Leo Taxil - La Bible Amusante 1897

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 255

1

Lo Taxil - La Bible amusante


Donnant les citations textuelles de l'criture sainte et reproduisant toutes les rfutations opposes
par Voltaire, Frret, lord Bolingbroke, Toland & autres critiques.


TABLE DES MATIRES
--------------------------------------------------------------------------------
DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE. ....................................................................... 2
1. LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE. ............................................................... 4
2. COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES. ......................................................... 23
3. LES ANGES EN CONCUBINAGE SUR TERRE. ............................................................ 27
4. NOYADE GNRALE DE L'HUMANIT. ..................................................................... 34
5. HEUREUSE VIE D'UN PATRIARCHE BIEN-AIM. ..................................................... 40
6. UNE FAMILLE VOUE LA MULTIPLICATION. ...................................................... 58
7. MOSE ET LE VOYAGE DE QUARANTE ANS. ........................................................... 80
8. LES EXPLOITS DE JOSU ET DE GDON. .............................................................. 102
9. LES JUGES JEPHT ET SAMSON. ............................................................................... 111
10. SUAVE IDYLLE DE LA BELLE RUTH. ...................................................................... 122
11. HISTOIRE DE SAMUEL, AVANT LA ROYAUT. .................................................... 125
12. SAL, PREMIER ROI, ET SON RIVAL DAVID. ........................................................ 134
13. GLORIEUX RGNE DE S. M. SALOMON. ................................................................. 176
14. LES DEUX ROYAUMES: ISRAL ET JUDA. ............................................................. 193
15. PENDANT ET APRS LA CAPTIVIT. ....................................................................... 233
--------------------------------------------------------------------------------



2

DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE.
Trs Saint-Pre,
On dit que vous n'tes pas content, depuis le 19 avril de cette anne, la vingtime de votre
glorieux pontificat. Le dnouement inattendu de ma joyeuse mystification vous a mis, assure-
t-on, en grande colre, comme un simple pre Duchesne; car, savoir qu'on a t mystifi
pendant douze ans par un libre-penseur sceptique est chose minemment dsagrable, quand
on est le reprsentant de l'Esprit-Saint, quand on est directement et de faon permanente
inspir par le divin pigeon; mais savoir que cette postu re ridicule est connue du monde entier,
voil le comble du dsagrment, voil ce qui vexe au suprme degr. O mon pape, quelle tuile
pour le dogme de votre infaillibilit!...
Un fumiste Marseille s'est pay votre vnrable tte; horreur! Et il avait pris ses mesures
pour que sa fumisterie se termint en clatant comme une bombe, avec un vacarme
retentissant dans la presse des deux hmisphres; maldiction!
Joachim, mon vieux Joachim, je comprends votre saint courroux.
Il me semble voir votre grimace, la lecture de cet amusant article dans lequel Henri
Rochefort rsuma si bien la situation:
Ce trs saint-pre, qui a reu le fumiste en audience particulire, ne peut contester avoir t
de mche avec lui; sans quoi, son infaillibilit, dont il a fait un dogme, serait immdiatement
rduite en poussire.
Du moment o il ne s'est pas aperu du tour que se disposait lui jouer son visiteur, que
devient cette lumire d'en haut sur laquelle repose, aux yeux des gteux du catholicisme, tout
le pouvoir des successeurs de saint Pierre?
Lo Taxil s'est fichu de lui, mais lui se fichait de nous; et si le premier a, pendant douze ans,
fait avaler ses blagues aux vques, le second nous ingurgite les siennes depuis douze sicles.
Ou le nomm Pecci n'est pas plus infaillible que vous ni moi, et il ne lui reste qu' donner,
sans dlai, sa dmission de reprsentant d'un dieu qu'il ne reprsente en quoi que ce soit;
Ou, tant infaillible, il s'est constitu l'associ d'un blagueur dont il se servait pour soutirer
l'argent des adversaires de la franc-maonnerie; auquel cas, il n'y aurait plus qu' charger les
gendarmes d'aller l'arrter dans son palais, pour abus de confiance et soustraction frauduleuse.

Trois fois hlas! mon vieux Joachim, voil le dilemme qu'un illustre pamphltaire vous a
pos, au milieu des bravos de la galerie. Et de Paris New-York, de Londres Montevideo, la
presse universelle a rpt le dilemme; et partout les applaudissements ont retenti, partout on
s'est esclaff de votre confusion, de partout les pieds de nez se sont esquisss, moqueurs, dans
la direction de votre triple couronne. Et vous vous demandiez, le treizime des sacrs Lons,
si ce n'tait point l un cauchemar!...
De cauchemar, point. Vous tiez bien veill, et le formidable clat de rire qui secoua le globe
tait l'irritante ralit.
Trs Saint-Pre, je vous dois une consolation.
Le flot de l'impit grossit tous les jours; c'est une vritable mare qui monte, monte sans
cesse. Dans la chre France, qui est la fille ane de l'glise, l'enseignement a t lacis
depuis bien des annes dj; de telle sorte que les nouvelles gnrations qui s'lvent dans les
coles de l'tat ne connaissent pas le premier mot de l'Histoire Sainte.
En plusieurs circonstances, j'ai constat, avec une douleur indicible, que des jeunes gens
ignorent les difiantes aventures d'Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Mose, Josu, Gdon,
Samson, Samuel, Booz, Sal, David, Salomon, Elie, Elise, Jonas, Ezchiel, Esther, Tobie,
Judith, Daniel, etc., etc. De ces noms clbres et vnrs, ils ont tout au plus une vague ide.
3

A la question qu'un digne prtre posa nagure: Connaissez-vous les Macchabes? il fut
rpondu: Trs peu; je ne suis all que deux fois voir la Morgue.
Un tel tat de choses est navrant. O irons-nous, juste ciel, si la connaissance des pieux
pisodes de la Bible se perd, si les crits inspirs autrefois par le divin pigeon tombent dans
l'oubli?... Il est temps de ragir, Trs Saint-Pre.
C'est pourquoi j'entreprends une nouvelle dition des Saintes critures. Je n'omettrai rien, et je
tcherai de rendre cette lecture aussi attrayante que possible. Vous verrez a. A mon prochain
voyage Rome, je solliciterai de votre auguste main encore une bndiction spciale,
ajouter ma prcieuse collection.
Si cependant, vous en rapportant moi, vous daignez m'envoyer cette bndiction de premier
choix, sans attendre ma visite, Trs Saint-Pre, ne vous gnez pas.
La joie de vous avoir mystifi ne diminue en rien mon zle pour la diffusion des grandes
vrits ternelles, qui sont la base de la religion sublime dont vous tes le pontife souverain.
Je ne dis pas que ma Bible Amusante contribuera beaucoup raffermir la foi; mais elle aura
nanmoins un avantage incontestable: en pntrant parmi les victimes de l'tat lacisateur, en
se faisant lire de ceux qui maintenant ignorent ou ne connaissent que vaguement toutes ces
belles choses, elle leur rvlera ce qu'il est ncessaire de croire pour avoir le droit de se dire
fils de l'glise catholique, apostolique et romaine.
Si, aprs a, quelques-uns veulent admettre qu'il est possible un homme de vivre trois jours
dans le ventre d'une baleine, sans parler des autres miracles bibliques, vous me devrez, mon
vieux Joachim, de chaleureux remerciements pour vous avoir valu des recrues inespres.
Alors, sans rancune au sujet de ma mystification, n'est-ce pas?... Ce livre vous aura consol, et
nous redeviendrons bons amis, comme avant le 19 avril.
Voyons, ne te fais pas prier, Lon. Envoie-moi un petit -compte de bndiction, par retour du
courrier.
Paris, le 20 juin 1897 - Lo Taxil.


4

1 CHAPITRE

LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE

Or, apprenez donc ce que l'esprit de Dieu dicta Mose, prtendu auteur sacr, qui est
attribue la Gense, premier livre de l'criture Sainte; et vous constaterez, chaque instant,
que l'esprit de Dieu, moins d'tre d'une ignorance crasse, est fumiste, essentiellement
fumiste, plus fumiste que l'inventeur de la grande-matresse palladiste Diana Vaughan.
Dieu est de toute ternit; mais, au commencement des temps, il tait seul dans le nant. Rien
n'existait, sauf lui, s'appelant alors Elohim, nom hbreu sous lequel il est dsign par le
premier verset de la Bible; et ce nom est un pluriel, ce qui est bien singulier pour un monsieur
tout seul.
Donc, Elohim, qui est aussi Jhovah, Sabaoth, Adona, ainsi que nous le verrons plus loin,
Elohim s'embtait (ou s'embtaient) six francs par tte au milieu de son chaos; tohu-
bohu est le terme biblique, tohu-bohu qui signifie sens dessus dessous.
L'ternit tant dmesurment longue, matre Elohim s'embta pendant des milliards et des
milliards de sicles. Enfin, il eut une ide: tant Dieu, c'est--dire tout-puissant, il jugea que
s'embter toujours sans rien faire serait le comble de la btise, et il rsolut de crer.
Il aurait pu tout crer d'un seul coup. Eh bien, non; mieux valait prendre son temps, lui se
mbla-t-il. Et il fit le ciel et la terre, ou, pour mieux dire, la matire apparut sous le simple
effort de sa volont; une matire informe, vide, confuse, encore tohu-bohu, et pleine
d'humide. Et le vent de Dieu courait sur les eaux (textuel); le lecteur n'est pas forc de
comprendre.
Afin de ne pas commettre de gaffes, il tait ncessaire, avant tout, de voir clair; d'o l'on est
en droit de conclure que, pendant les mille milliards de sicles prcdents, ce pauvre papa
Bon Dieu tait dans la plus complte obscurit.
Heureusement, il ne se cogna jamais le nez nulle part, puisqu'il n'y avait rien du tout.
Que la lumire soit! commanda l'ternel.
Et la lumire fut.
Quelle tait cette lumire? La Bible ne le dit pas; elle se borne nous apprendre ceci: Dieu
vit que la lumire tait bonne . Il en fut satisfait, par consquent. Son premier soin fut alors
de sparer la lumire d'avec les tnbres ; inutile encore de chercher comprendre. Et
Dieu nomma la lumire, Jour; et les tnbres, Nuit . Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin.
Tel fut le premier jour de la cration.
Aprs quoi, papa Bon Dieu s'occupa de crer... devinez quoi... l'tendue, ou, si vous aimez
mieux, l'espace. Pour peu qu'on veuille y rflchir, il est clair que l'espace existait de tout
temps, mme en supposant une poque o il n'tait meubl d'aucune toile, d'aucune plante.
Nanmoins, l'tendue fut cre aprs la lumire, quoique cre soit ici un terme impropre.
La Bible, trs embrouille dans son premier chapitre, nous a enseign, nous venons de le voir,
qu'au dbut de la cration Elohim fit le ciel et la terre en tohu-bohu, avec de la matire
informe et des masses d'eaux confuses sur lesquelles le vent de Dieu courait; et voici
comment le livre sacr explique cette seconde opration, la formation de l'tendue: Dieu
cra l'tendue et spara les eaux qui sont au-dessus de l'tendue d'avec celles qui sont au-
dessous de l'tendue; et ainsi fut. (Gense 1:7) Quelques commentateurs disent qu'il s'agit de
l'atmosphre. En tout cas, on lit au verset 8: Et Dieu nomma l'tendue, Cieux. Ainsi fut le
soir, ainsi fut le matin; ce fut le deuxime jour.
Quoi qu'il en soit, il ressort de ceci que l'Esprit-Saint conta l'auteur une superbe blague et
abusa de sa navet. Cette histoire d'eaux au-dessus et d'eaux au-dessous est la reproduction
d'une grosse erreur des peuples primitifs. En effet, tous les anciens croyaient que les cieux
taient quelque chose de solide, de ferme, d'o le nom de firmament , et mme on se
5

les imaginait en cristal, attendu que la lumire passait travers; et l'opinion tait qu'au-dessus
de cette plaque solide, de ce firmament, il y avait un immense rservoir d'eau. Aujourd'hui,
nous savons que la pluie est l'eau attire, pompe par le soleil, devenue vapeurs, nuages, et
retombant ensuite sur terre; mais autrefois on croyait que la pluie venait du grand rservoir
suprieur; on supposait des sortes de fentres s'ouvrant et se refermant la plaque du
firmament et produisant ainsi les pluies. Et cette opinion, qui maintenant nous fait rire, fut en
cours fort longtemps; c'est le sentiment d'Origne, de saint Augustin, de saint Cyrille, de saint
Ambroise et d'un nombre considrable de docteurs des premiers sicles du catholicisme. Le
fumiste Esprit-Saint se moquait d'eux.
Enfin, passons. Le troisime jour fut employ par papa Bon Dieu un travail dont les rsultats
sont plus apprciables que ceux des jours prcdents. Il abaissa ses regards sur les eaux de
l'au-dessous, et il se dit qu'il serait utile de les rassembler, de faon faire apparatre des
parties sches, c'est--dire des continents.
Alors, les eaux, trs obissantes sa volont, se runirent part, des profondeurs s'tant
creuses pour leur amas; par contre, des hauteurs se formrent, hrissant de montagnes la
surface de la matire solide, tandis que le liquide roulait en flots lents ou prcipits vers les
gouffres nouveaux. Et Dieu nomma le sec, Terre; il nomma aussi l'amas des eaux Mers. Et
Dieu vit que cela tait bon.
Il est remarquer que papa Bon Dieu tait, le plus souvent, content de sa besogne. Nom
d'une pipe! devait-il se dire, ce que j'ai t moule de ne pas avoir cr cela plus tt!
Ce jour-l, il fut tellement satisfait de ses continents et de ses mers, qu'il voulut faire encore
quelque chose avant la tombe de la nuit. Que la terre pousse son jet, dit-il, savoir, de
l'herbe portant semence, et des arbres fruitiers portant du fruit chacun selon son espce, qui
aient leur semence en eux-mmes sur la terre. Et ainsi fut. (1:11)
On ne saurait trop admirer cette dlicate attention du Crateur. Impossible d'tre plus plein de
prcautions que lui. En effet, on se demande ce que serait la terre, si Dieu l'avait plante
d'arbres fruitiers portant chacun des fruits autres que ceux de son espce. Remercions le
paternel Elohim de ne pas nous avoir donn des abricotiers produisant des oranges, des
orangers produisant des pommes, des pommiers produisant des groseilles, etc.; ce serait ne
plus s'y reconnatre. Ah! oui, remercions Dieu; quel bon papa prvoyant!...
La terre lui ayant obi et les abricotiers ayant pouss en portant des abricots, Dieu, encore une
fois, vit que cela tait bon. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le troisime jour .
Mais voici bien une autre histoire! Trois jours dj s'taient couls avec soir et matin, grce
la lumire cre ds le dbut: seulement, ce qui est bizarre, cette lumire qui disparaissait la
fin du jour pour faire place aux tnbres de la nuit, cette lumire illuminait le monde naissant,
sans avoir aucun foyer; pas plus de soleil qu'au fond d'une mine de houille. Cette cocasserie
mrite une citation textuelle de la Bible:
14. Puis, Dieu dit: Qu'il y ait des luminaires dans l'tendue des deux, pour sparer la nuit
d'avec le jour, et qui servent de signes, et pour les saisons, et pour les jours, et pour les
annes;
15. Et qui soient pour luminaires dans l'tendue des cieux, afin de luire sur la terre; et ainsi
fut.
16. Dieu donc fit deux grands luminaires: le plus grand luminaire, pour dominer sur le jour, et
le moindre, pour dominer sur la nuit; il fit aussi les toiles.
17. Et Dieu les mit dans l'tendue des cieux, pour luire sur la terre:
18. Et pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour sparer la lumire d'avec les tnbres; et
Dieu vit que cela tait bon.
19. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le quatrime jour.
Aucun quiproquo, n'est-ce pas? il s'agit bien du soleil et de la lune. Par consquent, d'aprs
l'Esprit-Saint, la cration du soleil a suivi de quatre jours la cration de la lumire! Or,
6

l'Esprit-Saint sait tout, videmment; sinon, il ne serait pas l'Esprit-Saint, mais un simple
imbcile. Chaque fois que la science fait une dcouverte, l'Esprit-Saint doit rire dans son bec
de pigeon et se murmurer en lui-mme: Moi, je sais a de toute ternit; ces pauvres pygmes
d'hommes se donnent grand mal pour savoir ce qui est!
Mais alors, pourquoi l'Esprit-Saint a-t-il dict Mose encore cette colossale btise, propos
de la lumire et du soleil?... Quel fumiste, dcidment!...
En effet, jusqu' Olas Rmer, astronome de Copenhague, qui vivait au dix-septime sicle
(1644-1710), on a cru que le soleil ne produit pas la lumire, mais que la lumire existe dans
l'espace et que le soleil ne sert qu' la pousser ; cette fausse conception physique a t une
erreur de Descartes lui-mme. C'est Rmer que la science doit la dmonstration de cette
importante vrit, directement contraire l'nonc de la Bible, c'est--dire: la lumire qui
claire notre monde mane du soleil et sa propagation n'est pas instantane. Le grand
astronome danois en arriva mme dterminer exactement la vitesse de la lumire solaire; il
tablit, et ceci est mille fois prouv aujourd'hui, que cette lumire met huit minutes dix-huit
secondes nous parvenir de l'astre qui en est le foyer, soit une vitesse de 308, 000 kilomtres
par seconde. On sait que Rmer fut amen cette grande dcouverte par l'observation des
clipses des satellites de Jupiter, plante faisant partie de notre systme solaire. Rmer tait
alors en France, et il s'empressa d'annoncer sa dcouverte l'Acadmie (Voir l'Histoire de
l'Acadmie, sance du 22 novembre 1675)
On peut dire encore, avec Voltaire: Si Dieu avait d'abord rpandu la lumire dans les airs
pour tre ensuite pousse par le soleil, et pour clairer le monde, elle ne pouvait tre pousse,
ni clairer, ni tre spare des tnbres, ni faire un jour du soir au matin, avant que le soleil
existt; cette thorie est contraire toute physique, et toute raison.
Mose, fort ignorant en astronomie, s'est donc laiss berner par l'Esprit-Saint; car le divin
pigeon savait, au temps o fut crite la Gense, ce que Rmer devait dcouvrir en 1675.
On remarquera aussi le peu d'importance qu'ont les toiles, dans la cration selon la Bible. Les
deux grands luminaires sont le soleil et la lune; la lune! qui n'est qu'un satellite de notre
plante terrestre! L'ignorante Gense est bien loin de se douter que lune; terre, et mme soleil,
sont fort peu de choses dans l'univers; que notre brillant soleil, astre central du monde que
nous habitons, est une modeste toile, une des innombrables toiles qui composent la voie
lacte. L'auteur sacr ne voit que la terre et rapporte tout la terre, infime plante qui, en
ralit, tourne autour d'une toile de septime grandeur; et cette toile-soleil, le pitre crivain
la fait dpendre, astronomiquement, de sa plante!
Ah! l'infortun Mose serait bahi, s'il ressuscitait de nos jours. Je m'imagine quelle tte il
ferait, si, venant s'instruire, en n'importe quel observatoire d'Europe ou d'Amrique, il
apprenait, par exemple, ce qu'est Sirius, toile de premire grandeur: Sirius, la plus belle et la
plus brillante des toiles du ciel, sur laquelle l'Esprit-Saint ngligea d'appeler son attention;
Sirius, dont la lumire met prs de vingt-deux ans nous arriver, sa distance la terre tant de
52,174,000 millions de lieues, soit 1,373,000 fois la distance du soleil la terre. Que dirait le
pauvre Mose, le jour o on lui rvlerait l'importance prodigieuse, dans l'univers, des autres
mondes solaires qu'il ne souponna mme pas?
Supposez le professeur enseignant simplement ceci Mose, d'aprs Humboldt: Quoique
placs une si grande distance, Sirius et notre soleil appartiennent la mme couche d'toiles,
isole dans les espaces clestes, une le d'toiles dans l'univers; et cette Ile de mondes et de
soleils, de forme aplatie, lenticulaire, a dans son grand axe huit cents fois la distance de Sirius
la terre; et, cependant, elle n'est qu'une petite couche, extrmement mince, si on la compare
aux grandes couches, paisses et profondes, et incomparablement plus riches en toiles et en
soleils, qui l'environnent. Mose, qui a bnvolement cru que la terre est le centre de
l'univers cr par Dieu, en deviendrait fou.
Revenons la cration selon la Bible:
7

20. Puis, Dieu dit: Que les eaux produisent en toute abondance des animaux qui se meuvent
et qui aient vie; et que les oiseaux volent sur la terre, vers l'tendue des cieux.
21. Dieu cra donc les grands poissons, et tous les animaux vivants et qui se meuvent, que les
eaux produisirent en toute abondance, selon leur espce, et tout oiseau ayant des ailes, selon
son espce; et Dieu vit que cela tait bon.
22. Et Dieu les bnit, disant: Croissez et multipliez, et remplissez les eaux dans les mers; et
que les oiseaux multiplient sur la terre.
23. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le cinquime jour.
24. Puis, Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espce; les animaux
domestiques, les reptiles et les btes de la terre, selon leur espce; et ainsi fut.
25. Dieu donc ft des btes de la terre selon leur espce, les animaux domestiques selon leur
espce, et les reptiles de la terre selon leur espce; et Dieu vit que cela tait bon.
Oui-d, tout cela tait bon, et matre Elohim, qui a des mains, les frottait avec satisfaction.
Mais il y avait encore mieux crer.
Pas un de ces animaux ne me ressemble, et c'est dommage! pensa-t-il. J'ai cependant une
belle tte, l'oreille fine, l'il vif, le nez spirituel, et de la dent! Je pourrais bien crer un miroir,
dans lequel je me contemplerais; mais il vaut mieux, je crois, me contempler en regardant
mon semblable... Allons, c'est dit; il faut absolument qu'il y ait sur terre un animal qui ait ma
tte.
Tandis que papa Bon Dieu se tenait ce raisonnement, il est prsumer que divers singes, de
cration rcente, vinrent cabrioler autour de lui.
Ils ont quelque chose de moi, dut-il se dire; mais enfin ce n'est pas a. La presque totalit
de ces espces est orne d'une queue, et je n'ai pas de queue. Quant ceux qui sont dpourvus
de cet appendice caudal... non, ce n'est pas a encore!...
Et les singes grimaaient et continuaient excuter leurs mirifiques cabrioles.
Alors, papa Bon Dieu prit un bloc de terre humide, et n le ptrit . Aprs cela, venez
donc soutenir que Dieu est un pur esprit et n'a pas de mains! La Bible dit aussi que Dieu,
ayant form l'homme, lui souffla dans les narines une respiration de vie . Voil donc le
premier homme ptri, puis anim grand renfort de postillons. C'est ainsi que l'homme fut
fait en me vivante .
Il est un passage, peu clair, du premier chapitre de la Gense, le verset 27, qui a donn croire
quelques commentateurs occultistes que, de prime abord, l'homme avait t cr
hermaphrodite, mais que Dieu s'tait ensuite ravis. En effet, ce n'est qu' la fin du second
chapitre qu'il est question de la cration de la femme; or, 25 versets plus haut, la Bible dit en
toutes lettres: Dieu donc cra l'homme son image; il le cra mle et femelle l'image de
Dieu. C'est ce verset, traduit littralement du texte hbreu, qui a donn naissance la
lgende du Dieu Andr ogyne, trs accrdite dans les diverses coles occultistes; et, d'autre
part, ce verset tant fort gnant, les traducteurs chrtiens ont toujours eu soin de l'altrer.
Nanmoins, on aurait tort d'attacher trop d'importance cette fantaisie biblique; bien d'autres
passages sont encore moins comprhensibles!
Voyons plutt ce qui est gnralement admis.
Ds la formation de l'homme, papa Bon Dieu le constitua roi de la cration. Il lui fit
immdiatement passer en revue tous les animaux. Car l'ternel Dieu avait form toutes les
btes de la terre et tous les oiseaux des cieux; puis, il les avait fait venir vers Adam, afin qu'il
vt comment il les nommerait, et que le nom qu'Adam donnerait tout animal vivant ft son
nom.
On se rend compte de ce dfil; c'est Buffon, sans doute, qui aurait bien voulu tre la place
d'Adam!
Tu rempliras la terre et l'assujettiras, avait-il t dit Adam; tu domineras sur les poissons
de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bte qui se meut sur la terre. En tant que
8

roi de la cration, l'homme n'a pas toujours le dessus, quand il a affaire un lion, un tigre,
un ours, un crocodile; voil ce qu'on peut rpondre. Et non seulement les btes froces nous
croquent; mais encore l'humanit est victime de mille insectes dsagrables, puces, punaises,
scorpions, sans parler des jsuites et autres cafards.
En outre, Dieu, qui avait cr les btes froces savourant le bifteck humain, ordonna
l'homme d'tre vgtarien. Voici: je t'ai donn toute herbe portant semence et qui est sur
toute la terre, et tout arbre qui a en soi du fruit d'arbre portant semence; ce qui te sera pour
nourriture.
Finalement, tout tant termin ou peu prs au soir du sixime jour, papa Bon Dieu,
heureux et de plus en plus satisfait de son ouvrage, et peut-tre lgrement fatigu, inventa la
sieste et donna l'homme l'exemple du repos en se reposant lui-mme, le septime jour,
comme un bon gros rentier qui prouve le besoin de ne plus rien faire.
Or, l'Eternel Dieu avait plant un jardin en Eden, du ct de l'Orient, et il y avait mis
l'homme qu'il avait form... Et un fleuve sortait d'Eden, pour arroser le jardin, et il se divisait
en quatre fleuves. Le nom du premier est Phison; c'est celui qui coule autour de tout le pays
d'Evilath, o l'on trouve de l'or; et l'or de ce pays est bon; c'est l aussi que se trouve le
bdellium et la pierre d'onyx. Le nom du second fleuve est Ghon; c'est celui qui coule autour
de tout le pays de Chus. Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays
des Assyriens. Et le quatrime fleuve est l'Euphrate. (Gense 2:8, 10-14)
En entrant dans ces dtails, l'auteur de la Gense a voulu donner une ide approximative de
l'emplacement du merveilleux Eden. Mais il aurait beaucoup mieux fait de ne rien dire; car il
est impossible de se faire prendre plus sottement en flagrant dlit de gasconnade.
En effet, tous les commentateurs s'accordent reconnatre que le Phison est le Phase, nomm
plus tard l'Araxe, fleuve de la Mingrlie, qui a sa source dans une des branches les plus
inaccessibles du Caucase, et, s'il y a dans cette rgion de l'or et de l'onyx, par contre personne
n'a jamais pu dcouvrir ce qu'il fallait entendre par bdellium. D'autre part, il ne saurait y avoir
aucune erreur au sujet des troisime et quatrime fleuves, le Tigre et l'Euphrate; d'o il rsulte
clairement que, d'aprs la Gense, l'emplacement du paradis terrestre aurait t situ en Asie,
dans la rgion du massif de l'Ararat, en Armnie, quoique (premire bvue de l'auteur sacr)
Araxe, Tigre et Euphrate, tout en ayant leurs sources relativement voisines, les ont
parfaitement distinctes. L'Araxe, loin d'tre driv d'un autre fleuve, sort du volcan Bingol-
Dagh, d'o il coule vers la mer Caspienne. Quant au Tigre et l'Euphrate, non seulement ils
ne proviennent pas d'un mme fleuve, mais au contraire ils se rejoignent Korna, pour former
le C hat-el-Arab et se jeter dans le golfe Persique.
Au su jet du deuxime fleuve, appel Ghon par la Gense, la bvue de l'auteur sacr est
fantastique. C'est, dit-il, le fleuve du pays de Chus. Or, d'aprs la version des Septante et
mme la Vulgate, la terre de Chus (fils de Cham et pre de Nemrod) n'est autre que l'Ethiopie;
par consquent, ce Ghon, c'est le Nil, qui coule, non pas en Asie, mais en Afrique, et
prcisment dans le sens oppos l'Araxe, au Tigre et l'Euphrate, la direction gnrale du
cours du grand fleuve africain tant du sud au nord. Si l'on place la source du Nil au Victoria-
Nyanza, ainsi qu'on l'admet pour ne pas remonter plus haut, il y a donc au minimum dix-huits
cents lieues de distance entre les sources des premier et deuxime fleuves mentionns par la
Gense comme arrosant le mme jardin d'Eden! Il est vrai que les deux autres n'ont leurs
sources qu' soixante lieues l'une de l'autre; ce qui est dj gentil pour un jardin. En outre, est-
ce un jardin que cet immense territoire hriss de pics des plus escarps, form d'une des
rgions les p lus impraticables du globe?...
Enfin, troisime bvue, et l'on pourrait appeler celle-ci: la bvue du bout de l'oreille.
Les prtres, on le sait, prtendent que l'uvre de Mose est le Pentateuque, c'est--dire les cinq
premiers livres de la Bible: la Gense, l'Exode, le Lvitique, les Nombres et le Deutronome.
Mais les savants ont eu l'impit de faire des recherches, et leur opinion gnrale est que ces
9

livres ont t fabriqus par Esdras, au retour de la captivit de Babylone, dans le courant du
cinquime sicle avant Jsus-Christ, tandis que Mose, en supposant qu'il ait exist et en
admettant un instant comme authentiques les dates qui le concernent, vivait mille ans
auparavant: naissance au pays de Gessen, en Egypte, en 1571 avant notre re, et m ort en
Arabie, sur le mont Nbo, en 1451.
Bossuet s'est indign des travaux de Hobbes, de Sp inoza et de Richard Simon contre
l'authenticit des uvre de Mose; dire que le vritable auteur du Pentateuque est Esdras,
c'est blasphmer, selon le fougueux vque: Que peut-on objecter, s'crie-t-il (Discours sur
l'Histoire universelle), une tradition de trois mille ans, soutenue par ses propres forces et par
la suite des choses? Rien de suivi, rien de positif, rien d'important!
N'en dplaise Bossuet, le verset 14 du chapitre 2 de la Gense, entre autres exemples, donne
une preuve clatante de la supercherie littraire et religieuse, et dmontre, net comme deux et
deux font quatre, que la dite Gense ne peut pas avoir t crite par Mose. C'est dans ce
Verset qu'il est dit: Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays des
Assyriens. a y est en toutes lettres. Quelques traducteurs ont remplac les quatre derniers
mots par: vers l'Orient d'Assyrie ; mais cela ne change rien. La question est celle-ci:
Mose, mort en 1451 avant Jsus-Christ, ne pouvait pas employer les expressions Assyrie,
Assyriens, par la bonne raison que l'empire assyrien, qui s'tendait la fois sur Ninive et
Babylone et qui dura jusqu'au huitime sicle avant notre re, commena exister vers 1300,
tout au plus. Les tmoignages d'Hrodote et du chalden Brose sont d'accord sur ce point et
ont t confirms par les monuments.
Les importantes dcouvertes accomplies depuis le commencement de notre sicle dans
l'histoire des peuples de l'ancien Orient, avec l'aide des inscriptions en caractres
hiroglyphiques et cuniformes, ne permettent plus aujourd'hui, mme dans les livres les plus
lmentaires, de rditer les neries bibliques au sujet de cette premire partie des annales du
genre humain. Les rsultats obtenus par les Champollion, les de Roug, les de Saulcy, les
Mariette, les Oppert, les Rawlinson, les Lepsius, les Brugsch, etc., clairent l'histoire ancienne
d'une lumire autrement certaine que les traditions colliges par le fumiste Esdras.
Il est tabli que le fondateur de l'empire assyrien fut un prince nomm sur les monuments Ni
nippaloukin, lequel vivait cent cinquante ans aprs Mose. D'autre part, la rgion qui fut
appele Assyrie tait dsigne, du temps de Mose, sous le nom d'empire des Rotennou, ainsi
que cela rsulte des monuments gyptiens, mentionns par Oppert et autres savants; nous
voyons, en effet, dans diverses inscriptions gyptiennes, que les rois de la dix-huitime
dynastie d'Egypte, contemporains de Mose, portrent leurs armes en Babylonie et se firent
payer des tributs par les Rotennou, qui dominaient dans la Msopotamie, au pays mme du
Tigre et de l'Euphrate. Si Mose tait le vritable auteur de la Gense, il aurait donc crit: le
Tigre, fleuve qui coule au pays des Rotennou.
Il est vrai que les tonsurs pourront toujours nous rpondre: Le vritable auteur de la
Gense n'est pas plus Esdras que Mose; c'est l'Esprit-Saint! Par consquent, la Bible
mentionnerait-elle mme Saint-Ptersbourg et New-York, cela ne devrait pas nous paratre
illogique et ne saurait aucunement nous surprendre.
Inclinons-nous donc, et reprenons la suite du sacr rcit, avec un joyeux rire; car cette
difiante Gense ne manque vraiment pas de gat.
Si le lecteur le veut bien, nous allons nous reporter par la pense ce merveilleux jardin
d'Eden, o quatre grands fleuves provenant d'une seule fontaine roulent leurs eaux. Il nous
semble voir Adam, se promenant dans sa proprit et se livrant aux douceurs du far-niente.
Voici quel pourrait tre son monologue:
Je suis l'homme, et j'ai pour nom Adam; ce qui veut dire, parat-il, terre rouge ,
attendu que j'ai t fabriqu avec de l'argile, comme une vulgaire poterie... Quel est mon
ge?... Je suis n il y a cinq jours; mais, selon un vieux proverbe, on a l'ge que l'on parat. Et
10

voil pourquoi je puis dire qu'en ralit je suis n l'ge de vingt-huit ans, avec toutes mes
dents... Non; pas avec toutes mes dents... Il me manque encore les dents de sagesse...
Trs bien constitu, hein?... Dame! comment pourrais-je ne pas tre un bel individu, puisque,
sauf l'ge et la barbe, je suis la fidle copie du seigneur Jhovah, l' tre le plus patamment
chic qui existe dans l'univers?... Voyez-moi cette sant, ces bras robustes, ces jarrets d'acier,
des nerfs en revendre, et, avec a, le teint frais... Pas le moindre rhumatisme... Je dis zut aux
maladies... Je n'ai mme pas craindre la petite vrol e; papa Bon Dieu m'a fabriqu tout
vaccin... Aussi, ce que je me gobe!... et je n'ai pas tort...
Je me la coule douce, en ce sjour charmant... pas de concierge... aucun domestique, mme...
Voil une vie heureuse!... Je vais, je viens, je cuei lle des fruits, tous succulents, et je m'en
empiffre ma fichue fantaisie, bravant sans danger la diarrhe... Je n'prouve aucune fatigue,
si longues que soient mes promenades, quand je me couche sur l'herbe, c'est pour mon
agrment...
L'autre jour, l'aimable seigneur Jhovah m'a offert une distraction, dont je garderai toute ma
vie le joyeux souvenir Tous les animaux de la cration ont pass devant moi: Le nom que
tu donneras chaque animal vivant sera son nom , m'a dit le vieux Pre Eternel... Comme
attention, c'tait gentil, a!...
C'est inou, ce qu'il en a dfil, des animaux!... Je n'aurais jamais cru qu'il y et tant d'tres
vivants... Je n'ai pas t embarrass pour leur faire ma distribution de noms; car la langue que
je parle sans difficult, et sans tre jamais all l'cole, est une langue d'une richesse
extraordinaire, d'une abondance de termes dont il est impossible de se faire une ide... Ainsi,
sans avoir besoin de chercher, je connaissais instantanment tout ce qui est propre chaque
animal, rien qu'en le regardant, et par un seul mot j'exprimais toutes les proprits de chaque
espce, de sorte que chaque nom donn par moi est en mme temps une dfinition complte et
parfaite... Prenons, par exemple, l'animal qu'on appellera plus tard equus en latin, cheval en
franais, horse en anglais, etc. Eh bien, je lui ai colloqu un nom qui exprime ce quadrupde
avec ses crins, sa queue, son encolure, sa vitesse, sa force... Et l'oiseau que, dans les sicles
futurs, on appellera bulbo en latin, hibou en franais, owl en anglais, etc., tous ces noms
venir ne vaudront pas celui que j'ai imagin et qui caractrise le nocturne rapace, avec ses
deux aigrettes mobiles sur le front, son bec court et crochu, sa grosse tte aux grands yeux
ronds entours d'un cercle complet de plumes roides, ses pattes toutes garnies de plumes
jusqu'aux ongles, ainsi que ses murs farouches et sauvages, son cri monotone et lugubre, son
horreur de la lumire... Et ainsi de suite, pour tous les animaux vivants... Ah! elle est sans
pareille, la langue que je parle, et comme il est triste de penser qu'un jour elle sera entirement
et jamais perdue!... Cette pense est mon seul chagrin... Repoussons-la bien vite, et n'ayons
nul souci.
Oh! cette revue gnrale de tous les animaux vivants, voil ce qui a t superbe... Encore,
superbe ne dit pas tout; car nous avons eu une partie drlatique dans le programme de la fte:
'a t l'arrive des poissons... Pensez donc! ce jardin est en plein continent, pas de rivages
marins, rien que des fleuves, c'est--dire de l'eau douce... Alors, vous voyez la grimace que
faisaient les poissons de mer, en remontant le Tigr et l'Euphrate pour venir auprs de moi; ils
n'taient plus dans leur eau sale habituelle, et a les embtait !... Vrai, c'tait se tordre... Et
les gros ctacs, c'est ceux-l qui taient gns!... Heureusement, pour ce jour-l et titre
exceptionnel, papa Bon Dieu a largi les fleuves de mon jardin; sans quoi les diverses espces
de baleines n'auraient jamais pu passer... Sitt que je leur avais donn leur nom, il fallait les
voir repiquer en arrire et se prcipiter, grands coups de nageoires, pour regagner le plus
vivement possible leur Ocan... J'en ris encore!...
Peut-tre y aura-t-il des gens qui ne croiront pas cette histoire... Les impies nieront que des
phoques du ple Nord aient pu venir jusqu'en Armnie, dans les eaux suprieures du Tigre et
de l'Euphrate, et cela en un seul jour de voyage, descendant tout l'Atlantique et faisant le tour
11

complet de l'Afrique; ils diront que ces intressants mammifres marins, htes de l'ocan
Glacial, n'ont pu changer d'lment sans en mourir... Eh! qu'importe la critique!... Ma parole
d'honneur, j'ai vu ici, en ce jardin d'Eden, dans cette circonstance, phoques et baleines, et
j'ajoute que les phoques, tout contents d'avoir reu de moi un nom, m'ont remerci en disant
papa! maman!...
Les esprits pointilleux objecteront: Et les poissons des lacs, par o sont-ils venus?... Veut-
on faire allusion au lavaret, ce dlicieux poisson du lac du Bourget, dont les habitants d'Aix-
les-Bains parlent comme d'une gloire?... Et la fra, qui vit exclusivement dans le lac Lman,
qui meurt aussitt qu'elle est mise dans une autre eau, mme douce, qui ne peut seulement pas
vivre dans le Rhne, en de ou sn del du Lman?... Qu'on le sache donc: le lavaret et la fra
ont eu une permission spciale de Dieu; ces deux poissons lacustres sont venus, par voie
arienne, me rendre visite l'Eden... Et voil! anathme aux mcrants, qui ne se contenteront
pas de cette explication!...
Et puis, palsambleu! je suis bien bon de discuter ces choses... Tant pis pour qui ne me croira
pas, quand j'affirme que j'ai vu tous les animaux vivants, vertbrs, annels, mollusques, et
zoophytes!... Il n'est pas un seul insecte qui je n'ai donn un nom... Mais celui qui m'a le
plus stupfi, c'est un grand ver blanc, long, plat, qui est sorti tout doucement de moi-mme,
un vilain ver que les naturalistes futurs appelleront tnia ou ver solitaire de l'homme, et qui ne
ressemble pas au tnia des porcs ni au tnia des moutons; ce grand diable de ver humain, ds
sa sortie, m'a fait une profonde rvrence; je lui ai donn un nom; aprs quoi, il s'est refaufil
chez moi par mon anus et a repris domicile en mon individu... Si j'en parle, c'est pour ne rien
omettre; car je ne me savais pas habit. A part a, mon locataire ne m'incommode en aucune
faon... Rien ne trouble cette vie de cocagne que je mne depuis cinq jours...
Adam se mire dans l'onde limpide de la fontaine, source des quatre grands fleuves; puis,
avisant une pelouse, il s'y tale mollement.
Ah! qu'il fait bon vivre ainsi! murmure-t-il.
Mais voil qu'il bille... il s'tire... une langueur inconnue s'empare graduellement de lui...
Voil du nouveau, par exemple!... Il ne ressent pourtant aucune fatigue... Qu'est-ce que cela
signifie?...
Il n'y comprend rien. Il subit la mystrieuse influence, irrsistible. Ses paupires se ferment.
Adam dort. C'est le premier sommeil de l'homme.
Or, tandis qu'Adam ronfle comme une toupie d'Allemagne, papa Bon Dieu descend sur terre.
D'abord, il arrte assez longuement ses regards sur le dormeur.
Tout de mme, je travaille bien, quand je m'y mets! fait-il avec satisfaction. Le gaillard est
rudement bti; on jurerait que c'est moi... quand j'avais quelques milliards de sicles de moins.
Se baissant, il lui pince le gras du mollet. A celte divine factie, Adam rpond par un
ronflement plus sonore encore que les prcdents.
Parfait! continue matre Elohim; je n'aurai pas besoin d'insensibilisateur pour assurer le
succs de mes talents de chirurgien... Je vois que le sommeil que j'ai envoy mon jeune
Adam chri tait des mieux conditionns; on tirerait le canon auprs de lui, qu'il ne se
rveillerait pas... Maintenant, il s'agit de me mettre l'uvre; car je suis venu ici pour une
opration de premier ordre... Pendant que personne ne m'entend, je puis bien faire un aveu: je
me suis aperu ce matin qu'il y a des moments o je suis quelque peu godiche. Ainsi, o
avais-je la tte, quand j'ai cr l'homme sans compagne?... J'ai donn chaque animal une
femelle; du moins, il n'y a que peu d'exceptions cette rgle. Le ver solitaire, je l'ai cr
hermaphrodite, et a se comprend, puisque, s'il allait par couple dans les intestins o il
demeure, ce ne serait plus un ver solitaire... Mais l'homme n'est pas un tnia, nom d'une
pipe!...
Il faut donc que je lui fabrique une compagne, et j'ai dcid de la lui faire avec sa chair...
12

Papa Bon Dieu tourna un moment autour d'Adam; il le ttait, tout en mettant haute voix ses
rflexions.
J'ai consult le Pigeon ce sujet, continua-t-il, et j'ai bien fait, car il est plus malin que
moi... Ma premire ide avait t de couper un cor au cher Adam et d'en ptrir une petite
femme... Le Pigeon ne m'a pas approuv; il a pens qu'un cor serait trop vulgaire et que les
impies pourraient y trouver prtexte pour dire que la femme est de basse extraction... La
conclusion est que c'est avec une cte que je vais fabriquer la seconde crature humaine...
Allons! c'est le moment, c'est l'instant; soyons prompt et adroit comme un dentiste qui en est
sa vingt millime opration.
Et, ce disant, papa Bon Dieu arracha Adam une de ses ctes, et il resserra la chair la
place. (2:21) Et l'Eternel Dieu construisit en femme la cte qu'il avait te Adam.
(2:22)
J'entends le cri de l'homme, se rveillant en sursaut:
Ae! ae!... Oh! l l!... On vient de m'enlever un de mes biftecks!
Et sa surprise en voyant la jolie poupe vivante:
Qu qu'c'est qu'a?
a? c'est ta femme, et je te la prsente, rpond Jhovah... Ose dire que je ne te fais point l
un agrable cadeau!...
Le fait est qu'elle est gentille...
On en mangerait... Veinard, va!... Et pas de belle-mre !... Tu peux te vanter d'avoir toutes
les chances, mon garon.
La Bible raconte qu'Adam s'cria: Cette fois, celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma
chair. On la nommera hommesse, car elle a t prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme
laissera son pre et sa mre, et il se joindra sa femme, et ils seront ainsi une mme chair.
(2:23-24)
Inutile de commenter cette exclamation d'Adam, nouveau mari. Ah! qu'en termes galants ces
choses-l sont mises?...
Pour ce qui est de la cte enleve, il est bon de rappeler que, selon l'avis de saint Augustin,
Dieu ne la rendit point Adam. Par consquent, Adam vcut ainsi avec une cte de moins.
C'tait apparemment une de ses fausses ctes, a fait remarquer Voltaire; car le manque d'une
des ctes principales et t trop dangereux.
La Gense nous dit encore (2:25): Or, Adam et sa femme taient tous deux nus, et ils n'en
avaient point de honte. Les pieux commentateurs affirment que cette nudit sans nulle honte
est une preuve de l'innocence de nos premiers parents; s'ils taient toujours demeurs dans
cette pense qu'il n'y a aucune impudicit se promener tout nu, c'et t la marque d'une
persvrante perfection. En vertu de ce raisonnement biblique, on pourrait donc estimer
comme vivant dans l'tat de perfection les peuplades sauvages qui ne portent aucun vtement,
et il y en a encore: nanmoins, lors de la dcouverte de l'Amrique, les fanatiques catholiques
espagnols massacrrent en masse des peuplades indignes qui vivaient en belle innocence, et
les prtres bnissaient les massacreurs. D'autre part, on a remarqu que c'est le froid qui fit
inventer les habits; car les peuples nus sont ceux qui vivent dans les rgions les plus chaudes.
En outre, quand tout le monde est nu, personne n'a honte de l'tre: on ne rougit que par vanit;
on craint de montrer une difformit que les autres n'ont pas.
Arrivons la grande affaire, l'tonnante aventure qui mit fin, hlas! au bonheur d'Adam et
de son pouse.
L'Eternel Dieu avait fait germer de la terre tout arbre dsirable la vue et portant fruit bon
manger; et il avait mis l'arbre de vie au milieu du jardin d'Eden, et l'arbre de la science du bien
et du mal. (2:9)
L'Eternel Dieu avait parl l'homme avec commandement, lui disant: Tu mangeras
librement de tout arbre du jardin. Toutefois, pour ce qui est de l'arbre de la science du bien et
13

du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que lu en auras mang, tu mourras de mort
trs certainement. (2:16-17)
Il est bon de faire observer d'abord que, sous prtexte de rsumer la Bible, les prtres ont
rdig l'usage des fidles certains petits manuels portant le titre Histoire Sainte, dans
lesquels ils ont soin de passer sous silence les passages de la divine Ecriture qui les gnent
trop. Ainsi, en gnral, on ne parle aux fidles que du fameux arbre de la science du bien et du
mal; nous verrons tout l'heure pourquoi les prtres ne soufflent mot de l'arbre de vie,
parfaitement distinct de l'autre arbr e; nous reproduirons le verset 22 du chapitre 3, qui est
toujours omis dans les livres donns aux na fs dvots.
Pour l'instant, occupons-nous seulement de l'arbre dont le fruit causa la chute de l'homme.
Rappelons que l'empereur Julien le Philosophe, dont la mmoire est si excre par les gens
d'glise, se livra, au sujet de ce merveilleux arbre, quelques remarques pleines de bon sens.
Il nous semble, crivit-il, que le seigneur Dieu aurait d au contraire ordonner l'homme, sa
crature, de manger beaucoup de cet arbre de la science du bien et du mal; que non seulement
Dieu lui avait donn une tte pensante qu'il fallait ncessairement instruire, mais qu'il tait
encore plus indispensable de lui faire connatre le bien et le mal, pour qu'il remplt ses
devoirs; que la dfense tait tyrannique et absurde; que c'tait cent fois pis que si on lui avait
fait un estomac pour l'empcher de manger.
Une autre rflexion que l'on ne peut s'empcher de se faire, c'est que le point de dpart de
l'historiette prouve que le seigneur Jhovah avait une arrire-pense et qu'il tait bien aise que
l'homme pcht. En somme, Adam aurait t en droit de lui dire:
Mon petit pre Elohim, si je ne me trompe, le bien est ce qui est moralement bon, ce qui
vous plat, et le mal, par contre, est ce qui est mauvais, ce qui vous dplat... Est-ce bien cela?
Parfaitement, mon fiston, aurait rpondu le Crateur.
Par consquent, aurait continu Adam, laissez-moi apprendre en quoi consiste le mal, af in
que je l'vite; ou bien pourquoi avoir mis ici cet arbre, s'il ne faut pas que j'y touche?...
Ce sont les curs qui se chargent de la rplique, au lieu et place de leur drle de Bon Dieu.
Dieu, disent-ils, imposait une preuve l'humanit naissante; il voulait voir si Adam lui
obirait, alors qu'il ne lui demandait qu'une seule et trs petite privation.
Mais il est facile de rpliquer la rplique. D'aprs les curs eux-mmes, Dieu connat
l'avenir: il avait donc prvu ce qui allait arriver; et, comme rien ne se fait sans sa volont, il
savait parfaitement que l'homme mangerait du fruit de l'arbre en question. Il voulait donc la
chute de nos premiers parents, cela ne fait aucun doute.

D'ailleurs, toute la suite de l'histoire se retourne contre le seigneur Jhovah.
Voyons comment les choses se passrent, selon le chapitre 3 de la Gense:
1. Or, le serpent tait le plus rus de tous les animaux de la terre que l'ternel Dieu avait
faits; et il dit la femme: Quoi! Dieu aurait-il dit; Vous ne mangerez point de tout arbre du
jardin?
2. Et la femme rpondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin;
3. Mais, quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez
point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.
4. Alors, le serpent dit la femme: Vous ne mourrez nullement;
5. Mais Dieu sait qu'au jour que vous en mangerez vos yeux seront ouverts, et vous serez
comme les dieux, connaissant le bien et le mal.
6. La femme donc vit que le fruit de cet arbre tait bon manger et d'un aspect agrable, et
que cet arbre tait dsirable pour donn er de la science; et elle en prit du fruit et en mangea; et
elle en donna aussi son mari, l'entranant avec elle; et il en mangea.
Ce qui frappe tout d'abord, dans ce rcit, c'est que le discours du serpent, sa conversation avec
la femme, le fait mme de parler, de s'exprimer dans la m me langue que nos premiers
14

parents, n'est pas donn par l'auteur sacr comme une chose surnaturelle, miraculeuse, ni
comme une allgorie. C'est bien le serpent lui-mme que la Gense prsente; c'est ce reptile,
jouant un rle d'animal plein de malice et d'astuce, qui se fait le tentateur de la femme, avec
une facilit d'locution que lui envierait un perroquet.
Le serpent a t si personnellement mis en scne, que, depuis lors, les curs, trouvant
invraisemblable l'pisode racont ainsi, ont jug ncessaire d'y faire une correction qui change
tout, mais qui est en contradiction avec le texte tout entier de ce chapitre de la Bible. Selon les
correcteurs, aussi roublards que pieux, c'est le diable qui aurait pris la forme du serpent et qui
aurait, au moyen de ce subterfuge, tent Madame Adam; telle est la faon dont les pr tres ont
arrang la chose, tel est leur enseignement d'aujourd'hui.
Cet arrangement est une vritable falsification de la Gense. En premier lieu, pas un mot du
texte sacr ne prte une telle interprtation. En second lieu, parmi les divers auteurs des
livres qui composent la Bible, il y en a deux en tout qui ont mentionn le diable: l'auteur du
livre de Job, d'aprs lequel le diable discute un beau jour avec Dieu, dans le ciel: et l'auteur du
livre de Tobie, qui cite un certain dmon Asmode, amoureux d'une nomme Sara, dont il
trangle successivement sept maris. Or, ces deux livres viennent tout--fait la fin de la
Bible, et, pas plus dans ceux-ci que dans les autres, il n'est question du Lucifer-Satan que les
catholiques font intervenir tout propos, pour pimenter l'intrt de leurs lgendes. Nulle part,
on ne trouve cette aventure, pourtant si connue, de Lucifer se rvoltant contre Dieu et vaincu
par l'archange Michel. Cela, comme tout ce qui a rapport au diable, a t invent aprs coup,
non seulement longtemps aprs Mose, mais mme postrieurement Esdras.
D'autre part, certains joyeux commentateurs, en ralit philosophes sceptiques, se sont amuss
transformer en pommier, d'un symbolisme quelque peu grivois, le fameux arbre de la
science du bien et du mal; et ils ont suppos que cet pisode signifie, mots couverts, que
Madame Adam, ignorant l'amour, en reut la premire leon d'un diable sducteur,
mtamorphose en serpent pour la circonstance...
Mais tout en riant de cette plaisanterie, qui est une interprtation en valant bien une autre, il
faut la mettre dans le mme panier que la falsification de texte imagine par les curs. Nous
devons prendre la Bible telle qu'elle est, quand nous voulons l'examiner srieusement: ainsi,
dans l'historiette dont nous nous occupons en ce moment, c'est bien l'animal d it serpent qui
est en cause, et non un diable quelconque, les Juifs n'ayant pas de diables dans leur
mythologie avant l'poque o furent crits les livres de Job et de Tobie; et quant aux sous-
entendus amoureux, prts gratuitement au serpent testateur, il est vident qu'il est impossible
de les dcouvrir dans le texte de la Gense, quand on l'a sous les yeux.
C'est vraiment le serpent seul, personnellement, qui est en cause; car l'auteur sacr voit cet
animal avec les yeux de tous ses contemporains des diverses religions. Le serpent, dans
l'antiquit, passait en effet, pour tre un animal trs rus, trs intelligent et rempli de malice.
Plusieurs peuples africains l'adoraient. D'un autre ct, le cas de ce serpent qui parle, cas dont
la Gense ne fait pas un miracle, est commun la littrature orientale; toutes les mythologies
closes en Asie sont pleines d'animaux parlants; chez les Chaldens, le poisson Oanns sortait
chaque jour sa tte hors des eaux de l'Euphrate, et, pendant des heures entires, il prchait le
peuple accouru sur les rives, donnant de bons conseils, enseignant tout la fois la posie et
l'agriculture. Ces temps o les animaux avaient la parole sont bien lointains; mais aucune
religion d'Orient n'en eut le monopole. Donc, le serpent biblique parla, sans avoir besoin d'tre
habit par un diablotin.
D'ailleurs, en cette circonstance, le serpent fut moins rus qu'il ne parat. Les blagues de
l'Ecriture Sainte sont d'une navet extraordinaire et crvent de contradictions. Ainsi, l'on a
demand ce que le serpent entendait dire par: Vous serez comme les dieux. Cette
expression, qui affirme la pluralit des dieux, ne se trouve pas dans ce seul passage de la
Gense; nous verrons plus loin que le seigneur Jhovah, parlant lui-mme, ne se considre pas
15

comme le seul Dieu. Les commentateurs catholiques, embarrasss par cette phrase du serpent,
ont prtendu que par les dieux, le reptile aura voulu dire les anges. On leur a rpondu qu'un
serpent ne pouvait connatre les anges; mais, par la mme raison, il ne pouvait connatre les
dieux. Navet, contradiction, galimatias; voil bien la Bible.
Non, pas si rus que a, ce serpent!... Ses conseils taient forts incomplets. Un serpent
vraiment malin aurait dit la femme: Mange du fruit dfendu, d'abord, et ensuite aussitt
aprs, ne manque pas de manger du fruit de l'arbre de vie, qui, d'ailleurs, t'est permis.
Et Jhovah, ne fut-il pas la cause premire do la tentation? Pourquoi avait-il donn la parole
au serpent? Sans ce don, celui-ci n'et jamais pu se faire comprendre de la femme.
La Bible ne nous fait pas connatre la conversation au cours de laquelle Madame Adam dcida
son mari manger avec elle du fruit dfendu. Heureusement, il est facile de combler cette
lacune de l'auteur sacr.
Nous voyons la premire femme, dont la curiosit a t pique par le serpent, s'approcher de
l'arbre de la science qui est au milieu du jardin, auprs de l'arbre de vie. Elle le considre
longuement, non sans avoir quelques hsitations.
Il n'est pas joli, joli, dit-elle, ce serpent qui vient de me parler tout l'heure; mais il est, ma
foi, trs distingu de manires, et il a un langage charmant... Le conseil qu'il m'a donn me
semble bon suivre; car, vraiment, c'est fort ennuyeux de ne rien savoir... Nous sommes,
Adam et moi, comme des dindes, et nous pourrions tre comme des dieux !... Et puis, il est
tentant, ce fruit... Il n'en est pas de plus beau dans tout le verger... Cependant, si le serpent
m'avait cont une craque, voil qui ne serait pas gai!... La vie est si agrable!... Croquer ce
fruit, j'en ai grande envie; mais si le rsultat de ma gourmandise doit tre de mourir?... Pas
amusant du tout, a...
Elle tourne autour de l'arbre; le serpent, cach derrire un buisson, suit de loin tous ses
mouvements.
Non, il n'est pas possible que nous mourions pour si peu de chose... C'est le pre Jhovah
qui nous a mont un bateau!... D'abord, en y rflchissant, je lui trouve l'air ficelle, ce vieux
barbon... tandis que le serpent... la bonne heure... sa petite tte, mignonne, a je ne sais quelle
expression bon enfant, avec des yeux ptillants d'esprit... Ensuite, c'est d'une logique
frappante, ce qu'il m'a dit... Le pre Jhovah a tout intrt ce que nous demeurions ignorants
des belles choses qui sont le privilge des dieux... Sa menace, ce doit tre pour nous ficher le
trac, voil... Il ne veut pas que nous sachions et tout-ci et tout-a... O h! les vieux! ils sont tous
les mmes... des roublards... des conteurs de btises... Faut pas s'y fier...
Elle tire un des bancs du jardin auprs de l'arbre, y monte, et cueille un des fruits. Mettons
que c'est une pomme, puisque la Bible n'est pas explicite sur ce point et que d'ailleurs il
importe peu d'appeler ce fruit ainsi ou autrement. Elle contemple la pomme, en se passant
la langue sur les lvres. Le serpent, qui a tout vu, se dresse sur sa queue, derrire Je buisson,
et pique un joyeux quadrille. Madame Adam approche la pomme de sa bouche. Au fait,
comment a se mange-t-il, ce fruit?... Dois-je le peler ou y mordre mme?... Baste! d'une
manire ou d'une autre, a doit tre bon... Elle hsite encore un peu.
Savoir tout ou ne rien savoir, quelle alternative !... Quand nous jouons cache-cache,
Adam et moi, est-ce bien ou est-ce mal?... Cruelle nigme!... Faut-il tondre nos moutons pour
faire bien? ou commet-on le mal en ne pas leur laissant la laine sur le dos?... C'est y perdre
la tte... Et Adam, qui se fourre tout moment les doigts dans le nez, c'est-y bien ou c'est-y
mal?... Vrai de vrai, ce n'est pas vivre qu'ignorer ces choses-l!...
Se dcidant net, elle donne un nergique coup de dent dans la pomme.
Sapristi! que c'est bon!...
Nouveau coup de dent, plus nergique encore.
Nom d'ed l! que c'est bon!... Quel got dlicieux!... Ah! le vieux filou, qui m'avait
dfendu ce nanan!...
16

Elle se couche sur le banc, s'y allonge et semble n'en savourer que mieux le fruit.
Adam, arrivant, causant tout seul: Pour passer le temps, je viens de pcher une friture dans
le Tigre... mais, comme je suis vgtarien, j'ai flanqu, sitt pche, ma friture dans
l'Euphrate...
Il aperoit son pouse.
Hein! l'hommesse, qu'est-ce que tu grignotes l?
Madame Adam, se mettant d'un bond sur son sant:
Oh! ne me gronde pas!... C'est un fruit... de l'arbre... tu sais bien... de l'un des deux arbres du
milieu du jardin...
Je le vo is, fichtre!... C'est prcisment le fruit de l'arbre auquel il nous est interdit de
toucher... Ah a! es-tu folle, ma petite femme?... Eh bien, et l'avertissement de l'autre?...
Le pre Jhovah?... l'empcheur de danser en rond?... Parlons-en, ah! oui!... Il s'est pay
notre tte dans les grands prix, le vieux singe!...
Qu'est-ce que tu me chantes l?...
Sa menace de mort... tu te rappelles, n'est-ce pas?..
Pour sr!... J'en ai froid dans le dos.
Oh! la la! mon il!... Sa menace, mon cher, c'tait un truc...
Voyons, tu bats Jeannot, tu perds la boule?...
Un truc, que je te dis... A preuve, c'est que je sais dj des tas de choses, depuis que j'ai
mordu la pomme...
Tu sais ce qui est bien et ce qui est mal?... Tu sais ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas
faire?... Tu sais le commentt le pourquoi de tout et de tout....
Oui, a commence, mon petit chien-vert... Tiens, je sais dj combien il faut mettre de
grains de sel dans un uf.
Pas possible!
Je sais pourquoi les coqs ferment les yeux en chantant...
Tu m'pates!... Et pourquoi les grenouilles n'ont pas de queue, le sais-tu?
Je viens de l'apprendre l'instant mme...
Dis-le, pour m'instruire...
C'est parce que a les gnerait pour s'asseoir.
Ah! bah!... Tu me renverses...
Plus fort que a... Eli bien, je sais, je suis sre, tu entends bien, je suis sre que tu es un
petit homme sage comme une image et que tu ne m'as pas fait une seule infidlit...
Adam est ahuri.
Mille ptards! elle en a tout--coup, de la science, ma femme!... C'est vrai, tout de mme,
que je ne lui ai jamais fait une infidlit... Saprelotte de saprelotte! c'est prodigieu x!... fit si je
te faisais une infidlit, a serait-il mal en a serait-il bien?...
a serait mal, monsieur!... trs mal!...
Elle l'attire auprs d'elle, sur le bi du bout du banc.
Au surplus, Adam de mon cur, il ne tient qu' toi de devenir instruit comme moi, aussi
vite et si peu de frais... Mords la pomme...
Elle lui tend la pomme.
a me fait envie, moi aussi, ma petite femme bienaime; mais quoi a nous servira-t-il,
d'tre savants comme des acadmiciens, si nous en mourons ds aujourd'hui... Car enfin, il
faut se faire un raisonnement: mourir dans mille ans, la rigueur, a me serait gal; mais
casser ma pipe aujourd'hui mme, non, a serait bte comme tout...
Madame Adam hausse les paules.
Tu n'as pas l'air d'y croire, ma mignonne... Mais moi, je sais bien ce qu'il m'a dit, le vieux
papa Bon Dieu; c'est moi-mme qu'il a parl, et je t'assure qu'il a t catgorique...
17

Permets que je te rpte textuellement ses paroles: Pour ce qui est de l'arbre de la science du
bien et du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que tu en auras mang, tu mourras
de mort trs certainement ... Il n'y a pas barguigner, tu vois; je tiens ma peau, moi, si tu
ne tiens pas la tienne...
Adam, Adam, lu me fais rire... Est-ce que je suis morte. dis?
Non, t'es bien vivante... Seulement, la journe n'est pas finie; gare la bombe !..
Oh! que les hommes sont ttus!... Tu peux te vanter d'en avoir, de l'obstination, mon
cher!... C'est insens, ce que tu mets de temps comprendre que le vieux rasoir s'est fichu de
nous... Tiens, tu viens de citer les acadmiciens...
Qui; et aprs?
Les acadmiciens... so nt-ils des puits de science, ceux-l?
Evidemment.
Eh bien, c'est parce qu'ils sont des puits de science que les acadmiciens sont des
immortels...
Adam est troubl par l'argument. Son pouse se fait cline.
Enfin, ne serait-ce que pour me faire plaisir, mords la pomme, mon petit homme chri...
Quand tu en auras got aprs moi, nous serons tous deux comme les dieux...
Gomme les dieux?...
Ne cherche pas comprendre... C'est le serpent qui l'a dit...
Adam, rsolu: Du moment que c'est le serpent qui l'a dit!... Donne, donne la pomme...
Il croque la pomme avec avidit.
Deux minutes se passent dans le silence; on entendrait voler un panamiste. Tout--coup,
Adam pousse un cri; c'est la science qui lui arrive.
Ventre-saint-gris! s'crie-t-il, nous sommes nus comme des vers!... C'est du propre!...
Nombril du pape! fait la femme son tour, je n'ai mme pas de jarretires!... C'est
indcent!...
Et nous qui devons aller ce soir au bal des orangs-outangs!... Impossible de nous prsenter
dans le monde, avec une tenue aussi nglige!...
Vite, vite, il faut nous vtir!...
Et les yeux de tous deux s'ouvrirent; et, connaissant qu'ils taient nus, ils cousirent ensemble
des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. (3:7)
Notez bien que le premier costume humain ne fut pas de feuilles de vigne; la gloire de
l'invention de la vigne tait rserve au patriarche No.
Une fois ainsi habills, les deux poux se regardent.
Nous ne sommes pas trop mal en cet accoutrement, dit le mari.
Moi, la feuille de figuier me sied merveille, fait la femme... Ces vtements sont peut-tre
un peu poussireux; ils n'ont pas t battus depuis la saison dernire... Donne-moi un coup de
brosse, Adam...
Leur contentement ne devait pas tre de longue dure.
Alors, ils ourent, au vent du jour qui souffle aprs midi, la voix de l'Eternel Dieu, qui se
promenait (sic) dans le jardin. Et Adam et sa femme se cachrent de la face de l'Eternel Dieu,
parmi les arbres du jardin. (3:8)
Ce Jhovah, on le constate encore ici, est bel et bien un dieu corporel: il se promne, il parle;
nous l'avons vu ptrir et souffler. La Gense prsente donc son Dieu la mode de toutes les
autres mythologies. Les divers peuples de l'antiquit n'eurent, en effet, pas d'autre ide de la
divinit; Platon passe pour le premier qui ait fait Dieu d'une substance plus ou moins thre,
qui n'tait pas tout--fait corps.
Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait Adam, et plus tard Can, aux
patriarches, aux prophtes, tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les tonsurs
rpondent qu'il avait une forme humaine, et qu'il ne pouvait se faire connatre autrement,
18

ayant cr l'homme son image. On rplique que la religion isralite ressemble alors
singulirement, sur ce point essentiel, toutes les religions que les prtres catholiques
fltrissent du nom de paganisme; les anciens Romains, qui avaient adopt les croyances des
anciens Grecs, ne comprenaient, eux aussi, la divinit que sous un aspect humain. Cette
remarque fait ajouter: au lieu que ce soit Dieu qui ait fait l'homme sa ressemblance, ne
serait-ce pas plutt l'homme qui aurait imagin Dieu sa propre image? Mais n'insistons pas;
car loger une telle opinion dans sa cervelle, c'est se vouer aux flammes de l'enfer. Rappelons
seulement cette malicieuse rflexion d'un philosophe: si les chats s'taient fabriqu des dieux,
ils les auraient fait courir aprs les souris.
Des dtails, tels que ceux de la promenade de Dieu dans le jardin d'Eden, montrent
premptoirement qu'il ne s'agit en aucune faon d'une allgorie mystique; tout le rcit de
l'auteur sacr est dans le style d'une histoire vritable.
9. Et l'Eternel Dieu appela Adam, et lui dit: Adam, o es-tu?
Il tait piteux et confus, messire Adam, et sa femme aussi n'en menait pas large. Ils essaient
de s'esquiver, ils se cachent; mais, je t'en fiche! comment chapper au regard divin qui plane
sur tout?... En vain les infortuns s'efforcent-ils de dissimuler leur personnalit aux regards du
Trs-Haut; derrire eux, partout, retentit le terrible appel du Seigneur, parlant en matre
puissant, svre, et s'apprtant punir son serviteur, son esclave, qui lui a dsobi.
Pas moyen de se tirer de ce mauvais pas; ils so nt pincs; il va leur falloir avouer la faute
commise. Penauds, ils balbutieront de mauvaises excuses.
10. Adam rpondit: Seigneur, j'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai craint, parce que
j'tais nu, et je me suis cach.
Les voil donc devant le patron, devant ce Dieu qui connat l'avenir, qui avait prvu l'accident
du serpent et de la pomme, et qui se fche comme s'il ne s'tait dout de rien, comme si ce qui
vient d'arriver ne s'tait pas produit de par son omnipotente volont. Adam et sa femme ne
songent pas cela dans leur moi; ils vont tenir le langage des coliers pris en faute:
M'sieu, ce n'est pas moi qui ai commenc; c'est elle! M'sieu, je ne le ferai plus, tant je suis
chagrine... Ah! non, pour sr, je ne recommencerai pas, vous pouvez m'croire !...
11. Et Dieu dit Adam: Qui t'a appris que tu tais nu? Il faut que tu aies mang de ce que je
t'avais dfendu de manger.
12. Et Adam rpondit: La femme que tu m'as donne pour tre avec moi m'a donn du fruit de
l'arbre, et j'en ai mang.
13. Et Dieu dit la femme: Pourquoi as-tu fait cela? Et la femme rpondit: Le serpent m'a
trompe, et j'ai mang du fruit.
Maintenant, matre Elohim va distribuer les punitions. Il procde par ordre, et c'est celui qui a
t le premier coupable qui coppera le premier. Attention !
14. Alors l'Eternel Dieu dit au serpent: Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous
les animaux et btes de la terre; tu marcheras sur ton ventre dsormais, et tu te nourriras de
terre tous les jours de ta vie.
15. Et je mettrai des inimitis entre toi et la femme, entre tes enfants et les enfants de la
femme; ils chercheront t'craser la tte, et tu chercheras les mordre au talon.
Ce chtiment inflig au serpent prouve, sans rplique possible, que les curs sont des
blagueurs, quand, avec leur manie de fourrer le diable partout, ils attribuent la tentation de la
femme au dmon ayant emprunt ce jour-l la forme du reptile, ce Lucifer-Satan dont les
prtendues rvolte et dfaite ne se trouvent inscrites dans aucun des livres de la Bible. Si
Satan tait le coupable, Dieu videmment lui aurait ordonn de rintgrer illico son domicile
infernal et lui aurait octroy un supplment de supplice dans le sjour des tnbres.
Or, la punition de la tentation atteint, uniquement et exclusivement, le serpent en tant
qu'animal et bte de la terre. D'aprs le verset 14 du chapitre 3, il est croire que ce donneur
de conseils perfides tait auparavant un animal pourvu de pattes; et c'est bien lui que Dieu
19

coupa ce jour-l les pattes, puisqu'il le condamna ramper dsormais, chtiment qui serait
des plus injustes, si cette bte n'avait t pour rien dans l'affaire. Supposez que l'abb
Garnier se dguise un beau matin en honnte homme, qu'il prenne le costume et se fasse la
tte du papa Rue l, qui est un philanthrope, et qu'il aille ensuite sous ce nom commettre des
escroqueries; que se passerait-il lorsqu'il serait enfin coffr, dmasqu et traduit en
correctionnelle? le tribunal condamnerait-il l'amende et la prison le brave papa Ruel? Non,
certes! il prononcerait sa sentence contre le vritable escroc, il appliquerait son jugement au
Garnier, c'est clair.
Les tonsurs feront donc bien de renoncer leur conte bleu de Lucifer tentateur de la premire
femm e; cette blague-l ne tient pas debout. Ou autrement, vu le texte sacr, s'ils veulent la
maintenir quand mme, il faut dire que le diable a t plus malin que le seigneur Jhovah, et
que celui-ci, compltement ramolli, n'a vu que le serpent dans toute cette affaire, n'a pas
aperu le moindre bout de corne de Lucifer, et a priv de pattes l'innocent serpent. Mon vieux
Lon XIII, tire-toi de l!
A vrai dire, quelque point de vue qu'on envisage cet extravagant pisode, il faut reconnatre
que le fumiste Esprit-Saint s'est encore moqu du pieux auteur qui crivait sous sa dicte. S'il
est vrai que les enfants de la femme, les humains, ont une aversion gnrale pour les serpents,
s'il est vrai qu'en cas de rencontre les uns cherchent assez volontiers craser la tte de ceux-
ci, qui de leur ct se dfendent ou attaquent en cherchant mordre au pied ou la jambe
ceux-l, par contre il est une peine porte par Dieu contre les serpents, qu'ils n'ont jamais
subie: les serpents ne se nourrissent pas de terre, jamais, au grand jamais. Cette sentence a
donc t lude, moins que Jhovah n'ait dclar la loi Brenger applicable sur ce point;
auquel cas, la Bible a oubli de mentionner ce sursis indfini.
Mais, pour savourer la mystification del'Esprit-Saint dans toute sa joyeuse moquerie l'gard
des crdules dvots, il faut considrer l'tendue immense du chtiment inflig au serpent.
Quel tait exactement l'op hidien tentateur? La Bible ne prcise pas; mais peu importe: il est
vident que ce ne pouvait tre la fois une vipre et une couleuvre, ou un boa et un crotale;
les espces d'ophidiens qui vivent sur notre globe sont fort nombreuses. Admettons que ce
soit la couleuvre qui ait provoqu au pch Madame Adam; admettons mme, si l'on veut, que
le chtiment de la couleuvre soit raisonnable en s'tendant la postrit de cette espce, et que
toutes les couleuvres de l'avenir soient logiquement prives de pattes pour expier la faute de
celle de l'Eden... Or , si la femme n'avait pas russi entraner l'homme dans sa
dsobissance, elle seule aurait t punie, n'est-ce pas?...
Eh bien, pauvres serpents! la couleuvre seule fut coupable; mais voil que, du mme coup,
l'aspic, le naja, le serpent sonnettes, le craste, l'orvet, la vipre, le python, le cobra-capello,
le rouleau, l'laps, l'erpton, le bothrops, le fer-de-lance, l'atropos, l'hypnale, le rhodostoma,
l'humbroni, le bongare, le psammophis, l'eunecte mangeur-de-rats, l'oxy-rope, le boa
constrictor, le molure, et leur postrit, ont perdu leurs pattes et rampent jamais, malgr leur
incontestable innocence!...
16. Dieu dit ensuite la femme: Je multiplierai tes misres et tes grossesses; et tu enfanteras
dans la douleur; et tu seras sous la domination de ton mari.
A l'unanimit, les commentateurs sont d'avis que les peines de cette sentence visent non
seulement Madame Adam, mais toutes les femmes jusqu' la fin du monde.
Sans nous arrter ce que ce systme a d'injuste ou dnote un Dieu passablement loufoc, nous
remarquerons d'abord, que, si la premire femme avait su rsister aux sductions du serpent,
elle n'aurait pas enfant dans la douleur. Avant ce jour-l, elle tait donc conforme d'une
faon toute diffrente de ce qu'elle fut son premier accouchement. Par consquent, en une
seconde, c'est--dire l'instant mme o il pronona son arrt, Dieu bouleversa de fond en
comble l'organisme de la femme. On le voit, quand le doigt de Dieu s'y met, il opre des
choses tonnantes.
20

En second lieu, il est bon d'observer que, malgr cette toute-puissance, Jhovah n'est pas
parvenu rendre gnrales les peines qu'il a dictes contre le sexe fminin: d'une part, il y a
beaucoup de femmes qui accouchent sans douleur; d'autre part, celles qui portent la culotte
dans leur mnage, celles qui mnent leur mari par le bout du nez, au lieu d'tre sous sa
domination, celles-l sont lgion dans toutes les classes de la socit.
17. Puis, Dieu dit Adam: Puisque tu as cout la voix de ta femme, et que tu as mang du
fruit de l'arbre que je t'avais dfendu de manger, la terre sera maudite cause de toi, et tu en
mangeras en travail tous les jours de ta vie.
18. Et la terre te produira pines et chardons; et tu mangeras l'herbe des champs.
19. Et tu mangeras ton pain la sueur de ton front, jusqu' ce que tu retournes en cette terre
d'o tu as t pris; car tu es poussire, et tu retourneras en poussire.
Mme observation que ci-dessus: le chtiment d'Adam doit frapper aussi bien tous les
hommes; parfaite unanimit des thologiens sur l'interprtation de ces trois versets de la
Gense.
Le plus terrible de la sentence est la condamnation mort. Il est vrai que l'ineffable Jhovah
oublie ce qu'il avait dcrt prcdemment, c'est--dire qu'en cas de boulottage du fruit
dfendu l'homme mourrait de mort le jour mme du dlit (2:17). Ce manque de mmoire de
papa lion Dieu valut au condamn un assez important ajournement de l'excution; en effet, s'il
faut en croire la Bible, Adam vcut encore... neuf cent trente ans (5:5).
Mais si Adam n'avait pas mang la pomme, il ne serait jamais mort, et nous-mmes, tous,
nous serions immortels. Des gens curieux demandent: Alors, qu'auraient donc fait les hommes
le jour o la terre aurait t insuffisante pour les contenir? car, Adam et sa femme ayant reu
ds leur cration la facult de se multiplier, un moment serait forcment venu o leurs enfants
et les enfants de leurs enfants auraient peupl notre plante d'une faon exubrante.
Il est vident que ce problme est insoluble. Et alors, Dieu avait besoin, en quelque sorte,
qu'Adam commt le pch: la mort apparat ainsi comme une ncessit; mais Dieu tenait ce
que l'homme s'imagint avoir tous les torts, et c'est pourquoi il lendit nos premiers parents le
pige de la pomme et donna la parole au serpent qu'il savait capable de tentation. Si Dieu
existe tel que la Bible le reprsente, c'est tellement bien cela, que le serpent est devenu muet
depuis cette poque, quoique la perte de la parole ne figure pas au nombre des peines qui lui
furent infliges.
Une autre observation se prsente d'elle-mme l'esprit, au sujet du pain qu'Adam et sa
postrit ont t condamns manger grand renfort de sueurs. Il est probable qu'il n'y avait
pas de pain dans les temps primitifs et que les hommes se nourrirent alors comme les
peuplades sauvages qui existent encore de nos jours. Mais ne chicanons pas pour si peu, et
admettons que le seigneur Jhovah ait parl par anticipation. Les Juifs, pour qui la Bible fut
crite, mangeaient, en effet, du pain. Or les tonsurs nous disent que ce livre n'a p s t crit
exclusivement pour les Juifs et qu'il est, au nom de l'Esprit-Saint, la loi religieuse du monde
entier. Dans ce cas, ou est forc de reconnatre que l'on ne mange du pain que dans les pays
o le bl pousse: les Lapons, pasteurs de rennes et pcheurs de phoques, et, en gnral, tous
les peuples des latitudes polaires, ignorent absolument l'existence de la farine; en de
nombreuses rgions des Indes, de l'Amrique, de l'Afrique centrale et mridionale, on vit de
fruits et du produit de la chasse. Dira-t-on que le mot pain a t employ par Dieu au figur et
qu'il dsigne toute espce de nourriture? On peut rpondre que le chtiment n'est pas gnral
non plus: si les ouvriers triment pour se nourrir, si quiconque vivant de son travail se voit
ainsi frapp par suite de la faute d'Adam, il n'en est pas de mme des jouisseurs de la vie qui
naissent riches, millionnaires par hritage. Et les gros chanoines donc! ceux-ci, lorsqu'ils
suent, c'est en t, cause de leur graiss e; ce n'est pas leur travail qui leur fait arroser de
sueurs leur pain quotidien!
21

Le verset 18, en particulier, est trs malveillant envers l'espce humaine, lin dehors du pain,
l'homme est condamn ne manger que l'herbe des champs, comme les bestiaux; que lui
produira la terre? des pines et des chardons. Le pigeon nous la baille belle! Malgr Dieu, les
hommes mangent autre chose que du pain et de l'herbe. Demandez Lucullus. Ou bien,
pourquoi Jhovah ne dtruit-il pas, coups de foudre, les restaurants qui se permettent de
faire figurer des plats de viande sur leur carte? Inutile d'insister.
C'est le cas de dire qu'Adam aurait t bien inspir en envoyant le pre Bon Dieu promener,
puisque la promenade plat Jhovah.
Mais voici ce qui se passa aprs le prononc du jugement:
20. Alors Adam nomma sa femme Eva, parce qu'elle est la mre de tous les vivants.
Le cher homme n'avait pas encore pens donner un nom sa compagne; jusqu'alors il s'tait
born la qualifier d'hommesse, ainsi qu'on l'a vu au verset 23 du chapitre 2. Ce qui est
curieux, c'est que le nom donn par Adam son pouse soit prcisment un nom hbreu;
Hvah signifie la vie . D'o l'on est en droit de poser ce dilemme l'auteur de la Gense:
ou la langue de nos premiers parents est l'hbreu, et alors, cette langue n'ayant pas t perdue,
il faut biffer l'histoire de la tour de Babel; ou Adam a donn sa femme un nom pris dans la
fameuse langue primitive, aujourd'hui perdue, et alors l'auteur sacr a commis un impair.
Dans un cas comme dans l'autre, le pigeon inspirateur s'est moqu, celte fois encore, de
l'crivain.
Maintenant, on va voir que Jhovah ne chassa pas immdiatement Adam et ve du paradis
terrestre, contrairement l'opinion rpandue. D'abord, papa Bon Dieu, trouvant trop sommaire
leur costume en feuilles de figuier, s'improvisa tailleur.
21. Et l'Eternel Dieu f it Adam et sa femme des robes de peaux, et il les en habilla.
Pour la confection de ces vtements, voil donc un massacre d'innocentes btes; l'abattoir tait
inaugur par Elohim en personne. Aprs a, comment voulez-vous que nos premiers parents
n'aient pas pens aussitt utiliser pour leur nourriture la viande des animaux si prestement
immols et dpouills? Zut pour le rgime au pain et l'herbe! durent-ils se dire en eux-
mmes.
El le seigneur Jhovah aurait fort bien laiss Adam et ve vivre et mourir en Eden, si, quelque
temps aprs les avoir habills, il n'avait pas song ce mirifique arbre de vie, dont l'homme et
la femme n'avaient pas eu l'ide de croquer les fruits.
22. Or, l'Eternel Dieu se dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous (sic); il connat
le bien et le mal. Mais, maintenant, il faut prendre garde qu'il n'avance aussi la main vers
l'arbre de vie, qu'il n'en cueille le fruit et n'en mange, et qu'ainsi il ne vive ternellement.
Tel est le verset 22 que les tonsurs omettent, et pour cause, dans leurs rsums de la Bible.
Ainsi, c'est clair, a: nos deux nigauds Adam et Eve, qui le fruit de l'arbre de vie n'avait pas
t interdit, le ngligrent sottemen t; et si l'homme et la femme, pendant que Jhovah tait
occup tailler leurs costumes de peaux, avaient eu la bonne inspiration de sauter sur un de
ces fruits merveilleux et de l'avaler vivement, c'est le vieux juge rageur qui aurait fait un
nez!... V'lan! sa sentence devenait tout coup inexcutable.
N'est-ce pas, qu'elle est rigolotte, dcidment, la Sainte Bible, ds qu'on la lit de prs?... Non
seulement il a la berlue, ce Dieu unique qui lche une constatation d'existence de plusieurs
dieux; mais encore, lui, prtendu tout-puissant, il avoue, comme un imbcile, son impuissance
appliquer son arrt portant condamnation mort. A quoi cela a tenu, voyez un peu! Avec de
la prsence d'esprit, Adam et Eve se rendaient immortels, malgr Dieu lui-mme!!!
Et ce que le vieux Jhovah dut se fliciter de s'tre enfin remmor ce coquin d'arbre de vie!...
non, ce n'est rien de le dire... Bien sr, il avait fait un nud son mouchoir. Sans a!...
23. Et l'Eternel Dieu fit sortir Adam du jardin d'Eden, afin qu'il labourt la terre dont il avait
t ptri.
22

24. Ainsi il chassa l'homme; et alors il plaa un Chrub au-devant de l'entre du jardin, avec
une lame d'pe de feu, qui se tournait et l pour garder le chemin de l'arbre de vie.
Pas d'erreur, n'est-ce pas?... C'est bien ce malencontreux arbre de vie qui proccupait le plus
matre Elohim. A aucun prix, il ne fallait qu'Adam et ve pussent y retourner. Mais aussi
quelle fichue ide papa Bon Dieu avait-il eue de crer cet arbre!... Voyons: avec sa
connaissance de l'avenir, il savait d'une faon certaine que nos premiers parents pcheraient et
qu'il les condamnerait mort, eux et toute la race humaine; alors, cet arbre de vie ne pouvait
tre pour lui qu'un embarras; il tait si simple de ne pas le planter!... Voil un sacr Jhovah
qui ne ferait pas mal de se mettre au rgime des douches; aprs a, peut-tre les
tablissements d'hydrothrapie brillent, au ciel, par leur absence, quoique le dbut de la
Gense nous ait appris l'existence d'eaux suprieures, situes au-dessus de l'tendue o se
meuvent les astres... Et encore, cette ide d'immobiliser un Chrub avec pe flamboyante la
porte de l'Eden, c'est a qui est d'un bte, oh! oui!... D'une parole, d'un seul effort de volont,
Dieu pouvait anantir le fcheux arbre de vie, dsormais sans raison d'tre; et le Tout Puissant
n'y a pas song!...
Enfin, va pour le Chrub, factionnaire sans gurite!... Ce Chrub est un planton prcieux, si la
dcouverte de l'Eden tente quelque nouveau Christophe Colomb.
Allons, on demande un explorateur de bonne volont. Parmi mes lecteurs, quelqu'un veut-il
s'inscrire?... Puisque papa Bon Dieu a pris la peine de faire garder la porte de l'Eden, puisqu'il
a tant fait que de prendre des mesures dfensives pour empcher jamais l'humanit d'entrer
dans le chemin qui mne l'arbre de vie, c'est que le paradis terrestre et le merveilleux arbre
existent encore quelque part. Si, en explorant la rgion o sont les sources du Tigre et de
l'Euphrate, nous apercevons sur une route, en avant d'un portail, un Chrub agitant une lame
d'pe de feu, nous n'aurons aucun doute, nous pourrons dire: Nous y sommes t c'est ici!
Cent mille francs de rcompense qui trouvera le Chrub!
Et d'abord, qu'est-ce exactement que ce paroissien-l ?... Chrub est le mot qui figure dans
le texte hbreu de la Gense. Ce mot signifie un buf ; il vient de charab, labourer . En
effet, les Hbreux avaient gard de nombreux souvenirs de leur servitude en Egypte, et ils
copirent assez largement les Egyptiens en maints usages, mme ce qui concernait les menus
dtails du culte; c'est ainsi qu'ils sculptrent grossirement des bufs, dont ils firent des
espces de sphinx, des animaux composs, tels qu'ils en mirent dans leurs sanctuaires. Ces
figures avaient deux faces, une d'homme, une de buf, et des ailes, ainsi que des jambes
d'homme et des pieds de buf. Aujourd'hui, les tonsurs ont chang tout a: de Chrub ils ont
fait Chrubin, et les Chrubins du nouveau culte sont de jeunes anges joufflus, mais sans
corps, n'ayant qu'une tte d'enfant avec deux petites ailes; on voit de ces anges cocasses dans
quantit de tableaux d'glise... Il est probable que l'anglique portier du paradis terrestre ne
rpond pas ce dernier signalement, et que c'est, au contraire, un Chrub la mode hbraque,
avec tte deux faces, dont l'une de buf; ce qui permettra notre explorateur de le
reconnatre de loin. Ou, si c'est un Chrubin la mode catholique, sans corps ni mains, c'est
avec les dents qu'il doit tenir son pe flamboyante, et. de celte faon encore, il ne pourra pas
rester inaperu. Mais je penche pour le pipelet tte mi-humaine mi-bovine.
Hardidonc la recherche de l'Eden! avis aux amateurs!... Quand bien mme nous ne
russirions pas pntrer, l'excursion sera intressante; on fera, tout au moins, le tour du
jardin, et l'on fixera l'emplacement sur les cartes de gographie, qui, sans cela, seraient
toujours incompltes.
En attendant, voyons prsent ce que firent Adam et ve, une fois hors du paradis terrestre, et
ayant la connaissance intgrale du bien et du mal... y compris le mal de mer.


