il tablit par l'ordre de Dieu. Jsus-Christ, qui nous a appris qu'il tait venu pour accomplir la loi, et non pour la dtruire, n'a jamais rien dit qui tendit la suppression de la circoncision. Les vanglistes n'ont fait aucune mention de ce qu'il et voulu interrompre l'usage de cette pratique rituelle. Par quelle raison donc les chrtiens s'en crurent-ils dispenss, quelque temps aprs la mort de 45
leur divin lgislateur? On objecte que saint Paul a dit que la circoncision du cur est seule ncessaire ; mais sain; Paul lui-mme coupa le prpuce son disciple Timothe! (Actes des Aptres, 16:3) Il crut donc la circoncision corporelle ncessaire. Pourquoi saint Paul changea- t-il d'opinion dans la suite ? observe le marquis d'Argens. Fut-ce par une rvlation? il ne dit point qu'il en ait eu aucune ce sujet; fut-ce parce qu'il devint plus instruit? Il avait donc t dans l'ignorance lorsqu'il avait t aptre un assez long temps. Aux observations du marquis d'Argens, Voltaire a ajout les siennes; elles mritent d'tre reproduites: Des naturalistes, dit Voltaire, n'ont pas donn des raisons plausibles de la circoncision. Ils ont prtendu qu'elle prvenait les ordures qui pourraient se glisser entre le gland et le prpuce. Apparemment qu'ils n'avaient jamais vu circoncire. On ne coupe qu'un trs petit morceau du prpuce, qui ne l'empche point du tout de recouvrir le gland dans l'tat du repos. Pour prvenir les salets, il suffit de se laver les parties de l gnration, comme on se lave les mains et les pieds. Cela est beaucoup plus ais que de se couper le bout de la verge, et beaucoup moins dangereux, puisque des enfants sont quelquefois morts de cette opration. Les Hbreux, dit-on encore, habitaient un climat trop chaud; leur loi voulut leur viter les suites d'une chaleur excessive qui pouvait causer des ulcres la verge. Cela n'est pas vrai. Le pays montueux de la Palestine n'est pas plus chaud que celui de la Provence. La chaleur est beaucoup plus grande en Perse, vers Ormus, dans les Indes, Canton, en Calabre, en Afrique. Jamais les habitants de ces pays n'imaginrent de se couper le prpuce par principe de sant. La vritable raison est que les prtres de tous les pays ont imagin de consacrer leurs divinits quelques parties du corps, les uns en se faisant des incisions comme les prtres de Bellone ou de Mars, les autres en se faisant eunuques comme les prtres de Cyble. Les talapoins se sont mis des clous dans le cul; les fakirs, un anneau la verge. D'autres ont fouett leurs dvotes, comme le jsuite Girard fouettait la Cadire. Les pr tres hottentots se coupent un testicule en l'honneur de leur divinit, et mettent la place une boulette d'herbes aromatiques. Les superstitieux gyptiens se contentrent d'offrir Osiris un bout de prpuce; les Hbreux, qui prirent d'eux presque toutes leurs crmonies, se couprent le prpuce, et se le coupent encore. Les Arabes et les Ethiopiens eurent cette coutume, de temps immmorial, en l'honneur de la divinit secondaire qui prsidait l'toile du Petit-Chien. Les Turcs, vainqueurs des Arabes, ont pris d'eux cette coutume, tandis que, chez les chrtiens, on jette de l'eau sale sur un petit enfant et qu'on lui souffle dans la bouche. Tout cela est galement sens, et doit plaire beaucoup l'Etre suprme! N'insistons pas. Revenons notre patriarche: sans doute, il devait songer parfois la bizarre ide que Jhovah avait eue de lui changer son nom, ainsi qu' son pouse; bizarrerie d'autant plus trange que le changement se bornait peu de chose. Abraham, au lieu d'Abram! Sara, au lieu de Sara! Le dieu des juifs et des chrtiens est, dcidment, un dieu des plus rigolos. Avec ledit Abraham, la Bible devient de plus en plus amusante. Or, l'Eternel apparut encore Abraham, et ce fut dans la plaine de Mambr, un jour qu'il tait assis la porte de sa tente, au moment de la forte chaleur. Ayant lev les yeux, Abraham aperut tout--coup trois hommes qui taient peu de distance; aussitt il courut vers eux, et il les salua jusqu' terre. (18:1-2) Le discours qui suit est assez cocasse; c'est un mlange de singulier et de pluriel qui laisserait croire que le patriarche n'avait pas bien sa tte lui; tait-ce l'effet de la forte chaleur?... Et Abraham leur dit: Mes seigneurs, si j'ai trouv grce devant tes yeux, ne passe pas au- del de l'habitation de ton serviteur. Mais j'apporterai un peu d'eau, afin que vous laviez vos pieds; en attendant, reposez-vous sous un arbre. Et j'apporterai aussi un morceau de pain, afin que vous vous rconfortiez. Aprs quoi, vous passerez outre; car c'est pour cela que vous tes venus vers votre serviteur. Et ils lui rpondirent: Fais comme tu l'as dit. (18:3-5) 46
De nombreux commentateurs catholiques ont jug que, si ce jour-l Jhovah tait venu en compagnie de deux anges, c'tait afin de figurer les trois personnes de la divine Trinit, Abraham n'avait pas l'esprit assez subtil pour deviner cela; ni lui, ni Mose, ni aucun prophte juif ne le souponnrent jamais. Abraham s'en vint donc en toute hte dans la tente vers Sara, et lui dit: Dpche-toi, prends trois phata de farine, ptris-les, et fais des pains cuits sous la cendre. (18:6) Les traductions modernes de la Bible portent: prends trois mesures de farine. C'est dessein que nos tonsurs mettent ce terme vague; car ce que l'Esprit-Saint dicta l'auteur de la Gense est superlativement grotesque. Le texte hbreu porte phat. Or, un pha contient vingt-neuf pintes, et, par consquent, trois phata reprsentent quatre-vingt-sept pintes ou quatre-vingt- un litres de farine. Quelle prodigieuse quantit de pain! L'usage chez les Orientaux tait, il est vrai, de servir d'un seul plat en abondance; mais le patriarche prenait tout de mme ses visiteurs pour des Gargantuas. Admirez encore ce qui suit: Puis, Abraham courut son troupeau, o il prit un veau tendre et bon, et il le donna un serviteur, qui s'empressa de l'apprter. Ensuite, il prit du kamak (sorte de fromage la crme) et du lait, et le veau qu'on venait d'apprter, et il mit le tout devant eux. Il se tenait auprs d'eux sous l'arbre, et ils mangrent. Alors, ils lui dirent: O est Sara ta femme? Il rpondit: La voil sous la tente. L'un d'eux lui dit: Je ne manquerai pas de revenir dans un an cette mme poque, si je suis encore en vie, et ta femme Sara aura un fils. (v. 7-10) Si je suis encore en vie est, videmment, une faon de parler. Jhovah, qui s'exprimait ainsi, ne pouvait douter qu'il ne dt tre en vie dans un an. On dira que papa Bon Dieu et ses deux angliques compagnons, ne se donnant pas pour des tres surnatur els, pouvaient emprunter le langage des hommes; mais, puisqu'ils prdirent l'avenir, ils se donnaient au moins pour prophtes. Alors?... Sara, ayant entendu cela derrire la porte de la tente, se mit rire; car ils taient tous deux bien vieux, et Sara n'avait plus ses rgles. Elle rit donc en se cachant et dit en elle-mme: Aprs que je suis devenue vieille et quand mon seigneur est si vieux, aurai-je donc encore du plaisir? Mais Dieu dit Abraham: Pourquoi Sara s'est-elle mise rire, en disant: Se peut-il que j'aie un enfant, tant si vieille? Est-ce qu'il y a quelque chose de difficile Dieu? Or donc, je reviendrai toi dans un an, comme je te l'ai dit, si je suis encore en vie, et Sara aura un fils. Alors, Sara eut peur, et elle nia, en disant: Je n'ai point ri. Mais Dieu lui dit: Si fait, tu as ri. (v. 11-15) On a fait remarquer que cette aventure a un certain air de ressemblance avec celle du bonhomme Irius, qui Jupiter, Neptune et Mercure rendirent visite, tandis qu'il se lamentait de n'avoir pas d'enfant; les trois dieux lui en accordrent un, en jetant leur semence sur un morceau de cuir dont l'enfant naquit. Mais les thologiens catholiques rpondent que c'est le paganisme qui a copi la Bible; selon le bndictin Dom Calmet, il est bien clair que le nom d'Irius est le mme que celui d'Abraham. A la vrit, on ne s'en douterait gure; nanmoins, ne contrarions pas le savant bndictin pour si peu! Il est plus intressant de savourer cette conversation de Dieu et d'Abraham, dont les dtails sont d'une rjouissante navet. L'crivain de la Gense rend compte de tout ce qui s'est fait et de tout ce qui s'est dit, exactement comme s'il y avait t prsent. Il a donc t inspir par l'Esprit-Saint lui-mme, c'est clair; sans quoi, il ne serait qu'un conteur de fables. Quelques commentateurs catholiques, gns par le ridicule de ces dtails, ont insinu qu'une telle histoire est surtout allgorique; d'aprs eux, Dieu et les anges qui vinrent chez Abraham simulrent leur apptit, ne mangrent point, mais firent semblant de manger. Allons donc!... Il faut prendre la Bible comme elle est, leur rpondons nous; car, si l'on admettait l'interprtation de ces thologiens qui le, grotesque de certains pisodes de la Gense para it trop lourd porter, il faudrait ne voir que des allgories dans toute la sainte Ecriture. Alors, rien ne serait arriv de tout ce que le pigeon raconte? tout n'aurait t qu'en apparence? la divine Bible 47
serait un rve perptuel?... Voyez, messieurs les tonsurs, o un tel raisonnement nous conduirait! Il est bien plus simple d'admettre que Dieu, que nous avons vu ptrir, souffler et se promener, mange aussi, digre, etc., et pince un coup de soleil l'occasion, comme son ami Abraham qui lui parle tout la fois au pluriel et au singulier. Aprs le dner, on s'en fut faire une petite promenade. Les trois voyageurs, s'tant levs, dirigrent leurs yeux vers Sodome, et Abraham marchait avec eux, pour les conduire. Alors, l'ternel se dit: Cacherai-je Abraham ce que je vais faire, puisqu'il sera pre d'une nation grande et puissante, et que toutes les nations de la terre seront bnies en lui? (18:16-18) Toutes les nations de la terre bnies en Abraham!... Les commentateurs juifs et chrtiens sont d'accord pour voir dans ce texte l'affirmation que Jhovah sera un jour le dieu ador sur tout le globe, attendu que Jhovah est le dieu d'Abraham et que les chrtiens ne se sparent pas des juifs en ce qui concerne ce patriarch e; mais tant donn que juifs et chrtiens ne sont plus d'accord dater du fils de Marie, quelle sera donc, des deux religions, celle qui prvaudra sur le monde? la terre finira-t-elle par tre juive ou chrtienne?... Grave question. Nous avons, d'ailleurs, le temps d'attendre. La population du globe s'lve, en effet, plus d'un milliard quatre cents millions d'habitants, sur lesquels les catholiques, c'est--dire les personnes baptises dans la religion qui s'intitule seule vraie religion chrtienne, figurent pour deux cent trente-neuf millions seulement. Pour raliser la parole de Jhovah, il faudra donc: d'abord, que tous les catholiques baptiss deviennent croyants et pratiquants; ensuite, que ces vrais chrtiens ramnent leurs dogmes les protestants et autres hrtiques et schismatiques qui les ont rejets; et, enfin, aprs avoir persuad aux juifs que Jhovah est triple, les catholiques auront convertir les mahomtans, les confucianistes, les brahmanistes, les bouddhistes, les ftichistes, etc., etc., moins que ce ne soit les juifs qui russissent convaincre catholiques et hrtiques qu'ils se sont fourr depuis dix-neuf cents ans leur Messie dans l'il. D'une faon ou d'une autre, la prophtie de la conversion totale du globe au dieu d'Abraham ne semble gure pouvoir tre clbre comme accomplie, lors de la prochaine exposition. Or a, quel tait le projet que papa Bon Dieu avait form, et au sujet duquel il se demandait si, oui ou non, il ferait une confidence son patriarche bien-aim?... Tout bien pes, il se dcida ne pas avoir de cachotterie pour Abraham, et c'est alors que celui-ci comprit enfin que ces trois voyageurs qui lui avaient dvor un veau et quatre-vingt-un litres de farine, sans compter le fromage la crme, taient des tres surnaturels, parmi lesquels son vieil ami Schadda en personne. L'ternel dit donc: Farce que le cri de Sodome et de Gomorrhe s'est augment, et parce que leur pch est trs grave, je descendrai maintenant, et je verrai s'ils ont entirement fait toutes les choses dont le cri est venu jusqu' moi; et si cela n'est pas, je le saurai. (18:20-21) Jhovah ne se fiait pas aveuglment aux rapports de sa police. On trouvera peut-tre qu'en sa qualit de dieu omniscient il ne devait rien ignorer, et que, par consquent, il savait exactement quoi s'en tenir, sans besoin d'aucune enqute; mais n'oublions pas que ceci se passe par un temps de trs forte chaleur et que la digestion du copieux dner de tout l'heure pouvait fort bien avoir quelque peu troubl ses divines ides. Les trois voyageurs, partant de l, marchaient donc vers Sodome; mais Abraham fit halte, en se tenant devant l'ternel. Et il s'approcha de Dieu et lui dit: Feras-tu prir mme le juste avec le mchant? Peut-tre y a-t-il cinquante justes dans la ville; les feras-tu prir aussi? Ne pardonneras-tu point la ville, cause de cinquante justes, s'ils y taient? Il ne sera pas dit de toi que tu fais mourir le juste avec le mchant, et que le juste est trait comme le mchant. Non, cela ne sera pas dit. Celui qui juge toute la terre ne fera-t-il point justice? Et l'ternel dit: Si je trouve en Sodome cinquante justes, je pardonnerai tout le lieu, cause d'eux. Et Abraham reprit: Voici, maintenant j'ai pris de la hardiesse en parlant au Seigneur, quoique je ne sois que poussire et cendre. Peut-tre en manquera-t-il cinq des cinquante 48
justes; dtruiras-tu la ville, pour cinq qui manqueraient? Et Dieu lui rpondit: je ne la dtruirai point, si j'y trouve quarante-cinq justes. (18:22-28) L'entretien continue sur ce ton (v. 29-32), Abraham s'efforant d'obtenir de nouvelles concessions: des quarante-cinq justes exigs, on passe quarante, puis trente, vingt; mais finalement, papa Bon Dieu ne veut pas descendre au-dessous de dix justes, pour faire grce. C'est son dernier mot! Et l'ternel s'en alla, quand il eut fini de parler Abraham; et Abraham s'en retourna chez lui. (18:33). D'aprs la Bible, papa Bon Dieu, qui voulait voir par lui- mme, ne continua pas la route avec ses deux compagnons; le chapitre 19 laisse entendre qu'il remonta au ciel. Or, sur le soir, les deux anges arrivrent Sodome Loth, qui tait assis auprs de la porte de la ville, s'avana leur rencontre; ds qu'il les vit, il les salua, en se prosternant le visage en terre. Et il leur dit: Je vous en prie, mes seigneurs, daignez-vous arrter dans la maison de votre serviteur; logez-y cette nuit; lavez-y aussi vos pieds; demain, de bon matin, vous vous lverez, et vous poursuivrez votre chemin. Mais ils rpondirent: Non, nous passerons cette nuit dans la rue. Mais Loth les pressa si instamment, qu'ils acceptrent de se retirer chez lui. Et quand ils furent entrs dans sa maison, il leur prpara un festin, avec des pains sans levain qu'il fit cuire, et ils mangrent. Mais avant qu'ils allassent se coucher, les hommes de la ville, c'est--dire les hommes de Sodome, environnrent la maison, depuis le plus jeune jusqu'aux vieillards, tout le peuple, depuis un bout jusqu' l'autre. Et, appelant Loth, ils lui dirent: O sont ces hommes qui sont entrs chez toi ce soir? Fais-les sortir, afin que nous en usions. Alors. Loth sortit vers eux pour leur parler la porte, et, ayant ferm la porte derrire lui, il leur dit: Je vous prie, mes frres; ne commettez point ce mal. coutez, j'ai deux filles qui n'ont point encore connu d'homme; je vous les amnerai, et vous userez d'elles tout comme il vous plaira, pourvu que vous ne fassiez pas violence ces deux hommes parce qu'ils sont venus l'ombre de mon toit. Eux, ils lui rpondirent: Retire-toi de l. Et ils dirent encore: Cet homme est un tranger, qui a pris domicile ici, et il prtendrait porter jugement sur nous? Va, nous t'en ferons plus qu' eux. Et alors ils firent violence Loth; puis, ils se prparrent briser les portes de sa maison. Mais les deux voyageurs, avanant leurs mains, firent rentrer Loth chez lui, et ils fermrent la porte. Ensuite, ils frapprent d'blouissement tous les hommes qui assigeaient la maison, de sorte qu'ils se lassrent chercher la porte. (19:1-11) Il tait ncessaire de reproduire textuellement ce passage de la Gense; on ne saurait trop rappeler que ces lignes furent crites sous la dicte de l'Esprit-Saint. D'autre part, il n'est pas moins utile de reproduire le commentaire de Voltaire: Nous avouons que le texte biblique confond ici plus qu'ailleurs l'esprit humain. Si ces deux anges, ou ces deux dieux, taient incorporels, ils avaient donc pris un corps d'une grande beaut, pour inspirer des dsirs abominables tout un peuple. Quoi! les vieillards et les enfants, tous les habitants mles, sans exception, viennent en foule pour commettre le pch infme avec ces deux anges! Il n'est pas dans la nature humaine de commettre tous ensemble publiquement une telle abomination, pour laquelle on cherche toujours la retraite et le silence. Les Sodomites demandent ces deux anges, comme on demande du pain en tumulte dans un temps de famine. Il n'y a rien, dans la mythologie paenne, qui approche de cette horreur inconcevable. Les thologiens qui ont dit que les trois clestes voyageurs, dont deux s'en vinrent Sodome, taient Dieu le Pre, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit, rendent encore le crime des Sodomites plus excrable, et cette histoire plus incomprhensible. La proposition de Loth aux Sodomites de coucher tous avec ses deux filles pucelles, au lieu de coucher avec ces deux anges, ou ces deux dieux, n'est pas moins rvoltante. Tout cela renferme la plus dtestable impuret dont il soit fait mention dans aucun livre. 49
Les interprtes trouvent quelques rapports entre cette aventure et celle de Philmon et Baucis; mais celle-ci n'a rien d'indcent, et elle est beaucoup plus instructive. C'est un bourg que Jupiter et. Mercure punissent d'avoir t inhospitalier; c'est un avertissement d'tre charitable; il n'y a nulle impuret. Quelques-uns disent que l'auteur sacr a voulu renchrir sur l'histoire de Philmon et Baucis, pour inspirer plus d'horreur d'un crime fort commun dans les pays chauds. Cependant, les Arabes voleurs, qui sont encore dans ce dsert sauvage de Sodome, stipulent toujours que les caravanes qui passent par ce dsert leur donneront des filles nubiles, et ne demandent jamais de garons. Cette histoire de ces deux anges n'est point traite ici en allgorie, en apologue; tout est au pied de la lettre; et on ne voit pas d'ailleurs quelle allgorie on en pourrait tirer pour l'explication du Nouveau Testament, dont l'Ancien est une figure, selon les Pres de l'glise. Continuons citer le texte sacr, le livre divin, l'criture inspire, que nous avons le devoir de croire vridique, sous peine de pch mortel. Nous allons en voir bien d'autres! Alors, les deux voyageurs dirent Loth: Qui as-tu encore ici qui soit des tiens, ou un gendre, ou des fils, ou des filles, ou quelque autre de tes proches dans la ville? (19:12) Pourquoi poser cette question? les anges ne savaient-ils pas de qui se composait la famille de Loth? Tous ceux qui sont tes parents, dirent-ils, fais-les sortir de ce lieu; car nous allons dtruire cette ville, dont le cri d'iniquit est mont jusqu'au ciel, et c'est l'Eternel qui nous a envoys pour la dtruire. Lot h sortit donc et alla parler ses gendres, qui devaient pouser ses filles; il leur dit: Levez-vous promptement et quittez avec moi cette ville; car l'Eternel va les dtruire. Mais ses gendres crurent qu'il se moquait d'eux. Ds l'aube du jour, les anges pressrent encore Loth, lui disant: Hte-toi, emmne ta femme et tes deux filles qui sont ici sans quoi, tu prirais pour le crime de cette ville. Et comme Loth tardait, les anges le prirent par la main, et ils prirent aussi par la main sa femme et ses deux filles, parce que l'Eternel les pargnai t; et ils les emmenrent et les mirent hors de la ville. L, l'un d'eux dit: Sauve ta vie, ne regarde point derrire toi, et ne t'arrte en aucun endroit de la plaine; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne prisses. Mais Loth leur rpondit: Non, Seigneur, je t'en prie; voici que ton serviteur a trouv grce devant toi et que tu as exerc vers moi ta misricorde; cependant, je ne pourrai me sauver sur la montagne, sans que le mal ne m'atteigne et que je ne meure. C'est pourquoi, je t'en prie, il y a ici tout prs une ville o je puis m'enfuir, et c'est une petite ville; permets que je m'y rfugie; et pargne-la. N'est-elle pas petite, et mon me vivra ? L'ange lui dit: Soit, je t'accorde encore cette grce, de ne pas dtruire la ville dont tu viens de me parler. Mais marche vite, et sauve-toi l; car je ne pourrai rien faire avant que tu y sois entr. C'est pour cette raison que cette ville fut appele depuis lors Tsohar. Tandis que le soleil se levait, Loth entra donc dans Tsohar. Alors, l'Eternel fit pleuvoir, sur Sodome et sur Gomorrhe, du soufre et du feu, qui tombaient du ciel. Et il dtruisit ces villes-l, et toute la plaine, et tous les habitants des villes, et il anantit le germe de la terre. Mais la femme de Loth regarda derrire elle, et fut change en statue de sel. Or, Abraham, ce jour-l, s'tait lev de bon matin, et il vint l'endroit mme o il s'tait arrt pendant sa promenade avec l'Eternel. Et, comme il dirigeait ses regards vers Sodome et Gomorrhe, et comme ses yeux taient fixs sur tout le pays d'alentour, il vit monter de la terre une fume pleine d'tincelles, comme la fume d'une fournaise. (19:12-28) Au sujet du nombre de villes brles, les lignes qui prcdent ne contiennent aucun renseignement prcis. Sodome et Gomorrhe sont seules nommes; nanmoins, les thologiens sont d'avis que toutes les cits de cette plaine furent dtruites par le feu du ciel, et mme un nom a t imagin par eux: ils appellent la Pentapole la rgion dvaste, ce qui signifie le pays des cinq villes . Il y aurait donc eu cinq villes criminelles. A l'appui de leur thse, les thologiens se reportent au chapitre 14, o est raconte la guerre au cours de laquelle Loth fut fait prisonnier, puis dlivr grce l'intervention victorieuse d'Abraham et de ses trois cent dix-huit domestiques d'lite; le verset 2 de ce chapitre nomme, en effet, cinq royaumes qui 50
auraient exist dans cette rgion, et l'on en a conclu que les villes coupables, dont Jhovah avait dcrt l'extermination, sont prcisment les capitales de ces cinq royaumes. Voici, au surplus, ce passage: Les quatre rois (A mraphel, Arioch, Chodorlahomor et Thadal) firent la guerre contre Brah, roi de Sodome, contre Birsah, roi de Gomorrhe, contre Scinab, roi d'Adama, contre Scemeber, roi de Sbom, et contre le roi de Belah, qui a t nomme plus tard Tsohar. Tous ceux-ci s'taient runis dans la valle de Siddim, qui est aujourd'hui la Mer de Sel. (14:2-3) Mais cette ingnieuse interprtation des thologiens ne russit qu' faire mieux ressortir les contradictions de la Bible. En effet, voici bien les villes coupables: Sodome, Gomorrhe, Adama, Sbom et Belah. Ainsi donc, le Seigneur Jhovah, causant avec Abraham, a maintenu son dcret d'extermination contre toute la Pentapole, parce qu' Sodome il n'y a pas dix justes en tout, n'est-ce pas? et, par contre, les anges incendiaires pargnent Belab, nomme pour ce motif Tsohar, tout simplement parce que Loth a dsir se transporter dans cette ville!... Cependant, les habitants de Belah-Tsohar taient, il n'y pas sortir de l, adonns au mme vice que les Sodomites, puisque Dieu les avait vous d'abord la pluie de feu. Dira-t-on que les Blates, n'ayant pas reu la visite des anges, n'ont pas manifest contre ceux-ci leurs dsirs infmes, et que cette circonstance a pu tre tenue pour attnuante? Soit; mais les Gomorrhens, les Adamates et les Sbomites furent dans le mme cas et n'en ont pas moins t extermins. En ce qui concerne Gomorrhe, la science des thologiens s'est exerce d'une faon curieuse, et, sans qu'on sache pourquoi, l'glise a admis, en vertu d'une tradition dont on ne retrouve de trace nulle part, que le pch de cette ville tait exactement tout le contraire du pch de Sodome. Il en rsulte que ce que les Grecs appelaient pdrastie se nomme sodomie dans le langage des ecclsiastiques; d'autre part, le vice saphiste, qui a acquis une renomme universelle aux dames de l'le de Lesbos, devient, chez nos tonsurs, le vice des gomorrhennes . Par consquent, on comprend bien maintenant quel tait ce cri qui s'leva de Sodome et de Gomorrhe et qui monta jusqu'au ciel, selon la dclaration du vieux Schadda parlant Abraham. A Sodome, c'taient les femmes qui se plaignaient d'tre dlaisses; par contre, Gomorrhe, c'taient les maris sans ouvrage qui hurlaient leurs lamentations l'Eternel. Mais alors on est en droit de se demander pourquoi, Sodome, la vindicte cleste a extermin les femmes, puisque les hommes taient en ralit les seuls coupables dans cette ville, et pourquoi, Gomorrhe, papa Bon Dieu n'a pas pargn ces infortuns maris, dj fort marris de ce que mesdames leurs pouses se passaient d'eux. Et, si l'on veut se borner l'examen d'un cas particulier, il est vident que les deux messieurs de Sodome qui s'taient fiancs aux filles de Loth n'taient pas pdrastes; leur mariage tait si bien arrt, tellement prt tre clbr, que le saint homme les appelait dj ses gendres. D'aprs l'auteur sacr, il n'apparat aucunement que ces deux gendres de Loth fussent coupables du mme excs d'impuret abominable pour laquelle les Sodomites furent brls avec leur ville; le texte ne les montre nullement dans la troupe qui voulut violer les deux anges; loin de l, la Gense laisse entendre qu'ils taient retirs fort honn tement chez eux, puisque Loth alla les rveiller, pour les inviter filer avec lui; nanmoins, ils furent envelopps dans la destruction gnrale. Quant la femme de Loth, il faut avouer qu'elle paya cher le mouvement de compassion qui lui fit retourner la tte vers cette ville o se trouvaient sans doute ses parents. Sa transformation subite en statue de sel a t, en quelque sorte, confirme par des crivains juifs ou chrtiens des premiers sicles de l're vulgaire. L'historien juif Flavius Josphe assure, dans son livre des Antiquits, qu'il a vu cette statue, et qu'on la montrait encore de son temps. Les sceptiques croient que des isralites de l'endroit ont fort bien pu s'amuser tailler un morceau d'asphalte en figure grossire, et dire: C'est la femme de Loth. On a vu des 51
ouvrages en bitume travaills avec art et pouvant subsister longtemps. D'autre part, saint Irne est all trs loin en affirmant ceci: La femme de Loth n'est plus de la chair corruptible; mais, tout en demeurant toujours l'tat de statue de sel, elle continue d'avoir ses rgles chaque mois. (Livre 4, chap. 2) Tertullien, dans le Pome de Sodome, affirme la mme chose, avec plus d'nergie encore: Dicitur, et vivens salso sub corpore, sexus mirifice solito dispungere sanguine menses. Toutefois, cette merveille est reste inconnue aux Romains qui vinrent en Palestine: quand ils prirent Jrusalem, ils n'eurent par la curiosit d'aller voir la miraculeuse statue de sel, par la bonne raison que personne ne leur en parla; et mme, n Pompe, ni Titus, ni Adrien n'avaient jamais entendu parler de Loth, de sa femme Edith et de ses deux filles, ni d'Abraham, ni d'aucun personnage de cette famille. Aujourd'hui, les voyage uses, qui vont explorer les environs de la Mer Morte, n'y constatent la prsence d'aucune statue de sel ou d'asphalte les musulmans du pays n'ont pas song en fabriquer une, qui ferait grand plaisir aux curieux; en revanche, ils montrent aux plerins le chne de Mambr, l'ombre duquel Jhovah et les deux anges dvorrent un veau tout entier et une quantit formidable de pains et de fromage la crme. Strabon, le clbre gographe grec, qui mourut l'poque o la lgende chrtienne place la naissance de Jsus, visita en dtail l'Asie Mineure et tout particulirement la Palestine, sur laquelle il a crit des rapports minutieux; notamment, il se rendit dans la rgion de Sodome et de la Mer Morte, et il ne dit pas un mot de la statue de sel, que Josphe, quelques annes plus tard, affirme avoir vue. Ce que Strabon relate, en voyageur impartial, est fort curieux lire, parce que l'opinion des Juifs qui habitaient alors le pays ne concorde pas exactement avec la Bible; loin de croire une pluie de feu, cause par des crimes, les isralites attribuaient la dvastation de la contre des causes trs naturelles, des ruptions volcaniques. Citons donc Strabon: Que cette rgion ait t travaille par le feu, l'on en apporte plus d'une preuve: des rochers brls, de nombreuses crevasses, une terre de cendres, des fleuves qui rpandent au loin une odeur infecte, et, et l, des habitations en ruine. Tout cela fait croire ce que racontent les habitants du pays, c'est--dire qu'autrefois il y avait l treize villes, dont Sodome tait la mtropole: mais que, par des tremblements de terre, des ruptions de feux souterrains et les vagues brlantes d'eaux bitumeuses et sulfureuses, le lac envahit la contre, et les rochers gardrent les marques du cataclysme. Parmi ces villes, les unes furent englouties, les autres abandonnes par les habitants qui purent se sauver. (Gographie de Strabon, livre 16, chap. 2) Ceci ne ressemble gure au verset 24 du chapitre 19 de la Gense: Alors, l'Eternel fit pleuvoir, sur Sodome et sur Gomorrhe, du soufre et du feu, qui tombaient du ciel. Mais, ce qu'il importe de noter, c'est que la tradition juive recueillie par Strabon sur les lieux mmes, si elle est en contradiction avec le rcit biblique du chapitre 19, ne surprend aucunement lorsqu'on se reporte au chapitre 14 de la mme Gense, verset 10: Il y avait, dans la valle, beaucoup de puits de bitume, et les rois de Sodome et de Gomorrhe y tombrent en s'enfuyant. La Bible elle-mme a donc constat que tout le terrain tait asphalte avant le terrible embrasement! Les savants ont beau jeu, on le voit, pour dire que le divin pigeon, ici encore, a mystifi dans les grands prix l'crivain sacr. Toute la nature, en cet immense dsert, atteste un cataclysme qui devait se produire fatalement, s'il est vrai que des hommes aient eu l'imprudence de s'y tablir. Ainsi, la Mer Morte, qui reoit le Jourdain et les rivires descendant des montagnes environnantes, n'est, pas plus importante que le lac de Genve; elle a, exactement comme le Lman, 76 kilomtres de longueur, et sa plus grande largeur est de 15 kilomtres. Or, tandis que le Rhne traverse le lac de Genve, le Jourdain et les diverses rivires sont absorbs par la Mit Morte. On a calcul que le Jourdain, lui seul, apporte la Mer Morte six millions de tonnes par jour: il faut donc que cette masse norme d'eau s'vapore journellement; car il n'est pas possible de supposer un coulement, raison du niveau du lac, qui est de 394 mtres au- 52
dessous du niveau de la Mditerrane, et d'autre part le maximum de profondeur est de 399 mtres. En effet, l'air chaud et sec de cette dpression, unique dans son genre (793 mtres), peut absorber des quantits normes de vapeurs d'eau. Les couches marneuses du voisinage, les masses d'asphalte qui sont partout, la frquence des tremblements de terre, le so l essentiellement volcanique, tout prouve un pays de tout temps inhabitable. Si l'on tient absolument croire le pigeon incapable de s'tre moqu de l'crivain de la Gense, si l'on veut admettre quand mme comme vridique l'histoire de la pluie de feu tombe du ciel pour dtruire des tres humains, coupables ici de pdrastie et l de saphisme, il faut alors dire que Jhovah-Schadda, quoique ternel, n'en est pas moins un tantinet normand. En effet, dclarant No que sa clmence s'abstiendrait dsormais d'exterminer les hommes, il avait solennellement jur, la main sur l'arc-en-ciel, de ne plus recommencer le dluge. Faire serment de renoncer aux noyades, et remplacer ensuite le dluge d'eau par des averses de feu, c'est, pour un dieu, tre passablement ficelle!... En outre, la Bible nous raconte qu'une ville fut pargne la prire de Loth, et que cette ville est celle qui ds lors a t appele Tsohar. Eh bien, qui connat donc Tsohar? o est-elle, cette ville? Puisque tous les historiens ont ignor l'existence de Tsohar, cette veinarde cit n'aurait-elle pas eu jusqu'au bout la chance de plaire, et papa Bon Dieu l'aurait-il dtruite au sicle suivant ?... Le fait est qu'il n'est pas plus rest de traces de Tsohar que de Sodome et de Gomorrhe. Quand des hommes se sont risqus venir demeurer aux bords de la Mer Morte, ce ne fut jamais que pour y faire un bref sjour, dans des habitations construites titre provisoire, uniquement pour recueillir du sel, de l'asphalte, du chlorure de magnsium et une certaine huile minrale qui surnage en certains endroits du lac et dont on fit usage autrefois en mdecine; aprs quoi, on s'empressait de dguerpir de cette rgion insalubre o la vgtation est presque nulle et o l'on ne trouve mme pas de l'eau potable. Enfin, croyons Tsohar pour le quart d'heure, et voyons la suite de l'extraordinaire Gense. L'auteur sacr vient de nous montrer que Loth, n'tant pas pdraste, a t sauv de la catastrophe, ainsi que ses filles, vertueuses pucelles; le mme auteur va nous montrer immdiatement les beaux exemples de vertu donns par cette sainte famille. Le nouvel pisode biblique ne contient pas un mot de rprobation l'adresse des trois chapps de Sodome. Le divin pigeon a une spcialit: il narre les plus rpugnantes obscnits comme si rien au monde n'tait plus simple; l'inceste, sous la plume de l'auteur sacr, semble une pratique tout fait ordinaire. Le lecteur excusera cette citation encore; elle est ncessaire; il la faut textuelle, pour faire bien connatre ce qu'est l'Ecriture Sainte, le livre religieux par excellence, l'auguste base du dog me et de la foi. Or, Loth monta de Tsohar et vint habiter sur la montagne avec ses deux filles; car il craignait de demeurer dans Tsohar. Et il se retira dans une caverne avec ses deux filles. Et l'ane dit la cadette: Notre pre est vieux, et il n'est rest aucun homme sur la terre qui puisse entrer en nous, selon la coutume de tous les pays. Viens donc; enivrons notre pre avec du vin, et couchons avec lui, afin de pouvoir susciter de la semence de notre pre. Alors, elles donnrent du vin boire leur pre cette nuit-l. Puis, l'ane s'approcha et coucha avec son pre; mais il ne sentit rien, ni quand il se coucha, ni quand il se releva. Et, le lendemain, l'ane dit la cadette: Voici, j'ai couch la nuit passe avec notre pre: donnons-lui du vin boire ce soir encore, et tu coucheras avec lui ton tour, afin que nous gardions de la semence de notre pre. En cette nuit-l donc, elles enivrrent encore leur pre, et la plus jeune coucha avec lui, qui n'en sentit rien, ni quand elle concourut avec lui, ni quand elle se leva. Ainsi, les deux filles de Loth furent grosses de leur pre. L'ane enfanta un fils, qu'elle nomma Moab: c'est lui qui est le pre des Moabites, et sa descendance existe encore aujourd'hui. Et la cadette enfanta aussi un fils, qu'elle nomma Ammon; c'est lui qui est le pre des Ammonites, et sa descendance existe encore aujourd'hui. (19:30-38) 53
Ce texte a beau tre le produit de l'inspiration directe de l'Esprit-Saint; il n'en est pas moins infect. Cette aventure de Loth et de ses filles ne pouvait chapper la juste critique de Voltaire; aussi, pour la commenter, nous nous effacerons compltement derrire le grand philosophe. Les rflexions de cet homme de gnie, qui fut le pre intellectuel de la Rvolution, sont aussi utiles aujourd'hui qu'au sicle pass, puisque la superstition est encore debout, avec ses dogmes et ses prtres. Le texte biblique, crit Voltaire, ne dit point ce que Loth fit lorsqu'il vit sa femme change en statue de sel; il ne dit point non plus le nom de ses filles. L'ide d'enivrer leur pre pour coucher avec lui dans la caverne est singulire. Le texte ce dit point o elles trouvrent du vin; mais il dit que Loth jouit de ses filles sans s'apercevoir de rien, soit quand elles couchrent avec lui, soit quand elles s'en allrent. Il est trs difficile de jouir d'une femme sans le sentir, surtout si elle est pucelle. C'est un fait que nous ne nous hasardons pas d'expliquer. Au reste, on ne voit pas pourquoi les filles de Loth craignaient que le monde ne fint, puisque Abraham avait dj engendr Ismal de sa servante, que toutes les nations taient disperses, et que la ville de Tsohar d'o ces filles sortaient tait tout auprs. Et qui s'adressrent-elles donc pour acheter du vin, si ce n'est des marchands de vin, habitant l'endroit?... Voltaire fait remarquer encore que cette histoire a quelque rapport avec celle de Myrrha, qui et Adonis de son pre Cyniras. Cela est imit, dit-il, de l'ancienne fable arabique de Cyniras et Myrrha; mais, dans cette fable bien plus honnte, Myrrha est punie de son crime, au lieu que les filles de Loth sont rcompenses par la plus grande et la plus chre des bndictions selon l'esprit juif: elles sont mres d'une nombreuse postrit. Brlons du sucre. La Gense revient maintenant Abraham, le patriarcal Alphonse, toujours dispos recommencer le petit truc qui lui avait si bien russi en Egypte. En ce temps-l, Abraham s'en alla dans les terres du midi, et il habita entre Kads et Sur, et il traversa en voyageur le pays de Grare. Et Abraham disait tous de Sara sa femme: C'est ma sur. C'est pourquoi Abimlec, roi de Grare, fit enlever Sara pour la possder. Mais Dieu apparut une nuit Abimlec dans un songe, et il lui dit: Voici, tu es un homme mort, cause de cette femme que tu as prise; car elle a un mari. Or, Abimlec ne l'avait point touche encore. Il rpondit donc: Seigneur, ferais-tu mourir des gens innocents et ignorants? Cet homme ne m'a-t-i l pas dit lui-mme: C'est ma sur? Elle-mme aussi ne m'a-t-elle pas dit: C'est mon frre? J'ai fait ceci dans la simplicit de mon cur, et avec des mains pures. L'Eternel reprit: Oui, je sais que tu as agi avec l'ignorance d'un cur simple; aussi j'ai empch que tu ne pchasses contre moi, et c'est pour cela que j'ai veill ce que tu ne touchasses pas cette femme jusqu' prsent. Maintenant donc, rends-la son mari; cet homme est un prophte, et il priera pour toi, et tu vivras. Mais si tu ne rends pas cette femme, alors certainement tu mourras, ainsi que tous les tiens, sache-le. Et Abimlec se leva de trs grand matin; il appela tous ses gens, leur expliqua ces choses, et ils furent saisis de crainte. Puis, Abimlec fit venir Abraham et lui dit: Pourquoi as-tu agi de la sorte? En quoi t'ai-je offens, pour que tu aies attir sur moi et sur mon royaume un chtiment tel que ceux qui sont rservs aux grands crimes? Tu m'as fait des choses qui ne se doivent pas faire. Dis-le-moi donc, qu'as-tu vu chez nous qui t'ait pouss faire cela? Abraham rpondit: J'ai agi ainsi, parce que je me disais en moi-mme qu'il n'y avait peut-tre point de crainte de Dieu en ce pays, et j'ai pens qu'on me tuerait cause de la beaut de ma femme. D'ailleurs, je puis dire avec vrit qu'elle est ma sur; car, si elle n'est pas fille de ma mre, elle est du moins fille de mon pre; mais il est vrai aussi qu'elle m'a t donne pour femme. Or, il est arriv que quand les dieux m'ont conduit et l, loin de la maison paternelle, j'ai dit ma femme: Partout o nous irons, fais-moi le plaisir de dire que je suis ton frre. Alors, Abimlec prit des brebis, des bufs, des valets et des servantes, et il les donna Abraham, en lui rendant Sara sa femme. Et il lui dit: Voici, mon pays est la disposition; mais va-t'en d'ici, et habite o il te plaira. Et il dit Sara: J'avais donn mille pices d'argent ton frre. 54
Or, suis mon consei l; aie un voile sur les yeux, devant tous ceux qui sont avec toi et devant tous les autres. C'est ainsi qu'elle fut reprise. Or, Dieu avait ferm toutes les vulves, cause de Sara, femme d'Abraham. Et, la prire d'Abraham, Dieu gurit Abimlec et rendit la fcondit sa femme et ses servantes; et elles eurent alors des enfants. (20:1-18) N'oublions pas qu' cette poque la belle Sara avait quatre-vingt-dix ans bien sonns. Quelques remarques s'imposent, en outre: Abraham a-t-il dit la vrit, quand il a affirm Abimlec que Sara est la fois sa femme et sa sur? Si oui, nous nous trouvons en prsence d'un autre inceste. Allons, c'est du propre, la Bible!... Ce n'est pas tout: si, en cette affaire, Abimlec produit l'effet d'un brave homme, Abraham, quel que soit le point de vue auquel on puisse se placer, est un fort vilain monsieur. Frre de Sara, il n'en est pas moins menteur, dans son intrt de proxnte; avant tout, sa sur-femme est une vulgaire marmite. Il mentait bel et bien, quand il cachait sa qualit de mari; l'explication qu'il donne, lorsque le pot-aux-roses est dcouvert, nous offre un Abraham casuiste la mode jsuitique; sa restriction mentale ne saurait le justifier aux yeux des honntes gens. D'autre part, ce patriarche bien-aim, ce dos-vert chri que Jhovah protge et auquel il donne le titre de prophte, est-il bien certain qu'il soit frre de Sara, ainsi qu'il le dclare tout coup? Les autres passages de la Gense semblent indiquer le contraire. Dans l'pisode du roi d'Egypte (ch. 12), nous avons vu Abraham user pour la premire fois de ces tratagme qui l'enrichit; mais quand le Pharaon lui reprocha sa conduite, il ne songea pas l'explication subtile de maintenant: c'est Abimlec qui en a la primeur, et l'on est en droit de souponner que c'est l une nouvelle craque imagine brusquement, sous l'effet des vives rcriminations du roi de Grare. Pouq uoi ne se serait-il pas excus de mme, quand il eut rpondre au Pharaon? Il y a plus. L'Esprit-Saint, qui a tout dict, se contredit d'une faon formelle. Au chapitre 11, il a fait connatre la famille de Thar, pre d'Abraham. Thar eut trois fils: Abram, Nachor et Haran. Or, Haran engendra Loth; puis, Haran mourut en prsence de Thar, son pre. Abram et Nachor prirent des femmes; la femme d'Abram se nommait Sara, et la femme de Nachor se nommait Milca; celle-ci tait fille de Haran, et elle avait pour sur Jisca. (v. 27-29) Par consquent, Nachor pousa sa nice. Si Sara tait fille de Thar et sur d'Abram, Nachor et Haran, l'auteur ne manquerait pas de le dire, au moment o il prcise les degrs de parent dans la famille de Thar. Bien mieux! il appelle Sara la bru de Thar ; a y est en toutes lettres au verset 31. Or, Sara tait strile, et elle n'avait point d'enfant. Et Thar prit avec lui son fils Abram, et Loth, fils de son fils Haran, et sa bru Sara, femme d'Abram son fils; et ils sortirent ensemble d'Ur, ville de Chalde, pour se rendre au pays de Canaan. Et ils vinrent jusqu' Caran, et ils y demeurrent. L, Thar mourut, g de deux cent cinq ans. (v. 30- 32) Donc: Abraham, se souciant peu de paratre mari incestueux aux yeux d'Abimlec, a menti de nouveau, sous prtexte de fournir des excuses d'un premier mensonge; ou bien, s'il s'est dcid dire au roi de Grare la vrit qu'il avait nglig de faire connatre au Pharaon, c'est l'Esprit-Saint qui, en dictant la Gense, patauge dans le galimatias et les contradictions. Une autre impression qui se dgage, ds qu'on examine de prs, c'est que tout ceci est invent plaisir et que l'auteur sacr est un maladroit imbcile. L'Esprit-Saint, en veine de mystification et se complaisant dans les fables immorales et ordurires, dicte tout ce qui lui passe par la tte, et l'crivain nigaud enregistre imperturbablement n'importe quoi, turpitudes et contes grotesques, sans prendre garde aux contradictions et aux impossibilits, pourtant videntes. Comment ne s'est-il pas aperu que le pigeon se moquait de lui, quand il lui a fait inscrire le pays de Grare comme un royaume? Selon le rapport des gographes de l'antiquit, Grare est une petite plaine sablonneuse, sans la moindre vgtation, un horrible dsert o jamais humain ne put lire domicile. 55
Abimlec tait donc roi d'un dsert!... Et combien de temps garda-t-il Sara, sans que M me
Abimlec ait la tentation d'arracher les yeux celle-ci? Voil encore un point o ressort toute l'impudence de la blague de l'Esprit-Saint. Cet pisode est postrieur l'incendie de Sodome et antrieur l'poque o Jhovah ralisa sa promesse de Mambr. En effet, le chapitre 21 commence ainsi: Et l'ternel visita Sara, et il lui fit ainsi comme il l'avait promis. Sara donc conut, et elle enfanta un fils Abraham en sa vieillesse, dans la saison que Dieu lui avait dit. (v. 1-2) Cet accouchement arrivant ainsi un an aprs le voyage de Schadda et des deux anges Mambr, le sjour d'Abraham au pays de Grare se place forcment dans les trois mois qui suivirent le dluge de feu. Or, en supposant mme que ce sjour Grare ait pris exactement ces trois mois, comment l'pouse, les servantes et les sujettes de S. M. Abimlec purent-elles, en l'espace d'un trimestre, s'apercevoir qu'elles taient striles, c'est--dire qu'elles avaient leur vulve ferme, pour employer la dlicate expression de l'auteur sacr? Il faut, en gnral, un assez bon nombre d'annes pour qu'une femme puisse constater qu'elle est devenue inapte avoir des enfants. Mais, si l'on carte la possibilit d'une constatation de strilit dans l'ordre naturel des choses, il faut, avec la science des thologiens qu'aucun miracle, mme burlesque, n'pate jamais, en arriver conclure que Jhovah, en cette circonstance, avait eu la fumisterie atrocement folichonne, et que, lorsque l'auteur sacr parle de la dsolation des maris de Grare trouvant leurs femmes fermes, il veut dire tout btement que les malheureuses taient cousues. Dans ce cas, on se reprsente aisment la tte du roi du dsert et celle de ses sujets. Dame! pour le coup, ils ont d la trouver mauvaise, et l'on comprend qu'Abimlec, pour voir le terme de ce flau, ait donn Abraham tout le saint-frusquin qu'il pouvait dsirer, en disant au prophte et sa femme-sur: Filez vite d'ici! Aprs le miracle des femmes cousues, l'inpuisable Gense nous sert donc le miracle de l'accouchement de Sara, femme de quatre-vingt-dix ans, n'ayant plus ses menstrues depuis longtemps. C'est comme chez Nicolet, de plus en plus fort; avec le factieux pigeon, on ne s'embte pas! Maintenant, arrive une autre affaire: Abraham, ayant un fils lgitime, va flanquer la porte Ismal, l'enfant qu'il a eu de sa concubine. Et Abraham donna le nom d'Isaac au fils que Sara lui avait enfant. Et il circoncit Isaac g de huit jours, ainsi que Dieu le lui avait command. Or, Abraham avait cent ans, quand Isaac lui naquit. Et Sara dit: Dieu m'a donn un sujet de rire; tous ceux qui l'apprendront, riront avec moi. Elle dit aussi: Qui et dit Abraham que Sara allaiterait des enfants? car je lui ai enfant un fils en sa vieillesse. Et l'enfant crt et fut sevr. Et Abraham fit un grand festin, le jour qu'Isaac fut sevr. Or, Sara s'aperut que le fils de l'gyptienne Agar se moquait, ce fils qu'Agar avait enfant Abraham. Et elle dit Abraham: Chasse cette servante et son fils; car le fils de cette servante ne doit pas hriter de toi avec mon fils, avec Isaac. Mais Abraham fut contrari de cela, cause de son fils. Alors, Dieu lui apparut et lui dit: N'aie aucun chagrin cause de cet enfant, ni au sujet de ta servante. Au contraire, obis Sara, en tout ce qu'elle te dira; car c'est en Isaac que ta postrit sera appele dite ton nom. Toutefois, parce que le fils de ta servante est de ta semence, je le ferai devenir, lui aussi, une grande nation. Alors, Abraham se leva au matin, de trs bonne heure, et, ayant pris du pain et une bouteille d'eau, il les mit sur l'paule d'Agar, en lui donnant son enfant; il la renvoya ainsi. Et Agar s'en alla errante dans le dsert de Ber-Sbah. Or, l'eau de la bouteille fut puise au bout de quelq ue temps. Alors, Agar coucha son fils l'ombre d'un arbrisseau. Et, s'tant loigne de lui la distance d'un trait d'arc, elle dit: Que je ne voie pas mourir cet enfant! Et, comme elle tait assise vis--vis, elle leva la voix, en pleurant. Et Dieu entendit la voix du jeune garon; puis, un ange de Dieu appela Agar du haut du ciel et lui dit: Qu'as-tu, Agar? Ne crains rien, car Dieu a entendu la voix du jeune garon. Lve- 56
toi, va ton enfant, fais-le lever, et prends-le par la main; car je le ferai devenir une grande nation. Alors, Dieu ouvrit les yeux d'Agar, et elle aperut un puits; elle y alla, y remplit d'eau sa bouteille, et donna boire au jeune garon. Et Dieu fut avec Ismal; il grandit dans le dsert; il y vcut et devint un habile tireur d'arc. Il se fixa au dsert de Pharan; et sa mre lui donna une femme du pays d'gypte. (21:3-21) Ce brusque cong, donn par Abraham son premier n et la pauvre Agar, avec un morceau de pain et une bouteille d'eau, est bien inhumain de la part d'un personnage si puissant et si riche, qui avait t vainqueur de cinq rois avec trois cent dix-huit hommes de l'lite de ses domestiques et qui sa femme avait rapport tant d'argent grce sa frquentation du roi d'Egypte et du roi de Grare. Il est difficile, aprs cela, de dire que l'Ecriture Sainte enseigne la charit! Suit un pisode qui n'a pas grand intrt. Abimlec, accompagn de Picol, gnral en chef de son arme, vient rendre visite Abraham et le prie de lui jurer, par Dieu, qu'il ne lui dira jamais plus aucun mensonge; le roi de Grare demande encore au patriarche de contracter alliance avec lui, et cette alliance est conclue propos d'un puits que les serviteurs d'Abimlec disputaient aux domestiques d'Abraham. Le patriarche, pour prouver que c'est bien lui qui a creus le puits en litige, met part sept brebis de sa bergerie, dans un cadeau de moutons et de bufs Abimlec. Celui-ci accepte le troupeau, mais est intrigu de voir ces sept brebis soigneusement mises l'cart des autres bestiaux. Abraham, interrog, rpond: J'ai mis part ces sept jeunes brebis, et tu les prendras de ma main; elles te seront un tmoignage que j'ai vraiment creus ce puits. (v. 30) Abimlec et le gnral Picol se dclarent convaincus et retournent chez eux. Abraham plante une chnaie autour du puits; aprs quoi, la Gense nous apprend que le patriarche casquette--pont habita longtemps au pays des Philistins. Cependant, Abraham, qui tait si heureux d'avoir un fils de sa chre et vieille Sara, ne s'attendait gure la mauvaise farce que papa Bon Dieu lui rservait. Tu le gobes, ton moutard, prophte de mon cur? Or , maintenant, tu vas le tuer, toi-mme, ni plus ni moins, pour m'tre agrable! Telle est la surprise que Jhovah avait dcrt de faire son patriarche bien-aim. Il est vrai que c'tait pour la frime. L'Eternel, aimant rire, voulait simplement se payer en spectacle l'ahurissement d'Alphonse Abraham. Ici encore il faut user de la citation textuelle; c'est trop beau! Il arriva, aprs ces choses, que Dieu tenta Abraham. Il lui dit: Abraham! Abraham! Et celui- ci rpondit: Me voici. Dieu lui dit encore: Prends maintenant ton fils unique Isaac, que tu aimes, et va-t'en au pays de Morih, pour m'offrir ce fils en holocauste, sur une montagne que je te montrerai. Abraham, donc, s'tant lev de bon matin, sangla son ne et emmena avec lui deux de ses serviteurs, ainsi que son fils Isaac. Puis, ayant coup le bois ncessaire au sacrifice, il se mit en route, dans la direction de l'endroit que Dieu lui avait dit. Au troisime jour, il aperut la montagne, au loin. Alors, il dit aux deux serviteurs: Attendez ici, avec l'ne; nous irons, l'enfant et moi, jusque l-bas, et nous adorerons l'ternel; aprs quoi, nous reviendrons. Et Abraham prit le bois pour le bcher du sacrifice; il le mit sur le dos d'Isaac son fils; quant lui, il se munit du feu pour allumer le bcher, et il portait aussi la main un grand couteau. Ainsi ils s'en allrent tous deux ensemble. Alors, Isaac, s'adressant Abraham, lui dit: Mon pre! Et Abraham rpondit: Que veux-tu, mon fils? Et Isaac dit: Voici bien le feu et le bois; mais o est la bte pour l'holocauste? Et Abraham lui rpondit: Mon fils, Dieu se pourvoira lui-mme de la bte pour l'holocauste. Et ils continurent marcher tous deux ensemble. Quand ils furent arrivs l'endroit que Dieu lui avait dit, Abraham btit l un autel, arrangea le bois par-dessus; puis, il lia Isaac son fils, et le mit sur le bois qu'il avait dispos sur l'autel. Ensuite, Abraham, avanant la main, prit le couteau pour gorger son fils. Mais alors un ange de l'Eternel lui cria du ciel: Abraham! Abraham! Et il rpondit: Me voici. L'ange lui dit: N'tends pas ta main sur l'enfant, et ne 57
lui fais aucun mal; car, maintenant, j'ai connu que tu crains Dieu, puisque tu n'as pas pargn ton fils unique, pour moi. Et Abraham, levant les yeux, aperut un blier qui s'tait pris par les cornes dans un pais buisson. Alors, il alla prendre ce blier, et il l'immola en holocauste, la place de son fils. Et Abraham appela cet endroit L'Eterne l-y-pourvoira. Et l'ange de l'ternel cria des cieux Abraham pour la seconde fois. J'ai jur par moi-mme, dit le Seigneur, parce que tu as fait cela, n'pargnant point ton fils unique. C'est pourquoi je te bnirai encore; et je multiplierai trs-abondamment ta semence, comme les toiles des cieux et comme le sable des plages qui sont au bord de la mer; et ta postrit possdera les portes de tes ennemis; et toutes les nations de la terre seront bnies dans ta semence, parce que tu as obi ma voix. Ainsi Abraham retourna vers les deux serviteurs; et ils retournrent tous ensemble, s'en allant alors en Ber-sbah. (22:1-19) Les critiques font remarquer qu'Abraham, qui avait suppli Dieu d'pargner les habitants de Sodome et de Gomorrhe, qui taient pour lui des trangers, n'adressa pas la moindre prire en faveur de son propre fils, Ils accusent aussi le patriarche d'un nouveau mensonge, quand il dit aux deux valets: Nous ne ferons qu'aller, mon fils et moi, et nous reviendrons. Puisqu'il allait sur la montagne tout exprs pour gorger et brler Isaac, il ne pouvait avoir l'intention de revenir avec lui. Ce mensonge tait le fait d'un barbare, si les autres avaient t les mensonges d'un cupide proxnte prostituant sa femme pour de l'argent. D'autre part, ce n'est pas sans surprise qu'on voit Abraham, vieillard de cent ans, couper lui- mme le bois d'un bcher avant de se mettre en route: il faut, pour brler un corps, au moins une grande charrette de bois sec; un peu de bois vert ne saurait suffire. Sans doute, tout ce bois tut port d'abord par l'ne et les deux serviteurs. En tout cas, s'il n'y avait en tout que la charge d'un ne, on s'tonne qu'Isaac, qui n'avait pas encore treize ans, pt la porter son tour. On dit aussi que le rchaud, dont se munit Abraham pour allumer le feu, ne pouvait gure contenir que quelques charbons, et qu'ils ont d tre teints avant d'arriver au lieu du sacrifice, puisqu'au moment o le patriarche et son fils se sparrent des deux valets, le mont Moriah ne s'apercevait encore qu'au loin. Enfin, on a observ que ce fameux mont Moriah, mon tagne sur laquelle ft bti plus tard le temple de Jrusalem, n'est qu'un rocher pel, d'une aridit lgendaire; jamais le moindre arbuste n'y a pouss, et toute la campagne des environs de Jrusalem a toujours t remplie de cailloux, si bien qu'il fallut dans tous les temps y faire venir le bois de trs loin. Nanmoins, ces diverses objections n'empchent pas que Dieu n'ait prouv la foi d'Abraham, et que ce patriarche n'ait mrit la bndiction de Dieu par son obissance. Nous verrons, dans la suite, Jepht immoler sa fille, sans qu'aucun ange vienne interrompre le sacrifice; il est vrai que Jepht ne vivait pas de proxntisme et n'tait pas un saint. Le chapitre 23 nous apprend que Sara mourut l'ge de cent vingt-sept ans, . Hbron, au pays de Canaan. Abraham, ayant par consquent , l'enterrer, acheta une certaine caverne dite de Macpla, qui appartenait un sieur Hphron; celui-ci la lui fit payer fort cher. Hphron dit Abraham: La terre que tu demandes vaut quatre cents sicles d'argent; c'est le prix entre toi et moi; ensevelis donc ta morte. Et Abraham, ayant entendu cela, pesa l'argent qu'Hphron lui demandait et lui paya quatre cents sicles de monnaie courante publique. (23:15-16) On a valu que le sicle d'argent quivaut dix francs de notre monnaie d'aujourd'hui. Abraham aurait donc pay 4, 000 francs le terrain d'une caverne dans un pays absolument strile qui fait partie du dsert dont la Mer Morte est entoure; c'est plus cher qu'une concession perptuit au cimetire Montparnasse, en plein Paris! Un autre sujet d'tonnement, c'est qu'il ressort de cela qu'Abraham, quoique grand seigneur, ne possdait pas un pouce de terre lui; comment, avec toutes ses richesses, n'avait-il jamais acquis le moindre terrain nulle part?... Enfin, les critiques ont fait remarquer qu'il est trange de voir la Gense 58
parler de monnaie publique courante, au temps d'Abraham: non seulement il n'y avait point alors de monnaie dans Canaan; mais jamais les Juifs n'ont frapp de monnaie leur coin! Faut-il donc entendre par l que les quatre cents sicles en question signifient simplement la valeur de cette somme selon l'apprciation de l'auteur de la Gense? Cette hypothse ne rsoudrait pas davantage la difficult, attendu qu'on ne connaissait pas de monnaie non plus au temps o Mose, prtendu auteur du Pentateuque, tait cens crire. Nous voyons, au chapitre 25, qu'Abraham se consola de la mort de Sara en prenant une autre femme, nomm Ctura; le patriarche avait donc cent quarante ans, au moins. Or, nous avons vu que Sara elle-mme l'avait dclar, lorsqu'il tait dans sa centime anne, beaucoup trop vieux pour engendrer, et qu'il fallut un miracle du ciel pour le rendre pre d'un fils lgitime. Eh bien, avec Ctura, sans aucune intervention divine, Abraham eut encore six fils: Zamran, Jecsan, Mdan, Madian, Jesboc et Su. Enfin, le patriarche chri de Jhovah-Sehadda cassa sa pipe, par un beau soir de sa cent soixante-quinzime anne, lguant tout ce qu'il possdait Isaac, sauf quelques prsents ses autres enfants. Et il fut enterr auprs de Sara, dans la caverne de Macpla.
6 CHAPITRE
UNE FAMILLE VOUE LA MULTIPLICATION
C'est maintenant que nous allons voir s'accomplir les promesses de papa Bon Dieu, relatives la grande multiplication de la descendance d'Abraham. Entre la mort de Sara et son mariage avec Ctura, patriarche s'tait occup d'tablir son fils de prdilection; cet pisode fait l'objet du chapitre 24 de la Gense. On se souvient que Nachor, frre d'Abraham, avait pous la nice Milca. Or, ce sire Nachor, qui, lui, n'aimait point passer sa vie courir les dserts, s'tait fix dans un pays fertile, en Msopotamie. L, il eut de Milca huit fils, nomms Huts, Buz, Kmuel, Ksed, Hazo, Pildas, Jidlaph et Bathuel; et, comme ces huit gosses ne lui suffisaient pas, il prit en outre une concubine, nomme Ruma, dont il eut encore quatre fils, auxquels il donna les noms de Tbah, Gaham, Tahas et Mahaca. (22:20-24) A leur tour, ces enfants multiplirent, notamment Bathuel qui eut, entre autres, un garon, Laban, et une fille, Rbecca. C'est cette dernire, qui, par la grce de Jhovah, devait devenir M me Isaac. Donc, le vieil Abraham manda auprs de lui, un beau matin, le plus ancien de ses serviteurs, qui tait en mme temps l'intendant charg de l'administration de ses richesses. Dans la Gense, cet intendant n'est nomm qu'au chapitre 15; il s'appelait Dammsec Elizer. Abraham lui dit: Je t'en prie, tiens un moment dans ta main mon sexe, et ainsi jure-moi que tu ne prendras aucune des filles des Cananens, pour la faire pouser mon fils, mais que tu iras dans la terre o rsident mes parents et que tu y choisiras l'pouse d'Isaac. (24:2-4) Les commentateurs sceptiques se sont amuss de cette manire de faire prter serment. Saint Jrme et les traducteurs de la Vulgate, la trouvant trop raide, ont modifi les termes de ce passage de la Gense; selon eux, Abraham aurait dit Elizer: Mets ta main sous ma cuisse, el ainsi jure-moi, etc. Toutefois, le texte original hbreu porte: Prends dans ta main mes parties gnitales. Les savants expliquent ceci en disant que les parties viriles taient en grande vnration, non seulement cause de la circoncision qui les avait consacres Dieu, mais parce qu'elles sont la source de la propagation du genre humain et le gage de la bndiction du Seigneur. Si bizarre que puisse paratre cette faon de s'engager par serment, il faut s'incliner avec respect; car on ne doit jamais perdre de vue que tout ceci est dict par l'Esprit-Saint. Les savants disent donc que, chaque fois qu'on trouve le mot cuisse dans la Bible arrange par saint Jrme, il faut lire autre chose; ainsi, quand on lit 59
plus loin qu'un chef de nation sortit de la cuisse de Juda, il est vident qu'il y a l une altration du texte sacr, attendu que les enfants ne se font pas par la cuisse, et que, d'ailleurs, on l'a pu voir, le divin pigeon ne se g ne pas pour parler crment. Elizer jura donc en tenant en main les parties gnitales d'Abraham son matre (v. 9); aprs quoi il se mit en route avec dix chameaux, et se rendit en Msopotamie. A h! il y avait du chemin! Quand Elizer arriva quelque distance de la ville o il comptait retrouver des parents de son matre, il tait extnu et mourait de soif. Heureusement, il fit la rencontre d'une jolie brunette qui se balladait dans ces parages, pour aller chercher de l'eau un puits situ hors des portes. Cette aimable personne, trs charitable, vint au secours d'Elizer et l'abreuva, ainsi que ses chameaux. Mais admirez la Providence: la brunette n'tait autre que Rbecca, fille de Bathuel, petite-fille d'Abraham. Elizer, lui ayant fait cadeau d'une bague et de deux bracelets, s'informe de son nom. Tableau! Vite, il demande tre conduit dans la famille. Rbecca l'emmne, le prsente son pre et son frre. L'intendant explique ceux-ci qu'il a accompli ce voyage dans le but de dcouvrir en Msopotamie une pouse pour Isaac. Bathuel et Laban s'crient: La main de Dieu est visible en tout ceci; que Rbecca parte donc au plus vite avec toi, et qu'elle soit la femme du fils de ton matre. Elizer, tout joyeux du succs si prompt de sa mission, comble Rbecca de bagues d'argent et d'or et d'habits somptueux; il donna aussi des prsents exquis son frre et sa mre . La mre de la jeune fille aurait bien voulu que le dpart ft retard de dix jours. Mais Rbecca, interroge, dclara qu'elle avait hte d'tre auprs de ce fianc inconnu. Il est difficile de croire, pourtant, qu'Elizer lui avait montr la photographie d'Isaac; mais elle n'en avait pas moins reu le coup de foudre. De son ct, le jeune Isaac, bien qu'il ne st pas quelle femme lui ramnerait Elizer, ni mme s'il lui en ramnerait une, tait amoureux, amoureux fou; il passait ses jours et ses nuits sur la grande route. On s'imagine donc aisment la joie qu'il prouva, lorsqu'un beau matin il constata qu'Elizer ne rentrait pas bredouille. L'intendant fit un rcit fidle de son voyage; les deux jeunes gens se jetrent dans les bras l'un de l'autre. Alors, Isaac fit entrer aussitt Rbecca dans la tente qui avait t celle de Sara, sa mre; et il prit Rbecca pour femme; et il l'aima tant, qu'ainsi il fut consol de la mort de sa mre. (24:67) Dans les premiers temps, Isaac eut beau excuter des prodiges de bonne volont, il ne russissait pas devenir papa aussi vite qu'il l'aurait voulu. Il n'en faut pas davantage pour que la Gense accuse Rbecca de strilit; c'est toujours la faute des femmes, parbleu! Et Isaac, voyant sa femme infconde, pria instamment l'Eternel pour elle; et l'Eternel fut flchi par ses prires, et Rbecca conut. (25:21) Entre nous, Jhovah faisait des manires; car, oui ou non avait-il promis Abraham qu'il aurait une descendance n'en plus finir? Oui, n'est-ce pas? Or, c'est sa Providence elle-mme qui avait choisi Rbecca pour tre l'pouse du fils d'Abraham; papa Bon Dieu ne pouvait donc pas, sans faillir sa parole, avoir donn Isaac une femme improductive. C'est clair. S'il avait encore ferm cette vulve, c'tait donc purement et simplement histoire de se payer le plaisir de la rouvrir, aprs avoir fait un peu poser l'hritier de son bienaim Alphonse Abraham. Mais ici l'histoire se complique. Or, Rbecca ayant conu, deux enfants taient dans son ventre, et ils s'y battaient. Et Rbecca dit: S'il en est ainsi, pourquoi ai-je conu? Et elle alla consulter l'Eternel. (25:22) On ne voit pas bien comment deux foetus peuvent se battre dans une matrice, surtout au commencement d'une grossesse. Une femme peut sentir des douleurs; mais de l sentir qu'il y a en elle des sances de boxe et de chausson entre deux jumeaux, il y a loin! d'autant plus que, jusqu' la dlivrance, on ne sait jamais si un seul enfant viendra ou s'il y aura deux jumeaux; le mdecin accoucheur lui-mme ne saurait prophtiser ce sujet; mme, dans 60
l'accouchement, an moment o l'enfant se prsente, nul praticien ne peut affirmer si l'enfantement sera simple ou double. L'auteur sacr nglige de dire en quel endroit Rbecca se rendit pour consulter papa Bon Dieu. Le tabernacle n'avait pas t encore invent. C'tait Jhovah qui apparaissait quand il voulait; il n'avait lu aucun domicile sur terre. Nanmoins, il fut consult, et il rpondit: Deux nations sont dans ton ventre, dit l'Eternel Rbecca, et deux peuples sortiront de ta vulve; ils se diviseront; l'un des deux sera plus fort que l'autre, et le plus grand sera assujetti au plus petit. (25:23) Enfin, le temps de l'accouchement vint; Rbecca eut. les douleurs, en punition de la gourmandise d've, et voil qu'on trouva deux jumeaux dans sa matrice. Le premier qui sortit tait roux et hriss de poils, comme un manteau; son nom est sa. Et aussitt aprs, sortit son frre, tenant avec sa main le talon d'Esa; et on l'appela Jacob. Or, Isaac avait soixante ans, quand ils naquirent. (25:24-26) Il est rare qu'un enfant naisse tout velu, si rare qu'sa en est le seul exemple. Il n'est pas moins rare qu'un enfant, en naissant, en tienne un autre par le pied. Mais, de ce que ces choses-l n'arrivent plus aujourd'hui, il ne faudrait pas en conclure qu'elles n'ont pas d arriver alors. Ces fantaisies de Jhovah ne sont rien auprs d'autres miracles que nous aurons rapporter. Ce fut Esa qu'on dclara l'an. On sait que la question de primogniture est tranche, dans diverses jurisprudences, au profit de celui des deux jumeaux qui est venu au monde le second, et, pour dcider ainsi, on s'appuie sur ce que, conu et form le premier, il a d occuper le fond de la cavit utrine. A raison de cela, peut-tre pensera-t-on que Jacob tait plus naturellement l'an qu'sa. Mais ces enfants s'taient tellement battus dans le ventre de leur mre, qu'ils avaient, sans doute, chang fort souvent de place! On ne songea donc pas tirer la courte paille qui revenait le titre d'an, et l'on jugea plus simple de le donner celui qui avait vu la lumire le premier. D'ailleurs, Jacob n'allait pas tarder se substituer sa. Lorsqu'ils furent adultes, sa fut un habile chasseur et homme de campagne; mais Jacob tait un homme simple, se tenant demeure dans les tentes. Et Isaac aimait sa, parce que la venaison tait sa viande prfre; par contre, Rbecca aimait Jacob. Or, un jour que Jacob faisait cuire un potage de lentilles, Esa survint des champs, tant trs fatigu. Et il dit Jacob: Donne-moi, je t'en prie, manger de ce potage roux, parce que je suis harass. C'est pour cela qu'on l'appela Edom. Mais Jacob lui rpondit: Vends-moi aujourd'hui ton droit d'anesse. Je me meurs de faim, repartit sa; quoi me servirait mon droit d'anesse? Et Jacob insista, disant: Jure-moi donc que tu y renonces. Et Esa le lui jura, et ainsi il vendit son droit d'anesse Jacob. Alors, Jacob donna son frre du pain et le potage de lentilles. Et sa mangea et but, puis il se leva et s'en alla, ayant ddaign ainsi son droit d'anesse. (25:27-34) Nous ne nous arrterons pas discuter la bizarrerie de celte chicane, une poque o il n'y avait pas encore de droit d'anesse, puisqu'il n'existait aucune loi positive; ce n'est que trs longtemps aprs, dans le Deutronome, que l'on voit instituer ce droit, le lgislateur dclarant que l'an aura une double portion. Mais il est surtout intressant de faire remarquer, avec les philosophes, quel point la conduite de Jacob fut indigne: c'est d'aprs le texte sacr mme qu'Esa prissait de faim et que Jacob, abusant de l'tat o se trouvait son frre, est sans excuse; la Bible n'a pas un mot pour le justifier. D'ailleurs, le nom de Jacob signifie celui qui supplante . Il semble, en effet, bien mriter ce nom, puisqu'il supplanta toujours Esa. Il ne se contente pas de lui vendre ses lentilles si chrement; comme un brigand qui fait signer sa victime une demande de ranon, il arrache son frre le serment de renonciation ses droits; il le ruine pour une cuelle de pure sans aucune valeur; et ce n'est pas le seul tort qu'il lui fera. Eh bien, ce march o l'affam est cyniquement exploit et dup, cette transaction caduque par elle-mme, cette renonciation extorque que n'importe quel tribunal aurait dclar nulle, le seigneur Jhovah, prtendu dieu de justice, protecteur des faibles, vengeur 61
des opprims, a ratifi tout cela, a agr Jacob comme lgitime propritaire de ces fameux droits de primogniture, et la dpossession d'Esa a t reconnue par Dieu rgulire et valable jamais. Quelque temps aprs, Isaac se montra le digne fils d'Abraham. Une grande famine tant survenue, Isaac se rendit Grare, o rgnait toujours Abimlec, que la Gense appelle tout- -coup roi des Philistins. Dieu aurait pu donner du pain Isaac, pour lui et sa famille; mais non, il prfra le favoriser d'une vision, dans laquelle il lui tint un discours exactement semblable ceux dont il rgalait Abraham: Je multiplierai ta semence comme les toiles du ciel, je donnerai ta postrit toutes les terres, et toutes les nations de la terre seront bnies en ta semence (air connu). Isaac; demeura donc Grare, et quand les gens du pays l'interrogeaient sur Rbecca, il rpondait: C'est ma sur (26: 1-7). Or, un jour, Abimlec, roi des Philistins, regardait par sa fentre, et, sa grande surprise, il vit qu'Isaac caressait Rbecca. Alors, il ft venir auprs de lui Isaac, et il lui dit: Il est certain, je l'ai vu, que cette femme est ton pouse; alors, pourquoi as-tu dit tous qu'elle est ta sur? Et Isaac rpondit: J'ai eu peur qu'on ne me tut cause de sa beaut. Et Abimlec s'cria: Que nous as-tu fait l? Il s'en est fallu de peu que quelqu'un de mon peuple n'ait couch avec ta femme, et tu nous aurais attir ainsi un grand pch! Abimlec fit donc une ordonnance, dicte pour tout le peuple et portant ceci: Quiconque touchera Isaac ou sa femme sera puni de mort. (26:8-11) Abimlec, on le voit, se souvenait du miracle des femmes cousues, bien qu'il y eut dj plus de quatre-vingts ans couls depuis l'aventure de Sara. D'autre part, ce qui est assez singulier, c'est que la Bible nous reprsente toujours les Philistins comme adorant a n autre dieu que celui d'Abraham et d' Isaac, et pourtant voici que leur roi, idoltre, reconnat constamment la divinit le Jhovah. Quel imbroglio! Or, au pays de Grare, Isaac sema dans la terre, et il recueillit cette anne-l le centuple de ce qu'il avait sem. (26:12) C'est dj fort qu' Isaac ait pu semer dans un pays o il ne possdait pas un pouce de terrain; mais, en ne perdant pas de vue que le pays de Grare est un dsert o il n'y a que du sable, on est merveill davantage; et c'est une rcolte de cent pour un qui sort de ce sable! Les plus fertiles terres du monde ont rarement produit vingt-cinq pour un. Isaac avait de la chance!... La Gense nous apprend qu'il s'enrichit bien vite: avec des rcoltes pareilles, cela se conoit. Les Philistins lui portrent envie et bouchrent avec des cailloux, tous les puits qu'Abraham avait creuss autrefois. De l, des querelles; Abimlec le pria d'aller plus loin. Isaac partit, s'tablit dans une valle et dboucha les puits de son pre. Nouvelles contestations; nouvelle apparition de Jhovah, pour encourager Isaac; nouveau trait d'alliance avec Abimlec; grand festin. Le lecteur comprendra que nous lui fassions grce de tous ces dtails fastidieux (v. 13- 33). Quant Esa, lorsqu'il eut quarante ans, il pousa Judith, fille de Beer, then, et Basemath, fille d'Elon, autre then, qui, toutes deux, offensrent Isaac et Rbecca (26:34-35). L'auteur sacr ne nous dit pas en quoi consista cette offense. Nanmoins, Esa continua d'tre le fils prfr de son pre. Isaac tant devenu vieux, ses yeux s'obscurcirent tant qu'il ne pouvait plus voir. Il appela Esa, son fils an, et lui dit: Mon fils. Esa rpondit: Me voici. Et Isaac lui dit: Tu le vois, je suis maintenant fort g, et j'ignore quel jour je mourrai. Prends donc prsent ton carquois et ton arc; va dans la campagne, et apporte-moi du gibier. Fais-men un ragot comme tu sais que je les aime; apporte-le-moi, afin que j'en mange et que mon me te bnisse avant que je meure. Or, Rebecca coutait, pendant qu'Isaac parlait Esa son f ils. Celui-ci partit donc la campagne pour chasser et rapporter du gibier. Alors Rbecca dit h. Jacob son fils: J'ai entendu ton pre, qui parlait Esa ton frre et qui lui disait: Apporte-moi de ta chasse et fais-m'en un ragot, afin que j'en mange, et je te bnirai devant l'Eternel avant de mourir. Maintenant donc, mon fils, obis ma parole, et fais ce que je vais te commander. 62
Va notre troupeau, et prends deux des meilleurs chevreaux; de leur viande, j'apprterai un ragot . ton pre, comme je sais qu'il les aime. Tu porteras ces mets ton pre, afin qu'il les mange, et ainsi c'est toi qu'il bnira avant sa mort. Jacob rpondit Rbecca sa mre: Tu sais qu'Esa mon frre est fort velu, et moi, je n'ai point de poil. Si mon pre vient me tter, il comprendra que j'ai voulu le tromper, et j'attirerai sur moi sa maldiction, au lieu de sa bndiction. Et sa mre lui dit: Que cette maldiction que tu crains soit sur moi! Obis seulement ma parole, et va chercher ce que je t'ai dit. Il s'en alla donc et rapporta les deux chevreaux sa mre, et Rbecca prpara un de ces ragots dont Isaac tait si friand. Puis, elle prit les plus riches habits d'Esa son fils an, qui taient dans la maison, et elle en revtit Jacob son cadet. Et, avec les peaux des chevreaux, elle lui recouvrit les mains et son cou, qui taient sans poil. Ensuite, elle remit Jacob le ragot, ainsi que du pain qu'elle avait fait cuire. Jacob vint donc vers Isaac et lui dit: Mon pre. Isaac rpondit: Je suis l; qui es-tu, mon fils? Et Jacob dit son pre: Je suis Esa ton fils an; j'ai fait ce que tu m'as command. Lve-toi, je te prie; assieds-toi, et mange de ma chasse, afin que ton me me bnisse. Mais Isaac dit: Qu'est-ce que ceci? Comment as-tu pu trouver sitt du gibier? Jacob rpondit: L'Eternel, ton dieu, a voulu que j'en trouvasse tout de suite. Isaac dit encore: Mon fils, approche-toi donc, afin que je le tte, et je saurai ainsi si tu es mon fils Esa mme, ou si tu ne l'es pas. Jacob donc s'approcha de son pre, qui le tta; et Isaac dit: Cette voix est la voix de Jacob, mais ces mains sont les mains d'Esa. Ainsi, il ne le reconnut point, parce que ses mains tant velues lui parurent semblables celles de son fils an; et il le bnit. Et il lui dit de nouveau: lis-tu bien mon fils Esa? Jacob rpondit: Je le suis. Donne-moi donc manger de ta chasse, continua Isaac, afin que mon me te bnisse. Jacob lui servit les mets, et il en mangea; il lui apporta aussi du vin, et il en but Puis, Isaac lui dit: Approche-toi, je t'en prie, et embrasse-moi, mon fils. Jacob s'approcha et l'embrassa; et Isaac, ayant senti l'odeur de ses habits, le bnit, en disant: Voil bien l'odeur de mon fils, comme l'odeur d'un champ que l'Eternel a bni. Que Dieu te donne la rose du ciel et la graisse de la terre, et une grande abondance de bl, et le meilleur vin! Que les peuples te servent, et que les nations se prosternent devant toi! Sois le matre de tes frres, et que les enfants de ta mre soient courbs devant toi! Quiconque te maudira soit maudit, et quiconque te bnira soit bni! (27:1-29) Tout ceci mrite quelques observations; mais voyons d'abord la lin de cette difiante histoire. A peine Jacob tait-il sorti aprs avoir reu la bndiction d'Isaac, qu'Esa revint de la chasse. Il apprta aussi son gibier et apporta le ragot son pre, en lui disant: Lve-toi, mon pre, afin que tu manges de la chasse de ton fils, et que ton me me bnisse. Et Isaac dit: Qui es-tu donc? Esa lui rpondit: Je suis Esa ton fils an. Alors, Isaac prouva une extraordinaire motion, et il dit: Mais qui est celui qui m'a apport du gibier, et o est-il? J'ai mang, avant que tu vinsses, de tout ce qu'il m'a prsent; je l'ai bni, et voil qu'il sera bni! Aussitt qu'Esa eut entendu ces paroles, il poussa un cri fort grand et trs amer, et il dit son pre: Ah! donne-moi aussi ta bndiction, mon pre! Mais Isaac rpondit: C'est ton frre qui est venu ici frauduleusement; il a russi me surprendre, et il a emport ta bndiction. Esa repartit: On l'a appel Jacob avec raison; car il m'a dj supplant deux fois: il m'a enlev mon droit d'anesse, et voici qu' prsent il m'a drob ta bndiction. Allons, mon pre, n'as-tu point rserv de bndiction pour moi? Et Isaac rpondit Esa: Voici ce que j'ai fait; je l'ai tabli ton matre, et je lui ai soumis tous ses frres; il aura du bl en abondance, il aura le meilleur vin; aprs cela, que puis-je faire pour toi, mon fils? Et Esa dit encore: N'as-tu donc qu'une seule bndiction, mon pre? O mon pre, bnis-moi aussi. Et Esa pleura, en jetant de grands cris. Isaac lui rpondit: Eh bien, voici pour toi: ta demeure sera dans un terroir gras, arros de la rose des cieux d'en haut. Et tu vivras par ton pe; mais tu serviras ton frre; nanmoins, 63
le temps viendra que tu secoueras le joug de ton cou. (27:30-40) Et c'est tout; Esa n'eut pas de bndiction. J'en appelle Lon XIII lui-mme, qui fit la grimace et frappa du poing, dit-on, lorsqu'il apprit que je l'avais mystifi de la plus belle faon et qu'en bon fumiste je lui avais soutir des bndictions dont je me gaussais en mon for intrieur. Oui, j'en appelle au Saint-Pre en personne, et je l'enferme dans ce dilemme: ou cette histoire d'Isaac, Rbecca, Esa et Jacob est une ridicule craque, et dans ce cas Lon XIII aurait tort de m'en vouloir, puisque l'Esprit- Saint, inspirateur de la Gense, mystifiant les crdules dvots, donne l'exemple des fortes blagues et montre qu'en matire de religion on peut tout conter aux imbciles; ou bien cette histoire est rigoureusement vraie, et dans ce cas le Dieu des catholiques est lui-mme un simple cornichon, puisque ses bndictions restrent lies celles du gaga Isaac, que Jacob mystifia dans les grands prix. Dans un cas comme dans l'autre, les libres-penseurs fumistes n'ont pas se gner; ils peuvent, si a les amuse, se payer la tte des fidles et des curs, des vques et du pape, des patriarches, saints et prophtes, et mme de papa Bon Dieu, devenu le plus ramolli de la collection. En effet, d'aprs ce qui ressort du texte sacr, la bndiction d'Isaac n'tait pas une bndiction paternelle ordinaire, c'est--dire le souhait qu'un pre forme pour le bonheur de son fils; c'tait, au contraire, un acte solennel, formel, entranant des consquences prcises et certaines, quelque chose comme un acte la fois religieux et juridique, ayant toute la valeur d'un acte notari d'aujourd'hui: bien que verbale, cette bndiction tait comme un document crit, et le bnficiaire tait bien celui sur la tte de qui elle avait t prononce, quel qu'il pt tre, puisqu'elle n'tait pas sujette tre reprise ou annule. L'Ecriture Sainte nous montre Isaac profondment mu, lorsqu'il s'aperoit qu'il a t tromp; il est fort contrari de s'tre laiss jouer par Jacob; mais il lui est impossible de revenir sur ce qui est fait; n, i, ni, fini. Jacob a drob et emport la bndiction destine Esa; tant pis pour Esa! On se trouve donc en prsence d'une fraude bel et bien criminelle; en toute conscience, n'importe quel jury dclarerait Jacob coupable d'avoir commis le crime de faux; il serait condamn, ainsi que sa mre, Rbecca ayant t non seulement complice, mais instigatrice du fait punissable, l'ayant perptr, ayant prpar toute la fraude et mis tout et uvre pour en assurer la russite. Maintenant, si criminelle qu'ait t la supercherie, puisqu'elle avait pour but et eut pour effet de frustrer Esa d'un bien aussi considrable que cette bndiction si fconde en rsultats matriels, on se demande, d'autre part, comment Isaac put tomber dans le panneau; le mot gaga , dont je me suis servi tout l'heure n'est pas trop fort. Comment! La Gense nous dit que le vieux bonhomme avait reconnu la voix de Jacob; il est rempli d'hsitations, il se mfie, et, malgr cela, il se laisse prendre, comme le dernier des idiots, un artifice des plus grossiers?... Il attend du gibier, il aime le gibier, il en est friand, et sa gourmandise est une des causes de sa prfrence pour Esa; or, on lui sert du chevreau, et son palais, si accoutum au gibier, confond le cabri avec le faisan ou le livre. Mazette! quel cordon-bleu, madame Rbecca! voil une cuisinire hors-ligne, qui aurait confectionn une bouillabaisse avec des algues et des galets!... Mais le sens du got n'est pas le seul s'tre dtraqu tout coup chez le vieil Isaac; il est gaga jusque dans l'odorat et le toucher. Rbecca avait recouvert de la peau d'un cabri les mains et le cou de Jacob; or, quelque poilu que ft Esa, sa peau ne pouvait ressembler celle d'un chevreau. Isaac ne songe pas tter le reste du corps; il ne s'aperoit pas que les mains de son fils n'ont point d'ongles. Il sent l'odeur des habits d'Esa, et rien autre; cependant, l'odeur de la peau d'un animal frachement tu devait se faire sentir. Voil pour le gtisme d'Isaac. En outre, on se demande comment Dieu put attacher ses bndictions celles d'Isaac, extorques par une fraude si punissable et qu'un baveux, au dernier degr de dcrpitude, pouvait seul ne pas dcouvrir. Voil donc Dieu esclave d'une 64
vaine crmonie, qui par elle-mme n'a aucune force, ou bien Jhovah est assez ramolli pour faire pendant Isaac gaga. Ces observations s'appliquent l'hypothse de la vracit de l'pisode. Mais il est bien vident que si cette histoire est une pure blague, ce qui laisserait le cerveau de papa Bon Dieu hors de tout soupon d'abrutissement, l'Eglise ne peut plus nous donner vnrer son divin pigeon comme un inspirateur grave et srieux: ou ce volatile ternel radote comme un perroquet tomb en enfance; ou bien c'est un canard mystificateur. Nous penchons vers cette dernire opinion. , voyons la suite des hautes fantaisies du pigeon-canard. Esa, vex et il y avait de quoi! d'avoir t filout et de voir sur la tte du filou cette belle bndiction toute neuve dont le cadeau lui avait t promis, se jura de tuer Jacob. La mre Rbecca, pouvante, conseilla Jacob de prendre vivement quelques grains de poudre d'escampette; celui-ci, quelque peu traqueur, du reste, ne se le fit pas dire deux fois. Rbecca lui dit donc de se rfugier chez son frre Laban, et le vieil Isaac l'engagea profiter de la circonstance pour pouser une de ses cousines. (27:41-46; 28:1-5) Pendant que Jacob se rendait en Msopotamie, Esa alla faire un tour au pays d'Ismal; l, il se maria Mahalath, fille d'Ismal; ses deux premires femmes ne lui suffisaient pas (v. 6-9). Voil donc Jacob en route pour Caran (v. 10). Or, tant arriv en un certain endroit, et voulant s'y reposer aprs le soleil couch, Jacob prit une pierre, la mit sous sa tte et s'endormit en ce lieu. Alors, il eut un songe dans lequel il vit une chelle, qui tait appuye sur la terre, et dont le haut touchait jusqu'aux cieux; et les anges de Dieu montaient et descendaient le long de cette chelle. Il vit aussi l'ternel qui se tenait au bout de l'chelle, et qui lui dit: Je suis l'ternel, le Dieu d'Abraham et d'Isaac; je te donnerai la terre o tu dors, toi et ta postrit; et ta semence sera comme la poussire de la terre; je te donnerai l'Occident et l'Orient, le Nord et le Midi; en toi et en ta semence seront bnies toutes les nations de la terre; et je suis avec toi, ton gardien et ton guide partout o tu iras, et je te ramnerai en ce pays. Quand Jacob s'veilla, il dit: Vraiment, le Seigneur est en ce lieu et je n'en savais rien! Et il eut peur et s'cria: Que ce lieu est terrible! c'est la maison de Dieu et la porte du ciel. Et, se levant de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, la dressa et y versa de l'huile par-dessus. Puis, il donna pour nom Bthel la ville qui s'appelait auparavant Luza. Et il fit un vu au Seigneur, disant: Si Dieu demeure avec moi, s'il me prserve d'accidents dans le voyage que je fais, s'il me donne du pain manger et des habits pour me vtir; et si je reviens sain et sauf chez mon pre, alors certainement le Seigneur sera mon dieu; et cette pierre, que j'ai dresse comme un monument, s'appellera la maison de Dieu; alors, oui, Seigneur, je te donnerai la dme de tout ce que tu m'auras donn. (28:11-22) Ngligeons de contester l'existence d'une ville nomme Luza ou Bthel dans la rgion dont il s'agit; les gograph es n'ont jamais entendu parler de Bthel, pas plus que de Luza. Ce qu'il faut admirer, c'est l'esprit pratique de l'tonnant Jacob. Il a roul Esa son frre an, Isaac son pre et Jhovah lui-mme, par contre-coup; aussi, entend-il bien ne pas se laisser flouer par papa Bon Dieu, et il pose ses conditions au Seigneur Trs-Haut. Le dieu de ses anctres vient de lui donner un spectacle abracadabrant; il lui a montr ses anges se livrant sur une chelle des exercices de gymnastique trs varis; il lui a promis monts et merveilles dans un beau discours. Le premier sentiment de Jacob est la crainte mle de respect; mais il a bientt fait de se rassurer et de rflchir que tout cela n'tait qu'un songe. Aussi dit-il au dieu de ses anctres: Si tu me donnes du pain et des habits, tu seras mon dieu; je t'adorerai. Ce qui quivaut dire: Si tu ne me donnes rien, zut pour toi, mon vieux! Il promet la dme, un uf, au Seigneur, mais la condition que le Seigneur l'aura gratifi d'un buf. A la bonne heure!... Les critiques ont compar ce discours de Jacob-aux usages de certains peuples qui jetaient leurs idoles dans la rivire, lorsqu'ils n'avaient pas obtenu la pluie demande. J'ai 65
connu une vieille dvote qui mettait saint Joseph en pnitence, quand elle n'avait pas gagn la loterie; c'est--dire elle retournait la statue de saint Joseph, la tte contre le mur dans sa niche; cette bonne chrtienne, pieuse, mais roublarde dans sa superstition, devait descendre de Jacob. Aprs cet incident de voyage, Jacob se remit en route. Dans un champ, un puits o s'abreuvaient des troupeaux lui fournit l'occasion de faire connaissance avec une pastourelle; justement, c'tait sa cousine Rachel. Comme on le voit, la Gense se rpte: Elizer, par un hasard providentiel, avait rencontr, lui aussi, auprs d'un puits, Rbecca qu'il ne connaissait pas et qu'il venait chercher. Rachel, qui tait la fille cadette de Laban, conduisit donc chez son pre l'aimable cousin Jacob; prsentation la famille. Lia, la fille ane, avait les yeux chassieux , nous dit la Bible, et elle laissa Jacob absolument froid. Par contre, Rachel eut le don de lui taper dans l'il; elle avait la taille fine et elle tait belle voir . Jacob communiqua ses prfrences l'oncle Laban, qui fil entendre son neveu quelques paroles d'espoir. Or, Laban tait un homme pratique. Il dit Jacob: Mon petit, tu veux pouser Rachel; je ne m'y oppose pas, mais il faut la gagner. Comment cela mon oncle? En me servant de domestique pendant sept ans, afin que j'aie le loisir de voir si tu es un garon travailleur et rang. Ce fut march conclu. Pendant sept ans, pour prouver Jacob, l'oncle lui fit faire la besogne la plus dure de la maison. L'preuve termine, le jour des noces arriva. La marie tait recouverte d'un grand voile, selon l'usage; Jacob frtillait comme un poisson dans l'eau. Laban, grave et solennel, remplit lui- mme, en cette affaire, les fonctions de maire et grand-prtre. Il dclara le mariage accompli, la grande satisfaction de Jacob. Cette crmonie fut trs solennelle. Ici, il est bon de citer le texte dict par l'Esprit-Saint: Laban, donc, assembla tous les gens du pays et donna un grand festin. Mais, quand le soir fut venu, il prit Lia, son ane, et la remit Jacob, qui coucha avec elle. Mais, le matin, son rveil, Jacob reconnut que c'tait Lia; et il lit Laban: Pourquoi as-tu agi ainsi? ne t'ai-je pas servi sept ans pour avoir Rachel? pourquoi m'as-tu tromp? Dans ce pays, rpondit Laban, ce n'est pas la coutume de marier une cadette avant sa sur ane. Couche avec Lia pendant une semaine encore, et, la condition que tu sois de nouveau mon serviteur pour un travail de sept ans, alors je te donnerai aussi Rachel. Jacob fit donc ainsi; il remplit pendant une semaine ses devoirs d'poux avec Lia, et Laban lui donna pour femme Rachel aussi. Jacob coucha enfin avec Rachel, qu'il aima plus que Lia, ayant servi chez Laban encore sept autres annes. A l'occasion de ce double mariage, Laban avait donn Lia une servante nomme Zelpha, et Rachel une servante nomme Bla. (29:22-30) Ainsi Jacob, qui avait roul son pre et son frre, fut roul par son oncle. Seulement, on ne comprend pas trop comment, ayant vcu pendant sept annes d'abord dans la famille et connaissant bien ses deux cousines, il passa toute une nuit avec Lia en croyant avoir affaire Rachel. Or, l'Eternel, voyant que Jacob ddaignait Lia, ouvrit la vulve de celle-ci, et par contre il ferma la vulve de Rachel. (29:31). Ceci n'est dj pas trop mal; mais le plus beau, c'est ce que la Gense ajoute dans les quatre versets suivants: Jacob n'est reprsent comme ayant rempli ses devoirs conjugaux que durant une semaine en tout, la semaine qui suivit son premier mariage; eh bien, malgr cela, Lia lui pondit coup sur coup quatre fils, qui furent Ruben, Simon, Lvi et Juda. Alors, Rachel, voyant qu'elle ne donnait pas d'enfant Jacob, lui dit: Fais-moi des enfants, ou sinon, je mourrai. Et Jacob entra dans une grande colre contre Rachel et s'cria: Me prends-tu donc pour un dieu? Je fais tout ce qui est ncessaire, mais est-ce moi qui t'te le fruit de ton ventre? Rachel rpondit: S'il en est ainsi, voici Bla ma servante; entre en elle; 66
et quand elle sera pour accoucher, elle enfantera sur mes genoux; ainsi j'aurai des enfants par elle. Et Jacob coucha avec Bla. Bla conut, et ce fut un fils qu'elle enfanta Jacob. Rachel dit: Dieu m'a donc exauce; et elle donna ce fils le nom de Dan. Bla conut encore et enfanta un second fils. Et alors Rachel dit: En tout ceci, j'ai fortement lutt contre ma sur, et voici que j'ai la victoire. C'est pourquoi elle donna cet enfant le nom de Nephtali. Mais Lia, voyant qu'elle avait cess d'avoir des enfants, prit sa servante Zelpha et la mit dans le lit de Jacob. Et Zelpha, son tour, enfanta un fils Jacob. Alors Lia dit: Cet enfant qui arrive est comme une troupe de renfort. C'est pourquoi elle l'appela Gad. Puis, Zelpha enfanta un autre fils Jacob. Et Lia dit: Ceci est encore plus heureux: maintenant, toutes les filles me diront bienheureuse. Et elle appela l'enfant Azer. (30:1-13) De quel commentaire accompagner ce texte difiant?... N'insistons pas. La suite est plus difiante encore. Pour comprendre ce qu'on va lire, il est bon de savoir que, d'aprs une croyance antique, rpandue encore dans quelques campagnes, les ra cines de mandragores seraient trs efficaces contre l'impuissance. Ces racines ayant une forme bizarre se prtant facilement des transformations obscnes, les charlatans, toute poque, en faisaient des priapes qu'ils recommandaient de porter sur soi; ou encore on les faisait macrer, et la liqueur qu'on en retirait ainsi passait pour un merveilleux philtre d'amour. L'Esprit-Saint s'est donc amus dicter l'crivain de la Gense un pisode mettant en valeur cette bizarre plante aux prtendues vertus aphrodisiaques. C'est Ruben qui en va cueillir pour sa mre; n'est-ce pas charmant?... Or, Ruben tant all aux champs au temps de la moisson, y dterra des mandragores, qu'il apporta Lia sa mre. Et Rachel dit Lia: Donne-moi, je te prie, de ces mandragores. Mais Lia lui rpondit: N'est-ce pas assez dj que tu m'aies pris mon mari, et faut-il encore que tu veuilles manger les mandragores que mon fils m'a apportes? Rachel lui dit: Eh bien, contre ces mandragores que je te demande, je te rendrai Jacob pour qu'il couche une nuit avec toi. Lors donc que Jacob revint des champs le soir, Lia alla au-devant de lui et lui dit: Tu entreras en moi cette nuit, car je t'ai achet pour prix des mandragores que mon fils avaient cueillies; et il coucha avec elle cette nuit-l. Et Dieu couta la prire de Lia; et elle devint enceinte, et ainsi elle enfanta son cinquime fils. Et Lia dit: L'Eternel m'a rcompense, aprs que j'ai donn ma servante mon mari. C'est pourquoi elle nomma ce fils Issachar . (30:14-18) Lia eut encore un sixime fils, qui reut le nom de Zabulon, et une fille, appele Dina, sans que la Gense nous dise quelle occasion Jacob vainquit de nouveau la rpugnance qu'il avait pour elle. Quant Rachel, il faut croire que les mandragores produisirent leur effet ou que Jhovah se dcida ouvrir sa vulve; elle finit par devenir grosse son tour; et le fils de Jacob et de Rachel fut nomm Joseph. Toutefois, il ne faudrait pas s'imaginer que Jacob avait aval en douceur ses quatorze annes de frottage et de lavage de vaisselle; la Bible nous montre qu'il garda Laban un chien de sa chienne. D'abord, Jacob joua son oncle beau-pre un tour de sa faon: il lui demanda de lui donner tous les agneaux et tous les cabris de ses troupeaux qui natraient avec des taches vertes; Laban y consentit, pleinement convaincu que Jacob attendrait longtemps. Il avait compt sans l'esprit rus de son gendre. Celui-ci, d'aprs l'Ecriture Sainte, prit des branches de peuplier, de coudrier et de chtaignier, dont il ta les corces, et il plaa ces branches ainsi dpouilles dans les auges et les abreuvoirs o les brebis et les chvres de Laban venaient boire; le rsultat fut que, ds lors, presque tous les agneaux et cabris naissant dans les troupeaux du beau-pre taient bigarrs trangement, avaient des taches vertes. Laban n'en revenait pas, et il y avait de quoi! mais il tait oblig, par sa promesse, de faire cadeau Jacob de tout ce btail extraordinaire. Nous recommandons cette recette aux amateurs, qui, prouvant quelque difficult se procurer des merles blancs, dsireraient s'offrir le luxe d'avoir des moutons 67
verts. Cette mirifique recette et les dtails de son succs, garanti par le divin pigeon, s'il vous plat, sont tout au long dans la sublime Gense, chapitre 30, versets 25 43. Ensuite, le roublard Jacob, non content d'avoir, par ce truc, dpouill Laban des neuf diximes de ses troupeaux, fila un beau matin sans le prvenir, emmenant sa petite famille, dj nombreuse. Lia et Rachel, prenant parti pour lui contre leur pre, l'avaient approuv, ds qu'il leur confia ses projets de fugue; Rachel mme, en s'en allant, chipa son pre toutes ses idoles, qu'elle emporta, sans en rien dire. Voil notre Laban dsol; il se met la poursuite de son gendre et de ses filles; il parvient rejoindre la caravane. Malgr toute son loquence, il ne put dcider Jacob revenir sur ses pas. Au moins, rends-moi mes dieux! lui dit-il; pourquoi m'as-tu drob mes dieux? Jacob ne sait ce que cela veut dire. Il invite Laban visiter les bagages de la famille. Pendant que son pre inspecte les effets de Lia, Rachel fourre les idoles dans le bt d'un chameau et s'assied dessus; puis, elle prie Laban de l'excuser, si elle ne peut se lever: Mon pre, dit-elle, j'ai en ce moment mes rgles (textuel). Laban eut beau fouiller, il ne trouva pas ses idoles. Enfin, aprs une scne assez vive de part et d'autre, le gendre et le beau-pre se sparrent dfinitivement, non sans avoir mis des pierres en tas, afin que ces cailloux fussent tmoins de leur promesse de ne pas chercher dsormais se nuire l'un l'autre. Le dpart de Jacob, sa poursuite par Laban, et le trait final tiennent tout le chapitre 31. Les deux chapitres suivants sont consacrs la suite du voyage de Jacob, retournant au pays de Canaan. Il rencontre Esa, et une touchante rconciliation a lieu entre eux. Mais un passage qui vaut la peine d'tre reproduit, c'est celui o l'auteur nous raconte une nouvelle farce de Jhovah: papa Bon Dieu faisant le revenant, voulant battre Jacob, et ne russissant qu' recevoir une rosse, malgr sa toute-puissance. Le mari de Lia, Rachel, Zelpha et Bla, venait de faire passer sa caravane le gu de Jabbok; c'tait la nuit. Alors, Jacob, tant demeur seul sur le chemin, fut attaqu par un fantme de for me humaine, qui lutta contre lui jusqu'au lever de l'aube. Et ce fantme, ne pouvant le terrasser, lui toucha l'endroit de l'embo ture de sa hanche, qui fut aussitt dmise; mais la lutte avec le spectre continua. Or, le spectre dit Jacob: J'en ai assez, laisse-moi; car l'aurore monte. Mais Jacob lui rpondit: Je ne te lcherai point, que tu ne m'aies bni. Quel est ton nom? demanda le fantme. il rpondit: Jacob. Le spectre dit alors: Ton nom ne sera plus Jacob, mais Isral; car, puisque tu as pu combattre contre Dieu, combien seras-tu plus fort contre les hommes! Et Jacob l'interrogea, disant: Je t'en prie, apprends-moi ion nom. Et le fantme lui rpondit: Pourquoi me demandes-tu mon nom? Et alors il le bnit l. Et Jacob nomma ce lieu Pniel; car, dit-il, c'est l que j'ai vu Dieu face face et que mon me a t dlivre. Et le soleil se leva, aussitt qu'il et quitt Pniel; et Jacob tait boiteux d'une hanche. (32:24-31) Les critiques ont fait remarquer que le nom d'Isral, donn par le divin fantme Jacob, tait le nom d'un ange dans la mythologie des Chaldens. La tradition juive prtend que ce nom signifie fort contre Dieu; toutefois, Philon, juif trs savant, soutient que le nom est vraiment chalden, et non hbreu, et qu'il signifie voyant Dieu. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas sans un doux sourire qu'on lit le rcit de cette aventure. Je ne crois pas qu'aucune mythologie reprsente un homme quelconque assez robuste pour flanquer une pile un die u; et encore Jacob tint bon et eut le dessus, mme aprs que le spectre lutteur lui et dmis la hanche!... Passons une autre aventure. Le lecteur a vu que Lia accoucha sept fois et que son septime enfant fut une fille, Dina. D'autre part, nous avons le compte exact du temps pass par Jacob chez Laban; lors de sa dispute au moment de la fuite, il dit l'oncle beau-pre: Je t'ai servi ces vingt ans passs dans ta maison, quatorze ans pour tes deux filles, et six ans pour tes troupeaux. (31:41) La naissance de Ruben, l'an, n'a donc pu avoir lieu que dans la huitime anne; et si l'on n'oublie pas que Lia resta au moins deux ans sans avoir d'enfants, temps pendant lequel elle prta sa servante Zelpha Jacob, la chronologie place la n aissance 68
de Dina la seizime anne du sjour chez Laban. Dina avait donc quatre ans tout au plus, lorsque Jacob lcha son oncle beau-pre. Cette remarque tait ncessaire, attendu que la Gense nous montre Dina inspirant une violente passion au fils d'un roi, ds les premiers jours de son arrive avec sa famille au pays de Canaan, c'est--dire aussitt aprs la lutte contre le fantme et la rconciliation d'Esa et Jacob. Jacob arriva en bonne sant la ville de Salem, au pays de Canaan, venant de Paddan-Aram (pays de Laban), et il dressa ses lentes devant la ville. Ensuite, il acheta aux enfants d'H mor, pour cent pices d'argent, une partie du champ o il campait; Hmor tait le pre du jeune prince Sichem. (ch. 33, v. 18-19) C'est ce prince Sichem qui tomba subitement amoureux de la petite Dina, ge de quatre an s! Or, Dina, fille de Lia, eut la curiosit de voir les femmes du pays, et elle sortit du camp. Et le prince Sichem, fils d'Hmor, roi du pays, la vit, l'entrana et la fit coucher avec lui. Son cur tant fortement attach Dina, il aima la petite fille, lui prodigua de grandes caresses et lui parla selon son cur. Sichem parla aussi Hmor et lui dit: Mon pre, je t'en conjure, obtiens-moi que j'aie cette petite fille pour femme. (34:1-4) Le roi Hmor se rendit donc auprs de Jacob et fit la dmarche dsire par son fils. En vrit, le prince Sichem avait s'excuser d'tre all un peu trop vite; mais il tait dcid passer par toutes les exigences de Jacob pour avoir son pardon. La Bible laisse comprendre que Jacob tait dans d'assez bonnes dispositions; par contre, les frres de Dina ne voulaient pas entendre parler d'un mariage pour rparer la faute du prince Sichem. Les fils de Jacob, tant revenus des champs et ayant appris ce qui tait arriv furent extrmement fchs et fort irrits, et dirent que Sichem avait commis une action infme contre Isral en couchant avec la fille de Jacob, ce qui ne se devait point faire. Hmor leur parla donc et leur dit: Sichem, mon fils, a beaucoup d'amour pour Dina; accordez, je vous prie, qu'elle soit sa femme. Et vous-mmes, alliez-vous avec nous; donnez-nous vos filles et prenez nos filles pour vous. Et habitez parmi nous; tout le pays sera votre disposition; cultivez-le, faites-y du commerce, et mme possdez-le. Quant Sichem, il dit son tour au pre et aux frres de la petite fille: Que je trouve grce devant vous! et je donnerai tout ce qui vous plaira. Imposez-moi de fournir une riche dot, demandez-moi de nombreux prsents; tout ce que vous voudrez, je vous le donnerai; mais donnez-moi la petite Dina pour femme! Alors, les fils de Jacob, trompant dessein Hmor et Sichem, rpondirent: Nous ne pouvons accorder notre sur un incirconcis; car ce serait pour nous un opprobre. Mais nous consentirons ce que vous voulez, si tous les mles qui sont parmi vous acceptent de se couper le prpuce. Alors, oui, nous vous donnerons nos filles, et nous nous marierons avec les vtres; et nous habiterons parmi vous, et nous ne serons plus qu'un seul peuple; mais, si vous ne voulez pas vous circoncire tous, nous reprendrons Dina, notre petite sur, et nous nous en irons. Et ce discours plut Hmor et Sichem. Et le jeune prince ne diffra point de faire ce qui lui tait propos; car son amour pour la fille de Jacob remplissait son cur. (34:7-19) L-dessus, le roi Hmor et son fils rassemblrent le peuple et lui rptrent les propositions qui venaient de leur tre faites. L'alliance avec la famille de Jacob fut accepte l'unanimit. Il y eut une circoncision gnrale de tous les mles de la cit (v. 24). Mais, trois jours aprs, deux des fils de Jacob, Simon et Lvi, ayant pris leur pe, entrrent hardiment dans la ville et turent tous les hommes. Ils gorgrent aussi Hmor et Sichem, reprirent Dina et l'emmenrent. Puis, tous les enfants de Jacob se jetrent sur les morts, les dpouillrent et mirent la ville au pillage, criant qu'ils vengeaient ainsi leur sur d'avoir t prise. Et ils s'emparrent des troupeaux, des bufs, des nes et de tout ce que les habitants possdaient la ville et aux champs. Et ils emmenrent prisonniers les enfants et les femmes, aprs avoir tout saccag et pris tout ce qui tait dans les maisons. (34:25-29) 69
Tout ceci est bien horrible. Les fils et les gens de la caravane de Jacob se comportent comme les derniers des gredins l'gard de cette population qui les avait reus si fraternellement, qui avait pouss l'amiti jusqu' accepter leur pratique rituelle la plus absurde, la circoncision. Jamais assassins ne furent ni plus perfides, ni plus voleurs, ni plus sanguinaires. Mais l'horreur du crime s'efface devant l'invraisemblance de telles monstruosits, et l encore le sceptique apprcie en dilettante la mystification du pigeon Saint-Esprit. Ce Simon et ce Lvi, auteurs de cet effroyable carnage, sont deux gamins ayant cess peine d'avoir la morve au nez; Simon naquit dans la neuvime anne du sjour de Jacob chez Laban, et Lvi dans la dixime; ils n'avaient donc que onze et dix ans, d'aprs la Bible, quand, eux deux, ils massacrrent le roi Hmor, le prince Sichem et tous leurs sujets mles. Il est vrai que Simon et Lvi, ayant dans les veines le sang d'un pkin qui avait ross Dieu en personne, devaient tre des gosses bien terribles!... On en fait plus, de cette trempe-l!... Le chapitre 35 de la Gense nous apprend que Jacob, tant tout--coup navr de ce que ses femmes taient idoltres et se disant que cela pouvait lui porter malheur, dit sa famille et tous ceux qui taient avec lui: Jetez loin de vous tous les dieux trangers que vous avez; purifiez-vous et changez de vtements (v. 2). Aussitt dit que fait; Rachel, Lia, Zelpha, Bla, etc., etc., livrrent leurs idoles Jacob, qui les enterra au pied d'un chne, aux environs de la ville que l'on venait de dvaster. Jhovah, charm de cette belle action, troubla la tte de tous les habitants de la contre, et ceux-ci ne songrent point poursuivre Jacob et ses enfants (v. 5). Nous avons aussi dans ce chapitre une nouvelle apparition de papa Bon Dieu, avec discours Jacob; mais c'est toujours la mme rengaine. Puis, vers le printemps, Jacob arrive sur une route qui mne Ephrata. L, Rachel eut des couches si douloureuses, qu'elles la mirent mort. Son me tant prs de s'exhaler, elle donna son fils le nom de Benoni, le fils de ma douleur; mais Jacob le nomma Benjamin, le fils de ma cuisse droite (v. 18). Jacob ensevelit l sa chre Rachel et mit sur sa spulture une pierre que les musulmans montrent encore aujourd'hui. Or, tandis que Jacob pleurait Rachel, le jeune Ruben, fils an qu'il avait eu de Lia, profita de sa douloureuse distraction pour se glisser auprs de l'une des femmes du patriache; il sduisit donc sa belle-mre Bla et coucha avec elle; mais, quand Jacob sut qu'il tait cocufi par son fils, il ferma les yeux et ne se fcha point, du moins pour le moment. Enfin, Jacob, revenu dans la plaine de Mambr, y retrouva son pre Isaac: celui-ci mourut quelque temps aprs; il avait alors cent quatre-vingts ans. Isaac fut enterr par Esa et Jacob. Jacob tait donc la tte d'une nombreuse famille, mais Esa aussi. Le chapitre 36 nous donne un important aperu de la postrit de ce dernier; c'est une vraie kyrielle de ducs , aux noms tous plus patants les uns que les autres. Dans ce chapitre et dans le prcdent, les critiques signalent deux versets, qui permettent de dire que les cinq premiers livres de la Bible sont mensongrement attribus Mose. Ainsi, il est dit au verset 19 du chapitre 35: Rachel fut ensevelie sur la route qui mne Ephrata, aujourd'hui Bethlem. Or, la ville dont il s'agit ne pouvait s'appeler Ephrata, au temps o Mose est cens crire, attendu que cette dnomination est indique plus loin comme ayant t fixe par un certain Caleb, qui avait pour femme une certaine Ephrata; ce Caleb donna le nom de sa femme la bourgade alors naissante; et Caleb tait contemporain de Josu, successeur de Mose. A plus forte raison Mose ne pouvait-il citer le nom de Bethlem, qui remplaa, plusieurs sicles aprs, le nom d'Ephrata. Au verset 31 du chapitre 36, le vritable crivain de la Gense se trahit plus maladroitement encore; ce verset, qui suit une nomenclature de descendants d'Esa, est ainsi conu: Ce sont l les rois qui ont rgn au pays d'Edom, avant que les enfants d'Isral eussent un roi. Il est vident que ces lignes ne peuvent avoir t crites que postrieurement la premire royaut juive, c'est--dire aprs Sal Si, dans une histoire d'une nation d'Europe, on trouvait, par exemple ceci: Ces princes gouvernrent diverses principauts d'Allemagne, bien avant que la France ft en Rpublique, sous le rgime d'une assemble parlementaire nomme Convention , on serait unanime dclarer que le 70
livre a forcment t crit pendant ou aprs la Convention, mais non avant la premire Rpublique franaise. Arrivons l'histoire de Joseph, dont les dbuts font l'objet du chapitre 37 de la Gense. De tous ses enfants, celui que Jacob chrissait le plus tait Joseph, qui il avait octroy une trs belle robe rayures de couleurs vives. Joseph, qui a laiss une rputation de devin de songes et qui aurait rendu des points aux somnambules les plus extra-lucides, entra de bonne heure dans cette carrire; dix-sept ans, il tonnait dj sa famille. Par malheur pour lui, il racontait navement ses propres songes, et ses songes taient en gnral de nature le rehausser lui-mme et humilier ses onze frres. Un jour, il avait rv que, tandis qu'on liait des gerbes dans un champ, sa gerbe s'tait leve et tenue debout, et qu'alors les gerbes de ses frres s'taient prosternes devant la sienne. Un autre jour, c'tait le soleil, la lune et onze toiles qui taient venus lui faire de profondes rvrences pendant son sommeil. Cette manie ayant fini par agacer neuf de ses frres, ceux-ci prirent Joseph tic. Or, un matin, Jacob l'ayant envoy rejoindre ses frres, qui faisaient patre leurs troupeaux dans la campagne de Dothan, neuf de ses frres, le voyant venir, conspirrent de le tuer. Ruben s'opposa au meurtre; mais Joseph, ayant t dpouill de sa belle robe, fut descendu dans un vieux puits dessch. Sur ces entrefaites, passrent; des marchands; l'auteur sacr les qualifie tantt d'ismalites et tantt de madianites, ce qui n'est pas la mme chose; mais passons. Alors, Juda, pris de remords la pense que le jeune homme risquait fort de mourir de faim au fond du puits, proposa ses frres une petite opration commerciale dont Joseph serait la marchandise; c'tait du mme coup faire une affaire et de la philanthropie. Tope-l! Les ismalites ou madianites achetrent l'adolescent pour vingt pices d'argent; ce qui n'tait vraiment pas cher. On retira Joseph de son puits, et les marchands en prirent livraison pour l'emmener avec eux dans des pays lointains. Or, Ruben et Benjamin taient les seuls qui n'avaient pas particip ce trafic; Benjamin qui tait encore trs jeune, demeurait la maison. Quant Ruben, il s'tait loign de ses frres, l'auteur sacr ne dit pas pourquoi, aprs la descente de Joseph dans le puits, et il s'tait trouv absent, lors de la ngociation avec les marchands nomades; selon la Bible, Ruben avait mme eu la secrte intention de venir retirer Joseph du puits et de le ramener leur pre. Il fut donc fort chagrin de trouver le puits vide; il courut ses frres et leur dit: L'enfant n'est plus dans le puits, et moi, moi, o irai-je?... Les autres, malins et hypocrites comme de vieux sacristains, teignirent du sang d'un bouc la belle robe bigarre de l'infortune, et ils l'envoyrent Jacob, avec ce message: Voici ce que nous avons trouv; cela nous parait tre la robe de Joseph; reconnais si c'est bien a. Jacob s'cria: Hlas! c'est vraiment la robe de mon fils chri! il aura t rencontr par une bte froce! il a t dvor! voil tout ce qui reste de lui! Et il fut dans un grand dsespoir. D'abord, il dchira tous ses vtements; ensuite, il se revtit d'un cilice et pleura Joseph pendant plusieurs jours. Et il disait, au milieu de ses larmes: Je descendrai dans la fosse avec mon fils! (37:33-35) D'autre part, les marchands avaient conduit Joseph en Egypte, et l, ils le revendirent un haut personnage de la cour; l'auteur sacr le nomme et numre ses titres et qualits: c'tait le sire Putiphar, eunuque du roi Pharaon, prvt de l'htel . Dans un des chapitres suivants, l'impayable Gense nous apprendra que Putiphar, quoique eunuque, tait mari. Mais n'anticipons pas. Pendant que Joseph est esclave chez Putiphar, une nouvelle srie d'pisodes difiants se droule dans la famille de Juda, le quatrime fils de Jacob. En ce temps-l, Juda se rendit chez un addullamite nomm Hira. L, il lia connaissance avec la fille d'un nomm Suah, cananen; il la prit et coucha avec elle. (38:1-2) On remarquera que papa Bon Dieu a beau dfendre ses patriarches de prendre pour femmes des idoltres, et, en particulier, des cananennes, race maudite, les patriarches ne tiennent gure 71
compte de ces dfenses et n'en sont pas moins chris de Jhovah. Plus tard, les chrtiens, adoptant les btises et les turpitudes de la Bible juive, feront, pour la gnalogie de leur Jsus, les choix les plus stupfiants; ils lui donneront pour aeules prcisment les idoltres, les adultres et les prostitues. Or, la femme de Juda conut, et elle lui enfanta un fils qui fut nomm Her. Elle conut encore, et son second fils fut nomm Onan. Et elle enfanta un troisime fils, qui reut le nom de Sla. Plus tard, Juda fit pouser lier son premier-n, une fille nomme Thamar. Mais Her tait mchant devant l'ternel, et Dieu le tua. (38:3-7) La sagacit des thologiens s'est exerce au sujet du crime de Her, la Bible n'en disant pas davantage; vu la suite de l'historiette, et en considrant que Dieu avait dcid de faire descendre de Juda son Messie, les commentateurs catholiques ont conclu que ce crime consistait n'user de sa femme qu' la mode des Sodomites. Dieu fit mourir Her, disent-ils, parce qu'il agissait ainsi pour ne pas avoir d'enfants; et la preuve, c'est que le texte sacr emploie ici l'expression mchant devant l'ternel , qui est exactement celle dont Jhovah se servit plus haut, quand il se plaignit des murs de messieurs les maris de Sodome. Quoi qu'il en soit, on va voir que Thamar n'eut pas de chance avec ses poux. Alors, Juda dit Onan: Entre en la veuve de ton frre, et qu'elle soit ta femme; ainsi tu susciteras la semence de ton frre. (38:8) C'est textuel, vous savez! Et ceci veut dire que, selon la coutume juive, les enfants naissant dans ces conditions seraient les hritiers du dfunt, et non de leur vritable pre. Mais Onan, sachant que les enfants qu'il ferait ne seraient pas considrs comme les siens, rpandait sa semence par terre chaque fois qu'il s'approchait de sa femme, afin de ne pas donner des enfants son frre. (38:9) Absolument textuel, a encore! Le nom d'onanisme vient de cet difiant pisode biblique. Et cette conduite dplut l'Eternel, et Dieu tua aussi Onan. (38:10) C'est pourquoi Juda dit Thamar sa bru: Va-t'en; reste veuve dans la maison de ton pre, jusqu' ce que S la, mon dernier fils, soit en ge de devenir ton poux. Elle s'en alla donc et habita chez son pre. Plusieurs jours aprs, la fille de Suah, que Juda avait pouse, mourut. Puis Juda s'en consola, et il monta Timnath, pour voir tondre ses brebis, en compagnie de Hira son intime ami. Or, quelqu'un informa Thamar de ce qui se passait, c'est--dire que Juda venait dans le pays. Alors Thamar, qui savait que Sla tait devenu grand et voyait avec peine qu'il ne lui avait pas t donn pour mari, quitta ses effets de veuve, se revtit d'un voile dont elle s'enveloppa, et elle vint s'asseoir dans un carrefour, l'angle du chemin qui conduisait Timnath. Et quand Juda l'aperut, il la prit pour une prostitue, cause de sa posture et de son voile. Il vint elle sur le chemin et lui dit: Veux- tu bien que je couche avec toi? car il ne souponnait pas que c'tait sa bru. Et elle lui rpondit: Que me donneras-tu pour coucher avec moi? Juda dit: Je t'enverrai demain un chevreau de mon troupeau. Elle rpliqua: Je ferai donc ce que tu voudras; mais d'abord, il me faut un gage pour m'assurer que tu m'enverras le chevreau que tu me promets. Quel gage exiges-tu? demanda Juda. Et Thamar rpondit: Ton anneau, ton mouchoir et ce bton que tu as la main. Juda les lui donna, et alors il entra en elle, au bord du chemin, et ainsi elle fut enceinte de ses uvres. Aprs quoi, elle se leva et s'en alla; puis, ayant quitt son voile, elle reprit ses vtements de veuve. Cependant. Juda envoya le chevreau promis, l'ayant remis son ami Mira, afin qu'il se lit rendre les gages donns cette femme; mais Hira ne la trouva plus. Et il interrogea les gens de la localit o elle s'tait tenue pour attirer Juda, et il disait tous: O est donc cette prostitue qui se tient dans le carrefour et sur le chemin? Ils rpondirent: Il n'y a point eu par ici de femme de mauvaise vie. Hira retourna vers Juda, lui dit qu'il n'avait point trouv cette femme, et il lui rapporta les paroles des gens de la localit. Et Juda dit: Soit, qu'elle garde mes gages; elle ne pourra pas m'accuser au moins de n'avoir pas voulu la payer! Ne lui ai-je pas envoy le chevreau promis? mais tu ne l'as point trouve. Or, il arriva qu'environ trois mois aprs, on fit un rapport Juda: Thamar, ta bru, vint-on lui dire, est 72
tombe dans la paillardise, et voici mme que son ventre commence s'enfler. Juda rpondit: Qu'on aille la chercher au plus vite, et qu'elle soit brle! Gomme on la conduisait au supplice, elle envoya Juda son anneau, son mouchoir et son bton, d isant: Si je suis enceinte, c'est par le fait de l'homme qui ces choses appartiennent; que l'on fasse donc reconnatre ces objets. Alors, Juda, les ayant reconnus, s'cria: Ella est plus juste que moi; elle s'est fait engrosser par moi, parce que j'ai oubli de la donnera Sla, mon troisime fils. Et Juda ne coucha plus avec elle. Or, quand Thamar fut sur le point daccoucher, on s'aperut qu'elle avait deux jumeaux dans le ventre. Et, au moment de la dlivrance, un des jumeaux mit la main dehors, et la sage-femme la prit et la lia avec un ruban carlate, croyant qu'il allait sortir le premier. Mais aussitt cet enfant retira sa main et poussa son frre, et celui-ci sortit. Et Thamar lui dit: Quelle norme brche tu m'as faite, mon fils! Que la brche soit sur toi! C'est pourquoi on le nomma Phars. Ensuite sortit l'enfant qui avait la main un ruban carlate, et on le nomma Zara. (38:11-30) On ne m'accusera pas d'tre de ceux qui affectent de rsumer un ouvrage et qui, sous ce prtexte, le travestissent. Au contraire, il se trouvera peut-tre des lecteurs qui penseront qu'il vaudrait mieux relater chaque pisode de la faon la plus succincte et dvelopper la critique. Mais, tant donne la nature de l'uvre qui est l'objet de cette analyse, j'estime que le rsum a uniquement sa raison d'tre lorsqu'il s'agit d'pisodes dont les dtails importent peu; d'autre part, quand l'criture Sainte contient des passages dans le genre de cette aventure de Thamar, il devient ncessaire de citer tout au long. C'est l'esprit divin qui a dict cela! on ne saurait donc mettre trop en lumire les perles de ce texte sacr. Voil bien le cas o le critique ne doit pas exposer ses lecteurs s'entendre dire par un cur qu'ils ont t tromps et qu'on a calomni la Bible. Toutes les salets de l'histoire de Thamar font donc rellement partie du livre de foi; elles y figurent crment, et l'Eglise les dclare authentiques, malgr leur in vraisemblance. Car c'est une chose bien singulire que Thamar, ayant eu si peu de chance avec ses deux premiers maris, veuille se livrer leur pre, parce qu'il a oubli de lui donner son troisime fils, qu'il avait promis! Elle prend un voile pour se dguiser en fille de joie, a fait remarquer Voltaire; mais, au contraire, le voile tait et fut toujours le vtement des honntes femmes. Il est vrai que, dans les grandes villes, o la dbauche est fort connue, les filles de joie vont attendre les passants dans de petites rues, comme Londres, Paris, Venise, Rome; mais il n'est pas vraisemblable que le rendez-vous des filles de joie, dans le misrable pays de Canaan, ft la campagne, au carrefour des routes. Il est bien trange, en outre, qu'un patriarche fasse l'amour en plein jour avec une fille de joie sur le grand chemin, et s'expose tre pris sur le fait par tous les passants. Le comble de l'impossibilit est que Juda, tranger dans Canaan, et n'ayant pas la moindre possession, ordonne qu'on brle sa belle-fille, ds qu'il sait qu'elle est grosse, et que sur-le-champ on prpare un bcher, comme s'il tait le juge et le matre du pays. Cette histoire a quelque rapport avec celle de Thyeste qui, rencontrant sa fille Plope, coucha avec elle sans la connatre. Les critiques disent que les Juifs crivirent fort tard, et qu'ils copirent beaucoup d'histoires grecques qui avaient cours dans toute l'Asie Mineure. Josphe et Philon, historiens juifs, avouent que les livres juifs n'taient connus de personne, et que les livres grecs taient connus de tout le monde. Aprs l'histoire de Thamar, la Gense revient Joseph, et nous avons ici un pisode dont la ressemblance avec l'histoire de Thse, Phdre et Hippolyte, est des plus frappantes. L'auteur sacr nous apprend que Putiphar, cet eunuque richard qui avait achet Joseph, tait mari, et que, bien que n'adorant pas le dieu de Joseph, il ne tarda pas reconnatre que ce dieu faisait prosprer toutes les affaires de son esclave. Putiphar vit que l'Eternel tait avec Joseph et que l'Eternel faisait prosprer toutes choses entre ses mains. (39:3) 73
Cette constatation ne poussa nullement notre eunuque se convertir la religion juive; mais il remit tout ce qui tait lui entre les mains de Joseph, si bien qu'il ne s'informait plus de rien, sinon des ragots qui taient servis la sable. Or, Joseph avait la taille bien prise et tait tout- -fait beau voir. Il arriva donc que la femme de Putiphar remarqua les agrments de Joseph, et elle lui dit un jour: Couche avec moi. Mais il refusa et rpondit la femme de son matre: Voici, mon matre m'a confi tout ce qui lui appartient et il ne s'occupe plus de ce qui se passe chez lui. Personne n'est au-dessus de moi dans sa maison, et il ne m'a rien interdit que toi, parce que tu es sa femme. Comment donc ferais-je ce mal et pcherais-je contre Dieu? Et bien qu'elle en parlt tous les jours Joseph, celui-ci ne voulut point l'couter; refusant de coucher avec elle, il vita mme de se trouver en sa compagnie. Mais il arriva qu'un jour il vint la maison, un moment o tous les domestiques taient absents. Alors, elle le prit par son manteau et lui dit encore: Allons, couche avec moi. Mais lui, il se dgagea, et, lui laissant son manteau entre les mains, il s'enfuit hors du logis. (Versets 6 12) Au retour de Putiphar, sa femme lui raconta les choses tout rebours. Cet esclave hbreu que tu as amen ici a tent de me dshonorer; mais j'ai cri, et il s'est enfui; tiens, voici son manteau, qu'il a laiss dans la chambre. (39:17-18) Putiphar, en apprenant le prtendu attentat, fut tellement furieux, qu'il ne voulut entendre aucune explication de Joseph et le fit aussitt jeter dans un troit cachot de la grande prison o le roi faisait enfermer ses prisonniers. Or, le gardien-chef prit le bel esclave hbreu en affection; bientt il adoucit son infortune en le chargeant de la direction de tous les autres prisonniers, de sorte que, dans la prison, rien ne se faisait sans les ordres de Joseph. Plus tard, en un temps que l'auteur sacr ne prcise pas, le panetier et l'chanson du roi tombrent en disgrce et devinrent les compagnons de captivit du fils de Jacob; d'aprs la Bible, ces personnages taient encore deux eunuques. Un matin, Joseph, leur trouvant le visage triste, leur en demanda la raison. Ils rpondirent: Nous avons fait chacun un songe cette nuit, et nous sommes bien ennuys de n'avoir personne pour nous les expliquer. Joseph leur rpliqua que, grce son dieu, il tait en mesure d'interprter ce qu'ils avaient rv. Dans mon songe, dit alors l'chanson, j'ai vu une vigne qui avait trois branches, lesquelles ont produit des boulons, des fleurs et des raisins mrs; je tenais dans ma main la coupe du roi; j'ai press les raisins dans la coupe, et j'ai donn boire au roi. Ceci veut dire, fit Joseph, que dans trois jours tu seras libre et que tu reprendras tes fonctions auprs de Pharaon; te prie donc de te souvenir alors de moi et de faire connatre mes malheurs au roi, afin que je sorte enfin de cette prison. Le panetier narra son tour son songe: il s'tait vu avec trois paniers de farine sur la tte, et des oiseaux taient venus manger toute cette farine. Cela signifie, dit Joseph, que dans trois jours tu sortiras de prison, toi aussi; mais, au lieu de la libert, c'est une potence que le roi te donnera; tu seras pendu, et les oiseaux te mangeront. Le troisime jour tant l'anniversaire de la naissance de Pharaon, il y eut donc grand festin la cour. (40:8-19). Les prdictions de Joseph se ralisrent la lettre; mais, par malheur pour lui, l'c hanso n veinard l'oublia compltement. Deux annes se passrent. Le roi d'Egypte eut aussi un songe qui l'intrigua d'une manire violente. Il crut tre sur le bord d'un fleuve, d'o sortirent sept vaches grasses et belles, puis sept vaches maigres et laides; et les vaches maigres dvorrent les vaches grasses. S'tant rveill, il se rendormit, et vit sept pis trs beaux une mme tige, et sept autres pis desschs qui mangrent les autres. Pharaon se demandait quel tait le sens mystrieux de ce double songe; il consulta tous les devins et sages de son royaume; la rponse gnrale fut que le rve royal tait aussi incomprhensible qu'extraordinaire. L'chanson se souvint alors de son ancien compagnon de prison; il en parla favorablement au monarque, qui le fit comparatre devant lui. Le fils de 74