23

2 CHAPITRE

COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES

L'Ecriture Sainte n'abonde pas en dtails biographiques sur le compte des premiers hommes.
Le quatrime chapitre de la Gense coupe court aux suppositions des commentateurs joviaux,
qui ont voulu voir l'uvre d'amour dans l'histoire de la pomme, cueillie par Eve, sur le conseil
du serpent, et mange en commun avec Adam. C'est aprs l'expulsion de l'Eden que nos
premiers parents se mirent en devoir de se faire une postrit. Le texte de la Bible est
suffisamment explicite.
1. Or, Adam connut Eve sa femme, qui alors conut et enfanta Can; et elle dit: J'ai acquis
un homme par l'Eternel.
2. Elle enfanta encore Abel son frre. Et Abel fut berger, et Can fut agriculteur.
Les personnes qui n'ont pas approfondi l'tude de la thologie et des thologiens sont mille
lieues de se douter des extravagantes discussions que cette grave affaire de la conception du
premier bb humain a suscites parmi les commentateurs juifs et chrtiens. En dpit du texte
ci-dessus, les uns, ne le trouvant pas encore assez clair, et partisans quand mme de l'uvre
d'amour accomplie en Eden, ont mis l'opinion qu'Eve, peine cre, perdit sa virginit, et
que le serpent profita, pour la tenter, du moment o Adam tait endormi pour se reposer de
ses fatigues conjugales. Les autres, ayant leur tte saint Jrme, qui composa la Vulgate en
traduisant directement de l'hbreu, sont d'avis que le verset 1 du chapitre 4 de la Gense
prouve qu'Adam n'a jamais song connatre Eve que lorsqu'ils furent chasss du paradis.
Et les apprciations n'en sont pas restes l!... Les thologiens qui ont adopt la manire de
voir de saint Jrme, se sont diviss entre eux, en vertu du beau raisonnement que voici: tant
admis que la consommation du mariage a eu lieu aprs le dpart de l'Eden, il n'y a pas de
motif pour que a ait t aussitt, l, tout de suite; alors, quand? quel moment prcis?...
Quand on est thologien, on veut tout fouiller; ces hommes-l sont d'une curiosit
inimaginable, surtout en ces sortes de questions. Il y a donc eu des gens qui ont dbit
qu'Adam diffra quinze ans et mme trente ans l'opration dcisive. D'autres poussent la
chose encore plus loin et soutiennent gravement qu'Adam et ve, par une rsolution commune
et pour pleurer leur pch, ne rompirent leur continence qu'au bout de... cent ans!
Vous croyez que c'est fini?... Ah! que vous connaissez peu les thologiens! Quelques-uns ont
dnich une tradition, en vertu de laquelle Adam serait demeur excommuni cent cinquante
ans pour avoir mang du fruit dfendu, et il aurait vcu pendant ce temps-l avec une femme
qui, comme lui, aurait t forme de la terre et qu'ils nomment Lilia; ils ajoutent qu'il
engendra des diables par son commerce avec cette femme, et qu'enfin il pousa Eve, lorsque
son excommunication fut leve, et qu'alors il engendra des hommes. Il est juste de dire que
cette opinion n'a pas prvalu. Enfin, d'autres commentateurs, qualifis galement d'hrtiques
et cits par saint Epiphane, ont soutenu que le diable avait eu affaire avec ve comme un mari
avec sa femme, et cela mme aprs la sortie de l'Eden, et qu'il en avait eu Can et Abel. Voil
donc des compensations: Adam quitte Eve pour faire des diables avec une autre femme, et le
diable va trouver ve pour faire des hommes avec elle.
Et la question des couches d'Eve?... Les chers thologiens y ont trouv aussi une mine
inpuisable de controverses. Mais cela nous mnerait trop loin. En dernier lieu, rappelons une
clbre et savante dissertation de l'allemand Reinhardt, o est agite la question de savoir si,
oui ou non, Adam et ve avaient un nombril!...
Tout a, c'est des btises, comme dit l'autre. Arrivons ce qui est srieux, attendu que ce qui
est srieux dans la Bible n'en est pas moins mourir de rire.
Donc Abel fut berger, et Can agriculteur; et nous allons voir bientt ce vieux toqu de
Jhovah prfrer Abel Can. Or, je vous prie d'y rflchir une seconde seulement: lequel des
24

deux fils d'Adam, s'il vous plat, avait obi Dieu dans le choix de sa profession? C'est Can,
parbleu! puisque l'Eternel avait ordonn l'humanit de cultiver la terre et de se nourrir
exclusivement de ce que produiraient les champs, sauf transformer le bl en pain. Abel, lui,
se met berger; s'il gardait et levait des troupeaux de moulons, ce n'tait videmment pas pour
le plaisir de les regarder patre, en enfilant des perles; c'est, en ralit, parce qu'il apprciait
surtout le mouton au point de vue du gigot et des ctelettes, dont il se rgalait, cela tombe
sous le sens. Abel contrevenait donc carrment aux formelles et rcentes prescriptions
divines; et c'est lui qui fut le petit chri du seigneur Jhovah!... Dcidment, curs
impayables, ce n'est pas dans vos tabernacles qu'il faut enfermer votre papa Bon Dieu; c'est
dans une cellule de Charenton.
3. Or, il arriva au bout de quelque temps que Can offrit en oblation l'Eternel des fruits de
la terre;
4. Et qu'Abel aussi offrit des premiers ns de son troupeau, et de leur graisse. Et l'Eternel fut
content d 'Abel et de ses prsents;
5. Mais il ne fut pas content de Can ni de ses prsents. Et Can fut irrit, et son visage fut
abattu.
Il y avait de quoi la trouver mauvaise, en effet.
6. Et l'Eternel dit Can: Pourquoi es-tu en colre et pourquoi ton visage est-il abattu?
7. Si lu fais bien, ne sera-t-il pas reu? Mais, si tu ne fais pas bien, la peine du pch est la
porte. Or, ses dsirs se rapportent toi; et il sera sous ta puissance.
La Bible ne mentionne aucune rponse de Can Dieu. J'avoue que, si je m'tais trouv sa
place, le galimatias incomprhensible du verset 7 m'aurait compltement abasourdi.
Can n'tait pas prophte. Sans quoi, en ngligeant le galimatias susdit, il aurait pu rpondre
son interlocuteur:
Ce sont donc les offrandes de viandes que vous prfrez, mon vieux Jhovah?... Eli bien,
vous donnez un exemple qui sera suivi par les sacrificateurs paens... Vous avez justement
mmes gots qu'auront les idoles, et ces gots seront plus tard dclars grossiers et indignes
de la divinit... savez-vous par qui?... par les pitres mmes du catholicisme.
Mais Can ne rpondit point. Cet homme, qui avait pris tant de peine mener bien la culture
de ses melons, qui offrait au Seigneur ses cantaloups les plus succulents et qui les voyait
mpriss, cet homme comprit que Dieu se fichait de lui par-dessus le march, et il en fut
tellement vex qu'il en perdit un moment la tte. Au lieu d'en vouloir au capricieux et impoli
Jhovah, il commit la faute de s'en prendre son fr re.
8. Et Can dit son frre Abel: Sortons dehors. Et quand ils furent aux champs, Can s'leva
contre Abel son frre, et il le tua.
a n'a pas tran, on le voit; Can tait un gaillard expditif. Il invite son frre faire une
petite ballade au dehors; il l'entrane aux champs, sous un prtexte quelconque, pour chercher
ensemble des scarabes, par exemple. Une fois-l, vite une querelle d'allemand, propos de
boites; puis, un bon coup de pioche sur la tte. V'lan! a y est. Et c'est le chri de papa Bon
Dieu qui, dans l'humanit, a l'trenne de la mort.
Aprs quoi, que se passe-t-il dans la caboche de Can? Est-il ananti au spectacle de son
crime?... Pas du tout. Il se mtamorphose subitement en sclrat endurci, en gibier de bagne.
Il n'a pas le moindre remords, et lui, tout--l'heure si abattu, il va se montrer insolent envers le
seigneur Jhovah, qui ne lui inspirera aucune crainte.
9. Et l'Eternel dit Can: O est Abel ton frre? Et Can lui rpondit: Je n'en sais rien; est-ce
que je suis le gardien de mon frre, moi?
On croit voir le tableau: papa Bon Dieu paraissant au coin d'un nuage et interpelant le
meurtrier, et Can qui lui envoie quelque chose comme Et ta sur? avec la parfaite srnit
d'un professionnel du crime, qui croit avoir fait disparatre toutes traces de l'assassinat et fait
25

un pied de nez aux gendarmes. Or, Jhovah n'avait pas perdu un dtail du drame; son il
divin n'tait pas en dfaut, cette fois.
10. Et Dieu dit: Qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frre crie de la terre jusqu' moi.
Il est clair qu'un chtiment terrible va punir tant de sclratesse et d'effronterie.
Voyons donc la suite du discours de Jhovah:
11. C'est pourquoi, maintenant, tu seras maudit mme par la terre, qui a ouvert sa bouche
pour recevoir de ta main le sang de ton frre!
12. Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit; et tu seras aussi vagabond et
fugitif sur toute la terre.
Voil Can condamn au vagabondage, n'avoir ni feu ni lieu, marcher toujours sans
pouvoir s'arrter nulle part, prcurseur du lgendaire juif-errant. Mais, s'il va tre fugitif sans
repos ni trve, il ne sera pas en mme temps laboureur, ce qui est une profession
essentiellement sdentaire; comment s'y prendrait-il pour labourer, mme en pure perte? Si
un inculp de vagabondage prouve au tribunal qu'il est laboureur, s'il tablit qu'il possde un
champ et qu'il le cultive, son acquittement est certain; l'accusation s'est effondre, il n'est pas
vagabond.
L-dessus, Can prend la frousse, une telle frousse qu'il perd de vue que l'humanit se
compose en tout de trois personnes, son pre, sa mre et lui-mme, et qu'il s'imagine pouvoir
tre tu son tour par les autres hommes, qui n'existent pas. C'est du joli dtraquement
crbral, a! Eh bien, a y est en toutes lettres dans la Bible.
13. Et Can dit l'Eternel: Ma peine est plus grande que je ne puis porter.
14. Voici: tu m'as chass aujourd'hui de dessus cette terre, et je me cacherai de devant la face,
et je serai vagabond et fugitif sur toute la terre; alors il arrivera que quiconque me rencontrera
me tuera.
Du coup, le courroux du vieux Jhovah se calme. il ne fait pas grce Can de sa
condamnation au vagabondage perptuit; mais, perdant son tour le sens de la situation, il
ne veut pas que la peine soit aggrave. Aussi prend-il Can sous sa protection contre ces
assassins impossibles. Si ce n'est pas du dlire, cela, je demande ce qui en sera!
15. Et l'Eternel dit Can: Quiconque tuera Can sera puni sept fois au double. Et Dieu mit
une marque Can, afin que ceux qui le rencontreraient ne le tuassent pas.
On s'attend lire prsent quelque rcit du vagabondage de Can. Ah! bien non, alors!
Personne ne fut plus sdentaire que ce fugitif.
16. Alors, Can sortit de devant la face de l'Eternel, et il vint habiter le pays de Nod,
l'orient de l'Eden.
17. L, Can connut sa femme, qui conut et enfanta Enoch; et il btit une ville qu'il appela
Enoch, du nom de son fils.
Nous apprenons par l que Can se maria: l'auteur ne dit pas avec qui; mais ii coule de source
qu'Adam et Eve eurent des filles, dont la Bible a nglig de parler, et que Can pousa une de
ses surs. Nous ne lui en ferons pas un crime; l'inceste fut obligatoire aux premiers temps de
l'humanit.
Ce qui nous fait plutt bondir, tant notre surprise est grande, c'est cette ville fonde par Can.
C'est dj fort, un vagabond qui btit une ville; mais quels ouvriers avait-il son service? de
quels instruments se servit-on pour construire les maisons? et o enfin Can recruta-t-il des
citoyens pour peupler sa ville Enoch?... Et le fumiste Esprit-Saint a fait avaler cette bonne
histoire au pieux auteur qu'il inspirait!...
Les versets suivants nous donnent la descendance de Can. Enoch engendre Irad; Irad
engendre Mavial; Mavial engendre Mathusa l. On ne sait, de ces personnages, que leur
nom. Mathusal engendre un certain Lamech, plus gourmand en mariage que ses nobles
aeux. Le vnrable Lamech est, en effet, l'inventeur de la polygamie; il se paie deux femmes
pour lui tout seul, ce qui prouve que l'article commenait ne plus tre rare. De sa femme
26

Ada il eut deux fils, nomms Jabel et Jubal, et de sa femme Tsilla il eut un fils, Tubalcan, et
une fille, Nohma.
Il parat que les fils de Jabel prfrrent la campagne la ville btie par leur anctre Can; car
ils furent les premiers sur terre demeurer sous des tentes (4:20). Quant aux fils de Jubal, la
ville leur plaisait, au contraire, et ils furent les plus gais de la famille; ils aimaient la musique.
Jubal fut pre de tous ceux qui jouent du violon et de l'orgue. (4:21) Tubalcan, lui, fut le
Vulcain biblique: il forgeait toutes sortes d'instruments d'airain et de fer. (4:22)
Le polygame Lamech semble avoir log dans son plafond une araigne d'assez belle taille; car
la Gense nous rapporte de lui un speech qui a la qualit d'tre court, mais qu'aucun
commentateur n'a jamais pu comprendre.
23. Or, Lamech dit un jour Ada et Tsilla, ses femmes: Femmes de Lamech, coulez bien
mes paroles. Je tuerai un homme, si je suis bless; je tuerai mme un jeune homme, si je suis
meurtri.
24. Car, si Can devait tre veng sept fois au double, moi, Lamech, je serai veng soixante-
dix fois sept fois.
Ce discours pata au plus haut point Mesdames Ada et Tsilla; elles en furent, sans doute,
comme ptrifies et ne demandrent pas la moindre explication. L'Ecriture Sainte passe
immdiatement la mention de la naissance de Seth, troisime fils d'Adam.
25. El Adam connut encore sa femme qui enfanta un fils et l'appela Seth; car Dieu, dit-elle,
m'a donn un autre fils, en remplacement d'Abel que Can a tu.
26. Et, un fils naquit Seth, et il l'appela Enos. C'est alors qu'on commena d'invoquer le
nom de Jhovah.
Le cinquime chapitre de la Gense est consacr uniquement donner la gnalogie de No,
descendant d'Adam par Seth. L'auteur sacr ne s'occupe plus de la descendance de Can.
Nous trouvons donc l'ordre suivant, o ne sont nomms que les fils ans: Seth, Enos, Ca nan,
Malalel, Jared, Enoch, Mathusalem, Lamech, No. Mais le plus curieux de ce chapitre est
l'affirmation de l'extraordinaire longvit de tous ces patriarches. Adam avait cent trente ans,
quand il eut Seth, et il vcut encore huit cents ans. Seth mourut neuf cent douze ans; Enos,
neuf cent cinq ans; Canan, neuf cent dix ans, etc. Celui qui mourut le plus jeune fut.
Lamech, pre de No; ce Lamech, qu'il ne faut pas confondre avec le polygame toqu de tout-
-l'heure, dcda dans le sept cent soixante-dix-septime printemps de son ge.
Enoch, fils de Jared, fut plus malin que tous les autres; il ne mourut pas, tout simplement.
21. Enoch vcut soixante-cinq ans, et il engendra alors Mathusalem.
22. Et Enoch, aprs qu'il eut engendr Mathusalem, se promena avec Dieu pendant trois cents
ans; et il engendra des fils et des filles.
23. Tout le temps donc qu'Enoch vcut fut trois cent soixante-cinq ans.
24. Or, Enoch, s'tant ainsi promen avec Dieu, ne parut plus, parce que Dieu l'enleva.
(Gense, ch. 5)
Cet pisode est trop beau; n'importe quel commentaire le dflorerait. Admirons!
Quant Mathusalem, c'est lui qui dcrocha la timbale de la longvit. Il avait du nerf, le
bonhomme; jugez-en. Il vcut dans la continence jusqu' l'ge de cent quatre-vingt-sept ans,
heureuse poque laquelle il s'offrit le luxe d'avoir un moutard, et, aprs la naissance du jeune
Lamech II, il trouva le moyen de vivre encore sept cent quatre-vingt-deux ans, donnant
jusqu'au bout des preuves de sa virilit.
26. Mathusalem, aprs qu'il eut engendr Lamech, vcut sept cent quatre-vingt-deux ans,
engendrant encore des fils et des filles. (Textuel!)
Total: neuf cent soixante-neuf ans. Excusez du peu!... On avait la vie dure, en ce temps-l.
Et le pre No?...
30. Lamech appela son f ils No, en disant: Celui-ci nous soulagera de notre uvre et du
travail de nos mains, sur cette terre que l'Eternel a maudite...
27

33. Et No avait pass cinq cents ans, quand il engendra Sem, Cha m et Japhet.
Avoir cinq cents ans, et se mettre alors seulement becqueter sa petite femme?... Mieux vaut
tard que jamais!...
On a fait couler beaucoup d'encre propos de l'extraordinaire longvit des patriarches de la
Gense. Des docteurs catholiques, sentant combien ces blagues taient par trop difficiles
digrer, ont tent de sauver du ridicule les rcits de l'Esprit-Saint; ils ont avanc qu'il fallait
peut-tre entendre annes par lunaisons, en insinuant qu' celte poque on comptait sans doute
uniquement par lunes. A ce compte, Mathusalem serait mort octognaire, voil tout. Mais ces
obligeants commentateurs ont t rabrous d'importance par les enrags qui tiennent ces
miracles de longvit des premiers hommes.
Le chanoine Rohrbacher, entre autres, dans son Histoire universelle de l'glise, dclare qu'il
s'agit bien d'annes de douze mois, et il cite, notamment, l'exemple d'Abraham, qui, selon la
Gense, mourut dans une heureuse vieillesse, tant fort g et rassasi de jours, ayant vcu
cent soixante-quinze ans (25:7-8). S'il fallait compter par lunaisons, Abraham n'aurait donc
vcu que quatorze ans et sept mois en tout, dit Rohrbacher, et cela nes 'accorderait pas avec
les expressions employes par l'auteur sacr. Le mme thologien, po ur prouver que les
annes indiques dans la Gense sont vraiment de douze mois, cite encore plusieurs
personnages dont le texte divin fait connatre l'ge nu moment de la naissance de leur
premier-n: Enos, Canan, Malalel engendrrent l'ge de quatre-vingt-dix, de septante, de
soixante-cinq ans; en comptant par lunaisons, dit Rohrbacher, il faudrait donc admettre qu'ils
auraient eu des enfants l' ge de sept ans et demi, de cinq ans dix mois, de cinq ans cinq
mois! Et Nachor, qui engendra vingt-neuf ans, d'aprs le texte biblique, peut-on croire
raisonnablement, s'crie le docte chanoine, que cela veut dire qu'il avait en ralit deux ans et
cinq mois, quand il eut son premier enfant?...
Non, bon Rohrbacher, et c'est vous qui tes dans le vrai: les annes dont parle la Gense sont
incontestablement de douze mois. Aussi, rien n'est plus amusant que le cas du bonhomme
No, qui attendit d'avoir cinq cents ans bien sonns pour faire zizi-panpan.

3 CHAPITRE

LES ANGES EN CONCUBINAGE SUR TERRE

Nous voici arrivs l'un des passages les plus curieux de la Bible, un de ceux dont la
suppression dans les manuels d'histoire sainte montre le mieux le sans-gne des prtres en leur
art de fabriquer et remanier les dogmes.
Voil des lascars qui serinent sur tous les tons leurs ouailles que la Bible est une uvre
essentiellement divine, qu'elle a t crite sous l'inspiration directe de l'Esprit-Saint, que tout
ce qui y est crit est la vrit mme, la vrit la plus parfaite et la plus pure, que c'est le livre
vnrable par excellence. Si donc nos tonsurs pensaient ce qu'ils disent, ils devraient, pleins
de respect pour la Bible, la faire connatre intgralement aux dvots, ne pas en cacher un seul
verset. Car, en matire de croyance religieuse, il faut accepter un livre sacr tel qu'il est; ou, si
l'on en limine tel passage, parce qu'il est en contradiction avec certains points de science
thologique que l'on a dclars articles de foi, le livre tout entier est rejeter, il n'est plus
sacr, mais mprisable; le mensonge d'un fait, nu cours d'un chapitre, suffit pour dtruire le
renom d'inspiration divine de toute l'uvre.
Or, les curs aussitt qu'ils viennent de nommer No, abordent sans transition l'histoire du
dluge et disent succinctement que la corruption des hommes mit Dieu en courroux et le
28

dcida cette noyade gnrale, la seule exception d'une famille dont le chef tait demeur
un juste.
Ce n'est pas la Bible, cela!... Elle parle d'autre chose; elle dit, en quatre versets, quelle fut la
cause premire de cette corruption des hommes. Messieurs les curs, vous n'avez pas le droit
de passer sous silence cet important pisode de votre Ecriture Sainte. S'il vous embarrasse
aujourd'hui, tant pis! l'Esprit-Saint n'avait qu' ne pas le dicter l'crivain du Pentateuque!...
Certes, la pilule est am re; mais, saint Jrme et les Pres de l'Eglise l'ayant avale autrefois,
avalez-la, chers tonsurs, votre tour.
La pilule, que les thologiens catholiques modernes s'efforcent de recracher sans bruit et dont
ils voudraient bien qu'il ne restt aucune trace, se compose des quatre premiers versets du
sixime chapitre de la Gense:
1. Or, il arriva que, lorsque les hommes eurent commenc se multiplier sur la terre et qu'ils
eurent engendr des filles;
2. Les anges de Dieu (littralement: les fils de Dieu), voyant que les filles des hommes taient
belles, vinrent, coucher avec toutes celles qui leur avaient le mieux plu.
3. Alors, l'Eternel dit: Mon esprit ne demeurera plus avec les hommes; car, maintenant, ils
sont devenus trop charnels. Leur vie, donc, ne dpassera plus six fois vingt ans.
4. C'est en ce temps-l qu'il y avait des gants sur la terre, et cela aprs que les anges de Dieu
se furent accoupls aux filles des hommes et quand celles-ci leur eurent donn des enfants;
ces enfants, ainsi ns, sont ces hommes puissants, qui de tout temps ont eu une grande
renomme.
Quoique la Gense ne nous ait pas racont l'histoire de la cration des anges, voici la seconde
fois qu'elle nous parle de ces tres surnaturels; la premire mention est celle du Chrub, plac
la porte de l'Eden. Il est donc utile de dire quelques mots de la croyance aux anges chez les
Juifs.
Les chrtiens, en greffant leur culte sur la religion isralite, ont imagin des articles de foi,
dont on ne trouve aucune trace dans la Bible: c'est ainsi qu'a t fabrique de toutes pices,
longtemps aprs l'poque assigne la vie de Jsus-Christ, l'histoire de la rvolte de Satan et
de sa dfaite par l'archange saint Michel.
Or, comme nous examinons la Bible principalement au point de vue de la croyance
catholique, c'est ici qu'il nous parait utile de nous occuper de celte addition.
En un temps quelconque, donc, messire Jhovah se dit qu'il ne suffisait pas, un Tout-
Puissant comme lui, d'avoir cr le ciel et la terre. Puisqu'il peuplait la terre, pourquoi ne
peuplerait-il pas aussi le ciel? Il s'tait embt dans le chaos; il s'embtait de plus belle, tout
seul, dans son paradis. Comme avec rien il pouvait fabriquer des masses d'objets et d'tres
anims, il avait cr des anges dont le rle fut de lui former une agrable compagnie. Aprs
quoi, il s'tait pay un beau fauteuil son chiffre, afin de prsider convenablement la cleste
assemble. Et, pour le distraire, les anges chantaient tout le temps; en leur qualit d'tres
surnaturels, ils ne se fatiguent pas.
Mais voici que le plus beau de tous les anges, un gaillard auquel les tonsurs ont donn le
nom de Lucifer, guigna du coin de l'il le sige du Trs-Haut et conut le rve audacieux de
se substituer son crateur comme prsident du paradis. Sa criminelle tentative parut une
dlicieuse farce quelques anges qui l'exercice du chant semblait monotone, et ils
s'associrent au rvolt, tandis que la grande majorit se montra scandalise au plus haut
point.
C'est alors que Michel, ange fidle, vrai caniche pour le dvouement, se chargea de faire
triompher la cause de Dieu en administrant Lucifer une formidable racle. L'ange rebelle fut
prcipit aux enfers, crs subit en son honneur; ses complices y dgringolrent en mme
temps; et le pre Jhovah put replacer son divin postrieur dans le fauteuil prsidentiel.
29

Telle est, succinctement, la lgende dont les pasteurs catholiques ont fait un dogme pour leurs
tremblantes ouailles; car, au fond, cet pisode sert surtout donner le frisson aux dvots et
dvotes. Gare vous, pieuses brebis! si vous n'obissez pas aux messieurs-prtres, vous irez
rejoindre les mauvais anges au fin fond des enfers.
Dans la Bible hbraque, quand il est question des diables, c'est--dire en des livres crits
incontestablement aprs la captivit de Babylone (mille ans aprs la mort de Mose, ne
l'oublions pas), le plus important de ces dmons est appel Satan; mais ces diables sont des
mauvais gnies, sans aucune autre explication; ils ne sont nullement reprsents comme des
rvolts, expulss du paradis cleste et enchans dans un enfer de flammes. Ainsi, dans la
lgende de Job, le mauvais gnie Satan se promne au ciel, y va et vient comme s'il tait chez
lui, y discute avec Jhovah. En voyant ces diables des derniers livres de la Bible prendre si
bien leurs aises et n'endurer aucun supplice, les critiques ont fait remarquer que c'tait
exactement la croyance des Chaldens, des Perses, dont les livres sacrs remontent une plus
haute antiquit que ceux des Juifs. On en a conclu que les Isralites, pendant la longue
captivit de Babylone, avaient ajout leurs croyances une partie de celles des peuples avec
lesquels ils avaient t en contact. D'ailleurs, le nom que les Juifs adoptrent alors pour
dsigner le principal diable trahit l'emprunt fait la religion de la Chalde ou Babylonie; car
Satan n'est pas un mot hbreu, mais bien un mot chalden, qui signifie la haine .
L'Esprit-Saint avait donc cach au peuple de Dieu non seulement l'histoire de la rvolte d'un
certain nombre d'anges, mais mme le vritable nom du principal diable, puisque celui-ci n'est
jamais nomm Lucifer dans la Bible. Ce sont les chrtiens qui ont dcouvert tout cela.
Toutefois, les Pres de l'Eglise ont prtendu trouver toute force une mention de Lucifer dans
l'Ancien Testament: et, pour cela, ils ont eu recours un subterfuge trompant assez
habilement les ouailles qui les croient sur parole et ne lisent de la Bible que ce qu'on leur en
laisse lire. Ce subterfuge roublard mrite d'tre perc jour, et je demande au lecteur de me
pardonner une petite digression ncessaire.
C'est dans les prophties d'Isae, au chapitre 14, verset 12, disent les tonsurs, qu'il est
question de Lucifer sous ce nom mme, et ils citent le commencement du verset, mais en le
falsifiant au moyen de la traduction latine de saint Jrme, dite la Vulgate.
Voici le passage en question. Dans ce chapitre 14, Isae, en bon juif furieux de ce que les
Babyloniens ont tenu longtemps sa nation en captivit, exhale sa patriotique colre et annonce
au roi de Babylone que son royaume subira son tour la dcadence et sera ruin de fond en
comble.
L'Eternel, s'crie Isae, aura piti de Jacob et choisira encore Isral; et il rtablira les
Isralites dans leur terre... Isral, tu te moqueras alors du roi de Babylone, et tu diras:
Comment le tyran se repose-t-il? Comment se repose cette ville qui tait toute d'or? L'Eternel
a rompu le bton des mchants et la verge des dominateurs...
Il fera lever de leurs siges tous les principaux de la terre, tous les rois des nations. Ils
prendront tous la parole et diront au roi de Babylone: Tu as t aussi affaibli comme nous! tu
as t rendu semblable nous! On a fait descendre ta magnificence dans le spulcre, avec
le bruit de tes instruments; tu es couch sur une couche de vers, et la vermine te couvre
(versets 9- 10- 11).
12. Comment es-tu tomb du ciel, o Hlel, astre qui te levais an matin? Toi qui foulais les n
ations, tu es abattu jusqu' terre.
13. Tu disais en ton cur: Je monterai jusqu'aux cieux, j'lverai mon trne par-dessus les
toiles du Dieu fort; je serai assis sur la montagne de l'assemble, ct d'Aquilon...
Et toutefois on t'a fait descendre au spulcre, au fond de la fosse. Ceux qui te verront, te
regarderont en disant N'est-ce pas ici cet homme qui faisait trembler la terre et qui branlait
les royaumes, qui a rduit le monde en dsert, qui a dtruit les villes et n'a point rendu la
libert ses prisonniers? Tous les rois des nations, tous tant qu'ils sont, sont morts avec
30

gloire, chacun dans son palais. Mais toi, tu as t jet loin de ton spulcre, comme un tronc
pourri, comme un habit de gens tus, transpercs avec l'pe, qui sont descendus parmi les
pierres dans une fosse, et comme un corps mort foul aux pieds.
Il faut vraiment un toupet de ratichon pour prtendre qu 'Isae parlait de Lucifer-Satan dans ce
chapitre 14. C'est bien du roi de Babylone qu'il s'agit; ce dbordement de colre, ce flot de
menaces, tout cela est l'adresse du roi de Babylone, uniquement, exclusivement.
Maintenant, comment saint Jrme a-t-il opr la falsification du texte?... Gn par la version
grecque des Septante, Jrme a traduit la Bible en latin, et, profitant de ce qu'Isae compare
accidentellement le roi de Babylone l'toile du matin, nomme Hlel (aurore) chez les Juifs
et Lucifer (porte-lumire) chez les Romains, il a crit ainsi la premire partie du verset 12:
Quomodo cecidisti de clo, LUCIFER, qui mane oriebaris? Comment es-tu tomb du ciel,
Lucifer, toi qui te levais au matin.
Et nos tonsurs, adoptant cette traduction inexacte, se gardant bien de dire leurs ouailles que
le texte original hbreu porte Hlel et qu'il s'agit du roi de Babylone compar l'astre Vnus,
toile du matin, nos tonsurs, ayant soin de ne pas mettre le reste du chapitre sous les yeux
des gogos dont ils empochent le saint-frusquin, s'crient, avec des airs de triomphe; La
chute de Lucifer est mentionne dans la Bible! Isae en a parl !
Comme aplomb, c'est raide... Or, dans ce mme chapitre, au verset 28, Isae dit qu'il a
prononc sa prophtie en l'an o mourut le roi Achaz, soit en 723 avant Jsus-Christ. Mme
en supposant qu'Isae n'ait pas crit sa prophtie aprs coup, il faut bien reconnatre que
l'auteur parle au futur, depuis la premire ligne jusqu' la dernire. Si donc cette chute du ciel
s'appliquait Lucifer-Satan, elle aurait eu lieu aprs la mort du roi Achaz! Et les prtres
catholiques disent ailleurs que c'est ce mme Lucifer, devenu diable, qui tenta
ve sous la forme du serpent! Quelle salade de contradictions!...
Allons, voil encore une blague catholique biffer une bonne fois. De cette digression, qu'il
importait de faire, le lecteur retiendra la preuve dfinitive de l'absence totale de la lgende de
Lucifer rvolt et vaincu, dans les livres sacres des Juifs.
Nous revenons donc aux anges du chapitre 6 de la Gense, et nous allons recourir des
sources, galement trs sacres, o nous puiserons plus de dtails sur le concubinage de ces
bons anges avec les belles filles des hommes.
Les manuels d'histoire sainte, l'usage des simples fidles, ne font aucune allusion, c'est
entendu, l'aventure rvle par les quatre versets que j'ai reproduits tout l'heure; mais ces
quatre versets ne sont pas retranchs des ditions bibliques rserves aux curs. Ce n'est pas
tout: les tonsurs ont un autre livre pour eux seuls, un livre qu'ils entourent d'une grande
vnration, sans le divulguer, et qui se nomme le Livre d'Enoch.
Enoch, vous ne l'avez pas oubli, est ce patriarche de trois cent soixante-cinq ans, dont
Jhovah se toqua et qu'il enleva au ciel, non l'tat d'me, mais en chair et en os, comme
Jupiter enleva Ganymde, dont il s'tait, lui aussi, toqu. Or, d'aprs une tradition, Enoch
crivit un livre, qu'il n'emporta pas en paradis, heureusement; il le lgua son fils
Mathusalem, et No, dit-on, mit dans l'arche le prcieux manuscrit. Toutefois, le livre d'Enoch
fut longtemps perdu.
On dit qu' il existait, on ne sait o, par exemple! au temps des aptres. La preuve qu'on
en donne est dans le Nouveau Testament. L, l'ptre de saint Jude s'exprime ainsi, aux versets
14-15: C'est d'eux encore (les impies) qu'Enoch, septime depuis Adam, a prophtis en ces
termes: Voil que le Seigneur vient avec ses milliers de saints, pour exercer le jugement
contre tous, et pour convaincre tous les impies de toutes leurs uvres d' impit. Puisque
saint Jude a cit un passage de ce livre, c'est qu'il le connaissait, parbleu! Et, pendant plusieurs
sicles, les thologiens se demandaient: Qu'est devenu le livre d'Enoch?
Enfin, un voyageur assez clbre, l'cossais Jacques Bruce, dcouvrit en Abyssinie le fameux
livre; pour dire la vrit, c'est sur une version thiopienne qu'il mit la main, car il est peu
31

probable qu'Enoch ait crit ses belles histoires dans la langue de Mnlik... Voyez un peu,
tout de mme, combien il est utile d'avoir une providence, quand on est thologien! Ecrit par
Enoch dans la langue d'avant la tour de Babel, ce livre merveilleux avait eu la chance,
quoique la langue primitive ait t brusquement perdue, de trouver un traducteur hbreu; puis,
cette traduction hbraque, connue des aptres et des premiers pres de l'Eglise, avait disparu
comme une muscade. Crac! un cossais en dcouvre, vers la (in du dix-huitime sicle, une
version thiopienne complte chez les anctres de Mnlik. Merci, divine providence!
Notre Bruce apporta sa trouvaille la bibliothque bodlienne d'Oxford; joie immense des
thologiens; nouvelles traductions, dont la premire (1838) fut imprime en anglais et eut
pour auteur Mgr Richard Laurence, archevque de Casel, en Irlande.
Le livre d'Enoch est divis en onze sections. C'est dans la section 2 qu'est raconte l'histoire
des amours des anges avec les filles des hommes.
Le nombre des hommes s' tant prodigieusement accru, ils eurent de trs belles filles. Or, les
plus brillants des anges en devinrent amoureux, et ils furent entrans, par ce fait, dans
beaucoup d'erreurs.
Ils s'animrent entre eux, et ils se dirent: Allons sur terre, et choisissons-nous des femmes
parmi les plus belles filles des hommes.
Alors, Semiazas, que Dieu avait cr prince des anges les plus brillants, leur dit: Un tel projet
est excellent; mais je crains que vous n'osiez pas le mettre excution et que je ne demeure le
seul de nous tous faire des enfants aux belles filles des hommes.
Tous rpondirent: Faisons serment d'excuter notre projet, et dvouons-nous l'anathme si
nous y manquons.
Ils s'unirent donc par serment et firent des imprcations. Ils taient au nombre de deux cents,
d'abord. C'tait le temps o vivait Jared (pre d'Enoch). Ils partirent ensemble, descendirent
du ciel, et vinrent sur la montagne Hermoni m, ou mont des serments.
Et voici les noms des vingt principaux d'entre eux: Semiazas, Atarcuph, Araciel, Chobabiel,
Horammame, Ramiel, Sampsich, Zaciel, Balciel, Azalcel, Pharmarus, Amariel, Anagemas,
Thausa l, Samiel, Sarinas, Eumiel, Tyriel, Jumiel, Sariel.
Eux et les autres, et d'autres encore, prirent des femmes l'an onze cent soixante-dix de la
cration du monde. De ce commerce naquirent les gants, etc., etc.
On voit qu'il ne s'agit aucunement d'une rvolte contre Dieu: les plus brillants des anges,
ayant leur tte le prince Semiazas, qui n'est ni Lucifer ni Satan, vont en partie de plaisir sur
terre, voil tout.
Il est vrai que, leur exemple tant suivi par un grand nombre, Jhovah, se voyant dlaiss,
commena grogner; cependant, il mit longtemps se fcher tout--fait, et sur la cause de la
grande colre dfinitive le livre d'Enoch et la Gense ne sont pas absolument d'accord. C'est le
cas de dire: Il y a de la magie l-dessous. Vous allez voir.
Selon la Gense: la suite des relations des anges avec les belles humaines, les hommes
devinrent trop charnels. Un thologien pourrait traiter la question. En effet, dirait-il, si les
belles filles trouvrent got l'aventure et se montrrent insatiables, les anges furent en
mesure de les satisfaire, et cela dut exciter l'mulation des simples hommes, leurs rivaux.
Mais qu'est-ce que cela pouvait bien faire au papa Bon Dieu? rpondrons-nous; n'avait-il pas
recommand l'humanit de crotre et de multiplier?...
Le livre d'Enoch ne prsente pas les faits sous le mme aspect. Les anges, devenus papas,
s'intressrent leurs enfants et furent, pour les gants, des professeurs hors ligne. Non
seulement, ils leur apprirent faonner les joyaux et les pierreries (sic); mais encore, ils leur
enseignrent la magie, l'art de lire l'avenir dans les astres. En outre, ils initirent leurs
concubines aux grands mystres. On comprend ce qui s'ensuivit: mesdemoiselles les
matresses des anges et leurs btards gants furent bientt suprieurs aux autres hommes; que
32

de fumisteries on peut faire ses contemporains, quand on est magicien!... La terre se
plaignit et retentit de cris de douleur.
mus des douleurs de la terre, les quatre anges de l'harmonie demandrent Dieu de mettre
un terme ces maux. Sur ces entrefaites, le sieur Azazel, un des anges qui couchaient avec les
filles des hommes, avait cherch noise Semiazas, lui avait flanqu une tripote, et avait pris
sa place comme chef des balladeurs sur terre. Dieu envoya l'ange Raphal combattre l'ange
Azazel, et notre Azazel, vaincu, fut enferm par Raphal dans une caverne, au dsert de
Dodol.
D'autre part, Dieu trouva le dluge ncessaire: pour empcher les gants de continuer leurs
exercices de magie, il allait noyer tout le monde, y compris les simples hommes qui
souffraient des sorciers. Quant aux anges, qui taient alls mener sur terre une vie de btons
de chaise, ils rintgreraient le ciel et devraient rester bien sages dsormais.
C'est, sans doute, depuis cette poque que les anges sont des tres insexuels: le pre Jhovah,
pour se garantir contre de nouvelles escapades, dut les obliger dposer leur cautionnement,
comme font les pachas l'gard de tout monsieur postulant un emploi dans leur srail. Les
curs ont donc grand tort de supprimer cet pisode dans leurs manuels d'histoire sainte; on
saurait au moins pourquoi les anges sont eunuques!
Est-il besoin d'ajouter que le pauvre bougre d'ange Azazel, oubli dans la caverne o Raphal
l'avait boucl, fut, naturellement, noy lors de l'universelle inondation?... Versons une larme
sur son triste sort.
Allez donc dire, aprs cela, qu'il n'est pas providentiel que le livre d'Enoch ait t retrouv!...
En somme, il n'avait pas gn les premiers chrtiens, puisque saint Jude le cite expressment:
plusieurs Pres de l'Eglise ne se sont pas fait faute, leur tour, d'en parler comme d'un livre
trs connu: Origne, que saint Jrme appelait le matre des Eglises, invoqua son autorit;
Tertullien accorde une grande vnration cet ouvrage dans son Trait sur le paganisme. Le
livre d'Enoch fut donc en honneur dans le catholicisme jusqu'au quatrime sicle. Plus tard, en
rflchissant qu'il consolidait les quatre ennuyeux premiers versets du chapitre 6 de la Gense,
les prtres le firent disparatre; mais des fragments purent tre conservs et ont t cits par
Scaliger, Semler et Fabricius. Enfin, il faut remercier l'archevque Laurence, qui traduisit la
version thiopienne rapporte par Jacques Bruce.
En voyant quelle ide les Juifs se faisaient des anges, nous constatons que les catholiques ont
chang aujourd'hui tout cela, et pourtant ils dclarent que la nation isralite tait le peuple de
Dieu et ils ont adopt comme divinement inspirs leurs livres religieux.
Ainsi les Juifs classaient les anges en une hirarchie de dix degrs:
1. les Kadoschim, ou trs-saints;
2. les Ofamim ou rapides;
3. les Oralim, ou forts;
4. les Chasmalim, ou anges-flammes;
5. les Sraphim, ou anges-tincelles;
6. les Malachim, ou messagers;
7. les Elohim, ou divins;
8. les Ben-Elohim, ou enfants des dieux;
9. les Chrubim, ou anges-bufs;
10. les Ychim, ou anims.
Mais le pape Grgoire I a t d'avis de rpartir tout autrement les anges, et depuis lors, on a eu
la division suivante, trois hirarchies de trois churs chacune: premire hirarchie, compose
des Sraphins, des Chrubins et des Trnes; deuxime hirarchie, compose des Dominations,
des Vertus et des Puissances; troisime hirarchie, compose des Principauts, des Archanges
33

et des simples Anges. On voit par l combien est grand le pouvoir d'un pape; avoir le droit de
rgler les rangs du ciel, ce n'est pas une bagatelle!...
Les prtres catholiques ont donc affirm leurs benotes ouailles que les Juifs n'entendaient
rien leurs livres saints, ne comprenaient pas leur religion. Pensez un peu! ces imbciles Juifs
n'avaient jamais devin que leur Isae, en apostrophant le roi de Babylone, leur ennemi, et en
lui prdisant qu'un jour viendrait o sa puissance serait dtruite, avait voulu parler, non pas de
la future chute de ce roi, mais en ralit de l'antique rvolte de Lucifer contre Dieu et de sa
dgringolade et transformation en Satan. Fallait-il que les rabbins aient l'esprit bouch pour
n'avoir pas su lire entre les lignes!...
Et, disent les tonsurs, il y a bien d'autres choses encore que les Isralites n'ont pas souponn
dans leur Bible.
Par exemple, la Trinit. Essayez de faire comprendre un Juif qu'il adore un dieu en trois
personnes; vous perdrez votre temps, il vous rira au nez. Il vous rpondra que, si papa Bon
Dieu tait triple, il l'aurait dit Mose, aux patriarches, aux prophtes. La Bible en main, il
vous soutiendra que pas un mot n'y fait allusion cette trinit, d'ailleurs incomprhensible, et
qu'au contraire, d'un bout l'autre, l'criture Sainte atteste la personnalit de Jhovah comme
essentiellement une et indivisible.
Devant ce manque de perspicacit, le thologien catholique sourit de piti, hausse les paules.
Les deux premiers versets de la Gense lui suffisent pour dmontrer que la trinit divine a
exist de tout temps, tellement c'est clair! Il les cite triomphalement, ces deux premiers
versets:
1. Dans le commencement, Elohim fit le ciel et la terre;
2. Or, la terre tait tohu-bohu, les tnbres taient sur la face de l'abme, et le vent de Dieu
courait sur les eaux.
Telle est la traduction littrale du texte hbreu, avec la conservation des mots Elohim et tohu-
bohu qui ont t adopts en d'autres langues.
Vous ne voyez pas Dieu le Pre, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit l-dedans?... En effet, au
premier coup d'il, on ne les aperoit gure; mais prenez une lorgnette, et vous allez trs-bien
distinguer la Trinit. Notre lorgnette, si vous le permettez, ce sera le raisonnement de saint
Augustin dans son beau livre De cantico novo, chapitre 7. Bien n'est plus convaincant que ce
raisonnement de l'vque d'Hippone; l'glise et tous ses thologiens le proclament d'une
limpidit de cristal de roche.
Dans le commencement , qui est le commencement des temps ou des choses, quivaut
dans le principe . Or, qu'est-ce que le principe, si ce n'est le Verbe, c'est--dire Dieu le
Fils?... Dsirez-vous des preuves? En voici. Ouvrez l'Apocalypse de saint Jean, au chapitre 3;
le Christ lui-mme s'appelle le principe de la crature de Dieu (verset 14). Maintenant,
ouvrez l'Evangile du mme Jean, au chapitre 8. Interrog par les Juifs, lui demandant: Qui
tes-vous? Je suis le principe, rpondit Jsus (verset 25).
Par consquent le premier verset de la Gense doit se lire ainsi: En Dieu le Fils, qui est le
principe, Dieu le Pre lit le ciel et la terre.
Vous n'tes pas tout--fait satisfait?... Vous venez de voir tes deux premires personnes de la
Trinit; mais vous ne distinguez pas encore la troisime. Un peu de patience; reprenez la
lorgnette de saint Augustin. La troisime personne, Dieu le Saint-Esprit est au verset 2, l-bas,
la fin.
Le vent de Dieu courait sur les eaux... Ce petit vent ne vous dit-il rien?... En latin, le vent,
le souffle, c'est spiritus, et l'esprit, c'est aussi spiritus; donc le vent de Dieu n'est autre que
l'esprit de Dieu, c'est--dire Dieu le Saint-Esprit.
34

C'est pourquoi, la vraie traduction du texte hbreu est celle-ci: En Dieu le Fils, principe de
toutes choses, Dieu le Pre fit le ciel et la terre; or, la terre tait tohu-bohu, les tnbres taient
sur la face de l'abme, et Dieu le Saint -Esprit courait sur les eaux.
Cette fois, a y est... Et dire que les Juifs n'ont jamais pu voir a dans les deux premiers
versets de la Gense!... Un tel aveuglement est vraiment extraordinaire.
Quant moi, chers lecteurs, vous reconnatrez que j'ai mis profit mes douze ans passs
votre intention sous la bannire de l'Eglise. J'ai appris les belles choses de la thologie, et
voici que je vous les fais savourer.
Admirez donc avec moi ce Dieu le Saint-Esprit, qui, l'poque du tohu-bohu, employait tout
son temps courir sur les eaux. Os qu'est mon fusil?... Et la rflexion finale qui s'impose:
l'Esprit-Saint n'est pas un pigeon, alors?... C'est un canard!!!

4 CHAPITRE

NOYADE GNRALE DE L'HUMANIT

Sobre de dtails sur les fautes commises par les descendants d'Adam depuis le concubinage
des anges, la Gense nous dit simplement: L'Eternel Dieu vit que la malice des hommes
tait devenue trs-grande sur la terre et que toute l'imagination des penses de leur cur
n'tait que mal en tout temps. (6:5)
Disons le mot: les descendants d'Adam devaient ngliger leurs prires du matin et du soir; car
il n'y a rien de tel pour vexer Monsieur Dieu. Au surplus, n'importe quel cur vous
l'apprendra, si vous l'ignorez: quand on oublie ses prires, on est sur la pente de tous les
crimes.
6. Dieu se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il en eut un grand dplaisir dans son
cur.
7. Et il dit: J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai form, depuis l'homme
jusqu'au btail, et tous les animaux, jusqu' ceux qui rampent, mme jusqu'aux oiseaux des
cieux; car je me repens de les avoir faits.
Le repentir d'un dieu, voil qui n'est pas vulgaire. La douleur de matre Jhovah tait des plus
vives, puisqu'elle lui troubla la cervelle, au point de lui faire dcrter l'extermination des
animaux, qui, eux, n'avaient pas pch. La critique pourra dire aussi que le plus simple aurait
t pour Dieu, attendu qu'il est tout-puissant, de changer le cur des hommes; mais il prfra
les noyer, comme on va voir, ce qui n'est pas trs paternel.
8. Mais No trouva grce devant l'ternel. C'tait un homme juste et plein d'intgrit en
son temps (6:9); papa Bon Dieu vint lui faire visite, pour le prvenir de la catastrophe qu'il
mditait et lui donner le moyen d'y chapper.
Et Dieu dit No: la fin de toute chair est venue devant moi; car la terre est remplie des
iniquits de leur face, et je les dtruirai avec la terre. Fais-toi une arche de bois de gopher;
tu feras cette arche par loges, et tu l'enduiras de bitume en dedans et en dehors. Et tu la
feras ainsi: elle aura trois cents coudes de long, cinquante de large, et trente de haut. Tu
donneras du jour l'arche; tu feras son comble d'une coude de haut; tu mettras une porte sur
le ct; et tu la feras avec un bas tage, un second et un troisime.
Et voici: je ferai tomber un dluge d'eaux sur la terre, pour dtruire toute chair qui a souffle
de vie en soi sous les cieux; et tout ce qui est sur la terre expirera. Mais j'tablirai mon
alliance avec toi; et tu entreras dans l'arche, toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils
avec toi. Et de tout ce qui a vie d'entre toute chair, tu en feras entrer deux de chaque espce
dans l'arche, pour les conserver en vie avec toi; savoir, le mle et la femelle; des oiseaux,
35

selon leur espce; des btes, selon leur espce; et de tous les reptiles, selon leur espce.
Prends aussi avec toi de toute nourriture qu'on mange, et fais-en ta provision, afin qu'elle
serve pour ta nourriture et pour celle des animaux. Et No fit toutes les choses que Dieu lui
avait commandes; il les fit ainsi. (6:13-22)
La construction de l'arche dura cent ans.
Jhovah n'avait pas dit No de prvenir les autres hommes de ce qui allait arriver; on est
donc en droit de prsumer que le patriarche et sa famille gardrent le secret. Les gens taient
pats de voir No construire en pleins champs cet immense vaisseau, long de trois cents
coudes, ce qui fait environ cent cinquante mtres, c'est--dire la longueur d'un de nos grands
paquebots du courrier de Chine; mais ces formidables paquebots ont quinze mtres de large,
tandis que l'arche en eut vingt-cinq. Les autres hommes prenaient le vieux No pour fou et se
moquaient de lui qui mieux mieux; mais le patriarche se laissait blaguer, sans sourciller, et
n'en tait que plus actif sa besogne.
Rira bien qui rira le dernier, murmurait-il dans sa barbe.
Les cent annes employes construire l'arche ne paratront pas un nombre exagr, si l'on
songe tout ce que la Bible passe sous silence, mais qui fut nanmoins d'absolue ncessit
pour se conformer aux ordres de Dieu. Ainsi, les trois fils de No eurent, videmment, de
longs voyages faire dans les contres les plus lointaines du monde, afin d'en rapporter les
animaux qui ne vivaient pas dans leur rgion. Comme il s'agissait aussi de ne pas tre croqus,
une fois dans l'arche, par les lions, les tigres, les alligators et autres terribles btes, ils durent
se faire enseigner (par les gants, sans doute) le mtier de dompteur. Il fallut fabriquer des
conserves de viande pour les innombrables carnassiers.
Il convient aussi de remarquer que ce bois de gopher, dont l'arche fut faite, devait tre le
meilleur des bois. Si aujourd'hui on s'avisait de mettre cent ans pour construire un vaisseau, il
n'est pas de bois, si dur qu'on le puisse rver, qui ne serait pourri avant l'achvement du
navire; la poupe s'mietterait de vtust quand on en arriverait travailler la proue, et ce
serait toujours recommencer, comme pour le couteau de Jeannot, qui est ternel, parce qu'on
en remplace alternativement la lame et le manche. Personne n'a pu dire au juste ce qu'tait ce
fameux bois de gopher; on n'en a jamais pu retrouver nulle part depuis le dluge, et c'est bien
fcheux.
Quand le vaisseau sauveur fut achev, l'Eternel dit No: Entre, toi et toute ta maison, dans
l'arche; car je t'ai vu juste devant moi en ce temps. (Gense 7:1)
La suite du discours divin prouve que matre Jhovah avait oubli ses premires prescriptions;
il avait recommand au patriarche de ne prendre avec lui qu'un couple de chaque espce de
btes. Au dernier moment, papa Bon Dieu changea quelque peu le programme.
Tu prendras, dit-il No, de toutes les btes nettes sept de cbaque espce; mais des btes
qui ne sont point nettes, un couple seulement, le mle et la femelle. (7:2)
La Bible n'ajoute pas que Dieu ait expliqu No ses distinctions; mais cela est probable.
D'ailleurs, le Lvitique, autre livre attribu Mose, indique (ch. 11) ce que les Hbreux
entendaient par animaux purs ou btes nettes et animaux impurs ou btes qui ne sont point
nettes. Parmi les quadrupdes, les purs sont ceux qui ont l'ongle divis, le pied fourchu, et qui
ruminent: le chameau, le lapin, le livre, qui ruminent, mais qui n'ont pas l'ongle divis, sont
animaux impurs; le cochon, qui a l'ongle divis et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas, est
galement animal impur. Parmi les oiseaux, Jhovah a dclar impurs l'aigle, l'orfraie, le
faucon, le vautour, le milan, le corbeau, le chat-huant, le coucou, l'pervier, la chouette, le
plongeon, le hibou, le cygne, le cormoran, le plican, la cigogne, le hron, la huppe et la
chauve-souris. Enfin, ont t dclars animaux impurs la belette, la souris, la tortue, le
hrisson, le crocodile, le lzard, la limace et la taupe. Toutes les autres btes sont des animaux
purs.
36

D'autre part, papa Bon Dieu annona No que la petite fte diluvienne commencerait dans
sept jours. Le patriarche eut donc apprendre lestement son histoire naturelle, pour savoir s'il
devait embarquer avec lui deux ou sept girafes, deux ou sept lphants, deux ou sept
rhinocros, deux ou sept hippopotames, etc.
Et il arriva qu'au septime jour les eaux du dluge tombrent sur la terre. En l'an six cent
de la vie de No, au second mois, au dix-septime jour du mois, en ce jour-l toutes les
fontaines du grand abme furent rompues, et les bondes des cieux furent ouvertes. (7:10-11)
On constate par l que l'Esprit-Saint persistait faire croire l'existence d'un immense
rservoir d'eaux suprieures, se vidant en quelque sorte au moyen d'cluses.
Et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. En ce mme jour-
l, No, Se m, Cham et Japhet, fils de No, entrrent dans l'arche, avec la femme de No, et
les trois femmes de ses fils avec eux; eux, et toutes les btes selon leur espce, et tous les
animaux domestiques selon leur espce, et tous les reptiles qui rampent sur terre selon leur
espce, et tout petit oiseau ayant des ailes, de quelque sorte que ce soit. (7:12-14)
Quelle arche! quelle arche!... En additionnant les diverses priodes indiques dans la suite de
ce chapitre et dans le chapitre suivant, on trouve que No, sa famille et les animaux sauvs
restrent dans l'arche pendant 393 jours au total. Les thologiens ne nous disent pas comment
huit personnes purent suffire durant toute une anne donner manger et boire tous ces
animaux, et vider leurs excrments. Il faut songer aussi la reproduction de toutes ces btes,
aux races trs prolifiques!... Quelle place il fallait! quelles immenses provisions de toute
nature! quelle besogne pour No, sa femme, ses fils et ses brus!
C'est Dieu qui s'tait charg de fermer la porte de l'arche (7:16). Quand le navire se mit
flotter, les eaux se renforcrent et s'accrurent fort sur la terre; et toutes les plus hautes
montagnes qui taient sous tous les cieux furent couvertes; les eaux s'levrent de quinze
coudes plus haut (7:17-20). Il est impossible de se faire une ide exacte de cette masse
d'eau, mme lorsqu'on sait que la plus grande profondeur marine connue est la fosse du
Tuscarora, dans l'Ocan Pacifique (les Kouriles), 8,606 mtres de profondeur, et que la plus
haute montagne du globe, le Gaourisankar, de l'Himalaya, a son sommet 8,840 mtres au-
dessus du niveau de la mer!... Et le Gaourisankar fut dpass de quinze coudes par le niveau
de l'inondation universelle!...
J'appellerai, en passant, l'attention du lecteur sur la dsagrable surprise que le dluge fit
prouver aux poissons: au dbut, ils durent certainement passer un mauvais quart d'heure par
l'effet du mlange des eaux douces et sales; mais, sans doute, ils s'y habiturent, et Dieu leur
accorda une protection spciale, pour les empcher de prir.
Mais toute chair qui se mouvait sur la terre expira, tant des oiseaux que du btail, des btes
et de tous les reptiles qui se tranent sur la terre, et tous les hommes. Toutes les choses qui
taient sur le sec, et qui avaient respiration en leurs narines, moururent. Tout ce donc qui
subsistait sur la terre fut extermin, depuis les hommes jusqu'aux btes, jusqu'aux reptiles, et
jusqu'aux oiseaux des cieux. No demeura seul vivant, et tout ce qui tait avec lui dans
l'arche. Et les eaux se maintinrent sur la terre pendant cent cinquante jours. (7:21-24)
Cependant, il y a une tin tout.
Or, l'Eternel se souvint de No et de tous les animaux qui taient avec lui dans l'arche. Et
alors Dieu fit souffler son vent sur la terre, et les eaux s'arrtrent. Car les sources de
l'abime et les bondes des cieux avaient t fermes, et la pluie des cieux avait t retenue.
Et les eaux se retiraient de plus en plus de dessus la terre; et au bout des cent cinquante jours
elles diminurent. Et au dix-septime jour du septime mois, l'arche s'arrta au sommet du
mont Ararat. Et les eaux allaient en diminuant de plus en plus, jusqu'au dixime mois; et
au premier jour du dixime mois les sommets des autres montagnes se montrrent. (8:1-5)
C'est inou, ce qu'il y a de miracles mentionns en ce peu de lignes!
37

D'abord, nous avons grand plaisir renouveler connaissance avec cet aimable vent de Dieu
qui n'avait eu aucune occupation depuis la cessation du chaos. Au commencement, il courut
longtemps sur les eaux dans le tohu-bohu, et saint Augustin et les thologiens catholiques
nous ont appris que ce vent coureur tait tout btement Dieu le Saint-Esprit. Or, maintenant,
pour scher les eaux du dluge, voil que Jhovah, c'est--dire Dieu le Pre, lche ledit Saint-
Esprit, qui devient souffleur; car ici l'expression du texte hbreu, le vent de Dieu , se
retrouve la mme qu'au verset 2 du chapitre 1; c'est donc indubitablement le divin pigeon (ou
le divin canard, comme vous voudrez) qui entre en scne et assume la tche de desscher
l'universelle inondation.
Il fallait, d'ailleurs, qu'un des personnages de la Trinit s'en mlt: jamais un vent quelconque
n'et pu venir bout d'une telle immensit d'eaux. Le niveau du dluge dpassant de quinze
coudes les plus hautes Montagnes de la terre, on a calcul que cette accumulation d'eaux
reprsentait la valeur de plus de douze ocans l'un sur l'autre et que la douzime zone
diluvienne tait, par consquent, elle seule, vingt-quatre fois plus grande que les eaux
runies de toutes les mers qui entourent aujourd'hui les deux continents. Aussi peut-on
considrer le miracle du dluge comme le plus extraordinaire des miracles que Dieu a
accomplis, puisqu'aprs avoir cr tous ces ocans nouveaux, ce qui tait dj un tour de force
inimaginable, il les a ensuite anantis rien qu'en faisant souffler son vent. Voil un pigeon qui
a du souffle!...
Autre miracle, qui ne saurait passer inaperu: au dix-septime jour du septime mois, l'arche
de No s'est arrte au sommet de l'Ararat, dont l'altitude est de 5,156 mtres; et les
montagnes qui sont plus hautes que l'Ararat, telles que le Gaourisankar, dj nomm (8,840
mtres), le Dapsang (8,615 mtres), le Nanda-Devi (7,813 mtres), l'Aconcagua (6,970
mtres), le Chimborazo (6,254 mtres), le Kilimandjaro (6,000 mtres), le Cotopaxi (5,970
mtres), etc., etc., n'ont montr leurs sommets que dix semaines aprs, soit le premier jour du
dixime mois. a encore, comme miracle, c'est patant ! La vierge de Lourdes elle-mme n'en
opre pas de ce calibre-l.
Le rcit biblique de la fin du dluge comporte, en outre, une histoire de corbeau et de colombe
qui n'offre pas un intrt trs palpitant. No lcha, d'abord, un corbeau qui sortit, allant et
revenant, jusqu' ce que les eaux se schassent. . Ensuite, il envoya une colombe qui, ne
trouvant pas sur quoi asseoir la plante de son pied, retourna lui dans l'arche ; mais il la
lcha de nouveau au bout de sept jours, et, cette fois, quand elle revint, elle tenait dans son
bec une branche d'olivier; No connut ainsi que les eaux s'taient retires de dessus la terre.
Le patriarche avait alors six cent un ans.
Dieu lui parla pour lui faire savoir que le moment tait venu de sortir. La sortie de tous les
animaux s'opra en bon ordre. D'autre part, il est prsumer, bien que la Bible ne le dise pas,
que l'eau sale se spara de l'eau douce (nouveau mir acle!), afin que les fleuves, les lacs, les
mers et les rivires pussent se reformer distincts comme auparavant; et tous les poissons
rentrrent alors dans les diverses ondes qui convenaient leur nature.
Et No btit un autel l'Eternel, et prit de toute ble nette et de tout oiseau net, et il offrit
des holocaustes sur l'autel. Et l'Eternel flaira une odeur qui l'apaisa, et il dit en son cur: Je
ne maudirai plus la terre, cause des hommes; car l'imagination du cur des hommes est
mauvaise ds leur jeunesse; et je ne dtruirai plus tout ce qui vit, comme j'ai fait. (8:20-21)
L-dessus, papa Bon Dieu administra No et ses enfants une bndiction de premire
classe et leur donna la permission de se nourrir dsormais d'aliments autres que le pain et les
herbages.
Et Dieu bnit No et ses fils, et leur dit: Croissez et multipliez, et remplissez la terre. Et
toutes les btes de la terre, tous les oiseaux des cieux, avec tout ce qui se meut sur la terre, et
tous les poissons de la mer, vous craindront et vous redouteront; ils sont remis entre vos
mains. Tout ce qui se meut et qui a vie sera votre nourriture, aussi bien que l'herbe verte.
38

Toutefois, vous ne mangerez point de chair avec son me, laquelle est le sang. En effet,
je redemanderai le sang de vos mes la main des btes qui vous auront mangs; et mme je
redemanderai l'me de l'homme la main de l'homme son frre. Quiconque rpandra le
sang humain aura son sang rpandu; car l'homme est fait l'image de Dieu. (9:1-6)
De ce qui prcde il rsulte que les btes ont une me, au dire de l'Esprit-Saint, et que l'me
rside dans le sang. On voit aussi que le seigneur Jhovah a horreur de l'homicide; mais,
comme le Dieu de la Bible a souvent la berlue, nous le verrons plus loin pousser les Isralites
aux massacres et trouver que son peuple chri ne verse jamais assez de sang humain.
Papa Bon Dieu prenant l'engagement de ne plus noyer l'humanit, une signature tait
ncessaire ce pacte; la signature divine fut l'arc-en-ciel, inaugur ce jour-l.
Je mettrai mon arc dans les nues, dit l'Eternel, et il sera le signe de mon alliance entre moi
et la terre. Et, quand il arrivera que j'aurai couvert de nues la terre, alors l'arc paratra dans
les nues. Ainsi, le voyant, je me souviendrai de mon pacte entre moi, Dieu, et vous, entre
moi et tout animal vivant en chair sur la terre. (9:13-15)
La prcaution tait bonne, papa Bon Dieu se dfiant de ses frquents manques de mmoire.
On remarquera, en outre, que le texte sacr ne dit pas: Mon arc qui est dans les nues sera
dsormais le signe de mon alliance; mais: Je mettrai mon arc dans les nues; ce qui donne
entendre trs nettement qu'auparavant il n'y avait point eu d'arc-en-ciel. Or, comme l'arc-en-
ciel n'est form que par les rfractions et les rflexions des rayons du soleil dans les gouttes de
pluie, il s'ensuit que, pendant les sicles couls entre la cration d'Adam et le dluge,
l'arrosage pluvial ne se produisit jamais; les arbres et les plantes poussrent donc tout seuls,
ou bien la sueur du front des hommes leur suffisait, ou encore le vagabond Can qui btissait
des villes organisa sur tout le globe des compagnies d'arrosage artificiel.
L'histoire du dluge se complte par deux pisodes intressants: l'ivresse de No, et la tour de
Babel.
No, qui tait laboureur, fut le premier qui planta la vigne. Or, ayant bu du vin, il
s'enivra, et s'tendit tout nu, au milieu de sa tente. Et Cham, pre de Canaan, ayant vu la
nudit de son pre, sortit et le rapporta ses deux frres. Alors, Sem et Japhet prirent un
manteau, et marchant reculons, ils couvrirent le sexe de leur pre, et leurs visages taient
tourns en arrire, de sorte qu'ils ne virent pas la nudit de leur pre. (9:20-23)
Ainsi, Sem et Japhet se conduisirent respectueusement, en bons fils ayant piti de l'ivresse de
monsieur leur papa; Cham, au contraire, avait agi en malotru. Une maldiction ne pouvait
tarder; mais vous allez voir qui la reut.
No, s'tant veill aprs son vin, apprit la moquerie de son fils Cham. C'est pourquoi il
dit: Maudit soit Canaan; il sera l'esclave des esclaves de ses frres! Il dit encore: Bni soit
l'Eternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave! Que Dieu attire en douceur Japhet,
et que Canaan soit son esclave! (9:24-27)
Et voil comment fut maudit le jeune Canaan, qui ne s'tait aucunement moqu de son grand-
pre. Il n'est gure possible de croire que No avait fini de cuver son vin, quand il pronona sa
sentence; mais elle fut nanmoins confirme par le seigneur Jhovah.
En effet, les thologiens s'accordent reconna tre que No attribua l'Asie Sem, l'Europe
Japhet, et l'Afrique Cham; Canaan et Cham devinrent ngres, et eux et leur race furent ainsi
mpriss. Comment les trois fils de No, quoique issus d'un mme pre et d'une mme mre,
purent-ils tre les chefs de trois races diffrentes? Ce serait perdre son temps que chercher le
comprendre. Il faut donc s'incliner et admettre gu de Sem descend la race asiatique la peau
jaune; de Japhet, la race europenne la peau blanche; et de Cham et Canaan, la race africaine
la peau noire. Mais les peaux-rouges d'Amrique, de qui descendent-ils? L'Esprit-Saint
oublia de le dire l'crivain de la Gense; ou bien la race cuivre n'a pas eu de pre. Miracle
et mystre.
39

Le chapitre 10 donne la gnalogie de Japhet, de Sem et de Cham, et fait connatre les
premires villes bties. De tous les noms cits, le plus connu est celui de Nemrod, qui fut un
puissant chasseur devant l'ternel .
Alors toute la terre avait un mme langage et une mme parole. Mais il arriva, comme
les hommes partirent de l'Orient, qu'ils trouvrent une campagne au pays de Sennaar, o ils
habitrent. Et ils se dirent entre eux: Allons, faisons des briques et cuisons-les au feu; et ils
eurent des briques au lieu de pierres, et du bitume au lieu de mortier. Et ils se dirent
encore: Venez, btissons-nous une ville, ainsi qu'une tour dont le sommet atteigne jusqu'aux
cieux, et acqurons-nous une grande renomme avant de nous disperser sur toute la terre.
Alors l'Eternel descendit pour voir la ville et la tour que btissaient les fils des hommes. Et
il dit: Voici, ils ne sont qu'un peuple, et tous ont un mme langage, et ils commencent
travailler; et maintenant rien ne les empchera d'excuter ce qu'ils ont projet. Venez donc,
descendons, et confondons l leur langage, afin que nul d'entre eux ne comprenne plus ce que
lui dira son voisin. Ainsi l'Eternel les dispersa de l par toute la terre, et ils cessrent de
btir la cit. C'est pourquoi son nom fut appel Babel. (11:1-9)
Saint Jrme, dans son commentaire sur Isae, dit que la tour de Babel avait dj quatre mille
pas de hauteur, quand Jhovah dcrta l'interruption des travaux, et Voltaire observe que cela
ferait vingt mille pieds, soit dix fois plus d'lvation que la grande pyramide d'Egypte,
laquelle a 142 mtres de haut. Or, les pyramides ont subsist, et il ne reste aucune trace de
cette prodigieuse entreprise de la tour de Babel, que la Gense place vers la cent dix-septime
anne aprs le dluge. Pour une hauteur de quatorze cents mtres, qui n'tait pas encore le
fate, il a fallu une base d'un dveloppement formidable; comment cette immense masse de
maonnerie, si compacte et si solide, a-t-elle pu disparatre? On ne peut que supposer un tour
d'escamotage divin, que l'auteur sacr a nglig de mentionner.
A un autre point de vue: si la population du genre humain avait suivi l'ordre de progression
qu'elle suit aujourd'hui, il n'y aurait eu ni assez d'hommes ni assez de temps pour inventer tous
les arts ncessaires dont un ouvrage si colossal exigeait l'usage. Il faut donc regarder cette
aventure comme un prodige.
Un prodige non moins grand est la formation subite de tant de langues. Les commentateurs,
dit Voltaire, ont recherch quelles langues-mres naquirent tout coup de cette dispersion des
peuples; mais ils n'ont jamais fait attention aucune des langues anciennes qu'on parle depuis
l'Indus jusqu'au Japon. Il serait curieux de compter le nombre des diffrents langages qui se
parlent aujourd'hui sur la surface du globe. Il y en a plus de trois cents dans ce que nous
connaissons de l'Amrique, et plus de trois mille dans ce que nous connaissons de notre
continent. Chaque province chinoise a son idiome; le peuple de Pkin entend trs
difficilement le peuple de Canton, et l'Indien des ctes du Malabar ne comprend pas du tout
l'Indien de Bnars. Au reste, toute la terre ignora le prodige de la tour de Babel; il ne fut
connu que des crivains hbreux.
Ce qui domine tout, d'ailleurs, ce qui provoque au plus haut degr la stupfaction, c'est de
constater que les grands faits historiques, relats par la Bible au sujet des origines de
l'humanit, sont totalement ignors de tous les peuples. On comprend que les Grecs, les
Romains, les Egyptiens, les Chaldens, les Perses, les Hindous, les Chinois, n'aient pas eu
connaissance des faits et gestes d'un Gdon, d'un Samson ou de tout autre hros simplement
isralite; mais que les noms d'Adam et de No soient inconnus chez ces nations, c'est une
autre affaire.
Puisque le dluge de la Gense dtruisit tout et que No fut le restaurateur du genre humain,
la gnalogie de ce patriarche devrait tre la seule en honneur chez les historiens de toutes les
nations. Comment les noms d'Adam et Eve, de Can et Abel, d'noch et Mathusalem, de
Lamech, No, Sem, Cham et Japhet, n'ont-ils pas t inscrits sur tous les parchemins ds
qu'on a su crire, au lieu de figurer uniquement dans les livres des Juifs, nation intime?
40

Lorsque les survivants de l'arche se rpandirent dans les diverses contres et donnrent
naissance tous les peuples, ils oublirent donc jusqu'aux noms de nos premiers parents! La
culture de la vigne ne russit mme pas prserver No de l'oubli gnral, puisque chez un
grand nombre de nations Bacchus fut clbr comme inventeur du vin.
Quant au dluge, les critiques y voient un des cataclysmes naturels des premiers ges du
monde, et ils prtendent qu'il y eut plusieurs cataclysmes rgionaux de ce genre; car les Grecs
ont le dluge de Deucalion, qui ne ressemble pas celui de No; les Egyptiens ont la
submersion de l'Ile Atlantide, diffrente aussi du dluge juif; chez les Chaldens, la grande
catastrophe est l'inondation du Pont-Euxin, avec un sauvetage opr par le roi Xissutre. Si le
dluge avait t universel, osent dire les critiques, le nom de No aurait t universel aussi, et
ce sont les noms de Deucalion et du roi Xissutre qui ne se trouveraient nulle part. Et rien n'est
plus extraordinaire qu'Hsiode et Homre, qui parlent de tout, n'aient pas dit un mot d'Adam
et de No, l'un, pre du genre humain, l'autre, tige de toutes les races.
Il faut avouer qu'une telle rticence est sans exemple; car on ne peut, dcemment, accuser le
divin pigeon d'avoir pouss la fumisterie jusqu' donner au premier homme et au sauveur de
l'espce humaine noye des noms de pure fantaisie, dpourvus de toute authenticit.