Jacob avait vieilli durant sa longue captivit; la Bible nous dit qu'il fut prsent au roi, aprs qu'on l'et ras et habill. Joseph, interrog, rpondit: Le double songe de Pharaon n'a qu'un seul et mme sens. Les sept vaches grasses et les sept beaux pis signifient sept annes d'abondance; les sept vaches maigres et les sept pis desschs signifient sept annes de strilit. Il faut donc que le roi choisisse un homme sage et habile, qui gouverne tout le royaume d'Egypte et qui tablisse des prposs, chargs de garder chaque anne la cinquime partie des fruits. Le conseil plut Pharaon et ses ministres. Et le roi dit ceux-ci: O pourrions-nous trouver un homme aussi rempli que ce juif de l'esprit de Dieu? Aprs quoi, se tournant vers Joseph, il lui dit: Puisque Dieu t'a montr tout ce que tu m'as dit, o pourrais-je trouver quelqu'un de plus sage que toi? L-dessus, il lui donna son anneau, le revtit d'une robe de lin fin, lui mit au cou un magnifique collier d'or, et le fit monter sur un char; et un hraut, prcdant Joseph, criait au peuple: Que tout le monde flchisse le genou devant le gouverneur de l'Egypte! Ce n'est pas tout. Sur l'avis du roi, Joseph changea de nom, et il s'appela ds lors Tsaphnath- Pahanah. Puis, Pharaon le maria, et vous ne devineriez jamais, chers lecteurs, qui Sa Majest lui donna pour femme. La Gense nous avait dj procur un tonnement, quand nous y lmes tout- coup que l'eunuque Putiphar tait mari; eh bien, le divin pigeon nous gardait en rserve une nouvelle surprise. Pendant la longue captivit de Joseph, cet eunuque pourvu d'une femme trs inflammable avait chang de fonctions: aux chapitres 37 et 39, nous l'avons vu prvt de l'htel du roi; au chapitre 41, nous le retrouvons prtre d'Hliopolis. Or, pendant ce temps, Madame Putiphar devint mre; ce qui donne croire que les dieux des gyptiens faisaient, eux aussi, des miracles. Avec les livres saints de n'importe quelle mythologie, il faut tout admettre: or, l'on constate qu'au chapitre 41 Putiphar n'est plus qualifi d'eunuque par la surpatante Gense; une prire au saint Antoine de cette poque-l lui avait donc fait retrouver ce qu'il avait perdu. Et voil, sans aucun doute, comment Putiphar, devenu pr tre d'Hliopolis, ville sainte d'gypte, fut papa d'une dlicieuse petite fille, nomme Aseneth, laquelle grandit en ge et en beaut et se trouva l bien point pour tre Madame Tsaphnath- Pahanah, lorsque Joseph fut nomm premier ministre. Et l'on ne saurait trop admirer l'esprit de justice de Pharaon: le vertueux Joseph avait durement souffert par suite de la btise de Putiphar et de la coquinerie de son ardente pouse; nulle autre rparation n'et t aussi quitable. Moralit: Putiphar, n'ayant pas t cocufi par Joseph, lui devait bien de le prendre pour gendre; c'est clair! Cette partie de l'histoire de Joseph permet d'mettre une rflexion venant l'appui d'une observation qui a t faite au dbut de cet ouvrage. Les Juifs, avons-nous remarqu, disent les dieux propos de la cration et en de nombreuses circonstances, et cependant ils n'adorent qu'un seul dieu, Jhovah, divinit su prme, qu'ils ne divisent pas en trois personnes, comme les chrtiens; ils reconnaissaient donc autrefois l'existence d'autres dieux que le leur. En effet, selon eux, les autres peuples avaient aussi leurs dieux propres, et ils croyaient au pouvoir surnaturel de ces dieux-l, sans voir aucunement en eux des diables; seulement, leur amour-propre national leur faisait admettre que Jhovah, divinit des Juifs, tait plus puissant que tous les autres dieux. C'est pourquoi nous voyons ici la Gense faire ressortir le plus grand pouvoir du dieu de Joseph. Putiphar, l'chanson, Pharaon et ses ministres, en un mot, tous les gyptiens qui sont mis en scne ont une autre religion que celle du fils de Jacob; mais ils n'abandonnent pas leurs dieux parce que Joseph, inspir par Jhovah, est plus clairvoyant que les prtres de leur cuite. Chacun garde sa croyance, attendu que dans l'esprit de chacun la foi des uns n'est pas en contradiction avec la foi des autres. Joseph demeure fidle Jhovah, mme en pousant la fille d'un prtre d'Apis, le dieu-buf, et il fera bon mnage avec Aseneth, sans que celle-ci ait embrasser la religion juive. A ce point de vue, cet pisode de 75
la Bible est donc trs significatif. Joseph ne profite pas de l'autorit presque souveraine qu'il acquiert, pour taire du proslytisme eu faveur de sa religion personnelle; il lui suffit de savoir que son Jhovah possde une puissance surnaturelle plus forte et plus tendue que celle des divinits de ses administrs. Maintenant, si de la Bible hbraque on rapproche le Coran musulman, on constate que les Arabes et les Juifs avaient un fonds commun de lgendes, o ont puis les auteurs sacrs des deux religions. Avant que la Gense ft crite, on se racontait dans ces contres la merveilleuse histoire de Joseph; mais elle a vari dans ses dtails, travers les gnrations et en se rptant chez les divers peuples sortis de l'Arabie. Ainsi, selon le Coran, Putiphar n'tait pas eunuque, et Aseneth vivait dj, tait une enfant au berceau, lorsque sa mre accusa Joseph d'avoir voulu la violer. Celte petite fille se montra fort judicieuse ds ses premires annes. Un jour, son pre parlait de l'incident, dont il resta longtemps proccup; il avait mme gard le fameux manteau que sa femme avait arrach Joseph et qui s'tait quelque peu dchir dans la lutte. Un des serviteurs conseilla Putiphar de demander la petite Aseneth ce qu'elle pensait de tout cela; la fillette, qui commenait peine parler, dit: coutez, mon pre; si ma mre a dchir le manteau de Joseph par devant, c'est une preuve que Joseph voulait la prendre de force; mais si le manteau se trouve dchir par derrire, c'est une preuve que ma mre courait aprs Joseph. De toutes faons, on le voit, Aseneth tait prdestine devenir Madame Joseph. La Bible et le Coran sont d'accord pour nous apprendre qu'Aseneth fut une pouse modle. Au cours des sept annes d'abondance, elle eut de Joseph deux fils: le premier reut le nom de Manass, et le second celui d'phram. Puis, survinrent les sept annes de disette; mais les Egyptiens n'eurent pas en souffrir, grce la clairvoyance de Joseph, qui avait fait tablir des greniers nationaux, remplis de bl qui se conserva trs bien. On en eut mme revendre, et de tout pays on venait en Egypte acheter des provisions; car la famine dsolait alors toute la terre (ch. 41). Or, les fils de Jacob, l'exception de Benjamin, se rendirent en Egypte, sur le conseil de leur pre, pour acheter du bl. Il parat que Joseph prsidait en personne ces distributions de vivres aux caravanes qui arrivaient de tous les points de la terre; comment le premier ministre pouvait-il suffire lui-mme une telle besogne? la Bible ne le dit pas. Toujours est-il que Joseph ne fut pas reconnu par ses frres, mais qu'il les reconnut trs bien, lui. Il les traita avec beaucoup de duret, sans se nommer eux, et sans qu'aucun gyptien, pendant leur sjour dans le pays, n'ait song leur dire que le gouverneur et bienfaiteur de l'Egypte, l'homme d'tat si immensment populaire, tait prcisment un de leurs compatriotes. Joseph, gardant l'incognito, accusa ses dix frres d'tre des espions. Ceux-ci protestrent, comme on pense. Nous tions douze frres, dirent-ils; l'un de nous est mort, et le onzime, qui est tout jeune, est rest auprs de notre pre. Allons don c! rpliqua Joseph, vous tes venus ici en espions, pour reconnatre les lieux faibles par o votre peuple pourrait s'emparer du pays. On ne voit pas bien comment le peuple hbreu, qui se composait alors de la famille de Jacob, en tout, puisque Esa, exclu de la bndiction spciale, tait devenu le chef des Idumens, aurait pu s'emparer de l'gypte, ce vaste royaume puissant et bien peupl, qui fournissait, avec ses rserves de bl, l'alimentation des nations du monde entier. Mais voyons la suite du discours de Joseph. Afin de savoir si vous dites vrai, continua-t-il, je vais vous faire mettre en prison, et vous y resterez, l'exception d'un seul d'entre vous qui ira chercher le petit frre dont vous parlez. Il les fourra au bloc, mais tous les dix. Au bout de trois jours, il se les fit amener de nouveau. J'ai rflchi et chang d'ide, leur dit-il. C'est un seul d'entre vous qui demeurera ici comme otage. Allez-vous-en donc, les autres, dans votre pays, et emportez le bl que vous 76
avez achet; mais ne manquez pas de revenir au plus tt en amenant votre petit frre; sinon, celui que je garde mourrait en prison. Ce fut Simon qu'il choisit comme otage. Il le fit enchaner devant les neuf autres, et il les congdia. D'autre part, il avait ordonn ses gens de remettre l'argent du paiement du bl dans les sacs qu'ils emportaient, lin route, l'un des frres de Joseph, ayant ouvert un sac pour donner manger son ne, fut tout surpris d'y retrouver son argent; les autres n'en revenaient pas non plus, et de l'tonnement ils passrent la frayeur. Retournant bien vite en Canaan, ils racontrent Jacob tout ce qui leur tait arriv. Jacob refusa d'abord de se sparer du jeune Benjamin. Mais, quand le bl d'Egypte fut puis, il se dcida sur les instances de Juda. S'il est ncessaire, dit-il, que j'envoie cet enfant, faites ce que vous voudrez. Prenez les meilleurs fruits de ce pays-ci, un peu de rsine, du miel, du storax, du trbin the et de la menthe. Portez aussi avec vous le double de l'argent que vous avez remis lors de votre premier voyage; car les sommes que vous avez retrouves dans vos sacs devaient tre l par suite de quelque erreur. Les voil donc de nouveau en gypte. Quand Joseph vit que Benjamin tait avec eux, il les accueillit avec une faveur marque, dlivra Simon et leur donna un splendide festin. Ils voulurent rendre l'argent des premiers achats de bl; Joseph refusa, en disant qu'il avait eu son compte; c'tait Dieu, insinua-t-il, qui leur avait mis ce trsor dans leurs sacs. Nanmoins, Joseph, tout en ayant l'me bonne et gnreuse, possdait un caractre enclin la fumisterie. Tandis que ses frres dnaient et portaient des toasts au magnanime ministre de Pharaon, il sortit un instant de la salle du banquet, et il ordonna son matre d'htel de cacher sa belle coupe d'argent dans les bagages de Benjamin. Aprs quoi, il les laissa partir. Mais, quand la caravane se fut suffisamment loigne, il envoya sa poursuite la gendarmerie, accompagne de son matre d'htel. Celui-ci, qui savait bien sa leon, interpelle les onze voyageurs juifs et leur reproche d'avoir rendu le mal pour le bien. Vous avez vol, leur dit-il, la plus prcieuse coupe du gouverneur, celle dans laquelle il lit infailliblement l'avenir . (44: 5) Ceci, en passant, nous apprend que Joseph est l'inventeur de la divination par le marc de caf. Les fils de Jacob protestent et font valoir qu'ils sont incapables d'avoir vol une coupe d'argent, eux qui ont rapport de Canaan des sommes qu'ils avaient trouves dans leurs sacs. Il demandent rester esclaves en Egypte si la coupe rclame est dcouverte dans les bagages de l'un deux, et mme que l'on mette mort celui qui aurait la coupe. La visite gnrale s'effectue et l'on juge de la consternation de nos Hbreux, quand, le sac du petit Benjamin ayant t ouvert, la gendarmerie y aperoit l'objet recherch. Il n'y avait pas rencler; le dlit tait flagrant. Reconduits au palais, les frres de Joseph taient dsesprs. Heureusement pour eux, celui-ci jugea que la mystification avait assez dur. Il se fit reconnatre. On pleura de joie. Joseph dclara qu'il pardonnait tout. Alors, ce fut une allgresse inoue, et l'on n'a pas besoin de se mettre la cervelle la torture pour se rendre compte de la fte qui fut donne eu l'honneur de cette heureuse conclusion. Un dtail est assez amusant en tout ceci: c'est que, dans la Gense, Benjamin est toujours trait en petit garon; il parat n'avoir pas pris de l'ge, tre rest enfant. Cependant, si l'on se reporte l'histoire de sa naissance qui cota la vie Rachel, il est facile de calculer que Benjamin avait tout au plus quatre ou cinq ans de moins que Joseph. Or, celui-ci avait dix- sept ans quand il fut vendu par ses frres; l'pisode de Thamar, pousant successivement deux fils de Juda, laisse supposer une priode minima de vingt-cinq ans; Joseph approchait donc de la cinquantaine, l'poque o ses frres vinrent le retrouver en Egypte. Le petit Benjamin n'tait plus un jeune enfant, alors! Mais la chronologie ne parat pas la partie forte de la Bible, et, principalement, de la Gense. 77
Nous approchons, d'ailleurs, de la fin de ce premier livre de l'criture Sainte, et nous abrgeons. Tout ce qui prcde est le rsum des chapitres 42 45. Nous y voyons encore que Pharaon fut trs heureux d'apprendre que son premier ministre avait auprs de lui ses frres. Joseph les avait pris d'aller chercher au plus vite Jacob et toute la famille, se proposant de les tablir au pays de Gessen, au moins pour les cinq annes de famine qu'il y avait encore subir. Le roi approuva ce projet. Pharaon dit Joseph: Que tes frres chargent leurs btes et qu'ils retournent en Canaan. Disleur d'amener votre pre et leurs familles; et qu'ils reviennent ici. Et je leur donnerai tous les biens de l'Egypte, et ils mangeront la meilleure moelle de la terre. Or, tu as la puissance de commander. Qu'ils prennent des voitures de mon royaume pour ramener leurs femmes et leurs enfants. Qu'ils ne regrettent point leurs meubles; car toutes les richesses de l'Egypte seront eux. (45:17-20) Si le vieux pre Jacob fut dans la jubilation la nouvelle de l'existence et de la gloire de Joseph, point n'est besoin de le dire! Il en tomba en dfaillance; et, quand il reprit ses esprits, il s'cria: C'est assez; mon fils Joseph vit encore; j'irai, et je le verrai avant que je meure! On ne peut s'empcher de trouver bien extraordinaire ce Pharaon promettant de donnera des trangers tous les biens de l'gypte; au moins, on ne l'accusera pas d'ingratitude envers Joseph! Le vieux pre Jacob s'en vint donc au royaume o son bien-aim fils tait gouverneur. Joseph, mont sur son plus beau char, alla la rencontre d'Isral, et ils s'embrassrent en pleurant. Cette histoire est si attendrissante qu'on ne peut soi-mme retenir ses larmes, quand on la lit, n'est-ce pas? Et ce calcul: Tous ceux qui vinrent en Egypte avec Jacob, sortis de sa cuisse, taient au nombre de soixante-six, sans compter les femmes de ses enfants! (46:26) A retenir aussi, ceci: Joseph dit ses frres et la famille de son pre: Lorsque Pharaon vous fera appeler devant lui et qu'il vous demandera quel est votre mtier, vous lui rpondrez: Nous sommes des pasteurs, et, comme nos pres, nous sommes nourris dans cette profession depuis noire enfance: et vous direz cela afin que vous puissiez habiter dans la terre de Gessen; car les Egyptiens ont en excration tous les leveurs de btail. (46:33-34) Qu ant au roi, il dit Joseph: Ton pre et tes frres sont venus toi; toute l'Egypte est ta disposition; fais-les habiter dans le meilleur endroit du pays, dans la terre de Gessen; et si parmi eux il en est d'experts et robustes, donne-leur l'intendance de mes troupeaux. (47:5-6) Pharaon a donc des troupeaux, et nous allons voir immdiatement que tout son peuple en a aussi; alors comment les gyptiens pouvaient-ils dtester les leveurs de btail? Jacob, ayant t prsent Pharaon, bnit le roi; le vieux bonhomme avait alors cent trente ans (v. 7-9). Joseph donna donc son pre et ses frres la possession du meilleur endroit, appel Rahmss, et il leur fournit tous des vivres; car le pain manquait dans le monde entier, et la famine dsolait surtout l'gypte et le Canaan (v. 11-13). Voulez-vous connatre la faon dont Joseph administrait le royaume? Savourez. Joseph, ayant peru tout l'argent du pays en vendant les bls mis en rserve, accumula cet argent dans le trsor du roi. L'argent vint donc manquer au peuple. Alors, les gyptiens vinrent Joseph Donne-nous du pain, lui dirent-ils; faut-il que nous mourions de faim, parce que nous n'avons plus d'argent? Joseph rpondit: Amenez-moi tout votre btail, et je vous donnerai du bl en c hange. Les gyptiens amenrent donc tout leur btail, et Joseph leur donna du pain pour prix de leurs chevaux, pour leurs troupeaux de brebis, pour leurs bufs et pour leurs nes. (47:14-17) Nous sommes la troisime anne de strilit, qu'on veuille bien le remarquer; la scheresse est telle que le bl ne pousse plus depuis trois ans. Si la terre se refuse produire du bl, elle ne devait certainement pas produire davantage de l'herbe; alors, de quoi tous ces bestiaux se sont-ils nourris? Mais, s'il y avait cependant quelque moyen de faire vivre sans pturages les troupeaux des gyptiens, quelle drle d'ide ceux-ci ont-ils de s'en dfaire pour avoir la farine 78
de Joseph! Ils auraient eu bien meilleur compte manger leurs bestiaux. En outre, en vendant leurs troupeaux, ils n'avaient plus de quoi jamais labourer la terre. D'autre part, voil un ministre qui, de toute faon, met les sujets de son roi dans l'impossibilit de semer du bl. Ce qui est plus surprenant encore, c'est que l'auteur sacr ne dit pas un mot de l'inondation priodique du Nil, et les critiques Herbert, Bolingbroke, Frret, Boulanger, et au-dessus de tous Voltaire, ont jug que celte omission inexplicable suffisait dmontrer le caractre fantaisiste de l'histoire de Joseph et des sept annes de scheress e; tout cela est qualifi de pur roman: Il n'est pas possible, disent ces critiques, que le Nil ne se soit pas dbord pendant sept annes de suite. Tout ce pays aurait chang de face pour jamais. Il aurait fallu que les cataractes du Nil eussent t bouches, et alors toute l'thiopie n'aurait t qu'un vaste marais. Ou, si les pluies qui tombent rgulirement chaque anne dans la zone torride avaient cess pendan t sept annes, l'intrieur de l'Afrique serait devenu inhabitable. Il est vident qu'un tel malheur public aurait pris les proportions de ces cataclysmes qui ont boulevers notre plante aux premiers temps de l'humanit, et qu'il en serait rest quelques traces dans l'histoire des gyptiens, peuple antrieur la nation juive. Cette anne finie, les gyptiens revinrent vers Joseph l'anne suivante, et ils lui dirent: Nous ne cacherons point monseigneur que, n'ayant plus ni argent, ni btail, il ne nous reste que nos corps et la terre. Faudra-t-il donc que nous mourions de faim sous tes yeux? Prends nos personnes et nos, terres, achte-nous pour du pain; nous serons esclaves de Pharaon, et nos terres seront lui. Mais donne-nous aussi des semailles, afin que nous vivions; car, si le cultivateur meurt, la terre sera rduite en solitude dsole. Joseph acheta donc pour Pharaon toutes les terres d'gypte; car les habitants vendirent chacun son champ, cause de la famine qui avait augment. Et il fit passer le peuple dans les villes, d'une extrmit du royaume l'autre. Il n'y eut que les terres des prtres qui ne furent point achetes; car les prtres tenaient leurs champs de la gnrosit royale, et ils se nourrissaient grce une part des bls mis en rserve que Pharaon leur faisait donner; c'est pourquoi les prtres ne furent point obligs de vendre leurs terres. Alors, Joseph dit au peuple: Je vous ai achets aujourd'hui, vous et vos terres, et vous appartenez dsormais Pharaon. Maintenant, voici des semailles, afin que vous prpariez les rcoltes futures. Mais la cinquime partie de toute rcolte appartiendra au roi, et je vous accorde les quatre antres, pour vous permettre de manger, vous et vos enfants, et de semer de nouveau. Et ils rpondirent: Tu nous as sauv la vie; daigne, monseigneur, nous regarder toujours avec bont, et nous serons sans regret les esclaves de Pharaon. (47:18-25) Celte faon d'administrer un royaume, loin de valoir Joseph le titre de bienfaiteur que la Bible lui donne, fait de lui, tout au contraire, un tyran ridicule et extravagant. Si celle histoire tait vraie, si les peuple? avaient cru la bienfaisance du gouverneur de l'Egypte aux premiers temps de la disette, leur imbcillit n'aurait plus d'excuse quand l'exploitation dont ils furent victimes en arriva ce point. Quoi! disent les critiques cits tout l'heure, ce bon ministre Joseph rend toute une nation esclave! il vend au roi toutes les personnes et toutes les terres du royaume! C'est une action aussi infme et aussi punissable que celle de ses frres, qui gorgrent tous les Sichmites. Il n'y a point d'exemple, dans l'histoire du monde, d'une pareille conduite d'un ministre d'tat. Un ministre qui agirait ainsi, en n'importe quel pays, provoquerait bientt un soulvement gnral et n'chapperait pas la juste colre des populations. Heureusement une histoire si atroce n'est qu'un conte stupide. Il y a trop d'absurdit s'emparer de tous les bestiaux, lorsque depuis longtemps la terre ne produisait point d'herbe pour les nourrir. Et, si elle avait produit de l'herbe, elle aurait pu produire aussi du bl, il n'y a pas sortir de l; car, de deux choses l'une: le terrain de l'Egypte tant essentiellement sablonneux, les inondations rgulires du Nil peuvent seules faire pousser la vgtation; ou bien, si l'on admet l'inadmissible cessation de ces inondations pendant sept annes 79
conscutives, tous les bestiaux doivent avoir pri. De plus, on n'tait alors qu' la quatrime anne de la strilit prtendue: quoi aurait servi de donner au peuple des semailles pour ne rien produire pendant trois autres annes? Ces sept annes de strilit sont donc une des fables les plus incroyables que l'imagination du divin pigeon ait inventes dans la Gense. On aura remarqu aussi quels gards l'auteur sacr des Juifs a pour les prtres gyptiens: ils sont les seuls que Joseph mnage; leurs terres sont libres quand la nation est tombe en esclavage, et ils sont encore nourris aux dpens de cette malheureuse nation. Or, la Bible contient l'enseignement religieux que les soi-disant reprsentants de Dieu se sont donn la mission de faire pntrer dans les cerveaux du peuple. Par cet pisode, les ministres de Jhovah inculquent donc l'ide de respect envers la personne de tous prtres quelconques, mme d'autres religions. Les prtres ne se mangent pas entre eux. Le pigeon-canard nous apprend ensuite que Jacob demeura dix-sept ans en gypte, o il mourut, et que par consquent il vcut en tout cent quarante-sept ans (v. 28). Deux chapitres entiers, 48 et 49, sont consacrs aux bndictions que le patriarche distribua, sur son lit de mort. Il bnit ses douze fils, runis son chevet; et, comme il aperoit dans la chambre deux hommes qu'il ne connat pas, il demande: Qui sont donc ceux-ci? Et Joseph lui rpond: Ce sont mes deux fils Ephram et Manass, ns en ce pays d'Egypte avant que tu y vinsses, mon pre. Alors, Jacob dit: Eh bien, fais-les approcher, je te prie, afin que je les bnisse. Depuis dix-sept ans que le patriarche habitait le royaume, Joseph n'avait pas encore pens lui prsenter sa famille! Les bndictions donnes par Jacob ses enfants ne furent pas sans quelques reproches. Ainsi, Ruben, qui avait cocufi son pre, perdit ce jour-l son droit d'anesse. Ruben, dit le patriarche, tu es mon premier-n, ma force et le commencement de ma vigueur; tu es grand en dignit et grand en force musculaire. Mais tu t'es dbord comme l'eau, et tu n'auras pas la prminence; car tu es mont sur l'une des femmes de ton pre et tu as rpandu ta semence dans mon lit. (49:3-4) Ce jour-l encore, le vieux pre Jacob laissa clairement comprendre qu'il avait t partisan du mariage de sa petite Dina avec le prince Sichem et qu'en lui-mme il avait dsapprouv le grand massacre accompli par Simon et Lvi; car il ne reporta pas sur eux le droit d'anesse enlev Ruben et mme il stigmatisa leurs violences avec svrit. Simon et Lvi, dit-il, sont frres, et frres dans leurs violences; que mon me n'entre point dans leur conseil secret! que ma gloire ne soit pas jointe leur runion! car ils ont tu des gens par colre, et ils ont enlev des tro upeaux de bufs pour leur plaisir. Que leur colre soit maudite, car elle a t violente; et leur fureur, car elle a t rude! Je les diviserai en Jacob, et je les disperserai en Isral. (49:5-7) Les thologiens qualifient de prophtiques toutes les paroles prononces par Jacob sur son lit de mort: cependant, la suite de l'histoire nous montrera que les soi-disant descendants de Lvi ne furent pas les plus mal lotis; car c'est eux que le sacerdoce fut donn dans Isral, avec tous ses bnfices et privilges. En bonne logique, le prfr aurait d tre Joseph, que Jacob avait eu comme premier-n de sa Rachel chrie, Joseph qui avait t la gloire de sa vieillesse, qui lui avait donn tant de joie, et qui avait enrichi toute la famille. Pas du tout, le prfr fut Juda; Juda, qui avait t l'instigateur de la vente de Joseph aux marchands madianites, Juda l'incestueux eut le pas sur le vertueux Joseph. C'est lui que le vieux pre Jacob confra le patriarcat qui tait la part divine de son hritage. Juda, quant toi, pronona Jacob, tes frres t'exalteront; ta main s'appesantira sur le cou de tes ennemis, et tous les fils de ton pre se prosterneront devant toi. Juda, tu es un jeune lion. O mon fils, tu es revenu, aprs avoir dchir ta proie; tu t'es couch, comme un lion toujours plein de force, alors mme qu'il est vieux. Le sceptre ne sera point t de Juda, ni la lgislature, jusqu' ce que le Silo vienne; et c'est lui qu'il appartient de gouverner l'assemble des peuples. Il attache la vigne son non, et le petit de son nesse un 80
fort bon cep. Il lavera sa tunique dans le vin, et son manteau dans le sang des raisins. Il a les yeux vermeils de vin et les dents blanches de lait. (49:8-12) Les autres eurent des bndictions assez banales. Quant Joseph, s'il ne fut pas le successeur de Jacob dans le titre de patriarche, il eut au moins de bonnes paroles: Le Dieu fort de ton pre t'aidera, et le Tout-Puissant te comblera par en-haut des bndictions du ciel et par en-bas des bndictions de l'abme, et tu auras aussi les bndictions des mamelles et de la matrice de la femme. (49:25) Jacob fit promettre enfin ses fils de transporter son cercueil hors d'Egypte et de l'enterrer dans la caverne de Macpla, au pays de Canaan, auprs d'Abraham, Sara, Isaac, Rbecca et Lia. Et quand Jacob eut achev de donner ses ordres ses fils, il retira ses pieds dans le lit, et il expira. (49:33) On fit au patriarche polygame un enterrement de premire classe, embaumement compris et transport au Canaan. S'il faut en croire le chapitre l et dernier, les Egyptiens portrent le deuil durant soixante-dix jours. Joseph vcut jusqu' sa fin dans les grandeurs, entretenant ses frres et leurs familles; il vit autour de lui ses petits-enfants et ses arrire-petits-enfants. Il mourut l'ge de cent dix ans. Et voil la Gense finie. Nous passons, maintenant, l'Exode.
7 CHAPITRE
MOSE ET LE VOYAGE DE QUARANTE ANS
L'Exode est le livre relatant la sortie d'Egypte et la longue promenade des Hbreux dans la pninsule du Sina; il se complte par le Lvitique, les Nombres et le Deutronome. On sait que ce grand voyage du peuple juif dura quarante annes. Si l'on jette les yeux sur une carte gographique donnant l'Arabie Ptre et la Palestine, on se rend faci lement compte de ce que fut cette prgrination jamais fameuse. En rsum, les Hbreux quittrent l'Egypte Baal-Zphon, qui est aujourd'hui Suez, et c'est censment l l'endroit o ils passrent la Mer Rouge; ils longrent la cte orientale de la Mer Hroopolite (golfe de Suez) et descendirent jusqu' Raphidim, traversant le massif du Sina; dans cette rgion sud de la pninsule, ils poussrent l'est jusqu' Hazeroth (aujourd'hui An-e l-Hadhrah); de l, remontant vers le nord jusqu'au Djebel-Halal, ils cheminrent ensuite plus l'est encore, pour se diriger dans la direction de la Mer Morte, qu'ils contournrent droite, arrivant enfin Jricho. A l'aide d'une carte moderne, on dtermine avec la plus grande aisance la position exacte des trois points extrmes de cet itinraire: Baal-Zphon, point de dpart, est 30 de latitude nord et 30 12' de longitude est; Hazeroth, le point extrme sud-est du voyage, est 28 45' de latitude nord et 32 10' de longitude est; Jricho, point d'arrive, est 31 50' de latitude nord et 33 7' de longitude est. Par consquent, l'cart entre ces trois points extrmes n'est pas formidable; d'ailleurs, tout le monde peut vrifier. Eh bien! que reprsente-t-il donc, ce lgendaire voyage? quel itinraire moderne pourrait-on lui comparer, pour faire mieux ressortir le ridicule achev de la relation biblique?... La mmorable marche des Hbreux la suite de Mose et Josu quivaut EXACTEMENT un voyage pied que l'on ferait en partant de Paris pour descendre au sud-est jusqu' Dijon et remonter ensuite au nord-est jusqu' Lige, en Belgique. Paris, Dijon et Lige donnent, sur le globe, le mme cart gomtrique que Baal-Zphon, Hazeroth et Jricho. Un cul- de-jatte ne demanderait pas trois mois pour fournir ce parcours, et il se reposerait frquemment en route! Les Isralites y ont mis quarante ans. Inclinons-nous, et sourions devant cette colossale blague que le pigeon-canard a fait encore avaler aux dvots mystifis. 81
Mais les croyants n'examinent rien et avalent tout. S'ils prenaient seulement la peine de rflchir un peu, aprs avoir lu l'Exode, ils trouveraient au moins tonnant que l'auteur de ce livre, qui dit avoir t lev en Egypte et y avoir longtemps vcu avant d'entraner ses compatriotes en sortir, n'ait pas un mot au sujet des monuments, des murs, des lois, de la religion, de la politique, de l'histoire de ce pays si renomm et alors en pleine civilisation; car, tout postrieur que soit le royaume d'Egypte au vaste empire des Indes et celui de Chine, toujours est-il que les Egyptiens contemporains du prtendu Mose occupent le premier rang parmi les nations civilises de notre. Occident; cette poque florissaient Thbes et Memphis, dont l'auteur de l'Exode semble ignorer l'existence, puisqu'il ne parle mme pas de ces merveilleuses et opulentes cits, puisque leurs noms paraissent lui tre inconnus. Quant aux puissants monarques qui rgnaient alors, l'auteur sacr les appelle tous indiffremment Pharaon, ce qui est un titre, et non point un nom; le pharaon , c'est le roi gyptien, comme un roi de Prusse est un knig , comme une reine d'Angleterre est une queen . Le prtendu Mose, parlant de diffrents rois d'Egypte, leur attribuant des aventures en des temps placs plusieurs sicles de distance et ne trouvant pour les dsigner les uns et les autres que le nom de Pharaon, ressemble un pseudo-historien qui, dans des rcits de fantaisie concernant l'empire russe diverses poques, citerait constamment Sa Majest Tsar , pour dsigner les empereurs Ivan-le-Terrib le, Pierre-le-Grand et Nicolas I, dont il ignorerait les noms; cet historien grotesque serait un maladroit, qui ferait rire de lui. Or, comment pourrait- on prendre plus au srieux l'auteur de la Gense et de l'Exode? Il connat et cite les noms personnels de minuscules roitelets, quand il s'agit de royaumes sans histoire, c'est--dire absolument imaginaires, tels que ceux de Sodome, de Gomorrhe et de Grare; mais, lorsque c'est le souverain d'un royaume rel, historique, important, qu'il met en scne, comme celui d'Egypte, alors sa science devient modeste au point de ne pas oser dire si le pharaon dont il parle est Touthms, Amnophis ou Hrus. En rsum, il prcise, quand il croit qu'aucun contrle de ses assertions n'est possible; il reste dans le vague, quand la grosse question est pour lui de ne pas trahir son ignorance par quelque fcheux quiproquo, qui risquerait d'tre un jour trop aisment dmontr. Les thologiens, qui ont proclam que le Pentateuq ue est la plus pure expression de la vrit, ne prvoyaient pas les dcouvertes des Champollion, des Wilkinson, des Lepsius et autres savants gyptologues, lorsqu'ils fixrent les dates de la chronologie du monde en se basant sur la Bible. Ainsi, d'aprs la Vulgate, c'est--dire selon saint Jrme, la cration du monde serait de l'an 4004 avant J.-C., et le dluge universel serait de l'an 3296; et tous les Pres de l'Eglise ont opin du bonnet. Or, Mns, chef militaire gyptien, qui fonda la premire dynastie connue, en soustrayant son pays la domination suprme de la caste sacerdotale, accomplit cette rvolution 5,400 ans avant l're chrtienne, soit 1,400 ans avant la cration et 2,100 ans avant le dluge. Les thologiens nous donnent aussi la date laquelle Joseph, tant premier ministre d'un pharaon, tablit Jacob et sa famille dans la terre de Gessen; c'est en 1962 avant J.-C.: et les Hbreux demeurrent quatre, cent trente ans en Egypte; leur sortie est place en l'an 1533, toujours selon les thologiens et la Bible. Mais, aujourd'hui, l'on possde, on a mis au jour et dchiffr les monuments historiques de l'Egypte; on a lu cette histoire crite sur la pierre des temples et des oblisques, et l'histoire de cette priode s'y trouve, tablissant les rgnes et les grands faits des Pharaons, notamment le pylne du temple de Karnak, dcouvert Thbes, qui numre les 115 villes soumises par le pharaon Touthms III, aprs sa victoire de Maggeddo; on connat, et en dtail, les quinze campagnes successives et toujours heureuses entreprises en Asie par ce prince. Or, ce rgne glorieux, que la science des hiroglyphes a clair d'une lumire si vive, brille au milieu des sicles o les fils de Jacob taient censment en Egypte; et rien, dans ces monuments, rien, absolument rien ne relate le fameux gouvernement de Joseph; aucun de ces pharaons n'a song inscrire, sur les annales de pierre du royaume, la clbrit de son Richelieu!... 82
Bien mieux, le pharaon qui rgnait l'poque o, d'aprs l'auteur sacr, les Hbreux quittrent l'Egypte, et, par consquent, celui que nous allons voir tout l'heure englouti par les flots de la Mer Rouge, prissant misrablement avec toute son arme, ce pharaon, en prenant les dates bibliques adoptes par les thologiens, ne peut tre qu'Amnophis III. Or, son histoire est crite au complet sur les monuments antiques, et elle ne concorde aucunement avec la narration de l'Exode. Ce prince appartenait cette vaillante race des pharaons de la dix- huitime dynastie, souverains puissants et conqurants illustres, qui donnrent l'empire gyptien une splendeur et une tendue qui ne furent maintenues que par la dynastie suivante; ils firent la conqute de l'Ethiopie, de tout le pays des Arabes, de la Msopotamie, du pays de Canaan, prirent Ninive et l'le de Chypre, eurent pour tributaires les Babyloniens, les Phniciens, les Armniens; en un mot, le succs de leurs armes s'tendit bien loin dans l'Asie occidentale. Touthms IV, pre d'Amnophis III, ne perdit pas le fruit des conqutes du grand Touthms; des monuments le reprsentent glorieusement rgnant en 1550 avant J.-C., dix-sept ans avant l'poque o la Bible place la sortie des Hbreux d'Egypte. Quant Amnophis III, les tmoignages historiques de ses triomphes abondent: c'est lui qui fonda le temple de Louqsor; c'est en son honneur que fut leve Thbes la statue si connue sous le nom de colosse de Memnon, statue qui le reprsentait et qui rendait des sons harmonieux lorsque les rayons du soleil levant venaient la frapper; on a la longue liste des rois et des peuples qui taient soumis ce pharaon, mort en pleine gloire sur son trne, et nullement noy dans la Mer Rouge, mais somptueusement inhum dans une des pyramides. En l'anne o l'Exode le fait prir dans les flots obissant la baguette de Mose, il achevait la conqute de l'Ab yssinie, et plus tard il faisait encore de grandes expditions en Asie; il mourut si peu cette poque, que, tandis que l'Exode promne les Juifs dans la pninsule du Sina, il faisait btir le magnifique palais de Sholeb, dans la haute Nubie, et la partie sud du grand temple de Karnac, Thbes. Il laissa son immense empire son fils Hrus, qui chtia une rvolte des Abyssins et continua les travaux de son pre. Voil l'histoire; elle contredit formellement la Bible. Ces considrations prliminaires taient utiles. Nousallons, maintenant, passer une revue rapide de la lgende de Mose. Donc, au quatrime sicle aprs l'installation de Jacob et C ie en Gessen, les soixante-six Hbreux s'taient prodigieusement multiplis, et le roi d'alors avait compltement oubli les services rendus jadis par Joseph l'Egypte. Trs cruel mme tait Pharaon (nous continuerons l'appeler du nom, qui n'en est pas un, que lui donne l'auteur sacr); il fit appeler les deux sages-femmes juives, M me Siphra et M me Puha, qui avaient toute la clientle de leurs compatriotes, et il leur ordonna, quand elles feraient un accouchement isralite, d'trangler les petits garons. Les deux accoucheuses s'empressrent de ne pas obir Pharaon, et, lorsque celui-ci leur demanda pourquoi elles laissaient vivre les enfants mles, elles rpondirent: Les femmes juives ne sont pas comme vos gyptiennes; elles connaissent l'art d'accoucher et elles se dlivrent elles-mmes, avant que nous soyons venues. (Exode 1:19) Alors, Pharaon promulgua un dit, qui dcrtait que tout enfant mle n un isralite devrait tre jet au fleuve sitt aprs sa naissance. Ce fut, comme on pense, une grande dsolation dans les familles juives. Les prescriptions de l'dit pouvaient d'autant plus facilement tre imposes, que les malheureux descendants de Jacob se trouvaient rduits une sorte d'esclavage; ils taient mens trs durement par les fonctionnaires gyptiens, ils ne s'appartenaient pour ainsi dire plus, et on les contraignait excuter les travaux les plus pnibles. (Exode 1:11-14) Or, voici qu'une mre, qui tait de la famille de Lvi, cacha pendant trois mois son fils; elle l'avait trouv beau . Mais, ne pouvant le cacher plus longtemps et craignant une dnonciation, elle prit une corbeille de joncs, qu'elle enduisit de bitume et de poix, y mit le bb, et alla placer le berceau au bord du fleuve, parmi les roseaux. Ensuite, elle dit la sur 83
ane de l'enfant de se tenir en observation quelque distance. Sur ces entrefaites, la fille de Pharaon, accompagne de ses suivantes, vint se baigner dans le Nil. L'auteur sacr nglige de louer le courage de la princesse, et c'est un oubli regrettable; le Nil tant infest de crocodiles, ce bain mrite l'admiration du lecteur. En outre, la cour rsidait Memphis, et de Memphis au pays de Gessen, sjour des familles juives, il y a plus de cinquante lieues. Quoi qu'il en soit, la princesse arriva fort propos. Rien ne se faisant que par la volont de Jhovah, c'est donc par sa permission que tous les autres petits juifs avaient t noys dans le Nil et dvors par les crocodiles, et c'est aussi en vertu des grands projets divins que ce bb seul allait tre sauv. C'est papa Bon Dieu, videmment, qui avait envoy la fille de Pharaon se baigner si loin et qui lui avait inspir le mpris des terribles amphibies. Il advint donc ce que la Providence avait rgl: la princesse rencontra le berceau flottant, fut mue des vagissements de l'enfant et comprit du premier coup que c'tait un petit juif; sur ce, la sur ane se prsente et propose d'aller chercher une nourrice; la princesse applaudit cette excellente ide; c'est la mre qui s'amne; la fille de Pharaon lui confie l'enfant allaiter, dclare qu'elle paiera les mois de nourrice, et s'en va, tout heureuse de sa bonne action. Plus tard, quand le petit garon fut sevr, la mre le rapporta la princesse. Celle-ci, qui s'y tait attache, lui donna le nom de Mose, lequel veut dire sauv des eaux , et plaida si bien sa cause auprs du roi, que ce monarque, pourtant si cruel, consentit faire lever le bambin sa cour; la Bible dit mme que Pharaon l'adopta pour son fils. Mose grandit, se rvlant pour un petit prodige ds son enfance; il merveillait le roi, sa fille, les courtisans; un brillant avenir lui tait rserv. Devenu jeune homme, il allait visiter ses compatriotes hbreux: un beau jour, ayant vu un gyptien battre un juif, il tua l'gyptien et l'enterra dans le sable; aprs quoi, ayant rflchi aux consquences de ce meurtre, il s'enfuit et se cacha au pays de Madian. Cette contre tait situe au sud-est de la pninsule du Sina, et il ne faut pas la confondre avec deux autres pays du mme nom, dont il sera question plus loin et qui se trouvaient, l'un au nord de la Mer d'Elath (aujourd'hui golfe d'Akabab), l'autre l'est de la Mer Morte; car, si l'on confondait tous ces pays de Madian, on pourrait croire que l'Esprit-Saint a perdu la carte et est un parfait radoteur en gographie. Dans le Madian n 1, Mose fit la connais sance d'un prtre idoltre, nomm Jthro, papa de sept filles, dont l'une, la belle Sphora, captiva le cur du fugitif. Mariage, longue lune de miel, et voil Mose pre d'un moutard qui fut appel Gersom. Pendant ce temps, Pharaon passait l'tat de momie et avait un successeur qui continua molester les pauvres juifs dans une servitude de plus en plus dure. Alors, Jhovah, qui, ainsi que Mose, ne songeait plus l'infortune des Hbreux, se souvint de l'alliance qu'il avait conclue avec Isaac et Abraham, Jacob. (Exode 2) Le prtre Jthro tait propritaire d'un troupeau, et il chargeait parfois son gendre de le mener patre. Dans une de ces excursions, Mose alla jusqu'au mont Horeb, qui fait partie du massif sinaque, sans tre le Sina mme. Tout--coup, un buisson s'enflamma, et papa Don Dieu parut au milieu de ce feu; ce qu'il y avait de plus curieux, parat-il, c'est que le buisson tait tout en flammes, sans se consumer. L'ternel ordonna Mose, pat, de se dchausser; l'autre obit. Die u lui annona alors qu'il lui donnait une mission, qu'il aurait aller auprs de Pharaon, pour l'inviter laisser les Hbreux partir d'gypte, mais que celui-ci ne se dciderait cela qu'aprs avoir vu un certain nombre de miracles oprs par lui, Mose. Il aurait encore rconforter ses compatriotes. Mose demanda l'apparition de lui dire son nom. Et Dieu dit Mose: Je m'appelle Eheeh. Tu diras aux enfants d'Isral: Eheeh m'envoie vous. (Exode 3:14) Papa Bon Dieu, entre autres recommandations au sujet du prochain dpart d'gypte, fit celle-ci: Chaque femme isralite empruntera sa voisine gyptienne ou son htesse des vases d'argent et d'or, ainsi que de beaux habits; vos fils et vos filles les emporteront, et ainsi vous dpouillerez les gyptiens. (Exode 3:22) 84
Puis, comme Mose manifesta sa crainte de n'tre cru sur parole pas plus par les Juifs que par Pharaon, Jhovah-Eheeh lui confra, sance tenante, le don des miracles. Un bton que le gendre de Jthro tenait la main se changea en serpent et redevint ensuite bton. Dieu lui dit encore: Mets maintenant ta main dans ton sein. Et il obit, et il retira de son sein sa main toute couverte d'une lpre blanche comme la neige. Puis, sur l'ordre de Dieu, il remit sa main dans son sein, et elle redevint une chair saine comme auparavant. Jhovah apprit aussi Mose qu'il lui donnait le pouvoir de changer l'eau en sang et le sang en eau. Mose avait encore quelque hsitation: il expliqua Dieu qu'tant bgue, il ferait un mauvais orateur pour prcher le peuple; Dieu se mit en colre, ne le gurit point de son bgaiement; mais il lui rpondit que, puisqu'il en tait ainsi, il associait sa mission Aaron, son frre an. Remarquons, en passant, qu'Aaron ne se cachait point en gypte; sa mre l'avait donc sauv, sans qu'on sache comment. A la suite de cette apparition, Mose prit cong de son beau- pre et emmena sa femme et ses enfants. Or, il arriva, en route, que Dieu le rencontra dans un cabaret et voulut le tuer; mais Sphora prit aussitt un couteau tranchant, coupa le prpuce de son fils, le jeta terre, et Dieu fut dsarm. (4:24-25) Aaron, prvenu par Jhovah, se rendit au-devant de Mose, apprit de lui tout le dtail de la mission dont ils taient investis, et ils allrent ds lors tous deux vers Pharaon. Le roi ne tint aucun compte des avis que lui donnrent les deux frres; au contraire, les vexations contre les Isralites redoublrent (ch. 5). Mose assura ses compatriotes que, par la volont de Dieu, ils recouvreraient la libert (ch. 6). Mose avait quatre-vingts ans et Aaron en avait quatre-vingt-trois, lorsqu'ils parlrent Pharaon pour le mettre en demeure d'autoriser les Isralites quitter l'Egypt e; et comme le roi refusait d'entendre raison, Aaron jeta sa verge devant lui. A l'instant mme, la verge se transforma en dragon. Les magiciens de la cour, appels en toute h te, jetrent leur tour leurs verges, qui devinrent autant de dragons; mais le dragon d'Aaron dvora les dragons des magiciens. Ce miracle laissa Pharaon aussi peu dispos qu'avant rendre la libert aux Hbreux. Alors Mose frappa le Nil d'un coup de baguette, et les eaux du fleuve se changrent en sang; la Bible ajoute que les magiciens du roi en firent tout autant. Le poisson mourut; les gyptiens creusrent autour du Nil, mais sans succs, afin d'avoir de l'eau boire; l'auteur sacr nglige de dire comment les Juifs s'en procurrent (ch. 7). Aaron et Mose gratifirent encore l'gypte d'autres plaies. Il y eut une invasion de grenouilles; et les magiciens de la cour, se piquant d'amour-propre, accomplirent le mme prodige; de telle sorte qu'on ne voyait plus que des grenouilles partout; c'tait comme une pluie, un dluge de grenouilles. Aux grenouilles succdrent les poux; l'gypte en fut entirement couverte; puis grouillrent d'autres insectes, que la Bible ne dsigne pas plus clairement. Par contre, l'auteur sacr nous apprend que les magiciens ne purent pas excuter le miracle des poux. Grenouilles, poux et insectes innoms disparurent; mais le cur de Pharaon tait plus endurci que jamais, et il ne laissa pas partir le peuple juif (Exode 8). La cinquime plaie consista dans la mort subite de tous les chevaux, nes, chameaux, bufs et brebis des gyptiens. Ce n'tait pas fini. Sixime plaie: Mose et Aaron prirent de la cendre et vinrent la rpandre devant le roi; aussitt tous les gyptiens furent remplis d'ulcres. Septime plaie: ouragans de grle et de feu dtruisant toutes les herbes et tous les arbres des champs; seul, le pays de Gessen, o taient les Isralites, fut pargn. Cette fois. Pharaon consentit au dpart des Juifs. Mose tendit la main; les ouragans cessrent, et... Pharaon reprit sa parole (ch. 9). Huitime plaie: grand vent, apportant des milliards de sauterelles, qui rongrent le peu de verdure qui avait chapp la grle. Repentir de Pharaon; vent qui emporte dans la Mer Ronge toutes les sauterelles; Pharaon revient encore sur ce qu'il a dit et retient les Isralites. Neuvime plaie: l'Egypte est couverte de tnbres si paisses qu'on les peut toucher de la 85
main (sic). Pharaon se dcide laisser partir Mose et ses compatriotes; mais il veut garder leurs brebis et leurs bufs, que Dieu avait prservs de cette multiple avalanche de flaux (Exode 10). Pour en finir, Jhovah envoya des anges exterminateurs, avec l'ordre de massacrer les premiers-ns des gyptiens. Or, afin d'viter toute erreur, attendu que le programme portait que l'extermination aurait lieu de nuit, on mangea un agneau dans chaque famille juive et, sur la porte de leurs maisons, les Isralites firent une petite marque avec le sang de l'agneau; ce fut l'institution de la Pque (12:12-13). De ceci, il rsulte que les anges, qui passrent minuit dans toutes les villes d'gypte, avaient une pe pour le massacre et une lanterne pour examiner si les portes des habitations taient ou non marques du sang de l'agneau; ce n'est pas nous, c'est la Bible qui matrialise ainsi les anges. Ah! que le divin pigeon a d rire en dictant de telles neries!... Tous les premiers-ns gyptiens furent donc gorgs, depuis le prince fils an de Pharaon, qui devait lui succder sur le trne, jusqu'aux premiers-ns des esclaves et des prisonniers qui taient dans les cachots. Et le roi dans cette nuit se leva; car il y eut une clameur de dsolation dans toute l'gypte. Pharaon envoya qurir sur-le-champ Mose et Aaron, et leur dit: Partez au plus vite, vous et les enfants d'Isral. Alors, les Hbreux firent ce que Dieu leur avait enseign par la voix de Mose: ils empruntrent tous les vases prcieux qu'ils purent, ainsi que les plus beaux habits; et l'ternel rendit les gyptiens faciles leur prter toutes choses de prix; de sorte qu'ils dpouillrent les gyptiens. (12:35-36) L'Exode nous apprend ici que les familles juives, dont la contre de Gessen n'avait cess d'tre le lieu de sjour depuis la venue de Jacob, se concentrrent Rahmss pour le dpart. On fit route de l jusqu' Succoth; on tait au nombre de six cent mille hommes valides, sans compter les femmes et les enfants; une foule considrable de gens de toutes conditions se joignit eux, et ils avaient prodigieusement de bufs et d'innombrables troupeaux (v. 37-38). Mose avait pris avec lui les ossements de Joseph (13:19). Ceci permet de calculer approximativement combien de victimes se monta le massacre attribu, par le pigeon, aux anges de Jhovah. Puisque les partants de Rahmss taient six cent mille en armes (13:18), cela suppose six cent mille familles. Le pays de Gessen est la quarantime partie de l'gypte, depuis Mro jusqu' Pluse; le reste du royaume contenait donc vingt-quatre millions de familles; ainsi Dieu tua, par la main de ses anges, ce nombre pouvantable de premiers-ns! De Succoth les Hbreux allrent Etham, o ils camprent. Puis il arrivrent Baal-Zphon (Suez), et l encore ils camprent, prs de la mer (14:2). On remarquera que l'endroit dsign par la Bible n'est pas prcisment la Mer Bouge, mais le fond du golfe de Suez; s'il y avait de l'eau traverser, c'tait celle du canal des Pharaons, qui existait alors, allant du Nil aux Lacs Amers. Tandis que Mose et ses compatriotes s'taient mis en route, Pharaon, dont l'esprit tait dcidment d'une mobilit extravagante, regretta de s'tre priv de ces excellents sujets qui lui avaient valu tant de flaux. Il fit atteler son chariot, les six cents chariots de ses gnraux, et tous les chariots d'gypte, sur lesquels se placrent les meilleurs capitaines (14:6-7); il se mit la tte de toute son arme, et son peuple mme vint avec lui; la cavalerie gyptienne, les chariots des chefs et l'arme atteignirent les Hbreux Pi-Hahiroth, prs de Baal-Zphon (v. 9). On se demande d'o venaient ces attelages et toute cette cavalerie, puisque la cinquime plaie avait tu, sans une seule exception, les chevaux, nes, chameaux et bufs des gyptiens. Au premier moment, les Isralites furent inquiets; mais Mose leur fit vivement passer la mer pied sec: d'un simple coup de baguette, il avait spar les flots. Pharaon, voyant le prodige, pensa que ce chemin ouvert travers les ondes tait galement bon pour lui. Il s'y engagea avec son arme; mais, je t'en fiche! Mose donna un nouveau coup 86
de baguette tandis que les Egyptiens taient au beau milieu de la mer. Alors, les eaux se runirent avec imptuosit et recouvrirent les chariots, la cavalerie et toute l'arme de Pharaon; et il n'en resta pas un seul. (14:28) Notons que Pharaon ne s'tait pas mis la poursuite des Hbreux pour les exterminer, mais pour les envelopper et les ramener en servitude dans son royaume. Ceux-ci comptant parmi eux six cent mille hommes valides et arms, on peut, vu les vieux papas, les mamans, les pouses, les surs et les jeunes frres, valuer l'ensemble des migrants environ trois millions de personnes. Pour capturer une telle population, il fallait des forces bien plus nombreuses. D'autre part, d'aprs le calcul si logique de tout l'heure, c'est vingt-quatre millions que se chiffre approximativement le total des familles gyptiennes; en comptant un soldat par famille, l'arme de Pharaon dut tre de vingt-quatre millions de combattants. Il est vrai que Dieu avait dj tu l'an de chaque famille; mais les cadets pouvaient tre en ge de porter les armes; et, d'ailleurs, ce projet de poursuite souleva un grand enthousiasme, puisque l'auteur sacr nous dit que le peuple accourut en masse pour accompagner son roi. N'oublions pas les gyptiens, qui nos fuyards venaient de filouter vases prcieux et beaux habits; ils ne durent pas hsiter, ceux-l, s'lancer aprs leurs voleurs. Mais rduisons les chiffres de moiti, si l'on veut: au minimum, douze millions d'gyptiens furent noys avec Pharaon. On dira peut-tre que, si aucun auteur gyptien ne souffla jamais mot de ce dsastre aussi miraculeux qu'pouvantable, ni des dix plaies qui dvastrent le royaume, ce fut par amour- propre national. Accordons -le. Mais les autres nations du monde, hein? comment n'eurent- elles pas connaissance d'aussi terribles vnements? Voil pourtant une gigantesque noyade qui exonra d'un seul coup les cent quinze princes tributaires du p haraon Amnophis. Quoi! pas mme Hro' dote, que l'antiquit nomma le pre de l'Histoire et qui recueillit tant de faits relatifs la vieille Egypte, visite par lui fond; Hrodote qui a narr les exploits de Ssostris, qui a parl de la statue d'Amnophis, le colosse de Me mnon, n'aurait pas connu la fin tragique de ce prince et l'engloutissement de son arme!... Ce silence gnral des historiens de ces temps lointains est au moins aussi miraculeux que le prodige lui-mme. Les Isralites virent donc la destruction de leurs ennemis. Si l'on accepte le fait, on peut ajouter que les descendants de Jacob rirent tant et tant de l'aventure, que plusieurs en devinrent bossus. En tout cas, le chapitre 15 de l'Exode nous apprend que Marie, sur de Mose et d'Aaron, prit un tambour la main, et que toutes les femmes, saisissant des tambours et des fltes, dansrent de joie avec elle; ce chapitre nous fait savoir aussi que Mose improvisa illico un cantique (il ne dit pas en quelle langue) et que tout Isral le chanta d'une seule voix. Ne perdons pas de vue que chanteurs et danseuses formaient un chur de trois millions de personnes; paroles et musique furent apprises l'instant mme. Je vous prie de vous reprsenter cet orphon excutant cette cantate. Sapristi! que a devait tre beau!... Voil nos Hbreux en marche dans l'Arabie Ptre, ainsi nomme parce qu'il n'y pousse gure que des pierres, des cailloux Le but du voyage tait le pays de Canaan, toujours co nvoit par leurs anctres; pourquoi ne pas s'y tablir enfin, maintenant que l'on tait en nombre?... D'ailleurs, Mose leur avait affirm, sur la parole du Seigneur, que cette terre de Canaan tait d'une fertilit tonnante. Le difficile tait de l trouver; car il n'y avait aucune roule, et la boussole n'tait pas encore invente, Heureusement une nue cleste se mit la tte du peuple juif et leur montra le chemin nuit et jour; le jour, c'tait une colonne de noire fume; la nuit, c'tait une nue de feu. Le texte sacr dit que Jhovah en personne tait dans cette nue d'aspect variable. Cette faon d'tre guids dans un dsert avait sa commodit; mais elle avait bien aussi ses dsagrments. En effet, souvent les lsralites auraient t fort aises de se reposer; ah! bien non! la nue piquait sa course en avant; que faire? fallait-il s'exposer perdre un guide aussi prcieux? et pas moyen de retenir une colonne de fume par les pans de sa redingote, n'est-ce pas?... Alors, obligation absolue de continuer la route. Ce vieux farceur de Jhovah s'amusait, c'est clair. Ami Lon XIII, ne dis pas non! Tiens, en voici la preuve: 87
pour aller de Baal-Zphon (Suez) Jricho, le divin guide n'avait qu' remonter au nord vers la Mditerrane, en longeant la chane du Djebel-Rabah; puis, obliquer l'est, en suivant les valles du Djebel Maghara, qui conduisent tout droit la cte mditerranenne; il suffisait alors de la suivre jusqu'au pays des Philistins, que l'on contournait, et l'on arrivait bien vite en Canaan par le pays des Ethiens, nation amie. Pas du tout; au lieu d'aller au nord, Jhovah conduisit nos Hbreux vers la pointe sud de la pninsule sinaque; exactement comme si, charg de guider un voyageur ayant se rendre de Paris en Belgique, on lui faisait prendre la route de Lyon-Marseille!... Ainsi, tu vois, saint-pre Lon, impossible de soutenir que Sabaoth-Jhovah-Eheeh n'est pas un fumiste!... Comme il faut tre juste, nous reconnatrons que, tout en allongeant ainsi la route, papa Bon Dieu paya quelques douceurs son peuple. Ainsi, au dpart de Baal-Zphon, aprs la cantate, il conduisit ns Hbreux dans la partie occidentale du dsert de Shur, o ils marchrent trois jours sans trouver une goutte d'eau. Enfin, en un endroit qui depuis fut nomm Mara, ils furent agrablement surpris par le glou-glou d'une abondante source. On se prcipite pour boire; v'lan! les eaux taient amres, mais amres!... Grimace gnrale des trois millions de juifs. Alors le peuple murmura contre Mose, en disant: Que boirons nous? Et. Mose poussa des cria vers l'Eternel. Et le Seigneur lui montra un arbuste, donne coupa une branche qu'il jeta dans la source; et les eaux devinrent douces. Puis, les Hbreux descendirent jusqu Elim, o ils trouvrent douze fontaines d'eau et soixante-dix palmiers, sous lesquels ils camprent, s'abritant leur ombre et s'abre uvant aux eaux limpides. (15:24-27) Pour abriter une population au sein de laquelle se trouvaient six cent mille combattants, ces soixante-dix palmiers devaient tre fort espacs et avoir des feuilles immensment larges. En quittant Elim, on descendit, toujours au sud; on tait alors au dsert de Sin, qui est situ sur le versant est des collines du littoral du golfe de Suez; cette marche au sud conduisait vers le massif du Sina. La nature est l trs grandiose, trs imposante, mais absolument sauvage. Qu'on me permette d'emprunter Elise Reclus sa description de ce pays d'une clbrit classique. Les collines du littoral, l'ouest du Djebel-et-Tyh, dit le savant gographe, sont composes d'assises crayeuses, masses blanches et rgulires d'un aspect monotone, hautes de quelques centaines de mtres. Mais les premires montagnes qui appartiennent au groupe sinaque et qui s'lvent au sud de la chane bordire, du golfe de Suez celui d'Akabah, sont formes de grs au profil bizarre et au coloris vari, qui se groupent en paysages pittoresques. Au sud, s'lvent les granits, les gneiss et les porphyres. Uniformes par la composition de leurs roches, les monts du Sina ne le sont pas moins par l'aridit de leur surface; ils sont d'une nudit formidable; leur profil vives ar tes se dessine sur le bleu du ciel avec la prcision d'un trait burin sur le cuivre. Ainsi, la beaut du Sina, dpourvue de tout ornement extrieur, est-elle la beaut de la roche elle-mme: le rouge-brique du porphyre, le rose tendre du feldspath, les gris blancs ou sombres du gneiss et du synite, le blanc du quartz, le vert de diffrents cristaux donnent aux montagnes une certaine varit, encore accrue par le bleu des lointains, les ombres noires et le jeu de la lumire brillant sur les facettes cristallines. La faible vgtation qui se montre et l dans les ravins et sur le gneiss dcompos des pentes ajoute par le contraste la majest de formes et la splendeur de coloris que prsentent les escarpements nus; sur les bords des eaux temporaires dans les ouadi, quelques gents, des acacias, des tamaris, des petits groupes de palmiers ne peuvent en rien voiler la fire simplicit du roc. Cette forte nature, si diffrente de celle qu'on admire dans les contres humides de l'Europe occidentale, agit puissamment sur les esprits. Tous les voyageurs en sont saisis; les Bdouins ns au pied des montagnes du Sina les aiment avec passion et dprissent de nostalgie loin de leurs rochers... Ces rochers sont en outre fort riches en gisements de turquoises... Vue de l'un des sommets, la rgion ressemble une mer agite dont les vagues s'entrecroisent sous l'influence de vents opposs et tournoyants; dans la partie la plus leve (le Djebel-Katherin), on voit les traces d'anciens glaciers. Une range de montagnes s'en dtache vers le nord-ouest; l est le Serbal (2,046 88
mtres), que la plupart des explorateurs considrent comme le vrai Sina. Jadis les Arabes allaient y sacrifier des brebis et y porter des touffes d'herbes; ce que la nature leur donne de plus prcieux. Entour de ouadi infrieurs en altitude ceux du Djebel Katherin. le Serbal se dresse une plus grande hauteur relative, et de tout temps les Arabes y virent le gant de la Pninsule. C'est du moins le plus grandiose: au-dessus des contreforts s'lvent des parois nues, coupes de prcipices et se terminant par une crte, ingravissable en apparence, dchiquete en aiguilles et en pyramides. On peut y monter cependant, et depuis Burckhardt plusieurs Europens en ont fait l'ascension. Par suite d'un phnomne assez rare dans le granit, il se trouve que certaines parties du Serbal sont perces de grottes naturelles: les cristaux de feldspath se sont disposs dans la roche sous forme de rayons divergents, et, se trouvant les premiers attaqus par l'action du temps, ils laissent en se dsagrgeant des cavits profondes. Enfin, sur les pentes du Serbal, on a frquemment l'occasion d'entendre les sons pntrants qu'mettent les sables cristallins en mouvement Un couloir de la montagne, inclin dans la direction de l'ouest et large d'environ quinze mtres, est empli de dbris des parois de quartz: on nomme ce couloir le Djebel-Nakous (la monte des cloches), parce qu'on y entend, disent les Bdouins, le son des cloches d'un couvent fantme qui se promne dans l'intrieur du Serbal. Le voyageur peroit un son dlicieux, tantt faible, comme celui de fltes lointaines, tantt plus fort, comme celui d'un orgue rapproch; suivant l'ardeur du soleil, l'humidit de l'air et de la terre, la quantit de sable qui se dtache, la force de la brise qui prcipite ou ralentit les sons, la musique semble un soupir harmonieux ou comme la voix mugissante de la montagne. Telle est la rgion o, cach dans sa colonne de nue. Jhovah entranait son peuple. Il est vident que le spectacle des monts Sina est incomparable; mais il n'en est pas moins vrai aussi que l'admira ration de cette superbe nature, si agrable qu'elle pt tre aux Hbreux, ne leur mettait rien sous la dent. D'aprs l'Exode (Exode 16). ils en taient alors au quinzime jour du second mois de leur sortie d'Egypte: sans aucun doute, les provisions qu'ils avaient emportes devaient tre puises, et dans ce coquins de dsert il n'y avait pas un seul restaurant ni une seule brasserie. Nos trois millions d'migrants murmurrent contre Mose et Aaron. Et les enfants d'Isral leur dirent: Ahl que ne sommes-nous morts par la main du Seigneur au pays d'Egypte! Nous tions assis sur des marmites de viande, et nous mangions du pain tant que nous voulions. Mais vous, vous nous avez amens dans ce dsert, pour nous faire tous mourir de faim! (16:2-3). Et les Hbreux auraient fait un mauvais parti Mose, si papa Bon Dieu ne l'avait pas mis en mesure de satisfaire ces affams par des prodiges que Robert-Houdin lui-mme ne parvint jamais galer. Il y eut, dans ce dsert de Sin, pluie de cailles; oui, vous m'entendez bien, mesdames et messieurs, des cailles! (v. 13). Or, comme les Hbreux n'avaient probablement pas de fourneaux, on peut conclure que ces cailles leur arrivrent toutes rties. Et ce ne fut pas tout: Voici qu'il y eut au matin une couche de rose l'entour du camp; c'tait, dans le dsert, une petite chose ronde, menue comme de la gele blanche, sur la terre. Et Mose dit aux Hbreux: C'est l le pain que l'ternel vous donne manger. Et les Hbreux nommrent ce pain manne; et cette manne tait comme de la semence de coriandre, et elle avait le got des beignets au miel. (16:13-15, 31) Le mme chapitre nous apprend que le peuple de Dieu eut, chaque matin, sa provision de manne pour la journe, pendant les quarante ans que dura le voyage, et que tous s'en rgalaient, s'en lcher les doigts. La vnration que j'ai pour l'Esprit-Saint m'oblige ajouter que la manne se trouve encore non seulement dans la pninsule sinaque, mais en beaucoup d'autres endroits du globe, notamment en Calabre, en Perse, dans le voisinage de l'Ararat, etc.; la manne est assez recommande comme purgatif. Ainsi, papa Bon Dieu prenait grand soin de la sant des Isralites: tout en leur remplissant le ventre, il veillait ce qu'ils ne fussent pas constips. Quarante ans de purge quotidienne, voil qui est vraiment d'un bon pre! 89
Du dsert de Sin, les Hbreux passrent au dsert de Tyh, o se trouve Raphidim. L, Mose, assailli par ses compatriotes qui lui demandaient boire, gravit le mont Horeb et frappa un rocher d'un coup de baguette; une fontaine d'eau vive en jaillit; nos trois millions d'migrants se dsaltrrent; aprs quoi, ils dressrent leurs lentes dans la plaine. Une surprise dsagrable les attendait. Dans ces parages se trouvaient Amalec et son peuple, qui virent de mauvais il les descendants de Jacob. Il est bon de dire qu'Amalec tait le petit- fils d'Esa: d'Ada, sa premire femme, Esa avait eu pour fils an Eliphas, lequel, concubinant avec une certaine Timnah, eut Amalec, entre autres enfants. (Gense 36:12) Gomment cet Amalec vivait-il encore? Le pigeon a oubli de l'expliquer l'auteur sacr, et celui-ci n'a pas song s'en tonner. Le fait seul de cette existence est fort extraordinaire, pourtant: car, pour que les descendants des douze fils de Jacob aient pu devenir une population fournissant six cent mille comba ttants, la multiplication n'a pu s'oprer que par une succession de nombreuses gnrations, et d'ailleurs la Bible enseigne que quatre cent trente ans s'taient couls entre l'arrive de Jacob et ses fils en Egypte et l'exode de leur postrit. Amalec devait avoir, par consquent, quatre cents ans environ, lorsqu'il attaqua le campement de Raphid im. L'auteur sacr ne parat pas se douter de l'extrme vieillesse du chef des Amalc ites; il dit tout simplement, sans la moindre surprise: Alors Amalec vint et livra bataille aux Hbreux Raphidim. (Exode 17:8) Quoi qu'il en soit, cet Amalec tait sans aucun doute un terrible homme, attendu que nos juifs eurent une frousse carabine. Pour repousser l'assaut, Mose ordonna Josu, gnral en chef des migrants, de choisir ses meilleurs soldats; quant lui, il monta sur un coteau voisin, en compagnie d'Aaron et de Hur. Alors, tandis que les autres se battaient, Mose se tenait les bras en croix: tant qu'il pouvait demeurer dans cette position, les Hbreux avaient le dessus; mais, aussitt que, fatigu, il laissait retomber ses mains, les ennemis reprenaient l'avantage; finalement, n'en pouvant plus, il invita Aaron et Hur soutenir ses bras jusqu'au soleil couchant, et le rsultat fut que Josu, dans la plaine, infligea au duc Alamec une dfaite aussi complte que possible; les Amalcites furent tous passs au fil de l'pe (v. 9-13). Au chapitre 18, nous voyons le grand-prtre madianite Jthro rendre visite son gendre Mose pour le fliciter. Celui-ci raconta son beau-pre toutes les merveilles de la sortie d'Egypte; ce qui amena la conversion de Jthro. Je connais maintenant, s'cria-t-il, que Jhovah est grand pardessus tous les dieux. (v. 11) Et il offrit Jhovah un sacrifice. Avant de s'en retourner chez lui, Jthro donna quelques conseils son gendre, notamment celui de se dcharger d'une partie de ses fonctions sur des sous-chefs commandant les uns mille hommes, les autres cent hommes, etc. Mose trouva l'avis excellent, et une hirarchie fut aussitt institue. Ce fut cette poque que Mose, l'imitation des gyptiens et des autres peuples, tablit des prtres avec de nombreux privilges. La tribu de Lvi, laquelle il appartenait, devint la caste sacerdotale, et Aaron, son frre an, fut le premier grand-prtre de Jhovah. Le culte tait ds lors organis. Tout ceci se faisait par ordre mme de Jhovah, avec qui Mose entrait en conversation sur le mont Sina. Le gendre de Jthro se rendait seul au sommet de la montagne, et l papa Bon Dieu lui donna dix commandements qui devaient tre la loi religieuse du peuple hbreu. Pendant ce temps, le Sina tait environn de lueurs aussi clestes qu'effrayantes, et partout retentissait un fracas pouvantable, signes manifestes des grands vnements qui s'accomplissaient. Jhovah dicta aussi des lois civiles (ch. 19-31). Ces conversations entre Mose et le dieu des Juifs furent frquentes et durrent plusieurs jours. Et quand le Seigneur eut achev tous ses discours sur le mont Sina, il remit Mose deux tables de pierre, sur lesquelles, de son doigt divin, il avait cri t son tmoignage, en criture grave. (31:18) 90
Or, tandis que le Trs-Haut tait en confrence solennelle avec Mose, les Hbreux, oubliant compltement la collection varie de miracles accomplis en leur faveur, adoraient un veau d'or. Le plus curieux de l'histoire, c'est que ce veau d'or leur avait t fabriqu par Aaron lui- mme: Aaron avait demand tous les bijoux d'or des femmes et des filles de la nation; on ne dit pas quels fondeurs apportrent, dans ce dsert, leur concours au grand-prtre rengat. Cette fonte de la colossale idole, pour laquelle une bonne usine prendrait trois mois, fut excute en une nuit. On juge de la juste fureur de Mose, quand, descendant du Sina avec ses divines tables de pierre sous le bras, il aperut le veau d'or et les Juifs lui offrant des sacrifices, accompagns de danses et de chants joyeux, sous la direction d'Aaron. Il brisa les tables de marbre et fit dtruire l'idole. Sa faon de supprimer la statue sacrilge mrite les honneurs de la citation textuelle: Mose prit le veau d'or, le mit au feu et le moulut jusqu' ce qu'il ft en poudre; ensuite il rpandit cette poudre dans les eaux et il en fit boire aux enfants d'Isral. (32:20) On reconnatra qu'il n'est pas donn tout le monde de rduire de l'or en poudre, en le mettant au feu; c'est l une opration dont personne autre que l'tonnant Mose n'a connu le secret. En outre, la Bible vient de nous apprendre que la poudre d'or peut se boire en dissolution dans de l'eau; ceci n'est pas banal non plus, puisque l'or se dissout avec du soufre; mais alors on s'imagine aisment quel affreux breuvage les Isralites durent avaler. Mais le plus beau de tout, c'est que Mose donna l'absolution Aaron, fabricateur de l'idole, et qu'il ordonna aux lvites, qui taient avec son frre les plus coupables dans cette apostasie gnrale, de se rpandre dans le camp et de massacrer au hasard; vingt-trois mille Juifs furent ainsi gorgs par ceux-l mmes qui ve naient de prsider l'idoltrie. Jhovah, apais, fit construire Mose un tabernacle, c'est--dire une sorte de tente spciale, dresse hors du camp, pour lui viter l'ascension du Sina, quand ils auraient dsormais tailler ensemble une bavette. Voici comment les choses se passaient (c'est textuel): Aussitt que Mose tait entr dans le tabernacle, la colonne de nue descendait et s'arrtait la porte; c'est alors que l'Eternel parlait avec Mose, lit tout le peuple se levait et chacun se prosternait. Et l'ternel parlait Mose face face, comme un homme parle son intime ami. (33:9-11) Mais Mose, n'ayant pas suffisamment apprci la faveur exceptionnelle que papa Bon Dieu lui accordait en lui exhibant sa face, dont la contemplation est rserve aux a nges seuls, s'enhardit un jour et demanda Jhovah de se montrer lui dans toute sa gloire. Comment papa Bon Dieu accueillit-il cette demande? Les manuels d'histoire sainte omettent avec soin ce passage de la Bible. Ici encore, nous userons donc de la citation textuelle: Mose dit l'Eternel: Je t'en prie, Seigneur, fais-moi voir ta gloire. Et Dieu lui rpondit: Je ferai passer toute ma splendeur devant tes yeux; mais maintenant tu ne pourras plus voir ma face, car nul homme dsormais ne me verras sans mourir. Mais voici comment tu pourras voir ma gloire: tu te mettras sur le rocher qui est l, et ce rocher a une fente dans laquelle tu plongeras ta tte; alors, ma gloire passera de l'autre ct du rocher. Je couvrirai d'abord tes yeux avec ma main, jusqu' ce que ma gloire soit dans tout son clat; ensuite, je retirerai ma main, et tu verras mon derrire; mais ma face, tu ne la verras point. (Exode 33:18-23) Les tables de la Loi ayant t brises, papa Bon Dieu voulut bien graver de nouveau son dcalogue. Toutefois, sans que l'on sache pourquoi, la seconde dition ne se fit pas dans le tabernacle; il faut donc croire que ce travail ne pouvait s'oprer que sur le Sina, o Mose dut retourner; il y demeura quarante jours et quarante nuits sans boire ni manger. Or, lorsque Mose descendit de la montagne, il ne s'aperut point que son front avait deux cornes de rayons; mais Aaron et tous les Isralites le virent, et ils craignirent d'approcher de lui. (34:29-30) Il en advint de m me lorsque Mose sortait du tabernacle; telle est la raison pour laquelle on le reprsente toujours, sur les images, avec deux jets de rayons, semblables des cornes. 91
L'Exode se termine par six chapitres (35-40), dont il suffira de citer les sommaires: Loi du sabbat. Des offrandes pour le tabernacle. Libralit du peuple dans les offrandes. Le tabernacle. L'arche. Le propitiatoire. La table des pains de propositio n. Le chandelier. L'autel des parfums. L'huile sainte et le parfum. Diverses pices du tabernacle. Description des vtements sacrs. Le tabernacle dress et sanctifi. Tous les menus dtails, rgls par Jhovah parlant Mose, n'offrent plus aujourd'hui aucun intrt. Il en est de mme du Lvitique, en vingt-sept chapitres, troisime livre de la Bible. En fait d'pisodes, ce livre ne contient que la description de la conscration d'Aaron et do ses fils (ch. 8) et l'histoire lamentable de Nadab et Abihu, qui, ayant allum leur encensoir avec le premier feu venu, furent brls tout vifs par des flammes que Jhovah fit sortir soudain devant lui dans le sanctuaire (ch. 10). Le Lvitique est, en ralit, une longue et fastidieuse numration des diverses catgories de sacrifices et des crmonies dont ils doivent tre accompagns. L'auteur sacr y formule les lois sur le sacerdoce, sur les holocaustes, sur les animaux purs et impurs, sur les souillures de diverses sortes, en particulier sur la lpre et les lpreux, sur la saintet des prtres, sur les ftes, sur l'offrande des gteaux et des premiers fruits, sur les lampes du sanctuaire, sur diverses puri fications, notamment celle des femmes accouches, sur le blasphme, la peine de mort, l'anne du jubil, le rachat des vux, etc. Un passage important ne contient gure que des ordonnances sur les devoirs de la vie civile. C'est un amas incohrent de prescriptions des plus bizarres, dont on ne peut entreprendre la lecture sans biller se dcrocher la mchoire. C'est l-dedans que le livre, dclar animal impur, est qualifi, ainsi que le lapin, de ruminant (11:5-6); l'auteur sacr a pris le mouvement de leurs lvres pour l'action de ruminer. Il voue l'abomination toute bte qui vole et qui a quatre pieds (v. 23); il est dfendu de manger de ces btes-l sous aucun prtexte; je crois bien! pour manger des oiseaux quatre pattes, il faudrait se nourrir de toile et de pierre, attendu que de tels monstres n'existent que dans les tableaux et les sculptures de haute fantaisie. La sauterelle est dclare impure; ce qui n'empcha pas saint Jean-Baptiste d'en faire sa nourriture, au temps o il annonait le Messie. Dans le Lvitique, les maladies vnriennes sont tudies au point de vue religieux, et sur ce sujet l'auteur sacr, devenu tout--fait dgotant, est intarissable. Un certain nombre de ces saintes cochonneries sont, en outre, des plus grotesques, comme celle-ci: Si un homme ayant un coulement crache sur une personne saine, celle-ci sera rpute impure jusqu'au coucher du soleil (15:8); mais le monsieur afflig de l'coulement en question peut se purifier religieusement. Vous croyez peut-tre que la Bible va lui prescrire quelque copahu? Non, vous n'y tes pas! L'homme qui a un coulement comptera sept jours pour sa purification; il lavera ses vtements et aussi sa chair avec de l'eau vive. Et, au huitime jour, il prendra deux tourterelles ou bien deux pigeonneaux; il viendra au sanctuaire, et il les donnera au prtre. (15:13-14) Plusieurs dfenses sont excellentes. On doit en toute justice, reconnatre que le lgislateur ne fait aucune difficult pour constater que les murs des descendants de Jacob taient alors pouvantables; la copulation avec des btes est fltrie comme un pch qui ne doit plus se renouveler en Isral. La menace de la peine capitale est ritre satit contre toutes les formes du dvergondage dans le chapitre 20, au point que Jhovah (car c'est lui qui parle) en arrive dire: Quand un homme aura couch avec une femme ayant ses rgles, ils seront tous deux retranchs du milieu de mon peuple. (v. 18) Voici enfin quelques recommandations, qui donneront une ide du style dans lequel est rdig ce sublime Lvitique; on ne saurait lire ceci avec trop de respect, puique c'est Dieu lui-mme qui tient ce langage: Nul ne s'approchera de celle qui est sa proche parente, pour dcouvrir sa nudit. Je suis l'Eternel! Tu ne dcouvriras point la nudit de ton pre, ni la nudit de ta mre; puisque cette femme est ta mre, respecte sa nudit. Tu ne dcouvriras point la 92
nudit de la femme de ton pr e; car cette nudit appartient ton pre. Tu ne dcouvriras point la nudit de ta sur, fille de ton pre ou fille de ta mre, ne dans la maison ou hors de la maison; non, tu ne dcouvriras point leur nudit. Pour ce qui est de la nudit de la fille de ton fils ou de la fille de ta fille, quoique cette nudit t'appartienne, tu ne la dcouvriras point. Tu ne dcouvriras point la nudit de la fille de la femme de ton pre, ne de ton pre; c'est ta sur. Tu ne dcouvriras point la nudit de la sur de ton pre; elle est proche parente de ton pre. Tu ne dcouvriras point la nudit de la sur de ta mre; elle est proche parente de ta mre. Tu ne t'approcheras point de la femme du frre de ton pre pour dcouvrir sa nudit; cette femme est ta tante. Tu ne dcouvriras point la nudit de ta belle- fille; car cette nudit appartient, non toi, mais ton fils. Tu ne dcouvriras point la nudit de ta belle-sur; car cette nudit appartient ton frre. Tu ne dcouvriras point tout ensemble la nudit d'une femme et la nudit de sa fille; car, si tu couches avec la mre, la fille devient ta proche parente. Et si la femme avec qui tu couches est vieille, tu n'attireras pas toi la fille de son fils ou la tille de sa fille, pour dcouvrir leur nudit; car elles aussi sont tes proches parentes. Tu ne prendras pas non plus une femme avec sa sur, pour coucher avec toutes deux; car, en dcouvrant la nudit de l'une devant l'autre, tu l'affligerais pendant sa vie. (18:6-18) Le livre des Nombres est nomm ainsi parce que les quatre premiers chapitres comprennent le dnombrement des Hbreux dans le dsert, au second mois de la seconde anne du voyage. Pour la tribu de Lvi, le recensement porta sur tous les mles depuis l'ge d'un mois, et ils sont compts pour 22,000; mais ceux d'entre eux qui furent chargs du service du tabernacle taient les lvites gs de trente cinquante ans; ils figurent pour 8,580. Quant aux autres tribus, Mose ne fit entrer dans sa statistique que les mles gs de vingt ans et au-dessus, en tat de porter les armes: tribu de Ruben, 46,500; de Simon, 59,300; de Gad, 45,650; de Juda, 74,600, d'Issacar, 54,400; de Zabulon, 57,400; d'Ephram, 40,500; de Manass, 32,200; de Benjamin, 35,400; de Dan, 62,700; d'Azer, 41,500; de Nephtali, 53,400; soit, au total, 603,550 combattants. Dans leur ensemble, les trente-deux autres chapitres du livre donnent la suite du voyage des Juifs. Cependant, on y trouve encore des rglements, aussi minutieux que monotones; la moiti du chapitre 8 est consacre la manire d'allumer les lampes! C'est dans les Nombres que l'on trouve une recette recommander aux maris jaloux qui se jugent cocus, quoique n'ayant pas pu pincer leur lemme en flagrant dlit. Jhovah, parlant encore Mose, lui dit: Lorsqu'une femme mprisant son mari aura couch avec un autre, et que son mari n'aura pu la surprendre, et que des tmoins ne pourront la convaincre d'adultre, on mnera devant le prtre la femme ainsi souponne, et le mari fera d'abord au prtre l'offrande d'un gteau confectionn avec de la bonne farine d'orge. Alors, le prtre prendra de l'eau sacre, qu'il mettra dans un vase de terre, et il y m lera un peu de poussire prise sur le so l du tabernacle. Puis, il adjurera la femme, en lui disant: Si tu n'as couch avec personne autre que ton mari, cette eau que tu vas boire ne te fera aucun mal; mais, si tu t'es dbauche, que le mal dont tu vas tre frappe serve d'exemple au peuple. Et le prtre fera jurer la femme par un serment d'imprcation; il lui dira le mal qui la menace, si elle est coupable, et elle rpondra: Amen. Et aprs qu'il lui aura fait boire l'eau, s'il est vrai qu'elle se soit pollue en perfidie contre son mari, cette eau, tant pleine de maldiction, sera a mre pour elle; aussitt son ventre enflera et la chair d'une de ses cuisses tournera en pourriture; ainsi elle recevra son chtiment, au milieu du peuple. Au contraire, si elle est reste fidle son mari, l'eau de jalousie ne lui causera aucun mal, et la suite de cette preuve elle aura des enfants. (ch. 5) Enfin, aprs le recensement et la dicte de divers rglements, on se remit en marche; sur l'ordre de Jhovah, Mose avait fait fabriquer deux trompettes d'argent pour donner le signal du dpart. Dans cette nouvelle priode du voyage, les Hbreux, trouvant la manne insuffisante pour leur nourriture, murmurrent et rclamrent de la viande. Tiens! mais au fait, le divin pigeon ne nous avait-il pas dit, dans l'Exode (12:38), que nos migrants, en quittant l'Egypte, 93
emmenrent un nombre prodigieux de bufs et d'innombrables troupeaux? En plusieurs circonstances, papa Bon Dieu s'tait fait sacrifier les premiers-ns des brebis, alors qu'on s'arrta toute une anne au minimum dans la rgion du Sina; en outre, au moment de leur apostasie, Aaron et les lvites offrirent des holocaustes au veau d'or. Alors, disparus tout-- coup, les innombrables troupeaux?... Il faut avouer que c'est n'y rien comprendre: quand l'Esprit-Saint raconte les sacrifices offerts dans le dsert, le peuple hbreu a tout son btail emmen d'Egypte; mais, lorsque son rcit passe d'autres faits, voil ce mme peuple qui est reprsent comme rduit se nourrir de manne. Nous n'insinuerons pas que le divin pigeon se contredit; ce serait un blasphme: nous sommes donc obligs de conclure que les troupeaux innombrables avaient t boulotts par Jhovah, sous forme d'holocaustes, et que l'Esprit-Saint a oubli de le dire expressment. Quoi qu'il en soit, puisque les Hbreux, leur dpart de la rgion du Sina, demandaient de la viande cor et cris, c'est qu'ils n'avaient plus un buf, plus une brebis, plus un mouton, plus un agneau. Mose fit part Jhovah de ces rclamations. Alors, l'ternel suscita un grand vent, qui, soufflant d'au-del de la Mer Rouge, apporta des cailles et les rpandit en si abondante quantit dans le camp et tout autour, qu'il y en avait presque la hauteur de deux coudes sur la terre. (Nombres 11:31) Papa Bon Dieu devait bien a son peuple, qui lui avait sacrifi ses innombrables troupeaux. On pense si les Hbreux furent joyeux et firent bombance! Mais, lorsque la chair des cailles tait encore entre leurs dents, avant qu'ils l'eurent mche, la colre de l'Eternel s'embrasa contre le peuple et le frappa d'une horrible plaie. Et on nomma ce lieu-l Kibroth-Taava, c'est--dire spulcre des gourmands; car on y ensevelit des milliers de ceux qui avaient voulu manger de la viande (11:33-34). patant de maboulisme, dcidment, le seigneur Jhovah!... Or, Aaron et Marie n'avaient pas approuv que leur frre Mose se marit avec une thiopienne. Un jour qu'on se trouvait Hazeroth, o le peuple hbreu s'tait rendu en quittant Kibroth-Taava, ils changrent entre eux deux des observations dsobligeantes sur le compte de leur belle-sur Sphora; mais ils furent aussitt vertement rprimands par papa Bon Dieu, leur parlant dans sa colonne de nue, sans se faire voir. En outre, Marie eut une punition svre: quand l'Eternel eut termin sa semonce, la sur de Mose se trouva toute couverte de lpre; toutefois, sur les instances de Mose, papa Bon Dieu consentit ne faire durer cette maladie que sept jours (ch. 12). Au dpart d'Hazeroth, on prit la direction du nord. La rgion dans laquelle nos migrants s'engagrent est nomme dans la Bible dsert de Paran ; c'est la partie est de la pninsule du Sina, comprise entre l'extrmit de la chane de Djebel-et-Tyh et les montagnes d'El- Samghi et d'El-Chafa; l coule la rivire d'An, qui se jette dans le golfe d'Akabah. L'auteur sacr place dans celte rgion un nouveau pays de Madian. Mose ordonna une halte et envoya en reconnaissance douze espions, un de chaque tribu; ces claireurs allrent jusqu' Hbron, l'ouest de la Mer Morte, en plein pays de Canaan, occup alors par les Amorrhens. Ils revinrent au bout de quarante jours et firent leur rapport: ils rapportaient avec eux, l'appui de leurs dires, des fruits magnifiques, tels que des grenades, des figues, du raisin; une grappe de raisin tait si grosse qu'il fallait plusieurs hommes pour la porter. C'tait la preuve incontestable de la fertilit du territoire dont nos migrants mditaient de s'emparer. D'autre part, le rapport des espions fut comme une douche d'eau glace qui refroidit instantanment leurs convoitises. Nulle part nous n'avons jamais vu d'aussi beaux fruits, dirent les espions; mais les habitants du pays sont des gaillards des plus robustes, et ils ont des villes fermes par de solides murailles. Nous avons mme vu l des descendants de Hanak, c'est--dire des gants, devant qui nous ne paraissons que comme des sauterelles. La conclusion de dix espions sur les douze fut qu'il ne serait pas bon de se frotter ces bonshommes-l, et le peuple abonda dans leur sens. Seuls, Josu et Caleb estimrent que le 94
pays qu'ils venaient de voir tait trop beau pour ne pas essayer de le conqurir; en deux mots, ils dirent, carrment que le jeu en valait la chandelle et qu'il fallait tenter le coup. Mais, leur enthousiasme n'tant pas partag par leurs compatriotes, papa Bon Dieu dclara au peuple hbreu que, puisqu'il en tait ainsi, ils mourraient tous avant d'arriver au but de leur voyage, l'exception de Josu et de Caleb. Quelques jours aprs, des Amalciles et des Cananens parurent et flanqurent aux Juifs une racle des mieux conditionnes. (ch. 13, 14) Parmi les incidents rapports par le livre des Nombres, se trouve la conspiration de Cor, Dathan et Abiron, qui, avec deux cent cinquante camarades, taient d'avis que Mose et Aaron avaient tort de se placer au-dessus de tous les autres lvites. Ces trois personnages furent engloutis tout--coup, la terre s'tant entr'ouverte sous leurs pas; ils disparurent, ainsi que leurs familles; et les deux cent cinquante juifs de leur parti furent instantanment dvors par des flammes miraculeuses qui sortirent du sol sous leurs pas. Au surplus, l'Eternel, afin de mieux frapper les esprits du peuple, infligea une plaie quatorze mille sept cents migrants qui n'taient pas entrs dans le complot; ces malheureux en moururent, et les lvites brlrent des parfums (ch. 16). Aprs quoi, sur l'ordre de Jhovah, Mose invita les chefs des tribus lui apporter une verge de bois sec, semblable la verge qu'Aaron portait toujours avec lui; sur chaque verge on crivit le nom d'une tribu; puis, on les dposa ensemble dans le tabernacle, et ces douze verges on en mla une treizime, offerte par la tribu de Lvi et sur laquelle le nom d'Aaron fut inscrit. Le lendemain, la grande surprise de tous, tandis que les verges des douze autres tribus n'avaient pas chang d'aspect, celle de la tribu de Lvi avait fleuri; elle tait pleine de fleurs, et mme des amandes toutes mres y avaient pouss. Ce miracle indiquait clairement que l'Eternel confirmait Aaron dans son sacerdoce; le peuple se dclara convaincu et promit de ne plus jalouser les lvites (ch. 17). Puisque ce miracle devait suffire, pourquoi Dieu avait- il fait mourir, d'une horrible plaie, quatorze mille sept cents hommes, innocents de tout complot? On n'a pas oubli que les Hbreux n'avaient plus aucune viande; mais voici que Jhovah dsira un nouveau sacrifice. Il avait envie qu'on lui offrt en holocauste une jeune vache rousse, sans aucun dfaut et n'ayant jamais port le joug. Ce dsir tait peine exprim, que nos migrants choisirent, parmi leurs troupeaux, ils en avaient donc tout--coup? la plus belle vache rousse, runissant les conditions requises, et l'amenrent au sacrificateur Elazar (ch. 19). Au chapitre 20, les voyageurs sont arrivs au pied du Djebel-Halal. On s'arrte Kads; Marie y meurt, et on l'enterre. L'eau manquait en cet endroit. Nouveaux murmures du peuple; nouveau rocher frapp d'un coup de verge par Mose; nouveau miracle. Alors, des eaux sortirent du rocher en abondance, et les Hbreux s'abreuvrent, et leurs btes aussi (v. 11). Pas d'erreur, n'est-ce pas? nos migrants avaient maintenant leurs troupeaux. Comme ils voulaient continuer leur route vers le nord, en passant par le pays des Idumens, ils entrrent en pourparlers avec le roi d'Edom; mais celui-ci refusa de leur laisser traverser son territoire, et ils durent faire un dtour. Tandis qu'ayant pris droite ils longeaient le versant oriental de la chane des monts Ser, papa Bon Dieu dit Mose de grimper avec Aaron et son fils Elazar sur le mont Hr: une fois au sommet de la montagne, Mose, se conformant aux prescriptions divines, dpouilla Aaron de ses vtements, en habilla Elazar, et aussitt Aaron mourut. Il tait g de cent vingt-trois ans. De nos jours, les musulmans montrent aux touristes le tombeau d'Aaron, au sommet de l'Hr, 1,329 mtres d'altitude; le monument est en ralit un sanctuaire mahomtan; quant au tombeau lui-mme, c'est un sarcophage absolument moderne. En cette contre cananenne, rgnait un certain roi d'Arad, qui, aussitt qu'il apprit la venue des Isralites, partit en campagne, battit leur arme si nombreuse et leur fit des prison niers. Profondment navr, le peuple juif adressa Jhovah une prire: Seigneur, s'crirent les 95
Hbreux, si tu nous donnes la victoire sur cette nation, nous faisons vu de dtruire ses villes! Et Dieu exaua son peuple. A une seconde rencontre, les migrants furent vainqueurs des Cananens, les exterminrent et accomplirent leur uvre de destruction des cits du royaume d'Arad. L-dessus, au lieu installer dans le pays, ils rebroussrent chemin et se mirent, on ne sait pourquoi, redescendre vers la Mer Rouge. L'auteur sacr n'explique en aucune faon cette trange marche. Tandis que les voyageurs taient retourns au dsert, papa Bon Dieu, en guise de distraction, leur envoya des serpents brlants, qui mordirent tellement le peuple, qu'il en mourut un grand nombre de ceux d'Isral . Mose, alors, fabriqua un serpent d'airain et le plaa au haut d'une perche; et quiconque avait t mordu par un des serpents brlants n'avait qu' regarder le serpent d'airain pour tre guri. (21:6-9) Aprs s'tre promens par monts et par vaux, les Hbreux revinrent au nord vers les Amorrhens, gouverns par le roi Sihon, qui ils infligrent une sanglante dfaite; cette nation fut entirement passe au fil de l'pe. Puis, Og, roi de Bassan, fut vaincu son tour et gorg, ainsi que tous ses sujets; le peuple de Dieu se mit en possession de ce nouveau territoire. Les migrants d'Egypte taient alors parvenus en un endroit que la Bible appelle Hij-Habarim, peu de distance de l'extrmit sud de la Mer Morte; ils eurent traverser une petite chane de montagnes qui sert de frontire la contre occupe par les descendants de ce Moab, jadis engendr par le patriarche Loth pousant sa fille ane dans une nuit de soulographie; or, la contre des Moabites tait borne l'est par le pays de Madian (c'est le troisime!), et Madianites et Moabiles vivaient en excellents voisins. On se demande pourquoi Mose conduisit les Hbreux dans cette rgion; car, enfin, quel tait le but du voyage? S'il faut en croire l'Exode, le prophte aux cornes rayonnantes trimbalait avec lui la momie de Joseph, destine une inhumation dfinitive dans la fameuse caverne de Macpla, c'est--dire Hbron, au territoire de Canaan, l'ouest de la Mer Morte. Eh bien, la route tait libre de ce ct-l, puisque les Amorrhens, ayant eu la mauvaise ide de sortir de leur royaume pour s'opposer l'invasion juive, venaient d'tre tous extermins; il ne restait donc plus qu' s'installer l, c'tait une partie de la Terre Promise. Au contraire, c'est l'est de la Mer Morte, hors du pays de Canaan, que Mose emmne ses compatriotes. Comprenne qui pourra! Quoi qu'il en soit, le roi des Moabites, nomm Balak, apprenant la marche des Hbreux vers sa capitale, s'empressa de tenir conseil avec ses ministres et avec les plus sages magistrats des Madianites, ses allis. Voici quelle rsolution fut adopte: il y avait en ce temps-l, dans la ville de Pthor, un certain Balaam, fils de Bhor, dont le mtier tait de dire la bonne aventure et de conjurer les mauvais sorts; on dcida d'envoyer une dlgation auprs de Balaam, pour obtenir une de ses meilleures bndictions en faveur des Moabites et des Madianites, tandis qu'il formulerait une maldiction bien sentie contre les Hbreux. Balaam commena par refuser d'aller bnir le roi Balak, son peuple et ses allis. Cependant, ayant cru comprendre la fin que l'Eternel l'autorisait se rendre aux dsirs du monarque, il se mit en route avec la dputation qui tait venue le chercher. Il cheminait donc, juch sur son nesse, quand tout-- coup celle-ci aperut un ange, arm d'une pe, qui lui barrait la route. L'nesse, alors, de filer dans un champ, pour viter l'ange. Et Balaam frappa sa monture, pour la faire retourner dans le chemin. Mais l'ange s'arrta dans un sentier de vignes, qui avait une cloison de, et une del. Et l'nesse, ayant vu encore l'ange, se serra contre la muraille, et, en se serrant, elle froissa le pied de Balaam qui continuait la battre. Et l'ange passa plus avant encore et s'arrta dans ce lieu troit o il n'y avait pas moyen de se dtourner, ni droite, ni gauche. L'nesse, voyant toujours l'ange, s'abattit sous Balaam, et celui-ci en colre la frappa plus fort que jamais avec son bton. Alors, le Seigneur ouvrit la bouche de l'nesse, qui dit Balaam: Que t'ai-je fait? pourquoi m'as-tu frappe trois foi s? Balaam lui rpondit: C'est parce que tu l'as mrit; tu m'as cras le pied. Que n'ai-je une pe en main! Je te tuerais maintenant. L'nesse rpliqua: Ne suis-je pas ton nesse, que tu as toujours monte jusqu' aujourd'hui? Dis-moi si 96
j'ai coutume de faire ainsi? Non, dit Balaam. Alors l'Eternel ouvrit les yeux de Balaam, et il vit, devant lui dans le chemin, l'ange qui tenait son sabre, hors du fourreau; et Balaam se prosterna, la face contre terre. L'ange dit Balaam: Je suis sorti pour m'opposer toi; car tu tiens un mauvais chemin; et si ton nesse ne s'tait pas dtourne de moi, je t'aurais tu; mais elle, je l'aurais laisse en vie. Balaam rpondit l'ange: S'il ne te plat pas que je m'en aille l- bas, je m'en retournerai. L'ange lui dit: Non, tu peux poursuivre ta route; va avec ces hommes; mais Lu ne prononceras que les paroles que Jhovah dira par ta bouche. Balaam donc s'en alla avec les seigneurs qui avaient t envoys par Balak. (22:23-35) La conclusion fut que le peuple isralite fut trois fois bni par la bouche de Balaam, la grande fureur du roi des Moabites qui s'cria: Je t'avais fait appeler pour maudire mes ennemis, et lu les as bnis! Retourne donc dans ton pays. J'avais rsolu de te combler d'honneurs et de prsents; c'est pourquoi tu peux te dire que c'est le dieu Jhovah qui t'en a priv. (24:10-11) Nous allons voir bientt comment les Hbreux rcompensrent Balaam de ses bndictions. Tout d'abord, le roi Balak rentra sa colre, et le chapitre 25 nous montre les descendants de Jacob bien tranquillement installs parmi les Moabites et les Madianites. Cette arme de six cent mille combattants juifs, qui tait prte massacrer les sujets et les allis de Balak, ne pense plus aux batailles; sans trve, sans le moindre prliminaire, la paix est faite; le peuple hbreu se mle familirement au peuple madianite et moabite. Alors Isral demeurait Sittim, et le peuple de Dieu commena coucher avec les filles de Moab. Ces femmes convirent les Hbreux aux sacrifices de leurs dieux; ils adorrent les mmes dieux, Isral embrassa le culte de Belphgor. (25:1-3) Cela ne faisait pas l'affaire des lvites, lchs pour leurs concurrents, les prtres idoltres. Aussi Phines, fils du grand-prtre lazar, ayant vu un jour un juif nomm Zi mri entrer dans la maison de la belle Cozbi, madianite, s'y prcipita au moment o ils taient en train de forniquer et les transpera du mme coup avec une longue javeline. Peu auparavant, Jhovah avait envoy une plaie son peuple pour le punir; vingt-quatre mille hommes taient dj morts de cette plaie. Le coup de javeline de Phines causa donc une grande joie papa Bon Dieu, qui instantanment arrta la maladie (v. 6-9). Toutefois, le seigneur Jhovah ordonna Mose de prparer une extermination gnrale des Moabites et des Madianites. Avant de mettre ce beau projet excution, Mose fit procder un nouveau recensement; car il y avait alors trente-huit ans qu'on avait quitt le pays du Sina et qu'on tait parti de Kibroth- Thaava et d'Hazeroth. Pendant ces trente-huit annes, le peuple de Dieu s'tait renouvel, puisque Jhovah avait eu soin d'avertir les migrants qu'aucun de ceux qui taient prsents au dpart d'Egypte n'entrerait dans la Terre Promise, la seule exception de Josu et Caleb. Malgr les pertes de vingt-trois mille hommes gorgs pour l'affaire du veau d'or, de quatorze mille morts d'une plaie pour l'incident Cor-Dathan-Abiron et de vingt-quatre mille morts galement d'une plaie mal dfinie en punition de la fornication avec les filles moabites et madianites, sans compter les milliers enterrs au spulcre des gourmands ou tus par les serpents brlants, la statistique de Mose accusa un total de six cent un mille sept cent trente hommes en tat de porter les armes, non compris les lvites, au nombre de vingt-trois mille (ch. 26). Maintenant, si l'on veut examiner ce chemin parcouru en trente-huit ans, on constate une fois de plus quel point le divin pigeon se fiche des croyants dvots. En effet, rien n'est plus facile que de suivre les Isralites dans leur prtendu voyage, en s'aidant soit d'un guide l'usage des touristes, par exemple, le Baedeker, Manuel du Voyageur en Palestine et en Syrie, soit des ouvrages des savants, tels que Salomon Munck, Dclaborde, Burckhardt, de Raumer, Berton, etc., qui sont alls sur les lieux mmes relever les principaux points du clbre itinraire; car la superstition a maintenu dans le pays une lgende adopte par les Arabes aussi bien que par les Juifs, attendu que Mose figure au nombre des prophtes reconnus par l'Islamisme, et le fanatisme musulman ne le cde en rien celui des autres religions qui ont la 97
Bible pour livre sacr. Les cartes d'Elise Reclus et celles de Keppert et Lionnet (Bibel-Atlas) sont galement une prcieuse ressource pour qui veut se rendre compte des blagues de l'Esprit-Saint. Ainsi, nous allons refaire, par curiosit, un itinraire moderne depuis Hazeroth, point de dpart de la rgion du mont Sina, jusqu'au mont Nbo, o mourut Mose en vue de la Terre Promise, en passant par le mont Hr, o mourut Aaron, et par le pays des Moabites. Hazeroth (aujourd'hui An-el-Hahdrah) est situ dans la pninsule sinaque, peu de distance de la cte occidentale du golfe d'Akabah, nomm mer d'Elath dans l'antiquit. Elath est au fond du golfe; ses ruines se voient auprs d'Akabah; c'est l que commence la longue valle de la Arab, qui s'tend jusqu'au Djebel-Ousdoum, l'extrmit sud-ouest de la Mer Morte. D'Hazeroth Elath, il y a 148 kilomtres. En marchant sans se presser, raison de 8 kilomtres par jour seulement (deux heures de marche et vingt-deux heures de repos!), cela fait une premire traite de seize jours. Le voyage d'Akabah au mont Hr se fait assez frquemment de nos jours; car, auprs de cette montagne o est le tombeau d'Aaron, gard par les musulmans, se trouvent les intressantes ruines de Ptra, l'anciennes ela des Hbreux, ville de commerce qui fut jadis trs prospre. Il y a 81 kilomtres d 'Akabah Ptra, qui est 3 heures du mont Hr. Le guide Baedeker (page 152) dit que ce trajet se fait en quatre jours et donne en dtail les tapes. Soyons large, et disons: huit jours. Pour suivre les Isralites dans leur marche, il faut aller maintenant du mont Hr El-Krac, l'ancienne Kir-Moab, une des principales villes des Moabites; environ 100 kilomtres, dont Baedeker donne le dtail des tapes (route 13, page 154), en assignant 28 heures ce trajet qui se fait trs commodment cheval. Mettons douze jours. Enfin, pour se rendre au mont Nbo, il faut prendre la route d'El-Krac Madba, par Dib n (autrefois Dibon, ville conquise par les Hbreux (Nombres 21:30). Madba est l'ancienne Medba, ville moabite l'origine (Josu 13:9), qui appartint ensuite la tribu de Ruben. D'El-Krnc Dibn, il y a 35 kilomtres; de Dibn Madba, 23 kilomtres. Cette traite demande environ 26 heures, d'aprs le guide Baedeker (route 17, pages 192-193). Mais ne lsinons pas, et accordons sept jours, y compris l'excursion au mont Nbo. C'est dans les montagnes au nord-ouest de Madba que se trouve le Nbo, d'o Mose contempla avant sa mort toute la Terre Promise; on y arrive par des champs cultivs en 1 heure et demie environ. Par consquent, du dpart du Sina jusqu'au Nbo, le voyage pied reprsente au total quarante-trois jours, avec deux heures de marche quotidienne seulement. Le dtour, pour viter le territoire des Idumens, donne un cart de 120 kilomtres peine. Cela ne ressemble gure aux trente -huit annes que compte la Bible! Avant d'entraner les Isralites dans la direction du mont Nbo, Mose, sur l'ordre de Jhovah, se proccupa de massacrer les populations qui leur avaient donn une fraternelle hospitalit, mais qui avaient eu le tort crime irrmissible! de les associer leurs gnuflexions devant d'autres dieux. Ur choix fut fait de mille hommes par tribu, en tout douze mille vengeurs de Sabaoth. (Nombres 31) Les Madianites, surtout, coprent; tous les mles de cette nation furent gorgs, y compris leurs rois, au nombre de cinq Evi, Rkem, Tsur, Hur et Rba h. Les Hbreux passrent aussi au fil de l'pe Balaam, fils de Bhor , cet excellent prophte qui les avait bnis (v. 8); et les enfants d'Isral prirent les femmes des Madianites, leurs petits enfants, leurs troupeaux, tous leurs meubles, et ils pillrent tout, et ils brlrent villes, villages, chteaux (31:9-10). Or, Mose trouva ce massacre encore insuffisant. Il entra en colre contre les capitaines de l'arme, et il leur dit: Pourquoi avez-vous pargn les femmes?... Tuez donc maintenant tous les petits enfants mles, gorgez toutes les femmes qui ont connu le cot (sic); mais rservez-vous toutes les filles vierges (31:14-15, 17-18). On fit le compte du butin: il se trouva que ce qui avait t pill se composait de 675,000 brebis, 72,000 bufs, 61,000 nes et' 32,000 pucelles (v. 32-35). Une partie de ce butin fut rserve pour Jhovah; trente-deux jeunes vierges madianites lui furent attribues (v. 40). 98
Rien d'intressant n'est relever dans les autres chapitres du livre des Nombres; ce sont des rglements sur les hritages, des ordonnances touchant les sacrifices pour les ftes des trompettes, de l'expiation et des tabernacles, des rcapitulations de campements, c'est--dire des redites, et des prescriptions relatives au futur partage de la Terre Promise, c'est--dire des numrations que le livre de Josu reproduira avec des dtails encore plus fastidieux. Le Deutrono me, cinquime et dernier livre du Pentateuque, offre encore moins d'intrt que le Lvitique et les Nombres. C'est, sous forme de discours, la rptition des diverses lois prcdemment promulgues. Dans un premier discours, qui tient quatre chapitres, Mose rsume ce qui s'est pass depuis la sortie d'gypte et rappelle aux Hbreux de quelle avalanche de bienfaits ils ont t accabls par Jhovah. Dans un second discours, celui-ci en vingt-et-un chapitres, il expose de nouveau tout ce qui constitue pour le peuple juif son code civil et religieux. Puis, viennent un certain nombre d'exhortations relatives l'observation de la loi: les Isralites seront bnis et leurs affaires prospreront, s'ils accomplissent les commandements de Jhovah; au contraire, s'ils les transgressent, les maldictions pleuvront sur leurs ttes, avec accompagnement de chtiments aussi nombreux que varis. L'auteur sacr ayant bien soin de nous dire que lorsque, lui, Mose, pronona ces discours, c'tait l'Eternel mme qui parlait par sa bouche, il n'est pas inutile de faire ressortir quelques perles de cette divine loquence. Voici la quarantime anne que vous tes en chemin, et cependant les vtements dont vous tiez couverts ne se sont point uss sur vous, ni vos souliers vos pieds. (Deutronome 8:4) Voil, certes, un miracle qui est aussi miracle que tous les autres, et qui ne manque pas de gat. D'aprs les deux dnombrements que l'on connat, il y a eu en chiffres ronds six cent mille hommes d'armes dans cette population migrante, tant au sortir de l'gypte qu' l'arrive au pays de Moab, et l'on sait aussi que les arrivants n'taient plus les mmes que les partants. Tous les thologiens sont d'accord pour reconnatre que ce nombre d'hommes d'armes suppose au dpart, pour le total du peuple hbreu, trois millions d'individus, vieillards, femmes, jeunes filles, jeunes garons et familles de lvites. Donc, puisque trois millions de personnes ont trouv la mort dans le dsert dans l'espace de ces quarante annes, il y a eu trois millions de vestes et de robes et trois millions de paires de souliers qu'on s'est transmis des uns aux autres. Mais, puisque le dernier recensement a accus un chiffre de six cent un mille sept cent trente combattants, sans compter vingt-trois mille lvites, si l'on suppose que chaque combattant et chaque lvite avaient une femme, que chaque mnage de ces juifs si prolifiques et en moyenne trois enfants (c'est modeste!), que la moiti seulement des couples eussent avec eux leurs pres et mres, cela ferait quatre millions trois cent soixante-treize mille cent dix personnes chausser et vtir. Ce calcul ne fait que mieux saillir la grandeur du miracle; car il a fallu ainsi que papa Bon Dieu donnt dans le dsert son peuple un million trois cent soixante-treize mille cent dix paires de souliers de plus, sans parler des tuniques! D'ailleurs, saint Justin, dans son dialogue avec Tryphon, soutient que non seulement les habits des Hbreux ne s'usrent point dans leur marche de quarante annes au soleil et la pluie, et en couchant sur la dure, mais que ceux des enfants croissaient avec eux et s'largissaient merveilleusement au fur et mesure qu'ils avanaient en ge. Et saint Jrme ajoute dans une ptre (la 38) ces propres mots: En vain les barbiers apprirent leur art; ils n'en usrent point pendant quarante annes dans le dsert, parce que les cheveux et les ongles des Isralites ne croissaient pas. Si, aprs a, vous n'tes pas convaincus?... Une recommandation qui n'tonnera personne: Veillez bien avoir soin de vos prtres, pendant tout le temps que vous vivrez sur terre. (12:19) Lorsque vous combattrez vos ennemis, si Dieu les livre entre vos mains, et si vous voyez, parmi vos captifs, quelque belle femme inspirant votre amour, alors celui qui elle plaira l'emmnera dans sa maison; elle se rasera les cheveux et se coupera les ongles, et elle se dshabillera entirement, car elle ne doit garder sur elle aucun des vtements avec lesquels 99
elle a t prise; puis, on lui donnera un mois pour pleurer son pre et sa mre; aprs quoi, celui qui elle aura plu la mettra dans son lit, entrera en elle, et ds lors elle sera sa femme. Mais, s'il arrive ensuite qu'elle ne plaise plus, son mari pourra la renvoyer, la condition qu'elle y consente; en tout cas, du moment qu'un Isralite aura couch avec elle, on ne pourra plus la vendre. (21:10-14) a, c'est gentil, n'est-ce pas? N'entrera jamais dans les saintes assembles du culte celui qui sera eunuque en ayant eu les testicules coups, ni mme celui qui aura eu les testicules froisss. (23:1) Pas de commentaire! Si, la veille d'une bataille, un soldat a eu dans la nuit un songe voluptueux qui lui ait caus une perte de semence, il sortira le matin du camp, et le soir il se lavera avec de l'eau frache; puis, il rentrera dans le camp. (23:10-11) Ce qui revient dire qu'il ne prendra point part A la bataille. Voltaire a cru utile d'mettre quelques rflexions ce sujet: Plusieurs gens de guerre, crit-il, ont dit que les pollutions nocturnes arrivaient principalement aux jeunes gens vigoureux, et que l'ordre de les loigner de l'arme du matin au soir tait trs dangereux, attendu que c'est d'ordinaire du matin au soir que se livrent les batailles; que cet ordre n'tait propre qu' favoriser la poltronnerie; qu'il tait plus ais de se laver dans sa tente, o l'on est suppos avoir au moins une cruche d'eau, que d'aller hors du camp, o l'on pouvait fort bien ne pas en trouver. Jhovah va jusqu' enseigner son peuple comment il convient de faire caca, en temps de guerre. Vous aurez un endroit rserv, hors du camp, pour vacuer. Et, parmi vos ustensiles, vous aurez une petite bche; alors, quand vous voudrez vacuer, vous irez l'endroit rserv, vous creuserez un trou rond avec la petite bche, et, lorsque votre vacuation sera termine, vous recouvrirez de terre ce qui sera sorti de vos boyaux. Car, moi, l'Eternel, je serai au milieu de votre camp, pour combattre avec vous; il ne faut donc pas que je sente quelque chose d'impur dans votre camp; sinon, je me retirerais d'entre vous. (Mme 23:12-14) Ce passage de la Bible appelle un commentaire particulirement grave. Nous savions dj que Dieu a des mains dont il se sert pour ptrir, qu'il souffle et qu'il salive, qu'il a des pieds pour se promener sur notre plante, quand la fantaisie lui prend; nous avons appris tout l'heure qu'il a un derrire et qu'il le montra Mose. Maintenant, nous apprenons que Jhovah possde un nez, non pas tout simplement pour agrmenter son visage et pour s'viter de prter rire, lorsqu'il daigne apparatre aux humains, crs sa ressemblance; mais ce nez est un vrai nez. De mme que Dieu mange pour tout de bon (rappelez-vous le plantureux dner chez Abraham), de mme Dieu s'est adjug de toute ternit un nez dont il se sert pour sentir, et il n'aime pas les mauvaises odeurs. D'autre part, on ne manquera pas de se dire qu'il tait facile au Tout-Puissant d'pargner son divin nez la respiration d'odeurs dsagrables. Quoi! ce peuple hbreu est son peuple, sa nation prdestine, et il n'est pas venu l'esprit du seigneur Jhovah l'ide de l'affranchir, par une exception solennelle, des suites vulgaires et nausabondes de la digestion, puisque les senteurs du caca rpugnent son odorat sacro-saint?... Que toute nourriture profitt entirement aux estomacs isralites, suppression complte de l'vacuation, et voil, il me semble, une ingnieuse solution du problme; au besoin, les Juifs n'auraient pas eu de trou-de- balle, et cela les et distingus du reste de l'humanit, mieux encore que fa circoncision. Ou encore, si le Tout-Puissant n'avait pas voulu donner son peuple un privilge aussi notable que celui de l'absence |d'anus, s'il tenait h ce que les Hbreux allassent la selle aussi bien que tout le monde, il lui et t facile, d'une autre manire, de n'avoir pas renifler des puantises, quand il tait au milieu d'eux, dans leur camp: moi, si j'tais dieu, j'aurais tout btement dcrt que le caca juif, en temps de guerre, sentirait la violette ou tout autre dlectable parfum: ce n'tait pas plus malin que a!... On dit qu'un sonnet sans dfaut vaut, lui seul, un bon pome; ma foi, je crois que les versets 12, 13 et 14 du chapitre 23 du Deutronome valent, eux trois, mieux que tous les psaumes 100
de David. Il est d'une immensit incomparable, l'horizon que ces trois, versets-l ouvre la science des thologiens; il y a l, dans ce nez de Dieu rfractaire aux mauvaises odeurs, des profondeurs thologiques inoues, si l'on veut prendre la peine de scruter, d'examiner et de disserter pieusement. Ainsi, j'en fais juge mon vieil ami Lon XIII, et je le prie humblement de soumettre au prochain concile la question que voici: le fait des trois versets en question, auxquels un fidle est oblig de croire sous peine d'anathme, puisqu'ils appartiennent la Bible, ne complique-t- il pas d'une tonnante faon le mystre de l'Eucharistie, dj si compliqu? En deux mots, pendant la messe, au moment de la conscration, si le prtre, en prononant les paroles sacramentelles, lche, par accident, un pet au chou-pourri, Dieu descend-il dans l'hostie et la transsubstantiation a-t-elle lieu? Ne me dites pas qu'il est impossible qu'un tel accident arrive. Dans mon jeune ge, au collge Saint-Louis, je prcise! j'ai rempli quelques fois l'office d'enfant de chur, et il m'est arriv de servir la messe, notamment un saint homme, l'abb Jourdan, qui tait d'un temprament trs venteux. taient-ce les haricots du collge qui lui produisaient de l'effet? J incline le croire, sa dcharge. Quoi qu'il en soit, je me rappelle qu'un matin, au moment o, agenouill derrire lui, je relevais le bas de sa chasuble, tout en agitant la sonnette, vrai! c'tait ne pas y tenir, tant l'artillerie intestinale du saint homme faisait fureur, et sans doute bien malgr lui. Le brave abb Jourdan existe encore; il est chanoine, dans mon diocse natal; qu'il soit guri ou non de son infirmit crpitante, la question doit videmment l'intresser plus que personne. Aussi, quand elle sera examine par le concile que je sollicite, je me ferai un plaisir de lui offrir ses frais de voyage, ne serait-ce que pour lui prouver que je ne lui en veux pas des infectants quarts d'heure qu'il me fit passer autrefois. Donc, au temps de mon enfance, je n'attachai aux accidents venteux d'un prtre officiant que l'importance d'une mauvaise odeur inflige mon nez humain. Mais, aujourd'hui que je feuillette avec soin la sacre Bible et que je plonge dvotement au sein de ses sublimes splendeurs, les trois versets du Deutronome, demeurs trop inaperus jusqu' prsent, stimulent mon zle et m'ont fait comprendre que j'avais un grand devoir remplir, en soulevant la grave et ncessaire question de la vesse sacerdotale lche par un officiant au moment o il prononce les mots: Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Nul n'ignore qu' cet instant mme le Trs-Haut devient semblable au maquereau, tel qu'il est cri Paris dans les rues, c'est--dire: Il arrive! il arrive!... Bien plus, Dieu ralise alors, mieux que ledit maquereau, l'annonce de la marchande de poisson, attendu que celle-ci exagre en ajoutant: Il demande frire! La vrit est que le maquereau ne demande pas plus frire que l'anguille tre corche vive; ce sont les humains qui leur attribuent ces demandes, au sujet desquelles ces infortuns poissons ne furent jamais consults. Au contraire, en ce qui concerne le Trs-Haut Jhovah (et C ie ), non seulement il arrive dans l'hostie tout--coup, mais encore il demande rellement tre boulotte, lui!... C'est cela, l'Eucharistie. Par consquent, comme il est inadmissible que le Nouveau Testament soit en contradiction avec l'Ancien Testament, dont fait partie le Deutronome, comme ces deux Testaments sont, l'un aussi bien que l'autre, l'uvre de l'Esprit-Saint, il apparat d'une logique des plus limpides que Dieu, dont l'horreur des puantises est un fait d'absolue certitude, doit videmment se faire tirer l'oreille pour se transformer en pain cacheter, quand il a affaire un ministre au trou- de-balle gazeux. S'installe-t-il dfinitivement dans l'hostie, oui ou non? Attend-il que l'odeur du pet de cur soit passe, ou bien remonte-t-il en son paradis avec plus ou moins de mauvaise humeur? Voil la question d'intrt gnral que ma ferveur pose candidement ma sainte mre l'Eglise. On le voit, rien n'est plus grave; car, si, dans le cas dont il s'agit, les hosties que le cur crpitant s'apprte distrihuer aux fidles ne sont qu'un vulgaire pain, sans mme un poil de 101
la barbe Sabaoth dedans, les communiants sont vols, parbleu!... Et supposez un fidle qui compte sur cette communion, avec indulgence plnire applicable, afin de tirer sa belle-mre du purgatoire, calculez, je vous prie, l'immensit du dsastre!... Allons, saint-pre, vite un concile, s'il vous plat! Ne fermons pas les chapitres du Deutromoue, qui dctenti les ordonnances divines, sans citer encore celle-ci: Quand des hommes auront une querelle ensemble, l'un contre l'autre, si la femme de l'un s'approche pour dlivrer son mari de celui qui le bat, et si alors, avanant la main, elle saisit celui- ci par les testicules, on coupera la main de cette femme. (25:11-12) Excellent Jhovah! il prvoyait tout!... Il dclara encore Mose que ses compatriotes, aprs leur entre dans la Terre Promise, devraient affecter deux montagnes un usage assez curieux: sur l'une, nomme Garizim, on bnirait le peuple; sur l'autre, nomme Hebal, on prononcerait toutes sortes de maldictions (ch. 27). Quant aux menaces de Jhovah, en voici quelques chantillons, extraits du chapitre 28: Si vous ne voulez point couter la voix de l'ternel votre Dieu, l'ternel vous enverra la ruine dans toutes les affaires que vous entreprendrez (v. 20); l'ternel vous frappera de langueur et de fivre (v. 22); l'ternel vous accablera d'hmorrhodes, de gale et de gratelle, dont vous ne pourrez pas gurir (v. 27)... Lorsque vous vous marierez, un autre couchera avec votre femme (v. 30); on vous prendra vtre ne et on ne vous ne le rendra pas (v. 31); l'ternel vous fera avoir un ulcre trs malin qui rongera vos genoux, ainsi que vos cuisses (v. 35); vous serez un sujet de raillerie pour tous les peuples (v. 37); vous smerez beaucoup de grains dans vos champs, et vous n'aurez que des rcoltes-trs maigres (v. 38)... Il vous natra des fils et des filles, mais ils ne seront pas vous (v. 41); l'tranger vous prtera usure, et vous ne lui prterez pas usure (v. 44)... L'ternel fera venir d'un pays recul, et des extrmits de la terre, un peuple dont vous n'entendrez point le langage, et qui n'aura piti ni de vos vieillards ni de vos enfants: ce peuple mangera vos fruits, les petits de vos btes, et il ne vous laissera ni bl, ni vin, ni huile (v. 49-51)... Vous mangerez vos propres enfants, aussi bien la chair de vos filles, que celle de vos fils (v. 53); l'homme le plus tendre et le plus dlicat d'entre vous regardera d'un il sec son frre et sa femme bien-aime et refusera de leur donner manger de la chair de ses enfants, qu'il mangera tout seul (v. 54-55); la mre la plus tendre prendra son enfant peine n, le mangera en cachette, et regardera d'un il sec son mari bien-aim (v. 56-57). De toutes les peines dont Jhovah menace son peuple, pas une n'est un chtiment spirituel. Le peuple de Dieu ne connaissait donc que les peines temporelles; il est bon de le faire remarquer, en observant en outre que nulle part, dans l'Ancien Testament, il n'est question d'enfer ni de purgatoire. Si Dieu, comme on l'a vu, se proccupait du caca des Juifs, par contre il n'avait gure souci de leurs mes, tel point que ces mots immortalit de l'me , ne se trouvent en aucun endroit des livres sacrs, sur lesquels les chrtiens ont greff leur religion. Aprs les menaces, vient un fragment historique (!): Mose, g de cent-vingt ans, se dmet de sa charge en faveur de Josu, au vif dplaisir du grand-prtre Elazar, et confie Josu la mission de conduire les Hbreux au pays de Canaan. Nous ferons grce au lecteur d'un cantique chant par Mose faisant ses adieux ses compatriotes, ainsi que des bndictions qu'il prononce sur chacune des tribus d'Isral. Finalement, l'extraordinaire hros biblique, obissant un ordre divin, monte sur le mont Nbo, o il sait qu'il va mourir, et d'o il peut, avant d'entrer en agonie, contempler la Terre Promise. L'Eglise a dcid, aprs la Synagogue, que le Pentateuque est l'uvre de Mose; sur ce point, juifs et chrtiens sont pleinement d'accord. N'allez pas dire au pape que les cinq livres dont le Deutronome est le dernier ont t crits par un autre que le gendre de Jthro; si vous aviez l'audace d'insinuer cela, vous seriez excommuni. Ces cinq livres, enseignent les thologiens, 102
qui n'en dmordent pas, ont t crits par Mose depuis la premire ligne jusqu' la dernire, sous l'inspiration du divin pigeon. Un livre vulgaire, un livre purement humain s'arrterait donc l'ascension de Mose, gravissant le mont Nbo; la rigueur, le grand homme pourrait crire comme conclusion: Je sens que je m'en vais; maintenant, je pose ma plume, car je suis sur le point de mourir; n, i, ni, fini. Or, Mose, en sa qualit d'crivain sacr, ne pouvait pas s'en tenir l. Il a donc eu soin de consigner, dans son dernier chapitre, sa mort, le fait de sa spulture, le deuil du peuple, et il a eu l'amabilit de s'adresser un petit loge posthume. Ainsi, Mose, serviteur de l'ternel, mourut l (sur le mont Nbo), au pays de Moab, selon ce que l'Eternel avait dit (34:5); et l'Eternel l'ensevelit dans la valle, vis--vis de Beth-Phor, et personne n'a su jusqu' ce jour o tait son tombeau (v. 6). Or, quand il mourut cent vingt ans, Mose avait encore la vue trs bonne, et sa vigueur n'tait point passe (v. 7); et les enfants d'Isral pleurrent Mose trente jours, dans les campagnes de Moab (v. 8). Et Josu, fils de Nun, fut rempli de sagesse, car Mose lui avait impos les mains; et les enfants d'Isral lui obirent ds lors (v. 9). Et il ne s'est jamais lev en Isral un prophte aussi saint que Mose, et qui Dieu ait permis, comme lui, de le voir face face (v. 10). Quelque lecteur secouera la tte, aprs avoir vu ces lignes; il lui semblera qu'elles prouvent que Mose est tranger leur rdaction. Erreur, mon ami! Les thologiens vous diront que c'est l le style de Mose mme, et que, d'ailleurs, dans tous les chapitres prcdents, il n'employa jamais la premire personne, mais toujours la troisime, lorsqu'il parla de lui. Rien rpliquer, quand l'Eglise s'est prononce. Or, l'opinion bien arrte de l'Eglise est expose par Mgr Paul Gurin, en ces termes: Le Pentateuque est le nom collectif des cinq premiers livres de la Bible. Mose est l'auteur du Pentateuque. Le Pentateuque est authentique, et son authenticit est aussi certaine que celle des livres les plus authentiques, aussi certaine que l'existence mme de Mose (ainsi!...); on ne peut refuser de tenir pour authentique un livre dont l'authenticit a pour elle la foi publique et constante d'une nation dont il dcrit l'histoire, le culte et la lgislation, surtout si ce livre prsente les caractres de l'antiquit qu'on lui attribue, et s'il est d'ailleurs impossible qu'il ait t suppos, c'est--dire crit par un autre que celui dont il porte le nom. Or, tel est le Pntateuque: la foi publique et constante de la nation juive, les caractres d'antiquit qu'on remarque dansce livre, l'impossibilit d'une supposition, tout en dmontre l'authenticit. Mose a crit le Pentateuque sous l'inspiration du Saint-Esprit. (Dictionnaire des dictionnaires, encyclopdie catholique, tome V, page 690) Inclinons-nous, mes frres, et ne nous tonnons plus de rien.
8 CHAPITRE
LES EXPLOITS DE JOSU ET DE GDON
Voil donc Josu lev sur le pavois et proclam chef suprme des Hbreux. Aussitt, papa Bon Dieu, pour lui donner du cur au ventre, lui apparut et lui prodigua de bonnes promesses: Lve-toi, passe le Jourdain, toi et tout le peuple avec toi, pour entrer au pays que je donne aux enfants d'Isral. Vous possderez tous les pays o vous aurez pos la plante de vos pieds. Vos frontires seront depuis le dsert et le Liban jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate, et tout le pays des thiens vous appartiendra aussi, jusqu' la grande mer, vers le soleil couchant. Nul ne pourra te rsister, tant que tu vivras; car je ne t'abandonnerai point. Fortifie-toi donc et prends courage. (Livre de Josu 1:2-6) Ce n'tait pas la premire fois, depuis la sortie d'gypte, que Jhovah rappelait ce qu'il avait jur Abraham, Isaac et Jacob. Ah! quel immense empire que celui qu'il s'tait engag, par serment, donner son peuple! Toutes les terres comprises entre la pninsule du Sina, la 103
Mditerrane et l'Euphrate, cet empire et t plus grand que celui d'Assyrie. Mais, aussi, quelle faillite ces engagements solennels! Les Juifs n'ont jamais eu qu'un misrable territoire. Cet Euphrate tant promis, ils l'ont connu non comme propritaires, mais comme captifs. Leur grand fleuve n'a jamais t que le pauvre Jourdain. Que fit le successeur de Mose la suite des exhortations de Jhovah? Josu envoya secrtement de Sittim deux espions. Ceux-ci partirent, entrrent dans la ville de Jricho, et passrent la nuit chez une nomme Raab, qui tait une prostitue. (2:1) Les traductions chrtiennes de la Bible qualifient d'htelire la dame Raab; or, le texte original hbreu porte zonah, met qui signifie bel et bien prostitue, femme dbauche, vivant de ses charmes. Pourquoi cette inexactitude de traduction? Ne serait-ce point parce que la susdite Raab figure, dans l'Evangile (gnalogie donne par saint Matthieu 1:5), au nombre des aeules de Jsus-Christ?... Le roi de Jricho, ayant t averti, envoya auprs de Raab, et l'on dit cette prostitue: Fais sortir les deux hommes qui sont entrs dans ta maison; car ce sont des espions venus pour examiner le pays. Mais cette femme les cacha et rpondit: Ils sont sortis, tandis qu'on fermait les portes de la ville, et je ne sais o ils sont alls. (v. 2-5) Aprs le dpart de la police, Raab fit un pacte avec les deux espions. Elle leur apprit que les gens du pays, connaissant les merveilles de la sortie d'Egypte, avaient une peur atroce de l'arme juive. Quant eux, ils lui donnrent un signe distinctif mettre sa maison, et ils lui promirent que, lors de la future prise de Jricho, ce signe la ferait excepter du massacre. Ce pacte conclu, les deux espions s'vadrent par la fentre, la maison de Raab tant situe ct mme des murs de la ville. (v. 9-21) Les critiques demandent pourquoi, Dieu ayant jur a Josu qu'il serait toujours avec lui, Josu prit cependant la prcaution d'envoyer des espions chez une fille de joie. Quel besoin, dit Voltaire, avait-il de cette misrable, quand Dieu lui avait promis son secours de sa propre bouche; quand il tait sr que Dieu combattait pour lui, et qu'il tait la tte d'une arme de six cent mille hommes, dont il dtacha, selon le texte sacr, quarante mille pour aller prendre le village de Jricho, qui ne fut jamais fortifi, les peuples de ce pays-l ne connaissant pas encore les places de guerre, et Jricho tant dans une valle o il est impossible de faire une place tenable? De Jricho, qui est au pied du mont Karantal, il ne reste aujourd'hui que quelques pauvres huttes, abritant environ 300 habitants; les guides l'usage des touristes nous apprennent que la moralit des femmes de cette bourgade est toujours la hauteur de celle de leur glorieuse anctre Raab. A propos de cette fille Raab, le bndictin dom Cal met a discut si elle fut ou non coupable d'un mensonge, en disant que les espions juifs taient partis, lorsqu'ils taient chez elle; il prtend qu'elle accomplit ainsi une trs bonne action. Etant informe, crit ce thologien, du dessein de Dieu, qui voulait dtruire les Cananens et livrer leur pays aux Hbreux, elle n'y pouvait rsister sans tomber dans le crime de rbellion l'gard de Dieu; de plus, elle tait persuade des justes prtentions de Dieu, et de l'injustice des Cananens; ainsi elle ne pouvait prendre un parti ni plus quitable ni plus conforme aux lois de la sagesse. Le savant Frret a rpondu que, si cela tait, la prostitue Raab aurait donc t inspire de Dieu mme, aussi bien que Josu; ce qui serait fort trange. Il semble plutt, dit-il, que cette Raab, par son crime abominable de trahison envers sa patrie au profit des espions d'un peuple barbare, tait une infme qui mritait le dernier supplice. Mais n'insistons pas, et poursuivons. Josu ordonna de marcher contre Jricho; pour cela, il fallait d'abord passer le Jourdain. Les prtres qui portaient l'arche d'alliance marchrent en tte du peuple; ils entrrent hardiment dans l'eau, en gens bien certains qu'un miracle ne pouvait manquer de se produire. A peine leurs pieds furent-ils mouills que les flots suprieurs du fleuve s'arrtrent, comme si une digue invisible s'tait subitement leve, et s'accumulrent d'une manire formidable en hauteur, tandis que les eaux infrieures, suivant leur cours 104
ordinaire, laissrent le lit du Jourdain sec. Et les prtres restrent au milieu du fleuve, jusqu' ce que tout le peuple juif et pass. En mmoire du miracle, on entassa douze grosses pierres auprs du Jourdain. Puis, une fois que les porteurs de l'arche d'alliance eurent gagn la rive droite, les eaux reprirent leur cours habituel (ch. 3, 4). En apprenant ces merveilles, les rois des divers peuples de la rgion, jusqu'aux rivages de la Mditerrane, sentirent leur cur se fondre et se dcouragrent au plus haut point. Sur ces entrefaites, papa Bon Dieu fit remarquer Josu que, depuis le dpart d'Egypte, la circoncision n'avait plus t pratique. Pourquoi cet oubli? la Bible ne le dit pas; elle se borne nous apprendre le fait, tout--coup. Aucun des mles qui taient ns au dsert n'avait subi la petite opration que l'on sait. Or, la totalit du peuple hbreu dpassait alors quatre millions de personnes des deux sexes; cela faisait donc approximativement deux millions de mles, de tout ge. On peut ainsi s'imaginer la quantit fantastique de prpuces qui furent coups, sur l'ordre de Josu, et l'on ne s'tonne pas que leur tas fit une vritable colline; l'auteur sacr l'appelle montagne des prpuces . Quatorze jours aprs, les Hbreux firent la Pque et eurent assez de bl pour se fabriquer du pain; ds lors, la manne, n'tant plus ncessaire, cessa (ch. 5). Conformment aux instructions divines, l'arme isralite lit le tour de Jricho, pendant six jours de suite, les soldats marchant gravement et les prtres jouant de leurs instruments de musique; les assigs taient bahis de cette manire de les combattre, mais ils ne se rendaient pas. Le septime jour, de nouveau selon les prescriptions de Jhovah, on excuta encore la promenade circulaire, cette fois avec une autre musique plus forte, accompagne d'un grand cri pouss par tout le peuple, et alors les remparts de la ville s'croulrent. Josu ordonna de massacrer tout, depuis l'homme jusqu' la femme, depuis l'enfant jusqu'au vieillard, mme jusqu'au buf, au menu btail et l'ne . La prostitue Raab fut seule pargne, avec ses parents qui elle avait donn asile dans sa maison. Aprs quoi, les Hbreux, ayant pris l'or et l'argent pour le trsor du Seigneur, brlrent la ville et tout ce qui tait dedans. (ch. 6) Ce carnage inspira lord Bolingbroke ces rflexions, que l'on trouve dans ses uvres publies par le pote David Mallet, son ami: Est-il possible, crivait le grand ministre du royaume d'Angleterre, que Dieu, le pre de tous les hommes, ait conduit lui-mme un barbare qui le cannibale le plus froce ne voudrait pas ressembler? Grands dieux! venir d'un dsert inconnu pour massacrer toute une ville inconnue! gorger les femmes et les enfants, contre toutes les lois de la nature! gorger tous les animaux! brler les maisons et les meubles, contre toutes les lois du bon sens, dans le temps qu'on n'a ni maisons ni meubles! n'pargner qu'une vile p.... digne du dernier supplice! Si ce conte n'tait pas le plus absurde de tous, il serait le plus abominable. Il n'y a qu'un voleur ivre qui puisse l'avoir crit, et un imbcile ivre qui puisse le croire. N'oublions pas que l'auteur de ces rflexions fut un des plus minents hommes d'tat de la nation anglaise; ministre des Affaires trangres, lord Bolingbroke fut l'instigateur et le vritable auteur du fameux trait d'Utrecht, qui mit enfin terme aux longues et sanglantes guerres du rgne de Louis XIV; on peut dire que, par ce grand ouvrage, l'orgueil de sa vie, il rendit la paix l'Europe, et cela dans des conditions satisfaisantes pour toutes les puissances. Il est utile de rappeler la gloire de cet homme de bien qui honore l'humanit et qui employa son gnie arrter l'gorgement des peuples; cela est ncessaire, afin de fermer la bouche des fanatiques qui seraient tents de traiter la citation qu'on vient de lire de divagation impie de quelque obscur folliculaire. C'est lord Bolingbroke qui a port ce jugement sur la Bible: Ce serait offenser Dieu et les hommes que de discuter srieusement ce misrable tissu de fables, dans lesquelles il n'y a pas un mot qui ne soit ou le comble du ridicule ou le comble de l'horreur. 105
Au dire de l'auteur sacr, la prise et le sac de Jricho eurent pour rsultat une conspiration gnrale contre Isral. Voyant la faon expditive dont les Hbreux entendaient la conqute, les rois qui gouvernaient la contre se dirent qu'il leur fallait exterminer ces envahisseurs, sous peine d'tre extermins par eux; ils se ligurent donc et tinrent un conseil o de grandes rsolutions furent prises (ch. 9). Toutefois, ils n'avaient pas song un lger dtail, qui avait bien son importance: c'est que Dieu tait avec Josu. Le seigneur Jhovah mit l'pouvante dans leur arme, et Josu leur infligea une terrible dfaite prs de Gabaon; il les poursuivit par le chemin de Bthoron, continuant les battre jusqu' Hazaka et mme jusqu' Makkda (10:10). Bien mieux, le pre Sabaoth, se piquant d'amour-propre, prit lui-mme part au combat: Tandis que les fuyards couraient sur la route de Bthoron, l'ternel jeta sur eux, du haut du ciel, de grosses pierres, jusqu' Hazaka, et ils en moururent; il y en eut plus de ceux qui prirent sous la grle de pierres que de ceux que les Isralites turent avec l'pe (v. 11). Mais Josu trouvait que sa victoire n'tait pas encore assez complte. Alors, Josu dit en prsence de tous les enfants d'Isral: Soleil, arrte-toi sur Gabaon, et toi, lune, arrte-toi dans la valle d'Aalon. Et le soleil s'arrta, et la lune aussi, jusqu' ce que le peuple et achev le carnage. Le soleil, qui tait au milieu des cieux, s'arrta donc et ne se hta point de se coucher, environ un jour entier. Jamais jour, ni avant, ni aprs, ne fut aussi long que celui-l (10:12- 14). En lisant ce rcit, on s'tonne qu'aprs la pluie de pierres Josu ait encore eu recours au grand miracle d'arrter le soleil et la lune. Le texte dit que l'astre du jour tait en plein midi; il semble donc qu'on aurait eu le temps de tuer tous les fuyards depuis midi jusqu'au soir sur cette route de Bthoron, en supposant que les pierres clestes en eussent manqu quelques- uns. Il est vrai que les thologiens nous diront peut-tre qu'un certain nombre de ces fuyards coururent si vite, que plus de six sept heures furent ncessaires pour les rattraper. Quant aux physiciens, ils n'ont pas encore pu expliquer comment le soleil, qui ne marche pas, arrta sa course, ni comment cette journe, qui fut le double des autres journes, put s'accorder avec le mo uvement des plantes et la rgularit des clipses. Ce magnifique miracle de Josua provoqu bien des joyeux rires et nous vaut quelques anecdotes. On raconte, notamment, celle d'un disciple de Galile, qui avait t traduit devant l'Inquisition pour avoir soutenu le mouvement de la terre autour du soleil. On lui lisait sa sentenc e; elle disait qu'il avait blasphm, attendu que Josu avait arrt le soleil, et que par consquent c'est cet astre qui marche, et non la terre. Eh! messeigneurs, rpondit l'inculp, c'est sans doute depuis ce temps-l que le soleil ne marche plus! L'arme, qui venait d'tre anantie dans ce dsastre, avait sa tte cinq rois; ceux-ci avaient chapp la pluie de cailloux divins et l'pe des soldats juifs. Comment donc? Ils s'taient rfugis dans une caverne, Makkda (v. 16). Josu, apprenant la chose, donna vite l'ordre de rouler de grosses pierres l'entre del caverne (v. 18). Voil les cinq rois pris comme des rats dans une souricire. L-dessus, Josu se rendit Makkda, fit ter les grosses pierres qui fermaient la caverne, et l'on obligea les cinq monarques sortir. Puis, les capitaines furent appels, et Josu leur dit: Maintenant, mettez vos pieds sur les cous de ces rois. Aprs quoi, Josu commena par les frapper grands coups, et ensuite il les tua, et il fit suspendre leurs cadavres cinq potences, o ils restrent jusqu'au soir; enfin, les cadavres furent replacs dans la caverne, referme au moyen de grosses pierres. L'auteur sacr ajoute gravement: Les corps de ces cinq rois sont encore l. (v. 22-27) Josu continua ses exploits. Il ravagea tout le pays, les montagnes et les plaines; il tua tous les rois et les fit tous pendre; il tua tout ce qui avait vie, comme le Seigneur le lui avait command (10:40). Il poursuivit tous les rois qui restaient, et son carnage fut tel que rien n'en chappa; il brla les chariots, il coupa les jarrets des chevaux partout. Et quand il fut Hatzor, qui avait t une grande capitale, il en tua le roi, il gorgea tous les habitants et 106
toutes les btes; et il rduisit tout en cendres. (11:8-11) Josu fit la guerre plusieurs annes contre tous ces rois-l. (v. 18) Il marcha aussi contre les gante des montagnes et les extermina (v. 21); et il ne laissa aucun de la race des gants, except dans Gaza, Geth et Azoth. (v. 22) Et il fit pendre en tout trente et un rois. (12:24) Mazette! trente et un rois de pendus! C'est beaucoup dans un pays de sept huit lieues d'tendue!... Une fois que les populations de la Terre Promise eurent subi une crabouillade complte, les Hbreux se trouvrent lus matres; il ne leur restait plus qu' se partager la contre. C'est ce qu'ils firent. Du chapitre 13 au chapitre 21 inclusivement, le livre de Josu indique minutieusement le territoire qui fut affect chaque tribu; il y a l une numration formidable de villes. On en aura une ide approximative en sachant que la tribu de Juda, pour son compte, reut cent vingt-quatre villes, sans compter les villages; tous les noms de ces villes sont cits expressment (15:20-63). Quant aux lvites, ils reurent quarante-huit villes, dont six dites de refuge (ch. 20, 21). C'tait, d'ailleurs, Jhovah lui-mme qui avait fix le chiffre: Les lvites, avait-il stipul, auront quarante-huit villes, parses dans les territoires des douze tribus; ils habiteront dans ces villes, et les faubourgs de ces villes seront pour leurs btes, pour leurs biens et pour tous leurs animaux. En outre, les faubourgs des villes lvitiques seront de mille coudes tout autour, depuis la muraille de la ville en dehors. (Nombres 25) Les six villes de refuge taient destines servir d'asile aux homicides ayant commis un meurtre sans prmditation. Lord Bolingbroke estime que ces passages de la Bible n'ont pu tre composs que par un lvite avide et barbare, crivant dans des temps d'anarchie. Voici comment ce philosophe formule son opinion: Jamais le peuple juif, dans ses plus grandes prosprits, n'eut quarante- huit villes mures. On ne croit mme pas qu'Hrode, leur seul roi vritablement puissant, les possdt. Jrusalem, du temps de David, tait l'unique habitation des Juifs qui mritt le nom de ville; mais c'tait alors une bicoque qui n'aurait pas pu soutenir un sige de quatre jours. Elle ne fut bien fortifie que par Hrode. En ralit, les lvites n'avaient d'autres possessions que la dme, et le petit peuple isralite n'eut aucune ville, ni sous Josu, ni sous les Juges. La longue numration, que l'on trouve dans le livre de Josu n'est qu'un long et ridicule mensonge. Comment ce minuscule peuple, errant et vagabond jusqu' Sal, aurait-il pu donner quarante-huit villes ses prtres, lui qui fut sept fois rduit en esclavage, de son propre aveu? Le lvite faussaire qui a crit ces orgueilleuses sottises prtend encore qu'on mit au pouvoir des prtres six villes de refuge pour les homicides; voil un bel encouragement aux plus grands crimes. On ne sait ce qui doit rvolter davantage, ou de l'absurdit qui fait donner quarante-huit villes des prtres dans un dsert, ou de six villes de refuge dans ce mme dsert pour y attirer tous les sclrats! Au bas mot, le fameux partage, accompli avec tant de soin sous la direction de Josu, comporte environ six cents villes pour l'ensemble des tribus isralites. Excusez du peu!... Et notez que la rgion mesure deux degrs de longitude dans sa plus grande largeur, et deux degrs et demi de latitude dans sa plus grande longueur, l'poque o la puissance juive a atteint l'apoge de son panouissement, c'est--dire pas du tout au temps de Josu. Le partage effectu, Josu voyait sa mission ter mine; aussi mourut-il... cent dix ans (24:29). Il avait tout extermin; les chapitres de son livre rptent satit que ses incessantes victoires ne laissrent pas un tre vivant. Or a, tenez-vous bien, lecteur! Aprs la mort de Josu, nous allons retrouver tous ces ennemis extermins plus puissants que jamais, et tenant les Juifs dans le plus rude esclavage, jusqu'au temps de Sal et de David. En effet, le livre des Juges, celui qui suit immdiatement le livre de Josu, nous montre, ds le premier chapitre, les tribus de Juda et de Simon en guerre contre dix mille Cananens, gouverns par un roi, nomm Adonibzec. Bien entendu, cette population, qui se trouvait l tout--coup on ne sait comment, fut passe au fil de l'pe. Quant Adonibzec, avant de 107
l'gorger, on lui infligea un supplice. Les descendants de Juda et de Simon, l'ayant pris, lui couprent d'abord les mains et les pieds. Alors, Adonibzec dit: J'ai fait couper les mains et les pieds soixante et dix rois, qui mangeaient sous ma table les restes de mon dner; Jhovah m'a trait comme j'ai trait tous ces rois. (Juges 1:6-7) Cet Adonibzec tait donc un puissant monarque, puisqu'il avait rduit en captivit soixante et dix rois de cette contre. Sa capitale se nommait Bzec, d'aprs la Bible; mais cette ville, ce terrible potentat et son royaume sont rests compltement ignors des historiens. Cela tonne; car cette immense table, sous laquelle soixante et dix rois mangeaient sans mains, tait bien faite pour valoir Adonibzec une rputation considrable. Quoi qu'il en soit, si l'on ajoute ces rois vaincus et mutils par Adonibzec aux trente et un extermins par Josu, cela nous donne, avec Adonibzec-le-Cruel, un total de cent-deux rois, et, par consquent, de cent deux royaumes dans la terre de Canaan. Si l'on jette les yeux sur la carte gographique et si l'on fait la division de ce petit territoire, voil donc des royaumes qui auraient eu, chacun, peine un demi-quart de lieue; c'est maigre! Ces cent deux rois devaient tre bien serrs dans cet troit espace, et il tait temps que les Juifs vinssent mettre ordre un tel tat de choses en se substituant aux Cananens. Cependant, Jhovah, quoique tout-puissant, ne put pas venir bout de quelques-uns de ces Cananens, qui, anantis par Josu, avaient pouss de nouveau, comme par enchantement, dans cette contre extraordinaire. Dieu tait avec Juda, et ses descendants se rendirent matres des montagnes; mais ils ne purent vaincre les habitants des valles, parce que ceux-ci avaient des chariots de guerre arms de faulx. (1:19) La provision de grosses pierres que matre Jhovah avait clans son ciel tait donc puise? telle est la rflexion qu'on ne peut manquer de se faire. Mais, en poussant plus fond l'examen de ce passage de la Bible, on se demande comment ces Cananens, qui l'chapprent belle, grce leurs chariots de guerre, pouvaient possder de ces chariots, puisque leur manuvre tait impossible dans ce pays tout couvert de montagnes et de cailloux. En effet, les chariots de guerre, arms de faulx, ne furent invents que dans les grandes plaines qui sont vers l'Euphrate, et l'on sait que ce sont les Babyloniens et les Persans qui mirent cette invention en pratique, trois sicles seulement aprs Josu. Les chapitres 2 et 3 du livre des Juges nous montrent les Hbreux manquante reconnaissance envers Jhovah et bientt punis par la dfaite et l'esclavage. Aprs la mort de Josu, nos juifs s'taient choisi des Les enfants d'Isral, abandonnant le Dieu de leurs pres, Jhovah, qui les avait tirs de la servitude d'gypte, se prosternrent devant les statues de Baal; ils adorrent Baal et Astaroth (2:12-13). Juges, pour les gouverner; cette priode de leur histoire n'est pas trs brillante. Et, comme ils habitrent au milieu des Cananens, des Amorrhens, des Phrsiens, des Hvens et des Jbusens, ils prirent leurs filles pour femmes, ils donnrent leurs filles en mariage aux enfants de ces peuples, et ils servirent leurs dieux. (3:5-6) Ne nous lassons pas, afin de mieux admirer ces mariages, de rappeler que l'arme des six cent mille Isralites, commands par Josu, avait, sans misricorde, dtruit tous les habitants de la contre: Mose, encore, faisait parfois pargner 32,000 pucelles; mais son successeur ne laissait pas un tre vivant. Jhovah, tant donc en colre contre les enfants d'Isral, les livra entre les mains de Chuzan- Rischatam, roi de Msopotamie, dont ils furent esclaves pendant huit ans (3:8). Le critique anglais Thomas Wolston, qui paya de plusieurs annes de prison son indpendance en matire religieuse, et qui exera sa verve aussi bien contre les livres sacrs des chrtiens que contre ceux des juifs, dclarait nettement qu'il fallait choisir entre l'histoire des Juges et celle de Josu, attendu que l'une ou l'autre est mensongre, puisqu'il y a contradiction flagrante entre ces deux saints livres. Il n'est pas possible, disait-il, que les Hbreux aient t esclaves immdiatement aprs avoir extermin tous les habitants du Canaan avec une arme de six cent 108
mille hommes. Quel est ce Chuzan-Rischatam, roi de Msopotamie, qui vient tout d'un coup mettre la chane les enfants d'Isral? Comment est-il venu de si loin, sans qu'on dise rien de sa marche? Le texte dit bien, la vrit, que c'est un chtiment du Seigneur pour avoir donn leurs filles en mariage aux Cananens et pour avoir pous les filles de ceux-ci; mais il est trop ais de dire que lorsqu'on a t vaincu, c'est parce qu'on a pch, et que quand on a t vainqueur, c'est parce qu'on a t fidle: il n'y a aucune nation ni aucune bourgade de sauvages qui n'en puisse dire autant. Il sera toujours impossible de comprendre comment une population de quatre millions d'individus, ayant six cent mille hommes d'armes, peut avoir t rduite en servitude dans le mme pays qu'elle venait de conqurir; de mme qu'il est impossible que cette horde formidable de guerriers ait ananti tous les anciens habitants, et que des alliances matrimoniales se soient ensuite tablies entre les massacreurs et les extermins. Cette foule de contradictions n'est pas soutenable. Il est dit, aussitt aprs, qu'au bout de huit ans le juge Othoniel dlivra ses compatriotes et que les Hbreux chassrent et turent ce Chuzan-Rischatam, roi de Msopotamie; maison ne nous donne aucun renseignement sur cette guerre qui dut tre considrable et dont les historiens, pourtant, n'entendirent jamais parler. Quarante ans plus tard, les Hbreux furent asservis par Eglon, roi des Moabites, quoique le royaume de Moab n'existt plus depuis longtemps; sa suppression par le massacre en masse est antrieure la prise de Jricho. Cet esclavage dura dix-huit annes. Aod, fils de Gra, y mit fin au moyen d'un stratagme meurtrier: ce juif, s'tant joint aux dlgus du peuple, qui apportaient un prsent Eglon, pria le tyran de le recevoir part dans sa chambre, sous prtexte de quelques mots secrets qu'il avait lui dire; Eglon, sans mfiance, s'enferma avec Aod, lequel lui enfona un poignard dans le ventre et s'en alla aussitt, sans se faire remarquer. Cet assassinat encouragea les Juifs; ils se rvoltrent, et dix mille Moabites furent gorgs. Et le pays fut en repos pendant quatre- vingts ans. Aprs Aod fut Samgar, qui tua six cents Philistins avec un soc de charrue et qui dlivra aussi Isral (3:11-31). Les Hbreux furent encore esclaves d'un certain Jabin, roi de Canaan. Heureusement, une vnrable prophtesse, qui chantait des cantiques sous un palmier entre Rama et Bthel, M me
Dbora, manda auprs d'elle le sieur Barac, en flamma son courage, ainsi que celui de dix mille soldats des tribus de Zabulon et Nephtali, et partit en guerre avec eux. Les troupes de Jabin, commandes par le gnral Sisara, fuient tailles en pices, leur premire rencontre avec celles de Barac et Dbora. Le gnral, dans sa fuite, se rfugia chez Hber, que l'auteur sacr nous dit tre un cinen vivant en paix avec le roi Jabin . Or, Hber avait une femme, l'aimable Jahel, qui Jhovah souffla une inspiration. C'est Jahel elle-mme qui offrit asile Sisara. Elle vint au-devant de lui et lui dit: Mon seigneur, retire-toi chez nous, et ne crains point. Et elle le cacha. Comme il avait soif et demandait de l'eau boire, elle lui donna du lait. Sisara la pria de se tenir l'entre de la tente; puis, il s'endormit profondment Alors, Jahel prit un clou trs long, ainsi qu'un marteau, rentra tout doucement, et lui transpera la tempe avec ce clou, qui s'enfona jusqu'en terre; et le gnral mourut. Or, Barac tant arriv ensuite, Jahel lui montra Sisara tendu mort, en disant: Voil celui que tu cherches. Quant au roi Jabin, il ne tarda pas tre massacr, et la prophtesse Dbora chanta un de ses plus beaux cantiques (ch. 4, 5). Malgr Aod, Dbora et Jahel, les tribulations des Hbreux n'taient pas termines. Cette fois, ce furent les Madianites (encore des revenants, ceux-ci) qui prirent t che de les perscuter. Les malheureux enfants de Jacob, sans tre proprement parler en tat d'esclavage, taient en butte toutes les vexations: quand ils avaient sem et longtemps travaill dans l'espoir d'une abondante rcolte, les Madianites prenaient un malin plaisir accourir sur leurs champs, avec d'innombrables chameaux, et les rcoltes taient perdues; ils leur chipaient bufs, nes et menu btail; ils abmaient les fruits de leurs vergers; les infortuns Juifs en furent rduits se 109
creuser des cave rnes dans les montagnes pour prserver leurs personnes des mille et une mchancets de ces enrags perscuteurs (6:1-6). Il y avait sept ans que ces tracasseries duraie nt, lorsque papa Bon Dieu, ayant enfin piti de son peuple, rsolut de susciter un nouveau hros. Et, pour que l'exemple fut plus clatant, il fit choix d'un jeune malingreux, du nom de Gdon, lequel tait si chtif qu'il avait toutes les peines du monde manuvrer au pressoir de son pre. Un beau matin, donc, un ange du Seigneur vint Ephra et s'assit sous un chne qui appartenait Joas, chef de la famille d'Abizer et pre de Gdon; et l'ange dit au jeune homme: Voici, maintenant tu es trs fort et trs vaillant, parce que l'Eternel est avec toi (6:11-12). Gdon n'osait pas croire l'ange sur parole, surtout lorsqu'il apprit que c'tait lui qui dlivrerait Isral du joug des Madianites. Si l'Eternel m'accorde cette grce, dit-il, pourquoi ne m'en convaincrais-tu point par quelque signe merveilleux? Mais permets-moi de t'offrir quelque chose, et, je t'en prie, ne t'en va pas, pendant que je vais te chercher manger. L'ange rpondit: C'est bien, je demeurerai ici jusqu' ce que tu reviennes. Gdon, tant alors rentr chez lui, fit cuire en toute hte un chevreau et des galettes; il mit la viande dans un panier et le jus dans un pot; puis, il apporta le tout sous le chne et l'offrit l'ange. Mais l'ange lui dit: Tu vois cette pierre qui est l tout prs; places-y la viande et les galettes, et rpands le jus par- dessus. Gdon obit. Alors, l'ange tendit sa verge sur le chevreau et les galettes; l'instant mme, des flammes sortirent du rocher; la viande, les galettes et le jus furent consums, et subitement l'ange disparut. (v. 17-21) Ldessus, Gdon fit appel dix des meilleurs serviteurs de son pre, et, de nuit, il alla dmolir l'autel de Baal et couper les arbres d'un bosquet consacr aux dieux des Madianites; avec ce bois, il construisit un bcher sur lequel il sacrifia un taureau Jhovah (6:27-21). Grande fut la colre des habitants d'Ephra, quand ils virent l'autel de Baal dmoli et le bosquet coup. Or, Joas, n'ayant pas voulu leur livrer son fils, une violente colre s'empara de tous les ennemis des Hbreux; et tous les Madianites, et tous les Amalcites, et tous les peuples orientaux se rassemblrent, passrent le Jourdain et vinrent camper dans la valle de Jizrhe l (6:29-33). Mais Dieu revtit d'armes Gdon (6:34). Le croirez-vous? Gdon tait encore se demander si Jhovah l'avait vraiment choisi pour flanquer une trempe aux ennemis d'Isral. Quand il eut convoqu les tribus de Manass, d'Azer, de Zabulon et de Nephtali, sur qui il croyait pouvoir le mieux compter, il pria Dieu de faire un miracle qui dmontrerait, sans erreur possible, la protection dont il tait l'objet. Et Gdon dit Dieu: Si tu dois vraiment dlivrer Isral par ma main, comme tu l'as dit, coutemoi bien; je vais mettre sur une large pierre plate la toison d'une brebis; et si la rose ne tombe que sur la toison, le reste restant sec, ce sera la marque que tu veux dlivrer Isral par ma main. Et la chose arriva comme Gdon lavai demand: car, le lendemain, l'aurore, malgr la rose du matin, la pierre tait reste sche, tandis que la toison tait tel point humide qu'en la pressant Gdon en fit sortir plein une tasse d'eau de rose. Gdon dit encore Dieu: Ne te fche pas si je sollicite de toi un nouveau miracle pour preuve de la ralit de ma mission; c'est la dernire fois que je t'adresse une telle demande. Je t'en prie, permets-moi de faire encore un essai avec cette toison, et cette fois que la toison soit sche toute seule au milieu de la terre humide. Et Dieu fit cette nuit-l comme Gdon l'avait demand: la toison fut sche, et la terre d'alentour tait humide de la rose. (6:35-40) Que voil de fameux miracles! Que c'est beau, la sainte Bible! N'tes-vous pas transports d'admiration?... Le bruit de ces grands miracles s'tant rpandu dans Isral, le peuple entier voulut venir combattre avec Gdon. Mais cet enthousiasme ne dura pas longtemps; car, le hros ayant dit dans une proclamation: Que ceux qui sont timides s'en retournent chez eux! dix mille hommes seulement restrent auprs de lui, tous les autres ayant profit de la permission de ficher le camp. 110
Or, papa Bon Dieu jugea que ces dix mille taient encore trop, et, sur son conseil, voici comment Gdon fit choix de la poigne de braves qui, seuls, devaient l'accompagner contre l'ennemi: il fit descendre les dix mille soldats vers la rivire voisine, les invita boire l'eau mme, et pendant qu'ils buvaient, Gdon observait ses dix mille guerriers avec une grande attention. En effet, l'ternel avait dit Gdon: Quiconque lapera l'eau de sa langue, comme le chien lape, tu le mettras part; et tu mettras aussi part tous ceux qui se courberont sur leurs genoux pour boire. Et le nombre de ceux qui laprent l'eau la manire des chiens fut de trois cents; et tous les autres se courbrent sur leurs genoux. Alors, l'ternel dit Gdon: C'est par ceux qui ont lap l'eau comme les chiens que je dlivrerai Isral, et je livrerai les Madianites entre tes mains victorieuses; et maintenant, que tout le peuple s'en aille, chacun chez soi! (7:5-7) Gdon retint donc ses trois cents lapeurs, certain qu'il avait enfin de rudes lapins. Le camp des Madianites tait au-dessous, dans la valle. A prsent, attention! ne perdez pas une ligne du rcit de ces nouveaux exploits bibliques; vous allez voir qu'Alexandre, Csar, Charlemagne, Napolon n'taient que de la rave cuite auprs de Gdon, capitaine de Sabaoth. Le hros divisa ses trois cents lapeurs en trois bandes. Il donna chacun une trompette, un vase de terre et une lampe. Avec cela, s'cria-t-il, nous remporterons une grande victoire. Ne me perdez pas de vue, et faites exactement ce que je ferai; quand je serai arriv au bout du camp ennemi, vous m'imiterez en tout. Ayez confiance! La bataille sera gagne aux sons de ces trompettes et avec cri, retenez-le bien: L'pe de l'ternel et de Gdon! (7:7-18) Il attendit la nuit. Alors, il descendit avec ses trois cents lapeurs vers le camp madianite. On se glissa silencieusement dans les avant-postes, tandis qu'on venait de poser la seconde garde. Puis, chacun ayant mis et allum sa lampe dans le vase de terre, Gdon et ses soldats sonnrent tout--coup de leurs trompettes, tout en cassant avec fracas leurs pots (quelques traducteurs crivent: leurs cruches), avec accompagnement de clameurs o dominait le cri donn comme mot d'ordre. Les Madianites, rveills en sursaut, furent effrays de ce vacarme de trompettes et surtout de ces trois cents pots briss, et, ne comprenant rien , ces lampes que les Isralites agitaient en vocifrant, ils se turent peu prs tous les uns les autres (7: 16-28). On a plus loin le compte de ce massacre; deux gnraux madianites, Horeb et Zeeb, furent tus par des hommes de la tribu d'Ephram, tandis qu'ils s'enfuyaient vers le Jourdain, et deux rois, nomms Zbah et Tsalmunah, furent atteints Karkor et gorgs par Gdon en personne. Le texte sacr dit expressment: Zbah et Tsalmunah purent gagner Karkor, et ils y taient avec quinze mille hommes de troupes, c'est--dire ceux qui avaient survcu de toute l'arme des peuples orientaux; car il y avait cent vingt mille hommes, tirant l'pe, qui taient tombs morts. (8:10) Nous apprenons donc par l qu'il y avait cent trente-cinq mille Madianites, Amalcites et autres orientaux camps dans la valle de Jizrhel; ce camp tait, par consquent, d'une tendue considrable. Or, le camp d'une arme de cent mille hommes occupe, d'ordinaire, une lieue carre de superficie; c'est le calcul du chanoine Rhrbacher, lorsqu'il parle des campements isralites dans le dsert (Histoire universelle de l'Eglise catholique, tome 1, page 182); et une lieue carre quivaut seize cents hectares; d'o l'on doit conclure que le camp madiano-amalcite de Jizrhel occupait deux mille deux cents hectares, au bas mot, et que la ligne extrieure de pourtour avait un dveloppement de vingt-un kilomtres environ. N'oublions pas que les soldats de Gdon pntrrent peine dans les avant-postes et restrent en place: ils se tinrent, chacun en sa place, autour du camp (v. 21); le texte est prcis. Ainsi, pour entourer le camp, les trois cents lapeurs taient forcment clairsems, avec une distance de soixante-dix mtres entre chacun d'eux. Et cela se passait la nuit! Comment, cette distance, pouvaient-ils se voir les uns les autres et imiter tous ensemble Gdon brisant son pot de terre? Quel pitre effet dut tre, en ralit; celui de trois cents cruches casses dans une ligne circulaire de vingtun kilomtres! Trois cents hommes, entrant dans un camp en 111
phalange compacte, ne produiraient qu'un effet bien piteu x sur une surface de deux mille deux cents hectares; plus forte raison, s'ils taient dissmins et demeuraient sur la ligne extrieure, le rsultat serait absolument nul. C'est pourquoi le stratagme de Gdon ne signifie rien de rien dans cette histoire; s'il a russi, l est vraiment le miracle; il a fallu que Sabaoth ait fait faire trois cents trompettes le vacarme de trente mille, qu'il ait plus que centupl le bruit des cruches brises, qu'il ait donn aux cris des lapeurs une multiplication formidable par des chos surnaturels dont la Bible ne parle pas. Rduit ses termes mmes, le rcit du divin pigeon est une blague invraisemblable, impossible et grotesque. Quoi qu'il en soit, la suite de ce fait d'armes sans prcdent, Gdon devint extrmement populaire dans tout Isral, et ses compatriotes lui offrirent la royaut; mais le hros, aussi modeste que pratique, refusa les honneurs souverains, en ajoutant toutefois: Je prfre que vous me donniez, chacun de vous, les bagues d'or de votre butin. Et le poids des bagues d'or qu'il reut ainsi fut de mille sept cents sicles d'or (8:22-26). L'auteur sacr nous apprend ensuite que Gdon, tant polygame, eut soixante-dix enfants; en outre, d'une concubine habitant Sichem, il eut un garon, nomm Abimlec, qui fit bientt parler de lui, d'une peu fraternelle faon (v. 30-31). Abimlec, dans un seul jour, coupa le cou sur une mme pierre soixante-neuf de ses frres; un seul, le jeune Jotham, chappa cette boucherie, s'tant cach pendant qu'Abimlec charcutait sa nombreuse famille (9:5). Les Sichmites, trs fiers de leur compatriote, le btard de Gdon, le proclamrent roi; mais, au bout de trois ans, Abimlec avait cess de plaire, et les rvoltes se multiplirent, fomentes par un certain Gaal. Abimlec s'empara de la ville rvolte et massacra le peuple; les chefs de l'insurrection s'tant runis dans la tour de Sichem, il en fit le blocus et incendia ce fort dans un gigantesque feu de joie. Il assigea, peu de temps aprs, une ville du nom de Tbets; mais l, il reut sur la tte une meule de moulin que lui lana une femme du haut de la citadelle. Cette norme pierre lui brisa le crne, comme on pense bien. Toutefois, Abimlec appela aussitt le jeune garon qui portait ses armes et lui dit: Je meurs; mais tue-moi tout de suite, afin qu'il ne soit pas dit que c'est une femme qui m'a tu. Alors, pour lui tre agrable, l'adolescent le transpera (ch. 9). Abimlec, on le voit, avait de l'amour-propre. Ainsi finit l'illustre btard de Gdon. Aprs lui, la Bible mentionne les sieurs Tolah et Jar, qui furent juges d'Isral, l'un pendant vingt-trois ans, et l'autre pendant vingt-deux.
9 CHAPITRE
LES JUGES JEPHT ET SAMSON
Les leons de l'exprience ne profitaient gure aux Juifs, en ce temps-l: ils avaient toujours des tendances abandonner le culte de Jhovah pour celui des autres dieux, et pourtant ils savaient ce qu'il leur en cuisait d'adorer Baal, Astaroth. Dagon, etc., dont leur batailleur Sabaoth tait fort jaloux. tant retombs dans l'apostasie, ils en furent punis par une nouvelle servitude; cette fois, c'est aux Ammonites qu'ils furent livrs. Voil donc le sixime esclavage des Isralites, dans ce pays mme qu'ils avaient conquis avec une arme de six cent mille hommes, en cette contre o Josu avait compltement extermin les premiers occupants. Au bout de dix-huit ans de servitude de son peuple, Jhovah se laissa toucher et suscita un librateur: Jepht. homme fort et vaillant, tait fils d'une prostitue qui avait couch avec Galaad. Mais Galaad avait eu de sa femme d'au trs enfants, et ceux-ci, quand ils furent grands, chassrent Jepht comme fils d'une mre indigne; et Jepht, s'tant tabli dans la terre de Tob, se mit la tte d'une troupe de gens sans aveu, avec lesquels il vagabondait en pillant de tous cts. (11:1-3) Ce chef de bandits fut l'lu de Dieu. 112
En toute justice, il convient de dire que Jepht avait une qualit: il tait excellent pre. Il possdait une fille, son unique enfant, et il fallait voir comme il la choyait, comme il la dorlotait, comme il la bichonnait, comme il la couvrait de bijoux, comme il lui apportait chaque jour des montagnes de cadeaux! Il est vrai que bijoux et cadeaux ne lui cotaient pas cher. Ses compatriotes s'adressrent donc lui pour secouer le joug des Ammonites. Il accepta et se mit aussitt en campagne. Mais, le brigandage n'excluant pas la pit, Jepht, avant de partir contre les Ammonites, fit vu Jhovah de lui immoler, s'il tait vainqueur, la premire personne qu'il rencontrerait, venant de sa ville, son retour... Rien n'est plus facile papa Bon Dieu que de donner la victoire ses protgs. Or, comme d'une part le vieux Sabaoth chrissait son petit Jepht charmant, comme d'autre part il apprciait le sacrifice qui lui tait promis, il dcupla les forces du capitaine hbreu, et celui-ci tailla en pices les Ammonites. Le carnage fut trs grand, depuis Haroher jusqu' Minith, dit la Bible, et vingt villes furent ravages. Mais quelle surprise attendait notre hros, lorsqu'il rentra dans sa bonne ville de Mitspa!... Un chur de jeunes filles, jouant de la flte et du tambourin, venait au-devant de lui pour clbrer son triomphe; en tte d'elles, marchait la fille mme de Jepht, qui ne connaissait pas le vu paternel, la pauvre bichette. C'tait ce qui peut s'appeler une tuile... Un brigand n'a que sa parole. D'ailleurs, la fillette se prta de bonne grce au sacrifice: elle demanda seulement et obtint deux mois de dlai pour pleurer sa virginit ; car c'tait le plus grand malheur, pour les filles de cette nation, de mourir vierges. De l vient qu'il n'y eut jamais de religieuses chez les Juifs. L'immolation eut donc lieu, Jepht prsidant lui-mme le sacrifice, le deuil au cur et le visage inond de larmes (ch. 11). Quelqu'un, par exemple, qui rigolait comme une tourte et qui se pourlchait les babines avec volupt, c'tait Jhovah. Il reut, disent les thologiens, la jeune enfant dans son sein. Vieux farceur!... Mais, aprs cette histoire, comment un tonsur pourrait-il dire que le peuple de Dieu s'abstint des sacrifices humains? Aussi bien que le Moloch des Phniciens et des Carthaginois, le dieu des Juifs, c'est--dire le dieu officiel d'aujourd'hui, agrait avec dlices l'hommage du sang humain, malgr l'horreur toute naturelle qui s'attache de tels holocaustes. Jepht ne se borna pas massacrer les Ammonites; il se rendit encore agrable Jhovah en gorgeant quarante-deux mille de ses compatriotes, qui avaient une mauvaise prononciation. Les gens d'Ephram, parat-il, prononaient, cha, che, chi, au lieu de a, ce, ci: c'taient les Auvergnats de l'poque, pourrait-on dire. Jepht embusqua donc ses soldats au passage du Jourdain, et alors... Il faut citer le texte sacr, c'est trop beau: Quand quelqu'un de ceux d'phram se prsentait, en disant: Laissez-moi passer; les gens de Galaad l'interrogeaient en ces termes: Dis un peu Scibboleth. Mais l'Ephramite disait Chibboleth, car il ne pouvait pas prononcer comme il faut. Alors, le saisissant, ils le mettaient mort au passage du Jourdain. Et il y eut ainsi quarante-deux mille hommes de la tribu d'phram qui furent tus. (12:5-6) Jepht fut juge en Isral pendant six ans; puis, il mourut et eut pour successeurs Ibtsan, de Bethlem; Elon, de la tribu de Zabulon, et Abdon, flls d'Hillel. Sous le gouvernement de ceux-ci, les Hbreux vcurent en paix. Nous voici arrivs au fameux Samson, le terrible parmi les terribles, l'Hercule biblique. Les Philistins, qui n'avaient pas trop fait parler d'eux jusqu' prsent, entrent srieusement en scne et vont, pendant des sicles, donner du fil retordre au peuple de Dieu. Ces mcrants dbutrent par un asservissement de quarante annes; ils matrent les Juifs et ne leur pargnrent aucune humiliation. Quand Jhovah dcrta qu'il tait temps de prparer la dlivrance des enfants d'Isral, il s'y prit de bonne heure, cette fois, en employant une vieille mthode: il envoya un ange au sieur Manoah, de la tribu de Dan, qui avait une femme strile; peu aprs la visite de l'ange, M me Manoah fut enceinte. L'ange fit promettre la mre que son enfant ne se couperait jamais les cheveux; M me Manoah mit au monde le providentiel bb, 113
M. Manoah fut dans une joie que je renonce dcrire, et l'enfant reut le nom de Samson (ch. 13). Le gaillard, ds son jeune ge, fit preuve d'une force extraordinaire. Un jour, rien qu'en s'amusant, il tua un des plus terribles lions de la contre. Ds qu'il fut pubre, il voulut se marier, et, ce qui paratra bizarre de la part d'un lu de Dieu, c'est une philistine qu'il dsira avoir pour femme: ses parents eurent beau lui rappeler que les mariages avec des filles idoltres taient interdits par la loi de Mose, le jeune Sa mson rpliqua qu'il y avait exception pour lui; il pousa donc sa philistine. Pendant les noces, qui durrent plusieurs jours, il proposa une nigme aux jeunes gens de la famille de son pouse: l'enjeu consistait en trente chemises et trente tuniques que ceux-ci auraient offrir Samson, s'ils ne pouvaient parvenir deviner son nigme, et rciproquement. La marie, qui tenait faire gagner ses parents ce lot important de frusques, se fit dire par Samson le mot de l'nigme, le soir, sur l'oreiller, et l'enseigna ensuite aux jeunes philistins. Samson, ayant ainsi perdu son pari, n'avait plus qu' s'excuter. Pour cela, il se rendit Ascalon, chercha querelle trente philistins, qu'il embrocha sans la moindre difficult, prit leurs chemises et leurs tuniques et les donna aux devineurs gagnants. Quant sa femme, qui avait eu la rosserie de lui tirer les vers du nez et de le trahir, elle ne termina pas son mariage avec lui: on tait au septime et dernier jour des noces; le beau-pre, ce soir-l, sans prvenir Samson, adjugea la marie un compagnon, que le jeune hbreu considrait comme son meilleur ami. (ch. 14) Quelques jours aprs, Samson, ignorant qu'il avait t remplac, et ne gardant plus rancune sa femme, se rendit chez elle, porteur d'un chevreau qu'il dsirait lui offrir. Mais, quand il fut arriv la porte de la chambre, il se heurta au beau-pre, refusant de le laisser entrer. J'ai cru, lui dit celui-ci, que tu avais conu de l'aversion tout--coup pour ma fille; aussi l'ai-je donne ton compagnon. Mais, si tu veux ma fille cadette, tu n'as qu' parler. Voyons, n'est- elle pas plus belle que sa sur ane? Je t'en prie, prends-la. Samson rpondit: Eh bien! maintenant, quelque grand que puisse tre le mal que je ferai aux Philistins, je me tiendrai pour innocent. (15:1-3) Voici quelle fut la premire vengeance de l'lu de Dieu: il prit trois cents renards (pas un d plus, pas un de moins!); il les lia l'un l'autre par la queue, et y attacha des flambeaux au milieu; et, ayant allum les flambeaux, il lcha les renards, qui brlrent tous les bls des Philistins, tant ceux qui taient dans l'aire que ceux qui taient sur pied, et les vignes et les oliviers (15:4-5). Les Philistins, navrs de cet incendie et en ayant appris toutes les causes, se rendirent chez le beau-pre de Samson et le brlrent vif, ainsi que sa fille; ils s'imaginaient que le courroux du fils de Manoah serait apais ds lors. Pas du tout; Samson leur dclara que sa vengeance contre tous les philistins sans distinction venait peine de commencer; et il les battit dos et ventre (sic) et leur in fligea une grande dfaite , la Bible ne dit ni o, ni comment, ni si ce fut en compagnie d'autres Hbreux ou tout seul. Quoi qu'il en soit, la situation s'aggrava: tous les philistins se rassemblrent et camprent parmi la tribu de Juda, se prparant tout massacrer. Cependant, Samson s'tait retir sur le rocher de Htam, Trois mille hommes de la tribu de Juda vinrent l'y trouver et l'accablrent de reproches, en lui faisant ressortir qu'ils n'taient pas de taille lutter contre les Philistins, leurs assigeants. Eh bien, leur dit Samson, attachez-moi solidement et livrez-moi nos ennemis; de cette faon, ils vous laisseront tranquilles. Il fut fait ainsi. Les Philistins acceptrent avec joie qu'on leur livrt un gaillard qui leur donnait tant de tintouin... Mais, peine Samson avait-il t emmen par ses ennemis triomphants, qu'il rompit ses liens, saisit une mchoire d'ne qui se trouvait l par terre, et, arm de cette massue improvise, il assomma les mille Philistins qui lui servaient de gardiens. 114
Apres un exercice aussi violent, Samson se sentit quelque peu fatigu et surtout trs altr; or, il tait dans un champ, et pas un puits l'horizon. Alors, fort press par la soif, il cria l'Eternel: Tu as accord ton serviteur cette grande dlivrance; et maintenant mourrai-je de soif et tomberai-je entre les mains des incirconcis? Et Dieu, ayant entendu Samson, fendit une des dents molaires de cette mchoire d'ne, et une fontaine en jaillit; et quand Samson eut bu, la force lui revint et il reprit courage. (15:18-19) Cet exploit lui valut les honneurs de la magistrature suprme en Isral: il exera les hautes fonctions de juge pendant vingt ans (v. 20). Il est remarquer que Samson ne posait pas pour le magistrat de murs austres: cet lu de Dieu frquentait les lupanars, au vu et au su de tout le monde. Un jour, il eut une aventure, qui aurait pu fort mal tourner pour lui; mais Jhovah le protgeait, mme au milieu de ses fornications. Voici l'historiette: Samson en pinait toujours pour les philistines; tant all Gaza, ville forte qui appartenait aux ennemis d'Isral, il se fit hberger le soir par une prostitue, avec qui il coucha; et la chose fut sue dans toute la ville, de sorte que les Philistins, ayant confiance dans leurs portes qui taient fermes la nuit, dormirent tranquillement, se promettant de se saisir de lui la pointe du jour et de le tuer; mais Samson se leva minuit et quitta la maison de dbauche; suis arriv aux remparts, il arracha les portes de la ville, avec leurs gonds et leurs montants, chargea le tout sur ses paules et en fit le transport trs loin, jusqu'au sommet d'une montagne qui est vis--vis de Hbron. (16:1-3) Incorrigible coureur de guilledou, Samson s'amouracha, un beau matin, d'une nouvelle philistine, nomme mamzelle Dalila, dont il fit la connaissance en flnant sur les bords du torrent de Sorek. Ds que ses ennemis le surent empaum par la belle, ils offrirent celle-ci une somme considrable, si elle leur livrait son amoureux, aussi affaibli que possible. Dalila n'y alla pas par quatre chemins; elle demanda carrment Samson quel tait le secret de sa force. La faon dont l'Hercule juif se laissa prendre au pige est tellement bbte, qu'il est bon, ici encore, de citer tout au long le texte divin: Dalila, donc, dit Samson: Dclare-moi, je t'en prie, en quoi consiste ta grande force et avec quoi il faudrait le bien lier pour te dompter. Et Samson lui rpondit: Si on me liait de sept cordes fraches, qui ne fussent point encore sches, je deviendrais sans force, et je serais comme un autre homme. Alors, les gouverneurs des Philistins lui envoyrent les sept cordes fraches, et elle l'en lia. Or, elle avait chez elle, dans sa chambre, des gens qui se tenaient cachs, et elle lui dit: Les Philistins sont sur toi, Samson! Mais il rompit les cordes, comme se romprait un filet d'toupes ds qu'il sent le feu; et le secret de sa force ne fut point connu. Puis, Dalila dit Samson: Allons, tu t'es moqu de moi; car tu m'as dit des mensonges. Je t'en prie, dclare-moi maintenant avec quoi tu pourras tre bien li. Et il lui rpondit: Si on me liait serr de grosses cordes neuves, dont on ne se serait jamais servi, je deviendrais sans force et je serais comme un autre homme. Dalila, donc, prit de grosses cordes neuves, et elle lia Samson, puis elle lui dit: Les Philistins sont sur toi, Samson! Or, il y avait encore des gens cachs dans la chambre; et il rompit les grosses cordes de dessus ses bras comme un filet. Puis, Dalila dit Samson: Tu t'es moqu de moi jusqu'ici, et tu ne m'as dit que des mensonges. Finissons-en; rvle-moi avec quoi il faudrait te lier. Et il lui dit: Eh bien, voici; ce serait si tu avais tissu sept tresses de ma chevelure autour d'une ensuble. Et elle les mit dans l'ensuble avec la cheville, pendant qu'il dormait; et elle cria tout coup: Les Philistins sont sur toi, Samson! Alors, il se rveilla de son sommeil, et enleva la cheville du mtier avec l'ensuble. Alors, elle lui dit: Pourquoi dis-tu que tu m'aimes, puisque ton cur n'est point avec moi? Tu t'es moqu de moi trois fois, et tu t'obstines me cacher en quoi consiste ta grande force. Et elle le tourmentait tous les jours par; es paroles et le pressait jusqu'au bout, de sorte que son me en tait trs afflige. Alors, il lui ouvrit tout son cur et lui dit: Le rasoir n'a jamais pass sur ma tte; car je suis nazaren, vou Dieu ds le ventre de ma mre. Si j'tais ras, ma force m'abandonnerait, et je deviendrais comme 115
tous les autres hommes. Dalila, donc, voyant qu'il lui avait ouvert tout son cur cette fois, envoya appeler les gouverneurs des Philistins et leur fit dire. Vous pouvez monter vers moi; car il m'a ouvert tout son cur. Les gouverneurs s'empressrent de venir vers elle, apportant l'argent promis. Et, quand elle les eut fait cacher, Dalila endormit Samson sur ses genoux, et, ayant appel un homme, elle lui fit raser sept tresses des cheveux de sa tte; ds lors, elle commena de le dompter, car sa force l'abandonnait. Alors, elle cria: Les Philistins sont sur toi, Samson! Et lui, en s'veillant, il se disait: J'en sortirai comme les autres fois, et je me dgagerai de leurs mains. Mais il ne savait pas que l'ternel s'tait retir de lui. Les Philistins, donc, le saisirent, et lui crevrent les yeux; et ils l'emmenrent Gaza, le jetrent dans une prison, li de deux chanes d'airain; et l, ils l'obligrent tourner, tous les jours, une lourde meule de moulin. (16:6-21) Il serait difficile, je crois, d'imaginer un conte plus stupide. De la premire ligne la dernire, dans cet pisode du livre des Juges, tout est idiot, et il n'y a pas l de quoi amuser les enfants mme les plus imbciles. A propos de l'histoire de Samson, lord Bolingbroke disait qu'il n'y a de mchoire d'ne dans cette fable que celle de l'auteur qui l'inventa. C'est une grossire imitation, un plagiat maladroit et grotesque de la fable paenne d'Hercule, de mme que le sacrifice d'Iphignie a visiblement inspir le narrateur du vu de Jepht aboutissant l'immolation de sa fille. Il est vrai que les thologiens insinuent que c'est plutt la mythologie grecque qui aurait copi et dnatur la Bible: mais il est facile de leur rpondre avec des dates prcises, dont quelques-unes sont fournies par eux-mmes. Leur opinion est que se livre des Juges a t crit par Samuel, du temps de Sal; or, chez les Grecs, il tait question d'Hercule trs antrieurement la guerre de Troie, et il y a plus de deux cents ans entre la guerre de Troie et l'lection de Sal. Le R. P. Petau, jsuite, fait natre Hercule l'an 1289 avant notre re, et le mme Petau ne fait commencer les exploits de Samson que onze cent trente-cinq ans avant la mme re. Suppos qu'il et commenc vingt-cinq ans, il serait donc n en 1110; mme si l'on admet l'existence nullement prouve de ces deux terribles personnages, il rsulte de cela qu'Hercule naquit cent soixante-dix-neuf ans avant Samson: ainsi les thologiens sont pris leur propre chronologie. En outre, il est remarquer que la fable paenne a t plus intelligemment imagine que la fable juive; la fin d'Hercule est moins inepte que celle de Samson. Dans la mythologie grecque, le demi-dieu fut tellement sduit par la beaut d'Omphale, qu'il en oublia ses habitudes errantes et ses exploits guerriers, et se fixa auprs de sa nouvelle amante, qui prit sur l'esprit d'Hercule un empire absolu: alors, tandis que la reine de Lydie s'amusait se vtir de la dpouille du lion de Nme et s'armer de la redoutable massue du hros, celui-ci, assis aux pieds de la princesse, couvert comme une femme d'une longue robe de pourpre, essayait de filer la laine, rompait tous les fuseaux et recevait en riant les coups de pantoufle que lui appliquait sa joyeuse matresse. Cet pisode caractrise suffisamment l'influence que peut prendre une femme aime sur l'homme, mme le plus hroque; mais ici l'allgorie ne franchit pas les limites du possible et reste croyable. Si Hercule oublie sa dignit, il n'en est pas moins vrai qu'on est en prsence de deux amants qui s'amusent; ils voyagent, ainsi travestis; Omphale oublie elle-mme son royaume et emmne Hercule coucher avec elle dans des grottes, loin de sa cour. Hercule, un beau jour, trompe Omphale et s'amourache d'une de ses suivantes, la jolie Matis, dont il a un fils, Agsilas. De Matis, il passe Iole, fille du roi Eurythus. Enfin, Djanire, sa femme, dsespre de ses infidlits, lui envoie la tunique du centaure Nessus, qu'elle croit un talisman ayant la puissance de ramener les maris coureurs leurs devoirs conjugaux, et Hercule, dans les douleurs que lui causent la tunique empoisonne qui s'est colle sa chair et qu'il ne peut arracher, se rsout au suicide pour terminer plus vite ses souffrances; il construit un immense bcher sur le mont ta, l'allume et se prcipite dans les flammes. 116
La fin de la lgende d'Hercule retombe dans l'incroyable; mais, du moins, quoi de plus potique que la mort du fils de Jupiter et d'Alcmne?... Puisque le Saint-Esprit est l'auteur de la Bible, il nous oblige lui dire que ses contes sont forts au-dessous des lgendes paennes des Grecs et des Romains. Ovide, racontant le tragique suicide d'Hercule, est infiniment suprieur au divin pigeon, dont le Samson est d'un ridicule achev. Les dieux de l'Olympe s'apitoient sur les douleurs de l'poux de Djanire; mais Jupiter les rassure, et nous avons l une des plus belles pages de la mythologie paenne. Que le bcher dta n'alarme plus votre me! Qui, qui sut vaincre tout saura vaincre la flamme. L es feux vont purer ce qu'il eut do mortel. Ce q u'il eut do divin, impassible, ternel, Ne craint point do Vulcain l'atteinte meurtrire. Mon fils va secouer son argile grossire, Et bientt, nouveau dieu, se placer parmi vous, Si quelque dit le voit d'un il jaloux, Elle avora du moins, bien qu'elle s'en indigne, Que, si l'honneur est grand, le hros en est digne. Cet arrt dos dieux prvenu le dsir; Junon mme, Junon l'entend sans dplaisir; Mais, ces derniers mots, qui condamnent sa haine, Son dpit sur son front se dguise avec peine. Le hros dans le feu triomphe de Vulcain; Son air est plus auguste, il n'a plus rien d'humain: Il n'a plus rien des traits qu'il reut do sa mre, Immortel par sa mort, il ressemble son pre. Tel qu'un serpent superbe, aux rayons du soleil, De sa nouvelle caille allume l'or vermeil Et semble avec sa peau dpouiller sa vieillesse, Tel, de l'humanit dpouillant la faiblesse, Hercule a pris d'un dieu l'auguste majest Et semble se vtir de l'immortalit. Des airs en un moment traversant la carrire, Il s'lve, emport sur un char de lumire. (OVIDE, Mtamorphoses, livre 9; traduction de Delille.) Mais, si le paganisme tait souvent plein de posie dans ses lgendes, par contre, peut-on rver rien de plus plat que l'Hercule biblique? Que l'pisode de Samson et de Dalila soit une contrefaon de l'aventure d'Hercule chez Omphale, cela parat hors de doute; toutefois, il semble que l'Esprit-Saint aurait pu mieux camper son hros; Samson se mfie de sa matresse, puisque par trois fois il lui conte une craque au sujet de sa force; et, aprs avoir constat trois fois que sa confidence lui vaut d'avoir se dbattre contre ses ennemis, il rvle, la quatrime fois, toute la vrit , cette femme dont la perfidie est vidente. Il y a l une impossibilit qui crve les yeux, plus vivement encore que furent crevs ceux de Samson; ou bien ce juge d'Isral tait le dernier des gagas. Sans compter qu'on se demande comment Samson, ayant perdu toutes ses forces, fut astreint, dans sa servitude, tourner quotidiennement une lourde meule de moulin! C'tait le cas, au contraire, de lui imposer, pour humiliation, l'avilissement d'Hercule filant de la laine ou tout autre travail de femmelette... 117
La conclusion clate, d'ailleurs, de plus en plus en btise et en contradiction. Les Philistins, sachant que la force de leur prisonnier rside dans sa lignasse, devraient le raser au moins tous les quinze jours. Pas le moins du monde! ils laissent ses cheveux repousser et ne se mfient de rien. Et les cheveux de Samson commencrent revenir, et ils furent sur sa tte comme ils taient au jour o il fut ras chez Dalila (16:22). L-dessus, les gouverneurs philistins donnent une grande fte Gaza, en l'honneur de leur dieu Dagon; Samson est tir de sa prison; on l'amne dans un immense palais, o il y avait trois mille personnes, tant d'hommes que de femmes ; on fait placer le captif entre deux piliers qui soutenaient tout l'difice (sic). Samson, donc, embrassa les deux piliers du milieu, sur lesquels le palais tait appuy, et il se tint eux: l'un tait sa droite, et l'autre sa gauche. Et il dit: Que je meure avec tous les Philistins! Il tendit alors les bras de toute sa force, et le palais s'croula sur les gouverneurs et sur tout le peuple qui y tait. Et il fit mourir beaucoup plus de gens dans sa mort qu'il n'en avait fait mourir pendant sa vie. (16:29-30) Sans avoir aucune tendance au paganisme, on trouvera certainement la mort d'Hercule beaucoup plus intressante que celle de Samson. Quant la vie des deux hros, si l'on veut comparer l'une l'autre, quelle pitre existence mena Samson! et comment ses maigres exploits pourraient-ils lever l'me, mme en se plaant au point de vue religieux!... Car, d'aprs la Bible elle-mme, si Samson met en capilotade les Philistins et incendie leurs rcoltes, ce n'est nullement sous l'inspiration d'une haine patriotique contre la nation qui opprime ses frres juifs, ni pour venger Jhovah de la concurrence du dieu Dagon. Il satisfait purement et simplement une haine personnelle, aprs avoir vcu dans les meilleurs termes avec les perscuteurs de ses compatriotes. Vex au plus haut point de ce qu'une philistine, dont il est pris, n'a t sa femme que pendant six jours et est devenue, par le caprice de son beau-pre, l'pouse dfinitive d'un philistin, qui est son plus intime ami, il soulage sa rancune en faisant aux Philistins tout le mal qu'il peut, il exerce une vengeance particulire qui n'a rien voir avec une revanche nationale; bien plus, il mprise les vierges d'Isral, et c'est toujours vers les gadoues philistines que le porte son cur. Jhovah? il s'en soucie comme de sa premire chemise!... Hercule, au contraire, est vraiment le hros national de la Grce, et si ses exploits nous laissent incrdules, il n'en est pas moins vrai qu'ils sont inspirs, dans leur lgende, par les plus nobles sentiments: il n'est pas seulement la personnification de la force; il met cette force au service des faibles avec une admirable gnrosit. Ds son adolescence, lorsqu'il rencontre sur sa route le Vice et la Vertu, qui, sous la forme de deux femmes, tentent l'envi de l'attirer elles, quel choix fait Hercule? L'une fait briller ses yeux mille sductions bien capables de gagner un jeune homme; elle montre ses regards un chemin large, commode et bord de fleurs embaumes, tandis que l'autre lui dcouvre un sentier escarp, troit et aride. Le fils d'Alcmne, avec un discernement au-dessus de son ge, se dcid pour le sentier de la vertu, malgr les difficults de ses abords, parce qu'il comprend que c'est la voie du bonheur et qu'il pressent, au bout de l'autre, le remords impitoyable. Tous les papes infaillibles pourront s'poumonner nous crier que le paganisme est l'uvre du dmon, ils n'empcheront pas l'enseignement de cette allgorie paenne d'tre essentiellement moral. Ensuite, Hercule, passant sa vie combattre les tyrans et les monstres, agit pour le bien de l'humanit; il lutte contre les flaux de toute espce, il extermine les plus cruels brigands. Aux yeux de quiconque rflchit, le parallle est crasant pour le hros de la Bible; il faut une insigne mauvaise foi ou tre un pieux crtin pour prfrer Samson Hercule. En mettant celui-ci sur leurs autels, les paens adoraient un hros sympathique; en faisant vnrer par leurs ouailles l'amant de Dalila, en disant qu'il faut voir en lui un saint, un lu de Dieu, les tonsurs font uvre d'abrutissement, trompent avec cynisme et placent, en somme, l'aurole sur la tte d'un sale monsieur. 118
Dans le livre des Juges, nous trouvons encore un pisode qui, comme beaucoup d'autres, d'ailleurs, n'est gure fait pour relever le prestige du peuple isralit e; c'est l'aventure du lvite d'Ephram, de sa concubine et des Benjamites. Ce cur juif avait pris une concubine, femme de Bethlem, appartenant la tribu du Juda. Un jour, cet estimable couple, tant en voyage, s'arrta Gabaa, et reut l'hospitalit chez un vieillard, qui leur offrit gnreusement dner, mettant en leur honneur les petits plats dans les grands. En avant, la citation textuelle! Tandis qu'ils faisaient bonne chre, les gens de la ville, qui taient de mauvais garnements, environnrent la maison, frappant coups redoubls contre la porte et criant au vieillard: Fais-nous sortir ce lvite, car nous voulons nous en servir comme d'une femme t Mais le vieillard, allant eux, leur dit: Mes frres, je vous en prie, renoncez votre dsir de commettre un tel pch; ce lvite est mon hte; ne consommez pas cette folie. Au surplus, j'ai ma fille qui est vierge, et l lvite est ici avec sa concubine. Je vais donc vous amener ma fille et la concubine du prtre; vous violerez ces deux femmes autant que vous voudrez; cela vaudra mieux que d'assouvir votre dbauche sur ce lvite. Or, ces gens ne voulurent pas accepter la proposition du vieillard; alors le lvite poussa lui-mme sa concubine hors de la maison; ils la prirent, et tous les mles de la ville passrent sur elle, cette nuit-l. Quand les tnbres furent dissipes, la femme retourna la porte de la maison; mais elle tait tellement faible par suite de tant de viols, qu'elle tomba sur le seuil. Quand le lvite se leva, l'aurore, il sortit pour se remettre en route, et voil qu'il se heurta contre le corps de sa concubine tendue par terre. Il lui dit: Allons, lve-toi, nous partons. Mais elle ne rpondit point. Alors, il la chargea sur son ne et s'en retourna chez lui, Ephram. L, il prit un grand couteau, et il dcoupa le corps de sa concubine en douze morceaux, et il envoya un des morceaux du cadavre chacune des tribus d'Isral. (19:22-29) Lord Bolingbroke, commentant cet pisode, dit qu'il semble d'abord une copie de l'abomination des Sodomites, qui voulurent violer deux anges; il ajoute que le peuple juif se montre ainsi le plus excrable des peuples. A son avis, il tait presque pardonnable des Grecs voluptueux, des jeunes gens parfums, de s'abandonner, dans un moment de dbauche, des excs trs condamnables, dont on a horreur dans la maturit de l'ge; mais que dire de ces Gabates, plus ignobles que des chiens en rut! On se demande s'il est possible de trouver, dans un livre qu'on prtend inspir par l'Esprit-Saint, quelque chose de plus rpugnant que l'aventure de ce prtre concubinaire, porteur, sans aucun doute, d'une grande barbe la manire des prtres orientaux, qui, arrivant de loin sur son ne et couvert de poussire, inspire nanmoins des dsirs impudiques tous les mles d'une ville! Il n'y a rien, crit Bolingbroke, dans les histoires les plus rvoltantes de toute l'antiquit, rien qui approche d'une infamie si peu vraisemblable. Encore les deux anges de Sodome, tant dans la fleur de l'ge, devaient tre d'une clatante beaut, comme il convient des anges, et pouvaient tenter les malheureux Sodomites; mais le got des Gabates n'est-il pas le dernier degr de la dpravatio n?... Quant l'ide d'envoyer un morceau du corps de la concubine chaque tribu, elle est encore sans exemple et fait frmir. il fallut donc envoyer douze messagers, chargs de ces horribles restes. Mais o taient alors les douze tribus? qui, dans chaque tribu, remit-on ce douzime de cadavre, puisque les tribus se trouvaient sans chefs officiels, les Isralites disperss, en servitude, subissant le joug des Philistins?... Alors, tous les enfants d'Isral s'assemblrent comme un seul homme, depuis Dan jusqu' Ber-Sc bah, et jusqu'au pays de Galaad, vers l'Eternel, Mitspa. Et toutes les tribus se trouvrent dans l'assemble du peuple de Dieu, au nombre de quatre cent mille hommes de pied, qui tiraient l'pe (20:1-2). N'oublions pas, certes, que ceci se passe immdiatement aprs la mort de Samson, alors que les Philistins tiennent les Hbreux dans un esclavage des plus durs. Comment les douze tribus s'assemblrent-elles? comment leurs matres tolrrent- ils cette vaste runion arme? La Bible ne le dit point; il semble que le divin pigeon a 119
compltement oubli la lamentable situation dans laquelle le peuple de Dieu gmit. C'tait, cependant, aux Philistins, possesseurs du pays, qu'on devait s'adresser pour obtenir le chtiment d'un crime commis chez eux: c'est l le droit de tous les souverains, droit dont ils ont t extrmement jaloux dans les temps. Plus loin, le texte donne vingt-six mille sept cents combattants la tribu de Benjamin (v. 15) qui prit parti pour les coupables, et il maintient aux onze autres tribus quatre cent mille hommes tirant l'pe, tous gens de guerre (v. 17). En supposant la population gale, dit Voltaire, chaque tribu aurait eu trente-cinq mille quatre cent seize soldats. Et en ajoutant les vieillards, les femmes et les enfants, chaque tribu devait tre compose de cent quarante-un mille six cent soixante-quatre personnes, qui font, pour les douze tribus, un million six cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent soixante-huit personnes sans parler des lvites. Or, pour qu'on tnt en servitude un nombre si prodigieux d'individus, parmi lesquels il y avait quatre cent vingt-six mille hommes d'armes, il aurait fallu au moins huit cent mille soldats bien arms. Et comment les matres laissaient-ils des armes leurs esclaves, quand il est dit, au livre des Rois, chap. 13, que les Philistins ne permettaient pas aux Juifs d'avoir un seul forgeron, de peur qu'ils ne fissent des pes et des lances , et que tous les Isralites taient obligs d'aller chez les Philistins, leurs matres, pour faire aiguiser le soc de leurs charrues, leurs hoyaux, leurs cognes et leurs serpettes? Dans lequel de ces deux passages contradictoires de la Bible, le divin pigeon dit-il une blague? en quels versets l'Esprit-Saint se moque-t-il le mieux de la crdulit des fidles? Nous allons voir, maintenant, quelle srie de massacres occasionna le multiple viol de la concubine du lvite. A l'assemble des quatre cent mille hommes d'armes, le cur juif raconta en partie ce qui s'tait pass; pour pouvoir se faire entendre d'un aussi nombreux auditoire, il faut admettre que notre homme tait dou d'une belle voix. La Bible donne son discours; passant rapidement mots couverts sur l'empalement dont il avait failli tre victime de la part des Gabates surexcits, il se borna demander vengeance pour le crime commis contre sa dfunte matresse: Ils ont tellement viol ma concubine, qu'elle en est morte! s'cria-t-il. Il n'est pas inutile de remarquer que, dans le premier rcit, tous les mles de la ville sont reprsents comme ayant viol la malheureuse, et qu' la suite du discours de l'amant dcoupeur, matre Pigeon-Dieu nous apprend que les habitants de Gabaa comptaient sept cents d'entre eux, excellents soldats, trs robustes, qui lanaient des pierres avec la fronde et ne manquaient jamais le but (20:16). Cet effroyable viol commis par tous les mles d'une ville ayant dur toute la nuit, mais une seule nuit, si l'on ne retient comme coupables que les sept cents Gabates robustes guerriers, et si l'on considre que le forfait fut accompli en t et non en hiver, par consquent, dans une nuit de dix heures au maximum, on constatera que ces enrags taient des gaillards fort expditifs. videmment, l'infortune ne put se dfendre contre tant d'assaillants, et elle ne fut bientt qu'une masse inerte, sur laquelle ces misrables se ruaient; mais encore est-on stupfait de compter qu'ils violrent la concubine du cur raison de soixante-dix viols par heure! moins d'une minute pour chacun ! Il devient donc ncessaire de croire que, ds le dbut du crime, ces sclrats avaient organis entre eux un service d 'ordre, et qu'arrivant la queue-leu-leu ils se pr sentaient d'abord au contrleur, chacun avec son numro, pour ne pas perdre de temps, comme cela se pratique aux stations d'omnibus, et chacun, au surplus, tant prt monter en voiture. Allez dire, aprs cela, que tout n'est pas merveilleux dans la sainte Bible!... La srie des massacres n'est pas moins mirobolante. Les enfants d'Isral, marchant ds la pointe du jour, vinrent se camper prs de Gabaa; mais les enfants de Benjamin sortirent de Gabaa et se rangrent en bataille. Et, dans le premier jour de cette guerre, les Benjamites turent vingt-deux mille hommes de l'arme d'Isral. (20:19- 21) On est d'abord tonn ici que Jhovah protget les Benjamites, qui taient du parti le plus coupable, contre tous les Isralites, qui taient du parti le plus juste. A la seconde bataille, 120
les enfants de Benjamin turent encore dix-huit mille hommes de l'arme d'Isral (20:25). Cela fait quarante mille dfenseurs de la bonne cause massacrs dj. C'est navrant! Mais attendez la fin. A prsent, les enfants d'Isral vont tre entirement vainqueurs, et cela nous consolera. Tout ce qui peut faire un peu de peine, c'est le nombre fantastique de juifs gorgs par leurs frres, depuis l'adoration du veau d'or jusqu' ces guerres intestines. Ce qui valut l'arme d'Isral la victoire dfinitive, ce ne fut pas la bont de sa cause, mais une prire qui fut adresse Sabaoth... devinez par qui?... par Phines, fils d'Elazar et petit- fils d'Aaron (v. 28)... Il n'tait donc pas mort, notre vieux Phines; mais voil longtemps, tout de mme, qu'il n'avait plus fait parler de lui!... Alors, dix mille hommes d'lite, de l'arme d'Isral, vinrent contre Gabaa, et la mle fut rude; et les enfants d'Isral, ce jour-l, turent vingt-cinq mille combattants de la tribu de Benjamin (20:34-35). Les Benjamites virent alors qu'ils taient battus (v. 36)... Puis, ils tournrent le dos devant l'arme d'Isral, et ils s'enfuyaient vers le chemin du dsert: mais l'arme d'Isral les serra de prs, et les Isralites environnrent donc ceux de Benjamin, les poursuivirent depuis Menuha jusqu' l'opposite de Gaba a; et les Benjamites, tant entours de leurs ennemis, perdirent dix-huit mille hommes, tus en cet endroit, tous gens de guerre et trs robustes (v. 42-44). Alors, ceux de Benjamin qui taient rests fuirent vers le rocher de Ri mmon; et ceux d'Isral en turent l encore cinq mille par les chemins, et, continuant la poursuite jusqu' Guidhom, ils en turent encore deux mille (v. 45)... Il y eut six cents hommes, de ceux qui avaient tourn le dos, qui chapprent au massacre, en se rfugiant sur le rocher de Rimmon, o ils demeurrent quatre mois. Et ceux d'Isral retournrent du combat, turent tout ce qui restait dans Gabaa, depuis les hommes jusqu'aux btes; et ils brlrent aussi toutes les villes et tous les villages de la tribu de Benjamin. (v. 47-48) Dans ce rcit, l'Esprit-Saint, prodiguant les chiffres, parat s' tre quelque peu embrouill. Il nous avait dit tout d'abord que les soldats de la tribu de Benjamin taient en tout vingt-six mille sept cents, y compris les robustes guerriers de Gabaa. Si nous savons bien compter, voil cinquante mille combattants benjamites tus coup sur coup dans ces batailles qui se succdrent avec une rapidit vertigineuse. Donc: ou les Benjamites se multiplirent dans l'action, tant et si bien que leur nombre se doubla, ce qui serait un miracle des plus curieux; ou bien le Saint-Esprit, en dictant le sacr livre, a perdu l'arithmtique, ce qui serait un miracle encore plus patant! Mais le plus beau de l'histoire, c'est notre cher Phines qui se trouve l, au moment o personne ne l'attendait, certes! il y avait belle lurette que nous nous l'imaginions mort et enterr, sinon auprs de son aeul Aaron, du moins dans le tombeau de son pre Elazar. Et il n'y a pas s'y tromper; le verset 28 du chap. 20 du livre des Juges est trs prcis: il ne s'agit nullement d'un homonyme; car le Phines qui prie Sabaoth en faveur de l'arme d'Isral contre les Benjamites, est bel et bien qualifi de fils d'Elazar et petit -fils d'Aaron . a ne vous dit rien, a?... Eh bien! comptez un peu sur vos doigts, et vous serez renvers! C'est ce mme Phines que nous avons vu, du vivant de Mose, embrocher avec une javeline l'hbreu Zimri et la jolie madianite Cozbi, au moment o l'amoureux couple soupirait les plus tendres soupirs. Le livre des Nombres, qui nous donna, en son chapitre 25, le compte-rendu officiel de cet exploit de lvite, nomme expressment le Phines transperceur: fils d'Elazar et petit-fils d'Aaron (v. 7 et 11). Et l'incident se passait au pays de Moab, avant l'arrive des Hbreux la Terre Promise, trs antrieurement au passage du Jourdain. Or, il en a coul, de l'eau, sous le pont, depuis l'embrochade de Zimri et Cozbi jusqu' l'crabouillade gnrale des Benja mites, laquelle est postrieure la mort de Samson et termine le livre des Juges!... On n'a pas oubli que, parmi les Isralites qui avaient vingt ans ou plus au moment de la sortie d'gypte, le gnral Josu et le sieur Ca leb furent les seuls qui Jhovah octroya la faveur de l'entre en Canaan; d'autre part, la Bible nous dit que Josu mourut l'ge de cent dix ans. En ajoutant ses quarante annes de voyage dans le dsert aux vingt ans d'ge de sa traverse de la 121
mer Rouge, on trouve qu'il avait soixante ans quand il succda Mose; par consquent, il commanda et gouverna les Hbreux durant cinquante annes. Faisons donc, en parcourant les livres de Josu et des Juges, le compte du temps coul entre le passage du Jourdain, auquel assistait le jeune et bouillant Phines, accompagnant son pre Elazar, et le massacre des Benjamites: Gouvernement de Josu, cinquante ans. Le verset 10 du livre 2 des Juges dit qu'il y eut ensuite une gnration qui n'avait point connu les uvres que l'ternel avait faites pour son peuple ; soit, au minimum, vingt ans. Survient la premire servitude des Hbreux, celle de Chuzan- Rischatajim, roi de Msopotamie: huit ans. Dlivrance, gouvernement du juge Othoniel: quarante ans. Deuxime servitude, celle du roi Eglon: dix-huit ans. Grce au juge Aod, le joug des Moabites est secou, et le peuple de Dieu a un long repos: quatre-vingts ans. Troisime servitude, celle du roi Jabin: vingt ans. Triomphe de M me Dbora et de Barac, nouveau repos: quarante ans. Rentre en scne des Madianites, quatrime servitude: sept ans. Vocation de Gdon, dlivrance: quarante ans de paix. Les Hbreux retombent sous le joug; cette fois, le despote est un des leurs; tyrannie d'Abimlec: trois ans. Gouvernement du juge Tolah: vingt- trois ans. Gouvernement du juge Jar: vingt-deux ans. Sixime servitude, celle des Ammonites: dix-huit ans. Dlivrance par Jepht, et gouvernement de ce juge: six ans. Gouvernement pacifique de trois autres juges: Ibtsan, sept ans; Elon, dix ans; Abdon, huit ans. Septime servitude, la premire sous le joug des Philistins: quarante ans. Exploits et gouvernement du juge Samson: vingt ans. Au total: quatre cent quatre-vingts ans s'coulrent donc entre le passage du Jourdain et la mort de Samson. Conclusion: Phines, grand-prtre, avait par consquent cinq cents ans au moins, quand il pria Sabaolh-Jhovah contre les Benjamites, quand il supplia le ciel de venger la concubine du lvite d'Ephram, viole en une nuit par sept cents enrags mles de Gabaa... Et voil l'Histoire! Mais pourquoi le texte biblique oublie-t-il de nous indiquer l'ge exact du grand-prtre Phines?... Un peu de prcision et t utile; car les sceptiques pourraient dire que le divin pigeon, en se brouillant avec l'arithmtique, a perdu la mmoire de sa chronologie, chronologie officielle et sacre, s'il vous plat! Or, les onze tribus isralites qui avaient massacr celle de Benjamin se repentirent bientt de leur uvre de destruction. On gmissait, en disant: Hlas! faut-il qu'une de nos tribus disparaisse?... Puis, on pensa aux six cents Benjamites qui vivaient tant bien que mal sur le rocher de Rimmon. Pourquoi ne seraient-ils pas la graine destine repeupler Benjamin?... Oui, mais voil! Ds l'ouverture des hostilits, on avait jur, Mitspa, de ne jamais donner une fille isralite en mariage un benjamite. Tandis qu'on cherchait la solution du problme, un malin dit: Il n'y a qu' s'enqurir et dcouvrir les familles qui ne se sont pas trouves Mitspa et qui n'ont pas prt ce serment. L'enqute fut ordonne; son rsultat fut la constatation que les juifs de Jabs avaient manqu au rendez vous o l'on jura l'extermination des Benjamites. Alors, massacre des bons juifs de Jabs, l'exception de quatre cents pucelles, que l'on envoya au rocher de Rimmon. Mais les habitants de ce rocher firent observer que les pucelles n'taient pas en nombre suffisant; deux cents des Benjamites survivants n'taient pas pourvus; cela devenait trs grave. Sur ces entrefaites, les magistrats songrent la grande fte de Jhovah, qui allait se clbrer Scilo, et ils rendirent le verdict que voici: Les Benjamites non pourvus de femmes sont, exceptionnellement, autoriss faire des enlvements pendant les crmonies religieuses et les rjouissances de Scilo. Les Benjamites enlevrent donc deux cents danseuses; les papas et les mamans n'eurent pas le droit de protester, et tout le monde, except eux, fut content. Enfin, les descendants de Benjamin rebtirent leurs villes brles. Ainsi finit le livre des Juges. Cette manire de repeupler une tribu a paru bien singulire tous les critiques; mais, comme les critiques sont des impies, que peuvent importer leurs objections? D'ailleurs, l'arche de 122
Dieu tait Scilo pendant les ftes; donc, Dieu tait prsent, et, puisqu'il ne fit pas sortir de terre les flammes qui dvoraient instantanment les grands criminels, c'est une preuve qu'il approuvait les ravisseurs. Demeurez donc muets, critiques! inclinez-vous devant les impntrables desseins de la Providence divine!
10 CHAPITRE
SUAVE IDYLLE DE LA BELLE RUTH
Oh! les larmes d'attendrissement que versent les sensibles dvots sur la touchante histoire de Ruth et de Nomi!... Avec quelle douce joie nous l'abordons notre tour!... Dans le temps o les Juges gouvernaient le peuple d'Isral, une famine dsola le pays; c'est pourquoi un homme de Bethlem, de la tribu de Juda, s'en alla au pays de Moab pour y habiter, et il emmena sa femme et ses deux fils. Cet homme se nommait Elimlec; sa femme, Nomi; ses deux fils, Mahlon et Kiljon. Ils se fixrent donc au pays de Moab. Or, Elimlec y mourut; mais Nomi y demeura nanmoins, avec ses deux fils, qui pousrent des femmes moabites, dont l'une s'appelait Orpha et l'autre Ruth. Leur sjour en ce pays fut de dix ans environ, au bout desquels Mahlon et Kiljon moururent. Ainsi Nomi resta seule isralite en Moab. (Livre de Ruth 1:1-5) Un jour, Nomi entendit dire que Jhovah avait rendu visite son peuple et lui avait distribu du pain. Alors, elle se leva, fit lever ses belles-filles et leur apprit qu'elle quittait le pays de Moab pour s'en retourner Bethlem. Quand elle fut hors de la maison, elle s'aperut que ses belles-filles marchaient avec elle; celles-ci, en effet, avaient pris le chemin qui conduit la contre habite par les descendants de Juda. Alors, Nomi dit ses deux belles-filles: Allez-vous-en, et que chacune de vous retourne tout de suite chez sa mre. Vous avez t bien aimables pour mes fils qui sont morts; aussi je souhaite qu' cause de cela Jhovah vous fasse misricorde. Oui, que mon dieu accorde chacune, dans la maison de son mari, le repos qu'elle mrite! Et elle les embrassa. Mais les deux jeunes femmes se mirent pleurer, et elles lui dirent, en levant la voix: Non, nous prfrons aller avec toi, puisque tu retournes vers ton peuple. Nomi reprit: Allons, mes filles, coutez-moi, et rebroussez chemin. Pourquoi quoi viendriez-vous avec moi? Y a-t-i l encore dans mes entrailles des fils que je pourrais vous donner pour maris? Non. je vous l'assure. Allez-vous-en, mes filles, allez-vous-en! D'ailleurs, je suis trop ge pour me remarier; et en supposant que j'en aie le dsir et l'esprance, mme si je couchais avec un mari ds cette nuit, mme si je venais ensuite mettre au monde deux garons, les attendriez-vous jusqu' ce qu'ils devinssent grands? Refuseriez-vous, cause d'eux. d'autres mariages? Non, n'est-ce pas? Retournez donc dans vos familles; car je suis en plus grande amertume que vous, la main de l'ternel s'est appesantie sur moi. (v. 6-14) Alors, elles levrent encore la voix et versrent de nouvelles larmes. Ensuite, Orpha prit cong de sa belle-mre; mais Ruth resta avec Nomi. Et Nomi insistait pour que Ruth allt rejoindre sa belle-su r: Orpha est retourne vers son peuple et vers son dieu, disait-elle; imite l'exemple de ta belle-sur. Mais Ruth rpondit: Tu me fais de la peine en me priant de te laisser, de m'loigner de toi; car j'irai o tu iras, je demeurerai o tu demeureras, ton peuple sera le mien dsormais et ton dieu sera mon dieu. L o tu mourras, je mourrai, et c'est l que je serai enterre. Que ton Jhovah me traite avec la dernire rigueur, si jamais rien te spare de moi que la mort! (1:15-17) Nomi, voyant ainsi que sa rsolution tait inbranlable, cessa de lui parler de sparation. Et elles marchrent toutes deux longtemps, jusqu' ce qu'elles fussent arrives Bethlem. Et quand elles eurent franchi les portes, toute la ville fut en moi cause d'elles, et tous disaient: N'est-ce pas Nomi?... Mais elle leur rpondit: Je vous en prie, ne m'appelez pas Nomi; 123
appelez-moi Mara. Et ceux qui l'avaient reconnue lui demandant pourquoi elle changeait son nom, elle leur dit: Le Tout-Puissant m'a remplie d'amertume; je suis partie d'ici comble de biens, et l'ternel me ramne compltement vide. Ainsi, puisque Jhovah m'a abattue et afflige, il ne faut plus, vous le voyez bien, m'appeler Nomi. (v. 18-21) C'est ainsi que Nomi, tant revenue avec Ruth la Moabite sa bru, retourna Bethlem; c'tait au commencement de la moisson des orges. (1:22) Or, il y avait un parent d'Elimlec, qui se nommait Booz, homme trs puissant et fort riche. Et Ruth la Moabite dit sa belle-mre: Si tu le permets, j'irai glaner dans les champs, et je trouverai peut-tre quelque homme qui s'intressera moi. Elle lui rpondit: Va, ma fille. Ruth s'en alla donc glaner derrire les moissonneurs. Et il arriva qu'elle se trouva dans un champ, appartenant ce Booz, qui tait parent d'Elimlec. Sur ces entrefaites, Booz vint de la ville et dit aux moissonneurs: Que Dieu soit avec vous! Ils lui rpondirent: Que Dieu vous bnisse! Aprs quoi, Booz ayant remarqu Ruth, demanda un jeune homme, chef des moissonneurs: Qui est cette fille? Lequel rpondit: C'est une jeune femme moabite, qui est revenue avec Nomi du pays de Moab. Elle nous a pris de lui permettre de ramasser quelques poignes d'orge aprs les moissonneurs; elle n'est ici que depuis ce matin. Alors Booz s'approcha de Ruth et lui dit: coute, ma fille, ne va point glaner dans un autre champ, et mme reste auprs de mes servantes. J'ai dfendu aux garons qui sont ici de te toucher; et quand tu auras soif, bois de l'eau que puisent mes gens. (2:1-9) A ces mots, Ruth se prosterna, le visage contre terre, et dit: Comment donc ai-je trouv grce devant toi? Je suis trangre, et pourtant tu sembles me connatre. On m'a racont Bethlem, rpondit Booz, comment tu t'es bien comporte l'gard de ta belle-mre, depuis que ton mari est mort. Je sais tout, ton abandon de ton pre et de ta mre, et de ton pays natal, pour venir vers un peuple que tu ne connaissais pas. Que l'Eternel te rcompense! puisque tu t'es mise sous la protection du Dieu d'Isral, puisses-tu obtenir de lui tout ce que tu mrites pour ton salaire! Mon seigneur, dit Ruth, me voil bien joyeuse d'avoir trouv grce devant tes yeux; tes paroles me sont une grande consolation, et elles sont vraiment selon le cur de ta servante, quoique je sois moins que la dernire de tes servantes. (v. 10-13) Booz revint encore vers elle, quand l'heure de manger fut venue, et il lui dit: Ne crains pas de te joindre mes gens; je t'y autorise. Tu mangeras du pain, et je te permets de le tremper dans le vinaigre. Ainsi, elle prit part au repas des moissonneurs, qui lui donnrent du grain rti; elle s'en rassasia et serra avec soin ses restes. Aprs quoi, elle se leva pour aller glaner. Et Booz commanda ses gens: Laissez-la glaner mme auprs des javelles; en outre, gardez- vous bien de lui faire quoi que ce soit qui puisse lui donner de la honte. Au surplus, laissez traner, comme par mgarde, quelques poignes d'pis, afin qu'elle les ramasse. Ruth glana donc jusqu'au soir; et, ayant battu les pis qu'elle avait recueillis, elle en tira environ un pha d'orge. (v. 14-17) Quand Ruth fut de retour la ville, elle montra sa belle-mre ce qu'elle avait glan; elle lui donna aussi les restes de son repas, qu'elle avait emports. Alors sa belle-mre l'interrogea: O as-tu glan aujourd'hui? Bni soit celui qui t'a fait si bon accueil! Ruth rpondit: L'homme chez qui j'ai ramass cet orge s'appelle Booz. Et Nomi s'cria: Que Jhovah le bnisse! Puis, elle ajouta: Cet homme nous est proche parent, et il est de ceux qui ont le droit d'acqurir pour eux personnellement dans l'hritage de la famille. Et Ruth dit encore: Je me souviens qu'il m'a recommand de rester avec ses gens, jusqu' ce que la moisson soit entirement termine. Nomi reprit: Ma fille, aie soin surtout de te tenir avec ses servantes, de crainte qu'ailleurs on ne te cause quelque chagrin. Ruth s'attacha donc aux servantes de Booz, et chaque soir elle venait retrouver sa belle-mre, avec qui elle habitait. (2:18-23) Nomi dit un jour Ruth: Ma fille, pourquoi ne chercherai-je pas comment tu pourrais avoir la vie assure et tre heureuse? Voici donc ce que tu devras faire. Booz, qui est notre pioche parent, vannera cette nuit son orge. C'est pourquoi aujourd'hui il faut te laver; en outre, frotte- 124
toi la peau avec de l'huile parfume; puis, mets sur toi ta plus belle robe, et va-t'en dans l'aire de Booz. Mais ne te montre pas lui, tant qu'il n'aura pas fini de manger et de boire. Quand il ira se coucher, remarque bien l'endroit o il se rendra pour dormir. Tu attendras qu'il soit couch; tu entreras tout doucemen t; tu dcouvriras ses pieds, et tu te coucheras auprs de lui; alors il te dira ce que tu auras faire (textuel). Ruth lui rpondit: Je ferai tout ce que tu me dis. (3:1-5) Elle alla donc dans l'aire de Booz, pour mettre fidlement en pratique les conseils de sa belle-mre. Et Booz, ayant bien mang et bu, tait en belle gat, et il s'alla coucher contre un tas de gerbes. Alors, Ruth se glissa tout doucement prs de sa couche, et ayant lev la couverture aux pieds, elle se coucha l. (v. 6-7) Au milieu de la nuit, Booz fut tout tonn de trouver une femme dans sa couche, ses pieds; il retira ses pieds vivement, en disant: Qui es-tu? Elle rpondit: C'est moi, Ruth, et je suis ta servante. Etends-toi sur ta servante; car tu es proche parent, et tu as droit de me prendre pour toi, puisque je fais partie de l'hritage dans ta famille. Booz dit: Que Jhovah te bnisse, ma fille! Tu vaux encore mieux cette nuit que ce matin, attendu que tu n'as point t chercher des jeunes gens, soit riches, soit pauvres. Ne crains rien donc; je ferais ce que tu viens de me dire; car tu as la rputation d'tre une femme de bien. Maintenant, s'il est trs vrai que j'ai le droit de te prendre pour moi, il y en a un autre qui a droit avant moi, parce qu'il est plus proche parent de Nomi. Passe cette nuit dans ma couche; et si demain matin l'autre parent plus proche veut exercer son droit, eh bien, qu'il en use! mais s'il ne lui plat pas d'en user, je te prendrai pour moi sans aucune difficult, aussi vrai que Dieu est vivant! Demeure donc ici couche jusqu'au matin. (v. 8-13) Ainsi, elle resta dans sa couche toute la nuit; et elle sa leva avant que le jour part. Booz lui dit: Prends bien garde que personne ne sache que tu as pass la nuit ici. Mais donne ton tablier, dploie-le. Elle tendit son tablier, le tenant, des deux mains; Booz y mit six mesures d'orge, qu'elle emporta Bethlem. A sa belle-mre qui lui demanda comment elle s'tait comporte, Ruth raconta tout ce qui s'tait pass entre Booz et elle. Il m'a donn, ajouta-t-e lle, ces six mesures d'orge, en me disant: Je ne veux pas que tu retournes, les mains vides, vers ta belle-mre. (v. 14-17) Le chapitre 4 du livre de Ruth nous montre le vieux Booz en pourparlers avec le proche parent dont les droits passaient avant les siens. Celui-ci, ne se souciant aucunement d'pouser la bru de Nomi, se dchaussa et donna Booz un de ses souliers en tmoignage de sa renonciation (v. 8). Booz, alors, de montrer le soulier aux magistrats et tous les habitants de Bethlem. Ainsi, dit Booz, vous tes tous tmoins que j'ai acquis aujourd'hui tout ce qui appartenait Elimlec et tout ce qui tait Kiljon et Mahlon, ses fils, et que, de cette faon, je me suis acquis aussi Ruth la Moabite, veuve de Mahlon, pour tre ma femme. Alors, tout le peuple et les anciens, voyant le soulier, dirent: Nous en sommes tmoins Dieu fasse que la femme qui entre en ta maison soit comme Rachel et comme Lia, qui toutes deux ont donn des enfants la famille d'Isral; conduis-toi vertueusement en Ephrat, et rends ton nom clbre Bethlem; et que de la postrit que Jhovah te donnera, par cette jeune femme, ta maison soit comme la maison de Phars, ton anctre, que Thamar enfanta Juda. Booz prit donc Ruth pour femme; il entra en elle, et Dieu lui accorda de concevoir et d'enfanter un fils. Et les femmes dirent Nomi: Bni soit l'Eternel, qui n'a pas voulu que l'hritage de ton fils soit perdu pour la maison d'Isral! Que Jhovah console ton me et qu'il soit le soutien de ta vieillesse; car ta belle-fille, qui t'aime, a enfant par les uvres d'un isralite, et elle te vaut mieux que sept fils. Alors, Nomi prit l'enfant et le mit son sein, et elle lui servit de nourrice (a, c'est un miracle qui n'est pas banal). Et les voisines donnrent un nom l'enfant; elles l'appelrent Obed. Cet Obed fut le pre d'Isa, qui fut le pre de David. (4:9-17) Telle est, dans toute sa saveur, l'difiante histoire de Ruth, modle des brus bibliques, et de Nomi, la crme des belles-mres. On aura admir, en passant, la gnrosit de Booz, ce 125
vieux propritaire trs puissant et fort riche, qui, aussitt que Ruth lui eut tap dans l'il, lui accorda le pain de la table de ses moissonneurs, en l'autorisant le tremper dans du vinaigre, afin qu'il ft moins sec. Les critiques trouvent bizarre que Booz, au lieu d'aller coucher dans sa chambre, se soit tendu, pour dormir, la nuit, contre un las de gerbes, dans l'aire, comme font les manuvres aprs la moisson; mais ils trouvent plus bizarre encore, et d'un got extrmement douteux, que Ruth se soit glisse dans la couche de Booz, ainsi que le raconte l'auteur sacr comme une chose toute naturelle et sans la moindre vergogne. Si ce Booz, disent-ils, devait, en qualit de parent, pouser cette Ruth, le devoir de Nomi, qui lui tenait lieu de mre, tait de faire honntement la proposition de mariage; elle ne devait pas persuader sa bru de faire un mtier de gourgandine. De plus, Nomi devait savoir qu'il y avait un parent plus proche que Booz: c'tait donc ce parent plus proche que l'on devait s'adresser. Enfin, on sait que les chrtiens font descendre Jsus de David, et, par consquent, de Booz et de Ruth; la prostitution et l'inceste se trouvent ainsi profusion dans le sang que Dieu choisit pour s'incarner. Booz descend en droite ligne de Phars, n de l'inceste de Thamar se livrant son beau-pre Juda, en faisant la prostitue; en outre, Booz est fils de Salmon et de Raab, la prostitue de Jricho. Quant Ruth, elle descend de Moab, n de l'inceste de Loth avec sa fille ane. Voil donc des anctres d'lite pour un Messie! voil un sang fort honorable pour un Dieu se faisant homme! Mais le plus amusant pour l'observateur, c'est de constater qu'en dictant le livre de Ruth le divin pigeon n'a pas pris garde qu'il laissait percer la mystification de toutes ses dictes. En effet, entre Salmon, poux de Raab, et Isa, pre de David, il n'y a, dans l'ordre gnalogique, que Booz et Obed. Or, Raab et Salmon sont contemporains de Josu; Raab n'a t pouse par Salmon qu'aprs la prise de Jricho, c'est--dire aprs le passage du Jourdain. D'autre part, en suivant la chronologie de la Bible, nous allons voir qu'Obed vcut du temps du grand-prtre Hli, et que le successeur d'Hli, Samuel, vcut en mme temps qu' Isa; le gouvernement des Juges va finir avec Samuel, qui instituera le premier roi, Sal, prononcera ensuite sa dchance et sacrera David. Au point de vue du temps vcu par les hros bibliques, le livre de Ruth dtruit donc compltement le livre de Josu et le livre des Juges; car il est matriellement impossible qu'il y ait eu, d'un ct, cette longue srie de vicissitudes si diverses du peuple hbreu, ces gouvernements victorieux, ces servitudes d'une dure norme et si multiplies, ces dlivrances suivies de priodes de paix se chiffrant par un nombre considrable d'annes, l'ensemble donnant un total de quatre cent quatre-vingts ans depuis le passage du Jourdain jusqu' la mort de Samson, et qu'il n'y ait eu, d'un autre ct, paralllement, que Salmon, vivant lors de la prise de Jricho, et son fils Booz, contemporain de Samson.