5 CHAPITRE

HEUREUSE VIE D'UN PATRIARCHE BIEN-AIM

On se rappelle, sans doute, que Jhovah avait arrt que la vie des hommes ne dpasserait
plus six fois vingt ans (6:3). En dpit de ce dcret, Sem s'obstina vivre six cents ans (11:11);
Arphaxad, quatre cent trente-huit ans (v. 13); Sal, quatre cent trente-trois ans (v. 15); Hber,
quatre cent soixante-quatre ans (v. 17); Phaleg et Rhu, chacun deux cent trente-neuf ans (v.
19-21); Saroug, deux cent trente ans (v. 23); Nachor, cent quarante-huit ans (v. 25); Thar,
deux cent cinq ans (v. 32). Ces huit descendants de Sem nous mnent Abraham, qui allait
jouer un rle considrable dans la lgende du peuple juif.
La Gense ne dit pas pourquoi papa Bon Dieu s'enticha de cet Abraham, nomm d'abord
Abram, fils de Thar. Il vivait en un pays nomm Caran, lorsque Jhovah parut devant lui un
beau matin et lui ordonna brusquement, mais amicalement, de faire ses malles.
L'ternel dit Abram: Sors de ton pays et de ton parentage, et de la maison de ton pre, et
viens au pays que je te montrerai. Je te ferai devenir une grande nation; je te bnirai, je
magnifierai ton nom, et tu seras bndiction. Je bnirai ceux qui te bniront, je maudirai
ceux qui te maudiront, et, toutes les familles de la terre seront bnies en toi. (12:1-3)
Abram, alors g de soixante-quinze ans, ne demanda aucune explication, ralisa les biens
qu'il avait acquis, et se mit en voyage, sans savoir au juste o il allait, emmenant sa femme
Sara, son neveu Loth et sa femme dith, et quelques domestiques.
La caravane eut d'abord deux cents lieues faire pour rechercher le pays de Canaan, que Dieu
tenait montrer Abram, afin de le rgaler d'une prophtie; il lui promit, en effet, que ce
territoire appartiendrait un jour sa postrit. Nos voyageurs marchaient, marchaient toujours,
travers des plaines sablonneuses o n'existait aucune vgtation. Pour ranimer sa foi et son
courage, le patriarche nomade levait un autel dans le dsert et priait le Trs-Haut de le faire
arriver au plus tt destination; car cette longue excursion lui usait par trop la plante des
pieds, ainsi qu' toute sa famille.
Aprs avoir travers le pays de Canaan, ceux de Bthel et d'Ha, la caravane s'avana vers le
midi; enfin, on arriva en Egypte.
Et, comme Abram tait prs d'entrer en gypte, il dit Sara, sa femme: Voici, je sais que tu
es une belle femme; et, quand les gyptiens t'auront vue, ils me tueront et ils te garderont.
41

Dis donc, je te prie, que tu es ma sur, afin que je sois bien trait cause de toi et que mon
me vive cause de ta grce. Il arriva donc, sitt qu'Abram fut venu en Egypte, que les
gyptiens virent que cette femme tait fort belle. L es principaux de la cour du Pharaon la
virent aussi, et, devant le roi, ils firent l'loge de sa beaut; et elle fut enleve dans le palais du
Pharaon; lequel fit du bien Abram cause d'elle; de sorte qu'il obtint des brebis, des
bufs, des nes, des serviteurs, des servantes, des nesses et des chameaux. (12:11-16)
Cette aventure est difiante. L'criture Sainte n'a pas un mot de blme pour l'Alphonse
patriarcal. Des commentateurs ont censur svrement la conduite d'Abraham; mais saint
Augustin l'a dfendue dans son livre contre le mensonge. Notons, en passant, que Sara avait
alors soixante-cinq ans; ni l'ge ni les fatigues du long voyage travers le dsert ne parvinrent
diminuer sa beaut; c'est merveilleux! Plus tard, quand elle aura quatre-vingt-dix ans, nous
la verrons enleve encore par un autre roi, et toujours cause de sa beaut.
Le Pharaon se payait donc la superbe vieille et ne croyait aucunement cornifier un mari.
Patatrac! l'il de Dieu aperut ce qui se passait au srail gyptien.
Alors l'ternel frappa de grandes plaies le Pharaon et les gens de sa maison, cause de
Sara. Le Pharaon appela donc Abram et lui dit: Pourquoi as-tu agi ainsi? pourquoi ne
m'as-tu pas dit que c'tait ta femme? Tu m'as dit, au contraire: C'est ma sur; et j'en avais
fait ma femme. Mais maintenant, voici ta femme, reprends-la, et va-t'en. Et le Pharaon
donna des ordres ses gens; et Abram, sa femme, et tout ce qui lui appartenait, furent
reconduits. (12:17-20)
Voil notre Abram de nouveau en route. Il tait trs riche en btail, en argent et en or
(13:2); il n'avait rien rendu au Pharaon, parbleu! Et il s'en retourna par le mme chemin qu'il
tait venu, du midi jusqu' Bthel (13:3).
Au cours de cette nouvelle prgrination, survint une querelle entre les bergers d'Abram et
ceux de Loth. L'oncle et le neveu se sparrent, tout en demeurant les meilleurs amis du
monde. Abram dcida de demeurer au pays de Canaan, tandis que Loth, se rendant dans la
plaine du Jourdain, se fixa Sodome, o il dressa ses tentes.
A quelque temps de l, une guerre clata entre divers rois, parmi lesquels celui de Sodome, et,
dans la bagarre, Loth fut fait prisonnier. L'oncle Abram, qui avait dmnag encore une fois,
ayant transport ses tentes en Hbron, apprit la triste nouvelle; une sainte indignation remplit
son cur; il rsolut donc de dlivrer Loth.
On vit alors ce que peut la vaillance d'un patriarche. Ce nomade, qui n'avait pas un pouce de
terre dans le pays, tenait sous ses ordres un grand nombre de domestiques, parat-il; car il en
choisit trois cent dix-huit, qu'il arma , et, avec cette poigne de valets, il tailla en pices les
armes des quatre rois les plus puissants de la contre: Amraphel, roi de Sennaar, Arioch,
roi de Pont, Chodorlahomor, roi des Elamites, et Thadal, roi des nations ; excusez du peu!...
La victoire fut telle, qu'il poursuivit les quatre monarques jusqu' Dan , qui n'tait pas
encore bt i; et, ayant partag ses serviteurs, il se jeta encore sur les rois durant la nuit, les
battit et les poursuivit jusqu' Hobar, la gauche de Damas; et il ramena tout un riche butin, il
ramena mme Loth, et les femmes, et tout le peuple. (14:1-16)
Or, les annes s'coulaient, et Abram tait navr ; il se demandait comment il aurait une
postrit, comment se raliseraient les promesses divines, en vertu desquelles il devait tre le
pre d'une grande nation.
L'ternel lui dit: Abram, ne crains point; je suis ton bouclier et ta magnifique rcompense.
Et Abram rpondit: Seigneur, que me donneras-tu? Je passe ma vie sans avoir d'enfant s:
et voil, le serviteur qui est n dans ma maison sera mon hritier. Mais l'ternel lui
adressa celte parole: Non, celui-ci ne sera point ton hritier; mais celui qui sortira de tes
entrailles sera ton hritier. Et, aprs l'avoir men dehors, Dieu lui dit: Lve maintenant les
yeux vers le ciel, et compte les toiles, si tu peux les compter; c'est ainsi que sera ta postrit.
(15:1-5)
42

Abram patienta encore.
Or, Sara, sa femme, ne lui avait point encore fait d'enfant; mais elle avait une servante
gyptienne, nomme Agar. Et elle dit Abram: En vrit, Dieu m'a ferme, afin que je ne
puisse enfanter. Joins-toi donc ma servante; peut- tre aurais-je ainsi des enfants par elle. Et
Abram obit la parole de Sara. (16:1-2)
Ceci voulait dire que Sara adopterait l'enfant de sa servante, selon la coutume orientale: un
pre ou une mre mettait l'enfant d'un autre sur ses genoux, et cela suffisait pour le lgitimer.
Alors, Sara prit Agar, sa servante gyptienne, et la donna pour concubine Abram, son
mari, aprs qu'il et demeur dix ans au pays de Canaan. Il connut donc Agar, et elle
conut; mais Agar, voyant qu'elle avait conu, mprisa sa matresse. Sara dit alors
Abram: L'outrage qu'on me fait rejaillit sur toi. J'ai mis ma servante dans ton sein, et depuis
qu'elle s'est vue enceinte, elle me regarde avec mpris. Que Dieu juge entre moi et toi!
Abram rpondit: Allons, la servante est entre tes mains; traite-la comme il te plaira. Sara
donc la battit, et Agar s'enfuit. (16:3-6)
Charmant, n'est-ce pas, ce petit intrieur de patriarche?...
Heureusement, un ange rencontra Agar dans le dsert, et, aprs lui avoir fait la leon, il
l'encouragea.
Retourne ta matresse, dit l'ange du Seigneur, et humilie-toi sous elle. Je multiplierai
tellement ta postrit qu'elle ne se pourra compter. Et le fils que tu mettras au monde, tu
l'appelleras Ismal; car l'ternel a entendu la voix dans ton affliction. (16:9-11)
Voici un dtail curieux que les tonsurs omettent dans leurs manuels d'histoire sainte, et qui
est pourtant dans la Bible: l'ange qui apparut Agar, et qu'elle prit pour un dieu, ne se fit pas
voir d'elle de face; il ne lui montra que son derrire. Textuel!
Ton fils, lui dit l'ange, sera semblable un ne sauvage; il lvera la main contre tous, et tous
lveront leurs mains contre lui. Alors, Agar appela l'ange qui lui parlait: le dieu qui m'a
vue ; car, certainement, dit-elle, j'ai vu le derrire de celui qui m'a vue. (v. 12-13)
Celte bizarrerie est base sur une croyance des anciens: Dieu tait si blouissant, qu'on ne
pouvait voir son visage sans mourir, moins d'une protection tout--lait exceptionnelle. Ainsi,
dans la suite, Mose ne vit Jhovah que par derrire, travers la fente d'un rocher; mais,
d'autres fois, D ieu lui accorda la faveur de le voir face face. Il serait fcheux de laisser dans
l'obscurit de telles perles bibliques.
Puis, Abram tant g de quatre-vingt-dix-neuf ans, l'ternel lui apparut et lui dit: Je suis le
Dieu Schadda; marche devant ma face, et sois sans taches. Et je ferai alliance avec toi, et
je te multiplierai prodigieusement. Alors, Abram tomba sur sa face, et Dieu lui parla,
disant: Voici, mon alliance est avec toi; et tu ne t'appelleras plus Abram, mais ton nom
sera Abraham dsormais; et je te ferai crotre trs abondamment, mme des rois sortiront
de toi.
Je te donnerai, et ta postrit aprs toi, le pays o tu demeures comme tranger, et tout le
pays de Canaan, en possession perptuelle; et c'est moi qui serai leur Dieu.
Voici quel sera le pacte entre moi et tes descendants: tout mle d'entre vous sera circoncis.
Tu couperas la chair de ton prpuce, et ce sera le signe de mon alliance avec toi et les tiens.
Tout enfant mle, ds qu'il aura huit jours, sera circoncis parmi vous dans vos gnrations,
tant celui n dans la maison que l'esclave, achet par argent de tout tranger qui n'est pas de ta
race. Ainsi mon alliance sera dans votre chair, pour tre une alliance perptuelle. Et le
mle incirconcis, duquel la chair du prpuce n'aura pas t coupe, sera extermin, parce qu'il
aura viol mon alliance.
Quant Sara, ta femme, tu ne l'appelleras plus Sara, mais son nom sera Sara dsormais.
Je la bnirai; elle te donnera un fils que je bnirai. Il sera sur les nations, et les rois des
peuples sortiront de lui. Alors, Abraham se prosterna, le visage contre terre; mais il se mit
rire, et il disait en lui-mme: Pense-t-il qu'un homme de cent ans fera un fils? et qu'une
43

femme de quatre-vingt-dix ans accouchera? Et il dit Dieu: Ce que je te demande, c'est
qu'Ismal vive!
Et Dieu rpondit Abraham: Sois-en certain, Sara ta femme t'enfantera un fils, et tu
l'appelleras Isaac; je ferai un pacte avec lui aussi et avec sa race jamais. Quant Ismal,
je t'ai exauc dj; je l'ai bni, et je le multiplierai trs-abondamment; il sera pre de douze
princes, et je le ferai devenir une grande nation. Mais c'est avec Isaac que j'tablirai mon
alliance, avec Isaac que Sara t'enfantera dans un an, en cette mme saison. Et, aprs que
Dieu eut achev de parler, il remonta de devant Abraham. (17:1-22)
On ne saurait lire avec trop de respect le rcit officiel de cette apparition de Jhovah
Abraham. Quand les yeux tombent sur ce passage de la Bible, il devient impossible de mettre
en doute que l'auteur sacr, quel qu'il soit, Mose ou Esdras, ait t vraiment inspir par
l'Esprit-Saint. Les tonsurs n'ont pas besoin d'insister; car le discours du Seigneur atteint une
telle hauteur de sublimit, qu'aucun crivain humain n'aurait pu l'imaginer.
Jamais il ne serait venu la pense d'Alexandre-le-Grand, lorsqu'il f it alliance avec les rois
indiens Taxile et Porus, de leur proposer de se circoncire et de couper les prpuces de tous
leurs sujets, comme marque d'une amiti indissoluble. Et quand Napolon, Tilsitt, sur
l'historique radeau du Nimen, reut dans ses bras le tsar Alexandre, il ne songea qu' la haine
commune de l'Angleterre pour cimenter, d'une faon indestructible, l'alliance qu'il voulait
sincrement entre la France et la Russie; si Murat, qui accompagnait le vainqueur de
Friedland, lui avait dit alors: Sire, au lieu de demander au tsar de mettre sa signature au bas
du trait d'alliance offensive et dfensive, exigez de lui qu'il vous apporte demain son prpuce
coup et les prpuces de tout son tat-major, car voil ce qui serait le plus beau gage du pacte
entre les deux empires , il est probable que Napolon aurait cru une dmence subite de
Murat et l'aurait immdiatement confi ses meilleurs mdecins. Mais Alexandre et
Napolon n'taient que des hommes! Seule, la cervelle d'un dieu pouvait concevoir l'ide
divine d'une ternelle alliance base sur un holocauste de prpuces, se perptuant de
gnration en gnration.
D'autre part, c'est prcisment parce que la circoncision est d'institution divine, que l'on
demeure stupfait en constatant que les chrtiens se sont empresss de la supprimer.
Le patriarche bien-aim n'avait pourtant pas hsit obir au Trs-Haut.
Alors, Abraham prit son fils et tous ses esclaves qu'il avait achets, et gnralement tous les
mles de sa maison, et il leur coupa la chair du prpuce, comme le dieu Schadda l'avait
ordonn. Abraham se coupa la chair de son prpu ce lui-mme, l'ge de quatre-vingt-dix-
neuf ans. Et Ismal son fils avait treize ans accomplis, quand il fut circoncis. Abraham
et Ismal furent donc circoncis le mme jour. Et tous les mles de sa maison, tant ceux qui
y taient ns que ceux qui avaient t achets des trangers, tous furent circoncis. (17:23-
27)
Il en fut toujours ainsi chez les Juifs.
Or, il est de toute vidence que les chrtiens ne peuvent pas greffer leur religion sur celle du
peuple hbreu, sans en excuter fidlement les prescriptions qui sont d'origine divine. Jsus-
Christ a t circoncis; son prpuce est vnr, comme une des plus prcieuses reliques,
Saint-Jean de Latran, Rome, et mme il s'est multipli, par l'effet d'un miracle trs
significatif, puisque la mme relique se trouve aussi Charroux (prs Poitiers), au P uy-en-
Velay, Coulombs (prs Chartres), Ch lons-sur-Marne, Anvers et Hildeshei m; en
outre, le jour o Jsus-Christ fut circoncis est clbr par l'glise, c'est la fte qui ouvre
l'anne grgorienne.
L'empereur Julien-le-Philosophe, dans sa critique du christianisme, ne manqua pas de faire
ressortir quel point les adeptes du nouveau culte violent les prescriptions de cette religion
juive dont ils se disent les continuateurs, plus purement fidles que les juifs eux-mmes: il
44

montra la diffrence de rite, la suppression des sacrifices, la violation de la loi dans l'usage
des viandes, le remplacement du jour du sabbat (samedi) par son lendemain, etc.
A propos de la circoncision, il crivait:
Il faut que je vous demande, Galilens, pourquoi ne vous circoncisez-vous pas?... Jsus n'a-
t-il pas ordonn lui-mme d'observer exactement la loi? Je ne suis point venu, dit-il, pour
dtruire la loi et les prophtes, mais pour les accomplir . (Matthieu 5:17) Et peu aprs il dit
encore: Celui qui manquera au plus petit des prceptes de la loi, et qui enseignera aux
hommes ne pas l'observer, celui-l sera appel trs-petit dans le royaume des cieux. (v. 19)
Or, puisque Jsus a ordonn expressment d'observer scrupuleusement la loi, et qu'il a tabli
des peines pour punir celui qui pchait contre le moindre commandement de cette loi, vous,
Galilens, qui manquez tous, quelle excuse pouvez-vous justifier? Ou Jsus ne dit pas la
vrit, ou bien vous tes des dserteurs de la loi. (Discours de l'empereur Julien contre les
chrtiens, traduit par le marquis d'Argens.)
Le traducteur, aprs avoir donn cette critique de l'empereur philosophe, fait connatre
comment saint Cyrille prtendit le rfuter; et l'on reconnatra, avec le marquis d'Argens, que
les arguments de saint Cyrille sont piteux et faibles.
Voyons, dit saint Cyrille, quoi est bonne la circoncision charnelle, lorsque nous en
rejetterons le sens mystique? S'il est ncessaire que les hommes circoncisent le membre qui
sert la procration des enfants, et si Dieu dsapprouve et condamne le prpuce, pourquoi,
ds le commencement, ne l'a-t-il pas supprim, et pourquoi n'a-t-il pas form ce membre
comme il croyait qu'il devait tre? A cette premire raison de l'inutilit de la circoncision,
joignons-en une autre. Dans tous les corps humains qui ne sont point gts ou altrs par
quelques maladies, on ne voit rien qui soit superflu ou qui y manque: tout y est arrang par la
nature d'une manire utile, ncessaire et parfaite; et je pense que les corps seraient dfectueux,
s'ils taient dpourvus de quelques-unes des choses qui sont pour ainsi dire innes avec eux.
Est-ce que l'auteur de l'univers n'a pas connu ce qui tait utile et dcent? est-ce qu'il ne l'a pas
employ dans le corps humain, puisque partout ailleurs il a form les cratures dans leur tat
de perfection? Quelle est donc l'utilit de la circoncision? Peut-tre quelqu'un apportera, pour
en autoriser l'usage, le ridicule prtexte dont les juifs et plusieurs idoltres se servent pour le
soutenir: c'est af in, disent-ils, que le corps soit exempt de crasse et de souillure; il est donc
ncessaire de dpouiller le membre viril des tguments qui le couvrent. Je ne suis pas de cet
avis. Je pense que c'est outrager la nature, qui n'a rien de superflu et d'inutile. Au contraire, ce
qui parat en elle vicieux et dshonnte est ncessaire et convenable, surtout si l'on fuit les
impurets charnelles; qu'on en souffre les incommodits, comme on supporte celles de la
chair, celles des choses qui sont la suite de cette chair, et qu'on laisse couverte par le prpuce
la fontaine d'o dcoulent les enfants: car il convient plutt de s'opposer fermement
l'coulement de cette fontaine impure, et d'en arrter le cours, que d'offenser ses conduits par
des sections et des coupures. La nature du corps, lors mme qu'elle sort des lois ordinaires, ne
souille pas l'esprit.
Ainsi, saint Cyrille demande quoi est bonne la circoncision, si l'on en te le sens mystique.
L'empereur Julien aurait pu rpondre l'vque d'Alexandrie: A rien, si vous voulez, mais
ce n'est pas de cela qu'il s'agit; il s'agit de savoir si le Dieu d'Abraham a ordonn ce
patriarche la circoncision comme une marque ternelle et certaine de son alliance entre lui et
les fidles de sa religion. Il est vident, par le texte de l'criture dite Sainte, que cela a t
l'intention de Dieu et qu'il s'est expliqu l-dessus de la faon la plus claire et la plus formelle.
Mose renouvela dans la suite la loi de la circoncision dans celle qu'il tablit par l'ordre de
Dieu. Jsus-Christ, qui nous a appris qu'il tait venu pour accomplir la loi, et non pour la
dtruire, n'a jamais rien dit qui tendit la suppression de la circoncision. Les vanglistes
n'ont fait aucune mention de ce qu'il et voulu interrompre l'usage de cette pratique rituelle.
Par quelle raison donc les chrtiens s'en crurent-ils dispenss, quelque temps aprs la mort de
45

leur divin lgislateur? On objecte que saint Paul a dit que la circoncision du cur est seule
ncessaire ; mais sain; Paul lui-mme coupa le prpuce son disciple Timothe! (Actes des
Aptres, 16:3) Il crut donc la circoncision corporelle ncessaire. Pourquoi saint Paul changea-
t-il d'opinion dans la suite ? observe le marquis d'Argens. Fut-ce par une rvlation? il ne dit
point qu'il en ait eu aucune ce sujet; fut-ce parce qu'il devint plus instruit? Il avait donc t
dans l'ignorance lorsqu'il avait t aptre un assez long temps.
Aux observations du marquis d'Argens, Voltaire a ajout les siennes; elles mritent d'tre
reproduites:
Des naturalistes, dit Voltaire, n'ont pas donn des raisons plausibles de la circoncision. Ils
ont prtendu qu'elle prvenait les ordures qui pourraient se glisser entre le gland et le prpuce.
Apparemment qu'ils n'avaient jamais vu circoncire. On ne coupe qu'un trs petit morceau du
prpuce, qui ne l'empche point du tout de recouvrir le gland dans l'tat du repos. Pour
prvenir les salets, il suffit de se laver les parties de l gnration, comme on se lave les
mains et les pieds. Cela est beaucoup plus ais que de se couper le bout de la verge, et
beaucoup moins dangereux, puisque des enfants sont quelquefois morts de cette opration.
Les Hbreux, dit-on encore, habitaient un climat trop chaud; leur loi voulut leur viter les
suites d'une chaleur excessive qui pouvait causer des ulcres la verge. Cela n'est pas vrai. Le
pays montueux de la Palestine n'est pas plus chaud que celui de la Provence. La chaleur est
beaucoup plus grande en Perse, vers Ormus, dans les Indes, Canton, en Calabre, en Afrique.
Jamais les habitants de ces pays n'imaginrent de se couper le prpuce par principe de sant.
La vritable raison est que les prtres de tous les pays ont imagin de consacrer leurs
divinits quelques parties du corps, les uns en se faisant des incisions comme les prtres de
Bellone ou de Mars, les autres en se faisant eunuques comme les prtres de Cyble. Les
talapoins se sont mis des clous dans le cul; les fakirs, un anneau la verge. D'autres ont
fouett leurs dvotes, comme le jsuite Girard fouettait la Cadire. Les pr tres hottentots se
coupent un testicule en l'honneur de leur divinit, et mettent la place une boulette d'herbes
aromatiques. Les superstitieux gyptiens se contentrent d'offrir Osiris un bout de prpuce;
les Hbreux, qui prirent d'eux presque toutes leurs crmonies, se couprent le prpuce, et se
le coupent encore.
Les Arabes et les Ethiopiens eurent cette coutume, de temps immmorial, en l'honneur de la
divinit secondaire qui prsidait l'toile du Petit-Chien. Les Turcs, vainqueurs des Arabes,
ont pris d'eux cette coutume, tandis que, chez les chrtiens, on jette de l'eau sale sur un petit
enfant et qu'on lui souffle dans la bouche.
Tout cela est galement sens, et doit plaire beaucoup l'Etre suprme!
N'insistons pas. Revenons notre patriarche: sans doute, il devait songer parfois la bizarre
ide que Jhovah avait eue de lui changer son nom, ainsi qu' son pouse; bizarrerie d'autant
plus trange que le changement se bornait peu de chose. Abraham, au lieu d'Abram! Sara,
au lieu de Sara! Le dieu des juifs et des chrtiens est, dcidment, un dieu des plus rigolos.
Avec ledit Abraham, la Bible devient de plus en plus amusante.
Or, l'Eternel apparut encore Abraham, et ce fut dans la plaine de Mambr, un jour qu'il
tait assis la porte de sa tente, au moment de la forte chaleur. Ayant lev les yeux,
Abraham aperut tout--coup trois hommes qui taient peu de distance; aussitt il courut
vers eux, et il les salua jusqu' terre. (18:1-2)
Le discours qui suit est assez cocasse; c'est un mlange de singulier et de pluriel qui laisserait
croire que le patriarche n'avait pas bien sa tte lui; tait-ce l'effet de la forte chaleur?...
Et Abraham leur dit: Mes seigneurs, si j'ai trouv grce devant tes yeux, ne passe pas au-
del de l'habitation de ton serviteur. Mais j'apporterai un peu d'eau, afin que vous laviez
vos pieds; en attendant, reposez-vous sous un arbre. Et j'apporterai aussi un morceau de
pain, afin que vous vous rconfortiez. Aprs quoi, vous passerez outre; car c'est pour cela que
vous tes venus vers votre serviteur. Et ils lui rpondirent: Fais comme tu l'as dit. (18:3-5)
46

De nombreux commentateurs catholiques ont jug que, si ce jour-l Jhovah tait venu en
compagnie de deux anges, c'tait afin de figurer les trois personnes de la divine Trinit,
Abraham n'avait pas l'esprit assez subtil pour deviner cela; ni lui, ni Mose, ni aucun prophte
juif ne le souponnrent jamais.
Abraham s'en vint donc en toute hte dans la tente vers Sara, et lui dit: Dpche-toi, prends
trois phata de farine, ptris-les, et fais des pains cuits sous la cendre. (18:6)
Les traductions modernes de la Bible portent: prends trois mesures de farine. C'est dessein
que nos tonsurs mettent ce terme vague; car ce que l'Esprit-Saint dicta l'auteur de la Gense
est superlativement grotesque. Le texte hbreu porte phat. Or, un pha contient vingt-neuf
pintes, et, par consquent, trois phata reprsentent quatre-vingt-sept pintes ou quatre-vingt-
un litres de farine. Quelle prodigieuse quantit de pain! L'usage chez les Orientaux tait, il est
vrai, de servir d'un seul plat en abondance; mais le patriarche prenait tout de mme ses
visiteurs pour des Gargantuas. Admirez encore ce qui suit:
Puis, Abraham courut son troupeau, o il prit un veau tendre et bon, et il le donna un
serviteur, qui s'empressa de l'apprter. Ensuite, il prit du kamak (sorte de fromage la
crme) et du lait, et le veau qu'on venait d'apprter, et il mit le tout devant eux. Il se tenait
auprs d'eux sous l'arbre, et ils mangrent. Alors, ils lui dirent: O est Sara ta femme? Il
rpondit: La voil sous la tente. L'un d'eux lui dit: Je ne manquerai pas de revenir dans un
an cette mme poque, si je suis encore en vie, et ta femme Sara aura un fils. (v. 7-10)
Si je suis encore en vie est, videmment, une faon de parler. Jhovah, qui s'exprimait ainsi,
ne pouvait douter qu'il ne dt tre en vie dans un an. On dira que papa Bon Dieu et ses deux
angliques compagnons, ne se donnant pas pour des tres surnatur els, pouvaient emprunter le
langage des hommes; mais, puisqu'ils prdirent l'avenir, ils se donnaient au moins pour
prophtes. Alors?...
Sara, ayant entendu cela derrire la porte de la tente, se mit rire; car ils taient tous deux
bien vieux, et Sara n'avait plus ses rgles. Elle rit donc en se cachant et dit en elle-mme:
Aprs que je suis devenue vieille et quand mon seigneur est si vieux, aurai-je donc encore du
plaisir? Mais Dieu dit Abraham: Pourquoi Sara s'est-elle mise rire, en disant: Se peut-il
que j'aie un enfant, tant si vieille? Est-ce qu'il y a quelque chose de difficile Dieu? Or
donc, je reviendrai toi dans un an, comme je te l'ai dit, si je suis encore en vie, et Sara aura
un fils. Alors, Sara eut peur, et elle nia, en disant: Je n'ai point ri. Mais Dieu lui dit: Si fait,
tu as ri. (v. 11-15)
On a fait remarquer que cette aventure a un certain air de ressemblance avec celle du
bonhomme Irius, qui Jupiter, Neptune et Mercure rendirent visite, tandis qu'il se lamentait
de n'avoir pas d'enfant; les trois dieux lui en accordrent un, en jetant leur semence sur un
morceau de cuir dont l'enfant naquit. Mais les thologiens catholiques rpondent que c'est le
paganisme qui a copi la Bible; selon le bndictin Dom Calmet, il est bien clair que le nom
d'Irius est le mme que celui d'Abraham. A la vrit, on ne s'en douterait gure; nanmoins,
ne contrarions pas le savant bndictin pour si peu!
Il est plus intressant de savourer cette conversation de Dieu et d'Abraham, dont les dtails
sont d'une rjouissante navet. L'crivain de la Gense rend compte de tout ce qui s'est fait et
de tout ce qui s'est dit, exactement comme s'il y avait t prsent. Il a donc t inspir par
l'Esprit-Saint lui-mme, c'est clair; sans quoi, il ne serait qu'un conteur de fables. Quelques
commentateurs catholiques, gns par le ridicule de ces dtails, ont insinu qu'une telle
histoire est surtout allgorique; d'aprs eux, Dieu et les anges qui vinrent chez Abraham
simulrent leur apptit, ne mangrent point, mais firent semblant de manger. Allons donc!... Il
faut prendre la Bible comme elle est, leur rpondons nous; car, si l'on admettait l'interprtation
de ces thologiens qui le, grotesque de certains pisodes de la Gense para it trop lourd
porter, il faudrait ne voir que des allgories dans toute la sainte Ecriture. Alors, rien ne serait
arriv de tout ce que le pigeon raconte? tout n'aurait t qu'en apparence? la divine Bible
47

serait un rve perptuel?... Voyez, messieurs les tonsurs, o un tel raisonnement nous
conduirait! Il est bien plus simple d'admettre que Dieu, que nous avons vu ptrir, souffler et se
promener, mange aussi, digre, etc., et pince un coup de soleil l'occasion, comme son ami
Abraham qui lui parle tout la fois au pluriel et au singulier.
Aprs le dner, on s'en fut faire une petite promenade.
Les trois voyageurs, s'tant levs, dirigrent leurs yeux vers Sodome, et Abraham marchait
avec eux, pour les conduire. Alors, l'ternel se dit: Cacherai-je Abraham ce que je vais
faire, puisqu'il sera pre d'une nation grande et puissante, et que toutes les nations de la
terre seront bnies en lui? (18:16-18)
Toutes les nations de la terre bnies en Abraham!... Les commentateurs juifs et chrtiens sont
d'accord pour voir dans ce texte l'affirmation que Jhovah sera un jour le dieu ador sur tout le
globe, attendu que Jhovah est le dieu d'Abraham et que les chrtiens ne se sparent pas des
juifs en ce qui concerne ce patriarch e; mais tant donn que juifs et chrtiens ne sont plus
d'accord dater du fils de Marie, quelle sera donc, des deux religions, celle qui prvaudra sur
le monde? la terre finira-t-elle par tre juive ou chrtienne?... Grave question. Nous avons,
d'ailleurs, le temps d'attendre. La population du globe s'lve, en effet, plus d'un milliard
quatre cents millions d'habitants, sur lesquels les catholiques, c'est--dire les personnes
baptises dans la religion qui s'intitule seule vraie religion chrtienne, figurent pour deux cent
trente-neuf millions seulement. Pour raliser la parole de Jhovah, il faudra donc: d'abord, que
tous les catholiques baptiss deviennent croyants et pratiquants; ensuite, que ces vrais
chrtiens ramnent leurs dogmes les protestants et autres hrtiques et schismatiques qui les
ont rejets; et, enfin, aprs avoir persuad aux juifs que Jhovah est triple, les catholiques
auront convertir les mahomtans, les confucianistes, les brahmanistes, les bouddhistes, les
ftichistes, etc., etc., moins que ce ne soit les juifs qui russissent convaincre
catholiques et hrtiques qu'ils se sont fourr depuis dix-neuf cents ans leur Messie dans l'il.
D'une faon ou d'une autre, la prophtie de la conversion totale du globe au dieu d'Abraham
ne semble gure pouvoir tre clbre comme accomplie, lors de la prochaine exposition.
Or a, quel tait le projet que papa Bon Dieu avait form, et au sujet duquel il se demandait si,
oui ou non, il ferait une confidence son patriarche bien-aim?... Tout bien pes, il se dcida
ne pas avoir de cachotterie pour Abraham, et c'est alors que celui-ci comprit enfin que ces
trois voyageurs qui lui avaient dvor un veau et quatre-vingt-un litres de farine, sans compter
le fromage la crme, taient des tres surnaturels, parmi lesquels son vieil ami Schadda en
personne.
L'ternel dit donc: Farce que le cri de Sodome et de Gomorrhe s'est augment, et parce que
leur pch est trs grave, je descendrai maintenant, et je verrai s'ils ont entirement fait
toutes les choses dont le cri est venu jusqu' moi; et si cela n'est pas, je le saurai. (18:20-21)
Jhovah ne se fiait pas aveuglment aux rapports de sa police. On trouvera peut-tre qu'en sa
qualit de dieu omniscient il ne devait rien ignorer, et que, par consquent, il savait
exactement quoi s'en tenir, sans besoin d'aucune enqute; mais n'oublions pas que ceci se
passe par un temps de trs forte chaleur et que la digestion du copieux dner de tout l'heure
pouvait fort bien avoir quelque peu troubl ses divines ides.
Les trois voyageurs, partant de l, marchaient donc vers Sodome; mais Abraham fit halte, en
se tenant devant l'ternel. Et il s'approcha de Dieu et lui dit: Feras-tu prir mme le juste
avec le mchant? Peut-tre y a-t-il cinquante justes dans la ville; les feras-tu prir aussi?
Ne pardonneras-tu point la ville, cause de cinquante justes, s'ils y taient? Il ne sera pas
dit de toi que tu fais mourir le juste avec le mchant, et que le juste est trait comme le
mchant. Non, cela ne sera pas dit. Celui qui juge toute la terre ne fera-t-il point justice? Et
l'ternel dit: Si je trouve en Sodome cinquante justes, je pardonnerai tout le lieu, cause
d'eux. Et Abraham reprit: Voici, maintenant j'ai pris de la hardiesse en parlant au Seigneur,
quoique je ne sois que poussire et cendre. Peut-tre en manquera-t-il cinq des cinquante
48

justes; dtruiras-tu la ville, pour cinq qui manqueraient? Et Dieu lui rpondit: je ne la dtruirai
point, si j'y trouve quarante-cinq justes. (18:22-28)
L'entretien continue sur ce ton (v. 29-32), Abraham s'efforant d'obtenir de nouvelles
concessions: des quarante-cinq justes exigs, on passe quarante, puis trente, vingt; mais
finalement, papa Bon Dieu ne veut pas descendre au-dessous de dix justes, pour faire grce.
C'est son dernier mot!
Et l'ternel s'en alla, quand il eut fini de parler Abraham; et Abraham s'en retourna chez
lui. (18:33).
D'aprs la Bible, papa Bon Dieu, qui voulait voir par lui- mme, ne continua pas la route avec
ses deux compagnons; le chapitre 19 laisse entendre qu'il remonta au ciel.
Or, sur le soir, les deux anges arrivrent Sodome Loth, qui tait assis auprs de la porte de
la ville, s'avana leur rencontre; ds qu'il les vit, il les salua, en se prosternant le visage en
terre. Et il leur dit: Je vous en prie, mes seigneurs, daignez-vous arrter dans la maison de
votre serviteur; logez-y cette nuit; lavez-y aussi vos pieds; demain, de bon matin, vous vous
lverez, et vous poursuivrez votre chemin. Mais ils rpondirent: Non, nous passerons cette
nuit dans la rue. Mais Loth les pressa si instamment, qu'ils acceptrent de se retirer chez
lui. Et quand ils furent entrs dans sa maison, il leur prpara un festin, avec des pains sans
levain qu'il fit cuire, et ils mangrent. Mais avant qu'ils allassent se coucher, les hommes
de la ville, c'est--dire les hommes de Sodome, environnrent la maison, depuis le plus jeune
jusqu'aux vieillards, tout le peuple, depuis un bout jusqu' l'autre. Et, appelant Loth, ils lui
dirent: O sont ces hommes qui sont entrs chez toi ce soir? Fais-les sortir, afin que nous en
usions. Alors. Loth sortit vers eux pour leur parler la porte, et, ayant ferm la porte
derrire lui, il leur dit: Je vous prie, mes frres; ne commettez point ce mal. coutez, j'ai
deux filles qui n'ont point encore connu d'homme; je vous les amnerai, et vous userez d'elles
tout comme il vous plaira, pourvu que vous ne fassiez pas violence ces deux hommes parce
qu'ils sont venus l'ombre de mon toit. Eux, ils lui rpondirent: Retire-toi de l. Et ils
dirent encore: Cet homme est un tranger, qui a pris domicile ici, et il prtendrait porter
jugement sur nous? Va, nous t'en ferons plus qu' eux. Et alors ils firent violence Loth; puis,
ils se prparrent briser les portes de sa maison. Mais les deux voyageurs, avanant leurs
mains, firent rentrer Loth chez lui, et ils fermrent la porte. Ensuite, ils frapprent
d'blouissement tous les hommes qui assigeaient la maison, de sorte qu'ils se lassrent
chercher la porte. (19:1-11)
Il tait ncessaire de reproduire textuellement ce passage de la Gense; on ne saurait trop
rappeler que ces lignes furent crites sous la dicte de l'Esprit-Saint.
D'autre part, il n'est pas moins utile de reproduire le commentaire de Voltaire:
Nous avouons que le texte biblique confond ici plus qu'ailleurs l'esprit humain. Si ces deux
anges, ou ces deux dieux, taient incorporels, ils avaient donc pris un corps d'une grande
beaut, pour inspirer des dsirs abominables tout un peuple. Quoi! les vieillards et les
enfants, tous les habitants mles, sans exception, viennent en foule pour commettre le pch
infme avec ces deux anges! Il n'est pas dans la nature humaine de commettre tous ensemble
publiquement une telle abomination, pour laquelle on cherche toujours la retraite et le silence.
Les Sodomites demandent ces deux anges, comme on demande du pain en tumulte dans un
temps de famine. Il n'y a rien, dans la mythologie paenne, qui approche de cette horreur
inconcevable. Les thologiens qui ont dit que les trois clestes voyageurs, dont deux s'en
vinrent Sodome, taient Dieu le Pre, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit, rendent encore le
crime des Sodomites plus excrable, et cette histoire plus incomprhensible.
La proposition de Loth aux Sodomites de coucher tous avec ses deux filles pucelles, au lieu de
coucher avec ces deux anges, ou ces deux dieux, n'est pas moins rvoltante. Tout cela
renferme la plus dtestable impuret dont il soit fait mention dans aucun livre.
49

Les interprtes trouvent quelques rapports entre cette aventure et celle de Philmon et Baucis;
mais celle-ci n'a rien d'indcent, et elle est beaucoup plus instructive. C'est un bourg que
Jupiter et. Mercure punissent d'avoir t inhospitalier; c'est un avertissement d'tre charitable;
il n'y a nulle impuret. Quelques-uns disent que l'auteur sacr a voulu renchrir sur l'histoire
de Philmon et Baucis, pour inspirer plus d'horreur d'un crime fort commun dans les pays
chauds. Cependant, les Arabes voleurs, qui sont encore dans ce dsert sauvage de Sodome,
stipulent toujours que les caravanes qui passent par ce dsert leur donneront des filles nubiles,
et ne demandent jamais de garons.
Cette histoire de ces deux anges n'est point traite ici en allgorie, en apologue; tout est au
pied de la lettre; et on ne voit pas d'ailleurs quelle allgorie on en pourrait tirer pour
l'explication du Nouveau Testament, dont l'Ancien est une figure, selon les Pres de l'glise.
Continuons citer le texte sacr, le livre divin, l'criture inspire, que nous avons le devoir de
croire vridique, sous peine de pch mortel. Nous allons en voir bien d'autres!
Alors, les deux voyageurs dirent Loth: Qui as-tu encore ici qui soit des tiens, ou un
gendre, ou des fils, ou des filles, ou quelque autre de tes proches dans la ville? (19:12)
Pourquoi poser cette question? les anges ne savaient-ils pas de qui se composait la famille de
Loth? Tous ceux qui sont tes parents, dirent-ils, fais-les sortir de ce lieu; car nous allons
dtruire cette ville, dont le cri d'iniquit est mont jusqu'au ciel, et c'est l'Eternel qui nous a
envoys pour la dtruire. Lot h sortit donc et alla parler ses gendres, qui devaient pouser
ses filles; il leur dit: Levez-vous promptement et quittez avec moi cette ville; car l'Eternel va
les dtruire. Mais ses gendres crurent qu'il se moquait d'eux. Ds l'aube du jour, les anges
pressrent encore Loth, lui disant: Hte-toi, emmne ta femme et tes deux filles qui sont ici
sans quoi, tu prirais pour le crime de cette ville. Et comme Loth tardait, les anges le
prirent par la main, et ils prirent aussi par la main sa femme et ses deux filles, parce que
l'Eternel les pargnai t; et ils les emmenrent et les mirent hors de la ville. L, l'un d'eux
dit: Sauve ta vie, ne regarde point derrire toi, et ne t'arrte en aucun endroit de la plaine;
sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne prisses. Mais Loth leur rpondit: Non,
Seigneur, je t'en prie; voici que ton serviteur a trouv grce devant toi et que tu as exerc
vers moi ta misricorde; cependant, je ne pourrai me sauver sur la montagne, sans que le mal
ne m'atteigne et que je ne meure. C'est pourquoi, je t'en prie, il y a ici tout prs une ville o
je puis m'enfuir, et c'est une petite ville; permets que je m'y rfugie; et pargne-la. N'est-elle
pas petite, et mon me vivra ? L'ange lui dit: Soit, je t'accorde encore cette grce, de ne pas
dtruire la ville dont tu viens de me parler. Mais marche vite, et sauve-toi l; car je ne
pourrai rien faire avant que tu y sois entr. C'est pour cette raison que cette ville fut appele
depuis lors Tsohar. Tandis que le soleil se levait, Loth entra donc dans Tsohar. Alors,
l'Eternel fit pleuvoir, sur Sodome et sur Gomorrhe, du soufre et du feu, qui tombaient du ciel.
Et il dtruisit ces villes-l, et toute la plaine, et tous les habitants des villes, et il anantit le
germe de la terre. Mais la femme de Loth regarda derrire elle, et fut change en statue de
sel. Or, Abraham, ce jour-l, s'tait lev de bon matin, et il vint l'endroit mme o il
s'tait arrt pendant sa promenade avec l'Eternel. Et, comme il dirigeait ses regards vers
Sodome et Gomorrhe, et comme ses yeux taient fixs sur tout le pays d'alentour, il vit monter
de la terre une fume pleine d'tincelles, comme la fume d'une fournaise. (19:12-28)
Au sujet du nombre de villes brles, les lignes qui prcdent ne contiennent aucun
renseignement prcis. Sodome et Gomorrhe sont seules nommes; nanmoins, les thologiens
sont d'avis que toutes les cits de cette plaine furent dtruites par le feu du ciel, et mme un
nom a t imagin par eux: ils appellent la Pentapole la rgion dvaste, ce qui signifie
le pays des cinq villes . Il y aurait donc eu cinq villes criminelles. A l'appui de leur thse, les
thologiens se reportent au chapitre 14, o est raconte la guerre au cours de laquelle Loth fut
fait prisonnier, puis dlivr grce l'intervention victorieuse d'Abraham et de ses trois cent
dix-huit domestiques d'lite; le verset 2 de ce chapitre nomme, en effet, cinq royaumes qui
50

auraient exist dans cette rgion, et l'on en a conclu que les villes coupables, dont Jhovah
avait dcrt l'extermination, sont prcisment les capitales de ces cinq royaumes.
Voici, au surplus, ce passage: Les quatre rois (A mraphel, Arioch, Chodorlahomor et
Thadal) firent la guerre contre Brah, roi de Sodome, contre Birsah, roi de Gomorrhe, contre
Scinab, roi d'Adama, contre Scemeber, roi de Sbom, et contre le roi de Belah, qui a t
nomme plus tard Tsohar. Tous ceux-ci s'taient runis dans la valle de Siddim, qui est
aujourd'hui la Mer de Sel. (14:2-3)
Mais cette ingnieuse interprtation des thologiens ne russit qu' faire mieux ressortir les
contradictions de la Bible. En effet, voici bien les villes coupables: Sodome, Gomorrhe,
Adama, Sbom et Belah. Ainsi donc, le Seigneur Jhovah, causant avec Abraham, a
maintenu son dcret d'extermination contre toute la Pentapole, parce qu' Sodome il n'y a pas
dix justes en tout, n'est-ce pas? et, par contre, les anges incendiaires pargnent Belab, nomme
pour ce motif Tsohar, tout simplement parce que Loth a dsir se transporter dans cette
ville!... Cependant, les habitants de Belah-Tsohar taient, il n'y pas sortir de l,
adonns au mme vice que les Sodomites, puisque Dieu les avait vous d'abord la pluie de
feu. Dira-t-on que les Blates, n'ayant pas reu la visite des anges, n'ont pas manifest contre
ceux-ci leurs dsirs infmes, et que cette circonstance a pu tre tenue pour attnuante? Soit;
mais les Gomorrhens, les Adamates et les Sbomites furent dans le mme cas et n'en ont
pas moins t extermins.
En ce qui concerne Gomorrhe, la science des thologiens s'est exerce d'une faon curieuse,
et, sans qu'on sache pourquoi, l'glise a admis, en vertu d'une tradition dont on ne retrouve de
trace nulle part, que le pch de cette ville tait exactement tout le contraire du pch de
Sodome.
Il en rsulte que ce que les Grecs appelaient pdrastie se nomme sodomie dans le
langage des ecclsiastiques; d'autre part, le vice saphiste, qui a acquis une renomme
universelle aux dames de l'le de Lesbos, devient, chez nos tonsurs, le vice des
gomorrhennes .
Par consquent, on comprend bien maintenant quel tait ce cri qui s'leva de Sodome et de
Gomorrhe et qui monta jusqu'au ciel, selon la dclaration du vieux Schadda parlant
Abraham. A Sodome, c'taient les femmes qui se plaignaient d'tre dlaisses; par contre,
Gomorrhe, c'taient les maris sans ouvrage qui hurlaient leurs lamentations l'Eternel. Mais
alors on est en droit de se demander pourquoi, Sodome, la vindicte cleste a extermin les
femmes, puisque les hommes taient en ralit les seuls coupables dans cette ville, et
pourquoi, Gomorrhe, papa Bon Dieu n'a pas pargn ces infortuns maris, dj fort marris
de ce que mesdames leurs pouses se passaient d'eux. Et, si l'on veut se borner l'examen d'un
cas particulier, il est vident que les deux messieurs de Sodome qui s'taient fiancs aux filles
de Loth n'taient pas pdrastes; leur mariage tait si bien arrt, tellement prt tre clbr,
que le saint homme les appelait dj ses gendres. D'aprs l'auteur sacr, il n'apparat
aucunement que ces deux gendres de Loth fussent coupables du mme excs d'impuret
abominable pour laquelle les Sodomites furent brls avec leur ville; le texte ne les montre
nullement dans la troupe qui voulut violer les deux anges; loin de l, la Gense laisse entendre
qu'ils taient retirs fort honn tement chez eux, puisque Loth alla les rveiller, pour les
inviter filer avec lui; nanmoins, ils furent envelopps dans la destruction gnrale.
Quant la femme de Loth, il faut avouer qu'elle paya cher le mouvement de compassion qui
lui fit retourner la tte vers cette ville o se trouvaient sans doute ses parents. Sa
transformation subite en statue de sel a t, en quelque sorte, confirme par des crivains juifs
ou chrtiens des premiers sicles de l're vulgaire. L'historien juif Flavius Josphe assure,
dans son livre des Antiquits, qu'il a vu cette statue, et qu'on la montrait encore de son temps.
Les sceptiques croient que des isralites de l'endroit ont fort bien pu s'amuser tailler un
morceau d'asphalte en figure grossire, et dire: C'est la femme de Loth. On a vu des
51

ouvrages en bitume travaills avec art et pouvant subsister longtemps. D'autre part, saint
Irne est all trs loin en affirmant ceci: La femme de Loth n'est plus de la chair
corruptible; mais, tout en demeurant toujours l'tat de statue de sel, elle continue d'avoir ses
rgles chaque mois. (Livre 4, chap. 2) Tertullien, dans le Pome de Sodome, affirme la
mme chose, avec plus d'nergie encore: Dicitur, et vivens salso sub corpore, sexus mirifice
solito dispungere sanguine menses. Toutefois, cette merveille est reste inconnue aux
Romains qui vinrent en Palestine: quand ils prirent Jrusalem, ils n'eurent par la curiosit
d'aller voir la miraculeuse statue de sel, par la bonne raison que personne ne leur en parla; et
mme, n Pompe, ni Titus, ni Adrien n'avaient jamais entendu parler de Loth, de sa femme
Edith et de ses deux filles, ni d'Abraham, ni d'aucun personnage de cette famille. Aujourd'hui,
les voyage uses, qui vont explorer les environs de la Mer Morte, n'y constatent la prsence
d'aucune statue de sel ou d'asphalte les musulmans du pays n'ont pas song en fabriquer une,
qui ferait grand plaisir aux curieux; en revanche, ils montrent aux plerins le chne de
Mambr, l'ombre duquel Jhovah et les deux anges dvorrent un veau tout entier et une
quantit formidable de pains et de fromage la crme.
Strabon, le clbre gographe grec, qui mourut l'poque o la lgende chrtienne place la
naissance de Jsus, visita en dtail l'Asie Mineure et tout particulirement la Palestine, sur
laquelle il a crit des rapports minutieux; notamment, il se rendit dans la rgion de Sodome et
de la Mer Morte, et il ne dit pas un mot de la statue de sel, que Josphe, quelques annes plus
tard, affirme avoir vue. Ce que Strabon relate, en voyageur impartial, est fort curieux lire,
parce que l'opinion des Juifs qui habitaient alors le pays ne concorde pas exactement avec la
Bible; loin de croire une pluie de feu, cause par des crimes, les isralites attribuaient la
dvastation de la contre des causes trs naturelles, des ruptions volcaniques.
Citons donc Strabon: Que cette rgion ait t travaille par le feu, l'on en apporte plus d'une
preuve: des rochers brls, de nombreuses crevasses, une terre de cendres, des fleuves qui
rpandent au loin une odeur infecte, et, et l, des habitations en ruine. Tout cela fait croire
ce que racontent les habitants du pays, c'est--dire qu'autrefois il y avait l treize villes, dont
Sodome tait la mtropole: mais que, par des tremblements de terre, des ruptions de feux
souterrains et les vagues brlantes d'eaux bitumeuses et sulfureuses, le lac envahit la contre,
et les rochers gardrent les marques du cataclysme. Parmi ces villes, les unes furent
englouties, les autres abandonnes par les habitants qui purent se sauver. (Gographie de
Strabon, livre 16, chap. 2)
Ceci ne ressemble gure au verset 24 du chapitre 19 de la Gense: Alors, l'Eternel fit
pleuvoir, sur Sodome et sur Gomorrhe, du soufre et du feu, qui tombaient du ciel.
Mais, ce qu'il importe de noter, c'est que la tradition juive recueillie par Strabon sur les lieux
mmes, si elle est en contradiction avec le rcit biblique du chapitre 19, ne surprend
aucunement lorsqu'on se reporte au chapitre 14 de la mme Gense, verset 10: Il y avait,
dans la valle, beaucoup de puits de bitume, et les rois de Sodome et de Gomorrhe y
tombrent en s'enfuyant. La Bible elle-mme a donc constat que tout le terrain tait
asphalte avant le terrible embrasement!
Les savants ont beau jeu, on le voit, pour dire que le divin pigeon, ici encore, a mystifi dans
les grands prix l'crivain sacr. Toute la nature, en cet immense dsert, atteste un cataclysme
qui devait se produire fatalement, s'il est vrai que des hommes aient eu l'imprudence de s'y
tablir. Ainsi, la Mer Morte, qui reoit le Jourdain et les rivires descendant des montagnes
environnantes, n'est, pas plus importante que le lac de Genve; elle a, exactement comme le
Lman, 76 kilomtres de longueur, et sa plus grande largeur est de 15 kilomtres. Or, tandis
que le Rhne traverse le lac de Genve, le Jourdain et les diverses rivires sont absorbs par la
Mit Morte. On a calcul que le Jourdain, lui seul, apporte la Mer Morte six millions de
tonnes par jour: il faut donc que cette masse norme d'eau s'vapore journellement; car il n'est
pas possible de supposer un coulement, raison du niveau du lac, qui est de 394 mtres au-
52

dessous du niveau de la Mditerrane, et d'autre part le maximum de profondeur est de 399
mtres. En effet, l'air chaud et sec de cette dpression, unique dans son genre (793 mtres),
peut absorber des quantits normes de vapeurs d'eau. Les couches marneuses du voisinage,
les masses d'asphalte qui sont partout, la frquence des tremblements de terre, le so l
essentiellement volcanique, tout prouve un pays de tout temps inhabitable.
Si l'on tient absolument croire le pigeon incapable de s'tre moqu de l'crivain de la
Gense, si l'on veut admettre quand mme comme vridique l'histoire de la pluie de feu
tombe du ciel pour dtruire des tres humains, coupables ici de pdrastie et l de saphisme,
il faut alors dire que Jhovah-Schadda, quoique ternel, n'en est pas moins un tantinet
normand. En effet, dclarant No que sa clmence s'abstiendrait dsormais d'exterminer les
hommes, il avait solennellement jur, la main sur l'arc-en-ciel, de ne plus recommencer le
dluge. Faire serment de renoncer aux noyades, et remplacer ensuite le dluge d'eau par des
averses de feu, c'est, pour un dieu, tre passablement ficelle!...
En outre, la Bible nous raconte qu'une ville fut pargne la prire de Loth, et que cette ville
est celle qui ds lors a t appele Tsohar. Eh bien, qui connat donc Tsohar? o est-elle,
cette ville? Puisque tous les historiens ont ignor l'existence de Tsohar, cette veinarde cit
n'aurait-elle pas eu jusqu'au bout la chance de plaire, et papa Bon Dieu l'aurait-il dtruite au
sicle suivant ?... Le fait est qu'il n'est pas plus rest de traces de Tsohar que de Sodome et de
Gomorrhe. Quand des hommes se sont risqus venir demeurer aux bords de la Mer Morte,
ce ne fut jamais que pour y faire un bref sjour, dans des habitations construites titre
provisoire, uniquement pour recueillir du sel, de l'asphalte, du chlorure de magnsium et une
certaine huile minrale qui surnage en certains endroits du lac et dont on fit usage autrefois en
mdecine; aprs quoi, on s'empressait de dguerpir de cette rgion insalubre o la vgtation
est presque nulle et o l'on ne trouve mme pas de l'eau potable.
Enfin, croyons Tsohar pour le quart d'heure, et voyons la suite de l'extraordinaire Gense.
L'auteur sacr vient de nous montrer que Loth, n'tant pas pdraste, a t sauv de la
catastrophe, ainsi que ses filles, vertueuses pucelles; le mme auteur va nous montrer
immdiatement les beaux exemples de vertu donns par cette sainte famille. Le nouvel
pisode biblique ne contient pas un mot de rprobation l'adresse des trois chapps de
Sodome. Le divin pigeon a une spcialit: il narre les plus rpugnantes obscnits comme si
rien au monde n'tait plus simple; l'inceste, sous la plume de l'auteur sacr, semble une
pratique tout fait ordinaire.
Le lecteur excusera cette citation encore; elle est ncessaire; il la faut textuelle, pour faire bien
connatre ce qu'est l'Ecriture Sainte, le livre religieux par excellence, l'auguste base du dog me
et de la foi.
Or, Loth monta de Tsohar et vint habiter sur la montagne avec ses deux filles; car il
craignait de demeurer dans Tsohar. Et il se retira dans une caverne avec ses deux filles. Et
l'ane dit la cadette: Notre pre est vieux, et il n'est rest aucun homme sur la terre qui
puisse entrer en nous, selon la coutume de tous les pays. Viens donc; enivrons notre pre
avec du vin, et couchons avec lui, afin de pouvoir susciter de la semence de notre pre.
Alors, elles donnrent du vin boire leur pre cette nuit-l. Puis, l'ane s'approcha et
coucha avec son pre; mais il ne sentit rien, ni quand il se coucha, ni quand il se releva. Et,
le lendemain, l'ane dit la cadette: Voici, j'ai couch la nuit passe avec notre pre:
donnons-lui du vin boire ce soir encore, et tu coucheras avec lui ton tour, afin que nous
gardions de la semence de notre pre. En cette nuit-l donc, elles enivrrent encore leur
pre, et la plus jeune coucha avec lui, qui n'en sentit rien, ni quand elle concourut avec lui, ni
quand elle se leva. Ainsi, les deux filles de Loth furent grosses de leur pre. L'ane
enfanta un fils, qu'elle nomma Moab: c'est lui qui est le pre des Moabites, et sa descendance
existe encore aujourd'hui. Et la cadette enfanta aussi un fils, qu'elle nomma Ammon; c'est
lui qui est le pre des Ammonites, et sa descendance existe encore aujourd'hui. (19:30-38)
53

Ce texte a beau tre le produit de l'inspiration directe de l'Esprit-Saint; il n'en est pas moins
infect. Cette aventure de Loth et de ses filles ne pouvait chapper la juste critique de
Voltaire; aussi, pour la commenter, nous nous effacerons compltement derrire le grand
philosophe. Les rflexions de cet homme de gnie, qui fut le pre intellectuel de la
Rvolution, sont aussi utiles aujourd'hui qu'au sicle pass, puisque la superstition est encore
debout, avec ses dogmes et ses prtres.
Le texte biblique, crit Voltaire, ne dit point ce que Loth fit lorsqu'il vit sa femme change
en statue de sel; il ne dit point non plus le nom de ses filles. L'ide d'enivrer leur pre pour
coucher avec lui dans la caverne est singulire. Le texte ce dit point o elles trouvrent du vin;
mais il dit que Loth jouit de ses filles sans s'apercevoir de rien, soit quand elles couchrent
avec lui, soit quand elles s'en allrent. Il est trs difficile de jouir d'une femme sans le sentir,
surtout si elle est pucelle. C'est un fait que nous ne nous hasardons pas d'expliquer.
Au reste, on ne voit pas pourquoi les filles de Loth craignaient que le monde ne fint, puisque
Abraham avait dj engendr Ismal de sa servante, que toutes les nations taient disperses,
et que la ville de Tsohar d'o ces filles sortaient tait tout auprs. Et qui s'adressrent-elles
donc pour acheter du vin, si ce n'est des marchands de vin, habitant l'endroit?...
Voltaire fait remarquer encore que cette histoire a quelque rapport avec celle de Myrrha, qui
et Adonis de son pre Cyniras. Cela est imit, dit-il, de l'ancienne fable arabique de
Cyniras et Myrrha; mais, dans cette fable bien plus honnte, Myrrha est punie de son crime,
au lieu que les filles de Loth sont rcompenses par la plus grande et la plus chre des
bndictions selon l'esprit juif: elles sont mres d'une nombreuse postrit.
Brlons du sucre. La Gense revient maintenant Abraham, le patriarcal Alphonse, toujours
dispos recommencer le petit truc qui lui avait si bien russi en Egypte.
En ce temps-l, Abraham s'en alla dans les terres du midi, et il habita entre Kads et Sur, et
il traversa en voyageur le pays de Grare. Et Abraham disait tous de Sara sa femme:
C'est ma sur. C'est pourquoi Abimlec, roi de Grare, fit enlever Sara pour la possder.
Mais Dieu apparut une nuit Abimlec dans un songe, et il lui dit: Voici, tu es un homme
mort, cause de cette femme que tu as prise; car elle a un mari. Or, Abimlec ne l'avait
point touche encore. Il rpondit donc: Seigneur, ferais-tu mourir des gens innocents et
ignorants? Cet homme ne m'a-t-i l pas dit lui-mme: C'est ma sur? Elle-mme aussi ne
m'a-t-elle pas dit: C'est mon frre? J'ai fait ceci dans la simplicit de mon cur, et avec des
mains pures. L'Eternel reprit: Oui, je sais que tu as agi avec l'ignorance d'un cur simple;
aussi j'ai empch que tu ne pchasses contre moi, et c'est pour cela que j'ai veill ce que tu
ne touchasses pas cette femme jusqu' prsent. Maintenant donc, rends-la son mari; cet
homme est un prophte, et il priera pour toi, et tu vivras. Mais si tu ne rends pas cette femme,
alors certainement tu mourras, ainsi que tous les tiens, sache-le. Et Abimlec se leva de
trs grand matin; il appela tous ses gens, leur expliqua ces choses, et ils furent saisis de
crainte. Puis, Abimlec fit venir Abraham et lui dit: Pourquoi as-tu agi de la sorte? En quoi
t'ai-je offens, pour que tu aies attir sur moi et sur mon royaume un chtiment tel que ceux
qui sont rservs aux grands crimes? Tu m'as fait des choses qui ne se doivent pas faire.
Dis-le-moi donc, qu'as-tu vu chez nous qui t'ait pouss faire cela? Abraham rpondit: J'ai
agi ainsi, parce que je me disais en moi-mme qu'il n'y avait peut-tre point de crainte de Dieu
en ce pays, et j'ai pens qu'on me tuerait cause de la beaut de ma femme. D'ailleurs, je
puis dire avec vrit qu'elle est ma sur; car, si elle n'est pas fille de ma mre, elle est du
moins fille de mon pre; mais il est vrai aussi qu'elle m'a t donne pour femme. Or, il est
arriv que quand les dieux m'ont conduit et l, loin de la maison paternelle, j'ai dit ma
femme: Partout o nous irons, fais-moi le plaisir de dire que je suis ton frre. Alors,
Abimlec prit des brebis, des bufs, des valets et des servantes, et il les donna Abraham, en
lui rendant Sara sa femme. Et il lui dit: Voici, mon pays est la disposition; mais va-t'en
d'ici, et habite o il te plaira. Et il dit Sara: J'avais donn mille pices d'argent ton frre.
54

Or, suis mon consei l; aie un voile sur les yeux, devant tous ceux qui sont avec toi et devant
tous les autres. C'est ainsi qu'elle fut reprise. Or, Dieu avait ferm toutes les vulves, cause
de Sara, femme d'Abraham. Et, la prire d'Abraham, Dieu gurit Abimlec et rendit la
fcondit sa femme et ses servantes; et elles eurent alors des enfants. (20:1-18)
N'oublions pas qu' cette poque la belle Sara avait quatre-vingt-dix ans bien sonns.
Quelques remarques s'imposent, en outre:
Abraham a-t-il dit la vrit, quand il a affirm Abimlec que Sara est la fois sa femme et
sa sur? Si oui, nous nous trouvons en prsence d'un autre inceste. Allons, c'est du propre, la
Bible!... Ce n'est pas tout: si, en cette affaire, Abimlec produit l'effet d'un brave homme,
Abraham, quel que soit le point de vue auquel on puisse se placer, est un fort vilain monsieur.
Frre de Sara, il n'en est pas moins menteur, dans son intrt de proxnte; avant tout, sa
sur-femme est une vulgaire marmite. Il mentait bel et bien, quand il cachait sa qualit de
mari; l'explication qu'il donne, lorsque le pot-aux-roses est dcouvert, nous offre un Abraham
casuiste la mode jsuitique; sa restriction mentale ne saurait le justifier aux yeux des
honntes gens.
D'autre part, ce patriarche bien-aim, ce dos-vert chri que Jhovah protge et auquel il donne
le titre de prophte, est-il bien certain qu'il soit frre de Sara, ainsi qu'il le dclare tout coup?
Les autres passages de la Gense semblent indiquer le contraire. Dans l'pisode du roi
d'Egypte (ch. 12), nous avons vu Abraham user pour la premire fois de ces tratagme qui
l'enrichit; mais quand le Pharaon lui reprocha sa conduite, il ne songea pas l'explication
subtile de maintenant: c'est Abimlec qui en a la primeur, et l'on est en droit de souponner
que c'est l une nouvelle craque imagine brusquement, sous l'effet des vives rcriminations
du roi de Grare. Pouq uoi ne se serait-il pas excus de mme, quand il eut rpondre au
Pharaon?
Il y a plus. L'Esprit-Saint, qui a tout dict, se contredit d'une faon formelle. Au chapitre 11, il
a fait connatre la famille de Thar, pre d'Abraham. Thar eut trois fils: Abram, Nachor et
Haran. Or, Haran engendra Loth; puis, Haran mourut en prsence de Thar, son pre. Abram
et Nachor prirent des femmes; la femme d'Abram se nommait Sara, et la femme de Nachor se
nommait Milca; celle-ci tait fille de Haran, et elle avait pour sur Jisca. (v. 27-29) Par
consquent, Nachor pousa sa nice. Si Sara tait fille de Thar et sur d'Abram, Nachor et
Haran, l'auteur ne manquerait pas de le dire, au moment o il prcise les degrs de parent
dans la famille de Thar. Bien mieux! il appelle Sara la bru de Thar ; a y est en toutes
lettres au verset 31. Or, Sara tait strile, et elle n'avait point d'enfant. Et Thar prit avec
lui son fils Abram, et Loth, fils de son fils Haran, et sa bru Sara, femme d'Abram son fils; et
ils sortirent ensemble d'Ur, ville de Chalde, pour se rendre au pays de Canaan. Et ils vinrent
jusqu' Caran, et ils y demeurrent. L, Thar mourut, g de deux cent cinq ans. (v. 30-
32) Donc: Abraham, se souciant peu de paratre mari incestueux aux yeux d'Abimlec, a
menti de nouveau, sous prtexte de fournir des excuses d'un premier mensonge; ou bien, s'il
s'est dcid dire au roi de Grare la vrit qu'il avait nglig de faire connatre au Pharaon,
c'est l'Esprit-Saint qui, en dictant la Gense, patauge dans le galimatias et les contradictions.
Une autre impression qui se dgage, ds qu'on examine de prs, c'est que tout ceci est invent
plaisir et que l'auteur sacr est un maladroit imbcile. L'Esprit-Saint, en veine de
mystification et se complaisant dans les fables immorales et ordurires, dicte tout ce qui lui
passe par la tte, et l'crivain nigaud enregistre imperturbablement n'importe quoi, turpitudes
et contes grotesques, sans prendre garde aux contradictions et aux impossibilits, pourtant
videntes.
Comment ne s'est-il pas aperu que le pigeon se moquait de lui, quand il lui a fait inscrire le
pays de Grare comme un royaume? Selon le rapport des gographes de l'antiquit, Grare est
une petite plaine sablonneuse, sans la moindre vgtation, un horrible dsert o jamais
humain ne put lire domicile.
55

Abimlec tait donc roi d'un dsert!... Et combien de temps garda-t-il Sara, sans que M
me

Abimlec ait la tentation d'arracher les yeux celle-ci? Voil encore un point o ressort toute
l'impudence de la blague de l'Esprit-Saint.
Cet pisode est postrieur l'incendie de Sodome et antrieur l'poque o Jhovah ralisa sa
promesse de Mambr. En effet, le chapitre 21 commence ainsi: Et l'ternel visita Sara, et il
lui fit ainsi comme il l'avait promis. Sara donc conut, et elle enfanta un fils Abraham en
sa vieillesse, dans la saison que Dieu lui avait dit. (v. 1-2)
Cet accouchement arrivant ainsi un an aprs le voyage de Schadda et des deux anges
Mambr, le sjour d'Abraham au pays de Grare se place forcment dans les trois mois qui
suivirent le dluge de feu. Or, en supposant mme que ce sjour Grare ait pris exactement
ces trois mois, comment l'pouse, les servantes et les sujettes de S. M. Abimlec purent-elles,
en l'espace d'un trimestre, s'apercevoir qu'elles taient striles, c'est--dire qu'elles avaient leur
vulve ferme, pour employer la dlicate expression de l'auteur sacr? Il faut, en gnral, un
assez bon nombre d'annes pour qu'une femme puisse constater qu'elle est devenue inapte
avoir des enfants.
Mais, si l'on carte la possibilit d'une constatation de strilit dans l'ordre naturel des choses,
il faut, avec la science des thologiens qu'aucun miracle, mme burlesque, n'pate jamais, en
arriver conclure que Jhovah, en cette circonstance, avait eu la fumisterie atrocement
folichonne, et que, lorsque l'auteur sacr parle de la dsolation des maris de Grare trouvant
leurs femmes fermes, il veut dire tout btement que les malheureuses taient cousues. Dans
ce cas, on se reprsente aisment la tte du roi du dsert et celle de ses sujets. Dame! pour le
coup, ils ont d la trouver mauvaise, et l'on comprend qu'Abimlec, pour voir le terme de ce
flau, ait donn Abraham tout le saint-frusquin qu'il pouvait dsirer, en disant au prophte et
sa femme-sur: Filez vite d'ici!
Aprs le miracle des femmes cousues, l'inpuisable Gense nous sert donc le miracle de
l'accouchement de Sara, femme de quatre-vingt-dix ans, n'ayant plus ses menstrues depuis
longtemps. C'est comme chez Nicolet, de plus en plus fort; avec le factieux pigeon, on ne
s'embte pas!
Maintenant, arrive une autre affaire: Abraham, ayant un fils lgitime, va flanquer la porte
Ismal, l'enfant qu'il a eu de sa concubine.
Et Abraham donna le nom d'Isaac au fils que Sara lui avait enfant. Et il circoncit Isaac
g de huit jours, ainsi que Dieu le lui avait command. Or, Abraham avait cent ans, quand
Isaac lui naquit. Et Sara dit: Dieu m'a donn un sujet de rire; tous ceux qui l'apprendront,
riront avec moi. Elle dit aussi: Qui et dit Abraham que Sara allaiterait des enfants? car
je lui ai enfant un fils en sa vieillesse. Et l'enfant crt et fut sevr. Et Abraham fit un
grand festin, le jour qu'Isaac fut sevr. Or, Sara s'aperut que le fils de l'gyptienne Agar
se moquait, ce fils qu'Agar avait enfant Abraham. Et elle dit Abraham: Chasse cette
servante et son fils; car le fils de cette servante ne doit pas hriter de toi avec mon fils, avec
Isaac. Mais Abraham fut contrari de cela, cause de son fils. Alors, Dieu lui apparut et
lui dit: N'aie aucun chagrin cause de cet enfant, ni au sujet de ta servante. Au contraire,
obis Sara, en tout ce qu'elle te dira; car c'est en Isaac que ta postrit sera appele dite ton
nom. Toutefois, parce que le fils de ta servante est de ta semence, je le ferai devenir, lui
aussi, une grande nation. Alors, Abraham se leva au matin, de trs bonne heure, et, ayant
pris du pain et une bouteille d'eau, il les mit sur l'paule d'Agar, en lui donnant son enfant; il
la renvoya ainsi. Et Agar s'en alla errante dans le dsert de Ber-Sbah. Or, l'eau de la
bouteille fut puise au bout de quelq ue temps. Alors, Agar coucha son fils l'ombre d'un
arbrisseau. Et, s'tant loigne de lui la distance d'un trait d'arc, elle dit: Que je ne voie
pas mourir cet enfant! Et, comme elle tait assise vis--vis, elle leva la voix, en pleurant.
Et Dieu entendit la voix du jeune garon; puis, un ange de Dieu appela Agar du haut du ciel et
lui dit: Qu'as-tu, Agar? Ne crains rien, car Dieu a entendu la voix du jeune garon. Lve-
56

toi, va ton enfant, fais-le lever, et prends-le par la main; car je le ferai devenir une grande
nation. Alors, Dieu ouvrit les yeux d'Agar, et elle aperut un puits; elle y alla, y remplit
d'eau sa bouteille, et donna boire au jeune garon. Et Dieu fut avec Ismal; il grandit
dans le dsert; il y vcut et devint un habile tireur d'arc. Il se fixa au dsert de Pharan; et sa
mre lui donna une femme du pays d'gypte. (21:3-21)
Ce brusque cong, donn par Abraham son premier n et la pauvre Agar, avec un morceau
de pain et une bouteille d'eau, est bien inhumain de la part d'un personnage si puissant et si
riche, qui avait t vainqueur de cinq rois avec trois cent dix-huit hommes de l'lite de ses
domestiques et qui sa femme avait rapport tant d'argent grce sa frquentation du roi
d'Egypte et du roi de Grare. Il est difficile, aprs cela, de dire que l'Ecriture Sainte enseigne
la charit!
Suit un pisode qui n'a pas grand intrt. Abimlec, accompagn de Picol, gnral en chef de
son arme, vient rendre visite Abraham et le prie de lui jurer, par Dieu, qu'il ne lui dira
jamais plus aucun mensonge; le roi de Grare demande encore au patriarche de contracter
alliance avec lui, et cette alliance est conclue propos d'un puits que les serviteurs d'Abimlec
disputaient aux domestiques d'Abraham. Le patriarche, pour prouver que c'est bien lui qui a
creus le puits en litige, met part sept brebis de sa bergerie, dans un cadeau de moutons et de
bufs Abimlec. Celui-ci accepte le troupeau, mais est intrigu de voir ces sept brebis
soigneusement mises l'cart des autres bestiaux. Abraham, interrog, rpond: J'ai mis
part ces sept jeunes brebis, et tu les prendras de ma main; elles te seront un tmoignage que
j'ai vraiment creus ce puits. (v. 30) Abimlec et le gnral Picol se dclarent convaincus et
retournent chez eux. Abraham plante une chnaie autour du puits; aprs quoi, la Gense nous
apprend que le patriarche casquette--pont habita longtemps au pays des Philistins.
Cependant, Abraham, qui tait si heureux d'avoir un fils de sa chre et vieille Sara, ne
s'attendait gure la mauvaise farce que papa Bon Dieu lui rservait. Tu le gobes, ton
moutard, prophte de mon cur? Or , maintenant, tu vas le tuer, toi-mme, ni plus ni
moins, pour m'tre agrable! Telle est la surprise que Jhovah avait dcrt de faire son
patriarche bien-aim. Il est vrai que c'tait pour la frime. L'Eternel, aimant rire, voulait
simplement se payer en spectacle l'ahurissement d'Alphonse Abraham.
Ici encore il faut user de la citation textuelle; c'est trop beau!
Il arriva, aprs ces choses, que Dieu tenta Abraham. Il lui dit: Abraham! Abraham! Et celui-
ci rpondit: Me voici. Dieu lui dit encore: Prends maintenant ton fils unique Isaac, que tu
aimes, et va-t'en au pays de Morih, pour m'offrir ce fils en holocauste, sur une montagne que
je te montrerai. Abraham, donc, s'tant lev de bon matin, sangla son ne et emmena avec
lui deux de ses serviteurs, ainsi que son fils Isaac. Puis, ayant coup le bois ncessaire au
sacrifice, il se mit en route, dans la direction de l'endroit que Dieu lui avait dit.
Au troisime jour, il aperut la montagne, au loin. Alors, il dit aux deux serviteurs:
Attendez ici, avec l'ne; nous irons, l'enfant et moi, jusque l-bas, et nous adorerons l'ternel;
aprs quoi, nous reviendrons. Et Abraham prit le bois pour le bcher du sacrifice; il le mit
sur le dos d'Isaac son fils; quant lui, il se munit du feu pour allumer le bcher, et il portait
aussi la main un grand couteau. Ainsi ils s'en allrent tous deux ensemble. Alors, Isaac,
s'adressant Abraham, lui dit: Mon pre! Et Abraham rpondit: Que veux-tu, mon fils? Et
Isaac dit: Voici bien le feu et le bois; mais o est la bte pour l'holocauste? Et Abraham lui
rpondit: Mon fils, Dieu se pourvoira lui-mme de la bte pour l'holocauste. Et ils
continurent marcher tous deux ensemble. Quand ils furent arrivs l'endroit que Dieu
lui avait dit, Abraham btit l un autel, arrangea le bois par-dessus; puis, il lia Isaac son fils, et
le mit sur le bois qu'il avait dispos sur l'autel. Ensuite, Abraham, avanant la main, prit le
couteau pour gorger son fils. Mais alors un ange de l'Eternel lui cria du ciel: Abraham!
Abraham! Et il rpondit: Me voici. L'ange lui dit: N'tends pas ta main sur l'enfant, et ne
57

lui fais aucun mal; car, maintenant, j'ai connu que tu crains Dieu, puisque tu n'as pas pargn
ton fils unique, pour moi.
Et Abraham, levant les yeux, aperut un blier qui s'tait pris par les cornes dans un pais
buisson. Alors, il alla prendre ce blier, et il l'immola en holocauste, la place de son fils.
Et Abraham appela cet endroit L'Eterne l-y-pourvoira. Et l'ange de l'ternel cria des cieux
Abraham pour la seconde fois. J'ai jur par moi-mme, dit le Seigneur, parce que tu as
fait cela, n'pargnant point ton fils unique. C'est pourquoi je te bnirai encore; et je
multiplierai trs-abondamment ta semence, comme les toiles des cieux et comme le sable des
plages qui sont au bord de la mer; et ta postrit possdera les portes de tes ennemis; et
toutes les nations de la terre seront bnies dans ta semence, parce que tu as obi ma voix.
Ainsi Abraham retourna vers les deux serviteurs; et ils retournrent tous ensemble, s'en allant
alors en Ber-sbah. (22:1-19)
Les critiques font remarquer qu'Abraham, qui avait suppli Dieu d'pargner les habitants de
Sodome et de Gomorrhe, qui taient pour lui des trangers, n'adressa pas la moindre prire en
faveur de son propre fils, Ils accusent aussi le patriarche d'un nouveau mensonge, quand il dit
aux deux valets: Nous ne ferons qu'aller, mon fils et moi, et nous reviendrons. Puisqu'il allait
sur la montagne tout exprs pour gorger et brler Isaac, il ne pouvait avoir l'intention de
revenir avec lui. Ce mensonge tait le fait d'un barbare, si les autres avaient t les mensonges
d'un cupide proxnte prostituant sa femme pour de l'argent.
D'autre part, ce n'est pas sans surprise qu'on voit Abraham, vieillard de cent ans, couper lui-
mme le bois d'un bcher avant de se mettre en route: il faut, pour brler un corps, au moins
une grande charrette de bois sec; un peu de bois vert ne saurait suffire. Sans doute, tout ce
bois tut port d'abord par l'ne et les deux serviteurs. En tout cas, s'il n'y avait en tout que la
charge d'un ne, on s'tonne qu'Isaac, qui n'avait pas encore treize ans, pt la porter son tour.
On dit aussi que le rchaud, dont se munit Abraham pour allumer le feu, ne pouvait gure
contenir que quelques charbons, et qu'ils ont d tre teints avant d'arriver au lieu du sacrifice,
puisqu'au moment o le patriarche et son fils se sparrent des deux valets, le mont Moriah ne
s'apercevait encore qu'au loin.
Enfin, on a observ que ce fameux mont Moriah, mon tagne sur laquelle ft bti plus tard le
temple de Jrusalem, n'est qu'un rocher pel, d'une aridit lgendaire; jamais le moindre
arbuste n'y a pouss, et toute la campagne des environs de Jrusalem a toujours t remplie de
cailloux, si bien qu'il fallut dans tous les temps y faire venir le bois de trs loin.
Nanmoins, ces diverses objections n'empchent pas que Dieu n'ait prouv la foi d'Abraham,
et que ce patriarche n'ait mrit la bndiction de Dieu par son obissance. Nous verrons, dans
la suite, Jepht immoler sa fille, sans qu'aucun ange vienne interrompre le sacrifice; il est vrai
que Jepht ne vivait pas de proxntisme et n'tait pas un saint.
Le chapitre 23 nous apprend que Sara mourut l'ge de cent vingt-sept ans, . Hbron, au
pays de Canaan. Abraham, ayant par consquent , l'enterrer, acheta une certaine caverne dite
de Macpla, qui appartenait un sieur Hphron; celui-ci la lui fit payer fort cher. Hphron
dit Abraham: La terre que tu demandes vaut quatre cents sicles d'argent; c'est le prix entre
toi et moi; ensevelis donc ta morte. Et Abraham, ayant entendu cela, pesa l'argent
qu'Hphron lui demandait et lui paya quatre cents sicles de monnaie courante publique.
(23:15-16)
On a valu que le sicle d'argent quivaut dix francs de notre monnaie d'aujourd'hui.
Abraham aurait donc pay 4, 000 francs le terrain d'une caverne dans un pays absolument
strile qui fait partie du dsert dont la Mer Morte est entoure; c'est plus cher qu'une
concession perptuit au cimetire Montparnasse, en plein Paris! Un autre sujet
d'tonnement, c'est qu'il ressort de cela qu'Abraham, quoique grand seigneur, ne possdait pas
un pouce de terre lui; comment, avec toutes ses richesses, n'avait-il jamais acquis le moindre
terrain nulle part?... Enfin, les critiques ont fait remarquer qu'il est trange de voir la Gense
58

parler de monnaie publique courante, au temps d'Abraham: non seulement il n'y avait point
alors de monnaie dans Canaan; mais jamais les Juifs n'ont frapp de monnaie leur coin!
Faut-il donc entendre par l que les quatre cents sicles en question signifient simplement la
valeur de cette somme selon l'apprciation de l'auteur de la Gense? Cette hypothse ne
rsoudrait pas davantage la difficult, attendu qu'on ne connaissait pas de monnaie non plus
au temps o Mose, prtendu auteur du Pentateuque, tait cens crire.
Nous voyons, au chapitre 25, qu'Abraham se consola de la mort de Sara en prenant une autre
femme, nomm Ctura; le patriarche avait donc cent quarante ans, au moins. Or, nous avons
vu que Sara elle-mme l'avait dclar, lorsqu'il tait dans sa centime anne, beaucoup trop
vieux pour engendrer, et qu'il fallut un miracle du ciel pour le rendre pre d'un fils lgitime.
Eh bien, avec Ctura, sans aucune intervention divine, Abraham eut encore six fils: Zamran,
Jecsan, Mdan, Madian, Jesboc et Su. Enfin, le patriarche chri de Jhovah-Sehadda cassa
sa pipe, par un beau soir de sa cent soixante-quinzime anne, lguant tout ce qu'il possdait
Isaac, sauf quelques prsents ses autres enfants. Et il fut enterr auprs de Sara, dans la
caverne de Macpla.