11 CHAPITRE
HISTOIRE DE SAMUEL, AVANT LA ROYAUT
En ce temps-l, il y avait Ramathajim-Tsophim (ou Rama tout court) un homme, nomm Elcana, qui tait la tte de deux femmes, aussi lgitimes l'une que l'autre, Anne et Pninna. Or, la premire ne pouvait avoir d'enfants, et tous les jours c'taient des scnes tout casser entre les pouses de l'honorable bigame; car Pninna, qui tait aigre comme du vinaigre, piquait Anne au vif, en se moquant de sa strilit. Anne, pour en finir, se rsolut faire un plerinage, sans doute aprs avoir consult quelque pieux ermite; car Rama tait dans le proche voisinage de la montagne d'Ephram, qui ses lvites ont acquis un imprissable renom. Mais o aller pleriner? Evidemment, l'ermite 126
consult ne s'tait pas jug assez saint pour pouvoir attirer sur Anne les bndictions de Jhovah. Quoi qu'il en soit, la Bible nous apprend que l'arche divine se trouvait alors Scilo, sous la garde du grand-prtre Hli et de ses deux fils, Ophni et Phines (ne pas confondre avec le Phines, fils d'Elazar). Donc, Elcana et sa famille partirent pour Scilo. On suppose bon droit qu'Anne la strile se mit joyeusement en route, mais que Pninna la fconde ne dut pas quitter Rama sans quelque regret, attendu que les mauvaises langues lui prtent un cousin germain avec qui elle tait dans les meilleurs termes. Toutefois, la gat d'Anne ne parat pas avoir t de longue dure. En effet, une fois Scilo, s'il faut en croire l'auteur sacr, quand Anne se rendait au temple de l'ternel, Pninna l'offensait toujours de la mme manire, et Anne recommena de pleurer, et elle ne mangeait point. Elcana son mari lui disait: Anne, pourquoi pleures-tu, et pourquoi t'abstiens-tu de manger? ne te vaux-je pas mieux que dix fils? (Premier livre de Samuel 1:7-8) Aprs qu'elle et mang et bu Scilo, elle se leva. Or, le grand-prtre Hli tait assis sur un sige, auprs d'une des colonnes du tabernacle de l'ternel. Anne donc, ayant le cur plein d'amertume, pria Jhovah, en rpandant des torrents de larmes. Elle fit ce vu: O Sabaoth, dieu des armes, si tu daignes regarder l'affliction de ta servante, si tu me donnes un enfant mle, je te le donnerai pour tous les jours de sa vie, et jamais aucun rasoir ne passera sur sa tte. Mais, en disant cela, Anne se bornait parler dans son cur; le grand-prtre, qui l'observait, voyait seulement remuer ses lvres, et il se dit. Cette femme est ivre. Alors, il l'interpella en ces termes: Quand auras-tu fini d'tre saole? Allons, va cuver ailleurs ton vint (v. 9-14) Cependant, sous cette dure apostrophe, Anne ne perdit pas la carte; elle expliqua qu'elle n'tait pas ivre du tout, n'ayant bu ni vin ni cervoise , et Hli, voyant sa mprise, s'intressa aussitt l'infortune. On sait comment s'oprent les miracles du genre de celui sollicit par Anne; le procd s'est perptu jusqu' nos jours: aussi, il est ais de se rendre compte de ce qui se passa. Avec l'autorisation d'Elcana, mari dvot, Hli ne manqua pas d'engager la strile pouse venir un moment dans le sanctuaire rserv. Anne prouvait bien quelques hsitations; son mari lui-mme la rassura. Va, lui dit-il, va avec le monsieur, il te fera toucher quelque talisman sacr, et je te rponds que tu t'en trouveras bien. Anne fut donc admise voir de prs le Saint des saints. Puis, comme le sjour de son pouse dans le sanctuaire tirait un peu en longueur, Elcana s'en fut s'asseoir sous la colonnade extrieure du temple. Enfin, l'pouse chrie reparut, amene par Ophni et Phines, fils du grand-prtre, lesquels taient rayonnants; ils assurrent au bon Elcana que bien certainement cette fois l'ternel avait inond Anne de sa grce toute- puissante. Neuf mois aprs, le mnage d'Elcana s'augmentait d'un gros bb rose, auquel on donna le nom de Samuel. Anne, qui tait dans la jubilation, renouvela son vu de ne jamais couper mme une petite mche la chevelure de cet enfant tant dsir. Point n'est besoin d'tre sorcier pour deviner que, de temps en temps, le grand-prtre Hli venait rendre visite au moutard, pour lequel il avait une affection toute particulire; car il tait, disait-il, le tmoignage vivant de la puissance de l'ternel. Quand Samuel fut en ge d'entrer au service du Seigneur, Anne le conduisit Hli, et il fut dcid que le gamin serait consacr Dieu. On l'investit des fonctions d'enfant de chur, spcialement prpos la garde du tabernacle. Le grand-prtre donna la mre sa parole de cur-prophte que l'adolescent tait destin d'extraordinaires choses. La chre Anne fut si contente, qu'elle improvisa un cantique, insr tout au long dans le chapitre 2; le lecteur me dispensera de le reproduire, c'est du rabchage archi-fastidieux. Par contre, on ne saurait passer sous silence les versets rutilants d'indignation, par lesquels l'Esprit-Saint, inspirateur de l'crivain biblique, fltrit la conduite des sieurs Ophni et Phines, 127
qui, tout fait mauvais garnements, faisaient ripaille au prjudice de matre Jhovah. Les fils d'Hli, est-il dit en toutes lettres, taient des sclrats, et ils mprisaient l'ternel; car, lorsque quelqu'un du peuple avait fourni la victime dont le sacrifice tait d Jhovah, ces sacrificateurs impies, au moyen d'une longue fourchette trois dents, piquaient dans la marmite sacre et prlevaient ainsi leur profit les meilleurs morceaux, Ils en agissaient de la sorte constamment, tandis que les Isralites venaient pour les holocaustes Scilo. Mme avant qu'on ft fumer la graisse, leur valet, envoy par eux, disait tout homme qui s'appr tait sacrifier: Donne-moi de la bonne viande rtir pour les sacrificateurs. Et si l'homme rpondait: Qu'on fasse fumer d'abord la graisse; aprs quoi, tu prendras de la viande autant que tu voudras; alors le valet d'Ophni et de Phines disait: Donne tout de suite ce que je te demande; sinon, je te le prendrai de force. Ainsi le pch des fils d'Hli tait norme, et le courroux de l'Eternel s'amassait plus grand chaque jour (2: 12-17). Ce n'tait pas tout: les fils d'Hli couchaient avec toutes les femmes qui venaient prier la porte du tabernacle (v. 22). Le grand-prtre n'ignorait pas ces pouvantables impits; mais il les tolrait par faiblesse. Et, tout en manifestant cette belle indignation, la Bible nous raconte, dans le mme chapitre, que la mre de Samuel venait voir rgulirement son fils Scilo. Le jeune Samuel, ceint d'un phod de lin, accomplissait innocemment le service de l'Eternel; et chaque anne sa mre lui faisait une petite tunique blanche, qu'elle lui apportait en se rendant au temple. Et Jhovah visita Anne de nouveau, plusieurs fois; c'est pourquoi elle conut et enfanta encore trois fils et deux filles (2:19-21). Les sceptiques conclueront peut-tre qu'Ophni et Phines contribuaient augmenter la famille de l'excellent Elcana; mais les fidles d'ardente foi rpliqueront qu'il ne faut pas confondre, c'est--dire que papa Bon Dieu seul s'occupait de fconder l'aimable Anne et que cela tait parfait, tandis que les fils d'Hli, en couchant avec les autres dvotes, taient d'odieux gredins. C'est commettre un sacrilge que de s'adjuger les jolies dvotes, rserves Jhovah, aussi bien que de piquer dans la marmite sacre pour se rgaler des victuailles de l'holocauste. Or, le jeune Samuel servait le Seigneur en la prsence d'Hli; et la parole de l'Eternel tait rare en ces jours-l, et les apparitions de Dieu n'taient pas communes. Il arriva un certain jour qu'Hli, dont les yeux commenaient se ternir par l'effet de la vieillesse, s'tait couch dans sa chambre avant que les lampes du sanctuaire fussent teintes; de son ct, Samuel dormait dans le tabernacle, auprs de l'arche de Dieu. Et l'Eternel appela Samuel. Et l'adolescent rpondit: Me voici! et il courut vers Hli et lui dit: Me voici, puisque lu m'as appel. Mais Hli lui dit: Non, je ne t'ai pas appel, retourne ton lit, et couche-toi. Peu aprs, l'Eternel appela encore Samuel, et Samuel, rveill brusquement, se leva et s'en vint de nouveau en toute hte vers Hli, et lui dit: Tu m'as appel, me voici. Hli lui rpondit: Mon fils, je ne t'ai nullement appel, va te recoucher! Or, Samuel ne savait point distinguer la voix de l'Eternel, car Jhovah ne lui avait jamais parl auparavant. Il se remit donc dormir, et pour la troisime fois l'Eternel le rveilla en l'appelant. Et Samuel, ayant couru toujours vers Hli, lui dit: Certainement, tu m'as appel, et me voici. Alors, le grand-prtre comprit que c'tait l'Eternel qui appelait l'adolescent. Et il dit Samuel: Retourne-t'en ton lit, couche-toi; mais, si l'on t'appelle encore, tu rpondras: Eternel, parle; ton serviteur t'coute. Samuel s'en alla donc et se remit au lit. Et l'Eternel se manifesta; il appela, ainsi que les autres fois: Samuel! Samuel! Le jeune garon rpondit alors: Parle, Seigneur, ton serviteur t'coute. Et l'Eternel parla Samuel, lui disant: Voici, je vais pousser dans Isral un tel cri, que nul ne pourra l'entendre sans que ses deux oreilles lui tintent; eu ce jour-l, je mettrai contre Hli tout ce que j'ai jur contre sa maison: je commencerai et j'achverai. Sa maison sera punie pour jamais, cause de l'iniquit de ses fils, qu'il a connue et n'a point rprime. Oui, j'ai jur que l'infamie de la maison d'Hli ne sera jamais expie, ni par des victimes, ni par des prsents. (3:1-13) 128
Le lendemain malin, ds la premire heure, le grand-prtre voulut connatre la fin de cet incident nocturne; on juge de l'embarras de l'apprenti-lvite. Hli insista, exigea toute la vrit, et le jeune Samuel rapporta la terrible confidence qu'il avait reue, Il ne cacha rien au grand-prtre; et Hli rpondit: Oui, c'est l'Eternel qui a parl; qu'il fasse ce qui lui semblera bon! (v. 18) Et voici que Samuel grandissait; or, l'Eternel tant avec lui, aucune de ses paroles ne tombait par terre (sic). Et tout Isral, depuis Dan jusqu' Ber-Scbah, sut que Samuel tait en vrit prophte de Dieu. (v. 19-20) Cette premire partie de l'histoire du fameux prophte qui fut le dernier juge n'a pas manqu de soulever quelques critiques. D'abord, sur ce livre lui-mme, qui est attribu Samuel, le savant Frret a prsent une observation gnrale; il signale un dfaut dans lequel aucun historien srieux ne tomberait: c'est de laisser le lecteur dans une ignorance entire de l'tat o tait alors la nation dont on parle. En effet, d'aprs le texte sacr, il est difficile de savoir quelle tendue de pays possdaient les juifs au temps de la grande-pr trise d'Hli, en quels lieux exactement ils rsidaient, s'ils taient encore esclaves ou simplement tributaires des Phniciens, que les ignares crivains hbreux s'obstinent appeler Philistins. L'auteur parat tre un prtre qui n'est occup que de sa profession, et qui compte tout le reste pour peu de chose. L'auteur assigne Scilo comme rsidence au grand-prtre Hli. Sur ce point, Voltaire remarque que le village appel Scilo appartenait encore aux Phniciens, et qu'il est, par consquent, bien tonnant que ceux-ci y eussent tolr le grand-prtre d'une religion ennemie; si l'arche tait dans ce village, ce ne pouvait tre qu'en secret, videmment, puisque les Philistins ne s'en empareront que plus tard et l'occasion d'une bataille, comme on verra; mais alors comment expliquer que les Juifs vinssent en plerinage Scilo?... En outre, dans tout le cours du rcit, le narrateur fait entendre que les Juifs taient devenus si misrables que Dieu ne leur parlait plus frquemment comme autrefois; or, c'tait l'ide de toutes ces nations grossires que, quand un peuple tait vaincu, son lieu tait vaincu aussi, et que, lorsqu'il se relevait, son dieu se relevait avec lui, Beaucoup estiment que, si Jhovah est vraiment le crateur de l'univers, on lui fait jouer un rle des plus grotesques en le reprsentant enferm dans un coffre, d'o, au milieu de la nuit, il appelle un jeune garon jusqu' quatre fois avant de lui exprimer ce qu'il veut lui dire. Woolston trouve l'auteur sacr excessivement ridicule de dire que le petit Samuel ne savait pas encore distinguer la voix de l'ternel, parce que Jhovah ne lui avait jamais parl auparavant . Effectivement, on ne peut reconnatre la voix de quelqu'un qu'on n'a jamais entendu; en outre, l'auteur sacr, en s'exprimant ainsi, reprsente son Jhovah comme ayant une voix humaine, de mme que chaque homme a son timbre de voix personnel. Boulanger en tire une nouvelle preuve que les Juifs ont toujours fait leur dieu corporel, et qu'ils ne virent en lui qu'un homme d'une espce suprieure, demeurant d'ordinaire dans une nue, venant parfois sur la terre visiter ses favoris, tantt prenant son parti, tantt les abandonnant, tantt vainqueur, tantt vaincu, tel, en un mot que les dieux d'Homre; il dit aussi qu'Homre, d'ailleurs, donne de la divinit des ides plus sublimes que celles qui sont contenues dans la Bible, et qu'on en trouve de plus belles encore dans l'ancien Orphe, et mme dans les mystres d'Isis et de Crs. Cette opinion de Boulanger est partage par Frret, par Dumarsais, etc. Donc, voici Samuel devenu grand, et le divin pigeon reste muet sur la conduite d'Ophni et Phines depuis la mmorable nuit des terribles rvlations. Piquaient-ils toujours dans la marmite?... Nous apprenons seulement que Samuel avait tout dit aux Isralites ; la rprobation d'Hli et de sa famille tail donc le secret de Polichinelle, ce qui n'empchait pas les fidles d'apporter leurs offrandes ce grand-pr tre disqualifi et ses fils. Peut-tre ceux- 129
ci, dans la crainte du chtiment prdit, avaient-ils renonc leurs sacrilges habitudes mais nous savons que matre Jhovah est trs rancunier. Les Isralites se soulevrent contre les Philistins et se runirent en armes pour les combattre; ils camprent Ebenhzer, et les Philistins tablirent leur camp Aphek, Alors, la bataille fut livre; Isral fut battu, les Philistins turent d'abord environ quatre mille soldats juifs dans un premier combat en plaine. L'arme d'Isral tourna le dos et revint au camp, o les anciens du peuple dirent: Pourquoi l'ternel nous a-t-il laiss battre aujourd'hui par les Philistins? Faisons venir de Scilo l'arche d'alliance, dans laquelle Jhovah rside; ainsi Dieu sera au milieu de nous, et il nous dlivrera de nos ennemis. L'arche sainte fut donc apporte, et Sabaoth, dieu des armes, y tait, entre les chrubins; et Ophni et Phines, fils d'Hli, accompagnaient l'arche de Dieu. Et lorsque l'arche entra dans le camp, tout Isral poussa de si grands cris de joie, que la terre en retentissait. (4:1-5) Alors, les Philistins, entendant la voix de ce cri, dirent: Quelle est donc la voix de cri au camp hbreu! Et ils surent que l'arche o Jhovah rside tait au milieu de l'arme. Alors, les Philistins eurent peur, et ils se disaient les uns aux autres: Jhovah est maintenant dans le camp hbreu; il n'en tait pas ainsi ces jours passs; malheur nous, prsent! Rconfortons- nous, Philistins, et soyons des hommes vaillants; combattons avec courage, afin de ne pas tomber esclaves de ces juifs, comme ils ont t les ntres. Les Philistins donc livrrent une seconde bataille, et Isral fut encore battu et s'enfuit; et la dfaite de l'arme isralite fut si grande, que trente mille soldats, cette fois, restrent morts sur le champ de bataille. L'arche de Dieu fut prise par l'ennemi vainqueur, et les deux fils d'Hli, Ophni et Phines, prirent dans ce combat. (v. 6-11) Or, un soldat de la tribu de Benjamin, chapp au carnage, courut toute une journe pour se rendre Scilo, o il arriva avec ses vtements dchirs et de la cendre sur la tte. Et, tandis que cet homme courait ainsi, le grand-prtre Hli tait assis sur un sige qu'il avait fait lever ct du chemin, et il attendait les nouvelles; et dans son attente il tremblait, cause de l'arche sainte. Hli tait g alors de quatre-vingt-dix-huit ans. Cet homme, aussitt arriv, dit Hli: Je viens du champ de bataille, d'o je me suis chapp. Et Hli l'interrogea en ces termes: Qu'est-il arriv, mon fils? Le soldat benjamite rpondit: Isral a fui devant les Philistins, et, mme il y a eu une grande dfaite du peuple; tes deux fils sont morts, et l'arche de Dieu est tombe au pouvoir de l'ennemi. Quand Hli eut entendu cela, il tomba la renverse de dessus son sige, et dans sa chute il se rompit le cou. C'est ainsi qu'il mourut; car il tait vieux et pesant. Il avait jug Isral quarante ans. (v. 12-18) Et sa belle-fille, femme de Phines, qui tait grosse, voyait s'approcher l'heure o elle accoucherait, lorsqu'un messager lui apprit tout la fois que l'arche tait prise, que son mari tait mort et son beau-pre aussi. A cette nouvelle, elle se plia en deux; alors elle enfanta, et son accouchement fut des plus douloureux. Et voil que la mort la saisit son tour. Or, tandis qu'elle mourait, les femmes, ses amies, qui l'entouraient, lui dirent: N'aie pas d'inquitude; nous tenons ton enfant, et nous t'assurons que ce n'est pas une fille; en vrit, c'est un garon. Mais elle ne faisait aucune attention ce que ses amies lui disaient, elle n'entendait rien; car la mort l'envahissait de plus en p lus. Et tout--coup elle se mit parler, et elle dit: La gloire de Dieu est transporte d'Isral, car l'arche sainte est prise; et, pour cette raison, je veux que mon enfant soit nomm Icabod. (v. 19-22) On voit que l'auteur sacr nous laisse de plus belle dans le vague. Cet trange historien ne fait connatre ni comment les Hbreux s'taient rvolts contre les Philistins leurs matres, ni le sujet de cette guerre, ni quel territoire les Hbreux occupaient. Il n'est prcis que pour indiquer le lieu o se trouvaient les camps des deux armes ennemies; mais c'est jouer de malheur, attendu qu'aucun gographe de l'antiquit n'a mentionn Ebenhzer ni Aphek. L'auteur sacr nous parle seulement, de trente-quatre mille juifs tus malgr la prsence de l'arche. Comment concevoir, dit Voltaire, qu'un peuple esclave, qui a essuy de si grandes et 130
si frquentes pertes, puisse si tt s'en relever? Les critiques ont toujours os souponner l'auteur d'un peu d'exagration, soit dans les succs, soit dans les revers. L'auteur semble beaucoup plus occup de clbrer Samuel que de dbrouiller l'histoire juive; on s'attend en vain qu'il donnera une description fidle du pays, de ce que les juifs en possdaient en propre sous leurs matres, des circonstances dans lesquelles eut lieu ce soulvement, des places, ou, tout au moins, des cavernes qu'ils occuprent, des mesures qu'ils prirent, les chefs qui les menrent au comba t; rien de toutes ces choses essentielles! C'est de l que lord Bolingbroke conclut, dans son examen, que le lvite auteur de cette histoire crivait comme les moines du moyen-ge ont crit l'histoire de leur pays. Et Voltaire ajoute, avec sa mordante ironie: Sans doute, Samuel, tant devenu un prophte, et Dieu lui parlant dj dans son enfance, tait un objet plus considrable que les trente mille hommes tus dans la bataille, qui n'taient que des profanes, qui Dieu ne se communiquait pas; voil pourquoi, videmment, dans la sainte criture, il s'agit des prophtes juifs plus que du peuple juif. Attention, maintenant!... Lecteurs, nous ne saurions trop tre graves. Nous arrivons un passage de la Bible qui ne dispose pas plus la gat que le spectacle du nez d'argent d'un invalide; en effet, voici la grande affaire des trous-de-balle en or... Attention! attention! ne riez pas. C'est trs srieux. Matre Jhovah, pour chtier Ophni et Phines qui, durant un certain temps, avaient piqu dans sa marmite, s'tait fait prendre de par son coffre par les Philistins; et, alors mme qu'Ophni et Phines dfendaient son coffre, c'est--dire le dfendaient lui-mme (puisqu'il tait en rsidence dans l'arche), il avait voulu, de par sa volont mystrieuse et impntrable, que les deux lvites fussent tus auprs de lui, en compagnie de trente mille autres juifs, galement massacrs, quoique n'ayant jamais, eux, piqu dans la marmite. C'tait l un chtiment sensationnel, tout ce qu'on peut imaginer de plus sensationnel, attendu que Dieu, en se laissant tomber aux mains des Philistins idoltres, s'englobait dans la punition du sacrilge commis contre lui. Ce n'est peut-tre pas bien logique, cela; mais c'est essentiellement divin, n'importe quel thologien vous le dira. Les Philistins avaient donc t lus de Dieu pour exercer contre Dieu la vengeance d'une offense Dieu, en faisant Dieu prisonnier. Seulement, aprs avoir lu les Philistins pour le tenir captif, matre Jhovah rsolut de punir les Philistins d'tre ses lus. a continue, comme on voit, ne pas tre logique; mais c'est de plus en plus divin. Notons, d'abord, que ces Philistins, qui taient de bons zigs sous le rapport de la dvotion, tmoignrent le plus grand respect au dieu leur prisonnier. Nous avons vu tout l'heure qu'ils taient convaincus de sa puissance. Loin d'agir comme les fanatiques intolrants qui prodiguent l'outrage aux divinits d'autres religions que la leur, ils traitrent avec honneur le dieu d'Isral. Qu'un Jupiter ou un Bouddha tombe au pouvoir d'inquisiteurs chrtiens, ils auront bientt fait de le jeter l'gout. Les Philistins, au contraire, sachant que Jhovah tait dans ce coffre eux chu par le sort de la bataille, transportrent dignement la sacre bote Azoth, o se trouvait un de leurs plus beaux temples, le temple de Dagon; l, ils placrent l'arche dans la partie la plus vnre du sanctuaire, auprs mme de Dagon. Il est clair que les Philistins se tenaient le raisonnement suivant: Le dieu d'Isral est un dieu de premire qualit; car nous savons les merveilles qu'il a opres, quand il tira d'gypte son peuple. Puisque nous avons donc l'heureuse chance de le possder, comportons-nous de notre mieux son gard, afin qu'il continue nous tre favorable. Honorons-le l'gal de Dagon: Abondance de dieux protecteurs ne nuit pas. Hlas! ces braves Philistins se mettaient le doigt dans l'il; ils n'allaient pas tarder apprendre que Jhovah est un mauvais coucheur. Le soir de l'installation de l'arche la basilique d'Azoth, les prtres de Dagon se retirrent la nuit tombante, laissant leur dieu en tte--tte avec celui d'Isral. 131
Si, au lieu d'avoir pris Jhovah, nos Phniciens avaient eu la veine de possder, dans les mmes circonstances, un Anubis gyptien, ou un Ormuzd perse, ou un Apollon grec, tout se ft trs bien pass en cette premire nuit, et les nuits suivantes. Les deux dieux auraient amicalement taill une bavette, se seraient racont les petits incidents joyeux des hommages qu'ils recevaient respectivement de leurs fidles; bref, on serait devenu deux bons camarades, et les habitants d'Azoth eussent t dans la jubilation. Pas du tout!... Jhovah, en vieux grognon jaloux, profita de l'absence des prtres de Dagon pour traiter l'autre dieu en rival antipathique; il tenait faire constater qu'il avait la divinit plus robuste que l'idole officielle des Philistins. Ce Dagon n'tait pas mchant pour deux sous; il ne se faisait pas sacrifier des victimes humaines, lu i; c'tait un dieu bon enfant. Il dut tre, par consquent, bien surpris, quand, au beau milieu de la nuit, Jhovah, sortant tout--coup de sa bote, se prcipita sur lui, comme un athlte rageur, et le flanqua par terre, du haut de l'autel. La Bible ne donne pas le dtail de cette lutte nocturne; mais il est vident, d'aprs le texte, qu'il en advint ainsi. Les Philistins avaient emmen Azoth l'arche de Jhovah; ils l'installrent dans le temple de Dagon, ils la placrent ct mme de Dagon. Or, le lendemain, les habitants d'Azoth, s'tant levs de bon matin, trouvrent Dagon gisant sur le sol, le visage contre terre, devant l'arche; mais ils relevrent Dagon et le remirent sa place. (5:1-3) La seconde nuit fut plus terrible encore que la premire. Jhovah tait vex d'avoir partager avec Dagon les hommages des Azothiens. Peut-tre, en lui-mme, sentait-il que sa jalousie tait ridicule et que ses manires n'avaient rien de distingu; car, dans la journe, il se tenait tranquille au fond de son coffre... A h! si les dvots qui emplissaient alors le temple l'avaient vu jaillir de sa bote, s'il leur avait prn la supriorit de son culte, il est possible que les Azothiens eussent renonc leur idole; mais non! il dev ait prouver une certaine honte de sa conduite. En effet, il attendit de nouveau d'tre seul, sans tmoins, dans l'obscurit, pour laisser clater sa mauvaise humeur, pour assouvir son ressentiment. Cette fois, Dagon copa de la belle faon. Au second matin, les habitants d'Azoth trouvrent Dagon gisant encore sur le sol, devant l'arche, et sa tte et ses deux mains, ayant t coupes, taient sur le seuil du temple; le tronc seul de Dagon tait rest auprs du coffre. (5:4) Tout ceci tait bien fait pour troubler les Philistins de celte ville, qui n'y comprenaient rien, et qui, dans leur candeur, taient cent lieues de souponner le divin habitant de la sacre bote d'tre l'auteur de ces actes de vandalisme. Mais un pouvantable flau les troubla davantage, peu aprs. Ici, il faut donner la traduction textuelle: Ensuite la main de Dieu s'appesantit sur les derrires des Azothiens; elle mit dans leurs anus une maladie dgotante; tant Azoth qu'aux environs, les Philistins furent frapps dans la plus secrte partie des fesses, et tous, aux grands aussi bien qu'aux petits, le boyau du fondement sortait, et leur fondement sorti dehors se pourrissait. (5:6) Pour le coup, les Azothiens comprirent que c'tait le doigt du dieu d'Isral qui avait accompli l'uvre nfaste. Les magistrats ordonnrent de transporter dans une autre ville Jhovah et son coffre. La cit de Gath reut la sacre bote, et son arrive fut aussitt signale par un retroussis gnral des anus et par une pourriture des boyaux de fondement (5:7-9). De Gath l'arche sainte passa Hkron, o se produisit immdiatement le phnomne des sphincters retrousss (5:10). En mme temps, il y eut dans la campagne une gnration spontane de rats. Ces rats se montrrent rongeurs insatiables, et les anus philistins taient plus que jamais en compote; et les hommes qui ne mouraient point taient accabls d'hmorrhodes, de telle sorte qu'un cri de douleur s'levait partout jusqu'au ciel (5:12). Pendant sept mois, les Philistins promenrent l'arche de Jhovah de ville en ville, et cette promenade ne russissait qu' propager l'horrible maladie. (6:1) 132
Finalement, on consulta les devins de Phnicie; ceux-ci taient des prtres d'une fausse religion, fausse, si l'on se place au point de vue des thologiens chrtiens, mais ils taient excellents prophtes tout de mme. Les Philistins taient assez dcids renvoyer l'arche de Jhovah. Leurs devins rpondirent: Si vous renvoyez l'arche du dieu d'Isral, gardez-vous bien de la renvoyer sans l'accompagner d'un prsent pour vous faire pardonner vos pchs. Or, puisque les gouvernements de ce pays sont au nombre de cinq, fabriquez cinq anus d'or et cinq souris d'or, qui seront votre don au dieu d'Isral; alors, peut-tre, il n'appesantira plus sa main sur vos derrires ni sur vos champs. Pourquoi endurciriez-vous votre cur, comme l'Egypte et Pharaon endurcirent leur cur? Prenez donc une charrette toute neuve et deux jeunes vaches allaitant leurs veaux, sur lesquelles on n'ait point encore mis le joug, et renfermez leurs veaux dans l'table. Vous mettrez l'arche de Jhovah sur la charrette, et vous placerez ct de l'arche un panier contenant les anus d'or et les souris d'or; ensuite, laissez aller la charrette o les vaches voudront aller. Mais regardez bien de quel ct la charrette ira: si elle va Bethsams, vous pouvez tre certains que c'est le dieu d'Isral qui a mis la maladie dans vos anus et les rongeurs dans vos champs; si, au contraire, la charrette ne va pas Bethsams, nous saurons que ce n'est pas ce dieu qui nous a frapps, et que tout est arriv par hasard. (6:3-9) En lisant cette histoire, on ne peut s'empcher de se remmorer celle de Sara, enleve pour sa beaut, l'ge de quatre-vingt-dix ans, par le roi de Grare, qui la croyait sur d'Abraham. On se souvient que, tant que le roi ne renvoya pas la femme du patriarche, toutes les dames du pays de Grare eurent leur vulve ferme, par dcret de Jhovah. Ici, c'est aux anus philistins que le doigt de Dieu livre la guerre, tant que l'arche n'est pas renvoye aux Hbreux. Infortunes vulves! malheureux anus! leur innocence tait pourtant l'vidence mme, dans ces tonnantes aventures. Pourquoi le baroque Jhovah amnistiait-il le proxntisme d'Abraham, le seul coupable dans l'affaire de Grare, puisqu'il spculait sur les charmes de son pouse en la faisant passer pour sa sur? Pourquoi le mme Jhovah punissait-il les Philistins de s'tre empars de lui en le prenant avec son coffre, puisque c'tait lui-mme qui s'tait fait prendre par eux? Mystre et divine divagation. Toujours est-il que les Philistins suivirent le conseil de leurs devins. Ils fabriqurent les cinq souris d'or et les cinq, trous-de-balle d'or, qui reprsentaient l'offrande de leurs cinq chefs- lieux de gouvernement: Azoth, Gaza, Ascalon, Gath et Hkron. Ils flanqurent l'arche et leur offrande sur une charrette, y attelrent les deux jeunes vaches prives de, leurs veaux et les lchrent travers champs sans conducteur. Et les jeunes vaches prirent tout droit le chemin de Bethsams, tenant toujours la mme route en marchant et en mugissant; et elles ne se dtournrent ni droite ni gauche; et les gouverneurs des Philistins allrent aprs elles jusqu' proximit de Bethsams. (6:12) Comme tout ceci est merveilleux! et combien les dvots ont le droit d'tre fiers, en croyant aux dogmes d'une si belle religion! Les prophtes, on le voit, ne manquent pas dans la Bible. Les devins des Philistins, peuple maudit, sont ici regards comme de vrais prophtes; chaque pays avait les siens, et l'auteur du livre, tant prophte lui-mme, respecte son caractre jusque dans les trangers idoltres qui en font profession. Dans sa puissance extraordinaire, Jhovah prodigue le surnaturel, au point d'inspirer les prophtes des faux dieux, tmoin Balaam, et mme il ne ddaigne pas d'accorder le don des miracles aux magiciens des religions ennemies de la sienne, tmoin les magiciens d'Egypte Janns et Mambrs, qui firent les mmes miracles que Mose. Et les vaches qui ramnent l'arche, ne sont-elles pas une espce de miracle? Elles vont, pousses par l'inspiration divine, Bethsams, chez les Hbreux; il semble donc que ces vaches taient devenues prophtesses aussi. Or, les gens de Bethsams moissonnaient les bls en la valle; et ils levrent leurs yeux et virent l'arche, et ils en furent fort rjouis. La charrette s'arrta dans le champ de Josu le Bethsamite; il y avait l une grande pierre; alors on fendit les bois de la charrette, on en fit un 133
bcher, et les deux jeunes vaches furent offertes en holocauste l'Eternel. Car les lvites descendirent l'arche du Seigneur, ainsi que le panier qui contenait les anus d'or et les souris d'or, et ils mirent le tout sur la grande pierre. (6:13-15) Ce n'est pas fini!... Il y avait longtemps que Jhovah n'avait foudroy personne de son peuple, et comment aurait-il pu faire sa rentre chez les Hbreux sans se payer le luxe d'une petite tuerie?... Savourez donc ce qui suit: Mais l'Eternel frappa de mort subite des gens de Bethsams, parce qu'ils vinrent regarder dans son arche; il y eut ainsi cinquante mille soixante-dix hommes qui furent frapps. Et le peuple pleura, cause de ce terrible chtiment de ceux qui avaient voulu voir Jhovah. (v. 19) Papa Bon Dieu ne badinait pas et ne pouvait souf frir la curiosit son sujet. N'avait-il pas dclar, maintes reprises, que, sauf de rares exceptions, quiconque le verrait face face en perdrait la vie l'instant mme? Ainsi, ces grands badauds de Bethsamites taient bien prvenus. Je vous le demande un peu, quelle fichue ide d'aller regarder dans l'arche!... Evidemment, les Philistins furent plus respectueux et s'abstinrent, avec soin, de soulever jamais le couvercle de la sacre bote; aussi Jhovah se contenta-t-il de leur dtriorer le trou- de-balle. Une autre observation, en passant: quoique inconnue des gographes, cette ville de Bethsams devait tre fort importante, tant donne cette destruction de cinquante mille soixante-dix hommes d'un seul coup !... Et, pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas dire que cette mort subite de tant de milliers de Bethsamites nous fait connatre, n'en plus douter, de quel pays est l'Esprit-Saint ?... Suivez bien mon raisonnement. Il est matriellement impossible que cinquante mille soixante-dix personnes aient entour l'arche toutes ensemble, en mme temps, n'est-ce pas?... Mettons en dix, vingt, trente, si vous voulez, qui aient soulev la fois le couvercle et plong leurs regards dans le coffre. Ces trente premiers curieux sont aussitt punis de leur hardiesse; v'lan! ils sont tombs foudroys. Que trente autres n'aient pas compris la leon et aient t, leur tour, frapps de mort subite passe encore. Ajoutez mme une troisime tourne de tmraires, instantanment chtis de cette terrible faon. Sapristi! il est difficile d'avaler que les Bethsamites aient voulu continuer s'approcher, aient enjamb les cadavres pour regarder dans la sacre boite, et, en un mot, qu'ils aient eu la caboche assez dure pour s'obstiner se faire foudroyer les uns aprs les autres, alors qu'ils constataient l'immdiate excution de leurs devanciers. Si ttus qu'ils pussent tre, les Bethsamites ont t forcment arrts, ds que l'accumulation des cadavres a t une barrire, et il n'en a pas fallu de nombreuses douzaines pour que cette barrire ft infranchissable. Au contraire, sitt une soixantaine d'occis, il dut se produire un mouvement gnral en arrire, un recul d'pouvante. Le nombre indiqu par le texte est donc fort exagr, cela est de toute vidence. A soixante- dix victimes, le divin pigeon en a ajout cinquante mille, bien certainement.... Mais alors?... Alors, nous avons enfin les pays d'origine des trois dieux de la Trinit!... Dieu le Fils est juif, n Bethlem; c'est connu. Dieu le Pre, ou Jhovah, qui jura No de ne jamais plus faire prir des hommes par un dluge... d'eau, et qui tourna son serment solennel en pratiquant le dluge de feu, Jhovah, dis-je, est Normand. Quant au pigeon, qui sans cesse exagre plaisir, et, cette fois, l'exagration tombant dans l'impossible est flagrante, il est de Tarascon, Bouches-du-Rhne, parbleu! Pinc, mon vieux pigeon!... Avec ton histoire des Bethsamites foudroys par milliers, tus comme des mouches, tu t'es dnonc compatriote de notre cher Tartarin; et qui sait si tu n'es pas de sa famille mme?... Sur ce, nous n'tonnerons aucun lecteur en rappelant, d'aprs un nouveau verset biblique (v. 21), que les gens de Bethsams qui avaient survcu au massacre s'empressrent d'envoyer 134
l'arche ailleurs; le texte dit: Kirjath-Jharim. Le coffre mortifre y demeura vingt ans. C'est seulement au bout de ce temps que papa Bon Dieu se dcida faire remporter son peuple une grande victoire sur les Philistins, entre Mitspa et Bethcar (7:11). Samuel tait toujours juge d'Isral. Se conformant au vu de sa mre, il laissait pousser ses cheveux plus que jamais; on ajoute qu'il sut se faire aimer des Hbreux par des bienfaits de toute sortie, et que sa popularit tait immense. Puis, quand le fils d'Anne se vit vieillir, il nomma ses deux fils, Jol et Abija, ses coadjuteurs pour rendre la justic e; mais il parat que ceux-ci ne valaient gure mieux qu'Ophni et Phines. Et ses fils n'imitaient point ses vertueux exemples; car ils dclinrent vers les gains dshonntes, ils se firent donner des prsents pour rendre des jugements injustes . (8:3) Fait curieux: Jhovah, qui avait fait mourir les fils d'Hli, ne sortit pas sa foudre, si scandaleuse que fut la corruption des fils de Samuel; la magistrature pots-de-vin le laissait donc insensible et tait ses yeux une peccadille auprs des sacrilges coups de fourchette dans la marmite des holocaustes.
12 CHAPITRE
SAL, PREMIER ROI, ET SON RIVAL DAVID
Ce serait se tromper trangement que de s'imaginer l'histoire de Samuel sur le point de finir au moment o la Bible nous reprsente le prophte si accabl parla vieillesse, qu'il est oblig de se dcharger sur ses fils des principales fonctions de son gouvernement thocratique; Samuel, au milieu des Juifs, joua un rle important jusqu' sa mort, et nous le verrons mme agir en personne aprs sa mort. Un beau matin, les chefs du peuple se runirent et vinrent trouver Samuel, pour lui demander un melch , c'est--dire un roi. Les nations voisines ont des rois; pourquoi n'en aurions-nous pas un? tel fut le thme du discours des dlgus. Le prophte, aprs avoir consult Jhovah, rpondit en leur faisant un tableau peu engageant de la royaut. Vous voulez un roi? dit-il aux chefs du peuple; eh bien! sachez quel sera l'usage de ce roi qui vous commandera. Il prendra vos fils pour en faire ses charretiers; il en fera ses soldats; il en fera des laboureurs de ses champs, des moissonneurs de ses bls, des forgerons pour lui fabriquer des armes; il fera de vos filles ses parfumeuses, ses cuisinires et ses boulangres; il prendra vos meilleurs champs, vos meilleures vignes, vos meilleurs plants d'oliviers, et les donnera ses valets; il aura des eunuques, qui il donnera la dme de vos vendanges et de vos moissons; il vous prendra mme vos serviteurs et vos servantes, et l'lite de vos jeunes gens, et jusqu' vos nes, et les fera travailler pour lui. Alors, vous crierez contre votre roi; mais le Seigneur ne vous coutera point, parce que c'est vous-mmes qui avez demand ce roi. (8:11-18) Malgr toute son loquence, Samuel ne put faire entendre raison au peuple; il est juste de dire que son rquisitoire contre la royaut sentait un peu trop le dpit de voir les Isralites dsirer la restriction du pouvoir sacerdotal. En somme, les nafs Hbreux, tondus par leurs prtres, demandaient tout simplement changer de tondeur. Or, Jhovah finit par dire son prophte: Fais ce qu'ils dsirent; tablis un roi sur eux. (v. 22) A qui Dieu rservait-il donc la premire couronne en Isral?... Il y avait un homme de la tribu de Benjamin, nomm Cis, fort vigoureux; il avait un fils, appel Sal, de belle figure, et qui dpassait le peuple de toute la tte. (9:1-2) Sal tait un garon de murs trs simples; chez son pre, il tait gardien des nesses. Sans doute, avait-il parfois des distractions; car le jeune homme fit la connaissance de Samuel l'occasion de ces nesses, qui s'taient chappes. Le pre Cis l'avait envoy leur recherche, en compagnie d'un petit valet de ferme. Or, comme ils explorrent sans succs tous les 135
environs, le petit valet, lui, pas bte, mit l'ide de consulter un voyant pour dcouvrir o taient les nesses introuvables. Sal fit observer qu'il tait ncessaire d'offrir quelque chose au devin, mais qu'il n'avait malheureusement aucun prsent sur lui. Que cela ne vous inquite pas, rpondit le jeune domestique; voici un quart de sicle que je viens de trouver; nous l'offrirons l'homme de Dieu. Ce quart de sicle valait peu prs huit sous de notre monnaie. La Bible nous montre donc (ch. 9) Sal et son valet arrivant dans un village et demandant la demeure du voyant qui leur fera retrouver leurs nesses, comme on demande o demeure le savetier. Ce nom de voyant , qu'on donnait alors ceux qu'on a nomms depuis prophtes, ces huit ou neuf sous prsents ce Samuel qu'on prtend avoir t juge et prince du peuple sont, selon les critiques, des tmoignages palpables de la gro ssire stupidit de l'auteur juif inconnu. Les filles du village indiqurent la maison du devin Sal et son compagnon; ceux-ci s'y rendirent. Or, Jhovah, parlant la veille l'oreille de Samuel, lui avait rvl en ces termes la venue de Sal: A cette heure mme, demain, je t'enverrai un homme de la tribu de Benjamin; tu l'oindras, afin qu'il soit roi sur mon peuple d'Isral, et il arrachera mon peuple au joug des Philistins, parce que j'ai regard mon peuple et que son cri est mont jusqu' moi. (9:15-16) Et, aussitt que Samuel eut regard Sal, l'Eternel lui dit: Voici l'homme dont je t'ai parl hier; ce sera lui qui dominera sur mon peuple. (9:17) Puis, Sal ayant demand Samuel o tait le devin du village, Samuel lui rpondit: C'est moi-mme qui suis le Voyant; monte avec moi au lieu haut, et vous mangerez aujourd'hui avec moi; je te laisserai t'en aller demain matin, et je te dirai tout ce que tu as sur le cur. (9:19) Le voyant avait du monde dner ce jour-l, trente personnes; il mit Sal la place d'honneur et lui fit servir par son cuisinier une paule de mouton, pour lui tout seul. (9:22-24) Afin de lui ter d'abord tout souci au sujet des nesses perdues, il lui avait rvl qu'elles taient retrouves et qu'il les verrait en rentrant chez son pre. Enfin, avant de se sparer, le lendemain matin, Samuel frotta d'huile la tte de Saul et lui apprit que ds lors il tait roi et, en outre, que l'esprit de Dieu tait entr en lui. Et, en vrit, il en fut ainsi: une transformation complte du fils de Cis s'tait opre, il n'tait plus le mme homme. A peine de retour la maison paternelle, il constata la rentre de ses chres nesses et se mit prophtiser comme s'il n'avait jamais fait que cela toute sa vie. (10:1-16) En ce temps-l, l'arche sainte avait t transfre Mitspa. C'est dans cette ville que Samuel convoqua le peuple isralite; le divin pigeon ne prcise pas l'poque et s'abstient de dire comment les millions d'individus qui composaient la nation juive purent s'y runir. Tout le peuple tant donc assembl Mitspa, Samuel dit aux enfants d'Isral: Je vais vous rpter les paroles que l'ternel m'a fait entendre: J'ai tir Isral de l'gypte et je l'ai dlivr de tous ses oppresseurs; mais aujourd'hui vous avez rejet votre Dieu, et vous avez dit son prophte: Donne-nous un roi. Eh bien, maintenant vous allez tous dfiler, mille par mille, tribu par tribu, devant l'arche o est le Seigneur. Ainsi, Samuel fit approcher toutes les tribus d'Isral, et le sort tomba sur celle de Benjamin. Aprs, il fit tirer au sort entre les familles de la tribu de Benjamin, et le sort tomba sur la famille de Matri; enfin, dans la famille de Matri, le sort tomba sur Sal, fils de Cis. (10:18-21) On s'tonnera peut- tre que Samuel n'ait pas dit tout bonnement au peuple: Sal m'a t dsign par l'ternel depuis quelque temps, et dj je l'ai frott d'huile; il est donc votre roi. Mais l'opration du tirage au sort avait sans doute son utilit, afin de ne pas faire de jaloux. Jhovah tant matre du sort, le vieux prophte tait donc bien certain que Sal serait l'lu; car Dieu ne pouvait pas, en laissant le choix se faire par un hasard pur de toute tricherie, s'exposer rendre non-valable la rcente onction de son favori. Si l'on se reporte aux prophties de Jacob, on verra que c'est la tribu de Juda que la royaut avait t promise. Jhovah avait donc oubli cette prophtie, lorsque la monarchie juive fut institue. Mais il ne tarda pas s'en ressouvenir, et c'est pourquoi nous verrons bientt la 136
couronne passer de la tte de Sa l sur celle d'un descendant de Juda; de cette faon, l'oubli divin sera rpar, et la prophtie du patriarche s'accomplira dsormais. En attendant, le peuple s'inclina devant le rsultat du tirage au sort. Or, ce moment-l, absence totale de l'lu!... O est Sal? qu'est devenu Sal? telle tait la question que tout le monde se posait. On interroge l'ternel pour savoir si Sal viendrait. Et l'ternel fit entendre sa voix, disant: Sal est prsent, mais il s'est cach parmi les bagages (sic). Alors, les Juifs coururent et le tirrent de sa cachette; il fut amen dans l'assemble du peuple; l, on vit bien qu'il tait plus grand que tous les autres, ses paules arrivant au niveau du sommet de leurs ttes. Et Samuel dit tout le peuple: Ne voyez-vous pas qu'il n'y en a aucun parmi vous qui soit semblable celui que l'ternel a choisi? Alors, la nation tout entire poussa des cris de joie, et cette clameur retentit. Vive le roi! (v. 22-24) Des versets qui suivent, il semble rsulter que Samuel fut, tout d'abord, le premier ministre du nouveau monarque. En effet, ce fut lui qui crivit la loi du royaume, et son prcieux manuscrit fut dpos auprs de l'arche; mais des dissentiments entre Sal et Samuel ne devaient pas tarder clater. Un mois environ se passa. Le roi Sal, bon enfant et pas fier pour deux sous, ne ralisait en aucune faon l'horrible type du tyran, que Samuel avait agit comme un spectre pour dtourner les Juifs de leur dsir de vivre en monarchie au lieu de se former une cour, de se faire btir un palais, de s'environner de gardes du corps, le fils de Cis tait retourn paisiblement la ferme de sa famille et continuait vivre si vie champtre. Sur ces entrefaites, Naas, roi des Ammonites, entreprit de s'emparer de la ville juive de Jabs, en Galaad. Il tablit son camp auprs de Jabs et assigea la cit; et les habitants de Jabs, intimids, dirent Naas: Reois-nous composition, et nous te servirons. Naas leur rpondit: Je veux bien traiter une alliance avec vous, mais une condition: c'est que je vous crverai d'abord tous l'il droit, et ensuite j'en ferai autant tout Isral, pour couvrir votre nation d'opprobre. Les anciens de Jabs rpliqurent: Accorde-nous sept jours de trve, afin que nous envoyions des messagers dans tout Isral; si personne ne vient nous dlivrer, nous nous rendrons toi. Les dlgus vinrent donc Guibha, o demeurait Sal. (11:1-4) Et voici, Sal revenait des champs, en suivant ses bufs, et, voyant que le peuple pleurait, il demanda: Pourquoi ces larmes? On lui raconta ce qu'avaient dit les dlgus de Jabs. Alors, l'esprit de Dieu saisit Sal, qui entra dans une grande colre; il prit deux de ses bufs, les coupa en morceaux, et il en envoya chaque tribu, avec ce message: On traitera de mme les bufs de ceux qui ne viendront pas la guerre, c'est--dire qui ne suivront point Sal et Samuel. Et tous se mirent sur pied; la revue qui fut passe Bzec, il y avait trente mille soldats de Juda et trois cent mille des autres tribus. L, Sal dit aux dlgus de Jabs: Vous serez dlivrs demain, quand le soleil sera arriv au milieu de sa course. Les dlgus s'en retournrent, et il y eut une grande joie Jabs. Puis, les assigs dirent aux Ammonites: Nous nous rendrons vous dans un jour, partir de ce moment-ci, et vous nous ferez tout ce que vous voudrez. Or, ds le lendemain matin, Sal divisa son arme en trois corps; il marcha sur les Ammonites, les culbuta dans leur camp et les extermina jusqu' midi; et ceux qui en rchapprent furent tellement disperss qu'il n'en demeura pas d'entre eux deux ensemble. (11:5-11) Alors le peuple dit: Qu'on nous livre les prisonniers, afin que nous les fassions mourir! Mais Sal rpondit: Non, on ne fera mourir personne en ce jour, parce qu'aujourd'hui Jhovah a dlivr Isra l. Et Samuel dit au peuple: Allons tous Guilgal, et l nous confirmerons la royaut. Et tout le peuple s'en vint Guilgal; on fit de grandes ftes; on offrit l'Eternel des sacrifices joyeux; et Sal et tous les isralites se rjouirent beaucoup. (v. 12-15) Les critiques ne sont pas surpris que Sal ft un obscur roi, se livrant lui-mme aux travaux de l'agriculture et rentrant la ferme p aternelle avec ses bufs; mais ils se refusent admettre qu'il pt lever, tout coup, en cinq jours, une arme de trois cent trente mille 137
combattants, dans le mme temps que l'auteur reprsente les Juifs encore sous la dpendance des Philistins, alors que la Bible dit que le peuple de Dieu n'avait pas une lance, pas une pe, et que leurs matres ne leur permettaient pas seulement un instrument de fer pour aiguiser leurs charrues, leurs hoyaux, leurs serpettes. Notre Gulliver, crit lord Bolingbroke, de telles fables, mais non de telles contradictions. Au chapitre 12, nous avons un discours grognon de Samuel, qui invoque la vieillesse pour donner sa dmission; le gouvernement des Juges est dfinitivement termin. Samuel ne se retire pas de bon cur. Il fait valoir au peuple que le fait d'avoir demand un roi est un gros pch que les Juifs ont ajout tant d'autres. Mais enfin, maintenant, conclut-il, puisque vous avez un roi, gardez-le; il est, d'ailleurs, l'oint du Seigneur; surtout, redoublez de pit envers Jhovah. Et, pour prouver aux Hbreux que Jhovah l'coutait toujours, mme aprs sa retraite de la politique, Samuel excuta, sance tenante, un de ces miracles comme on n'en trouve que dans la Bible. Voyez, dit-il au peuple, voyez cette grande chose que l'Eternel va faire, ma voix, devant vos yeux. N'est-ce pas aujourd'hui la moisson des bls? Eh bien, je crierai l'Eternel, et il fera tonner et pleuvoir, afin que vous sachiez et que vous voyiez combien est grand le mal que vous avez commis en demandant un roi. Alors, Samuel poussa un cri vers l'Eternel, et Jhovah fit tonner avec fracas et pleuvoir torrents ce jour-l, et tout le peuple craignit fort Jhovah et Samuel (12:16-18). Aprs quoi, le vieux prophte s'en alla, non sans avoir promis ses chers compatriotes qu'il ne les oublierait jamais dans ses prires et en laissant entendre qu'il se rservait toujours de leur enseigner, l'occasion, le bon et droit chemin. En somme, la retraite de Samuel ressemblait fort une fausse sortie. Sal avait rgn un an, quand ces choses arrivrent, et il rgna deux ans sur Isral. (13:1) Ici, les critiques se rcrient sur la contradiction et l'anachronisme, puisque la Bible, dans d'autres endroits, dit que Sal rgna quarante ans. Nous savons que les Isralites redoutaient la mauvaise humeur de Samuel. Sa dmission les consterna. Ils crurent voir dans le ciel des signes de catastrophes prochaines. Leurs ennemis, apprenant la situation, s'apprtrent leur tomber de nouveau dessus; ce qui n'tait pas fait pour relever le moral des sujets de Sal. Les trois cent trente mille hommes de la rcente leve gnrale fondirent comme du beurre dans la pole. Ainsi, quand les Philistins s'assemblrent pour combattre contre Isral et qu'ils armrent trente mille chariots de guerre, six mille cavaliers et des soldats en si grand nombre que leurs troupes ressemblaient au sable qui est sur le bord de la mer, et quand les Philistins vinrent camper Micmas, l'orient de Bet haven, alors le peuple d'Isral fut constern; la plupart des Hbreux, se voyant la dernire extrmit, se cachrent dans les cavernes, dans les rochers, et jusque dans les citernes; les autres, passant le Jourdain, se rfugirent au pays de Gad et de Galaad. (v. 5-7) Sal se trouvait Guilgal, o les moins pouvants se rangrent autour de lui. Afin de se rendre Jhovah propice, le roi jugea qu'il tait opportun d'offrir l'holocauste; Samuel fit savoir qu'il viendrait sacrifier lui-mme. Et Sal attendit sept jours, selon le terme fix par Samuel; mais Samuel ne venait point Guilgal, et le peuple s'cartait de plus en plus de Sal. Alors Sal dit: Qu'on m'apporte l'holocauste pacifique. Et il offrit l'holocauste. Or, peine eut-il fini d'offrir l'holocauste que Samuel arriva; et. comme Sal venait au-devant de lui pour le saluer, Samuel lui dit: Qu'as-tu fait? Sal lui rpondit: Voyant que tu ne venais pas au jour que tu m'avais fix, et les Philistins tant en armes Micmas, contraint par la ncessit, j'ai offert l'holocauste au Seigneur. Samuel dit Sal: Tu as agi follement; tu n'as pas observ les commandements de Jhovah; si tu n'avais pas fait cela, le Seigneur aurait affermi pour jamais ton rgne sur Isral; mais, maintenant, ton rgne ne sera point stable: l'Eternel s'est cherch un homme selon son cur, et c'est celui-ci qu'il a destin rgner sur son peuple. Puis, Samuel s'en alla de Guilgal Guibha; et Sal ayant fait la revue de ceux qui taient avec lui, il s'en trouva environ six cents. 138
(13:8-15) Comme arme, c'tait faible, surtout aprs avoir command trois cent trente mille hommes! Entre nous, on ne peut s'empcher de constater que Samuel tait un drle de pistolet. Dans toute cette affaire, il montre une singulire mauvaise volont. La Bible ne le donne nulle part comme grand-prtre; le grand-prtre tait Ahija, fils d'Ahitoub, lequel tait frre d'Icabod, fils de Phines, fils d'Hli (14:3). Samuel n'tait que prtre et prophte; or, Sal l'tait comme lui, puisqu'il avait prophtis ds qu'il avait t oint; donc, Sal ne commettait aucune erreur en se croyant le droit d'offrir l'holocauste. En outre, ne semble-t-il pas que Samuel, dont tous les discours prcdents prouvent nettement qu'il ne digrait pas d'avoir t oblig d'abdiquer sa magistrature pour instituer un roi, ne semble-t-il pas, dis-je, que Samuel ait manqu exprs de parole pour avoir un prtexte de blmer Sal et de le rendre odieux au peuple?... Et si quelqu'un n'avait pas intrigu pour avoir le gouvernement d'Isral, c'tait bien le fils de Cis, Sal, le gardien d'nesses! Quoi qu'il en soit, la situation n'tait pas gaie. Mme il ne se trouvait pas de forgerons dans toutes les terres d'Isral; car les Philistins le leur avaient dfendu, de peur que les Hbreux ne forgeassent une pe ou une lance; et tous les Isralites taient obligs d'aller chez les Philistins pour aiguiser le soc de leurs charrues, leurs coutres, leurs cognes et leurs hoyaux; les Philistins ne leur permettaient d'avoir que des limes pour raccommoder leurs hoyaux, leurs coutres, leurs fourches trois dents et leurs aigu illons, (13:19-21) Et quand le jour de la bataille fut venu, il ne se trouva aucun des six cents hommes demeurs avec Sal qui et une pe ou une hallebarde, except seulement Sal lui-mme et son fils Jonathan. (13:22) Il est vident que dans ces conditions la partie n'tait pas gale. Les trois cent trente mille combattants qui, l'anne prcdente, avaient culbut les Ammonites autour de Jabs, ne possdaient, eux non plus, videmment, ni pes ni hallebardes; mais il importa peu alors qu'ils ne fussent arms que de leurs fourches, leur nombre formidable leur avait valu la victoire. Avec six cents soldats seulement, sans pes, c'tait une autre paire de manches, et l'on comprend que Sal faisait triste figure devant les Philistins camps Micmas. Heureusement, le jeune Jonathan, fils du roi, tait un boxeur de premire force, en mme temps qu'un gaillard rsolu, aimant les coups hardis. Sans en rien dire son pre, il emmena un matin un domestique, qui portait ses armes, et ils allrent tous deux rder auprs des avant- postes de l'arme philistine. C'est ainsi qu'ils aperurent des soldats ennemis, qui s'taient tablis un endroit lev, dominant les rochers de Botsets et de Sn (14:4). De leur hauteur, les Philistins virent les deux hommes; et ils dirent: Voici les Hbreux, qui sortent des cavernes o ils s'taient cachs. Alors, ceux de l'avant-poste interpellrent Jonathan et le domestique qui le suivait en portant ses armes: Hol! leur crirent-ils, montez donc vers nous; nous vous montrerons notre nudit, et nous nous amuserons. Jonathan dit son domestique: Monte aprs moi; je vois que Jhovah les a livrs entre nos mains. Et Jonathan grimpa aux rochers, en s'aidant de ses pieds et de ses mains, ainsi que son domestique qui portait toujours ses armes; et quand il fut auprs de ceux de l'avant-poste, Jonathan se jeta sur eux l'improviste, les assommant de ses poings, et, au fur et mesure qu'ils tombaient, son domestique qui portait ses armes les tuait derrire lui. Ils turent ainsi vingt hommes dans la moiti d'un arpent; et ce fut la premire dfaite des Philistins. (14:11-14) Pendant ce temps, Sal, qui avait appel auprs de lui le grand-prtre Ahija, s'apprtait assister un sacrifice; et tout--coup, on entendit une grande rumeur du ct des Philistins. Or, voici: les Philistins avaient tir leurs pes les uns contre les autres, et ils s'entretuaient. Alors, ceux des Isralites qui s'taient cachs dans les cavernes de la montagne d'Ephram en sortirent, fondirent sur les Philistins, les poursuivirent et les atteignirent, jusqu' Betha ven. En ce jour-l donc, Jhovah dlivra Isral. (v. 20-23) Puis, les Isralites tant fort harasss, Sal fit, avec tout le peuple, ce sermen t: Maudit sera quiconque, depuis maintenant jusqu' ce soir, aura mang de n'importe quelle nourriture; 139
personne ne mangera, jusqu' ce que la vengeance ait atteint les ennemis. Et le peuple ne gota plus aucune nourriture. Cependant, le peuple tait alors dans un pays bois, et la lisire de la fort il y avait des ruches, dont le miel coulait, jusque sur la terre du champ; mais personne du peuple n'osa prendre de ce miel et le porter sa bouche car tous respectaient le serment. Or, Jonathan ignorait le serment que son pre avait fait jurer au peuple; il tendit le bout de son bton, et, l'ayant tremp dans un rayon de miel, il en porta avec la main sa bouche, et voil qu'aussitt ses yeux virent beaucoup plus clair. Alors, un homme du peuple lui dit: Ton pre a fait jurer un serment de maldiction contre quiconque prendrait n'importe quelle nourriture aujourd'hui. Jonathan rpondit: En ceci, mon pre a troubl le pays; voyez, je vous prie, comme ma vue s'est claircie, pour avoir un peu got de ce miel. Si le peuple, qui est harass de fatigue, avait bien mang aujourd'hui et repris des forces, la dfaite des Philistins n'aurait-elle pas t bien plus grande? (v. 24-30) Le peuple finit par suivre le conseil de Jonathan; les brebis, les bufs et les veaux, qui faisaient partie du butin pris sur l'ennemi, furent gorgs, et l'on ft ripaille. Mais le plus grave, c'est que les Juifs affams mangrent la viande, sans avoir pralablement saign fond les victimes; en cela, ils contrevenaient aux prescriptions les plus formelles de la loi mosaque (v. 31-32). Un rapport de tout ceci fut fait Sal en ces termes: Le peuple pche contre l'ternel, il mange de la chair avec le sang. Et Sal dit au peuple: Vous avez transgress la loi de Dieu! Eh bien, roulez une grande pierre vers moi, et que chacun m'amne son taureau et ses brebis; nous gorgerons tout ici, en saignant les btes; et, en les mangeant ainsi, vous ne pcherez plus contre l'ternel. Et chacun du peuple amena son taureau, la main, cette nuit-l, et tout leur btail fut gorg. (v. 33-34). Quelle hcatombe! Alors, Sal btit un autel l'ternel. Puis, il dit: N'attendons pas le lever du jour; descendons dans la plaine, et finissons- en cette nuit avec les Philistins; que pas un d'entre eux ne survive! Mais le sacrificateur lui dit: Ne prends aucune dcision avant d'avoir consult Dieu. Sal consulta donc l'Eternel, en ces termes: Poursuivrai-je les Philistins? les livreras-tu entre les mains d'Isral en ce jour? Et Jhovah, demeurant muet, ne lui donna aucune rponse. (v. 35-37) En vain Sal colla son oreille contre l'arche sainte (que le grand-prtre Ahija avait fait apporter), en vain espra-t-il entendre la voix divine. Jhovah s'obstina dans son silence. Alors, Sal comprit que papa Bon Dieu n'tait pas content. De quoi matre Jhovah pouvait-il bien tre fch? Le grand-prtre Ahija, petit-fils de Phines, ne piquait certainement pas dans la marmite sacre; car il ne devait pas ignorer que cette gourmandise impie avait valu son grand-pre une mort tragique. Sal se sentait personnellement innocent de tout pch, et, en effet, il n'en avait commis aucun que fasse connatre la Bible. Jonathan, qui avait mang du miel, clans l'ignorance du serment de son pre, n'tait videmment pas coupable; et, d'ailleurs, Jhovah avait-il accept un serment aussi absurde? car dfendre des troupes de reprendre des forces un jour de combat est une fichue imprudence!... Par consquent, si l'ternel tait mcontent, il semble que ce dt tre contre le peuple qui s'tait empiffr de la viande du btail philistin, sans avoir d'abord saign les btes, contrairement la loi de Mose, dicte par Dieu lui-mme. Il est vrai que ce peuple glouton avait, aussitt aprs, dans la mme nui t, dvor son propre btail en se conformant cette fois aux prescriptions rituelles. Si ce moment-l nos Juifs ne souffraient pas d'une indigestion, c'est qu'ils avaient l'estomac solide! Bref, puisque Jhovah refusait de rpondre, il fa llait dcouvrir d'abord qui tait coupable envers lui. Alors, Sal dit tout Isral: mettez-vous tous d'un ct; et, moi et mon fils Jonathan, nous nous mettrons de l'autre ct. Le peuple rpondit Sal: Fais ainsi qu'il te semble bon. Et Sal dit l'ternel: Fais au moins connatre qui est coupable. On tira au sort devant l'arche, et le 140
sort tomba sur Jonathan et Sal, et le peuple chappa. Puis, Sal dit encore: Maintenant, qu'on jette le sort entre moi et mon fils. Et le sort dsigna Jonathan. Alors, Sal dit son fils: Dclare-moi ce que tu as fait. Jonathan le lui dclara: Il est vrai que j'ai got un peu de miel, pris au bout de mon bton; eh bien, soit, je suis prt mourir. Et Sal s'cria: Que Dieu me punisse svrement, si tu ne meurs pas aujourd'hui, Jonathan!... Mais le peuple implora Sal, en lui disant: Quoi! Jonathan mourrait, lui qui a dlivr Isral par son courage si merveilleux ? Cela ne saurait tre. Dieu, qui est vivant, ne permettra point qu'un seul cheveu tombe de sa tte; car c'est par la protection de Dieu que Jonathan a accompli son grand exploit. Ainsi le peuple sauva Jonathan del mort. (14:40-45) La suite de l'histoire nous apprend que Sal ayant renonc poursuivre les Philistins, ceux-ci retournrent dans leur pays; mais ce n'tait que partie remise. Pendant une priode de temps dont l'auteur sacr ne nous indique pas la dure, le rgne du fils de Cis fut assez glorieux. Sal rgna donc sur Isral, et de tous cts il fit la guerre avec succs contre ses ennemis, contre les Moabites, les Ammonites, les Idumens, contre les rois de Saba et contre les Philistins; partout o il portait ses armes, il avait la victoire. Il leva aussi une grande arme, avec laquelle il battit les Amalcites, et, il dlivra Isral de la main de ceux qui le pillaient. (v. 47-48) L'inpuisable chapitre 14 nous fait connatre enfin les principaux membres de la famille de Sal. Son grand-pre, nomm Abiel, avait eu deux fils: Cis, dj cit, et Ner, lequel engendra Abner; cet Abner, cousin germain du roi, tait le gnral en chef de l'arme isralite. La reine se nommait Achinoam et tait fille d'un certain Achimaas. Indpendamment de Jonathan, Sal et deux fils, Jessui et Malchisua, et deux filles, Mrob, l'ane, et Mical ou Michol, la cadette; il eut encore deux autres garons, Abinadab et Isboseth. Mais voici que le vieux Samuel va rentrer en scne quelques instants; c'est lui qui fit dclarer la guerre aux Amalcites, quoique ceux-ci se tinssent bien tranquilles. Samuel vint Sal et lui dit: C'est l'Eternel qui m'a envoy t'oindre; or, puisque tu es roi sur Isral par la volont de Jhovah, coute ce que Jhovah t'ordonne par ma bouche, car je te rpte les paroles mmes que l'ternel m'a dites: Je viens de rappeler dans ma mmoire qu'Amalec ne laissa pas passer, sur son territoire mon peuple, quand il venait d'Egypte; il faut donc, maintenant, tuer tous les Amalcites; qu'on n'pargne personne; ne convoitez rien de ce que cette nation possde, mais dtruisez tout; tuez tout, les femmes aussi bien que les hommes, les grands garons et les petits enfants encore la mamell e; et tuez aussi leurs bufs, leurs brebis, leurs chameaux et leurs nes. (15:1-3) Les critiques, mme les plus modrs, ne parlent de ce passage de la Bible qu'avec horreur. Quoi! s'crie surtout lord Bolingbroke, faire descendre le Crateur de l'univers dans un coin ignor de ce misrable globe, pour dire des Juifs: A propos, je me souviens tout--coup qu'il y a environ cinq cents ans un petit peuple vous refusa le passage! Allons, vous avez une guerre terrible avec vos matres les Philistins, contre lesquels vous vous tes rvolts; eh bien, laissez l cette guerre embarrassante, et allez-vous-en contre ce petit, peuple, qui ne voulut pas autrefois que vos anctres vinssent tout ravager chez lui. Massacrez hommes, femmes, enfants et vieillards! gorgez bufs, vaches, chvres, chameaux, nes; car, comme vous tes en guerre avec le peuple puissant des Philistins, il est bon que vous n'ayez ni bufs ni moutons manger, ni nes pour porter vos bagages et vos vivres de campagn e!... Sal, donc, assembla son peuple, convoqu par les crieurs; la revue fut passe Tlam, et il se trouva que la tribu de Juda avait fourni dix mille hommes prts combattre; le contingent fourni par les autres tribus tait de deux cent mille hommes de pied. (v. 4) A la bonne heure! nous n'en sommes plus aux six cents troupiers du camp de Guilgal, quoiqu'on puisse se demander ce qu'taient devenus les cent vingt mille autres soldats qui avaient livr les premires batailles du rgne de Sal. Il y a un an peine, l'arme isralite comptait trois cent trente mille hros, qui taient venus combattre les Ammonites sans avoir une seule pe, une 141
seule lance, et il n'en reste plus que deux cent dix mille Sal!... O est pass le reste ?... Ah! pigeon, divin pigeon, que tu es bien de Tarascon-sur-Rhne, mon bon!... La victoire de l'arme juive fut clatante; les Amalcites furent battus plate couture, depuis Avi la jusqu' Sr: Sal fit des prisonniers en nombre prodigieux, et les Isralites massacrrent leurs captifs sans aucune piti. Pourtant, Sal pargna le roi Agag, jugeant sans doute qu'il devait faire acte de camaraderie envers un particulier du mme grade que lui. Cette clmence froissa le pre Sabaoth. Il apparut Samuel et lui dit: Je me repens d'avoir tabli Sal roi; car il s'est dtourn de moi, en n'excutant pas entirement mes ordres. Alors, Samuel eut une grande douleur, et il passa toute cette nuit-l crier vers le ciel. (15: 10- 11) Quelles furent les suites de cette apparition divine et de cette nuit de hurlements?... Ce chapitre de la Bible a t prsent par Voltaire d'une faon saisissante dans son drame Sal. (La scne se passe Guilgal, et l'action s'ouvre par un colloque entre le roi juif et Baza, son confident.) BAZA. O grand Sal! le plus puissant des rois, vous qui rgnez sur les trois lacs, dans l'espace de plus de cinq cents stades, vous, vainqueur du gnreux Agag, roi d'Amalec, dont les capitaines taient monts sur les plus puissants nes, ainsi que les cinquante fils d'Amalec; vous qu'Adona fit triompher la fois de Dagon et de Belzbuth; vous qui, sans doute, mettrez sous vos lois toute la terre, comme Dieu l'a promis tant de fois, quel chagrin pourrait vous troubler dans de si nobles triomphes et de si grandes esprances? SAL. O mon cher Baza! heureux mille fois celui qui conduit en paix les troupeaux blants de Benjamin et presse le doux raisin de la valle d'Engaddi!... Hlas! je cherchais les nesses de mon pre, je trouvai un royaume; depuis ce jour, je n'ai connu que la tristesse... Plt Dieu, au contraire, que j'eusse cherch un royaume et trouv des nesses! j'aurais fait un meilleur march... Samuel, tu le sais, m'oignit malgr lui; il fit ce qu'il put pour empcher le peuple de choisir un prince, et ds que je fus lu, il devint le plus cruel de tous mes ennemis... BAZA. Vous deviez bien vous y attendre; il tait prtre, et vous tiez guerrier; il gouvernait avant vous: on hait toujours son successeur. SAL. Eh! pouvait-il esprer gouverner plus longtemps? Il avait associ son pouvoir ses indignes enfants, galement corrompus et corrupteurs, qui vendaient publiquement la justice: toute la nation s'leva contre ce pouvoir sacerdotal. On tira un roi au sort: les ds sacrs annoncrent la volont du ciel; le peuple la ratifia, et Samuel frmit. Ce n'est, pas assez de har en moi un prince choisi par le ciel, il hait encore le prophte; car il sait que, comme lui, j'ai le nom de voyant, que j'ai prophtis comme lui; et ce nouveau proverbe, rpandu dans Isral, Sal est aussi au rang des prophtes, n'offense que trop ses oreilles superbes. On le respecte encore; pour mon malheur il est prtre, il est dangereux. BAZA. Votre Altesse royale est trop bien affermie par ses victoires, et le roi Agag, votre illustre prisonnier, vous est ici un sr garant de la fidlit de votre peuple, galeme nt enchant de votre victoire et de votre clmence... Voici qu'on l'amne devant Votre Altesse royale. (Entre d'Agag, entour de soldats.) AGAG. Doux et puissant vainqueur, modle des princes, qui savez vaincre et pardonner, je me jette vos sacrs genoux; daignez ordonner vous-mme ce que je dois donner pour ma ranon; je serai dsormais un voisin, un alli fidle, un vassal soumis; je ne vois plus en vous qu'un bienfaiteur et un matre: j'admirerai, j'aimerai en vous l'image du Dieu qui punit et pardonne. SAL. Illustre prince, que le malheur rend encore plus grand, je n'ai fait que mon devoir en sauvant vos jours: les rois doivent respecter leurs semblables; qui se venge aprs la victoire est indigne de vaincre; je ne mets point votre personne ranon, elle est d'un prix inestimable. 142
Soyez libre; les tributs que vous paierez Isral seront moins des marques de soumission que d'amiti: c'est ainsi que les rois doivent traiter ensemble. AGAG. O vert u! grandeur de courage! que vous tes puissante sur mon cur! Je vivrai, je mourrai le sujet du grand Sal, et tous mes Etats sont lui. (Survient Samuel, accompagn de prtres.) SAL. Samuel, quelles nouvelles m'apportez-vous? Venez-vous de la part de Dieu, de celle du peuple, ou de la vtre? SAMUEL. De la part de Dieu. SAL. Qu'ordonne -t-il? SAMUEL. Il m'ordonne de vous dire qu'il s'est repenti de vous avoir fait rgner. SAL. Dieu, se repentir!... Il n'y a que ceux qui font des fautes qui se repentent. Dieu ne peut faire des fautes. SAMUEL. Il peut se repentir d'avoir mis sur le trne ceux qui en commettent. SAL. Eh! quel homme n'en commet pas?... Parlez, de quoi suis-je coupable? SAMUEL. D'avoir pardonn un roi. AGAG. Comment! la plus belle des vertus serait regarde chez vous comme un crime? SAMUEL, Agag. Tais-toi, ne blasphme point. (A Sal:) Sal, ci-devant roi des Juifs, Dieu ne vous avait-il pas ordonn, par ma bouche, d'gorger tous les Amalcites, sans pargner ni les femmes, ni les filles, ni les enfants la mamelle? AGAG. Ton Dieu t'avait ordonn cela!... Tu t'es tromp, tu voulais dire ton diable. SAMUEL, ses prtres. Prparez-vous m'obir... Et vous, Sal, avez-vous obi Dieu? SAL. Je n'ai pas cru qu'un tel ordre ft positif; j'ai pens que la bont tait le premier attribut de l'Etre suprme; qu'un cur compatissant ne pouvait lui dplaire. SAMUEL. Vous vous tes tromp, homme infidle: Dieu vous rprouve, votre sceptre passera en d'autres mains. BAZA, Sal. Quelle insolence!... Sire, permettez-moi de punir ce prtre barbare. SAL. Gardez-vous-en bien; ne voyez-vous pas qu'il est suivi de tout le peuple, et que nous serions lapids si je rsistais, car en effet j'avais promis... BAZA. Vous aviez promis une chose abominable! SAL. N'importe; les Juifs sont plus abominables encore; ils prendront la dfense de Samuel contre moi. BAZA, part. Ah! malheureux prince, tu n'as du courage qu' la tte des armes. SAL. Eh bien donc! prtres, que faut-il que je fasse? SAMUEL. Je vais te montrer comment on obit au Seigneur... (A ses prtres:) O prtres sacrs, enfants de Lvi, dployez ici votre zle: qu'on apporte une table; qu'on tende sur cette table ce roi, dont le prpuce est un crime devant le Seigneur... Les prtres s'emparent d'Agag et le lient sur la table. AGAG. Que voulez-vous de moi, impitoyables monstres? SAL. Auguste Samuel, au nom du Seigneur... SAMUEL, Ne l'invoquez pas, vous en tes indigne, demeurez ici, il vous l'ordonne; soyez tmoin du sacrifice, qui, peut-tre, expiera votre crime. AGAG, Samuel. Ainsi donc vous m'allez donner la mort?... O mort, que vous tes amre! SAMUEL. Oui, tu es gras! et ton holocauste en sera plus agrable au Seigneur. AGAG. Hlas! Sal, que je te plains d'tre soumis de pareils monstres! SAMUEL, Agag. Ecoute, tu vas mourir: veux-tu tre juif? veux-tu te faire circoncire? AGAG. Et, si j'tais assez faible pour tre de ta religion, me donnerais-tu la vie? SAMUEL. Non; tu auras la satisfaction de mourir juif, et c'est assez. AGAG. Frappez donc, bourreaux! SAMUEL. Donnez-moi cette hache, au nom du Seigneur; et tandis que je couperai un bras, coupez une jambe, et ainsi de suite morceau par morceau, 143
(Les prtres frappent tous ensemble, avec Samuel, au nom d'Adona.) AGAG. O mort! tourments! barbares! SAL. Faut-il que je sois tmoin d'une abomination si horrible! BAZA. Dieu vous punira de l'avoir soufferte. SAMUEL, aux prtres. Emportez ce corps et cette table; qu'on brle les restes de cet infidle, et que ses chairs servent nourrir nos serviteurs... (A Sal:) Et vous, prince, apprenez jamais qu'obissance vaut mieux encore que sacrifice. SAL, se jetant dans un fauteuil. Je me meurs; je ne pourrai survivre tant d'horreurs et tant de honte. (On aurait tort de croire une exagration dans cette mise en scne.) Le chapitre 15 du 1 er livre de Samuel, reprse nte en effet l'gorgement d'Agag, massacr de la faon la plus barbare, avec une cruaut dont il est peu d'exemples, le prophte tant lui- mme au nombre des bourreau! et prsidant le supplice. En outre, Samuel dclara Sal qu' partir de ce moment il tait dchu, que Jhovah l'avait rejet. Et comme Samuel se tournait pour s'en aller, Sal, voulant le retenir, le prit par le pan de son manteau, qui se dchira. Alors le prophte dit au roi: Ainsi que tu as dchir mon manteau, de mme ton royaume sera dchir. (15:27-28). Puis, sans perdre de temps, Samuel se rendit Bethlem. L, il fit comparatre devant lui un sieur Isa, descendant de Booz, et toute sa famille. Aprs une purification gnrale, suivie d'un sacrifice, Samuel dit Isa: Sont-ce l tous tes enfants? Isa lui rpondit: Il en reste encore un tout petit, qui garde les brebis. Fais-le venir, repartit Samuel; car nous ne nous mettrons pas table avant qu'il soit ici prsent. On amena donc le jeune garon; celui-ci tait roux et de joli visage. Et Jhovah dit Samuel: Voil bien celui que tu dois oindre. Alors, Samuel prit une corne pleine d'huile, qu'il avait apporte, et oignit David au milieu de ses frres. Ds lors, le souffle du Seigneur souffla sur David et ne souffla plus sur Sal; au surplus, Jhovah envoya Sal un mauvais esprit, et Sal eut le cerveau troubl. (16:11-14) Les critiques font remarquer, comme une chose tonnante, que Dieu ait parl Samuel chez le pre de David mme, devant toute la maison, sans que l'auteur sacr dise explicitement s'il y eut ou non une apparition. L'opinion des thologiens est que Jhovah parlait intrieurement son prophte; mais alors comment les assistants pouvaient-ils deviner qu'il avait une mission particulire et divine? Tous les juifs, dit Voltaire, devaient savoir que Sal rgnait, puisque Samuel avait rpandu de l'huile sur sa tte. Or, quand il en fit autant David, son pre, sa mre, ses frres et les assistants devaient s'apercevoir qu'il instituait un roi nouveau, et que par-l il exposait toute la famille la vengeance de Sal; il y a quelque difficult. Boulanger dit qu'il n'y a jamais eu de scne du thtre italien plus comique que celle d'un prtre de village qui vient chez un paysan, avec une bouteille d'huile dans sa poche, oindre un petit garon rousseau, et faire ainsi une rvolution dans l'Etat; ce critique ajoute que cet Etat et ce peti t garon rousseau ne mritaient pas une autre historien. Or, les officiers de Sal lui dirent: Tu vois qu'un mauvais souffle de Dieu te trouble; s'il te plat, tes serviteurs iront chercher un joueur de harpe, afin que, quand le mauvais souffle de Dieu te troublera le plus, ce musicien te soulage en touchant de la harpe avec sa main. Sal dit donc ses serviteurs: Allez me chercher quelqu'un qui sache bien harper. Mais l'un des serviteurs lui dit: Il y a, Bethlem, l'un des fils d'un nomm Isa, que j'ai vu et qui joue de la harpe en vritable artiste; c'est un jeune homme robuste, vaillant guerrier, s'exprimant avec loquence, et fort joli garon; en outre, Dieu est avec lui. Alors, Sal envoya des messagers Isa pour lui dire: Envoie-moi ton fils David, celui qui garde tes brebis. Isa prit aussitt un ne, qu'il chargea de pain et d'un baril de vin, et un chevreau, et il fit remettre par David ces 144
prsents Sal. Et quand David se prsenta, Sal prouva pour lui une grande affection et il le nomma son cuyer; et il envoya dire Isa: Je te prie de 'lisser David mon service; car il me plat beaucoup. Quand donc le mauvais souffle de Dieu troublait Sal, David prenait une harpe et en jouait, et Sal en tait soulag, et le mauvais souffle cessait de souffler. (v. 15- 23) Quel mli-mlo, cette histoire!... David, dont l'auteur sacr fait un simple ptre, est en mme temps un harpiste de talent dos plus distingus; encore si en menant patre les brebis il s'tait content de jouer de la flte! mais non, c'est l'norme et encombrante harpe qu'il trimballe avec lui travers les arides montagnes de Jude. Ensuite, on nous donne David comme tout jeune; comment peut-on alors qualifier ce petit garon de vaillant guerrier?... Autre observation: l'officier de Sal, qui est si bien renseign sur le compte de David, ignore-t-il donc que l'adolescent a t oint par Samuel et qu'il est, par consquent, un dangereux comptiteur?... Et ces prsents d'Isa au chef de l'tat sont-ils assez ridicules! du pain, un baril de vin et un chevreau, voil ce qui est offert un souverain, pour se concilier ses bonnes grces!... Que dire enfin de Jhovah qui passe son temps flanquer des attaques de nerfs Sal et l'en gurir momentanment avec la musique de son rival? Tout cela est d'un grotesque insens!... Cependant, les Philistins assemblrent toutes leurs armes pour livrer un grand combat Isral; ils tablirent leur camp entre Soco et Azca, sur la frontire de Dammi m. Sal et les Juifs se rassemblrent aussi, et ils camprent dans la valle du Chne. Les Philistins taient sur une montagne et les Isralites taient sur une autre montagne, vis--vis. Et il arriva qu'un btard sortit du camp philistin et vint se prsenter entre les deux armes; il s'appelait Goliath; il tait de Geth, et il avait six coudes et une palme de haut (un peu plus de quatre mtres!); un casque d'airain protgeait sa tte, et sa cuirasse, faite d'caills, qu'il avait sur la poitrine pesait cinq mille sicles d'airain, elle seule (soixante kilogrammes); il avait aussi des bottes d'airain, et un grand bouclier d'airain couvrait ses paules; la hampe de sa lance tait, aussi volumineuse que l'ensuple d'un tisserand; le fer de cette lance pesait six cents sicles de fer (dix kilogrammes). Ce gant venait crier devant les phalanges d'Israi: Choisissez donc quelqu'un d'entre vous pour combattre contre moi; s'il me tue, nous serons vos esclaves; mais, si je le tue, c'est vous qui serez nos esclaves. Et ce Philistin se vantait ainsi chaque jour d'avoir dshonor Isral, et tous les Juifs ayant entendu la voix de ce gant philistin qui les bravait taient stupfaits et tremblaient de peur. (17:1-11) Ce gant Goliath, qui avait plus de quatre mtres de haut, ne doit pas paratre extraordinaire, aprs les autres gants que nous avons vus dans la Gense. Il est vrai que nous ne voyons plus aujourd'hui des hommes de cette taille; telle est mme la constitution du corps humain, que cette excessive hauteur, en drangeant toutes les proportions, rendrait ce gant trs faible, et incapable de se soutenir. Il faut regarder Goliath comme un prodige que Dieu suscitait pour manifester la gloire de David, dit ironiquement Voltaire. Or, David tait fils de cet phratien de Bethlem, dont il a t parl, lequel se nommait Isa et tait trs vieux, avec huit enfants. Les trois plus grands fils, Eliab, Abinadab et Samma, avaient pris leur rang dans l'arme de Sal pour combattre dans cette guerre; mais David, qui tait le plus jeune, allait et revenait d'auprs de Sal pour mener patre les brebis de son pre, Bethlem. (v. 12-15) Bizarre, ce David, que le roi a fait son cuyer, et qui, en pleine guerre, quitte de temps en temps son service pour aller garder des troupeaux! Et le gant philistin renouvelait matin et soir ses dfis aux soldats juifs, et il resta l debout pendant quarante jours. Alors, Isa dit David son (ils. Tiens, prends un litron de farine d'orge et dix pains, et cours tes frres dans le camp; porte aussi dix fromages leur capitaine, visite tes frres, et vois un peu comment ils se comportent. Or, Sal et ses troupes taient toujours dans la valle du Chne. David, donc, partit un jour, de bon matin, aprs avoir laiss ses brebis la garde d'un autre; il s'en alla tout charg, comme son pre le lui avait dit, et vint jusqu' 145
l'endroit nomm Magala, o l'arme s'tait avance pour demander la bataille, et qui criait dj bataille; car les Isralites et les Philistins taient en prsence. C'est pourquoi David, ayant laiss aux bagages tout ce qu'il avait apport, courut l'endroit o les Isralites et leurs ennemis taient rangs, vis--vis, en ordre de bataille, et son premier soin fut de demander comment ses frres se comportaient. Tandis qu'il parlait, voil que le btard Goliath sortit des rangs philistins et vint recommencer ses bravades; ce qui fit immdiatement tourner le dos tous les Juifs, qui reculrent en tremblant de peur. (17:16-24) Alors, un homme d'Isral se mit dire: Voyez-vous ce Philistin qui vient insulter toute notre nation? S'il se trouve quelqu'un qui puisse le tuer, le roi l'enrichira d'immenses richesses, et lui donnera sa fille, et sa famille sera affranchie de tout impt en Isral. De son ct, David demandait autour de lui, en s'adressant aux uns et aux autres: Que donnera-t-on celui qui tuera ce grand coquin incirconcis? Le peuple lui rpta ce qui vient d'tre dit. (v. 25-27) D'aprs ce texte, David ne parat gure vouloir combattre par amour pour sa patrie, mais bien plutt par l'espoir du gain. Mais, quand Eliab, son frre an, connut les propos que David tenait, il s'emporta fort contre lui: Pourquoi es-tu venu ici? dit-il; nous n'avons que peu de brebis la campagne, et tu les as laisses! Mais David rpondit: Qu'ai-je fait de mal? Y a-t- il de quoi se fcher? Et, s'tant loign, il alla vers d'autres, leur posa la mme question et reut la mme rponse. (v. 28-30) Les paroles de David furent rapportes au roi, qui le fit venir. Et David dit Sal: Que personne n'ait le cur troubl cause de Goliath; car j'irai, moi ton serviteur, et je combattrai ce Philistin. Mais Sal lui parla ainsi: Tu ne saurais lutter contre cet ennemi terrible, attendu que tu n'es qu'un enfant et que, lui, au contraire, il est un homme de guerre, depuis sa jeunesse. David rpondit au roi: Il y a quelque temps, tandis que je faisais patre les brebis de mon pre, un lion et un ours survinrent, et ils emportrent une brebis du troupeau; mais je courus aprs eux, je les frappai coups redoubls, et j'arrachai la brebis de leur gueule; et, comme ils se redressaient tous deux contre moi, je les saisis de chaque main l'un et l'autre par la mchoire, et je les frappai encore plus fort, si bien que je les tuai. Ton serviteur donc a tu un lion et un ours; et ce Philistin, dont le prpuce n'a pas t coup, sera trait comme ces animaux, car il a insult l'arme du Dieu vivant. David dit encore: Jhovah, qui m'a dlivr de la griffe du lion et de la patte de l'ours, me dlivrera de la main de cet incirconcis. Alors, Sal dit David: Va, et que Jhovah soit avec toi! (17:31-37) On le voit, le roi Sal avait t pat, et, sa place, on l'aurait t moins; en effet, le rcit du gosse tait patant. Imaginez un instant que vous tes spectateurs de cette aventure: le lion et l'ours se jetant la fois sur une mme brebis du troupeau du pre Isa, quand il leur aurait t plus commode d'en prendre chacun une; les deux btes froces s'loignant avec leur proie, qu'ils s'apprtent dvorer, le lion la tenant par la tte, et l'ours par l'arrire-train; l-dessus, le petit berger s'lanant la poursuite des terribles ravisseurs, leur disputant la brebis, cognant du poing et du pied, et les saisissant par la mchoire! Quel tableau!... Trouvez donc de semblables exploits ailleurs que dans la Bible; je vous en dfie bien. O Tartarin, voil ton matre: le jeune David! Par l'histoire de Samson, nous avions appris que le lion se rencontrait en Palestine. C'tait dj une surprise pour le lecteur. Mais, avec David, nous trouvons tout ensemble le lion et l'ours!... Les naturalistes affirment que l o vit le lion, il n'y a pas d'ours, et rciproquement. Zut pour les naturalistes! Voil leur science en dfaut. O divin pigeon, il ne te reste plus qu' nous faire connatre l'ours de l'quateur et le lion du ple Nord! Sal, alors, fit armer David de ses propres armes; il lui mit son casque d'airain sur la tte et le revtit de sa cuirasse. Et David, ayant ceint l'pe par-dessus sa tunique, commena essayer s'il pouvait marcher avec des armes; car il n'y tait pas accoutum. (17:38-39) Pas accoutum au maniement des armes?... Soit; mais alors pourquoi le verset 18 du chapitre prcdent reprsente-t-il David comme tant connu pour un vaillant guerrier depuis 146
longtemps? David dit donc Sal: Je ne saurais marcher avec des armes, n'en ayant pas l'habitude. Et il les quitta. Puis, il reprit son bton de berger, se choisit cinq pierres dans un torrent voisin, les mit dans sa panetire, et, tenant sa fronde la main, il marcha contre le gant philistin. Le philistin, prcd de son cuyer, s'avana aussi la rencontre de David. (v. 39-41) L'cuyer de Goliath?... Il n'en est question que dans la Bible, texte in-extenso; cet cuyer est supprim tout net, dans les manuels d'histoire sainte l'usage des fidles, et l Goliath n'est plus qu'un simple fantassin. Pourquoi donc les prtres modernes ont-ils opr cette coupure dans le texte sacr? L'cuyer du gant philistin ne mritait pourtant pas de disparatre ainsi, d'une faon si arbitraire. En effet, dans les armes d'autrefois, l'cuyer tait le soldat qui accompagnait un officier cheval et qui prenait soin de sa monture; de nos jours, on l'appellerait l'ordonnance officier de cavalerie. Or, si Goliath avait un cuyer attach spcialement son service, c'est qu'il tait officier dans l'arme philistine; la Bible dit, d'ailleurs, en plusieurs endroits, qu'il y avait une puissante cavalerie chez les Philistins. Et l'ineffable pigeon-canard, qui nous a assur tout l'heure que Goliath avait plus de quatre mtres de haut, a oubli de nous
faire connatre les proportions gigantesques de son cheval! Il est vident que le cheval de Goliath devait tre gant, lui
aussi. Et la sainte criture ne nous indique pas la contre qui produisait des talons si phnomnaux, des chevaux de
taille porter des cavaliers hauts de six coudes et une
palme!... Dplorable lacun e!... Reprenons le rcit biblique: Alors, le gant philistin
jeta un regard sur David, et, voyant que c'tait un adolescent de cheveux roux et de joli visage, il lui tmoigna son mpris. Suis-je un chien, lui dit-il, pour que tu viennes contre moi avec un bton? Et il maudit David, en jurant du nom de ses dieux. Puis, il lui dit encore: Eh bien, viens donc, et je donnerai ta viande aux oiseaux du ciel et aux btes des champs. David rpondit Goliath: Tu marches contre moi avec ton pe, ta lance et ton bouclier; mais moi, je marche contre toi au nom de Sabaoth, dieu des armes d'Isral, dieu de ces troupes ranges en bataille que tu as insultes; et, comme le Seigneur te livrera aujourd'hui entre mes mains, c'est moi qui t'abattrai, c'est moi qui, aprs t'avoir coup la tte, donnerai ta viande aux oiseaux des cieux et aux animaux de la terre; et le monde entier saura qu'Isral a un dieu!... Et David, ayant couru sus Goliath, mit la main dans sa panetire, prit une pierre, et la lana avec sa fronde; et cet te pierre atteignit le gant au front o el le s'enfona, si bien que le Philistin tomba le visage contre le sol. Puis, David se jeta sur Goliath, prit son pe, la tira du fourreau, le tua et lui coupa la tte. Et les Philistins, ayant, vu que leur gant tait mort, s'enfuirent. Alors, les soldats d'Isral et de Juda, qui taient demeurs assis, se levrent en poussant des cris de joie et se mirent la poursuite des Philistins, et ceux-ci, tombant blesss mort sous leurs coups, jonchrent le chemin de Saharaji m jusqu' Gath et jusqu' Hkron; aprs quoi, les Juifs pillrent le camp philistin (17:42-53) Et David prit les armes du gant et les plaa dans sa tente; il prit aussi la tte de Goliath et la porta Jrusalem. (v. 54) Tiens (il avait donc tout--coup une tente, le jeune David?... Et c'est Jrusalem qu'il alla, en triomphateur, porter la tte du gant philistin? Ceci est plus trange encore, attendu que Jrusalem n'appartenait point cette poque aux Juifs; nous verrons plus loin comment cette ville ne fut prise que plus tard par David, aprs la mort de Sal. Mais nous commenons nous habituer aux contradictions de l'Esprit-Saint! Or, lorsque Sal avait vu David marcher contre Goliath, il dit Abner, gnral de l'arme isralite: Quel est cet adolescent? de quel pre est-il fils? Abner lui rpondit: Aussi vrai que ton me est vivante, roi, je n'en sais rien. Le roi repartit: Informe-toi tout de suite, afin que je sache, quelle famille appartient cet adolescent. Sitt donc que David fut retourn du combat, Abner conduisit Sal le jeune homme, qui tenait la main la tte du gant. Et Sal lui dit: De qui es-tu fils? David rpondit: Mon pre se nomme Isa, ton serviteur, et il habite Bethlem. (17:55-58) 147
Ah ! qu'est-ce que tout ce rebchage incohrent?... O le divin inspirateur de la Bible a-t-il la tte?... Dans le chapitre prcdent, on nous a racont, avec les plus minutieux dtails, que Sal, pour calmer ses nerfs, s'est enquis d'un bon joueur de harpe; un de ses officiers lui en a procur un, qui est David, et le roi a t renseign sur sa famille; bien mieux, Sal a envoy Isa un messager pour prier le vieux bonhomme de lui laisser son fils, parce qu'il lui plaisait beaucoup; le pigeon nous a dit encore que David allait et venait souvent d'auprs de Sal Bethlem et qu'il faisait ainsi la navette entre la cour royale et les brebis paternelles. Et voil que ni Sal, ni Abner, ni aucun officier du roi ne savent qui est David, au moment de sa lutte contre Goliath ! Voil le joueur de harpe du roi, l'cuyer de Sal, devenu tout coup un inconnu!... Que penser de ce galimatias?... Lorsqu'il dicta Samuel ce chapitre 17, le divin pigeon n'avait-il pas, ce jour-l, absorb un peu trop de chnevis?... Ce serait croire, ma foi! Prenons-en notre parti, et poursuivons l'difiante lecture. Sans se soucier le moins du monde de ses contradictions, l'auteur sacr nous apprend (18:2) que, cette fois, Sal ne voulut plus permettre David de retourner chez son pre. D'autre part, Jonathan fut pris tout coup d'une vive amiti pour le jeune joueur de harpe, dont il avait, lui aussi, ignor la prsence la cour dans les temps antrieurs: Sitt que David eut achev de parler , Sal, l'me de Jonathan fut tellement lie son me, que Jonathan l'aima comme son me; et Jonathan fit alliance avec David, parce qu'il l'aimait comme son me; et Jonathan se dpouilla du manteau qu'il portait, et il en fit cadeau David, et il lui donna encore tous ses habits, mme jusqu' son pe, son arc et son baudrier. (18:3-4). Voil de l'amiti! Que durent penser le gnral Abner, les capitaines, les courtisans, en voyant le fils du roi se dshabiller, ne garder que sa chemise (du moins, est-il convenable de le supposer) et offrir ses armes et tous ses vtements l'heureux vainqueur de Goliath?... Malheureusement, la Bible oublie de nous faire part des rflexions des hauts personnages qui assistrent cette scne impayable. Une nouvelle existence commenait donc pour le gosse, que Samuel avait sacr roi, et qui, peu enclin pour le quart d'heure entrer en concurrence avec Sal, se bornait lui servir d'cuyer et de musicien: mais, malgr cet effacement, David n'allait pas tarder porter ombrage Sa Majest. Or, comme ils revenaient, quelque temps aprs la dfaite du gant philistin, il sortit, de toutes les villes d'Isral, des femmes en grand nombre, qui allrent leur rencontre en acclamant David; et voici que ces femmes se mirent chanter et danser joyeusement, avec des tambours et des cymbales; et, tout en jouant de leurs instruments, elles se criaient les unes aux autres: Sal en a tu mille, mais David en a tu dix mille! (v. 6-7) Il tait difficile d'admettre que feu Goliath, si gant qu'il ft, reprsentt dix mille hommes, lui tout seul. Aussi, Sal, qui s'tait distingu la guerre par des exploits multiplis, trouva que l'ovation faite son cuyer harpiste sortait des limites raisonnables et prenait un caractre offensant pour lui. Ces paroles des femmes d'Isral dplurent au roi, et il en fut fort irrit. (v. 8) Depuis ce jour-l, Sal vit David de mauvais il. (v. 9). Et il arriva, ds le lendemain, que le mauvais souffle de Dieu souffla sur Sal; alors, David joua de la harpe, comme les autres jours. Mais Sal avait sa lance la main, et il la lana soudain contre la muraille, en se disant en lui-m me: En atteignant cette muraille, mon arme transpercera David. Or, celui-ci, qui tait alerte, vita deux fois le coup, en se dtournant. (18:10-11) Peu aprs, le roi, pour loigner de lui le jeune homme, le nomma capitaine et le mit la tte de mille hommes (v. 13), et David, qui tout russissait , devint de plus en plus populaire parmi les enfants d'Isral, et son nom commena tre connu hors de la nation. Nous allons voir bientt que le seigneur Jhovah multiplia les preuves de sa protection envers David. L'ayant fait appeler un jour, Sal lui dit: coute, je te donnerai pour femme ma fille ane Mrob, et ainsi, toi qui es vaillant, tu seras pour moi un autre fils, et tu dirigeras les batailles d'Isral (v. 17); au fond, Sal se disait que les Philistins finiraient par le dbarrasser de 148
David. Je suis si peu de chose pour devenir le gendre du roi! rpondit David (v. 18). Il se gardait bien de rvler que Samuel l'avait oint. Or, quand vint l'poque o Sal devait donner sa fille Mrob David, il la maria Hadriel Mholatite (v. 19); l'auteur sacr ne dit pas pourquoi. Mais Mical, seconde fille de Sal, tomba amoureuse de David, et elle le fit savoir son pre; alors Sal fut trs content, et il dit David: Tu seras mon gendre aujourd'hui mme. (v. 20-21). Il est probable, d'aprs ce qui suit, que le vainqueur de Goliath n'aurait pas demand mieux que d'pouser Mical tout de suite; mais Sal avait parl en l'air, parat-il, ou bien il regretta de s'tre montr si press. En effet, ds qu'il eut le consentement du jeune homme, il se mit exiger de lui des choses extraordinaires. On ne devinerait jamais quelle condition Sal fit poser a David pour l'agrer dfinitivement! Sal dit ceux de ses serviteurs qu'il envoya David: Vous lui direz que le roi demande pour douaire cent prpuces de Philistins. (v. 25) En d'autres termes, le roi ne voulait pas doter Mical; son avis, c'tait David qui devait constituer une dot sa femme; et quelle dot!... Cent prpuces!... On ne voit gure quoi tant de prpuces auraient pu servir dans le nouveau mnage... Alors, avant que les jours fixs fussent accomplis, David s'en alla au pays des Philistins, accompagn de sa troupe; l, il tua deux cents hommes. Puis, il coupa leurs prpuces, les apporta et les remt bien compts (sic) au roi, afin d'tre son gendre. Et Sal lui donna pour femme sa fille Mical. (18:26-27) On s'imagine la sance de signature du contrat, le notaire royal comptant gravement les deux cents prpuces, et l'amoureuse Mical roucoulant David et tout heureuse d'avoir un si beau prsent de noces! Quant aux Philistins, ils trouvrent de fort mauvais got qu'on vnt s'approvisionner de prpuces chez eux, et la guerre recommena. Les capitaines philistins se mirent en campagne; et ds qu'ils furent sortis, David eut plus de victoires que tous les officiers de Sal; et son nom fut en fort grande estime. (18:30) C'est en ce temps-l que le roi avait de frquentes priodes de maboulisme; mais on se demande pourquoi l'crivain biblique s'ingnie peindre l'infortun monarque sous les plus vilaines couleurs. D'aprs le texte mme, c'est Jhovah qui, par moments, soufflait d'un mauvais souffle sur Sal; c'est donc Dieu en personne qui le rendait loufoc. Un fou n'est pas responsable de ses folies, et Sal moins que tout autre, par consquent. Alors Sal parla Jonathan, son fils, et tous ses officiers, de faire mourir David; mais Jonathan aimait beaucoup David; c'est pourquoi il lui fit connatre le danger de mort qu'il courait, par le fait de l'inimiti de son pre. (19:1-2). En outre, le brave Jonathan tenta une rconciliation. Il parla donc favorablement de David Sal son pre, et lui dit: Que le roi ne pche point contre David son serviteur; car il n'a point pch contre toi, et mme ce qu'il a fait t'est fort avantageux, attendu qu'il a expos sa vie et qu'il a tu le gant philistin; tu l'as vu et tu t'en es rjoui; pourquoi donc pcherais-tu contre le sang innocent, en faisant mourir David sans cause? Sal prta l'oreille la voix de son fils, et il jura en disant: Par le Dieu vivant, David ne mourra pas t Alors, Jonathan appela David et lui fit le rcit des nouvelles dispositions du roi. Il amena ensuite David Sal, et David reprit comme auparavant son service auprs du roi. (19:4-7 ) On le voit, la haine abandonnait le monarque, aussitt qu'il tait dans son tat naturel; c'est seulement au cours de ses accs, quand Jhovah soufflait, sur lui d'un souffle mauvais , c'est alors que Sal formait des projets homicides contre son gendre. Cependant, la guerre avec les Philistins battait son plein, et le harpiste trouvait quelquefois le temps d'infliger une dfaite l'ennemi, entre deux srnades. Mais voici que le mauvais souffle de Dieu souffla de nouveau sur Sal, un jour qu'il tait assis dans son palais, ayant sa lance la main, tout en coutant la musique de David. (v. 9) Le lecteur s'attend bien ce qui va arriver! Alors, tandis que David pinait de la harpe, Sal essaya encore de le clouer contre le mur avec sa lance; mais David se dtourna agilement, et 149
Sal, sans atteindre son gendre, planta son arme dans la muraille; aprs quoi, ayant ainsi chapp la mort, David prit la fuite. (v. 10) Ce fut chez sa tendre pouse que le jeune capitaine harpiste se rfugia; l'aimable Mical le consola de son mieux. Mais, cette nuit-l, Sal envoya des gens vers la maison de David, avec ordre de rester en surveillance, afin qu'il pt le faire prir le matin. Et Mical, ayant aperu les hommes de garde, dit David: Si tu ne te sauves cette nuit, demain on va te tuer. Alors, Mical fit descendre David par une fentre, et il s'enfuit de nouveau. Ensuite, Mical prit un marmouset, le coucha dans son lit la place de David et lui mit sur la tte une peau de chvre, lit quand Sal envoya ses gens pour s'emparer de David, elle leur dit: Il est malade. Alors Sal s'cria: Qu'on me l'apporte dans son lit, afin que je le fasse mourir! Et Sal et ses gens ne trouvrent qu'un marmouset, coiff de peau de chvre. Et Sal dit Mical: Pourquoi m'as-tu tromp ainsi? pourquoi as-tu fait chapper mon ennemi? Mical rpondit: il m'a dit: Laisse-moi m'en aller. Pourquoi donc aurais-je prt la main ce qu'il ft tu? (19:11-17) Il ne faut pas perdre de vue que nous reproduisons un livre sacro-saint, une uvre divine, base fondamentale d'une religion qui a la prtention de courber le monde entier sous sa loi. Peut-on pourtant trouver une aventure plus bbte que celle-ci? Cet histoire de marmouset n'est mme pas du vaudeville comique; elle est au-dessous du niveau des plus niaises jocrisseries de foire. Et c'est du dogme, a!... Sous peine de rtir ternellement en enfer, il est ncessaire de croire que Mical fit filer son mari, l'oint David, par la fentre, et qu'elle le remplaa dans son lit par un mannequin coiff d'une peau de chvre! Cette peau de chvre tait-elle le bonnet de nuit ordinaire de David?... Dans le texte hbreu, il y a thraphim, que les versions modernes traduisent par marmouset , mannequin. Mais thraphim signifie littralement une idole. Mical faisait-elle donc coucher des idoles avec elle? voulait-elle que les satellistes envoys par Sal prissent cette idole pour son mari? et, puisque David avait, nous a-t-on dit, les cheveux roux, Mical esprait-elle que la peau de chvre dont elle coiffait le thraphim ferait l'effet de la tignasse du cher homme? Beau sujet de grave examen pour les rvrends thologiens! La btise biblique va, maintenant, devenir dlirante. Ainsi David s'enfuit, chappant la mort. Il s'en vint vers Samuel, Rama, et lui apprit tout ce que Sal lui avait fait. Puis, il s'en alla avec Samuel, et ils demeurrent ensemble Najoth. Cela fut rapport Sal, qui envoya des archers pour s'emparer de David. Mais, quand les archers arrivrent Najoth en Rama, ils trouvrent David au milieu d'une assemble de prophtes qui prophtisaient, et au-dessus d'eux tous se tenait Samuel, les prsidant et prophtisant; et voil que les archers de Sal furent saisis de l'esprit de Dieu, et ils se mirent aussi prophtiser. Sal, en ayant t averti, envoya d'autres archers, et ceux-ci prophtisrent de mme, au lieu de prendre David. Le roi en envoya encore, pour la troisime fois, et ils prophtisrent de mme. Alors, Sal se rendit lui-mme en Rama; il vint jusqu' la grande fosse qui est Scu, et il demandait tous: O sont Samuel et David? On lui rpondit: Ils sont Najoth, en Rama. Il s'en alla donc Najoth. Or, en route, l'esprit de Dieu le saisit lui- mme aussi, de sorte que pendant tout son chemin il prophtisa. Et quand il fut arriv Najoth, en Rama, il commena par se dpouiller de ses vtements de dessus, et, en prsence de Samuel, il prophtisa; puis, il s'allongea par terre et coucha ainsi sans habits sur le sol, tout ce jour-l et toute la nuit. C'est pourquoi les Isralites dirent partout: Sal est maintenant au nombre des prophtes. (19:18-24) J'ai tenu donner la traduction littrale de ce texte extravagant. Un prophte est un homme qui prdit l'avenir; il faut donc tre inspir de Dieu pour pouvoir dire quels vnements se passeront en des temps futurs; voil ce qui est admis chez les croyants. Mais, en gnral, un prophte ne prophtise que pour annoncer tel fait: on consulte un oracle, l'oracle rpond; ou bien un homme de Dieu se rend dans une ville, ou la cour d'un monarque, et prdit telle catastrophe ou tel heureux vnement; c'est ainsi qu'oprent les prophtes, c'est--dire ceux 150
qui se disent inspirs et qui font profession de possder la science des choses les plus caches. Cependant, il ne viendrait personne l'ide d'imaginer une assemble de prophtes dbitant des prophties jet continu, si ce n'est Charenton. Ces gens de police qui deviennent tout coup prophtes, qui se mlent Samuel, David et aux autres prophtes, et qui font assaut de prophties avec eux; ce Sal, qui va la recherche de son gendre pour le tuer, qui, sans en tre sollicit par personne, dit la bonne aventure sur son chemin, qui se met nu ou peu prs dans la runion sainte o prophtes par tat et prophtes par occasion brament en chur, tout cela n'est-il pas de la haute folie? Boulanger, l'encyclopdiste, le savant gologue du 18 e sicle, dit que ce conte stupide ressemble l'histoire d'un juge de village en Basse-Bretagne, nomm Kerlotin: ce juge, au cours d'une audience, envoya chercher un tmoin par un huissier; le tmoin buvait au cabaret, et l'huissier resta avec lui boire; Kerlotin dpche alors un second huissier, qui reste boire avec eux; enfin le juge y va lui-mme, mais il boit comme les autres et s'enivre, et le procs ne fut pas jug. Le chapitre 20 du 1 er livre de Samuel est totalement dpourvu d'intrt. David s'enfuit de Najoth et se rfugie auprs de Jonathan, qui essaie de nouveau de plaider la cause de son beau-frre devant Sal, lorsque celui-ci a fini de prophtiser. Ce plaidoyer est entrepris l'occasion d'un dner donn par le roi en l'honneur de... la nouvelle lune; Sal remarque que la place de David sa table est vide, et alors Jonathan y va de son petit discours; mais le roi ne veut rien entendre et se fche tout rouge. Jonathan dit encore Sal: Pourquoi ferait-on mourir David? qu'a-t-il fait? Et Sal lana une hallebarde contre lui pour le frapper. Alors, Jonathan comprit que son pre avait bien rsolu de faire mourir David; il se leva de table trs afflig, et ne prit aucun repas, le second jour de la nouvelle lune. (20:32-34) Jonathan alla donc prvenir son beau-frre, qui se tenait dans une cachette, qu'il n'esprait plus flchir le roi son sujet. David l'avait cout, assis; il se leva du ct du Midi, et se jeta le visage contre terre, et se prosterna par trois fois; et ils pleurrent tous deux ensemble, et David pleura extraordinairement. (v. 41) David, aprs cette lamentation, s'en fut demander asile au grand-prtre Ahimlek, demeurant Nob; celui-ci le reut, le rgala de pain sacr, mais lui laissa entendre qu'il n'tait gure en sret chez lui. Et comme le jeune harpiste, avant de reprendre de la poudre d'escampette, priait Ahimlek de lui donner quelque arme, pour se dfendre le cas chant, le grand-prtre lui dit: Tiens, voici l'pe de Goliath, que tu as tu dans la valle du Chne; elle est enveloppe d'un drap, derrire l'phod; si tu la veux pour toi, prends-la; car il n'y en a point ici d'autre que celle-l. (21:9) David partit, avec l'pe de Goliath, et se dirigea vers Gath, ville philistine, o rgnait le roi Akis; il esprait que cet ennemi d'Isral lui accorderait sa protection. Tandis qu'il approchait de Gath, il fut reconnu par quelques serviteurs d'Akis; il n'en fallut pas davantage pour qu'il et la venette plus que jamais; le roi philistin daignerait-il comptir son infortun e? Rien n'tait moins prouv, lui semb la-t-il. Alors David eut une fort grande peur, cause d'Akis, roi de Gath. Il changea sa contenance et contrefit le fou devant les Philistins; il urinait contre les portes des maisons, et il faisait couler sa salive sur sa barbe. Et Akis dit ses serviteurs: Ne voyez-vous pas que c'est un fou? Pourquoi me l'avez-vous amen? (21:12-14) David partit de l et se sauva dans la caverne d'Odollam; ce que ses frres et toute la maison de son pre ayant appris, ils descendirent l vers lui. Tous ceux aussi qui taient mal dans leurs affaires, chargs de dettes, et qui avaient un naturel amer, se runirent lui et le nommrent leur chef; il se trouva ainsi la tte de quatre cents hommes dtermins. (22:1- 2) Aprs quoi, ayant confi son vieux pre Isa et sa mre au roi de Moab, il se mit en campagne; la guerre tait dfinitivement dclare entre Sal et son gendre. Sur ces entrefaites, Sal apprit l'accueil que le grand-prtre Ahimlek avait fait David. Un Idumen, nomm Dog, qui remplissait les fonctions de premier valet du roi, tmoigna en ces 151
termes: J'ai vu le fils d'Isa venir Nob, vers Ahimlek, fils d'Ahitoub; et Ahimlek a consult l'Eternel au sujet de David, il lui a donn des vivres et l'pe de Goliath. (v. 9-10) Sal manda alors le grand-prtre et tous les sacrificateurs, membres de sa famille, comparoir devant son lit de justice. Pourquoi avez-vous conspir contre moi, toi et le fils d'Isa, dit-il Ahimlek, puisque tu lui as donn du pain et une pe, et que tu as consult Dieu pour lui? Ahimlek rpondit au roi: Y a-t-il quelqu'un, parmi tous tes sujets, qui te soit aussi fidle que David ton gendre, qui a combattu par ton ordre et qui fait tant honneur ta maison? Est-ce aujourd'hui que j'ai commenc consulter Jhovah pour lui? Quant conspirer contre mon roi, Dieu m'en garde! O roi, n'accuse donc de rien ton serviteur, ni aucun de sa famille; car aucun dlit n'a t commis. Eh bien, reprit le roi, tu mourras aujourd'hui mme, Ahimlek, et toute ta famille avec toi. (v. 13-16) La sentence de mort tait prononce; mais les archers qui taient l refusrent de l'excuter, n'osant pas porter leurs mains sur des prtres. Alors, le roi dit Dog: Tourne-toi et jette-toi sur les sacrificateurs. Et Dog l'Idumen se tourna et se jeta sur Ahimlek et les sacrificateurs, et il gorgea en ce jour quatre-vingt-cinq hommes qui portaient l'phod de lin. En outre, il fit passer au fil de l'pe tous les habitants de Nod, ville des sacrificateurs; hommes et femmes, grands et petits, bufs, nes et menu btail, tout fut massacr. (v. 18-19) Toutefois, un des fils d'Ahimlek, nomm Abiathar, russit chapper cette hcatombe, et s'en fut rejoindre David, qui lui dit: Demeure avec moi, ne crains rien, car celui qui en veut ma vie en veut aussi la tienne; ainsi tu es sous ma sauvegarde. (v. 23) J'abrge autant que possible; mais les manuels d'histoire sainte l'usage des fidles sont si incomplets, qu'il est ncessaire de rtablir, par des citations textuelles de la Bible, nombre d'pisodes que les tonsurs passent sous silence, mais dont les bizarres dtails offrent parfois un piquant intrt. Je rsumerais davantage, s'il s'agissait d'un autre livre; or, ceci est l'criture de Dieu mme, affirment les prtres; ne ngligeons donc pas les perles divines qui se trouvent si nombreuses dans ce prodigieux crin qui est l'Ancien Testament. Dans le chapitre 23, nous voyons David, la tte de ses quatre cents flibustiers, dlivrer la ville juive de Khila, que les Philistins assigeaient; puis, Sal bloque Khila, occupe par son gendre. L-dessus, David, qui n'escomptait gure la reconnaissance des gens, sollicita de Jhovah quelques instants d'entretien; papa Bon Dieu ne se fit pas prier. Sal descendra-t-il jusqu'ici? demanda David. Et l'ternel lui rpondit: Il descendra. David dit encore: Les chefs de Kbila me livreront-ils, moi et mes gens, entre les mains de Sal? Et l'Eternel lui rpondit: Ils te livreront. (v. 11-12) Se jugeant srement renseign, David dcampa avec vitess e; il ne fut donc pas livr Sal. Ensuite, l'auteur sacr nous montre le fils d'Isa errant dans le dsert de Ziph; cette fois, sa troupe de gens sans aveu, perdus de dettes, s'est, augmente de deux cents hommes, et Sal lui donne la chasse, sans parvenir . l'atteindre. David a, nanmoins, une confrence avec Jonathan dans une fort; les deux beaux-frres se jurent un amour ternel. Du dsert de Ziph, David passe au dsert de Maon, avec son insparable bande. Enfin, Sal, apprenant que les Philistins se remettent en campagne, renonce poursuivre son gendre, afin de combattre l'ennemi national. Les Philistins ayant t repousss, le roi revient , David, qui a tabli alors Engaddi le centre de ses oprations fructueuses. Oui, fructueuses, attendu que le fils d'Isa, d'aprs la Bible elle- mme, est un vritable capitaine de bandits: il a runi six cents coupe-jarrets, et il court par monts et par vaux avec ce ramassis de coquins, ne distinguant ni amis ni ennemis, ranonnant, pillant tout ce qu'il rencontre. A deux reprises (ch. 24, 26), Sal, qui a pris avec lui trois mille soldats d'lite, parvient serrer David de trs prs; en ces circonstances, le gendre se comporta avec une magnanimit touchante. Les deux pisodes sont trop amusants pour ne pas tre cits. Le divin pigeon, qui en a dict le rcit, tait vraiment en joyeuse humeur; car, puisque c'est Dieu qui dirigeait tout, il lui et t 152
facile de faire exercer David sa grandeur d'me en des occasions moins triviales que celles qu'il suscita. Par consquent, si ces aventures sont grotesques, c'est que la sainte Trinit tait en train de rire la paysanne, c'est que Jhovah et ses co-dieux s'amusaient comme des pitres de foire; mais ces aventures n'en sont pas moins divines. En avant donc, la citation textuelle!... Sal, cherchant David jusqu'au milieu des rochers o se retirent les chamois, s'engagea dans un sentier o tait une caverne, et il entra dans cette caverne pour faire ses besoins; or, il y avait au fond David et quelques-uns de ses compagnons, et le roi ne les vit pas. Alors, les compagnons de David dirent ce lui-ci tout bas: Certainement, c'est aujourd'hui le jour o l'ternel te livre ton ennemi. Et David s'approcha sans bruit; mais il se contenta de couper tout doucement le pan du vtement de Sal, du manteau que Sal avait retrouss. Puis, revenant toujours sans bruit au fond de la caverne, il avait le cur mu, et il dit voix basse ses compagnons: Que Dieu me garde de porter une main meurtrire sur le roi! car il est l'oint du Seigneur. Ainsi, David ne leur permit pas de s'lancer contre Sal, et les retint par ces paroles. Ensuite, Sal, ayant fini d'vacuer, sorti t de la caverne et contina son chemin. Mais alors David sortit son tour, courut aprs lui, et lui cria: Mon seigneur et mon roi! Sal se retourna; David se prosterna, le visage contre terre; puis, il dit Sal: Pourquoi coutes-tu ceux qui te disent que je cherche te faire du mal? Tes yeux voient aujourd'hui que l'ternel t'avait livr ma merci, quand tu t'es arrt quelques instants dans celte caverne, j'y tais, et l'on m'a conseill de te tuer; mais je t'ai pargn, car tu es l'oint du Seigneur. Regarde, mon pre, regarde le pan de ton manteau, que je tiens l dans ma main. Je l'ai coup sans que tu y prisses garde; j'aurais pu te tuer et je ne t'ai point tu. Sache donc et reconnais que je ne pense aucunement te faire du mal; et cependant, toi, tu pies ma vie pour me l'te r! L'Eternel sera juge entre nous deux; mais je ne porterai pas ma main sur toi. Quoi! toi qui est roi d'Isral, aprs quel homme t'es-tu mis en campagne? qui poursuis-tu? un chien crev et une puce? L'ternel jugera donc entre moi et toi; et quand Dieu juge, il regarde; voil pourquoi il sera mon dfenseur et me prservera de ta main. Or, sitt que David eut achev ces paroles, Sal dit: N'est-ce pas l ta voix, mon fils David? Et Sal, versant un torrent de larmes, dit David, en parlant trs haut Tu es meilleur que moi, puisque tu m'as rendu le bien pour le mal que je t'ai fait; car qui est-ce qui, ayant eu son ennemi sa merci, le laisserait aller sans lui faire du mal? A ce signe, je reconnais que certainement tu rgneras et que le royaume d'Isral sera puissant sous ton sceptre. C'est pourquoi, maintenant, jure-moi par l'ternel que tu ne dtruiras pas ma race aprs moi. Et David le jura Sal. Alors, le roi s'en revint chez lui, tandis que David et ses compagnons montrent en un endroit lev et bien fortifi. (24:3-23) La scne est pathtique, quoiqu'on ne comprenne gure pourquoi David, dans son humilit, se compare un chien crev et une puce; et cet pisode aurait t fort beau, s'il avait t tout diffrent, en ce qui concerne les circonstances de la rencontre. Sal pargn par David, pendant qu'il est venu faire caca dans une grotte! On avouera que l'Esprit-Saint aurait pu trouver mieux; et puisque Dieux tenu ce que les faits se produisissent ainsi, il est incontestable qu'il y a de sa part, sinon mystification, du moins plaisanterie d'un got douteux Les clricaux hurlent contre certains livres d'mile Zola, o ce romancier naturaliste a mis en scne le derrire de la Mouquette et les pets d'un campagnard; mais les romans de Zola n'ont pas la prtention d'tre des livres sacrs, et il ne viendra jamais personne la pense de fonder une religion en se basant sur Germinal ou sur la Terre. Pendant qu'il tait en verve, le pigeon-canard aurait pu ajouter que, dans sa prcipitation au sortir de la caverne pour courir aprs son beau-pre, David mit le pied dans l'tron de Sal et que a lui porta bonheur. Mais glissons, pu, pour mieux dire, n'insistons pas. La seconde fois que le fils d'Isa montra sa grandeur d'me, les circonstances furent moins odorifrantes, ou peu s'en faut. Tandis que Sal et son arme taient camps Hakila, David, 153
accompagn d'un certain Abisa, pntra de nuit jusqu' la tente du roi; ce coup-ci, Jhovah tait carrment complice de son oint chri, comme on va le voir. Sal dormait, et sa hallebarde tait plante en terre son chevet, et Abner et le peuple taient couchs dans les autres tentes, tout autour. Alors, Abisa dit David: Aujourd'hui Dieu t'a livr ton ennemi; maintenant donc, je t'en prie, permets que je le frappe avec sa propre hallebarde et que je le cloue en terre d'un seul coup; je me sens de force ne pas avoir frapper deux fois. David rpondit Abisa: Non, ne le tue pas; car quel est celui qui pourrait porter une main meurtrire sur un oint du Seigneur et tre innocent? Mais voici ce que nous allons faire: prenons, moi, sa hallebarde, et toi. le vase qui est auprs de son lit, et allons-nous-en. Ils prirent donc, auprs du lit, la hallebarde et le vase de Sal, et ils partirent du camp, sans tre vus de personne; car tous dormaient, parce que l'ternel avait fait tomber sur eux un sommeil des plus profonds. Et quand David fut sur une hauteur, qui tait assez loin de l, il cria de toutes ses forces, le matin: Abner, Abner, ne rpondras-tu pas? Et Abner rpondit: Qui es-tu, toi qui cries si fort l-bas? Alors, David cria ces paroles: Tu es un vaillant homme, Abner, et qui est semblable toi en Isral? Personne ne te vaut, et pourtant tu n'as pas su garder le roi ton seigneur; car quelqu'un est venu pour tuer Sal. Tu ne fais pas bien ton service; par le Dieu vivant, toi et tes soldats, vous mritez la mort pour avoir si mal gard le roi, qui est l'oint de l'ternel. Et maintenant, regarde o est la hallebarde du roi, et le vase qui tait auprs de son lit. En entendant ces cris, Sal se rveilla et reconnut la voix de David. (26:7-17) L'pisode se termine comme le prcdent, cette simple diffrence que le fils d'Isa ne se compare plus un chien crev, mais seulement une puce; en outre, il rend la hallebarde, mais non le pot de chambre. On se demande pourquoi Sal est au nombre des maudits de la Bible. Si l'on se tient un raisonnement purement humain, ce roi produit assez bien l'effet d'un brave homme; ses accs de fureur contre David sont le rsultat du mauvais souffle, et, d'ailleurs, le fils d'Isa est un triste sire. Quand Sal n'est pas sous l'influence du mauvais souffle, quand il est dans son naturel, la cruaut lui rpugne; au surplus, il est patriote, tandis que nous verrons plus loin David s'enrler, avec ses flibustiers, dans l'arme des Philistins. Or, les prtres nous disent qu'il ne faut pas envisager les choses avec les yeux de la raison; il faut accepter ce qui est article de foi, et, quand on se soumet ainsi, on comprend bientt que tout se suit avec ordre dans le plan de Dieu; ce qui paraissait inexplicable devient d'une lucidit tonnante. Fermons donc, pour quelques instants, nos yeux de raisonneurs; nous aurons aussitt une rvlation des justes motifs de la maldiction qui pesa si lourdement sur Sal. O est cette rvlation? Dans le pot de chambre qu'emporta David. Ne croyez pas que je plaisante. Nous savons que Jhovah est trs friand de massacres; or, Sal dbuta par une victoire sur les Ammonites qui assigeaient Jabs; mais, tout sa joie d'avoir dlivr cette ville, il s'opposa l'gorgement des ennemis prisonniers; Sal n'observait donc pas la loi divine. Le pot de chambre du camp d'Hakila est une preuve dcisive de la rbellion permanente de ce roi envers Dieu. Vous ne sauriez avoir oubli, n'est-ce pas? les prescriptions formelles de Sabaoth sur la manire de faire caca en temps de guerre: on doit aller hors du camp, creuser un petit trou rond, etc. (Deutronome 23:12-14) Or, ce Sal osait se payer le luxe d'un pot de chambre ! Si ceci n'est pas de l'impit sans vergogne, qu'est-ce qui en sera?... Aprs a, il ne faut pas s'tonner que Dieu ait regrett d'avoir fait oindre Sal et qu'il ait report toute son affection sur David, lequel, sans aucun doute, devait poser culotte avec une irrprochable orthodoxie. Aussi, Jhovah ne laissa jamais chapper une occasion de montrer qu'il protgeait David, parce qu'il tait bien l'homme selon son cur. Savourez l'histoire de Nabal et d'Abigal. Rsumons, tout en suivant la lettre le rcit biblique; c'est--dire traduisons mot mot, mais supprimons les rptitions et les longueurs. Il y avait dans le dsert de Man un homme trs riche qui possdait sur le Carmel trois mille brebis et mille chvres; et il fit tondre ses brebis sur le mont Carmel. Sa femme, Abigal, tait prudente et fort belle voir. David envoya dix 154
de ses compagnons Nabal lui dire: Nous venons dans un bon jour; donne-nous et donne David tout ce que tu pourras. Nabal rpondit: Qui est ce David? on ne voit plus que des mauvais serviteurs qui ont fui leur matre; vraiment oui! j'irais donner mon pain, mon eau et mes moutons des gens que je ne connais pas! Alors, David dit ses compagnons: Que chacun prenne son pe! Et David prit aussi son pe, et il marcha vers Nabal avec quatre cents hommes, et en laissa deux cents pour veiller sur les bagages. Mais la belle Abigal prit deux cents pains, deux barils de vin, cinq moutons tout apprts, cinq mesures de grain rti, cent paquets de raisins secs, et deux cents paniers de figues sches, et les mit sur des nes; puis, tant monte sur un ne, elle alla la rencontre de David. Et lorsqu'Abigal l'eut aperu, elle se hta de descendre de son ne, tomba sur sa face devant David et l'adora; et elle lui dit: Mon seigneur, je te supplie de mpriser cet homme de rien qui est Nabal, mon mari; car il y a de la folie en lui; mais voici des prsents que ta servante offre mon seigneur, pour lui et ses compagnons; qu'il te plaise, mon seigneur, de les recevoir avec bont. Alors, David dit Abigal: Bni soit l'ternel qui t'a envoye au-devant de mo i! et sois bnie toi-mme, toi qui m'as empch aujourd'hui d'en venir jusqu'au sang! car, sans cela, aussi vrai que Dieu est vivant, Nabal ne serait plus en vie demain matin, et il ne serait pas rest un de ses gens qui pt pisser contre les murailles! Or, dix jours aprs, Nabal mourut, frapp par Jhovah qui avait lu dans le cur d'Abigal. Et quand David eut appris que Nabal tait mort, il dit: Bni soit l'ternel qui m'a veng de l'outrage que j'avais reu et qui a fait retomber la malice de Nabal sur lui-mme! Puis, il envoya des messagers Abigal, pour lui proposer de la prendre pour femme. Alors, elle se leva en toute hte, monta sur un ne, suivie de cinq servantes, et elle s'en alla aprs les messagers de David; et David l'pousa le jour mme. David pousa aussi Achinoam, de Jizrhel; de sorte que toutes deux ensemble furent ses femmes. Sal, d'autre part, sachant cela, donna Mical, premire pouse de David, Phalti, fils de Las, qui tait de Gallim. (25:2-44) Les critiques font observer que, si l'on avait voulu crire l'histoire d'un brigand, d'un voleur de grand chemin, on ne s'y serait pas pris autrement. Sans doute, l'auteur, qui exalte David, qualifie Nabal d'homme brutal et grossier; mais la conduite de David n'en est pas moins rvoltante, si cet pisode est vrai. Nous sommes arrivs ici l'poque o l'histoire du peuple juif commence rellement; c'est, en effet, partir de Sal que les incertitudes diminuent. A vrai dire, nous rencontrerons encore bon nombre de miracles plus ou moins extraordinaires; mais ils ne paraissent plus dsormais que destins enjoliver la biographie de personnages dont l'existence n'est gure conteste. C'est ainsi que les critiques, propos de Nabal mourant subitement si peu de jours aprs avoir t pill par sa femme, amoureuse de David, disent que cette mort, immdiatement suivie du mariage de David avec la belle veuve, laisse de violents soupons. Quant au texte, crit sous l'inspiration du pigeon, il n'hsite pas faire intervenir directement Jhovah pour tuer ce mari mpris par son pouse, alors que Mical, fille de Sal, est la femme lgitime de David; et par cette intervention meurtrire Dieu consacre l'adultre de David, son oint chri. On reconnatra que voil une drle de morale! C'est cette poque-l que mourut Samuel; et tout Isral s'assembla et le pleura, et on l'ensevelit dans sa maison, Rama (25:1); ce qui ne l'a pas empch, comme Mose, de raconter, dans son livre, des faits postrieurs sa mort. Sur ce terrain-l, c'est Samuel, d'ailleurs, qui dtient le record. En effet, Mose s'est born narrer ses obsques et le deuil du peuple et indiquer le lieu de sa spulture, tandis que le rcit posthume de Samuel comprend la fin du rgne de Sal et tout le rgne de David, son successeur; trente-huit chapitres d'vnements dont l'crivain fut spectateur, quoique dfunt. a, c'est un miracle!... Comment Samuel, voyant tout cela avec les yeux de son me qui tait dans l'autre monde, put-il en crire sur terre la narration avec la main de son corps, mort et enterr? a, c'est un mystre! 155
Ne cherchons donc pas approfondir, et contentons-nous d'tre trs heureux que le prophte dfunt ait bien voulu continuer tre l'historien des deux rois qu'il avait oints. C'est ainsi que feu Samuel nous apprend, sans s'en indigner, que David passa, avec les six cents hommes qui taient avec lui, chez le roi de Gath, Philistin, fils de Mahoc. (27:2). Akis lui assigna pour rsidence la ville de Ciceleg, et l'oint chri de Jhovah demeura un au et quatre mois parmi les ennemis de sa nation (v. 6-7). Or, pendant ce temps-l, David partait souvent en expdition chez les gens de Gessur, de Guerzi et d'Amalec (qui taient des allis d'Akis, soit dit en passant), et il semait la dsolation dans ces pays; il ne laissait ni homme ni femme en vie, et il s'emparait des brebis, des bufs, des nes, des chameaux et des vtements. Il s'en retournait alors chez les Philistins et venait vers Akis. Et lorsque le roi A kis lui disait: O as-tu fait tes courses aujourd'hui? David lui rpondait: J'ai pill, dans la rgion du Midi, les gens de Juda (Isralites); ou bien, les Jrahmliens et les Kniens (ennemis des Philistins). Et David, au lieu de faire des prisonniers qu'il aurait amens Gath, tuait tous ceux qu'il pillait, afin que personne ne pt lever la voix contre lui. Akis se fiait donc David et disait: Il fait bien du mal Isral et se rend ainsi trs odieux aux Juifs; c'est pourquoi il me sera toujours fidle. (27:8-12) Eh bien, comment trouvez-vous l'oint chri?... Les critiques rappellent que d'abord David co ntrefit le fou et l'imbcile devant le roi Akis, chez lequel il devait se rfugier pendant seize mois, et ils font remarquer que ce n'est point l une excellente manire d'inspirer confiance un monarque qu'on se propose de servir la guerre, comme on le verra plus loin mais, ajoutent-ils, la manire dont David sert ce roi, son bienfaiteur, est encore plus extraordinaire: il lui fait accroire qu'il exerce son brigandage contre les Isralites, alors qu'il pille et massacre les allis d'Akis; il tue tout, il extermine tout, jusqu'aux enfants, de peur qu'ils ne parlent. Mais comment ce roi put-il rester seize mois dans l'ignorance de la ralit des faits? Il fallait que ce roi Akis ft plus imbcile que David n'avait feint de l'tre devant lui... Quant aux thologiens, la conduite de l'oint chri ne les embarrasse pas; ils disent que, dans cette guerre civile, David ne ravageait plus ses compatriotes, et qu'il importe peu qu'il ait trahi et gorg ses allis, puisque c'tait des infidles; plusieurs vont mme jusqu' le regarder comme l'excuteur des vengeances divines, et ils l'absolvent de tout pch en cette circonstance. Au chapitre suivant, les Philistins s'arment en guerre pour combattre les Isralites, et David, d'cuyer et de gendre de Sal son roi, devient capitaine des gardes du roi philistin (28:1-2). Nous voici arriv l'pisode, si connu, de la pythonisse d'Endor. Pour nous conformer l'usage, nous appellerons ainsi la sorcire que consulta Sal, quoique, vrai dire, le texte hbreu de la Bible ne contienne pas un mot qui ressemble Python ou pythonisse. Littralement, il faut lire: une femme ayant un Ob ; c'est la Vulgate, c'est--dire la traduction de saint Jrme, qui a transform Ob en esprit de Python ; ce qui est un anachronisme. Or, les Philistins s'tant assembls en armes Sunam, Sal runit son tour l'arme isralite qui campa Gelbo; et il fut saisi de crainte. Puis, comme il consulta l'ternel, il n'en obtint aucune rponse, ni par les songes, ni par les prtres, ni par les prophtes. Alors, Sal dit ses serviteurs: Cherchez-moi une femme qui ait un esprit de Python (dans le texte hbreu: une femme qui possde un Ob), afin que j'aille vers elle et que je sache par son ministre ce qui doit m'arriver. Ses serviteurs lui rpondirent: Il y a Endor une pythonisse (dans le texte hbreu: une femme qui possde un Ob). Sal se dguisa et se rendit Endor, en se faisant accompagner par deux de ses serviteurs. (v. 4-8) Nous avons dj constat les emprunts religieux faits par les Juifs aux Egyptiens et aux Syriens. Ob tait une divinit, syrienne, dont les statues rendaient des oracles d'une voix sourde et creuse qui semblait sortir de terre; en d'autres termes, les prtres et prtresses d'Ob taient de vulgaires farceurs qui se livraient l'exercice de la ventriloquie, de sorte que leur idole avait censment une voix prophtique que les badauds entendaient plus ou moins bien. 156
Les pythonisses ne pratiquaient pas de mme: c'tait elles-mmes qui parlaient, dans un accs de folie sacre. La plus clbre de toutes tait tablie Delphes, au temple d'Apollon, o se trouvait la peau du serpent monstrueux, nomm Python, que le jeune dieu, g de quatre jours seulement, tua, dit-on, coups de flches; il y avait l un trou trs profond, d'o s'exhalaient on ne sait quelles vapeurs, naturelles ou produites par quelque subterfuge des prtres, et ces vapeurs avaient la rputation d'inspirer la prtresse assise sur un trpied en fer plac au-dessus du trou; cette femme, choisie avec soin dans une famille pauvre, tait attache spcialement au service du temple de Delphes; une fois sur le trpied, elle avait une crise que l'on ne saurait mieux comparer qu' une attaque d'hystrie et pendant laquelle elle prononait, souvent avec l'cume aux lvres, des paroles incohrentes, que les prtres transcrivaient aussitt; ils les rassemblaient tant bien que mal, leur donnaient un sens, et c'taient l les fameux oracles d'Apollon, qui avaient auprs des foules autant de valeur qu'une bulle du pape au moyen-ge. A raison de ce que le trpied tait recouvert de la peau du serpent Python, la prtresse inspire de Delphes se nommait la pythie . Le temple de Delphes ne tarda pas, on le pense bien, avoir des concurrences nombreuses dans tous les pays o la religion tait le paganisme grec; les imitatrices de la pythie furent appeles pylhonisses . On ne comprend donc gure pourquoi saint Jrme a qualifi de pythonisse la sorcire d'Endor, prtresse du dieu syrien Ob; car, dans la consultation qu'elle donne Sal, elle n'opra aucunement la mode delphique; elle n'entre pas en crise, elle n'a pas le moindre trpied; une pythonisse sans trpied, c'est comme une cartomancienne sans jeu de cartes. En outre, le terme employ par la Vulgate, une femme ayant l'esprit de Python , n'a aucun sens, puisque le soi-disant esprit qui inspirait les pythonisses tait celui d'Apollon, et non celui du serpent qu'il avait tu. Ces observations faites, voyons le rcit biblique, selon la traduction de saint Jrme. Sal arriva de nuit chez cette femme et lui dit: Je t'en prie, sois devineresse pour moi par ton esprit de Python, et fais monter devant moi le mort que je te dsignerai. Mais la femme lui rpondit. Ignores-tu donc que Sal a extermin ceux qui ont l'esprit de Python et qu'il condamne mort les devins? pourquoi me tends-tu un pige pour me faire mourir? Alors, Sal lui lit ce serment: Aussi vrai que Dieu est vivant, il ne t'arrivera aucun mal cause de ceci. Et la pythonisse lui dit: Eh bien, qui veux-tu que j'voque? Il rpondit: Fais-moi monter Samuel. Or, lorsque cette femme et vu paratre Samuel, elle s'cria, en interpellant Sal: Pourquoi m'as-tu trompe? car tu es Sal. Le roi lui rpondit: Je te le rpte, ne crains rien; mais dis-moi ce que tu as vu? Alors, la femme lui dit: J'ai vu comme un dieu qui sortait de la terre. Il l'interrogea encore: Gomment est-il fait? Elle rpondit: C'est un vieillard qui monte, et il est couvert d'un grand manteau. A ce signe, Sal comprit que c'tait bien Samuel que la pythonisse voyait; et il se prosterna, en tenant sa face contre terre. (v. 8-14) Samuel dit Sal: Pourquoi as-tu troubl mon repos, en me faisant voquer? Le roi lui rpondit: C'est parce que je suis trs embarrass; les Philistins me font la guerre; Jhovah s'est retir de moi, et il n'a plus voulu me rpondre, ni par les prophtes, ni mme par des songes; c'est pourquoi j'ai fait appel toi, afin que tu me fasses entendre ce que je dois faire. Samuel lui dit: Puisque Jhovah s'est retir de toi, c'est qu'il est devenu ton ennemi; alors pourquoi me consultes-tu? Jhovah accomplit en ce moment ce qu'il t'avait annonc par ma voix; il a dchir ton royaume; il a repris ta royaut, et il l'a donne l'un de tes sujets, c'est--dire David. Ce qui t'arrive l a pour cause ta dsobissance Dieu, quand tu pargnas le roi des Amalcites. Voil pourquoi Isral avec toi sera livr entre les mains des Philistins; et demain, toi et tes fils, vous serez avec moi. En entendant ces paroles de Samuel, Sal tomba tendu de tout son long sur le sol; et les forces lui manqurent, car il n'avait pris aucune nourriture de tout ce jour-l, ni de toute la nuit. (v. 15-20) Alors, la pythonisse s'approcha de Sal, et, voyant qu'il avait t fort troubl, elle lui dit: Ta servante t'a obi, et voici que pour cela j'ai expos ma vie. Maintenant, je t'en prie, accepte 157
que je mette devant toi une bouche de pain, afin que tu manges et que tu aies des forces pour t'en retourner. Il refusa d'abord; mais, ses compagnons ayant insist, ainsi que cette femme, il se rendit leurs instances; il se leva donc, et s'assit sur un lit. Or, la pythonisse avait chez elle un veau qu'elle engraissait: elle alla le tuer en toute hte; puis, elle prit de la farine, la ptrit, et en fit des pains azymes. Elle mit tout cela devant Sal et ses compagnons; ils mangrent; enfin, ils s'en allrent. (v. 21-25) Cet pisode de la pythonisse d'Endor a soulev de nombreuses discussions parmi les thologiens; quant aux commentateurs sceptiques, ils en ont fait des gorges chaudes, et il y a de quoi! De tout temps, la friponnerie des charlatans a abus de la crdulit des imbciles, en leur faisant payer trs cher des consultations de haute fantaisie. Ici, non seulement Sal n'offre pas la moindre menue monnaie la sorcire; mais c'est encore elle qui le rgale d'un souper et qui tue son veau gras en son honneur. D'autre part, le rcit biblique nous fait assister une consultation des plus enfantines. D'ordinaire, les vocateurs montrent un fantme quelconque, se mouvant l'aide d'un truc. Cette pythonisse d'Endor ne se met pas en si grands frais: elle dit qu'elle voit une ombre, et Sal la croit sur parole; Sal entend bien une voix, pendant qu'il est prostern, le visage contre terre, mais il ne faut pas oublier que la pythonisse de la Vulgate est, d'aprs le texte hbreu, une prophtesse d'Ob, le dieu dont les prtresses sont trs lgitimement souponnes d'avoir t des ventriloques roublardes. Partout ailleurs que dans la Sainte Ecriture, dit Voltaire, cette histoire passerait pour un conte de sorcier assez mal fait; mais puisqu'un auteur sacr l'a crite, elle est indubitable: elle mrite autant de respect que tout le reste. Quant aux thologiens, s'ils ne mettent pas en doute la vracit de l'pisode, du moins ils ne sont pas fixs sur l'identit du fantme voqu par la sorcire. Saint Justin, dans son Dialogue contre Tryphon, admet que les magiciens aient pu voquer quelquefois, par une sorte de tolrance de Dieu, les mes des justes et des prophtes, qui, disent-ils, taient tous en enfer, quoique ayant eu une sainte vie, et qui y demeurrent jusqu' ce que Jsus y descendit lui- mme aprs sa mort, pour les en tirer, selon le dogme chrtien; par consquent, selon saint Justin, le fantme d'Endor pouvait fort bien tre l'me de Samuel mme. Origne, autre pre de l'glise, va plus loin: d'aprs lui, la pythonisse fit venir Samuel non seulement en me, mais encore en corps, et, comme preuve de la matrialit du revenant, il cite le manteau; ce qui permet aux curieux de demander si l'on a des manteaux en enfer, et surtout des manteaux incombustibles. Mais les thologiens modernes n'embotent pas le pas ceux des premiers sicles du christianisme: ils sentent le ridicule de celte interprtation d'Origne et de saint Justin, en vertu de laquelle des magiciens et des sorcires, suppts du diable, avaient le pouvoir de faire comparatre devant eux des saints, et ils dclarent que le fantme n'tait autre que Lucifer ou quelque autre dmon se donnant pour Samuel. Toutefois, il convient de dire que ces casuistes ont le texte mme de la Bible contre eux; car l'auteur sacr, loin d'employer un terme dubitatif au sujet de l'apparition, dit formellement que c'est Samuel qui parla Sal: l'vocatrice vit Samuel , et non une ombre ressemblant au prophte dfunt; trois reprises, le texte porte. Samuel dit Sal , et Samuel lui dit , et encore, Sal, en entendant ces paroles de Samuel ; et enfin, Samuel dema nde pourquoi l'on a troubl son repos. Or, on sait que les petits dtails de ce genre ont une trs grande importance dans les livres de religion. Dans cette grave discussion, saint Justin et Origne tiennent donc le bon bout. D'autre part, une question se pose, qui n'est pas des plus faciles rsoudre. Sal est bel et bien reprsent comme un maudit, depuis le jour o il se montra humain l'gard d'Agag, son prisonnier; les fidles voient en lui un damn; le prjug contre Sal est si fort, que son nom n'est jamais donn un enfant, mme parmi les juifs dtachs des pratiques superstitieuses; en un mot, le nom du premier roi d'Isral a tant t honni par les prtres, qu'il inspire, aujourd'hui encore, une sorte d'horreur. Eh bien, si l'on examine de prs le texte sacr, il semble fort que 158
Jhovah s'est donn un dmenti au dernier moment et que Sal a t sauv. En effet, Samuel lui dclare: Demain, toi et tes fils vous serez avec moi ; et, lorsque Samuel parle ainsi, il est dans cet enfer des justes que, d'aprs la thologie chrtienne, il ne faut pas confondre avec l'enfer des damns; car, avant la rdemption opre par Jsus-Christ, il y avait deux enfers: celui des rprouvs, o furent engloutis Cor, Dathan et Abiron, et celui des lus, o les patriarches, les prophtes et tous les saints de l'Ancien Testament attendaient que la mort du Messie leur ouvrt les portes du ciel. Donc, si Sal est all rejoindre Samuel, c'est dans l'enfer des justes; donc, Sal, malgr sa maldiction, a t un lu. C'est une contradiction de plus relever dans la Bible. Ce n'est pas tout. Nous avons vu plus haut que David russit empcher une prophtie de Jhovah de s'accomplir. Jhovah en personne avait dit David: Les chefs de la ville de Khila te livreront entre les mains de Sal. (23: 12) David, ayant entendu cela, s'empressa de filer de Khila sans tambour ni trompette, et il ne fut pas livr. Sal est moins malin que son gendre: ce roi croit aux prdictions de Samuel, puisqu'il le fait voquer, puisqu'il l'interroge; et lorsque Samuel lui a annonc qu'il trouvera la mort dans cette bataille de Gelbo qu'il se prpare livrer aux Philistins, il est assez bent pour marcher quand mme au combat! il ne fait pas la paix avec les Philistins! Il semble que l'accomplissement d'une prophtie laite par un fantme, sorti de terre l'vocation d'une pythonisse, devait tre plus facile esquiver que celui d'une prophtie du Pre ternel parlant lui-mme. Enfin, voici ce qui pourrait bien simplifier toutes ces questions si complexes: est-on bien sr qu'il y ait jamais eu un Sal et un Samuel, et toute leur histoire ne serait-elle pas une nouvelle mystification de l'auteur de la Bible? En effet, les incrdules font remarquer qu'il n'y a que les livres juifs qui mentionnent ce roi et ce prophte, et que les annales de Tyr, qui ont parl de Salomon, n'ont jamais dit un mot de David... Dame! il existe comme a pas mal de gens qui s'etonnent du silence des contemporains de tous ces personnages mis en scne par l'crivain sacr, et qui ont de la peine digrer: 1 le combat du gosse David contre Goliath, gant haut de plus de quatre mtres, gant cavalier, c'est--dire mont sur un cheval proportionnellement gigantesque; 2 l'histoire d'Agag coup subitement en morceaux par un prtre g d'environ cent ans; 3 la dot de deux cents prpuces philistins tranchs par David et bien compts par Sal, lui donnant sa fille en remerciement de ce prsent magnifique; 4, etc. Si la pythonisse d'Endor arrive encore par l-dessus, la digestion devient de plus en plus pnible... Esprit- Saint, descendez en nous! a ne passe pas!... Cependant, David tait toujours dans l'arme philiatine; il avait choisi sa place l'arrire- garde . Le chapitre 29 nous fait savoir que les gouverneurs du camp d'Aphek ne le virent pas de bon il dans leurs rangs et exigrent du roi Akis son renvoi. Durant ces prliminaires, les Amalcites pillrent et brlrent Ciceleg, la ville de rsidence de l'oint chri; leur retour du camp philistin, David et ses six cents flibustiers ne trouvrent plus leurs femmes ni leurs enfants; les Amalcites les avaient emmens prisonniers (30:1-3); ce qui prouve tout au moins une chose, c'est que ces ennemis des Juifs n'avaient pas leur barbarie, n'taient pas des massacreurs. Les deux pouses Abigal et Achinoam taient au nombre des captives. David se mit la poursuite des Amalcites, les rejoignit et les gorgea, aprs leur avoir repris les prisonniers et prisonnires. Le premier livre de Samuel se termine par un rcit de la mort de Sal, laquelle sera prsente d'une faon toute diffrente dans le livre second ds son premier chapitre. Sal livra donc la bataille de Gelbo, et l'arme d'Isral fut battue ds les premiers engagements. Et les Philistins atteignirent Sal et ses fils; et ils turent Jonathan, Abinadad et Malchisua, fils de Sal. Or, tout l'effort du combat se porta contre le roi, et les archers le blessrent de leurs flches. Alors, Sal dit son cuyer; Tire ton pe, et passe-la-moi au travers du corps, de peur que ces incirconcis ne viennent et ne me transpercent en insultant 159
mon malheur. Mais son cuyer, pouvant de ces tristes ordres, ne voulut pas les excuter. Sal, donc, prit son pe et se jeta dessus. Alors l'cuyer, ayant vu son matre mort, se jeta aussi sur son pe et mourut avec lui. (31:2-5) Les Isralites qui habitaient au del de la valle o se livra la bataille, ayant vu la droute de l'arme juive et ayant appris la mort de Sal et de ses fils, abandonnrent leurs villes; de sorte que les Philistins y entrrent et s'y tablirent. Et, ds le lendemain de la bataille, les Philistins vinrent dpouiller les cadavres. Ayant trouv ceux de Sal et de ses trois fils, ils couprent la tte du roi et firent un trophe de ses armes, qu'ils promenrent dans tous les environs et dans leur pays, afin que le rsultat de la guerre ft connu partout. Ils placrent enfin ses armes dans le temple d'Astaroth et pendirent son corps aux murailles de Betsam. Or, les habitants de Jabs, ayant connu ces outrages infligs au cadavre de Sal, se levrent, firent une marche qui dura toute une nuit, dcrochrent le corps du roi des murailles de Betsam, et le ramenrent dans leur ville, o ils le brlrent avec ceux de ses fils. Puis, ils ensevelirent les ossements sous un chne, prs de Jabs, et ils jenrent sept jours en signe de deuil. (31:6-13) Le second livre de Samuel s'ouvre par un rcit, tout diffrent, de la mort de Sal. La contradiction est si flagrante, qu'elle mrite d'tre mise en relief; elle montre bien avec quel sans-gne l'auteur sacr se moque des croyants. Aprs que Sal fut mort, David, qui venait de battre les Amalcites, demeura deux jours Ciceleg. L'auteur a dj oubli que cette ville avait t totalement dtruite par l'incendie, quelques jours auparavant. Le troisime jour, on vit paratre un homme, qui revenait du camp de Sal; cet homme avait ses v tements dchirs et sa tte couverte de terre, et, tant venu vers David, il se prosterna devant lui. David lui ayant demand d'o il venait, il rpondit: Je suis chapp du camp d'Isral. David l'interrogea encore: Qu'est-il arriv? Je t'en prie, raconte-le-moi. Cet homme dit: Les Isralites ont lch pied dans le combat; le nombre des tus est considrable, et Sal et ses fils sont parmi les morts. Alors, David dit ce jeune homme: Comment sais-tu que le roi et Jonathan soient morts? Le jeune homme fit le rcit: Je me trouvais par hasard sur la montagne de Gelbo. Et voici que je vis Sal qui se tenait pench sur sa hallebarde; quelques cavaliers philistins taient sur le point de l'atteindre. Comme il regardait derrire lui, il me vit et m'appela Qui es-tu? me demanda-t-il. Je suis amalcite, rpondis-je. Tiens-toi ferme sur moi, reprit-il, et fais-moi mourir; car je suis dans l'angoisse, et mme ma vie est encore toute en moi. Je lui ai donc obi et J'ai fait mourir. J'ai pris la couronne qu'il avait sur sa tte et le bracelet qu'il portait son bras, el je te les apporte. Alors, David dchira tous ses vtements; tous les hommes qui taient autour de lui l'imitrent. Il y eut deuil gnral et un jene d'un jour. Alors, David lui dit: Comment as-tu eu l'audace d'avancer ta main pour occire un oint du Seigneur? Puis, il appela l'un de ses gens et lui commanda de se jeter sur le porteur de nouvelles; celui-ci fut aussitt frapp, et il mourut. (1:1-15) Aprs quoi, David composa une complainte la Bible la donne sur la triste fin de Sal et de Jonathan, Je n'en dtacherai que ce passage: O Jonathan, mon frre! oh! que je suis en angoisse, cause de toi; tu faisais tout mon plaisir; l'amour que j'prouvais pour toi tait plus grand que celui que j'ai pour les femmes! (v. 26) Nous avons vu, ds le dbut de cet ouvrage, que la plupart des livres qui composent la Bible sont contests divers titres par les savants. Ainsi, l'glise prtend que ces livres ont t crits par tels personnages qui y racontent les vnements de leur temp s: le Pentateuque serait l'uvre de Mos e; Josu serait l'auteur du livre de Josu; Samuel, l'auteur des deux livres de Samuel. Le but de l'glise, en imposant cette croyance ses fidles, est de donner ces livres un plus fort caractre de vracit; et nous avons vu que les thologiens, Bossuet en tte, se fchent tout rouge, quand on leur dit que tout cela a t fabriqu aprs coup, en grande partie par Esdras, postrieurement la captivit de Babylone. 160
A l'appui de l'opinion des savants incrdules, il convient de noter ici, an passage, une simple phrase du chapitra 1 er du livre 2 de Samuel, qui permet de constater la supercherie des fabricants d'criture sainte. Cette complainte de David sur Sal et Jonathan, est-il dit au verset 18, se trouve crite aussi dans le Livre des Justes. Or, ce mme Livre des Justes a t mentionn dans le livre de Josu, propos du miracle du soleil et de la lune arrts par le successeur de Mose: Et le soleil s'arrta, et la lune aussi, jusqu' ce que le peuple et achev le carnage. Ceci est crit aussi dans le Livre des Justes. (Josu 10:13) Si Josu n'est pas u n mythe, son miracle eut lieu cinq sicles environ avant le rgne de David. Il est, par consquent, matriellement impossible que Josu ait pu citer, dans un livre crit par lui, un autre livre qui, d'aprs le soi-disant Samuel, reproduit aussi la complainte de David sur Sal et Jonathan. Ce Livre des Justes, que la Bible nomme plusieurs reprises, a t supprim par les prtres; ils l'ont fait disparatre et disent que c'est un document malheureusement perdu. Son existence laissait trop bien voir que l'Ancien Testament n'a pas t crit, au fur et mesure, par les Mose, Samuel, David, etc., relatant fidlement les vnements dont ils furent les contemporains. Maison ne pense pas tout: les deux versets bibliques, que je viens de reproduire paralllement, montrent le bout de l'oreille, donnent la preuve certaine de la supercherie sacerdotale. David, donc, qui avait t sacr par Samuel, ne se considra comme vraiment roi qu' la mort de Sal; c'est alors seulement qu'il fit acte de souverain. Il consulta d'abord Jhovah pour savoir quelle ville serait la capitale de son royaume, et papa Bon Dieu lui dsigna Hbron (2:1). Puis, il fit appel au peuple; mais, seuls, les chefs de la tribu de Juda vinrent le reconnatre, et l, Hbron, ils oignirent David pour roi sur la maison de Juda (v. 4). Le fils d'Isa fut ainsi oint deux fois; ce qui revient dire que l'onction de Samuel ne comptait pas. Aprs quoi, il installa Hbron ses femmes Abigal et Achinoam, et, pour se consoler de l'absence de Mical, sa premire pouse, fille de Sal, il la remplaa par quatre nouvelles femmes: Aggith, Abital et Egl, dont l'auteur sacr nglige de nous faire connatre la famille, et Mahaca, fille de S. M. Talma , roi de Gessur. Ces six pouses paraissent avoir fait ensemble assez bon mnage. Il fallait un gnral en chef David. On n'a pas oubli cet Abisa, qui fut son compagnon lorsqu'il pntra de nuit au camp d'Hakila, et qui chipa Sal son pot de chambre, tandis que David emportait sa hallebarde. Abisa, fils de Tsruja, avait deux frres, nomms Joab et Hasal; ce fut Joab que David plaa la tte de son arme, et nous le verrons jouer un rle important pendant tout le rgne. Le nombre des jours que David rgna Hbron sur la tribu de Juda fut de sept ans et six mois. (v. 11) D'autre part, Abner, gnral en chef de Sal, ne reconnut pas l'lu de Juda. Il prsenta au peuple Isboseth, le plus jeune des fils de Sal, et celui-ci, acclam par les onze autres tribus, prit le titre de roi d'Isral et fixa sa cour Mahanaji m; son rgne ne dura que deux ans. Il y eut donc guerre civile. Au dbut, les armes d'Isral et de Juda s'tant rencontres auprs de l'tang de Gabaon, Abner proposa Joab de faire lutter douze jeunes gens de la tribu de Benjamin contre douze jeunes partisans de David. Joab accepta. Alors, chacun des douze de chaque ct se mit en face de son adversaire et lui passa son pe travers le corps, de sorte qu'ils tombrent tous ensemble, s'tant mutuellement transpercs; et l'on nomma l'endroit Helkath-Hatzurim (v. 16). L-dessus, une mle gnrale s'engagea; les partisans de David mirent en droute ceux d'Isboseth. Abner avait pris la fuite, quand il vit la bataille perdue. Il courait toutes jambes, poursuivi par le frre de Joab, Hasal, qui tait aussi lger du pied qu'un chevreuil dans la campagne. Et Hasal poursuivait Abner, sans se dtourner ni droite ni gauche, mais n'en voulant qu' Abner. Or, celui-ci, dans sa course, regarda derrire lui et dit: Ne serais-tu pas Hasal? Oui, c'est bien moi, rpondit Hasal. Alors, Abner lui dit, toujours en courant: Cesse de me 161
poursuivre, et cours plutt aprs l'un des jeunes gens de mon arme; tue-le, et je reconnais ton droit sur sa dpouille. Mais Hasal s'obstinait courir aprs le gnral. Abner lui dit encore: Vraiment, tu as tort de me poursuivre; car je n'aurais qu' me retourner et te tuer; et je t'assure que j'aurais du chagrin te mettre mort, parce qu'aprs cela je n'oserais jamais plus paratre devant Joab, ton frre. Et voici qu'Hasal ne voulut pas entendre raison, et il poursuivait de plus belle Abner qui fuyait. Alors, Abner se retourna tout coup, et il le frappa, la cinquime cte, du bout de la hampe de sa hallebarde, de sorte que sa hallebarde le traversa et lui sortit par le derrire. Hasal tomba mort sur place; et les autres fuyards qui arrivaient ensuite s'arrtaient un moment pour le regarder gisant par terre. (2:18-23) Alors, Joab et Abisa s'lancrent la poursuite d'Abner, et ils coururent si longtemps que le soleil se couchait, quand ils arrivrent au coteau d'Amma, vis--vis de Gujah. Cette fois, les fuyards et les poursuivants s'arrtrent. Les Benjamites se rangrent autour d'Abner, au sommet du cteau, et de la Abner cria Joab ces paroles: L'pe dvorera-t-elle sans cesse? ne sais-tu pas qu'il y a de l'amertume dans une telle guerre? Dis donc bien vite tes hommes de ne plus poursuivre leurs frres. Joab rpondit: Dieu m'est tmoin que, si tu avais parl ainsi ce matin, les miens se seraient dj retirs, chacun ayant du chagrin combattre ses frres. Joab donc sonna de la trompette, tous les soldats de Juda s'arrtrent, ils ne poursuivirent plus ceux. d'Isral. Ainsi, Abner, sain et sauf, passa le Jourdain et se rendit Mahanajim; d'autre part, Joab fit le compte de son arme et vit que dix-neuf partisans de David manquaient en tout, en sus d'Hasal. Au contraire, l'arme d'Abner avait perdu trois cent soixante hommes. Et le jour commenait poindre, lorsque Joab et ses troupes arrivrent Hbron. (2:24-32) Il et t dommage de ne pas reproduire le rcit de cette fameuse bataille; car, ceci tant de l'histoire sainte, dicte par la divinit elle-mme, les neries comme celles qu'on vient de lire mritent d'tre signales. Nous ne devons jamais perdre de vue que c'est au nom de ces stupidits, dclares sublimes, que des prtres sont fonctionnaires dans l'tat, y ont des privilges, et que l'argent des contribuables sert entretenir leur caste, comme s'ils taient docteurs des plus nobles sciences et professeurs des plus admirables vrits. Tandis que onze tribus refusaient de reconnatre sa royaut, David fortifiait sa maison en faisant des enfants . L'oint chri ne perdait pas son temps, oh! non. D'Achinoam, il eut Amnon, pour premier-n; d'Abigal, il eut Kilab; de Mahaca, il eut Absalon; dAggith, il eut Adonias; d'Abita l, il eut Scphatja; d'Egl, il eut Jthraam. Ces six fils de David naquirent Hbron. (3:2-5) Une histoire de femme devait, peu aprs, faire passer Abner dans le parti de David. Voici, textuellement, l'anecdote: Or, Sal avait eu une concubine, nomme Ritspa, fille d'Aja. Et Isboseth dit un jour Abner: Pourquoi as-tu couch avec la concubine de mon pre? Abner, trs irrit, lui rpondit: Ai-je donc une tte de chien, pour que tu me reproches de m'tre adjug une femme, moi qui t'ai soutenu contre la tribu de Juda aprs la mort de ton pre et de tes frres? Puisqu'il en est ainsi, que Dieu appesantisse sa main la plus svre sur moi, si je ne donne David ton trne, comme Jhovah a jur de le lui donner, et si je ne transfre la royaut de la maison de Sal celle de David, depuis Dan jusqu' Beer-Scbah!... Isboseth, qui craignait Abner, n'osa pas lui rpondre un mot. Abner envoya donc des dputs David, pour lui dire: Traite avec moi, et je runirai sous ton sceptre tout Isral. David rpondit: Soit, je traiterai avec loi, une seule condition: c'est que nous ne confrerons pas ensemble avant que tu ne me ramnes ma chre Mical, fille de Sal. Et, d'autre part, David envoya des dputs Isboseth, avec ce message: Qu'on me rende immdiatement Mical, ma premire femme, que j'ai pouse pour deux cents prpuces de Philistins! Isboseth envoya qurir sa sur et l'ta son mari Phalti, fils de Las. Et jusqu' Bahurim, le second mari de Mical, Phalti, la suivit, et il pleurait chaudes larmes, en marchant derrire elle. Alors, Abner dit Phalti: Maintenant, marche en arrire, et va-t'en tout seul. Phalti s'en retourna. (3:7-16) 162
C'est ainsi que David rcupra son pouse n 1, laquelle il tenait beaucoup, comme on voit; mais il n'en garda pas moins les six autres. Quant Abner, sa trahison envers Isboseth ne lui porta pas bonheur. Lorsqu'il se rendit Hbron pour traiter avec le fils d'Isa, il s'tait fait accompagner par vingt de ses officiers; David donna un festin en son honneur, puis le congdia en ami, afin qu'il allt convaincre les Isralites que lui seul tait le roi lgitime. Mais Joab, ayant su cela, manda des gens lui, qui rattraprent Abner en route et le ramenrent Hbron, sous prtexte que David avait encore quelque chose lui dire. Alors, Joab prit Abner part, pour lui parler en secret, et il le tua en le perant par les parties gnitales. La mort d'Hasal tait venge. David, la nouvelle de ce meurtre, proclama qu'il n'y tait pour rien. Que le sang d'Abner, s'cria-t-il, retombe sur la tte de Joab! Il fit mme de splendides funrailles au gnral en chef de l'arme de son rival. (v. 20-39) La situation n'tait pas gaie pour Isboseth; un grand nombre de ses partisans l'abandonnaient. Deux de ses capitaines, nomms Rcab et Bahama, entrrent dans sa chambre, un jour qu'il faisait trs chaud et qu'il dormait aprs son repas de midi, et ils l'touffrent sur son lit. Fiers de ce bel exploit et comptant sur une rcompense, ils apportrent sa tte David. David les rcompensa, en leur faisant couper les mains et les pieds, d'abord; puis, Rcab et Bahama furent pendus une potence qu'on dressa au-dessus de l'tang d'Hbron. Enfin, David fit dposer la tte d'Isboseth dans le tombeau d'Abner. (ch. 4). Aprs avoir rgn sept ans et demi Hbron, David rgna trente-trois ans Jrusalem, qui appartenait aux Jbusiens, et dont il s'empara grce l'union dfinitive de tous les Isralites sous son sceptre. David habita dans la forteresse, laquelle il donna le nom de cit de David, et il btit des difices tout autour, Hiram, roi de Tyr, lui envoya des ambassadeurs, ainsi que des charpentiers et des maons, avec du bois de cdre, pour lui faire construire un palais. Rappelons que les annales de Tyr no font aucune mention de cette ambassade et ne citent mme pas le nom de David. Quoi qu'il en soit, le vritable tablissement du peuple juif commence la prise de Jrusalem; jusque-l, les Isralites n'avaient t qu'une horde vagabonde, vivant de rapine, courant de montagne en montagne et de caverne en caverne, sans avoir pu s'emparer d'une seule place considrable. Jrusalem est situe auprs du dsert, sur le passage de tous les Arabes qui allaient trafiquer en Phnicie; la position tait bonne. Le terrain, la vrit, n'est que de cailloux et, ne produit rien; mais les trois montagnes sur lesquelles la ville est btie en faisaient une place trs importante. On voit que David manquait de tout pour y btir des maisons convenables une capitale, puisque Hiram, roi de Tyr, lui envoya du bois, des charpentiers et des maons; mais on ne voit pas comment David put payer Hiram, ni quel march il fit avec lui. David tait, dit Voltaire, la tte d'une nation longtemps esclave, qui devait tre trs pauvre; le butin qu'il avait fait dans ses courses ne devait pas l'avoir beaucoup enrichi, puisqu'il n'est parl d'aucune vill a opulente qu'il ait pille; mais enfin, quoique l'histoire juive ne nous donne aucun dtail de l'tat o tait alors la Jude, quoique nous ne sachions point comment David s'y prit pour gouverner ce pays, nous devons toujours le regarder comme le seul fondateur. Ds qu'il se vit matre de Jrusalem et de quinze vingt lieues de pays, David prit encore des concubines et pousa de nouvelles femmes; et il lui naquit encore des fils et des filles. Voici les noms des fils qui lui naquirent Jrusalem: Samuah, Sobab, Nathan, Salomon. Jbahar, Elisua, Npheg, Jphia, Elisama. Eliodah et Eliphaleth. (5:13- 16) Son installation personnelle, tant acheve, David songea donner Jhovah un logement convenable, c'est--dire faire transporter l'arche sainte dans sa capitale. Il assembla de nouveau toute l'lite d'Isral, se montant trente mille hommes, et, accompagn de toute la tribu de Juda, il alla chercher l'arche de Dieu, sur laquelle on invoque Sabaoth, celte arche sacre dans laquelle l'ternel rside entre les chrubins. On plaa donc l'arche de Dieu sur une 163
charrette toute neuve, et ils la prirent au bourg du Gabaa, o elle tait, dans la maison d'Abinadab (fils de Sal, mort avec lui Gelbo); Oza et Ahio, enfants d'Abinadab, conduisaient la charrette (6:1-3)... Mais lorsqu'on fut arriv prs de la grange de Nachon, les bufs glissrent et, en tombant, firent pencher l'arche; Oza la retint de ses mains. Alors, la colre de Dieu s'alluma contre Oza; Dieu le frappa, et il tomba mort sur la place, devant l'arche de Dieu. (v. 6-7) Alors, David prouva une grande frayeur de Jhovah ce jour-l, et il se dit: Il serait peut-tre dangereux que l'arche de Dieu entrt chez moi. Et il la fit placer dans la maison d'un nomm Obed-Edom. (6:9-10) Si l'crivain de cette partie de la Bible n'est pas Samuel, il est nanmoins prtre, selon toute probabilit; car ce qui domine dans ce rcit, c'est la proccupation d'empcher les laques de toucher l'arche. Nous avons vu dj l'effroyable hcatombe de cinquante mille soixante-dix curieux, morts instantanment, comme foudroys, pour avoir regard dans la sacre bote; l'auteur, pour inspirer la crainte, ne recula pas devant l'invraisemblance de l'anecdote. Maintenant, peu importe que Dieu paraisse d'une injustice criante! voil une arche qui, quoique divine, ne devait pas tenir une bien grande place, puisqu'elle n'occupait qu'une simple charrette, et cette charrette devait tre fort troite, puisqu'elle passait par les dfils qui rgnent de la montagne de Gabaa la montagne de Jrusalem; or, les prtres n'accompagnaient pas le coffre saint, ce qui ne se conoit gure, et, tant donn qu'on ne prt pas toutes les prcautions ncessaires pour l'empcher de tomber, voil ce brave homme d'Oza qui retient l'arche, qui la prserve d'une chute, et qui se voit rcompens de son zle religieux par une mort subite! On avouera que c'est raide! Les incrdules, milord Bolingbroke en tte, ont donc beau jeu pour dire que ce rcit est injurieux la bont divine, et que, s'il y avait quelqu'un de coupable, c'taient les lvites qui avaient abandonn la sacre bote, et non pas le laque qui la soutenait... Mais c'est avec des rcits de cette espce qu'on entretenait le peuple ignorant dans la croyance des immunits et privilges accords par Dieu la caste sacerdotale. Autre remarque: ces commencements grossiers du rgne de David prouvent que la nation juive tait encore aussi grossire que pauvre, et qu'en ralit elle ne possdait pas encore une maison assez convenable pour y dposer l'objet de son culte. Le sieur Obed-dom, constitu gardien de l'arche, eut grand soin de n'y pas toucher; c'est pourquoi l'ternel le bnit, ainsi que toute sa famille, et ses affaires prosprrent . (v. 11) David, ayant constat, au bout de trois mois, qu'il y avait ainsi moyen de ne pas tre foudroy, fit rclamer l'arche Obed-dom. On la transporta alors Jrusalem. La crmonie du transfert tut solennelle, et le roi manifesta une joie extraordinaire, dans cette circonstance: David, ceint d'un phod de lin, sautait de toute sa force (sic) devant l'arche de Dieu. (v. 13) Dans son allgresse, il leva mme la jambe un peu trop haut et montra... ce qu'il n'aurait pas d laisser voir. Mical, son pouse n 1, ne lui cacha pas sa faon de penser ce sujet, aprs que la sacre bote et t place dans un tabernacle, construit ad hoc. Quand David s'en vint vers sa maison pour la bnir, Mical alla sa rencontre et lui dit: Le roi d'Isral s'est fait aujourd'hui beaucoup d'honneur, en dcouvrant sa nudit devant les yeux de ses servantes, et il n'en a eu aucune honte, comme ferait un fou! (v. 20) Quant Jhovah, il fut fort satisfait de cette danse chevele, et il punit Mical d'avoir mpris ce jour-l son mari; pour son chtiment, elle n'eut point d'enfants, jusqu'au jour de sa mort . (v. 23) David aurait dsir construire un temple Jhovah; mais le dieu des Juifs s'y opposa, il rservait cet honneur Salomon. (ch. 7) Le chapitre 8 est consacr aux victoires de David. Aprs cela, David battit les Philistins, les humilia, et affranchit le peuple isralite du tribut qu'il leur payait. (8:1) On est bien tonn que l'oint chri, aprs la conqute de Jrusalem, ait encore pay tribut aux Philistins, et qu'il 164
ait fallu de nouvelles victoires pour affranchir les Juifs de cette onreuse sujtion; cela prouve que ce peuple tait encore un trs petit peuple. David dfit aussi les Moabites, et, les ayant vaincus, il les ft coucher par terre et mesurer avec des cordes; une mesure de corde tait pour la mort, une autre mesure tait pour la vie; et Moab fut asservi au tribut . (8:2) La manire dont David traite les Moabites ressemble singulirement la fable paenne qu'on a dbite sur Busiris, qui faisait mesurer ses captifs la longueur de son lit; on leur coupait les membres qui dbordaient, et l'on allongeait par des tortures les membres qui n'taient pas assez longs, Puis, David dfit encore Adarzer, roi de Soba, en Syrie, et il renversa sa domination sur le fleuve de l'Euphrate. Il lui prix dix-sept cents cavaliers et vingt mille fantassins; il coupa les jarrets tous les chevaux de ses chariots de guerre, sauf ceux de cent chariots, qu'il se rserva. Or, les Syriens de Damas tant venus au secours d'Adarzer, David en tua vingt-deux mille. Il tablit garnison dans la Syrie de Damas, et la Syrie tout entire lui paya tribut. Il prit les armes d'or des officiers d'Adarzer et les apporta Jrusalem. (8:3-7) Il fit alliance avec un certain Tobie, roi de Hammath, aussi inconnu dans l'histoire que le roi dont il fut le vainqueur. Et, en revenant de sa campagne de Syrie, il tailla en pice dix-huit mille Idumens dans la valle des Salines. (v. 13) Plusieurs savants nient formellement ces victoires de David en Syrie et jusqu' l'Euphrate. Ils disent qu'il n'en est fait mention nulle part, chez aucun historien; qu'on ne connat aucun roi de Syrie du nom d'Adarzer; que, si David avait tendu sa domination jusque sur les rivages de l'Euphrate, il et t un des plus grands souverains de la terre, cette poque, et que, par consquent, le silence absolu de tous les historiens sur son compte ne se comprendrait pas. En rsum, les savants regardent comme une exagration insoutenable ces prtendues conqutes du chef d'une minuscule nation, matresse d'une seule ville qui n'tait pas mme encore btie! Au milieu de sa gloire, David se souvint tout coup d'un vieux serviteur de Sal, nomm Tsiba; il le fit appeler et lui demanda si par hasard quelqu'un de la famille du premier roi ne vivrait pas encore. Tsiba lui apprit (David ignorait cela!) que Jonathan avait laiss un fils, Mphisboseth, lequel, avec le temps, tait devenu papa; ce rejeton s'appelait Mica. Le monarque n'avait craindre aucune concurrence de la part du fils de Jonathan, puisqu'il se tenait tranquille au point d'tre demeur inconnu durant tant d'annes. Il donna des terres Tsiba et Mphisboseth, et voulut que ce dernier ne prt plus dsormais ses repas ailleurs qu'au palais royal (ch. 9) Ds lors, Mphisboseth demeura Jrusalem, parce qu'il mangeait continuellement la table du ro i; et il tait boiteux des deux pieds. (v. 13) David fit aussi la guerre aux Ammonites (ch. 10), la suite d'une mauvaise plaisanterie de leur roi, Hanun. Un certain nombre de juifs se trouvant en voyage sur le territoire d'Hanun, celui-ci leur fit raser la moiti de la barbe et couper la moiti de leurs habits, depuis le haut des cuisses jusqu'aux pieds; puis, il les renvoya ainsi . (v. 4) Il va sans dire que les Ammonites furent battus plate couture. L'criture sainte nous a numr tout l'heure les fils que David eut Jrusalem, parmi lesquels Salomon. Les circonstances de la naissance de ce fils font l'objet du chapitre 11. Un jour que le roi se promenait, il aperut au loin une belle femme qui prenait un bain; aussitt, il prouva le vif dsir de voir cette dame de plus prs. Qui est cette femme? demanda-t-il. Et un de ses officiers lui dit: C'est Bethsabe, fille d'Eliham, pouse du capitaine Urie. Alors, David envoya des hommes son service auprs de Bethsabe, et elle fut enleve. Il coucha donc avec elle; aprs quoi, Bethsabe se lava, et ainsi elle se purifia de son impuret; puis, elle retourna chez elle. Or, cette femme conut; elle l'envoya dire David en ces termes: Je suis enceinte. A cette nouvelle, David manda Joab, son gnral en chef, de lui envoyer Urie. tant venu, Urie fut interrog par le roi sur Joab, sur le peuple, et sur ce qui passait la guerre. Puis, David dit Urie: Va-t'en chez toi, dans ta maison, et lave tes pieds 165
(sic). Urie sortit donc de la maison du roi, suivi d'un prsent royal que les serviteurs de David portaient derrire lui. Mais Urie dormit la porte de la maison du roi, avec les serviteurs de son seigneur, et ne descendit point dans sa maison. Et on le rapporta David, qui le rappela et lui dit: Pourquoi n'es-tu pas all chez toi, puisque tu revenais de voyage? Urie rpondit David: Quoi! l'arche de Dieu loge sous une tente, et Joab, mon gnral, et tous mes compagnons d'armes aussi! et moi, j'entrerais dans ma maison pour y manger et boire et pour coucher avec ma femme? Non, je ne ferai pas cel a! Alors, David garda Urie Jrusalem encore un jour et le lendemain. Puis, David le fit manger et boire avec lui, et il enivra Urie. Le lendemain malin, le roi crivit Joab; il envoya sa lettre par les mains d'Urie. Or, cette lettre tait crite en ces termes: A la premire bataille que vous livrerez, vous mettrez Urie au poste le plus dangereux, et vous vous retirerez d'auprs de lui au fort du combat, afin qu'il soit frapp et qu'il meure. (11:2-15) Aprs donc que Joab eut fait l'examen de la ville de Rabbath, qu'il assigeait, il plaa Urie l'endroit o il savait qu'il y aurait une sortie des p lus vaillants Ammonites. Et les assigs sortirent contre l'arme de Joab; et quelques-uns des assigeants furent tus, et Urie se trouva au nombre de ceux qui prirent. Alors, Joab envoya un messager David pour lui faire savoir tout ce qui tait arriv dans ce combat-l. S'il arrive que le roi se mette en colre, dit-il au messager et s'il reproche qu'on se soit trop approch des remparts, tu ajouteras ces mots: O roi, ton serviteur Urie est mort dans cet assaut. (v. 16-21) Le messager s'acquitta de sa mission. David, l'ayant entendu, rpondit: Fais savoir Joab qu'il ne doit point se dcourager; qu'il redouble le combat contre Rabbath, et qu'i! dtruise cette ville. (v. 25) Alors, la femme d'Urie, ayant appris que son mari tait mort, prit le deuil. Et quand le temps du deuil fut pass, David l'envoya chercher, la prit avec lui, et elle fut sa femme, et elle lui enfanta un fils. Mais la chose que David avait faite dplut l'ternel. (11:26-27) Jhovah dlgua auprs du roi le prophte Nathan, qui lui dbita une historiette: un gros richard, propritaire d'un nombreux btail, avait donn un jour l'hospitalit un voyageur, et, pour le rgaler, il lui servit une brebis qu'il vola un pauvre homme, au lieu d'en prendre une de son abondant troupeau. David s'indignait contre ce richard malhonnte, lorsque Nathan l'interrompit: Ce coupable contre qui s'allume ta colre, c'est toi-mme. Dieu m'a envoy pour te rappeler qu'il t'avait oint roi d'Isral, qu'il t'avait dbarrass de Sal, qu'il t'avait mme donn de nombreuses femmes, et si tout cela pouvait te paratre peu, il tait dispos t'accorder encore autre chose. Mais voil que tu as fait prir le capitaine Urie, et tu lui as enlev sa femme! C'est pourquoi Jhovah me charge de te dire que le glaive ne sortira jamais de ta maison dans toute l'ternit, parce que tu as mpris ses bienfaits. Et voici: Dieu va faire sortir de ta propre famille une honte qui sera contre toi et qui t'humiliera beaucoup; Dieu, je te l'annonce, prendra tes femmes sous tes yeux mmes, il les donnera l'un de tes proches, et celui-ci couchera avec tes femmes en plein jour, sous les yeux de tout Isral; car, toi, tu as forniqu en secret; mais celui qui possdera tes pouses et tes concubines, forniquera en public avec elles, pour ton humiliation. Alors, David dit Nathan: Hlas! j'ai pch contre l'ternel! Nathan reprit: Puisque tu pleures, tu ne mourras point; Dieu t'enlve ton pch et le fait passer sur la tte de ton fils; c'est l'enfant n de ton pch qui mourra. (12:7-14) Sortie majestueuse du prophte; prire et jene de David, mort, au bout de sept jours, de l'enfant qu'il avait eu de Bethsabe. Pendant ces sept jours, David ne prit aucune nourriture, et il demeura jour et nuit couch par terre de tout son long. Et ses serviteurs craignirent de lui apprendre que l'enfant tait mort. Quand l'enfant tait en vie, disaient-ils, le roi a refus d'couter notre voix; comment donc lui ferions-nous connatre sa mort? Cela ne se peut, car il s'affligerait davantage. Mais David, s'tant aperu que ses serviteurs parlaient tout bas, comprit que l'enfant tait mort. Il leur posa donc cette question: Mon fils n'est-il pas mort? Ils rpondirent: Oui. Alors, David se leva de terre, fit toilette, se frotta tout le corps de suaves 166
parfums, se vtit de beaux habits, et s'en fut se prosterner devant l'arche de Dieu. Puis, il revint son palais, demanda dner, et mangea beaucoup. Ses serviteurs tonns lui dirent: O roi, que fais-tu donc? nous n'y comprenons rien. Tu as jen et pleur pour cet enfant, pendant qu'il tait encore en vie; et maintenant qu'il est mort, voici que tu ne pleures plus et que tu manges de bon apptit! David leur dit: Quand l'enfant n'tait que malade, j'ai jen et j'ai pleur; car je me demandais si Dieu n'aurait pas piti de moi et ne laisserait pas mon fils vivre. Mais, prsent qu'il est mort, pourquoi jenerais-je? mon abstinence le rappellerait-elle la vie? Non, n'est-ce pas? En continuant ne prendre aucune nourriture, je mourrais mon tour; j'irais rejoindre mon enfant, et lui, il ne reviendrait pas vers moi. Alors, David s'en fut auprs de Bethsabe, et, pour la consoler, il coucha avec elle jusqu' ce qu'elle lui enfantt un autre fils. Ce second enfant de Bethsabe reut de son pre le nom de Salomon; et celui-ci plut l'ternel, qui l'aima. Or, David fit part de cette naissance Nathan le prophte, et Nathan imposa l'enfant un deuxime nom, le nom de Jdidja. (12:17-25) Voil un pisode des plus difiants, certes!... Le mariage de Bethsabe, grosse de David, est dclar nul par plusieurs rabbins et par plusieurs commentateurs, rapporte Voltaire. Parmi nous, une femme adultre ne peut pouser son amant, assassin de son mari, moins d'une dispense du pape: c'est ce qui a t dcid par le pape Clestin III. Nous ignorons si le pape peut, en effet, avoir un tel pouvoir; mais il est certain que, chez aucune nation civilise, il n'est permis d'pouser la veuve de celui qu'on a assassin. Il y a une autre difficult: si le mariage de David et de Bethsabe est nul, on ne peut donc dire que Jsus-Christ est descendant lgitime de David, comme le dclare l'vangile en donnant sa gnalogie. Si, au contraire, on dcide qu'il en descend lgalement, on foule aux pieds la loi de toutes les nations, l'une des lois universelles conforme aux principes le plus lmentaires de la morale; si le mariage de David et de Bethsabe n'est qu'un nouveau crime, Jsus-Christ est donc n de la source la plus impure, puisque le Nouveau Testament le fait descendre de Salomon. Pour chapper ce dilemme, les thologiens invoquent le repentir de David, qui a tout rpar. Mais son repentir n'a t que de peu de dure, et il a gard la veuve d'Urie, sa victime; donc, son crime s'est aggrav; c'est une difficult nouvelle, que les thologiens ne peuvent rsoudre, et ils en sont rduits se rabattre, comme toujours, sur la ncessit d'une foi aveugle, les volonts de Dieu tant incomprhensibles le plus souvent. Dans le cas que nous examinons, il est, par le fait, impossible de dmler exactement les sentiments de Jhovah. Lui qui a tu le vieux bonhomme Nabal, pour faciliter le premier adultre de David, il se fche de ce que son oint chri s'est rendu coupable d'assassinat l'gard d'Urie; fallait-il donc que David le prit de se charger de cette besogne meurtrire, et qu'il et Bethsabe grce un divin coup de foudre, comme il avait eu Abigal?... Ensuite, Jhovah fait preuve, en cette circonstance, d'une colre bizarre. Il se montre fch, puisqu'il envoie le prophte Nathan adresser des reproches au roi et fulminer l'annonce de terribles chtiments; mais sa colre ne l'empche pas de voir de bon il le mariage de David avec la veuve de l'assassin, puisqu'il manifeste sa prdilection pour Salomon, n de David et de cette veuve. Il transporte le pch de l'assassin un enfant au berceau; alors, par l'effet de cette trange combinaison cleste, David est donc dfinitivement pardonn, direz-vous?... Pas prcisment. Il est pardonn, car l'enfant mourut; mais il n'est pas pardonn, car la menace de faire coucher les femmes et concubines du roi avec un autre aux yeux de tout Isral subsista entirement, ainsi qu'on va le voir. En attendant, Joab avait fini par s'emparer de Rabbath, la capitale des Ammonites (12:26). David vint prendre possession de cette nouvelle conqute. Et il prit le diadme de dessus la tte du roi des Ammonites; or, ce diadme, tout enrichi de pierres prcieuses, pesait un talent d'or; et David le plaa sur sa tte, et il rapporta de Rabbath un trs grand butin (12:30). On a calcul que le poids d'un talent d'or quivalait quatre-vingt-dix livres: il n'est gure possible qu'un homme ait port une telle couronne; elle aurait cras Goliath lui-mme. 167
Ayant vaincu les Ammonites, le roi d'Isral infligea ses prisonniers des supplices pouvantables; c'taient ces mmes habitants de Rabbath qui avaient dbarrass David du capitaine Urie: David tait demi-pardonn par Dieu; mais Jhovah choisissait David pour tre l'excuteur de la vengeance divine contre ses propres complices, qui, au surplus, taient parfaitement innocents, s'tant loyalement battus; si quelqu'un et d coper, c'tait Joab, dont le rle n'avait gure t honorable. David se fit amener tous les habitants de Rabbath; tous furent massacrs, les uns tant scis eu deux avec des scies, d'autres crass et dchirs par de lourdes herses de fer qu'on fit passer sur eux, d'autres dcoups vifs avec des couteaux, et les autres jets dans des fours cuire la brique. David traita de mme la population de toutes les villes ammonites; aprs quoi, il s'en retourna Jrusalem. (12:31) Il est souhaiter que ces inconcevables barbaries soient une exagration, comme l'est videmment le diadme de quatre-vingt-dix livres. Il n'y a point d'exemple, dans l'histoire, d'une cruaut si norme et si rflchie. M. Huet, de Londres, ne manque pas de la peindre avec les couleurs qu'elle mrite. Le bndictin dom Calmet dit qu'il est prsumer que David ne suivit que les lois communes de la guerre; que l'criture ne reproche rien sur cela David, et qu'elle lui rend mme le tmoignage exprs que, hors le fait d'Urie, sa conduite a toujours t irrprochable . Cette excuse serait bonne dans l'histoire des tigres et des panthres, rpond M. Huet; quel homme, s'il n'a pas le cur d'un vrai juif pourra trou ver des expressions convenables une pareille horreur? Et voil l'homme selon le cur de Dieu!... En tout cas, que cette histoire soit exacte ou invente plaisir, on ne peut que fltrir un tel enseignement religieux; et que penser de ceux qui se sont donn mission de convaincre an peuple que de tel les sauvageries sont des actes glorieux et mritoires?... Mais, dans cette famille de David, on ne sort d'une horreur que pour retomber dans une autre. Poursuivons. Immdiatement aprs, Amnon, fils de David, tomba amoureux de sa sur Thamar, sur aussi d'Absalon, autre fils de David: et il en tait tellement amoureux que toute sa pense s'absorbait dans cette passion, avec dsespoir; car Thamar tait vierge, et il lui semblait trop difficile de rien obtenir d'elle. Or, Amnon tait li de la plus intime amiti avec Jonadab, homme fort adroit, neveu de David. Et Jonadab dit Amnon: Pourquoi maigris-tu ainsi de jour en jour? quene m'en dis-tu la cause? Amnon lui rpondit: C'est que je su is amoureux de ma sur Thamar, sur de mre de mon frre Absalon. Alors, Jonadab lui dit: Couche-toi dans ton lit et lais le malade; puis, quand ton pre viendra te voir, prie-le de t'envoyer Thamar pour te faire des beignets la viande, qu'elle sait trs bien apprter. (13:1-5) L'histoire profane rapporte des incestes qui ont quelque ressemblance avec celui d'Amnon. Toutefois, il n'est pas prsumer que les uns ont t copis des autres; car, aprs tout, de pareilles impudicits n'ont t que trop communes chez toutes les nations. Ce qu'il y a ici de particulirement trange, c'est qu'Amnon confie sa passion criminelle son cousin Jonadab; il fallait donc que la famille de David ft bien dissolue pour qu'un de ses fils, qui pouvait, avoir tant de concubines son service, voult absolument jouir de sa propre sur, et que son cousin germain lui en facilitt les moyens. Amnon suivit le conseil de Jonadab, et les choses se passrent comme celui-ci l'avait prvu. Le roi, tant venu auprs de son fils alit, couta sa requte, crut une de ces inoffensives fantaisies de malade qui ne se refusent pas, et envoya sa fille confectionner dans la chambre d 'Amnon les fameux beignets la viande, sa spcialit de cordon-bleu. Thamar s'en vint donc chez son frre Amnon, et le trouva couch. Elle prit de la pte, la ptrit, et elle en fit devant lui des beignets, qu'elle cuisit en y mlant des petits morceaux de viande. Puis, elle apporta la pole auprs de son lit et versa les beignets. Mais Amnon dit: Je ne veux pas les manger devant les gens qui sont l! Chacun se retira. Alors, Amnon, qui avait retenu Thamar, lui parla ainsi: Approche les beignets que tu m'as apprts, et toi-mme approche-toi, parce que je ne veux les manger que de ta main; approche-toi, Thamar, plus prs 168
encore. Thamar fit comme il lui demandait. Mais, tandis qu'elle se penchait sur son lit pour lui faire manger un beignet, il se saisit d'elle tout coup, et lui dit: Allons, viens, laisse-toi faire; couche avec moi, ma sur. Et elle lui rpondit: Non, mon frre, je ne veux pas, et, je t'en prie, ne me fais pas violence, car le viol est dfendu chez les Isralites. Ne commets point cette action infme. Et moi, que deviendrais-je, une fois que tu m'aurais inflig celte honte? Toi, tu passerais pour un fou. Maintenant, coute: si tu me veux tout prix, parles-en au roi, notre pre, et sans doute, pour un mariage, il ne refusera pas de me donner toi. Mais Amnon ne voulut point l'couter; or, comme il tait plus fort qu'elle, il la renversa et coucha avec elle. Puis, aussitt qu'il l'eut viole, il conut pour elle une si grande haine que sa haine tait plus grande que ne l'avait t son amour. Et il lui dit: Lve-toi, je ne veux plus de toi, va-t'en! Alors, Thamar pleura, en disant: Le mal que tu me fais prsent est encore plus fort que le mal que tu viens de me faire sur ce lit. Mais Amnon, ayant appel un valet, lui dit: Chasse de ma chambre cette fille, et ferme la porte sur elle. (13:8-17) Qu'en pensez-vous, lecteurs?... Comme anecdote de livre saint, dict par Dieu, est-ce assez bien russi?... Continuons reproduire ce texte, base sacre de la religion qui a chez nous un budget officiel se chiffrant chaque anne par millions, aux dpens des contribuables, sans compter les milliards que, depuis des sicles, les prtres ont extorqus de toutes manires, toujours en se prvalant des droits divins inscrits en faveur de leur caste dans l'immonde Bible. Ainsi, Thamar fut chasse. Elle prit de la cendre et la rpandit sur sa tte; elle dchira la belle robe bigarre qu'elle avait sur elle, et elle s'en alla en criant, tenant sa main sur sa tte (v. 19). Absalon, qui tait, comme elle, enfant de Mahaca, pouse n 4 de Davi d, a laiss une rputation surtout chevelue; c'est un des illustres personnages bibliques clbres par leur tignasse; sous le rapport de la longueur des cheveux, il dame le pion Samson et Samuel. Quand il apprit le viol de Thamar, Absalon tenta d'abord de la consoler. Nous citons textuellement: Notre frre Amnon a couch avec toi? lui dit-il. Mais maintenant, tais-toi; c'est ton frre. Ne prends point ceci cur! (v. 20) Malgr ces bonnes paroles, Thamar resta dsole. Quant David, quand il connut de quelle faon son fils Amnon comprenait la dnette de beignets la viande, il prouva une grosse colre; mais ce fut un feu de paille. Absalon, lui, ne parlait ni en bien ni en mal Amnon; mais, au fond, il le hassait. (v. 22) Absalon dissimula sa haine pendant deux annes. (v. 23) Au bout de ce temps-l, il donna, Baal-Azor o il avait une villa, un grand festin auquel il invita tous ses frres, y compris Amnon. L'incestueux violeur but outre mesure et fut assassin au dessert. (v. 24-29) C'est une grande impuret de coucher avec sa sur, remarque Voltaire; c'est une extrme brutalit de la chasser ensuite avec outrage; mais c'est sans doute un crime encore plus grand d'assassiner tratreusement son frre en l'attirant chez soi et en le faisant festoyer. Tous les frres d'Absalon, tmoins de ce fratricide, sortirent prcipitamment de table et s'enfuirent sur leurs mules, comme s'ils eussent craint d'avoir le sort d'Amnon. A ce propos, on a fait observer que c'est la premire fois qu'il est question de mulets dans l'histoire juive. Un thologien, dans sa manie de vouloir mettre de l'extraordinaire l mme o il n'y en a pas, l'impayable dom Calmet, a eu la belle ide d'avancer, dans son commentaire de la Bible, que les mulets de Palestine ne sont pas produits de l'accouplement d'un ne et d'une jument, mais qu'ils sont engendrs d'un mulet et d'une mule . Cette nouveaut inattendue a provoqu le rire de Voltaire, qui rpond au bndictin: Do m Calmet cite, ce sujet, l'opinion d'Aristote; mais il aurait mieux fait, sans doute, de consulter un bon muletier. Nous avons vu plusieurs voyageurs qui assurent qu'Aristote s'est tromp et le rvrend Calmet avec lui. Il n'y a point de naturaliste aujourd'hui qui croie aux prtendues races de mulets. Un bourriquet fait un beau mulet une cavale; mais la nature s'arrte l, et le mulet n'a pas le pouvoir d'engendrer. Pourquoi donc la Providence lui a-t-elle donn l'instrument de la gnration? On dit qu'elle ne 169
fait rien en vain: cependant, l'instrument d'un mulet devient la chose du monde la plus inutile. Il en est, d'ailleurs, des parties du mulet comme des mamelles des hommes; ces mamelles sont trs inutiles, et ne servent qu' figurer. David pleura beaucoup Amnon et ne cacha pas qu'il blmait Absalon de l'avoir tu; c'est pourquoi Absalon s'exila d'Isral: il se rfugia au royaume de Gessur, dont le souverain, le roi Talma, tait son grand-pre maternel. Il demeura trois ans dans cet asile. (v. 37-38) Joab usa d'adresse pour faire rappeler Absalon; il y russit tant bien que mal et le ramena Jrusalem (14:23); mais David ne voulut pas que son fils part devant lui. Or, il n'y avait point d'homme dans tout Isral plus beau qu'Absalon; il n'avait pas le moindre dfaut, depuis les pieds jusqu' la tte; et lorsqu'il se faisait couper les cheveux (ce qui lui arrivait une fois par an, parce qu'alors le poids de sa chevelure l'embarrassait trop), il les pesait, et il se trouvait que leur poids atteignait jusqu' deux cents sicles. D'autre part, Absalon eut trois fils et une fille, qu'il nomma Thamar et qui devint une fort belle femme. Mais il importe surtout de savoir qu'il demeura Jrusalem deux ans entiers sans voir le roi son pre. Ensuite, il fit dire Joab de venir le trouver, pour le prier de le remettre tout--fait dans les bonnes grces du roi; mais Joab ne voulut pas venir chez Absalon. Mand une seconde fois, il refusa encore de venir. Absalon dit alors ses gens: Vous n'ignorez pas que Joab possde un champ d'orge auprs du mien; allez donc, et mettez-y le feu. Et les gens d'Absalon incendirent la moisson du gnral en chef des armes de David. Alors, Joab vint chez Absalon, dans sa maison, et lui dit: Pourquoi tes valets ont-ils mis le feu mon orge? Absalon lui rpondit: Je t'ai fait prier de me venir voir, afin de me raccommoder avec le roi mon pre, et tu ne t'es pas drang; ce n'tait pas la peine, vraiment, de m'avoir ramen de Gessur! il vaudrait mieux que j'y fusse encore! Maintenant donc, je t'en prie, fais-moi voir le roi; s'il trouve encore quelque iniquit, eh bien, qu'il me tue! Joab rapporta ces paroles David, qui fit alors appeler Absalon; et Absalon s'tant mis genoux devant le roi, le roi le baisa. (14:25-33) Si cette conduite d'Absalon envers Joab est moins horrible que le reste, elle est, par contre, excessivement grotesque, Jamais, ailleurs que dans la Bible, on ne s'est avis d'incendier les orges d'un gnral en chef, d'un premier ministre, pour avoir une conversation avec lui; c'est un drle de moyen d'obtenir des audiences!... Apr s cela, Absalon se fit faire des chariots; il assembla des cavaliers et cinquante hommes qui marchaient devant lui (15:1)... Et il fit une grande conjuration, promettant tous de rendre justice; et Absalon s'attachait ainsi les curs des Isralites (v. 6)... Et, quarante ans aprs, Absalon dit un jour David: Il faut que je m'absente; car j'ai me rendre Hbron pour accomplir un vu que j'ai fait Jhovah, au temps o j'habitais Gessur. Le roi lui rpondit: Va-t'en en paix. Absalon alla donc Hbron. Et Absalon fit publier dans tout Isral, au son de la trompette, qu'il avait t tabli roi Hbron. Et deux cents hommes de Jrusalem, qu'il avait entrans, taient avec lui Hbron, dans la simplicit de leur cur, ne sachant rien de cette conjuration (v. 7-11)... Alors, David dit ses officiers qui taient avec lui Jrusalem: Allons-nous-en, fuyons bien vite, de peur qu'Absalon ne vienne s'emparer de nos personnes et ne nous fasse dvorer par la bouche de son glaive. Ses officiers lui rpondirent: Nous sommes prts faire tout ce que tu trouveras bon. Le roi David sortit donc de Jrusalem avec tout son monde, en marchant avec ses pieds, laissant seulement dix de ses femmes pour garder sa maison; et tout le peuple le suivit, jusqu'au lieu trs loign o il s'arrta; puis, ils reprirent leur marche, en s'loignant toujours, tous ses officiers et ses serviteurs faisant route auprs de lui; et les troupes des Krthiens, des Plthiens et six cents Gthens marchaient pied devant le roi. (15:14-18) Milord Bolingbroke raconte que le gnral Widers, quelque temps aprs la bataille de Blenheim o il s'tait signal, entendant un jour son chapelain lire ce passage de la Bible, lui arracha le livre et le jeta par terre, en disant: Pardieu! chapelain, voil un grand poltron et un 170
vil misrable que ton David, de s'en aller pieds nus avec son beau rgiment de Gthens!... Ah! moi, j'aurais fait volte-face, et, jarnidieu! j'aurais couru ce coquin d'Absalon; mort-dieu! je l'aurais fait pendre au premier poirier! Et tout le monde pleurait, avec de grands cris; puis, le roi David passa le torrent du Cdron, et le peuple prit le chemin qui conduit au dsert. Sadoc tait l aussi, avec tous les lvites qui portaient l'arche de Dieu. (15:23-24) Mais David fit retourner l'arche Jrusalem. Quand David eut pass le haut de la montagne, Tsiba, intendant de Mphisboseth, fils de Jonathan, vint au-devant de lui avec deux nes chargs de deux cents pains, de cent paniers de figues, de cent paquets de raisins secs et d'une peau de bouc remplie de vin. Il apportait cela pour le roi et sa famille. Et David demanda Tsiba: O est Mphisboseth? Tsiba rpondit: Il est rest Jrusalem, dans l'espoir qu'Isral lui rendra aujourd'hui le royaume de son grand-pre Sal. Alors, David dit Tsiba: Eh bien, je te donne tous les biens de Mphisboseth (16:1-4)... Or, le roi David tant venu dans sa fuite jusqu', Bahurim, un ancien domestique de Sal, nomm Smi, sortit de sa maison et se mit maudire le roi; et il jetait des pierres contre David et contre tous ses officiers; et tout le peuple et tous les hommes vaillants, entourant le roi droite et gauche, recevaient ces pierres. Smi criait David: Viens donc ici, homme de sang! viens, que je te lapide, homme de Blial! (16:5-7)... Mais David et ses gens continurent leur chemin, et Smi les poursuivait, en continuant leur lancer des pierres, tant et tant qu'il s'levait autour du roi un nuage de poussire. (16:13). Les critiques font observer que, si l'auteur sacr n'avait t qu'un crivain ordinaire, il aurait dtaill la rbellion d'Absalon; il aurait dit quelles taient les forces de ce prince; il nous aurait appris pourquoi David, ce grand guerrier, s'enfuit si piteusement de Jrusalem avant que son fils y ft arriv. Jrusalem tait-elle fortifie? ne l'tait-elle pas? Comment tout le peuple qui suit David n'oppose-t-i l aucune rsistance? Est-il possible qu'un tyran aussi froce, aussi impitoyable que David, qui vient de scier en deux, d'craser sous des herses de fer, de brler dans des fours briques ses ennemis vaincus, s'enfuie de sa capitale en pleurnichant comme un sot enfant, sans faire la moindre tentative pour arrter la rvolte d'un fils criminel?... Et l'incident de ce Smi, qui lui jette impunment des pierres tout le long du chemin, tandis qu'il est entour de tant d'hommes d'armes et de tous les habitants de Jrusalem, n'est-il pas une des plus burlesques mystifications du divin pigeon, inspirateur de l'crivain?... On en est se demander si l'on rve, quand on lit des balivernes d'une telle niaiserie dans un livre religieux auquel il faut croire sous peine d'anathme!... A l'gard de ce pauvre Mphisboseth, fils de Jonathan et petit-fils de Sal, comment ce boiteux des deux pieds esprait-il rgner? s'imaginait-il qu'Absalon, qui venait de lever l'tendard de la rvolte pour se proclamer roi, allait abdiquer en sa faveur et achever pour un autre que lui-mme la dchance de David?... Comment, d'autre part, David, qui n'a plus rien, qui ne peut plus disposer de rien, donne-t-il tous les biens du prince Mphisboseth son domestique Tsib a?... Frret dit que si ce prince Mphisboseth avait un intendant (ce qui est difficile croire), il est probable que cet intendant, reprsent si peu fidle, n'aurait pas manqu, dans la dbcle, de s'emparer des biens de son matre, sans attendre la permission de David. Cependant, Absalon tait entr dans Jrusalem, avec tout le peuple de son parti, et Achitophel, de Guilo, l'un des conseillers de David, tait pass lui (16:15)... Et Achitophel dis ait Absalon: Crois-moi, fornique publiquement avec toutes les femmes de ton pre, qu'il a laisses pour la garde de sa maison, et ainsi, quand les Isralites sauront que tu as fait ton pre cet affront qui est le pire des outrages, ils n'en seront que plus fortement attachs toi. Absalon fit donc tendre une tente au-dessus de la terrasse de la maison de son pre, il obligea les femmes de son pre monter sur la terrasse, et l, il forniqua avec toutes, en prsence du peuple. (16:21-22) 171
Les critiques ne croient gure que le fait de commettre en public une chose aussi indcente soit un procd bien efficace pour s'attacher un peuple; ils refusent de croire aussi qu'Absalon, si jeune qu'il tait, ait pu consommer l'acte, coup sur coup, avec les dix femmes de son pre, devant toute la population de Jrusalem. Mais ce qui est le plus clair, c'est que l'auteur sacr, crivant le livre fondamental de la religion, se complat dans les plus sales histoires; aprs l'inceste d'Amnon, on nous sert les dix incestes d'Absalon; avec la sainte Bible, nous ne sortons des atrocits que pour tomber dans les turpitudes. Achitophel donna un autre conseil Absalon, celui de choisir douze mille hommes et de poursuivre immdiatement David; mais un nomm Cussa lui conseilla de faire d'abord appel tout Isral, depuis Dan jusqu' Ber-Scbah, et ce dernier avis parut le meilleur Absalon. Achitophel, ennuy de n'avoir pas t cout, s'trangla (ch. 17). Finalement, le parti de la rvolte essuya une dfaite dans la for t d'Ephram, o vingt mille soldats d'Absalon furent tus par les troupes du roi, commandes par Joab. Dans sa fuite, le fils de David, qui tait mont sur un mulet, eut sa chevelure prise dans les branches d'un chne et y demeura suspendu, le mulet ayant continu sa route. Joab, inform, prit trois javelots et en transpera Absalon. Cet pisode parat bien tir par les cheveux, n'est-ce pas? Quant David, lorsqu'il apprit la mort du beau jeune homme, il versa d'abondantes larmes et cria plusieurs reprises: Absalon mon fils! Mon fils Absalon! Absalon mon fils! Le dfunt n'eut pas d'autre oraison funbre. (ch. 18) David rentra donc dans sa capitale; il pardonna Sm, qui lui avait jet des pierres, et Mphisboseth, qui lui jura qu'il n'avait jamais song usurper sa couronne (ch. 19). Il y eut encore une sdition, fomente par un certain Scbah; elle fut vaincue aussi, et les gens chez qui Scbah s'tait rfugi lui couprent la tte. Enfin, il y avait un capitaine Amasa, qu'Absalon avait lev au grade de gnral; Joab se rapprocha de lui, feignant de lui vouloir du bien; et, tandis qu'ils causaient, Joab saisit de la main droite la barbe d'Amasa familirement, comme s'il voulait l'embrasser; or, Amasa ne prenait point garde l'pe que Joab tenait de sa main gauche; alors Joab l'en frappa et rpandit ses entrailles par terre . (20:9-10) Il y eut, du temps de David, une famine qui dura trois ans conscutifs. Jhovah, interrog, rpondit: C'est cause de Sal et de sa maison consanguinaire, parce qu'il a fait mourir des Gabaonites. Alors, le roi appela les Gabaonites, pour leur parler. Or, les Gabaonites n'taient point des enfants d'Isral; mais c'tait un reste des Amorrhens, et les Isralistes leur avaient promis dejles laisser vivre; nanmoins, Sal avait voulu les dtruire dans son zle, croyant servir les intrts d'Isral et de Juda. David dit donc aux Gabaonites: Que ferai-je pour vous? comment vous apaiserai-je, afin que vous bnissiez l'hritage du Seigneur? Ils lui rpondirent: Nous ne voulons ni or ni argent; mais, puisque Sal nous a dtruits et qu'il a tellement machin contre nous que nous avons t extermins sans pouvoir subsister en Isral, qu'on nous livre sept hommes de sa descendance, et nous les pendrons au nom de l'ternel, sur le coteau de Gabaa; car Sal tait de Gabaa, et il fut l'lu du Seigneur. David leur dit: Eh bien, je vous les livrerai. Cependant, le roi ne leur remit point Mphisboseth, fils de Jonathan, qui avait t son intime ami; mais il prit Armoni et un autre Mphisboseth, qui taient fils de Ritspa, concubine de Sal, et les cinq fils que Mical, fille de Sal, avait enfants son mari Hadriel Mholatite. Et il les livra aux Gabaonites, qui les pendirent sur leur montagne devant l'ternel; et ils furent pendus tous ensemble au commencement de la moisson des orges. (21:1-9) Ce passage de la Bible a toujours embarrass les thologiens; car il n'est dit nulle part, dans l'histoire de Sal, que ce roi et fait le moindre tort aux Gabaonites, et bien au contraire Samuel lui reprocha constamment, au nom de Dieu, ses sentiments de gnrosit en plusieurs circonstances; on n'a pas oubli que le prophte le dclara dchu, parce qu'il n'exterminait pas les peuples non-isralites qui vivaient dans cette contre, tels que les Amalcites, les 172
Amorrhens, les Idumens, etc. En outre, puisque Sal tait lui-mme de Gabaa, il est tout naturel qu'il ait favoris ses compatriotes; s'il avait massacr ceux des habitants de Gabaa, qui n'taient pas juifs, Samuel n'aurait pas manqu de mentionner ce forfait dans celui de ses deux livres qu'il consacre Sal. Ce massacre, qui est relat ici inopinment, aprs coup, produit l'effet d'un mensonger prtexte, imagin par David pour se dbarrasser des derniers descendants de son prdcesseur. L'pisode est si peu vridique, que l'auteur y commet un quiproquo: c'est Mrob, sa fille ane, et non Mical, que Sal maria Iladriel Mholatite (1 Samuel 18:19); quant Mical, lorsque David lui fut infidle en pousant Abigal et Achinoam, Sal la donna Phalti, fils de Las (1 Samuel 25:44), et nous avons vu David la reprendre Phalti (2 Samuel 3:14-16). Il est possible que l'auteur sacr ait voulu parler ici de Mical et des fils qu'elle put avoir d'un autre mari que David; mais il est difficile d'admettre qu'un crivain, inspir par Dieu, ait manqu de mmoire au point de confondre le sieur Phalti avec le sieur Hadriel Mholatite, poux de Mrob. Quant la famine qui dsola trois ans le pays, du temps du roi David, rien ne fut si commun dans ce pays qu'une famine. Les livres saints parlent trs souvent de famine; quand Abraham vint en Palestine, il y trouva la famine. Et nous verrons encore bien d'autres famines dans ce triste pays, o de tout temps il y eut plus de cailloux que de vgtation. On est, au surplus, bien surpris d'apprendre que Dieu lui-mme dit David que cette famine tait envoye cause de Sal, qui tait mort si longtemps auparavant, et parce que Sal avait eu des mauvaises intentions contre un peuple qui n'tait pas le peuple de Dieu. Si cet pisode tait vrai, il faudrait dire, avec tous les critiques, que, des nombreux crimes de David, celui-ci est le plus excrable. On n'y trouve l'excuse d'aucun garement passionnel. C'est une infamie d'avoir fait pendre, sous un infme prtexte, deux fils illgitimes de Sal, qui n'taient pas et ne pouvaient pas tre des comptiteurs; et, puisqu'il avait repris Mical depuis plusieurs annes, Mical de qui il avait plutt se faire pardonner ses nombreux adultres, David agissait avec une cruaut ignoble en livrant aux Gabaonites, pour tre supplicis, les enfants que son pouse avait eus d'un autre, l'poque o il l'abandonna pour Abigal et Achinoam. A l'infamie se joint l'absurdit: en effet, il livre ces sept innocents un tout petit peuple qui ne devait nullement tre craindre, puisqu'alors David est suppos vainqueur de tous ses ennemis. Il y a dans cette action, disent les critiques (lord Bolingbroke, Huet, Frret, Voltaire), non seulement une barbarie qui ferait horreur aux sauvages, mais une lchet dont le plus vil de tous les hommes ne serait pas capable. A cette lchet et cette cruaut, David ajoute encore le parjure; car il avait jur Sal de ne jamais ter la vie qui que ce fut de sa descendance. Si, pour excuser ce parjure, les thologiens viennent nous dire qu'il ne pendit pas lui-mme les fils de Ritspa et de Mical, mais qu'il les donna aux Gabaonites pour les pendre, cette excuse est aussi lche que la conduite de David mme et augmente encore sa sclratesse. De quelque ct qu'on se tourne, on ne trouve, dans toute cette sainte histoire de l'oint chri de Dieu, que l'assemblage de tous les crimes, de toutes les perfidies, de toutes les infamies, au milieu de toutes les contradictions. Le chapitre 21 se termine par la narration de la dfaite de quatre gants philistins, dont l'un tait un homme non seulement extraordinaire par sa taille, mais aussi parce qu'il avait vingt- quatre doigts, six doigts chaque main et chaque pied. (v. 20) Le chapitre 22 contient un cantique de David. Autre cantique dans le chapitre suivant; celui-ci nous cite quelques vaillants traits de divers compagnons du roi. Bnaja, fils de Joada, trs courageux homme de Kabsal, se signala par de grands exploits. Il tua deux des plus puissants guerriers de Moab. Il tua aussi un gyptien, qui tait un fort bel homme et qui avait une formidable hallebarde; Benaja vint contre lui avec un bton, dont il lui donna un coup sur la main; ainsi le gant gyptien lcha sa hallebarde, que le capitaine de David prit trs 173
adroitement et avec laquelle il le transpera. Un autre jour, par un temps de neige, Bnaja vit un lion norme qui se roulait dans la neige, et Bnaja n'eut aucune crainte; le lion, dans sa boule de neige, tomba au fond d'une fosse; alors, Bnaja descendit dans la fosse et tua le lion. Voil ce que fit Bnaja, capitaine de David, et il fut illustre parmi les plus vaillants. (23:20- 22) Il est regrettable que l'auteur sacr ait nglig de dire en quelle contre se passa cette aventure, vritablement cocasse, du lion s'emptrant dans une boule de neige; la neige est si rare aux pays o vivent les lions, que Bnaja eut raison de ne pas perdre de temps pour occire le fauve; sans cela, il et couru le risque de voir cette neige providentielle bientt fondue! Dsirant savoir le nombre de ses sujets, David, inspir par Dieu, se dit un jour: Faisons le dnombrement d'Isral et Juda. Cette opration, aussi longue que peu folichonne, ne fut termine qu'au bout de neuf mois et vingt jours (24:8). Joab donna le recensement du peuple au roi, et il se trouva que les tribus d'Isral comptaient dans leur sein huit cent mille hommes robustes tirant l'pe, et que Juda comptait cinq cent mille combattants. (v. 9) Le dnombrement n'tait pas plus tt termin que David comprit qu'en y faisant procder il avait commis un grand pch. La Bible ne dit pas en quoi le fait de cette statistique tait un acte de nature provoquer le courroux de Jhovah; mais elle nous montre nanmoins papa Bon Dieu trs irrit. Jhovah envoya donc vers le roi le prophte Gad, qui tait le devin, le voyant de David. Gad dit au roi de la part de l'ternel: J'apporte trois choses contre toi; choisis l'une des trois, afin que je te la fasse. Que veux-tu qu'il t'arrive? ou sept ans de famine sur ton pays? ou que tu fuies pendant trois mois entiers devant tes ennemis victorieux? ou trois jours de peste dans ton royaume? Rflchis bien, et vois ce que tu veux que je rponde Dieu qui m'a envoy. (24:11-13) Cette premire partie ncessite quelques observations importantes. D'abord, le texte mme dit expressment (v. 1) que c'est Dieu qui, ayant sa colre allume contre Isral, incita David faire ce dnombrement ; or, Dieu s'irrite ensuite davantage et arrte qu'il y a lieu de dchaner un flau, pour punir ce qu'il a fait faire. Voil donc Dieu reprsent, une fois de plus, par l'Ecriture Sainte, comme ennemi du genre humain et prenant plaisir faire tomber les hommes dans ses piges. Secondement, le Seigneur a lui-mme ordonn trois dnombrements dans le Pentateuque. Troisimement, rien n'est plus utile et plus sage, comme rien n'est plus difficile, que de faire le recensement exact d'une nation; et non seulement cette opration de David est prudente, mais elle est sainte, puisqu'en cela il obit l'inspiration de Dieu. Quatrimement, tous les critiques crient l'exagration, l'imposture, au ridicule, d'admettre David un million trois cent mille soldats dans un si petit pays: ce qui ferait, en comptant seulement pour soldats le cinquime du peuple, six millions cinq cent mille habitants, sans compter les Cananens et les Philistins, qui venaient tout rcemment de livrer quatre batailles David, et qui taient rpandus dans toute la Palestine. Cinquimement, le livre des Chroniques, qui fait aussi canoniquement partie de la Bible, et qui contredit trs souvent les autres ouvrages de mme inspiration divine, compte quinze cent soixante-et-dix mille soldats; ce qui monterait un nombre bien plus prodigieux encore et bien plus incroyable. Siximement, les critiques pensent qu'il y a une affectation purile, grotesque, indigne de la majest de Dieu, d'e nvoyer le prophte Gad au prophte David pour lui donner choisir l'un des trois flaux pendant sept ans, ou pendant trois mois, ou pendant trois jours; ils trouvent dans cette cruaut cleste une drision, et je ne sais quel caractre de conte oriental qui ne devrait pas tre dans un livre o l'on fait agir et parler Dieu chaque page. Voyons maintenant quel fut le choix du roi. David rpondit Gad: Je suis dans une grande perplexit; mais il vaut mieux tomber, par la peste, entre les mains de Dieu, qui est misricordieux, qu'entre les mains des hommes. Aussitt Dieu envoya la peste en Isral; et en trois jours, depuis Dan jusqu' Deer-Scbah, il mourut soixante-et-dix mille mles. Or, comme l'ange de la mort tendait encore sa main sur Jrusalem pour ravager cette ville, le Seigneur se repentit d'avoir envoy le flau, et il dit l'ange qui dtruisait le peuple: Allons, 174
c'est assez maintenant, retire ta main. L'ange du Seigneur tait alors au-dessus de la grange d'Arauna, jbusien Mais David, de son ct, voyant que l'ange frappait toujours, implora l'ternel en ces termes: C'est moi qui ai pch, Seigneur; quant ces brebis, qu'ont-elles fait? Je te prie donc d'appesantir ta main sur moi et sur la famille de mon pre. Alors Gad vint David et lui dit: Va-t'en vile dans la grange d'Arauna, et dresses-y un autel l' ternel. (24:14-18) David obit; Arauna fournit tout ce qu'il fallait pour un sacrifice. lit le roi btit l un autel, y offrit des holocaustes, et c'est ainsi que la colre de Jhovah fut apaise et que la peste cessa de dtruire Isral. (v. 25) Passons aux remarques des commentateurs sceptiques. Une peste qui extermine en trois jours soixante et dix mille mles (viros, dans la Vulgate) doit avoir tu aussi soixante et dix mille femelles. Il parat affreux aux critiques que Dieu tue cent quarante mille personnes de son peuple chri, auquel il se communique tous les jours, avec lequel il vit familirement; et cela parce que David a obi Dieu mme et a fait la chose du monde la plus sage. En outre, Frret, entre autres, pense que l'auteur sacr imite visiblement Homre, quand le Seigneur arrte la main de l'ange exterminateur: selon lui, il est trs probable que l'auteur, qu'il croit tre Esdras, avait entendu parler de l'illustre pote grec; en effet, Homre, dans son premier chant de l'Iliade, peint Apollon descendant des sommets de l'Olympe, arm de son carquois, et lanant ses flches sur les Grecs, contre lesquels il tait irrit. C'est sur cet pisode de la peste que finit le II e livre de Samuel. L'Ancien Testament continue avec le livre des Rois Dans le texte original hbreu, il n'y a qu'un seul livre ainsi nomm; mais ce livre a t divis en deux par la version grecque des Septante et par la traduction latine de la Vulgate, et cette division, quoique arbitraire, est communment adopte par les ditions modernes de la Bible. Il y a mme des ditions qui donnent quatre livres des Rois, en comprenant sous ce titre les deux livres de Samuel, du texte hbreu. Pour la commodit des recherches, nous adopterons la division grecque et latine. Le rcit du livre (ou des deux livrs) des Rois commence aux derniers jours de David et s'tend jusqu'au milieu de la captivit de Babylone. La tradition talmudique attribue la rdaction de cet ouvrage au prophte Jrmie; et cette opinion, admise par la plupart des rabbins et des anciens thologiens chrtiens, a t dfendue en dernier lieu par Hvernick. D'autres exgtes, notamment Bleck, veulent que ce soit Baruch, disciple de Jrmie, qui ait crit ce livre. Nous ne nous attarderons pas examiner qui a raison dans ce dbat. Pour les juifs, comme pour les chrtiens, c'est toujours Dieu qui a dict les narrations; c'est donc ce point de vue que nous continuerons de nous placer, glanant les perles divines et faisant ressortir tout ce qui tombe bon droit sous la critique de la saine raison. Or, le roi David avait vieilli, ayant beaucoup de jours et , quoiqu'il se couvrt d'un grand nombre d'habits, les uns sur les autres, il ne pouvait parvenir se rchauffer. Alors, ses officiers dirent entre eux: Allons chercher une jeune fille pour le seigneur notre roi, af in qu'elle se tienne ses pieds dans son lit et qu'elle le caresse; et mme notre roi pourra sans doute se rchauffer, si elle dort auprs de lui. On chercha donc dans toutes les contres d'Isral une fille qui ft bien belle, avec le sang trs chaud. C'est ainsi qu'on trouva Abisag, de Sunam, et on l'amena au roi. Cette jeune fille tait fort belle: elle coucha avec le roi, et elle le caressai t; nanmoins, David n'entra pas en elle. (1:1-4) Cette pucelle-dredon est une vraie trouvaille, qui fait honneur l'imagination du pigeon- canard. Le bndictin dom Calmet, qui coupe dans toutes les plus mirifiques fumisteries de la Bible, observe gravement qu'une jeune tille fort belle est trs propre ranimer un homme de soixante et dix ans; c'tait alors l'ge de David. A l'appui du rcit sacr, le docte religieux raconte qu'un mdecin juif conseilla l'empereur Frdric Barberousse de coucher avec de jeunes garons et de les mettre sur sa poitrine. Mais, comme on ne peut pas toute la nuit tenir 175
sur sa poitrine un jeune garon, dom Calmet ajoute qu'on a employ des petits chiens au mme usage. En ce qui concerne l'opinion mise par le narrateur biblique, savoir que David se borna se rchauffer contre la jeune Sunamite Abisag, on peut supposer que Salomon ne partageait gure cet avis; en effet, nous verrons plus loin qu'il tit assassiner son frre an Adonias, coupable d'avoir demand Abisag en mariage, comme s'il avait voulu pouser la veuve ou la concubine de son pre. Adonias avait pour mre Aggith, pouse par David antrieurement Bethsabe, dont il eut Salomon. Depuis la mort d'Absalon-le-Chevelu, Adonias tait le plus g des enfants royaux, et il considrait que la couronne lui revenait de plein droit; mais il y avait, d'autre part, une intrigue de cour pour faire rgner Salomon. Sans attendre la mort, de leur pre, les deux princes ne se gnaient pas pour convoiter publiquement le trne. Adonias disait: Ce sera moi qui rgnerai. Il avait dans son parti Joab, gnral en chef des armes, et Abiathar, le grand-prtre. Mais un autre sacrificateur, Sadoc, ainsi que Bnaja, et le prophte Nathan, et Smi, et d'autres vaillants hommes n'taient pas pour Adonias. Ce prince donna un grand festin tous ses frres et aux principaux de Jud a; cependant, il n'invita ni son frre Salomon, ni le prophte Nathan, ni Bnaja, Alors, Nathan dit Bethsabe, mre de Salomon: N'as-tu pas entendu dire qu'Adonias s'est dj fait roi, sans que notre seigneur David le sache? Va donc te prsenter au roi, et demande-lui pourquoi Adonias s'est fait proclamer, et dis-lui qu'il t'a promis que ton fils serait celui qui lui succderait. Et moi, je surviendrai pendant que tu parleras au roi, et je lui confirmerai tout ce que tu auras dit. (1:5- 14) tant donn que l'crivain sacr ne dit pas qu'Adonias se ft proclam roi, mais qu'il esprait seulement que la couronne lui reviendrait et qu'il avait ses partisans, tout comme Salomon avait les siens, voil donc tabli par la Bible mme que le prophte Nathan tait un fieff menteur, un vil intrigant; il organise avec Bethsabe, l'impudique veuve de l'assassin Urie, une brigue pour ravir la couronne l'an, et il emploie, lui, le saint homme, la calomnie pour russir. L'ordre de succession n'tait peut-tre pas encore bien fix chez les Juifs; mais il tait naturel qu'Adonias, en sa qualit d'an, succdt son pre, d'autant plus qu'il n'tait point n d'une femme adultre, comme Salomon. Son droit tait reconnu par les deux principales ttes du royaume, le gnralissime et le grand-prtre. C'est donc la faveur d'une cabale, ayant recours des mensonges, que Salomon fut dsign par le vieux roi. David crut la dnonciation calomnieuse de Bethsabe et de Nathan. Et le roi David dit: Faites-moi venir le sacrificateur Sadoc et le capitaine Bnaja; que le prophte Nathan se joigne eux; prenez avec vous les officiers de ma garde; mettez mon fils Salomon sur ma mule, et conduisez-le Guihon. L, Sadoc et Nathan l'oindront roi sur Isral; puis, vous sonnerez de la trompette, et vous crierez tous: Vive le roi Salomon! (1:32-34) Enfin, l'heure de la mort de David tait proche. Voici ce que ce roi, avant d'expirer, dit, entre autres choses, ce fils de l'adultre Bethsabe qu'il avait solennellement fait oindre de son vivant: Tu sais ce qu'a fait autrefois Joab, qui mit du sang autour de ses reins et dans les souliers qu'il avait aux pieds. Tu ne permettras pas que ses cheveux blancs descendent en paix au tombeau; je compte sur ta sagesse. (2:5-6) Mais voici encore: Tu as, parmi tes partisans, Sm, de Bahurim, qui pronona contre moi des maldictions atroces et me lana des pierres, le jour o je m'enfuyais Mahanajim, mais, quand je suis revenu du Jourdain, il implora mon pardon, et, devant tout le peuple, je lui ai jur par l'ternel que je ne le ferai point prir par le glaive. Mais, maintenant, toi, tu ne le laisseras pas impuni, et tu es sage, pour savoir ce que tu devras lui faire; tu feras donc descendre, par une mort sanglante, ses cheveux blancs dans le spulcre. (2:8-9) 176
Ainsi David s'endormit avec ses pres, et il fut enseveli dans la cit de David. Et le temps qu'il rgna sur Isral fut quarante ans: sept ans Hbron, et trente-trois ans Jrusalem. (v. 10-11) David meurt comme il a vcu, dit Huet. Il a l'horrible ingratitude, cet homme selon le cur de Dieu, d'ordonner qu'on assassine son gnral en chef, Joab, le plus fidle de ses capitaines, celui qui il devait sa couronne. Sur son lit de mort, il se parjure, avec un cynisme rpugnant, ml d'hypocrisie, vis--vis de Smi, qu'il a affect de pardonner pour se faire un renom de gnrosit, et qui il a jur de ne jamais attenter sa vie. En deux mots, il est assassin et perfide jusque sur les bords de la tombe. Quant au bndictin Dom Calmet, il ne manque pas de justifier David, et il le fait en ces termes, qui mritent d'tre encadrs: David avait reu de grands services de Joab, et l'impunit qu'il lui avait accorde pendant si longtemps tait une espce de rcompense de son inbranlable dvouement; mais cette considration ne dispensait pas David de l'obligation de punir le crime, et d'exercer la justice contre Joab. Il est vident que Joab avait commis, notamment, un grand crime, quand il excuta l'ordre de David de placer Urie au poste le plus dangereux d'un combat et de l'y abandonner. L'Eglise absout David, mais n'absout pas Joab!... D'autre part, ajoute le R. P. Calmet, les raisons de reconnaissance ne subsistaient pas, en ce qui concerne Salomon: et ce prince avait un motif particulier de faire mourir Joab, puisque celui-ci, pour l'exclure, avait conspir de donner le royaume Adonias. Conclusion: David est un saint, et Salomon est un sage. Amen! Il est donc admirable que l'glise chrtienne ait tenu faire descendre Jsus-Christ de David et de Salomon. Nous avons vu dj quelques tranges personnages dans la gnalogie du Messie, mais ces deux rois ne sont-ils pas plus tranges que tous les autres ascendants? Si encore l'glise plaidait des circonstances attnuantes!... Mais pas du tou t: elle passe l'ponge sur tout les cr imes de David et en fait le plus honorable des anctres. Il est le modle des rois, et, comme tel, il reoit les unanimes louanges des thologiens. Il est proclam saint parmi les plus saints. Les papes font chanter ses ineptes rapsodies dans les crmonies du culte. Bien mieux, l'Eglise, elle l'a dclar souvent dans ses conciles, voit en David l'image humaine de Jsus, c'est--dire de Dieu le Fils, de la seconde personne de la divine Trinit! 13 CHAPITRE
GLORIEUX RGNE DE S. M. SALOMON
Salomon prit donc possession du trne de David son pre, et aussitt il affermit son pouvoir. (1 Rois 2:12) On pense bien, vu les murs bibliques, que le nouveau roi n'allait pas tarder se dbarrasser d'Adonias et des deux principaux chefs d'Isral, qui auraient voulu voir la couronne choir au fils d'Aggith. Adonias ne pensait plus la royaut, il en avait fait son deuil: tout ce qu'il souhaitait de l'hritage de David, c'tait la jeune pucelle qui avait servi d'dredon au vieux roi; car il tait amoureux d'Abisag. Pour tout ddommagement du royaume qu'il avait perdu, lui l'ain, par la brigue et les cabales de Bethsabe et de Nathan, il demandait la jolie servante qui avait rchauff son pre dans ses derniers jours. Cet amour, qui ne tirait pas consquence, servit de prtexte Salomon pour faire assassiner Adonias, malgr que Ce dernier se montrait bien humble et s'inclinait devant le fait accompli. Adonias, qui sans doute passait ses nuits rver d'Abisag, s'attendait si peu tre occis, fut si simple et si naf, que c'est Bethsabe elle- mme qu'il s'adressa pour obtenir cette fille. 177
Alors, Adonias, fils d'Aggith, vint vers Bethsabe, mre de Salomon. Et el le lui dit: Viens- tu dans de bonnes intentions? Il rpondit: Je viens dans de bonnes intentions. Et il ajouta: J'ai un mot te dire. Elle lui dit: Parle. Adonias s'exprima ainsi: Tu sais bien que la couronne me revenait, comme l'an, et que tout Isral s'attendait me voir rgner; mais la couronne a t transporte sur la tte de mon frre. Qu'il soit donc le roi, puisqu'il a t oint et que l'ternel l'a tabli. Je ne te demande qu'une grce: je te prie d'aller voir le roi ton fils, qui ne te refusera rien, et de demander Salomon qu'il me donne Abisag la Sunamite; car je dsire en faire ma femme. Bethsabe lui rpondit: J'y consens volontiers; je parlerai pour toi au roi. Ainsi Bethsabe se rendit auprs de Salomon, qui se leva ds qu'elle entra, se prosterna devant elle, puis la fit asseoir sa droite. Et Bethsabe dit au roi: J'ai te faire une petite demande; ne me la refuse point. Salomon lui rpondit: Fais ta demande, ma mre, et sois certaine que tu n 'auras pas de refus de moi. Alors, Bethsabe dit: Mon dsir est que tu donnes Abisag pour femme ton frre Adonias. En entendant ces mots, Salomon s'cria: Pourquoi me demandes- tu la Sunamite pour Adonias? Demande-moi aussi le royaume pour lui, en me faisant valoir qu'il est mon frre an! demande le pouvoir pour lui, pour le grand-prtre Abiathar et pour Joab! Eh bien, j'en jure par l'ternel; que Dieu me traite avec toute sa rigueur, si Adonias, en te chargeant de me porter ces paroles, n'a pas parl contre sa propre vie! Aussi vrai que Jhovah est le Dieu vivant, Adonias sera mis mort aujourd'hui mme. Et, le roi Salomon ayant charg Bnaja de tuer Adonias, le capitaine Bnaja s'acquitta aussitt de sa mission, et Adonias fut tu. (2:13-25) Ce fut ensuite le tour d'Abiathar; mais celui-ci ne fut pas assassin. Salomon, qui savait combien le peuple tait superstitieux, ne voulut pas verser le sang d'un grand-prtre; il lui et t difficile de dire que c'tait Dieu qui lui avait inspir ce meurtre. Puis, le roi dit au grand- prtre Abiathar: Retire-toi dans ta proprit Anathoth, o je t'exile, quoique tu mrites la mort; mais, parce que tu as port l'arche de Dieu devant David mon pre, je ne te ferai pas mourir aujourd'hui. Ainsi, Salomon chassa Abiathar, afin qu'il ne ft plus sacrificateur de l'Eternel. (v. 26-27) Pour Joab, pas de piti. Ces nouvelles tant parvenues Joab, il se rfugia dans le tabernacle de Jhovah; et il se tenait l, embrassant dans ses bras les colonnes de l'autel. Cela fut rapport au roi, et Salomon envoya Bnaja, en lui disant: Va, et tue Joab. Bnaja entra donc au tabernacle et dit Joab: Sors d'ici, je viens te tuer. Je mourrai ici, alors, rpondit Joab; car je ne sortirai pas de l'asile de Dieu. Bnaja, embarrass, retourna vers Salomon et lui rendit compte du refus de Joab de sortir du tabernacle. Et le roi dit Bnaja: Fais comme je t'ai ordonn; tue-le et enterre-le ensuite; et de cette faon je ne serai pas responsable, ni moi, ni ma famille, du sang innocent que Joab a rpandu. Le sang des gens qu'il a tus retombera ainsi sur sa tte et sur sa postrit, et le Seigneur donnera une paix ternelle David, sa semence, sa maison et son trne. Bnaja, donc, se jeta sur Joab dans le tabernacle et le tua; aprs quoi, il l'ensevelit au dsert. (2:28-34) Si l'on peut ajouter, observe Voltaire, un crime nouveau aux sclratesses par lesquelles Salomon commence son rgne, il y ajoute un sacrilge. S'il est quelque chose d'trange aprs tant d'horreurs, c'est que Dieu, qui a fait prir cinqua nte mille soixante-dix hommes pour avoir regard dans son arche, ne venge point ce coffre sacr, sur lequel on a gorg le plus grand capitaine des Juifs, qui David devait sa couronne. Continuons. Alors le roi tablit Bnaja la tte de l'arme, en remplacement de Joab, et il constitua grand-prtre le sacrificateur Sadoc, en remplacement d'Abiathar. (2:35) Le roi envoya aussi vers Smi et lui fit dire: Btis-toi une maison Jrusalem, et demeures-y, sans jamais sortir de la ville; si tu en sors, si tu passes le torrent du Cdron, je te ferai tuer sans rmission. Smi rpondit: Cet ordre est trs juste. Ainsi il demeura Jrusalem. Mais il arriva, au bout de trois ans, que deux domestiques de Smi s'enfuirent chez le roi de Gath. Smi sangla aussitt son ne et partit pour Gath, afin de rcuprer son 178
bien; et il ramena ensuite Jrusalem ces serviteurs infidles (2:36-40)... Et Salomon, ayant su la chose, commanda Bnaja d'aller tuer Smi; ainsi Smi mourut. Et le royaume fut affermi entre les mains de Salomon. (v. 46) Le livre des Rois nous apprend ensuite que Salomon s'allia avec le roi d'Egypte et que celui- cilui donna sa fille en mariage. Naturellement, la Bible tait le nom du monarque gyptien, ou, pour mieux dire, elle le dsigne, comme toujours, sous le nom de Pharaon, qui n'est pas un nom, mais le titre gnral des rois d'gypte. Les noces eurent lieu Jrusalem. En ce temps-l, Salomon se btissait un palais, commenait l'dification du temple, et entourait de murailles sa capitale. En attendant que le temple ft achev, le roi allait faire ses dvotions Gabaon, o se trouvait le sanctuaire le plus important du royaume. C'est l que Jhovah lui accorda la sagesse, dans un songe. L'pisode est assez curieux. L'ternel apparut Salomon, Gabaon, en songe de nuit; et Dieu lui dit: Demande -moi ce que tu veux que je te donne. Et Salomon, qui dormait, rpondit: Tu as eu une grande bienveillance pour ton serviteur David mon pre, parce qu'il marchait dans les voies de la vrit, de la justice, et qu'il avait un cur plein de droiture; c'est pourquoi tu lui as donn un fils qui est assis sur son trne aujourd'hui. Et maintenant, ternel, mon Dieu, maintenant que tu m'as fait succder David, je ne suis qu'un petit garon, incapable de discerner comment il faut se conduire; et je suis la tte d'un grand peuple, si nombreux par sa multitude, qu'il ne peut se compter. Donne-moi donc un cur intelligent pour juger ton peuple et pour discerner ce qui est bien et ce qui est mal. Or, l'ternel fut agrablement touch de ce que Salomon lui avait rpondu dans son sommeil, et il lui dit encore: Parce que tu viens de me parler ainsi, et que tu ne m'as demand ni une longue vie, ni des richesses, ni de tuer tes ennemis, mais que tu m'as demand de l'intelligence et de l'quit, eh bien, je t'accorde selon tes paroles: je te donne un cur sage et intelligent, de sorte que jamais homme, ni avant toi ni aprs toi, n'aura t et ne sera semblable toi; en outre, je te donne ce que tu ne m'as pas demand, les richesses et la gloire, et nul roi ne t'galera en gloire et en richesses; au surplus, si tu marches dans mes voies, en observant mes commandements, comme David ton pre y a march, je prolongerai ta vie trs longtemps. Alors, Salomon se rveilla, et voil trs vridiquement quel avait t son songe. (3:5-15) Le texte officiel, que l'Eglise dclare authentique, ne laisse aucun doute: il s'agit bien d'un rve. Dieu, qui n'attendait pas qu'Abraham, Jacob et autres fussent endormis pour leur apparatre, ne se manifeste Salomon que dans un songe. Soit. Alors, comment l'a-t-on su? C'est donc Salomon qui a racont son rve quelque autre juif? De l'un l'autre, ce rcit d'un rve est arriv jusqu' l'auteur du livre des Rois, lequel vivait au temps de la captivit de Babylone?... Bizarre, n'est-ce pas? Les thologiens nous diront, c'est une de leurs thses favorites, que l'apparition de Dieu dans un rve n'en est pas moins une manifestation divine; l'Eglise admet des songes divins et des songes diaboliques; le rve d'un homme peut tre, affirment les prtres, le rsultat d'une action surnaturelle, dans certains cas, et nullement l'effet du hasard. Eh bien, acceptons pour un instant cette thse. Dieu s'est rellement manifest Salomon; mais cela n'empche pas que Salomon tait endormi et, par consquent, inconscient de tout ce qu'il pouvait dire ou faire dans son rve. Si le pape lui-mme rvait, une nuit, qu'il est palladiste et qu'il transperce des hosties grands coups de poignard, aucun de ses cardinaux ne songerait lui en faire un crime. Si Salomon, dans son rve, avait choisi la gloire et les richesses, cela n'et pas tir le moins du monde consquence; rien n'est plus vident. On comprendrait que Dieu, aprs lui avoir pos des questions, lui et laiss le temps de se rveiller, et qu'alors Salomon, impressionn par le songe et y voyant une manuvre de stratgie cleste, et dlibr, en consultant sa conscience, ce qu'il avait rpondre; sa rponse d'homme veill, choisissant la sagesse et ddaignant le reste, aurait eu du mrite. Puisqu'il rvait, sa rponse ne compte donc pas; et pourtant l'impayable Jhovah en a t charm. Voil ce qui est plus bizarre que tout! 179
Ainsi dot de la sagesse, demande et reue dans un songe, Salomon n'allait pas tarder tonner les Isralites par une justice admirable, guide par la plus merveilleuse intelligence. Chacun connat son jugement des deux mres; le seul fait, d'ailleurs, que la Bible cite comme preuve de cette extraordinaire sagesse. Deux femmes ont accouch, trois jours de distance, dans la mme chambre d'une htellerie; l'un des enfants est mort; l'une des mres accuse l'autre de lui avoir, pendant la nuit, pris son fils, qui est vivant, et de l'avoir remplac auprs d'elle par le cadavre de son propre enfant, touff par mgarde. Ce cas embarrassant est soumis au roi, lors de son retour Jrusalem. La mre, accuse de substitution, se dfend en criant au mensonge, et jure que l'enfant vivant, apport par elle au tribunal, est bien le sien; l'autre jure, avec la mme ardeur, qu'elle a dit la vrit et rclame l'enfant. Alors, Salomon fait apporter une pe et ordonne qu'on partage l'enfant en deux et qu'on en donne une moiti chacune des deux mres. Cri de compassion de la vraie mre, qui, ne voulant pas voir tuer son bb, rclame maintenant qu'on le laisse celle qui le lui a pris; celle-ci, au contraire, se trahit par ces mots: Le roi a bien jug; l'enfant ne sera ni toi, ni moi, qu'on le partage! Or, l'ordre de Salomon n'tait, dans son esprit, qu'une pre uve. Il prononce donc le jugement dfinitif, rendant l'enfant vivant sa vraie mre (3:16-28). Tous les fidles s'extasient, quand, au cours d'un sermon, le prdicateur cite cette anecdote. Sans avoir besoin de recourir la terrible preuve du partage de l'enfant en deux, Salomon n'aurait eu qu' faire appel la premire sagefemme venue, qui aurait, sans la moindre difficult, dsign quel tait l'enfant n la veille et quel tait celui dont la naissance remontait dj quatre jours. Mais ne chicanons pas, et saluons la sagesse du fils de David. Nous dirons seulement que les anecdotes de ce genre se remuent la pelle, et qu'il y a toujours eu, dans tous les temps et dans tous les pays, des magistrats, perspicaces sous une apparence de bonhomie, et mme de simples juges de village, qui auraient rendu des points Salomon. Bornons-nous citer deux traits, pour le moins aussi plaisants que celui du partage de l'enfant en deux; les juges, dont il s'agit, n'avaient pas, cependant, reu de Jhovah le don de sagesse dans un songe! Un homme tait mont au plus haut du clocher d'une glise pour y raccommoder quelque chose. Il eut le malheur de tomber en bas; mais, en mme temps, il fut assez heureux pour ne se faire aucun mal. Par contre, sa chute fut funeste un homme qu'il crasa en tombant. Les parents de l'cras, tu sur le coup, citrent devant le bailli l'ho mme qui tait tombe du clocher; ils l'accusaient de meurtre et prtendaient le faire condamner, sinon mort, du moins de formidables dommages-intrts. L'a ffaire fut plaide; il fallait accorder quelque satisfaction aux parents du mort. D'autre part, le bailli ne croyait pas devoir, en conscience, punir de quelque faon que ce ft un homicide non seulement involontaire, mais qui encore avait t uniquement le rsultat inattendu d'un accident des plus fcheux. Notre bailli, raconte- t-on, ordonna celui des parents du dfunt qui tait le plus pre dans cette poursuite, qui criait le plus fort vengeance, de grimper son tour au haut du clocher et de se laisser tomber de l sur l'assign, homicide involontaire, lequel serait oblig de se trouver prcisment la mme place o le dfunt avait perdu la vie. Inutile de dire que le plaideur hargneux se dsista, sance tenante, de son absurde poursuite. Le second trait reproduire ici par curiosit est d'un magistrat paen. Un jeune Grec, pris d'amour pour la courtisane Thognide, s'tait propos de lui offrir une forte somme, afin de l'avoir pour matresse. Or, tandis qu'il s'occupait de runir l'argent de son offrande, il rva une nuit qu'il possdait Thognide et jouissait de ses charmes; mais, son rveil, il se trouva ridicule d'avoir failli s'endetter pour la belle, et le rsultat de ses rflexions fut le refroidissement complet de sa passion. Comme il raconta ses amis son projet, son songe et sa renonciation devenir l'amant de Thognide, la courtisane, vexe de ce qu'il refusait de donner suite sa promesse, le fit appeler devant le juge, en demandant tre paye: elle avait 180