6 CHAPITRE

UNE FAMILLE VOUE LA MULTIPLICATION

C'est maintenant que nous allons voir s'accomplir les promesses de papa Bon Dieu, relatives
la grande multiplication de la descendance d'Abraham.
Entre la mort de Sara et son mariage avec Ctura, patriarche s'tait occup d'tablir son fils de
prdilection; cet pisode fait l'objet du chapitre 24 de la Gense.
On se souvient que Nachor, frre d'Abraham, avait pous la nice Milca. Or, ce sire Nachor,
qui, lui, n'aimait point passer sa vie courir les dserts, s'tait fix dans un pays fertile, en
Msopotamie. L, il eut de Milca huit fils, nomms Huts, Buz, Kmuel, Ksed, Hazo, Pildas,
Jidlaph et Bathuel; et, comme ces huit gosses ne lui suffisaient pas, il prit en outre une
concubine, nomme Ruma, dont il eut encore quatre fils, auxquels il donna les noms de
Tbah, Gaham, Tahas et Mahaca. (22:20-24) A leur tour, ces enfants multiplirent,
notamment Bathuel qui eut, entre autres, un garon, Laban, et une fille, Rbecca. C'est cette
dernire, qui, par la grce de Jhovah, devait devenir M
me
Isaac.
Donc, le vieil Abraham manda auprs de lui, un beau matin, le plus ancien de ses serviteurs,
qui tait en mme temps l'intendant charg de l'administration de ses richesses. Dans la
Gense, cet intendant n'est nomm qu'au chapitre 15; il s'appelait Dammsec Elizer.
Abraham lui dit: Je t'en prie, tiens un moment dans ta main mon sexe, et ainsi jure-moi que tu
ne prendras aucune des filles des Cananens, pour la faire pouser mon fils, mais que tu iras
dans la terre o rsident mes parents et que tu y choisiras l'pouse d'Isaac. (24:2-4)
Les commentateurs sceptiques se sont amuss de cette manire de faire prter serment. Saint
Jrme et les traducteurs de la Vulgate, la trouvant trop raide, ont modifi les termes de ce
passage de la Gense; selon eux, Abraham aurait dit Elizer: Mets ta main sous ma cuisse,
el ainsi jure-moi, etc. Toutefois, le texte original hbreu porte:
Prends dans ta main mes parties gnitales. Les savants expliquent ceci en disant que les
parties viriles taient en grande vnration, non seulement cause de la circoncision qui les
avait consacres Dieu, mais parce qu'elles sont la source de la propagation du genre humain
et le gage de la bndiction du Seigneur. Si bizarre que puisse paratre cette faon de
s'engager par serment, il faut s'incliner avec respect; car on ne doit jamais perdre de vue que
tout ceci est dict par l'Esprit-Saint. Les savants disent donc que, chaque fois qu'on trouve le
mot cuisse dans la Bible arrange par saint Jrme, il faut lire autre chose; ainsi, quand on lit
59

plus loin qu'un chef de nation sortit de la cuisse de Juda, il est vident qu'il y a l une
altration du texte sacr, attendu que les enfants ne se font pas par la cuisse, et que, d'ailleurs,
on l'a pu voir, le divin pigeon ne se g ne pas pour parler crment.
Elizer jura donc en tenant en main les parties gnitales d'Abraham son matre (v. 9);
aprs quoi il se mit en route avec dix chameaux, et se rendit en Msopotamie. A h! il y avait
du chemin! Quand Elizer arriva quelque distance de la ville o il comptait retrouver des
parents de son matre, il tait extnu et mourait de soif. Heureusement, il fit la rencontre
d'une jolie brunette qui se balladait dans ces parages, pour aller chercher de l'eau un puits
situ hors des portes. Cette aimable personne, trs charitable, vint au secours d'Elizer et
l'abreuva, ainsi que ses chameaux. Mais admirez la Providence: la brunette n'tait autre que
Rbecca, fille de Bathuel, petite-fille d'Abraham.
Elizer, lui ayant fait cadeau d'une bague et de deux bracelets, s'informe de son nom. Tableau!
Vite, il demande tre conduit dans la famille. Rbecca l'emmne, le prsente son pre et
son frre. L'intendant explique ceux-ci qu'il a accompli ce voyage dans le but de dcouvrir
en Msopotamie une pouse pour Isaac. Bathuel et Laban s'crient: La main de Dieu est
visible en tout ceci; que Rbecca parte donc au plus vite avec toi, et qu'elle soit la femme du
fils de ton matre. Elizer, tout joyeux du succs si prompt de sa mission, comble Rbecca de
bagues d'argent et d'or et d'habits somptueux; il donna aussi des prsents exquis son frre
et sa mre .
La mre de la jeune fille aurait bien voulu que le dpart ft retard de dix jours. Mais
Rbecca, interroge, dclara qu'elle avait hte d'tre auprs de ce fianc inconnu. Il est
difficile de croire, pourtant, qu'Elizer lui avait montr la photographie d'Isaac; mais elle n'en
avait pas moins reu le coup de foudre. De son ct, le jeune Isaac, bien qu'il ne st pas quelle
femme lui ramnerait Elizer, ni mme s'il lui en ramnerait une, tait amoureux, amoureux
fou; il passait ses jours et ses nuits sur la grande route. On s'imagine donc aisment la joie
qu'il prouva, lorsqu'un beau matin il constata qu'Elizer ne rentrait pas bredouille.
L'intendant fit un rcit fidle de son voyage; les deux jeunes gens se jetrent dans les bras l'un
de l'autre.
Alors, Isaac fit entrer aussitt Rbecca dans la tente qui avait t celle de Sara, sa mre; et il
prit Rbecca pour femme; et il l'aima tant, qu'ainsi il fut consol de la mort de sa mre.
(24:67)
Dans les premiers temps, Isaac eut beau excuter des prodiges de bonne volont, il ne
russissait pas devenir papa aussi vite qu'il l'aurait voulu. Il n'en faut pas davantage pour que
la Gense accuse Rbecca de strilit; c'est toujours la faute des femmes, parbleu! Et Isaac,
voyant sa femme infconde, pria instamment l'Eternel pour elle; et l'Eternel fut flchi par ses
prires, et Rbecca conut. (25:21)
Entre nous, Jhovah faisait des manires; car, oui ou non avait-il promis Abraham qu'il
aurait une descendance n'en plus finir? Oui, n'est-ce pas? Or, c'est sa Providence elle-mme
qui avait choisi Rbecca pour tre l'pouse du fils d'Abraham; papa Bon Dieu ne pouvait donc
pas, sans faillir sa parole, avoir donn Isaac une femme improductive. C'est clair. S'il avait
encore ferm cette vulve, c'tait donc purement et simplement histoire de se payer le plaisir de
la rouvrir, aprs avoir fait un peu poser l'hritier de son bienaim Alphonse Abraham.
Mais ici l'histoire se complique.
Or, Rbecca ayant conu, deux enfants taient dans son ventre, et ils s'y battaient. Et
Rbecca dit: S'il en est ainsi, pourquoi ai-je conu? Et elle alla consulter l'Eternel. (25:22)
On ne voit pas bien comment deux foetus peuvent se battre dans une matrice, surtout au
commencement d'une grossesse. Une femme peut sentir des douleurs; mais de l sentir qu'il
y a en elle des sances de boxe et de chausson entre deux jumeaux, il y a loin! d'autant plus
que, jusqu' la dlivrance, on ne sait jamais si un seul enfant viendra ou s'il y aura deux
jumeaux; le mdecin accoucheur lui-mme ne saurait prophtiser ce sujet; mme, dans
60

l'accouchement, an moment o l'enfant se prsente, nul praticien ne peut affirmer si
l'enfantement sera simple ou double.
L'auteur sacr nglige de dire en quel endroit Rbecca se rendit pour consulter papa Bon
Dieu. Le tabernacle n'avait pas t encore invent. C'tait Jhovah qui apparaissait quand il
voulait; il n'avait lu aucun domicile sur terre.
Nanmoins, il fut consult, et il rpondit: Deux nations sont dans ton ventre, dit l'Eternel
Rbecca, et deux peuples sortiront de ta vulve; ils se diviseront; l'un des deux sera plus fort
que l'autre, et le plus grand sera assujetti au plus petit. (25:23)
Enfin, le temps de l'accouchement vint; Rbecca eut. les douleurs, en punition de la
gourmandise d've, et voil qu'on trouva deux jumeaux dans sa matrice. Le premier qui
sortit tait roux et hriss de poils, comme un manteau; son nom est sa. Et aussitt aprs,
sortit son frre, tenant avec sa main le talon d'Esa; et on l'appela Jacob. Or, Isaac avait
soixante ans, quand ils naquirent. (25:24-26) Il est rare qu'un enfant naisse tout velu, si rare
qu'sa en est le seul exemple. Il n'est pas moins rare qu'un enfant, en naissant, en tienne un
autre par le pied. Mais, de ce que ces choses-l n'arrivent plus aujourd'hui, il ne faudrait pas
en conclure qu'elles n'ont pas d arriver alors. Ces fantaisies de Jhovah ne sont rien auprs
d'autres miracles que nous aurons rapporter.
Ce fut Esa qu'on dclara l'an. On sait que la question de primogniture est tranche, dans
diverses jurisprudences, au profit de celui des deux jumeaux qui est venu au monde le second,
et, pour dcider ainsi, on s'appuie sur ce que, conu et form le premier, il a d occuper le
fond de la cavit utrine. A raison de cela, peut-tre pensera-t-on que Jacob tait plus
naturellement l'an qu'sa. Mais ces enfants s'taient tellement battus dans le ventre de leur
mre, qu'ils avaient, sans doute, chang fort souvent de place! On ne songea donc pas tirer
la courte paille qui revenait le titre d'an, et l'on jugea plus simple de le donner celui qui
avait vu la lumire le premier. D'ailleurs, Jacob n'allait pas tarder se substituer sa.
Lorsqu'ils furent adultes, sa fut un habile chasseur et homme de campagne; mais Jacob
tait un homme simple, se tenant demeure dans les tentes. Et Isaac aimait sa, parce
que la venaison tait sa viande prfre; par contre, Rbecca aimait Jacob. Or, un jour que
Jacob faisait cuire un potage de lentilles, Esa survint des champs, tant trs fatigu. Et il
dit Jacob: Donne-moi, je t'en prie, manger de ce potage roux, parce que je suis harass.
C'est pour cela qu'on l'appela Edom. Mais Jacob lui rpondit: Vends-moi aujourd'hui ton
droit d'anesse. Je me meurs de faim, repartit sa; quoi me servirait mon droit d'anesse?
Et Jacob insista, disant: Jure-moi donc que tu y renonces. Et Esa le lui jura, et ainsi il
vendit son droit d'anesse Jacob. Alors, Jacob donna son frre du pain et le potage de
lentilles. Et sa mangea et but, puis il se leva et s'en alla, ayant ddaign ainsi son droit
d'anesse. (25:27-34)
Nous ne nous arrterons pas discuter la bizarrerie de celte chicane, une poque o il n'y
avait pas encore de droit d'anesse, puisqu'il n'existait aucune loi positive; ce n'est que trs
longtemps aprs, dans le Deutronome, que l'on voit instituer ce droit, le lgislateur dclarant
que l'an aura une double portion. Mais il est surtout intressant de faire remarquer, avec les
philosophes, quel point la conduite de Jacob fut indigne: c'est d'aprs le texte sacr mme
qu'Esa prissait de faim et que Jacob, abusant de l'tat o se trouvait son frre, est sans
excuse; la Bible n'a pas un mot pour le justifier. D'ailleurs, le nom de Jacob signifie celui
qui supplante . Il semble, en effet, bien mriter ce nom, puisqu'il supplanta toujours Esa. Il
ne se contente pas de lui vendre ses lentilles si chrement; comme un brigand qui fait signer
sa victime une demande de ranon, il arrache son frre le serment de renonciation ses
droits; il le ruine pour une cuelle de pure sans aucune valeur; et ce n'est pas le seul tort qu'il
lui fera. Eh bien, ce march o l'affam est cyniquement exploit et dup, cette transaction
caduque par elle-mme, cette renonciation extorque que n'importe quel tribunal aurait
dclar nulle, le seigneur Jhovah, prtendu dieu de justice, protecteur des faibles, vengeur
61

des opprims, a ratifi tout cela, a agr Jacob comme lgitime propritaire de ces fameux
droits de primogniture, et la dpossession d'Esa a t reconnue par Dieu rgulire et valable
jamais.
Quelque temps aprs, Isaac se montra le digne fils d'Abraham. Une grande famine tant
survenue, Isaac se rendit Grare, o rgnait toujours Abimlec, que la Gense appelle tout-
-coup roi des Philistins. Dieu aurait pu donner du pain Isaac, pour lui et sa famille; mais
non, il prfra le favoriser d'une vision, dans laquelle il lui tint un discours exactement
semblable ceux dont il rgalait Abraham: Je multiplierai ta semence comme les toiles du
ciel, je donnerai ta postrit toutes les terres, et toutes les nations de la terre seront bnies en
ta semence (air connu). Isaac; demeura donc Grare, et quand les gens du pays
l'interrogeaient sur Rbecca, il rpondait: C'est ma sur (26: 1-7).
Or, un jour, Abimlec, roi des Philistins, regardait par sa fentre, et, sa grande surprise, il
vit qu'Isaac caressait Rbecca. Alors, il ft venir auprs de lui Isaac, et il lui dit: Il est
certain, je l'ai vu, que cette femme est ton pouse; alors, pourquoi as-tu dit tous qu'elle est ta
sur? Et Isaac rpondit: J'ai eu peur qu'on ne me tut cause de sa beaut. Et Abimlec
s'cria: Que nous as-tu fait l? Il s'en est fallu de peu que quelqu'un de mon peuple n'ait
couch avec ta femme, et tu nous aurais attir ainsi un grand pch! Abimlec fit donc une
ordonnance, dicte pour tout le peuple et portant ceci: Quiconque touchera Isaac ou sa
femme sera puni de mort. (26:8-11) Abimlec, on le voit, se souvenait du miracle des
femmes cousues, bien qu'il y eut dj plus de quatre-vingts ans couls depuis l'aventure de
Sara. D'autre part, ce qui est assez singulier, c'est que la Bible nous reprsente toujours les
Philistins comme adorant a n autre dieu que celui d'Abraham et d' Isaac, et pourtant voici que
leur roi, idoltre, reconnat constamment la divinit le Jhovah. Quel imbroglio!
Or, au pays de Grare, Isaac sema dans la terre, et il recueillit cette anne-l le centuple de
ce qu'il avait sem. (26:12) C'est dj fort qu' Isaac ait pu semer dans un pays o il ne
possdait pas un pouce de terrain; mais, en ne perdant pas de vue que le pays de Grare est un
dsert o il n'y a que du sable, on est merveill davantage; et c'est une rcolte de cent pour un
qui sort de ce sable! Les plus fertiles terres du monde ont rarement produit vingt-cinq pour un.
Isaac avait de la chance!...
La Gense nous apprend qu'il s'enrichit bien vite: avec des rcoltes pareilles, cela se conoit.
Les Philistins lui portrent envie et bouchrent avec des cailloux, tous les puits qu'Abraham
avait creuss autrefois. De l, des querelles; Abimlec le pria d'aller plus loin. Isaac partit,
s'tablit dans une valle et dboucha les puits de son pre. Nouvelles contestations; nouvelle
apparition de Jhovah, pour encourager Isaac; nouveau trait d'alliance avec Abimlec; grand
festin. Le lecteur comprendra que nous lui fassions grce de tous ces dtails fastidieux (v. 13-
33).
Quant Esa, lorsqu'il eut quarante ans, il pousa Judith, fille de Beer, then, et Basemath,
fille d'Elon, autre then, qui, toutes deux, offensrent Isaac et Rbecca (26:34-35). L'auteur
sacr ne nous dit pas en quoi consista cette offense. Nanmoins, Esa continua d'tre le fils
prfr de son pre.
Isaac tant devenu vieux, ses yeux s'obscurcirent tant qu'il ne pouvait plus voir. Il appela
Esa, son fils an, et lui dit: Mon fils. Esa rpondit: Me voici. Et Isaac lui dit: Tu le vois,
je suis maintenant fort g, et j'ignore quel jour je mourrai. Prends donc prsent ton
carquois et ton arc; va dans la campagne, et apporte-moi du gibier. Fais-men un ragot
comme tu sais que je les aime; apporte-le-moi, afin que j'en mange et que mon me te bnisse
avant que je meure. Or, Rebecca coutait, pendant qu'Isaac parlait Esa son f ils. Celui-ci
partit donc la campagne pour chasser et rapporter du gibier. Alors Rbecca dit h. Jacob
son fils: J'ai entendu ton pre, qui parlait Esa ton frre et qui lui disait: Apporte-moi de ta
chasse et fais-m'en un ragot, afin que j'en mange, et je te bnirai devant l'Eternel avant de
mourir. Maintenant donc, mon fils, obis ma parole, et fais ce que je vais te commander.
62

Va notre troupeau, et prends deux des meilleurs chevreaux; de leur viande, j'apprterai
un ragot . ton pre, comme je sais qu'il les aime. Tu porteras ces mets ton pre, afin
qu'il les mange, et ainsi c'est toi qu'il bnira avant sa mort. Jacob rpondit Rbecca sa
mre: Tu sais qu'Esa mon frre est fort velu, et moi, je n'ai point de poil. Si mon pre
vient me tter, il comprendra que j'ai voulu le tromper, et j'attirerai sur moi sa maldiction,
au lieu de sa bndiction. Et sa mre lui dit: Que cette maldiction que tu crains soit sur
moi! Obis seulement ma parole, et va chercher ce que je t'ai dit. Il s'en alla donc et
rapporta les deux chevreaux sa mre, et Rbecca prpara un de ces ragots dont Isaac tait si
friand. Puis, elle prit les plus riches habits d'Esa son fils an, qui taient dans la maison,
et elle en revtit Jacob son cadet. Et, avec les peaux des chevreaux, elle lui recouvrit les
mains et son cou, qui taient sans poil. Ensuite, elle remit Jacob le ragot, ainsi que du
pain qu'elle avait fait cuire. Jacob vint donc vers Isaac et lui dit: Mon pre. Isaac rpondit:
Je suis l; qui es-tu, mon fils? Et Jacob dit son pre: Je suis Esa ton fils an; j'ai fait ce
que tu m'as command. Lve-toi, je te prie; assieds-toi, et mange de ma chasse, afin que ton
me me bnisse. Mais Isaac dit: Qu'est-ce que ceci? Comment as-tu pu trouver sitt du
gibier? Jacob rpondit: L'Eternel, ton dieu, a voulu que j'en trouvasse tout de suite. Isaac
dit encore: Mon fils, approche-toi donc, afin que je le tte, et je saurai ainsi si tu es mon fils
Esa mme, ou si tu ne l'es pas. Jacob donc s'approcha de son pre, qui le tta; et Isaac dit:
Cette voix est la voix de Jacob, mais ces mains sont les mains d'Esa. Ainsi, il ne le
reconnut point, parce que ses mains tant velues lui parurent semblables celles de son fils
an; et il le bnit. Et il lui dit de nouveau: lis-tu bien mon fils Esa? Jacob rpondit: Je le
suis. Donne-moi donc manger de ta chasse, continua Isaac, afin que mon me te bnisse.
Jacob lui servit les mets, et il en mangea; il lui apporta aussi du vin, et il en but Puis, Isaac
lui dit: Approche-toi, je t'en prie, et embrasse-moi, mon fils. Jacob s'approcha et
l'embrassa; et Isaac, ayant senti l'odeur de ses habits, le bnit, en disant: Voil bien l'odeur de
mon fils, comme l'odeur d'un champ que l'Eternel a bni. Que Dieu te donne la rose du
ciel et la graisse de la terre, et une grande abondance de bl, et le meilleur vin! Que les
peuples te servent, et que les nations se prosternent devant toi! Sois le matre de tes frres, et
que les enfants de ta mre soient courbs devant toi! Quiconque te maudira soit maudit, et
quiconque te bnira soit bni! (27:1-29)
Tout ceci mrite quelques observations; mais voyons d'abord la lin de cette difiante histoire.
A peine Jacob tait-il sorti aprs avoir reu la bndiction d'Isaac, qu'Esa revint de la
chasse. Il apprta aussi son gibier et apporta le ragot son pre, en lui disant: Lve-toi,
mon pre, afin que tu manges de la chasse de ton fils, et que ton me me bnisse. Et Isaac
dit: Qui es-tu donc? Esa lui rpondit: Je suis Esa ton fils an. Alors, Isaac prouva une
extraordinaire motion, et il dit: Mais qui est celui qui m'a apport du gibier, et o est-il? J'ai
mang, avant que tu vinsses, de tout ce qu'il m'a prsent; je l'ai bni, et voil qu'il sera bni!
Aussitt qu'Esa eut entendu ces paroles, il poussa un cri fort grand et trs amer, et il dit
son pre: Ah! donne-moi aussi ta bndiction, mon pre! Mais Isaac rpondit: C'est ton
frre qui est venu ici frauduleusement; il a russi me surprendre, et il a emport ta
bndiction. Esa repartit: On l'a appel Jacob avec raison; car il m'a dj supplant deux
fois: il m'a enlev mon droit d'anesse, et voici qu' prsent il m'a drob ta bndiction.
Allons, mon pre, n'as-tu point rserv de bndiction pour moi? Et Isaac rpondit Esa:
Voici ce que j'ai fait; je l'ai tabli ton matre, et je lui ai soumis tous ses frres; il aura du bl
en abondance, il aura le meilleur vin; aprs cela, que puis-je faire pour toi, mon fils? Et
Esa dit encore: N'as-tu donc qu'une seule bndiction, mon pre? O mon pre, bnis-moi
aussi. Et Esa pleura, en jetant de grands cris.
Isaac lui rpondit: Eh bien, voici pour toi: ta demeure sera dans un terroir gras, arros de la
rose des cieux d'en haut. Et tu vivras par ton pe; mais tu serviras ton frre; nanmoins,
63

le temps viendra que tu secoueras le joug de ton cou. (27:30-40) Et c'est tout; Esa n'eut pas
de bndiction.
J'en appelle Lon XIII lui-mme, qui fit la grimace et frappa du poing, dit-on, lorsqu'il
apprit que je l'avais mystifi de la plus belle faon et qu'en bon fumiste je lui avais soutir des
bndictions dont je me gaussais en mon for intrieur. Oui, j'en appelle au Saint-Pre en
personne, et je l'enferme dans ce dilemme: ou cette histoire d'Isaac, Rbecca, Esa et Jacob
est une ridicule craque, et dans ce cas Lon XIII aurait tort de m'en vouloir, puisque l'Esprit-
Saint, inspirateur de la Gense, mystifiant les crdules dvots, donne l'exemple des fortes
blagues et montre qu'en matire de religion on peut tout conter aux imbciles; ou bien cette
histoire est rigoureusement vraie, et dans ce cas le Dieu des catholiques est lui-mme un
simple cornichon, puisque ses bndictions restrent lies celles du gaga Isaac, que Jacob
mystifia dans les grands prix. Dans un cas comme dans l'autre, les libres-penseurs fumistes
n'ont pas se gner; ils peuvent, si a les amuse, se payer la tte des fidles et des curs, des
vques et du pape, des patriarches, saints et prophtes, et mme de papa Bon Dieu, devenu le
plus ramolli de la collection.
En effet, d'aprs ce qui ressort du texte sacr, la bndiction d'Isaac n'tait pas une bndiction
paternelle ordinaire, c'est--dire le souhait qu'un pre forme pour le bonheur de son fils;
c'tait, au contraire, un acte solennel, formel, entranant des consquences prcises et
certaines, quelque chose comme un acte la fois religieux et juridique, ayant toute la valeur
d'un acte notari d'aujourd'hui: bien que verbale, cette bndiction tait comme un document
crit, et le bnficiaire tait bien celui sur la tte de qui elle avait t prononce, quel qu'il pt
tre, puisqu'elle n'tait pas sujette tre reprise ou annule. L'Ecriture Sainte nous montre
Isaac profondment mu, lorsqu'il s'aperoit qu'il a t tromp; il est fort contrari de s'tre
laiss jouer par Jacob; mais il lui est impossible de revenir sur ce qui est fait; n, i, ni, fini.
Jacob a drob et emport la bndiction destine Esa; tant pis pour Esa!
On se trouve donc en prsence d'une fraude bel et bien criminelle; en toute conscience,
n'importe quel jury dclarerait Jacob coupable d'avoir commis le crime de faux; il serait
condamn, ainsi que sa mre, Rbecca ayant t non seulement complice, mais instigatrice du
fait punissable, l'ayant perptr, ayant prpar toute la fraude et mis tout et uvre pour en
assurer la russite.
Maintenant, si criminelle qu'ait t la supercherie, puisqu'elle avait pour but et eut pour effet
de frustrer Esa d'un bien aussi considrable que cette bndiction si fconde en rsultats
matriels, on se demande, d'autre part, comment Isaac put tomber dans le panneau; le mot
gaga , dont je me suis servi tout l'heure n'est pas trop fort. Comment! La Gense nous dit
que le vieux bonhomme avait reconnu la voix de Jacob; il est rempli d'hsitations, il se mfie,
et, malgr cela, il se laisse prendre, comme le dernier des idiots, un artifice des plus
grossiers?... Il attend du gibier, il aime le gibier, il en est friand, et sa gourmandise est une des
causes de sa prfrence pour Esa; or, on lui sert du chevreau, et son palais, si accoutum au
gibier, confond le cabri avec le faisan ou le livre. Mazette! quel cordon-bleu, madame
Rbecca! voil une cuisinire hors-ligne, qui aurait confectionn une bouillabaisse avec des
algues et des galets!... Mais le sens du got n'est pas le seul s'tre dtraqu tout coup chez
le vieil Isaac; il est gaga jusque dans l'odorat et le toucher. Rbecca avait recouvert de la peau
d'un cabri les mains et le cou de Jacob; or, quelque poilu que ft Esa, sa peau ne pouvait
ressembler celle d'un chevreau. Isaac ne songe pas tter le reste du corps; il ne s'aperoit
pas que les mains de son fils n'ont point d'ongles. Il sent l'odeur des habits d'Esa, et rien
autre; cependant, l'odeur de la peau d'un animal frachement tu devait se faire sentir.
Voil pour le gtisme d'Isaac. En outre, on se demande comment Dieu put attacher ses
bndictions celles d'Isaac, extorques par une fraude si punissable et qu'un baveux, au
dernier degr de dcrpitude, pouvait seul ne pas dcouvrir. Voil donc Dieu esclave d'une
64

vaine crmonie, qui par elle-mme n'a aucune force, ou bien Jhovah est assez ramolli pour
faire pendant Isaac gaga.
Ces observations s'appliquent l'hypothse de la vracit de l'pisode. Mais il est bien vident
que si cette histoire est une pure blague, ce qui laisserait le cerveau de papa Bon Dieu hors
de tout soupon d'abrutissement, l'Eglise ne peut plus nous donner vnrer son divin
pigeon comme un inspirateur grave et srieux: ou ce volatile ternel radote comme un
perroquet tomb en enfance; ou bien c'est un canard mystificateur. Nous penchons vers cette
dernire opinion.
, voyons la suite des hautes fantaisies du pigeon-canard.
Esa, vex et il y avait de quoi! d'avoir t filout et de voir sur la tte du filou cette
belle bndiction toute neuve dont le cadeau lui avait t promis, se jura de tuer Jacob. La
mre Rbecca, pouvante, conseilla Jacob de prendre vivement quelques grains de poudre
d'escampette; celui-ci, quelque peu traqueur, du reste, ne se le fit pas dire deux fois. Rbecca
lui dit donc de se rfugier chez son frre Laban, et le vieil Isaac l'engagea profiter de la
circonstance pour pouser une de ses cousines. (27:41-46; 28:1-5) Pendant que Jacob se
rendait en Msopotamie, Esa alla faire un tour au pays d'Ismal; l, il se maria Mahalath,
fille d'Ismal; ses deux premires femmes ne lui suffisaient pas (v. 6-9).
Voil donc Jacob en route pour Caran (v. 10). Or, tant arriv en un certain endroit, et
voulant s'y reposer aprs le soleil couch, Jacob prit une pierre, la mit sous sa tte et
s'endormit en ce lieu. Alors, il eut un songe dans lequel il vit une chelle, qui tait appuye
sur la terre, et dont le haut touchait jusqu'aux cieux; et les anges de Dieu montaient et
descendaient le long de cette chelle. Il vit aussi l'ternel qui se tenait au bout de l'chelle,
et qui lui dit: Je suis l'ternel, le Dieu d'Abraham et d'Isaac; je te donnerai la terre o tu dors,
toi et ta postrit; et ta semence sera comme la poussire de la terre; je te donnerai
l'Occident et l'Orient, le Nord et le Midi; en toi et en ta semence seront bnies toutes les
nations de la terre; et je suis avec toi, ton gardien et ton guide partout o tu iras, et je te
ramnerai en ce pays. Quand Jacob s'veilla, il dit: Vraiment, le Seigneur est en ce lieu et
je n'en savais rien! Et il eut peur et s'cria: Que ce lieu est terrible! c'est la maison de Dieu
et la porte du ciel. Et, se levant de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, la
dressa et y versa de l'huile par-dessus. Puis, il donna pour nom Bthel la ville qui
s'appelait auparavant Luza. Et il fit un vu au Seigneur, disant: Si Dieu demeure avec moi,
s'il me prserve d'accidents dans le voyage que je fais, s'il me donne du pain manger et des
habits pour me vtir; et si je reviens sain et sauf chez mon pre, alors certainement le
Seigneur sera mon dieu; et cette pierre, que j'ai dresse comme un monument, s'appellera
la maison de Dieu; alors, oui, Seigneur, je te donnerai la dme de tout ce que tu m'auras
donn. (28:11-22)
Ngligeons de contester l'existence d'une ville nomme Luza ou Bthel dans la rgion dont il
s'agit; les gograph es n'ont jamais entendu parler de Bthel, pas plus que de Luza. Ce qu'il
faut admirer, c'est l'esprit pratique de l'tonnant Jacob. Il a roul Esa son frre an, Isaac son
pre et Jhovah lui-mme, par contre-coup; aussi, entend-il bien ne pas se laisser flouer par
papa Bon Dieu, et il pose ses conditions au Seigneur Trs-Haut. Le dieu de ses anctres vient
de lui donner un spectacle abracadabrant; il lui a montr ses anges se livrant sur une chelle
des exercices de gymnastique trs varis; il lui a promis monts et merveilles dans un beau
discours. Le premier sentiment de Jacob est la crainte mle de respect; mais il a bientt fait
de se rassurer et de rflchir que tout cela n'tait qu'un songe. Aussi dit-il au dieu de ses
anctres: Si tu me donnes du pain et des habits, tu seras mon dieu; je t'adorerai. Ce qui
quivaut dire: Si tu ne me donnes rien, zut pour toi, mon vieux! Il promet la dme, un
uf, au Seigneur, mais la condition que le Seigneur l'aura gratifi d'un buf. A la bonne
heure!... Les critiques ont compar ce discours de Jacob-aux usages de certains peuples qui
jetaient leurs idoles dans la rivire, lorsqu'ils n'avaient pas obtenu la pluie demande. J'ai
65

connu une vieille dvote qui mettait saint Joseph en pnitence, quand elle n'avait pas gagn
la loterie; c'est--dire elle retournait la statue de saint Joseph, la tte contre le mur dans sa
niche; cette bonne chrtienne, pieuse, mais roublarde dans sa superstition, devait descendre de
Jacob.
Aprs cet incident de voyage, Jacob se remit en route. Dans un champ, un puits o
s'abreuvaient des troupeaux lui fournit l'occasion de faire connaissance avec une pastourelle;
justement, c'tait sa cousine Rachel. Comme on le voit, la Gense se rpte: Elizer, par un
hasard providentiel, avait rencontr, lui aussi, auprs d'un puits, Rbecca qu'il ne connaissait
pas et qu'il venait chercher.
Rachel, qui tait la fille cadette de Laban, conduisit donc chez son pre l'aimable cousin
Jacob; prsentation la famille. Lia, la fille ane, avait les yeux chassieux , nous dit la
Bible, et elle laissa Jacob absolument froid. Par contre, Rachel eut le don de lui taper dans
l'il; elle avait la taille fine et elle tait belle voir . Jacob communiqua ses prfrences
l'oncle Laban, qui fil entendre son neveu quelques paroles d'espoir.
Or, Laban tait un homme pratique. Il dit Jacob: Mon petit, tu veux pouser Rachel; je ne
m'y oppose pas, mais il faut la gagner.
Comment cela mon oncle? En me servant de domestique pendant sept ans, afin que j'aie
le loisir de voir si tu es un garon travailleur et rang.
Ce fut march conclu. Pendant sept ans, pour prouver Jacob, l'oncle lui fit faire la besogne la
plus dure de la maison.
L'preuve termine, le jour des noces arriva. La marie tait recouverte d'un grand voile, selon
l'usage; Jacob frtillait comme un poisson dans l'eau. Laban, grave et solennel, remplit lui-
mme, en cette affaire, les fonctions de maire et grand-prtre. Il dclara le mariage accompli,
la grande satisfaction de Jacob.
Cette crmonie fut trs solennelle. Ici, il est bon de citer le texte dict par l'Esprit-Saint:
Laban, donc, assembla tous les gens du pays et donna un grand festin. Mais, quand le
soir fut venu, il prit Lia, son ane, et la remit Jacob, qui coucha avec elle. Mais, le matin,
son rveil, Jacob reconnut que c'tait Lia; et il lit Laban: Pourquoi as-tu agi ainsi? ne t'ai-je
pas servi sept ans pour avoir Rachel? pourquoi m'as-tu tromp? Dans ce pays, rpondit
Laban, ce n'est pas la coutume de marier une cadette avant sa sur ane. Couche avec Lia
pendant une semaine encore, et, la condition que tu sois de nouveau mon serviteur pour un
travail de sept ans, alors je te donnerai aussi Rachel. Jacob fit donc ainsi; il remplit pendant
une semaine ses devoirs d'poux avec Lia, et Laban lui donna pour femme Rachel aussi.
Jacob coucha enfin avec Rachel, qu'il aima plus que Lia, ayant servi chez Laban encore sept
autres annes. A l'occasion de ce double mariage, Laban avait donn Lia une servante
nomme Zelpha, et Rachel une servante nomme Bla. (29:22-30)
Ainsi Jacob, qui avait roul son pre et son frre, fut roul par son oncle. Seulement, on ne
comprend pas trop comment, ayant vcu pendant sept annes d'abord dans la famille et
connaissant bien ses deux cousines, il passa toute une nuit avec Lia en croyant avoir affaire
Rachel.
Or, l'Eternel, voyant que Jacob ddaignait Lia, ouvrit la vulve de celle-ci, et par contre il
ferma la vulve de Rachel. (29:31). Ceci n'est dj pas trop mal; mais le plus beau, c'est ce
que la Gense ajoute dans les quatre versets suivants: Jacob n'est reprsent comme ayant
rempli ses devoirs conjugaux que durant une semaine en tout, la semaine qui suivit son
premier mariage; eh bien, malgr cela, Lia lui pondit coup sur coup quatre fils, qui furent
Ruben, Simon, Lvi et Juda.
Alors, Rachel, voyant qu'elle ne donnait pas d'enfant Jacob, lui dit: Fais-moi des enfants,
ou sinon, je mourrai. Et Jacob entra dans une grande colre contre Rachel et s'cria: Me
prends-tu donc pour un dieu? Je fais tout ce qui est ncessaire, mais est-ce moi qui t'te le
fruit de ton ventre? Rachel rpondit: S'il en est ainsi, voici Bla ma servante; entre en elle;
66

et quand elle sera pour accoucher, elle enfantera sur mes genoux; ainsi j'aurai des enfants par
elle. Et Jacob coucha avec Bla. Bla conut, et ce fut un fils qu'elle enfanta Jacob.
Rachel dit: Dieu m'a donc exauce; et elle donna ce fils le nom de Dan. Bla conut
encore et enfanta un second fils. Et alors Rachel dit: En tout ceci, j'ai fortement lutt contre
ma sur, et voici que j'ai la victoire. C'est pourquoi elle donna cet enfant le nom de
Nephtali. Mais Lia, voyant qu'elle avait cess d'avoir des enfants, prit sa servante Zelpha et
la mit dans le lit de Jacob. Et Zelpha, son tour, enfanta un fils Jacob. Alors Lia dit:
Cet enfant qui arrive est comme une troupe de renfort. C'est pourquoi elle l'appela Gad.
Puis, Zelpha enfanta un autre fils Jacob. Et Lia dit: Ceci est encore plus heureux:
maintenant, toutes les filles me diront bienheureuse. Et elle appela l'enfant Azer. (30:1-13)
De quel commentaire accompagner ce texte difiant?... N'insistons pas.
La suite est plus difiante encore. Pour comprendre ce qu'on va lire, il est bon de savoir que,
d'aprs une croyance antique, rpandue encore dans quelques campagnes, les ra cines de
mandragores seraient trs efficaces contre l'impuissance. Ces racines ayant une forme bizarre
se prtant facilement des transformations obscnes, les charlatans, toute poque, en
faisaient des priapes qu'ils recommandaient de porter sur soi; ou encore on les faisait macrer,
et la liqueur qu'on en retirait ainsi passait pour un merveilleux philtre d'amour. L'Esprit-Saint
s'est donc amus dicter l'crivain de la Gense un pisode mettant en valeur cette bizarre
plante aux prtendues vertus aphrodisiaques. C'est Ruben qui en va cueillir pour sa mre;
n'est-ce pas charmant?...
Or, Ruben tant all aux champs au temps de la moisson, y dterra des mandragores, qu'il
apporta Lia sa mre. Et Rachel dit Lia: Donne-moi, je te prie, de ces mandragores.
Mais Lia lui rpondit: N'est-ce pas assez dj que tu m'aies pris mon mari, et faut-il encore
que tu veuilles manger les mandragores que mon fils m'a apportes? Rachel lui dit: Eh bien,
contre ces mandragores que je te demande, je te rendrai Jacob pour qu'il couche une nuit avec
toi. Lors donc que Jacob revint des champs le soir, Lia alla au-devant de lui et lui dit: Tu
entreras en moi cette nuit, car je t'ai achet pour prix des mandragores que mon fils avaient
cueillies; et il coucha avec elle cette nuit-l. Et Dieu couta la prire de Lia; et elle devint
enceinte, et ainsi elle enfanta son cinquime fils. Et Lia dit: L'Eternel m'a rcompense,
aprs que j'ai donn ma servante mon mari. C'est pourquoi elle nomma ce fils Issachar .
(30:14-18)
Lia eut encore un sixime fils, qui reut le nom de Zabulon, et une fille, appele Dina, sans
que la Gense nous dise quelle occasion Jacob vainquit de nouveau la rpugnance qu'il avait
pour elle. Quant Rachel, il faut croire que les mandragores produisirent leur effet ou que
Jhovah se dcida ouvrir sa vulve; elle finit par devenir grosse son tour; et le fils de Jacob
et de Rachel fut nomm Joseph.
Toutefois, il ne faudrait pas s'imaginer que Jacob avait aval en douceur ses quatorze annes
de frottage et de lavage de vaisselle; la Bible nous montre qu'il garda Laban un chien de sa
chienne.
D'abord, Jacob joua son oncle beau-pre un tour de sa faon: il lui demanda de lui donner
tous les agneaux et tous les cabris de ses troupeaux qui natraient avec des taches vertes;
Laban y consentit, pleinement convaincu que Jacob attendrait longtemps. Il avait compt sans
l'esprit rus de son gendre. Celui-ci, d'aprs l'Ecriture Sainte, prit des branches de peuplier, de
coudrier et de chtaignier, dont il ta les corces, et il plaa ces branches ainsi dpouilles
dans les auges et les abreuvoirs o les brebis et les chvres de Laban venaient boire; le rsultat
fut que, ds lors, presque tous les agneaux et cabris naissant dans les troupeaux du beau-pre
taient bigarrs trangement, avaient des taches vertes. Laban n'en revenait pas, et il y avait de
quoi! mais il tait oblig, par sa promesse, de faire cadeau Jacob de tout ce btail
extraordinaire. Nous recommandons cette recette aux amateurs, qui, prouvant quelque
difficult se procurer des merles blancs, dsireraient s'offrir le luxe d'avoir des moutons
67

verts. Cette mirifique recette et les dtails de son succs, garanti par le divin pigeon, s'il vous
plat, sont tout au long dans la sublime Gense, chapitre 30, versets 25 43.
Ensuite, le roublard Jacob, non content d'avoir, par ce truc, dpouill Laban des neuf diximes
de ses troupeaux, fila un beau matin sans le prvenir, emmenant sa petite famille, dj
nombreuse. Lia et Rachel, prenant parti pour lui contre leur pre, l'avaient approuv, ds qu'il
leur confia ses projets de fugue; Rachel mme, en s'en allant, chipa son pre toutes ses
idoles, qu'elle emporta, sans en rien dire.
Voil notre Laban dsol; il se met la poursuite de son gendre et de ses filles; il parvient
rejoindre la caravane. Malgr toute son loquence, il ne put dcider Jacob revenir sur ses
pas. Au moins, rends-moi mes dieux! lui dit-il; pourquoi m'as-tu drob mes dieux? Jacob
ne sait ce que cela veut dire. Il invite Laban visiter les bagages de la famille. Pendant que
son pre inspecte les effets de Lia, Rachel fourre les idoles dans le bt d'un chameau et
s'assied dessus; puis, elle prie Laban de l'excuser, si elle ne peut se lever: Mon pre, dit-elle,
j'ai en ce moment mes rgles (textuel). Laban eut beau fouiller, il ne trouva pas ses idoles.
Enfin, aprs une scne assez vive de part et d'autre, le gendre et le beau-pre se sparrent
dfinitivement, non sans avoir mis des pierres en tas, afin que ces cailloux fussent tmoins de
leur promesse de ne pas chercher dsormais se nuire l'un l'autre. Le dpart de Jacob, sa
poursuite par Laban, et le trait final tiennent tout le chapitre 31.
Les deux chapitres suivants sont consacrs la suite du voyage de Jacob, retournant au pays
de Canaan. Il rencontre Esa, et une touchante rconciliation a lieu entre eux. Mais un
passage qui vaut la peine d'tre reproduit, c'est celui o l'auteur nous raconte une nouvelle
farce de Jhovah: papa Bon Dieu faisant le revenant, voulant battre Jacob, et ne russissant
qu' recevoir une rosse, malgr sa toute-puissance.
Le mari de Lia, Rachel, Zelpha et Bla, venait de faire passer sa caravane le gu de Jabbok;
c'tait la nuit. Alors, Jacob, tant demeur seul sur le chemin, fut attaqu par un fantme de
for me humaine, qui lutta contre lui jusqu'au lever de l'aube. Et ce fantme, ne pouvant le
terrasser, lui toucha l'endroit de l'embo ture de sa hanche, qui fut aussitt dmise; mais la
lutte avec le spectre continua. Or, le spectre dit Jacob: J'en ai assez, laisse-moi; car
l'aurore monte. Mais Jacob lui rpondit: Je ne te lcherai point, que tu ne m'aies bni. Quel
est ton nom? demanda le fantme. il rpondit: Jacob. Le spectre dit alors: Ton nom ne sera
plus Jacob, mais Isral; car, puisque tu as pu combattre contre Dieu, combien seras-tu plus
fort contre les hommes! Et Jacob l'interrogea, disant: Je t'en prie, apprends-moi ion nom.
Et le fantme lui rpondit: Pourquoi me demandes-tu mon nom? Et alors il le bnit l. Et
Jacob nomma ce lieu Pniel; car, dit-il, c'est l que j'ai vu Dieu face face et que mon me a
t dlivre. Et le soleil se leva, aussitt qu'il et quitt Pniel; et Jacob tait boiteux d'une
hanche. (32:24-31)
Les critiques ont fait remarquer que le nom d'Isral, donn par le divin fantme Jacob, tait
le nom d'un ange dans la mythologie des Chaldens. La tradition juive prtend que ce nom
signifie fort contre Dieu; toutefois, Philon, juif trs savant, soutient que le nom est vraiment
chalden, et non hbreu, et qu'il signifie voyant Dieu. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas sans un
doux sourire qu'on lit le rcit de cette aventure. Je ne crois pas qu'aucune mythologie
reprsente un homme quelconque assez robuste pour flanquer une pile un die u; et encore
Jacob tint bon et eut le dessus, mme aprs que le spectre lutteur lui et dmis la hanche!...
Passons une autre aventure. Le lecteur a vu que Lia accoucha sept fois et que son septime
enfant fut une fille, Dina. D'autre part, nous avons le compte exact du temps pass par Jacob
chez Laban; lors de sa dispute au moment de la fuite, il dit l'oncle beau-pre: Je t'ai servi
ces vingt ans passs dans ta maison, quatorze ans pour tes deux filles, et six ans pour tes
troupeaux. (31:41) La naissance de Ruben, l'an, n'a donc pu avoir lieu que dans la
huitime anne; et si l'on n'oublie pas que Lia resta au moins deux ans sans avoir d'enfants,
temps pendant lequel elle prta sa servante Zelpha Jacob, la chronologie place la n aissance
68

de Dina la seizime anne du sjour chez Laban. Dina avait donc quatre ans tout au plus,
lorsque Jacob lcha son oncle beau-pre. Cette remarque tait ncessaire, attendu que la
Gense nous montre Dina inspirant une violente passion au fils d'un roi, ds les premiers jours
de son arrive avec sa famille au pays de Canaan, c'est--dire aussitt aprs la lutte contre le
fantme et la rconciliation d'Esa et Jacob.
Jacob arriva en bonne sant la ville de Salem, au pays de Canaan, venant de Paddan-Aram
(pays de Laban), et il dressa ses lentes devant la ville. Ensuite, il acheta aux enfants d'H
mor, pour cent pices d'argent, une partie du champ o il campait; Hmor tait le pre du
jeune prince Sichem. (ch. 33, v. 18-19)
C'est ce prince Sichem qui tomba subitement amoureux de la petite Dina, ge de quatre an s!
Or, Dina, fille de Lia, eut la curiosit de voir les femmes du pays, et elle sortit du camp.
Et le prince Sichem, fils d'Hmor, roi du pays, la vit, l'entrana et la fit coucher avec lui.
Son cur tant fortement attach Dina, il aima la petite fille, lui prodigua de grandes
caresses et lui parla selon son cur. Sichem parla aussi Hmor et lui dit: Mon pre, je
t'en conjure, obtiens-moi que j'aie cette petite fille pour femme. (34:1-4)
Le roi Hmor se rendit donc auprs de Jacob et fit la dmarche dsire par son fils. En vrit,
le prince Sichem avait s'excuser d'tre all un peu trop vite; mais il tait dcid passer par
toutes les exigences de Jacob pour avoir son pardon. La Bible laisse comprendre que Jacob
tait dans d'assez bonnes dispositions; par contre, les frres de Dina ne voulaient pas entendre
parler d'un mariage pour rparer la faute du prince Sichem.
Les fils de Jacob, tant revenus des champs et ayant appris ce qui tait arriv furent
extrmement fchs et fort irrits, et dirent que Sichem avait commis une action infme contre
Isral en couchant avec la fille de Jacob, ce qui ne se devait point faire. Hmor leur parla
donc et leur dit: Sichem, mon fils, a beaucoup d'amour pour Dina; accordez, je vous prie,
qu'elle soit sa femme. Et vous-mmes, alliez-vous avec nous; donnez-nous vos filles et
prenez nos filles pour vous. Et habitez parmi nous; tout le pays sera votre disposition;
cultivez-le, faites-y du commerce, et mme possdez-le. Quant Sichem, il dit son tour
au pre et aux frres de la petite fille: Que je trouve grce devant vous! et je donnerai tout ce
qui vous plaira. Imposez-moi de fournir une riche dot, demandez-moi de nombreux
prsents; tout ce que vous voudrez, je vous le donnerai; mais donnez-moi la petite Dina pour
femme! Alors, les fils de Jacob, trompant dessein Hmor et Sichem, rpondirent:
Nous ne pouvons accorder notre sur un incirconcis; car ce serait pour nous un opprobre.
Mais nous consentirons ce que vous voulez, si tous les mles qui sont parmi vous
acceptent de se couper le prpuce. Alors, oui, nous vous donnerons nos filles, et nous nous
marierons avec les vtres; et nous habiterons parmi vous, et nous ne serons plus qu'un seul
peuple; mais, si vous ne voulez pas vous circoncire tous, nous reprendrons Dina, notre
petite sur, et nous nous en irons. Et ce discours plut Hmor et Sichem. Et le jeune
prince ne diffra point de faire ce qui lui tait propos; car son amour pour la fille de Jacob
remplissait son cur. (34:7-19)
L-dessus, le roi Hmor et son fils rassemblrent le peuple et lui rptrent les propositions
qui venaient de leur tre faites. L'alliance avec la famille de Jacob fut accepte l'unanimit.
Il y eut une circoncision gnrale de tous les mles de la cit (v. 24).
Mais, trois jours aprs, deux des fils de Jacob, Simon et Lvi, ayant pris leur pe,
entrrent hardiment dans la ville et turent tous les hommes. Ils gorgrent aussi Hmor et
Sichem, reprirent Dina et l'emmenrent. Puis, tous les enfants de Jacob se jetrent sur les
morts, les dpouillrent et mirent la ville au pillage, criant qu'ils vengeaient ainsi leur sur
d'avoir t prise. Et ils s'emparrent des troupeaux, des bufs, des nes et de tout ce que
les habitants possdaient la ville et aux champs. Et ils emmenrent prisonniers les enfants
et les femmes, aprs avoir tout saccag et pris tout ce qui tait dans les maisons. (34:25-29)
69

Tout ceci est bien horrible. Les fils et les gens de la caravane de Jacob se comportent comme
les derniers des gredins l'gard de cette population qui les avait reus si fraternellement, qui
avait pouss l'amiti jusqu' accepter leur pratique rituelle la plus absurde, la circoncision.
Jamais assassins ne furent ni plus perfides, ni plus voleurs, ni plus sanguinaires. Mais
l'horreur du crime s'efface devant l'invraisemblance de telles monstruosits, et l encore le
sceptique apprcie en dilettante la mystification du pigeon Saint-Esprit. Ce Simon et ce Lvi,
auteurs de cet effroyable carnage, sont deux gamins ayant cess peine d'avoir la morve au
nez; Simon naquit dans la neuvime anne du sjour de Jacob chez Laban, et Lvi dans la
dixime; ils n'avaient donc que onze et dix ans, d'aprs la Bible, quand, eux deux, ils
massacrrent le roi Hmor, le prince Sichem et tous leurs sujets mles. Il est vrai que Simon
et Lvi, ayant dans les veines le sang d'un pkin qui avait ross Dieu en personne, devaient
tre des gosses bien terribles!... On en fait plus, de cette trempe-l!...
Le chapitre 35 de la Gense nous apprend que Jacob, tant tout--coup navr de ce que ses
femmes taient idoltres et se disant que cela pouvait lui porter malheur, dit sa famille et
tous ceux qui taient avec lui: Jetez loin de vous tous les dieux trangers que vous avez;
purifiez-vous et changez de vtements (v. 2). Aussitt dit que fait; Rachel, Lia, Zelpha,
Bla, etc., etc., livrrent leurs idoles Jacob, qui les enterra au pied d'un chne, aux environs
de la ville que l'on venait de dvaster. Jhovah, charm de cette belle action, troubla la tte de
tous les habitants de la contre, et ceux-ci ne songrent point poursuivre Jacob et ses
enfants (v. 5). Nous avons aussi dans ce chapitre une nouvelle apparition de papa Bon Dieu,
avec discours Jacob; mais c'est toujours la mme rengaine. Puis, vers le printemps, Jacob
arrive sur une route qui mne Ephrata. L, Rachel eut des couches si douloureuses, qu'elles
la mirent mort. Son me tant prs de s'exhaler, elle donna son fils le nom de Benoni, le
fils de ma douleur; mais Jacob le nomma Benjamin, le fils de ma cuisse droite (v. 18). Jacob
ensevelit l sa chre Rachel et mit sur sa spulture une pierre que les musulmans montrent
encore aujourd'hui. Or, tandis que Jacob pleurait Rachel, le jeune Ruben, fils an qu'il avait
eu de Lia, profita de sa douloureuse distraction pour se glisser auprs de l'une des femmes du
patriache; il sduisit donc sa belle-mre Bla et coucha avec elle; mais, quand Jacob sut qu'il
tait cocufi par son fils, il ferma les yeux et ne se fcha point, du moins pour le moment.
Enfin, Jacob, revenu dans la plaine de Mambr, y retrouva son pre Isaac: celui-ci mourut
quelque temps aprs; il avait alors cent quatre-vingts ans. Isaac fut enterr par Esa et Jacob.
Jacob tait donc la tte d'une nombreuse famille, mais Esa aussi. Le chapitre 36 nous
donne un important aperu de la postrit de ce dernier; c'est une vraie kyrielle de ducs ,
aux noms tous plus patants les uns que les autres.
Dans ce chapitre et dans le prcdent, les critiques signalent deux versets, qui permettent de
dire que les cinq premiers livres de la Bible sont mensongrement attribus Mose. Ainsi, il
est dit au verset 19 du chapitre 35: Rachel fut ensevelie sur la route qui mne Ephrata,
aujourd'hui Bethlem. Or, la ville dont il s'agit ne pouvait s'appeler Ephrata, au temps o
Mose est cens crire, attendu que cette dnomination est indique plus loin comme ayant t
fixe par un certain Caleb, qui avait pour femme une certaine Ephrata; ce Caleb donna le nom
de sa femme la bourgade alors naissante; et Caleb tait contemporain de Josu, successeur
de Mose. A plus forte raison Mose ne pouvait-il citer le nom de Bethlem, qui remplaa,
plusieurs sicles aprs, le nom d'Ephrata. Au verset 31 du chapitre 36, le vritable crivain de
la Gense se trahit plus maladroitement encore; ce verset, qui suit une nomenclature de
descendants d'Esa, est ainsi conu: Ce sont l les rois qui ont rgn au pays d'Edom, avant
que les enfants d'Isral eussent un roi. Il est vident que ces lignes ne peuvent avoir t
crites que postrieurement la premire royaut juive, c'est--dire aprs Sal Si, dans une
histoire d'une nation d'Europe, on trouvait, par exemple ceci: Ces princes gouvernrent
diverses principauts d'Allemagne, bien avant que la France ft en Rpublique, sous le rgime
d'une assemble parlementaire nomme Convention , on serait unanime dclarer que le
70

livre a forcment t crit pendant ou aprs la Convention, mais non avant la premire
Rpublique franaise.
Arrivons l'histoire de Joseph, dont les dbuts font l'objet du chapitre 37 de la Gense.
De tous ses enfants, celui que Jacob chrissait le plus tait Joseph, qui il avait octroy une
trs belle robe rayures de couleurs vives. Joseph, qui a laiss une rputation de devin de
songes et qui aurait rendu des points aux somnambules les plus extra-lucides, entra de bonne
heure dans cette carrire; dix-sept ans, il tonnait dj sa famille. Par malheur pour lui, il
racontait navement ses propres songes, et ses songes taient en gnral de nature le
rehausser lui-mme et humilier ses onze frres. Un jour, il avait rv que, tandis qu'on liait
des gerbes dans un champ, sa gerbe s'tait leve et tenue debout, et qu'alors les gerbes de ses
frres s'taient prosternes devant la sienne. Un autre jour, c'tait le soleil, la lune et onze
toiles qui taient venus lui faire de profondes rvrences pendant son sommeil.
Cette manie ayant fini par agacer neuf de ses frres, ceux-ci prirent Joseph tic. Or, un matin,
Jacob l'ayant envoy rejoindre ses frres, qui faisaient patre leurs troupeaux dans la
campagne de Dothan, neuf de ses frres, le voyant venir, conspirrent de le tuer. Ruben
s'opposa au meurtre; mais Joseph, ayant t dpouill de sa belle robe, fut descendu dans un
vieux puits dessch.
Sur ces entrefaites, passrent; des marchands; l'auteur sacr les qualifie tantt d'ismalites et
tantt de madianites, ce qui n'est pas la mme chose; mais passons. Alors, Juda, pris de
remords la pense que le jeune homme risquait fort de mourir de faim au fond du puits,
proposa ses frres une petite opration commerciale dont Joseph serait la marchandise;
c'tait du mme coup faire une affaire et de la philanthropie.
Tope-l! Les ismalites ou madianites achetrent l'adolescent pour vingt pices d'argent; ce
qui n'tait vraiment pas cher. On retira Joseph de son puits, et les marchands en prirent
livraison pour l'emmener avec eux dans des pays lointains.
Or, Ruben et Benjamin taient les seuls qui n'avaient pas particip ce trafic; Benjamin qui
tait encore trs jeune, demeurait la maison. Quant Ruben, il s'tait loign de ses frres,
l'auteur sacr ne dit pas pourquoi, aprs la descente de Joseph dans le puits, et il s'tait
trouv absent, lors de la ngociation avec les marchands nomades; selon la Bible, Ruben avait
mme eu la secrte intention de venir retirer Joseph du puits et de le ramener leur pre. Il fut
donc fort chagrin de trouver le puits vide; il courut ses frres et leur dit: L'enfant n'est plus
dans le puits, et moi, moi, o irai-je?... Les autres, malins et hypocrites comme de vieux
sacristains, teignirent du sang d'un bouc la belle robe bigarre de l'infortune, et ils
l'envoyrent Jacob, avec ce message: Voici ce que nous avons trouv; cela nous parait tre
la robe de Joseph; reconnais si c'est bien a.
Jacob s'cria: Hlas! c'est vraiment la robe de mon fils chri! il aura t rencontr par une
bte froce! il a t dvor! voil tout ce qui reste de lui!
Et il fut dans un grand dsespoir. D'abord, il dchira tous ses vtements; ensuite, il se revtit
d'un cilice et pleura Joseph pendant plusieurs jours. Et il disait, au milieu de ses larmes: Je
descendrai dans la fosse avec mon fils! (37:33-35)
D'autre part, les marchands avaient conduit Joseph en Egypte, et l, ils le revendirent un
haut personnage de la cour; l'auteur sacr le nomme et numre ses titres et qualits: c'tait le
sire Putiphar, eunuque du roi Pharaon, prvt de l'htel . Dans un des chapitres suivants,
l'impayable Gense nous apprendra que Putiphar, quoique eunuque, tait mari.
Mais n'anticipons pas. Pendant que Joseph est esclave chez Putiphar, une nouvelle srie
d'pisodes difiants se droule dans la famille de Juda, le quatrime fils de Jacob.
En ce temps-l, Juda se rendit chez un addullamite nomm Hira. L, il lia connaissance
avec la fille d'un nomm Suah, cananen; il la prit et coucha avec elle. (38:1-2) On
remarquera que papa Bon Dieu a beau dfendre ses patriarches de prendre pour femmes des
idoltres, et, en particulier, des cananennes, race maudite, les patriarches ne tiennent gure
71

compte de ces dfenses et n'en sont pas moins chris de Jhovah. Plus tard, les chrtiens,
adoptant les btises et les turpitudes de la Bible juive, feront, pour la gnalogie de leur Jsus,
les choix les plus stupfiants; ils lui donneront pour aeules prcisment les idoltres, les
adultres et les prostitues.
Or, la femme de Juda conut, et elle lui enfanta un fils qui fut nomm Her. Elle conut
encore, et son second fils fut nomm Onan. Et elle enfanta un troisime fils, qui reut le
nom de Sla. Plus tard, Juda fit pouser lier son premier-n, une fille nomme Thamar.
Mais Her tait mchant devant l'ternel, et Dieu le tua. (38:3-7) La sagacit des
thologiens s'est exerce au sujet du crime de Her, la Bible n'en disant pas davantage; vu la
suite de l'historiette, et en considrant que Dieu avait dcid de faire descendre de Juda son
Messie, les commentateurs catholiques ont conclu que ce crime consistait n'user de sa
femme qu' la mode des Sodomites. Dieu fit mourir Her, disent-ils, parce qu'il agissait ainsi
pour ne pas avoir d'enfants; et la preuve, c'est que le texte sacr emploie ici l'expression
mchant devant l'ternel , qui est exactement celle dont Jhovah se servit plus haut, quand il
se plaignit des murs de messieurs les maris de Sodome. Quoi qu'il en soit, on va voir que
Thamar n'eut pas de chance avec ses poux.
Alors, Juda dit Onan: Entre en la veuve de ton frre, et qu'elle soit ta femme; ainsi tu
susciteras la semence de ton frre. (38:8) C'est textuel, vous savez! Et ceci veut dire que,
selon la coutume juive, les enfants naissant dans ces conditions seraient les hritiers du
dfunt, et non de leur vritable pre. Mais Onan, sachant que les enfants qu'il ferait ne
seraient pas considrs comme les siens, rpandait sa semence par terre chaque fois qu'il
s'approchait de sa femme, afin de ne pas donner des enfants son frre. (38:9) Absolument
textuel, a encore! Le nom d'onanisme vient de cet difiant pisode biblique. Et cette
conduite dplut l'Eternel, et Dieu tua aussi Onan. (38:10)
C'est pourquoi Juda dit Thamar sa bru: Va-t'en; reste veuve dans la maison de ton pre,
jusqu' ce que S la, mon dernier fils, soit en ge de devenir ton poux. Elle s'en alla donc et
habita chez son pre. Plusieurs jours aprs, la fille de Suah, que Juda avait pouse,
mourut. Puis Juda s'en consola, et il monta Timnath, pour voir tondre ses brebis, en
compagnie de Hira son intime ami. Or, quelqu'un informa Thamar de ce qui se passait,
c'est--dire que Juda venait dans le pays. Alors Thamar, qui savait que Sla tait devenu
grand et voyait avec peine qu'il ne lui avait pas t donn pour mari, quitta ses effets de
veuve, se revtit d'un voile dont elle s'enveloppa, et elle vint s'asseoir dans un carrefour,
l'angle du chemin qui conduisait Timnath. Et quand Juda l'aperut, il la prit pour une
prostitue, cause de sa posture et de son voile. Il vint elle sur le chemin et lui dit: Veux-
tu bien que je couche avec toi? car il ne souponnait pas que c'tait sa bru. Et elle lui rpondit:
Que me donneras-tu pour coucher avec moi? Juda dit: Je t'enverrai demain un chevreau de
mon troupeau. Elle rpliqua: Je ferai donc ce que tu voudras; mais d'abord, il me faut un gage
pour m'assurer que tu m'enverras le chevreau que tu me promets. Quel gage exiges-tu?
demanda Juda. Et Thamar rpondit: Ton anneau, ton mouchoir et ce bton que tu as la main.
Juda les lui donna, et alors il entra en elle, au bord du chemin, et ainsi elle fut enceinte de ses
uvres. Aprs quoi, elle se leva et s'en alla; puis, ayant quitt son voile, elle reprit ses
vtements de veuve. Cependant. Juda envoya le chevreau promis, l'ayant remis son ami
Mira, afin qu'il se lit rendre les gages donns cette femme; mais Hira ne la trouva plus. Et
il interrogea les gens de la localit o elle s'tait tenue pour attirer Juda, et il disait tous: O
est donc cette prostitue qui se tient dans le carrefour et sur le chemin? Ils rpondirent: Il n'y a
point eu par ici de femme de mauvaise vie. Hira retourna vers Juda, lui dit qu'il n'avait
point trouv cette femme, et il lui rapporta les paroles des gens de la localit. Et Juda dit:
Soit, qu'elle garde mes gages; elle ne pourra pas m'accuser au moins de n'avoir pas voulu la
payer! Ne lui ai-je pas envoy le chevreau promis? mais tu ne l'as point trouve. Or, il
arriva qu'environ trois mois aprs, on fit un rapport Juda: Thamar, ta bru, vint-on lui dire, est
72

tombe dans la paillardise, et voici mme que son ventre commence s'enfler. Juda rpondit:
Qu'on aille la chercher au plus vite, et qu'elle soit brle! Gomme on la conduisait au
supplice, elle envoya Juda son anneau, son mouchoir et son bton, d isant: Si je suis
enceinte, c'est par le fait de l'homme qui ces choses appartiennent; que l'on fasse donc
reconnatre ces objets. Alors, Juda, les ayant reconnus, s'cria: Ella est plus juste que moi;
elle s'est fait engrosser par moi, parce que j'ai oubli de la donnera Sla, mon troisime fils. Et
Juda ne coucha plus avec elle. Or, quand Thamar fut sur le point daccoucher, on s'aperut
qu'elle avait deux jumeaux dans le ventre. Et, au moment de la dlivrance, un des jumeaux
mit la main dehors, et la sage-femme la prit et la lia avec un ruban carlate, croyant qu'il allait
sortir le premier. Mais aussitt cet enfant retira sa main et poussa son frre, et celui-ci
sortit. Et Thamar lui dit: Quelle norme brche tu m'as faite, mon fils! Que la brche soit sur
toi! C'est pourquoi on le nomma Phars. Ensuite sortit l'enfant qui avait la main un ruban
carlate, et on le nomma Zara. (38:11-30)
On ne m'accusera pas d'tre de ceux qui affectent de rsumer un ouvrage et qui, sous ce
prtexte, le travestissent. Au contraire, il se trouvera peut-tre des lecteurs qui penseront qu'il
vaudrait mieux relater chaque pisode de la faon la plus succincte et dvelopper la critique.
Mais, tant donne la nature de l'uvre qui est l'objet de cette analyse, j'estime que le rsum
a uniquement sa raison d'tre lorsqu'il s'agit d'pisodes dont les dtails importent peu; d'autre
part, quand l'criture Sainte contient des passages dans le genre de cette aventure de Thamar,
il devient ncessaire de citer tout au long. C'est l'esprit divin qui a dict cela! on ne saurait
donc mettre trop en lumire les perles de ce texte sacr. Voil bien le cas o le critique ne doit
pas exposer ses lecteurs s'entendre dire par un cur qu'ils ont t tromps et qu'on a
calomni la Bible.
Toutes les salets de l'histoire de Thamar font donc rellement partie du livre de foi; elles y
figurent crment, et l'Eglise les dclare authentiques, malgr leur in vraisemblance.
Car c'est une chose bien singulire que Thamar, ayant eu si peu de chance avec ses deux
premiers maris, veuille se livrer leur pre, parce qu'il a oubli de lui donner son troisime
fils, qu'il avait promis! Elle prend un voile pour se dguiser en fille de joie, a fait remarquer
Voltaire; mais, au contraire, le voile tait et fut toujours le vtement des honntes femmes. Il
est vrai que, dans les grandes villes, o la dbauche est fort connue, les filles de joie vont
attendre les passants dans de petites rues, comme Londres, Paris, Venise, Rome; mais
il n'est pas vraisemblable que le rendez-vous des filles de joie, dans le misrable pays de
Canaan, ft la campagne, au carrefour des routes. Il est bien trange, en outre, qu'un
patriarche fasse l'amour en plein jour avec une fille de joie sur le grand chemin, et s'expose
tre pris sur le fait par tous les passants. Le comble de l'impossibilit est que Juda, tranger
dans Canaan, et n'ayant pas la moindre possession, ordonne qu'on brle sa belle-fille, ds qu'il
sait qu'elle est grosse, et que sur-le-champ on prpare un bcher, comme s'il tait le juge et le
matre du pays.
Cette histoire a quelque rapport avec celle de Thyeste qui, rencontrant sa fille Plope, coucha
avec elle sans la connatre. Les critiques disent que les Juifs crivirent fort tard, et qu'ils
copirent beaucoup d'histoires grecques qui avaient cours dans toute l'Asie Mineure. Josphe
et Philon, historiens juifs, avouent que les livres juifs n'taient connus de personne, et que les
livres grecs taient connus de tout le monde.
Aprs l'histoire de Thamar, la Gense revient Joseph, et nous avons ici un pisode dont la
ressemblance avec l'histoire de Thse, Phdre et Hippolyte, est des plus frappantes. L'auteur
sacr nous apprend que Putiphar, cet eunuque richard qui avait achet Joseph, tait mari, et
que, bien que n'adorant pas le dieu de Joseph, il ne tarda pas reconnatre que ce dieu faisait
prosprer toutes les affaires de son esclave. Putiphar vit que l'Eternel tait avec Joseph et
que l'Eternel faisait prosprer toutes choses entre ses mains. (39:3)
73

Cette constatation ne poussa nullement notre eunuque se convertir la religion juive; mais
il remit tout ce qui tait lui entre les mains de Joseph, si bien qu'il ne s'informait plus de rien,
sinon des ragots qui taient servis la sable. Or, Joseph avait la taille bien prise et tait tout-
-fait beau voir. Il arriva donc que la femme de Putiphar remarqua les agrments de
Joseph, et elle lui dit un jour: Couche avec moi. Mais il refusa et rpondit la femme de
son matre: Voici, mon matre m'a confi tout ce qui lui appartient et il ne s'occupe plus de ce
qui se passe chez lui. Personne n'est au-dessus de moi dans sa maison, et il ne m'a rien
interdit que toi, parce que tu es sa femme. Comment donc ferais-je ce mal et pcherais-je
contre Dieu? Et bien qu'elle en parlt tous les jours Joseph, celui-ci ne voulut point
l'couter; refusant de coucher avec elle, il vita mme de se trouver en sa compagnie. Mais
il arriva qu'un jour il vint la maison, un moment o tous les domestiques taient absents.
Alors, elle le prit par son manteau et lui dit encore: Allons, couche avec moi. Mais lui, il se
dgagea, et, lui laissant son manteau entre les mains, il s'enfuit hors du logis. (Versets 6
12)
Au retour de Putiphar, sa femme lui raconta les choses tout rebours. Cet esclave hbreu
que tu as amen ici a tent de me dshonorer; mais j'ai cri, et il s'est enfui; tiens, voici son
manteau, qu'il a laiss dans la chambre. (39:17-18)
Putiphar, en apprenant le prtendu attentat, fut tellement furieux, qu'il ne voulut entendre
aucune explication de Joseph et le fit aussitt jeter dans un troit cachot de la grande prison o
le roi faisait enfermer ses prisonniers. Or, le gardien-chef prit le bel esclave hbreu en
affection; bientt il adoucit son infortune en le chargeant de la direction de tous les autres
prisonniers, de sorte que, dans la prison, rien ne se faisait sans les ordres de Joseph.
Plus tard, en un temps que l'auteur sacr ne prcise pas, le panetier et l'chanson du roi
tombrent en disgrce et devinrent les compagnons de captivit du fils de Jacob; d'aprs la
Bible, ces personnages taient encore deux eunuques. Un matin, Joseph, leur trouvant le
visage triste, leur en demanda la raison. Ils rpondirent: Nous avons fait chacun un songe
cette nuit, et nous sommes bien ennuys de n'avoir personne pour nous les expliquer. Joseph
leur rpliqua que, grce son dieu, il tait en mesure d'interprter ce qu'ils avaient rv.
Dans mon songe, dit alors l'chanson, j'ai vu une vigne qui avait trois branches, lesquelles ont
produit des boulons, des fleurs et des raisins mrs; je tenais dans ma main la coupe du roi; j'ai
press les raisins dans la coupe, et j'ai donn boire au roi. Ceci veut dire, fit Joseph, que
dans trois jours tu seras libre et que tu reprendras tes fonctions auprs de Pharaon; te prie donc
de te souvenir alors de moi et de faire connatre mes malheurs au roi, afin que je sorte enfin de
cette prison. Le panetier narra son tour son songe: il s'tait vu avec trois paniers de farine sur
la tte, et des oiseaux taient venus manger toute cette farine. Cela signifie, dit Joseph, que
dans trois jours tu sortiras de prison, toi aussi; mais, au lieu de la libert, c'est une potence que
le roi te donnera; tu seras pendu, et les oiseaux te mangeront. Le troisime jour tant
l'anniversaire de la naissance de Pharaon, il y eut donc grand festin la cour. (40:8-19).
Les prdictions de Joseph se ralisrent la lettre; mais, par malheur pour lui, l'c hanso n
veinard l'oublia compltement.
Deux annes se passrent. Le roi d'Egypte eut aussi un songe qui l'intrigua d'une manire
violente. Il crut tre sur le bord d'un fleuve, d'o sortirent sept vaches grasses et belles, puis
sept vaches maigres et laides; et les vaches maigres dvorrent les vaches grasses. S'tant
rveill, il se rendormit, et vit sept pis trs beaux une mme tige, et sept autres pis
desschs qui mangrent les autres.
Pharaon se demandait quel tait le sens mystrieux de ce double songe; il consulta tous les
devins et sages de son royaume; la rponse gnrale fut que le rve royal tait aussi
incomprhensible qu'extraordinaire. L'chanson se souvint alors de son ancien compagnon de
prison; il en parla favorablement au monarque, qui le fit comparatre devant lui. Le fils de
74