droit, disait-elle, la somme que le jeune hom me s'tait propos de lui offrir, puisqu'elle avait tout la fois guri sa passion et satisfait son dsir. Le juge, sans tre Salomon, rendit un arrt devant la sagesse duquel nos tonsurs ne peuvent que s'incliner: il ordonna, ce paen que Jhovah n'clairait pourtant pas de ses lumires, il ordonna... que le jeune Grec apporterait dans une bourse la somme promise, qu'il la jetterait dans un bassin, et que la courtisane se paierait du son et de la couleur des pices d'or, de mme que son ex-amoureux avait joui d'un plaisir imaginaire. Parions que, si l'Esprit-Saint, qui aime les historiettes croustillantes, avait pens celle-l, il l'aurait fait figurer dans la Bible, en la mettant l'actif de la sagesse de Salomon! Aprs l'anecdote du jugement des deux mres, le livre des Bois passe l'numration des principaux officiers de Salomon; le lecteur ne nous en voudra pas de lui faire grce de cette fastidieuse nomenclature: par contre, il y a quelques jolies choses dans l'expos, qui vient ensuite, de la gloire et des richesses du fils de David. Juda et Isral taient comme le sable qui est au bord de la mer, tant ils taient en grand nombre; et ils taient heureux, mangeant et buvant avec abondance, et ils se rjouissaient. En ce temps-l, Salomon avait sous sa domination tous les royaumes depuis l'Euphrate jusqu'aux Philistins et jusqu' la frontire d'gypte, et les rois de ces pays lui apportaient des tributs, car ils lui furent assujettis tout le temps de sa vie. (4:20-21) Ici la blague de l'Esprit-Saint est un peu trop forte, attendu que nous n'en sommes plus aux poques extrmement lointaines sur lesquelles les historiens n'ont aucune donne: or, qui jamais a entendu dire que des Juifs aient rgn de l'Euphrate la Mditerrane? Il est vrai que le brigandage leur valut un petit pays au milieu des rochers et des cavernes de la Palestine, depuis le dsert de Ber-Scbah jusqu' Dan; mais il n'est tabli nulle part que Salomon ait conquis par la guerre, ou acquis d'une manire quelconque, seulement une lieue de terrain. C'est, au contraire, le roi d'Egypte qui possdait de grands domaines en Palestine; plusieurs cantons cananens n'obissaient pas Salomon: o est donc cette prtendue puissance? Et il y avait pour la table de Salomon, chaque jour, trente muids de fleur de farine et soixante muids de farine commune, dix gros bufs engraisss et vingt bufs amens des pturages, cent moutons, et grande quantit de cerfs, de chevreuils, de buffles et de volaille de toute espce. (v. 22-23) Mazette! quel Gargantua!... Les officiers que Salomon daignait inviter sa table ne risquaient pas de mourir de faim avec un pareil menu!... Quelques thologiens, embarrasss par ces exagrations manifestes (quatre-vingt-dix muids de farine et trente bufs par jour, sans compter le reste!), ont insinu que Salomon, imitant les rois de Babylone, nourrissait ses officiers, et que cela est sous-entendu dans le texte sacr. Le malheur est qu'un roi juif tait auprs d'un roi de Babylone quelque chose comme le roi d'Yvetot vis--vis du roi de France. Salomon avait aussi quarante mille curies pour les chevaux de ses chars, et douze mille chevaux de selle. (v. 26) Ces quarante mille curies valent mieux encore que les quatre- vingt-dix muids de farine! Il est vrai que dom Calmet dit qu'il faut traduire juments, et non curies. Ne le contrarions pas pour si peu: va pour les quarante mille juments de Salomon!... Et la sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les Orientaux et de tous les gyptiens; il tait plus sage que tous les hommes, plus sage mme qu'Ethan l'Ezrahite, et que Hman, et que Chalcol, et que Dordah. En outre, il est bon de savoir qu'il composa trois mille paraboles et mille et cinq cantiques. (v. 30-32) Bien entendu, jamais personne n'a pu dire qui taient cet Ethan, ce Hman, ce Chalcol et ce Dordah, mis si inopinment en comparaison avec Salomon et cits par l'auteur sacr, avec un aplomb imperturbable, comme s'il s'agissait d'illustres personnages, rputs dans le inonde entier pour leur sagesse hors de pair. Cette manie de citer de clbres inconnus, qui se manifeste de temps en temps dans l'criture Sainte, est une des marques les plus caractristiques de cet esprit de fumisterie outrance qui parat, l'observateur impartial, tre le vritable inspirateur de la Bible. Quant aux trois mille 181
paraboles et aux mille et cinq cantiques, il en reste quelques-uns que l'on attribue ce Salomon. Plt Dieu, dit Voltaire, que ce roi et toujours fait des odes hbraques, au lieu d'assassiner son frre! Nous arrivons au fameux temple de Jrusalem, que Salomon mit sept ans btir (6:38); cette grande affaire tient quatre chapitres du premier livre des Rois. Nous allons passer rapidement en revue l'essentiel. Hiram, roi de Tyr, envoya ses serviteurs vers Salomon, appris qu'il avait t oint roi comme successeur de David son pre. Et Salomon envoya aussi vers Hiram pour lui dire: J'ai form le projet de btir une maison mon Dieu, Adona; c'est pourquoi, commande donc tes serviteurs qu'ils coupent pour moi des cdres du Liban; car tu sais que je n'ai pas un seul homme parmi mon peuple qui connaisse l'art de couper du bois comme les Sidoniens... Hiram donna donc Salomon du bois de cdre et du bois de sapin, autant qu'il en voulut; et Salomon donna Hiram, pour la nourriture de sa maison, vingt mille muids de froment par anne, et vingt mille muids d'huile trs pure chaque anne... Le roi Salomon choisit dans Isral trente mille ouvriers, qui allaient tour tour au Liban par dix mille ensemble, pendant que les autres se reposaient; et Adoniram tait la tte de ces ouvriers. Salomon avait aussi soixante-dix mille manoeuvres et portefaix, quatre-vingt mille tailleurs de pierre, et trois mille trois cents intendants des travaux... Et les maons de Salomon, avec ceux d'Hiram, taillrent et prparrent le bois et les pierres pour btir le temple. (ch. 5) Or, cette maison, que le roi Salomon btit Jhovah, avait soixante coudes de long, vingt de large et trente de haut (la coude juive quivalant 52 centimtres, comme la coude d'Egypte, le monument avait donc, d'aprs le texte biblique, 31 mtres en longueur, 10 et demi en largeur, et 15 et demi en hauteur)... Le roi fit faire au temple des fentres de ct, larges en dedans et troites par dehors; et il ft sur la muraille du temple des chafauds tout autour; l'chafaudage d'en bas avait cinq coudes de large, celui du milieu avait six coudes de large, et la largeur du troisime chafaudage, celui du haut, tait de sept coudes; et il plaa des poutres tout autour, afin qu'ils ne touchassent pas la muraille; enfin, on construisit, au- dessus de toute la maison, un tage suprieur, qui avait cinq coudes de hauteur... Il plaa aussi l'oracle au dedans du temple, vers le fond, pour y mettre le coffre de l'alliance de l'ternel; l'oracle avait vingt coudes de long, vingt de large, et vingt de haut... Il fit, dans l'oracle, deux chrubins en bois d'olivier, qui avaient chacun dix coudes de haut; une aile de chrubin avait cinq coudes de longueur, et l'autre aile avait aussi cinq coudes. (ch. 6) Salomon fit construire aussi son palais, dont l'dification dura treize ans... il avait fait venir de Tyr un nomm Hiram, fils d'une femme veuve, de la tribu de Nephthali, et dont le pre tait un Tyrien, qui travaillait en cuivre; cet homme tait fort expert, intelligent et savant pour faire toutes sortes d'ouvrages d'airain; il vint vers Salomon et lui fit tout son ouvrage... C'est lui qui dressa les colonnes d'airain, places au portique du temple, celle droite qu'on nomma Jakin et celle gauche qu'on nomma Bohaz... Il fit aussi un grand bassin de fonte, nomm la Mer d'Airain, qui avait dix coudes d'un bord l'autre et qui tait toute ronde; ce bassin tait pos sur le dos de douze bufs, qui avaient leur derrire tourn en dedans... Ainsi, tout l'ouvrage que Salomon (it pour la maison de Jhovah fut achev. (ch. 7) Quand le temple fut achev, les sacrificateurs portrent l'arche de l'alliance dans l'oracle de la maison, au lieu trs-saint, sous les ailes des chrubins; car les chrubins tendaient leurs ailes au-dessus de l'arche et de ses barres de support... Puis, le roi et tout Isral immolrent des victimes en nombre tellement grand qu'il ne se pouvait compter, pour clbrer la ddicace du temple Jhovah; et dans le sacrifice qu'il fit lui-mme au Seigneur, Salomon gorgea vingt-deux mille bufs gras et cent-vingt mille moutons. Ainsi le roi et tous les enfants d'Isral ddirent la maison de l'Eternel. (ch. 8) Tous les dtails donns dans ces quatre chapitres sont d'une exagration telle qu'on se demande, en les lisant, si ce n'est pas la Garonne, plutt que le Cdron, qui coulait en ce 182
temps-l Jrusalem. Cette divine description fond comme de la neige au soleil, ds qu'on procce au moindre examen. Cent quatre-vingt-trois mille trois cents hommes sont employs, sans compter les maons et autres ouvriers qui viendront, ensuite, aux seuls prparatifs d'un temple qui ne devait avoir que dix mtres et demi de faade, sur trente-un mtres et demi de longueur! Ces constructeurs qui se chiffrent par trente mille, par soixante-dix et par quatre-vingt mille, mettent sept annes btir un monument, haut de trois modestes tages seulement, qui occupe en tout trois cent vingt-cinq mtres de superficie! Ces chiffres font bondir quiconque a la plus lgre connaissance de l'architecture; il faut, en effet, cinquante ouvriers tout au plus, pour btir en quatre ou cinq mois une belle maison de cette dimension. Les innombrables ouvriers de Salomon taient donc de rudes fainants; ou bien, malgr ses immenses richesses, ce roi tait peut-tre d'une avarice sordide, et ces ouvriers, n'arrivant jamais pouvoir se faire payer, flnaient presque tout le temps, au lieu de travailler. Au surplus, les mesures que donne le livre des Rois ne s'accordent pas avec celles du livre des Chroniques, ni avec celles indiques par Ezchiel, et les unes et les autres sont en contradiction avec les mesures rapportes par Flavius Josphe; les diffrences entre ces divers auteurs juifs suffiraient, elles seules, pour inspirer la dfiance, si le texte officiel n'tait pas par lui-mme une burlesque fanfaronnade. Les auteurs ne s'accordent pas davantage sur la chronologie de ce temple fantastique. Le livre des Rois le dit bti quatre cent quatre-vingts ans aprs la fuite d'Egypte; Flavius Josphe, cinq cent quatre-vingt-douze ans; et, parmi les thologiens modernes, on trouve vingt opinions diffrentes. Cette question n'est d'aucune importance; mais, dans un livre 6acr, l'exactitude ne nuirait pas. En outre, il est difficile de ne pas se tenir les ctes, quand on voit la mention de ces tages chafauds l'intrieur de l'difice et avanant d'une coude l'un sur l'autre, l'tage infrieur tant d'un mtre moins large que l'tage suprieur; a, par exemple, c'est patant. Et les fentres de ct, qui taient larges en dedans et troites par dehors, voil encore qui n'est pas mal trouv comme architecture rigolotte! Avec cela, il serait difficile de prsumer que le surintendant des btiments de Salomon tait un Michel-Ange ou un Bramante. La fte de la ddicace du temple achve dignement le rcit de la construction et les aperus de ce merveilleux monument. Il n'aurait pas fallu faire souvent de pareils sacrifices; mtin! on aurait t bientt rduit la famine! Comptez pour chaque buf gras quatre cents livres de viande, voil huit millions huit cent mille livres de buf, plus douze cent mille livres de mouton, le tout grill en pure perte pour rgaler le divin odorat de Sabaoth! Et ces dix millions de livres de viande reprsentent l'holocauste de Salomon! la Bible dit expressment (8:5) que les enfants d'Isral, qui taient ensemble autour de leur roi, sacrifirent, eux, du gros et du menu btail en si grand nombre qu'on ne le pouvait ni nombrer ni compter (sic); les vingt-deux mille bufs et les cent vingt mille moutons, gorgs par le monarque, figurent part, au verset 63. Aprs tout a, papa Bon Dieu se serait montr difficile, s'il n'avait pas t content!... C'est pourquoi l'Eternel apparut Salomon pour la seconde fois, comme il lui tait apparu Gabaon (9:2); ceci laisserait croire que cette manifestation divine eut encore lieu en songe: mais, comme le fils de David s'en contentait et ne demandait pas une apparition plus palpable, nous aurions mauvaise grce y trouver redire. La rcompense consista donc en un petit discours que Jhovah tint au roi pendant qu'il dormait. Cette harangue peut se rsumer en ces simples mots: si toi et ton peuple vous continuez m'honorer, tout ira bien pour vous; mais, si d'autres dieux que moi reoivent tes hommages et ceux de tes sujets, a ne se passera pas comme a, alors gare! (Air dj trs connu) Or, Hiram, roi de Tyr, continua d'envoyer Salomon tout le bois de cdre et de sapin, et tout l'or dont il avait besoin. Alors, Salomon donna un jour Hiram vingt villes dans la 183
Galile. Hiram sortit de Tyr pour venir voir ces villes, et elles ne lui plurent point; et il dit Salomon: Mon frre, voil de pauvres villes que vous m'avez donnes l. (9:11-13) On ne sait gure o le fils de David put prendre ces vingt villes pour en faire cadeau son ami Hiram. Samarie n'existait pas, Jricho n'tait qu'une masure; Sichem, Bthel n'taient pas rebties; elles ne le furent que sous Jroboam. Le roi Salomon quipa aussi une flotte Hetsjon-Guber, qui est prs d'Eloth, sur le rivage de la Mer Rouge, au pays d'Idume; et Hiram mit de bons marins de sa flotte au service du roi d'Isral. Et la flotte de Salomon, tant alle Ophir, en rapporta quatre cent vingt talents d'or pour le trsor du roi. (9:26-28) Pour faire avaler aux fidles que Salomon fut possesseur d'une flotte, il tait ncessaire de dsigner au moins un port de mer faisant, partie de son royaume. L'auteur n'a pas os le placer sur les rives de la Mditerrane; car tous les ports de cette rgion appartenaient alors aux Phniciens et aux Philistins et taient trop connus (Gaza, Ascalon, Jopp, Dor, Tyr et Sidon); en imaginant le port d'Hetsjon-Guber, au fond du golfe d'Elath qui est l'est de la presqu'le du Sina, dans la Mer Rouge, le fumiste sacr ne risquait pas qu'on dcouvrt jamais que cette ville maritime faisait partie de quelque autre royaume: mais on est en droit de dire qu'Hetjson- Guber a, en gographie, exactement la mme valeur que les illustrissimes sages Ethan, Hman, Chalcol et Dardah (voir plus haut) ont dans l'histoire. Quant au rsultat de l'expdition de la flotte sa lomonesque Ophir, pays qui est, d'ailleurs, demeur introuvable, malgr les laborieuses recherches des historiens et gographes les mieux intentionns, il est d'un piteux effet aprs toutes les splendeurs qu'on vient de voir dcrites dans les chapitres prcdents. Avoir quip une flotte pour en recevoir au retour quatre cent vingt talents d'or, c'est maigre, mon prince! On sait que le talent d'argent quivalait en moyenne 5,000 francs de notre monnaie, et que, dans les systmes montaires de l'antiquit, l'or valait douze fois et demie l'argent. Ce que la flotte royale rapporta d'Ophir reprsente donc vingt-six millions d'aujourd'hui. Quelle misre pour un monsieur qui possdait quarante mille curies pour les chevaux de sa cour et qui se passait la pieuse fantaisie de brler cinq millions de kilogs de viande dans un seul sacrifice! Dduisez de ces vingt-six millions les frais de l'expdition, qui dura deux ans, s'il faut en croire les thologiens; le bnfice net se rduit peu de chose, et, franchement, ce n'tait pas la peine de citer comme remarquable ce fait du rgne de Salomon. Mon pauvre Esprit-Saint, entre nous, il y a des moments o tu baisses, o tu n'es plus la hauteur de certaines de tes blagues dont on savoure parfois la colossale audace. Pour rassurer nos lecteurs, disons vite que le divin pigeon s'est rattrap plus loin, au livre 2 des Chroniques, chapitre 9, importante partie de l'Ancien Testament, aussi sainte et aussi authentique que le reste. Nous apprenons, l, que tous les rois de la terre envoyaient de l'or Salomon par grandes quantits; la valeur de l'or que le roi d'Isral recevait chaque anne tait de six cent soixante-six talents d'or (v. 13). Le trne de Salomon tait d'ivoire, recouvert d'or pur, et ce trne avait six degrs d'or et un marchepied d'or; il y avait aussi douze lions d'or sur les six degrs du trne; et dans aucun royaume il n'avait jamais t fait un trne si somptueux (v. 17-19). Et toute la vaisselle du buffet du roi Salomon tait d'or; et toute la vaisselle de son palais d't, qui tait dans un parc au Liban, tait d'or fin; il n'y en avait point d'argent; l'argent n'tait point estim de temps de Salomon (v. 20). Et le roi d'Isral avait encore des navires qui allaient Tarsis et qui en revenaient une fois tous les trois ans, rapportant Salomon de l'or, de l'argent, de l'ivoire, des paons et des singes. Ainsi, le roi Salomon fut plus grand que tous les rois de la terre, tant en richesses qu'en sagesse. Et tous les rois de la terre se mettaient en voyage pour voir Salomon, afin d'entendre la sagesse que Jhovah avait mise dans son cur (v. 21-23)... Et Salomon fit que l'argent tait aussi commun Jrusalem que les pierres, tant il y en avait (v. 27). 184
a, la bonne heure!... D'ailleurs, le livre 1 er des Chroniques (ch. 29) assure que Salomon avait eu de son pre David un hritage qui n'tait pas ddaigner, talents d'or par milliers, drachmes d'or, talents d'argent, d'airain, etc. Voltaire s'est amus en faire le total et le traduire en monnaie de son sicle. Ce que David laissa Salomon, d'aprs la Bible, dit-il, fait juste dix milliards d'cus, dix-huit milliards de France. Ce que Salomon amassa son tour pouvait bien aller une somme aussi forte. Il est comique de voir un melch, un roitelet juif, avoir sa disposition trente-six milliards de livres franaises, ou neuf milliards d'cus d'Allemagne, ou environ un milliard et demi de livres sterling (la livre sterling est de 25 francs de notre monnaie). On est dgot de tant d'exagrations puriles; cela ressemble la Jsuralem cleste, qui descend du ciel dans l'Apocalypse, et que le bonhomme saint Justin vit pendant quarante nuits conscutives: les murailles taient de jaspe, la ville tait d'or, les fondements de pierres prcieuses, et les portes de perles! Nous venons de voir que la Bible nous parle de tous les rois de la terre venant en visite Jrusalem pour admirer Salomon et lui apporter des prsents. L'auteur sacr, dira-t-on, aurait bien pu citer quelques rois connus; cela et t d'un excellent effet. Mais, des citations prcises, voil justement ce qui tait scabreux; si fumiste qu'il soit, le pigeon a subi la ncessit de rester dans le vague, sous peine de voir sa mystification perce jour. Nanmoins, comme il fallait mentionner au moins un de ces monarques voyageurs (sans cela, les bons jobards de fidles n'auraient t contents qu' demi), la sainte Bible leur a servi la relation de la mmorable visite d'une puissante reine: la reine de Saba. Le chapitre x du premier livre des Bois est consacr en grande partie cet. vnement, ainsi que le chapitre 9 du second livre des Chroniques. Quant au pays de Saba, dont cette dame tait la souveraine, il a donn lieu de nombreuses discussions entre thologiens, toutes aussi savantes les unes que les autres; malheureusement, aucune de ces dissertations contradictoires n'a russi fixer exactement sous quelle latitude ce pays se trouvait. Donc, la reine de Saba, ayant entendu parler de Salomon, se mit en voyage et vint le voir, afin de mettre sa sagesse l'preuve en lui proposant quelques nigmes deviner. Et elle entra dans Jrusalem avec un fort grand train; elle avait des chameaux qui portaient des aromates et une grande quantit d'or et de pierres prcieuses; et quand elle vit Salomon, elle lui parla de tout ce qu'elle avait dans le cur. Salomon expliqua sans hsitation toutes les nigmes qu'elle lui proposa; et quoi qu'elle pt imaginer de subtil et d'obscur, rien ne parvint embarrasser le roi. Alors, la reine de Saba, voyant que Salomon tait dou d'une si merveilleuse sagesse, admirant la maison qu'il avait btie Jhovah, ainsi que son palais, agrablement surprise des mets exquis de sa table, trouvant que tout tait magnifique, mme les logements de ses serviteurs, l'ordre qui rglait le service de ses officiers, leurs vtements, ses chansons, et les holocaustes qu'il offrait dans le temple, elle fut toute hors d'elle-mme. Et elle dit au roi: En vrit, rien n'est plus exact que ce que j'avais appris en mon royaume sur toi et sur ta sagesse; je n'y voulais point croire, et c'est pourquoi je suis venue: mais je vois qu'on ne m'avait pas dit la moiti de la ralit; ta sagesse et ta magnificence surpassent tout ce que la renomme proclame ton sujet! (10:1-7) Avant de se sparer de son hte, la reine de Saba lui fit cadeau d'objets rares et prcieux qu'elle avait apports, auxquels elle ajouta cent vingt talents d'or (v. 10). De son ct, le galant Salomon riposta en la co mblant de prsents: Il lui donna tout ce qu'elle souhaita et qu'elle demanda, outre ce qu'il lui donna selon ce qu'un roi tel que Salomon en avait le pouvoir (v. 13). Quelques commentateurs factieux supposent qu'au nombre des cadeaux de Salomon qu'elle emporta dans son pays, la reine de Saba avait un polichinelle dans le tiroir. Tant de gloire devait tre fatale Salomon, au point de vue du salut de son me. Dieu lui avait donn la sagesse, et ne la lui avait pas reprise; cependant, la Bible indique comme un commencement de dchance les relations amicales que le fils de David eut avec les 185
Egyptiens, les thiens, les Ammonites, les Sidoniens, etc.; c'taient, parat-il, de mauvaises frquentations. Puis, le roi Salomon aima la fois plusieurs femmes trangres, outre la fille de Pharaon, savoir, des femmes nes d'entre les nations dont Jhovah avait dit aux enfants d'Isral: Vous n'entrerez point en elles, et elles ne coucheront pas avec vous; car certainement elles dtourneraient votre cur pour suivre leurs dieux. Malgr cette dfense de Jhovah, Salomon s'attacha toutes ces trangres avec passion. Il eut pour femmes sept cents princesses, et en outre trois cents concubines. (11:1-3) Sans doute, Jhovah avait vu de trs bon il la polygamie d'un grand nombre de ses patriarches et prophtes; pour ne rappeler que le dernier, il est certain que David avait largement us de la permission divine. Mais, franchement, Salomon abusait. Mille femmes, qu'il aimait toutes avec passion, c'est--dire qui n'taient point l uniquement pour la parade! mille femmes, qui, sans cesse, il jetait le mouchoir!... Et ce que a devait lui fatiguer le bras!... Il arriva donc ce qui devait arriver, ce que Jhovah d'ailleurs savait d'avance, en sa qualit de Dieu connaissant l'avenir mieux que personne: Salomon, pour faire plaisir aux sept cents princesses trangres qui taient ses pouses, sacrifia leurs dieux; sur une montagne voisine de Jrusalem, il btit un temple Chamos, dieu des Moabites, et sur une autre montagne, un temple Milkon et Molec, dieux des Ammonites; le dieu des Sidoniens, Astaroth, reut aussi ses hommages (v. 4-8). Papa Bon Dieu, qui, dans les premiers temps du monde, avait fait un crime Adam et Eve de ce qu'ils avaient voulu apprendre discerner le bien du mal, s'tait trouv, au contraire, trs charm de ce que Salomon aspirait, avant tout, possder cette mme science, et il la lui avait accorde en l'accompagnant de mille bndictions. Laissons de ct ce que ce changement de manire de voir a de capricieux au superlatif, chez un tre surnaturel que les thologiens proclament l'infiniment sage, et ne considrons que le fait, c'est--dire: ce discernement du bien et du mal refus Adam, Salomon l'avait au plus haut degr, par la grce de Dieu. Sa conduite est donc absolument incomprhensible, et ici encore la Bible se contredit. Ou bien, il faut voir simplement dans tout ceci une indication historique: c'est qu' cette poque les Juifs n'avaient point encore de culte fixe et bien dtermin, et c'est l ce qui est le plus vraisemblable. S'ils en avaient eu, l'auteur sacr n'aurait pas racont plus haut que Jacob et Esa pousrent des femmes idoltres; Samson n'aurait point pous une philistine; Jepht n'aurait point dit que le peuple moabite possdait de droit ce que son dieu Chamos lui avait donn. Les critiques s'appuient sur ces incohrences pour dire qu'aucun des livres juifs, te ls qu'ils nous sont parvenus, n'tait alors crit, videmment, et que, sous ce rgne de Salomon o les Isralites commencent peine faire acte de nationalit, il tait fort indiffrent que leur roi adort un dieu sous le nom de Chamos, ou d'Astaroth, ou de Molec, ou de Milkon, ou d'Adona, ou de Schadda, ou de Jhovah. Quoi qu'il en soit, la Bible nous reprsente Jhovah fort irrit. D'o: troisime apparition; cette fois, il n'est plus dit que papa Bon Dieu se montra en songe. La scne est mouvemente: l'Eternel adresse de vifs reprochesau sage Salomon, qui a cess d'tre sage sans que ledit ternel lui ait t la sagesse; le fils de David est rabrou de la belle faon! Puisque tu as agi ainsi, lui dit Jhovah, je dchirerai ton royaume, afin qu'il ne soit plus toi et je le donnerai un de tes domestiques. (11:11) Papa Bon Dieu est si fort en colre, qu'il bafouille littralement; car il ajoute aussitt (11:12): Nanmoins, je se ferai rien de cela contre toi pendant ta vie; c'est quand ton royaume sera entre les mains de ton fils, que je le dchirerai. Notez qu' ce moment-l le fils dont il s'agit, nomm Roboam, n'avait commis aucun pch, en s'en tenant au texte de la Bible: s'il reste dvot Jhovah pourquoi lui faire payer les pots casss, Salomon tant seul coupable? s'il doit, une fois sur le trne, commettre les mmes 186
fautes que son pre, il sera donc puni pour son compte personnel, et alors pourquoi Jhovah dit-il Salomon que c'est son fils qui paiera pour lui?... Ce serait croire qu'en donnant la sagesse au fils de David, papa Bon Dieu n'en avait pas gard pour lui-mme le plus petit morceau. Dieu vient donc de dclarer formellement Salomon qu'il ne divisera pas son royaume de son vivant. Or, la Bible ajoute immdiatement: L'ternel suscita donc des ennemis Salomon: en premier lieu, Adad l'Idumen, qui tait de la race royale d'Edom. (v. 14) La courte histoire de cet Adad est par elle-mme la contradiction flagrante de ce qui prcde, et l'on se demande quel ramollissement en tait arriv l'auteur sacr, pour avoir pu crire ce que le pigeon mystificateur lui dictait. Adad, nous narre-t-on, tait tout jeune, en Idume, lorsque Joab, gnralissime de David, vint massacrer tous les mles de ce pays; il eut la chance d'chapper au carnage, avec quelques serviteurs de son pre, et il se rfugia en Egypte. Le Pharaon lui donna asile, le prit en amiti, lui fit cadeau d'une maison et d'une vaste proprit rurale, et Adad fut si bien vu du roi d'Egypte, que celui-ci lui octroya pour pouse la sur mme de la reine. L'Ecriture sainte ne nous a jamais indiqu jusqu'ici le nom d'un Pharaon; mais ici elle nous fait connatre le nom de la souveraine: c'est la reine Takpns, dont aucun historien n'a parl, est-il besoin de le dire? Donc, voici Adad beau-frre du Pharaon. Ne perdez pas de vue, je vous prie, que tout ceci se passait sous le rgne de David. L'auteur nous raconte ensuite que, ds qu'Adad apprit la mort de David, suivie presque aussitt de celle de Joab, il prit cong du roi d'Egypte, rentra en Id ume, et fut ds lors un de ces ennemis dont Dieu se servit contre Salomon pour le punir de son idoltrie. Adad fit beaucoup de mal Salomon (v. 15-22). Or, ce mme chapitre de la Bible nous dit (v. 4) que c'est dans le temps de sa vieillesse que le fils de David se dtourna du culte de Jhovah pour adorer les dieux concurrents, et, plus loin (v. 42) qu'il rgna en tout quarante ans. Admettons, si l'on veut, que la dvotion de Salomon envers Jhovah ait dur trente annes et que les dix dernires annes de son rgne aient t celles de ses pchs. Ou Adad, ce flau de Dieu, est demeur, lui, le beau-frre du Pharaon, plus de trente ans ignorer l'avnement de Salomon, et cela serait d'autant plus impossible que Salomon pousa, ds le dbut de son rgne, la fille du roi d'Egypte, proche parente d'Adad; ou bien Adad n'a pas perdu de temps et a promen son fer vengeur dans le royaume d'Isral peu aprs la prise de possession du trne par Salomon, et c'est le comble de l'extraordinaire que Salomon ait t puni de son pch trente ans avant de l'avoir commis. Mais voici qui est plus prcis encore: Dieu suscita aussi un autre ennemi Salomon; ce fut Razon, fils d'Iiada. Celui-ci assembla des troupes contre lui; il avait t battu autrefois par David et s'tait rfugi Damas. Mais il fut un ennemi terrible pour Isral pendant tout le rgne de Salo mon, et il lui ft beaucoup de mal, outre le mal que fit Adad. Razon, qui infligea ces dfaites aux Isralites, rgnait sur la Syrie. (11:23-25) Ce Razon, roi de Syrie, qui causa tant de chagrin Salomon durant tout le cours de son rgne en Jude, dmontre, net comme trois fois un font trois: 1 que le monarque si sage et d'abord si dvot envers Jhovah fut puni, tandis qu'il tait innocent, des pchs dont il devait se rendre coupable au temps de sa vieillesse; 2 que l'auteur sacr se contredit singulirement, quand il dit plus haut (4:20-21) que Salomon rgna de l'Euphrate la Mditerrane. En outre, le gendre du roi d'Egypte et de six cent quatre-vingt-dix-neuf autres rois de la terre eut maille partir avec ses propres sujets. Jroboam, fils de Nbath et de Tsruha, qui tait domestique de Salomon, fut encore soulev contre lui par l'ternel. Or, Jroboam tait un homme courageux et fort, que le roi avait remarqu parmi ses serviteurs, lorsqu'il faisait btir Millo, et qu'il avait ds lors charg de la perception des impts dans les familles de la descendance de Joseph. Et il arriva que Jroboam, sortant de Jrusalem, rencontra sur sa route Ahias le prophte, qui avait ce jour-l un beau manteau tout neuf. Ils taient tous deux seuls dans la campagne. Alors, Ahias dchira tout--coup son manteau en douze morceaux ds qu'il 187
vit Jroboam, et il lui dit: Prends pour toi dix morceaux de mon manteau; car l'ternel m'a parl hier matin en ces termes: Je dchirerai le royaume de Salomon, et j'en donnerai dix tribus l'un de ses domestiques; nanmoins, je laisserai une tribu son fils, cause de mon fidle David et de la ville de Jrusalem, que j'ai choisie dans toutes les tribus d'Isral. (11:26-32) Nous avons dj vu un lvite qui coupa sa concubine en douze morceaux, parce qu'elle tait morte d'avoir t viole Gabaa, en une seule nuit, par sept cents mauvais garnements; et maintenant, voici un prophte qui dchire son manteau (heureusement, ce n'est que son manteau) en douze parts, pour signifier Jroboam que Dieu l'autorisait soulever une meute et que des douze tribus d'Isral il en aurait dix. Ce prophte Ahias, remarque Voltaire, aurait pu comploter contre Salomon avec le rebelle sans qu'il lui en cott un bon manteau tout neuf; d'autant plus que le dieu d'Isral ne donnait pas beaucoup de manteaux ses prophtes, car on sait que leur garde-robe tait mal fournie: apparemment que Jroboam, reconnaissant, lui paya la valeur de son manteau! Autre observation qu'on ne manquera pas de faire: des trois ennemis que Dieu suscita Salomon, Jroboam est le seul qui se soit lev contre lui aprs son apostasie; or, c'est prcisment le seul qui ait fait fiasco. Les deux autres malmenrent assez rudement le fils de David et l'humilirent ainsi en lui faisant chec; l'meute de Jroboam, au contraire, ne russit pas du tout. Salomon, ayant donn des ordres pour mettre mort Jroboam, qui venait de se rvolter, celui-ci prit aussitt la fuite et se rfugia en Egypte, o il demeura jusqu' la mort de Salomon. (v. 40) Ce chapitre 11 se termine en mentionnant le dcs du monarque aux sept cents pouses et aux trois cents concubines, sans dire si, dans ses derniers jours, il revint de bons sentiments envers Sabaoth; de sorte que les thologiens ont beaucoup discut sur le fait de savoir s'il est damn ou non; les opinions sont partages. Une autre lacune trs regrettable, et qui saute l'il, c'est celle qui rsulte du silence gard par l'auteur sacr sur les nombreuses noces du glorieux roi juif. Car, enfin, c'est trs joli de nous dire que Salomon eut pour pouses lgitimes sept cents princesses trangres, appartenant aux diverses familles royales de la terre, et pratiquant toutes les mauvaises religions; mais on aurait t content d'avoir quelques descriptions de ces crmonies nuptiales et des ftes qui les accompagnrent. Si l'apostasie de Salomon a dur dix ans (ce qui serait norme), ces sept cents princesses, femmes lgitimes, reprsentent quarante-six noces royales par anne, c'est--dire peu prs une chaque semaine. Voyez-vous d'ici ce royaume passant dix annes conscutives en rjouissances publiques, rceptions des souverains beaux-pres! et comme il est fcheux que l'Almanach de Gotha n'ait pas exist celte poque, pour nous donner la nomenclature des familles rgnantes, se comptant alors par centaines! On ne peut, enfin, clore l'histoire de Salomon sans parler des quatre livres qui lui sont attribus et qui font partie de la Bible les Proverbes, le Livre de la Sagesse, l'Ecclsiaste et le Cantique des Cantiques. Le premier de ces ouvrages est un recueil de maximes qui paraissent nos esprits raffins quelquefois triviales, basses, incohrentes, sans got, sans choix et sans dessein. Ils ne peuvent se persuader qu'un roi clair ait compos un recueil de sentences dans lesquelles on n'en trouve pas une seule qui regarde la manire de gouverner, la politique, les murs des courtisans, les usages d'une cour. Ils sont tonns de voir des chapitres entiers o il n'est parl que de gueuses qui vont inviter les passants dans les rues coucher avec elles. Ils se rvoltent contre les sentences dans ce got: Il y a trois choses insatiables, et une quatrime qui ne dit jamais C'est assez: le spulcre, la vulve de la femme, la terre qui n'est jamais rassasie d'eau; et le feu, qui est la quatrime, ne dit jamais C'est assez. (30:15-16) Il y a trois choses difficiles . retrouver, et j'ignore entirement la quatrime: la trace de l'aigle dans l'air, la trace du serpent sur la pierre, la trace d'un navire dans la mer, et la trace d'un homme 188
dans une femme. (v. 18-19) Il y a quatre choses qui sont les plus petites de la terre, et qui sont plus sages que les sages: les fourmis, petit peuple qui se prpare une nourriture pendant la moisson; le livre, peuple faible qui couche sur des pierres; la sauterelle, qui, n'ayant pas de roi, voyage par troupes; le lzard, qui travaille de ses mains et qui demeure dans le palais des rois. (v. 24-28) Est-ce un grand roi, disent-ils, au plus sage des mortels, qu'on ose imputer de semblables niaiseries? (Voltaire, Dictionnaire philosophique) Les Proverbes ont t attribus aussi Isae, Elzia, Sobna, liacin, Joack, et plusieurs autres. Le Livre de la Sagesse est dans un got plus srieux. On l'attribue Salomon, mais aussi Jsus, fils de Sirach, et Philon de Biblos; mais, quel que soit l'auteur, on a cru que de son temps on n'avait point encore le Pentateuque; car il dit, au chapitre 10, qu'Abraham voulut immoler Isaac au temps du dluge, et dans un autre endroit, il parle du patriarche Joseph comme d'un roi d'Egypte. Le pis est que l'auteur, dans le mme chapitre, prtend qu'on voit de son temps la statue de sel en laquelle la femme de Loth fut change. Ce que les critiques trouvent de pis encore, c'est que ce livre leur parat un amas trs ennuyeux de lieux communs; mais ils doivent considrer que de tels ouvrages ne sont pas faits pour suivre les vaines rgles de l'loquence. Ils sont crits pour difier, et non pour plaire; il faut mme lutter contre son dgot pour les lire. (Voltaire, Dictionnaire philosophique) L' Ecclsiaste, que l'on met encore sur le compte de Salomon, est d'un ordre et d'un got tout diffrents. Celui qui parle dans cet ouvrage semble tre dtromp des illusions de la grandeur, lass des plaisirs et dgot de la science. On l'a pris pour un picurien qui rpte chaque page que le juste et l'impie sont soumis aux mmes accidents, que l'homme n'a rien de plus que la bte, qu'il vaut mieux n'tre pas n que d'exister, qu'il n'y a point d'autre vie, et qu'il n'y a rien de bon et de raisonnable que de jouir en paix du fruit de ses travaux avec la femme qu'on aime. Il se pourrait faire que Salomon et tenu de tels discours quelques-unes de ses femmes: on prtend que ce sont des objections qu'il se fait; mais ces maximes, qui ont l'air un peu libertin, ne ressemblent pas du tout des objections, et c'est se moquer du monde d'entendre dans un auteur le contraire de ce qu'il dit. (Voltaire, Dictionnaire philosophique) Quant au Cantique des Cantiques, en huit chapitres, il vaut la peine d'tre reproduit tout au long. Chap. 1 er . 1. Ceci est le Cantique des Cantiques, qui est de Salomon. 2. Baise-moi d'un baiser de ta bouche, car tes amours sont plus agrables que le vin. 3. A cause de l'odeur de tes excellents parfums, ton nom est comme un parfum rpandu, et c'est pour cela que les filles t'ont aim. 4. Tire-moi, que nous courions aprs toi. Lorsque le roi t'aura introduite dans ses cabinets, nous nous gayerons et nous jouirons en toi: nous clbrerons tes amours plus que le vin. Les hommes qui sont toujours droits m'ont aime. 5. Oh! filles de Jrusalem, ma peau est brune; mais je suis belle comme les tentes de Kdar et comme les pavillons de Salomon. 6. Ne considrez pas que je suis brune, parce que le soleil m'a regarde; les enfants de ma mre se sont irrits contre moi; ils m'ont mise garder les vignes, et je n'ai point gard ma propre vigne. 7. Dis-moi, toi qu'aime mon me, o pture ton troupeau et o tu le fais reposer midi; car pourquoi serais-je comme une femme errante autour des troupeaux de tes compagnons? 8. Si tu ne le sais pas, toi la plus belle de toutes les femmes, sors, suis les traces du troupeau, et fais patre tes petites chvres auprs des cabanes des bergers. 9. Ma grande amie, je te compare mes chevaux qui sont attels aux chariots du Pharaon. 10. Tes joues ont bonne grce avec tes atours, et ton cou avec les colliers. 11. Nous te ferons des atours d'or avec des boutons d'argent. 12. Tandis que le roi a t assis ma table, mon aspic a rendu son odeur. 13. Mon bien-aim est sur moi 189
comme un sachet de myrrhe; il passera la nuit entre mes ttons. 14. Mon bien-aim est comme une grappe de trone dans les vignes d'Engadd i; je l'introduirai dans ma vigne. 15. Te voil belle, ma grande amie, te voil belle; tes yeux sont comme ceux des colombes. 16. Te voil beau, mon bien-aim; oh! que de jouissances tu me donnes! Aussi notre couche est - elle verdoyante! 17. Les poutres de nos maisons sont de cdre, et nos soliveaux sont de sapin. Chap. 2. 1. Je suis la rose de Saron et le muguet des val es. 2. Tel est le muguet entre les pines, telle est ma grande amie entre les filles. 3. Tel qu'est le pommier entre les arbres de la fort, tel est mon bien-aim entre les jeunes hommes. J'ai dsir tre couverte par lui et je me suis couche sous son ombrage; et son fruit a t doux ma bouche. 4. Il m'a mene dans la salle du festin et s'est tendu sur moi; c'est l'amour! 5. Faites-moi revenir des forces avec du bon vin, faites-moi une couche de pommes; car je me meurs d'amour. 6. Que sa main gauche soit sous ma tte, et que sa main droite me caresse tout le long du corps. 7. Filles de Jrusalem, je vous adjure, par les chevreuils et les biches de nos campagnes, que vous n'veilliez point ni ne rveilliez celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 8. Ah! j'entends la voix de mon bien-aim; le voici qui vient sautant sur les montagnes et bondissant sur les coteaux. 9. Mon bien-aim est semblable au chevreuil ou au faon des biches; le voil qui se tient derrire nos murailles; il regarde par les fentres, il s'avance par les treillis. 10. Mon bienaim a pris la parole et m'a dit: Lve-toi, ma grande amie, ma toute belle, et viens-t'en. 11. Car voici, l'hiver est pass, la pluie est passe et s'en est alle. 12. Les fleurs paraissent sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle a dj t entendue dans notre contre. 13. Le figuier a jet ses premires figues, et les vignes ont des grappes et rendent de l'odeur. Lve-toi, ma grande amie, ma toute belle, et viens-t'en. 14. Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher, dans les cachettes des endroits escarps, fais-moi voir ton regard et fais-moi entendre ta voix; car ta voix est douce et ton regard est gracieux. 15. Prenez-nous les renards et les petits renards qui fort des dgts dans les vignes, depuis que les vignes ont des grappes. 16. Mon bien-aim est moi, et je suis toute lui; il fait patre son troupeau au milieu de mon muguet. 17. Avant que le vent du jour souffle et que les ombres s'enfuient, reviens, mon bien-aim, comme le chevreuil ou le faon des biches, sur les montagnes entrecoupes. Chap. 3. 1. J'ai cherch pendant la nuit, sur mon lit, celui qu'aime mon me; je l'ai cherch, mais je ne l'ai plus trouv! 2. Je me lverai maintenant et je ferai le tour de la ville, par les carrefours et par les places, et je chercherai celui qu'aime mon me. Je l'ai cherch, mais je ne l'ai point trouv! 3. Le guet, qui faisait la ronde pendant la nuit, m'a trouve. N'avez-vous point vu, leur ai-je dit, celui qu'aime mon me? 4. A peine les avais-je passs, que je trouvais celui qu'aime mon me; je l'ai pris, et je ne le lcherai point que je ne l'ai emmen la maison de ma mre et dans la chambre de celle qui m'a conue. 5. Filles de Jrusalem, je vous adjure, par les chevreuils et par les biches de nos campagnes, que vous n'veilliez point ni ne rveilliez celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 6. Qui est celle-ci, qui monte du dsert comme des colonnes de fume, en forme de palmes, parfume de myrrhe et d'encens, et de toutes sortes de poudres de parfumeur? 7. Voici le lit de Salomon, autour duquel il y a soixante vaillants hommes, des plus vaillants d'Isral. 8. Tous maniant l'pe et trs bien dresss la guerre, ayant chacun son pe sur la cuisse, cause des frayeurs de la nuit. 9. Le roi Salomon s'est fait un lit de bois du Liban. 10. II a fait ses piliers d'argent et son lit d'or, son ciel d'carlate et le dedans garni d'amour par les filles de Jrusalem. 11. Sortez, filles de Sion, et regardez le roi Salomon avec la couronne dont sa mre l'a couronn au jour de son mariage et au jour de la joie de son cur. 190
Chap. 4. 1. Te voil belle, ma grande amie! Tes yeux sont comme ceux des colombes, et les tresses de tes cheveux sont comme un troupeau de chvres des montagnes de Galaad, qu'on a tondues. 2. Toutes tes dents sont comme de blanches brebis tondues qui remontent du lavoir, deux par deux, et dont il n'y a pas une qui soit strile. 3. Tes lvres sont comme un fil teint en carlate; ton parler est gracieux. Ta tempe est comme une pomme de grenade sous tes tresses. 4. Ton cou est comme la tour de David, btie crneaux, et laquelle pendent mille boucliers et tous les cus des vaillants hommes. 5. Tes deux ttons sont comme les faons jumeaux d'une biche, qui paissent parmi le muguet. 6. Avant que le vent du jour souffle et que les ombres s'enfuient, je m'en irai la montagne de myrrhe et au coteau d'encens. 7. Tu es toute belle, ma grande amie, et il n'y a point de tache en toi. 8. Viens du Liban avec moi, mon pouse, viens du Liban avec moi; regarde du sommet d'Amana, du sommet de Snir et de Hermon, des repaires des lions et des montagnes des lopards. 9. Tu m'as ravi le cur, ma sur; tu m'as ravi le cur par l'un de tes yeux et par l'un des colliers de ton cou. 10 Que tes amours sont voluptueuses, ma sur, mon pouse! que tes amours sont meilleures que le meilleur vin, et l'odeur de tes parfums qu'aucune plante aromatique! 11. Tes lvres, mon pouse, distillent des rayons de miel; quand je passe ma langue autour de la tienne, je lui trouve un got de lait et de miel: et l'odeur de tes vtements est Comme l'odeur du Liban 12. Ma sur, ma femme, tu es un jardin ferm, une source close, une fontaine cachete. 13. Les poils qui poussent sur toi embaument comme un verger plant de grenadiers, comme un jardin o sont des fruits dlicieux de trone et l'aspic au doux parfum. 14. L'aspic et le safran, le roseau odorant et le cinna mome, avec toutes sortes d'arbres d'encens, la myrrhe et l'alos, avec les principales plantes aromatiques. 15. O fontaine des jardins! puits d'eau vive et ruisseaux dcoulants du Liban! 16. Lve-toi, bise, et toi, vent du midi, souffle travers mon jardin, afin que l'odeur voluptueuse qui s'en exhale enivre mon bien-aim. Que mon bien-aim y pose ses lvres, et qu'il mange de mon fruit! Chap. 5. 1. Je suis venu dans mon jardin, ma sur, mon pous e; j'ai cueilli ma myrrhe et mes plantes aromatiques; j'ai mang mes rayons avec mon mie l; j'ai bu mon vin avec mon lait. Amis, rjouissez-vous avec moi; mangez, buvez, faites bonne chre, mes bien-aims. 2. J'tais endormie, mais mon cur veillait; et voici que j'entendis la voix de mon bien-aim qui disait, au dehors: Ouvre-moi, ma sur, ma grande amie, ma colombe, ma parfaite; car ma tte est pleine de rose, et mes cheveux sont mouills des gouttes de la nuit. 3. Je suis toute nue, rpondis-je; faut-il donc que je remette ma robe? J'ai lav mes pieds, comment les souillerais-je? 4. Mon bien-aim, alors, m'a mis la main au trou, au travers d'une fissure de ma tente, et mon ventre a tressailli de plaisir son attouchement. 5. Je me suis leve pour ouvrir mon bien-aim; et mes doigts encore tout humides mouillrent les garnitures du verrou. 6. J'ouvris mon bien-aim; mais mon bien-aim s'tait dj retir et tait passe outre; je le cherchai, mais je ne le trouvai point; je l'appelai, mais il ne me rpondit point. 7. Le guet, qui faisait la ronde par la ville, me trouva; ils me battirent, ils me blessrent; les gardes des murailles m'arrachrent mon voile. 8. Filles de Jrusalem, je vous adjure, si vous rencontrez mon bien-aim, que lui direz-vous? Dites-lui que je meurs d'amour. 9. Qu'est ton bien-aim plus qu'un autre, la plus belle d'entre les femmes? Qu'est ton bien-aim plus qu'un autre, pour que tu nous aies ainsi adjures? 10. Mon bien aim est blanc et vermeil; il est toujours le plus droit, mme au milieu de dix mille. 11. Sa tte est comme de l'or trs fin; ses cheveux sont crpus, noirs comme un corbeau. 12. Ses yeux sont comme ceux des colombes sur les ruisseaux d'eau courante, lavs dans du lait et comme enchsss dans les chtons d'anneaux. 13. Ses joues sont comme un parterre de plantes aromatiques et comme des vases d'odeur; ses lvres sont comme du muguet; elles distillent la myrrhe franche. 14. Ses mains ont des anneaux d'or, avec des chrysolithes enchsss; son ventre est semblable de l'ivoire bien poli, couvert de saphirs. 15. Ses jambes sont comme des 191
piliers de marbre, fonds sur des soubassements d'or fin; son port est comme le Liban, il est exquis comme les cdres. 16. L'intrieur de sa bouche est tout ce qu'il y a de plus suave; tout en lui, du reste, me rend ivre de dsirs. Tel est mon bien-aim, tel est mon ami, filles de Jrusalem. Chap. 6. 1. O est all ton bien-aim, la plus belle des femmes? Dis-nous de quel ct s'est dirig ton bien-aim, et nous le chercherons avec toi. 2. Mon bien-aim est descendu dans son verger, au parterre des plantes aromatiques pour patre son troupeau dans les vergers et cueillir du muguet. 3. Je suis mon bien-aim, et mon bien-aim est moi: il pat son troupeau parmi le muguet. 4. Ma grande amie, tu es belle comme Tirtsa, agrable comme Jrusalem, redoutable co mme les armes qui marchent enseignes dployes. 5. Dtourne tes yeux et ne me regarde pas, car tes yeux me forcent; tes cheveux sont comme un troupeau de chvres de Galaad, qu'on a tondues. 6. Tes dents sont comme un troupeau de blanches brebis qui remontent du lavoir, deux par deux, et dont il n'y a pas une qui soit strile. 7. Ta tempe est comme une pice de pomme de grenade sous tes tresses. 8. Tu as soixante femmes, quatre-vingts concubines, et des vierges sans nombre. 9. Ma colombe, ma parfaite, est unique; elle est unique sa mre et particulirement aime de celle qui l'a enfante; les filles l'ont vue et l'ont dite bienheureuse; les reines et les concubines l'ont loue, disant: 10. Qui est celle-ci qui parat comme l'aube du jour, belle comme la lune, d'lite comme le soleil, redoutable comme les armes qui marchent enseignes dployes? 11. Je suis descendu au verger des noyers, pour voir les fruits qui mrissent dans la valle, pour voir si la vigne s'avance et si les grenadiers ont jet leur fleur. 12. Reviens, reviens, Sulamite, et que nous te contemplions! Chap. 7. 1. Fille de prince, que la dmarche est belle! Le tour de tes hanches est comme des colliers travaills par la main d'un excellent ouvrier. 2. Ton nombril est comme une tasse ronde, toute pleine de breuvage; ton ventre est comme un tas de bl entour de muguet. 3. Tes deux ttons sont comme deux faons jumeaux d'une biche. 4. Ton cou est comme une tour d'ivoire; tes yeux sont comme les viviers qui sont Hesbon, prs de la porte de Bath-Rabbim; ton visage est comme la tour du Liban, qui regarde vers Damas. 5. Ta tte est sur toi comme du cramoisi, et les cheveux les plus fins de ta tte sont comme de l'carlate. Le roi demeure attach sur sa galerie pour te regarder. 6. Que tu es belle! que tu es agrable! mon amour, mes dlices! 7. Cette stature que lu as a la majest d'un palmier, et tes ttons me font penser deux grappes de raisin. 8. J'ai dit: Je monterai sur le palmier et je l'treindrai dans mes bras; et tes ttons me seront maintenant comme des grappes de raisin, et l'odeur de ton visage sera pour moi comme l'odeur des pommes. 9. Et ton palais distillera pour moi son doux miel, et tu verseras le meilleur vin ton bien-aim, le vin de l'amour qui fait parler les lvres de ceux qui dorment. 10. Je suis mon bien-aim; car il n'a qu'un dsir: jouir de moi. 11. Viens donc, mon bien-aim; sortons la campagne, passons la nuit dans les champs. 12. Levons- nous le matin pour aller aux vignes, et voyons si la vigne est avance, si la grappe est forme, et si les grenadiers sont en fleurs; c'est l que je te livrerai tous mes amours. 13. Les mandragores rpandent leur odeur, et, notre porte, se trouvent toutes sortes de fruits exquis, des nouveaux et des vieux que je t'ai gards, mon bien-aim! Chap. 8. 1. Plt Dieu que tu fusses comme mon frre, qui a suc les mamelles de ma mre; j'irais te trouver dehors, et je te baiserais, et l'on ne me mpriserait point. 2. Je t'amnerais et je t'introduirais dans la maison de ma mre; et tu m'instruirais, et je te ferais boire de mon meilleur vin ml d'aromate et du mot de mon grenadier. 3. Allons, mon bien-aim, que ta main gauche soit sous ma tte, et que ta main droite me caresse encore par 192
tout le corps! 4. Je vous adjure, filles de Jrusalem, que vous n'veilliez ni ne rveilliez celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 5. Qui est celle qui monte du dsert, et qui s'appuie doucement sur son bien-aim? Je t'ai rveille sous un pommier, l o ta mre t'a conue, l o t'a conue celle qui t'a donn le jour. 6. Mets-moi comme un cachet sut ton cur, comme un cachet sur ton bras. L'amour est fort comme la mort, et la jalousie est dure comme le spulcre; leurs embrassements sont des embrassements de feu et leur flamme est des plus vhmentes. 7. Beaucoup d'eau ne pourrait teindre notre amour, mon bien-aim, et les fleuves mme ne pourraient pas le noyer; si quelqu'un donnait tous les biens de sa maison pour nous prendre cet amour-l, certainement nous mpriserions son offre. 8. Nous avons aussi une petite sur qui n'a point encore de ttons; que ferons-nous notre sur, au jour o l'on parlera d'elle? 9. Si elle est comme une muraille, nous btirons sur elle un palais d'argent; et, si elle est comme une porte, nous la renforcerons d'un entablement de cdre. 10. Moi, je suis forte comme un rempart, et mes ttons sont fermes comme des tours; c'est pourquoi j'ai eu les faveurs de mon bien-aim, et son amour m'a donn la paix. 11. Salomon avait une vigne, Rabal-Hamon, qu'il a vendue ses gardes; chacun d'eux, pour sa part de fruit, doit apporter mille pices d'argent. 12. Ma vigne, qui est moi, est ta disposition, Salomo n! Si elle vaut mille pices d'argent, que les mille pices d'argent soient toi, mais donnes-en deux cents pour les gardes de mon fruit. 13. Toi qui habites dans les jardins, les amis sont attentifs ta voix; fais que je l'entende! 14. Et maintenant, mon bien- aim, enfuis-toi aussi vite qu'un chevreuil ou qu'un faon de biche, sur les montagnes pleines de plantes aromatiques. Tel est, dans toute sa beaut, le fameux Schir- Haschidim (Cantiques des Cantiques) de l'Ancien Testament, sur lequel on a tant disput. Aux esprits dgags de la superstition, il apparat assez clairement que cette licencieuse rapsodie, compose selon toute vidence pour exciter la chair, n'est rien autre qu'une romance de harem oriental, dans le got de l'poque. Mais les thologiens, aussi bien les juifs que les catholiques, ne l'entendent point ainsi! Les premiers soutiennent mordicus que le bien-aim mis en scne par le pote est la personnification de Jhovah, et que l'pouse, la grande amie, reprsente la nation d'Isral. Cette explication a t longuement dveloppe par les commentateurs dans le Targum, recueil de traditions chaldaques, o le Cantique des Cantiques est interprt comme tant une histoire allgorique du peuple juif depuis la sortie d'Egypte jusqu'au jour o se manifestera le Messie et o se construira le troisime temple. Pour justifier cette interprtation, on a mis contribution toutes les complications que peut fournir le systme exgtique du Talmud: la rduction des mots leur valeur numrique, la substitution des termes homophones, etc. Les juifs du moyen-ge ont considrablement travaill ces premiers essais, sans cependant s'carter de la donne primitive; ils ont mme attribu cette interprtation une valeur canonique et liturgique, en lui donnant une place dans leur rituel. Les nombreuses et terribles perscutions dont ils furent si souvent victimes ne contriburent pas peu imprimer cette croyance un caractre de nationalit et d'individualit trs accentu; le pome de Salomon devint presque pour les perscuts le palladium intellectuel autour duquel ils grouprent leurs esprances et leurs vux. Cependant, ct de cette interprtation allgorique toute religieuse, nous en trouvons, chez les juifs, une autre mtaphysique et philosophique. Ainsi, au treizime sicle, le Cantique des Cantiques tait, pour Ibn Caspe, la reprsentation allgorique de l'union entre l'intellect actif, intellectus agens, et l'intellect passif ou matriel, intellectus materialis. Enfin, au dix-huitime sicle, Mendelssohn inaugura une nouvelle cole juive d'interprtation, qui, sans rejeter 193
absolument l'interprtation allgorique, tient cependant grand compte de l'interprtation littrale; avec lui, l'allgorie demeurait nationale et perdait son sens religieux. Quant aux thologiens catholiques, ils modifient de fond en comble l'explication des docteurs juifs, et ils affirment avec le plus grand srieux que ce pome rotique est le fruit d'une inspiration sacro-sainte, un livre prophtique, o l'amour de Jsus-Christ pour son glise et de l'glise pour son divin fondateur, qu'elle regarde comme son poux, est peint sous des figures hardies, mais dont l'obscnit, purifie par son sens mystique, ne peut scandaliser que les esprits malveillants des incrdules. La premire interprtation mystique, dans ce sens, remonte Origne, qui crivit l-dessus un volumineux commentaire; aussi, il est amusant de constater que l'honneur de cette belle trouvaille revient un Pre de l'glise dont la castration est presque autant clbre que celle d'Abeilard. A la suite de l'eunuque Origne se sont embarqus tous les exgtes chrtiens, toute la sainte prtraille, heureuse l'admirable fumiste Bossuet en tte d'avoir un moyen peu banal de faire avaler aux nafs fidles le plus formidable crapaud biblique. Et voil, grce ce truc ingnieux, le Cantique des Cantiques donn, dans les couvents, en mditation aux religieuses contemplatives; on comprend l'effet produit sur ces malheureuses femmes clotres, dont le mysticisme plus ou moins hystrique, se dlecte la pense qu'elles sont les pouses de Jsus-Christ, chacune en particulier, comme l'glise est son pouse en gnral. Dans leur mditation, les pauvres folles n'ont qu' se substituer l'glise, grande amie du bien-aim. Afin de mieux fixer dans les esprits des crdules ouailles leur interprtation de haute fantaisie, les prtres ont mis des titres aux huit chapitres du Cantique des Cantiques. Maintenant qu'on a lu le texte, on apprciera la valeur des titres ajouts depuis Origne par la roublardise sacerdotale. C'est se tordre! Voici ces titres: Chap. 1. L'pouse exprime ici son amour pour son poux, et l'poux son amour pour son pouse. Chap. 2. Discours de l'Eglise par rapport Jsus-Christ. Chap. 3. La recherche que l'Eglise fait de Jsus-Christ, et sa joie de l'avoir trouv. Chap. 4. Beaut de l'pouse, dcrite mystiquement et par des expressions toutes figures. Chap. 5. Regrets de l 'pouse de n'avoir pas rpondu comme elle devait la recherche de son poux; elle dcrit la beaut de l'poux. Chap. 6. Dialogue entre Jsus-Christ et l'Eglise. Chap. 7. Autre description mystrieuse de la beaut de l'pouse; amour fidle de l'glise pour Jsus Christ. Chap. 8. Amour rciproque de l'Eglise pour Jsus Christ, et de Jsus-Christ pour l'Eglise. Aprs cela, tirons l'chelle, et concluons sur ce point par cette apprciation de Voltaire: Puisqu'on regarde le Cantique des Cantiques comme une allgorie perptuelle du mariage de Jsus-Christ avec son glise, il faut avouer que l'allgorie est un peu forte, et qu'on ne voit gure ce que l'glise pourrait entendre quand l'auteur dit que sa petite sur n'a pas de ttons.
14 CHAPITRE
LES DEUX ROYAUMES: ISRAL ET JUDA
L'hritier du trne tait Roboam. Au premier abord, il semble que tout devait marcher comme sur des roulettes, puisque l'auteur sacr vient de nous dire tout l'heure que jamais les Isralites ne furent si heureux que dans le rgne de Salomon, que l'or circulait profusion, que la prosprit publique tait telle que l'on marchait sur l'argent dans les rues, tant il tait en 194
abondance... Mais le divin pigeon a la mmoire courte; ou bien il s'amuse de la crdulit des fidles; car il nous reprsente maintenant le peuple juif assembl Sichem et tenant ce langage au fils de Salomon: Ton pre nous avait impos des charges trs dures, qui nous rendaient misrables; mais toi, allge ce joug trop pesant pour nous, et nous te servirons. (1 Rois 12:4) Roboam consulta les vieillards qui avaient t les conseillers de son pre. Ceux-ci reconnurent que les impts taient vraiment trop crasants et furent d'avis qu'il serait sage de les diminuer, afin que la nation demeurt attache la famille de David; mais le nouveau roi consulta aussi les jeunes gens qui avaient t levs avec lui: ils furent d'un avis tout contraire. (v. 6-10) Or donc, lorsque les dlgus du peuple, la tte desquels se trouvaient jroboam, revenu d' Egypte, vinrent prendre la rponse de Roboa m, voici ce qu'il leur rpondit: Le plus petit de mes doigts est plus gros que le dos de mon pre; si mon pre vous a impos de lourdes charges, moi, je rendrai votre joug plus pesant encore; mon pre vous a fouetts avec des verges, et moi je vous fouetterai avec des scorpions. (v. 10-11) Ce discours n'tait gure fait pour gagner Roboam le cur de son peuple; mais la Bible a soin de nous dire que Jhovah avait tout rgl ainsi, afin que s'accomplissent les paroles qu'il avait prononces Jroboam par la bouche du prophte Ahias, de Scilo (v. 15). Ainsi, c'est Dieu lui-mme qui inspira aux jeunes amis du nouveau roi leurs mauvais conseils et qui aveugla Roboam au point de lui faire dbiter de telles sottises! Le peuple fut donc trs mcontent et se retira dans ses tentes, en murmurant (v. 15). Et Roboam ayant envoy l'intendant de ses tributs, nomm Aduram, pour percevoir les impts, tout Isral assomma de pierres le percepteur royal; il n'en fallut pas davantage pour flanquer la venette Roboam, qui, montant vivement sur un chariot, s'enfuit Jrusalem (v. 18). Or, tout Isral sachant que Jroboam tait revenu, le constitua roi; et personne ne suivit la maison de David, except les tribus de Juda et de Benjamin. Roboam, ayant runi ces deux tribus, y forma une arme compose de cent quatre- vingt mille soldats d'lite, prts combattre contre la maison d'Isral et la rduire sous l'obissance de Roboam, fils de Salomon (12:20-21). Toujours des exagrations ridicules! Un misrable roitelet de la dixime partie d'une petite nation barbare pouvait-il avoir une arme de cent quatre-vingt mille hommes? Alors Dieu parla S mas, homme de Dieu, et l'envoya Roboam et aux tribus de Juda et de Benjamin, pour leur dire: Le Seigneur vous dfend de vous lever contre vos frres, les enfants d'Isral; retournez-vous-en, chacun dans sa maison. Et ils obirent la parole de l'ternel, et ils s'en retournrent paisiblement (12:22-24). Voil donc le royaume juif divis en deux royaumes, qui ds lors prirent les noms d'Isral, avec Jroboam, et de Juda, avec Roboam. Il faut croire que Sichem, o la nation s'tait assemble pour manifester ses dolances au fils de Salomon, n'existait pas comme ville; car il est dit que le premier travail de Jroboam fut de btir Sichem, sur les montagnes d'Ephram; et il y habita; puis, il sortit de l et btit Pnul (v. 25). Vous croyez sans doute que Jroboam fut reconnaissant, lui, l'ex-domestique, envers Jhovah qui venait de le gratifier d'un royaume? Pas du tout. Il s'empressa de faire fabriquer deux veaux d'or, et en plaa un Bthel et l'autre Dan, et il dit au peuple d'Isral: Gela vous donnerait trop de peine d'aller jusqu' Jrusalem pour adorer l'ternel; aussi bien, vous pouvez vous prosterner devant les veaux d'or, car ce sont eux qui vous ont tirs d'gypte. Et le peuple d'Isral n'en demanda pas davantage. Jroboam fit construire d'autres temples diverses idoles; il tablit des sacrificateurs, qui n'taient point pris parmi les descendants de Lvi, et il sacrifia lui-mme (v. 26-33). Si ce rcit est vrai, il fournit une nouvelle preuve de ce que la religion judaque n'tait pas encore fixe. Cette minuscule nation juive, on le voit, change de culte tout moment, depuis sa singulire vasion d'Egypte jusqu'au temps d'Esdras. Remarquez, en passant, son bizarre got pour les veaux, comme reprsentation de la divinit!... Nous n'avons pas oubli qu'il en 195
cota vingt-trois mille hommes pour le veau d'or d'Aaron; le seigneur Adona, ou Jhovah, ou Schadda, ou Sabaoth, ou Jhao, devait naturellement gorger quarante-six mille Isralites pour les deux veaux de Jroboam. Mais nous allons voir autre chose, ce coup-ci! Alors un homme de Dieu, un voyant (Flavius Josphe le nomme Addo le prophte), vint de Juda Bthel, tandis que Jroboam tait mont sur l'autel et qu'il jetait de l'encens; et il cria contre l'autel dans le verbe de Dieu, en disant: Autel! autel! le Seigneur dclare qu'il natra un jour dans la maison de David un fils qui sera nomm Josias et qui immolera sur toi les pr tres des hauts lieux qui maintenant brlent de l'encens sur toi, et il brlera sur toi les os des hommes. Et, pour prouver la vrit de ce que j'annonce, que l'autel se fende prsent! Or, aussitt, Jroboam tendit sa main vers le prophte et ordonna de se saisir de lui; mais sa main qu'il avait tendue se scha et il ne put la retirer, et en mme temps l'autel se lendit et la cendre qui tait dessus se rpandit par terre. Alors, le roi supplia le prophte de prier Jhovah de lui rendre l'usage de sa main; et, la prire de l'homme de Dieu, la main du roi redevint vivante comme auparavant. Alors, le roi dit au prophte: Viens dner avec moi dans ma maison, et je te ferai un beau prsent (13:1-7). Mais le voyant Addo, qui avait des instructions trs prcises de Jhovah, refusa le dner et tout cadeau, et s'en alla pour retourner au royaume de Juda, mais en prenant un autre chemin que celui par lequel il tait venu (v. 10). Le miracle de cette main sche est bien peu de chose auprs de ceux qui nous ont t conts jusqu' prsent; heureusement, on va se rattraper tout l'heure avec le prophte lie, Quant la dfense faite aux gens de Juda de manger sur les terres de Jroboam, elle prouve que ce royaume d'Isral n'tait pas fort tendu. Un bon piton pouvait aisment djeuner Samarie et souper Jrusalem; plus forte raison, un prophte, d'ordinaire un ermite accoutum une vie sobre, pouvait se passer de djeuner Bthel, qui tait encore plus prs de Jrusalem que Samarie. Or, il y avait un vieux devin qui demeurait Bthel, et ses enfants lui racontrent les miracles que l'homme de Dieu venait d'oprer. Alors, le vieux devin se fit montrer le chemin que le prophte de Juda avait pris; ses fils lui sanglrent son ne, et il monta dessus. Et quand il eut rejoint Addo, qu'il trouva assis sous un trbinthe, il lui dit: Es-tu l'homme de Dieu qui est venu de Juda? Et Addo rpondit: C'est moi. Le vieux devin reprit: Eh bien, viens donc manger du pain chez moi. Mais Addo lui rpondit: Je ne puis venir avec toi, ni manger du pain, ni boire de l'eau dans ce pays; car le Seigneur me l'a dfendu. Alors, le vieux devin lui dit encore: Ecoute, je suis prophte comme toi, et l'ange du Seigneur m'a port la parole de Jhovah en me disant de te ramener avec moi dans ma maison, afin que tu manges de mon pain et que tu boives de mon eau. Mais le vieux devin de Bthel mentait. Addo s'en retourna donc avec lui, et il mangea du pain et but de l'eau dans sa maison. (13:11-19) On remarquera que, ds qu'un homme se disait prophte en Isral ou en Juda, on le croyait sur sa parole. Nous avons vu qu'il y avait, du temps de Sal, des prophtes par troupes. Ds que le vieux bonhomme de Bthel dclare Addo qu'il est son collgue en prophte, Addo le reconnat pour tel et se met manger avec lui. Et il arriva que, lorsqu'ils taient table, une voix se se fit entendre au prophte de Juda, et c'tait la voix de Jhovah qui lui cria: Parce que tu as dsobi l'ordre de Dieu qui t'avait dfendu de manger dans ce pays, ton corps ne sera pas enterr dans le spulcre de tes pres. Alors, le vieux devin de Bthel fit seller un ne au prophte de Juda qu'il avait ramen; et Addo s'en alla. Mais voici que, sur sa route, il rencontra un lion, qui se jeta sur lui et le tua. Il est vident que ce lion avait t envoy par Jhovah; la consigne que papa Bon Dieu avait donne au terrible fauve est assez cocasse. Et voici que le cadavre d'Addo demeura tendu par terre dans le chemin, et l'ne se tenait auprs, d'un ct, et le lion aussi, de l'autre ct. Or, quelques passants tant venus par l, furent fort tonns, ce spectacle. Il y avait de quoi! Ils retournrent Bthel et rapportrent la chose au vieux devin, et celui-ci dit: Ce cadavre est 196
celui du prophte de Juda qui j'ai menti et qui a dsobi aux ordres de Jhovah; voil pourquoi Jhovah l'a livr au lion. Maintenant, ami lecteur, qu'auriez-vous fait, si vous vous tiez trouv la place du vieux devin de Bthel? Vous vous seriez bien gard d'aller disputer au lion le cadavre du confrre prophte, n'est-ce pas? Addo n'tait coupable que d'avoir cru l'histoire d'apparition que le vieux devin lui avait narre, et, s'il avait t si cruellement puni, il tait vraisemblable que son trompeur serait chti d'une faon plus terrible encore. Le vieux devin fit seller son ne par ses fils, et il alla la recherche du corps du prophte de Juda; il trouva le cadavre tendu dans le chemin, avec le lion et l'ne qu'il avait donn Addo, et les deux animaux taient la en sentinelles, gardant le corps; le lion n'avait point mang le corps du prophte, ni dchir l'ne. Alors, le vieux devin leva le corps d'Addo et le ramena Bthel. Il l'ensevelit dans le tombeau de sa famille, et pleura sur lui, en disant: Hlas! mon frre! Et il recommanda ses fils de l'enterrer, quand il serait mort, dans le mme spulcre, en ayant soin de placer son cadavre sur les ossements du prophte Addo. (13:20-31) Telle est la navrante histoire de ce malheureux Addo, qui l'on ne peut gure reprocher que d'avoir eu faim et d'avoir djeun mal propos dans un endroit plutt que dans un autre, sur la foi d'un collgue en prophtie qui lui avait cont une blague sacrilge et qui s'en tira sans encombre, lui veinard! Le pauvre Addo, on le voit, n'a pas fait grande figure dans le monde; si ce n'tait l'aventure du lion et de l'ne factionnaires, la postrit l'ignorerait tout--fait. Et Jroboam, dans tout a?... L'incident de sa main dessche, puis revivante, devait suffire, semble-t-il, le gurir de l'idoltrie des veaux d'or; en outre, quoi de plus terrifiant que la pitoyable mort d'Addo, dont il reut la nouvelle?... Eh bien, le croira-t-on? cet imbcile de Jroboam ne se dtourna point de sa mauvaise voie et continua ses sacrifices aux faux dieux; et quiconque en Isral voulait tre prtre des idoles, s'y consacrait avec la faveur du roi (v. 33). Il est clair qu'un tel endurcissement mritait un chtiaient exemplaire. Qui fut atteint par la vengeance divine?... Jroboam?... Non. Ce fut un tout jeune enfant qu'il avait, le petit Abija. Brusquement, le bb tomba malade. Jroboam eut une ide: c'tait le cas, pensa-t-il, de consulter le prophte Ahias, celui qui lui avait donn dix morceaux de son manteau, pour lui prdire son avnement. Ici, le manque de logique du roi d'Isral est fantastique. Il sait quoi s'en tenir sur la toute-puissance de Jhovah et sur le pouvoir qu'il dlgue ses prophtes; eh bien, tout en ayant recours Ahias pour obtenir de lui la gurison du moutard, il mdite de tromper le saint homme infaillible. Jroboam envoie la reine, son pouse, Scilo, aprs lui avoir fait revtir un dguisement qui empchera Ahias de la reconnatre; il s'imagine qu'elle n'aura qu' parler d'un enfant quelconque qui est malade. Voil donc madame Jroboam, dguise, qui arrive Scilo; par dessus le march, la Bible nous apprend (14:4) que le vieil Ahias ne pouvait voir, ses yeux tant devenus tout--fait obscurcis, tant sa vieillesse tait avance . A tous gards, le dguisement tait donc absolument inutile. Et l'ternel dit Ahias: La femme de Jroboam va venir pour s'enqurir de toi touchant son fils parce qu'il est malade. Tu lui diras telles et telles choses (sic). Quand elle entrera, elle fera semblant d'tre quelque autre. Aussitt donc qu'Ahias eut entendu le bruit des souliers de la reine, comme elle tait la porte, il dit: Entre, entre, femme de Jroboam; pourquoi t'es-tu dguise? Or, puisque tu es venue, tu vas entendre les choses trs dures qui j'ai t'annoncer. (v. 5-6) L-dessus, grands discours, amers reproches l'adresse de Jroboam et de ses deux veaux d'or, prdictions sinistres relatives la famille royale qui sera dpossde du trne, sans oublier le bb malade, objet de la consultation. Maintenant, conclut Ahias, retourne chez toi; aussitt que tes pieds fouleront le sol de la ville, l'enfant mourra. (v. 12) L'infortune reine s'en revint dsole, Tirtsa, o tait alors la cour; et comme elle posait son pied sur le seuil de la maison royale, le petit garon mourut (v. 17). Et dire qu'avec un 197
peu de prsence d'esprit madame Jroboam pouvait viter cette catastrophe! elle n'avait qu' faire sa rentre, monte sur des chasses, et ainsi elle n'eut pas foul de ses pieds le sol de la ville, parbleu! Mais l'amour maternel ne pense pas tout... Ici le livre des Rois nous renvoie au livre des Chroniques, et nous apprenons l (2 Rois 13) qu'Abiam, roi de Juda, fils de Roboam, eut une guerre avec Jroboam. Abia m avait quatre cent mille combattants, bien choisis et trs vaillants. Et Jroboam avait huit cent mille combattants, bien choisis aussi et trs vaillants. Et il y eut cinq cent mille hommes des plus vaillants tus dans la bataille, du ct d'Isral. Brrrou! quel carnage! Enfin, Jroboam, aprs avoir exerc pendant vingt-deux ans le mtier de monarque s'endormit avec ses pres , et papa Bon Dieu qui lui avait supprim, au moyen d'une maladie, le jeune Abija, oublia son autre fils, nomm Nadab, lequel lui succda (14:20). Quant Roboam, il ne s'tait pas mieux comport que Jroboam, l'gard de Sabaoth. Le royaume de Juda aussi avait fait ce qui est mauvais devant l'Eternel; car ils se btirent des hauts lieux pour adorer les idoles; et les sujets de Roboam eurent des bocages sur toutes les collines et sous tous les arbres verts. Il y avait mme, dans ce royaume, des gens qui se prostituaient la manire des Sodomites, et ils commirent toutes les abominations. (14:22- 24) Mais, la cinquime anne du rgne de Roboam, le roi d'Egypte, Ssac (c'est la premire fois que la Bible nomme un pharaon) s'empara de Jrusalem, et il enleva tous les trsors de la maison du Seigneur et les trsors du roi; il pilla tout, jusqu'aux boucliers d'or que Salomon avait faits (v. 25-26). Voici les observations de Voltaire ce sujet: Le lion de Juda, dont la verge ne devait jamais sortir d'entre ses jambes jusqu' ce que le Silo vnt, sent cette fois-ci ses ongles rogns de bien prs, et sa verge n'a pas grand pouvoir. De graves savants prouvent que ce Ssac tait le grand Ssostris; d'autres graves savants prouvent que Ssostris naquit mille ans avant Ssac; et des savants encore plus graves prouvent qu'il n'y eut jamais de Ssostris. Une raison qui ferait croire que ce ne fut pas Ssostris qui pilla Jrusalem, c'est qu'il ne pilla point Sichem, Jricho, Samarie, ni les deux veaux d'or hrtiques; car Hrodote dit que ce grand Ssostris pilla toute ta terre. Roboam eut pour successeur son fils Abiam, qui rgna trois ans seulement, mais qui ne perdit pas son temps, puisque, d'aprs le livre des Chroniques, il tua, dans une seule bataille, cinq cent mille soldats de l'arme du roi d'Isral. Et Jroboam n'eut plus de forces pendant le rgne d'Abiam. Or, quand Abiam vit son royaume affermi, il prit quatorze femmes, et il en eut vingt-deux fils et seize filles. (2 Chroniques 13:20-21) Comptons un peu! Trois ans de rgne, dit le livre des Rois (15:2); victoires sur Jroboam, pendant la premire anne; que dites- vous donc, ami lecteur, des vingt-deux fils de cet Abiam et de ses seize filles, soit trente-huit enfants, dont ces quatorze femmes accouchent en deux ans de temps?... Ah! voil une poque merveilleuse, dcidment! Dans le livre des Rois, nous avons deux versets contradictoires au chapitre 15. Abiam, qui rgna trois ans, avait sa mre qui s'appelait Mahaca et qui tait fille d'Absalon (v. 2). Parmi les vingt-deux fils qu'eut Abiam, ce fut Asa qui lui succda. Asa rgna quarante-et-un ans; sa mre s'appelait Mahaca, et elle tait fille d'Absalon (v. 10). Il faudrait pourtant s'entendre: la reine Mahaca ne pouvait tre la fois mre et grand'mre du jeune roi Asa. Quoiqu'il en soit, Asa tant mineur, Mahaca eut la rgence. Ah! pour le coup, ce fut du propre! Non seulement, cette fille d'Absalon se livrait la boisson d'une faon dplorable; mais encore elle s'tait pay un magnifique Priape, en guise de divinit. Le veau d'or tait dpass. Mais, heureusement, pour l'amour de David, Dieu avait allum une lampe dans Jrusalem ; et cette lampe, c'tait le jeune roi Asa. a Et Asa, petit-fils de Rboam, marcha droit devant l'ternel, comme son aeul David l'avait fait; car il chassa de pays tous ceux qui se prostituaient; et mme il dposa sa mre Mahaca, afin qu'elle ne ft plus rgente; il l'empcha de sacrifier dsormais Priape, et il brisa le simulacre honteux de Priape, qu'elle s'tait fait faire, et il le brla dans le torrent du Cdron. Toutefois, il ne dtruisit pas les hauts 198
lieux; nanmoins, le cur d'Asa fut parfait devant le Seigneur, pendant tout le temps de sa vie. (Rois 15:11-14) Si Asa fut rcompens?... Vous allez voir a... D'abord, il crasa une invasion, s'il faut en croire le livre des Chroniques, chapitre 14, et quelle invasion!... Asa avait dans son arme trois cent mille hommes de la tribu de Juda, portant boucliers et piques, et deux cent quatre- vingt mille hommes de la tribu de Benjamin, portant boucliers et carquois. Et voici que Zaraph, roi d'Ethiopie, sortit de son pays et vint combattre en Jude avec une arme d'un million de soldats, forte de trois cents chariots de guerre, et il s'avana jusqu' Maresca. Asa rangea ses troupes en bataille devant lui, dans la valle de Tspath. (v. 8-10) Et les thiopiens furent entirement dfaits, parce que c'tait Jhovah qui les frappait; Asa et le peuple de Juda et de Benjamin les poursuivirent jusqu' Gurar et les exterminrent. (v. 12- 13) Cet pisode est d'autant plus admirable qu'il y a fort loin d'thiopie Jrusalem. Cette arme de cinq cent quatre-vingt mille soldats, fournis par deux tribus seulement, n'est pas moins merveilleuse que celle d'un million d'envahisseurs; mais on se demande comment le roi d'gypte, Ssac ou Ssostri s, laissa passer sur son territoire ce flot de barbares... A moins que les thiopiens n'aient fait le voyage en ballons!... Une autre rcompense fut dcerne par papa Bon Dieu son excellent ami Asa: Au temps de sa vieillesse, Asa fut malade des pieds. (Rois 15:23) Ici l'auteur sacr est sobre d'explications; cette maladie des, pieds n'avait pour but, videmment, que d'augmenter les mrites du brave Asa. A la fin de la quarante et unime anne de son rgne, il s'endormit dans le sein de ses pres et laissa sa place son fils Josaphat (v. 25). Mais voyons un peu ce qui se passait, d'autre part, au royaume d'Isral. Nadab, fils de Jroboam suivit le train de son pere et commit les mmes pchs (v. 26); son rgne ne dura que deux ans. Une conspiration d'un certain Bahasa, de la tribu d'Issachar, lui cota le trne et la vie (v. 27-28); naturellement, Bahasa se proclama roi; il rgna vingt-quatre ans, pendant lesquels il se comporta, vis--vis de Sabaoth, aussi mal que Jroboam et Nadab (v. 33-34). C'est alors que papa. Bon Dieu, trouvant que cette impit durait trop, parla Jhu et lui apprit qu'il venait de dcrter la ruine de la famille Bahasa. Celui-ci, selon l'usage, mourut tranquillement dans son lit, et c'est son fils Ela, qui, aprs un rgne de deux ans, fut assassin par le nomm Zamri (16:10). Zamri se subsistua sa victime, massacra toute la famille Bahasa, et il n'en laissa pas vivre un, ni homme, ni bte, de ses parents ou de ses amis (v. 11). Le rgne de Zamri fut court: sept jours en tout (v. 15); Amri se mit la tte d'une meute, et Zamri, dont le rle de flau de Dieu tait termin, se suicida (v. 18). Amri rgna douze ans (v. 23). La septime anne de son rgne, Amri acheta une montagne un hbreu, du nom de Somer, moyennant le prix de deux talents d'argent; il btit une ville sur cette montagne et l'appela Samarie en souvenir de Somer (v. 24). C'est aussi vers ce temps- l que Hiel, natif de Bthel, rebtit la ville de Jricho (v. 34). Remarque: ces grands rois d'Isral, qui avaient de si formidables armes, ne possdaient pas une ville passable avant qu'on et bti Samarie, Jrichoet Sichem. Jricho fut une place importante contre les irruptions des Arabes et des Syriens; ainsi, Josu avait agi en trs mauvais politique, quand il la dtruisit entirement, et d'autre part on voit que l'anathme prononc contre Jricho tait nul, puisqu'il avait t prdit que jamais cette ville ne serait releve de ses ruines. Ah! nous voici arrivs Achab, l'impie Achab, fils d'Amri; avec ce prince, dont le nom est donn maudire aux enfants qui plent l'histoire sainte, la Bible va redevenir intressante. C'est maintenant que nous allons avoir nous occuper aussi de l'impayable prophte lie, cet homme unique qui n'avait pas de pain manger sur la terre, et qui monta au ciel dans un charde feu tran par des chevaux galement de feu. 199
Achab rgna sur Isral
Samarie, pendant vingt-deux ans, et il fit tout ce qui est mauvais devant l'ternel, plus encore que tous ceux qui l'avaient prcd; et comme s'il lui et t peu de chose de continuer, en les aggravant, les pchs de Jroboam, il prit encore pour femme Jzabel, fille d'Ithobal, roi des Sidoniens. (v. 29-31) Dieu avait pardonn David son mariage avec Bethsabe, dont il avait assassin l'poux: il n'avait pas vu de mauvais il le mariage de Salomon et de la fille du roi d'Egypte; mais qu'Achab ost pouser Jzabel, fille du roi des Sidoniens, voil ce qui constituait un crime irrmissible! On comprend facilement qu'un roi aussi impie n'allait pas se contenter de simples veaux d'or pour faire ses dvotions sacrilges. En effet, Achab dressa un autel Baal, dans un temple de Baal, qu'il fit btir Samarie; et il servit Baal, et il se prosternait devant lui. (v. 32) Ce n'est pas tout, apprtez-vous frmir encore: Achab fit un bocage! et ainsi Achab fit encore pis que tous les rois d'Isral ses prdcesseurs pour irriter Jhovah. (v. 33) Aprs cela, il est hors de doute que le royal poux de Jzabel agissait par pure malice et qu'il se dlectait en mettant en courroux papa Bon Dieu. Un prophte hors ligne devenait donc ncessaire, indispensable; c'est lie le Thesbite que le seigneur Sabaoth dcrta d'opposer l'archi-impie Achab. Elie le Thesbite tait un de ceux qui avaient fix leur rsidence Galaad. Il se rendit auprs du roi Achab, et lui dit: Aussi vrai que le dieu d'Isral est l'ternel vivant, il ne tombera pas du ciel une goutte de rose ni une goutte de pluie, si je ne l'ordonne au nom du tout-puissant Dieu. (17:1) Aprs quoi, lie, majestueux, tourne, les talons; mais la Bible ne dit pas comment Achab prit cette annonce. Ensuite, le seigneur Adona adressa la parole Elie, et lui dit: Va-t'en d'ici, retire-toi vers l'orient, cache-toi dans le torrent de Krith, qui est vis--vis du Jourdain; tu boiras l'eau du torrent, et, quant au reste de ta nourriture, il y sera pourvu par des corbeaux qui j'ai command. Elie, trs obissant au Seigneur, partit donc, et il tablit sa demeure dans les ravins du torrent de Krith. Chaque matin, ainsi que chaque soir, des corbeaux lui apportaient du pain et de la viande; et il buvait l'eau du torrent. (v. 2-6) Cette ide de nourrir les saints par des corbeaux a t imite depuis dans l'histoire des Pres du dsert. Un corbeau nourrit pendant soixante ans l'ermite Paul dans une caverne de la Thbade, il lui apportait chaque jour la moiti d'un pain dans son bec. Paul n'avait que cent- treize ans, lorsque l'ermite Antoine, g de quatre-vingt-dix, vint lui faire une visite. Alors le corbeau apporta un pain entier pour le djeuner des deux saints; et cela est trs vrai, attendu que saint Jrme en donne sa parole d'honneur. Revenons lie. Mais il arriva, au bout de quelques jours, que le torrent tarit, parce qu'il ne pleuvait plus nulle part. Alors la voix d'Adona se fit encore entendre au prophte et lui di t: Maintenant, va Sarepta, qui est prs de Sidon, et tu y habiteras; il y a l une veuve, qui j'ai command de te nourrir. Il alla donc aussitt Sarepta; et, comme il arrivait la porte de la ville, il aperut une femme qui ramassait du bois; Elie vit bien qu'elle tait veuve: c'est pourquoi il l'appela et lui dit: Je t'en prie, puise de l'eau dans un pot, et fais-moi boire. La femme allait lui chercher de l'eau; mais il la rappela et il ajouta: Je t'en prie, apporte-moi aussi une bouche de pain. Alors, elle lui rpondit: L'Eternel ton Dieu, qui est vivant, m'est tmoin que je n'ai pas le moindre gteau; je possde en tout, dans un vase, un peu de farine, peine de quoi remplir ma main, et un peu d'huile au fond d'une fiole. Je suis donc venue chercher quelques brins de bois, que j'allume pour faire cuire ce restant de farine; mon fils et moi, nous le mangerons, et ensuite il ne nous restera plus qu' mourir. Elie lui dit: Aie confiance et fais ce que je t'ai dit; appr te d'abord pour moi un petit pain cuit sous la cendre, que tu m'apporteras; ensuite, tu en feras pour toi et ton fils autant que tu voudras; car l'Eternel, dieu d'Isral, a dcrt que la farine qui est dans ton vase ne diminuera point, ni l'huile dans ta fiole, jusqu' ce qu'il ait fait pleuvoir sur terre. La veuve s'en alla donc, fit ce qu'Elie lui avait dit, et puis le logea chez elle, et elle mangea avec son fils et lui plusieurs jours, sans que la 200
farine ni l'huile vinssent manquer, selon la parole que Jhovah avait prononce par la bouche d'Elie. (v. 7-16) Or, aprs ces choses, il arriva que le fils de la veuve tomba malade; et la maladie fut si forte, qu'il expira. Alors, cette femme dit lie: Qu'y a-t-il entre toi et moi, homme de Dieu? Es-tu venu chez moi pour rveiller devant Dieu le souvenir de mes vieux pchs et faire mourir ainsi mon fils? lie lui rpondit: Donne-moi ton fils. Il le prit la veuve qui le tenait serr contre son sein; puis, il le porta dans la chambre o il logeait et le coucha sur son lit. Aprs quoi, il cria trs fort l'ternel: ternel mon Dieu, as-tu ce point afflig cette veuve, que tu lui aies fait mourir son fils? Et, ayant ainsi cri, il s'assit sur l'enfant et s'tendit de tout son long sur le cadavre, par trois fois, en criant encore: ternel mon Dieu, je te prie de faire rentrer l'me de cet enfant dans son corps! Alors l'ternel entendit la voix d'lie et exaua sa prire; l'me de l'enfant rentra dans le cadavre, et le corps redevint vivant. Et lie prit l'enfant par la main et dit sa mre: Regarde, ton fils vit. Et la veuve rpondit lie: Je connais maintenant que tu es un homme de Dieu et que dans ta bouche la parole de l'ternel est vritable. (v. 17-24) Il semblerait, d'aprs ce dernier verset, que la veuve se convertit, car, tant Sidonienne, elle pratiquait videmment la religion des Phniciens, et nous venons de voir que Dieu, qui avait d'abord plac son prophte chez les hrtiques du royaume d'Isral, l'en retira momentanment pour le faire aller chez les infidles. Ce prophte tait plein de sagacit, puisqu'il avait devin, au premier coup d'il, que la femme qui ramassait du bois tait veuve. On aura peut-tre trouv tonnant qu'il ait commenc par demander pour lui le seul morceau de pain qui restait cette femme, et il semble que la veuve, quoique croyante aux faux dieux de Phnicie, a eu plus de confiance en la parole d'un inconnu lui parlant au nom du Dieu d'Isral que le prophte n'avait lui-mme confiance en son Jhovah; mais cela n'est qu'une apparence, vous diront les thologiens: lie prouvait cette femme, et le miracle s'est accompli en sa faveur, prcisment parce qu'elle n'a pas hsit croire le prophte. Si elle avait refus de donner lie son dernier morceau de pain, il n'y aurait pas eu de miracle, par consquent; mais alors ce que Dieu avait annonc son prophte ne se serait donc pas ralis? Inutile d'approfondir; c'est justement la spcialit du surnaturel d'tre incomprhensible. Ce qui mrite mieux l'examen, c'est le fait des miracles que Jhovah accomplissait chez les peuples qui ne pratiquaient pas son culte et qui ne l'adoptaient pas, aprs avoir t tmoins de ces merveilles. En effet, il n'est pas dit formellement que la veuve de Sarepta embrassa la religion juive. Cette observation a permis aux critiques de rappeler que tous les peuples de l'antiquit reconnaissaie nt un Dieu suprme qui communiquait une partie de son pouvoir ceux qu'il voulait favoriser, tantt des mages d'gypte, tantt des mages de Perse ou de Babylone, tantt des hrtiques samaritains, des idoltres mme, comme Balaam; ces critiques ajoutent que chacun conservait ses rites, son culte, ses dieux secondaires, en adorant le Dieu universel sous un nom qui variait selon les pays. Ceci expliquerait que le pharaon qui vit les miracles de Mose reconnut la puissance de Dieu et ne changea point de culte, et que la veuve de Sarepta put reconnatre le pouvoir de l'ternel invoqu par Elie, sans se faire juive pour cela. Il est bien entendu que, par ces observations, les critiques n'entendent nullement admettre l'authenticit de ces diverses histoires de miracles; mais ils donnent les explications que nous venons de reproduire, afin qu'on puisse se rendre compte des conditions dans lesquelles on a pu inventer ces merveilleuses histoires. En la troisime anne de ce temps-l, Jhovah adressa de nouveau la parole Elie et lui dit: Le moment est venu de te montrer Achab; car je vais donner de la pluie la terre. (18:1) La terre tait donc demeure pendant trois ans sans une goutte de pluie! lie s'en alla donc pour se montrer au roi d'Isral; or, il y avait une grande famine Samarie. (v. 2) Aprs trois annes de scheresse, cela se conoit; mais pourquoi la famine svissait-elle Samarie plutt qu'ailleurs? Et Achab avait appel Abdias, son matre d'htel. Cet Abdias avait une grande 201
crainte de Jhovah; c'est pourquoi, une poque o Jzabel faisait exterminer les prophtes de Jhovah, il en cacha cent, qu'il nourrissait de pain et d'eau, cinquante dans une caverne et cinquante dans une citerne dessche. Et Achab avait dit Abdias: Il faudrait au moins sauver nos chevaux et nos mulets, et, puisque la pluie ne tombe plus, allons vers toutes les fontaines et vers tous les torrents, et ramassons l'herbe que nous trouverons au bord des eaux qui coulent, afin que le pays ne soit pas dpeupl de btes. Et ils se partagrent le royaume pour l'explorer, en allant chacun de son ct; Achab prit par un chemin, et Abdias allait par un autre chemin. (18:3-6) On ne voit pas bien ce roi quittant son palais pour aller ramasser de l'herbe et revenir ensuite garnir les rteliers de ses curies; il semble qu'il aurait d charger ses domestiques de cette besogne. Mais on pourra rpondre qu'il est sous-entendu que, devant l'effroyable misre qui avait t fatalement le rsultat de trois annes sans une goutte de pluie, le roi Achab avait congdi tout son personnel et n'avait gard que son matre d'htel. Le plus extraordinaire tait qu'il y et encore des fontaines, des torrents, des rivires: les prairies n'existaient plus, c'est clair, faute de pluie; mais, en l'absence de toute eau du ciel, comment les sources s'alimentaient-elles? Il est bien amusant de penser que les dvots, qui lisent la Bible et qui y ont foi, ne se posent aucune de ces questions. Passons. Abdias, en cherchant de l'herbe, rencontre lie, devant qui il se prosterne et qui lui dit d'annoncer Achab sa prochaine visite. Cette proposition trouble singulirement Abdias, qui se tient le raisonnement suivant: Quoi! lie, tu m'invites aller dire au roi mon matre: Voici lie qui va venir. Mais il arrivera qu' peine je serai parti d'auprs de toi, l'ternel te transportera en quelque lieu cach que j'ignorerai; alors, moi, j'aurai annonc ta visite Achab, et, comme on ne te trouvera plus nulle part, Achab croira que je me suis moqu de lui, et il me tuera. (v. 12) On voit que le bonhomme Abdias craignait Jhovah au point de se dfier mme d'une fumisterie. Heureusement, lie le rassura et s'engagea, au nom de l'ternel, se montrer dans les vingt-quatre heures au roi Achab. (v. 15) Achab, ayant t inform par Abdias, vint au-devant d'lie, et, ds qu'il le vit, il lui dit: N'es-tu pas celui qui trouble Isral? Mais lie lui rpondit: Ce n'est pas moi qui trouble Isral; c'est toi et la maison de ton pre, depuis que vous avez abandonn Adona pour adorer Baal. Mais fais ce que je vais te dire: ordonne tout le peuple d'Isral de se rassembler devant moi sur les montagnes du Car mel, et fais-y venir aussi les quatre cent cinquante prtres de Baal, et les quatre cents prophtes des bocages qui mangent la table de ta femme Jzabel. Achab runit donc sur le Carmel tous les enfants d'Isral et tous les prophtes. Puis, Elie dit haute voix au peuple:. Jusques quand boiterez-vous des deux cts? Si Jhovah est dieu, adorez- le; mais si c'est Baal, vous lui devez vos adorations. Et le peuple ne rpondit pas un seul mot. (18:16-21) Alors Elie dit encore: Je suis demeur le seul prophte de Jhovah, tandis que les prophtes de Baal sont ici quatre cent cinquante. Eh bien, qu'on amne deux bufs. Les prophtes de Baal en choisiront un; qu'ils le mettent en pices, qu'ils le placent au-dessus d'un amas de bois, mais sans y mettre le feu; et moi, je ferai de mme pour l'autre buf. Invoquez tous le nom de vos dieux, et moi j'invoquerai le nom du mien. Que le dieu qui exaucera par le feu soit dsormais votre dieu. Tout le monde lui rpondit: Excellente propositio n! Et lie invita les prtres de Baal sacrifier leurs choix un des bufs que l'on amena; il dit expressment: Surtout ne mettez point le feu votre amas de bois. (18:22-25) Les prophtes d'Achab prparrent donc leur buf comme il tait convenu, et ils invoqurent Baal depuis le matin jusqu' midi, en s'criant: Baal, exauce-nous! Mais il n'y eut de Baal ni voix ni rponse. Et ces prophtes sautaient par-dessus leur amas de bois. Quand il fut midi, lie se moqua d'eux, en ces termes: Criez plus fort, puisque Baal est dieu; mais il a peut-tre quelqueautre affaire qui l'occupe, ou bien il est au cabaret, ou encore il voyage; peut-tre aussi, il se peut qu'il dorme en ce moment; ne craignez donc pas de trop crier pour le 202
tirer de son sommeil. C'est pourquoi ces prophtes criaient de toutes leurs forces; ils se firent aussi dans les chairs des incisions selon leur rite avec des couteaux et des lancettes, jusqu' ce qu'ils fussent couverts de sang. (18:26-28) Les critiques font remarquer que le mont Carmel tait sur le territoire des Sidoniens, et que le royaume de Sidon tait distinct de celui d'Isral, puisqu'il est dit plus haut que Jzabel tait fille d'Ithobal, roi des Sidoniens. Il n'est pas admissible que les sujets d'Achab soient alls se runir sur un point situ dans un autre royaume, pour assister l'exprience demande par lie. Le mont Carmel ne figure donc dans ce rcit que par l'effet d'une erreur gographique du divin pigeon. Les critiques disent encore que, si l'on veut croire la ralit de cet pisode et le prendre tel qu'il est narr, il en ressort avec vidence, par l'acceptation unanime et soudaine que les Isralites font de l'offre d'lie, qu'ils taient de bonne foi; il n'est pas moins vident que leurs prtres, rputs faux prophtes d'aprs la Bible, avaient autant confiance dans leur dieu Baal qu'lie dans Jhovah, puisqu'ils se donnaient des coups de couteau et faisaient couler leur sang pour obtenir le feu du ciel. Mais il convient mieux de ne retenir de tels rcits, si ridiculement fantaisistes, que certaines constatations, intressantes pour l'histoire du peuple juif, et ces constatations sont celles qui restent, une fois qu'on a dgag les anecdotes bibliques de leur cadre de miracles plus ou moins merveilleux. Il rsulte donc tout simplement de ceci que le peuple d'Isral et le peuple de Juda adoraient le mme dieu sous des noms diffrents. Isral avait des veaux d'or; mais Juda avait ses bufs d'or, placs par Salomon dans le sanctuaire avant que Ssac vnt piller Jrusalem et le temple. Il est clair, par le texte, qu'Isral n'adorait point en ralit ses veaux, puisqu'il n'adorait que Baal. Or, ce mot Bal, Bel, Baal, signifiait le Seigneur , comme Adona, Eloa, Sabaoth, Schadda, Jhovah. Les rites, les sacrifices taient entirement les mmes; les intrts seuls taient diffrents. L'hrsie d'Isral ne consistait donc qu'en ce que les Isralites ne voulaient pas porter leur argent . Jrusalem, dont la tribu de Juda tait en possession. Lorsque le midi fut pass et que les prophtes de Baal se furent puiss en vains efforts, alors lie rtablit l'autel d'Adona, en prenant douze pierres, selon le nombre des tribus des enfants de Jacob; puis, il fit une rigole tout autour, arrangea son bois sur les pierres, abattit son buf et le coupa en morceaux, qu'il disposa au-dessus de son bois, sans le moindre feu. Et il fit verser sur son bois douze cruches d'eau, de sorte que non seulement le bois fut mouill, mais encore l'eau coulait dans la rigole et la remplissait tout fait. Alors, Elie s'cria: Adona! dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob! voil le jour o il faut que l'on connaisse que tu es le dieu d'Isral, et que je suis ton serviteur, et que c'est par ton ordre que j'ai fait tout cela! Exauce-moi, ternel, exauce-moi! A peine avait-il fini son invocation, que le feu d'Adona descendit du ciel et dvora d'un seul coup les morceaux de buf, le bois, les pierres de l'autel, et mme toute l'eau qui tait dans les rigoles. A cette vue, les gens du peuple s'allongrent par terre, le visage contre le sol, en criant Oui, Adona est dieu! oui, Adona est dieu! Alors, lie, les ayant fait relever, leur dit: Maintenant, saisissez les prophtes de Baal et les prophtes des bocages, et qu'il n'en chappe pas un seul! Et le peuple les ayant pris, lie les conduisit au torrent de Kison, o il ordonna leur mort, et tous sans exception prirent l. (v. 29-40) Quelques savants prtendent qu'lie n'est qu'un personnage allgorique, qu'il n'y eut jamais d'lie. Mais, si lie exista, les critiques disent que jamais juif ne fut plus barbare, attendu que, d'aprs le texte mme, les prtres de Baal taient aussi dvots leur dieu que lui au sien, et que leur foi tait aussi grande que la sienne. Ils taient fidles leur dieu et leur roi: il y avait donc une injustice horrible leur infliger la mort. Et comment le roi d'Isral tolra-t-il leur excution? C'tait se condamner lui-mme!... De plus, lie devait, en bonne logique, esprer que le miracle inou de la foudre qui vint, en temps serein, brler instantanment son buf, son bois, ses pierres et l'eau de ses rigoles, donnerait rflchir ces prtres hrtiques 203
et les convertirait infailliblement. Il devait donc porter sur ses paules les brebis gares; il devait vouloir le repentir des pcheurs et non leur mort. Aprs la noyade des prtres de Baal dans le torrent de Kison, Elie dit Achab: Monte, mange et bois, car on entend le bruit d'une grande pluie. (v. 41) Nous n'avons pas oubli que, depuis trois ans, toutes les nations de la terre, et celle d'Isral en particulier, attendaient avec de vifs dsirs le bienfait d'une pluie. lie annonait donc une heureuse nouvelle Achab; mais il blaguait en disant qu'on entendait le bruit d'une averse, car on n'entendait rien du tout, ainsi que cela rsulte des versets suivants. Achab monta donc au sommet de la montagne, pour manger et pour boire, et Elie gravissait aussi le sommet du Carmel. Alors, lie se prosterna si profondment qu'il tenait son visage entre ses genoux. (v. 42) Peut-tre le prophte avait t clown, dans sa jeunesse. Puis, Elie dit: Regarde maintenant vers la mer. L'autre regarda et rpondit: Je ne vois rien. lie reprit: Eh bien! retourne-toi jusqu' sept fois pour regarder la mer qui est l-bas. A la septime fois, l'autre dit: J'aperois au loin une petite nue, qui n'est pas plus grosse que le poing d'un homme, et celte nue monte de la mer. lie dit Achab: A prsent, saute promptement sur un chariot, et descends la montagne toute vitesse, afin que la pluie torrentielle qui arrive ne te surprenne pas. Puis, les cieux s'obscurcirent, tant les nuages s'amoncelrent de tous cts; la tempte commena, et il se mit pleuvoir par quantits d'eau extraordinaires. Achab monta sur un chariot, et lie, s'tant entour les reins d'une ceinture bien serre, courait devant le chariot d'Achab; il courut ainsi jusqu' Jizrhel, o le roi mit pied terre. (18:43-46) Le spectacle de ce prophte, sans parapluie, courant devant le chariot royal de toute la vitesse de ses jambes, ne devait pas manquer de pittoresque. Mais voici qu'Achab raconta Jzabel comment lie avait fait mettre mort tous les prtres de Baal; et, aprs cela, lie reut un message de la reine, qui lui dclarait ceci: Que mes dieux me traitent avec la dernire rigueur, si demain, cette mme heure, je ne t'ai pas mis dans le mme tat o tu as mis les prtres! En recevant ce message, lie eut le cur boulevers, et il s'enfuit en toute hte jusqu' Ber-Scbah; et il s'enfona trs avant dans le dsert. Aprs toute une journe de course, il s'arrta, trs fatigu; il s'assit sous un gent, et l il demanda Dieu de lui retirer son me; il dit: J'en ai assez, mon Seigneur! prends mon me, je t'en supplie. (19:1-4) Ici, on s'tonne bien de deux choses: premirement, que la reine Jzabel ait t assez sotte pour avertir lie, par message, qu'elle avait dcrt de le faire assassiner le lendemain, ce qui lui donnait vingt-quatre heures pour prendre de la poudre d'escampette; secondement, rien n'est plus singulier que la poltronnerie subite de ce gaillard qui, ayant le pouvoir de ressusciter les morts et disposant son gr des nues et de la foudre, eut un si beau trac devant les menaces d'une femme. Or, lie, aprs sa prire, se coucha et s'endormit sous le gent. Alors un ange le secoua, en lui criant: Rveille-toi donc et mange! lie se leva et ne vit personne; mais, ct de lui, il y avait un gteau, sorti tout chaud du four, et une bouteille d'eau. Il en mangea et but, et il se recoucha. Mais l'ange le secoua encore, en lui criant: Mange tout le gteau, et bois toute la bouteille! Et Elie se rveilla. L'ange lui dit alors: Tu as un long chemin faire; tu ne pourras l'accomplir, si tu ne reprends des forces. Il se leva donc et finit le gteau et la bouteille; et, avec les forces que lui donnrent ce repas, il marcha sans s'arrter pendant quarante jours et quarante nuits jusqu'au mont Horeb, la montagne de Dieu. (19:5-8) En dictant l'crivain sacr cette rjouissante histoire, le divin pigeon parat avoir totalement oubli que, lorsqu'il dictait le rcit des aventures de Mose, il nous reprsenta les Hbreux marchant trente-huit ans pour se rendre du mont Horeb aux environs de Ber-Scbah. Il nous semble voir une bonne dvote, qui, frappe de cette contradiction, mais n'osant pas douter, interrogerait son directeur de conscience. 204
Croyez-vous, par hasard, que le confesseur serait embarrass? Oh! que nenni! Un tonsur sait toujours quoi rpondre l'ouaille crdule. Du mont Horeb Ber-Scbah, prononcerait-il avec gravit, il y a trois cent quarante-sept fois plus de distance que de Ber-Scbah au mont Horeb; voil pourquoi Mose a march trente-huit annes, et lie quarante jours, selon la parole divine, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Et la fidle ouaille, n'en demandant pas davantage, admirera d'autant plus la Bible qu'elle la trouvera moins comprhensible. Quoi qu'il en soit quant la longueur du chemin, il convient de regretter que l'ange de Ber- Scbah n'ait pas crit quelque part la recette du gteau qui suffit pour la nutrition d'un touriste pendant quarante jours; et s'il ne l'a pas rvle Elie, au moins aurait-il d la rvler Tartarin, qui, coup sr, aurait mang de cette galette avant de se mettre en marche pour ses mirifiques excursions. Un voyage, qui dbutait d'une faon si merveilleuse, rservait videmment Elie bien d'autres surprises. Arriv au mont Horeb, le prophte de Dieu entra dans une caverne et y passa la nuit. La voix de Jhovah. le rveilla, vers le matin, en lui disant: Elie, que fais-tu ici? (v. 9) lie n'avait reu de l'ange aucune instruction prcise; il savait qu'il devait se rendre au mont Horeb, mais c'tait tout. Dans quel but ce voyage? il l'ignorait absolument. La question de papa bon Dieu tait donc bizarre. Nanmoins, Elie rpondit, en s'excusant au sujet de sa fuite: Seigneur, les enfants d'Isral ont abandonn ton alliance, ils ont dmoli tes autels, ils ont tu tes prophtes, et je suis demeur moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l'ter! (v. 10) Remarquons, en passant, qu'lie conte une blague au seigneur Jhovah: ce n'est pas des enfants d'Isral qu'il a peur, c'est de M me Jzabel, dont il ne parle pas. Les enfants d'Isral viennent de jeter, pour lui tre agrable, tous les prtres de Baal dans le torrent de Kison; il n'a gure les redouter! L'apostasie qu'il rappelle, mais c'est de l'histoire ancienne! Le peuple, tmoin du miracle opr sur le Carmel, a cri: Vive Adona! Jhovah connat, aussi bien qu'lie, le revirement qui s'est manifest en sa faveur. Vraiment, lie parle pour ne rien dire. Jhovah ne se proccupe pas de cette rponse. Il reprend: Sors, dit Jhovah lie, et tiens- toi debout sur la montagne; car je vais passer. Alors, s'leva un vent trs imptueux qui dracinait les arbres et fendait les rochers, et le mont Horeb se souleva en de violentes secousses, tellement que les pierres s'arrachaient et se brisaient les unes contre les autres; mais Jhovah n'tait point dans ce tremblement de terre. (v. 11) Reprsentez-vous lie sur cette montagne qui se met en danse; on aurait pay cher pour voir a de loin avec une longue-vue. Et ce n'tait pas finit Aprs le tremblement, la montagne sur laquelle lie se trouvait prit feu de toutes parts; mais Jhovah n'tait point dans les flammes. Aprs le feu, il y eut le sifflement d'un petit vent, doux et subtil. (v. 12) Ne riez pas: Dieu tait dans le petit vent. Aussitt, lie enveloppa son visage de son manteau, et Jhovah lui dit, d'une voix tonnante: lie, que fais-tu ici? (v. 13) Le prophte rpte sa rponse de tout l'heure, mot pour mot. Mais l'ternel lui dit: Recommence tout le chemin que tu as fait, retourne et va-t'en Damas. L, tu oindras Hazal pour roi sur la Syrie. Tu oindras aussi Jhu, petit-fils de Namsi, pour tre roi sur Isral; enfin, tu verras le bouvier lise, fils de Saphat, et tu l'oindras prophte ta place. Et il arrivera que quiconque chappera l'pe d'Hazal sera tu par Jhu, et que quiconque chappera l'pe de Jhu sera mis mort par lise. (v. 15-17) On n'a jamais pu expliquer ce passage de la Bible, attendu qu'il n'est dit nulle part qu'lise fut oint ni qu'il ait gorg ceux qui chapprent l'pe de Jhu. lie partit donc du mont Horeb, et plus lard il rencontra un homme qui labourait avec douze coup les de bufs. C'tait lise. Alors, lie passa auprs de lui sans lui parler et lui jeta son manteau sur les paules. 205
lise laissa aussitt ses bufs, courut aprs lie, et lui offrit de le suivre, aussitt qu'il aurait pris cong de son pre et de sa mre. (v. 19-20) C'est ainsi qu'lise devint le serviteur d'lie, sans avoir t oint le moins du monde. Le chapitre 20 du premier livre des Rois relate une guerre que le roi de Syrie, Bnadab, encore un inconnu, dclara au roi d'Isral sous un prtexte peu commun. Ce Bnadab, un beau matin, envoya un messager Achab pour lui dire: Je veux tre le mari de tes femmes et le pre de te enfants; donne-moi donc tout de suite tes femmes, tes enfants, et, en mme temps, donne-moi beaucoup d'argent et beaucoup d'or (v. 5). Achab runit les anciens d'Isral et leur dit: Je crois que ce prince se moque de moi. Les anciens lui rpondirent: Seigneur, n'coute point Bnadab, et n'acquiesce pas sa demande. Bnadab, voyant sa requte repousse, entra dans une grande colre et jura que toute la terre de la capitale d'Isral ne tiendrait pas dans sa main. Dclaration de guerre; terrible bataille; triomphe d'Achab, tout coup protg par Jhovah, on ne sait pas pourquoi. Bnadab se rfugie dans la ville d'Aphek et se cache au fond du cabinet le plus retir d'une maison . Nanmoins, il tombe finalement entre les mains d'Achab, qui, jugeant sans doute qu'il avait affaire un fou, l'pargne. Dieu se repent d'avoir donn la victoire Achab. Ce n'est pas plus intressant que a! Ici se place l'histoire bien connue de Naboth, propritaire d'une vigne Jizrhel, laquelle vigne tait voisine du palais d'Achab. Le roi fait au bonhomme Naboth des propositions qui eussent sduit n'importe lequel de nos contemporains. Cette vigne, Achab voudrait l'acheter pour la transformer en jardin; il offre Naboth de la payer ce qu'il dsirera, sans marchander, ou, si Naboth prfre, de lui donner une autre vigne d'une valeur bien suprieure. Naboth repousse les ouvertures du roi. Il tient cette vigne de son pre, et il entend la garder, quand le diable y serait! Achab, en prsence de cet enttement de paysan, est si mortifi de son insuccs, qu'il en perd le boire et le manger. Alors, Jzabel fit lapider Naboth par des coquins qui elle avait graiss la patte, elle conseilla ensuite Achab d'entrer en possession de la vigne convoite. Ces vnements provoqurent l'intervention d'lie, truchement de Jhovah. Achab, ayant entendu les menaces profres contre lui, dchira ses vtements et ne se promena plus, pendant quelque temps, dans sa capitale, sans tre revtu d'un sac. (ch. 2 1) Les circonstances qui prcdrent la mort d'Achab valent la peine d'tre relates tout au long, d'aprs le texte sacr: et, d'ailleurs, on ne s'embte pas en lisant le chapitre 22 du premier livre des Rois qui expose ce qui s'est pass non seulement sur terre, mais encore au ciel, ce sujet. Nous avons l un certain Miche, prophte de son mtier, qui assiste au grand conseil tenu par Jhovah dans le royaume ternel, et qui en fait le rapport, en sa qualit de tmoin oculaire; on n'est pas plus prcis, vous allez voir! Trois ans se passrent, sans qu'il y eut guerre entre la Syrie et Isral. Ensuite, Josaphat, roi de Juda, vint rendre visite au roi d'Isral. (22:1-2) Il est bon de savoir que Josaphat, fils du vertueux Asa, tait lui-mme d'une pit exemplaire envers Jhovah; dans la priode du royaume de Juda, lui, Josaphat, et le roi zchias, dont il sera question plus loin, sont cits par les curs comme les deux monarques modles. Il n'en est pas moins vrai que le pieux Josaphat entretenait avec l'impie Achab les meilleures relations d'amiti; l'idoltrie d'Achab et de Jzabel l'effarouchait si peu, qu'il leur avait demand et obtenu la main de leur fille Athalie pour son fils Joram. Notons, en passant, que la reine Jzabel fut trs prolifique, et nous savons, d'aprs les paroles de Jhovah Abraham et Jacob, qu'une famille nombreuse est une des meilleures bndictions divines; Achab et Jzabel, quoique idoltres, furent donc bnis de Jhovah, puisqu'ils eurent (on le verra plus loin) soixante-douze fils, sans compter les filles, dont Athalie tait l'ane. Voil donc le pieux Josaphat en visite chez son co-beau-pre Achab. Le roi d'Isral dit ses officiers: Je viens de me souvenir que la ville de Ramoth-Galaad nous appartient; pourquoi ne nous mettons-nous pas en devoir de la retirer d'entre les mains du roi de Syrie? (v. 3) En 206
effet, trois ans auparavant, lors de la guerre qu'il avait eue avec Bnadab, roi de Syrie, Achab avait extermin ses ennemis, et, aprs cette extermination, il n'avait pas pens remettre la main sur Ramoth-Galaad, ville isralite! On n'est pas plus ngligent. Et Achab, se tournant aussi vers Josaphat, lui dit: Ne viendras-tu pas avec moi la guerre pour m'aider reprendre Ramoth-Galaad? Josaphat rpondit au roi d'Isral: Dispose de moi comme de toi, et de mon peuple comme de ton peuple, et de mes chevaux comme de tes chevaux. (v. 4) Hein! tait-il assez gentil pour l'impie Achab, notre pieux roi de Juda?... Toutefois, en sa qualit de dvot, Josaphat conseilla de se renseigner auprs de Jhovah, pour savoir s'il verrait de bon il cette expdition. Josaphat ajouta: Nanmoins, je t'en prie, informe-toi de la parole de Jhovah. Alors, le roi d'Isral fit appeler environ quatre cents prophtes, et leur posa cette question: Irai-je la guerre contre Ramoth-Galaad, ou dois-je renoncer reprendre cette ville? Les prophtes rpondirent: Vas-y; car Jhovah livrera la ville entre tes mains. (v. 5-6) Comme on le voit, les prophtes ne manquaient pas chez les Juifs; huit cent cinquante prophtes de Baal et des bocages avaient t occis au torrent de Kison; au bout de trois ans, quatre cents prophtes de Jhovah les remplaaient. Josaphat trouvait que ce n'tait pas assez; il et dsir que pas un prophte ne manqut la consultation. C'est pourquoi Josaphat demanda: N'y aurait-il pas encore quelque autre prophte de Jhovah que l'on pourrait interroger? Achab rpondit: Oui, il en reste encore un; mais je hais cet homme-l, parce qu'il ne prophtise jamais rien de bon, quand il est question de moi. C'est Miche, fils de Jim la. Josaphat dit au roi d'Isral: Je t'en prie, ne parle point ainsi; il faut respecter tous les prophtes de Jhovah. Alors, Achab appela un de ses officiers et lui dit: Fais venir Miche en toute hte. (v. 7-9) Or, le roi d'Isral et Josaphat, roi de Juda, taient assis chacun sur son trne, revtus de leurs plus beaux habits, sur la grande place qui tait prs de la porte de Samarie; et tous les prophtes prophtisaient en leur prsence. Alors, le prophte Sdkias, fils de Canahana, se mit des cornes de fer sur la tte et dit: Ces cornes frapperont la Syrie jusqu' ce qu'elle soit dtruite; c'est la parole mme de Jhovah. Et tous les prophtes prophtisaient de mme, disant aux deux rois: Montez contre Ramoth-Galaad, et vous serez victorieux; car Jhovah vous livrera la ville. (v. 10-12) On fait remarquer que le prophte Sdkias pouvait prdire aux deux rois des choses agrables, sans se mettre deux cornes de fer sur la tte. C'et t un beau spectacle, si tous les autres pro-moment qu'elle venait de Miche; aussi insista-t-i l. Le roi d'Isral lui dit: Parle-moi avec vrit, je t'en conjure; combien de fois faudra-t-il que je l'en prie? Allons, dis-moi la parole de Jhovah. Et Miche lui rpondit, cette fois: Eh bien, j'ai vu Isral tout dispers travers les montagnes, comme un troupeau de brebis qui a perdu son berger, et Jhovah, qui tait l, disait: Maintenant qu'ils n'ont plus leur matre, qu'ils s'en retournent en paix, chacun dans sa maison. Alors le roi d'Isral dit Josaphat: Ne t'avais-je pas prvenu que celui-l ne prdit jamais rien de bon, quand il s'agit de moi? (v. 16-18) Restait claircir pourquoi les autres prophtes avaient fait des prophties favorables; car les quatre cents avaient -ils raison contre Miche, ou Miche contre les quatre cents? Miche reprit donc la parole, et c'est ici que son rcit est surtout admirable. coute, dit-il Achab, ce que j'ai vu de mes propres yeux, et tu sauras pourquoi tu as t tromp par les autres prophtes. Jhovah m'a admis le voir, lorsqu'il tait assis sur son trne, et j'ai assist au conseil qu'il tenait, ayant toute l'arme des cieux devant lui, ainsi qu' sa droite et sa gauche. Et Jhovah disait: Qui est-ce qui veut se charger de persuader Achab d'aller combattre contre Ramoth-Galaad? qui lui fera croire qu'il sera victorieux? car, en le trompant ainsi, sa mort sera certaine. Un ange disait d'une faon, et un autre ange disait d'une autre faon. Alors, un ange s'avana jusque devant le trne de Jhovah, et, se tenant debout, dit Dieu: Moi, je me charge de sduire le roi d'Isral. Jhovah lui dit: Comment donc t'y prendras-tu? L'ange rpondit au Trs-Haut: Je sortirai d'ici et je descendrai sur terr e; l, j'entrerai dans tous les prophtes, et je dirai des mensonges par leur bouche; ainsi, Achab 207
croira les proph tes. Et Jhovah dit: Ce projet est habilement combin pour tromper Achab; va, et tu russiras tout fait. Aprs ce rcit, Miche ajouta: O roi, apprends par ceci que Jhovah a mis un esprit menteur dans la bouche de tous les autres prophtes; mais ceci te prouve aussi que Jhovah a prononc un arrt de mal contre toi. (22:19-23) Eh bien, comment trouvez-vous l'anecdote? Est-il assez phtes et tous les officiers de l'arme s'taient mis des cornes pour opine r! Le messager qui avait t envoy Miche, trouva ce prop hte dispos venir et promettant de dire exactement la parole de Jhovah. Arriv devant les deux rois, il commena par dire comme les autres: Montez contre Ramoth-Galaad, et vous serez vainqueurs, la ville vous sera livre par Jhovah (v. 13-14). Cette prophtie agrable tonna fort Achab, du bien russi, ce Jhovah qui manuvre avec ses anges pour tromper les hommes? Lord Bolingbroke, en commentant ce passage de la Bible, dit que c'est une mauvaise imitation d'un pisode de l'Iliade (livre 2), o Jupiter, en qute d'expdients pour relever la gloire d'Achille aux dpens d'Agamemnon, fait tromper celui-ci par un songe menteur. Il se peut, crit le philosophe anglais, que, les livres juifs ayant t crits trs tard, le prtre qui compila les rveries hbraques ait imit cette rverie d'Homre. Car, dans toute la Bible, le dieu des Juifs est trs infrieur au dieu des Grecs: il est presque toujours battu, il ne songe qu' obtenir des offrandes, et son peuple meurt toujours de faim. Il a beau tre continuellement prsent et parler lui-mme, on ne fait rien de ce qu'il veut. Si on lui btit un temple, il vient un Ssac, roi d'Egypte, qui le pille et qui emporte tout. S'il donne en songe la sagesse Salomon, ce Salomon se moque de lui et l'abandonne pour d'autres dieux. S'il donne la terre promise son peuple, ce peuple y est esclave depuis la mort de Josu, jusqu'au rgne de Sal. Il n'y a point de Dieu ni de peuple plus malheureux. Les compilateurs des fables hbraques ont beau dire que les Hbreux n'ont toujours t misrables que parce qu'ils taient toujours infidles, nos prtres anglicans en pourraient dire autant de nos Irlandais et de nos montagnards d'Ecosse, pourtant fort dvots, quoique misrables. Rien n'est plus ais que de dire: Si tu as t battu, si tu es dans l'adversit, c'est parce que tu n'as pas t assez religieux; si tu donnais plus d'argent l'glise, tu serais vainqueur, tu prosprerais. Cette, infme superstition est ancienne; elle a fait le tour de la terre; elle a t le mot d'ordre des prtres de toutes les religions et leur a servi s'enrichir chez tous les peuples aux dpens de la btise humaine. Mais les prophtes qui Miche avait donn un dmenti se rebiffrent; Sdkias, l'homme aux cornes de fer, souffleta Miche (v. 24), et celui-ci fut, au surplus, mis en prison (v. 27). Aprs quoi, Achab partit en guerre pour reprendre Ramoth-Galaad aux Syriens, et le roi de Juda se joignit lui (v. 29); ce qui nous permet de constater que le pieux Josaphat crut les quatre cents prophtes plutt que l'extraordinaire Miche. Cependant, d'aprs le rcit biblique, il semblerait que le roi d'Isral n'tait pas trs rassur. Achab, ayant dclar guerre, dit Josaphat: Je vais me dguiser pour aller combat; mais toi, ne manque pas de revtir tes habits royaux. Et il fut fait ainsi. (v. 30) Le but d'Achab tait facile comprendre, et l'on se demande quelle dose de navet avait l'excellent Josaphat, aprs le langage de son co-beau-pre. Or, le roi des Syriens avait fait les recommandations que voici aux trente-deux capitaines de ses chariots: Vous ne combattrez contre qui que ce soit, ni petit ni grand, sinon contre le roi d'Isral seul. Il arriva donc que, ds que ces capitaines eurent vu Josaphat, ils coururent aussitt contre lui, le prenant pour Achab; mais il s'cria: Je ne suis pas le roi d'Isral! Alors, les capitaines se dtournrent de lui. Et voici qu'une flche, partie de l'arc de quelqu'un des Syriens, atteignit Achab avec force et le frappa entre les jointures de sa cuirasse. (v. 31-34) Ainsi prit l'poux de Jzabel; il mourut sur le soir, et le sang de sa plaie coula trs abondamment. (v. 35) L'auteur sacr nous apprend qu'il avait construit une maison tout en ivoire (v. 39), mais sans nous donner d'autres dtails. Achab eut pour successeur son fils an Ochosias, dont la courte histoire est narre dans le chapitre 1 er du second livre des Rois. Celui-ci dbute par un accident: un jour, il tomba par 208
la fentre de sa chambre haute, Samarie, et il en fut fort malade. (v. 2) Vu l'absence totale d'explications, nous en sommes rduit supposer que ce monarque devait tre enclin l'ivrognerie et qu'il habitait, on ne sait pourquoi, le plus haut tage de son palais; sans doute, le soir de l'accident, il tait plus saoul que de coutume, et, s'il passa par sa fentre, il est probable qu'il l'avait ouverte en la prenant pour un placard. Le dieu des pochards avait empch Ochosias de se tuer sur le coup; nanmoins, le roi s'inquitait de savoir s'il gurirait de sa maladie. C'est Baal Zboub (dont on a fait Belzbuth), divinit adore Hkron, qu'il s'adressa en cette circonstance; ce qui scandalisa lie au plus haut point. Un ange parla au prophte et le chargea de dire aux officiers du roi: N'y a-t-i l donc pas un dieu en Isral? pourquoi aller consulter le dieu d'Hkron? lie rpta ces paroles et ajouta: Dites au roi qu'il ne descendra pas de son lit, mais qu'il mourra, puisqu'il a fait appel Baal-Zboub. (1:3-4) Les officiers rptrent Ochosias les propos d'lie, sans pouvoir le renseigner exactement sur l'identit de ce prophte de malheur. Ochosias leur dit donc: Comment tait fait cet homme qui est venu au-devant de vous et qui vous a prononc de telles paroles? Et ils lui rpondirent: C'est un homme trs poilu, avec une ceinture de cuir sur les reins. Alors, le roi s'cria: C'est lie! Et aussitt il envoya vers lui un capitaine et cinquante soldats; et comme le prophte s'tait tabli sur le sommet d'une montagne, le capitaine des cinquante hommes lui dit: Homme de Dieu, descends de ta montagne; nous venons te chercher de la part du roi, qui veut te voir. lie rpondit au capitaine: Si je suis homme de Dieu, que le feu du ciel te consume, toi et tes cinquante soldats! Aussitt, un coup de tonnerre clata, et la foudre dvora le capitaine et ses cinquante hommes. (v. 7-10) Un second capitaine, galement escort de cinquante soldats, fut envoy lie par Ochosias; rptition exacte de la scne prcdente (v. 11-12). Troisime envoi d'un capitaine. Ce troisime capitaine de cinquante hommes vint donc lie et se mit genoux devant lui, le suppliant ainsi: Homme de Dieu, le feu du ciel est descendu ta voix et a consum les deux premiers capitaines et leur cinquante soldats; mais, maintenant, que ma vie te soit prcieuse, je t'en prie! Alors, un ange de Jhovah dit lie: Descends avec ce capitaine et n'aie point peur. lie alla donc vers le roi, et il lui dit: Parce que tu as voulu consulter Baal-Zboub, dieu d'Hkron, comme s'il n'y avait point de Dieu en Isral pour consulter sa parole, tu ne descendras point de ton lit, et tu mourras certainement. Ochosias mourut donc, et, comme il n'avait point de fils, son frre Joram lui succda; et Joram monta sur le trne d'Isral en la seconde anne du rgne de Joram, roi de Juda, fils de Josaphat. (1: 13-17) Lord Bolingbroke, commentant cet pisode, s'exprime ainsi: Cet lie, qui fait descendre deux fois la foudre sur deux capitaines, et sur deux compagnies de soldats envoys de la part de son roi, ne peut tre qu'un personnage chimrique; car s'il pouvait ainsi se battre coups de foudre, il aurait infailliblement conquis toute la terre, rien qu'en se promenant avec son valet. C'est ce qu'on disait tous les jours aux sorciers: Si vous tes srs que le diable, avec qui vous avez fait un pacte, fera tout ce que vous lui ordonnez, que ne lui ordonnez-vous de vous donner tous les empires du monde, tout l'argent et toutes les femmes? On pouvait dire de mme lie: Tu viens de tuer deux capitaines et deux compagnies de soldats coups de tonnerre, et tu t'enfuis comme un lche et comme un sot, ds que la reine Jzabel te menace de te faire pendre! Ne pouvais-tu pas foudroyer Jzabel, comme tu as foudroy ces deux pauvres capitaines? Quelle impertinente contradiction fait de toi tantt un dieu et tantt un goujat? Quel homme sens peut supporter ces dtestables contes qui font rire de piti et frmir d'horreur? On ne voit pas au surplus le motif de cette double extermination foudroyante. Il n'est dit, nulle part, dans le texte sacr, qu'Ochosias voulait faire jeter Elie en prison; quand celui-ci se dcide venir vers le roi qui le demande, il lui rpte sa prophtie de mauvais augure et s'en va tout tranquillement. En outre, si Ochosias avait rellement l'intention de lui infliger le sort 209
de M iche, point n'tait besoin d'assassiner par le feu du ciel cent-deux militaires parfaitement innocents qui ne faisaient qu'obir leur consigne; il suffisait de les rduire l'impuissance par une paralysie subite et phmre, qui et t aussi merveilleuse que les coups de foudre. D'autre part, propos d'Ochosias, de Josaphat et d es deux Joram, le livre divin contient une contradiction matrielle qu'il est bon de relever; elle est flagrante. Il est dit au premier livre des Rois, chapitre 22: Josaphat, fils d'Asa, avait commenc rgner sur Juda, en la quatrime anne du rgne d'Achab, roi d'Isral. Et Josaphat tait g de trente-cinq ans quand il commena rgner, et il rgna vingt-cinq ans Jrusalem. (v. 41- 42) Et plus loin, da ns le mme chapitre: Quand Josaphat s'endormit avec ses pres et fut enseveli avec eux, son fils Joram rgna sa place. (v. 51) Ce Joram, roi de Juda, n'est autre que l'poux d'Athalie, fille d'Achab. Et Ochosias, fils d'Achab, commena rgner sur Isral Samarie, en la dix-septime anne du rgne de Josaphat, roi de Juda; et il rgna deux ans sur Isral. (v. 52). On ne saurait tre plus clair, plus prcis. Par consquent, puisque la Bible nous dit ensuite qu'Ochosias n'eut pas de fils et eut pour successeur son frre Joram, il est mathmatiquement vident que ce Joram, roi d'Isral, monta sur le trne en la dix-neuvime anne du rgne de Josaphat, c'est--dire tandis que Josapbat avait encore six ans vivre, ou encore six ans avant l'avnement du Joram, roi de Juda, fils de Josaphat et poux d'Athalie. Il est donc impossible de concilier le chapitre 22 du premier livre des Rois avec le chapitre i er
du second livre, puisque ici le verset 17 vient de nous dire: Joram (frre et successeur d'Ochosias) monta sur le trne d'Isral, en la seconde anne du rgne de Joram, roi de Juda, fils de Josaphat. Puisque Joram de Juda a succd son pre Josaphat huit ans aprs la mort d'Achab (selon les versets 42, 51 et 52 du chap. 22), comment aurait-il pu avoir dj deux annes de rgne, lorsque son beau-frre Joram d'Isral succda Ochosias, galement son beau-frre? Voil dj une contradiction stupfiante. Mais attendez!... Un peu plus loin, le chapitre m de ce mme second livre des Rois dbute ainsi: En la dix-huitime anne du rgne de Josaphat, roi de Juda, Joram, second fils d'Achab, commena rgner sur Isral Samarie, et il rgna douze ans. (v. 1) Cette fois, il faut tirer l'chelle! La contradiction est triple. Ce nouveau verset rduit une anne le rgne d'Ochosias, que le verset 52 du chapitre 22 (premier livre) fixait deux ans; et la premire contradiction (2 livre 1:17) avait, au contraire, allong de huit ans ce rg ne du monarque fameux par sa chute inexplique d'une haute fentre! Qu'on ne nous reproche pas de nous attarder mettre en relief ces maladresses si grossires de l'crivain sacr. Elles montrent le j'm'en-fichisme des prtres qui ont fabriqu cette stupide, horrible et obscne Bible, et qui ne prenaient mme pas la peine de se relire! Cependant, un grand miracle tait dans l'air. En ce temps-l, Jhovah se prparait enlever lie dans un tourbillon; alors, lie et Elise venaient de Guilgal. Et lie dit Elise: Reste ici, je t'en prie; car Dieu m'envoie jusqu' Bthel. Mais Elise rpondit: Aussi vrai que Dieu est vivant et que ton me n'est pas morte, je ne te quitterai point. Ainsi ils descendirent Bthel. il y avait l des fils de prophtes; ils vinrent vers Elise et lui dirent: Ne sais-tu pas qu'aujourd'hui Jhovah va enlever ton matre? Il rpondit: Je le sais aussi bien que vous; mais n'en dites rien personne. Alors, lie lui dit: Elise, je t'en prie, ne va pas plus loin; car il faut que je m'en aille Jricho o Dieu m'envoie. lie rpondit encore: Aussi vrai que Dieu est vivant, etc. Ils se rendirent donc Jricho. L aussi il y avait des fils de prophtes; ils vinrent vers Elise et lui dirent: Ne sais-tu pas qu'aujourd'hui (comme, ci-dessus; et mme rponse d'Elise). Alors, Elie lui dit: Accordez-moi cela, de rester ici; car Dieu m'envoie jusqu'au Jourdain. Elise rpondit: Aussi vrai que Dieu est vivant et que ton me n'est pas morte, non, je ne te quitterai point. Ainsi, ils s'en allrent plus loin, tous deux cheminant ensemble. Et 210
cinquante hommes d'entre les fils des prophtes vinrent, et ils se tinrent vis--vis d'eux, au loin; et eux, ils s'arrtrent auprs du Jourdain. (2:1-7) Alors, lie prit son manteau et en frappa les eaux du fleuve; elles se partagrent, et ils passrent pied sec. Quand ils furent passs, lie dit lise: Demande-moi ce que tu voudras, avant que je sois enlev d'avec toi. Elise lui rpondit: Eh bien! fais que j'aie de ton esprit autant que deux personnes pourraient en possder. lie reprit: Tu viens de demander quelque chose de trs difficile; or donc, si quand je serai en l'air tu me vois, c'est que ta demande aura t satisfaite; mais, si tu ne me vois pas, c'est que ta demande n'aura pas t accueillie. Or, comme ils continuaient leur route, tout en causant, voici qu'un chariot de feu parut, avec des chevaux galement de feu. Ils se trouvrent alors spars l'un de l'autre. Et lie monta au ciel dans un tourbillon. (2:8-11) Et Elise, le regardant monter, criait: Mon pre! mon pre! chariot d'Isral et sa cavalerie! Puis, il ne le vit plus; alors, prenant ses vtements, il les dchira du haut en bas en deux morceaux. Aprs quoi, il se couvrit du manteau d'lie, qui du ciel tait tomb sur lui, et il s'en retourna vers le Jourdain. Arriv au bord du fleuve, il s'arrta, et, se dvtant du manteau d'lie, il se mit en frapper les eaux; mais elles ne se divisrent pas. Alors Elise dit: Eh bien, o est donc le dieu d'lie, l'ternel mme? Et, ayant frapp une seconde fois les eaux, elles se divisrent droite et gauche, et lise passa pied sec. (2:12-14) Quelques questions se posent tout naturellement: Puisque Jhovah avait rsolu de prendre au ciel lie tout vivant en chair et en os, comme il lit jadis pour noch, pourquoi lui imposer d'abord cette promenade, vide de toute action quelconque, de Guilgal Bthel, de Bthel Jricho, et de Jricho au Jourdain? pourquoi, en outre, lui faire passer le Jourdain? le char de feu, dans lequel lie monta, ne pouvait-il pas l'enlever aussi bien sur la rive droite que sur la rive gauche du fleuve? Qu'est-ce que cette dose d'esprit d'lie que demande lise? et finalement lise a-t-il eu ce qu'il demandai t? car le texte dit bien qu'lise regarda d'abord lie au moment de son dpart dans les airs, mais il ajoute, aussitt aprs ses cris bizarres, qu'il ne le vit plus; on n'est donc pas fix. Puisque les thologiens nous reprsentent comme l'tat parfait celui des purs esprits qui, selon eux, peuplent le royaume cleste, puisque rien n'est plus admirable qu'une me vivant en paradis, dgage de toute matire, le double cas d'noch et d'lie ne contredit-il pas formellement cette thse? et, d'ailleurs, quoi leur corps matriel peut-il servir l -haut ce patriarche et ce prophte, dans le domaine de l'infini surnaturel et immatriel? en quoi la gloire d'Enoch et d'lie est-elle, par ce fait, plus grande que celle des autres lus, puisque les habitants de l'autre monde ne s'en trouveraient pas mieux, qu'ils aient ou non une forme, un corps humain? Ainsi, maintenant, quand lie et Mose causent ensemble au ciel, c'est donc une conversation entre une me sans corps, s'exprimant par la seule pense, et un corps anim, parlant avec sa bouche, mettant des sons, tandis que son interlocuteur, pur esprit, n'en met pas? Enfin, ce char de lumire, ces chevaux de feu, ce tourbillon dans les airs, ce nom mme d'lie (hlios, soleil) ont fait penser lord Bolingbroke et Boulanger que l'aventure d'lie n'est qu'une imitation de celle de Phaton, qui s'assit dans le char du soleil. Or, la fable de Phaton fut originairement gyptienne, et c'est du moins une fable morale qui montre les dangers de l'ambition. Mais que signifie le char d'Elie? Les crivains juifs, dit lord Bolingbroke, ne sont jamais que des plagiaires grossiers et maladroits. Voil donc lise hritier du manteau d'lie et d'une partie de son esprit, tout au moins, s'il n'a pas la double dose demande. Les fils des prophtes se prosternent devant lui (2:15); Jricho, il assainit pour toujours les eaux de la ville, en y jetant une poigne de sel (v. 19-22). lise devait encore se signaler davantage. De l il se rendit Bthel, et, comme il gravissait le chemin qui tait d'une monte rapide, des petits garons se moqurent de lui, lui criant: Monte, chauve! monte, chauve! lise, se retournant, les maudit, au nom de Jhovah. 211
Alors, deux ours sortirent d'une fort et dvorrent quarante-deux de ces petits garons. (v. 23-24) Si cette histoire tait vraie, dit encore lord Bolingbroke, lise ressemblerait un valet qui vient de faire fortune et qui fait punir quiconque lui rit au nez. Quoi! excrable valet de prtre, tu ferais dvorer par des ours quarante-deux enfants innocents, pour t'avoir appel chauve! Heureusement, il n'y a aucune fort aux environs de Bthel, et il n'y a pas d'ours en Palestine; ce pays est trop chaud. L'absurdit de ce conte en fait disparatre l'horreur. On peut ajouter que, pour avoir dvor vingt-et-un gamins en quelques bouches, ces deux ours affams sortaient, sans doute, sinon d'une fort, du moins d'un bar hbreu o ils venaient d'ingurgiter un formidable apritif. Le chapitre 3 du second livre des Rois, aprs nous avoir reprsent le bon roi Josaphat encore en vie, contrairement au dire du chapitre 1 er , nous raconte que le sieur Mesah, roi des Moabites, avait pay Isral, jusqu' la mort d'Achab, un tribut annuel de cent mille agneaux et cent mille moutons avec leur laine . A l'avnement d'Ochosias, le sieur Mesah jugea bon de ne plus s'acquitter de son tribut; mais Joram, en succdant son frre sur le trne d'Isral, s'empressa de rclamer les agneaux et les moutons moabites. Refus de Mesah, et. voil Joram ouvrant la campagne, appuy par deux allis, Josaphat, roi de Juda, et le roi d'Idume. Mais aprs avoir fait route pendant sept jours, ils n'eurent plus d'eau ni pour leur arme ni pour leurs btes. Alors, le roi d'Isral, Joram, dit: Hlas! hlas! le Seigneur nous a runis ici, trois rois ensemble, pour nous livrer entre les mains de Moab. Mais le roi Josaphat dit son tour: N'y aurait-il point par ici quelque prophte d'Adona, afin que nous consultions Adona par lui? Un des serviteurs de Joram, rpondit: Oui, il y a ici le bouvier Elise, fils de Saphat lequel tait valet d'lie. Et Josaphat dit: Celui-l possde la parole de Jhovah. Alors Joram, roi de Samarie, Josaphat, de J rusalem, et le roi d'Idume allrent trouver lise. (v. 9-12) Notons que le fils d'Achab et le roi d'Idume ne professaient pas le culte de Jhovah; ce qui fait dire lord Bolingbroke: Si on voyait trois rois, l'un papiste et les deux autres protestants, aller ensemble chez un capucin pour obtenir de la pluie, que dirait-on d'une pareille imbcillit? Et si un frre capucin crivait un pareil conte dans le ? annales de son ordre, ne conviendrait-on pas de la vrit du proverbe: Orgueilleux comme un capucin? lise dit au roi d'Isral: Qu'y a-t-il entre moi et toi? et pourquoi ne vas-tu pas consulter les prophtes de ta mre Jzabel? Joram rpondit: Non, c'est de toi qu'il faut que je sache si Jhovah, ton dieu, nous a runis, nous trois rois, pour nous livrer entre les mains des Moabites. Alors, lise lui dit: Vive Adona-Sabaoth! si je n'avais pas grand respect pour la face du roi Josaphat, je ne t'aurais pas seulement cout, et je n'aurais pas daign te regarder. Maintenant, qu'on m'amne un musicien avec ses instruments de musique. Et, le musicien ayant fait sa musique, un esprit de prophtie, envoy par Jhovah, entra en Elise. (v. 13-15) Il est fcheux que l'auteur sacr ne nous dise pas quels taient ces instruments dont la musique fut ncessaire pour permettre au successeur d'lie de prophtiser. Alors, Elise dit: De la part de Jhovah, je vous annonce qu'il faut creuser tout de suite des fosses dans cette valle; vous ne verrez ni vent ni pluie, et nanmoins cette valle sera remplie d'eaux, dont vous boirez, vous et vos btes. Ce prodige cotera peu de chose Jhovah; mais il fera plus encore pour vous: il vous livrera les Moabites. Et Jhovah vous ordonne, par ma bouche, de dtruire aprs la victoire toutes leurs villes fortes et toutes leurs villes principales; vous abattrez tous leurs arbres fruitiers, vous boucherez toutes leurs fontaines, et vous couvrirez de cailloux tous leurs champs. (v. 16-19) Dans ces conditions, spcifies par papa Bon Dieu, on ne voit plus ds lors quoi pouvait servir la victoire; car les Isralites avaient dclar la guerre aux Moabites, uniquement pour les obliger leur donner chaque anne cent mille agneaux et cent mille moutons, comme par le pass. Le triomphe, en tant suivi d'une dvastation complte, les laissait donc jamais privs du tribut convoit. 212
Le lendemain de cette prophtie, il arriva, le matin, qu'on vit venir des eaux coulant sur le chemin d'Idume, de sorte que toutes les fosses qu'on avait creuses furent remplies d'eaux. (v. 20) La seconde partie de la prophtie se ralisa comme la premire: les Moabites, ayant donn l'assaut au camp d'Isral, furent battus honteusement. Les Moabites s'enfuirent, et les Isralites, les poursuivant, entrrent dans leur pays et les turent. Et ils dtruisirent leurs villes; et chacun apportait des pierres et les jetait dans les meilleurs champs, de sorte qu'on ne voyait plus que des caillou x; et ils bouchrent toutes les fontaines et abattirent tous les arbres fruitiers, jusqu' ne laisser que les pierres Kir-Harseth, que les tireurs de fronde environnrent et vainquirent. Le roi des Moabites vit alors qu'il n'tait pas le plus fort; c'est pourquoi il choisit les sept cents de ses soldats qui maniaient le mieux l'pe, et, se mettant leur tte, il voulut arriver jusqu'au roi de l'Idume; mais il ne put pousser jusque-l. Alors, il dit son fils an de monter sur le fate d'une muraille; c'est ce fils an qui devait rgner sa place; et le roi Mesah monta aussi sur la muraille, et l il se jeta sur son fils et l'gorgea. Cette action causa une telle horreur aux Isralites, qu'ils se retirrent aussitt du pays qu'ils avaient envahi et s'en retournrent, les uns Jrusalem, les autres Samarie. (3:24-27) Comme histoire idiote, je crois que celle-ci peut tre mise au premier rang; elle ne ncessite aucun commentaire. lise nous est montr ensuite, rditant les miracles d'lie, avec de lgres variantes. Ainsi, il rencontre (la Bible ne dit pas o) la veuve d'un fils de prophte, qui est dsole de ce que son dfunt mari lui a laiss des dettes, et, comme elle ne peut pas les payer, les cranciers veulent lui prendre ses deux enfants et les vendre comme esclaves (4:1). lise demande la veuve de lui dclarer ce qu'elle possde. La veuve rpond: Ta servante n'a rien qu'un pot d'huile dans toute sa maison (v. 2). C'est tout ce qu'il faut lise, il commande donc la veuve d'aller emprunter tous ses voisins leurs pots vides, quels qu'ils soient: puis, de se renfermer chez elle avec ses enfants et de verser l'huile de son pot dans les autres vases. On devine le miracle: le pot de la veuve devient inpuisable. La bonne femme, merveille, va retrouver lise, le remercier, et l'homme de Dieu lui dit: Fais-toi marchande d'huile; car tu as maintenant de l'huile dont la vente te servira payer ta dette, et mme toi et tes fils vous vivrez du reste de cette huile jusqu' la fin de vos jours. Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce miracle, ce n'est pas sa ressemblance avec celui d'lie en faveur de la veuve de Sarepta; c'est qu'lise n'ait plus eu besoin de musique pour l'oprer. Un certain jour, lise, passant par le village de Sunam, y remarqua une femme, trs riche propritaire et fort prvenante; cette femme l'invita, avec les plus vives instances, dner chez elle; c'est pourquoi, chaque fois qu'Elise venait Sunam, il s'arrtait chez cette femme pour y prendre son repas. Or, la riche Sunamite tait marie, et elle dit son poux: Je suis certaine que cet homme, qui accepte de manger chez nous, est un saint homme de Dieu. Donnons-lui, je t'en prie, une chambre la maison, l'tage d'en haut; nous lui mettrons un lit, une table, un sige et une lampe, afin qu'il puisse coucher sous notre toit lorsqu'il viendra dsormais nous visiter. Il arriva donc que le premier jour qu'Elise revint Sunam, cette femme lui offrit la chambre qu'elle avait prpare, et lie s'y reposa. Puis, il dit Guhazi, son serviteur: Fais monter vers moi cette Sunamite. Et elle vint. Alors, lise dit Guhazi: Demande cette femme, qui prend tant de soins de nous, ce qu'elle veut que je fasse pour elle; par exemple, si elle a quelque affaire pour laquelle je pourrais parler en sa faveur au chef de l'arme ou mme au roi en personne. Elle rpondit: Je n'ai besoin d'aucune protection, car j'habite au milieu des Sunamites, qui me sont tous trs dvous. Elise reprit, en s'adressant Guhazi: Nous devons, pourtant, la rcompenser de tous ses soins pour nous; que faudrait-il donc lui faire qui lui soit agrable? Guhazi lui rpondit: Est-ce que cela se demande? ne vois-tu pas qu'elle n'a point d'enfant et que son mari est vieux? (Sic) Elise la fit donc revenir dans la chambre. Puis, il lui dit: L'anne qui vient, en cette mme saison, tu embrasseras un fils. Alors, elle lui 213
rpondit: O bon seigneur, homme de Dieu, fasse le ciel que tu n'aies pas menti ta servante! Cette femme-l conut donc et enfanta un fils au bout de l'anne. (4:8-17) Une particularit frappe d'abord dans ce rcit: Elise, ds qu'il est log et nourri par une dvote, ne pose plus pour tre en mauvais termes avec le roi (Sunam, au pied du mont Gelbo, dans la tribu d'Issachar, faisait partie du royaume d'Isral); dans son empressement faire l'aimable, lise offre ses services auprs de Joram, comme s'il tait un de ses favoris, et c'est ce mme roi Joram qui il dclarait insolemment tout l'heure qu'il ne daignait le regarder ni lui parler!... On aura remarqu aussi que le texte ne dit pas expressment que ce fut le prophte qui fit un enfant cette dvote; mais l'auteur le laisse souponner. Rien n'indique que le vieux mari retrouva les forces ncessaires. Cependant, dans la suite de l'histoire, le bonhomme est qualifi de pre ; mais tait-il pre la mode de saint Joseph?... L'enfant, tant devenu grand, allait jouer parmi les moissonneurs. Or, un matin qu'il tait all retrouver son pre dans les champs de bl, cet enfant dit tout--coup: Ma tte! ma tte! Son pre le fit aussitt porter sa mre par un domestique. La mre prit l'enfant sur ses genoux et l'y tint jusqu' midi; ce moment-l, il mourut. Alors, cette femme monta dans la chambre haute, dposa l'enfant sur le lit du prophte, et sortit, aprs avoir bien ferm la porte. Ensuite elle cria son mari: Envoie-moi un de tes domestiques et une nesse, et j'irai l'homme de Dieu; puis, je reviendrai. Son mari lui dit: Pourquoi vas-tu vers lui aujourd'hui? Ce n'est ni la nouvelle lune, ni le sabbat. Elle rpondit: Tout va bien. Elle fit donc seller l'nesse et se mit en route avec le serviteur. Ainsi, elle vint vers l'homme de Dieu, sur la montagne du Carmel; et aussitt qu'lise l'aperut au loin, il dit Guhazi: Voici la Sunamite. Et il ajouta: Va en toute hte sa rencontre, et demande-lui si elle, son mari et son enfant se portent bien. Et elle rpondit: Bien. Puis, elle vint vers l'homme de Dieu sur la montagne et embrassa ses pieds. Guhazi s'approcha pour la repousser; mais lise lui dit: Laisse-la, car elle a le cur outr; et Jhovah me l'a cach. Alors, la Sunamite dit: Mon bon seigneur, je ne t'ai pas demand un fils, et quand tu m'en as annonc un, j'ai souhait de ne pas tre trompe par toi. lise dit Guhazi: Mets ta ceinture, prends mon bton dans ta main et va-t'en; si tu rencontres quelqu'un sur ta route, ne le salue point, et si quelqu'un te salue, ne lui rponds point; ensuite tu poseras mon bton sur le visage du petit garon, pour le ressusciter. La mre dit lise: Je ne te laisserai pas ici; je veux t'emmener. Et il se leva et la suivit. Or, Guhazi, s'en tant all avant eux et marchant trs vite, arriva le premier Sunam; il posa le bton sur le visage du petit garon, mais l'enfant ne remua aucunement, et la parole et le sentiment ne lui revinrent point. Il revint donc sur ses pas, au-devant d'Elise qui il dit: J'ai fait ce que tu m'a ordonn; mais l 'enfant ne s'est pas rveill, il est toujours mort. (4:18-31) On se demande ici pourquoi lise envoya son valet ressusciter l'enfant avec son bton, puisqu'il savait bien, en sa qualit de prophte, que Guhazi ne le ressusciterait pas. On se demande pourquoi il lui ordonna de ne saluer personne sur son chemin: il est clair que c'tait pour aller plus vite; mais pourquoi courir si vite pour ne rien faire? Voil bien des simagres inutiles! Elise entra donc son tour dans la maison; et voil, le petit garon tait mort et couch dans son lit. Il ferma la porte de la chambre sur lui, et il pria Jhovah. Puis, il monta sur le lit, se coucha sur l'enfant, mit sa bouche sur celle de l'enfant, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et il s'tendit sur lui; alors, la chair du petit garon commena s'chauffer. Mais lise ne resta pas constamment sur le corps de l'enfant: il quittait la chambre et allait par la maison, tantt ici, tantt l; puis, ii remontait de temps en temps et s'tendait de nouveau sur l'enfant. Enfin, le petit garon ternua sept fois et ouvrit les yeux. Alors, Elise appela Guhazi et lui dit: Fais monter la mre. Et, celle-ci tant venue, il lui remit son fils trs bien portant. La Sunamite se jeta aux pieds du prophte, se prosterna la face contre le sol; puis, elle prit son enfant et s'en alla. (v. 32-37) 214
Les critiques se moquent de ce miracle d'Elise, qui ne se distingue de celui d'lie que par la surabondance de contorsions. Mais les thologiens disent qu'il y a l un sens mystique; savoir, qu'il faut se proportionner aux petits pour leur faire du bien. Il y a mme des Pres de l'glise qui ont approfondi plus encore cet pisode; d'aprs eux, rien n'est plus important que l'incident du bton qui, entre les mains de Guhazi, ne put pas oprer le miracle, dont la russite tait rserve lise seul: Guhazi et le bton reprsentent la Synagogue, qui Dieu ne permet pas de ressusciter l'humanit; lise, au contraire, figure l'glise romaine, qui tout russit pour faire le bonheur des peuples, comme chacun sait. Avec lise, nous n'avons pas fini de rire. Le prophte revint de Sunam Guilgal et trouva la famine dans le pays. Encore et toujours la famine! et preuve, toujours, que ce beau pays de Canaan, avec ces montagnes peles, ses cavernes, ses prcipices, son lac de Sodome, et son dsert de sable et de cailloux n'tait pas tout fait aussi fertile que papa Bon Dieu l'avait fait annoncer son peuple par la voix de Mose! lise vit les fils des prophtes, assis en rond par terre et n'ayant rien manger. Alors, il dit Guhazi: Mets l une grande marmite; car nous allons faire un bon potage pour les fils des prophtes. Aprs quoi, il envoya son valet dans les champs pour y cueillir ce qu'il trouverait. Guhazi alla et rapporta des coloquintes sauvages en grande quantit; et personne ne savait ce que c'tait. Et lise fit mettre toutes ces coloquintes, coupes par morceaux, dans la marmite qui tait sur le feu, au milieu des fils des prophtes. La coloquinte est une sorte de petite courge, extrmement amre, qui s'est employe autrefois en mdecine comme purgatif, mais laquelle on a renonc, parce qu'elle avait un got par trop mauvais. On voit par l le beau potage qu'lise tait en train de faire confectionner ses amis de Guilgal. On dressa donc ce potage, et quelques-uns des fils des prophtes se mirent en manger; mais, ds les premires bouches, ils crachrent et crirent lise: Homme de Dieu, tu as mis la mort dans cette marmite! Et ils refusrent tous d'en manger. Alors, lise dit: Qu'on me donne un peu de farine. Il jeta trois pinces de farine dans la marmite, et il di t: Le peuple mangera de ce potage; qu'on le lui distribue. Et les hommes du peuple mangrent volontiers; car qui sortait de la marmite d'lise tait devenu trs bon. (4:38-41) Or, il vint un homme de Baal-Salisa qui apporta au prophte les prmices de sa rcolte, savoir, vingt pains d'orge et du grain en pi avec sa paille. lise dit: qu'on distribue cela ce peuple, afin que tous mangent leur apptit. Mais Guhazi lui rpondit! Comment veux-tu qu'on distribue ceci? mme en le partageant trs menu; il n'y a pas de quoi en donner cent personnes. Elise reprit: Donne, te dis-je, donne ce peuple, et qu'ils mangent; car l'ternel me fait savoir qu'ils mangeront et qu'il y en aura de reste. On distribua donc le pain au peuple, et chacun prenait dans le tas, et il y avait toujours du pain pour ceux qui se prsentaient ensuite; ils mangrent tous leur apptit, et ils en laissrent beaucoup. (4:42-44) Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce miracle, c'est qu'il fut, plus tard, imit par le Christ; mais alors, lise, tant mort et enterr depuis longtemps, ne put intenter au fils de Marie un procs en contrefaon. Le chapitre 5 est consacr l'histoire de Naaman, encore un de ces personnages censment fort connus, au dire de la Bible, mais dont aucun historien n'a parl. En ce temps-l, vivait Naaman, gnral en chef des armes de Syrie, homme trs puissant auprs de son roi, et qui tait trs honor dans son pays, parce que les Syriens lui devaient leur dlivrance; ainsi l'avait voulu Jhovah; mais cet homme fort vaillant tait lpreux. Or, sa femme avait son service une jeune fille juive, qui avait t prise par des voleurs syriens dans une incursion sur les terres du roi d'Isral. Cette jeune fille dit donc sa matresse: Je souhaiterais fort que mon seigneur Naaman se prsentt devant le prophte qui demeure Samarie; celui-l aurait bientt fait de le gurir de sa lpre. (v. 1-3) Ces paroles ayant t rptes au gnral, celui-ci demanda son roi un cong, qui lui fut accord; le roi de Syrie lui promit, en outre, d'envoyer au roi d'Isral une lettre d'amiti, afin 215
qu'il ait bon accueil dans le pays. Naaman partit, emportant dix talents d'argent, six mille pices d'or et dix tuniques de rechange (v. 4-5). Mais voici que le roi de Syrie avait commis un quiproquo. Quand le roi d'Isral, Joram, ouvrit la lettre, il y lut ceci: Ds que cette lettre te sera parvenue, tu sauras que je t'ai envoy mon gnral Naaman, afin que tu le gurisses de la lpre. (v. 6). On comprend la stupfaction de Joram cette lecture; mais on comprend moins la manire dont il prit la chose, au dire de la Bible: Ds que le roi d'Isral eut lu la lettre, il dchira ses vtements en s'criant: Suis-je un dieu ayant le pouvoir de faire mourir et de rendre la vie, pour que ce roi envoie vers moi un homme gurir de la lpre? Allons, le roi de Syrie me cherche une querelle. (v. 7) Heureusement, Elise eut connaissance de ce qui se passait, et il fit dire Joram qu'il n'avait qu' lui envoyer Naaman. Sept bains dans le Jourdain, suivant l'ordonnance d'Elise, dbarrassrent compltement le brave gnral de sa lpre: au septime bain, sa chair lui revint semblable la chair d'un petit enfant . A vrai dire, Naaman avait t d'abord surpris de l'ordonnance du prophte: il ne pensait pas tre venu de si loin pour avoir se baigner purement et simplement; il y avait, pensa-t-il, de beaux fleuves Damas qui auraient pu le gurir; mais on lui fit comprendre que ces fleuves n'avaient pas la vertu du Jourdain, purifiante par la vertu d'lise. Aussitt guri, il vint remercier le prophte: Maintenant, je connais, lui dit-il, qu'il n'y a, dans toute la terre, pas de vrai dieu autre que celui qui est en Isral. C'est pourquoi, je t'en prie, accepte les prsents de ton serviteur. lise refusa ces prsents, malgr les instances de Naaman (v. 8-16). Naaman dit encore au prophte: Je ne ferai plus d'holocaustes d'autres dieu x; mais je te demande de prier ton dieu de me pardonner ceci: quand le roi mon matre entrera dans le temple de Re mnon pour s'y prosterner devant le dieu des Syriens, il faudra que je me prosterne avec lui; que Jhovah veuille donc me pardonner, chaque fois que je me prosternerai avec mon roi devant Remnon. lise lui rpondit: Que ton me soit en paix. (v. 17-19) Mais le dsintressement d'lise dans ces circonstances ne faisait pas l'affaire de Guhazi, son domestique. Quand Naaman fut parti, Guhazi courut aprs lui, le rejoignit dans la campagne et lui dit: lise mon matre n'a rien voulu pour lui; mais deux jeunes fils de prophtes trs pauvres viennent de lui arriver d'Ephram; c'est pourquoi lise te prie de me remettre, pour ces jeunes gens, un talent d'argent et deux tuniques de rechange. Naaman, tout joyeux, donna Guhazi, non pas un, mais deux talents, et les deux tuniques. Rentr chez lui, Guhazi fut puni de son indlicatesse: la lpre, dont le gnral avait t dbarrass, tait passe sur lui. (v. 20-27) lise accomplit encore de nombreux miracles. Un de ces personnages que l'auteur sacr dsigne sous ce nom vague de fils de prophtes , se trouvant sur les bords du Jourdain, coupait du bois, un beau jour. Mais il arriva que, tandis qu'il abattait une pice de bois, le fer de sa cogne tomba dans l'eau; il s'cria: Hlas!... lise lui dit: O ton fer est-il tomb? L'autre lui montra l'endroit. Alors lise coupa un morceau de bois, le jeta l, et aussitt le fer vint nager la surface de l'eau. Le fils de prophte n'eut qu' le prendre et le rajuster au manche (6:1-7). Le miracle aurait t encore plus beau si le fer tait venu se rajuster lui-mme. Autre miracle, qui montre quel point Jhovah protgeait lise: Or, le roi de Syrie, pendant la guerre qu'il faisait Isral, tenait conseil avec ses officiers, et l'on arrtait que le camp serait tabli en tel endroit. Mais lise envoyait prvenir aussitt le roi d'Isral; et Joram prenait des mesures en consquence, d'aprs ce que lui avait rvl l'homme de Dieu; il tait ainsi toujours sur ses gardes, et ceci se produisit plus d'une et deux fois. Le cur du roi de Syrie en fut troubl; il runit ses officiers et leur dit: Il faut dcouvrir quel est celui des ntres qui prvient le roi d'Isral de tout ce que nous avons rsolu de faire. L'un des officiers lui rpondit: Seigneur, il n'y a pas de tra tre parmi nous; mais Elise le 216
prophte, qui est en Isral, sait tout ce que nous disons et rvle au roi Joram les paroles mmes que tu dis la nuit dans la chambre o tu couches. Le roi de Syrie dit alors: S'il en est ainsi, il faut savoir o est cet lise, afin que nous nous emparions de lui; c'est la chose la plus importante pour le succs de notre guerre. On vint apprendre au roi qu'lise tait Dothan, et il envoya l des chevaux et des chariots, et des troupes nombreuses, qui, la faveur de la nuit, environnrent la ville. Et voici que le serviteur du prophte, s'tant lev de grand matin et ayant vu la ville cerne par l'arme syrienne, vint le rapporter lise, en lui disant: Hlas! comment nous en tirerons-nous? lise lui rpondit: N'aie pas peur; car ceux qui sont avec nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont avec eux. Et le prophte fit cette prire l'ternel: O Jhovah, ouvre les yeux de mon serviteur, afin qu'il voie. Alors, le serviteur, ayant eu les yeux ouverts par Dieu, regarda et vit que la montagne tait couverte de chevaux de feu et de chariots de feu tout autour d'lise. Ensuite, les troupes syriennes descendirent pour prendre le prophte, et lise dit Jhovah: O ternel mon Dieu, je t'en prie, frappe ces soldats ennemis d'aveuglement. Aussitt, les soldats syriens devinrent aveugles. (v. 8-18) Ici, l'aventure tourne la comdie la plus bouffonne qu'il soit possible de rver. Qu'on s'imagine ces infortuns militaires, tant les officiers que les soldats, frapps tout--coup de ccit, et qu'on n'oublie pas surtout qu'il s'agit d'une arme fort nombreuse, puisque la ville o se trouve le prophte est entirement cerne et qu'il y a l infanterie, cavalerie et chariots de guerre. Eh bien, si un tel miracle pouvait se produire, il semble que ces milliers d'hommes, dans leur dsolation d'avoir perdu la vue, n'ont plus song qu' lever le sige, implorer la piti des Isralites, dont ils avaient envahi le territoire, et ont suppli qu'on les reconduist chez eux, heureux mme de s'en tirer si bon compte. Pas du tout! D'aprs la Bible, ces troupes aveugles ne continurent pas moins avoir la prtention de s'emparer d'lise. Et alors l'auteur sacr fait avaler aux fidles l'une des plus monumentales fumisteries qui aient t crites par un prtre se fichant des crdules ouailles: lise s'offre conduire officiers et soldats syriens la recherche d'lise; ces aveugles idiots acceptent, et le prophte les trane ainsi sa suite jusque dans la capitale du royaume, o les voil prisonniers. Cette blague est tellement insense, qu'il est ncessaire de reproduire encore le texte divin. lise vint alors vers les Syriens, devenus aveugles, et leur dit: Ce n'est pas ici la ville o vous trouverez l'homme que vous cherchez; venez aprs moi, et je vous mnerai cet homme. Et il les mena Samarie. (6:19). Reprsentez-vous, par la pense, ces troupes suivant la queue-leu-leu le prophte; reprsentez-vous tous ces aveugles cheminant de Dothan Samarie, chacun tenant le pan de l'habit de celui qui marche devant lui, et le premier de ces milliers d'hommes tenant par un bout de sa tunique le guide lise. Aprs cela, dites s'il est possible une religion de se moquer plus joyeusement de la foi de ses fidles! Et il arriva que, sitt que les Syriens furent entrs dans Samarie, Elise, ayant fait refermer les portes, dit: O ternel, ouvre leurs yeux, afin que maintenant ils voient. Et Jhovah ouvrit leurs yeux; et ils se virent prisonniers au milieu de Samarie. . (v. 20). Mais tout est bien qui finit bien, et l'on va constater qu'Elise, magnanime ce jour-l, n'abusa pas de son triomphe. Ds que le roi d'Isral eut vu les troupes syriennes sa merci, il dit lise: Mon pre, frapperai-je? frapperai-je? Et il rpondit: Tu ne les frapperas point. Frapperais-tu de ton pe et de ton arc ceux que tu aurais pris toi-mme prisonniers? Au contraire, mets du pain et de l'eau devant eux, et qu'ils mangent et boivent, et qu'ils s'en retournent vers le roi leur seigneur. Et il leur fit faire grande chre; puis, il les laissa aller; et ils s'en retournrent dans leur pays. Depuis ce temps-l, les troupes syriennes ne revinrent plus au pays d'Isral. (v. 21-23) Ce qu'on vient de lire va maintenant, immdiatement, se trouver contredit par la suite. C'est a, l'Ecriture Sainte! Le verset 23 nous affirme que, par le fait de la gnrosit d'lise, le royaume d'Isral a eu pour jamais la paix avec le royaume de Syrie. Lisez donc le verset 24: 217
Mais il arriva, aprs ces choses, que Bnadab, roi de Syrie, rassembla toute son arme, et il partit en guerre et assigea Samarie. Les curs, pour ne pas avoir s'expliquer sur ces contradictions par trop stupides, ne parlent, dans leurs manuels d'histoire sainte, que du miracle de l'aveuglement des Syriens. Voici donc Bnadab de nouveau en scne; c'est ce Bnadab que le rot Achab avait laiss chapper, ou s'en souvient peut- tre. Et il y eut une grande famine dans Samarie; la tte d'un ne s'y vendait quatre-vingts pices d'argent, et un quart de boisseau de fiente de pigeons cinq pices d'argent. a y est! c'est en toutes lettres, c'est le verset 25. Et comme le roi d'Isral passait un jour le long des remparts, une femme lui cria: O roi, mon seigneur, sauve- moi! Et le roi lui rpondit: Gomment puis-je te sauver, puisque Jhovah ne vient pas notre aide? Je n'ai ni pain ni vin; et toi, qu'as-tu? Et la femme reprit: Voil ma voisine qui m'a dit: Donne-moi ton fils, afin que nous le mangions aujourd'hui, et nous mangerons demain le mien. Nous avons donc fait cuire mon fils et nous l'avons mang. Je lui ai dit le lendemain: Faisons cuire ton fils, afin que nous le mangions. Mais elle n'en veut rien faire, et elle a cach son enfant. Le roi, ayant entendu cela, dchira ses vtements, et alors le peuple vit qu'il avait un sac sur sa chair en dedans (?). Et le roi dit encore: Que Dieu m'extermine, si la tte d'Elise demeure aujourd'hui sur ses paules! car c'est lui qui nous vaut cette famine. (6:26-31). Or, lise tait dans sa maison, et des vieillards se trouvaient avec lui. Le roi envoya donc vers lui un homme; mais, bien avant qu il arrivt, le prophte dit ses amis: Prenez garde; quand un messager du roi viendra, fermez bien la porte; car cet homme vient pour me couper le cou. Tandis qu'il parlait, le bourreau arriva et dit: Le mal dont nous souffrons est sorti de la main de l'Eternel; que pourrons-nous attendre de plus de Jhovah ? (6:32-33) Heureusement, si lise tait cause de la famine, il allait bientt changer la face des choses; savourez. Alors, lise dit: coutez l'ternel qui parle par ma bouche: demain, cette mme heure, le sac de fine farine se vendra un sicle (trente-deux sous), et pour un sicle aussi on aura deux sacs d'orge. (7:1) Pendant ce temps-l, le Seigneur fit entendre dans le camp des Syriens un grand bruit de chariots, et de chevaux, et d'une grande arme, de sorte que Bnadab crut que le roi d'Isral avait pay le roi des Ethiens et le roi d'Egypte pour venir son aide. Et tous les Syriens, effrays, s'enfuirent pendant la nuit, abandonnant leurs tentes, leurs chevaux, leurs nes, et ne songeant qu' sauver leur vie (v. 6-7)..,. Tout le peuple sortit aussitt de Samarie et pilla le camp des Syriens, de sorte qu'on vendit le sac de fine farine pour un sicle et les deux sacs d'orge pour un sicle aussi. (v. 16) Le chapitre 8, aprs nous avoir appris que la Sunamite, dont lise avait ressuscit l'enfant, alla passer sept ans chez les Philistins pour n'avoir pas . souffrir de la famine, nous raconte l'histoire du capitaine Hazal. Pour comprendre, il faut se rappeler que, lorsqu'lie (pas lise, s. v. p) tait au mont Horeb, Jhovah, qui l'y avait fait venir, lui dit, aprs tremblement de terre et incendie des rochers: Recommence tout le chemin que tu as fait (quarante jours et quarante nuits de marche), retourne et va-t'en Damas; l, tu oindras Hazal pour roi sur la Syrie; tu oindras aussi Jhu, fils de Namsi, pour tre roi sur Isral, etc. (1 Rois 19:15-16) La Bible ne prend pas la peine d'expliquer pourquoi Elie n'oignit jamais ni Hazal ni Jhu; papa Bon Dieu ayant prononc les paroles qui viennent d'tre remises sous les yeux du lecteur, il n'en fut plus question, voil tout. Maintenant, nous en sommes Elise; l'crivain sacr pense tout--coup Hazal et Jhu, et tant bien que mal il va rparer son oubli, puisqu'il a Elise sous la main. Enfin! nous allons savoir ce que c'est que cet Hazal! lise se rendit Damas, et, au temps de ce voyage, Bnadab, roi de Syrie, tait malade. Ses gens vinrent en hte lui dire: L'homme de Dieu vient d'arriver. Alors, le roi dit Hazal: Qu'on aille vite au-devant du prophte de Jhovah avec beaucoup de prsents, et qu'on le consulte pour savoir si je gurirai. Hazal alla donc vers lise, avec quarante chameaux chargs de cadeaux magnifiques, et quand il fut devant lise, il lui fit part de sa mission, 218
savoir, si le roi Bnadab gurirait de sa maladie. lise lui rpondit: Va-ten, et dis-lui que certainement il gurira; mais, quant toi, sache que Jhovah m'a dit, au contraire, que certainement ton roi mourra. (2 Rois 8:7-10) On se demande si l'on rve, quand on lit de pareilles neries. Pourquoi lise, sachant par Dieu que Bnadab va mourir, dit-il Hazal d'annoncer son matre sa gurison? et pourquoi, lui prophte, se montre-t-il Hazal sous le jour peu favorable d'un menteur, conscient de son mensonge? La Bible ne l'explique pas. Tant de btise dconcerte. Et voil le livre fondamental d'une religion!... Aprs quoi, l'homme de Dieu, arrtant sa vue sur Hazal, le regarda longtemps; puis, il pleura. Hazal lui dit: Pourquoi mon seigneur pleure-t-il? lise lui rpondit: C'est que je sais que tu feras grand mal aux fils d'Isral; tu brleras leurs villes, tu tueras avec le glaive les jeunes gens, tu craseras la tte des petits enfants; tu fendras le ventre des femmes enceintes. (v. 11-12) Je suppose que, si un monsieur vous parlait ainsi et si vous tiez convaincu de la vracit des prophtes, vous reculeriez, saisi d'horreur, en entendant ce langage; que penserez- vous donc de la rponse du capitaine Hazal? Et Hazal lui dit: Comment veux-tu que je fasse de si grandes choses (sic), moi qui ne suis qu'un chien? Et lise ajouta: Jhovah m'a rvl tout cela, et je sais par lui que tu seras roi de Syrie. Alors, Hazal quitta lise et revint vers Bnadab, son matre, qui lui demanda: Qu'a dit le prophte? Hazal lui rpondit: Il m'a dit que tu guriras de ta maladie. Mais, le lendemain, Hazal prit une peau de chvre, la trempa dans l'eau et l'appliqua toute mouille sur le visage de Bnadab, de sorte que celui-ci fut touff; et Hazal rgna sa place. (v. 13-15) Cette faon de s'emparer d'une couronne est excessivement peu complique; comme on le voit, aucun des hritiers de Bnadab ne rclama. Grce la fin de ce chapitre, nous savons que, dans ses dernires annes, le vieux Josaphat associa au trne son fils Joram, l'poux d'Athalie; ce qui est quelque peu en contradiction avec ce que nous avons lu prcdemment, puisqu'il a t dit (1 Rois 22:51) que ce Joram de Juda, fils de Josaphat, monta sur le trne aprs la mort de son pre. Mais, s'il nous fallait nous arrter toutes les contradictions de la Bible, nous n'en finirions plus! Joram de Juda marcha dans une mauvaise voie; tout comme son beau-frre Joram d'Isral, il fit tout ce qui pouvait dplaire Jhovah. Aussi en fut-il puni par la rvolte des ldumens, qui cessrent de lui payer un tribut. Joram de Juda avait trente-deux ans, lors de son avnement, est-il dit encore, et il rgna huit ans. Quand il mourut, Joram d'Isral tait dans la douzime anne de son rgne. A Joram de Juda succda Ochosias, son fils, donc fils d'Athalie. Ochosias eut la couronne paternelle vingt-deux ans, n'adora pas Jhovah et ne dura qu'un an. Il s'allia son oncle Joram d'Isral, pour faire la guerre Hazal, roi de Syrie; mais Hazal battit Joram et Ochosias. Et Joram, roi d'Isral, s'en retourna Jizrhel pour se faire panser les blessures qu'il avait reues des Syriens Rama, quand il combattait contre Hazal; et Ochosias, fils de Joram, roi de Juda, descendit pour rendre visite Joram, fils d'Achab, Jizrhel, parce qu'il tait malade. (v. 29) Lecteur, vous n'allez pas tarder frmir; car de terribles massacres sont en prparation par la volont divine. En ce temps-l, le prophte lise appela un des fils des prophtes et lui dit: Mets une ceinture bien serre autour de tes reins, prends cette petite fiole d'huile, et va-t'en Ramoth de Galaad; quand tu seras l, tu verras Jhu, fils de Josaphat, fils de Namsi, et, l'ayant fait entrer dans une chambre secrte, tu lui verseras sur la tte tout le contenu de ta fiole, en lui disant: Voici comment parle Adona: Je t'oins roi d'Isral. Aprs quoi, tu ouvriras la porte, et tu t'enfuiras toutes jambes. (9:1-3) Le jeune prophte, qui avait remplac Guhazi auprs d'lise, se rendit donc Ramoth et excuta fidlement ces instructions, au grand bahissement du capitaine Jhu. Nanmoins, une fois qu'il eut reu son huile, il se dit que celte onction tait chose des plus srieuses, et il raconta aux autres officiers de la garnison ce qui venait de lui arriver. Alors, les officiers prirent chacun leurs vtements et les placrent sous lui, de faon l'lever trs haut, et ils sonnrent de la trompette, et s'crirent: Vive Jhu, 219
qui a t fait roi! Ainsi, Jhu, fils de Josaphat, fils de Namsi, fit une conjuration contre Joram, roi d'Isral. (v. 13-14) Nous voici maintenant retombs dans un pouvantable labyrinthe d'assassinats n'en plus finir. Nous avons vu l'horrible mission donne Hazal de la part de Dieu, mission qui commence par le meurtre de Bnadab et qui doit se continuer par les carnages les plus affreux: le nouveau roi de Syrie devra craser la tte des petits enfants et fendre le ventre des femmes enceintes. Jhu, lui aussi, l'ordre de se vautrer dans le sang. Le crime des Joram, Ochosias et autres princes tait d'adorer Baal au lieu d'Adona. C'est ainsi que la Bible enseigne la tolrance. Ayant t proclam roi par la garnison rvolte de Ramoth-Galaad, Jhu monta cheval et s'en alla Jizrhel; car Joram, roi d'Isral, tait l malade, et Ochosias, roi de Juda, son neveu, y tait aussi, tant venu le visiter. Or, une sentinelle, place sur une tour Jizrhel, vit la troupe de Jhu qui venait et la signala. Et Joram envoya un messager pour dire: Que signifie ce mouvement de troupes? ne sommes-nous pas en paix? (v. 16-17). Ce messager ne revenant pas, Joram en envoya un autre qui ne revint pas davantage. Alors, Joram fit atteler son chariot, y monta, Ochosias monta de son ct dans son chariot, et tant sortis de Jizrhel, ils allrent pour rencontrer Jhu. Et ds que Joram l'eut aperu, il lui dit: Apportes-tu la paix, Jhu? Mais Jhu rpondit: Quelle paix serait donc possible, tandis que ta mre Jzabel se livre la prostitution et multiplie tous les jours le nombre de ses enchantements ? (v. 21-22) Pour dguster dans toute sa saveur ce reproche de Jhu au sujet du dvergondage de la reine Jzabel, il est ncessaire de se livrer un petit calcul chronologique, en se basant sur les textes sacrs. Quel ge avait donc alors la veuve d'Achab? Elle tait la mre d'Athalie, et celle-ci avait environ cent ans!... On ne dit pas quel ge l'une et l'autre se marirent; mais supposons que la fille d'Achab ait t ge de quinze ans seulement, quand elle fut unie au Joram de Juda, fils de Josaphat. Nous savons dj que ce Joram ne fut pas dvot Jhovah; le livre second des Chroniques (ch. 21) nous fait connatre son chtiment: L'ternel excita contre Joram l'esprit des Philistins et des Arabes, voisins des Cusciens; lesquels montrent contre Juda et pillrent tout, mme la maison du roi; et aprs cela, l'ternel le frappa dans ses entrailles d'une maladie incurable. Au bout de deux ans, la maladie tait si forte que ses entrailles lui sortaient du corps, et il mourut dans de grandes douleurs. (v. 16-19). Et le chapitre 22 dbute par ces renseignements prcieux: Alors, les habitants de Jrusalem tablirent pour roi sa place Ochosias, le plus jeune de ses fils, parce que les troupes arabes qui taient venues avaient tu tous ceux qui taient plus gs que lui. Or, Ochosias, fils de Joram, roi de Juda, tait g de quarante-deux ans quand il commena rgner, et il rgna un an Jrusalem et sa mre tait Athalie. (v. 1-2). Le nombre des frres d'Ochosias nous est donn au verset 14 du chapitre x du second livre des Rois: ils taient quarante-deux . Maintenant, rcapitulons. Athalie, marie au plus tt quinze ans, a pu avoir son premier fils un an aprs. Admettons qu'elle n'ait jamais eu que des garons, puisque la Bible ne parle pas de filles de cette reine: Ochosias tant n le quarante-troisime, Athalie avait donc cinquante- huit ans, lorsqu'elle mit celui-ci au monde; et, par consquent, elle avait exactement cent ans, lorsqu'Ochosias, g de quarante-deux ans, monta sur le trne. D'o il rsulte que Jzabel, mre d'Athalie, avait au moins cent vingt ans, lorsqu'elle se livrait la prostitution, son fils Joram rgnant sur Isral et son petit-fils Ochosias rgnant sur Juda. On comprend sans peine que, pour tenter encore des amoureux, la vieille Jzabel avait besoin de multiplier le nombre de ses enchantements! La rponse de Jhu n'tait pas faite pour rassurer le fils de Jzabel. Alors, Joram tourna bride et s'enfuit, disant Ochosias: Nous sommes trahis. Et Jhu prit son arc pleine main, et il frappa Joram entre les paules, de sorte que la flche lui traversa le cur, et il tomba sur ses genoux dans son chariot. (2 Rois 9:23-24) Ochosias, roi de Juda, s'tait enfui aussi. Mais 220
Jhu l'avait poursuivi et avait dit: Tuez-le de mme dans son chariot. C'est dans la monte de Gr, prs de Jiblham, qu il fut frapp; puis, il s'enfuit Maggeddo, et mourut l. (v. 27) Voici, prsent, le tour de Jzabel. Jhu vint donc Jizrhel; et Jzabel, l'ayant entendu, farda son visage, orna sa tte, et elle se montra Jhu par la fentre. (v. 30) Cette vieille de cent vingt ans comptait encore sur ses charmes pour sduire l'usurpateu r! Et comme Jhu franchissait le seuil de la porte, elle lui dit: Cela a-t-il port bonheur Zamri, d'avoir tu son roi? (v. 31) On se rappelle que Zamri, ayant massacr le roi Bahasa et toute sa famille, ne rgna que sept jours et se suicida, lors du succs de l'meute d'Amri. Alors, Jhu leva la tte vers la fentre, et il dit: Qui veut venir ici de mes gens? qui? Deux ou trois officiers le regardrent. Jhu leur dit: Jetez cette femme par la fentre. Et ils la jetrent, et son sang rejaillit contre la muraille et contre les chevaux; et il la foula aux pieds. Puis, il entra dans la maison royale, et il mangea et but. Aprs quoi, il dit: Allez voir maintenant cette maudite femme, et ensevelissez-la; car elle est fille de roi. Ils s'en allrent donc pour l'ensevelir; mais ils ne trouvrent rien que le crne, les pieds et les poings. Et, tant retourns, ils le lui rapportrent; et Jhu dit: Ainsi s'est accomplie la parole de Jhovah, qui, par la bouche d'Elie, a annonc que dans le champ de Jizrhel les chiens mangeraient la chair de Jzabel et que son cadavre serait comme du fumier, si bien que nul ne pourra dire: C'est ici Jzabel. (v. 32-37) Mais nous savons que Jzabel avait t prolifiqu e; Joram laissait des frres aptes lui succder. Or, Achab avait eu encore soixante-dix fils; et Jhu crivit des lettres et les envoya Samarie, aux principaux de Jizrhel, aux anciens, tous ceux chez qui ces enfants d'Achab logeaient. (10:1). Ces lettres ordonnaient l'extermination de tous ces princes. Aussitt donc que les ordres de Jhu furent parvenus aux anciens, ceux-ci prirent les fils d'Achab et les gorgrent; puis, ils envoyrent Jhu les soixante - dix ttes dans des paniers. (v. 7) Jhu fit encore mourir tous les amis et tous les officiers attachs la maison d'Achab (v. 11). Aprs cela, Jhu, allant Samarie, rencontra en chemin les frres d'Ochosias, roi de Juda. Ils rpondirent: Nous sommes les quarante-deux frres d'Ochosias. Alors, Jhu dit ses gens: Eh bien, qu'on les saisisse tout vifs! Et, les ayant ainsi capturs, il les fit gorger tous les quarante-deux, auprs du puits d'une maison de bergers; et pas un ne survcut ce massacre. (v. 12-14) Il n'est pas mauvais de rappeler que ces quarante-deux fils d'Athalie avaient dj t tus par les Arabes, puisqu'Ochosias, quarante-troisime et le plus jeune de la famille, n'avait succd son pre, le Joram de Juda, qu' cause de cette premire extermination de ses ans... Ah! le cruel Jhu! il assassinait mme les revenants!... Si vous croyez que cette fois c'est termin, vous vous trompez bien. Jhu annona qu'il allait donner de grandes ftes en l'honneur de Baal. Et il convoqua tous les prtres de Baal, en disant: Que pas un ne manque, car je veux faire un grand sacrifice Baal, et ceux qui ne viendront point seront tus. Mais Jhu tait trs rus, et il agissait ainsi pour faire prir quiconque servait Baal. Et il fit publier dans tout Isral l'annonce de cette fte solennelle. Et tous les serviteurs de Baal vinrent, sans qu'un seul manqut; le temple de Baal, ce jour-l, fut rempli d'un bout jusqu' l'autre. (10:19-21) Pendant que l'on faisait des sacrifices au dieu rival de Jhovah, le temple fut cern par les troupes de Jhu. Et, ds qu'on eut achev l'holocauste, Jhu dit aux archers et aux capitaines: Entrez, tuez-les, qu'il n'en chappe aucun! Les archers donc et les capitaines les firent passer au fil de l'pe, et ils les jetrent l. Puis, ils tirrent les statues hors du temple et les brlrent. Et ils dmolirent la statue de Baal, et ils dmolirent de fond en comble le temple de Baal. Ainsi Jhu extermina Baal du milieu d'Isral. (v. 23-28) Maintenant, lecteur, calez-vous bien contre un mur, pour ne pas tomber la renverse. Voici le verset 29: Toutefois, Jhu marcha constamment dans la voie du pch; car il adorait les veaux d'or qui taient Bthel et Dan. Incomprhensible, n'est-ce pas, le seigneur Jhu?... Oh! oui, alors! Encore une citation: Or, Jhovah apparut Jhu et lui dit: Parce que tu as fort bien excut mes ordres en me vengeant de la maison d'Achab, ta 221
descendance rgnera sur Isral jusqu' la quatrime gnration. Mais Jhu persista marcher hors des voies de Jhovah, et il se souilla de tous les pchs d'idoltrie de Jroboam. (v. 30- 31) Enfin, quoi qu'il en soit, l'usurpateur Jhu rgna vingt-huit ans; sa mort, il laissa sa couronne son fils Joac haz (v. 35-36). L'crivain sacr, tout entier aux exploits de Jhu, a nglig de s'occuper d'Athalie. Heureusement, il se rattrape au chapitre 11. Par suite de l'avnement de l'usurpateur, la fille d'Achab avait donc eu prendre de nombreux deuils; en quelques jours, on avait gorg sa mre Jzabel, son frre Joram d'Isral et ses soixante-dix autres frres, son fils Ochosias et ses quarante-deux autres fils. Il ne restait la reine de Jrusalem que ses petits-fils, les fils d'Ochosias, Que fit -elle, pour les prserver de la fureur de Jhu? Elle les gorgea elle-mme. Athalie, mre d'Ochosias, ayant vu que l'on avait tu son fils, s'leva son tour et extermina toute la race royale. (v. 1) Il n'y a que dans la Bible que l'on trouve des vengeances de ce numro-l! Ce qui fait dire Voltaire Athalie, grand'mre du petit Joas, assassine tous ses petits-fils dans Jrusalem, ce que dit l'histoire sainte, la rserve du petit Joas, qui chappe; elle avait prs de cent ans, et n'avait, d'ailleurs, aucun intrt les gorger: elle ne commet tous ces prtendus assassinats que pour le plaisir de les commettre, et pour donner au grand-prtre Joada un prtexte de l'assassiner son tour. Nous avons l, dans cette priode des rois d'Isral et de Juda, des scnes de meurtre et de carnage, dont on ne pourrait trouver d'exemple que dans l'histoire des fouines, si quelque coq de basse-cour avait fait leur histoire. Au surplus, les invraisemblances sont toujours ce qui domine dans la Bible. Comment le plus jeune des fils d'Ochosias est-il sauv du massacre gnral? Il est sauv par sa tante Josabeth, qui le cache. Or, qui est cette Josabeth? Elle est sur d'Ochosias et fille d'Athalie (2 Rois 11:2); elle est encore l'pouse du grand-prtre Joada (2 Chroniques 22:11). Ainsi, la reine Athalie, fameuse par son impit, Athalie qui ne reconnaissait que Baal pour Dieu, avait mari sa fille au grand-prtre de Jhovah! Et le petit Joas fut lev en secret dans le temple. Pendant six annes, Athalie rgna seule (2 Rois 11:3), et elle ignora tout fait ce complot permanent de son gendre. En la septi me anne, Joada runit des capitaines fidles Jhovah, leur montra le jeune fils d'Ochosias, le proclama roi, et Athalie, qui tait accourue pour voir ce qui se passait, fut gorge dans la rue qui conduisait aux curies du palais de David (v. 16). Par la mme occasion, on massacra Mathan, le grand-prtre de Baal, c'est-- dire le concurrent de Joada (v. 18). Le chapitre 12 du second livre des Rois est consacr au rgne de Joas, qui n'est pas des plus brillants. Tout ce qu'on y trouve d'intressant, c'est la glorieuse invention de la tirelire par le grand-prtre Jo ada. Le temple ayant besoin de rparations, Joas avait dit que les prtres s'en chargeraient, et que, pour cela, ils recevraient diverses sommes, soit de l'impt du recensement, soit de la gnrosit des fidles. A la vingt-troisime anne du rgne de Joas, aucune rparation n'avait encore t faite; mais les pr tres n'en avaient pas moins encaiss tout le temps (v. 6). Le roi, se dcidant mettre ordre cet tat de choses, dcrta que les prtres ne recevraient plus directement l'argent, et, par consquent, qu'ils n'auraient pas la charge des rparations. Alors, le grand-prtre Joada prit un coffre bien ferm, fit une fente son couvercle, et le plaa prs de l'autel main droite, l'endroit par o l'on entrait dans la maison de l'ternel; et tout l'argent qui tait apport au temple tait mis dans ce coffre. Ds qu'on voyait que le coffre tait plein, le secrtaire du roi et le grand-prtre l'ouvraient ensemble, comptaient l'argent et le mettaient dans des sacs; ensuite, ils dlivraient cet argent bien compt entre les mains de ceux qui avaient la charge de faire faire les rparations par les maons et les charpentiers. (v. 9-10) On le voit, sans l'invention de la tire-lire, le temple n'aurait jamais t rpar. Du livre des Rois, il rsulte que Joas fut un pieux monarque; mais, d'aprs le livre des Chroniques, il finit par mal tourner (livre 2, ch. 24): il restaura le culte des idoles des bocages 222
et autres faux dieux, au grand scandale de Zacharie qui, la mort de Joada son pre, tait devenu grand-prtre de Jhovah. Joas, irrit des reproches de Zacharie, le fit assommer coups de pierres, dans le parvis mme du temple (12:21). A son tour, Joas fut gorg par deux de ses domestiques, les sieurs Zabad et Jhozabad (v. 26). Ce roi avait rgn quarante ans. Son fils Amasias lui succda. En reprenant le livre des Rois, nous savons qu'en Isral le terrible Jhu eut pour successeur son fils Joachaz, lequel se moqua de Jhovah comme d'une guigne, pendant les dix-sept annes de son rgne; aussi, durant dix-sept ans, son royaume fut dvast par les rois de Syrie, Hazal, d'abord, et Bnadab, fils d'Hazal, ensuite. Si les Isralites furent mis en capilotade, ce n'est rien de le dire! Qu'on en juge par ce verset: De tout le peuple de Joachaz il ne resta que cinquante cavaliers et dix mille fantassins, tant le roi de Syrie les dtruisit et les rendit menus comme la poudre qu'on foule dans l'aire. (2 Rois 13:7) A Joachaz, succda son fils Joas, qu'il ne faut pas confondre avec le Joas, roi de Juda. Le Joas d'Isral, petit-fils de Jhu, fit la guerre Amasias, fils du Joas de Juda, le battit plates coutures Bethsms, fit aux remparts de Jrusalem une brche de quatre cents coudes, et pilla tous les trsors du temple et de la maison royale. C'est sous le rgne du Joas d'Isral que le prophte Elise mourut. Or, Elise avait t malade; et Joas, roi d'Isral, tant venu le voir, ne put retenir ses larmes, qui coulrent de ses yeux sur le visage du prophte. Et Joas s'cria: Mon pre! mon pre! chariot d'Isral et sa cavalerie! (13:14) Voil la deuxime fois que nous trouvons dans la Bible cette bizarre exclamation; aucune explication n'en est donne par l'auteur sacr; mais peu importe. Continuons. lise dit au roi Joas: Prends un arc et des flches... Puis, il lui dit: Ouvre la fentre l'orient; tire une flche par la fentre. Et Joas tira. Alors Elise s'cria: C'est la flche de la dlivrance de l'ternel, et la flche de la dlivrance contre les Syriens. Tu frapperas donc les Syriens Aphek, jusqu' les consumer. Il lui dit encore: Prends de nouveau des flches, et maintenant, au lieu de tirer en l'air, tire contre terre. Et Joas tira ainsi trois flches; puis, il s'arrta. Alors, lise se mit en colre, et lui dit: Roi imbcile, il fallait tirer au moins cinq ou six flches; ainsi tu aurais frapp les Syriens jusqu' les dtruire; mais maintenant tu ne les battras que trois fois. Aprs avoir dit cela, lise mourut, et on l'ensevelit. (v. 15-20) On cherchera vainement comprendre, croyons-nous, pourquoi le roi d'Isral, dont les sujets mles avaient t rduits dix mille cinquante, sous le rgne prcdent, aurait extermin les Syriens, s'il avait tir six flches contre terre, au lieu de trois. lise savait donc non seulement ce qui devait arriver, mais encore ce qui ne devait pas arriver. C'est beau! L'anne suivante, un fait merveilleux se produisit: des gens transportaient un homme mort pour l'ensevelir. Or, voici que ces gens s'effrayrent en voyant venir une bande de voleurs, et ils jetrent la hte leur cadavre dans un spulcre qui tait l, et ils s'enfuirent; c'tait le tombeau d'Elise. Alors, le cadavre, ayant roul sur les ossements du prophte, tressaillit en les touchant, revint la vie, et, s'tant lev sur ses pieds, se mit courir. (v. 21) Evidemment, les voleurs eurent le trac, et se mirent courir aussi. Les critiques, jamais contents, font encore des objections. Ils demandent pourquoi Jhovah ne ressuscita pas lise lui-mme, au lieu de ressusciter un pkin quelconque, un personnage parfaitement inconnu et nullement intressant, jet par hasard dans la fosse du prophte. Ils demandent comment cette fosse se trouvait l ouverte, si propos, au bout d'un an. Ils demandent ce que devint ce ressuscit et s'tonnent de ce que, dans sa seconde vie, aprs un vnement aussi extraordinaire, il n'ait pas jug utile de se faire connatre. Enfin, puisqu'une telle vertu secrte tait attache aux ossements d'lise, ils demandent comment on n'a plus song la mettre profit; dire que, grce ce squelette, si l'opration s'tait gnralise, nous serions tous immortels! 223
De la mort d'lise la fin des royaumes d'Isral et de Juda, nous avons un tel mli-mlo politique qu'il est difficile de s'y reconnatre si l'on n'a pas la prcaution de placer, avant tout, sous les yeux du lecteur un tableau de la succession des rois. En Isral: Joas succde Jroboam II, son fils, qui rgne quarante-un ans (14:23); Jroboam II a pour successeur son fils Zacharie (v. 29), dernier descendant de Jhu, lequel ne rgne que six mois (15:8); il est assassin par un certain Sellum (v. 10), qui s'empare du trne et l'occupe seulement un mois (v. 13); celui-ci son tour est assassin par Manahem (v. 14), autre capitaine, plus heureux, qui rgne dix ans (v. 17), pendant lesquels il paie tribut Phul, roi de Ninive (v. 19-20); Manahem meurt tranquillement dans son lit, et a pour successeur son fils Phacea (v. 22), qui rgne deux ans (v. 23); Phacea est assassin par le capitaine Phace (v. 25), qui monte sur le trne et s'y maintient vingt ans (v. 27), au cours desquels une guerre avec Tglath-Phalazar, roi d'Assyrie, lui fait perdre toute la Galile et la tribu de Nephthali, dont les habitants sont emmens en servitude (v. 29); enfin, le capitaine Ose dtrne Phace, le tue (v. 30), rgne neuf ans (12:1) et est finalement fait prisonnier par Salmanazar, roi d'Assyrie, qui s'empare de Samarie aprs un sige de trois annes (v. 5) et dtruit le royaume d'Isral. Ose et ses ex-sujets sont emmens captifs et dissmins Halah, Habor et dans les villes des Mdes (v. 6). En Juda: Amasias, aprs un rgne de vingt-neuf ans (14:2), est assassin Lakis par des conspirateurs (v. 19), et le peuple maintient la couronne son fils Azarias, g de seize ans (v. 21), qui rgne cinquante-deux ans Jrusalem (15:2); Azarias a pour successeur son fils Jotham ou Jonathan (v. 7), qui rgne seize ans (v. 33); ce roi, qui tait pieux, succda son fils Achaz (16:1), qui rgna aussi seize ans, mais qui fut impie (v. 2) et se signala par son alliance avec le roi assyrien Tglath-Phalazar contre le roi d'Isral, Phace, et contre le roi de Syrie, Retsin (v. 5-9); Achaz a pour successeur son fils Ezchias (v. 20), roi d'une pit exemplaire, dont nous aurons dire quelques mots, et qui rgne vingt-neuf ans (18:2); c'est pendant son rgne que le royaume d'Isral est dtruit; son fils Manass lui succde (21:1) et rgne cinquante-cinq ans, pendant lesquels il commet toutes les abominations qui dsolent Jhovah (v. 2); Amon, fils de Manass, rgne son tour (v. 19), suit les mauvais exemples de son pre (v. 20), et, au bout de deux ans, est assassin par ses domestiques; Amon, succde Josias, son fils (v. 26), qui rgne trente-un ans (22:1) avec pit; tu dans une bataille par le roi d'gypte Nchao, le pieux mais mal chanard Josias a pour successeur l'un de ses fils, Joachaz, oint parle peuple (23:29-30); mais Joachaz ne rgne que trois mois (v. 31); fait prisonnier par Nchao, il meurt en Egypte (v. 34), et Nchao met sur le trne Joachim, autre fils de Josias, lequel rgne onze ans (v. 36); ce Joachim a pour successeur un autre Joachim, son fils, que la Bible nomme aussi Jchonias, dont le rgne ne fut que de trois mois (24:8); Nabuchodonosor, roi de Babylone, ayant envahi alors le royaume de Juda, pilla le temple, emmena de nombreux prisonniers, parmi lesquels Joachim-Jchonias (v. 10-16), et il mit sur le trne sa place un troisime fils de Josias (v. 17). Celui-ci, connu sous le nom de Sdcias, fut le dernier roi de Juda; car, en la onzime anne de son rgne (25:2), Jrusalem fut prise par les armes de Nabuchodonosor, aprs dix-huit mois de sige (v. 4), les princes royaux furent massacrs, et Sdcias, ayant eu les yeux crevs et les bras chargs de doubles chanes d'airain, fut emmen en captivit Babylone, avec tout ce qui restait du peuple (v. 7); Nabuchodonosor, ayant incendi le temple de Salomon et le palais, laissait Jrusalem en ruines (v. 9-10). Enfin, dit Voltaire, voici le dnouement de la plus grande partie de l'histoire hbraque. C'est d'abord la destruction des dix tribus du royaume d'Isral, et bientt ensuite la captivit des deux autres tribus; c'est quoi se terminent tant de miracles faits en leur faveur. Les sages chrtiens voient, avec douleur, le dsastre de leurs pres qui leur ont fray le chemin du salut. Les sceptiques voient, avec une secrte joie, l'anantissement de presque tout un peuple qu'ils regardent comme un vil ramas de superstitieux enclins l'idoltrie, dbauchs, brigands, 224
sanguinaires, imbciles et impitoyables. Cette rvolution nous offre un tableau nouveau, et de nouveaux personnages. Quels taient ces peuples et ces rois d'Assyrie, qui viennent de si loin fondre sur le petit peuple qui avait habit prs de la Clsyrie, de Dan jusqu' Beer-Sbah, dans un terrain d'environ cinquante lieues de long sur quinze de large, et qui espra dominer sur l'Euphrate, sur la Mditerrane et sur la mer Rouge? Parmi les pisodes qui viennent jeter un peu de gat dans les annales de cette poque o la dsolation des Juifs clate, il faut citer, en premier lieu, l'histoire de Tobie, qui se rapporte la captivit des Hbreux du royaume d'Isral. Cette histoire ne se trouve ni dans le livre des Rois ni dans le livre des Chroniques; elle figure, part, dans la catgorie des ouvrages que les Juifs dclarent, tout en les respectant, ne pas avoir t directement inspirs de Dieu. Par contre, les catholiques admettent le livre de Tobie, et le concile de Trente l'a dclar canonique; cela suffit pour que nous lui donnions place en rsum, du moins dans cet examen gnral de l'Ancien Testament. Tobie, de la tribu de Nephtali, fut, du temps de Salmanazar, roi des Assyriens, emmen captif Ninive. Ceci est le dbut du livre de Tobie. On regrette vivement, en lisant cela, que le dit Salmanazar n'ait pas fait lever de bonnes cartes gographiques de ses Etats; car on a bien de la peine dbrouiller comment, tant roi de Ninive sur le Tigre, il avait pu passer par- dessus le royaume de Babylone pour aller enchaner les habitants des bords du Jourdain, et conqurir jusqu'aux voisins de la mer d'Hyrcanie. C'est absolument comme si le Grand Turc, qui rgne Constantinople, allait, en sautant l'Autriche pieds joints, lui et ses bachi- bouzoucks, faire prisonnire et ramener dans son empire la population du royaume de Prusse. Mais passons. Or, Tobie, quittant un jour Ninive, alla faire un voyage Rags, ville de Mdie; et l, ayant vu que Ga blus, de sa tribu, tait dans le besoin, il lui donna, contre une promesse crite de remboursement, dix talents d'argent, pris sur les dons qu'il avait reus du roi. (1:15-17) On s'tonne qu'un captif ait obtenu de telles sommes des libralits du souverain qui gardait sa nation en esclavage; car dix talents d'argent ne reprsentent pas moins de quarante-cinq cinquante mille francs de notre monnaie. C'est beaucoup assurment pour le mari d'une blanchisseuse; Anne, femme de Tobie, blanchissait la toile et faisait des raccommodages (2: 13). On ne saurait trop admirer vraiment ce Tobie, qui s'en va Rags, quatre cents lieues de Ninive, pour prter ces cinquante mille francs au juif Gablus, qui tait extrmement pauvre, et qui, selon toute probabilit, serait hors d'tat de les lui rendre jamais! Cela est fort beau. Revenu Ninive, un jour qu'il avait employ son temps ensevelir des morts, il s'endormit au pied d'un mur; un homme assez riche pour prter cinquante mille francs dans Rags aurait bien d avoir au moins une chambre coucher dans Ninive. Mais Tobie ne s'aperut point qu'il y avait des passereaux perchs sur la muraille, lesquels fientrent tout chaudement dans ses yeux, et il en devint aveugle. (2:9-10) Les critiques naturalistes disent que la merde de moineau ne peut rendre personne aveugle, et qu'on en est quitte pour se laver sur-le-champ. En ce mme jour. Sara, fille de Ragul, qui habitait Ecbatane, ville de Mdie, fut outrage par les servantes de son pre. Sara avait t donne en mariage sept maris; mais un esprit malin (ici les traducteurs catholiques mettent: un diable), nomm Asmode, les avait tus chaque fois, au moment o ils allaient coter avec elle. Les servantes lui disaient donc: Tu as touff tes sept maris, l'un aprs l'autre, et tu n'as port le nom d'aucun. Et maintenant tu nous bats. Va-t'en rejoindre tes maris!... Ayant entendu cela, Sara fut fort contriste, jusqu' vouloir s'trangler. Mais elle pria Jhovah, en lui criant par la fentre: Seigneur, retire-moi de la terre, af in que je n'entende plus de tels reproches! Tu sais que je suis pure et que je n'ai point souill mon nom ni le nom de mon pre, au pays o je suis captive. Je suis fille unique, et il n'y a aucun de nos proches parents qui je me rserve pour emme; dj il m'en est mort sept; 225
qu'ai-je plus faire de vivre? Mais, si tu ne juges pas bon de me faire mourir, aie piti de moi et ordo nne que je n'aie plus d'opprobre. (3:7-15) Jamais les Juifs, jusqu'alors, remarquent les critiques, n'avaient entendu parler d'aucun diable ni d'aucune sorte de dmons; les bons et les mauvais gnies avaient t imagins en Perse, dans la religion de Zoroastre, qui enseigne l'existence de deux dieux gaux en puissance, l'un, Ormuzd, principe du bien; l'autre, Ahrimane, principe du mal, chacun ayant sous ses ordres une arme d'esprits, les uns bienfaisants, les autres malfaisants. De la Perse, ces gnies passrent en Chalde et s'tablirent enfin en Grce, o Platon donna libralement chaque homme son bon et son mauvais dmon. Schamadda, que l'on traduit par Asmode, tait un des principaux diables. Le bndictin dom Calmet, dans son commentaire sur Asmode, dit qu'on sait qu'il y a plusieurs catgories de diables, les uns princes et matres dmons, les autres subalternes et assujettis . Tout concourt donc prouver, dans les divers livres qui composent la Bible, que les Juifs ne furent jamais qu'imitateurs, qu'ils prirent tous leurs rites, les uns aprs les autres, chez leurs voisins et chez leurs matres, et non seulement leurs rites, mais tous leurs contes. C'est ainsi qu'au retour de leur captivit chez les Mdes et les Assyriens, ils rapportrent les croyances perses et chaldennes et les ajoutrent leurs dogmes. Les termes dont se sert l'auteur du livre de Tobie insinuent qu'Asmode tait amoureux et jaloux de Sara. Cette ide est conforme l'ancienne doctrine des gnies, des sylphes, des anges, des dieux de l'antiquit ; tous ont t amoureux de nos filles. Nous avons dj vu, dans la Gense, les fils ou anges de Dieu amoureux des filles des hommes et leur faire des enfants gants (pages 76 et suivantes). La fable a domin partout. Ce n'est point ici le lieu de rpter ce que les thologiens ont dit des dmons incubes et succubes; des hommes miraculeux, ns de ces copulations chimriques; de tous les diffrents diables entrant dans les corps des garons et des filles en cent manires diverses; des moyens de les faire venir et de les chasser; enfin, de toutes les superstitions de cette espce dont la fourberie s'est servie dans tous les temps pour tromper l'imbcillit. Cela nous mnerait trop loin. Cette tude est rserve l'ouvrage que je prpare sous le titre les Cocasseries de la Foi. Or, la prire de Tobie et celle de Sara furent entendues devant la gloire du grand Dieu; et Raphal fut envoy pour gurir Tobie des taies qu'il avait sur les yeux et pour donner Sara en mariage Tobie fils, en liant Asmode, l'esprit malin, parce que Dieu avait dcid que le droit de la possder comme femme appartiendrait Tobie fils. (3:16-17) C'est la premire fois qu'un ange est nomm dans l'Ecriture sainte. Tous les commentateurs avouent que ces noms sont d'origine chaldenne: Raphal, mdecin de Dieu; U riel, feu de Dieu; Jesral, race de Dieu; Mikal, semblable Dieu, Gabriel, l'homme de Dieu. Les anges persans avaient des noms tout diffrents: Mah, Kur, Dubadur, Bahman, etc. Les Juifs tant esclaves chez les Chaldens, et non chez les Persans, s'approp rirent donc les anges et les diables des Chaldens, et se firent une thurgie toute nouvelle, laquelle ils n'avaient point pens encore. Ainsi, l'on voit que tout change chez ce peuple, selon qu'il change de matres. Quand ils sont asservis aux Cananens, ils prennent leurs dieu x; quand ils sont captifs chez les rois qu'on appelle assyriens, ils prennent leurs anges bienfaisants et malfaisants. Un jour, donc, Tobie se souvint de l'argent qu'il avait remisa Gablus, et il se dit en lui- mme: Pourquoi n'appellerai-je pas Tobie mon fils avant que je meure, pour le lui dclarer? Et il l'appela et lui di t: Mon fils, si je meurs, ensevelis-moi, et ne mprise point ta mre. (4:1- 3) Suit un long discours, qui se termine ainsi: Maintenant je te dclare que j'ai prt dix talents d'argent Gablus sur sa promesse, dans Rags, ville de Mdie. (v. 21) Puis, Tobie remet son fils le billet que Gablus lui a souscrit (5:3) et lui recommande de se trouver un compagnon de voyage (v. 4). Alors Tobie fils rencontra un jeune homme trs beau, dont la robe tait retrousse la ceinture; c'tait Raphal; mais il ne savait pas avoir affaire un ange de Dieu. Il le salua et lui dit: Pourrais-je aller avec toi en Mdie? connais-tu ce pays? L'ange 226
lui rpondit: J'irai avec toi, je connais la route, et mme j'ai log Rags, chez Gablus, notre frre. (v. 5-8) Comme cela tombait bien! Tobie fils, enchant, prsenta aussitt son pre le jeune homme la robe retrousse. Celui-ci dclara qu'il se nommait Azarias, de la race du grand Ananias (v. 15); justement le vieux Tobie avait connu Ananias, qui tait quelque peu son parent. L- dessus, discussion sur le salaire accorder au voyageur-protecteur: Sera-ce assez d'une drachme par jour, demanda Tobie, avec les choses ncessaires, comme pour mon fils? J'ajouterai quelque chose au salaire, si vous retournez avec une pleine russite. Et ils se mirent d'accord ainsi. (v. 20) Il est assez bizarre que Tobie, qui tait juif et habitait alors Ninive, ne compte dans ce rcit ni en monnaie juive ni en monnaie mde; car la drachme est une monnaie essentiellement grecque. Tobie fils se mil donc en route avec le faux Azarias, et le chien de la maison partit avec eux . On pense bien que ce voyage ne devait pas se passer sans aventure. Comme ils arrivrent le soir aux bords du Tigre, ils logrent l. Et le jeune Tobie descendit pour se laver les pieds dans le fleuve; mais voici qu'un poisson norme sauta hors de l'eau pour le dvorer. Alors, l'ange lui dit: Saisis ce poisson par les oues. Tobie le prit donc et le tira dehors sur terre. (6:1-3) On se demande ici comment un poisson aussi monstrueux, capable de dvorer un homme, pouvait se laisser si aisment saisir par les oues, comme un simple lapin qu'on suspend par les oreilles. Mais les thologiens ne sont pas embarrasss pour si peu. Il est vident qu'il n'existe pas de tels poissons d'eau douce; aussi, ce poisson terrible avait t plac l exceptionnellement par Jhovah; il avait t cr tout exprs pour les besoins de la cause; c'tait une mise en scne divine, et il est donc inutile de rechercher l'espce laquelle appartenait ce monstre aquatique. L'ange dit ensuite au jeune Tobie de fendre le poisson et de mettre part le cur, le foie et le fiel. Cette opration faite, le poisson fut rti et les deux compagnons s'en nourrirent jusqu' Ecbatane. Alors, Tobie dit l'ange: Azarias, mon frre, que ferons-nous du cur, du foie et du fiel de ce poisson que j'ai pris l'autre jour? Raphal lui rpondit: Le cur et le foie, lorsqu'on les fait griller sur des charbons, produisent une fume qui chasse le diable ou tout esprit malin troublant un homme ou une femm e; quant au fiel, si on en graisse les yeux d'un homme devenu aveugle par des taies, cet homme est aussitt guri. (v. 6-8) Raphal conseilla ensuite au jeune Tobie de demander l'hospitalit son parent Ragul et de prendre sa fille Sara pour pouse. Tobie fut fort hsitant sur ce second point. Il dit l'ange: Azarias, mon frre, j'ai entendu dire que cette jeune fille s'est marie dj sept fois et que tous ses maris ont t trouvs morts dans la chambre nuptiale. Or, mon pre n'a pas d'autre enfant que moi, et je crains, si j'pouse Sara, de mourir comme les autres; car il y a un esprit malin qui l'aime et qui s'attaque quiconque veut coucher avec elle. L'ange lui rpondit: Ne te souvient-il point que ton pre t'a recommand d'pouser une femme de ta parent? Donc, coute-moi, et n'hsite pas prendre Sara pour femme. Quant l'esprit malin, n'en aie aucun souci. Quand le moment sera venu de te mettre au lit, tu feras griller le cur et le foie du poisson sur un brasier parfums, et il en sortira une fume trs puante; or, l'esprit malin, en sentant cette odeur, s'enfuira et ne reviendra jamais. Ayant entendu ces paroles, Tobie prit confiance, et il devint Irs amoureux de Sara, et son cur lui fut extrmement attach. (6:13-17) Notez que le fils Tobie n'avait pas encore vu sa jeune parente. Ils arrivrent ensuite Ecbatane et se rendirent la maison de Ragul. Sara vint au-devant d'eux, les salua, et ils la salurent; puis elle les fit entrer. Et Ragul dit Edna, sa femme: Oh! que ce jeune homme ressemble Tobie mon parent! (7:1-2) Le fils Tobie se nomme; on s'embrasse; un grand festin est prpar, mais Tobie refuse de toucher aucun mets si Ragul ne lui accorde pas sance tenante sa fille en mariage. Ragul rpond qu'il le veut bien; toutefois, il tient dire au jeune homme l'horrible histoire des sept maris trangls la nuit mme de leurs noces. Tobie insista en affirmant que, quant lui, il ne redoutait rien. Alors 227
Ragul appela Sara sa fille, la prit par la main, et la donna Tobie en disant: La voici, je te la donne pour femme; entre en elle, selon ton droit, et puis tu la conduiras dans la maison de ton pre. Aprs quoi, il les bnit; puis, il prit des tablettes, fit le contrat et le scella. (7:15- 16) Enlevez le bifteck! Edna prpara la chambre nuptiale et y conduisit Sara, qui pleurait; et elle essuya ses larmes, en lui disant: Aie bon courage, ma fille. (v. 19-20) Or, quand ils eurent achev de souper, Ragul et Edna menrent Tobie vers Sara. Alors, Tobie, se souvenant des paroles de son compagnon Azarias, prit de la braise, mit le cur et le foie du poisson dessus, etil s'en dgagea aussitt une paisse fume. Et l'esprit malin Asmode, ayant senti cette odeur, s'enfuit jusqu'au bout de la haute Egypte; mais l'ange l'y poursuivit en mme temps, le saisit, et l'enchana trs solidement. (8:1-4) Des thologiens se sont demand si le diable Asmode est encore enchan et en quel endroit prcis; grave question! Des flots d'encre ont coul pour la rsoudre. Les plus roublards sont les moines d'un couvent gyptien, qui montrent aux plerins un puits trs profond, o, disent- ils, Raphal a attach son ennemi, lequel y est encore; moyennant une offrande aux bons religieux, on jette une pierre dans le puits, ou quelques gouttes d'eau bnite, afin d'augmenter le supplice du mchant dmon, rduit l'impuissance. L'esprit malin n'tant plus dans la chambre, Tobie se mit genoux sur le lit (v. 5), et dit: Seigneur, tu es tmoin que je ne prends point cette femme pour la paillardise, mais je la prends en droiture; fais-nous donc vieillir ensemble. Et Sara, priant aussi, disait: Amen! Alors, ils se couchrent et ils passrent cette premire nuit dormir. (v. 9-10) Pendant ce temps, Ragul, convaincu que Tobie ne s'en tirerait pas, creusait une fosse dans le jardin (v. 11). Mais quand, le lendemain matin, il sut que son gendre tait sain et sauf, il fut dans une joie indescriptible. Il commanda ses servit eurs de combler la fosse et dcida que les noces dureraient quatorze jours. Et il dit Tobie: Tu prendras la moiti de tout ce que je possde, et tu t'en iras ainsi chez ton pre; quant au reste, tu l'auras, lorsque nous serons morts, moi et ma femme. (v. 22) Pendant les noces, l'ange Raphal, qui tait revenu de la haute Egypte, fit le voyage de Rags, sous les traits d'Azarias; l'emprunteur Gablus avait russi dans ses affaires, et rendit sans difficult les dix talents de Tobie pre (ch. 9). Enfin, le fils Tobie, sa femme, l'anglique compagnon et le chien revinrent Ninive, o le vieil aveugle commenait dsesprer. Tobie frotta avec le fiel du poisson les yeux de son pre, lui disant: Aie bon courage, mon pre. Or, comme ses yeux lui dmangrent, une peau albumineuse comme du blanc d'uf en tomba; et alors, voyant son fils, Tobie se jeta son cou et pleura. (11:10-11) Il ne restait plus qu' payer le salaire promis Azarias; celui-ci refusa les rachmes, se fit connatre pour Raphal, l'un des sept, anges lesplus importants dans la hirarchie cleste, et disparut (ch. 12). Tandis que les Hbreux du royaume d'Isral taient en captivit Ninive, Rags, Ecbatane et autres villes mdes, captivit permettant des prisonniers, comme Ragul, d'avoir domestiques, troupeaux et un grand train de maison, et d'autres, comme Tobie, de prter cinquante mille francs un camarade sans se gner, le royaume de Juda continuait subsister, d'abord sous le pieux gouvernement d'Ezchias, qui n'entendait pas raillerie sur la question religieuse. Il supprima les hauts lieux, mit eu pices les statues des dieux trangers, coupa les bocages o l'on rendait un culte aux priapes, et brisa mme le serpent d'airain, uvre de Mose, parce que les Juifs lui faisaient des encensements. (2 Rois 18:4) Aussi, papa Bon Dieu lui donna la victoire sur les Philistins. Nanmoins, Jhovah ne lui donna, en certaines circonstances, qu'une demi-protection: c'est ainsi qu'en la quatorzime anne de son rgne, Ezchias eut son territoire envahi par Sennachrib, fils de Salmanazar, et il n'obtint la cessation de l'occupation qu'en payant ce roi de Ninive trois cents talents d'argent et trente talents d'or (v. 14). Et Ezchias donna tout l'argent qui se trouva dans la 228
maison de l'Eternel et dans les trsors de la maison royale; il dpouilla mme les portes du temple et les linteaux qu'il avait recouverts lui-mme de lames d'or, et il donna toutes ces richesses Sennachrib. (v. 15-16) Aprs cette rfle, Sennachrib aurait pu laisser la paix Ezchias. Pas du tout. Il revint bientt la charge, en lui envoyant un certain Rabsak charg de lui poser une question, tandis qu'il faisait investir Jrusalem par son arme. Cette question tait celle-ci: Quelle est la confiance sur laquelle tu t'appuies? Si c'est ta confiance en Jhovah, elle ne te sauvera pas. Ezchias avait dlgu trois parlementaires auprs de Rabsak, et ceux-ci, entendant un tel langage, lui dirent: Nous te prions de nous parler en langue syriaque, car nous la comprenons; mais ne parle pas en langue judaque, cause du peuple qui est l sur les remparts et qui coute. (v. 26) Mais Rabsak fut plus insolent encore. Mon matre, dit-il, m'a envoy pour que tout le monde entende ce que j'ai dire; et il faut que les habitants de Jrusalem sachent que nous leur ferons manger leurs propres excrments et qu'ils boiront leur urine avec vous. (v. 27) Ezchias n'avait pas trop eu confiance en Jhovah, puisque tout d'abord il s'tait laiss dpouiller sans rsistance. Cependant, le prophte Isae, qui vivait alors, lui remonta le moral, et, ce qui tait le plus important, papa Bon Dieu vint son aide. Il arriva, en une nuit, qu'un ange de Jhovah descendit du ciel et tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes dans le camp des Assyriens autour de Jrusalem; et, au point du jour, quand le roi Sennachrib vit tous ces corps morts, il ordonna aux survivants de plier bagage et s'en retourna Ninive. (19:35-36) La Bible dit ensuite que Sennachrib fut tu par ses fils Adramlec et Saratsar, qui, aprs ce meurtre, se rfugirent en Armnie, et qu'un autre fils de Sennachrib, nomm Assar-Iladdon, monta sur le trne (v. 37); puis, au chapitre suivant, l'auteur sacr dit qu'Ezchias, dans les dernires annes de son rgne, fit alliance avec Mrodak-Baladan, roi de Babylone (20:12). Ces affirmations ne concordent gure avec les dcouvertes des archologues touchant l'histoire des royaumes assyriens; car il rsulte des inscriptions du fameux palais de Khorsabad, dcouvert en 1842 par M. Botta, consul de France Mossoul, que Mrodak- Baladan fut chass de Chalde par Salmanazar mme, pre de Sennachrib, son vainqueur la bataille de Betlakin (709 av. J.-C), et Salmanazar, aprs cette victoire, s'empara de Babylone et runit ce royaume celui de Ninive. Comment donc Ezchias pouvait-il tre l'alli de Mrodak-Baladan, sous le rgne d'Assar-Haddon, fils de Sennachrib, puisque ce roi de Babylone avait perdu ses tats dans sa guerre contre le roi de Ninive, grand-pre d'Assar- Haddon, et puisque Assar-Haddon, rgnant au temps des dernires annes d'Ezchias, tait la fois roi de Ninive et de Babylone? Mais, si l'on ne veut pas tenir compte des dcouvertes des savants et si l'on prfre s'en rapporter exclusivement la Bible, on ne peut nanmoins s'empcher de faire cette remarque: c'est que Jhovah, qui avait dit Ezchias par la bouche du prophte Isae: Je dlivrerai Jrusalem, et, si je veux que cette ville soit garantie contre les ennemis, c'est cause de moi et cause des bonnes uvres de David (19:34), aurait fort bien pu ne pas attendre la seconde invasion de Sennachrib; car, puisqu'en sa qualit de Tout-Puissant il avait dcrt que Jrusalem tait sous sa protection, mieux valait la protger tout de suite, au lieu de permettre Sennachrib d'emporter toutes les richesses du pays et tous les trsors du temple, demeure divine. On ne comprend pas non plus pourquoi le seigneur Sabaoth, qui se dclarait solennellement le protecteur de la tribu de Juda, et qui, par le bras de son ange exterminateur, tuait en une seule nuit cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens, abandonna quelques annes plus tard cette tribu dont la verge devait dominer toujours, laissa dtruire son sanctuaire sacro- saint par une autre arme d'Assyriens, et vit tout tranquillement cette tribu et celle de Benjamin, avec tant de lvites, plonges dans les fers. Voici encore, propos d'zchias, un fait dont les dtails ne manquent pas d'tre curieux. Ce prince tait mont sur le trne l'ge de vingt-cinq ans, et Dieu avait crit, sur le livre de: sa destine, qu'il mourrait dans sa trente-neuvime anne; mais, la suite de circonstances qui 229
mritent d'tre mentionnes, Jhovah passa le grattoir sur cette page du grand livre ternel et inscrivit nouveau qu'Ezchias vivrait jusqu' l'ge de cinquante-quatre ans. Donc, en la quatorzime anne de son rgne, zchias tomba malade, en vertu de ce qui tait crit l-haut avant le coup de grattoir. Le roi de Juda ne fit pas appeler un mdecin; ce qui tait bien inutile, puisqu'il avait sous la main le prophte Isae, saint homme tout fait au courant de ce que Dieu avait dcid. Isae, apprenant pour quel motif le royal malade demandait le consulter, s'empressa de venir. Et Isae dit Ezchias: Voici, Adona te fait dire par ma voix de mettre ordre tout de suite tes affaires, attendu que l'heure de ta mort approche et que tu vas cesser de vivre trs certainement. Alors, Ezchias tourna son visage contre la muraille et pria l'ternel. Souviens-toi, Seigneur, dit-il, combien j'ai march droit devant toi avec un cur pur et combien j'ai fait tout ce qui t'est agrable. Et il versa des larmes en abondance. Cependant, Isae s'tait retir; mais il n'tait pas encore sorti de l'antichambre, que Dieu lui parla ainsi: Retourne sur tes pas et dis Ezchias qu'tant touch de ses larmes, je vais le gurir; et dans trois jours il sera debout et viendra au temple; annonce-lui encore que je lui ajoute, partir d'aujourd'hui, quinze annes d'existence. (20:1-6) Lord Bolingbroke plaisante sur l'instabilit des dcrets du dieu juif et demande sous quelle forme il tait, quand, au milieu de l'antichambre, il dclara Isae son changement de volont. Isae, sans s'pater, s'acquitta de sa nouvelle commission. Mais il parat qu'en prsence de ces deux prophties contradictoires, le moribond n'tait pas trop rassur Ezchias demanda Isae: Par quel signe Jhovah me montrera-t-il que je serai guri et que dans trois jours je pourrai aller au temple? Isae lui rpondit: Voici le signe que l'Eternel te donne choisir pour t'assurer que c'est ma seconde prophte qui s'accomplira, et non la premire: veux-tu que l'ombre du cadran solaire avance tout d'un coup de dix degrs, ou prfres-tu qu'elle rtrograde de dix degrs? Ezchias lui dit: Il est facile que l'ombre de la baguette de fer se mette avancer de dix degrs sur le cadran; ce n'est donc pas ce que je veux, mais je demande qu'elle recule de dix degrs en arrire. Le prophte Isae poussa un cri vers l'ternel, et Adona fit rtrograder l'ombre par les degrs qu'elle avait dj parcourus sur le cadran solaire d'Achaz, jusqu'au dixime degr en arrire. Aprs cela, Isae lit mettre une marmelade de figues sur l'ulcre d'Ezchias, et le roi fut guri. (v. 7-11) Une nue d'incrdules fond sur cette marmelade de figues et sur ce cadran solaire en goguette. Ou le mal d'Ezchias, disent-ils, tait bien peu de chose, puisqu'il fut guri par un simple empltre de figues; ou bien c'est la vertu seule du pouvoir divin qui opra la gurison du roi deux doigts de la mort, et alors cette marmelade est d'une inutilit absolue qui crve les yeux. Quant l'histoire du cadran solaire, zchias produit tous les critiques l'effet d'un parfait imbcile quand il dit qu'il est plus facile l'ombre d'avancer que de reculer; dans l'un et l'autre cas, les lois de la nature sont galement violes, et tout l'ordre du ciel est galement interrompu. En outre, la rtrogradation de l'ombre sur le cadran solaire d'Achaz ne parat qu'une copie renforce du miracle de Josu. Par contre, les thologiens n'hsitent, pas croire que le soleil s'arrta pour Josu et recula pour Ezchias. Isae mme, au chap. 38 de son livre de prophties, revient sur ce fait et dit trs nettement: Le soleil rtrograda de dix degrs ; mais il est clair qu'Isae, quoique prophte, se met le doigt dans l'il; car l'ombre est toujours oppose au soleil, et, si le soleil est l'orient, l'ombre est l'occident. Pour que l'ombre, sur le cadran solaire d'Achaz, rtrogradt de dix degrs vers le matin, il aurait fallu que le soleil se ft avanc de dix degrs vers le soir. Le fait matriel du mouvement de l'ombre sur le cadran, tel que l'indique l'auteur sacr, serait donc impossible, mme si le miracle tait possible. Enfin, tout considrer, il y aurait eu un jour double dans la nature, et une nuit totalement supprime! Mais le plus curieux de tous les faits tranges qui signalent cette poque, c'est le trpas d'Isae: cet homme, qui tait le miracle incarn, ne put faire aucun miracle le jour o sa vie fut en danger. Manasss, fils et successeur d'zchias, que le coup du cadran solaire avait laiss fort 230
sceptique, fut aussi impie que son pre avait t bigot. Voulant voir si Isae avait, pour sa prservation personnelle, quelque marmelade de figues, il fit saisir le prophte et ordonna de le scier en deux. L'infortun Isae fut sci comme s'il avait t une simple planche; ni Raphal ni aucun autre ange ne vinrent son secours. Peut-tre Jhovah, pendant le supplice de son fidle serviteur, tait occup aux affaires de quelque autre plante. Pendant que nous en sommes cette priode si embrouille de la fin du royaume de Juda, il convient de parler de Judith, dont l'unique exploit est jamais clbre et se trouve narr dans un livre spcial. L'pisode est tellement connu, qu'il suffira de le rappeler en quelques lignes. A une poque que la Bible ne prcise pas, mais qui prcde de peu la destruction du royaume de Juda, la ville de Bthulie, tout fait inconnue des historiens et des gographes, fut mise en tat de blocus par une arme de Nabuchodonosor, que commandait le gnral Holopherne, personnage dont il n'est question nulle part dans les documents assyriens. Holopherne coupa les canaux qui alimentaient Bthulie, de sorte que les assigs, privs d'eau, tiraient la langue comme des caniches en t. La situation devenait intolrable. C'est alors qu'une jolie veuve bthulienne, Judith, dont le mari tait mort d'un coup de soleil, au temps de la moisson des orges, rsolut de sauver sa patrie. Pour cela, elle revtit sa plus belle robe, se parfuma des odeurs les plus excitantes, et, suivie d'une vieille ngresse, se rendit au camp des assigeants. Holopherne, galant au possible, suivant l'habitude des pioupious, invita Judith dner en tte tte dans sa tente. On fit bombance, on vida de nombreuses coupes, on se dit mme des choses aimables au dessert. Mais, aprs le festin, tandis qu'Holopherne, trs content de sa soire, se prlassait sur son lit de repos, Judith saisit prestement un instrument tranchant, et, d'un coup sec, dcapita le gnral. Que l'on dise aprs cela que l'amour ne fait pas quelquefois perdre la tte! Puis, Judith, sans tre vue de personne, rentra en ville; la ngresse, sa suivante, avait mis la tte d'Holopherne clans un sac. On accrocha aux murs de Bthulie la binette du gnralissime des armes de Nabuchodonosor. Aussi, quand les assigeants l'aperurent, ils s'enfuirent toutes jambes, sans mme songer se mettre sous les ordres d'un autre chef. Nous nous bornerons reproduire le commentaire de Voltaire sur cet pisode biblique: Un gographe serait bien empch placer Bthulie: tantt on la met quarante lieues au nord de Jrusalem, tantt quelques milles au midi; mais une honnte femme serait encore plus embarrasse justifier la conduite de la belle Judith. Aller coucher avec un gnral d'arme pour lui couper la tte, cela n'est pas modeste. Mettre cette tte toute sanglante, de ses mains sanglantes, dans un petit sac, et s'en retourner paisiblement avec sa servante travers une arme de cinquante mille hommes, sans tre arrte par aucune sentinelle, cela n'est pas commun. Une chose encore plus rare, c'est d'avoir demeur cent cinq ans aprs ce bel exploit dans la maison de feu son marri comme il est dit au chapitre 16, v. 28. Si nous supposons qu'elle tait ge de trente ans quand elle fit ce coup vigoureux, elle aurait donc vcu cent trente-cinq annes. Dom Cal met nous tire d'embarras en nous disant qu'elle avait soixante-cinq ans lorsque Holopherne fut pris de son extrme beaut: c'est le bel ge pour tourner et couper des ttes. Mais le texte nous replonge dans une autre difficult: il dit que personne ne troubla Isral tant qu'elle vcut; et malheureusement, ce fut le temps de ses plus grands dsastres. Voici, d'ailleurs, le texte, traduit mot mot: Et durant tout le temps que Judith vcut, il n'y eut personne qui pouvantt Isral, jusque longtemps aprs sa mort. (Judith 16:30, terminant le livre) Ce texte va nous servir montrer, une fois de plus, avec quel aplomb le divin inspirateur de la Bible se moque des fidles. Si l'on admet l'interprtation du bndictin Calmet et des thologiens catholiques, c'est--dire que Judith avait soixante-cinq ans (ce qui n'est dit nulle part) lorsqu'elle tua Holopherne, et que le verset 28 signifie qu'elle vcut cent cinq ans en tout, et non cent cinq ans encore aprs son exploit, il n'en reste pas moins quarante annes entre le 231
dit exploit et la mort de l'hrone. Or, en rapprochant le livre biblique des Rois (chapitres consacrs aux derniers rois de Juda) de ce que l'on sait de l'histoire des empires d'Assyrie, on y trouve la preuve clatante du mensonge de l'histoire de Judith. Assar-Haddon, dont il a t question tout l'heure, deuxime fils de Sennachrib, rgna la fois sur Ninive et sur Babylone, son grand-pre Salmanazar, chef de la dynastie des Sar gonides, ayant chass de Babylone le ro M rodak-Baladan, dernier descendant de Nabonassar. Assar-Haddon garda Ninive pour capitale, mais tablit Babylone un satrape, Saosducheus; celui-ci, la mort d'Assar-Haddon (668 av. J.-C), se proclama indpe ndant et rgna Babylone, malgr Tglath-Phalazar V, troisime fils de Sennachrib et successeur d'Assar-Haddon, et malgr Sardanapale VI, roi de Ninive (de 660 647). Enfin, Assourdanil II (le Kiniladan des Grecs), succdant son pre Sardanapale VI, s'empara de Babylone, ds la premire anne de son rgne, c'est--dire en 647, et y tablit de nouveau des satrapes. Pendant le rgne d'Assourdanil II, se place l'invasion du pharaon Nchao, qui, traversant la Jude pour aller combattre les Assyriens, blessa mortellement, la bataille de Mageddo, le pieux Josias, petit-fils de Manass et arrire-petit-fils d'zchias, roi de Juda. D'autre part, cette mme poque, Cyaxare I, dont l'histoire est dans Hrodote, rgnait en Mdie (635-595) et exterminait ce qui restait de Scythes en Asie. Sous le rgne de Sardanapale VII, dernier du nom et dernier roi de Ninive, fils d'Assourdanil II, le satrape de Babylone, Nabopolassar, se dclare indpendant, fait alliance avec le roi des Mdes, Cyaxare, dont la fille pouse son fils Nbukadnezzar (Nabuchodonosor, dans la Bible); en 606, Nabopolassar s'empare de Ninive avec le concours de Cyaxare; Sardanapale V meurt, Ninive est dtruite, c'est la fin du deuxime empire assyrien connu. Nabopolassar, dont l'pouse, clbre dans l'histoire, est l'gyptienne Nitocris, fonde le troisime empire d'Assyrie, dit empire chaldo-babylonien; Nitocris prodigue les embellissements Babylone, capitale du nouvel empire, et le prince- hritier Nabuchodonosor, ayant vaincu le pharaon Nchao Karkmis, sur l'Euphrate, est associ la couronne. C'est en ce temps-l que Nabuchodonosor envahit pour la premire fois la Jude, afin de chtier le roi Joachim, fils de Josias, qui avait pris parti pour Nchao contre les Assyriens; Jrusalem se rachte, mais une partie du peuple est emmene Babylone; c'est le commencement des soixante-dix ans de captivit, et ds lors la royaut de Juda ne durera plus que dix-neuf ans. Ainsi, les faits de cette premire invasion de Nabuchodonosor en Jude, faits reconnus par le second livre des Rois (ch. 24), ne concordent aucunement avec ce que la Bible nous raconte d'autre part au sujet de Judith. Si l'pisode d'Holopherne se plaait cette poque, il est hors de doute que Nabuchodonosor en aurait tir vengeance, lors de cette premire invasion victorieuse. Les faits historiques qui suivent ne concordent pas mieux. En 601, malgr les avertissements de Jrmie, qui sentait que le royaume de Juda allait bientt finir piteusement comme celui d'Isral, Joachim cesse de payer tribut Nabuchodonosor; c'est une rvolte du roitelet juif. Est-ce alors qu'il faut placer l'expdition d'Holopherne? Non; car les armes isralites ne brillent gure en ces annes-l! Aprs quatre annes de dvastation du territoire juif par les Assyriens, Nabuchodonosor entre dans Jrusalem (c'est la deuxime prise de la ville sainte par les armes de Babylone), fait mourir Joachim et le remplace par son fils, nomm galement Joachim, dit Jcho nias. Mais, au bout de trois mois, Nabuchodonosor se ravise; Joachim- Jchonias est mis au nombre des captifs que les Assyriens emmnent Babylone, aprs avoir pill le temple; c'est Mathanis, oncle maternel de Jchonias, que le vainqueur tablit roi de Juda en remplacement du jeune prince dtrn et prisonnier, et Nabuchodonosor change le nom du nouveau roi en celui de Sdcias (597). Ce n'est pas encore cette poque qu'il convient de placer le glorieux pisode de Judith, n'est-ce pas? Impossible de le placer non plus dans les neuf annes qui suivent, annes de dsolation en Jude, annes pendant lesquelles le joug assyrien pse plus durement que jamais sur les dbris 232
de la population isralite, laisss Jrusalem et autres villes des deux tribus de Juda et Benjamin. Enfin, en 388, le pharaon Apris, aprs une guerre heureuse contre les Tyriens, pousse Sdcias secouer le joug de Babylone; Apris est vaincu en Egypte mme, et, au retour de son expdition triomphante, Nabuchodonosor va mettre le sige devant Jrusalem pour la troisime fois. L'exploit de Judith ne s'est videmment pas accompli ce moment-l, puisque la victoire fut de nouveau aux ennemis d'Isral. C'est l le sige de dix-huit mois qui se termina par la prise de Jrusalem et la fin du royaume de Juda (587), les Assyriens tant entrs par la brche dans la cit de David, en la nuit du 9 au 10 juillet; le temple et le palais sont dtruits, les difices publics et les maisons des particuliers sont incendis, les remparts sont dmolis; toute la famille royale est massacre, sauf Sdcias qui, enchan et les yeux crevs, est emmen en captivit Babylone avec les derniers Juifs. Donc, de 606 587, Nabuchodonosor n'a cess d' tre le flau de la Jude; c'est uniquement pendant cette priode de temps que ses armes sont venues sur le territoire hbreu, et toujours elles ont t victorieuses, soit sous les ordres de ses gnraux, soit qu'il les ait commandes en personne; cela est expressment reconnu dans le livre biblique des Bois. Donc, tant donn que le livre de Judith expose le prtendu exploit de l'hrone en l'affirmant accompli contre un gnral de Nabuchodonosor, tant donn que l'Assyrie n'a pas eu d'autre roi du nom de Nbukadnezzar (Nabuchodonosor), le livre de Judith, depuis sa premire ligne jusqu' la dernire, est un audacieux mensonge; et Voltaire a eu raison de dire que l'poque assigne par les thologiens l'existence de Judith est prcisment l'poque des plus grands dsastres de la nation juive. Quelques partisans de Judith, continue Voltaire, ont soutenu qu'il y avait quelque chose de vrai dans son aventure, puisque les Juifs clbraient tous les ans la fte de cette prodigieuse femme. On leur a rpondu que, quand mme les Juifs auraient institu douze ftes par an en l'honneur de sainte Judith, cela ne prouverait rien. Les Grecs auraient eu beau clbrer la fte du cheval de Troie, il n'en serait pas moins faux et moins ridicule que Troie et t prise par ce grand cheval de bois. Presque toutes les ftes des Grecs et des anciens Romains clbraient des aventures fabuleuses. Castor et Pollux n'taient certainement pas venus du ciel et des enfers pour se mettre la tte d'une arme romaine, et cependant on ftait ce beau miracle. On ftait la vestale Sylvia, qui le dieu Mars fit deux enfants (Romulus et Rmus) pendant son sommeil, lorsque les Latins ne connaissaient encore ni le dieu Mars, ni les vestales. Chaque fable avait sa fte Rome comme dans Athnes. Chaque monument avait t difi pour consacrer une imposture. Plus ils taient sacrs et plus il est sr qu'ils taient ridicules. Et, sans chercher des exemples trop loin, n'avons-nous pas encore, dans l'Eglise grecque, la fable des Sept Dormants, et, dans l'Eglise romaine, la fable des Onze mille Vierges? Y a-t-il rien de plus clbre dans notre Occident que l'Epiphanie et ces trois rois Gaspard, Melchior et Balthazar, qui viennent pied des extrmits de l'Orient au village de Bethlem, conduits par une toile? On peut en dire autant de Judith et d'Holopherne. Mais il y a une rponse encore meilleure faire: c'est qu'il est faux que jamais les Juifs aient eu la fte de Judith. C'est un faussaire, un moine dominicain nomm Jean Nanni, connu sous le nom d'Annius de Viterbe, qui fit imprimer, au 16 e sicle, de prtendus ouvrages de Philon et de Brose, dans lesquels cette prtendue fte est suppose. C'est ainsi que se sont tablies mille opinions: plus elles taient ridicules et plus elles ont eu de vogue. Les Mille et une Nuits rgnent dans le monde.