Jacob avait vieilli durant sa longue captivit; la Bible nous dit qu'il fut prsent au roi, aprs
qu'on l'et ras et habill.
Joseph, interrog, rpondit: Le double songe de Pharaon n'a qu'un seul et mme sens. Les
sept vaches grasses et les sept beaux pis signifient sept annes d'abondance; les sept vaches
maigres et les sept pis desschs signifient sept annes de strilit. Il faut donc que le roi
choisisse un homme sage et habile, qui gouverne tout le royaume d'Egypte et qui tablisse des
prposs, chargs de garder chaque anne la cinquime partie des fruits.
Le conseil plut Pharaon et ses ministres.
Et le roi dit ceux-ci: O pourrions-nous trouver un homme aussi rempli que ce juif de
l'esprit de Dieu?
Aprs quoi, se tournant vers Joseph, il lui dit: Puisque Dieu t'a montr tout ce que tu m'as
dit, o pourrais-je trouver quelqu'un de plus sage que toi?
L-dessus, il lui donna son anneau, le revtit d'une robe de lin fin, lui mit au cou un
magnifique collier d'or, et le fit monter sur un char; et un hraut, prcdant Joseph, criait au
peuple: Que tout le monde flchisse le genou devant le gouverneur de l'Egypte!
Ce n'est pas tout. Sur l'avis du roi, Joseph changea de nom, et il s'appela ds lors Tsaphnath-
Pahanah. Puis, Pharaon le maria, et vous ne devineriez jamais, chers lecteurs, qui Sa Majest
lui donna pour femme. La Gense nous avait dj procur un tonnement, quand nous y
lmes tout- coup que l'eunuque Putiphar tait mari; eh bien, le divin pigeon nous gardait en
rserve une nouvelle surprise. Pendant la longue captivit de Joseph, cet eunuque pourvu
d'une femme trs inflammable avait chang de fonctions: aux chapitres 37 et 39, nous l'avons
vu prvt de l'htel du roi; au chapitre 41, nous le retrouvons prtre d'Hliopolis. Or, pendant
ce temps, Madame Putiphar devint mre; ce qui donne croire que les dieux des gyptiens
faisaient, eux aussi, des miracles. Avec les livres saints de n'importe quelle mythologie, il faut
tout admettre: or, l'on constate qu'au chapitre 41 Putiphar n'est plus qualifi d'eunuque par la
surpatante Gense; une prire au saint Antoine de cette poque-l lui avait donc fait
retrouver ce qu'il avait perdu. Et voil, sans aucun doute, comment Putiphar, devenu pr tre
d'Hliopolis, ville sainte d'gypte, fut papa d'une dlicieuse petite fille, nomme Aseneth,
laquelle grandit en ge et en beaut et se trouva l bien point pour tre Madame Tsaphnath-
Pahanah, lorsque Joseph fut nomm premier ministre. Et l'on ne saurait trop admirer l'esprit
de justice de Pharaon: le vertueux Joseph avait durement souffert par suite de la btise de
Putiphar et de la coquinerie de son ardente pouse; nulle autre rparation n'et t aussi
quitable. Moralit: Putiphar, n'ayant pas t cocufi par Joseph, lui devait bien de le prendre
pour gendre; c'est clair!
Cette partie de l'histoire de Joseph permet d'mettre une rflexion venant l'appui d'une
observation qui a t faite au dbut de cet ouvrage. Les Juifs, avons-nous remarqu, disent
les dieux propos de la cration et en de nombreuses circonstances, et cependant ils
n'adorent qu'un seul dieu, Jhovah, divinit su prme, qu'ils ne divisent pas en trois personnes,
comme les chrtiens; ils reconnaissaient donc autrefois l'existence d'autres dieux que le leur.
En effet, selon eux, les autres peuples avaient aussi leurs dieux propres, et ils croyaient au
pouvoir surnaturel de ces dieux-l, sans voir aucunement en eux des diables; seulement, leur
amour-propre national leur faisait admettre que Jhovah, divinit des Juifs, tait plus puissant
que tous les autres dieux. C'est pourquoi nous voyons ici la Gense faire ressortir le plus
grand pouvoir du dieu de Joseph. Putiphar, l'chanson, Pharaon et ses ministres, en un mot,
tous les gyptiens qui sont mis en scne ont une autre religion que celle du fils de Jacob; mais
ils n'abandonnent pas leurs dieux parce que Joseph, inspir par Jhovah, est plus clairvoyant
que les prtres de leur cuite. Chacun garde sa croyance, attendu que dans l'esprit de chacun la
foi des uns n'est pas en contradiction avec la foi des autres. Joseph demeure fidle Jhovah,
mme en pousant la fille d'un prtre d'Apis, le dieu-buf, et il fera bon mnage avec
Aseneth, sans que celle-ci ait embrasser la religion juive. A ce point de vue, cet pisode de
75

la Bible est donc trs significatif. Joseph ne profite pas de l'autorit presque souveraine qu'il
acquiert, pour taire du proslytisme eu faveur de sa religion personnelle; il lui suffit de savoir
que son Jhovah possde une puissance surnaturelle plus forte et plus tendue que celle des
divinits de ses administrs.
Maintenant, si de la Bible hbraque on rapproche le Coran musulman, on constate que les
Arabes et les Juifs avaient un fonds commun de lgendes, o ont puis les auteurs sacrs des
deux religions. Avant que la Gense ft crite, on se racontait dans ces contres la
merveilleuse histoire de Joseph; mais elle a vari dans ses dtails, travers les gnrations et
en se rptant chez les divers peuples sortis de l'Arabie. Ainsi, selon le Coran, Putiphar n'tait
pas eunuque, et Aseneth vivait dj, tait une enfant au berceau, lorsque sa mre accusa
Joseph d'avoir voulu la violer. Celte petite fille se montra fort judicieuse ds ses premires
annes. Un jour, son pre parlait de l'incident, dont il resta longtemps proccup; il avait
mme gard le fameux manteau que sa femme avait arrach Joseph et qui s'tait quelque peu
dchir dans la lutte. Un des serviteurs conseilla Putiphar de demander la petite Aseneth ce
qu'elle pensait de tout cela; la fillette, qui commenait peine parler, dit: coutez, mon
pre; si ma mre a dchir le manteau de Joseph par devant, c'est une preuve que Joseph
voulait la prendre de force; mais si le manteau se trouve dchir par derrire, c'est une preuve
que ma mre courait aprs Joseph. De toutes faons, on le voit, Aseneth tait prdestine
devenir Madame Joseph.
La Bible et le Coran sont d'accord pour nous apprendre qu'Aseneth fut une pouse modle. Au
cours des sept annes d'abondance, elle eut de Joseph deux fils: le premier reut le nom de
Manass, et le second celui d'phram. Puis, survinrent les sept annes de disette; mais les
Egyptiens n'eurent pas en souffrir, grce la clairvoyance de Joseph, qui avait fait tablir
des greniers nationaux, remplis de bl qui se conserva trs bien. On en eut mme revendre,
et de tout pays on venait en Egypte acheter des provisions; car la famine dsolait alors toute la
terre (ch. 41).
Or, les fils de Jacob, l'exception de Benjamin, se rendirent en Egypte, sur le conseil de leur
pre, pour acheter du bl. Il parat que Joseph prsidait en personne ces distributions de
vivres aux caravanes qui arrivaient de tous les points de la terre; comment le premier ministre
pouvait-il suffire lui-mme une telle besogne? la Bible ne le dit pas. Toujours est-il que
Joseph ne fut pas reconnu par ses frres, mais qu'il les reconnut trs bien, lui. Il les traita avec
beaucoup de duret, sans se nommer eux, et sans qu'aucun gyptien, pendant leur sjour
dans le pays, n'ait song leur dire que le gouverneur et bienfaiteur de l'Egypte, l'homme
d'tat si immensment populaire, tait prcisment un de leurs compatriotes.
Joseph, gardant l'incognito, accusa ses dix frres d'tre des espions. Ceux-ci protestrent,
comme on pense.
Nous tions douze frres, dirent-ils; l'un de nous est mort, et le onzime, qui est tout jeune,
est rest auprs de notre pre.
Allons don c! rpliqua Joseph, vous tes venus ici en espions, pour reconnatre les lieux
faibles par o votre peuple pourrait s'emparer du pays.
On ne voit pas bien comment le peuple hbreu, qui se composait alors de la famille de Jacob,
en tout, puisque Esa, exclu de la bndiction spciale, tait devenu le chef des Idumens,
aurait pu s'emparer de l'gypte, ce vaste royaume puissant et bien peupl, qui fournissait,
avec ses rserves de bl, l'alimentation des nations du monde entier. Mais voyons la suite du
discours de Joseph.
Afin de savoir si vous dites vrai, continua-t-il, je vais vous faire mettre en prison, et vous y
resterez, l'exception d'un seul d'entre vous qui ira chercher le petit frre dont vous parlez.
Il les fourra au bloc, mais tous les dix. Au bout de trois jours, il se les fit amener de nouveau.
J'ai rflchi et chang d'ide, leur dit-il. C'est un seul d'entre vous qui demeurera ici
comme otage. Allez-vous-en donc, les autres, dans votre pays, et emportez le bl que vous
76

avez achet; mais ne manquez pas de revenir au plus tt en amenant votre petit frre; sinon,
celui que je garde mourrait en prison.
Ce fut Simon qu'il choisit comme otage. Il le fit enchaner devant les neuf autres, et il les
congdia. D'autre part, il avait ordonn ses gens de remettre l'argent du paiement du bl dans
les sacs qu'ils emportaient, lin route, l'un des frres de Joseph, ayant ouvert un sac pour
donner manger son ne, fut tout surpris d'y retrouver son argent; les autres n'en revenaient
pas non plus, et de l'tonnement ils passrent la frayeur. Retournant bien vite en Canaan, ils
racontrent Jacob tout ce qui leur tait arriv.
Jacob refusa d'abord de se sparer du jeune Benjamin.
Mais, quand le bl d'Egypte fut puis, il se dcida sur les instances de Juda. S'il est
ncessaire, dit-il, que j'envoie cet enfant, faites ce que vous voudrez. Prenez les meilleurs
fruits de ce pays-ci, un peu de rsine, du miel, du storax, du trbin the et de la menthe. Portez
aussi avec vous le double de l'argent que vous avez remis lors de votre premier voyage; car
les sommes que vous avez retrouves dans vos sacs devaient tre l par suite de quelque
erreur.
Les voil donc de nouveau en gypte. Quand Joseph vit que Benjamin tait avec eux, il les
accueillit avec une faveur marque, dlivra Simon et leur donna un splendide festin. Ils
voulurent rendre l'argent des premiers achats de bl; Joseph refusa, en disant qu'il avait eu son
compte; c'tait Dieu, insinua-t-il, qui leur avait mis ce trsor dans leurs sacs.
Nanmoins, Joseph, tout en ayant l'me bonne et gnreuse, possdait un caractre enclin la
fumisterie. Tandis que ses frres dnaient et portaient des toasts au magnanime ministre de
Pharaon, il sortit un instant de la salle du banquet, et il ordonna son matre d'htel de cacher
sa belle coupe d'argent dans les bagages de Benjamin. Aprs quoi, il les laissa partir.
Mais, quand la caravane se fut suffisamment loigne, il envoya sa poursuite la
gendarmerie, accompagne de son matre d'htel. Celui-ci, qui savait bien sa leon, interpelle
les onze voyageurs juifs et leur reproche d'avoir rendu le mal pour le bien.
Vous avez vol, leur dit-il, la plus prcieuse coupe du gouverneur, celle dans laquelle il
lit infailliblement l'avenir . (44: 5)
Ceci, en passant, nous apprend que Joseph est l'inventeur de la divination par le marc de caf.
Les fils de Jacob protestent et font valoir qu'ils sont incapables d'avoir vol une coupe
d'argent, eux qui ont rapport de Canaan des sommes qu'ils avaient trouves dans leurs sacs. Il
demandent rester esclaves en Egypte si la coupe rclame est dcouverte dans les bagages
de l'un deux, et mme que l'on mette mort celui qui aurait la coupe. La visite gnrale
s'effectue et l'on juge de la consternation de nos Hbreux, quand, le sac du petit Benjamin
ayant t ouvert, la gendarmerie y aperoit l'objet recherch. Il n'y avait pas rencler; le dlit
tait flagrant.
Reconduits au palais, les frres de Joseph taient dsesprs. Heureusement pour eux, celui-ci
jugea que la mystification avait assez dur. Il se fit reconnatre. On pleura de joie. Joseph
dclara qu'il pardonnait tout. Alors, ce fut une allgresse inoue, et l'on n'a pas besoin de se
mettre la cervelle la torture pour se rendre compte de la fte qui fut donne eu l'honneur de
cette heureuse conclusion.
Un dtail est assez amusant en tout ceci: c'est que, dans la Gense, Benjamin est toujours
trait en petit garon; il parat n'avoir pas pris de l'ge, tre rest enfant. Cependant, si l'on se
reporte l'histoire de sa naissance qui cota la vie Rachel, il est facile de calculer que
Benjamin avait tout au plus quatre ou cinq ans de moins que Joseph. Or, celui-ci avait dix-
sept ans quand il fut vendu par ses frres; l'pisode de Thamar, pousant successivement deux
fils de Juda, laisse supposer une priode minima de vingt-cinq ans; Joseph approchait donc de
la cinquantaine, l'poque o ses frres vinrent le retrouver en Egypte. Le petit Benjamin
n'tait plus un jeune enfant, alors! Mais la chronologie ne parat pas la partie forte de la Bible,
et, principalement, de la Gense.
77

Nous approchons, d'ailleurs, de la fin de ce premier livre de l'criture Sainte, et nous
abrgeons. Tout ce qui prcde est le rsum des chapitres 42 45. Nous y voyons encore que
Pharaon fut trs heureux d'apprendre que son premier ministre avait auprs de lui ses frres.
Joseph les avait pris d'aller chercher au plus vite Jacob et toute la famille, se proposant de les
tablir au pays de Gessen, au moins pour les cinq annes de famine qu'il y avait encore
subir. Le roi approuva ce projet. Pharaon dit Joseph: Que tes frres chargent leurs btes et
qu'ils retournent en Canaan. Disleur d'amener votre pre et leurs familles; et qu'ils
reviennent ici. Et je leur donnerai tous les biens de l'Egypte, et ils mangeront la meilleure
moelle de la terre. Or, tu as la puissance de commander. Qu'ils prennent des voitures de
mon royaume pour ramener leurs femmes et leurs enfants. Qu'ils ne regrettent point leurs
meubles; car toutes les richesses de l'Egypte seront eux. (45:17-20) Si le vieux pre Jacob
fut dans la jubilation la nouvelle de l'existence et de la gloire de Joseph, point n'est besoin de
le dire! Il en tomba en dfaillance; et, quand il reprit ses esprits, il s'cria: C'est assez; mon
fils Joseph vit encore; j'irai, et je le verrai avant que je meure!
On ne peut s'empcher de trouver bien extraordinaire ce Pharaon promettant de donnera des
trangers tous les biens de l'gypte; au moins, on ne l'accusera pas d'ingratitude envers
Joseph!
Le vieux pre Jacob s'en vint donc au royaume o son bien-aim fils tait gouverneur. Joseph,
mont sur son plus beau char, alla la rencontre d'Isral, et ils s'embrassrent en pleurant.
Cette histoire est si attendrissante qu'on ne peut soi-mme retenir ses larmes, quand on la lit,
n'est-ce pas?
Et ce calcul: Tous ceux qui vinrent en Egypte avec Jacob, sortis de sa cuisse, taient au
nombre de soixante-six, sans compter les femmes de ses enfants! (46:26)
A retenir aussi, ceci: Joseph dit ses frres et la famille de son pre: Lorsque Pharaon
vous fera appeler devant lui et qu'il vous demandera quel est votre mtier, vous lui rpondrez:
Nous sommes des pasteurs, et, comme nos pres, nous sommes nourris dans cette
profession depuis noire enfance: et vous direz cela afin que vous puissiez habiter dans la terre
de Gessen; car les Egyptiens ont en excration tous les leveurs de btail. (46:33-34)
Qu ant au roi, il dit Joseph: Ton pre et tes frres sont venus toi; toute l'Egypte est
ta disposition; fais-les habiter dans le meilleur endroit du pays, dans la terre de Gessen; et si
parmi eux il en est d'experts et robustes, donne-leur l'intendance de mes troupeaux. (47:5-6)
Pharaon a donc des troupeaux, et nous allons voir immdiatement que tout son peuple en a
aussi; alors comment les gyptiens pouvaient-ils dtester les leveurs de btail?
Jacob, ayant t prsent Pharaon, bnit le roi; le vieux bonhomme avait alors cent trente
ans (v. 7-9). Joseph donna donc son pre et ses frres la possession du meilleur endroit,
appel Rahmss, et il leur fournit tous des vivres; car le pain manquait dans le monde
entier, et la famine dsolait surtout l'gypte et le Canaan (v. 11-13).
Voulez-vous connatre la faon dont Joseph administrait le royaume? Savourez. Joseph,
ayant peru tout l'argent du pays en vendant les bls mis en rserve, accumula cet argent dans
le trsor du roi. L'argent vint donc manquer au peuple. Alors, les gyptiens vinrent
Joseph Donne-nous du pain, lui dirent-ils; faut-il que nous mourions de faim, parce que nous
n'avons plus d'argent? Joseph rpondit: Amenez-moi tout votre btail, et je vous donnerai
du bl en c hange. Les gyptiens amenrent donc tout leur btail, et Joseph leur donna du
pain pour prix de leurs chevaux, pour leurs troupeaux de brebis, pour leurs bufs et pour leurs
nes. (47:14-17)
Nous sommes la troisime anne de strilit, qu'on veuille bien le remarquer; la scheresse
est telle que le bl ne pousse plus depuis trois ans. Si la terre se refuse produire du bl, elle
ne devait certainement pas produire davantage de l'herbe; alors, de quoi tous ces bestiaux se
sont-ils nourris? Mais, s'il y avait cependant quelque moyen de faire vivre sans pturages les
troupeaux des gyptiens, quelle drle d'ide ceux-ci ont-ils de s'en dfaire pour avoir la farine
78

de Joseph! Ils auraient eu bien meilleur compte manger leurs bestiaux. En outre, en vendant
leurs troupeaux, ils n'avaient plus de quoi jamais labourer la terre. D'autre part, voil un
ministre qui, de toute faon, met les sujets de son roi dans l'impossibilit de semer du bl. Ce
qui est plus surprenant encore, c'est que l'auteur sacr ne dit pas un mot de l'inondation
priodique du Nil, et les critiques Herbert, Bolingbroke, Frret, Boulanger, et au-dessus de
tous Voltaire, ont jug que celte omission inexplicable suffisait dmontrer le caractre
fantaisiste de l'histoire de Joseph et des sept annes de scheress e; tout cela est qualifi de
pur roman: Il n'est pas possible, disent ces critiques, que le Nil ne se soit pas dbord
pendant sept annes de suite. Tout ce pays aurait chang de face pour jamais. Il aurait fallu
que les cataractes du Nil eussent t bouches, et alors toute l'thiopie n'aurait t qu'un vaste
marais. Ou, si les pluies qui tombent rgulirement chaque anne dans la zone torride avaient
cess pendan t sept annes, l'intrieur de l'Afrique serait devenu inhabitable. Il est vident
qu'un tel malheur public aurait pris les proportions de ces cataclysmes qui ont boulevers
notre plante aux premiers temps de l'humanit, et qu'il en serait rest quelques traces dans
l'histoire des gyptiens, peuple antrieur la nation juive.
Cette anne finie, les gyptiens revinrent vers Joseph l'anne suivante, et ils lui dirent: Nous
ne cacherons point monseigneur que, n'ayant plus ni argent, ni btail, il ne nous reste que
nos corps et la terre. Faudra-t-il donc que nous mourions de faim sous tes yeux? Prends
nos personnes et nos, terres, achte-nous pour du pain; nous serons esclaves de Pharaon, et
nos terres seront lui. Mais donne-nous aussi des semailles, afin que nous vivions; car, si le
cultivateur meurt, la terre sera rduite en solitude dsole. Joseph acheta donc pour
Pharaon toutes les terres d'gypte; car les habitants vendirent chacun son champ, cause de la
famine qui avait augment. Et il fit passer le peuple dans les villes, d'une extrmit du
royaume l'autre. Il n'y eut que les terres des prtres qui ne furent point achetes; car les
prtres tenaient leurs champs de la gnrosit royale, et ils se nourrissaient grce une part
des bls mis en rserve que Pharaon leur faisait donner; c'est pourquoi les prtres ne furent
point obligs de vendre leurs terres. Alors, Joseph dit au peuple: Je vous ai achets
aujourd'hui, vous et vos terres, et vous appartenez dsormais Pharaon.
Maintenant, voici des semailles, afin que vous prpariez les rcoltes futures. Mais la
cinquime partie de toute rcolte appartiendra au roi, et je vous accorde les quatre antres, pour
vous permettre de manger, vous et vos enfants, et de semer de nouveau. Et ils rpondirent:
Tu nous as sauv la vie; daigne, monseigneur, nous regarder toujours avec bont, et nous
serons sans regret les esclaves de Pharaon. (47:18-25)
Celte faon d'administrer un royaume, loin de valoir Joseph le titre de bienfaiteur que la
Bible lui donne, fait de lui, tout au contraire, un tyran ridicule et extravagant. Si celle histoire
tait vraie, si les peuple? avaient cru la bienfaisance du gouverneur de l'Egypte aux premiers
temps de la disette, leur imbcillit n'aurait plus d'excuse quand l'exploitation dont ils furent
victimes en arriva ce point. Quoi! disent les critiques cits tout l'heure, ce bon ministre
Joseph rend toute une nation esclave! il vend au roi toutes les personnes et toutes les terres du
royaume! C'est une action aussi infme et aussi punissable que celle de ses frres, qui
gorgrent tous les Sichmites. Il n'y a point d'exemple, dans l'histoire du monde, d'une
pareille conduite d'un ministre d'tat. Un ministre qui agirait ainsi, en n'importe quel pays,
provoquerait bientt un soulvement gnral et n'chapperait pas la juste colre des
populations.
Heureusement une histoire si atroce n'est qu'un conte stupide. Il y a trop d'absurdit
s'emparer de tous les bestiaux, lorsque depuis longtemps la terre ne produisait point d'herbe
pour les nourrir. Et, si elle avait produit de l'herbe, elle aurait pu produire aussi du bl, il n'y a
pas sortir de l; car, de deux choses l'une: le terrain de l'Egypte tant essentiellement
sablonneux, les inondations rgulires du Nil peuvent seules faire pousser la vgtation; ou
bien, si l'on admet l'inadmissible cessation de ces inondations pendant sept annes
79

conscutives, tous les bestiaux doivent avoir pri. De plus, on n'tait alors qu' la quatrime
anne de la strilit prtendue: quoi aurait servi de donner au peuple des semailles pour ne
rien produire pendant trois autres annes? Ces sept annes de strilit sont donc une des fables
les plus incroyables que l'imagination du divin pigeon ait inventes dans la Gense.
On aura remarqu aussi quels gards l'auteur sacr des Juifs a pour les prtres gyptiens: ils
sont les seuls que Joseph mnage; leurs terres sont libres quand la nation est tombe en
esclavage, et ils sont encore nourris aux dpens de cette malheureuse nation. Or, la Bible
contient l'enseignement religieux que les soi-disant reprsentants de Dieu se sont donn la
mission de faire pntrer dans les cerveaux du peuple. Par cet pisode, les ministres de
Jhovah inculquent donc l'ide de respect envers la personne de tous prtres quelconques,
mme d'autres religions. Les prtres ne se mangent pas entre eux.
Le pigeon-canard nous apprend ensuite que Jacob demeura dix-sept ans en gypte, o il
mourut, et que par consquent il vcut en tout cent quarante-sept ans (v. 28). Deux chapitres
entiers, 48 et 49, sont consacrs aux bndictions que le patriarche distribua, sur son lit de
mort. Il bnit ses douze fils, runis son chevet; et, comme il aperoit dans la chambre deux
hommes qu'il ne connat pas, il demande: Qui sont donc ceux-ci? Et Joseph lui rpond:
Ce sont mes deux fils Ephram et Manass, ns en ce pays d'Egypte avant que tu y vinsses,
mon pre. Alors, Jacob dit: Eh bien, fais-les approcher, je te prie, afin que je les bnisse.
Depuis dix-sept ans que le patriarche habitait le royaume, Joseph n'avait pas encore pens
lui prsenter sa famille!
Les bndictions donnes par Jacob ses enfants ne furent pas sans quelques reproches.
Ainsi, Ruben, qui avait cocufi son pre, perdit ce jour-l son droit d'anesse. Ruben, dit le
patriarche, tu es mon premier-n, ma force et le commencement de ma vigueur; tu es grand en
dignit et grand en force musculaire. Mais tu t'es dbord comme l'eau, et tu n'auras pas la
prminence; car tu es mont sur l'une des femmes de ton pre et tu as rpandu ta semence
dans mon lit. (49:3-4)
Ce jour-l encore, le vieux pre Jacob laissa clairement comprendre qu'il avait t partisan du
mariage de sa petite Dina avec le prince Sichem et qu'en lui-mme il avait dsapprouv le
grand massacre accompli par Simon et Lvi; car il ne reporta pas sur eux le droit d'anesse
enlev Ruben et mme il stigmatisa leurs violences avec svrit. Simon et Lvi, dit-il,
sont frres, et frres dans leurs violences; que mon me n'entre point dans leur conseil secret!
que ma gloire ne soit pas jointe leur runion! car ils ont tu des gens par colre, et ils ont
enlev des tro upeaux de bufs pour leur plaisir. Que leur colre soit maudite, car elle a t
violente; et leur fureur, car elle a t rude! Je les diviserai en Jacob, et je les disperserai en
Isral. (49:5-7) Les thologiens qualifient de prophtiques toutes les paroles prononces par
Jacob sur son lit de mort: cependant, la suite de l'histoire nous montrera que les soi-disant
descendants de Lvi ne furent pas les plus mal lotis; car c'est eux que le sacerdoce fut donn
dans Isral, avec tous ses bnfices et privilges.
En bonne logique, le prfr aurait d tre Joseph, que Jacob avait eu comme premier-n de
sa Rachel chrie, Joseph qui avait t la gloire de sa vieillesse, qui lui avait donn tant de joie,
et qui avait enrichi toute la famille. Pas du tout, le prfr fut Juda; Juda, qui avait t
l'instigateur de la vente de Joseph aux marchands madianites, Juda l'incestueux eut le pas sur
le vertueux Joseph. C'est lui que le vieux pre Jacob confra le patriarcat qui tait la part
divine de son hritage. Juda, quant toi, pronona Jacob, tes frres t'exalteront; ta main
s'appesantira sur le cou de tes ennemis, et tous les fils de ton pre se prosterneront devant toi.
Juda, tu es un jeune lion. O mon fils, tu es revenu, aprs avoir dchir ta proie; tu t'es couch,
comme un lion toujours plein de force, alors mme qu'il est vieux. Le sceptre ne sera point t
de Juda, ni la lgislature, jusqu' ce que le Silo vienne; et c'est lui qu'il appartient de
gouverner l'assemble des peuples. Il attache la vigne son non, et le petit de son nesse un
80

fort bon cep. Il lavera sa tunique dans le vin, et son manteau dans le sang des raisins. Il a les
yeux vermeils de vin et les dents blanches de lait. (49:8-12)
Les autres eurent des bndictions assez banales. Quant Joseph, s'il ne fut pas le successeur
de Jacob dans le titre de patriarche, il eut au moins de bonnes paroles: Le Dieu fort de ton
pre t'aidera, et le Tout-Puissant te comblera par en-haut des bndictions du ciel et par en-bas
des bndictions de l'abme, et tu auras aussi les bndictions des mamelles et de la matrice de
la femme. (49:25)
Jacob fit promettre enfin ses fils de transporter son cercueil hors d'Egypte et de l'enterrer
dans la caverne de Macpla, au pays de Canaan, auprs d'Abraham, Sara, Isaac, Rbecca et
Lia. Et quand Jacob eut achev de donner ses ordres ses fils, il retira ses pieds dans le lit,
et il expira. (49:33)
On fit au patriarche polygame un enterrement de premire classe, embaumement compris et
transport au Canaan. S'il faut en croire le chapitre l et dernier, les Egyptiens portrent le deuil
durant soixante-dix jours.
Joseph vcut jusqu' sa fin dans les grandeurs, entretenant ses frres et leurs familles; il vit
autour de lui ses petits-enfants et ses arrire-petits-enfants. Il mourut l'ge de cent dix ans.
Et voil la Gense finie. Nous passons, maintenant, l'Exode.

7 CHAPITRE

MOSE ET LE VOYAGE DE QUARANTE ANS

L'Exode est le livre relatant la sortie d'Egypte et la longue promenade des Hbreux dans la
pninsule du Sina; il se complte par le Lvitique, les Nombres et le Deutronome.
On sait que ce grand voyage du peuple juif dura quarante annes. Si l'on jette les yeux sur une
carte gographique donnant l'Arabie Ptre et la Palestine, on se rend faci lement compte de
ce que fut cette prgrination jamais fameuse. En rsum, les Hbreux quittrent l'Egypte
Baal-Zphon, qui est aujourd'hui Suez, et c'est censment l l'endroit o ils passrent la
Mer Rouge; ils longrent la cte orientale de la Mer Hroopolite (golfe de Suez) et
descendirent jusqu' Raphidim, traversant le massif du Sina; dans cette rgion sud de la
pninsule, ils poussrent l'est jusqu' Hazeroth (aujourd'hui An-e l-Hadhrah); de l,
remontant vers le nord jusqu'au Djebel-Halal, ils cheminrent ensuite plus l'est encore, pour
se diriger dans la direction de la Mer Morte, qu'ils contournrent droite, arrivant enfin
Jricho. A l'aide d'une carte moderne, on dtermine avec la plus grande aisance la position
exacte des trois points extrmes de cet itinraire: Baal-Zphon, point de dpart, est 30 de
latitude nord et 30 12' de longitude est; Hazeroth, le point extrme sud-est du voyage, est
28 45' de latitude nord et 32 10' de longitude est; Jricho, point d'arrive, est 31 50' de
latitude nord et 33 7' de longitude est. Par consquent, l'cart entre ces trois points extrmes
n'est pas formidable; d'ailleurs, tout le monde peut vrifier.
Eh bien! que reprsente-t-il donc, ce lgendaire voyage? quel itinraire moderne pourrait-on
lui comparer, pour faire mieux ressortir le ridicule achev de la relation biblique?... La
mmorable marche des Hbreux la suite de Mose et Josu quivaut EXACTEMENT un
voyage pied que l'on ferait en partant de Paris pour descendre au sud-est jusqu' Dijon et
remonter ensuite au nord-est jusqu' Lige, en Belgique. Paris, Dijon et Lige donnent, sur le
globe, le mme cart gomtrique que Baal-Zphon, Hazeroth et Jricho. Un cul- de-jatte ne
demanderait pas trois mois pour fournir ce parcours, et il se reposerait frquemment en route!
Les Isralites y ont mis quarante ans. Inclinons-nous, et sourions devant cette colossale blague
que le pigeon-canard a fait encore avaler aux dvots mystifis.
81

Mais les croyants n'examinent rien et avalent tout. S'ils prenaient seulement la peine de
rflchir un peu, aprs avoir lu l'Exode, ils trouveraient au moins tonnant que l'auteur de ce
livre, qui dit avoir t lev en Egypte et y avoir longtemps vcu avant d'entraner ses
compatriotes en sortir, n'ait pas un mot au sujet des monuments, des murs, des lois, de la
religion, de la politique, de l'histoire de ce pays si renomm et alors en pleine civilisation; car,
tout postrieur que soit le royaume d'Egypte au vaste empire des Indes et celui de Chine,
toujours est-il que les Egyptiens contemporains du prtendu Mose occupent le premier rang
parmi les nations civilises de notre. Occident; cette poque florissaient Thbes et Memphis,
dont l'auteur de l'Exode semble ignorer l'existence, puisqu'il ne parle mme pas de ces
merveilleuses et opulentes cits, puisque leurs noms paraissent lui tre inconnus. Quant aux
puissants monarques qui rgnaient alors, l'auteur sacr les appelle tous indiffremment
Pharaon, ce qui est un titre, et non point un nom; le pharaon , c'est le roi gyptien, comme
un roi de Prusse est un knig , comme une reine d'Angleterre est une queen . Le
prtendu Mose, parlant de diffrents rois d'Egypte, leur attribuant des aventures en des temps
placs plusieurs sicles de distance et ne trouvant pour les dsigner les uns et les autres que
le nom de Pharaon, ressemble un pseudo-historien qui, dans des rcits de fantaisie
concernant l'empire russe diverses poques, citerait constamment Sa Majest Tsar , pour
dsigner les empereurs Ivan-le-Terrib le, Pierre-le-Grand et Nicolas I, dont il ignorerait les
noms; cet historien grotesque serait un maladroit, qui ferait rire de lui. Or, comment pourrait-
on prendre plus au srieux l'auteur de la Gense et de l'Exode? Il connat et cite les noms
personnels de minuscules roitelets, quand il s'agit de royaumes sans histoire, c'est--dire
absolument imaginaires, tels que ceux de Sodome, de Gomorrhe et de Grare; mais, lorsque
c'est le souverain d'un royaume rel, historique, important, qu'il met en scne, comme celui
d'Egypte, alors sa science devient modeste au point de ne pas oser dire si le pharaon dont il
parle est Touthms, Amnophis ou Hrus. En rsum, il prcise, quand il croit qu'aucun
contrle de ses assertions n'est possible; il reste dans le vague, quand la grosse question est
pour lui de ne pas trahir son ignorance par quelque fcheux quiproquo, qui risquerait d'tre un
jour trop aisment dmontr.
Les thologiens, qui ont proclam que le Pentateuq ue est la plus pure expression de la vrit,
ne prvoyaient pas les dcouvertes des Champollion, des Wilkinson, des Lepsius et autres
savants gyptologues, lorsqu'ils fixrent les dates de la chronologie du monde en se basant sur
la Bible. Ainsi, d'aprs la Vulgate, c'est--dire selon saint Jrme, la cration du monde serait
de l'an 4004 avant J.-C., et le dluge universel serait de l'an 3296; et tous les Pres de l'Eglise
ont opin du bonnet. Or, Mns, chef militaire gyptien, qui fonda la premire dynastie
connue, en soustrayant son pays la domination suprme de la caste sacerdotale, accomplit
cette rvolution 5,400 ans avant l're chrtienne, soit 1,400 ans avant la cration et 2,100 ans
avant le dluge. Les thologiens nous donnent aussi la date laquelle Joseph, tant premier
ministre d'un pharaon, tablit Jacob et sa famille dans la terre de Gessen; c'est en 1962 avant
J.-C.: et les Hbreux demeurrent quatre, cent trente ans en Egypte; leur sortie est place en
l'an 1533, toujours selon les thologiens et la Bible. Mais, aujourd'hui, l'on possde, on a mis
au jour et dchiffr les monuments historiques de l'Egypte; on a lu cette histoire crite sur la
pierre des temples et des oblisques, et l'histoire de cette priode s'y trouve, tablissant les
rgnes et les grands faits des Pharaons, notamment le pylne du temple de Karnak, dcouvert
Thbes, qui numre les 115 villes soumises par le pharaon Touthms III, aprs sa victoire
de Maggeddo; on connat, et en dtail, les quinze campagnes successives et toujours
heureuses entreprises en Asie par ce prince. Or, ce rgne glorieux, que la science des
hiroglyphes a clair d'une lumire si vive, brille au milieu des sicles o les fils de Jacob
taient censment en Egypte; et rien, dans ces monuments, rien, absolument rien ne relate le
fameux gouvernement de Joseph; aucun de ces pharaons n'a song inscrire, sur les annales
de pierre du royaume, la clbrit de son Richelieu!...
82

Bien mieux, le pharaon qui rgnait l'poque o, d'aprs l'auteur sacr, les Hbreux quittrent
l'Egypte, et, par consquent, celui que nous allons voir tout l'heure englouti par les flots de
la Mer Rouge, prissant misrablement avec toute son arme, ce pharaon, en prenant les dates
bibliques adoptes par les thologiens, ne peut tre qu'Amnophis III. Or, son histoire est
crite au complet sur les monuments antiques, et elle ne concorde aucunement avec la
narration de l'Exode. Ce prince appartenait cette vaillante race des pharaons de la dix-
huitime dynastie, souverains puissants et conqurants illustres, qui donnrent l'empire
gyptien une splendeur et une tendue qui ne furent maintenues que par la dynastie suivante;
ils firent la conqute de l'Ethiopie, de tout le pays des Arabes, de la Msopotamie, du pays de
Canaan, prirent Ninive et l'le de Chypre, eurent pour tributaires les Babyloniens, les
Phniciens, les Armniens; en un mot, le succs de leurs armes s'tendit bien loin dans l'Asie
occidentale. Touthms IV, pre d'Amnophis III, ne perdit pas le fruit des conqutes du grand
Touthms; des monuments le reprsentent glorieusement rgnant en 1550 avant J.-C., dix-sept
ans avant l'poque o la Bible place la sortie des Hbreux d'Egypte. Quant Amnophis III,
les tmoignages historiques de ses triomphes abondent: c'est lui qui fonda le temple de
Louqsor; c'est en son honneur que fut leve Thbes la statue si connue sous le nom de
colosse de Memnon, statue qui le reprsentait et qui rendait des sons harmonieux lorsque les
rayons du soleil levant venaient la frapper; on a la longue liste des rois et des peuples qui
taient soumis ce pharaon, mort en pleine gloire sur son trne, et nullement noy dans la
Mer Rouge, mais somptueusement inhum dans une des pyramides. En l'anne o l'Exode le
fait prir dans les flots obissant la baguette de Mose, il achevait la conqute de l'Ab
yssinie, et plus tard il faisait encore de grandes expditions en Asie; il mourut si peu cette
poque, que, tandis que l'Exode promne les Juifs dans la pninsule du Sina, il faisait btir le
magnifique palais de Sholeb, dans la haute Nubie, et la partie sud du grand temple de Karnac,
Thbes. Il laissa son immense empire son fils Hrus, qui chtia une rvolte des Abyssins
et continua les travaux de son pre. Voil l'histoire; elle contredit formellement la Bible.
Ces considrations prliminaires taient utiles. Nousallons, maintenant, passer une revue
rapide de la lgende de Mose.
Donc, au quatrime sicle aprs l'installation de Jacob et C
ie
en Gessen, les soixante-six
Hbreux s'taient prodigieusement multiplis, et le roi d'alors avait compltement oubli les
services rendus jadis par Joseph l'Egypte. Trs cruel mme tait Pharaon (nous continuerons
l'appeler du nom, qui n'en est pas un, que lui donne l'auteur sacr); il fit appeler les deux
sages-femmes juives, M
me
Siphra et M
me
Puha, qui avaient toute la clientle de leurs
compatriotes, et il leur ordonna, quand elles feraient un accouchement isralite, d'trangler les
petits garons. Les deux accoucheuses s'empressrent de ne pas obir Pharaon, et, lorsque
celui-ci leur demanda pourquoi elles laissaient vivre les enfants mles, elles rpondirent:
Les femmes juives ne sont pas comme vos gyptiennes; elles connaissent l'art d'accoucher et
elles se dlivrent elles-mmes, avant que nous soyons venues. (Exode 1:19) Alors, Pharaon
promulgua un dit, qui dcrtait que tout enfant mle n un isralite devrait tre jet au
fleuve sitt aprs sa naissance.
Ce fut, comme on pense, une grande dsolation dans les familles juives. Les prescriptions de
l'dit pouvaient d'autant plus facilement tre imposes, que les malheureux descendants de
Jacob se trouvaient rduits une sorte d'esclavage; ils taient mens trs durement par les
fonctionnaires gyptiens, ils ne s'appartenaient pour ainsi dire plus, et on les contraignait
excuter les travaux les plus pnibles. (Exode 1:11-14)
Or, voici qu'une mre, qui tait de la famille de Lvi, cacha pendant trois mois son fils; elle
l'avait trouv beau . Mais, ne pouvant le cacher plus longtemps et craignant une
dnonciation, elle prit une corbeille de joncs, qu'elle enduisit de bitume et de poix, y mit le
bb, et alla placer le berceau au bord du fleuve, parmi les roseaux. Ensuite, elle dit la sur
83

ane de l'enfant de se tenir en observation quelque distance. Sur ces entrefaites, la fille de
Pharaon, accompagne de ses suivantes, vint se baigner dans le Nil.
L'auteur sacr nglige de louer le courage de la princesse, et c'est un oubli regrettable; le Nil
tant infest de crocodiles, ce bain mrite l'admiration du lecteur. En outre, la cour rsidait
Memphis, et de Memphis au pays de Gessen, sjour des familles juives, il y a plus de
cinquante lieues. Quoi qu'il en soit, la princesse arriva fort propos.
Rien ne se faisant que par la volont de Jhovah, c'est donc par sa permission que tous les
autres petits juifs avaient t noys dans le Nil et dvors par les crocodiles, et c'est aussi en
vertu des grands projets divins que ce bb seul allait tre sauv. C'est papa Bon Dieu,
videmment, qui avait envoy la fille de Pharaon se baigner si loin et qui lui avait inspir le
mpris des terribles amphibies. Il advint donc ce que la Providence avait rgl: la princesse
rencontra le berceau flottant, fut mue des vagissements de l'enfant et comprit du premier
coup que c'tait un petit juif; sur ce, la sur ane se prsente et propose d'aller chercher une
nourrice; la princesse applaudit cette excellente ide; c'est la mre qui s'amne; la fille de
Pharaon lui confie l'enfant allaiter, dclare qu'elle paiera les mois de nourrice, et s'en va, tout
heureuse de sa bonne action.
Plus tard, quand le petit garon fut sevr, la mre le rapporta la princesse. Celle-ci, qui s'y
tait attache, lui donna le nom de Mose, lequel veut dire sauv des eaux , et plaida si bien
sa cause auprs du roi, que ce monarque, pourtant si cruel, consentit faire lever le bambin
sa cour; la Bible dit mme que Pharaon l'adopta pour son fils.
Mose grandit, se rvlant pour un petit prodige ds son enfance; il merveillait le roi, sa fille,
les courtisans; un brillant avenir lui tait rserv. Devenu jeune homme, il allait visiter ses
compatriotes hbreux: un beau jour, ayant vu un gyptien battre un juif, il tua l'gyptien et
l'enterra dans le sable; aprs quoi, ayant rflchi aux consquences de ce meurtre, il s'enfuit et
se cacha au pays de Madian. Cette contre tait situe au sud-est de la pninsule du Sina, et il
ne faut pas la confondre avec deux autres pays du mme nom, dont il sera question plus loin
et qui se trouvaient, l'un au nord de la Mer d'Elath (aujourd'hui golfe d'Akabab), l'autre l'est
de la Mer Morte; car, si l'on confondait tous ces pays de Madian, on pourrait croire que
l'Esprit-Saint a perdu la carte et est un parfait radoteur en gographie.
Dans le Madian n 1, Mose fit la connais sance d'un prtre idoltre, nomm Jthro, papa de
sept filles, dont l'une, la belle Sphora, captiva le cur du fugitif. Mariage, longue lune de
miel, et voil Mose pre d'un moutard qui fut appel Gersom. Pendant ce temps, Pharaon
passait l'tat de momie et avait un successeur qui continua molester les pauvres juifs dans
une servitude de plus en plus dure. Alors, Jhovah, qui, ainsi que Mose, ne songeait plus
l'infortune des Hbreux, se souvint de l'alliance qu'il avait conclue avec Isaac et Abraham,
Jacob. (Exode 2)
Le prtre Jthro tait propritaire d'un troupeau, et il chargeait parfois son gendre de le mener
patre. Dans une de ces excursions, Mose alla jusqu'au mont Horeb, qui fait partie du massif
sinaque, sans tre le Sina mme. Tout--coup, un buisson s'enflamma, et papa Don Dieu
parut au milieu de ce feu; ce qu'il y avait de plus curieux, parat-il, c'est que le buisson tait
tout en flammes, sans se consumer. L'ternel ordonna Mose, pat, de se dchausser; l'autre
obit. Die u lui annona alors qu'il lui donnait une mission, qu'il aurait aller auprs de
Pharaon, pour l'inviter laisser les Hbreux partir d'gypte, mais que celui-ci ne se dciderait
cela qu'aprs avoir vu un certain nombre de miracles oprs par lui, Mose. Il aurait encore
rconforter ses compatriotes. Mose demanda l'apparition de lui dire son nom. Et Dieu dit
Mose: Je m'appelle Eheeh. Tu diras aux enfants d'Isral: Eheeh m'envoie vous. (Exode
3:14) Papa Bon Dieu, entre autres recommandations au sujet du prochain dpart d'gypte, fit
celle-ci: Chaque femme isralite empruntera sa voisine gyptienne ou son htesse des
vases d'argent et d'or, ainsi que de beaux habits; vos fils et vos filles les emporteront, et ainsi
vous dpouillerez les gyptiens. (Exode 3:22)
84

Puis, comme Mose manifesta sa crainte de n'tre cru sur parole pas plus par les Juifs que par
Pharaon, Jhovah-Eheeh lui confra, sance tenante, le don des miracles. Un bton que le
gendre de Jthro tenait la main se changea en serpent et redevint ensuite bton.
Dieu lui dit encore: Mets maintenant ta main dans ton sein. Et il obit, et il retira de son sein
sa main toute couverte d'une lpre blanche comme la neige. Puis, sur l'ordre de Dieu, il remit
sa main dans son sein, et elle redevint une chair saine comme auparavant. Jhovah apprit
aussi Mose qu'il lui donnait le pouvoir de changer l'eau en sang et le sang en eau. Mose
avait encore quelque hsitation: il expliqua Dieu qu'tant bgue, il ferait un mauvais orateur
pour prcher le peuple; Dieu se mit en colre, ne le gurit point de son bgaiement; mais il lui
rpondit que, puisqu'il en tait ainsi, il associait sa mission Aaron, son frre an.
Remarquons, en passant, qu'Aaron ne se cachait point en gypte; sa mre l'avait donc sauv,
sans qu'on sache comment.
A la suite de cette apparition, Mose prit cong de son beau- pre et emmena sa femme et ses
enfants. Or, il arriva, en route, que Dieu le rencontra dans un cabaret et voulut le tuer; mais
Sphora prit aussitt un couteau tranchant, coupa le prpuce de son fils, le jeta terre, et Dieu
fut dsarm. (4:24-25)
Aaron, prvenu par Jhovah, se rendit au-devant de Mose, apprit de lui tout le dtail de la
mission dont ils taient investis, et ils allrent ds lors tous deux vers Pharaon. Le roi ne tint
aucun compte des avis que lui donnrent les deux frres; au contraire, les vexations contre les
Isralites redoublrent (ch. 5). Mose assura ses compatriotes que, par la volont de Dieu, ils
recouvreraient la libert (ch. 6).
Mose avait quatre-vingts ans et Aaron en avait quatre-vingt-trois, lorsqu'ils parlrent
Pharaon pour le mettre en demeure d'autoriser les Isralites quitter l'Egypt e; et comme le roi
refusait d'entendre raison, Aaron jeta sa verge devant lui. A l'instant mme, la verge se
transforma en dragon. Les magiciens de la cour, appels en toute h te, jetrent leur tour
leurs verges, qui devinrent autant de dragons; mais le dragon d'Aaron dvora les dragons des
magiciens. Ce miracle laissa Pharaon aussi peu dispos qu'avant rendre la libert aux
Hbreux. Alors Mose frappa le Nil d'un coup de baguette, et les eaux du fleuve se changrent
en sang; la Bible ajoute que les magiciens du roi en firent tout autant. Le poisson mourut; les
gyptiens creusrent autour du Nil, mais sans succs, afin d'avoir de l'eau boire; l'auteur
sacr nglige de dire comment les Juifs s'en procurrent (ch. 7).
Aaron et Mose gratifirent encore l'gypte d'autres plaies. Il y eut une invasion de
grenouilles; et les magiciens de la cour, se piquant d'amour-propre, accomplirent le mme
prodige; de telle sorte qu'on ne voyait plus que des grenouilles partout; c'tait comme une
pluie, un dluge de grenouilles. Aux grenouilles succdrent les poux; l'gypte en fut
entirement couverte; puis grouillrent d'autres insectes, que la Bible ne dsigne pas plus
clairement. Par contre, l'auteur sacr nous apprend que les magiciens ne purent pas excuter le
miracle des poux. Grenouilles, poux et insectes innoms disparurent; mais le cur de Pharaon
tait plus endurci que jamais, et il ne laissa pas partir le peuple juif (Exode 8).
La cinquime plaie consista dans la mort subite de tous les chevaux, nes, chameaux, bufs et
brebis des gyptiens. Ce n'tait pas fini. Sixime plaie: Mose et Aaron prirent de la cendre et
vinrent la rpandre devant le roi; aussitt tous les gyptiens furent remplis d'ulcres. Septime
plaie: ouragans de grle et de feu dtruisant toutes les herbes et tous les arbres des champs;
seul, le pays de Gessen, o taient les Isralites, fut pargn. Cette fois. Pharaon consentit au
dpart des Juifs. Mose tendit la main; les ouragans cessrent, et... Pharaon reprit sa parole
(ch. 9).
Huitime plaie: grand vent, apportant des milliards de sauterelles, qui rongrent le peu de
verdure qui avait chapp la grle. Repentir de Pharaon; vent qui emporte dans la Mer
Ronge toutes les sauterelles; Pharaon revient encore sur ce qu'il a dit et retient les Isralites.
Neuvime plaie: l'Egypte est couverte de tnbres si paisses qu'on les peut toucher de la
85

main (sic). Pharaon se dcide laisser partir Mose et ses compatriotes; mais il veut garder
leurs brebis et leurs bufs, que Dieu avait prservs de cette multiple avalanche de flaux
(Exode 10).
Pour en finir, Jhovah envoya des anges exterminateurs, avec l'ordre de massacrer les
premiers-ns des gyptiens. Or, afin d'viter toute erreur, attendu que le programme portait
que l'extermination aurait lieu de nuit, on mangea un agneau dans chaque famille juive et, sur
la porte de leurs maisons, les Isralites firent une petite marque avec le sang de l'agneau; ce
fut l'institution de la Pque (12:12-13). De ceci, il rsulte que les anges, qui passrent minuit
dans toutes les villes d'gypte, avaient une pe pour le massacre et une lanterne pour
examiner si les portes des habitations taient ou non marques du sang de l'agneau; ce n'est
pas nous, c'est la Bible qui matrialise ainsi les anges. Ah! que le divin pigeon a d rire en
dictant de telles neries!...
Tous les premiers-ns gyptiens furent donc gorgs, depuis le prince fils an de Pharaon,
qui devait lui succder sur le trne, jusqu'aux premiers-ns des esclaves et des prisonniers qui
taient dans les cachots. Et le roi dans cette nuit se leva; car il y eut une clameur de dsolation
dans toute l'gypte. Pharaon envoya qurir sur-le-champ Mose et Aaron, et leur dit: Partez
au plus vite, vous et les enfants d'Isral. Alors, les Hbreux firent ce que Dieu leur avait
enseign par la voix de Mose: ils empruntrent tous les vases prcieux qu'ils purent, ainsi que
les plus beaux habits; et l'ternel rendit les gyptiens faciles leur prter toutes choses de
prix; de sorte qu'ils dpouillrent les gyptiens. (12:35-36)
L'Exode nous apprend ici que les familles juives, dont la contre de Gessen n'avait cess
d'tre le lieu de sjour depuis la venue de Jacob, se concentrrent Rahmss pour le dpart.
On fit route de l jusqu' Succoth; on tait au nombre de six cent mille hommes valides, sans
compter les femmes et les enfants; une foule considrable de gens de toutes conditions se
joignit eux, et ils avaient prodigieusement de bufs et d'innombrables troupeaux (v. 37-38).
Mose avait pris avec lui les ossements de Joseph (13:19).
Ceci permet de calculer approximativement combien de victimes se monta le massacre
attribu, par le pigeon, aux anges de Jhovah. Puisque les partants de Rahmss taient six
cent mille en armes (13:18), cela suppose six cent mille familles. Le pays de Gessen est la
quarantime partie de l'gypte, depuis Mro jusqu' Pluse; le reste du royaume contenait
donc vingt-quatre millions de familles; ainsi Dieu tua, par la main de ses anges, ce nombre
pouvantable de premiers-ns!
De Succoth les Hbreux allrent Etham, o ils camprent. Puis il arrivrent Baal-Zphon
(Suez), et l encore ils camprent, prs de la mer (14:2). On remarquera que l'endroit dsign
par la Bible n'est pas prcisment la Mer Bouge, mais le fond du golfe de Suez; s'il y avait de
l'eau traverser, c'tait celle du canal des Pharaons, qui existait alors, allant du Nil aux Lacs
Amers.
Tandis que Mose et ses compatriotes s'taient mis en route, Pharaon, dont l'esprit tait
dcidment d'une mobilit extravagante, regretta de s'tre priv de ces excellents sujets qui lui
avaient valu tant de flaux. Il fit atteler son chariot, les six cents chariots de ses gnraux, et
tous les chariots d'gypte, sur lesquels se placrent les meilleurs capitaines (14:6-7); il se
mit la tte de toute son arme, et son peuple mme vint avec lui; la cavalerie gyptienne,
les chariots des chefs et l'arme atteignirent les Hbreux Pi-Hahiroth, prs de Baal-Zphon
(v. 9). On se demande d'o venaient ces attelages et toute cette cavalerie, puisque la
cinquime plaie avait tu, sans une seule exception, les chevaux, nes, chameaux et bufs des
gyptiens.
Au premier moment, les Isralites furent inquiets; mais Mose leur fit vivement passer la mer
pied sec: d'un simple coup de baguette, il avait spar les flots.
Pharaon, voyant le prodige, pensa que ce chemin ouvert travers les ondes tait galement
bon pour lui. Il s'y engagea avec son arme; mais, je t'en fiche! Mose donna un nouveau coup
86

de baguette tandis que les Egyptiens taient au beau milieu de la mer. Alors, les eaux se
runirent avec imptuosit et recouvrirent les chariots, la cavalerie et toute l'arme de
Pharaon; et il n'en resta pas un seul. (14:28)
Notons que Pharaon ne s'tait pas mis la poursuite des Hbreux pour les exterminer, mais
pour les envelopper et les ramener en servitude dans son royaume. Ceux-ci comptant parmi
eux six cent mille hommes valides et arms, on peut, vu les vieux papas, les mamans, les
pouses, les surs et les jeunes frres, valuer l'ensemble des migrants environ trois
millions de personnes. Pour capturer une telle population, il fallait des forces bien plus
nombreuses. D'autre part, d'aprs le calcul si logique de tout l'heure, c'est vingt-quatre
millions que se chiffre approximativement le total des familles gyptiennes; en comptant un
soldat par famille, l'arme de Pharaon dut tre de vingt-quatre millions de combattants. Il est
vrai que Dieu avait dj tu l'an de chaque famille; mais les cadets pouvaient tre en ge de
porter les armes; et, d'ailleurs, ce projet de poursuite souleva un grand enthousiasme, puisque
l'auteur sacr nous dit que le peuple accourut en masse pour accompagner son roi. N'oublions
pas les gyptiens, qui nos fuyards venaient de filouter vases prcieux et beaux habits; ils ne
durent pas hsiter, ceux-l, s'lancer aprs leurs voleurs. Mais rduisons les chiffres de
moiti, si l'on veut: au minimum, douze millions d'gyptiens furent noys avec Pharaon.
On dira peut-tre que, si aucun auteur gyptien ne souffla jamais mot de ce dsastre aussi
miraculeux qu'pouvantable, ni des dix plaies qui dvastrent le royaume, ce fut par amour-
propre national. Accordons -le. Mais les autres nations du monde, hein? comment n'eurent-
elles pas connaissance d'aussi terribles vnements? Voil pourtant une gigantesque noyade
qui exonra d'un seul coup les cent quinze princes tributaires du p haraon Amnophis. Quoi!
pas mme Hro' dote, que l'antiquit nomma le pre de l'Histoire et qui recueillit tant de
faits relatifs la vieille Egypte, visite par lui fond; Hrodote qui a narr les exploits de
Ssostris, qui a parl de la statue d'Amnophis, le colosse de Me mnon, n'aurait pas connu la
fin tragique de ce prince et l'engloutissement de son arme!... Ce silence gnral des
historiens de ces temps lointains est au moins aussi miraculeux que le prodige lui-mme.
Les Isralites virent donc la destruction de leurs ennemis. Si l'on accepte le fait, on peut
ajouter que les descendants de Jacob rirent tant et tant de l'aventure, que plusieurs en
devinrent bossus. En tout cas, le chapitre 15 de l'Exode nous apprend que Marie, sur de
Mose et d'Aaron, prit un tambour la main, et que toutes les femmes, saisissant des tambours
et des fltes, dansrent de joie avec elle; ce chapitre nous fait savoir aussi que Mose
improvisa illico un cantique (il ne dit pas en quelle langue) et que tout Isral le chanta d'une
seule voix. Ne perdons pas de vue que chanteurs et danseuses formaient un chur de trois
millions de personnes; paroles et musique furent apprises l'instant mme. Je vous prie de
vous reprsenter cet orphon excutant cette cantate. Sapristi! que a devait tre beau!...
Voil nos Hbreux en marche dans l'Arabie Ptre, ainsi nomme parce qu'il n'y pousse gure
que des pierres, des cailloux Le but du voyage tait le pays de Canaan, toujours co nvoit par
leurs anctres; pourquoi ne pas s'y tablir enfin, maintenant que l'on tait en nombre?...
D'ailleurs, Mose leur avait affirm, sur la parole du Seigneur, que cette terre de Canaan tait
d'une fertilit tonnante. Le difficile tait de l trouver; car il n'y avait aucune roule, et la
boussole n'tait pas encore invente, Heureusement une nue cleste se mit la tte du peuple
juif et leur montra le chemin nuit et jour; le jour, c'tait une colonne de noire fume; la nuit,
c'tait une nue de feu. Le texte sacr dit que Jhovah en personne tait dans cette nue
d'aspect variable. Cette faon d'tre guids dans un dsert avait sa commodit; mais elle avait
bien aussi ses dsagrments. En effet, souvent les lsralites auraient t fort aises de se
reposer; ah! bien non! la nue piquait sa course en avant; que faire? fallait-il s'exposer
perdre un guide aussi prcieux? et pas moyen de retenir une colonne de fume par les pans de
sa redingote, n'est-ce pas?... Alors, obligation absolue de continuer la route. Ce vieux farceur
de Jhovah s'amusait, c'est clair. Ami Lon XIII, ne dis pas non! Tiens, en voici la preuve:
87

pour aller de Baal-Zphon (Suez) Jricho, le divin guide n'avait qu' remonter au nord vers
la Mditerrane, en longeant la chane du Djebel-Rabah; puis, obliquer l'est, en suivant les
valles du Djebel Maghara, qui conduisent tout droit la cte mditerranenne; il suffisait
alors de la suivre jusqu'au pays des Philistins, que l'on contournait, et l'on arrivait bien vite en
Canaan par le pays des Ethiens, nation amie. Pas du tout; au lieu d'aller au nord, Jhovah
conduisit nos Hbreux vers la pointe sud de la pninsule sinaque; exactement comme si,
charg de guider un voyageur ayant se rendre de Paris en Belgique, on lui faisait prendre la
route de Lyon-Marseille!... Ainsi, tu vois, saint-pre Lon, impossible de soutenir que
Sabaoth-Jhovah-Eheeh n'est pas un fumiste!...
Comme il faut tre juste, nous reconnatrons que, tout en allongeant ainsi la route, papa Bon
Dieu paya quelques douceurs son peuple. Ainsi, au dpart de Baal-Zphon, aprs la cantate,
il conduisit ns Hbreux dans la partie occidentale du dsert de Shur, o ils marchrent trois
jours sans trouver une goutte d'eau. Enfin, en un endroit qui depuis fut nomm Mara, ils
furent agrablement surpris par le glou-glou d'une abondante source. On se prcipite pour
boire; v'lan! les eaux taient amres, mais amres!... Grimace gnrale des trois millions de
juifs. Alors le peuple murmura contre Mose, en disant: Que boirons nous? Et. Mose poussa
des cria vers l'Eternel. Et le Seigneur lui montra un arbuste, donne coupa une branche qu'il
jeta dans la source; et les eaux devinrent douces. Puis, les Hbreux descendirent jusqu Elim,
o ils trouvrent douze fontaines d'eau et soixante-dix palmiers, sous lesquels ils camprent,
s'abritant leur ombre et s'abre uvant aux eaux limpides. (15:24-27) Pour abriter une
population au sein de laquelle se trouvaient six cent mille combattants, ces soixante-dix
palmiers devaient tre fort espacs et avoir des feuilles immensment larges. En quittant Elim,
on descendit, toujours au sud; on tait alors au dsert de Sin, qui est situ sur le versant est des
collines du littoral du golfe de Suez; cette marche au sud conduisait vers le massif du Sina.
La nature est l trs grandiose, trs imposante, mais absolument sauvage. Qu'on me permette
d'emprunter Elise Reclus sa description de ce pays d'une clbrit classique. Les collines
du littoral, l'ouest du Djebel-et-Tyh, dit le savant gographe, sont composes d'assises
crayeuses, masses blanches et rgulires d'un aspect monotone, hautes de quelques centaines
de mtres. Mais les premires montagnes qui appartiennent au groupe sinaque et qui s'lvent
au sud de la chane bordire, du golfe de Suez celui d'Akabah, sont formes de grs au profil
bizarre et au coloris vari, qui se groupent en paysages pittoresques. Au sud, s'lvent les
granits, les gneiss et les porphyres. Uniformes par la composition de leurs roches, les monts
du Sina ne le sont pas moins par l'aridit de leur surface; ils sont d'une nudit formidable;
leur profil vives ar tes se dessine sur le bleu du ciel avec la prcision d'un trait burin sur le
cuivre. Ainsi, la beaut du Sina, dpourvue de tout ornement extrieur, est-elle la beaut de la
roche elle-mme: le rouge-brique du porphyre, le rose tendre du feldspath, les gris blancs ou
sombres du gneiss et du synite, le blanc du quartz, le vert de diffrents cristaux donnent aux
montagnes une certaine varit, encore accrue par le bleu des lointains, les ombres noires et le
jeu de la lumire brillant sur les facettes cristallines. La faible vgtation qui se montre et
l dans les ravins et sur le gneiss dcompos des pentes ajoute par le contraste la majest de
formes et la splendeur de coloris que prsentent les escarpements nus; sur les bords des eaux
temporaires dans les ouadi, quelques gents, des acacias, des tamaris, des petits groupes de
palmiers ne peuvent en rien voiler la fire simplicit du roc. Cette forte nature, si diffrente de
celle qu'on admire dans les contres humides de l'Europe occidentale, agit puissamment sur
les esprits. Tous les voyageurs en sont saisis; les Bdouins ns au pied des montagnes du
Sina les aiment avec passion et dprissent de nostalgie loin de leurs rochers... Ces rochers
sont en outre fort riches en gisements de turquoises... Vue de l'un des sommets, la rgion
ressemble une mer agite dont les vagues s'entrecroisent sous l'influence de vents opposs et
tournoyants; dans la partie la plus leve (le Djebel-Katherin), on voit les traces d'anciens
glaciers. Une range de montagnes s'en dtache vers le nord-ouest; l est le Serbal (2,046
88

mtres), que la plupart des explorateurs considrent comme le vrai Sina. Jadis les Arabes
allaient y sacrifier des brebis et y porter des touffes d'herbes; ce que la nature leur donne de
plus prcieux. Entour de ouadi infrieurs en altitude ceux du Djebel Katherin. le Serbal se
dresse une plus grande hauteur relative, et de tout temps les Arabes y virent le gant de la
Pninsule. C'est du moins le plus grandiose: au-dessus des contreforts s'lvent des parois
nues, coupes de prcipices et se terminant par une crte, ingravissable en apparence,
dchiquete en aiguilles et en pyramides. On peut y monter cependant, et depuis Burckhardt
plusieurs Europens en ont fait l'ascension. Par suite d'un phnomne assez rare dans le granit,
il se trouve que certaines parties du Serbal sont perces de grottes naturelles: les cristaux de
feldspath se sont disposs dans la roche sous forme de rayons divergents, et, se trouvant les
premiers attaqus par l'action du temps, ils laissent en se dsagrgeant des cavits profondes.
Enfin, sur les pentes du Serbal, on a frquemment l'occasion d'entendre les sons pntrants
qu'mettent les sables cristallins en mouvement Un couloir de la montagne, inclin dans la
direction de l'ouest et large d'environ quinze mtres, est empli de dbris des parois de quartz:
on nomme ce couloir le Djebel-Nakous (la monte des cloches), parce qu'on y entend, disent
les Bdouins, le son des cloches d'un couvent fantme qui se promne dans l'intrieur du
Serbal. Le voyageur peroit un son dlicieux, tantt faible, comme celui de fltes lointaines,
tantt plus fort, comme celui d'un orgue rapproch; suivant l'ardeur du soleil, l'humidit de
l'air et de la terre, la quantit de sable qui se dtache, la force de la brise qui prcipite ou
ralentit les sons, la musique semble un soupir harmonieux ou comme la voix mugissante de la
montagne. Telle est la rgion o, cach dans sa colonne de nue. Jhovah entranait son
peuple.
Il est vident que le spectacle des monts Sina est incomparable; mais il n'en est pas moins
vrai aussi que l'admira ration de cette superbe nature, si agrable qu'elle pt tre aux Hbreux,
ne leur mettait rien sous la dent. D'aprs l'Exode (Exode 16). ils en taient alors au quinzime
jour du second mois de leur sortie d'Egypte: sans aucun doute, les provisions qu'ils avaient
emportes devaient tre puises, et dans ce coquins de dsert il n'y avait pas un seul
restaurant ni une seule brasserie. Nos trois millions d'migrants murmurrent contre Mose et
Aaron. Et les enfants d'Isral leur dirent: Ahl que ne sommes-nous morts par la main du
Seigneur au pays d'Egypte! Nous tions assis sur des marmites de viande, et nous mangions
du pain tant que nous voulions. Mais vous, vous nous avez amens dans ce dsert, pour nous
faire tous mourir de faim! (16:2-3). Et les Hbreux auraient fait un mauvais parti Mose, si
papa Bon Dieu ne l'avait pas mis en mesure de satisfaire ces affams par des prodiges que
Robert-Houdin lui-mme ne parvint jamais galer. Il y eut, dans ce dsert de Sin, pluie de
cailles; oui, vous m'entendez bien, mesdames et messieurs, des cailles! (v. 13). Or, comme les
Hbreux n'avaient probablement pas de fourneaux, on peut conclure que ces cailles leur
arrivrent toutes rties. Et ce ne fut pas tout: Voici qu'il y eut au matin une couche de rose
l'entour du camp; c'tait, dans le dsert, une petite chose ronde, menue comme de la gele
blanche, sur la terre. Et Mose dit aux Hbreux: C'est l le pain que l'ternel vous donne
manger. Et les Hbreux nommrent ce pain manne; et cette manne tait comme de la semence
de coriandre, et elle avait le got des beignets au miel. (16:13-15, 31) Le mme chapitre
nous apprend que le peuple de Dieu eut, chaque matin, sa provision de manne pour la journe,
pendant les quarante ans que dura le voyage, et que tous s'en rgalaient, s'en lcher les
doigts. La vnration que j'ai pour l'Esprit-Saint m'oblige ajouter que la manne se trouve
encore non seulement dans la pninsule sinaque, mais en beaucoup d'autres endroits du
globe, notamment en Calabre, en Perse, dans le voisinage de l'Ararat, etc.; la manne est assez
recommande comme purgatif. Ainsi, papa Bon Dieu prenait grand soin de la sant des
Isralites: tout en leur remplissant le ventre, il veillait ce qu'ils ne fussent pas constips.
Quarante ans de purge quotidienne, voil qui est vraiment d'un bon pre!
89

Du dsert de Sin, les Hbreux passrent au dsert de Tyh, o se trouve Raphidim. L, Mose,
assailli par ses compatriotes qui lui demandaient boire, gravit le mont Horeb et frappa un
rocher d'un coup de baguette; une fontaine d'eau vive en jaillit; nos trois millions d'migrants
se dsaltrrent; aprs quoi, ils dressrent leurs lentes dans la plaine.
Une surprise dsagrable les attendait. Dans ces parages se trouvaient Amalec et son peuple,
qui virent de mauvais il les descendants de Jacob. Il est bon de dire qu'Amalec tait le petit-
fils d'Esa: d'Ada, sa premire femme, Esa avait eu pour fils an Eliphas, lequel,
concubinant avec une certaine Timnah, eut Amalec, entre autres enfants. (Gense 36:12)
Gomment cet Amalec vivait-il encore? Le pigeon a oubli de l'expliquer l'auteur sacr, et
celui-ci n'a pas song s'en tonner. Le fait seul de cette existence est fort extraordinaire,
pourtant: car, pour que les descendants des douze fils de Jacob aient pu devenir une
population fournissant six cent mille comba ttants, la multiplication n'a pu s'oprer que par
une succession de nombreuses gnrations, et d'ailleurs la Bible enseigne que quatre cent
trente ans s'taient couls entre l'arrive de Jacob et ses fils en Egypte et l'exode de leur
postrit. Amalec devait avoir, par consquent, quatre cents ans environ, lorsqu'il attaqua le
campement de Raphid im. L'auteur sacr ne parat pas se douter de l'extrme vieillesse du
chef des Amalc ites; il dit tout simplement, sans la moindre surprise: Alors Amalec vint et
livra bataille aux Hbreux Raphidim. (Exode 17:8) Quoi qu'il en soit, cet Amalec tait
sans aucun doute un terrible homme, attendu que nos juifs eurent une frousse carabine. Pour
repousser l'assaut, Mose ordonna Josu, gnral en chef des migrants, de choisir ses
meilleurs soldats; quant lui, il monta sur un coteau voisin, en compagnie d'Aaron et de Hur.
Alors, tandis que les autres se battaient, Mose se tenait les bras en croix: tant qu'il pouvait
demeurer dans cette position, les Hbreux avaient le dessus; mais, aussitt que, fatigu, il
laissait retomber ses mains, les ennemis reprenaient l'avantage; finalement, n'en pouvant plus,
il invita Aaron et Hur soutenir ses bras jusqu'au soleil couchant, et le rsultat fut que Josu,
dans la plaine, infligea au duc Alamec une dfaite aussi complte que possible; les Amalcites
furent tous passs au fil de l'pe (v. 9-13).
Au chapitre 18, nous voyons le grand-prtre madianite Jthro rendre visite son gendre Mose
pour le fliciter. Celui-ci raconta son beau-pre toutes les merveilles de la sortie d'Egypte;
ce qui amena la conversion de Jthro. Je connais maintenant, s'cria-t-il, que Jhovah est
grand pardessus tous les dieux. (v. 11) Et il offrit Jhovah un sacrifice. Avant de s'en
retourner chez lui, Jthro donna quelques conseils son gendre, notamment celui de se
dcharger d'une partie de ses fonctions sur des sous-chefs commandant les uns mille
hommes, les autres cent hommes, etc. Mose trouva l'avis excellent, et une hirarchie fut
aussitt institue.
Ce fut cette poque que Mose, l'imitation des gyptiens et des autres peuples, tablit des
prtres avec de nombreux privilges. La tribu de Lvi, laquelle il appartenait, devint la caste
sacerdotale, et Aaron, son frre an, fut le premier grand-prtre de Jhovah. Le culte tait ds
lors organis.
Tout ceci se faisait par ordre mme de Jhovah, avec qui Mose entrait en conversation sur le
mont Sina. Le gendre de Jthro se rendait seul au sommet de la montagne, et l papa Bon
Dieu lui donna dix commandements qui devaient tre la loi religieuse du peuple hbreu.
Pendant ce temps, le Sina tait environn de lueurs aussi clestes qu'effrayantes, et partout
retentissait un fracas pouvantable, signes manifestes des grands vnements qui
s'accomplissaient. Jhovah dicta aussi des lois civiles (ch. 19-31).
Ces conversations entre Mose et le dieu des Juifs furent frquentes et durrent plusieurs
jours. Et quand le Seigneur eut achev tous ses discours sur le mont Sina, il remit Mose
deux tables de pierre, sur lesquelles, de son doigt divin, il avait cri t son tmoignage, en
criture grave. (31:18)
90

Or, tandis que le Trs-Haut tait en confrence solennelle avec Mose, les Hbreux, oubliant
compltement la collection varie de miracles accomplis en leur faveur, adoraient un veau
d'or. Le plus curieux de l'histoire, c'est que ce veau d'or leur avait t fabriqu par Aaron lui-
mme: Aaron avait demand tous les bijoux d'or des femmes et des filles de la nation; on ne
dit pas quels fondeurs apportrent, dans ce dsert, leur concours au grand-prtre rengat. Cette
fonte de la colossale idole, pour laquelle une bonne usine prendrait trois mois, fut excute en
une nuit. On juge de la juste fureur de Mose, quand, descendant du Sina avec ses divines
tables de pierre sous le bras, il aperut le veau d'or et les Juifs lui offrant des sacrifices,
accompagns de danses et de chants joyeux, sous la direction d'Aaron. Il brisa les tables de
marbre et fit dtruire l'idole.
Sa faon de supprimer la statue sacrilge mrite les honneurs de la citation textuelle: Mose
prit le veau d'or, le mit au feu et le moulut jusqu' ce qu'il ft en poudre; ensuite il rpandit
cette poudre dans les eaux et il en fit boire aux enfants d'Isral. (32:20) On reconnatra qu'il
n'est pas donn tout le monde de rduire de l'or en poudre, en le mettant au feu; c'est l une
opration dont personne autre que l'tonnant Mose n'a connu le secret. En outre, la Bible
vient de nous apprendre que la poudre d'or peut se boire en dissolution dans de l'eau; ceci n'est
pas banal non plus, puisque l'or se dissout avec du soufre; mais alors on s'imagine aisment
quel affreux breuvage les Isralites durent avaler. Mais le plus beau de tout, c'est que Mose
donna l'absolution Aaron, fabricateur de l'idole, et qu'il ordonna aux lvites, qui taient avec
son frre les plus coupables dans cette apostasie gnrale, de se rpandre dans le camp et de
massacrer au hasard; vingt-trois mille Juifs furent ainsi gorgs par ceux-l mmes qui ve
naient de prsider l'idoltrie.
Jhovah, apais, fit construire Mose un tabernacle, c'est--dire une sorte de tente spciale,
dresse hors du camp, pour lui viter l'ascension du Sina, quand ils auraient dsormais
tailler ensemble une bavette. Voici comment les choses se passaient (c'est textuel): Aussitt
que Mose tait entr dans le tabernacle, la colonne de nue descendait et s'arrtait la porte;
c'est alors que l'Eternel parlait avec Mose, lit tout le peuple se levait et chacun se prosternait.
Et l'ternel parlait Mose face face, comme un homme parle son intime ami. (33:9-11)
Mais Mose, n'ayant pas suffisamment apprci la faveur exceptionnelle que papa Bon Dieu
lui accordait en lui exhibant sa face, dont la contemplation est rserve aux a nges seuls,
s'enhardit un jour et demanda Jhovah de se montrer lui dans toute sa gloire. Comment
papa Bon Dieu accueillit-il cette demande? Les manuels d'histoire sainte omettent avec soin
ce passage de la Bible. Ici encore, nous userons donc de la citation textuelle: Mose dit
l'Eternel: Je t'en prie, Seigneur, fais-moi voir ta gloire. Et Dieu lui rpondit: Je ferai passer
toute ma splendeur devant tes yeux; mais maintenant tu ne pourras plus voir ma face, car nul
homme dsormais ne me verras sans mourir. Mais voici comment tu pourras voir ma gloire:
tu te mettras sur le rocher qui est l, et ce rocher a une fente dans laquelle tu plongeras ta tte;
alors, ma gloire passera de l'autre ct du rocher. Je couvrirai d'abord tes yeux avec ma main,
jusqu' ce que ma gloire soit dans tout son clat; ensuite, je retirerai ma main, et tu verras mon
derrire; mais ma face, tu ne la verras point. (Exode 33:18-23)
Les tables de la Loi ayant t brises, papa Bon Dieu voulut bien graver de nouveau son
dcalogue. Toutefois, sans que l'on sache pourquoi, la seconde dition ne se fit pas dans le
tabernacle; il faut donc croire que ce travail ne pouvait s'oprer que sur le Sina, o Mose dut
retourner; il y demeura quarante jours et quarante nuits sans boire ni manger. Or, lorsque
Mose descendit de la montagne, il ne s'aperut point que son front avait deux cornes de
rayons; mais Aaron et tous les Isralites le virent, et ils craignirent d'approcher de lui.
(34:29-30) Il en advint de m me lorsque Mose sortait du tabernacle; telle est la raison pour
laquelle on le reprsente toujours, sur les images, avec deux jets de rayons, semblables des
cornes.
91