233
15 CHAPITRE
PENDANT ET APRS LA CAPTIVIT
Les livres de prophties, Isae et Jrmie, par exemple, n'offrent aucun intrt dans l'examen qui nous occupe. Si on les considre au point de vue des faits annoncs, on remarque que les vnements, ds qu'ils sont indiqus avec prcision, sont exclusivement de ceux qui ont pu tre relats aprs coup; ces narrations, censment crites l'avance, font double emploi avec d'autres passages de la Bible. Quant la gnralit de ces prophties, elles sont surtout aussi vagues que possible; ce qui permet aux prtres de les interprter leur guise, et mme de varier leurs interprtations au gr de leurs intrts et selon la marche des vnements. Nous ne nous attarderons pas ces divagations; ce serait faire perdre au lecteur son temps, exactement comme si nous entreprenions de commenter les Psaumes de David, qui font galement partie de la Bible. Nous terminerons donc cet ouvrage en groupant dans un dernier chapitre tous les pisodes, affirms vridiques par l'glise, qui constituent plus ou moins dogmatiquement l'histoire du peuple hbreu depuis la destruction du temple par Nabuchodonosor jusqu' la naissance de Jsus-Christ; car telle est, pour les chrtiens, la fin de l'Ancien Testament. Le lecteur aura ainsi un choix des morceaux les plus curieux et les plus singuliers, en commenant par Daniel, dont les aventures sont du temps de Nabuchodonosor et de ses successeurs. Le livre de Daniel dbute en nous apprenant que le roi Nabuchodonosor fit lever Babylone, parmi ses eunuques, quatre jeunes juifs de noble race, choisis parmi les plus beaux de visage. Asphnez, chef des eunuques, confia Meltsar, sous-chef eunuque, ces quatre adolescents: Daniel, Sidrach, Misach et Abdnago. Il n'est pas dit expressment qu'on les chtra; mais cela ressort assez bien du texte. Quoi qu'il en soit, cette ducation profita admirablement aux jeunes gens, et Nabuchodonosor, leur ayant fait passer un examen, reconnut qu'ils taient dix fois plus intelligents et savants que tous les devins et astrologues de son royaume (ch. 1). Un jour, ou plutt une nuit, Nabuchodonosor eut un songe, dont il fut tellement troubl qu'il ne put se le rappeler son rveil. Il manda devant lui tous ses mages chaldens et les mit en demeure: 1 de lui dire ce qu'il avait rv, et 2 de lui en donner l'explication. Ceux-ci rpondirent que la premire partie de ce problme tait insoluble; mais que, si le roi parvenait se rappeler le songe, l'expliquer serait pour eux la chose la plus aise du monde. Nabuchodonosor rpliqua en condamnant tous les mages mort. L'excution tait en train et les quatre jeunes hbreux allaient y passer aussi, quoique n'ayant pas t appels la consultation royale, lorsque Daniel dclara qu'il se chargeait de rappeler Nabuchodonosor son rve et de lui en donner une interprtation exacte. Il remmora donc au roi qu'il avait vu une grande statue dont la tte tait en or, la poitrine et les bras en argent, le ventre et les hanches en airain, les jambes en fer et les pieds partie en fer et partie en argile; et voil qu'une petite pierre, se dtachant d'une montagne voisine, vint frapper la statue dans ses pieds et les brisa, de sorte que toute la statue s'effondra, tandis que la petite pierre devint une grande montagne qui remplit toute la terre. Quant l'explication, Daniel la donna ainsi: la tte d'or, c'est Nabuchodonosor en personne; et aprs Nabuchodonosor, il s'lvera un royaume d'argent, c'est--dire moindre; puis, un troisime royaume d'airain, qui dominera le monde; et en quatrime lieu, il y aura un autre immense royaume, moiti fer et moiti argile, c'est--dire moiti fort et moiti faible; c'est alors que Dieu suscitera un cinquime royaume qui brisera et consumera tous les autres et sera tabli ternellement. Nabuchodonosor, pat de tant de science, se prosterna devant le jeune Daniel, lui fit de grands prsents et le nomma gouverneur de la province de Babylone; du moins, c'est la Bible qui le dit (ch. 2), car les archologues n'ont jamais rien dcouvert de semblable dans les inscriptions assyriennes. 234
Quelque temps aprs, Nabuchodonosor fit dresser en pleine campagne, Dura, dans la province de Babylone, une statue toute en or, haute de soixante coudes et large de six, et runit, pour le jour de l'inauguration, tous les satrapes, magistrats, officiers, intendants, percepteurs, conseillers, gouverneurs des provinces, etc. A quelque distance de la statue, on avait construit un immense four, tout flambant. Alors, un hraut annona, de la part du roi, que quiconque ne se prosternerait pas devant la statue d'or serait jet dans la fournaise. Sidrach, Misach et Abdnago n'ayant pas voulu se prosterner, Nabuchodonosor entra dans une grande colre, ordonna qu'on remplt la fournaise de sept fois plus de combustible qu' l'ordinaire, et y fit jeter les trois jeunes Hbreux. Or, le four flambait si fort, que les hommes qui y prcipitrent les victimes furent eux-mmes brls vifs rien qu'en s'approchant du feu. Et Nabuchodonosor fut au comble de la surprise en voyant quatre hommes se promener tout tranquillement dans la fournaise, sans tre le moins du monde incommods par les flammes; l'un de ces quatre hommes tait semblable un fils de Dieu. Nabuchodonosor invita alors Sidrach, Misach et Abdnago sortir de la fournaise; ce qu'ils firent. Tous les satrapes, magistrats, gouverneurs, conseillers, etc., et le roi lui-mme taient merveills en considrant ces hommes-l dont aucun cheveu n'tait grill, dont les caleons n'avaient mme pas l'odeur du feu. Sance tenante, Nabuchodonosor promulgua un dcret, en vertu duquel quiconque dirait quelque chose d'inconvenant contre le dieu des Juifs serait mis en pices et aurait sa maison dmolie. (ch. 3) Le chapitre 4 est un chef-d'uvre de btise. Les prtres racontent que Nabuchodonosor fut chang en bte pendant sept annes de sa vie; mais c'est dans la Bible qu'il faut lire cet pisode! Dans son livre, Daniel passe la plume au roi d'Assyrie, et c'est Nabuchodonosor lui- mme qui raconte ce qui lui est arriv. Moi, Nabuchodonosor, roi des Assyriens, je m'adresse tous les peuples et aux nations de toutes les langues qui habitent dans toute la terre; que la paix soit avec tous! Il m'a sembl bon de vous faire connatre les signes et les merveilles que le Dieu souverain a faits envers moi. (4:1-2) Et ainsi de suite: trente-sept versets! Tout un chapitre de la Bible rdig par Nabuchodonosor! a, c'est une trouvaille; la fumisterie de l'Esprit-Saint ne recule devant aucune bourde faire avaler aux fid les... Donc, Nabuchodonosor raconte qu'il vit en rve un arbre immense, dont la cime touchait les cieux et sur les branches duquel se perchaient tous les oiseaux de la terre; tout coup, un saint descendit d'un nuage et commanda d'abattre cet arbre, de n'en laisser que le tronc et les racines, de lier ces restes avec des chanes de fer, d'arroser ce tronc et ces racines avec de la rose, et de donner ce tronc et ces racines un cur de bte pendant sept temps. Nabuchodonosor dit qu'il consulta Daniel ce sujet et que le prophte lui rvla tout d'abord que cet arbre tait sa royale personne; le reste du rve indiquait qu'il serait dchu du trne et chang en bte durant sept annes. Poursuivant son rcit, Nabuchodonosor narre qu'en effet, un jour qu'il se promenait sur la terrasse de son palais et qu'il se plaisait admirer les splendeurs de Babylone, il entendit une voix qui lui cria sa dchance, et qu'aussitt il fut chass de son palais, que tous les hommes le honnirent et qu'il lut rduit se rfugier dans les champs; que l il se mit brouter de l'herbe, n'ayant pas d'autre nourriture pendant sept ans; qu'il lui poussa sur tout le corps des poils de buf et des plumes d'aigle, et que ses ongles devinrent semblables aux serres des oiseaux de proie. Mais, la fin de la septime anne, je levai mes yeux vers le ciel, rapporte Nabuchodonosor, et mes sens d'homme me revinrent; alors, je louai le Dieu souverain, et je retournai Babylone; tous mes anciens conseillers me firent fte, les grands du royaume me redemandrent, je fus rtabli sur le trne, et mon rgne se termina avec plus de magnificence encore qu'au dbut . Il est fcheux que Nabuchodonosor n'ait pas fait connatre qui avait rgn sa place. Il va sans dire que les savants n'ont jamais rien dcouvert qui se rapportt cette prtendue dchance du fils de Nabopolassar et son prtendu rtablissement sur le trne au bout de sept annes. 235
Dans le chapitre 5, Daniel, reprenant la plume, nous dbite sa mirobolante aventure, connue sous le nom de festin de Balthazar. A plusieurs reprises, l'auteur nous dclare que ce Balthazar tait le fils de Nabuchodonosor. Donc, ce roi d'Assyris donna un souper extraordinaire mille de ses principaux seigneurs, et, au dessert, il eut la fantaisie de faire boire ses convives dans les vases sacrs que son pre avait pris au temple de Jrusalem. Alors, tout coup, une main parut et se mit tracer sur la muraille des lettres d'une langue inconnue. Balthazar, effray, fit appeler les astrologues, les devins, les plus savants des Chaldens, promettant de donner un collier d'or, une robe d'carlate et le tiers de son royaume au premier qui dchiffrerait cette criture mystrieuse et l'expliquerait; mais aucun ne put le satisfaire. Heureusement, la reine se souvint de Daniel. Le prophte arrive et, sans sourciller, lit sur le mur les mots: Man, Thcel, Phars. Puis, sans dire quelle langue ils appartiennent, il les traduit ainsi, la grande stupfaction de l'assemble: Le mot Man signifie: Dieu a calcul ton rgne, et il y a mis fin. Le mot Thcel signifie: Tu as t pes dans la balance, et tu as t trouv trop lger. Le mot Phars signifie: Ton royaume a t divis et donn aux Mdes et aux Perses. Balthazar, en homme qui n'a qu'une parole, fit aussitt revtir Daniel d'une robe d'carlate, lui passa au cou un collier d'or, et, par un hraut, fit proclamer sance tenante que la troisime partie du royaume serait dsormais sous la domination du prophte. Le chapitre se termine immdiatement par ces deux versets (30-31): Cette mme nuit-l, Balthazar, roi de Chalde, fut tu. Et Darius de Mdie prit possession du royaume, tant g de soixante-deux ans. Cette historiette du festin de Balthazar n'est pas mal imagine; on sait quel succs elle a eu; le sujet est d'ailleurs plein d'attrait pour les peintres, qui n'ont pas manqu d'en tirer parti; aussi, que de braves gens croient que c'est arriv! Par malheur, l'histoire est l, qui contredit formellement la Bible. D'abord, aucun Balthazar n'est mentionn nulle part comme ayant rgn Babylone. Nbukadnezzar (Nabuchodonosor) mourut en 561 (av. J.-C), laissant un fils vilmrodak, qui lui succda, de 561 556, et une fille, marie Nergalsarassar (Nriglissor), lequel assassina son beau-frre, usurpa le trne, et prit un an aprs (555) dans un combat contre Cyrus, alors roi de Perse. La couronne ne sortit pas encore de la famille de Nabuchodonosor: elle fut dvolue, en premier lieu, son petit-fils Laborosoarchod, fils d'vilmrodak, qui ne rgna que quelques mois, et en second lieu Nabonid, fils du frre cadet de Nabuchodonosor, que quelques auteurs donnent comme un descendant de Smiramis, en confondant cette reine avec Nitocris, l'illustre mre de Nabuchodonosor. Mais Nabonid, qui rgna de 555 538 et fut le dernier roi de Babylone de la dynastie de Nabopolassar, n'est videmment pas le prince que la Bible appelle Balthazar, puisque le livre de Daniel donne expressment ce Balthazar comme fils de Nabuchodonosor, et puisqu'il le fait mourir dans la nuit de la prise de Babylone par Darius. Or, Cyrus, qui comme roi de Perse avait succd en 560 son pre Cambyse I, et dont la mre, Mandane, fille d'Astyage, roi des Mdes, tait la petite-fille de ce Cyaxare I qui eut pour gendre Nabuchodonosor, Cyrus, disons-nous, runit la couronne de Mdie celle de Perse en 536, c'est--dire la mort de Cyaxare II, frre de sa mre et son beau-pre, dont il avait pous la fille unique, Bardane. Et c'est bien Cyrus, et non Darius, qui prit Babylone en 538, mettant fin au rgne de Nabonid, lequel n'est videmment pas Balthazar. Il est vrai que Babylone fut prise de nouveau, vingt-deux ans plus tard, et cette fois par Darius I. Aussi, quelques thologiens roublards insinuent que le roi de Babylone de cette autre poque est le Balthazar de la Bible. Mais cette thse ne tient pas debout, ds qu'on l'examine de prs. En effet, il est connu, archi-connu, que Cyrus, ayant runi sur sa tte les couronnes de Perse, de Lydie (544, en dtrnant Crsus), de Mdie et d'Assyrie, fonda la grande monarchie persane par la runion de tous ces tats et tablit la domination aryenne sur toute l'Asie occidentale. Son fils Cambyse II lui succda, ajouta l'empire l'Egypte, dont il fit la conqute en 525 et mourut en 522. On sait que, Cambyse n'ayant pas d'enfant et la couronne revenant 236
son frre Smerdis, celui-ci avait t secrtement assassin par les mages de Mdie qui lui avaient substitu un des leurs, lequel rgna sept mois; mais, la supercherie ayant t dcouverte, des seigneurs persans formrent un complot, massacrrent les mages et le faux Smerdis (521) et donnrent la couronne Darius, deux fois gendre de Cyrus (il avait pous ses filles Atossa et Aristhone), connu sous le nom de Darius I, fils d'Hystape. C'est l'histoire, cela! Et Darius, qui rgna de 521 486, divisa son empire en vingt satrapies. Il est vrai qu'un moment les satrapes de Babylone, Nabou-Imtouk et son fils Belsaroussour, se rendirent indpendants; Darius eut reprendre Babylone (516). Mais comment soutenir que Belsaroussour puisse tre Balthazar, puisque ce roi n'tait qu'un satrape rvolt, et non le propre fils de Nabuchodonosor, qualification formellement donne par la Bible son Balthazar et rpte plusieurs fois? Entre Nabuchodonosor et Belsaroussour, neuf rois avaient rgn sur Babylone. En outre, les chapitres suivants du livre de Daniel nous reprsentent ce prophte maintenu dans les plus hautes fonctions par Darius et par Cyrus, en donnant ces deux rois comme rgnant simultanment, l'un sur les Mdes, l'autre sur les Perses. Or, ils furent, l'un aprs l'autre, la fois rois des Mdes et des Perses, et entre le rgne de Cyrus et celui de son gendre Darius, il y eut Ca mbyse le conqurant et le faux Smerdis. Enfin, comme il est indiscutable que la prise de Babylone qui a mis fin l'empire chaldo- babylonien (dynastie de Nabopolassar, famille de Nabuchodonosor) est celle de 538, c'est-- dire la prise de Babylone par Cyrus, d'autres thologiens supposent que Darius, commandant les armes de Cyrus, dont il tait le gendre, prit possession du royaume au nom de son beau- pre, et disent que cela est sous-entendu dans le verset 31 du chapitre 5 cit plus haut. Ils ajoutent, toujours par hypothse, qu'videmment Cyrus demeura le haut souverain de tout le nouvel empire persan, mais qu'il dut dlguer des pouvoirs spciaux son gendre Darius, en l'tablissant particulirement roi sur la Chalde, c'est--dire sur les tats de Balthazar, dont Babylone tait la capitale. Ils prtendent justifier cette supposition, en la basant sur le verset 28 du chapitre 6 et sur le verset 1 du chapitre 9. Ces versets sont ainsi conus: Daniel prospra sous le rgne de Darius et sous le rgne de Cyrus, roi de Perse (6:28). Darius, fils d'Assurus, de la race des Mdes, avait t tabli roi sur le royaume des Chaldens (9:1). Ainsi, disent-ils, le rcit de Daniel se concilierait avec l'histoire. On comprend que les prtres, qui proclament Daniel un des plus grands prophtes qui Dieu se soit rvl, tiennent tant le justifier de toute vantardise menteuse; il est vident que, si cet crivain juif a menti en racontant des vnements passs dont il aurait t le tmoin et l'un des principaux acteurs, il n'y a aucune confiance avoir, plus forte raison, dans les annonces qu'il fait d'vnements futurs: or, comme ces prophties, visant le Messie et son Eglise, sont de la plus grande importance pour le christianisme qui se dclare la religion ainsi annonce, il ne faut, aucun prix, que Daniel soit pris en flagrant dlit d'imposture. Voil pourquoi les prtres se donnent un mal de tous les diables vouloir prouver que, le dernier jour du rgne d'un Balthazar quelconque, fils de Nabuchodonosor, Babylone fut prise par Darius de Mdie, agissant pour le compte de Cyrus et investi tout aussitt de la royaut chaldenne. Mais c'est une fatalit: Daniel, hbleur et bavard irrflchi, croyait n'crire que pour la basse classe du peuple juif, pour ses compatriotes ignorants, incapables de discuter avec les lvites un point d'histoire; ainsi ont t inventes ces lgendes d'Holopherne, de Balthazar, et autres pisodes du mme genre, trs flatteurs pour l'amour-propre de ces pauvres Hbreux qui, en ralit, avaient t traits fort durement par leurs divers vainqueurs: avec ces blagues de l'hrosme des Judith et de l'lvation des Daniel et des Esther, on chatouillait agrablement la fibre nationale, on donnait une fiche de consolation, aprs la captivit, aux vaincus enfin dlivrs de la servitude, et l'on crivait ces livres d'une fantaisie insense, sans se douter qu'un jour tout cet chafaudage de mensonges s'croulerait et montrerait la cynique mauvaise foi des prtres de tout temps. 237
En effet, la dernire argumentation des thologiens, pour sauver leur Daniel de l'accusation d'imposture en ce qui concerne Darius et Cyrus, n'est pas plus solide que leurs autres hypothses. Darius n'tait pas fils de roi, mais fils d'un seigneur persan, nomm Hystape; il n'tait donc pas fils d'Assurus, et Assurus est encore un roi imaginaire invent par la Bible, un soi-disant roi de Perse et de Mdie qui aurait pous la juive Esther. Darius n'tait pas de la race des Mdes; bien au contraire, la mort de Cyrus, qui avait fait dominer l'influence perse dans le nouvel empire, les mages de Mdie profitrent de l'expdition de Cambyse en Egypte pour essayer de s'emparer du pouvoir, et ils y russirent quelque temps en mettant sur le trne le faux Smerdis: or, ce fut prcisment pour liminer l'influence de la race mde que les seigneurs persans firent une rvolution, massacrrent les mages et leurs partisans, et donnrent la couronne Darius, fils d'Hystape, de sang perse. Enfin, Darius n'eut jamais une royaut particulire Babylone: quand il reut la couronne, ce fut pour rgner comme successeur lgitime de Cyrus et de Cambyse, ce fut pour tre chef du grand empire persan, roi tout la fois de la Perse proprement dite, de la Mdie, de la Lydie, de la Chalde, de la Bactriane et de l'Egypte. Aprs la bonne histoire de Balthazar, Daniel raconte (ch. 6) que Darius, ayant divis son royaume de Chalde en cent vingt satrapies, mit au-dessus des cent vingt satrapes trois gouverneurs, et qu'il tait, lui Daniel, le plus important des trois; les autres gouverneurs et les cent vingt satrapes, jaloux de cette immense autorit donne un juif, conspirren t ds lors sa perte. Pour cela, ils imaginrent de faire dcrter par Darius que, pendant trente jours, la personne royale serait adore et prie, l'exclusion de tout dieu. Naturellement, Daniel ne tint pas compte de ce dcret, et il continua adresser ses prires Jhovah. Or, lorsque Darius reut la dnonciation contre son premier ministre, pour lequel il avait une grande affection, il comprit que ses conseillers l'avaient fait tomber dans un pige; mais, sa parole royale tant engage, il donna ordre de descendre Daniel dans une fosse remplie de lions. Toutefois, Darius, quoique d'abord dvot aux dieux de son pays, eut une certaine confiance en Jhovah, Darius ayant command qu'on jett Daniel dans la fosse aux lions, lui dit: Ton Dieu, que tu sers sans cesse, est celui qui te dlivrera. Et l'on apporta une pierre qui fut mise sur l'ouverture de la fosse, et le roi la scella de son anneau et de l'anneau des principaux seigneurs. Puis, Darius s'en alla dans son palais; il passa la soire sans souper, ne lit point venir ses musiciens, et mme il ne put dormir de toute la nuit. Le lendemain, au point du jour, le roi se leva et se rendit en toute hte vers la fosse aux lions; arriv l, il appela Daniel d'une voix triste, en ces termes: Daniel, serviteur du Dieu vivant, ton Dieu t'aurait-il dlivr des lions? Alors, Daniel dit au roi: O roi, vis jamais! Mon Dieu a envoy son ange, qui a ferm la gueule des lions, et ils ne m'ont fait aucun mal. Darius fut transport de joie en entendant ces paroles; il fit retirer Daniel de la fosse, et tout le monde vit bien qu'il n'avait aucune blessure. Aussitt, par ordre du roi, tous ceux qui avaient accus Daniel furent jets dans la fosse aux lions, ainsi que leurs femmes et leurs enfants, et ils furent dvors par les lions avant mme d'avoir touch le pav de la fosse. Alors, le roi Darius crivit une lettre qu'il envoya tous les rois de la terre, et cette lettre tait ainsi rdige: A tous les peuples et nations de toutes langues qui habitent sur la terre. Que la paix soit avec vous! Je vous cris pour vous faire savoir que je viens de publier, dans toute l'tendue de mon royaume, un dit ordonnant que dsormais tous mes sujets honorent et craignent le Dieu de Daniel, car il est le Dieu vivant et le seul ternel, et sa toute- puissance dominera le ciel et la terre jusqu' la fin des temps. (6:16-26) Il faut vraiment que le peuple juif ait t tenu par ses chefs dans l'ignorance la plus complte de ce qui se passait chez les autres peuples, il faut aussi que les lvites qui crivaient pour lui ces livres sacrs aient eu un toupet phnomnal, pour qu'on trouve dans la Bible des affirmations d'une telle audace, en contradiction si flagrante avec l'histoire. La conversion de Darius Jhovah! le judasme proclam religion d'tat par dit de Darius! et cet vnement politico-religieux de la plus grande importance, port par lettres royales la connaissance de 238
tous les peuples! aurait-on pu rver un mensonge aussi impudent? croirait-on qu'il ait t possible, si la Bible n'avait pas t conserve?... Darius, adorateur de Sabaoth-Jhovah- Adona, lui qui participa, avec ses richesses, l'rection du temple de Diane phse; car ce fameux sanctuaire paen, commenc vers l'an 620 avant l're chrtienne et termine deux-cent vingt ans aprs, fut lev aux frais communs de tous les tats de l'Asie occidentale (Pline)... En revanche, Daniel, ce prtendu premier ministre de Darius, ne dit, dans ses quatorze chapitres, pas un seul mot de la guerre que Darius fit aux Grecs; cette guerre formidable, Daniel n'en a jamais entendu parler! il ignore m me la bataille de Marathon!... Les chapitres 7 12 du livre de Daniel sont consacrs des songes que l'crivain prtend avoir eus et des prophties. Ecrites par un auteur sincre, ces rveries n'auraient dj aucune valeur; sous la plume du fumiste qui a racont imperturbablement qu'il avait t gouverneur de la province de Babylone sous Nabuchodonosor et, plus tard, premier ministre de Darius, ces prtendues prophties et visions n'ont pas mme l'at trait de la curiosit qui peut s'attacher parfois aux visions extravagantes d'un fou. Que peut nous importer que Daniel ait vu ou non en rve un lion avec des ailes d'aigle, un ours dont la gueule tait remarquable par trois immenses crocs, un lopard quatre ttes ayant sur le dos quatre ailes d'oiseau, une bte d'une forme indescriptible avec dix cornes et des dents de fer? Que peut nous importer que cet effront blagueur annonce une rsurrection gnrale, qui aura lieu, dit-il, dans un temps, plus des temps, plus la moiti d'un temps? Tout cela a la mme porte que les calembredaines dbites par la premire tireuse de cartes venue. On ne peut, en lisant ces pages idiotes, que prendre en aversion les prtres qui y recourent pour abrutir les fidles, et prendre en piti ceux dont la btise incommensurable accepte comme des inspirations merveilleuses ces ridicules stupidits. Le chapitre 13 expose comment Daniel sauva la vie d'une vertueuse femme que deux vieux coquins avaient fait condamner mort, et comment la calomnie des accusateurs fut dmontre et les fit excuter la place de leur victime. La scne se passe Babylone, au temps de la captivit. L'hrone est une certaine Suzanne, femme d'un juif nomm Joachim. Cette Suzanne tait trs belle et non moins fidle son mari. Deux vieux magis trats, qui venaient parfois dire bonjour son mari, conurent pour elle une vive passion. Ils avaient honte de dclarer l'un l'autre l'envie qu'ils avaient de coucher avec Suzanne; mais ils cherchaient avec soin, tous les jours, les moyens de la surprendre. (13:11-12) Un hasard les obligea se faire un jour la confidence mutuelle de leur coupable amour; ils rsolurent, ds lors, de manuvrer d'accord pour contraindre Suzanne leur cder. C'est ainsi qu'ils se cachrent dans le jardin o elle venait quelquefois se baigner; ils attendirent qu'elle ft nue, aprs avoir renvoy ses servantes; alors, se montrant soudain, ils exigrent sa soumission leurs impurs dsirs, la menaant de dire qu'ils l'avaient trouve avec un amant, si elle leur rsistait. Suzanne pleura, mais rsista. Les deux vieux juges crirent, ameutrent les gens de la maison, les voisins, et se dmenrent tant et si bien, qu'une assemble du peuple fut convoque pour se tenir le lendemain devant la maison de Joachim. Quelle drle de captivit tout de mme! Voil les Juifs, prisonniers de guerre, interns Babylone, que l'autorit laisse se runir en assemble dlibrante, en tribunal de haute justice, absolument comme s'ils taient chez eux, Jrusalem! On aurait cru plutt que Suzanne, accuse d'adultre par deux magistrats babyloniens, allait tre dfre aux juges ordinaires de Babylone, aux juges chaldens institus par Nabuchodonosor; car l'pisode est du temps de la jeunesse de Daniel. Tous les Juifs captifs Babylone se runirent donc l'heure dite, en toute libert. Suzanne comparut devant l'assemble populaire. Les deux vieux juges babyloniens maintinrent leur accusation. Mettant chacun la main sur la tte de la femme Joachim, ils jurrent qu'ils l'avaient surprise dans le jardin, toute nue sous prtexte de bain, et faisant l'amour avec un 239
jeune homme; celui-ci, disaient-ils, avait t plus fort qu'eux, ils n'avaient pu le retenir; voil comment le complice de l'adultre avait russi s'chapper. Suzanne nia, sans dire toutefois pourquoi les deux vieux coquins portaient faux tmoignage contre elle; mais elle adressa, haute voix, une prire Jhovah, attestant qu'elle tait injustement condamne; car le peuple avait cru ses calomniateurs et avait dlibr qu'elle devait prir. On allait donc mettre excution la sentence, lorsque le jeune Daniel, du milieu de la foule, demanda la parole, l'obtint, et se fit fort de prouver l'innocence de cette Suzanne, qu'il voyait pour la premire fois. Sur son initiative, les deux accusateurs furent spars. Alors, l'un d'eux fut de nouveau appel, et Daniel commena son attrapage dans ces termes: O toi qui as vieilli dans une longue malice, maintenant sont venus leur comble les pchs que tu commettais auparavant, en rendant des sentences injustes, condamnant les innocents et absolvant les coupables! Maintenant donc, si tu as vu cette femme en faute, dis sous quel arbre tu l'as surprise avec son amant? Il rpondit: Sous un lentisque. Et Daniel lui dit: Vraiment tu as menti contre ta propre tte; car, voici le messager de Dieu qui, ayant reu de lui l'arrt, te coupera par le milieu! (13:52-55) On trouvera peut-tre que Daniel, avant de traiter le premier faux tmoin de menteur, aurait d attendre la rponse contradictoire du second, puisque c'tait uniquement cette contradiction qui devait prouver la calomnie des accusateurs. Mais un jeune garon qui devait plus tard lire sur un mur et traduire des mots n'appartenant aucune langue humaine, n'tait videmment pas comme les autres hommes. Et Daniel, aprs avoir fait, retirer part le premier vieillard, commanda qu'on amena l'autre, et lui dit: O vieux sperme de Canaan! la beaut de Juda a allum tes convoitises. Voil comment vous avez abus des filles d'Isral, et, par peur de vous, elles ont souffert que vous entriez en elles; mais la fille de Juda, plus vaillante que les filles d'Isral, n'a point souffert votre iniquit! Maintenant donc, dis sous quel arbre tu as surpris cette femme avec son amant. Il rpondit: Sous un chne vert. (13:56-58). La cause tait entendue, le faux tmoignage tait vident. Il est clair que les deux vieux magistrats babyloniens mritaient un chtiment exemplaire. Mais qui donc allait les juger? La Bible affirme que leur condamnation fut prononce et excute par l'assemble populaire des Juifs captifs! Alors, toute l'assemble bnit Jhovah haute voix; et tous s'levrent contre les deux vieux juges, car Daniel les avait convaincus de faux tmoignage par leur propre bouche. Et, leur appliquant la loi de Mose, ils les traitrent de mme qu'ils avaient mchamment voulu faire traiter Suzanne; ils les mirent donc mort, et ainsi le sang innocent fut sauv ce jour-l. (13:60-62) En supposant cette histoire vraie, y compris l'excution, il est certain que les deux vieux coquins ne l'avaient pas vole; mais, si indignes de piti qu'ils fussent, il est non moins certain que le jugement de leur cas appartenait aux tribunaux babyloniens; c'est pourquoi cette conclusion suffit, elle seule, pour prouver le mensonge du rcit biblique. Il est inadmissible que les magistrats de Nabuchodonosor aient laiss juger et supplicier deux des leurs, mme indiscutablement coupables, par une runion de prisonniers de guerre, tenus en servitude; il est impossible que des Juifs, en tat d'esclavage Babylone, aient pu librement et publiquement appliquer la loi de Mose deux fonctionnaires de l'tat babylonien, deux personnages officiels qui taient au nombre de leurs matres et oppresseurs. Et l'histoire de Suzanne et des deux vieillards est une de celles qui sont le plus facilement admises! L'art s'en est empar pour la populariser; elle est une tradition respecte, laquelle la multitude croit. Vraiment, dirons-nous, on ne lit pas assez la Bible; car la lire, c'est la mpriser et cesser d'y croire, tant les impostures qui la composent y sont maladroites force de cynisme! Au chapitre 14 et dernier du livre de Daniel, nous avons tout d'abord un mensonge historique flagrant: Le roi Astyage tant mort, Cyrus de Perse fut mis en possession de son royaume; et Daniel mangeait la table du roi, qui lui accorda des honneurs plus qu' tous ses meilleurs 240
amis. (v. 1) Le lvite qui a crit ce livre ne sait mme pas qu'Astyage, roi de Mdie, mort en 559, dont la fille Mandane fut mre de Cyrus, laissa un fils, Cyaxare II, qui lui succda et rgna vingt-trois ans; ce lvite ignore que c'est seulement la mort de Cyaxare (536), que Cyrus, qui tait la fois son neveu et son gendre, eut en hritage cette couronne de Mdie qu'il runit la couronne de Perse, Cyaxare II n'ayant laiss aucun enfant mle. Dbutant donc par une si forte blague, ce chapitre promet. C'est l que nous apprenons que Cyrus adorait Babylone une idole, nomme Bel; de nombreux commentateurs y voient encore Baal. Or, les prtres de Bel ou Baal prtendaient que leur idole dvorait pendant la nuit tous les mets que les fidles dposaient sur son autel durant la journe. La Bible veut nous faire croire que Cyrus avait la navet d'avaler une bourde de calibre-l, et qu'il essayait m me de convaincre Daniel: Quoique l'idole Bel soit en terre recouverte de cuivre, disait-il, c'est un dieu parfaitement vivant, puisqu'il mange et boit tous les jours. (v. 5). Daniel, ayant piti de la jobarderie de Cyrus, le dcida tenter une preuve. Des viandes et du vin furent apports comme l'ordinaire sur l'autel de Bel, et l'on fit retirer les sacrificateurs; puis, Daniel, en prsence du roi seul, rpandit de la cendre sur le sol; aprs quoi, le roi et lui s'en allrent, et Cyrus eut soin de poser son cachet sur toutes les portes. Mais les prtres avaient une trappe au-dessous de l'autel; ils vinrent donc la nuit par cette entre secrte et emportrent tous les vivres pour les boulotter en famille. Le lendemain, la fraude fut aisment dmontre par les traces de pas sur la cendre. Cyrus entra dans une colre bleue, en voyant qu'il avait t si longtemps dup; il fit massacrer tous les sacrificateurs de Bel, leurs femmes et leurs enfants, et donna l'idole Daniel, qui la dtruisit avec son temple. Or, il y avait aussi Babylone un grand dragon, et les Babyloniens l'adoraient. (v. 22) Cyrus dit Daniel: Ce monstre n'est pas une idole de matire; il est bien vivant, lui; par consquent, il est dieu. Daniel demanda au roi de lui accorder simplement la permission de combattre ce dragon sans pe et sans bton. Cyrus y ayant consenti, Daniel prit de la poix, de la graisse et de la bourre, qu'il fit cuire ensemble, et il en fit des tourteaux qu'il jeta dans la gueule du dragon, et le dragon creva. (v. 26) Le peuple s'tant montr mcontent de la mort du dragon, Cyrus, pour apaiser l'meute dj grondante, fit jeter Daniel dans la fameuse fosse aux lions. Cyrus et les Babyloniens auraient d savoir que Daniel ne serait pas dvor, puisque l'aventure avait dj eu une premire dition; mais l'auteur sacr s'emptre ici dans ses mensonges de la faon la plus comique. La premire fois qu'il met Daniel dans la fosse aux lions, c'est du temps de Darius, et ce roi ne l'y laisse qu'une nuit. Cette fois, Daniel passe six jours et six nuits au milieu des fauves; car il faut que le second miracle soit plus clatant encore que le premier. Or, il y avait dans la fosse sept lions, et tous les jours auparavant on leur donnait deux cadavres et deux brebis; mais alors on ne leur donna rien, afin qu'ils dvorassent Daniel. (v. 31). Ce coup-ci, il va donc falloir non seulement que Dieu prserve son prophte des griffes et des dents des lions, mais aussi qu'il le nourrisse. De cette faon, le miracle ne laissera rien dsirer. La suite de l'pisode est donc plus admirable q ue tout ce qu'on a lu jusqu' prsent. Or, un prophte nomm Habacuc tait rest en Jude; et, un jour qu'il s'apprtait aller porter des moissonneurs dans les champs une soupe de pain qu'il avait cuite et qu'il tenait dans un vase, un ange lui apparut et lui dit: Habacuc, va porter Babylone ce dner Daniel, qui est dans la fosse aux lions. Habacuc rpondit: Seigneur, je ne vis jamais Babylone, et j'ignore o est cette fosse. Alors l'ange prit Habacuc par le sommet de la tte, et, en le tenant par les cheveux, le transporta jusqu' Babylone, au-dessus de la fosse. L, Habacuc cria: Daniel, Daniel, voici le dner que Dieu t'envoie. Ainsi, Daniel mangea. Puis, l'ange du Seigneur retransporta de nouveau Habacuc l'endroit o il l'avait pris. Et au septime jour le roi Cyrus vint pour pleurer Daniel; il vint la fosse et regarda dedans, et il vit que Daniel tait bien vivant, tranquillement assis au milieu des lions. (14:32-39). 241
Bien entendu, Cyrus, imitant Darius, fit retirer Daniel de la fosse et commanda d'y prcipiter ses ennemis, lesquels furent immdiatement dvors. Le miracle de la fosse aux lions de Cyrus enfonce donc dans le sixime dessous le miracle de la fosse aux lions de Darius; mais il y a une petite difficult que soulvent les critiques: c'est que Darius monta sur le trne neuf ans aprs la mort de Cyrus; en dictant ses blagues l'crivain lvite, l'Esprit-Saint a oubli sa chronologie, s'y est embrouill, et, comme un vrai hanneton, a tout btement interverti l'ordre de succession de ces deux rois! Ezchiel est, avec Isae, Jrmie et Daniel, un des quatre grands prophtes; il crit ses prophties, aux bords du fleuve Kbar (?), o il tait captif. Si Daniel est un fumiste, par contre, Ezchiel produit l'effet d'un fou; son livre, en quarante-huit chapitres, est une longue suite de divagations. Il raconte, notamment qu'il a vu (pas en rve) quatre animaux ayant chacun un corps d'homme, quatre ailes, des pieds de veau, et quatre faces, d'homme, de buf, de lion et d'aigle; leur aspect tait celui d'un animal tout en feu; ils allaient et venaien t; ct d'eux, couraient des roues d'une hauteur immense et remplies d'yeux (ch. 1). Cette description donne une ide du dtraquement crbral du personnage. Ce prophte raconte ce qu'il a fait, par ordre de Dieu. Un jour, il a mang un livre sur lequel taient crites des lamentations et des maldictions (ch. 2). Quelque temps aprs, il s'est couch pendant trois cent quatre-vingt-dix jours sur le ct gauche, en expiation des iniquits du royaume d'Isral, et ensuite pendant quarante jours sur le ct droit, en expiation des pchs du royaume de Juda (ch. 4). En outre, tout le temps que dura cette double expiation, Ezchiel mangea du caca en tartine, son djeuner. C'est Jhovah en personne qui lui avait ordonn cette mortification: En prsence des enfants d'Isral, eux le voyant, tu mangeras chaque matin des excrments d'homme tendus sur des gteaux d'orge, que tu auras fait cuire. (v. 12). Cependant, cette nourriture ayant dgot le prophte, Dieu consentit un changement: Je te permets la fiente de buf, au lieu de la merde d'homme, et tu feras cuire ton pain avec cette fiente. (v. 15). Dans une autre circonstance, tant dans une maison et voulant s'en aller, Ezchiel, au lieu de passer par la porte, comme tout le monde, lit un trou dans la muraille et dmnagea par ce trou avec ses habits et ses provisions (12:7). Au chapitre 37, Ezchiel narre que, se promenant dans une campagne pleine d'ossements desschs, il les anima en leur faisant un discours. Mais, de tous les passages d'Ezchiel, celui qui a excit le plus de murmures parmi les critiques, et qui a le plus embarrass les thologiens, est l'apologue d'Ahola et Aholiba, les deux surs prostitues. Sous prtexte de fltrir le manque de foi d'Isral et l'indiffrence religieuse de Juda certaines poques, Ezchiel fait parler Jhovah dans les termes de la plus dgotante obscnit: Mon cur s'est dtach d'Aholiba, comme il s'tait dtach de sa sur Ahola; car elle a multipli ses adultres, jusqu' rappeler le souvenir de sa jeunesse o elle se prostituait en Egypte; et elle s'est attache de prfrence aux dbauchs dont le membre est gros comme celui des nes et dont l'jaculation est puissante comme celle des chevaux. (23:18-20). Voil les honteuses comparaisons que l'on trouve dans la Bible, sous prtexte d'apologue, dont, au dire des prtres, il faut admirer le sens mystique. Du mysticisme? Quelle moquerie! Pour exprimer que les deux royaumes d'Isral et de Juda avaient manqu de pit envers Jhovah, tait-il donc ncessaire d'crire de telles cochonneries?... Un autre prophte qui se dlecte dans les malproprets, c'est Ose, dont les rcits se rapportent des faits vcus, et qui, tout en prtendant avoir des visions de Jhovah, les complte par des actes passablement rpugnants. Cet Ose, n chez les Samaritains, s'attacha nanmoins au culte de Jrusalem. La Bible le cite comme un modle d'obissance Dieu; mais quels tranges ordres Dieu lui donne!... Lorsque l'ternel commena parler Ose, il lui dit: Prends pour femme une prostitue, et fornique avec elle, de manire avoir d'elle des enfants de prostitue. (1:2) C'est ainsi que 242
notre homme se justifie d'avoir pous une femme de mauvaise vie. S'il faut en croire ce prophte, Dieu lui enjoignit plus tard de coucher avec la femme d'un de ses amis, mais la condition toutefois qu'elle ait dj tromp son mari: L'ternel me dit: Va encore aimer une femme ai me de son poux, mais s'tant livre l'adultre; car c'est ainsi que Jhovah aime les enfants d'Isral, lesquels pourtant, honorent d'autres dieux et se rjouissent boire des flacons de vin. Pour obir Dieu, j'entrai donc en cette femme, aprs lui avoir donn quinze pices d'argent et un boisseau et demi d'orge. Et je dis celte femm e: Nous habiterons ensemble pendant plusieurs jours; tu ne coucheras avec aucun autre que moi; et je te promets de t'tre fidle. (3:1-3). Mais quelle conclusion tirer des passages de ce genre, si multiplis dans la Bible, sinon que le peuple de Dieu fut un peuple de paillards, ne reculant devant aucune impudicit, en mme temps qu'un peuple de splendides ivrognes, si nous devons en croire ces paroles de Jol, autre prophte sacr: Ivrognes, rveillez-vous et pleurez, et vous tous qui buvez le vin, hurlez cause de cette liqueur qui sort de la vendange; car je vais en priver dsormais votre bouche. (Jol 1:5) Le livre d'Esther entre dans la catgorie des ouvrages crits indubitablement pour panser les blessures de l'amour-propre juif. Nous ayons vu que Daniel a eu l'aplomb d'crire qu'il avait t le premier ministre Darius, qui il donnait pour pre un prtendu Assurus; quelque autre lvite, d'un toupet non moins formidable, a eu l'aplomb d'crire l'histoire de cet Assurus, de ce mythe, d'en faire un monarque, dont le royaume, ayant pour capitale Suse, a comprenait cent vingt-sept provinces et s'tendait de l'Inde l'Ethiopie, et de lui faire pouser une juive. D'aprs la Bible, donc, en la troisime anne de son rgne, cet Assurus, inconnu des historiens, donna un incomparable festin, qui dura cent quatre-vingts jours (Esther 1:4). Sur la fin du repas, le monarque invita tout le peuple de Suse pendant sept jours, depuis le plus riche jusqu'au plus pauvre (v. 5). Or, le septime jour du banquet populaire, le roi, tant plus gai que de coutume, cause du vin qu'il avait bu, commanda ses eunuques d'amener Vasthi, la reine, devant lui, toute nue, avec la couronne royale, pour faire voir sa beaut aux seigneurs et au peuple; car elle tait belle. (v. 11) Mais la reine Vasthi refusa. Le roi, transport de fureur, consulta sept sages; en suite de quoi, Vasthi fut rpudie, et par un dit son diadme fut promis la plus jolie pucelle qui plairait au roi. Sous la garde d'Hga, eunuque en chef, on runit ainsi un grand nombre d jeunes filles; chacune, . tour de, rle, devait passer une nuit l'essai dans le lit de Sa Majest. Or, il y avait Suse un juif nomm Mardoche, fils de Jar, de la tribu de Benjamin, qui avait t transport de Jrusalem avec les prisonniers qu'emmena Nabuchodonosor, lorsqu'il captura Jchonias. Mardoche levait sa jeune nice Adassa, orpheline de pre et de mre; il la traitait comme sa propre fille, et il l'appela Esther. C'est sous ce nom qu'il la fit entrer au srail d'Assurus; car elle tait trs belle. Esther, suivant la recommandation de son oncle, ne dclara pas qu'elle tait juive. Et elle fut de celles qui plurent au roi, ds le premier coup d'il; c'est pourquoi le roi lui fit faire tout ce qu'il fallait pour la prparer, en attendant que son tour vnt de coucher dans le lit royal. Toute jeune fille destine entrer au lit d'Assurus devait, pendant six mois, se frotter avec de l'huile de myrrhe, et, pendant six autres mois, des plantes aromatiques. Alors, elle tait remise entre les mains du roi, aprs avoir reu tout ce qu'elle demandait. Elle entrait au palais le soir, et, sur le matin, elle retournait dans le second srail, sa nouvelle demeure, sous la conduite du prince eunuque Schahagas, gardien des concubines; mais, ds lors, elle ne retournait plus au palais d'Assurus, moins que le roi ne dsirt encore coucher avec avec elle et qu'elle ft appele nommment. Quand le tour d'Esther fut venu, elle ne demanda que ce qu'Hg lui conseilla de demander. Ainsi, elle fut dfinitivement conduite Assurus, en son palais royal, dans le dixime mois de la septime anne de son rgne. Et le roi aima plus Esther que toutes les autres pucelles qu'il avait essayes auparavant; elle gagna 243
ses bonnes grces et sut tre plus agrable que toutes; il mit donc le diadme sur sa tte et la proclama reine la place de Vasthi. (2:5-17). Quelque temps aprs, Assurus eut pour premier ministre Aman, fils d'Amadath, de la race d'Agag. Or, Aman, trs orgueilleux, voulait que tout le monde s'agenouillt devant lui; seul, Mardoche osa rsister cet ordre. Furieux, le ministre obtint du roi un dit ordonnant le massacre de tous les juifs; malgr tout son esprit subtil, Aman n'avait pas trouv un autre moyen d'atteindre Mardoche. Mais, tandis qu'on expdiait l'dit de mort tous les gouvernements des provinces, Mardoche prvint Esther, et celle-ci se rendit auprs du roi, sans attendre d'tre appele; ce qui tait trs grave. Quiconque s'approchait du roi, sans avoir t demand, tait par ce fait condamn mort, moins que le roi ne lui tendt son sceptre d'or en signe de pardon de sa tmrit. Esther risqua le coup; Assurus, tonn, mais aussitt charm, tendit son sceptre l'aimable reine, et lui demanda ce qu'elle dsirait, lui offrant mme la moiti de son royaume. Esther pria le roi de vouloir bien venir dner chez elle, en se faisant accompagner d'Aman. Le dner eut lieu, et Assurus, fort intrigu, ritra, au dessert, son offre de partage du royaume. Esther la dclina, mais pria son royal poux de lui faire encore l'honneur de dner chez elle, le lendemain, toujours avec Aman. Celui-ci fut tellement fier d'tre honor ce point par la reine, qu'il s'en flatta auprs de Zrs, sa femme, et de tous ses amis; mais, comme nanmoins l'indpendance de Mardoche le mortifiait plus que jamais, il fit faire une potence haute de cinquante coudes, en se promettant bien qu'on y accrocherait le dtest juif, dont il ignorait la parent avec la reine (ch. 3, 4, 5). Cependant, Assurus, ne pouvant dormir cette nuit-l, se fit lire, pour se distraire, les annales de son rgne; il eut ainsi l'occasion d'apprendre que deux de ses eunuques, nomms Bigthan et Thrs, avaient form, dans un temps dj assez lointain, le projet de l'assassiner, mais que ce complot avait t rvl aux autorits par un certain Mardoche, qui avait ainsi prserv sa royale existence. Assurus demanda quelle rcompense ce Mardoche avait reue. Aucune, lui rpondit-on. C'est pourquoi, ds le matin, quand Aman se prsenta chez le souverain, celui-ci lui dit: Aman, conseille-moi; que faudrait-il faire un homme que le roi voudrait honorer d'une faon tout fait extraordinaire? Aman, s'imaginant que c'tait de lui qu'il s'agissait, rpondit: Roi, il faut revtir cet homme de votre manteau royal, lui mettre votre couronn, le faire monter sur votre cheval; il faut ensuite que cet homme soit promen ainsi par les rues de votre capitale, le cheval tant tenu par la bride par l'un des plus grands seigneurs du royaume, lequel criera au peuple: Voici l'homme que le roi veut qu'on honore jamais dans son royaum e! Alors le roi lui dit: Tu as raison; or donc, va auprs d'un certain Mardoche, et promne-le par toute la ville comme tu viens de dire. Aman dut s'excuter, On pense s'il le fit contre-cur! (ch. 6). Le soir, la reine Esther donna son second dner Assurus, accompagn d'Aman; mais le ministre n'tait plus si pimpant que la veille. Pour la troisime fois, Assurus offrit Esther de lui accorder tout ce qu'elle dsirerait, ft-ce la moiti de son royaume. La reine lui rpondit: O roi, accorde-moi que je vive et que ceux de ma race ne soient pas extermins! Assurus, qui avait pous Esther sans savoir de quelle race elle tait, devint alors fort perplexe. Que signifie ceci? pensa-t-il. Et lorsque la reine lui eut affirm qu'un ennemi de sa race avait machin une extermination gnrale et que c'tait pour cela qu'elle implorait la souveraine clmence, Assurus, n'y comprenant rien, s'cria: Qui est et o est cet homme qui a eu l'audace de machiner l'extermination de la race laquelle appartient la reine Esther, qui m'est si chre? Esther de rpondre: Cet ennemi, l'oppresseur de ma race, c'est ce mchant Aman, ici prsent. Trouble d'Aman, grande colre du roi; entre d'un eunuque, venant dire qu'une haute potence destine Mardoche a t leve par ordre du ministre. 244
Conclusion: Assurus ordonne qu'Aman soit pendu sa potence; l'ordre royal est aussitt excut, et Mardoche est nomm premier ministre. (ch. 7, 8) Avec le consentement du roi, Esther et Mardoche firent publier que les Juifs, dont le massacre avait t annonc par Aman pour le treizime jour du mois Adar, auraient le droit, ce jour-l et Je lendemain, de massacrer quiconque les avait maltraits depuis Je commencement de leur captivit. Huit cents personnes furent ainsi gorges Suse, et soixante-quinze mille dans les autres villes du royaume. Le quinzime jour d'Adar, les Isralites banquetrent joye usement partout. Esther fit un dit dclara nt qu' l'avenir les Juifs clbreraient chaque anne la mmoire de ces vnements (ch. 9). Ce sont les ftes de Pourim, qui sont encore observes de nos jours par les Isralites: un jour de jene, en souvenir des transes et des prires du mythe Esther, et deux jours de rjouissances, en souvenir des prtendus massacres. Tel est le conte d'Esther, dont les prtres ont fait une histoire sacre, laquelle il faut avoir foi, malgr ses criantes invraisemblances. C'est toujours par une impudicit qu'une sainte lgende commence: si la reine Vasthi a t rpudie pour n'avoir pas voulu paratre toute nue devant les seigneurs et les sujets d'Assurus, il est sous-entend u que la belle Esther, en se mettant au nombre des candidates la succession de Vasthi, tait dispose se plier au caprice du roi. Les critiques disent aussi que jamais le sultan des Turcs, ni celui du Maroc, ni le shah de Perse, pi le grand Mogol, ni l'empereur de Chine ne reoit une fille dans son srail sans qu'on apporte sa g nalogie et des certificats de l'endroit o elle a t prise; il n'y a pas un cheval arabe dans les curies du Grand Seigneur, dont la gnalogie n soit entre les mains du grand cuyer: comment donc Assurus n'aurait-il pas t inform de la patrie, de la famille et de la religion d'une fille qu'il pousait solennellement et proclamait reine?... Quant cet Aman, qui veut faire massacrer toute une nation parce qu'un quidam de cette nation refuse de se prosterner devant lui, et alors que les autres juifs qu'il voue cet gorgement lui rendent cet honneur qu'il dsire, il faut avouer que jamais une folie si ridicule et si horrible n'entra dans la tte de personne. D'autre part, si l'on admet, selon la Bible, qu'Esther a russi devenir reine et garder la couronne en cachant qu'elle tait juive, la gloire de cette lvation s'en trouve singulirement diminue au point de vue de l'amou r-propre national; et, au surplus, on ne voit pas comment Assurus peut juger Aman coupable d'avoir voulu faire gorger sa chre Esther en sa qualit de juive, puisque prcis ment personne ne sait quelle race elle appartient!... Enfin, la cruaut excrable de la douce Esther, en terminant le conte, ajoute l'odieux au ridicule. Nous n'ignorons pas, dit Voltaire, que la fable d'Esther a un ct sduisant: une captive devenue reine, et sauvant de la mort tous ses compatriotes, est un sujet de roman et de tragdie. Mais qu'il est gt par les cont radictions et les absurdits dont il regorge! qu'il est dshonor par la barbarie d'Esther, aussi contraire aux murs de son sexe qu' la vraisemblance! Avec Esdras et Nhmie, nous arrivons la libration du peuple de Dieu. Selon la chronologie fantaisiste de la Bible, les Juifs eurent donc un grand adoucissement leur malheur sous le rgne d'Assurus, pre de Darius, et n'oublions pas que Darius fut fils d'Hystape, seigneur persan, qui ne rgna jamais nulle part, et sous le rgne de Darius, qui prit pour premier ministre le juif Daniel, comme Assurus avait pris le juif Mardoche. Or, la Bible, nous l'avons vu, place le rgne de Cyrus aprs celui de Darius, lorsqu'on consulte le livre du prophte Daniel; mais, ds qu'on ouvre le livre du prophte Esdras, Cyrus est suivi d'Assurus, puis d'Artaxercs, puis de Darius (Esdras 7:5-7). Ce nouvel ordre de succession n'est pas, plus que l'autre, conforme l'histoire; quel galimatias! quel gchis! Par-dessus le march, Esdras et Nhmie, qui sont les deux, prophtes sur lesquels les prtres s'appuient pour fixer les circonstances du retour Jrusalem, ne s'accordent mme pas entre eux. D'aprs Esdras, c'es Cyrus qui, ds la premire anne de son rgne, autorisa les en fants d'Isral rentrer librement en Jude, et dclara dans un dit que Jhovah lui avait ordonn de faire 245
reconstruire son temple Jrusalem; les Juits reviennent donc dans leur patrie, sous la conduite de Zorobabel; malheureusement, la construction est interrompue pendant les rgnes d'Assurus et d'Artaxercs, cause de difficults souleves par les divers peuples qui s'taient tablis en leur absence dans leur pays; enfin ces hostilits cessrent peu aprs l'avnement de Darius et le temple fut achev en la sixime anne de son rgne. D'aprs Nhmie, ce n'est pas sous Cyrus, mais sous Artaxercs, en la vingtime anne de son rgne, que les Jujfs furent autoriss retourner Jrusalem et relever la ville de ses ruines, Zorobabel tant la tte du peuple enfin libr; les difficults souleves par les peuples occupant leur territoire sont surmontes victorieusement par les Juifs qui travaillent avec la truelle d'une main et l'pe de l'autre; enfin, cet auteur sacr parle d'un voyage qu'il fit Babylone, au moment o s'achevait la reconstruction du temple, en la trente-deuxime anne du rgne d'Artaxercs (Nhmie 13:6). Or, Esdras atteste dans son livre que Nhmie accompagnait Zorobabel lors du retour en Jude, sous le rgne de Cyrus, et prtend qu'il y eut un second rapatriement des Juifs sous Artaxercs, mais en la septime anne de son rgne, et non en la vingtime, et il affirme que c'est lui, Esdras, qui conduisait cette fois ses compatriotes. Dbrouillez donc la vrit au milieu de ces contradictions flagrantes!... Aprs les livres d Esdras, de Nhmie et d'Esther, les prtres placent dans la Bible un livre de Job, racontant une histoire dont la date n'est indique nulle part. Cette histoire peut se rsumer ainsi: Au pays de Huts (?), vivait un homme immensment riche, fidle serviteur de Dieu. Or, il arriva un jour, dans le royaume ternel o sont les anges, que Dieu dit Satan, qui tait parmi eux: D'o viens-tu, toi? Et Satan rpondit Jhovah: Je viens de me promener sur la terre, j'y ai couru et l. Alors Dieu reprit: S'il en est ainsi, tu as rencontr sans doute mon serviteur Job, qui n'a pas d'gal au monde pour la pit. Et Satan rpliqua: S'il est pieux, c'est parce que tu l'as combl de biens; mais retire-lui ses richesses, et tu verras quelles maldictions il profrera! Jhovah ne voulut causer personnellement aucune affliction son fidle serviteur; d'autre part, il autorisa Satan le perscuter autant qu'il lui plairait. Tu peux lui faire tout souffrir, l'exception de la mort, dit-il l'ange malicieux. Messire Satan ne manqua pas d'user de la permission, D'abord, une tribu d'Arabes vole Job ses 500 paires de bufs et ses 500 nesses; la foudre tombe sur ses troupeaux (7,000 brebis) et les anantit, ainsi que leurs bergers; des cavaliers chaldens lui prennent ses 3,000 chameaux et passent leurs gardiens au fil de l'pe; enfin, un vent furieux, soufflant du dsert, renverse la maison o ses sept fils et ses trois filles taient en train de boire, et les ensevelit sous les ruines. Job apprend tous ces malheurs coup sur coup; mais, comme il a le caractre bien fait, il se met genoux et s'crie: Nu je suis sorti du ventre de ma mre; qu'importe que je n'aie plus rien? Dieu m'avait tout donn, Dieu m'a tout repris; que son saint nom soit bni! Mais Satan ne se tient pas pour battu. Le malheureux Job se voit bientt couvert d'une plaie hideuse, qui se rpand depuis sa t te jusqu' la plante de ses pieds. Assis sur un fumier, il enlve avec les tessons d'un pot cass l'humeur ftide qui coule de ses ulcres. Sa femme elle- mme vient l'invectiver; mais Job rpond encore d'une voix rsigne: Nous tenons tout de Dieu; si nous avons reu de lui les biens, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux? Trois de ses amis, Eliphas, Baldad et Tsohar, instruits de ses infortunes, vinrent le voir; et ils s'assirent terre avec lui pendant sept jours et sept nuits, sans lui dire aucune parole; car ils voyaient que sa douleur tait fort grande . Tout coup, Job clate en plaintes violentes sur ses afflictions; il maudit le jour de sa naissance. Que ne suis-je mort au sortir du ventre de ma mre! ou pourquoi n'ai-je pas t comme un avorton? Et il appelle la mort grands cris. Ces plaintes forment les 26 versets du chapitre 3; mais, comme elles sont en contradiction avec le sujet principal du livre, on n'en parle jamais dans les manuels d'histoire sainte. En effet, il suffirait que le livre s'arrtt l; Satan, qui est reprsent comme ayant fait une sorte de pari avec Jhovah, est le gagnant, ds 246
que Job perd patience et reproche Dieu de l'avoir fait venir au monde et de ne pas l'en retirer maintenant. Eliphas, Baldad et Tsohar entreprennent alors de sermonner Job; ils l'humilient en lui dclarant que les adversits ne tombent que sur les mchants. Job prend Dieu tmoin de son innocence et proteste qu'il est injustement opprim. Ce dialogue entre Job et ses amis dure vingt-neuf chapitres. Tout coup, au chapitre 32, surgit un nouvel interlocuteur, nomm Elihu, plus jeune que les autres, lequel prend la parole non pour accuser Job d'avoir mrit par ses crimes les chtiments svres que Jhovah lui a infligs, mais pour lui faire remarquer qu'il a montr trop d'orgueil en protestant de son innocence, parce que, dit-il, nul mortel ne peut se flatter de pntrer dans les jugements de Dieu et d'tre toujours rest parfaitement pur ses yeux. Puis, Jhovah lui-mme arrive dans un tourbillon, et, aprs avoir blm la prsomption du jeune Elihu, rappelle quelques-uns des prodiges qui montrent sa puissance. Alors, Job reconnat qu'il est sorti des bornes que devaient lui imposer sa faiblesse et son ignorance, et Dieu, satisfait de sa soumission, le gurit de ses maux et lui rend au double les biens qu'il avait perdus. Dans son discours, Jhovah cite, en tmoignage de son pouvoir, deux animaux extraordinaires, le Bhmoth et le Lviathan, dont la description fantastique tient deux chapitres. Quant Satan, il n'en est plus question. Le dernier chapitre (42) nous apprend que Job eut encore sept fils et trois filles et qu'il vcut cent quarante annes aprs cette terrible preuve de sa vie. Comme on voit, ce livre de Job n'offre pas un intrt trs palpitant. Les critiques y relvent cette singularit: Satan, dont il est parl pour la premire fois, allant et venant dans le ciel parmi les bons anges et gageant que le bonhomme Job commettra le grand pch de profrer des maldictions, s'il est accabl de misre et de maladie; et Dieu acceptant la gageure, avec l'espoir que son fidle serviteur sera patient jusqu'au bout. Voil donc Jhovah qui ignore l'avenir et qui mme se trompe dans ses prvisions, puisque Job se laisse aller maudire. Nous avons vu que la Bible compte quatre grands prophtes, prtendus auteurs de livres; elle donne aussi quelques livres censment crits par des petits prophtes, au nombre de douze. On les nomme; Ose (dont nous avons reproduit un court extrait), Jol, Amos, Abdias, Jonas, Miche, Nahum, Habacuc, Sophonie, Agge, Zacharie et Malachie. Sans contredit, Jonas est le seul qui mrite d'tre cit; l'histoire des douze petits prophtes, dit le bndictin Calmet, ne nous fournit rien qui approche tant du merveilleux que la vie de Jonas . C'tait un Galilen, de la tribu de Zabulon. Les commentateurs le font vivre sous Jroboam II, roi d'Isral; par consquent, il tait n parmi les hrtiques. Un jour, il reut de Jhovah l'ordre d'aller prcher les idoltres habitants de Ninive. Il est le seul, d'ailleurs, qui ait eu une telle mission. En quelle langue prcha-t-il? demande Voltaire, qui fait observer encore qu'il y avait quatre cents lieues de sa patrie Ninive. Il faut croire que Jonas n'entrevit, pour sa prdication, qu'un succs de pommes cuites; car, au lieu de se rendre Ninive, il fila prestement l'oppos, descendit Jopp, port de mer, et s'y embarqua, aprs avoir pay son passage, sur un navire qui levait l'ancre pour Tharsis. Une fois en mer, une tempte horrible survient; chose trange, cette tempte endort Jonas. Les matelots, pris de frayeur, commencent par jeter toute la cargaison l'eau; mais le navire, quoique dlest, est secou de plus belle. Alors, le matre-pilote rveille Jonas et l'adjure d'invoquer son Dieu pour apaiser la tourmente; Jonas n'en fait rien. La mer s'agitant de plus en plus, les matelots tirent au sort, pour savoir lequel des passagers ou des hommes de l'quipage est cause de cette tempte; le sort tombe sur Jonas; on le jette la mer, et la tempte cesse, dans le mme instant. Le prophte rcalcitrant tait en train de boire un coup, lorsqu'une baleine du ple Nord, flnant par hasard dans la Mditerrane, se prsenta lui, ouvrit la gueule et l'avala. 247
Jonas ne s'attendait pas cette nouvelle aventure; toutefois, comme il n'y avait pas moyen de faire autrement, il prit le parti d'attendre les vnements, dans son trange domicile. La Bible nous le reprsente durant trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine et y chantant un assez long cantique Jhovah. Celui-ci, qui avait seulement voulu donner une leon son prophte, intima au monstrueux poisson l'ordre d'vacuer Jonas; le poisson obit, et voil Jonas dpos sur un rivage. On montre, de nos jours, l'endroit o le prophte fut recrach par la baleine; mais les thologiens ne sont pas d'accord pour prciser si Jonas fut vomi ou s'il fut vacu par le ct de la queue. Les critiques incrdules disent que ce rcit est une fable imite des fables grecques. Homre, dans son livre 20, parle du monstre marin qui se jeta sur Hercule. Lycophron raconte qu'Hercule resta trois jours et trois nuits dans son ventre, qu'il se nourrit de son foie aprs l'avoir mis sur le gril, et qu'au bout de trois jours il sortit de sa prison en victorieux. On voit que le conte d'Hercule n'est pas infrieur celui de Jonas. Nous avons aussi, dans la mythologie paenne, l'histoire d'Arion, qui, jet la mer par des matelots, fut sauv par un marsouin, lequel le porta sur son dos jusqu' Lesbos; mais cette aventure ne vaut pas celles de Jonas et d'Hercule. Jonas, au sortir de la baleine, se rendit donc Ninive, et annona, de la part de Dieu, aux habitants la ruine prochaine de leur ville. D'aprs la Bible, il se promena par les rues, en criant: Encore quarante jours, et Ninive sera dtruite! Ce! simples paroles eurent un effet prodigieux: Les habitants crurent aussitt Jhovah et se vtirent de sacs; le roi aussi se leva d dessus son trne, ta son vtement magnifique, se couvrit d'un sac et s'assit sur un tas de cendres. Et il fit publier un dit royal ordonnant un grand jene, non seulement aux hommes, mais encore aux btes; et cet dit disait: Que les btes, bufs et brebis, aussi bien que les hommes, soient couverts de sacs, et que tous crient vers Jhovah, et que chacun se convertisse de ses iniquits. Tous les habitants s'tant donc convertis, Dieu fut touch de leur repentir; de sorte que la prdiction de Jonas ne se ralisa pas. Ce n'est que fort longtemps aprs que Ninive fut saccage et ruine. Vex la pense qu'on pouvait le prendre pour un blagueur, Jonas s'loigna de Ninive et se rfugia dans un dsert. Il faisait une chaleur atroce, et il n'y avait pas Je moindre arbuste l'horizon. Et Jhovah fit pousser tout coup un kikajon, qui monta au-dessus de Jonas et ombragea sa tte; et Jonas se rjouit d'une grande joie, cause de ce kikajon. Mais le lendemain, ds l'aube, Jhovah mit un ver dans le kikajon, ce ver mangea toute la sve, et le kikajon scha. Alors, en se rveillant, Jonas, n'tant plus protg contre le vent brlant du dsert, se dsespra et se plaignit amrement, priant Dieu de le faire mourir et disant: La mort m'est meilleure que la vie. Et Jhovah parut et dit Jonas: Gomment peux-tu bien t'affliger ainsi pour ce kikajon? Jonas rpondit: Oui, Seigneur, j'ai raison de m'affliger ainsi, mme jusqu' la mort. Et Jhovah lui dit encore: Tu voudrais que le ver et pargn le kikajon, et pourtant ce n'est pas toi qui l'as plant ni qui l'as fait crotre; car il est venu en une nuit, et en une nuit il a pri. Et moi, pourquoi n'pargnerais-je pas Ninive, cette grande ville, dans laquelle il y a plus de cent vingt mille cratures humaines, qui ne savent pas discerner leur main droite de leur main gauche, et outre cela plusieurs btes? C'est sur ce spirituel mot divin que se termine le livre de Jonas (en quatre chapitres). C'est une pauvre fin, le miracle du kikajon tant bien peu de chose auprs du miracle de la baleine. Nous voici arrivs aux derniers temps de l'histoire du peuple hbreu, avant Jsus-Christ. L'Ancien Testament a, comme conclusion, les quatre livres des Macchabes. Les huit premiers versets sont consacrs noter la victoire d'Alexandre-le-Grand sur Darius III Codoman et dire que le monarque macdonien, ayant rgn sur plusieurs pays, mourut de maladie et partagea son immense royaume entre ses gnraux. D'autre part, on sait que, d'aprs une lgende juive (11 Josphe, ch. 8), le grand-prtre des Juifs, nomm Jaddus, vint 248
au-devant du conqurant, quand il s'approcha de Jrusalem, et lui montra de prtendues prdictions, d'aprs lesquelles le monde entier devait appartenir Alexandre. Sensible cette flatterie, Alexandre aurait pargn Jrusalem. La Jude fut alors soumise au gouvernement thocratique: la nation vivait dans une sorte d'indpendance, n'tant pas inquite par les royaumes voisins et n'ayant pas de roi elle- mme. Les prtres gouvernaient le peuple et l'administraient; l'autel tait en mme temps le trne. Au fond, c'tait absolument comme si les Juifs avaient eu un roi, puisqu'ils payaient au grand-prtre la fois la dme et l'impt. On ne sait gure combien de temps dura cet tat d'indpendance relative; mais, des livres des Macchabes, dont l'auteur est ignor, il rsulte que les Juifs n'eurent pas se fliciter de leurs rapports avec les successeurs d'Alexandre. Voici en quels termes amers la Bible mentionne ce changement de situation: Alexandre tant mort, ses gnraux gardrent leur royaume, chacun en sa contre; et ils se couronnrent aprs sa mort, et leurs fils aprs eux, pendant plusieurs annes, et les maux furent multiplis sur la terre. D'eux sortit une race trs mchante, celle d'Antiochus l'Illustre. (1 Macchabes 1:9-11) Avec les Sleucides, dynastie grecque qui rgna en Syrie, il est certain, en effet, que les Isralites virent reluire les jours nfastes, quoique l'crivain sacr s'efforce de relever, par le rcit de quelques miracles, le prestige du peuple de Dieu, de nouveau trait en vassal et durement trait. Comme tout le reste de l'Ancien Testament, les livres des Macchabes fourmillent de contradictions et de grossires erreurs historiques. Au surplus, les vnements y sont relats avec un tel dsordre qu'il est impossible de dmler le vrai du faux, surtout si l'on entreprend de suivre ces rcits, chapitre par chapitre. Voltaire a eu la patience de runir les arguments que les critiques apportent contre l'authenticit et la vracit de ces derniers livres de la Bible; aussi, pour terminer, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le rsum de ses observations: 1. On nie d'abord, crit Voltaire, le supplice des sept frres Macchabes et de leur mre (morts dans les tortures pour avoir refus de manger de la viande de cochon), parce qu'il n'en est pas fait mention dans le premier livre, qui va bien loin par-del le rgne d'Antiochus Epiphane ou l'Illustre. Mathathias, pre des Macchabes, n'avait que cinq fils qui tous se signalrent pour la dfense de la patrie. L'auteur du second livre, qui raconte le supplice des Macchabes (ch. 7), ne dit point en quelle ville Antiochus ordonna cette excution barbare; et il l'aurait dit, si elle avait t vraie. D'ailleurs, Antiochus parat tout--fait incapable d'une action si cruelle, si lche et si inutile. C'tait un trs grand prince, qui avait t lev Rome. Il fut digne de son ducation, valeureux et poli, clment dans la victoire et le plus affable: on ne lui reproche qu'une familiarit outre, qu'il tenait de la plupart des grands de Rome, dont la coutume tait de gagner les suffrages du peuple en s'abaissant jusqu' lui. Le titre d'Illustre que l'Asie lui donna, et que la postrit lui conserve, est une assez bonne rponse aux injures que les Juifs ont prodigues sa mmoire. Jrusalem tait enclave dans ses vastes tats de Syrie. Les Juifs se rvoltrent contre lui. Ce prince, vainqueur de l'gypte, revint les punir; et, comme la religion tait l'ternel prtexte de toutes les sditions et des cruauts de ce peuple, Antiochus, lass de sa tolrance, qui les enhardissait, ordonna enfin qu'il n'y aurait plus qu'un seul culte dans ses tats, celui des dieux de Syrie. Il priva les rebelles de leur religion et de leur argent, deux choses qui leur taient galement chres. Antiochus n'en avait pas us ainsi en Egypte, conquise par ses armes; au contraire, il avait rendu ce royaume son roi avec une gnrosit qui n'avait d'exemple que dans la grandeur d'me avec laquelle on dit que Porus fut trait par Alexandre. Si donc il eut plus de svrit pour les Juifs, c'est qu'ils l'y forcrent. Les Samaritains lui obirent; mais Jrusalem le brava, et d l naquit cette guerre sanglante, dans laquelle Juda Macchabe et ses quatre frres firent (au dire de la Bible) de si belles choses 249
avec de trs petites armes. Donc, l'histoire du supplice des prtendus sept Macchabes et de leur pre n'est qu'un roman. 2. Le romanesque auteur commence ses mensonges en disant qu'Alexandre partagea ses tats ses gnraux de son vivant. Cette erreur, qui n'a pas besoin d'tre rfute, fait juger de la science de l'crivain. 3. Presque toutes les particularits rapportes dans le premier livre des Macchabes sont aussi chimriques. Il dit que Juda Macchab, lorsqu'il faisait la guerre de caverne en caverne dans Un coin de la Jude, voulut tre l'alli des Romains (ch. 8): ayant appris qu'il y avait bien loin un peuple romain, lequel avait subjugu les Galates . Or, cette nation des Galates n'tait pas encore asservi e; elle ne le fut que par Cornlius Scipion. 4. Il continue, et dit qu'Antiochus-le-Grand, dont Antiochus piphane tait fils, avait t captif des Romains . C'est une erreur vidente: il fut vaincu par Lucius Scipion surnomm l'Asiatique; mais il ne fut point prisonnier; il fit la paix, se retira dans ses tats de Perse, et paya les frais de la guerre. On voit ici un auteur juif mal instruit de ce qui se passe dans le reste du monde et qui parle au hasard de ce qu'il ne sait point. 5. L'crivain des Macchabes ajoute que cet Antiochus-le-Grand cda aux Romains les Indes, la Mdie et la Lydie . Ceci devient trop fort. Une telle impertinence est inconcevable. C'est dommage que l'auteur juif n'y ait pas ajout la Chine et le Japon! 6. Ensuite, voulant paratre inform du gouvernement de Rome, il dit qu'on y lit tous les ans un souverain magistrat, auquel seul on obit L'ignorant ne savait pas mme que Rome et deux consuls. 7. Juda Macchabe et ses frres, si on en croit l'aut eur envoient une ambassade au snat romain; et les ambassadeurs, pour toute harangue, parlent ainsi: Juda Macchabe, et ses frres, et les Juifs, nous ont envoy vous pour faire avec vous socit et paix. C'est peu prs comme si un chef de parti de la rpublique de Saint-Marin envoyait des ambassadeurs au Grand Turc pour faire alliance avec lui. La rponse des Romains, selon la Bible, n'est pas moins extraordinaire. S'il y avait eu, en effet, une ambassade Rome d'une rpublique palestine bien reconnue, si Rome avait fait un trait solennel avec Jrusalem, Tite-Live et les autres historiens en auraient parl. L'orgueil juif a toujours exagr; mais il n'a jamais t plus ridicule. 8. On voit bientt aprs une autre fanfaronnade; c'est la prtendue parent des Juifs et des Lacdmoniens. L'auteur suppose qu'un roi de Lacdmone, nomm Anus, avait crit au grand-prtre juif Onias troisime, en ces termes (ch. 12): Il a t trouv dans les Ecritures, touchant les Spartiates et les Juifs, qu'ifs sont frres, tant les uns et les autres de la race d'Abr aham; et, prsent que nous le connaissons, vous faites bien de nous crire que vous tes en paix; et voici ce que no us avons rpondu: Nos vaches et nos moutons, ainsi que nos champs, sont vous; nous avons ordonn qu'on vous apprt cela. On ne peut traiter srieusement des inepties si hors du sens commun. Cela ressemble Arlequin qui se dit cur de Domfront; et quand le juge lui prouve qu'il a menti: Monsieur, rplique Arlequin, je croyais l'tre. Ce n'est pas la peine de montrer qu'il n'y eut jamais de roi de Sparte nomm Arius, et qu'au temps du grand-prtre Onias troisime, Lacdmone n'avait plus de rois. Ce serait trop perdre son temps de montrer qu'Abraham fut aussi inconnu dans Sparte et dans Athnes que dans Rome. 250
9. Nous osons ajouter ces purilits si mprisables l'aventure merveilleuse d'Hliodore, raconte dans le second livre, au chapitre 3. Sleucus Philopator, frre an et prdcesseur d'Antiochus piphane, roi de Syrie, de Perse, de la Phnicie et de la Palestine, est averti par un juif, intendant du temple, qu'il y a dans cette forteresse un trsor immense. Sleucus, qui avait besoin d'argent pour ses guerres, envoie Hliodore, un de ses officiers, demander cet argent, comme le roi de France Franois 1 er demanda plus tard la grille d'argent de Saint- Martin. Hliodore vient excuter sa commission, et s'arrange; avec le grand-prtre Onias. Comme ils parlaient ensemble dans le temple, on voit descendre du ciel un grand cheval portant un cavalier brillant d'or. Le cheval donne d'abord des ruades avec les pieds de devant Hliodore; et deux anges qui servaient de palefreniers au cheval, arms chacun d'une poigne de verges, fouettent Hliodore tour de bras. Onias, le grand-prtre, eut la charit de prier Dieu pour lui. Les deux anges palefreniers cessrent de fouetter. Ils dirent l'off icier: Rends grces Onias; sans ses prires, nous t'aurions fess jusqu' la mort. Aprs quoi, ils disparurent. On ne dit pas si, aprs cette flagellation, le grand-prtre Onias s'accommoda avec son roi Sleucus et lui prta quelques deniers. Ce miracle a paru d'autant plus impertinent aux critiques, que ni le roi d'Egypte Ssac, ni le roi de l'Asie Nabuchodonosor, ni Antiocbus Epiphane, ni Ptolme Soter, ni le grand Pompe, ni Crassus, ni la reine Cloptre, ni l'empereur Titus, qui tous emportrent quelque argent du temple juif, ne furent pas cependant fouetts par les anges. Il est vrai qu'un saint moine a vu l'me de Charles Martel, que des diables conduisaient en enfer dans un bateau, et qu'ils fouettaient pour punir le vainqueur des Sarrasins de s'tre appropri quelque chose du trsor de Saint-Denis; mais ces cas-l arrivent rarement. 10. Nous passons une multitude d'anachronismes, de mprises, de transpositions, d'ignorances, et de fables, qui pullulent dans les livres des Macchabes, pour venir la mort d'Antiochus l'Illustre, dcrite au chapitre 11 du livre second. C'est un entassement de faussets, d'absurdits et d'injures, qui font piti. Selon l'auteur, Antiochus entre dans Perspolis pour piller la ville et le temple. On sait assez que cette capitale, nomme Perspolis par les Grecs, avait t dtruite par Alexandre. Les Juifs, toujours isols parmi les nations, toujours occups de leurs seuls intrts et de leur seul pays, pouvaient bien ignorer les rvolutions de la Chine et des Indes; mais pouvaient-ils ne pas savoir que cette ville, appele Perspolis par les seuls Grecs, n'existait plus depuis cent soixante ans? Son nom vritable tait Sestekar. Si c'tait un juif de Jrusalem, c'est--dire un asiatique, qui et crit les Macchabes, il n'et pas donn au sjour des rois de Perse un nom qui figure uniquement dans les livres grecs. De l, on conclut que ces derniers livres de l'Ancien Testament n'ont pu tre crits que par un de ces juifs hellnistes d'Alexandrie, qui commenait vouloir devenir orateur. Mais voici une autre raison de douter. Au premier livre, il est dit qu'Antiochus Epiphane voulut s'emparer des boucliers d'or laisss par Alexandre-le-Grand dans la ville d'li mas sur le chemin d'Ecbatane, qui est la m me que Rags, et qu'il mourut de chagrin dans cette contre en apprenant que les Macchabes avaient rsist ses troupes en Jude. Au second livre, il est dit, au contraire, que ce roi tomba de son char; qu'il fut tellement meurtri dans sa chute que la gangrne se mit son corps; que ses chairs fourmillaient de vers; et qu'alors il demanda pardon au dieu des Juifs. C'est l qu'est ce verset si connu, et dont on a fait tant d'usage: Le sclrat implorait la misricorde du Seigneur, qu'il ne devait pas obtenir . L'auteur ajoute qu'Antiochus promit Jhovah de se faire juif. Ce dernier trait suffit: c'est comme si Charles-Quint avait promis de se faire turc. Nous ne dirons qu'un mot du troisime livre des Macchabes, et rien du quatrime, unanimement tenus pour apocryphes. 251
Voici une historiette du troisime; la scne est en Egypte. Le roi Ptolme Philopator est fch contre les Juifs, qui commeraient en grand nombre dans ses tats; il en ordonne le dnombrement, et, selon Philon, ils composaient un million de ttes. O n parque ce million d'hommes dans l'hippodrome d'Alexandrie. Le roi promulgue un dit, par lequel ils seront tous livrs ses lphants pour tre crass sous leurs pieds. L'heure prise pour donner ce spectacle, Dieu, qui veille sur son peuple, endort le roi profondment. Ptolme, son rveil remet la partie au lendemain; niais Dieu lui te alors la mmoire: Ptolme ne se souvient plus de rien. Enfin, le troisime jour, Ptolme, bien veill, fait prparer ses juifs et ses lphants. La pice allait tre joue, lorsque soudain les portes du ciel s'ouvrent: deux anges en descendent; ils dirigent les lphants contre les soldats qui devaient les conduire; les soldats sont crass, les Juifs sauvs, le roi converti... On crivait plaisamment l'histoire dans ce pays-l! En somme, si l'on prend dans ses grandes lignes l'histoire biblique des Macchabes, elle se rsume ceci: Le sacrificateur Mathathias, sous le rgne d'Antiochus Epiphane, donne le signal de la rvolte en gorgeant un Juif qui sacrifiait aux dieux de Syrie; ses cinq fils, Jean, Simon, Juda, Elazar et Jonathas, se signalent aussi. La Jude se soulve; on fait arme de n'importe quoi. Juda Macchabe, le plus illustre des fils de Mathathias, se met la tte de l'insurrection et taille en pices les armes royales: mais il ne se contente pas d'tre gnral; il succde comme grand-prtre Mnlas, descendant du fameux Jaddus, le flagorneur d'Alexandre. On cite ses victoires contre Apollonius dans les environs de Sa marie, contre Sron Bthorom, etcontre trois autres gnraux d'Antiochus: Ptolme, Nicanor, et Gorgias. Sous le rgne d'Antiochus Eupator, fils d'piphane, lazar Macchabe a moins de chance que son frre Juda :: au fort d'une bataille, ayant vu dans les rangs ennemis un lphant couvert des insignes royaux, mons Elazar fonce sur l'animal, en s'imaginant que le roi est au-dessus; mais l'lphant saisit notre juif avec sa trompe et le casse en deux comme s'il s'tait agi d'une simple pipe de quatre sous. Sous Dmtrius Soter, oncle et successeur d'Antiochus Eupator, Juda Macchabe triomphe encore de l'arme syrienne, commande par Bacchide, et, deux reprises, de celle que commandait Nicanor, lequel prit, dans la droute. Mais une nouvelle expdition dirige par Bacchide ayant mis les 3,000 hommes de Juda en prsence de 22,000 hommes, et Jhovah n'ayant pas pens cette fois envoyer un ange exterminateur au secours de son peuple, les Macchabens pouvants se dbandent et laissent leur gnral se faire craser par l'ennemi. Ainsi finit le clbre Juda Macchabe. Ses deux frres, Jonathas et Simon, lui succdrent l'un aprs l'autre dans ses doubles fonctions de grand-prtre et de gnral. Il convient de remarquer, avec Voltaire, que ces Macchabes taient de la race de Lvi, et que, simples sacrificateurs dans un petit village nomm Modin, vers la mer Morte, ils obtinrent, par une rvolution, la puissance sacerdotale, puis la royale. On ne saurait donc s'empcher de constater que cet vnement confondait toutes ces vaines prophties que la tribu de Juda avait toujours faites en sa faveur par la bouche de ses prophtes, et dmentait cette-ternelle suprmatie de la maison de David tant prdite et si fausse. Il n'y avait plus personne de la race de David; du moins, aucun livre juif ne signale aucun descendant de ce prince depuis la captivit. Si les enfants du lvite Mathathias nomms d'abord Macchabes et ensuite Asmonens, eurent l'encensoir et le sceptre, ce fut pour leur malheur. Leurs petits-fils souillrent de crimes l'autel et le trne, et n'eurent qu'une politique barbare qui causa la ruine complte de leur patrie. S'ils eurent dans le commencement l'autorit pontificale, ils n'en furent pas moins tributaires des rois de Syrie. Antiochus Eupator composa avec eux, mais ils furent toujours regards comme sujets. En outre, ces saints hros se massacrrent entre eux. Simon, le dernier frre de Juda 252
Macchabe, fut assassin, avec deux de ses fils, par son gendre Ptolme, gouverneur de Jricho, qui voulait s'emparer du pouvoir. Hyrcan, fils de ce grand-prtre Simon, et grand-prtre lui-mme, tenta de se rvolter contre Antiochus Sidts. Le roi de Syrie l'assigea dans Jrusalem, et Jhovah ne le secourut point, puisqu'on dit qu'Hyrcan apaisa le roi avec de l'argent. Mais o le grand-prtre Hyrcan prit-il cet argent? C'est une difficult qui arrte chaque pas tout lecteur raisonnable. D'o pouvaient venir tous ces prtendus trsors qu'on retrouve sans cesse dans ce temple de Jrusalem pill tant de fois? Josphe l'aplomb de dire qu'Hyrcan fit ou vrille tombeau de David, et qu'il y trouva trois mille talents. C'est ainsi qu'on a imagin des trsors dans les spulcres de Cyrus, de Rustan; d'Alexandre, de Cha rlemagne; il n'y a pas longtemps, un naf ministre de la Rpublique franaise, confiant en la baguette divinatoire d'une sorcire fumiste ou folle, esprait en dcouvrir dans les tombeaux de nos rois, Saint-Denis. Quoi qu'il en soit, Hyrcan se soumit et obtint sa grce. Ce fut cet Hyrcan qui, profitant des troubles de la Syrie, prit enfin Samarie, l'ternelle ennemie de Jrusalem, rebtie ensuite par Hrode et appele Sbaste. Les Samaritains se retirrent Sichem, qui est la Naplouse de nos jours; ils furent encore plus prs de Jrusalem, et la haine des deux fractions du peuple de Dieu en fut plus implacable. Jrusalem, Sichem, Jricho, Samarie, qui ont fait tant de bruit parmi nous, et qui r: n ont fait si peu dans l'Orient, furent toujours de petites villes voisines, assez pauvres, dont les habitants allaient chercher fortune au loin, comme les Armniens, les Parsis, les Banians. Flavius Josphe, ivre de chauvinisme, ne manque pas de dire que cet Hyrcan Macchabe fut un conqurant et un prophte, et que Dieu lui parlait souvent face face. Si l'on en croit Josphe, une preuve incontestable que cet Hyrcan tait prophte, c'est qu'ayant deux fils qu'il aimait, et qui taient des monstres de perfidie, d'avarice et de cruaut, il leur prdit que, s'ils s'endurcissaient dans leur sclratesse, ils pourraient faire une mauvaise fin. De ces deux sacripants, l'un tait Aristobule, l'autre Antigone. Les Juifs avaient dj la vanit de prendre des noms grecs. Dieu vint voir Hyrcan une nuit et lui montra le portrait d'un autre de ses enfants, qui d'abord ne s'appelait que Janne, diminutif de Jean (ce qui quivaut Jeannot), et qui ensuite eut la prsomption de s'ajouter le nom d'Alexandre. Celui-l, dit Jhovah, aura un jour ta place de grand-prtre. Hyrcan, ce bon pre, entrevoyant dans cette parole divine l'annonce d'une usurpation, s'empressa de faire mourir son fils Jeannot, de peur que cet oracle ne s'accomplt , ce que dit l'historien. Mais, apparemment que Jeannot ou Janne ne mourut pas tout--fait, ou que Dieu le ressuscita, car nous le verrons bientt grand-prtre et matre de Jrusalem. En attendant, il faut voir ce qui arriva aux deux frres bien-aims, Aristobule et Antigone, fils d'Hyrcan, aprs la mort d'Hyrcan leur pre. Le prtre Aristobule fait assassiner le prtre Antigone, son frre, dans le temple, et fait trangler sa propre mre dans un cachot. C'est de ce mme Aristobule, le premier Macchabe qui prit le titre de roi des Juifs, que Josphe dit qu'il tait un prince trs doux. A cette poque, la Jude tait trouble par les rivalits de Pharisiens ajoutaient la loi de Mose la tradition orale, sur laquelle ils admettaient la mtempsychose, et sur cette doctrine de la mtempsychose ils greffaient encore toutes sortes de croyances; c'est ainsi qu'ils tablirent que les esprits malins pouvaient entrer dans les corps des hommes; ils voyaient des possessions de dmons dans toutes les maladies inconnues. Ce sont les Pharisiens qui inventrent les diables et les exorcis mes; c'est l'un d'eux qui fabriqua le livre intitul La Clavicule de Salomon, livre sacr de l'occultisme. On les rvrait comme les savants interprtes de la loi; on s'empressait de s'initier leurs mystres; ils enseignaient ta rsurrection et le royaume des cieux. Il y avait une troisime secte, celle des Essniens, qui vivaient en commun, s'appliquaient au dehors du monde aux vertus pratiques, la temprance et le travail, et qui s'accommodaient assez bien de diverses croyances perses. Les Macchabes 253
favorisrent d'abord les Saducens contre les Pharisiens; mais cela tenait surtout ce que ces derniers formaient l'cole la plus puissante dans l'Etat et cherchaient entrer dans toutes les affaires. Aristobule 1 er tant mort, son frre Jeannot-Alexandre ressuscite et lui succde; on l'avait sans doute gard en prison, au lieu de le tuer. Janne pouse Salom, c'est--dire la veuve d'Aristobule, et lui change son nom en celui d'Alexandra. C'est dans ce temps surtout que les Ptolmes, rois d'Egypte, et les Sleucides, rois de Syrie, se disputaient la Palestine. Cette querelle, tantt violente, tantt mnage, durait depuis la mort d'A lexandre-le-Grand. Le peuple juif se fortifiait un peu par les dsastres de ses matres; les prtres, qui gouvernaient cette petite nation, changeaient de parti chaque anne et se vendaient au plus fort. Ce Janne-Alexandre commena son sacerdoce par l'assassinat de celui de ses frres qui restait encore, et qui ne ressuscita point comme lui. Josphe ne nous dit point le nom de ce frre, et peu importe ce nom dans le catalogue de tant de crimes. Janne se soutint dans son gouvernement la faveur des troubles de l'Asie. Ce gouvernement tait la fois sacerdotal, dmocratique, aristocratique: une anarchie complte. Josphe rapporte qu'un jour le peuple dans le temple jeta des pommes et des citrons la tte de son grand-prtre Janne, deux sectes religieuses, qui devaient bientt devenir des factions politiques: les Pharisiens, ainsi appels d'un mot hbreu qui veut dire spars , parce qu'ils affectaient de se distinguer du peuple, et les Saducens, tirant leur nom de Sadoc, leur chef; ceux-ci taient en quelque sorte les picuriens juifs, s'en tenant scrupuleusement la lettre du Pentateuque, n'admettant pas l'immortalit de l'me, par consquent ni enfer ni paradis, et encore mo ins la rsurrection, tandis que les qui s'rigeait en souverain, et que cet Alexandre fit gorger six mille hommes de son peuple. Ce massacre fut suivi de dix ans de massacres. A qui les Juifs payaient-ils tribut dans ce temps-l? Quel souverain comptait cette province dans ses tats? Josphe n'effleure pas seulement cette question: il semble qu'il veuille faire croire que la Jude tait une province libre et souveraine. Cependant, il est certain que les rois d'gypte et ceux de Syrie se la disputrent, jusqu' ce que les Romains vinrent l'engloutir. Aprs ce Janne, si indigne du grand nom d'Alexandre, sa veuve Salom, dite Alexandra, garda, pendant neuf ans, l'autorit au nom de ses jeunes fils, tout en abandonnant le gouvernement aux Pharisiens et tolrant les violences qu'ils commettaient contre leurs adversaires, les Saducens. Puis, la mort d'Alexandra laissant une libre carrire aux rivalits politiques et religieuses de ces deux sectes, ce royaume, qui n'avait pas dix lieues d'tendue en tous sens, fut dchir par la guerre civile, Hyrcan II, l'an des fils du grand prtre Janne, s'tant mis la tte des Pharisiens, et Aristobule II, le cadet, tant le chef des Saducens; et la Jude eut ainsi deux rois, au lieu d'un. Ces deux frres ennemis se livrrent bataille vers le bourg de Jricho, non pas avec des armes de trois, de quatre, de cinq et de six cent mille hommes; on n'osait plus alors crire de telles blagues, et mme l'exagrateur Josphe en aurait eu honte; les armes juives alors taient de trois quatre mille soldats. Hyrcan fut battu, et Aristobule II resta le matre. A cette poque, les Romains, sans trop s'embarrasser de leur prtendue socit amicale avec les Macchabes, portaient leurs armes victorieuses dans l'Asie Mineure, dans la Syrie et jusqu'au mont Caucase. Les Sleucides n'existaient plus; Tigrane, roi d'Armnie, beau-pre de Mithridate, avait conquis une partie de leurs tats. Le grand Pompe avait vaincu Tigrane; il venait de rduire Mithridate se donner la mort; il faisait de la Syrie une province romaine. Les livres des Macchabes ne parlent ni de ce grand homme, ni de Lucullus, ni de Sy lla. On n'en sera pas tonn. Hyrcan, chass par son frre Aristobule, s'tait rfugi chez un chef d'Arabes, nomm Artas. Jrusalem avait toujours t si peu de chose que ce capitaine de voleurs vint assiger Aristobule dans cette ville. Pompe passait alors dans la basse Syrie. Aristobule obtint la protection de Sca urus, l'un de ses lieutenants. Scaurus ordonne au Bdouin de lever le sige et de ne plus commettre d'hostilits sur les terres des Romains; car, 254
la Syrie tant incorpore l'empire, la Palestine l'tait aussi. Tel est le seul pacte de socit que la rpublique romaine avait pu faire avec la Jude. Josphe crit qu'Aristobule, pour obtenir la protection de Pompe, lui envoya un magnifique prsent; Strabon parle de ce prsent, qui serait une vigne d'or, mais il l'attribue Alexandre- Janne, et non Aristobule. Quoi qu'il en soit, les deux frres Aristobule et Hyrcan, qui se disputaient la qualit de grand-prtre, vinrent plaider leur cause devant Pompe pendant sa marche. Il allait prononcer, lorsque Aristobule s'enfuit; ce qui laisserait croire que le cadeau de la vigne d'or n'avait pas russi influencer l'arbitre et que le fils cadet de Jeannot et ds lors plus confiance dans les remparts de la capitale de David. En effet, Pompe alla mettre, son tour, le sige devant Jrusalem. On sait que cette ville est dans une excellente situation, au point de vue de la dfense; elle pourrait tre une des meilleures places de l'Orient entre les mains d'un ingnieur habile; du moins, le temple, qui tait la vritable citadelle, pourrait devenir inexpugnable, tant bti sur la cime d'une montagne escarpe, entoure de prcipices. Pompe fut oblig de perdre presque trois mois prparer et faire mouvoir ses machines de guerre; mais ds qu'elles purent manuvrer, il fit brche la forteresse et entra. Un fils du dictateur Sy lla y monta le premier, et, ce qui rend cette journe plus mmorable encore, c'est que la prise de Jrusalem par les Romains eut lieu sous le consulat de Cicron (63 av. J.-C). Josphe dit qu'on tua douze mille Juifs dans le temple; nous le croirions, s'il n'avait pas toujours exagr. Nous ne pouvons le croire quand il ajoute qu'on y trouva deux mille talents d'argent et que le vainqueur en tira dix mille de la ville: car, enfin, ce temple ayant t pris tant de fois si aisment, tant de fois pill et saccag, il tait impossible qu'on y gardt deux mille talents d'argent, qui feraient prs de douze millions de francs de notre monnaie; et il serait encore plus extravagant de croire qu'on pt taxer un si petit pays, si puis et si pauvre, dix mille talents, prs de soixante millions!... C'est quoi ne pensent pas ceux qui lisent sans examen et qui reproduisent la lgre ces fables imagines par l'orgueil hbreu. Un homme sens lve les paules, quand il voit qu'Alexandre ne put ramasser en Jude que trente talents pour aller combattre Darius, et qu'il voit douze mille talents dans les caisses des Juifs, outre les trois mille censment trouvs dans le tombeau de David. Il est certain que Pompe ne prit rien pour lui, et qu'il se borna faire payer aux Juifs les frais de son expdition, qui avait t un accessoire de sa campagne principale en Asie Mineure. Cicron loue ce dsintressement; mais Rollin (Histoire Romaine, livre 16) dit que rien ne russit dsormais Pompe, cause de la curiosit sacrilge qu'il avait eue de pntrer dans le sanctuaire du temple juif. Voltaire rplique Rollin que Pompe ne pouvait gure savoir s'il tait dfendu d'entrer l; que la dfense pouvait tre pour les Juifs, et non pour Pompe; que les charpentiers, les menuisiers, les autres ouvriers y entraient, quand il y avait quelque rparation faire. On pourrait ajouter que c'tait autrefois la prsence de l'arche qui rendait ce lieu sacr, et que cette arche divine tait perdue depuis Nabuchodonosor. Csar serait entr tout aussi bien que Pompe dans cet endroit de trente pieds de long et aurait certainement eu la mme curiosit d'y regarder. Si donc Pompe fut vaincu par Csar la bataille de Pharsale, il se peut que ce fut pour avoir t curieux Jrusalem; mais il y eut sans doute d'autres raisons aussi de cette dfaite, et le gnie de Csar y contribua beaucoup. On pourrait encore observer que c'est un bien plus grand sacrilge d'gorger douze mille hommes dans un temple que d'entrer dans une sacristie o il n'y avait rien du tout. (Voltaire, Sommaire de l'histoire juive) Au surplus, Pompe, ayant pris Aristobule, l'envoya captif Home. En outre, dans le courant de l'anne 49 (av. J.-C), il ordonna un descendant des Scipions, son lieutenant en Syrie, de faire couper le cou au fils an d'Aristobule, qui avait pris le nom d'Alexandre et le titre de roi. Cet vnement achve de faire voir quelle tait l'alliance de couronne couronne que les Juifs se vantaient d'avoir avec les Romains, et quel fond on peut faire sur les rcits des historiens de 255
cette nation. Enfin, pour mettre la dernire main ce tableau, et pour montrer de quel respect l'empire romain tait pntr pour les Juifs, il suffira de dire que, quelques annes aprs (38), le triumvir Marc-Antoine condamna dans Antioche un autre roi juif, le second fils d'Aristobule, nomm Antigone, mourir du supplice des esclaves; il le fit fouetter et crucifier. Ce fut alors que le Snat accorda le titre de roi l'Idumen Hrode, fils d'Antipator, procurateur de la Jude, qui pousa Marianme, fille d'Hyrcan II, et rgna environ quarante ans, sous la protection de Rome, tenant ses sujets hbreux courbs sous son sceptre de fer. ********************** Ainsi finit l'Ancien Testament. Notre tche d'aujourd'hui est accomplie. Dans quelque temps, nous publierons une nouvelle dition de la Vie de Jsus, qui parut il y a seize annes; notre ancienne Bible Amusante, qui prcda alors cette critique humoristique du Nouveau Testament, tait un simple jeu, une srie de plaisanteries accompagnant les dsopilants dessins de notre ami Frid'Rick. Alors, le clricalisme paraissait dfinitivement rduit l'impuissance, et il ne nous restait plus qu' aller explorer le camp des vaincus, pour connatre par nous-mme et pouvoir dire un jour quelle part il convient de faire la bonne foi des derniers dfenseurs du dogme; nous voulions voir de prs si l'autel tombant en ruines compte vraiment des prtres croyant ce que leur glise enseigne. C'est la faveur d'une mystification pousse aux extrmes limites que nous avons russi faire cette curieuse exprience. Mais, avant d'en publier les rsultats, il nous a paru ncessaire le parti clrical relevant la tte de reprendre en main cet album de dessins comiques de notre ancien collaborateur et de refaire une critique gnrale, complte cette fois, de ce monument de btise abrutissante qui s'appelle la Bible. En terminant, disons un mot, qui tonnera bien nos lecteurs libres- penseurs, mais qui est l'expression de la vrit constate par notre enqute personnelle de onze annes: si idiote que soit la Bible, il y a des prtres, et mme des prtres intelligents, qui, de bonne foi, la croient vraie, authentique, et dont l'esprit n'est dconcert par aucun des rcits les plus fantastiques des fumistes auteurs de l'Ecriture Sainte; non seulement ces extraordinaires nafs croient que la baleine a aval Jonas, mais encore ils croiraient que Jonas a aval la baleine, si le divin pigeon l'avait dict quelque soi-disant prophte. Conclusion: la foi religieuse est une varit de la folie.