L'Exode se termine par six chapitres (35-40), dont il suffira de citer les sommaires: Loi du
sabbat. Des offrandes pour le tabernacle. Libralit du peuple dans les offrandes. Le
tabernacle. L'arche. Le propitiatoire. La table des pains de propositio n. Le chandelier.
L'autel des parfums. L'huile sainte et le parfum. Diverses pices du tabernacle.
Description des vtements sacrs. Le tabernacle dress et sanctifi. Tous les menus
dtails, rgls par Jhovah parlant Mose, n'offrent plus aujourd'hui aucun intrt.
Il en est de mme du Lvitique, en vingt-sept chapitres, troisime livre de la Bible. En fait
d'pisodes, ce livre ne contient que la description de la conscration d'Aaron et do ses fils (ch.
8) et l'histoire lamentable de Nadab et Abihu, qui, ayant allum leur encensoir avec le premier
feu venu, furent brls tout vifs par des flammes que Jhovah fit sortir soudain devant lui dans
le sanctuaire (ch. 10). Le Lvitique est, en ralit, une longue et fastidieuse numration des
diverses catgories de sacrifices et des crmonies dont ils doivent tre accompagns.
L'auteur sacr y formule les lois sur le sacerdoce, sur les holocaustes, sur les animaux purs et
impurs, sur les souillures de diverses sortes, en particulier sur la lpre et les lpreux, sur la
saintet des prtres, sur les ftes, sur l'offrande des gteaux et des premiers fruits, sur les
lampes du sanctuaire, sur diverses puri fications, notamment celle des femmes accouches,
sur le blasphme, la peine de mort, l'anne du jubil, le rachat des vux, etc. Un passage
important ne contient gure que des ordonnances sur les devoirs de la vie civile. C'est un amas
incohrent de prescriptions des plus bizarres, dont on ne peut entreprendre la lecture sans
biller se dcrocher la mchoire.
C'est l-dedans que le livre, dclar animal impur, est qualifi, ainsi que le lapin, de
ruminant (11:5-6); l'auteur sacr a pris le mouvement de leurs lvres pour l'action de
ruminer. Il voue l'abomination toute bte qui vole et qui a quatre pieds (v. 23); il est
dfendu de manger de ces btes-l sous aucun prtexte; je crois bien! pour manger des
oiseaux quatre pattes, il faudrait se nourrir de toile et de pierre, attendu que de tels monstres
n'existent que dans les tableaux et les sculptures de haute fantaisie. La sauterelle est dclare
impure; ce qui n'empcha pas saint Jean-Baptiste d'en faire sa nourriture, au temps o il
annonait le Messie.
Dans le Lvitique, les maladies vnriennes sont tudies au point de vue religieux, et sur ce
sujet l'auteur sacr, devenu tout--fait dgotant, est intarissable. Un certain nombre de ces
saintes cochonneries sont, en outre, des plus grotesques, comme celle-ci: Si un homme
ayant un coulement crache sur une personne saine, celle-ci sera rpute impure jusqu'au
coucher du soleil (15:8); mais le monsieur afflig de l'coulement en question peut se
purifier religieusement. Vous croyez peut-tre que la Bible va lui prescrire quelque copahu?
Non, vous n'y tes pas! L'homme qui a un coulement comptera sept jours pour sa
purification; il lavera ses vtements et aussi sa chair avec de l'eau vive. Et, au huitime jour, il
prendra deux tourterelles ou bien deux pigeonneaux; il viendra au sanctuaire, et il les donnera
au prtre. (15:13-14)
Plusieurs dfenses sont excellentes. On doit en toute justice, reconnatre que le lgislateur ne
fait aucune difficult pour constater que les murs des descendants de Jacob taient alors
pouvantables; la copulation avec des btes est fltrie comme un pch qui ne doit plus se
renouveler en Isral. La menace de la peine capitale est ritre satit contre toutes les
formes du dvergondage dans le chapitre 20, au point que Jhovah (car c'est lui qui parle) en
arrive dire: Quand un homme aura couch avec une femme ayant ses rgles, ils seront tous
deux retranchs du milieu de mon peuple. (v. 18)
Voici enfin quelques recommandations, qui donneront une ide du style dans lequel est rdig
ce sublime Lvitique; on ne saurait lire ceci avec trop de respect, puique c'est Dieu lui-mme
qui tient ce langage: Nul ne s'approchera de celle qui est sa proche parente, pour dcouvrir
sa nudit. Je suis l'Eternel! Tu ne dcouvriras point la nudit de ton pre, ni la nudit de ta
mre; puisque cette femme est ta mre, respecte sa nudit. Tu ne dcouvriras point la
92

nudit de la femme de ton pr e; car cette nudit appartient ton pre. Tu ne dcouvriras
point la nudit de ta sur, fille de ton pre ou fille de ta mre, ne dans la maison ou hors de
la maison; non, tu ne dcouvriras point leur nudit. Pour ce qui est de la nudit de la fille
de ton fils ou de la fille de ta fille, quoique cette nudit t'appartienne, tu ne la dcouvriras
point. Tu ne dcouvriras point la nudit de la fille de la femme de ton pre, ne de ton
pre; c'est ta sur. Tu ne dcouvriras point la nudit de la sur de ton pre; elle est proche
parente de ton pre. Tu ne dcouvriras point la nudit de la sur de ta mre; elle est proche
parente de ta mre. Tu ne t'approcheras point de la femme du frre de ton pre pour
dcouvrir sa nudit; cette femme est ta tante. Tu ne dcouvriras point la nudit de ta belle-
fille; car cette nudit appartient, non toi, mais ton fils. Tu ne dcouvriras point la nudit
de ta belle-sur; car cette nudit appartient ton frre. Tu ne dcouvriras point tout
ensemble la nudit d'une femme et la nudit de sa fille; car, si tu couches avec la mre, la fille
devient ta proche parente. Et si la femme avec qui tu couches est vieille, tu n'attireras pas toi
la fille de son fils ou la tille de sa fille, pour dcouvrir leur nudit; car elles aussi sont tes
proches parentes. Tu ne prendras pas non plus une femme avec sa sur, pour coucher avec
toutes deux; car, en dcouvrant la nudit de l'une devant l'autre, tu l'affligerais pendant sa vie.
(18:6-18)
Le livre des Nombres est nomm ainsi parce que les quatre premiers chapitres comprennent le
dnombrement des Hbreux dans le dsert, au second mois de la seconde anne du voyage.
Pour la tribu de Lvi, le recensement porta sur tous les mles depuis l'ge d'un mois, et ils sont
compts pour 22,000; mais ceux d'entre eux qui furent chargs du service du tabernacle
taient les lvites gs de trente cinquante ans; ils figurent pour 8,580. Quant aux autres
tribus, Mose ne fit entrer dans sa statistique que les mles gs de vingt ans et au-dessus, en
tat de porter les armes: tribu de Ruben, 46,500; de Simon, 59,300; de Gad, 45,650; de Juda,
74,600, d'Issacar, 54,400; de Zabulon, 57,400; d'Ephram, 40,500; de Manass, 32,200; de
Benjamin, 35,400; de Dan, 62,700; d'Azer, 41,500; de Nephtali, 53,400; soit, au total, 603,550
combattants. Dans leur ensemble, les trente-deux autres chapitres du livre donnent la suite du
voyage des Juifs. Cependant, on y trouve encore des rglements, aussi minutieux que
monotones; la moiti du chapitre 8 est consacre la manire d'allumer les lampes! C'est dans
les Nombres que l'on trouve une recette recommander aux maris jaloux qui se jugent cocus,
quoique n'ayant pas pu pincer leur lemme en flagrant dlit. Jhovah, parlant encore Mose,
lui dit: Lorsqu'une femme mprisant son mari aura couch avec un autre, et que son mari
n'aura pu la surprendre, et que des tmoins ne pourront la convaincre d'adultre, on mnera
devant le prtre la femme ainsi souponne, et le mari fera d'abord au prtre l'offrande d'un
gteau confectionn avec de la bonne farine d'orge. Alors, le prtre prendra de l'eau sacre,
qu'il mettra dans un vase de terre, et il y m lera un peu de poussire prise sur le so l du
tabernacle. Puis, il adjurera la femme, en lui disant: Si tu n'as couch avec personne autre que
ton mari, cette eau que tu vas boire ne te fera aucun mal; mais, si tu t'es dbauche, que le mal
dont tu vas tre frappe serve d'exemple au peuple. Et le prtre fera jurer la femme par un
serment d'imprcation; il lui dira le mal qui la menace, si elle est coupable, et elle rpondra:
Amen. Et aprs qu'il lui aura fait boire l'eau, s'il est vrai qu'elle se soit pollue en perfidie
contre son mari, cette eau, tant pleine de maldiction, sera a mre pour elle; aussitt son
ventre enflera et la chair d'une de ses cuisses tournera en pourriture; ainsi elle recevra son
chtiment, au milieu du peuple. Au contraire, si elle est reste fidle son mari, l'eau de
jalousie ne lui causera aucun mal, et la suite de cette preuve elle aura des enfants. (ch. 5)
Enfin, aprs le recensement et la dicte de divers rglements, on se remit en marche; sur
l'ordre de Jhovah, Mose avait fait fabriquer deux trompettes d'argent pour donner le signal
du dpart. Dans cette nouvelle priode du voyage, les Hbreux, trouvant la manne insuffisante
pour leur nourriture, murmurrent et rclamrent de la viande. Tiens! mais au fait, le divin
pigeon ne nous avait-il pas dit, dans l'Exode (12:38), que nos migrants, en quittant l'Egypte,
93

emmenrent un nombre prodigieux de bufs et d'innombrables troupeaux? En plusieurs
circonstances, papa Bon Dieu s'tait fait sacrifier les premiers-ns des brebis, alors qu'on
s'arrta toute une anne au minimum dans la rgion du Sina; en outre, au moment de leur
apostasie, Aaron et les lvites offrirent des holocaustes au veau d'or. Alors, disparus tout--
coup, les innombrables troupeaux?...
Il faut avouer que c'est n'y rien comprendre: quand l'Esprit-Saint raconte les sacrifices
offerts dans le dsert, le peuple hbreu a tout son btail emmen d'Egypte; mais, lorsque son
rcit passe d'autres faits, voil ce mme peuple qui est reprsent comme rduit se nourrir
de manne. Nous n'insinuerons pas que le divin pigeon se contredit; ce serait un blasphme:
nous sommes donc obligs de conclure que les troupeaux innombrables avaient t boulotts
par Jhovah, sous forme d'holocaustes, et que l'Esprit-Saint a oubli de le dire expressment.
Quoi qu'il en soit, puisque les Hbreux, leur dpart de la rgion du Sina, demandaient de la
viande cor et cris, c'est qu'ils n'avaient plus un buf, plus une brebis, plus un mouton, plus
un agneau. Mose fit part Jhovah de ces rclamations. Alors, l'ternel suscita un grand
vent, qui, soufflant d'au-del de la Mer Rouge, apporta des cailles et les rpandit en si
abondante quantit dans le camp et tout autour, qu'il y en avait presque la hauteur de deux
coudes sur la terre. (Nombres 11:31) Papa Bon Dieu devait bien a son peuple, qui lui
avait sacrifi ses innombrables troupeaux. On pense si les Hbreux furent joyeux et firent
bombance! Mais, lorsque la chair des cailles tait encore entre leurs dents, avant qu'ils
l'eurent mche, la colre de l'Eternel s'embrasa contre le peuple et le frappa d'une horrible
plaie. Et on nomma ce lieu-l Kibroth-Taava, c'est--dire spulcre des gourmands; car on y
ensevelit des milliers de ceux qui avaient voulu manger de la viande (11:33-34). patant de
maboulisme, dcidment, le seigneur Jhovah!...
Or, Aaron et Marie n'avaient pas approuv que leur frre Mose se marit avec une
thiopienne. Un jour qu'on se trouvait Hazeroth, o le peuple hbreu s'tait rendu en quittant
Kibroth-Taava, ils changrent entre eux deux des observations dsobligeantes sur le compte
de leur belle-sur Sphora; mais ils furent aussitt vertement rprimands par papa Bon Dieu,
leur parlant dans sa colonne de nue, sans se faire voir. En outre, Marie eut une punition
svre: quand l'Eternel eut termin sa semonce, la sur de Mose se trouva toute couverte de
lpre; toutefois, sur les instances de Mose, papa Bon Dieu consentit ne faire durer cette
maladie que sept jours (ch. 12).
Au dpart d'Hazeroth, on prit la direction du nord. La rgion dans laquelle nos migrants
s'engagrent est nomme dans la Bible dsert de Paran ; c'est la partie est de la pninsule
du Sina, comprise entre l'extrmit de la chane de Djebel-et-Tyh et les montagnes d'El-
Samghi et d'El-Chafa; l coule la rivire d'An, qui se jette dans le golfe d'Akabah. L'auteur
sacr place dans celte rgion un nouveau pays de
Madian. Mose ordonna une halte et envoya en reconnaissance douze espions, un de chaque
tribu; ces claireurs allrent jusqu' Hbron, l'ouest de la Mer Morte, en plein pays de
Canaan, occup alors par les Amorrhens. Ils revinrent au bout de quarante jours et firent leur
rapport: ils rapportaient avec eux, l'appui de leurs dires, des fruits magnifiques, tels que des
grenades, des figues, du raisin; une grappe de raisin tait si grosse qu'il fallait plusieurs
hommes pour la porter.
C'tait la preuve incontestable de la fertilit du territoire dont nos migrants mditaient de
s'emparer. D'autre part, le rapport des espions fut comme une douche d'eau glace qui
refroidit instantanment leurs convoitises. Nulle part nous n'avons jamais vu d'aussi beaux
fruits, dirent les espions; mais les habitants du pays sont des gaillards des plus robustes, et ils
ont des villes fermes par de solides murailles. Nous avons mme vu l des descendants de
Hanak, c'est--dire des gants, devant qui nous ne paraissons que comme des sauterelles. La
conclusion de dix espions sur les douze fut qu'il ne serait pas bon de se frotter ces
bonshommes-l, et le peuple abonda dans leur sens. Seuls, Josu et Caleb estimrent que le
94

pays qu'ils venaient de voir tait trop beau pour ne pas essayer de le conqurir; en deux mots,
ils dirent, carrment que le jeu en valait la chandelle et qu'il fallait tenter le coup. Mais, leur
enthousiasme n'tant pas partag par leurs compatriotes, papa Bon Dieu dclara au peuple
hbreu que, puisqu'il en tait ainsi, ils mourraient tous avant d'arriver au but de leur voyage,
l'exception de Josu et de Caleb. Quelques jours aprs, des Amalciles et des Cananens
parurent et flanqurent aux Juifs une racle des mieux conditionnes. (ch. 13, 14)
Parmi les incidents rapports par le livre des Nombres, se trouve la conspiration de Cor,
Dathan et Abiron, qui, avec deux cent cinquante camarades, taient d'avis que Mose et Aaron
avaient tort de se placer au-dessus de tous les autres lvites. Ces trois personnages furent
engloutis tout--coup, la terre s'tant entr'ouverte sous leurs pas; ils disparurent, ainsi que
leurs familles; et les deux cent cinquante juifs de leur parti furent instantanment dvors par
des flammes miraculeuses qui sortirent du sol sous leurs pas. Au surplus, l'Eternel, afin de
mieux frapper les esprits du peuple, infligea une plaie quatorze mille sept cents migrants
qui n'taient pas entrs dans le complot; ces malheureux en moururent, et les lvites brlrent
des parfums (ch. 16).
Aprs quoi, sur l'ordre de Jhovah, Mose invita les chefs des tribus lui apporter une verge
de bois sec, semblable la verge qu'Aaron portait toujours avec lui; sur chaque verge on
crivit le nom d'une tribu; puis, on les dposa ensemble dans le tabernacle, et ces douze
verges on en mla une treizime, offerte par la tribu de Lvi et sur laquelle le nom d'Aaron fut
inscrit. Le lendemain, la grande surprise de tous, tandis que les verges des douze autres
tribus n'avaient pas chang d'aspect, celle de la tribu de Lvi avait fleuri; elle tait pleine de
fleurs, et mme des amandes toutes mres y avaient pouss. Ce miracle indiquait clairement
que l'Eternel confirmait Aaron dans son sacerdoce; le peuple se dclara convaincu et promit
de ne plus jalouser les lvites (ch. 17). Puisque ce miracle devait suffire, pourquoi Dieu avait-
il fait mourir, d'une horrible plaie, quatorze mille sept cents hommes, innocents de tout
complot?
On n'a pas oubli que les Hbreux n'avaient plus aucune viande; mais voici que Jhovah
dsira un nouveau sacrifice. Il avait envie qu'on lui offrt en holocauste une jeune vache
rousse, sans aucun dfaut et n'ayant jamais port le joug. Ce dsir tait peine exprim, que
nos migrants choisirent, parmi leurs troupeaux, ils en avaient donc tout--coup? la plus
belle vache rousse, runissant les conditions requises, et l'amenrent au sacrificateur Elazar
(ch. 19).
Au chapitre 20, les voyageurs sont arrivs au pied du Djebel-Halal. On s'arrte Kads;
Marie y meurt, et on l'enterre. L'eau manquait en cet endroit. Nouveaux murmures du peuple;
nouveau rocher frapp d'un coup de verge par Mose; nouveau miracle. Alors, des eaux
sortirent du rocher en abondance, et les Hbreux s'abreuvrent, et leurs btes aussi (v. 11).
Pas d'erreur, n'est-ce pas? nos migrants avaient maintenant leurs troupeaux. Comme ils
voulaient continuer leur route vers le nord, en passant par le pays des Idumens, ils entrrent
en pourparlers avec le roi d'Edom; mais celui-ci refusa de leur laisser traverser son territoire,
et ils durent faire un dtour. Tandis qu'ayant pris droite ils longeaient le versant oriental de
la chane des monts Ser, papa Bon Dieu dit Mose de grimper avec Aaron et son fils Elazar
sur le mont Hr: une fois au sommet de la montagne, Mose, se conformant aux prescriptions
divines, dpouilla Aaron de ses vtements, en habilla Elazar, et aussitt Aaron mourut. Il
tait g de cent vingt-trois ans. De nos jours, les musulmans montrent aux touristes le
tombeau d'Aaron, au sommet de l'Hr, 1,329 mtres d'altitude; le monument est en ralit
un sanctuaire mahomtan; quant au tombeau lui-mme, c'est un sarcophage absolument
moderne.
En cette contre cananenne, rgnait un certain roi d'Arad, qui, aussitt qu'il apprit la venue
des Isralites, partit en campagne, battit leur arme si nombreuse et leur fit des prison niers.
Profondment navr, le peuple juif adressa Jhovah une prire: Seigneur, s'crirent les
95

Hbreux, si tu nous donnes la victoire sur cette nation, nous faisons vu de dtruire ses villes!
Et Dieu exaua son peuple. A une seconde rencontre, les migrants furent vainqueurs des
Cananens, les exterminrent et accomplirent leur uvre de destruction des cits du royaume
d'Arad. L-dessus, au lieu installer dans le pays, ils rebroussrent chemin et se mirent, on ne
sait pourquoi, redescendre vers la Mer Rouge. L'auteur sacr n'explique en aucune faon
cette trange marche.
Tandis que les voyageurs taient retourns au dsert, papa Bon Dieu, en guise de distraction,
leur envoya des serpents brlants, qui mordirent tellement le peuple, qu'il en mourut un
grand nombre de ceux d'Isral . Mose, alors, fabriqua un serpent d'airain et le plaa au haut
d'une perche; et quiconque avait t mordu par un des serpents brlants n'avait qu' regarder
le serpent d'airain pour tre guri. (21:6-9)
Aprs s'tre promens par monts et par vaux, les Hbreux revinrent au nord vers les
Amorrhens, gouverns par le roi Sihon, qui ils infligrent une sanglante dfaite; cette
nation fut entirement passe au fil de l'pe. Puis, Og, roi de Bassan, fut vaincu son tour et
gorg, ainsi que tous ses sujets; le peuple de Dieu se mit en possession de ce nouveau
territoire. Les migrants d'Egypte taient alors parvenus en un endroit que la Bible appelle
Hij-Habarim, peu de distance de l'extrmit sud de la Mer Morte; ils eurent traverser une
petite chane de montagnes qui sert de frontire la contre occupe par les descendants de ce
Moab, jadis engendr par le patriarche Loth pousant sa fille ane dans une nuit de
soulographie; or, la contre des Moabites tait borne l'est par le pays de Madian (c'est le
troisime!), et Madianites et Moabiles vivaient en excellents voisins. On se demande pourquoi
Mose conduisit les Hbreux dans cette rgion; car, enfin, quel tait le but du voyage? S'il faut
en croire l'Exode, le prophte aux cornes rayonnantes trimbalait avec lui la momie de Joseph,
destine une inhumation dfinitive dans la fameuse caverne de Macpla, c'est--dire
Hbron, au territoire de Canaan, l'ouest de la Mer Morte. Eh bien, la route tait libre de ce
ct-l, puisque les Amorrhens, ayant eu la mauvaise ide de sortir de leur royaume pour
s'opposer l'invasion juive, venaient d'tre tous extermins; il ne restait donc plus qu'
s'installer l, c'tait une partie de la Terre Promise. Au contraire, c'est l'est de la Mer Morte,
hors du pays de Canaan, que Mose emmne ses compatriotes. Comprenne qui pourra!
Quoi qu'il en soit, le roi des Moabites, nomm Balak, apprenant la marche des Hbreux vers
sa capitale, s'empressa de tenir conseil avec ses ministres et avec les plus sages magistrats des
Madianites, ses allis. Voici quelle rsolution fut adopte: il y avait en ce temps-l, dans la
ville de Pthor, un certain Balaam, fils de Bhor, dont le mtier tait de dire la bonne aventure
et de conjurer les mauvais sorts; on dcida d'envoyer une dlgation auprs de Balaam, pour
obtenir une de ses meilleures bndictions en faveur des Moabites et des Madianites, tandis
qu'il formulerait une maldiction bien sentie contre les Hbreux. Balaam commena par
refuser d'aller bnir le roi Balak, son peuple et ses allis. Cependant, ayant cru comprendre
la fin que l'Eternel l'autorisait se rendre aux dsirs du monarque, il se mit en route avec la
dputation qui tait venue le chercher. Il cheminait donc, juch sur son nesse, quand tout--
coup celle-ci aperut un ange, arm d'une pe, qui lui barrait la route. L'nesse, alors, de filer
dans un champ, pour viter l'ange. Et Balaam frappa sa monture, pour la faire retourner dans
le chemin. Mais l'ange s'arrta dans un sentier de vignes, qui avait une cloison de, et une
del. Et l'nesse, ayant vu encore l'ange, se serra contre la muraille, et, en se serrant, elle
froissa le pied de Balaam qui continuait la battre. Et l'ange passa plus avant encore et s'arrta
dans ce lieu troit o il n'y avait pas moyen de se dtourner, ni droite, ni gauche. L'nesse,
voyant toujours l'ange, s'abattit sous Balaam, et celui-ci en colre la frappa plus fort que
jamais avec son bton. Alors, le Seigneur ouvrit la bouche de l'nesse, qui dit Balaam: Que
t'ai-je fait? pourquoi m'as-tu frappe trois foi s? Balaam lui rpondit: C'est parce que tu l'as
mrit; tu m'as cras le pied. Que n'ai-je une pe en main! Je te tuerais maintenant. L'nesse
rpliqua: Ne suis-je pas ton nesse, que tu as toujours monte jusqu' aujourd'hui? Dis-moi si
96

j'ai coutume de faire ainsi? Non, dit Balaam. Alors l'Eternel ouvrit les yeux de Balaam, et
il vit, devant lui dans le chemin, l'ange qui tenait son sabre, hors du fourreau; et Balaam se
prosterna, la face contre terre. L'ange dit Balaam: Je suis sorti pour m'opposer toi; car tu
tiens un mauvais chemin; et si ton nesse ne s'tait pas dtourne de moi, je t'aurais tu; mais
elle, je l'aurais laisse en vie. Balaam rpondit l'ange: S'il ne te plat pas que je m'en aille l-
bas, je m'en retournerai. L'ange lui dit: Non, tu peux poursuivre ta route; va avec ces hommes;
mais Lu ne prononceras que les paroles que Jhovah dira par ta bouche. Balaam donc s'en alla
avec les seigneurs qui avaient t envoys par Balak. (22:23-35) La conclusion fut que le
peuple isralite fut trois fois bni par la bouche de Balaam, la grande fureur du roi des
Moabites qui s'cria: Je t'avais fait appeler pour maudire mes ennemis, et lu les as bnis!
Retourne donc dans ton pays. J'avais rsolu de te combler d'honneurs et de prsents; c'est
pourquoi tu peux te dire que c'est le dieu Jhovah qui t'en a priv. (24:10-11) Nous allons
voir bientt comment les Hbreux rcompensrent Balaam de ses bndictions.
Tout d'abord, le roi Balak rentra sa colre, et le chapitre 25 nous montre les descendants de
Jacob bien tranquillement installs parmi les Moabites et les Madianites. Cette arme de six
cent mille combattants juifs, qui tait prte massacrer les sujets et les allis de Balak, ne
pense plus aux batailles; sans trve, sans le moindre prliminaire, la paix est faite; le peuple
hbreu se mle familirement au peuple madianite et moabite. Alors Isral demeurait
Sittim, et le peuple de Dieu commena coucher avec les filles de Moab. Ces femmes
convirent les Hbreux aux sacrifices de leurs dieux; ils adorrent les mmes dieux, Isral
embrassa le culte de Belphgor. (25:1-3) Cela ne faisait pas l'affaire des lvites, lchs pour
leurs concurrents, les prtres idoltres. Aussi Phines, fils du grand-prtre lazar, ayant vu
un jour un juif nomm Zi mri entrer dans la maison de la belle Cozbi, madianite, s'y prcipita
au moment o ils taient en train de forniquer et les transpera du mme coup avec une
longue javeline. Peu auparavant, Jhovah avait envoy une plaie son peuple pour le punir;
vingt-quatre mille hommes taient dj morts de cette plaie. Le coup de javeline de Phines
causa donc une grande joie papa Bon Dieu, qui instantanment arrta la maladie (v. 6-9).
Toutefois, le seigneur Jhovah ordonna Mose de prparer une extermination gnrale des
Moabites et des Madianites.
Avant de mettre ce beau projet excution, Mose fit procder un nouveau recensement; car
il y avait alors trente-huit ans qu'on avait quitt le pays du Sina et qu'on tait parti de Kibroth-
Thaava et d'Hazeroth. Pendant ces trente-huit annes, le peuple de Dieu s'tait renouvel,
puisque Jhovah avait eu soin d'avertir les migrants qu'aucun de ceux qui taient prsents au
dpart d'Egypte n'entrerait dans la Terre Promise, la seule exception de Josu et Caleb.
Malgr les pertes de vingt-trois mille hommes gorgs pour l'affaire du veau d'or, de quatorze
mille morts d'une plaie pour l'incident Cor-Dathan-Abiron et de vingt-quatre mille morts
galement d'une plaie mal dfinie en punition de la fornication avec les filles moabites et
madianites, sans compter les milliers enterrs au spulcre des gourmands ou tus par les
serpents brlants, la statistique de Mose accusa un total de six cent un mille sept cent trente
hommes en tat de porter les armes, non compris les lvites, au nombre de vingt-trois mille
(ch. 26).
Maintenant, si l'on veut examiner ce chemin parcouru en trente-huit ans, on constate une fois
de plus quel point le divin pigeon se fiche des croyants dvots. En effet, rien n'est plus facile
que de suivre les Isralites dans leur prtendu voyage, en s'aidant soit d'un guide l'usage des
touristes, par exemple, le Baedeker, Manuel du Voyageur en Palestine et en Syrie, soit
des ouvrages des savants, tels que Salomon Munck, Dclaborde, Burckhardt, de Raumer,
Berton, etc., qui sont alls sur les lieux mmes relever les principaux points du clbre
itinraire; car la superstition a maintenu dans le pays une lgende adopte par les Arabes aussi
bien que par les Juifs, attendu que Mose figure au nombre des prophtes reconnus par
l'Islamisme, et le fanatisme musulman ne le cde en rien celui des autres religions qui ont la
97

Bible pour livre sacr. Les cartes d'Elise Reclus et celles de Keppert et Lionnet (Bibel-Atlas)
sont galement une prcieuse ressource pour qui veut se rendre compte des blagues de
l'Esprit-Saint.
Ainsi, nous allons refaire, par curiosit, un itinraire moderne depuis Hazeroth, point de
dpart de la rgion du mont Sina, jusqu'au mont Nbo, o mourut Mose en vue de la Terre
Promise, en passant par le mont Hr, o mourut Aaron, et par le pays des Moabites.
Hazeroth (aujourd'hui An-el-Hahdrah) est situ dans la pninsule sinaque, peu de distance
de la cte occidentale du golfe d'Akabah, nomm mer d'Elath dans l'antiquit. Elath est au
fond du golfe; ses ruines se voient auprs d'Akabah; c'est l que commence la longue valle
de la Arab, qui s'tend jusqu'au Djebel-Ousdoum, l'extrmit sud-ouest de la Mer Morte.
D'Hazeroth Elath, il y a 148 kilomtres. En marchant sans se presser, raison de 8
kilomtres par jour seulement (deux heures de marche et vingt-deux heures de repos!), cela
fait une premire traite de seize jours. Le voyage d'Akabah au mont Hr se fait assez
frquemment de nos jours; car, auprs de cette montagne o est le tombeau d'Aaron, gard par
les musulmans, se trouvent les intressantes ruines de Ptra, l'anciennes ela des Hbreux, ville
de commerce qui fut jadis trs prospre. Il y a 81 kilomtres d 'Akabah Ptra, qui est 3
heures du mont Hr. Le guide Baedeker (page 152) dit que ce trajet se fait en quatre jours et
donne en dtail les tapes. Soyons large, et disons: huit jours. Pour suivre les Isralites
dans leur marche, il faut aller maintenant du mont Hr El-Krac, l'ancienne Kir-Moab, une
des principales villes des Moabites; environ 100 kilomtres, dont Baedeker donne le dtail des
tapes (route 13, page 154), en assignant 28 heures ce trajet qui se fait trs commodment
cheval. Mettons douze jours. Enfin, pour se rendre au mont Nbo, il faut prendre la route
d'El-Krac Madba, par Dib n (autrefois Dibon, ville conquise par les Hbreux (Nombres
21:30). Madba est l'ancienne Medba, ville moabite l'origine (Josu 13:9), qui appartint
ensuite la tribu de Ruben. D'El-Krnc Dibn, il y a 35 kilomtres; de Dibn Madba, 23
kilomtres. Cette traite demande environ 26 heures, d'aprs le guide Baedeker (route 17,
pages 192-193). Mais ne lsinons pas, et accordons sept jours, y compris l'excursion au mont
Nbo. C'est dans les montagnes au nord-ouest de Madba que se trouve le Nbo, d'o Mose
contempla avant sa mort toute la Terre Promise; on y arrive par des champs cultivs en 1
heure et demie environ. Par consquent, du dpart du Sina jusqu'au Nbo, le voyage pied
reprsente au total quarante-trois jours, avec deux heures de marche quotidienne seulement.
Le dtour, pour viter le territoire des Idumens, donne un cart de 120 kilomtres peine.
Cela ne ressemble gure aux trente -huit annes que compte la Bible!
Avant d'entraner les Isralites dans la direction du mont Nbo, Mose, sur l'ordre de Jhovah,
se proccupa de massacrer les populations qui leur avaient donn une fraternelle hospitalit,
mais qui avaient eu le tort crime irrmissible! de les associer leurs gnuflexions
devant d'autres dieux. Ur choix fut fait de mille hommes par tribu, en tout douze mille
vengeurs de Sabaoth. (Nombres 31) Les Madianites, surtout, coprent; tous les mles de
cette nation furent gorgs, y compris leurs rois, au nombre de cinq Evi, Rkem, Tsur, Hur et
Rba h. Les Hbreux passrent aussi au fil de l'pe Balaam, fils de Bhor , cet excellent
prophte qui les avait bnis (v. 8); et les enfants d'Isral prirent les femmes des Madianites,
leurs petits enfants, leurs troupeaux, tous leurs meubles, et ils pillrent tout, et ils brlrent
villes, villages, chteaux (31:9-10). Or, Mose trouva ce massacre encore insuffisant. Il
entra en colre contre les capitaines de l'arme, et il leur dit: Pourquoi avez-vous pargn les
femmes?... Tuez donc maintenant tous les petits enfants mles, gorgez toutes les femmes qui
ont connu le cot (sic); mais rservez-vous toutes les filles vierges (31:14-15, 17-18). On fit
le compte du butin: il se trouva que ce qui avait t pill se composait de 675,000 brebis,
72,000 bufs, 61,000 nes et' 32,000 pucelles (v. 32-35). Une partie de ce butin fut rserve
pour Jhovah; trente-deux jeunes vierges madianites lui furent attribues (v. 40).
98

Rien d'intressant n'est relever dans les autres chapitres du livre des Nombres; ce sont des
rglements sur les hritages, des ordonnances touchant les sacrifices pour les ftes des
trompettes, de l'expiation et des tabernacles, des rcapitulations de campements, c'est--dire
des redites, et des prescriptions relatives au futur partage de la Terre Promise, c'est--dire des
numrations que le livre de Josu reproduira avec des dtails encore plus fastidieux.
Le Deutrono me, cinquime et dernier livre du Pentateuque, offre encore moins d'intrt que
le Lvitique et les Nombres. C'est, sous forme de discours, la rptition des diverses lois
prcdemment promulgues. Dans un premier discours, qui tient quatre chapitres, Mose
rsume ce qui s'est pass depuis la sortie d'gypte et rappelle aux Hbreux de quelle
avalanche de bienfaits ils ont t accabls par Jhovah. Dans un second discours, celui-ci en
vingt-et-un chapitres, il expose de nouveau tout ce qui constitue pour le peuple juif son code
civil et religieux. Puis, viennent un certain nombre d'exhortations relatives l'observation de
la loi: les Isralites seront bnis et leurs affaires prospreront, s'ils accomplissent les
commandements de Jhovah; au contraire, s'ils les transgressent, les maldictions pleuvront
sur leurs ttes, avec accompagnement de chtiments aussi nombreux que varis.
L'auteur sacr ayant bien soin de nous dire que lorsque, lui, Mose, pronona ces discours,
c'tait l'Eternel mme qui parlait par sa bouche, il n'est pas inutile de faire ressortir quelques
perles de cette divine loquence.
Voici la quarantime anne que vous tes en chemin, et cependant les vtements dont vous
tiez couverts ne se sont point uss sur vous, ni vos souliers vos pieds. (Deutronome 8:4)
Voil, certes, un miracle qui est aussi miracle que tous les autres, et qui ne manque pas de
gat. D'aprs les deux dnombrements que l'on connat, il y a eu en chiffres ronds six cent
mille hommes d'armes dans cette population migrante, tant au sortir de l'gypte qu' l'arrive
au pays de Moab, et l'on sait aussi que les arrivants n'taient plus les mmes que les partants.
Tous les thologiens sont d'accord pour reconnatre que ce nombre d'hommes d'armes
suppose au dpart, pour le total du peuple hbreu, trois millions d'individus, vieillards,
femmes, jeunes filles, jeunes garons et familles de lvites. Donc, puisque trois millions de
personnes ont trouv la mort dans le dsert dans l'espace de ces quarante annes, il y a eu trois
millions de vestes et de robes et trois millions de paires de souliers qu'on s'est transmis des
uns aux autres. Mais, puisque le dernier recensement a accus un chiffre de six cent un mille
sept cent trente combattants, sans compter vingt-trois mille lvites, si l'on suppose que chaque
combattant et chaque lvite avaient une femme, que chaque mnage de ces juifs si prolifiques
et en moyenne trois enfants (c'est modeste!), que la moiti seulement des couples eussent
avec eux leurs pres et mres, cela ferait quatre millions trois cent soixante-treize mille cent
dix personnes chausser et vtir. Ce calcul ne fait que mieux saillir la grandeur du miracle;
car il a fallu ainsi que papa Bon Dieu donnt dans le dsert son peuple un million trois cent
soixante-treize mille cent dix paires de souliers de plus, sans parler des tuniques!
D'ailleurs, saint Justin, dans son dialogue avec Tryphon, soutient que non seulement les habits
des Hbreux ne s'usrent point dans leur marche de quarante annes au soleil et la pluie, et
en couchant sur la dure, mais que ceux des enfants croissaient avec eux et s'largissaient
merveilleusement au fur et mesure qu'ils avanaient en ge. Et saint Jrme ajoute dans une
ptre (la 38) ces propres mots: En vain les barbiers apprirent leur art; ils n'en usrent point
pendant quarante annes dans le dsert, parce que les cheveux et les ongles des Isralites ne
croissaient pas. Si, aprs a, vous n'tes pas convaincus?...
Une recommandation qui n'tonnera personne: Veillez bien avoir soin de vos prtres,
pendant tout le temps que vous vivrez sur terre. (12:19)
Lorsque vous combattrez vos ennemis, si Dieu les livre entre vos mains, et si vous voyez,
parmi vos captifs, quelque belle femme inspirant votre amour, alors celui qui elle plaira
l'emmnera dans sa maison; elle se rasera les cheveux et se coupera les ongles, et elle se
dshabillera entirement, car elle ne doit garder sur elle aucun des vtements avec lesquels
99

elle a t prise; puis, on lui donnera un mois pour pleurer son pre et sa mre; aprs quoi,
celui qui elle aura plu la mettra dans son lit, entrera en elle, et ds lors elle sera sa femme.
Mais, s'il arrive ensuite qu'elle ne plaise plus, son mari pourra la renvoyer, la condition
qu'elle y consente; en tout cas, du moment qu'un Isralite aura couch avec elle, on ne pourra
plus la vendre. (21:10-14) a, c'est gentil, n'est-ce pas?
N'entrera jamais dans les saintes assembles du culte celui qui sera eunuque en ayant eu les
testicules coups, ni mme celui qui aura eu les testicules froisss. (23:1) Pas de
commentaire!
Si, la veille d'une bataille, un soldat a eu dans la nuit un songe voluptueux qui lui ait caus
une perte de semence, il sortira le matin du camp, et le soir il se lavera avec de l'eau frache;
puis, il rentrera dans le camp. (23:10-11)
Ce qui revient dire qu'il ne prendra point part A la bataille. Voltaire a cru utile d'mettre
quelques rflexions ce sujet: Plusieurs gens de guerre, crit-il, ont dit que les pollutions
nocturnes arrivaient principalement aux jeunes gens vigoureux, et que l'ordre de les loigner
de l'arme du matin au soir tait trs dangereux, attendu que c'est d'ordinaire du matin au soir
que se livrent les batailles; que cet ordre n'tait propre qu' favoriser la poltronnerie; qu'il tait
plus ais de se laver dans sa tente, o l'on est suppos avoir au moins une cruche d'eau, que
d'aller hors du camp, o l'on pouvait fort bien ne pas en trouver.
Jhovah va jusqu' enseigner son peuple comment il convient de faire caca, en temps de
guerre. Vous aurez un endroit rserv, hors du camp, pour vacuer. Et, parmi vos ustensiles,
vous aurez une petite bche; alors, quand vous voudrez vacuer, vous irez l'endroit rserv,
vous creuserez un trou rond avec la petite bche, et, lorsque votre vacuation sera termine,
vous recouvrirez de terre ce qui sera sorti de vos boyaux. Car, moi, l'Eternel, je serai au milieu
de votre camp, pour combattre avec vous; il ne faut donc pas que je sente quelque chose
d'impur dans votre camp; sinon, je me retirerais d'entre vous. (Mme 23:12-14)
Ce passage de la Bible appelle un commentaire particulirement grave. Nous savions dj que
Dieu a des mains dont il se sert pour ptrir, qu'il souffle et qu'il salive, qu'il a des pieds pour
se promener sur notre plante, quand la fantaisie lui prend; nous avons appris tout l'heure
qu'il a un derrire et qu'il le montra Mose. Maintenant, nous apprenons que Jhovah
possde un nez, non pas tout simplement pour agrmenter son visage et pour s'viter de prter
rire, lorsqu'il daigne apparatre aux humains, crs sa ressemblance; mais ce nez est un
vrai nez. De mme que Dieu mange pour tout de bon (rappelez-vous le plantureux dner chez
Abraham), de mme Dieu s'est adjug de toute ternit un nez dont il se sert pour sentir, et il
n'aime pas les mauvaises odeurs.
D'autre part, on ne manquera pas de se dire qu'il tait facile au Tout-Puissant d'pargner son
divin nez la respiration d'odeurs dsagrables. Quoi! ce peuple hbreu est son peuple, sa
nation prdestine, et il n'est pas venu l'esprit du seigneur Jhovah l'ide de l'affranchir, par
une exception solennelle, des suites vulgaires et nausabondes de la digestion, puisque les
senteurs du caca rpugnent son odorat sacro-saint?... Que toute nourriture profitt
entirement aux estomacs isralites, suppression complte de l'vacuation, et voil, il me
semble, une ingnieuse solution du problme; au besoin, les Juifs n'auraient pas eu de trou-de-
balle, et cela les et distingus du reste de l'humanit, mieux encore que fa circoncision. Ou
encore, si le Tout-Puissant n'avait pas voulu donner son peuple un privilge aussi notable
que celui de l'absence |d'anus, s'il tenait h ce que les Hbreux allassent la selle aussi bien que
tout le monde, il lui et t facile, d'une autre manire, de n'avoir pas renifler des puantises,
quand il tait au milieu d'eux, dans leur camp: moi, si j'tais dieu, j'aurais tout btement
dcrt que le caca juif, en temps de guerre, sentirait la violette ou tout autre dlectable
parfum: ce n'tait pas plus malin que a!...
On dit qu'un sonnet sans dfaut vaut, lui seul, un bon pome; ma foi, je crois que les versets
12, 13 et 14 du chapitre 23 du Deutronome valent, eux trois, mieux que tous les psaumes
100

de David. Il est d'une immensit incomparable, l'horizon que ces trois, versets-l ouvre la
science des thologiens; il y a l, dans ce nez de Dieu rfractaire aux mauvaises odeurs, des
profondeurs thologiques inoues, si l'on veut prendre la peine de scruter, d'examiner et de
disserter pieusement.
Ainsi, j'en fais juge mon vieil ami Lon XIII, et je le prie humblement de soumettre au
prochain concile la question que voici: le fait des trois versets en question, auxquels un fidle
est oblig de croire sous peine d'anathme, puisqu'ils appartiennent la Bible, ne complique-t-
il pas d'une tonnante faon le mystre de l'Eucharistie, dj si compliqu?
En deux mots, pendant la messe, au moment de la conscration, si le prtre, en prononant les
paroles sacramentelles, lche, par accident, un pet au chou-pourri, Dieu descend-il dans
l'hostie et la transsubstantiation a-t-elle lieu?
Ne me dites pas qu'il est impossible qu'un tel accident arrive. Dans mon jeune ge, au collge
Saint-Louis, je prcise! j'ai rempli quelques fois l'office d'enfant de chur, et il m'est
arriv de servir la messe, notamment un saint homme, l'abb Jourdan, qui tait d'un
temprament trs venteux. taient-ce les haricots du collge qui lui produisaient de l'effet? J
incline le croire, sa dcharge. Quoi qu'il en soit, je me rappelle qu'un matin, au moment
o, agenouill derrire lui, je relevais le bas de sa chasuble, tout en agitant la sonnette, vrai!
c'tait ne pas y tenir, tant l'artillerie intestinale du saint homme faisait fureur, et sans doute
bien malgr lui. Le brave abb Jourdan existe encore; il est chanoine, dans mon diocse natal;
qu'il soit guri ou non de son infirmit crpitante, la question doit videmment l'intresser
plus que personne. Aussi, quand elle sera examine par le concile que je sollicite, je me ferai
un plaisir de lui offrir ses frais de voyage, ne serait-ce que pour lui prouver que je ne lui en
veux pas des infectants quarts d'heure qu'il me fit passer autrefois.
Donc, au temps de mon enfance, je n'attachai aux accidents venteux d'un prtre officiant que
l'importance d'une mauvaise odeur inflige mon nez humain. Mais, aujourd'hui que je
feuillette avec soin la sacre Bible et que je plonge dvotement au sein de ses sublimes
splendeurs, les trois versets du Deutronome, demeurs trop inaperus jusqu' prsent,
stimulent mon zle et m'ont fait comprendre que j'avais un grand devoir remplir, en
soulevant la grave et ncessaire question de la vesse sacerdotale lche par un officiant au
moment o il prononce les mots: Ceci est mon corps, ceci est mon sang.
Nul n'ignore qu' cet instant mme le Trs-Haut devient semblable au maquereau, tel qu'il est
cri Paris dans les rues, c'est--dire: Il arrive! il arrive!... Bien plus, Dieu ralise alors,
mieux que ledit maquereau, l'annonce de la marchande de poisson, attendu que celle-ci
exagre en ajoutant: Il demande frire! La vrit est que le maquereau ne demande pas
plus frire que l'anguille tre corche vive; ce sont les humains qui leur attribuent ces
demandes, au sujet desquelles ces infortuns poissons ne furent jamais consults. Au
contraire, en ce qui concerne le Trs-Haut Jhovah (et C
ie
), non seulement il arrive dans
l'hostie tout--coup, mais encore il demande rellement tre boulotte, lui!... C'est cela,
l'Eucharistie.
Par consquent, comme il est inadmissible que le Nouveau Testament soit en contradiction
avec l'Ancien Testament, dont fait partie le Deutronome, comme ces deux Testaments sont,
l'un aussi bien que l'autre, l'uvre de l'Esprit-Saint, il apparat d'une logique des plus limpides
que Dieu, dont l'horreur des puantises est un fait d'absolue certitude, doit videmment se faire
tirer l'oreille pour se transformer en pain cacheter, quand il a affaire un ministre au trou-
de-balle gazeux. S'installe-t-il dfinitivement dans l'hostie, oui ou non? Attend-il que l'odeur
du pet de cur soit passe, ou bien remonte-t-il en son paradis avec plus ou moins de
mauvaise humeur? Voil la question d'intrt gnral que ma ferveur pose candidement ma
sainte mre l'Eglise.
On le voit, rien n'est plus grave; car, si, dans le cas dont il s'agit, les hosties que le cur
crpitant s'apprte distrihuer aux fidles ne sont qu'un vulgaire pain, sans mme un poil de
101

la barbe Sabaoth dedans, les communiants sont vols, parbleu!... Et supposez un fidle qui
compte sur cette communion, avec indulgence plnire applicable, afin de tirer sa belle-mre
du purgatoire, calculez, je vous prie, l'immensit du dsastre!... Allons, saint-pre, vite un
concile, s'il vous plat!
Ne fermons pas les chapitres du Deutromoue, qui dctenti les ordonnances divines, sans citer
encore celle-ci: Quand des hommes auront une querelle ensemble, l'un contre l'autre, si la
femme de l'un s'approche pour dlivrer son mari de celui qui le bat, et si alors, avanant la
main, elle saisit celui- ci par les testicules, on coupera la main de cette femme. (25:11-12)
Excellent Jhovah! il prvoyait tout!...
Il dclara encore Mose que ses compatriotes, aprs leur entre dans la Terre Promise,
devraient affecter deux montagnes un usage assez curieux: sur l'une, nomme Garizim, on
bnirait le peuple; sur l'autre, nomme Hebal, on prononcerait toutes sortes de maldictions
(ch. 27).
Quant aux menaces de Jhovah, en voici quelques chantillons, extraits du chapitre 28: Si
vous ne voulez point couter la voix de l'ternel votre Dieu, l'ternel vous enverra la ruine
dans toutes les affaires que vous entreprendrez (v. 20); l'ternel vous frappera de langueur et
de fivre (v. 22); l'ternel vous accablera d'hmorrhodes, de gale et de gratelle, dont vous ne
pourrez pas gurir (v. 27)... Lorsque vous vous marierez, un autre couchera avec votre femme
(v. 30); on vous prendra vtre ne et on ne vous ne le rendra pas (v. 31); l'ternel vous fera
avoir un ulcre trs malin qui rongera vos genoux, ainsi que vos cuisses (v. 35); vous serez un
sujet de raillerie pour tous les peuples (v. 37); vous smerez beaucoup de grains dans vos
champs, et vous n'aurez que des rcoltes-trs maigres (v. 38)... Il vous natra des fils et des
filles, mais ils ne seront pas vous (v. 41); l'tranger vous prtera usure, et vous ne lui
prterez pas usure (v. 44)... L'ternel fera venir d'un pays recul, et des extrmits de la
terre, un peuple dont vous n'entendrez point le langage, et qui n'aura piti ni de vos vieillards
ni de vos enfants: ce peuple mangera vos fruits, les petits de vos btes, et il ne vous laissera ni
bl, ni vin, ni huile (v. 49-51)... Vous mangerez vos propres enfants, aussi bien la chair de vos
filles, que celle de vos fils (v. 53); l'homme le plus tendre et le plus dlicat d'entre vous
regardera d'un il sec son frre et sa femme bien-aime et refusera de leur donner manger
de la chair de ses enfants, qu'il mangera tout seul (v. 54-55); la mre la plus tendre prendra
son enfant peine n, le mangera en cachette, et regardera d'un il sec son mari bien-aim (v.
56-57).
De toutes les peines dont Jhovah menace son peuple, pas une n'est un chtiment spirituel. Le
peuple de Dieu ne connaissait donc que les peines temporelles; il est bon de le faire
remarquer, en observant en outre que nulle part, dans l'Ancien Testament, il n'est question
d'enfer ni de purgatoire. Si Dieu, comme on l'a vu, se proccupait du caca des Juifs, par contre
il n'avait gure souci de leurs mes, tel point que ces mots immortalit de l'me , ne se
trouvent en aucun endroit des livres sacrs, sur lesquels les chrtiens ont greff leur religion.
Aprs les menaces, vient un fragment historique (!): Mose, g de cent-vingt ans, se dmet de
sa charge en faveur de Josu, au vif dplaisir du grand-prtre Elazar, et confie Josu la
mission de conduire les Hbreux au pays de Canaan. Nous ferons grce au lecteur d'un
cantique chant par Mose faisant ses adieux ses compatriotes, ainsi que des bndictions
qu'il prononce sur chacune des tribus d'Isral. Finalement, l'extraordinaire hros biblique,
obissant un ordre divin, monte sur le mont Nbo, o il sait qu'il va mourir, et d'o il peut,
avant d'entrer en agonie, contempler la Terre Promise.
L'Eglise a dcid, aprs la Synagogue, que le Pentateuque est l'uvre de Mose; sur ce point,
juifs et chrtiens sont pleinement d'accord. N'allez pas dire au pape que les cinq livres dont le
Deutronome est le dernier ont t crits par un autre que le gendre de Jthro; si vous aviez
l'audace d'insinuer cela, vous seriez excommuni. Ces cinq livres, enseignent les thologiens,
102

qui n'en dmordent pas, ont t crits par Mose depuis la premire ligne jusqu' la dernire,
sous l'inspiration du divin pigeon.
Un livre vulgaire, un livre purement humain s'arrterait donc l'ascension de Mose,
gravissant le mont Nbo; la rigueur, le grand homme pourrait crire comme conclusion: Je
sens que je m'en vais; maintenant, je pose ma plume, car je suis sur le point de mourir; n, i, ni,
fini. Or, Mose, en sa qualit d'crivain sacr, ne pouvait pas s'en tenir l. Il a donc eu soin
de consigner, dans son dernier chapitre, sa mort, le fait de sa spulture, le deuil du peuple, et il
a eu l'amabilit de s'adresser un petit loge posthume.
Ainsi, Mose, serviteur de l'ternel, mourut l (sur le mont Nbo), au pays de Moab, selon
ce que l'Eternel avait dit (34:5); et l'Eternel l'ensevelit dans la valle, vis--vis de Beth-Phor,
et personne n'a su jusqu' ce jour o tait son tombeau (v. 6). Or, quand il mourut cent vingt
ans, Mose avait encore la vue trs bonne, et sa vigueur n'tait point passe (v. 7); et les
enfants d'Isral pleurrent Mose trente jours, dans les campagnes de Moab (v. 8). Et Josu,
fils de Nun, fut rempli de sagesse, car Mose lui avait impos les mains; et les enfants d'Isral
lui obirent ds lors (v. 9). Et il ne s'est jamais lev en Isral un prophte aussi saint que
Mose, et qui Dieu ait permis, comme lui, de le voir face face (v. 10).
Quelque lecteur secouera la tte, aprs avoir vu ces lignes; il lui semblera qu'elles prouvent
que Mose est tranger leur rdaction. Erreur, mon ami! Les thologiens vous diront que
c'est l le style de Mose mme, et que, d'ailleurs, dans tous les chapitres prcdents, il
n'employa jamais la premire personne, mais toujours la troisime, lorsqu'il parla de lui.
Rien rpliquer, quand l'Eglise s'est prononce. Or, l'opinion bien arrte de l'Eglise est
expose par Mgr Paul Gurin, en ces termes: Le Pentateuque est le nom collectif des cinq
premiers livres de la Bible. Mose est l'auteur du Pentateuque. Le Pentateuque est authentique,
et son authenticit est aussi certaine que celle des livres les plus authentiques, aussi certaine
que l'existence mme de Mose (ainsi!...); on ne peut refuser de tenir pour authentique un livre
dont l'authenticit a pour elle la foi publique et constante d'une nation dont il dcrit l'histoire,
le culte et la lgislation, surtout si ce livre prsente les caractres de l'antiquit qu'on lui
attribue, et s'il est d'ailleurs impossible qu'il ait t suppos, c'est--dire crit par un autre que
celui dont il porte le nom. Or, tel est le Pntateuque: la foi publique et constante de la nation
juive, les caractres d'antiquit qu'on remarque dansce livre, l'impossibilit d'une supposition,
tout en dmontre l'authenticit. Mose a crit le Pentateuque sous l'inspiration du Saint-Esprit.
(Dictionnaire des dictionnaires, encyclopdie catholique, tome V, page 690)
Inclinons-nous, mes frres, et ne nous tonnons plus de rien.

8 CHAPITRE

LES EXPLOITS DE JOSU ET DE GDON

Voil donc Josu lev sur le pavois et proclam chef suprme des Hbreux. Aussitt, papa
Bon Dieu, pour lui donner du cur au ventre, lui apparut et lui prodigua de bonnes
promesses: Lve-toi, passe le Jourdain, toi et tout le peuple avec toi, pour entrer au pays que
je donne aux enfants d'Isral. Vous possderez tous les pays o vous aurez pos la plante de
vos pieds. Vos frontires seront depuis le dsert et le Liban jusqu'au grand fleuve de
l'Euphrate, et tout le pays des thiens vous appartiendra aussi, jusqu' la grande mer, vers le
soleil couchant. Nul ne pourra te rsister, tant que tu vivras; car je ne t'abandonnerai point.
Fortifie-toi donc et prends courage. (Livre de Josu 1:2-6)
Ce n'tait pas la premire fois, depuis la sortie d'gypte, que Jhovah rappelait ce qu'il avait
jur Abraham, Isaac et Jacob. Ah! quel immense empire que celui qu'il s'tait engag, par
serment, donner son peuple! Toutes les terres comprises entre la pninsule du Sina, la
103

Mditerrane et l'Euphrate, cet empire et t plus grand que celui d'Assyrie. Mais, aussi,
quelle faillite ces engagements solennels! Les Juifs n'ont jamais eu qu'un misrable
territoire. Cet Euphrate tant promis, ils l'ont connu non comme propritaires, mais comme
captifs. Leur grand fleuve n'a jamais t que le pauvre Jourdain.
Que fit le successeur de Mose la suite des exhortations de Jhovah?
Josu envoya secrtement de Sittim deux espions. Ceux-ci partirent, entrrent dans la ville
de Jricho, et passrent la nuit chez une nomme Raab, qui tait une prostitue. (2:1)
Les traductions chrtiennes de la Bible qualifient d'htelire la dame Raab; or, le texte
original hbreu porte zonah, met qui signifie bel et bien prostitue, femme dbauche, vivant
de ses charmes. Pourquoi cette inexactitude de traduction? Ne serait-ce point parce que la
susdite Raab figure, dans l'Evangile (gnalogie donne par saint Matthieu 1:5), au nombre
des aeules de Jsus-Christ?... Le roi de Jricho, ayant t averti, envoya auprs de Raab, et
l'on dit cette prostitue: Fais sortir les deux hommes qui sont entrs dans ta maison; car ce
sont des espions venus pour examiner le pays. Mais cette femme les cacha et rpondit: Ils sont
sortis, tandis qu'on fermait les portes de la ville, et je ne sais o ils sont alls. (v. 2-5)
Aprs le dpart de la police, Raab fit un pacte avec les deux espions. Elle leur apprit que les
gens du pays, connaissant les merveilles de la sortie d'Egypte, avaient une peur atroce de
l'arme juive.
Quant eux, ils lui donnrent un signe distinctif mettre sa maison, et ils lui promirent que,
lors de la future prise de Jricho, ce signe la ferait excepter du massacre. Ce pacte conclu, les
deux espions s'vadrent par la fentre, la maison de Raab tant situe ct mme des murs
de la ville. (v. 9-21)
Les critiques demandent pourquoi, Dieu ayant jur a Josu qu'il serait toujours avec lui, Josu
prit cependant la prcaution d'envoyer des espions chez une fille de joie. Quel besoin, dit
Voltaire, avait-il de cette misrable, quand Dieu lui avait promis son secours de sa propre
bouche; quand il tait sr que Dieu combattait pour lui, et qu'il tait la tte d'une arme de
six cent mille hommes, dont il dtacha, selon le texte sacr, quarante mille pour aller prendre
le village de Jricho, qui ne fut jamais fortifi, les peuples de ce pays-l ne connaissant pas
encore les places de guerre, et Jricho tant dans une valle o il est impossible de faire une
place tenable? De Jricho, qui est au pied du mont Karantal, il ne reste aujourd'hui que
quelques pauvres huttes, abritant environ 300 habitants; les guides l'usage des touristes nous
apprennent que la moralit des femmes de cette bourgade est toujours la hauteur de celle de
leur glorieuse anctre Raab.
A propos de cette fille Raab, le bndictin dom Cal met a discut si elle fut ou non coupable
d'un mensonge, en disant que les espions juifs taient partis, lorsqu'ils taient chez elle; il
prtend qu'elle accomplit ainsi une trs bonne action. Etant informe, crit ce thologien, du
dessein de Dieu, qui voulait dtruire les Cananens et livrer leur pays aux Hbreux, elle n'y
pouvait rsister sans tomber dans le crime de rbellion l'gard de Dieu; de plus, elle tait
persuade des justes prtentions de Dieu, et de l'injustice des Cananens; ainsi elle ne pouvait
prendre un parti ni plus quitable ni plus conforme aux lois de la sagesse. Le savant Frret a
rpondu que, si cela tait, la prostitue Raab aurait donc t inspire de Dieu mme, aussi bien
que Josu; ce qui serait fort trange. Il semble plutt, dit-il, que cette Raab, par son crime
abominable de trahison envers sa patrie au profit des espions d'un peuple barbare, tait une
infme qui mritait le dernier supplice.
Mais n'insistons pas, et poursuivons. Josu ordonna de marcher contre Jricho; pour cela, il
fallait d'abord passer le Jourdain. Les prtres qui portaient l'arche d'alliance marchrent en tte
du peuple; ils entrrent hardiment dans l'eau, en gens bien certains qu'un miracle ne pouvait
manquer de se produire. A peine leurs pieds furent-ils mouills que les flots suprieurs du
fleuve s'arrtrent, comme si une digue invisible s'tait subitement leve, et s'accumulrent
d'une manire formidable en hauteur, tandis que les eaux infrieures, suivant leur cours
104

ordinaire, laissrent le lit du Jourdain sec. Et les prtres restrent au milieu du fleuve,
jusqu' ce que tout le peuple juif et pass. En mmoire du miracle, on entassa douze grosses
pierres auprs du Jourdain. Puis, une fois que les porteurs de l'arche d'alliance eurent gagn la
rive droite, les eaux reprirent leur cours habituel (ch. 3, 4).
En apprenant ces merveilles, les rois des divers peuples de la rgion, jusqu'aux rivages de la
Mditerrane, sentirent leur cur se fondre et se dcouragrent au plus haut point. Sur ces
entrefaites, papa Bon Dieu fit remarquer Josu que, depuis le dpart d'Egypte, la
circoncision n'avait plus t pratique. Pourquoi cet oubli? la Bible ne le dit pas; elle se borne
nous apprendre le fait, tout--coup. Aucun des mles qui taient ns au dsert n'avait subi la
petite opration que l'on sait. Or, la totalit du peuple hbreu dpassait alors quatre millions
de personnes des deux sexes; cela faisait donc approximativement deux millions de mles, de
tout ge. On peut ainsi s'imaginer la quantit fantastique de prpuces qui furent coups, sur
l'ordre de Josu, et l'on ne s'tonne pas que leur tas fit une vritable colline; l'auteur sacr
l'appelle montagne des prpuces . Quatorze jours aprs, les Hbreux firent la Pque et
eurent assez de bl pour se fabriquer du pain; ds lors, la manne, n'tant plus ncessaire, cessa
(ch. 5).
Conformment aux instructions divines, l'arme isralite lit le tour de Jricho, pendant six
jours de suite, les soldats marchant gravement et les prtres jouant de leurs instruments de
musique; les assigs taient bahis de cette manire de les combattre, mais ils ne se rendaient
pas.
Le septime jour, de nouveau selon les prescriptions de Jhovah, on excuta encore la
promenade circulaire, cette fois avec une autre musique plus forte, accompagne d'un grand
cri pouss par tout le peuple, et alors les remparts de la ville s'croulrent.
Josu ordonna de massacrer tout, depuis l'homme jusqu' la femme, depuis l'enfant jusqu'au
vieillard, mme jusqu'au buf, au menu btail et l'ne . La prostitue Raab fut seule
pargne, avec ses parents qui elle avait donn asile dans sa maison. Aprs quoi, les
Hbreux, ayant pris l'or et l'argent pour le trsor du Seigneur, brlrent la ville et tout ce qui
tait dedans. (ch. 6)
Ce carnage inspira lord Bolingbroke ces rflexions, que l'on trouve dans ses uvres publies
par le pote David Mallet, son ami: Est-il possible, crivait le grand ministre du royaume
d'Angleterre, que Dieu, le pre de tous les hommes, ait conduit lui-mme un barbare qui le
cannibale le plus froce ne voudrait pas ressembler? Grands dieux! venir d'un dsert inconnu
pour massacrer toute une ville inconnue! gorger les femmes et les enfants, contre toutes les
lois de la nature! gorger tous les animaux! brler les maisons et les meubles, contre toutes les
lois du bon sens, dans le temps qu'on n'a ni maisons ni meubles! n'pargner qu'une vile p....
digne du dernier supplice! Si ce conte n'tait pas le plus absurde de tous, il serait le plus
abominable. Il n'y a qu'un voleur ivre qui puisse l'avoir crit, et un imbcile ivre qui puisse le
croire. N'oublions pas que l'auteur de ces rflexions fut un des plus minents hommes d'tat
de la nation anglaise; ministre des Affaires trangres, lord Bolingbroke fut l'instigateur et le
vritable auteur du fameux trait d'Utrecht, qui mit enfin terme aux longues et sanglantes
guerres du rgne de Louis XIV; on peut dire que, par ce grand ouvrage, l'orgueil de sa vie, il
rendit la paix l'Europe, et cela dans des conditions satisfaisantes pour toutes les puissances.
Il est utile de rappeler la gloire de cet homme de bien qui honore l'humanit et qui employa
son gnie arrter l'gorgement des peuples; cela est ncessaire, afin de fermer la bouche des
fanatiques qui seraient tents de traiter la citation qu'on vient de lire de divagation impie de
quelque obscur folliculaire. C'est lord Bolingbroke qui a port ce jugement sur la Bible: Ce
serait offenser Dieu et les hommes que de discuter srieusement ce misrable tissu de fables,
dans lesquelles il n'y a pas un mot qui ne soit ou le comble du ridicule ou le comble de
l'horreur.
105

Au dire de l'auteur sacr, la prise et le sac de Jricho eurent pour rsultat une conspiration
gnrale contre Isral. Voyant la faon expditive dont les Hbreux entendaient la conqute,
les rois qui gouvernaient la contre se dirent qu'il leur fallait exterminer ces envahisseurs,
sous peine d'tre extermins par eux; ils se ligurent donc et tinrent un conseil o de grandes
rsolutions furent prises (ch. 9).
Toutefois, ils n'avaient pas song un lger dtail, qui avait bien son importance: c'est que
Dieu tait avec Josu. Le seigneur Jhovah mit l'pouvante dans leur arme, et Josu leur
infligea une terrible dfaite prs de Gabaon; il les poursuivit par le chemin de Bthoron,
continuant les battre jusqu' Hazaka et mme jusqu' Makkda (10:10). Bien mieux, le
pre Sabaoth, se piquant d'amour-propre, prit lui-mme part au combat: Tandis que les
fuyards couraient sur la route de Bthoron, l'ternel jeta sur eux, du haut du ciel, de grosses
pierres, jusqu' Hazaka, et ils en moururent; il y en eut plus de ceux qui prirent sous la grle
de pierres que de ceux que les Isralites turent avec l'pe (v. 11).
Mais Josu trouvait que sa victoire n'tait pas encore assez complte. Alors, Josu dit en
prsence de tous les enfants d'Isral: Soleil, arrte-toi sur Gabaon, et toi, lune, arrte-toi dans
la valle d'Aalon. Et le soleil s'arrta, et la lune aussi, jusqu' ce que le peuple et achev le
carnage. Le soleil, qui tait au milieu des cieux, s'arrta donc et ne se hta point de se coucher,
environ un jour entier. Jamais jour, ni avant, ni aprs, ne fut aussi long que celui-l (10:12-
14).
En lisant ce rcit, on s'tonne qu'aprs la pluie de pierres Josu ait encore eu recours au grand
miracle d'arrter le soleil et la lune. Le texte dit que l'astre du jour tait en plein midi; il
semble donc qu'on aurait eu le temps de tuer tous les fuyards depuis midi jusqu'au soir sur
cette route de Bthoron, en supposant que les pierres clestes en eussent manqu quelques-
uns. Il est vrai que les thologiens nous diront peut-tre qu'un certain nombre de ces fuyards
coururent si vite, que plus de six sept heures furent ncessaires pour les rattraper. Quant aux
physiciens, ils n'ont pas encore pu expliquer comment le soleil, qui ne marche pas, arrta sa
course, ni comment cette journe, qui fut le double des autres journes, put s'accorder avec le
mo uvement des plantes et la rgularit des clipses.
Ce magnifique miracle de Josua provoqu bien des joyeux rires et nous vaut quelques
anecdotes. On raconte, notamment, celle d'un disciple de Galile, qui avait t traduit devant
l'Inquisition pour avoir soutenu le mouvement de la terre autour du soleil. On lui lisait sa
sentenc e; elle disait qu'il avait blasphm, attendu que Josu avait arrt le soleil, et que par
consquent c'est cet astre qui marche, et non la terre. Eh! messeigneurs, rpondit l'inculp,
c'est sans doute depuis ce temps-l que le soleil ne marche plus!
L'arme, qui venait d'tre anantie dans ce dsastre, avait sa tte cinq rois; ceux-ci avaient
chapp la pluie de cailloux divins et l'pe des soldats juifs. Comment donc? Ils s'taient
rfugis dans une caverne, Makkda (v. 16). Josu, apprenant la chose, donna vite l'ordre de
rouler de grosses pierres l'entre del caverne (v. 18). Voil les cinq rois pris comme des
rats dans une souricire. L-dessus, Josu se rendit Makkda, fit ter les grosses pierres qui
fermaient la caverne, et l'on obligea les cinq monarques sortir. Puis, les capitaines furent
appels, et Josu leur dit: Maintenant, mettez vos pieds sur les cous de ces rois. Aprs
quoi, Josu commena par les frapper grands coups, et ensuite il les tua, et il fit suspendre
leurs cadavres cinq potences, o ils restrent jusqu'au soir; enfin, les cadavres furent
replacs dans la caverne, referme au moyen de grosses pierres. L'auteur sacr ajoute
gravement: Les corps de ces cinq rois sont encore l. (v. 22-27)
Josu continua ses exploits. Il ravagea tout le pays, les montagnes et les plaines; il tua tous
les rois et les fit tous pendre; il tua tout ce qui avait vie, comme le Seigneur le lui avait
command (10:40). Il poursuivit tous les rois qui restaient, et son carnage fut tel que
rien n'en chappa; il brla les chariots, il coupa les jarrets des chevaux partout. Et quand il fut
Hatzor, qui avait t une grande capitale, il en tua le roi, il gorgea tous les habitants et
106

toutes les btes; et il rduisit tout en cendres. (11:8-11) Josu fit la guerre plusieurs
annes contre tous ces rois-l. (v. 18) Il marcha aussi contre les gante des montagnes
et les extermina (v. 21); et il ne laissa aucun de la race des gants, except dans Gaza, Geth et
Azoth. (v. 22) Et il fit pendre en tout trente et un rois. (12:24)
Mazette! trente et un rois de pendus! C'est beaucoup dans un pays de sept huit lieues
d'tendue!...
Une fois que les populations de la Terre Promise eurent subi une crabouillade complte, les
Hbreux se trouvrent lus matres; il ne leur restait plus qu' se partager la contre.
C'est ce qu'ils firent. Du chapitre 13 au chapitre 21 inclusivement, le livre de Josu indique
minutieusement le territoire qui fut affect chaque tribu; il y a l une numration
formidable de villes. On en aura une ide approximative en sachant que la tribu de Juda, pour
son compte, reut cent vingt-quatre villes, sans compter les villages; tous les noms de ces
villes sont cits expressment (15:20-63). Quant aux lvites, ils reurent quarante-huit villes,
dont six dites de refuge (ch. 20, 21). C'tait, d'ailleurs, Jhovah lui-mme qui avait fix le
chiffre: Les lvites, avait-il stipul, auront quarante-huit villes, parses dans les territoires
des douze tribus; ils habiteront dans ces villes, et les faubourgs de ces villes seront pour leurs
btes, pour leurs biens et pour tous leurs animaux. En outre, les faubourgs des villes lvitiques
seront de mille coudes tout autour, depuis la muraille de la ville en dehors. (Nombres 25)
Les six villes de refuge taient destines servir d'asile aux homicides ayant commis un
meurtre sans prmditation.
Lord Bolingbroke estime que ces passages de la Bible n'ont pu tre composs que par un
lvite avide et barbare, crivant dans des temps d'anarchie. Voici comment ce philosophe
formule son opinion: Jamais le peuple juif, dans ses plus grandes prosprits, n'eut quarante-
huit villes mures. On ne croit mme pas qu'Hrode, leur seul roi vritablement puissant, les
possdt. Jrusalem, du temps de David, tait l'unique habitation des Juifs qui mritt le nom
de ville; mais c'tait alors une bicoque qui n'aurait pas pu soutenir un sige de quatre jours.
Elle ne fut bien fortifie que par Hrode. En ralit, les lvites n'avaient d'autres possessions
que la dme, et le petit peuple isralite n'eut aucune ville, ni sous Josu, ni sous les Juges. La
longue numration, que l'on trouve dans le livre de Josu n'est qu'un long et ridicule
mensonge. Comment ce minuscule peuple, errant et vagabond jusqu' Sal, aurait-il pu
donner quarante-huit villes ses prtres, lui qui fut sept fois rduit en esclavage, de son
propre aveu? Le lvite faussaire qui a crit ces orgueilleuses sottises prtend encore qu'on mit
au pouvoir des prtres six villes de refuge pour les homicides; voil un bel encouragement aux
plus grands crimes. On ne sait ce qui doit rvolter davantage, ou de l'absurdit qui fait donner
quarante-huit villes des prtres dans un dsert, ou de six villes de refuge dans ce mme
dsert pour y attirer tous les sclrats!
Au bas mot, le fameux partage, accompli avec tant de soin sous la direction de Josu,
comporte environ six cents villes pour l'ensemble des tribus isralites. Excusez du peu!... Et
notez que la rgion mesure deux degrs de longitude dans sa plus grande largeur, et deux
degrs et demi de latitude dans sa plus grande longueur, l'poque o la puissance juive a
atteint l'apoge de son panouissement, c'est--dire pas du tout au temps de Josu.
Le partage effectu, Josu voyait sa mission ter mine; aussi mourut-il... cent dix ans
(24:29). Il avait tout extermin; les chapitres de son livre rptent satit que ses incessantes
victoires ne laissrent pas un tre vivant. Or a, tenez-vous bien, lecteur! Aprs la mort de
Josu, nous allons retrouver tous ces ennemis extermins plus puissants que jamais, et tenant
les Juifs dans le plus rude esclavage, jusqu'au temps de Sal et de David.
En effet, le livre des Juges, celui qui suit immdiatement le livre de Josu, nous montre,
ds le premier chapitre, les tribus de Juda et de Simon en guerre contre dix mille Cananens,
gouverns par un roi, nomm Adonibzec. Bien entendu, cette population, qui se trouvait l
tout--coup on ne sait comment, fut passe au fil de l'pe. Quant Adonibzec, avant de
107

l'gorger, on lui infligea un supplice. Les descendants de Juda et de Simon, l'ayant pris, lui
couprent d'abord les mains et les pieds. Alors, Adonibzec dit: J'ai fait couper les mains et
les pieds soixante et dix rois, qui mangeaient sous ma table les restes de mon dner; Jhovah
m'a trait comme j'ai trait tous ces rois. (Juges 1:6-7) Cet Adonibzec tait donc un
puissant monarque, puisqu'il avait rduit en captivit soixante et dix rois de cette contre. Sa
capitale se nommait Bzec, d'aprs la Bible; mais cette ville, ce terrible potentat et son
royaume sont rests compltement ignors des historiens. Cela tonne; car cette immense
table, sous laquelle soixante et dix rois mangeaient sans mains, tait bien faite pour valoir
Adonibzec une rputation considrable. Quoi qu'il en soit, si l'on ajoute ces rois vaincus et
mutils par Adonibzec aux trente et un extermins par Josu, cela nous donne, avec
Adonibzec-le-Cruel, un total de cent-deux rois, et, par consquent, de cent deux royaumes
dans la terre de Canaan. Si l'on jette les yeux sur la carte gographique et si l'on fait la
division de ce petit territoire, voil donc des royaumes qui auraient eu, chacun, peine un
demi-quart de lieue; c'est maigre! Ces cent deux rois devaient tre bien serrs dans cet troit
espace, et il tait temps que les Juifs vinssent mettre ordre un tel tat de choses en se
substituant aux Cananens.
Cependant, Jhovah, quoique tout-puissant, ne put pas venir bout de quelques-uns de ces
Cananens, qui, anantis par Josu, avaient pouss de nouveau, comme par enchantement,
dans cette contre extraordinaire. Dieu tait avec Juda, et ses descendants se rendirent
matres des montagnes; mais ils ne purent vaincre les habitants des valles, parce que ceux-ci
avaient des chariots de guerre arms de faulx. (1:19) La provision de grosses pierres que
matre Jhovah avait clans son ciel tait donc puise? telle est la rflexion qu'on ne peut
manquer de se faire. Mais, en poussant plus fond l'examen de ce passage de la Bible, on se
demande comment ces Cananens, qui l'chapprent belle, grce leurs chariots de guerre,
pouvaient possder de ces chariots, puisque leur manuvre tait impossible dans ce pays tout
couvert de montagnes et de cailloux. En effet, les chariots de guerre, arms de faulx, ne furent
invents que dans les grandes plaines qui sont vers l'Euphrate, et l'on sait que ce sont les
Babyloniens et les Persans qui mirent cette invention en pratique, trois sicles seulement aprs
Josu.
Les chapitres 2 et 3 du livre des Juges nous montrent les Hbreux manquante reconnaissance
envers Jhovah et bientt punis par la dfaite et l'esclavage. Aprs la mort de Josu, nos juifs
s'taient choisi des Les enfants d'Isral, abandonnant le Dieu de leurs pres, Jhovah, qui les
avait tirs de la servitude d'gypte, se prosternrent devant les statues de Baal; ils adorrent
Baal et Astaroth (2:12-13).
Juges, pour les gouverner; cette priode de leur histoire n'est pas trs brillante.
Et, comme ils habitrent au milieu des Cananens, des Amorrhens, des Phrsiens, des
Hvens et des Jbusens, ils prirent leurs filles pour femmes, ils donnrent leurs filles en
mariage aux enfants de ces peuples, et ils servirent leurs dieux. (3:5-6) Ne nous lassons pas,
afin de mieux admirer ces mariages, de rappeler que l'arme des six cent mille Isralites,
commands par Josu, avait, sans misricorde, dtruit tous les habitants de la contre: Mose,
encore, faisait parfois pargner 32,000 pucelles; mais son successeur ne laissait pas un tre
vivant.
Jhovah, tant donc en colre contre les enfants d'Isral, les livra entre les mains de Chuzan-
Rischatam, roi de Msopotamie, dont ils furent esclaves pendant huit ans (3:8). Le critique
anglais Thomas Wolston, qui paya de plusieurs annes de prison son indpendance en matire
religieuse, et qui exera sa verve aussi bien contre les livres sacrs des chrtiens que contre
ceux des juifs, dclarait nettement qu'il fallait choisir entre l'histoire des Juges et celle de
Josu, attendu que l'une ou l'autre est mensongre, puisqu'il y a contradiction flagrante entre
ces deux saints livres. Il n'est pas possible, disait-il, que les Hbreux aient t esclaves
immdiatement aprs avoir extermin tous les habitants du Canaan avec une arme de six cent
108

mille hommes. Quel est ce Chuzan-Rischatam, roi de Msopotamie, qui vient tout d'un coup
mettre la chane les enfants d'Isral? Comment est-il venu de si loin, sans qu'on dise rien de
sa marche? Le texte dit bien, la vrit, que c'est un chtiment du Seigneur pour avoir donn
leurs filles en mariage aux Cananens et pour avoir pous les filles de ceux-ci; mais il est
trop ais de dire que lorsqu'on a t vaincu, c'est parce qu'on a pch, et que quand on a t
vainqueur, c'est parce qu'on a t fidle: il n'y a aucune nation ni aucune bourgade de
sauvages qui n'en puisse dire autant. Il sera toujours impossible de comprendre comment une
population de quatre millions d'individus, ayant six cent mille hommes d'armes, peut avoir t
rduite en servitude dans le mme pays qu'elle venait de conqurir; de mme qu'il est
impossible que cette horde formidable de guerriers ait ananti tous les anciens habitants, et
que des alliances matrimoniales se soient ensuite tablies entre les massacreurs et les
extermins. Cette foule de contradictions n'est pas soutenable. Il est dit, aussitt aprs, qu'au
bout de huit ans le juge Othoniel dlivra ses compatriotes et que les Hbreux chassrent et
turent ce Chuzan-Rischatam, roi de Msopotamie; maison ne nous donne aucun
renseignement sur cette guerre qui dut tre considrable et dont les historiens, pourtant,
n'entendirent jamais parler.
Quarante ans plus tard, les Hbreux furent asservis par Eglon, roi des Moabites, quoique le
royaume de Moab n'existt plus depuis longtemps; sa suppression par le massacre en masse
est antrieure la prise de Jricho.
Cet esclavage dura dix-huit annes. Aod, fils de Gra, y mit fin au moyen d'un stratagme
meurtrier: ce juif, s'tant joint aux dlgus du peuple, qui apportaient un prsent Eglon, pria
le tyran de le recevoir part dans sa chambre, sous prtexte de quelques mots secrets qu'il
avait lui dire; Eglon, sans mfiance, s'enferma avec Aod, lequel lui enfona un poignard
dans le ventre et s'en alla aussitt, sans se faire remarquer. Cet assassinat encouragea les Juifs;
ils se rvoltrent, et dix mille Moabites furent gorgs. Et le pays fut en repos pendant quatre-
vingts ans. Aprs Aod fut Samgar, qui tua six cents Philistins avec un soc de charrue et
qui dlivra aussi Isral (3:11-31).
Les Hbreux furent encore esclaves d'un certain Jabin, roi de Canaan. Heureusement, une
vnrable prophtesse, qui chantait des cantiques sous un palmier entre Rama et Bthel, M
me

Dbora, manda auprs d'elle le sieur Barac, en flamma son courage, ainsi que celui de dix
mille soldats des tribus de Zabulon et Nephtali, et partit en guerre avec eux. Les troupes de
Jabin, commandes par le gnral Sisara, fuient tailles en pices, leur premire rencontre
avec celles de Barac et Dbora.
Le gnral, dans sa fuite, se rfugia chez Hber, que l'auteur sacr nous dit tre un cinen
vivant en paix avec le roi Jabin . Or, Hber avait une femme, l'aimable Jahel, qui Jhovah
souffla une inspiration. C'est Jahel elle-mme qui offrit asile Sisara. Elle vint au-devant de
lui et lui dit: Mon seigneur, retire-toi chez nous, et ne crains point. Et elle le cacha. Comme il
avait soif et demandait de l'eau boire, elle lui donna du lait. Sisara la pria de se tenir
l'entre de la tente; puis, il s'endormit profondment Alors, Jahel prit un clou trs long, ainsi
qu'un marteau, rentra tout doucement, et lui transpera la tempe avec ce clou, qui s'enfona
jusqu'en terre; et le gnral mourut. Or, Barac tant arriv ensuite, Jahel lui montra Sisara
tendu mort, en disant: Voil celui que tu cherches. Quant au roi Jabin, il ne tarda pas tre
massacr, et la prophtesse Dbora chanta un de ses plus beaux cantiques (ch. 4, 5).
Malgr Aod, Dbora et Jahel, les tribulations des Hbreux n'taient pas termines. Cette fois,
ce furent les Madianites (encore des revenants, ceux-ci) qui prirent t che de les perscuter.
Les malheureux enfants de Jacob, sans tre proprement parler en tat d'esclavage, taient en
butte toutes les vexations: quand ils avaient sem et longtemps travaill dans l'espoir d'une
abondante rcolte, les Madianites prenaient un malin plaisir accourir sur leurs champs, avec
d'innombrables chameaux, et les rcoltes taient perdues; ils leur chipaient bufs, nes et
menu btail; ils abmaient les fruits de leurs vergers; les infortuns Juifs en furent rduits se
109

creuser des cave rnes dans les montagnes pour prserver leurs personnes des mille et une
mchancets de ces enrags perscuteurs (6:1-6).
Il y avait sept ans que ces tracasseries duraie nt, lorsque papa Bon Dieu, ayant enfin piti de
son peuple, rsolut de susciter un nouveau hros. Et, pour que l'exemple fut plus clatant, il fit
choix d'un jeune malingreux, du nom de Gdon, lequel tait si chtif qu'il avait toutes les
peines du monde manuvrer au pressoir de son pre. Un beau matin, donc, un ange du
Seigneur vint Ephra et s'assit sous un chne qui appartenait Joas, chef de la famille
d'Abizer et pre de Gdon; et l'ange dit au jeune homme: Voici, maintenant tu es trs fort et
trs vaillant, parce que l'Eternel est avec toi (6:11-12).
Gdon n'osait pas croire l'ange sur parole, surtout lorsqu'il apprit que c'tait lui qui dlivrerait
Isral du joug des Madianites. Si l'Eternel m'accorde cette grce, dit-il, pourquoi ne m'en
convaincrais-tu point par quelque signe merveilleux? Mais permets-moi de t'offrir quelque
chose, et, je t'en prie, ne t'en va pas, pendant que je vais te chercher manger. L'ange
rpondit: C'est bien, je demeurerai ici jusqu' ce que tu reviennes. Gdon, tant alors rentr
chez lui, fit cuire en toute hte un chevreau et des galettes; il mit la viande dans un panier et le
jus dans un pot; puis, il apporta le tout sous le chne et l'offrit l'ange. Mais l'ange lui dit: Tu
vois cette pierre qui est l tout prs; places-y la viande et les galettes, et rpands le jus par-
dessus. Gdon obit. Alors, l'ange tendit sa verge sur le chevreau et les galettes; l'instant
mme, des flammes sortirent du rocher; la viande, les galettes et le jus furent consums, et
subitement l'ange disparut. (v. 17-21)
Ldessus, Gdon fit appel dix des meilleurs serviteurs de son pre, et, de nuit, il alla
dmolir l'autel de Baal et couper les arbres d'un bosquet consacr aux dieux des Madianites;
avec ce bois, il construisit un bcher sur lequel il sacrifia un taureau Jhovah (6:27-21).
Grande fut la colre des habitants d'Ephra, quand ils virent l'autel de Baal dmoli et le bosquet
coup. Or, Joas, n'ayant pas voulu leur livrer son fils, une violente colre s'empara de tous les
ennemis des Hbreux; et tous les Madianites, et tous les Amalcites, et tous les peuples
orientaux se rassemblrent, passrent le Jourdain et vinrent camper dans la valle de Jizrhe l
(6:29-33). Mais Dieu revtit d'armes Gdon (6:34).
Le croirez-vous? Gdon tait encore se demander si Jhovah l'avait vraiment choisi pour
flanquer une trempe aux ennemis d'Isral. Quand il eut convoqu les tribus de Manass,
d'Azer, de Zabulon et de Nephtali, sur qui il croyait pouvoir le mieux compter, il pria Dieu de
faire un miracle qui dmontrerait, sans erreur possible, la protection dont il tait l'objet.
Et Gdon dit Dieu: Si tu dois vraiment dlivrer Isral par ma main, comme tu l'as dit,
coutemoi bien; je vais mettre sur une large pierre plate la toison d'une brebis; et si la rose ne
tombe que sur la toison, le reste restant sec, ce sera la marque que tu veux dlivrer Isral par
ma main. Et la chose arriva comme Gdon lavai demand: car, le lendemain, l'aurore,
malgr la rose du matin, la pierre tait reste sche, tandis que la toison tait tel point
humide qu'en la pressant Gdon en fit sortir plein une tasse d'eau de rose. Gdon dit encore
Dieu: Ne te fche pas si je sollicite de toi un nouveau miracle pour preuve de la ralit de
ma mission; c'est la dernire fois que je t'adresse une telle demande. Je t'en prie, permets-moi
de faire encore un essai avec cette toison, et cette fois que la toison soit sche toute seule au
milieu de la terre humide. Et Dieu fit cette nuit-l comme Gdon l'avait demand: la toison
fut sche, et la terre d'alentour tait humide de la rose. (6:35-40)
Que voil de fameux miracles! Que c'est beau, la sainte Bible! N'tes-vous pas transports
d'admiration?...
Le bruit de ces grands miracles s'tant rpandu dans Isral, le peuple entier voulut venir
combattre avec Gdon.
Mais cet enthousiasme ne dura pas longtemps; car, le hros ayant dit dans une proclamation:
Que ceux qui sont timides s'en retournent chez eux! dix mille hommes seulement restrent
auprs de lui, tous les autres ayant profit de la permission de ficher le camp.
110

Or, papa Bon Dieu jugea que ces dix mille taient encore trop, et, sur son conseil, voici
comment Gdon fit choix de la poigne de braves qui, seuls, devaient l'accompagner contre
l'ennemi: il fit descendre les dix mille soldats vers la rivire voisine, les invita boire l'eau
mme, et pendant qu'ils buvaient, Gdon observait ses dix mille guerriers avec une grande
attention. En effet, l'ternel avait dit Gdon: Quiconque lapera l'eau de sa langue, comme
le chien lape, tu le mettras part; et tu mettras aussi part tous ceux qui se courberont sur
leurs genoux pour boire. Et le nombre de ceux qui laprent l'eau la manire des chiens fut de
trois cents; et tous les autres se courbrent sur leurs genoux. Alors, l'ternel dit Gdon:
C'est par ceux qui ont lap l'eau comme les chiens que je dlivrerai Isral, et je livrerai les
Madianites entre tes mains victorieuses; et maintenant, que tout le peuple s'en aille, chacun
chez soi! (7:5-7)
Gdon retint donc ses trois cents lapeurs, certain qu'il avait enfin de rudes lapins. Le camp
des Madianites tait au-dessous, dans la valle. A prsent, attention! ne perdez pas une ligne
du rcit de ces nouveaux exploits bibliques; vous allez voir qu'Alexandre, Csar,
Charlemagne, Napolon n'taient que de la rave cuite auprs de Gdon, capitaine de Sabaoth.
Le hros divisa ses trois cents lapeurs en trois bandes. Il donna chacun une trompette, un
vase de terre et une lampe. Avec cela, s'cria-t-il, nous remporterons une grande victoire. Ne
me perdez pas de vue, et faites exactement ce que je ferai; quand je serai arriv au bout du
camp ennemi, vous m'imiterez en tout. Ayez confiance! La bataille sera gagne aux sons de
ces trompettes et avec cri, retenez-le bien: L'pe de l'ternel et de Gdon! (7:7-18)
Il attendit la nuit. Alors, il descendit avec ses trois cents lapeurs vers le camp madianite. On se
glissa silencieusement dans les avant-postes, tandis qu'on venait de poser la seconde garde.
Puis, chacun ayant mis et allum sa lampe dans le vase de terre, Gdon et ses soldats
sonnrent tout--coup de leurs trompettes, tout en cassant avec fracas leurs pots (quelques
traducteurs crivent: leurs cruches), avec accompagnement de clameurs o dominait le cri
donn comme mot d'ordre. Les Madianites, rveills en sursaut, furent effrays de ce vacarme
de trompettes et surtout de ces trois cents pots briss, et, ne comprenant rien , ces lampes que
les Isralites agitaient en vocifrant, ils se turent peu prs tous les uns les autres (7: 16-28).
On a plus loin le compte de ce massacre; deux gnraux madianites, Horeb et Zeeb, furent
tus par des hommes de la tribu d'Ephram, tandis qu'ils s'enfuyaient vers le Jourdain, et deux
rois, nomms Zbah et Tsalmunah, furent atteints Karkor et gorgs par Gdon en
personne. Le texte sacr dit expressment: Zbah et Tsalmunah purent gagner Karkor, et ils
y taient avec quinze mille hommes de troupes, c'est--dire ceux qui avaient survcu de toute
l'arme des peuples orientaux; car il y avait cent vingt mille hommes, tirant l'pe, qui taient
tombs morts. (8:10)
Nous apprenons donc par l qu'il y avait cent trente-cinq mille Madianites, Amalcites et
autres orientaux camps dans la valle de Jizrhel; ce camp tait, par consquent, d'une
tendue considrable. Or, le camp d'une arme de cent mille hommes occupe, d'ordinaire, une
lieue carre de superficie; c'est le calcul du chanoine Rhrbacher, lorsqu'il parle des
campements isralites dans le dsert (Histoire universelle de l'Eglise catholique, tome 1, page
182); et une lieue carre quivaut seize cents hectares; d'o l'on doit conclure que le camp
madiano-amalcite de Jizrhel occupait deux mille deux cents hectares, au bas mot, et que la
ligne extrieure de pourtour avait un dveloppement de vingt-un kilomtres environ.
N'oublions pas que les soldats de Gdon pntrrent peine dans les avant-postes et restrent
en place: ils se tinrent, chacun en sa place, autour du camp (v. 21); le texte est prcis.
Ainsi, pour entourer le camp, les trois cents lapeurs taient forcment clairsems, avec une
distance de soixante-dix mtres entre chacun d'eux. Et cela se passait la nuit! Comment,
cette distance, pouvaient-ils se voir les uns les autres et imiter tous ensemble Gdon brisant
son pot de terre? Quel pitre effet dut tre, en ralit; celui de trois cents cruches casses dans
une ligne circulaire de vingtun kilomtres! Trois cents hommes, entrant dans un camp en
111

phalange compacte, ne produiraient qu'un effet bien piteu x sur une surface de deux mille
deux cents hectares; plus forte raison, s'ils taient dissmins et demeuraient sur la ligne
extrieure, le rsultat serait absolument nul. C'est pourquoi le stratagme de Gdon ne
signifie rien de rien dans cette histoire; s'il a russi, l est vraiment le miracle; il a fallu que
Sabaoth ait fait faire trois cents trompettes le vacarme de trente mille, qu'il ait plus que
centupl le bruit des cruches brises, qu'il ait donn aux cris des lapeurs une multiplication
formidable par des chos surnaturels dont la Bible ne parle pas. Rduit ses termes mmes, le
rcit du divin pigeon est une blague invraisemblable, impossible et grotesque.
Quoi qu'il en soit, la suite de ce fait d'armes sans prcdent, Gdon devint extrmement
populaire dans tout Isral, et ses compatriotes lui offrirent la royaut; mais le hros, aussi
modeste que pratique, refusa les honneurs souverains, en ajoutant toutefois: Je prfre que
vous me donniez, chacun de vous, les bagues d'or de votre butin. Et le poids des bagues d'or
qu'il reut ainsi fut de mille sept cents sicles d'or (8:22-26).
L'auteur sacr nous apprend ensuite que Gdon, tant polygame, eut soixante-dix enfants; en
outre, d'une concubine habitant Sichem, il eut un garon, nomm Abimlec, qui fit bientt
parler de lui, d'une peu fraternelle faon (v. 30-31). Abimlec, dans un seul jour, coupa le cou
sur une mme pierre soixante-neuf de ses frres; un seul, le jeune Jotham, chappa
cette boucherie, s'tant cach pendant qu'Abimlec charcutait sa nombreuse famille (9:5).
Les Sichmites, trs fiers de leur compatriote, le btard de Gdon, le proclamrent roi; mais,
au bout de trois ans, Abimlec avait cess de plaire, et les rvoltes se multiplirent, fomentes
par un certain Gaal. Abimlec s'empara de la ville rvolte et massacra le peuple; les chefs de
l'insurrection s'tant runis dans la tour de Sichem, il en fit le blocus et incendia ce fort dans
un gigantesque feu de joie.
Il assigea, peu de temps aprs, une ville du nom de Tbets; mais l, il reut sur la tte une
meule de moulin que lui lana une femme du haut de la citadelle. Cette norme pierre lui brisa
le crne, comme on pense bien. Toutefois, Abimlec appela aussitt le jeune garon qui
portait ses armes et lui dit: Je meurs; mais tue-moi tout de suite, afin qu'il ne soit pas dit que
c'est une femme qui m'a tu. Alors, pour lui tre agrable, l'adolescent le transpera (ch. 9).
Abimlec, on le voit, avait de l'amour-propre.
Ainsi finit l'illustre btard de Gdon. Aprs lui, la Bible mentionne les sieurs Tolah et Jar,
qui furent juges d'Isral, l'un pendant vingt-trois ans, et l'autre pendant vingt-deux.

9 CHAPITRE

LES JUGES JEPHT ET SAMSON

Les leons de l'exprience ne profitaient gure aux Juifs, en ce temps-l: ils avaient toujours
des tendances abandonner le culte de Jhovah pour celui des autres dieux, et pourtant ils
savaient ce qu'il leur en cuisait d'adorer Baal, Astaroth. Dagon, etc., dont leur batailleur
Sabaoth tait fort jaloux. tant retombs dans l'apostasie, ils en furent punis par une nouvelle
servitude; cette fois, c'est aux Ammonites qu'ils furent livrs. Voil donc le sixime esclavage
des Isralites, dans ce pays mme qu'ils avaient conquis avec une arme de six cent mille
hommes, en cette contre o Josu avait compltement extermin les premiers occupants.
Au bout de dix-huit ans de servitude de son peuple, Jhovah se laissa toucher et suscita un
librateur: Jepht. homme fort et vaillant, tait fils d'une prostitue qui avait couch avec
Galaad. Mais Galaad avait eu de sa femme d'au trs enfants, et ceux-ci, quand ils furent
grands, chassrent Jepht comme fils d'une mre indigne; et Jepht, s'tant tabli dans la terre
de Tob, se mit la tte d'une troupe de gens sans aveu, avec lesquels il vagabondait en pillant
de tous cts. (11:1-3) Ce chef de bandits fut l'lu de Dieu.
112

En toute justice, il convient de dire que Jepht avait une qualit: il tait excellent pre. Il
possdait une fille, son unique enfant, et il fallait voir comme il la choyait, comme il la
dorlotait, comme il la bichonnait, comme il la couvrait de bijoux, comme il lui apportait
chaque jour des montagnes de cadeaux! Il est vrai que bijoux et cadeaux ne lui cotaient pas
cher.
Ses compatriotes s'adressrent donc lui pour secouer le joug des Ammonites. Il accepta et se
mit aussitt en campagne. Mais, le brigandage n'excluant pas la pit, Jepht, avant de partir
contre les Ammonites, fit vu Jhovah de lui immoler, s'il tait vainqueur, la premire
personne qu'il rencontrerait, venant de sa ville, son retour...
Rien n'est plus facile papa Bon Dieu que de donner la victoire ses protgs. Or, comme
d'une part le vieux Sabaoth chrissait son petit Jepht charmant, comme d'autre part il
apprciait le sacrifice qui lui tait promis, il dcupla les forces du capitaine hbreu, et celui-ci
tailla en pices les Ammonites. Le carnage fut trs grand, depuis Haroher jusqu' Minith, dit
la Bible, et vingt villes furent ravages.
Mais quelle surprise attendait notre hros, lorsqu'il rentra dans sa bonne ville de Mitspa!... Un
chur de jeunes filles, jouant de la flte et du tambourin, venait au-devant de lui pour clbrer
son triomphe; en tte d'elles, marchait la fille mme de Jepht, qui ne connaissait pas le vu
paternel, la pauvre bichette. C'tait ce qui peut s'appeler une tuile...
Un brigand n'a que sa parole. D'ailleurs, la fillette se prta de bonne grce au sacrifice: elle
demanda seulement et obtint deux mois de dlai pour pleurer sa virginit ; car c'tait le
plus grand malheur, pour les filles de cette nation, de mourir vierges. De l vient qu'il n'y eut
jamais de religieuses chez les Juifs. L'immolation eut donc lieu, Jepht prsidant lui-mme le
sacrifice, le deuil au cur et le visage inond de larmes (ch. 11). Quelqu'un, par exemple, qui
rigolait comme une tourte et qui se pourlchait les babines avec volupt, c'tait Jhovah. Il
reut, disent les thologiens, la jeune enfant dans son sein. Vieux farceur!...
Mais, aprs cette histoire, comment un tonsur pourrait-il dire que le peuple de Dieu s'abstint
des sacrifices humains? Aussi bien que le Moloch des Phniciens et des Carthaginois, le dieu
des Juifs, c'est--dire le dieu officiel d'aujourd'hui, agrait avec dlices l'hommage du sang
humain, malgr l'horreur toute naturelle qui s'attache de tels holocaustes.
Jepht ne se borna pas massacrer les Ammonites; il se rendit encore agrable Jhovah en
gorgeant quarante-deux mille de ses compatriotes, qui avaient une mauvaise prononciation.
Les gens d'Ephram, parat-il, prononaient, cha, che, chi, au lieu de a, ce, ci: c'taient les
Auvergnats de l'poque, pourrait-on dire. Jepht embusqua donc ses soldats au passage du
Jourdain, et alors... Il faut citer le texte sacr, c'est trop beau: Quand quelqu'un de ceux
d'phram se prsentait, en disant: Laissez-moi passer; les gens de Galaad l'interrogeaient en
ces termes: Dis un peu Scibboleth. Mais l'Ephramite disait Chibboleth, car il ne pouvait pas
prononcer comme il faut. Alors, le saisissant, ils le mettaient mort au passage du Jourdain.
Et il y eut ainsi quarante-deux mille hommes de la tribu d'phram qui furent tus. (12:5-6)
Jepht fut juge en Isral pendant six ans; puis, il mourut et eut pour successeurs Ibtsan, de
Bethlem; Elon, de la tribu de Zabulon, et Abdon, flls d'Hillel. Sous le gouvernement de
ceux-ci, les Hbreux vcurent en paix.
Nous voici arrivs au fameux Samson, le terrible parmi les terribles, l'Hercule biblique. Les
Philistins, qui n'avaient pas trop fait parler d'eux jusqu' prsent, entrent srieusement en
scne et vont, pendant des sicles, donner du fil retordre au peuple de Dieu. Ces mcrants
dbutrent par un asservissement de quarante annes; ils matrent les Juifs et ne leur
pargnrent aucune humiliation. Quand Jhovah dcrta qu'il tait temps de prparer la
dlivrance des enfants d'Isral, il s'y prit de bonne heure, cette fois, en employant une vieille
mthode: il envoya un ange au sieur Manoah, de la tribu de Dan, qui avait une femme strile;
peu aprs la visite de l'ange, M
me
Manoah fut enceinte. L'ange fit promettre la mre que son
enfant ne se couperait jamais les cheveux; M
me
Manoah mit au monde le providentiel bb,
113

M. Manoah fut dans une joie que je renonce dcrire, et l'enfant reut le nom de Samson (ch.
13).
Le gaillard, ds son jeune ge, fit preuve d'une force extraordinaire. Un jour, rien qu'en
s'amusant, il tua un des plus terribles lions de la contre. Ds qu'il fut pubre, il voulut se
marier, et, ce qui paratra bizarre de la part d'un lu de Dieu, c'est une philistine qu'il dsira
avoir pour femme: ses parents eurent beau lui rappeler que les mariages avec des filles
idoltres taient interdits par la loi de Mose, le jeune Sa mson rpliqua qu'il y avait exception
pour lui; il pousa donc sa philistine.
Pendant les noces, qui durrent plusieurs jours, il proposa une nigme aux jeunes gens de la
famille de son pouse: l'enjeu consistait en trente chemises et trente tuniques que ceux-ci
auraient offrir Samson, s'ils ne pouvaient parvenir deviner son nigme, et
rciproquement. La marie, qui tenait faire gagner ses parents ce lot important de frusques,
se fit dire par Samson le mot de l'nigme, le soir, sur l'oreiller, et l'enseigna ensuite aux jeunes
philistins. Samson, ayant ainsi perdu son pari, n'avait plus qu' s'excuter. Pour cela, il se
rendit Ascalon, chercha querelle trente philistins, qu'il embrocha sans la moindre
difficult, prit leurs chemises et leurs tuniques et les donna aux devineurs gagnants. Quant
sa femme, qui avait eu la rosserie de lui tirer les vers du nez et de le trahir, elle ne termina pas
son mariage avec lui: on tait au septime et dernier jour des noces; le beau-pre, ce soir-l,
sans prvenir Samson, adjugea la marie un compagnon, que le jeune hbreu considrait
comme son meilleur ami. (ch. 14)
Quelques jours aprs, Samson, ignorant qu'il avait t remplac, et ne gardant plus rancune
sa femme, se rendit chez elle, porteur d'un chevreau qu'il dsirait lui offrir. Mais, quand il fut
arriv la porte de la chambre, il se heurta au beau-pre, refusant de le laisser entrer. J'ai
cru, lui dit celui-ci, que tu avais conu de l'aversion tout--coup pour ma fille; aussi l'ai-je
donne ton compagnon. Mais, si tu veux ma fille cadette, tu n'as qu' parler. Voyons, n'est-
elle pas plus belle que sa sur ane? Je t'en prie, prends-la. Samson rpondit: Eh bien!
maintenant, quelque grand que puisse tre le mal que je ferai aux Philistins, je me tiendrai
pour innocent. (15:1-3) Voici quelle fut la premire vengeance de l'lu de Dieu: il prit trois
cents renards (pas un d plus, pas un de moins!); il les lia l'un l'autre par la queue, et y
attacha des flambeaux au milieu; et, ayant allum les flambeaux, il lcha les renards, qui
brlrent tous les bls des Philistins, tant ceux qui taient dans l'aire que ceux qui taient sur
pied, et les vignes et les oliviers (15:4-5).
Les Philistins, navrs de cet incendie et en ayant appris toutes les causes, se rendirent chez le
beau-pre de Samson et le brlrent vif, ainsi que sa fille; ils s'imaginaient que le courroux du
fils de Manoah serait apais ds lors.
Pas du tout; Samson leur dclara que sa vengeance contre tous les philistins sans distinction
venait peine de commencer; et il les battit dos et ventre (sic) et leur in fligea une grande
dfaite , la Bible ne dit ni o, ni comment, ni si ce fut en compagnie d'autres Hbreux ou tout
seul. Quoi qu'il en soit, la situation s'aggrava: tous les philistins se rassemblrent et camprent
parmi la tribu de Juda, se prparant tout massacrer.
Cependant, Samson s'tait retir sur le rocher de Htam, Trois mille hommes de la tribu de
Juda vinrent l'y trouver et l'accablrent de reproches, en lui faisant ressortir qu'ils n'taient pas
de taille lutter contre les Philistins, leurs assigeants.
Eh bien, leur dit Samson, attachez-moi solidement et livrez-moi nos ennemis; de cette
faon, ils vous laisseront tranquilles. Il fut fait ainsi. Les Philistins acceptrent avec joie
qu'on leur livrt un gaillard qui leur donnait tant de tintouin...
Mais, peine Samson avait-il t emmen par ses ennemis triomphants, qu'il rompit ses liens,
saisit une mchoire d'ne qui se trouvait l par terre, et, arm de cette massue improvise, il
assomma les mille Philistins qui lui servaient de gardiens.
114

Apres un exercice aussi violent, Samson se sentit quelque peu fatigu et surtout trs altr; or,
il tait dans un champ, et pas un puits l'horizon. Alors, fort press par la soif, il cria
l'Eternel: Tu as accord ton serviteur cette grande dlivrance; et maintenant mourrai-je de
soif et tomberai-je entre les mains des incirconcis? Et Dieu, ayant entendu Samson, fendit une
des dents molaires de cette mchoire d'ne, et une fontaine en jaillit; et quand Samson eut bu,
la force lui revint et il reprit courage. (15:18-19)
Cet exploit lui valut les honneurs de la magistrature suprme en Isral: il exera les hautes
fonctions de juge pendant vingt ans (v. 20).
Il est remarquer que Samson ne posait pas pour le magistrat de murs austres: cet lu de
Dieu frquentait les lupanars, au vu et au su de tout le monde. Un jour, il eut une aventure, qui
aurait pu fort mal tourner pour lui; mais Jhovah le protgeait, mme au milieu de ses
fornications. Voici l'historiette: Samson en pinait toujours pour les philistines; tant all
Gaza, ville forte qui appartenait aux ennemis d'Isral, il se fit hberger le soir par une
prostitue, avec qui il coucha; et la chose fut sue dans toute la ville, de sorte que les Philistins,
ayant confiance dans leurs portes qui taient fermes la nuit, dormirent tranquillement, se
promettant de se saisir de lui la pointe du jour et de le tuer; mais Samson se leva minuit et
quitta la maison de dbauche; suis arriv aux remparts, il arracha les portes de la ville, avec
leurs gonds et leurs montants, chargea le tout sur ses paules et en fit le transport trs loin,
jusqu'au sommet d'une montagne qui est vis--vis de Hbron. (16:1-3)
Incorrigible coureur de guilledou, Samson s'amouracha, un beau matin, d'une nouvelle
philistine, nomme mamzelle Dalila, dont il fit la connaissance en flnant sur les bords du
torrent de Sorek. Ds que ses ennemis le surent empaum par la belle, ils offrirent celle-ci
une somme considrable, si elle leur livrait son amoureux, aussi affaibli que possible.
Dalila n'y alla pas par quatre chemins; elle demanda carrment Samson quel tait le secret
de sa force. La faon dont l'Hercule juif se laissa prendre au pige est tellement bbte, qu'il
est bon, ici encore, de citer tout au long le texte divin:
Dalila, donc, dit Samson: Dclare-moi, je t'en prie, en quoi consiste ta grande force et avec
quoi il faudrait le bien lier pour te dompter. Et Samson lui rpondit: Si on me liait de sept
cordes fraches, qui ne fussent point encore sches, je deviendrais sans force, et je serais
comme un autre homme. Alors, les gouverneurs des Philistins lui envoyrent les sept
cordes fraches, et elle l'en lia. Or, elle avait chez elle, dans sa chambre, des gens qui se
tenaient cachs, et elle lui dit: Les Philistins sont sur toi, Samson! Mais il rompit les cordes,
comme se romprait un filet d'toupes ds qu'il sent le feu; et le secret de sa force ne fut point
connu. Puis, Dalila dit Samson: Allons, tu t'es moqu de moi; car tu m'as dit des
mensonges. Je t'en prie, dclare-moi maintenant avec quoi tu pourras tre bien li. Et il lui
rpondit: Si on me liait serr de grosses cordes neuves, dont on ne se serait jamais servi, je
deviendrais sans force et je serais comme un autre homme. Dalila, donc, prit de grosses
cordes neuves, et elle lia Samson, puis elle lui dit: Les Philistins sont sur toi, Samson! Or, il y
avait encore des gens cachs dans la chambre; et il rompit les grosses cordes de dessus ses
bras comme un filet. Puis, Dalila dit Samson: Tu t'es moqu de moi jusqu'ici, et tu ne
m'as dit que des mensonges. Finissons-en; rvle-moi avec quoi il faudrait te lier. Et il lui dit:
Eh bien, voici; ce serait si tu avais tissu sept tresses de ma chevelure autour d'une ensuble.
Et elle les mit dans l'ensuble avec la cheville, pendant qu'il dormait; et elle cria tout coup:
Les Philistins sont sur toi, Samson! Alors, il se rveilla de son sommeil, et enleva la cheville
du mtier avec l'ensuble. Alors, elle lui dit: Pourquoi dis-tu que tu m'aimes, puisque ton
cur n'est point avec moi? Tu t'es moqu de moi trois fois, et tu t'obstines me cacher en
quoi consiste ta grande force. Et elle le tourmentait tous les jours par; es paroles et le
pressait jusqu'au bout, de sorte que son me en tait trs afflige. Alors, il lui ouvrit tout
son cur et lui dit: Le rasoir n'a jamais pass sur ma tte; car je suis nazaren, vou Dieu
ds le ventre de ma mre. Si j'tais ras, ma force m'abandonnerait, et je deviendrais comme
115

tous les autres hommes. Dalila, donc, voyant qu'il lui avait ouvert tout son cur cette fois,
envoya appeler les gouverneurs des Philistins et leur fit dire. Vous pouvez monter vers moi;
car il m'a ouvert tout son cur. Les gouverneurs s'empressrent de venir vers elle, apportant
l'argent promis. Et, quand elle les eut fait cacher, Dalila endormit Samson sur ses genoux,
et, ayant appel un homme, elle lui fit raser sept tresses des cheveux de sa tte; ds lors, elle
commena de le dompter, car sa force l'abandonnait. Alors, elle cria: Les Philistins sont sur
toi, Samson! Et lui, en s'veillant, il se disait: J'en sortirai comme les autres fois, et je me
dgagerai de leurs mains. Mais il ne savait pas que l'ternel s'tait retir de lui. Les
Philistins, donc, le saisirent, et lui crevrent les yeux; et ils l'emmenrent Gaza, le jetrent
dans une prison, li de deux chanes d'airain; et l, ils l'obligrent tourner, tous les jours, une
lourde meule de moulin. (16:6-21)
Il serait difficile, je crois, d'imaginer un conte plus stupide. De la premire ligne la dernire,
dans cet pisode du livre des Juges, tout est idiot, et il n'y a pas l de quoi amuser les enfants
mme les plus imbciles. A propos de l'histoire de Samson, lord Bolingbroke disait qu'il n'y a
de mchoire d'ne dans cette fable que celle de l'auteur qui l'inventa. C'est une grossire
imitation, un plagiat maladroit et grotesque de la fable paenne d'Hercule, de mme que le
sacrifice d'Iphignie a visiblement inspir le narrateur du vu de Jepht aboutissant
l'immolation de sa fille. Il est vrai que les thologiens insinuent que c'est plutt la mythologie
grecque qui aurait copi et dnatur la Bible: mais il est facile de leur rpondre avec des dates
prcises, dont quelques-unes sont fournies par eux-mmes. Leur opinion est que se livre des
Juges a t crit par Samuel, du temps de Sal; or, chez les Grecs, il tait question d'Hercule
trs antrieurement la guerre de Troie, et il y a plus de deux cents ans entre la guerre de
Troie et l'lection de Sal. Le R. P. Petau, jsuite, fait natre Hercule l'an 1289 avant notre re,
et le mme Petau ne fait commencer les exploits de Samson que onze cent trente-cinq ans
avant la mme re. Suppos qu'il et commenc vingt-cinq ans, il serait donc n en 1110;
mme si l'on admet l'existence nullement prouve de ces deux terribles personnages, il rsulte
de cela qu'Hercule naquit cent soixante-dix-neuf ans avant Samson: ainsi les thologiens sont
pris leur propre chronologie.
En outre, il est remarquer que la fable paenne a t plus intelligemment imagine que la
fable juive; la fin d'Hercule est moins inepte que celle de Samson. Dans la mythologie
grecque, le demi-dieu fut tellement sduit par la beaut d'Omphale, qu'il en oublia ses
habitudes errantes et ses exploits guerriers, et se fixa auprs de sa nouvelle amante, qui prit
sur l'esprit d'Hercule un empire absolu: alors, tandis que la reine de Lydie s'amusait se vtir
de la dpouille du lion de Nme et s'armer de la redoutable massue du hros, celui-ci, assis
aux pieds de la princesse, couvert comme une femme d'une longue robe de pourpre, essayait
de filer la laine, rompait tous les fuseaux et recevait en riant les coups de pantoufle que lui
appliquait sa joyeuse matresse. Cet pisode caractrise suffisamment l'influence que peut
prendre une femme aime sur l'homme, mme le plus hroque; mais ici l'allgorie ne franchit
pas les limites du possible et reste croyable.
Si Hercule oublie sa dignit, il n'en est pas moins vrai qu'on est en prsence de deux amants
qui s'amusent; ils voyagent, ainsi travestis; Omphale oublie elle-mme son royaume et
emmne Hercule coucher avec elle dans des grottes, loin de sa cour. Hercule, un beau jour,
trompe Omphale et s'amourache d'une de ses suivantes, la jolie Matis, dont il a un fils,
Agsilas. De Matis, il passe Iole, fille du roi Eurythus. Enfin, Djanire, sa femme,
dsespre de ses infidlits, lui envoie la tunique du centaure Nessus, qu'elle croit un
talisman ayant la puissance de ramener les maris coureurs leurs devoirs conjugaux, et
Hercule, dans les douleurs que lui causent la tunique empoisonne qui s'est colle sa chair et
qu'il ne peut arracher, se rsout au suicide pour terminer plus vite ses souffrances; il construit
un immense bcher sur le mont ta, l'allume et se prcipite dans les flammes.
116

La fin de la lgende d'Hercule retombe dans l'incroyable; mais, du moins, quoi de plus
potique que la mort du fils de Jupiter et d'Alcmne?... Puisque le Saint-Esprit est l'auteur de
la Bible, il nous oblige lui dire que ses contes sont forts au-dessous des lgendes paennes
des Grecs et des Romains. Ovide, racontant le tragique suicide d'Hercule, est infiniment
suprieur au divin pigeon, dont le Samson est d'un ridicule achev.
Les dieux de l'Olympe s'apitoient sur les douleurs de l'poux de Djanire; mais Jupiter les
rassure, et nous avons l une des plus belles pages de la mythologie paenne.
Que le bcher dta n'alarme plus votre me!
Qui, qui sut vaincre tout saura vaincre la flamme.
L es feux vont purer ce qu'il eut do mortel.
Ce q u'il eut do divin, impassible, ternel,
Ne craint point do Vulcain l'atteinte meurtrire.
Mon fils va secouer son argile grossire,
Et bientt, nouveau dieu, se placer parmi vous,
Si quelque dit le voit d'un il jaloux,
Elle avora du moins, bien qu'elle s'en indigne,
Que, si l'honneur est grand, le hros en est digne.
Cet arrt dos dieux prvenu le dsir;
Junon mme, Junon l'entend sans dplaisir;
Mais, ces derniers mots, qui condamnent sa haine,
Son dpit sur son front se dguise avec peine.
Le hros dans le feu triomphe de Vulcain;
Son air est plus auguste, il n'a plus rien d'humain:
Il n'a plus rien des traits qu'il reut do sa mre,
Immortel par sa mort, il ressemble son pre.
Tel qu'un serpent superbe, aux rayons du soleil,
De sa nouvelle caille allume l'or vermeil
Et semble avec sa peau dpouiller sa vieillesse,
Tel, de l'humanit dpouillant la faiblesse,
Hercule a pris d'un dieu l'auguste majest
Et semble se vtir de l'immortalit.
Des airs en un moment traversant la carrire,
Il s'lve, emport sur un char de lumire.
(OVIDE, Mtamorphoses, livre 9; traduction de Delille.)
Mais, si le paganisme tait souvent plein de posie dans ses lgendes, par contre, peut-on
rver rien de plus plat que l'Hercule biblique? Que l'pisode de Samson et de Dalila soit une
contrefaon de l'aventure d'Hercule chez Omphale, cela parat hors de doute; toutefois, il
semble que l'Esprit-Saint aurait pu mieux camper son hros; Samson se mfie de sa matresse,
puisque par trois fois il lui conte une craque au sujet de sa force; et, aprs avoir constat trois
fois que sa confidence lui vaut d'avoir se dbattre contre ses ennemis, il rvle, la quatrime
fois, toute la vrit , cette femme dont la perfidie est vidente. Il y a l une impossibilit qui
crve les yeux, plus vivement encore que furent crevs ceux de Samson; ou bien ce juge
d'Isral tait le dernier des gagas. Sans compter qu'on se demande comment Samson, ayant
perdu toutes ses forces, fut astreint, dans sa servitude, tourner quotidiennement une lourde
meule de moulin! C'tait le cas, au contraire, de lui imposer, pour humiliation, l'avilissement
d'Hercule filant de la laine ou tout autre travail de femmelette...
117

La conclusion clate, d'ailleurs, de plus en plus en btise et en contradiction. Les Philistins,
sachant que la force de leur prisonnier rside dans sa lignasse, devraient le raser au moins tous
les quinze jours. Pas le moins du monde! ils laissent ses cheveux repousser et ne se mfient de
rien. Et les cheveux de Samson commencrent revenir, et ils furent sur sa tte comme ils
taient au jour o il fut ras chez Dalila (16:22). L-dessus, les gouverneurs philistins
donnent une grande fte Gaza, en l'honneur de leur dieu Dagon; Samson est tir de sa
prison; on l'amne dans un immense palais, o il y avait trois mille personnes, tant
d'hommes que de femmes ; on fait placer le captif entre deux piliers qui soutenaient tout
l'difice (sic). Samson, donc, embrassa les deux piliers du milieu, sur lesquels le palais tait
appuy, et il se tint eux: l'un tait sa droite, et l'autre sa gauche. Et il dit: Que je meure
avec tous les Philistins! Il tendit alors les bras de toute sa force, et le palais s'croula sur les
gouverneurs et sur tout le peuple qui y tait. Et il fit mourir beaucoup plus de gens dans sa
mort qu'il n'en avait fait mourir pendant sa vie. (16:29-30)
Sans avoir aucune tendance au paganisme, on trouvera certainement la mort d'Hercule
beaucoup plus intressante que celle de Samson.
Quant la vie des deux hros, si l'on veut comparer l'une l'autre, quelle pitre existence
mena Samson! et comment ses maigres exploits pourraient-ils lever l'me, mme en se
plaant au point de vue religieux!... Car, d'aprs la Bible elle-mme, si Samson met en
capilotade les Philistins et incendie leurs rcoltes, ce n'est nullement sous l'inspiration d'une
haine patriotique contre la nation qui opprime ses frres juifs, ni pour venger Jhovah de la
concurrence du dieu Dagon. Il satisfait purement et simplement une haine personnelle, aprs
avoir vcu dans les meilleurs termes avec les perscuteurs de ses compatriotes. Vex au plus
haut point de ce qu'une philistine, dont il est pris, n'a t sa femme que pendant six jours et
est devenue, par le caprice de son beau-pre, l'pouse dfinitive d'un philistin, qui est son plus
intime ami, il soulage sa rancune en faisant aux Philistins tout le mal qu'il peut, il exerce une
vengeance particulire qui n'a rien voir avec une revanche nationale; bien plus, il mprise
les vierges d'Isral, et c'est toujours vers les gadoues philistines que le porte son cur.
Jhovah? il s'en soucie comme de sa premire chemise!...
Hercule, au contraire, est vraiment le hros national de la Grce, et si ses exploits nous
laissent incrdules, il n'en est pas moins vrai qu'ils sont inspirs, dans leur lgende, par les
plus nobles sentiments: il n'est pas seulement la personnification de la force; il met cette force
au service des faibles avec une admirable gnrosit. Ds son adolescence, lorsqu'il rencontre
sur sa route le Vice et la Vertu, qui, sous la forme de deux femmes, tentent l'envi de l'attirer
elles, quel choix fait Hercule? L'une fait briller ses yeux mille sductions bien capables de
gagner un jeune homme; elle montre ses regards un chemin large, commode et bord de
fleurs embaumes, tandis que l'autre lui dcouvre un sentier escarp, troit et aride. Le fils
d'Alcmne, avec un discernement au-dessus de son ge, se dcid pour le sentier de la vertu,
malgr les difficults de ses abords, parce qu'il comprend que c'est la voie du bonheur et qu'il
pressent, au bout de l'autre, le remords impitoyable. Tous les papes infaillibles pourront
s'poumonner nous crier que le paganisme est l'uvre du dmon, ils n'empcheront pas
l'enseignement de cette allgorie paenne d'tre essentiellement moral. Ensuite, Hercule,
passant sa vie combattre les tyrans et les monstres, agit pour le bien de l'humanit; il lutte
contre les flaux de toute espce, il extermine les plus cruels brigands. Aux yeux de
quiconque rflchit, le parallle est crasant pour le hros de la Bible; il faut une insigne
mauvaise foi ou tre un pieux crtin pour prfrer Samson Hercule. En mettant celui-ci sur
leurs autels, les paens adoraient un hros sympathique; en faisant vnrer par leurs ouailles
l'amant de Dalila, en disant qu'il faut voir en lui un saint, un lu de Dieu, les tonsurs font
uvre d'abrutissement, trompent avec cynisme et placent, en somme, l'aurole sur la tte d'un
sale monsieur.
118

Dans le livre des Juges, nous trouvons encore un pisode qui, comme beaucoup d'autres,
d'ailleurs, n'est gure fait pour relever le prestige du peuple isralit e; c'est l'aventure du
lvite d'Ephram, de sa concubine et des Benjamites.
Ce cur juif avait pris une concubine, femme de Bethlem, appartenant la tribu du Juda. Un
jour, cet estimable couple, tant en voyage, s'arrta Gabaa, et reut l'hospitalit chez un
vieillard, qui leur offrit gnreusement dner, mettant en leur honneur les petits plats dans
les grands. En avant, la citation textuelle! Tandis qu'ils faisaient bonne chre, les gens de la
ville, qui taient de mauvais garnements, environnrent la maison, frappant coups redoubls
contre la porte et criant au vieillard: Fais-nous sortir ce lvite, car nous voulons nous en servir
comme d'une femme t Mais le vieillard, allant eux, leur dit: Mes frres, je vous en prie,
renoncez votre dsir de commettre un tel pch; ce lvite est mon hte; ne consommez pas
cette folie. Au surplus, j'ai ma fille qui est vierge, et l lvite est ici avec sa concubine. Je vais
donc vous amener ma fille et la concubine du prtre; vous violerez ces deux femmes autant
que vous voudrez; cela vaudra mieux que d'assouvir votre dbauche sur ce lvite. Or, ces gens
ne voulurent pas accepter la proposition du vieillard; alors le lvite poussa lui-mme sa
concubine hors de la maison; ils la prirent, et tous les mles de la ville passrent sur elle, cette
nuit-l. Quand les tnbres furent dissipes, la femme retourna la porte de la maison; mais
elle tait tellement faible par suite de tant de viols, qu'elle tomba sur le seuil. Quand le lvite
se leva, l'aurore, il sortit pour se remettre en route, et voil qu'il se heurta contre le corps de
sa concubine tendue par terre. Il lui dit: Allons, lve-toi, nous partons. Mais elle ne rpondit
point. Alors, il la chargea sur son ne et s'en retourna chez lui, Ephram. L, il prit un grand
couteau, et il dcoupa le corps de sa concubine en douze morceaux, et il envoya un des
morceaux du cadavre chacune des tribus d'Isral. (19:22-29)
Lord Bolingbroke, commentant cet pisode, dit qu'il semble d'abord une copie de
l'abomination des Sodomites, qui voulurent violer deux anges; il ajoute que le peuple juif se
montre ainsi le plus excrable des peuples. A son avis, il tait presque pardonnable des
Grecs voluptueux, des jeunes gens parfums, de s'abandonner, dans un moment de
dbauche, des excs trs condamnables, dont on a horreur dans la maturit de l'ge; mais
que dire de ces Gabates, plus ignobles que des chiens en rut! On se demande s'il est possible
de trouver, dans un livre qu'on prtend inspir par l'Esprit-Saint, quelque chose de plus
rpugnant que l'aventure de ce prtre concubinaire, porteur, sans aucun doute, d'une grande
barbe la manire des prtres orientaux, qui, arrivant de loin sur son ne et couvert de
poussire, inspire nanmoins des dsirs impudiques tous les mles d'une ville! Il n'y a rien,
crit Bolingbroke, dans les histoires les plus rvoltantes de toute l'antiquit, rien qui approche
d'une infamie si peu vraisemblable. Encore les deux anges de Sodome, tant dans la fleur de
l'ge, devaient tre d'une clatante beaut, comme il convient des anges, et pouvaient tenter
les malheureux Sodomites; mais le got des Gabates n'est-il pas le dernier degr de la
dpravatio n?...
Quant l'ide d'envoyer un morceau du corps de la concubine chaque tribu, elle est encore
sans exemple et fait frmir. il fallut donc envoyer douze messagers, chargs de ces horribles
restes. Mais o taient alors les douze tribus? qui, dans chaque tribu, remit-on ce douzime
de cadavre, puisque les tribus se trouvaient sans chefs officiels, les Isralites disperss, en
servitude, subissant le joug des Philistins?...
Alors, tous les enfants d'Isral s'assemblrent comme un seul homme, depuis Dan jusqu'
Ber-Sc bah, et jusqu'au pays de Galaad, vers l'Eternel, Mitspa. Et toutes les tribus se
trouvrent dans l'assemble du peuple de Dieu, au nombre de quatre cent mille hommes de
pied, qui tiraient l'pe (20:1-2). N'oublions pas, certes, que ceci se passe immdiatement
aprs la mort de Samson, alors que les Philistins tiennent les Hbreux dans un esclavage des
plus durs. Comment les douze tribus s'assemblrent-elles? comment leurs matres tolrrent-
ils cette vaste runion arme? La Bible ne le dit point; il semble que le divin pigeon a
119

compltement oubli la lamentable situation dans laquelle le peuple de Dieu gmit. C'tait,
cependant, aux Philistins, possesseurs du pays, qu'on devait s'adresser pour obtenir le
chtiment d'un crime commis chez eux: c'est l le droit de tous les souverains, droit dont ils
ont t extrmement jaloux dans les temps.
Plus loin, le texte donne vingt-six mille sept cents combattants la tribu de Benjamin (v. 15)
qui prit parti pour les coupables, et il maintient aux onze autres tribus quatre cent mille
hommes tirant l'pe, tous gens de guerre (v. 17).
En supposant la population gale, dit Voltaire, chaque tribu aurait eu trente-cinq mille
quatre cent seize soldats. Et en ajoutant les vieillards, les femmes et les enfants, chaque tribu
devait tre compose de cent quarante-un mille six cent soixante-quatre personnes, qui font,
pour les douze tribus, un million six cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent soixante-huit
personnes sans parler des lvites. Or, pour qu'on tnt en servitude un nombre si prodigieux
d'individus, parmi lesquels il y avait quatre cent vingt-six mille hommes d'armes, il aurait
fallu au moins huit cent mille soldats bien arms. Et comment les matres laissaient-ils des
armes leurs esclaves, quand il est dit, au livre des Rois, chap. 13, que les Philistins ne
permettaient pas aux Juifs d'avoir un seul forgeron, de peur qu'ils ne fissent des pes et des
lances , et que tous les Isralites taient obligs d'aller chez les Philistins, leurs matres,
pour faire aiguiser le soc de leurs charrues, leurs hoyaux, leurs cognes et leurs serpettes?
Dans lequel de ces deux passages contradictoires de la Bible, le divin pigeon dit-il une
blague? en quels versets l'Esprit-Saint se moque-t-il le mieux de la crdulit des fidles?
Nous allons voir, maintenant, quelle srie de massacres occasionna le multiple viol de la
concubine du lvite. A l'assemble des quatre cent mille hommes d'armes, le cur juif raconta
en partie ce qui s'tait pass; pour pouvoir se faire entendre d'un aussi nombreux auditoire, il
faut admettre que notre homme tait dou d'une belle voix. La Bible donne son discours;
passant rapidement mots couverts sur l'empalement dont il avait failli tre victime de la part
des Gabates surexcits, il se borna demander vengeance pour le crime commis contre sa
dfunte matresse: Ils ont tellement viol ma concubine, qu'elle en est morte! s'cria-t-il.
Il n'est pas inutile de remarquer que, dans le premier rcit, tous les mles de la ville sont
reprsents comme ayant viol la malheureuse, et qu' la suite du discours de l'amant
dcoupeur, matre Pigeon-Dieu nous apprend que les habitants de Gabaa comptaient sept
cents d'entre eux, excellents soldats, trs robustes, qui lanaient des pierres avec la fronde et
ne manquaient jamais le but (20:16). Cet effroyable viol commis par tous les mles d'une
ville ayant dur toute la nuit, mais une seule nuit, si l'on ne retient comme coupables que les
sept cents Gabates robustes guerriers, et si l'on considre que le forfait fut accompli en t et
non en hiver, par consquent, dans une nuit de dix heures au maximum, on constatera que ces
enrags taient des gaillards fort expditifs. videmment, l'infortune ne put se dfendre
contre tant d'assaillants, et elle ne fut bientt qu'une masse inerte, sur laquelle ces misrables
se ruaient; mais encore est-on stupfait de compter qu'ils violrent la concubine du cur
raison de soixante-dix viols par heure! moins d'une minute pour chacun ! Il devient donc
ncessaire de croire que, ds le dbut du crime, ces sclrats avaient organis entre eux un
service d 'ordre, et qu'arrivant la queue-leu-leu ils se pr sentaient d'abord au contrleur,
chacun avec son numro, pour ne pas perdre de temps, comme cela se pratique aux stations
d'omnibus, et chacun, au surplus, tant prt monter en voiture. Allez dire, aprs cela, que
tout n'est pas merveilleux dans la sainte Bible!...
La srie des massacres n'est pas moins mirobolante.
Les enfants d'Isral, marchant ds la pointe du jour, vinrent se camper prs de Gabaa; mais
les enfants de Benjamin sortirent de Gabaa et se rangrent en bataille. Et, dans le premier jour
de cette guerre, les Benjamites turent vingt-deux mille hommes de l'arme d'Isral. (20:19-
21) On est d'abord tonn ici que Jhovah protget les Benjamites, qui taient du parti le plus
coupable, contre tous les Isralites, qui taient du parti le plus juste. A la seconde bataille,
120

les enfants de Benjamin turent encore dix-huit mille hommes de l'arme d'Isral (20:25).
Cela fait quarante mille dfenseurs de la bonne cause massacrs dj. C'est navrant! Mais
attendez la fin. A prsent, les enfants d'Isral vont tre entirement vainqueurs, et cela nous
consolera. Tout ce qui peut faire un peu de peine, c'est le nombre fantastique de juifs gorgs
par leurs frres, depuis l'adoration du veau d'or jusqu' ces guerres intestines.
Ce qui valut l'arme d'Isral la victoire dfinitive, ce ne fut pas la bont de sa cause, mais
une prire qui fut adresse Sabaoth... devinez par qui?... par Phines, fils d'Elazar et petit-
fils d'Aaron (v. 28)... Il n'tait donc pas mort, notre vieux Phines; mais voil longtemps, tout
de mme, qu'il n'avait plus fait parler de lui!...
Alors, dix mille hommes d'lite, de l'arme d'Isral, vinrent contre Gabaa, et la mle fut
rude; et les enfants d'Isral, ce jour-l, turent vingt-cinq mille combattants de la tribu de
Benjamin (20:34-35). Les Benjamites virent alors qu'ils taient battus (v. 36)... Puis, ils
tournrent le dos devant l'arme d'Isral, et ils s'enfuyaient vers le chemin du dsert: mais
l'arme d'Isral les serra de prs, et les Isralites environnrent donc ceux de Benjamin, les
poursuivirent depuis Menuha jusqu' l'opposite de Gaba a; et les Benjamites, tant entours de
leurs ennemis, perdirent dix-huit mille hommes, tus en cet endroit, tous gens de guerre et trs
robustes (v. 42-44). Alors, ceux de Benjamin qui taient rests fuirent vers le rocher de Ri
mmon; et ceux d'Isral en turent l encore cinq mille par les chemins, et, continuant la
poursuite jusqu' Guidhom, ils en turent encore deux mille (v. 45)... Il y eut six cents
hommes, de ceux qui avaient tourn le dos, qui chapprent au massacre, en se rfugiant sur
le rocher de Rimmon, o ils demeurrent quatre mois. Et ceux d'Isral retournrent du
combat, turent tout ce qui restait dans Gabaa, depuis les hommes jusqu'aux btes; et ils
brlrent aussi toutes les villes et tous les villages de la tribu de Benjamin. (v. 47-48)
Dans ce rcit, l'Esprit-Saint, prodiguant les chiffres, parat s' tre quelque peu embrouill. Il
nous avait dit tout d'abord que les soldats de la tribu de Benjamin taient en tout vingt-six
mille sept cents, y compris les robustes guerriers de Gabaa. Si nous savons bien compter,
voil cinquante mille combattants benjamites tus coup sur coup dans ces batailles qui se
succdrent avec une rapidit vertigineuse. Donc: ou les Benjamites se multiplirent dans
l'action, tant et si bien que leur nombre se doubla, ce qui serait un miracle des plus curieux; ou
bien le Saint-Esprit, en dictant le sacr livre, a perdu l'arithmtique, ce qui serait un miracle
encore plus patant!
Mais le plus beau de l'histoire, c'est notre cher Phines qui se trouve l, au moment o
personne ne l'attendait, certes! il y avait belle lurette que nous nous l'imaginions mort et
enterr, sinon auprs de son aeul Aaron, du moins dans le tombeau de son pre Elazar. Et il
n'y a pas s'y tromper; le verset 28 du chap. 20 du livre des Juges est trs prcis: il ne s'agit
nullement d'un homonyme; car le Phines qui prie Sabaoth en faveur de l'arme d'Isral
contre les Benjamites, est bel et bien qualifi de fils d'Elazar et petit -fils d'Aaron .
a ne vous dit rien, a?... Eh bien! comptez un peu sur vos doigts, et vous serez renvers!
C'est ce mme Phines que nous avons vu, du vivant de Mose, embrocher avec une javeline
l'hbreu Zimri et la jolie madianite Cozbi, au moment o l'amoureux couple soupirait les plus
tendres soupirs. Le livre des Nombres, qui nous donna, en son chapitre 25, le compte-rendu
officiel de cet exploit de lvite, nomme expressment le Phines transperceur: fils d'Elazar
et petit-fils d'Aaron (v. 7 et 11). Et l'incident se passait au pays de Moab, avant l'arrive des
Hbreux la Terre Promise, trs antrieurement au passage du Jourdain. Or, il en a coul, de
l'eau, sous le pont, depuis l'embrochade de Zimri et Cozbi jusqu' l'crabouillade gnrale des
Benja mites, laquelle est postrieure la mort de Samson et termine le livre des Juges!...
On n'a pas oubli que, parmi les Isralites qui avaient vingt ans ou plus au moment de la sortie
d'gypte, le gnral Josu et le sieur Ca leb furent les seuls qui Jhovah octroya la faveur de
l'entre en Canaan; d'autre part, la Bible nous dit que Josu mourut l'ge de cent dix ans. En
ajoutant ses quarante annes de voyage dans le dsert aux vingt ans d'ge de sa traverse de la
121

mer Rouge, on trouve qu'il avait soixante ans quand il succda Mose; par consquent, il
commanda et gouverna les Hbreux durant cinquante annes.
Faisons donc, en parcourant les livres de Josu et des Juges, le compte du temps coul entre
le passage du Jourdain, auquel assistait le jeune et bouillant Phines, accompagnant son pre
Elazar, et le massacre des Benjamites:
Gouvernement de Josu, cinquante ans. Le verset 10 du livre 2 des Juges dit qu'il y eut ensuite
une gnration qui n'avait point connu les uvres que l'ternel avait faites pour son peuple
; soit, au minimum, vingt ans. Survient la premire servitude des Hbreux, celle de Chuzan-
Rischatajim, roi de Msopotamie: huit ans. Dlivrance, gouvernement du juge Othoniel:
quarante ans. Deuxime servitude, celle du roi Eglon: dix-huit ans. Grce au juge Aod, le joug
des Moabites est secou, et le peuple de Dieu a un long repos: quatre-vingts ans. Troisime
servitude, celle du roi Jabin: vingt ans. Triomphe de M
me
Dbora et de Barac, nouveau repos:
quarante ans. Rentre en scne des Madianites, quatrime servitude: sept ans. Vocation de
Gdon, dlivrance: quarante ans de paix. Les Hbreux retombent sous le joug; cette fois, le
despote est un des leurs; tyrannie d'Abimlec: trois ans. Gouvernement du juge Tolah: vingt-
trois ans. Gouvernement du juge Jar: vingt-deux ans. Sixime servitude, celle des
Ammonites: dix-huit ans. Dlivrance par Jepht, et gouvernement de ce juge: six ans.
Gouvernement pacifique de trois autres juges: Ibtsan, sept ans; Elon, dix ans; Abdon, huit ans.
Septime servitude, la premire sous le joug des Philistins: quarante ans. Exploits et
gouvernement du juge Samson: vingt ans. Au total: quatre cent quatre-vingts ans s'coulrent
donc entre le passage du Jourdain et la mort de Samson. Conclusion: Phines, grand-prtre,
avait par consquent cinq cents ans au moins, quand il pria Sabaolh-Jhovah contre les
Benjamites, quand il supplia le ciel de venger la concubine du lvite d'Ephram, viole en une
nuit par sept cents enrags mles de Gabaa... Et voil l'Histoire!
Mais pourquoi le texte biblique oublie-t-il de nous indiquer l'ge exact du grand-prtre
Phines?... Un peu de prcision et t utile; car les sceptiques pourraient dire que le divin
pigeon, en se brouillant avec l'arithmtique, a perdu la mmoire de sa chronologie,
chronologie officielle et sacre, s'il vous plat!
Or, les onze tribus isralites qui avaient massacr celle de Benjamin se repentirent bientt de
leur uvre de destruction. On gmissait, en disant: Hlas! faut-il qu'une de nos tribus
disparaisse?... Puis, on pensa aux six cents Benjamites qui vivaient tant bien que mal sur le
rocher de Rimmon. Pourquoi ne seraient-ils pas la graine destine repeupler Benjamin?...
Oui, mais voil! Ds l'ouverture des hostilits, on avait jur, Mitspa, de ne jamais donner
une fille isralite en mariage un benjamite. Tandis qu'on cherchait la solution du problme,
un malin dit: Il n'y a qu' s'enqurir et dcouvrir les familles qui ne se sont pas trouves
Mitspa et qui n'ont pas prt ce serment. L'enqute fut ordonne; son rsultat fut la
constatation que les juifs de Jabs avaient manqu au rendez vous o l'on jura l'extermination
des Benjamites. Alors, massacre des bons juifs de Jabs, l'exception de quatre cents
pucelles, que l'on envoya au rocher de Rimmon. Mais les habitants de ce rocher firent
observer que les pucelles n'taient pas en nombre suffisant; deux cents des Benjamites
survivants n'taient pas pourvus; cela devenait trs grave. Sur ces entrefaites, les magistrats
songrent la grande fte de Jhovah, qui allait se clbrer Scilo, et ils rendirent le verdict
que voici: Les Benjamites non pourvus de femmes sont, exceptionnellement, autoriss faire
des enlvements pendant les crmonies religieuses et les rjouissances de Scilo. Les
Benjamites enlevrent donc deux cents danseuses; les papas et les mamans n'eurent pas le
droit de protester, et tout le monde, except eux, fut content. Enfin, les descendants de
Benjamin rebtirent leurs villes brles.
Ainsi finit le livre des Juges.
Cette manire de repeupler une tribu a paru bien singulire tous les critiques; mais, comme
les critiques sont des impies, que peuvent importer leurs objections? D'ailleurs, l'arche de
122

Dieu tait Scilo pendant les ftes; donc, Dieu tait prsent, et, puisqu'il ne fit pas sortir de
terre les flammes qui dvoraient instantanment les grands criminels, c'est une preuve qu'il
approuvait les ravisseurs. Demeurez donc muets, critiques! inclinez-vous devant les
impntrables desseins de la Providence divine!

10 CHAPITRE

SUAVE IDYLLE DE LA BELLE RUTH

Oh! les larmes d'attendrissement que versent les sensibles dvots sur la touchante histoire de
Ruth et de Nomi!... Avec quelle douce joie nous l'abordons notre tour!...
Dans le temps o les Juges gouvernaient le peuple d'Isral, une famine dsola le pays; c'est
pourquoi un homme de Bethlem, de la tribu de Juda, s'en alla au pays de Moab pour y
habiter, et il emmena sa femme et ses deux fils. Cet homme se nommait Elimlec; sa femme,
Nomi; ses deux fils, Mahlon et Kiljon. Ils se fixrent donc au pays de Moab. Or, Elimlec y
mourut; mais Nomi y demeura nanmoins, avec ses deux fils, qui pousrent des femmes
moabites, dont l'une s'appelait Orpha et l'autre Ruth. Leur sjour en ce pays fut de dix ans
environ, au bout desquels Mahlon et Kiljon moururent. Ainsi Nomi resta seule isralite en
Moab. (Livre de Ruth 1:1-5)
Un jour, Nomi entendit dire que Jhovah avait rendu visite son peuple et lui avait
distribu du pain. Alors, elle se leva, fit lever ses belles-filles et leur apprit qu'elle quittait le
pays de Moab pour s'en retourner Bethlem. Quand elle fut hors de la maison, elle s'aperut
que ses belles-filles marchaient avec elle; celles-ci, en effet, avaient pris le chemin qui conduit
la contre habite par les descendants de Juda. Alors, Nomi dit ses deux belles-filles:
Allez-vous-en, et que chacune de vous retourne tout de suite chez sa mre. Vous avez t bien
aimables pour mes fils qui sont morts; aussi je souhaite qu' cause de cela Jhovah vous fasse
misricorde. Oui, que mon dieu accorde chacune, dans la maison de son mari, le repos
qu'elle mrite! Et elle les embrassa. Mais les deux jeunes femmes se mirent pleurer, et elles
lui dirent, en levant la voix: Non, nous prfrons aller avec toi, puisque tu retournes vers ton
peuple. Nomi reprit: Allons, mes filles, coutez-moi, et rebroussez chemin. Pourquoi quoi
viendriez-vous avec moi? Y a-t-i l encore dans mes entrailles des fils que je pourrais vous
donner pour maris? Non. je vous l'assure. Allez-vous-en, mes filles, allez-vous-en! D'ailleurs,
je suis trop ge pour me remarier; et en supposant que j'en aie le dsir et l'esprance, mme si
je couchais avec un mari ds cette nuit, mme si je venais ensuite mettre au monde deux
garons, les attendriez-vous jusqu' ce qu'ils devinssent grands? Refuseriez-vous, cause
d'eux. d'autres mariages? Non, n'est-ce pas? Retournez donc dans vos familles; car je suis en
plus grande amertume que vous, la main de l'ternel s'est appesantie sur moi. (v. 6-14)
Alors, elles levrent encore la voix et versrent de nouvelles larmes. Ensuite, Orpha prit
cong de sa belle-mre; mais Ruth resta avec Nomi. Et Nomi insistait pour que Ruth allt
rejoindre sa belle-su r: Orpha est retourne vers son peuple et vers son dieu, disait-elle;
imite l'exemple de ta belle-sur. Mais Ruth rpondit: Tu me fais de la peine en me priant de
te laisser, de m'loigner de toi; car j'irai o tu iras, je demeurerai o tu demeureras, ton peuple
sera le mien dsormais et ton dieu sera mon dieu. L o tu mourras, je mourrai, et c'est l que
je serai enterre. Que ton Jhovah me traite avec la dernire rigueur, si jamais rien te spare
de moi que la mort! (1:15-17)
Nomi, voyant ainsi que sa rsolution tait inbranlable, cessa de lui parler de sparation. Et
elles marchrent toutes deux longtemps, jusqu' ce qu'elles fussent arrives Bethlem. Et
quand elles eurent franchi les portes, toute la ville fut en moi cause d'elles, et tous disaient:
N'est-ce pas Nomi?... Mais elle leur rpondit: Je vous en prie, ne m'appelez pas Nomi;
123

appelez-moi Mara. Et ceux qui l'avaient reconnue lui demandant pourquoi elle changeait son
nom, elle leur dit: Le Tout-Puissant m'a remplie d'amertume; je suis partie d'ici comble de
biens, et l'ternel me ramne compltement vide. Ainsi, puisque Jhovah m'a abattue et
afflige, il ne faut plus, vous le voyez bien, m'appeler Nomi. (v. 18-21)
C'est ainsi que Nomi, tant revenue avec Ruth la Moabite sa bru, retourna Bethlem;
c'tait au commencement de la moisson des orges. (1:22)
Or, il y avait un parent d'Elimlec, qui se nommait Booz, homme trs puissant et fort riche.
Et Ruth la Moabite dit sa belle-mre: Si tu le permets, j'irai glaner dans les champs, et je
trouverai peut-tre quelque homme qui s'intressera moi. Elle lui rpondit: Va, ma fille.
Ruth s'en alla donc glaner derrire les moissonneurs. Et il arriva qu'elle se trouva dans un
champ, appartenant ce Booz, qui tait parent d'Elimlec. Sur ces entrefaites, Booz vint de la
ville et dit aux moissonneurs: Que Dieu soit avec vous! Ils lui rpondirent: Que Dieu vous
bnisse! Aprs quoi, Booz ayant remarqu Ruth, demanda un jeune homme, chef des
moissonneurs: Qui est cette fille? Lequel rpondit: C'est une jeune femme moabite, qui est
revenue avec Nomi du pays de Moab. Elle nous a pris de lui permettre de ramasser
quelques poignes d'orge aprs les moissonneurs; elle n'est ici que depuis ce matin. Alors
Booz s'approcha de Ruth et lui dit: coute, ma fille, ne va point glaner dans un autre champ,
et mme reste auprs de mes servantes. J'ai dfendu aux garons qui sont ici de te toucher; et
quand tu auras soif, bois de l'eau que puisent mes gens. (2:1-9)
A ces mots, Ruth se prosterna, le visage contre terre, et dit: Comment donc ai-je trouv
grce devant toi? Je suis trangre, et pourtant tu sembles me connatre. On m'a racont
Bethlem, rpondit Booz, comment tu t'es bien comporte l'gard de ta belle-mre, depuis
que ton mari est mort. Je sais tout, ton abandon de ton pre et de ta mre, et de ton pays natal,
pour venir vers un peuple que tu ne connaissais pas. Que l'Eternel te rcompense! puisque tu
t'es mise sous la protection du Dieu d'Isral, puisses-tu obtenir de lui tout ce que tu mrites
pour ton salaire! Mon seigneur, dit Ruth, me voil bien joyeuse d'avoir trouv grce devant
tes yeux; tes paroles me sont une grande consolation, et elles sont vraiment selon le cur de ta
servante, quoique je sois moins que la dernire de tes servantes. (v. 10-13)
Booz revint encore vers elle, quand l'heure de manger fut venue, et il lui dit: Ne crains pas
de te joindre mes gens; je t'y autorise. Tu mangeras du pain, et je te permets de le tremper
dans le vinaigre. Ainsi, elle prit part au repas des moissonneurs, qui lui donnrent du grain
rti; elle s'en rassasia et serra avec soin ses restes. Aprs quoi, elle se leva pour aller glaner. Et
Booz commanda ses gens: Laissez-la glaner mme auprs des javelles; en outre, gardez-
vous bien de lui faire quoi que ce soit qui puisse lui donner de la honte. Au surplus, laissez
traner, comme par mgarde, quelques poignes d'pis, afin qu'elle les ramasse. Ruth glana
donc jusqu'au soir; et, ayant battu les pis qu'elle avait recueillis, elle en tira environ un pha
d'orge. (v. 14-17)
Quand Ruth fut de retour la ville, elle montra sa belle-mre ce qu'elle avait glan; elle lui
donna aussi les restes de son repas, qu'elle avait emports. Alors sa belle-mre l'interrogea:
O as-tu glan aujourd'hui? Bni soit celui qui t'a fait si bon accueil! Ruth rpondit: L'homme
chez qui j'ai ramass cet orge s'appelle Booz. Et Nomi s'cria: Que Jhovah le bnisse! Puis,
elle ajouta: Cet homme nous est proche parent, et il est de ceux qui ont le droit d'acqurir pour
eux personnellement dans l'hritage de la famille. Et Ruth dit encore: Je me souviens qu'il m'a
recommand de rester avec ses gens, jusqu' ce que la moisson soit entirement termine.
Nomi reprit: Ma fille, aie soin surtout de te tenir avec ses servantes, de crainte qu'ailleurs on
ne te cause quelque chagrin. Ruth s'attacha donc aux servantes de Booz, et chaque soir elle
venait retrouver sa belle-mre, avec qui elle habitait. (2:18-23)
Nomi dit un jour Ruth: Ma fille, pourquoi ne chercherai-je pas comment tu pourrais avoir
la vie assure et tre heureuse? Voici donc ce que tu devras faire. Booz, qui est notre pioche
parent, vannera cette nuit son orge. C'est pourquoi aujourd'hui il faut te laver; en outre, frotte-
124

toi la peau avec de l'huile parfume; puis, mets sur toi ta plus belle robe, et va-t'en dans l'aire
de Booz. Mais ne te montre pas lui, tant qu'il n'aura pas fini de manger et de boire. Quand il
ira se coucher, remarque bien l'endroit o il se rendra pour dormir. Tu attendras qu'il soit
couch; tu entreras tout doucemen t; tu dcouvriras ses pieds, et tu te coucheras auprs de lui;
alors il te dira ce que tu auras faire (textuel). Ruth lui rpondit: Je ferai tout ce que tu me dis.
(3:1-5)
Elle alla donc dans l'aire de Booz, pour mettre fidlement en pratique les conseils de sa
belle-mre. Et Booz, ayant bien mang et bu, tait en belle gat, et il s'alla coucher contre un
tas de gerbes. Alors, Ruth se glissa tout doucement prs de sa couche, et ayant lev la
couverture aux pieds, elle se coucha l. (v. 6-7)
Au milieu de la nuit, Booz fut tout tonn de trouver une femme dans sa couche, ses pieds;
il retira ses pieds vivement, en disant: Qui es-tu? Elle rpondit: C'est moi, Ruth, et je suis ta
servante. Etends-toi sur ta servante; car tu es proche parent, et tu as droit de me prendre pour
toi, puisque je fais partie de l'hritage dans ta famille. Booz dit: Que Jhovah te bnisse, ma
fille! Tu vaux encore mieux cette nuit que ce matin, attendu que tu n'as point t chercher des
jeunes gens, soit riches, soit pauvres. Ne crains rien donc; je ferais ce que tu viens de me dire;
car tu as la rputation d'tre une femme de bien. Maintenant, s'il est trs vrai que j'ai le droit
de te prendre pour moi, il y en a un autre qui a droit avant moi, parce qu'il est plus proche
parent de Nomi. Passe cette nuit dans ma couche; et si demain matin l'autre parent plus
proche veut exercer son droit, eh bien, qu'il en use! mais s'il ne lui plat pas d'en user, je te
prendrai pour moi sans aucune difficult, aussi vrai que Dieu est vivant! Demeure donc ici
couche jusqu'au matin. (v. 8-13)
Ainsi, elle resta dans sa couche toute la nuit; et elle sa leva avant que le jour part. Booz lui
dit: Prends bien garde que personne ne sache que tu as pass la nuit ici. Mais donne ton
tablier, dploie-le. Elle tendit son tablier, le tenant, des deux mains; Booz y mit six mesures
d'orge, qu'elle emporta Bethlem. A sa belle-mre qui lui demanda comment elle s'tait
comporte, Ruth raconta tout ce qui s'tait pass entre Booz et elle. Il m'a donn, ajouta-t-e
lle, ces six mesures d'orge, en me disant: Je ne veux pas que tu retournes, les mains vides, vers
ta belle-mre. (v. 14-17)
Le chapitre 4 du livre de Ruth nous montre le vieux Booz en pourparlers avec le proche parent
dont les droits passaient avant les siens. Celui-ci, ne se souciant aucunement d'pouser la bru
de Nomi, se dchaussa et donna Booz un de ses souliers en tmoignage de sa renonciation
(v. 8). Booz, alors, de montrer le soulier aux magistrats et tous les habitants de Bethlem.
Ainsi, dit Booz, vous tes tous tmoins que j'ai acquis aujourd'hui tout ce qui appartenait
Elimlec et tout ce qui tait Kiljon et Mahlon, ses fils, et que, de cette faon, je me suis
acquis aussi Ruth la Moabite, veuve de Mahlon, pour tre ma femme. Alors, tout le peuple et
les anciens, voyant le soulier, dirent: Nous en sommes tmoins Dieu fasse que la femme qui
entre en ta maison soit comme Rachel et comme Lia, qui toutes deux ont donn des enfants
la famille d'Isral; conduis-toi vertueusement en Ephrat, et rends ton nom clbre Bethlem;
et que de la postrit que Jhovah te donnera, par cette jeune femme, ta maison soit comme la
maison de Phars, ton anctre, que Thamar enfanta Juda. Booz prit donc Ruth pour femme;
il entra en elle, et Dieu lui accorda de concevoir et d'enfanter un fils. Et les femmes dirent
Nomi: Bni soit l'Eternel, qui n'a pas voulu que l'hritage de ton fils soit perdu pour la
maison d'Isral! Que Jhovah console ton me et qu'il soit le soutien de ta vieillesse; car ta
belle-fille, qui t'aime, a enfant par les uvres d'un isralite, et elle te vaut mieux que sept fils.
Alors, Nomi prit l'enfant et le mit son sein, et elle lui servit de nourrice (a, c'est un miracle
qui n'est pas banal). Et les voisines donnrent un nom l'enfant; elles l'appelrent Obed. Cet
Obed fut le pre d'Isa, qui fut le pre de David. (4:9-17)
Telle est, dans toute sa saveur, l'difiante histoire de Ruth, modle des brus bibliques, et de
Nomi, la crme des belles-mres. On aura admir, en passant, la gnrosit de Booz, ce
125

vieux propritaire trs puissant et fort riche, qui, aussitt que Ruth lui eut tap dans l'il, lui
accorda le pain de la table de ses moissonneurs, en l'autorisant le tremper dans du vinaigre,
afin qu'il ft moins sec. Les critiques trouvent bizarre que Booz, au lieu d'aller coucher dans
sa chambre, se soit tendu, pour dormir, la nuit, contre un las de gerbes, dans l'aire, comme
font les manuvres aprs la moisson; mais ils trouvent plus bizarre encore, et d'un got
extrmement douteux, que Ruth se soit glisse dans la couche de Booz, ainsi que le raconte
l'auteur sacr comme une chose toute naturelle et sans la moindre vergogne. Si ce Booz,
disent-ils, devait, en qualit de parent, pouser cette Ruth, le devoir de Nomi, qui lui tenait
lieu de mre, tait de faire honntement la proposition de mariage; elle ne devait pas
persuader sa bru de faire un mtier de gourgandine. De plus, Nomi devait savoir qu'il y
avait un parent plus proche que Booz: c'tait donc ce parent plus proche que l'on devait
s'adresser.
Enfin, on sait que les chrtiens font descendre Jsus de David, et, par consquent, de Booz et
de Ruth; la prostitution et l'inceste se trouvent ainsi profusion dans le sang que Dieu choisit
pour s'incarner. Booz descend en droite ligne de Phars, n de l'inceste de Thamar se livrant
son beau-pre Juda, en faisant la prostitue; en outre, Booz est fils de Salmon et de Raab, la
prostitue de Jricho. Quant Ruth, elle descend de Moab, n de l'inceste de Loth avec sa fille
ane. Voil donc des anctres d'lite pour un Messie! voil un sang fort honorable pour un
Dieu se faisant homme!
Mais le plus amusant pour l'observateur, c'est de constater qu'en dictant le livre de Ruth le
divin pigeon n'a pas pris garde qu'il laissait percer la mystification de toutes ses dictes. En
effet, entre Salmon, poux de Raab, et Isa, pre de David, il n'y a, dans l'ordre gnalogique,
que Booz et Obed. Or, Raab et Salmon sont contemporains de Josu; Raab n'a t pouse par
Salmon qu'aprs la prise de Jricho, c'est--dire aprs le passage du Jourdain. D'autre part, en
suivant la chronologie de la Bible, nous allons voir qu'Obed vcut du temps du grand-prtre
Hli, et que le successeur d'Hli, Samuel, vcut en mme temps qu' Isa; le gouvernement des
Juges va finir avec Samuel, qui instituera le premier roi, Sal, prononcera ensuite sa
dchance et sacrera David. Au point de vue du temps vcu par les hros bibliques, le livre de
Ruth dtruit donc compltement le livre de Josu et le livre des Juges; car il est
matriellement impossible qu'il y ait eu, d'un ct, cette longue srie de vicissitudes si
diverses du peuple hbreu, ces gouvernements victorieux, ces servitudes d'une dure norme
et si multiplies, ces dlivrances suivies de priodes de paix se chiffrant par un nombre
considrable d'annes, l'ensemble donnant un total de quatre cent quatre-vingts ans depuis le
passage du Jourdain jusqu' la mort de Samson, et qu'il n'y ait eu, d'un autre ct,
paralllement, que Salmon, vivant lors de la prise de Jricho, et son fils Booz, contemporain
de Samson.

11 CHAPITRE

HISTOIRE DE SAMUEL, AVANT LA ROYAUT

En ce temps-l, il y avait Ramathajim-Tsophim (ou Rama tout court) un homme, nomm
Elcana, qui tait la tte de deux femmes, aussi lgitimes l'une que l'autre, Anne et Pninna.
Or, la premire ne pouvait avoir d'enfants, et tous les jours c'taient des scnes tout casser
entre les pouses de l'honorable bigame; car Pninna, qui tait aigre comme du vinaigre,
piquait Anne au vif, en se moquant de sa strilit.
Anne, pour en finir, se rsolut faire un plerinage, sans doute aprs avoir consult quelque
pieux ermite; car Rama tait dans le proche voisinage de la montagne d'Ephram, qui ses
lvites ont acquis un imprissable renom. Mais o aller pleriner? Evidemment, l'ermite
126

consult ne s'tait pas jug assez saint pour pouvoir attirer sur Anne les bndictions de
Jhovah.
Quoi qu'il en soit, la Bible nous apprend que l'arche divine se trouvait alors Scilo, sous la
garde du grand-prtre Hli et de ses deux fils, Ophni et Phines (ne pas confondre avec le
Phines, fils d'Elazar). Donc, Elcana et sa famille partirent pour Scilo.
On suppose bon droit qu'Anne la strile se mit joyeusement en route, mais que Pninna la
fconde ne dut pas quitter Rama sans quelque regret, attendu que les mauvaises langues lui
prtent un cousin germain avec qui elle tait dans les meilleurs termes. Toutefois, la gat
d'Anne ne parat pas avoir t de longue dure. En effet, une fois Scilo, s'il faut en croire
l'auteur sacr, quand Anne se rendait au temple de l'ternel, Pninna l'offensait toujours de
la mme manire, et Anne recommena de pleurer, et elle ne mangeait point. Elcana son mari
lui disait: Anne, pourquoi pleures-tu, et pourquoi t'abstiens-tu de manger? ne te vaux-je pas
mieux que dix fils? (Premier livre de Samuel 1:7-8)
Aprs qu'elle et mang et bu Scilo, elle se leva. Or, le grand-prtre Hli tait assis sur un
sige, auprs d'une des colonnes du tabernacle de l'ternel. Anne donc, ayant le cur plein
d'amertume, pria Jhovah, en rpandant des torrents de larmes. Elle fit ce vu: O Sabaoth,
dieu des armes, si tu daignes regarder l'affliction de ta servante, si tu me donnes un enfant
mle, je te le donnerai pour tous les jours de sa vie, et jamais aucun rasoir ne passera sur sa
tte. Mais, en disant cela, Anne se bornait parler dans son cur; le grand-prtre, qui
l'observait, voyait seulement remuer ses lvres, et il se dit. Cette femme est ivre. Alors, il
l'interpella en ces termes: Quand auras-tu fini d'tre saole? Allons, va cuver ailleurs ton vint
(v. 9-14)
Cependant, sous cette dure apostrophe, Anne ne perdit pas la carte; elle expliqua qu'elle n'tait
pas ivre du tout, n'ayant bu ni vin ni cervoise , et Hli, voyant sa mprise, s'intressa
aussitt l'infortune. On sait comment s'oprent les miracles du genre de celui sollicit par
Anne; le procd s'est perptu jusqu' nos jours: aussi, il est ais de se rendre compte de ce
qui se passa. Avec l'autorisation d'Elcana, mari dvot, Hli ne manqua pas d'engager la strile
pouse venir un moment dans le sanctuaire rserv. Anne prouvait bien quelques
hsitations; son mari lui-mme la rassura. Va, lui dit-il, va avec le monsieur, il te fera toucher
quelque talisman sacr, et je te rponds que tu t'en trouveras bien. Anne fut donc admise
voir de prs le Saint des saints.
Puis, comme le sjour de son pouse dans le sanctuaire tirait un peu en longueur, Elcana s'en
fut s'asseoir sous la colonnade extrieure du temple. Enfin, l'pouse chrie reparut, amene
par Ophni et Phines, fils du grand-prtre, lesquels taient rayonnants; ils assurrent au bon
Elcana que bien certainement cette fois l'ternel avait inond Anne de sa grce toute-
puissante.
Neuf mois aprs, le mnage d'Elcana s'augmentait d'un gros bb rose, auquel on donna le
nom de Samuel. Anne, qui tait dans la jubilation, renouvela son vu de ne jamais couper
mme une petite mche la chevelure de cet enfant tant dsir. Point n'est besoin d'tre
sorcier pour deviner que, de temps en temps, le grand-prtre Hli venait rendre visite au
moutard, pour lequel il avait une affection toute particulire; car il tait, disait-il, le
tmoignage vivant de la puissance de l'ternel.
Quand Samuel fut en ge d'entrer au service du Seigneur, Anne le conduisit Hli, et il fut
dcid que le gamin serait consacr Dieu. On l'investit des fonctions d'enfant de chur,
spcialement prpos la garde du tabernacle. Le grand-prtre donna la mre sa parole de
cur-prophte que l'adolescent tait destin d'extraordinaires choses.
La chre Anne fut si contente, qu'elle improvisa un cantique, insr tout au long dans le
chapitre 2; le lecteur me dispensera de le reproduire, c'est du rabchage archi-fastidieux.
Par contre, on ne saurait passer sous silence les versets rutilants d'indignation, par lesquels
l'Esprit-Saint, inspirateur de l'crivain biblique, fltrit la conduite des sieurs Ophni et Phines,
127

qui, tout fait mauvais garnements, faisaient ripaille au prjudice de matre Jhovah. Les
fils d'Hli, est-il dit en toutes lettres, taient des sclrats, et ils mprisaient l'ternel; car,
lorsque quelqu'un du peuple avait fourni la victime dont le sacrifice tait d Jhovah, ces
sacrificateurs impies, au moyen d'une longue fourchette trois dents, piquaient dans la
marmite sacre et prlevaient ainsi leur profit les meilleurs morceaux, Ils en agissaient de la
sorte constamment, tandis que les Isralites venaient pour les holocaustes Scilo. Mme avant
qu'on ft fumer la graisse, leur valet, envoy par eux, disait tout homme qui s'appr tait
sacrifier: Donne-moi de la bonne viande rtir pour les sacrificateurs. Et si l'homme
rpondait: Qu'on fasse fumer d'abord la graisse; aprs quoi, tu prendras de la viande autant
que tu voudras; alors le valet d'Ophni et de Phines disait: Donne tout de suite ce que je te
demande; sinon, je te le prendrai de force. Ainsi le pch des fils d'Hli tait norme, et le
courroux de l'Eternel s'amassait plus grand chaque jour (2: 12-17).
Ce n'tait pas tout: les fils d'Hli couchaient avec toutes les femmes qui venaient prier la
porte du tabernacle (v. 22). Le grand-prtre n'ignorait pas ces pouvantables impits; mais
il les tolrait par faiblesse.
Et, tout en manifestant cette belle indignation, la Bible nous raconte, dans le mme chapitre,
que la mre de Samuel venait voir rgulirement son fils Scilo. Le jeune Samuel, ceint
d'un phod de lin, accomplissait innocemment le service de l'Eternel; et chaque anne sa mre
lui faisait une petite tunique blanche, qu'elle lui apportait en se rendant au temple. Et Jhovah
visita Anne de nouveau, plusieurs fois; c'est pourquoi elle conut et enfanta encore trois fils et
deux filles (2:19-21). Les sceptiques conclueront peut-tre qu'Ophni et Phines
contribuaient augmenter la famille de l'excellent Elcana; mais les fidles d'ardente foi
rpliqueront qu'il ne faut pas confondre, c'est--dire que papa Bon Dieu seul s'occupait de
fconder l'aimable Anne et que cela tait parfait, tandis que les fils d'Hli, en couchant avec
les autres dvotes, taient d'odieux gredins. C'est commettre un sacrilge que de s'adjuger les
jolies dvotes, rserves Jhovah, aussi bien que de piquer dans la marmite sacre pour se
rgaler des victuailles de l'holocauste.
Or, le jeune Samuel servait le Seigneur en la prsence d'Hli; et la parole de l'Eternel tait
rare en ces jours-l, et les apparitions de Dieu n'taient pas communes. Il arriva un certain jour
qu'Hli, dont les yeux commenaient se ternir par l'effet de la vieillesse, s'tait couch dans
sa chambre avant que les lampes du sanctuaire fussent teintes; de son ct, Samuel dormait
dans le tabernacle, auprs de l'arche de Dieu. Et l'Eternel appela Samuel.
Et l'adolescent rpondit: Me voici! et il courut vers Hli et lui dit: Me voici, puisque lu m'as
appel. Mais Hli lui dit: Non, je ne t'ai pas appel, retourne ton lit, et couche-toi.
Peu aprs, l'Eternel appela encore Samuel, et Samuel, rveill brusquement, se leva et s'en
vint de nouveau en toute hte vers Hli, et lui dit: Tu m'as appel, me voici. Hli lui rpondit:
Mon fils, je ne t'ai nullement appel, va te recoucher! Or, Samuel ne savait point distinguer la
voix de l'Eternel, car Jhovah ne lui avait jamais parl auparavant. Il se remit donc dormir,
et pour la troisime fois l'Eternel le rveilla en l'appelant. Et Samuel, ayant couru toujours
vers Hli, lui dit: Certainement, tu m'as appel, et me voici. Alors, le grand-prtre comprit que
c'tait l'Eternel qui appelait l'adolescent. Et il dit Samuel: Retourne-t'en ton lit, couche-toi;
mais, si l'on t'appelle encore, tu rpondras: Eternel, parle; ton serviteur t'coute. Samuel s'en
alla donc et se remit au lit. Et l'Eternel se manifesta; il appela, ainsi que les autres fois:
Samuel! Samuel! Le jeune garon rpondit alors: Parle, Seigneur, ton serviteur t'coute. Et
l'Eternel parla Samuel, lui disant: Voici, je vais pousser dans Isral un tel cri, que nul ne
pourra l'entendre sans que ses deux oreilles lui tintent; eu ce jour-l, je mettrai contre Hli tout
ce que j'ai jur contre sa maison: je commencerai et j'achverai. Sa maison sera punie pour
jamais, cause de l'iniquit de ses fils, qu'il a connue et n'a point rprime. Oui, j'ai jur que
l'infamie de la maison d'Hli ne sera jamais expie, ni par des victimes, ni par des prsents.
(3:1-13)
128

Le lendemain malin, ds la premire heure, le grand-prtre voulut connatre la fin de cet
incident nocturne; on juge de l'embarras de l'apprenti-lvite. Hli insista, exigea toute la
vrit, et le jeune Samuel rapporta la terrible confidence qu'il avait reue, Il ne cacha rien au
grand-prtre; et Hli rpondit: Oui, c'est l'Eternel qui a parl; qu'il fasse ce qui lui semblera
bon! (v. 18)
Et voici que Samuel grandissait; or, l'Eternel tant avec lui, aucune de ses paroles ne
tombait par terre (sic). Et tout Isral, depuis Dan jusqu' Ber-Scbah, sut que Samuel tait en
vrit prophte de Dieu. (v. 19-20)
Cette premire partie de l'histoire du fameux prophte qui fut le dernier juge n'a pas manqu
de soulever quelques critiques. D'abord, sur ce livre lui-mme, qui est attribu Samuel, le
savant Frret a prsent une observation gnrale; il signale un dfaut dans lequel aucun
historien srieux ne tomberait: c'est de laisser le lecteur dans une ignorance entire de l'tat o
tait alors la nation dont on parle. En effet, d'aprs le texte sacr, il est difficile de savoir
quelle tendue de pays possdaient les juifs au temps de la grande-pr trise d'Hli, en quels
lieux exactement ils rsidaient, s'ils taient encore esclaves ou simplement tributaires des
Phniciens, que les ignares crivains hbreux s'obstinent appeler Philistins. L'auteur parat
tre un prtre qui n'est occup que de sa profession, et qui compte tout le reste pour peu de
chose.
L'auteur assigne Scilo comme rsidence au grand-prtre Hli. Sur ce point, Voltaire remarque
que le village appel Scilo appartenait encore aux Phniciens, et qu'il est, par consquent, bien
tonnant que ceux-ci y eussent tolr le grand-prtre d'une religion ennemie; si l'arche tait
dans ce village, ce ne pouvait tre qu'en secret, videmment, puisque les Philistins ne s'en
empareront que plus tard et l'occasion d'une bataille, comme on verra; mais alors comment
expliquer que les Juifs vinssent en plerinage Scilo?... En outre, dans tout le cours du rcit,
le narrateur fait entendre que les Juifs taient devenus si misrables que Dieu ne leur parlait
plus frquemment comme autrefois; or, c'tait l'ide de toutes ces nations grossires que,
quand un peuple tait vaincu, son lieu tait vaincu aussi, et que, lorsqu'il se relevait, son dieu
se relevait avec lui,
Beaucoup estiment que, si Jhovah est vraiment le crateur de l'univers, on lui fait jouer un
rle des plus grotesques en le reprsentant enferm dans un coffre, d'o, au milieu de la nuit,
il appelle un jeune garon jusqu' quatre fois avant de lui exprimer ce qu'il veut lui dire.
Woolston trouve l'auteur sacr excessivement ridicule de dire que le petit Samuel ne savait
pas encore distinguer la voix de l'ternel, parce que Jhovah ne lui avait jamais parl
auparavant . Effectivement, on ne peut reconnatre la voix de quelqu'un qu'on n'a jamais
entendu; en outre, l'auteur sacr, en s'exprimant ainsi, reprsente son Jhovah comme ayant
une voix humaine, de mme que chaque homme a son timbre de voix personnel. Boulanger en
tire une nouvelle preuve que les Juifs ont toujours fait leur dieu corporel, et qu'ils ne virent en
lui qu'un homme d'une espce suprieure, demeurant d'ordinaire dans une nue, venant
parfois sur la terre visiter ses favoris, tantt prenant son parti, tantt les abandonnant, tantt
vainqueur, tantt vaincu, tel, en un mot que les dieux d'Homre; il dit aussi qu'Homre,
d'ailleurs, donne de la divinit des ides plus sublimes que celles qui sont contenues dans la
Bible, et qu'on en trouve de plus belles encore dans l'ancien Orphe, et mme dans les
mystres d'Isis et de Crs. Cette opinion de Boulanger est partage par Frret, par
Dumarsais, etc.
Donc, voici Samuel devenu grand, et le divin pigeon reste muet sur la conduite d'Ophni et
Phines depuis la mmorable nuit des terribles rvlations. Piquaient-ils toujours dans la
marmite?... Nous apprenons seulement que Samuel avait tout dit aux Isralites ; la
rprobation d'Hli et de sa famille tail donc le secret de Polichinelle, ce qui n'empchait pas
les fidles d'apporter leurs offrandes ce grand-pr tre disqualifi et ses fils. Peut-tre ceux-
129

ci, dans la crainte du chtiment prdit, avaient-ils renonc leurs sacrilges habitudes mais
nous savons que matre Jhovah est trs rancunier.
Les Isralites se soulevrent contre les Philistins et se runirent en armes pour les combattre;
ils camprent Ebenhzer, et les Philistins tablirent leur camp Aphek, Alors, la bataille fut
livre; Isral fut battu, les Philistins turent d'abord environ quatre mille soldats juifs dans un
premier combat en plaine. L'arme d'Isral tourna le dos et revint au camp, o les anciens du
peuple dirent: Pourquoi l'ternel nous a-t-il laiss battre aujourd'hui par les Philistins? Faisons
venir de Scilo l'arche d'alliance, dans laquelle Jhovah rside; ainsi Dieu sera au milieu de
nous, et il nous dlivrera de nos ennemis. L'arche sainte fut donc apporte, et Sabaoth, dieu
des armes, y tait, entre les chrubins; et Ophni et Phines, fils d'Hli, accompagnaient
l'arche de Dieu. Et lorsque l'arche entra dans le camp, tout Isral poussa de si grands cris de
joie, que la terre en retentissait. (4:1-5)
Alors, les Philistins, entendant la voix de ce cri, dirent: Quelle est donc la voix de cri au
camp hbreu! Et ils surent que l'arche o Jhovah rside tait au milieu de l'arme. Alors, les
Philistins eurent peur, et ils se disaient les uns aux autres: Jhovah est maintenant dans le
camp hbreu; il n'en tait pas ainsi ces jours passs; malheur nous, prsent! Rconfortons-
nous, Philistins, et soyons des hommes vaillants; combattons avec courage, afin de ne pas
tomber esclaves de ces juifs, comme ils ont t les ntres. Les Philistins donc livrrent une
seconde bataille, et Isral fut encore battu et s'enfuit; et la dfaite de l'arme isralite fut si
grande, que trente mille soldats, cette fois, restrent morts sur le champ de bataille. L'arche de
Dieu fut prise par l'ennemi vainqueur, et les deux fils d'Hli, Ophni et Phines, prirent dans
ce combat. (v. 6-11)
Or, un soldat de la tribu de Benjamin, chapp au carnage, courut toute une journe pour se
rendre Scilo, o il arriva avec ses vtements dchirs et de la cendre sur la tte. Et, tandis
que cet homme courait ainsi, le grand-prtre Hli tait assis sur un sige qu'il avait fait lever
ct du chemin, et il attendait les nouvelles; et dans son attente il tremblait, cause de
l'arche sainte. Hli tait g alors de quatre-vingt-dix-huit ans. Cet homme, aussitt arriv, dit
Hli: Je viens du champ de bataille, d'o je me suis chapp. Et Hli l'interrogea en ces
termes: Qu'est-il arriv, mon fils? Le soldat benjamite rpondit: Isral a fui devant les
Philistins, et, mme il y a eu une grande dfaite du peuple; tes deux fils sont morts, et l'arche
de Dieu est tombe au pouvoir de l'ennemi. Quand Hli eut entendu cela, il tomba la
renverse de dessus son sige, et dans sa chute il se rompit le cou. C'est ainsi qu'il mourut; car
il tait vieux et pesant. Il avait jug Isral quarante ans. (v. 12-18)
Et sa belle-fille, femme de Phines, qui tait grosse, voyait s'approcher l'heure o elle
accoucherait, lorsqu'un messager lui apprit tout la fois que l'arche tait prise, que son mari
tait mort et son beau-pre aussi. A cette nouvelle, elle se plia en deux; alors elle enfanta, et
son accouchement fut des plus douloureux. Et voil que la mort la saisit son tour. Or, tandis
qu'elle mourait, les femmes, ses amies, qui l'entouraient, lui dirent: N'aie pas d'inquitude;
nous tenons ton enfant, et nous t'assurons que ce n'est pas une fille; en vrit, c'est un garon.
Mais elle ne faisait aucune attention ce que ses amies lui disaient, elle n'entendait rien; car la
mort l'envahissait de plus en p lus. Et tout--coup elle se mit parler, et elle dit: La gloire de
Dieu est transporte d'Isral, car l'arche sainte est prise; et, pour cette raison, je veux que mon
enfant soit nomm Icabod. (v. 19-22)
On voit que l'auteur sacr nous laisse de plus belle dans le vague. Cet trange historien ne fait
connatre ni comment les Hbreux s'taient rvolts contre les Philistins leurs matres, ni le
sujet de cette guerre, ni quel territoire les Hbreux occupaient. Il n'est prcis que pour
indiquer le lieu o se trouvaient les camps des deux armes ennemies; mais c'est jouer de
malheur, attendu qu'aucun gographe de l'antiquit n'a mentionn Ebenhzer ni Aphek.
L'auteur sacr nous parle seulement, de trente-quatre mille juifs tus malgr la prsence de
l'arche. Comment concevoir, dit Voltaire, qu'un peuple esclave, qui a essuy de si grandes et
130

si frquentes pertes, puisse si tt s'en relever? Les critiques ont toujours os souponner
l'auteur d'un peu d'exagration, soit dans les succs, soit dans les revers. L'auteur semble
beaucoup plus occup de clbrer Samuel que de dbrouiller l'histoire juive; on s'attend en
vain qu'il donnera une description fidle du pays, de ce que les juifs en possdaient en propre
sous leurs matres, des circonstances dans lesquelles eut lieu ce soulvement, des places, ou,
tout au moins, des cavernes qu'ils occuprent, des mesures qu'ils prirent, les chefs qui les
menrent au comba t; rien de toutes ces choses essentielles! C'est de l que lord Bolingbroke
conclut, dans son examen, que le lvite auteur de cette histoire crivait comme les moines du
moyen-ge ont crit l'histoire de leur pays. Et Voltaire ajoute, avec sa mordante ironie: Sans
doute, Samuel, tant devenu un prophte, et Dieu lui parlant dj dans son enfance, tait un
objet plus considrable que les trente mille hommes tus dans la bataille, qui n'taient que des
profanes, qui Dieu ne se communiquait pas; voil pourquoi, videmment, dans la sainte
criture, il s'agit des prophtes juifs plus que du peuple juif.
Attention, maintenant!... Lecteurs, nous ne saurions trop tre graves. Nous arrivons un
passage de la Bible qui ne dispose pas plus la gat que le spectacle du nez d'argent d'un
invalide; en effet, voici la grande affaire des trous-de-balle en or... Attention! attention! ne
riez pas. C'est trs srieux.
Matre Jhovah, pour chtier Ophni et Phines qui, durant un certain temps, avaient piqu
dans sa marmite, s'tait fait prendre de par son coffre par les Philistins; et, alors mme
qu'Ophni et Phines dfendaient son coffre, c'est--dire le dfendaient lui-mme (puisqu'il
tait en rsidence dans l'arche), il avait voulu, de par sa volont mystrieuse et impntrable,
que les deux lvites fussent tus auprs de lui, en compagnie de trente mille autres juifs,
galement massacrs, quoique n'ayant jamais, eux, piqu dans la marmite. C'tait l un
chtiment sensationnel, tout ce qu'on peut imaginer de plus sensationnel, attendu que Dieu, en
se laissant tomber aux mains des Philistins idoltres, s'englobait dans la punition du sacrilge
commis contre lui. Ce n'est peut-tre pas bien logique, cela; mais c'est essentiellement divin,
n'importe quel thologien vous le dira.
Les Philistins avaient donc t lus de Dieu pour exercer contre Dieu la vengeance d'une
offense Dieu, en faisant Dieu prisonnier. Seulement, aprs avoir lu les Philistins pour le
tenir captif, matre Jhovah rsolut de punir les Philistins d'tre ses lus. a continue, comme
on voit, ne pas tre logique; mais c'est de plus en plus divin.
Notons, d'abord, que ces Philistins, qui taient de bons zigs sous le rapport de la dvotion,
tmoignrent le plus grand respect au dieu leur prisonnier. Nous avons vu tout l'heure qu'ils
taient convaincus de sa puissance. Loin d'agir comme les fanatiques intolrants qui
prodiguent l'outrage aux divinits d'autres religions que la leur, ils traitrent avec honneur le
dieu d'Isral. Qu'un Jupiter ou un Bouddha tombe au pouvoir d'inquisiteurs chrtiens, ils
auront bientt fait de le jeter l'gout. Les Philistins, au contraire, sachant que Jhovah tait
dans ce coffre eux chu par le sort de la bataille, transportrent dignement la sacre bote
Azoth, o se trouvait un de leurs plus beaux temples, le temple de Dagon; l, ils placrent
l'arche dans la partie la plus vnre du sanctuaire, auprs mme de Dagon.
Il est clair que les Philistins se tenaient le raisonnement suivant: Le dieu d'Isral est un
dieu de premire qualit; car nous savons les merveilles qu'il a opres, quand il tira d'gypte
son peuple. Puisque nous avons donc l'heureuse chance de le possder, comportons-nous de
notre mieux son gard, afin qu'il continue nous tre favorable. Honorons-le l'gal de
Dagon: Abondance de dieux protecteurs ne nuit pas.
Hlas! ces braves Philistins se mettaient le doigt dans l'il; ils n'allaient pas tarder
apprendre que Jhovah est un mauvais coucheur.
Le soir de l'installation de l'arche la basilique d'Azoth, les prtres de Dagon se retirrent la
nuit tombante, laissant leur dieu en tte--tte avec celui d'Isral.
131

Si, au lieu d'avoir pris Jhovah, nos Phniciens avaient eu la veine de possder, dans les
mmes circonstances, un Anubis gyptien, ou un Ormuzd perse, ou un Apollon grec, tout se
ft trs bien pass en cette premire nuit, et les nuits suivantes. Les deux dieux auraient
amicalement taill une bavette, se seraient racont les petits incidents joyeux des hommages
qu'ils recevaient respectivement de leurs fidles; bref, on serait devenu deux bons camarades,
et les habitants d'Azoth eussent t dans la jubilation.
Pas du tout!... Jhovah, en vieux grognon jaloux, profita de l'absence des prtres de Dagon
pour traiter l'autre dieu en rival antipathique; il tenait faire constater qu'il avait la divinit
plus robuste que l'idole officielle des Philistins.
Ce Dagon n'tait pas mchant pour deux sous; il ne se faisait pas sacrifier des victimes
humaines, lu i; c'tait un dieu bon enfant. Il dut tre, par consquent, bien surpris, quand, au
beau milieu de la nuit, Jhovah, sortant tout--coup de sa bote, se prcipita sur lui, comme un
athlte rageur, et le flanqua par terre, du haut de l'autel.
La Bible ne donne pas le dtail de cette lutte nocturne; mais il est vident, d'aprs le texte,
qu'il en advint ainsi. Les Philistins avaient emmen Azoth l'arche de Jhovah; ils
l'installrent dans le temple de Dagon, ils la placrent ct mme de Dagon. Or, le
lendemain, les habitants d'Azoth, s'tant levs de bon matin, trouvrent Dagon gisant sur le
sol, le visage contre terre, devant l'arche; mais ils relevrent Dagon et le remirent sa place.
(5:1-3)
La seconde nuit fut plus terrible encore que la premire.
Jhovah tait vex d'avoir partager avec Dagon les hommages des Azothiens. Peut-tre, en
lui-mme, sentait-il que sa jalousie tait ridicule et que ses manires n'avaient rien de
distingu; car, dans la journe, il se tenait tranquille au fond de son coffre... A h! si les dvots
qui emplissaient alors le temple l'avaient vu jaillir de sa bote, s'il leur avait prn la
supriorit de son culte, il est possible que les Azothiens eussent renonc leur idole; mais
non! il dev ait prouver une certaine honte de sa conduite. En effet, il attendit de nouveau
d'tre seul, sans tmoins, dans l'obscurit, pour laisser clater sa mauvaise humeur, pour
assouvir son ressentiment.
Cette fois, Dagon copa de la belle faon. Au second matin, les habitants d'Azoth trouvrent
Dagon gisant encore sur le sol, devant l'arche, et sa tte et ses deux mains, ayant t coupes,
taient sur le seuil du temple; le tronc seul de Dagon tait rest auprs du coffre. (5:4)
Tout ceci tait bien fait pour troubler les Philistins de celte ville, qui n'y comprenaient rien, et
qui, dans leur candeur, taient cent lieues de souponner le divin habitant de la sacre bote
d'tre l'auteur de ces actes de vandalisme. Mais un pouvantable flau les troubla davantage,
peu aprs. Ici, il faut donner la traduction textuelle: Ensuite la main de Dieu s'appesantit sur
les derrires des Azothiens; elle mit dans leurs anus une maladie dgotante; tant Azoth
qu'aux environs, les Philistins furent frapps dans la plus secrte partie des fesses, et tous,
aux grands aussi bien qu'aux petits, le boyau du fondement sortait, et leur fondement sorti
dehors se pourrissait. (5:6)
Pour le coup, les Azothiens comprirent que c'tait le doigt du dieu d'Isral qui avait accompli
l'uvre nfaste. Les magistrats ordonnrent de transporter dans une autre ville Jhovah et son
coffre. La cit de Gath reut la sacre bote, et son arrive fut aussitt signale par un
retroussis gnral des anus et par une pourriture des boyaux de fondement (5:7-9). De Gath
l'arche sainte passa Hkron, o se produisit immdiatement le phnomne des sphincters
retrousss (5:10). En mme temps, il y eut dans la campagne une gnration spontane de
rats. Ces rats se montrrent rongeurs insatiables, et les anus philistins taient plus que jamais
en compote; et les hommes qui ne mouraient point taient accabls d'hmorrhodes, de telle
sorte qu'un cri de douleur s'levait partout jusqu'au ciel (5:12).
Pendant sept mois, les Philistins promenrent l'arche de Jhovah de ville en ville, et cette
promenade ne russissait qu' propager l'horrible maladie. (6:1)
132

Finalement, on consulta les devins de Phnicie; ceux-ci taient des prtres d'une fausse
religion, fausse, si l'on se place au point de vue des thologiens chrtiens, mais ils
taient excellents prophtes tout de mme. Les Philistins taient assez dcids renvoyer
l'arche de Jhovah. Leurs devins rpondirent: Si vous renvoyez l'arche du dieu d'Isral,
gardez-vous bien de la renvoyer sans l'accompagner d'un prsent pour vous faire pardonner
vos pchs. Or, puisque les gouvernements de ce pays sont au nombre de cinq, fabriquez cinq
anus d'or et cinq souris d'or, qui seront votre don au dieu d'Isral; alors, peut-tre, il
n'appesantira plus sa main sur vos derrires ni sur vos champs. Pourquoi endurciriez-vous
votre cur, comme l'Egypte et Pharaon endurcirent leur cur? Prenez donc une charrette
toute neuve et deux jeunes vaches allaitant leurs veaux, sur lesquelles on n'ait point encore
mis le joug, et renfermez leurs veaux dans l'table. Vous mettrez l'arche de Jhovah sur la
charrette, et vous placerez ct de l'arche un panier contenant les anus d'or et les souris d'or;
ensuite, laissez aller la charrette o les vaches voudront aller. Mais regardez bien de quel ct
la charrette ira: si elle va Bethsams, vous pouvez tre certains que c'est le dieu d'Isral qui a
mis la maladie dans vos anus et les rongeurs dans vos champs; si, au contraire, la charrette ne
va pas Bethsams, nous saurons que ce n'est pas ce dieu qui nous a frapps, et que tout est
arriv par hasard. (6:3-9)
En lisant cette histoire, on ne peut s'empcher de se remmorer celle de Sara, enleve pour sa
beaut, l'ge de quatre-vingt-dix ans, par le roi de Grare, qui la croyait sur d'Abraham. On
se souvient que, tant que le roi ne renvoya pas la femme du patriarche, toutes les dames du
pays de Grare eurent leur vulve ferme, par dcret de Jhovah. Ici, c'est aux anus philistins
que le doigt de Dieu livre la guerre, tant que l'arche n'est pas renvoye aux Hbreux.
Infortunes vulves! malheureux anus! leur innocence tait pourtant l'vidence mme, dans ces
tonnantes aventures. Pourquoi le baroque Jhovah amnistiait-il le proxntisme d'Abraham,
le seul coupable dans l'affaire de Grare, puisqu'il spculait sur les charmes de son pouse en
la faisant passer pour sa sur? Pourquoi le mme Jhovah punissait-il les Philistins de s'tre
empars de lui en le prenant avec son coffre, puisque c'tait lui-mme qui s'tait fait prendre
par eux? Mystre et divine divagation.
Toujours est-il que les Philistins suivirent le conseil de leurs devins. Ils fabriqurent les cinq
souris d'or et les cinq, trous-de-balle d'or, qui reprsentaient l'offrande de leurs cinq chefs-
lieux de gouvernement: Azoth, Gaza, Ascalon, Gath et Hkron. Ils flanqurent l'arche et leur
offrande sur une charrette, y attelrent les deux jeunes vaches prives de, leurs veaux et les
lchrent travers champs sans conducteur. Et les jeunes vaches prirent tout droit le chemin
de Bethsams, tenant toujours la mme route en marchant et en mugissant; et elles ne se
dtournrent ni droite ni gauche; et les gouverneurs des Philistins allrent aprs elles
jusqu' proximit de Bethsams. (6:12)
Comme tout ceci est merveilleux! et combien les dvots ont le droit d'tre fiers, en croyant
aux dogmes d'une si belle religion! Les prophtes, on le voit, ne manquent pas dans la Bible.
Les devins des Philistins, peuple maudit, sont ici regards comme de vrais prophtes; chaque
pays avait les siens, et l'auteur du livre, tant prophte lui-mme, respecte son caractre
jusque dans les trangers idoltres qui en font profession. Dans sa puissance extraordinaire,
Jhovah prodigue le surnaturel, au point d'inspirer les prophtes des faux dieux, tmoin
Balaam, et mme il ne ddaigne pas d'accorder le don des miracles aux magiciens des
religions ennemies de la sienne, tmoin les magiciens d'Egypte Janns et Mambrs, qui firent
les mmes miracles que Mose. Et les vaches qui ramnent l'arche, ne sont-elles pas une
espce de miracle? Elles vont, pousses par l'inspiration divine, Bethsams, chez les
Hbreux; il semble donc que ces vaches taient devenues prophtesses aussi.
Or, les gens de Bethsams moissonnaient les bls en la valle; et ils levrent leurs yeux et
virent l'arche, et ils en furent fort rjouis. La charrette s'arrta dans le champ de Josu le
Bethsamite; il y avait l une grande pierre; alors on fendit les bois de la charrette, on en fit un
133

bcher, et les deux jeunes vaches furent offertes en holocauste l'Eternel. Car les lvites
descendirent l'arche du Seigneur, ainsi que le panier qui contenait les anus d'or et les souris
d'or, et ils mirent le tout sur la grande pierre. (6:13-15)
Ce n'est pas fini!... Il y avait longtemps que Jhovah n'avait foudroy personne de son peuple,
et comment aurait-il pu faire sa rentre chez les Hbreux sans se payer le luxe d'une petite
tuerie?... Savourez donc ce qui suit:
Mais l'Eternel frappa de mort subite des gens de Bethsams, parce qu'ils vinrent regarder
dans son arche; il y eut ainsi cinquante mille soixante-dix hommes qui furent frapps. Et le
peuple pleura, cause de ce terrible chtiment de ceux qui avaient voulu voir Jhovah. (v.
19)
Papa Bon Dieu ne badinait pas et ne pouvait souf frir la curiosit son sujet. N'avait-il pas
dclar, maintes reprises, que, sauf de rares exceptions, quiconque le verrait face face en
perdrait la vie l'instant mme? Ainsi, ces grands badauds de Bethsamites taient bien
prvenus. Je vous le demande un peu, quelle fichue ide d'aller regarder dans l'arche!...
Evidemment, les Philistins furent plus respectueux et s'abstinrent, avec soin, de soulever
jamais le couvercle de la sacre bote; aussi Jhovah se contenta-t-il de leur dtriorer le trou-
de-balle.
Une autre observation, en passant: quoique inconnue des gographes, cette ville de Bethsams
devait tre fort importante, tant donne cette destruction de cinquante mille soixante-dix
hommes d'un seul coup !...
Et, pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas dire que cette mort subite de tant de milliers
de Bethsamites nous fait connatre, n'en plus douter, de quel pays est l'Esprit-Saint ?...
Suivez bien mon raisonnement.
Il est matriellement impossible que cinquante mille soixante-dix personnes aient entour
l'arche toutes ensemble, en mme temps, n'est-ce pas?... Mettons en dix, vingt, trente, si
vous voulez, qui aient soulev la fois le couvercle et plong leurs regards dans le coffre.
Ces trente premiers curieux sont aussitt punis de leur hardiesse; v'lan! ils sont tombs
foudroys. Que trente autres n'aient pas compris la leon et aient t, leur tour, frapps de
mort subite passe encore. Ajoutez mme une troisime tourne de tmraires, instantanment
chtis de cette terrible faon. Sapristi! il est difficile d'avaler que les Bethsamites aient voulu
continuer s'approcher, aient enjamb les cadavres pour regarder dans la sacre boite, et, en
un mot, qu'ils aient eu la caboche assez dure pour s'obstiner se faire foudroyer les uns aprs
les autres, alors qu'ils constataient l'immdiate excution de leurs devanciers. Si ttus qu'ils
pussent tre, les Bethsamites ont t forcment arrts, ds que l'accumulation des cadavres a
t une barrire, et il n'en a pas fallu de nombreuses douzaines pour que cette barrire ft
infranchissable. Au contraire, sitt une soixantaine d'occis, il dut se produire un mouvement
gnral en arrire, un recul d'pouvante.
Le nombre indiqu par le texte est donc fort exagr, cela est de toute vidence. A soixante-
dix victimes, le divin pigeon en a ajout cinquante mille, bien certainement....
Mais alors?... Alors, nous avons enfin les pays d'origine des trois dieux de la Trinit!... Dieu
le Fils est juif, n Bethlem; c'est connu. Dieu le Pre, ou Jhovah, qui jura No de ne
jamais plus faire prir des hommes par un dluge... d'eau, et qui tourna son serment solennel
en pratiquant le dluge de feu, Jhovah, dis-je, est Normand. Quant au pigeon, qui sans cesse
exagre plaisir, et, cette fois, l'exagration tombant dans l'impossible est flagrante, il
est de Tarascon, Bouches-du-Rhne, parbleu!
Pinc, mon vieux pigeon!... Avec ton histoire des Bethsamites foudroys par milliers, tus
comme des mouches, tu t'es dnonc compatriote de notre cher Tartarin; et qui sait si tu n'es
pas de sa famille mme?...
Sur ce, nous n'tonnerons aucun lecteur en rappelant, d'aprs un nouveau verset biblique (v.
21), que les gens de Bethsams qui avaient survcu au massacre s'empressrent d'envoyer
134

l'arche ailleurs; le texte dit: Kirjath-Jharim. Le coffre mortifre y demeura vingt ans. C'est
seulement au bout de ce temps que papa Bon Dieu se dcida faire remporter son peuple
une grande victoire sur les Philistins, entre Mitspa et Bethcar (7:11). Samuel tait toujours
juge d'Isral. Se conformant au vu de sa mre, il laissait pousser ses cheveux plus que
jamais; on ajoute qu'il sut se faire aimer des Hbreux par des bienfaits de toute sortie, et que
sa popularit tait immense.
Puis, quand le fils d'Anne se vit vieillir, il nomma ses deux fils, Jol et Abija, ses coadjuteurs
pour rendre la justic e; mais il parat que ceux-ci ne valaient gure mieux qu'Ophni et Phines.
Et ses fils n'imitaient point ses vertueux exemples; car ils dclinrent vers les gains
dshonntes, ils se firent donner des prsents pour rendre des jugements injustes . (8:3)
Fait curieux: Jhovah, qui avait fait mourir les fils d'Hli, ne sortit pas sa foudre, si
scandaleuse que fut la corruption des fils de Samuel; la magistrature pots-de-vin le laissait
donc insensible et tait ses yeux une peccadille auprs des sacrilges coups de fourchette
dans la marmite des holocaustes.

12 CHAPITRE

SAL, PREMIER ROI, ET SON RIVAL DAVID

Ce serait se tromper trangement que de s'imaginer l'histoire de Samuel sur le point de finir au
moment o la Bible nous reprsente le prophte si accabl parla vieillesse, qu'il est oblig de
se dcharger sur ses fils des principales fonctions de son gouvernement thocratique; Samuel,
au milieu des Juifs, joua un rle important jusqu' sa mort, et nous le verrons mme agir en
personne aprs sa mort.
Un beau matin, les chefs du peuple se runirent et vinrent trouver Samuel, pour lui demander
un melch , c'est--dire un roi. Les nations voisines ont des rois; pourquoi n'en aurions-nous
pas un? tel fut le thme du discours des dlgus. Le prophte, aprs avoir consult Jhovah,
rpondit en leur faisant un tableau peu engageant de la royaut. Vous voulez un roi? dit-il
aux chefs du peuple; eh bien! sachez quel sera l'usage de ce roi qui vous commandera. Il
prendra vos fils pour en faire ses charretiers; il en fera ses soldats; il en fera des laboureurs de
ses champs, des moissonneurs de ses bls, des forgerons pour lui fabriquer des armes; il fera
de vos filles ses parfumeuses, ses cuisinires et ses boulangres; il prendra vos meilleurs
champs, vos meilleures vignes, vos meilleurs plants d'oliviers, et les donnera ses valets; il
aura des eunuques, qui il donnera la dme de vos vendanges et de vos moissons; il vous
prendra mme vos serviteurs et vos servantes, et l'lite de vos jeunes gens, et jusqu' vos nes,
et les fera travailler pour lui. Alors, vous crierez contre votre roi; mais le Seigneur ne vous
coutera point, parce que c'est vous-mmes qui avez demand ce roi. (8:11-18)
Malgr toute son loquence, Samuel ne put faire entendre raison au peuple; il est juste de dire
que son rquisitoire contre la royaut sentait un peu trop le dpit de voir les Isralites dsirer
la restriction du pouvoir sacerdotal. En somme, les nafs Hbreux, tondus par leurs prtres,
demandaient tout simplement changer de tondeur. Or, Jhovah finit par dire son prophte:
Fais ce qu'ils dsirent; tablis un roi sur eux. (v. 22)
A qui Dieu rservait-il donc la premire couronne en Isral?... Il y avait un homme de la
tribu de Benjamin, nomm Cis, fort vigoureux; il avait un fils, appel Sal, de belle figure, et
qui dpassait le peuple de toute la tte. (9:1-2)
Sal tait un garon de murs trs simples; chez son pre, il tait gardien des nesses. Sans
doute, avait-il parfois des distractions; car le jeune homme fit la connaissance de Samuel
l'occasion de ces nesses, qui s'taient chappes. Le pre Cis l'avait envoy leur recherche,
en compagnie d'un petit valet de ferme. Or, comme ils explorrent sans succs tous les
135

environs, le petit valet, lui, pas bte, mit l'ide de consulter un voyant pour dcouvrir o
taient les nesses introuvables. Sal fit observer qu'il tait ncessaire d'offrir quelque chose
au devin, mais qu'il n'avait malheureusement aucun prsent sur lui. Que cela ne vous
inquite pas, rpondit le jeune domestique; voici un quart de sicle que je viens de trouver;
nous l'offrirons l'homme de Dieu.
Ce quart de sicle valait peu prs huit sous de notre monnaie. La Bible nous montre donc (ch.
9) Sal et son valet arrivant dans un village et demandant la demeure du voyant qui leur
fera retrouver leurs nesses, comme on demande o demeure le savetier. Ce nom de voyant
, qu'on donnait alors ceux qu'on a nomms depuis prophtes, ces huit ou neuf sous
prsents ce Samuel qu'on prtend avoir t juge et prince du peuple sont, selon les
critiques, des tmoignages palpables de la gro ssire stupidit de l'auteur juif inconnu.
Les filles du village indiqurent la maison du devin Sal et son compagnon; ceux-ci s'y
rendirent. Or, Jhovah, parlant la veille l'oreille de Samuel, lui avait rvl en ces termes
la venue de Sal: A cette heure mme, demain, je t'enverrai un homme de la tribu de
Benjamin; tu l'oindras, afin qu'il soit roi sur mon peuple d'Isral, et il arrachera mon peuple au
joug des Philistins, parce que j'ai regard mon peuple et que son cri est mont jusqu' moi.
(9:15-16) Et, aussitt que Samuel eut regard Sal, l'Eternel lui dit: Voici l'homme dont
je t'ai parl hier; ce sera lui qui dominera sur mon peuple. (9:17) Puis, Sal ayant
demand Samuel o tait le devin du village, Samuel lui rpondit: C'est moi-mme qui
suis le Voyant; monte avec moi au lieu haut, et vous mangerez aujourd'hui avec moi; je te
laisserai t'en aller demain matin, et je te dirai tout ce que tu as sur le cur. (9:19)
Le voyant avait du monde dner ce jour-l, trente personnes; il mit Sal la place d'honneur
et lui fit servir par son cuisinier une paule de mouton, pour lui tout seul. (9:22-24) Afin de lui
ter d'abord tout souci au sujet des nesses perdues, il lui avait rvl qu'elles taient
retrouves et qu'il les verrait en rentrant chez son pre. Enfin, avant de se sparer, le
lendemain matin, Samuel frotta d'huile la tte de Saul et lui apprit que ds lors il tait roi et,
en outre, que l'esprit de Dieu tait entr en lui.
Et, en vrit, il en fut ainsi: une transformation complte du fils de Cis s'tait opre, il n'tait
plus le mme homme. A peine de retour la maison paternelle, il constata la rentre de ses
chres nesses et se mit prophtiser comme s'il n'avait jamais fait que cela toute sa vie.
(10:1-16)
En ce temps-l, l'arche sainte avait t transfre Mitspa. C'est dans cette ville que Samuel
convoqua le peuple isralite; le divin pigeon ne prcise pas l'poque et s'abstient de dire
comment les millions d'individus qui composaient la nation juive purent s'y runir. Tout le
peuple tant donc assembl Mitspa, Samuel dit aux enfants d'Isral: Je vais vous rpter les
paroles que l'ternel m'a fait entendre: J'ai tir Isral de l'gypte et je l'ai dlivr de tous ses
oppresseurs; mais aujourd'hui vous avez rejet votre Dieu, et vous avez dit son prophte:
Donne-nous un roi. Eh bien, maintenant vous allez tous dfiler, mille par mille, tribu par tribu,
devant l'arche o est le Seigneur. Ainsi, Samuel fit approcher toutes les tribus d'Isral, et le
sort tomba sur celle de Benjamin. Aprs, il fit tirer au sort entre les familles de la tribu de
Benjamin, et le sort tomba sur la famille de Matri; enfin, dans la famille de Matri, le sort
tomba sur Sal, fils de Cis. (10:18-21) On s'tonnera peut- tre que Samuel n'ait pas dit tout
bonnement au peuple: Sal m'a t dsign par l'ternel depuis quelque temps, et dj je l'ai
frott d'huile; il est donc votre roi. Mais l'opration du tirage au sort avait sans doute son
utilit, afin de ne pas faire de jaloux. Jhovah tant matre du sort, le vieux prophte tait donc
bien certain que Sal serait l'lu; car Dieu ne pouvait pas, en laissant le choix se faire par un
hasard pur de toute tricherie, s'exposer rendre non-valable la rcente onction de son favori.
Si l'on se reporte aux prophties de Jacob, on verra que c'est la tribu de Juda que la royaut
avait t promise. Jhovah avait donc oubli cette prophtie, lorsque la monarchie juive fut
institue. Mais il ne tarda pas s'en ressouvenir, et c'est pourquoi nous verrons bientt la
136

couronne passer de la tte de Sa l sur celle d'un descendant de Juda; de cette faon, l'oubli
divin sera rpar, et la prophtie du patriarche s'accomplira dsormais.
En attendant, le peuple s'inclina devant le rsultat du tirage au sort. Or, ce moment-l,
absence totale de l'lu!... O est Sal? qu'est devenu Sal? telle tait la question que tout le
monde se posait. On interroge l'ternel pour savoir si Sal viendrait. Et l'ternel fit entendre
sa voix, disant: Sal est prsent, mais il s'est cach parmi les bagages (sic). Alors, les Juifs
coururent et le tirrent de sa cachette; il fut amen dans l'assemble du peuple; l, on vit bien
qu'il tait plus grand que tous les autres, ses paules arrivant au niveau du sommet de leurs
ttes. Et Samuel dit tout le peuple: Ne voyez-vous pas qu'il n'y en a aucun parmi vous qui
soit semblable celui que l'ternel a choisi? Alors, la nation tout entire poussa des cris de
joie, et cette clameur retentit. Vive le roi! (v. 22-24)
Des versets qui suivent, il semble rsulter que Samuel fut, tout d'abord, le premier ministre du
nouveau monarque. En effet, ce fut lui qui crivit la loi du royaume, et son prcieux manuscrit
fut dpos auprs de l'arche; mais des dissentiments entre Sal et Samuel ne devaient pas
tarder clater.
Un mois environ se passa. Le roi Sal, bon enfant et pas fier pour deux sous, ne ralisait en
aucune faon l'horrible type du tyran, que Samuel avait agit comme un spectre pour
dtourner les Juifs de leur dsir de vivre en monarchie au lieu de se former une cour, de se
faire btir un palais, de s'environner de gardes du corps, le fils de Cis tait retourn
paisiblement la ferme de sa famille et continuait vivre si vie champtre. Sur ces
entrefaites, Naas, roi des Ammonites, entreprit de s'emparer de la ville juive de Jabs, en
Galaad. Il tablit son camp auprs de Jabs et assigea la cit; et les habitants de Jabs,
intimids, dirent Naas: Reois-nous composition, et nous te servirons. Naas leur rpondit:
Je veux bien traiter une alliance avec vous, mais une condition: c'est que je vous crverai
d'abord tous l'il droit, et ensuite j'en ferai autant tout Isral, pour couvrir votre nation
d'opprobre. Les anciens de Jabs rpliqurent: Accorde-nous sept jours de trve, afin que nous
envoyions des messagers dans tout Isral; si personne ne vient nous dlivrer, nous nous
rendrons toi. Les dlgus vinrent donc Guibha, o demeurait Sal. (11:1-4)
Et voici, Sal revenait des champs, en suivant ses bufs, et, voyant que le peuple pleurait, il
demanda: Pourquoi ces larmes? On lui raconta ce qu'avaient dit les dlgus de Jabs. Alors,
l'esprit de Dieu saisit Sal, qui entra dans une grande colre; il prit deux de ses bufs, les
coupa en morceaux, et il en envoya chaque tribu, avec ce message: On traitera de mme les
bufs de ceux qui ne viendront pas la guerre, c'est--dire qui ne suivront point Sal et
Samuel. Et tous se mirent sur pied; la revue qui fut passe Bzec, il y avait trente mille
soldats de Juda et trois cent mille des autres tribus.
L, Sal dit aux dlgus de Jabs: Vous serez dlivrs demain, quand le soleil sera arriv au
milieu de sa course. Les dlgus s'en retournrent, et il y eut une grande joie Jabs. Puis,
les assigs dirent aux Ammonites: Nous nous rendrons vous dans un jour, partir de ce
moment-ci, et vous nous ferez tout ce que vous voudrez. Or, ds le lendemain matin, Sal
divisa son arme en trois corps; il marcha sur les Ammonites, les culbuta dans leur camp et
les extermina jusqu' midi; et ceux qui en rchapprent furent tellement disperss qu'il n'en
demeura pas d'entre eux deux ensemble. (11:5-11)
Alors le peuple dit: Qu'on nous livre les prisonniers, afin que nous les fassions mourir! Mais
Sal rpondit: Non, on ne fera mourir personne en ce jour, parce qu'aujourd'hui Jhovah a
dlivr Isra l. Et Samuel dit au peuple: Allons tous Guilgal, et l nous confirmerons la
royaut. Et tout le peuple s'en vint Guilgal; on fit de grandes ftes; on offrit l'Eternel des
sacrifices joyeux; et Sal et tous les isralites se rjouirent beaucoup. (v. 12-15)
Les critiques ne sont pas surpris que Sal ft un obscur roi, se livrant lui-mme aux travaux
de l'agriculture et rentrant la ferme p aternelle avec ses bufs; mais ils se refusent
admettre qu'il pt lever, tout coup, en cinq jours, une arme de trois cent trente mille
137

combattants, dans le mme temps que l'auteur reprsente les Juifs encore sous la dpendance
des Philistins, alors que la Bible dit que le peuple de Dieu n'avait pas une lance, pas une pe,
et que leurs matres ne leur permettaient pas seulement un instrument de fer pour aiguiser
leurs charrues, leurs hoyaux, leurs serpettes. Notre Gulliver, crit lord Bolingbroke, de
telles fables, mais non de telles contradictions.
Au chapitre 12, nous avons un discours grognon de Samuel, qui invoque la vieillesse pour
donner sa dmission; le gouvernement des Juges est dfinitivement termin. Samuel ne se
retire pas de bon cur. Il fait valoir au peuple que le fait d'avoir demand un roi est un gros
pch que les Juifs ont ajout tant d'autres. Mais enfin, maintenant, conclut-il, puisque vous
avez un roi, gardez-le; il est, d'ailleurs, l'oint du Seigneur; surtout, redoublez de pit envers
Jhovah. Et, pour prouver aux Hbreux que Jhovah l'coutait toujours, mme aprs sa
retraite de la politique, Samuel excuta, sance tenante, un de ces miracles comme on n'en
trouve que dans la Bible. Voyez, dit-il au peuple, voyez cette grande chose que l'Eternel va
faire, ma voix, devant vos yeux. N'est-ce pas aujourd'hui la moisson des bls? Eh bien, je
crierai l'Eternel, et il fera tonner et pleuvoir, afin que vous sachiez et que vous voyiez
combien est grand le mal que vous avez commis en demandant un roi. Alors, Samuel poussa
un cri vers l'Eternel, et Jhovah fit tonner avec fracas et pleuvoir torrents ce jour-l, et tout
le peuple craignit fort Jhovah et Samuel (12:16-18). Aprs quoi, le vieux prophte s'en alla,
non sans avoir promis ses chers compatriotes qu'il ne les oublierait jamais dans ses prires et
en laissant entendre qu'il se rservait toujours de leur enseigner, l'occasion, le bon et droit
chemin. En somme, la retraite de Samuel ressemblait fort une fausse sortie.
Sal avait rgn un an, quand ces choses arrivrent, et il rgna deux ans sur Isral. (13:1)
Ici, les critiques se rcrient sur la contradiction et l'anachronisme, puisque la Bible, dans
d'autres endroits, dit que Sal rgna quarante ans.
Nous savons que les Isralites redoutaient la mauvaise humeur de Samuel. Sa dmission les
consterna. Ils crurent voir dans le ciel des signes de catastrophes prochaines. Leurs ennemis,
apprenant la situation, s'apprtrent leur tomber de nouveau dessus; ce qui n'tait pas fait
pour relever le moral des sujets de Sal. Les trois cent trente mille hommes de la rcente leve
gnrale fondirent comme du beurre dans la pole. Ainsi, quand les Philistins s'assemblrent
pour combattre contre Isral et qu'ils armrent trente mille chariots de guerre, six mille
cavaliers et des soldats en si grand nombre que leurs troupes ressemblaient au sable qui est sur
le bord de la mer, et quand les Philistins vinrent camper Micmas, l'orient de Bet haven,
alors le peuple d'Isral fut constern; la plupart des Hbreux, se voyant la dernire
extrmit, se cachrent dans les cavernes, dans les rochers, et jusque dans les citernes; les
autres, passant le Jourdain, se rfugirent au pays de Gad et de Galaad. (v. 5-7)
Sal se trouvait Guilgal, o les moins pouvants se rangrent autour de lui. Afin de se
rendre Jhovah propice, le roi jugea qu'il tait opportun d'offrir l'holocauste; Samuel fit savoir
qu'il viendrait sacrifier lui-mme. Et Sal attendit sept jours, selon le terme fix par Samuel;
mais Samuel ne venait point Guilgal, et le peuple s'cartait de plus en plus de Sal. Alors
Sal dit: Qu'on m'apporte l'holocauste pacifique. Et il offrit l'holocauste. Or, peine eut-il fini
d'offrir l'holocauste que Samuel arriva; et. comme Sal venait au-devant de lui pour le saluer,
Samuel lui dit: Qu'as-tu fait? Sal lui rpondit: Voyant que tu ne venais pas au jour que tu
m'avais fix, et les Philistins tant en armes Micmas, contraint par la ncessit, j'ai offert
l'holocauste au Seigneur.
Samuel dit Sal: Tu as agi follement; tu n'as pas observ les commandements de Jhovah; si
tu n'avais pas fait cela, le Seigneur aurait affermi pour jamais ton rgne sur Isral; mais,
maintenant, ton rgne ne sera point stable: l'Eternel s'est cherch un homme selon son cur, et
c'est celui-ci qu'il a destin rgner sur son peuple. Puis, Samuel s'en alla de Guilgal
Guibha; et Sal ayant fait la revue de ceux qui taient avec lui, il s'en trouva environ six cents.
138

(13:8-15) Comme arme, c'tait faible, surtout aprs avoir command trois cent trente mille
hommes!
Entre nous, on ne peut s'empcher de constater que Samuel tait un drle de pistolet. Dans
toute cette affaire, il montre une singulire mauvaise volont. La Bible ne le donne nulle part
comme grand-prtre; le grand-prtre tait Ahija, fils d'Ahitoub, lequel tait frre d'Icabod, fils
de Phines, fils d'Hli (14:3). Samuel n'tait que prtre et prophte; or, Sal l'tait comme lui,
puisqu'il avait prophtis ds qu'il avait t oint; donc, Sal ne commettait aucune erreur en se
croyant le droit d'offrir l'holocauste. En outre, ne semble-t-il pas que Samuel, dont tous les
discours prcdents prouvent nettement qu'il ne digrait pas d'avoir t oblig d'abdiquer sa
magistrature pour instituer un roi, ne semble-t-il pas, dis-je, que Samuel ait manqu exprs de
parole pour avoir un prtexte de blmer Sal et de le rendre odieux au peuple?... Et si
quelqu'un n'avait pas intrigu pour avoir le gouvernement d'Isral, c'tait bien le fils de Cis,
Sal, le gardien d'nesses!
Quoi qu'il en soit, la situation n'tait pas gaie. Mme il ne se trouvait pas de forgerons dans
toutes les terres d'Isral; car les Philistins le leur avaient dfendu, de peur que les Hbreux ne
forgeassent une pe ou une lance; et tous les Isralites taient obligs d'aller chez les
Philistins pour aiguiser le soc de leurs charrues, leurs coutres, leurs cognes et leurs hoyaux;
les Philistins ne leur permettaient d'avoir que des limes pour raccommoder leurs hoyaux, leurs
coutres, leurs fourches trois dents et leurs aigu illons, (13:19-21) Et quand le jour de
la bataille fut venu, il ne se trouva aucun des six cents hommes demeurs avec Sal qui et
une pe ou une hallebarde, except seulement Sal lui-mme et son fils Jonathan. (13:22)
Il est vident que dans ces conditions la partie n'tait pas gale. Les trois cent trente mille
combattants qui, l'anne prcdente, avaient culbut les Ammonites autour de Jabs, ne
possdaient, eux non plus, videmment, ni pes ni hallebardes; mais il importa peu alors
qu'ils ne fussent arms que de leurs fourches, leur nombre formidable leur avait valu la
victoire. Avec six cents soldats seulement, sans pes, c'tait une autre paire de manches, et
l'on comprend que Sal faisait triste figure devant les Philistins camps Micmas.
Heureusement, le jeune Jonathan, fils du roi, tait un boxeur de premire force, en mme
temps qu'un gaillard rsolu, aimant les coups hardis. Sans en rien dire son pre, il emmena
un matin un domestique, qui portait ses armes, et ils allrent tous deux rder auprs des avant-
postes de l'arme philistine. C'est ainsi qu'ils aperurent des soldats ennemis, qui s'taient
tablis un endroit lev, dominant les rochers de Botsets et de Sn (14:4). De leur hauteur,
les Philistins virent les deux hommes; et ils dirent: Voici les Hbreux, qui sortent des
cavernes o ils s'taient cachs. Alors, ceux de l'avant-poste interpellrent Jonathan et le
domestique qui le suivait en portant ses armes: Hol! leur crirent-ils, montez donc vers nous;
nous vous montrerons notre nudit, et nous nous amuserons. Jonathan dit son domestique:
Monte aprs moi; je vois que Jhovah les a livrs entre nos mains. Et Jonathan grimpa aux
rochers, en s'aidant de ses pieds et de ses mains, ainsi que son domestique qui portait toujours
ses armes; et quand il fut auprs de ceux de l'avant-poste, Jonathan se jeta sur eux
l'improviste, les assommant de ses poings, et, au fur et mesure qu'ils tombaient, son
domestique qui portait ses armes les tuait derrire lui. Ils turent ainsi vingt hommes dans la
moiti d'un arpent; et ce fut la premire dfaite des Philistins. (14:11-14)
Pendant ce temps, Sal, qui avait appel auprs de lui le grand-prtre Ahija, s'apprtait
assister un sacrifice; et tout--coup, on entendit une grande rumeur du ct des Philistins.
Or, voici: les Philistins avaient tir leurs pes les uns contre les autres, et ils s'entretuaient.
Alors, ceux des Isralites qui s'taient cachs dans les cavernes de la montagne d'Ephram en
sortirent, fondirent sur les Philistins, les poursuivirent et les atteignirent, jusqu' Betha ven.
En ce jour-l donc, Jhovah dlivra Isral. (v. 20-23)
Puis, les Isralites tant fort harasss, Sal fit, avec tout le peuple, ce sermen t: Maudit sera
quiconque, depuis maintenant jusqu' ce soir, aura mang de n'importe quelle nourriture;
139

personne ne mangera, jusqu' ce que la vengeance ait atteint les ennemis. Et le peuple ne
gota plus aucune nourriture. Cependant, le peuple tait alors dans un pays bois, et la
lisire de la fort il y avait des ruches, dont le miel coulait, jusque sur la terre du champ; mais
personne du peuple n'osa prendre de ce miel et le porter sa bouche car tous respectaient le
serment.
Or, Jonathan ignorait le serment que son pre avait fait jurer au peuple; il tendit le bout de
son bton, et, l'ayant tremp dans un rayon de miel, il en porta avec la main sa bouche, et
voil qu'aussitt ses yeux virent beaucoup plus clair. Alors, un homme du peuple lui dit: Ton
pre a fait jurer un serment de maldiction contre quiconque prendrait n'importe quelle
nourriture aujourd'hui. Jonathan rpondit: En ceci, mon pre a troubl le pays; voyez, je vous
prie, comme ma vue s'est claircie, pour avoir un peu got de ce miel. Si le peuple, qui est
harass de fatigue, avait bien mang aujourd'hui et repris des forces, la dfaite des Philistins
n'aurait-elle pas t bien plus grande? (v. 24-30)
Le peuple finit par suivre le conseil de Jonathan; les brebis, les bufs et les veaux, qui
faisaient partie du butin pris sur l'ennemi, furent gorgs, et l'on ft ripaille. Mais le plus
grave, c'est que les Juifs affams mangrent la viande, sans avoir pralablement saign fond
les victimes; en cela, ils contrevenaient aux prescriptions les plus formelles de la loi mosaque
(v. 31-32).
Un rapport de tout ceci fut fait Sal en ces termes: Le peuple pche contre l'ternel, il
mange de la chair avec le sang. Et Sal dit au peuple: Vous avez transgress la loi de Dieu!
Eh bien, roulez une grande pierre vers moi, et que chacun m'amne son taureau et ses brebis;
nous gorgerons tout ici, en saignant les btes; et, en les mangeant ainsi, vous ne pcherez
plus contre l'ternel. Et chacun du peuple amena son taureau, la main, cette nuit-l, et tout
leur btail fut gorg. (v. 33-34). Quelle hcatombe! Alors, Sal btit un autel
l'ternel. Puis, il dit: N'attendons pas le lever du jour; descendons dans la plaine, et finissons-
en cette nuit avec les Philistins; que pas un d'entre eux ne survive! Mais le sacrificateur lui dit:
Ne prends aucune dcision avant d'avoir consult Dieu. Sal consulta donc l'Eternel, en ces
termes: Poursuivrai-je les Philistins? les livreras-tu entre les mains d'Isral en ce jour? Et
Jhovah, demeurant muet, ne lui donna aucune rponse. (v. 35-37)
En vain Sal colla son oreille contre l'arche sainte (que le grand-prtre Ahija avait fait
apporter), en vain espra-t-il entendre la voix divine. Jhovah s'obstina dans son silence.
Alors, Sal comprit que papa Bon Dieu n'tait pas content.
De quoi matre Jhovah pouvait-il bien tre fch? Le grand-prtre Ahija, petit-fils de
Phines, ne piquait certainement pas dans la marmite sacre; car il ne devait pas ignorer que
cette gourmandise impie avait valu son grand-pre une mort tragique. Sal se sentait
personnellement innocent de tout pch, et, en effet, il n'en avait commis aucun que fasse
connatre la Bible. Jonathan, qui avait mang du miel, clans l'ignorance du serment de son
pre, n'tait videmment pas coupable; et, d'ailleurs, Jhovah avait-il accept un serment aussi
absurde? car dfendre des troupes de reprendre des forces un jour de combat est une fichue
imprudence!... Par consquent, si l'ternel tait mcontent, il semble que ce dt tre contre le
peuple qui s'tait empiffr de la viande du btail philistin, sans avoir d'abord saign les btes,
contrairement la loi de Mose, dicte par Dieu lui-mme. Il est vrai que ce peuple glouton
avait, aussitt aprs, dans la mme nui t, dvor son propre btail en se conformant cette fois
aux prescriptions rituelles. Si ce moment-l nos Juifs ne souffraient pas d'une indigestion,
c'est qu'ils avaient l'estomac solide!
Bref, puisque Jhovah refusait de rpondre, il fa llait dcouvrir d'abord qui tait coupable
envers lui.
Alors, Sal dit tout Isral: mettez-vous tous d'un ct; et, moi et mon fils Jonathan, nous
nous mettrons de l'autre ct. Le peuple rpondit Sal: Fais ainsi qu'il te semble bon. Et Sal
dit l'ternel: Fais au moins connatre qui est coupable. On tira au sort devant l'arche, et le
140

sort tomba sur Jonathan et Sal, et le peuple chappa. Puis, Sal dit encore: Maintenant, qu'on
jette le sort entre moi et mon fils. Et le sort dsigna Jonathan. Alors, Sal dit son fils:
Dclare-moi ce que tu as fait. Jonathan le lui dclara: Il est vrai que j'ai got un peu de miel,
pris au bout de mon bton; eh bien, soit, je suis prt mourir. Et Sal s'cria: Que Dieu me
punisse svrement, si tu ne meurs pas aujourd'hui, Jonathan!...
Mais le peuple implora Sal, en lui disant: Quoi! Jonathan mourrait, lui qui a dlivr Isral
par son courage si merveilleux ? Cela ne saurait tre. Dieu, qui est vivant, ne permettra point
qu'un seul cheveu tombe de sa tte; car c'est par la protection de Dieu que Jonathan a
accompli son grand exploit. Ainsi le peuple sauva Jonathan del mort. (14:40-45)
La suite de l'histoire nous apprend que Sal ayant renonc poursuivre les Philistins, ceux-ci
retournrent dans leur pays; mais ce n'tait que partie remise. Pendant une priode de temps
dont l'auteur sacr ne nous indique pas la dure, le rgne du fils de Cis fut assez glorieux.
Sal rgna donc sur Isral, et de tous cts il fit la guerre avec succs contre ses ennemis,
contre les Moabites, les Ammonites, les Idumens, contre les rois de Saba et contre les
Philistins; partout o il portait ses armes, il avait la victoire. Il leva aussi une grande arme,
avec laquelle il battit les Amalcites, et, il dlivra Isral de la main de ceux qui le pillaient.
(v. 47-48)
L'inpuisable chapitre 14 nous fait connatre enfin les principaux membres de la famille de
Sal. Son grand-pre, nomm Abiel, avait eu deux fils: Cis, dj cit, et Ner, lequel engendra
Abner; cet Abner, cousin germain du roi, tait le gnral en chef de l'arme isralite. La reine
se nommait Achinoam et tait fille d'un certain Achimaas. Indpendamment de Jonathan, Sal
et deux fils, Jessui et Malchisua, et deux filles, Mrob, l'ane, et Mical ou Michol, la
cadette; il eut encore deux autres garons, Abinadab et Isboseth.
Mais voici que le vieux Samuel va rentrer en scne quelques instants; c'est lui qui fit dclarer
la guerre aux Amalcites, quoique ceux-ci se tinssent bien tranquilles. Samuel vint Sal et
lui dit: C'est l'Eternel qui m'a envoy t'oindre; or, puisque tu es roi sur Isral par la volont de
Jhovah, coute ce que Jhovah t'ordonne par ma bouche, car je te rpte les paroles mmes
que l'ternel m'a dites: Je viens de rappeler dans ma mmoire qu'Amalec ne laissa pas passer,
sur son territoire mon peuple, quand il venait d'Egypte; il faut donc, maintenant, tuer tous les
Amalcites; qu'on n'pargne personne; ne convoitez rien de ce que cette nation possde, mais
dtruisez tout; tuez tout, les femmes aussi bien que les hommes, les grands garons et les
petits enfants encore la mamell e; et tuez aussi leurs bufs, leurs brebis, leurs chameaux et
leurs nes. (15:1-3)
Les critiques, mme les plus modrs, ne parlent de ce passage de la Bible qu'avec horreur.
Quoi! s'crie surtout lord Bolingbroke, faire descendre le Crateur de l'univers dans un coin
ignor de ce misrable globe, pour dire des Juifs: A propos, je me souviens tout--coup qu'il
y a environ cinq cents ans un petit peuple vous refusa le passage! Allons, vous avez une
guerre terrible avec vos matres les Philistins, contre lesquels vous vous tes rvolts; eh bien,
laissez l cette guerre embarrassante, et allez-vous-en contre ce petit, peuple, qui ne voulut
pas autrefois que vos anctres vinssent tout ravager chez lui. Massacrez hommes, femmes,
enfants et vieillards! gorgez bufs, vaches, chvres, chameaux, nes; car, comme vous tes
en guerre avec le peuple puissant des Philistins, il est bon que vous n'ayez ni bufs ni
moutons manger, ni nes pour porter vos bagages et vos vivres de campagn e!...
Sal, donc, assembla son peuple, convoqu par les crieurs; la revue fut passe Tlam, et il
se trouva que la tribu de Juda avait fourni dix mille hommes prts combattre; le contingent
fourni par les autres tribus tait de deux cent mille hommes de pied. (v. 4) A la bonne heure!
nous n'en sommes plus aux six cents troupiers du camp de Guilgal, quoiqu'on puisse se
demander ce qu'taient devenus les cent vingt mille autres soldats qui avaient livr les
premires batailles du rgne de Sal. Il y a un an peine, l'arme isralite comptait trois cent
trente mille hros, qui taient venus combattre les Ammonites sans avoir une seule pe, une
141

seule lance, et il n'en reste plus que deux cent dix mille Sal!... O est pass le reste ?... Ah!
pigeon, divin pigeon, que tu es bien de Tarascon-sur-Rhne, mon bon!...
La victoire de l'arme juive fut clatante; les Amalcites furent battus plate couture, depuis
Avi la jusqu' Sr: Sal fit des prisonniers en nombre prodigieux, et les Isralites
massacrrent leurs captifs sans aucune piti.
Pourtant, Sal pargna le roi Agag, jugeant sans doute qu'il devait faire acte de camaraderie
envers un particulier du mme grade que lui.
Cette clmence froissa le pre Sabaoth. Il apparut Samuel et lui dit: Je me repens d'avoir
tabli Sal roi; car il s'est dtourn de moi, en n'excutant pas entirement mes ordres. Alors,
Samuel eut une grande douleur, et il passa toute cette nuit-l crier vers le ciel. (15: 10- 11)
Quelles furent les suites de cette apparition divine et de cette nuit de hurlements?... Ce
chapitre de la Bible a t prsent par Voltaire d'une faon saisissante dans son drame Sal.
(La scne se passe Guilgal, et l'action s'ouvre par un colloque entre le roi juif et Baza, son
confident.)
BAZA. O grand Sal! le plus puissant des rois, vous qui rgnez sur les trois lacs, dans
l'espace de plus de cinq cents stades, vous, vainqueur du gnreux Agag, roi d'Amalec, dont
les capitaines taient monts sur les plus puissants nes, ainsi que les cinquante fils d'Amalec;
vous qu'Adona fit triompher la fois de Dagon et de Belzbuth; vous qui, sans doute, mettrez
sous vos lois toute la terre, comme Dieu l'a promis tant de fois, quel chagrin pourrait vous
troubler dans de si nobles triomphes et de si grandes esprances?
SAL. O mon cher Baza! heureux mille fois celui qui conduit en paix les troupeaux
blants de Benjamin et presse le doux raisin de la valle d'Engaddi!... Hlas! je cherchais les
nesses de mon pre, je trouvai un royaume; depuis ce jour, je n'ai connu que la tristesse...
Plt Dieu, au contraire, que j'eusse cherch un royaume et trouv des nesses! j'aurais fait un
meilleur march... Samuel, tu le sais, m'oignit malgr lui; il fit ce qu'il put pour empcher le
peuple de choisir un prince, et ds que je fus lu, il devint le plus cruel de tous mes ennemis...
BAZA. Vous deviez bien vous y attendre; il tait prtre, et vous tiez guerrier; il
gouvernait avant vous: on hait toujours son successeur.
SAL. Eh! pouvait-il esprer gouverner plus longtemps? Il avait associ son pouvoir ses
indignes enfants, galement corrompus et corrupteurs, qui vendaient publiquement la justice:
toute la nation s'leva contre ce pouvoir sacerdotal. On tira un roi au sort: les ds sacrs
annoncrent la volont du ciel; le peuple la ratifia, et Samuel frmit. Ce n'est, pas assez de
har en moi un prince choisi par le ciel, il hait encore le prophte; car il sait que, comme lui,
j'ai le nom de voyant, que j'ai prophtis comme lui; et ce nouveau proverbe, rpandu dans
Isral, Sal est aussi au rang des prophtes, n'offense que trop ses oreilles superbes. On le
respecte encore; pour mon malheur il est prtre, il est dangereux.
BAZA. Votre Altesse royale est trop bien affermie par ses victoires, et le roi Agag, votre
illustre prisonnier, vous est ici un sr garant de la fidlit de votre peuple, galeme nt
enchant de votre victoire et de votre clmence... Voici qu'on l'amne devant Votre Altesse
royale.
(Entre d'Agag, entour de soldats.)
AGAG. Doux et puissant vainqueur, modle des princes, qui savez vaincre et pardonner, je
me jette vos sacrs genoux; daignez ordonner vous-mme ce que je dois donner pour ma
ranon; je serai dsormais un voisin, un alli fidle, un vassal soumis; je ne vois plus en vous
qu'un bienfaiteur et un matre: j'admirerai, j'aimerai en vous l'image du Dieu qui punit et
pardonne.
SAL. Illustre prince, que le malheur rend encore plus grand, je n'ai fait que mon devoir
en sauvant vos jours: les rois doivent respecter leurs semblables; qui se venge aprs la victoire
est indigne de vaincre; je ne mets point votre personne ranon, elle est d'un prix inestimable.
142

Soyez libre; les tributs que vous paierez Isral seront moins des marques de soumission que
d'amiti: c'est ainsi que les rois doivent traiter ensemble.
AGAG. O vert u! grandeur de courage! que vous tes puissante sur mon cur! Je vivrai,
je mourrai le sujet du grand Sal, et tous mes Etats sont lui.
(Survient Samuel, accompagn de prtres.)
SAL. Samuel, quelles nouvelles m'apportez-vous? Venez-vous de la part de Dieu, de
celle du peuple, ou de la vtre?
SAMUEL. De la part de Dieu.
SAL. Qu'ordonne -t-il?
SAMUEL. Il m'ordonne de vous dire qu'il s'est repenti de vous avoir fait rgner.
SAL. Dieu, se repentir!... Il n'y a que ceux qui font des fautes qui se repentent. Dieu ne
peut faire des fautes.
SAMUEL. Il peut se repentir d'avoir mis sur le trne ceux qui en commettent.
SAL. Eh! quel homme n'en commet pas?... Parlez, de quoi suis-je coupable?
SAMUEL. D'avoir pardonn un roi.
AGAG. Comment! la plus belle des vertus serait regarde chez vous comme un crime?
SAMUEL, Agag. Tais-toi, ne blasphme point. (A Sal:) Sal, ci-devant roi des Juifs,
Dieu ne vous avait-il pas ordonn, par ma bouche, d'gorger tous les Amalcites, sans
pargner ni les femmes, ni les filles, ni les enfants la mamelle?
AGAG. Ton Dieu t'avait ordonn cela!... Tu t'es tromp, tu voulais dire ton diable.
SAMUEL, ses prtres. Prparez-vous m'obir... Et vous, Sal, avez-vous obi Dieu?
SAL. Je n'ai pas cru qu'un tel ordre ft positif; j'ai pens que la bont tait le premier
attribut de l'Etre suprme; qu'un cur compatissant ne pouvait lui dplaire.
SAMUEL. Vous vous tes tromp, homme infidle: Dieu vous rprouve, votre sceptre
passera en d'autres mains.
BAZA, Sal. Quelle insolence!... Sire, permettez-moi de punir ce prtre barbare.
SAL. Gardez-vous-en bien; ne voyez-vous pas qu'il est suivi de tout le peuple, et que
nous serions lapids si je rsistais, car en effet j'avais promis...
BAZA. Vous aviez promis une chose abominable!
SAL. N'importe; les Juifs sont plus abominables encore; ils prendront la dfense de
Samuel contre moi.
BAZA, part. Ah! malheureux prince, tu n'as du courage qu' la tte des armes.
SAL. Eh bien donc! prtres, que faut-il que je fasse?
SAMUEL. Je vais te montrer comment on obit au Seigneur... (A ses prtres:) O prtres
sacrs, enfants de Lvi, dployez ici votre zle: qu'on apporte une table; qu'on tende sur cette
table ce roi, dont le prpuce est un crime devant le Seigneur... Les prtres s'emparent d'Agag
et le lient sur la table.
AGAG. Que voulez-vous de moi, impitoyables monstres?
SAL. Auguste Samuel, au nom du Seigneur...
SAMUEL, Ne l'invoquez pas, vous en tes indigne, demeurez ici, il vous l'ordonne; soyez
tmoin du sacrifice, qui, peut-tre, expiera votre crime.
AGAG, Samuel. Ainsi donc vous m'allez donner la mort?... O mort, que vous tes amre!
SAMUEL. Oui, tu es gras! et ton holocauste en sera plus agrable au Seigneur.
AGAG. Hlas! Sal, que je te plains d'tre soumis de pareils monstres!
SAMUEL, Agag. Ecoute, tu vas mourir: veux-tu tre juif? veux-tu te faire circoncire?
AGAG. Et, si j'tais assez faible pour tre de ta religion, me donnerais-tu la vie?
SAMUEL. Non; tu auras la satisfaction de mourir juif, et c'est assez.
AGAG. Frappez donc, bourreaux!
SAMUEL. Donnez-moi cette hache, au nom du Seigneur; et tandis que je couperai un bras,
coupez une jambe, et ainsi de suite morceau par morceau,
143

(Les prtres frappent tous ensemble, avec Samuel, au nom d'Adona.)
AGAG. O mort! tourments! barbares!
SAL. Faut-il que je sois tmoin d'une abomination si horrible!
BAZA. Dieu vous punira de l'avoir soufferte.
SAMUEL, aux prtres. Emportez ce corps et cette table; qu'on brle les restes de cet
infidle, et que ses chairs servent nourrir nos serviteurs... (A Sal:) Et vous, prince, apprenez
jamais qu'obissance vaut mieux encore que sacrifice.
SAL, se jetant dans un fauteuil. Je me meurs; je ne pourrai survivre tant d'horreurs et
tant de honte.
(On aurait tort de croire une exagration dans cette mise en scne.)
Le chapitre 15 du 1
er
livre de Samuel, reprse nte en effet l'gorgement d'Agag, massacr de
la faon la plus barbare, avec une cruaut dont il est peu d'exemples, le prophte tant lui-
mme au nombre des bourreau! et prsidant le supplice.
En outre, Samuel dclara Sal qu' partir de ce moment il tait dchu, que Jhovah l'avait
rejet. Et comme Samuel se tournait pour s'en aller, Sal, voulant le retenir, le prit par le pan
de son manteau, qui se dchira. Alors le prophte dit au roi: Ainsi que tu as dchir mon
manteau, de mme ton royaume sera dchir. (15:27-28).
Puis, sans perdre de temps, Samuel se rendit Bethlem. L, il fit comparatre devant lui un
sieur Isa, descendant de Booz, et toute sa famille. Aprs une purification gnrale, suivie d'un
sacrifice, Samuel dit Isa: Sont-ce l tous tes enfants? Isa lui rpondit: Il en reste encore
un tout petit, qui garde les brebis. Fais-le venir, repartit Samuel; car nous ne nous mettrons
pas table avant qu'il soit ici prsent. On amena donc le jeune garon; celui-ci tait roux et de
joli visage. Et Jhovah dit Samuel: Voil bien celui que tu dois oindre. Alors, Samuel prit
une corne pleine d'huile, qu'il avait apporte, et oignit David au milieu de ses frres. Ds lors,
le souffle du Seigneur souffla sur David et ne souffla plus sur Sal; au surplus, Jhovah
envoya Sal un mauvais esprit, et Sal eut le cerveau troubl. (16:11-14)
Les critiques font remarquer, comme une chose tonnante, que Dieu ait parl Samuel chez le
pre de David mme, devant toute la maison, sans que l'auteur sacr dise explicitement s'il y
eut ou non une apparition. L'opinion des thologiens est que Jhovah parlait intrieurement
son prophte; mais alors comment les assistants pouvaient-ils deviner qu'il avait une mission
particulire et divine? Tous les juifs, dit Voltaire, devaient savoir que Sal rgnait, puisque
Samuel avait rpandu de l'huile sur sa tte. Or, quand il en fit autant David, son pre, sa
mre, ses frres et les assistants devaient s'apercevoir qu'il instituait un roi nouveau, et que
par-l il exposait toute la famille la vengeance de Sal; il y a quelque difficult. Boulanger
dit qu'il n'y a jamais eu de scne du thtre italien plus comique que celle d'un prtre de
village qui vient chez un paysan, avec une bouteille d'huile dans sa poche, oindre un petit
garon rousseau, et faire ainsi une rvolution dans l'Etat; ce critique ajoute que cet Etat et ce
peti t garon rousseau ne mritaient pas une autre historien.
Or, les officiers de Sal lui dirent: Tu vois qu'un mauvais souffle de Dieu te trouble; s'il te
plat, tes serviteurs iront chercher un joueur de harpe, afin que, quand le mauvais souffle de
Dieu te troublera le plus, ce musicien te soulage en touchant de la harpe avec sa main. Sal dit
donc ses serviteurs: Allez me chercher quelqu'un qui sache bien harper. Mais l'un des
serviteurs lui dit: Il y a, Bethlem, l'un des fils d'un nomm Isa, que j'ai vu et qui joue de la
harpe en vritable artiste; c'est un jeune homme robuste, vaillant guerrier, s'exprimant avec
loquence, et fort joli garon; en outre, Dieu est avec lui. Alors, Sal envoya des messagers
Isa pour lui dire: Envoie-moi ton fils David, celui qui garde tes brebis. Isa prit aussitt un
ne, qu'il chargea de pain et d'un baril de vin, et un chevreau, et il fit remettre par David ces
144

prsents Sal. Et quand David se prsenta, Sal prouva pour lui une grande affection et il le
nomma son cuyer; et il envoya dire Isa: Je te prie de 'lisser David mon service; car il me
plat beaucoup. Quand donc le mauvais souffle de Dieu troublait Sal, David prenait une
harpe et en jouait, et Sal en tait soulag, et le mauvais souffle cessait de souffler. (v. 15-
23)
Quel mli-mlo, cette histoire!... David, dont l'auteur sacr fait un simple ptre, est en mme
temps un harpiste de talent dos plus distingus; encore si en menant patre les brebis il s'tait
content de jouer de la flte! mais non, c'est l'norme et encombrante harpe qu'il trimballe
avec lui travers les arides montagnes de Jude. Ensuite, on nous donne David comme tout
jeune; comment peut-on alors qualifier ce petit garon de vaillant guerrier?... Autre
observation: l'officier de Sal, qui est si bien renseign sur le compte de David, ignore-t-il
donc que l'adolescent a t oint par Samuel et qu'il est, par consquent, un dangereux
comptiteur?... Et ces prsents d'Isa au chef de l'tat sont-ils assez ridicules! du pain, un baril
de vin et un chevreau, voil ce qui est offert un souverain, pour se concilier ses bonnes
grces!... Que dire enfin de Jhovah qui passe son temps flanquer des attaques de nerfs
Sal et l'en gurir momentanment avec la musique de son rival? Tout cela est d'un
grotesque insens!...
Cependant, les Philistins assemblrent toutes leurs armes pour livrer un grand combat
Isral; ils tablirent leur camp entre Soco et Azca, sur la frontire de Dammi m. Sal et les
Juifs se rassemblrent aussi, et ils camprent dans la valle du Chne. Les Philistins taient
sur une montagne et les Isralites taient sur une autre montagne, vis--vis. Et il arriva qu'un
btard sortit du camp philistin et vint se prsenter entre les deux armes; il s'appelait Goliath;
il tait de Geth, et il avait six coudes et une palme de haut (un peu plus de quatre mtres!); un
casque d'airain protgeait sa tte, et sa cuirasse, faite d'caills, qu'il avait sur la poitrine pesait
cinq mille sicles d'airain, elle seule (soixante kilogrammes); il avait aussi des bottes d'airain,
et un grand bouclier d'airain couvrait ses paules; la hampe de sa lance tait, aussi
volumineuse que l'ensuple d'un tisserand; le fer de cette lance pesait six cents sicles de fer (dix
kilogrammes). Ce gant venait crier devant les phalanges d'Israi: Choisissez donc quelqu'un
d'entre vous pour combattre contre moi; s'il me tue, nous serons vos esclaves; mais, si je le
tue, c'est vous qui serez nos esclaves. Et ce Philistin se vantait ainsi chaque jour d'avoir
dshonor Isral, et tous les Juifs ayant entendu la voix de ce gant philistin qui les bravait
taient stupfaits et tremblaient de peur. (17:1-11)
Ce gant Goliath, qui avait plus de quatre mtres de haut, ne doit pas paratre extraordinaire,
aprs les autres gants que nous avons vus dans la Gense. Il est vrai que nous ne voyons plus
aujourd'hui des hommes de cette taille; telle est mme la constitution du corps humain, que
cette excessive hauteur, en drangeant toutes les proportions, rendrait ce gant trs faible, et
incapable de se soutenir. Il faut regarder Goliath comme un prodige que Dieu suscitait
pour manifester la gloire de David, dit ironiquement Voltaire.
Or, David tait fils de cet phratien de Bethlem, dont il a t parl, lequel se nommait Isa
et tait trs vieux, avec huit enfants. Les trois plus grands fils, Eliab, Abinadab et Samma,
avaient pris leur rang dans l'arme de Sal pour combattre dans cette guerre; mais David, qui
tait le plus jeune, allait et revenait d'auprs de Sal pour mener patre les brebis de son pre,
Bethlem. (v. 12-15) Bizarre, ce David, que le roi a fait son cuyer, et qui, en pleine
guerre, quitte de temps en temps son service pour aller garder des troupeaux! Et le gant
philistin renouvelait matin et soir ses dfis aux soldats juifs, et il resta l debout pendant
quarante jours. Alors, Isa dit David son (ils. Tiens, prends un litron de farine d'orge et dix
pains, et cours tes frres dans le camp; porte aussi dix fromages leur capitaine, visite tes
frres, et vois un peu comment ils se comportent. Or, Sal et ses troupes taient toujours dans
la valle du Chne. David, donc, partit un jour, de bon matin, aprs avoir laiss ses brebis la
garde d'un autre; il s'en alla tout charg, comme son pre le lui avait dit, et vint jusqu'
145

l'endroit nomm Magala, o l'arme s'tait avance pour demander la bataille, et qui criait
dj bataille; car les Isralites et les Philistins taient en prsence. C'est pourquoi David, ayant
laiss aux bagages tout ce qu'il avait apport, courut l'endroit o les Isralites et leurs
ennemis taient rangs, vis--vis, en ordre de bataille, et son premier soin fut de demander
comment ses frres se comportaient. Tandis qu'il parlait, voil que le btard Goliath sortit des
rangs philistins et vint recommencer ses bravades; ce qui fit immdiatement tourner le dos
tous les Juifs, qui reculrent en tremblant de peur. (17:16-24)
Alors, un homme d'Isral se mit dire: Voyez-vous ce Philistin qui vient insulter toute notre
nation? S'il se trouve quelqu'un qui puisse le tuer, le roi l'enrichira d'immenses richesses, et lui
donnera sa fille, et sa famille sera affranchie de tout impt en Isral. De son ct, David
demandait autour de lui, en s'adressant aux uns et aux autres: Que donnera-t-on celui qui
tuera ce grand coquin incirconcis? Le peuple lui rpta ce qui vient d'tre dit. (v. 25-27)
D'aprs ce texte, David ne parat gure vouloir combattre par amour pour sa patrie, mais bien
plutt par l'espoir du gain. Mais, quand Eliab, son frre an, connut les propos que
David tenait, il s'emporta fort contre lui: Pourquoi es-tu venu ici? dit-il; nous n'avons que peu
de brebis la campagne, et tu les as laisses! Mais David rpondit: Qu'ai-je fait de mal? Y a-t-
il de quoi se fcher? Et, s'tant loign, il alla vers d'autres, leur posa la mme question et
reut la mme rponse. (v. 28-30)
Les paroles de David furent rapportes au roi, qui le fit venir. Et David dit Sal: Que
personne n'ait le cur troubl cause de Goliath; car j'irai, moi ton serviteur, et je combattrai
ce Philistin. Mais Sal lui parla ainsi: Tu ne saurais lutter contre cet ennemi terrible, attendu
que tu n'es qu'un enfant et que, lui, au contraire, il est un homme de guerre, depuis sa
jeunesse. David rpondit au roi: Il y a quelque temps, tandis que je faisais patre les brebis de
mon pre, un lion et un ours survinrent, et ils emportrent une brebis du troupeau; mais je
courus aprs eux, je les frappai coups redoubls, et j'arrachai la brebis de leur gueule; et,
comme ils se redressaient tous deux contre moi, je les saisis de chaque main l'un et l'autre par
la mchoire, et je les frappai encore plus fort, si bien que je les tuai. Ton serviteur donc a tu
un lion et un ours; et ce Philistin, dont le prpuce n'a pas t coup, sera trait comme ces
animaux, car il a insult l'arme du Dieu vivant. David dit encore: Jhovah, qui m'a dlivr de
la griffe du lion et de la patte de l'ours, me dlivrera de la main de cet incirconcis. Alors, Sal
dit David: Va, et que Jhovah soit avec toi! (17:31-37)
On le voit, le roi Sal avait t pat, et, sa place, on l'aurait t moins; en effet, le rcit du
gosse tait patant. Imaginez un instant que vous tes spectateurs de cette aventure: le lion et
l'ours se jetant la fois sur une mme brebis du troupeau du pre Isa, quand il leur aurait t
plus commode d'en prendre chacun une; les deux btes froces s'loignant avec leur proie,
qu'ils s'apprtent dvorer, le lion la tenant par la tte, et l'ours par l'arrire-train; l-dessus, le
petit berger s'lanant la poursuite des terribles ravisseurs, leur disputant la brebis, cognant
du poing et du pied, et les saisissant par la mchoire! Quel tableau!... Trouvez donc de
semblables exploits ailleurs que dans la Bible; je vous en dfie bien. O Tartarin, voil ton
matre: le jeune David!
Par l'histoire de Samson, nous avions appris que le lion se rencontrait en Palestine. C'tait dj
une surprise pour le lecteur. Mais, avec David, nous trouvons tout ensemble le lion et l'ours!...
Les naturalistes affirment que l o vit le lion, il n'y a pas d'ours, et rciproquement. Zut pour
les naturalistes! Voil leur science en dfaut. O divin pigeon, il ne te reste plus qu' nous faire
connatre l'ours de l'quateur et le lion du ple Nord!
Sal, alors, fit armer David de ses propres armes; il lui mit son casque d'airain sur la tte et
le revtit de sa cuirasse. Et David, ayant ceint l'pe par-dessus sa tunique, commena
essayer s'il pouvait marcher avec des armes; car il n'y tait pas accoutum. (17:38-39)
Pas accoutum au maniement des armes?... Soit; mais alors pourquoi le verset 18 du chapitre
prcdent reprsente-t-il David comme tant connu pour un vaillant guerrier depuis
146

longtemps? David dit donc Sal: Je ne saurais marcher avec des armes, n'en ayant pas
l'habitude. Et il les quitta. Puis, il reprit son bton de berger, se choisit cinq pierres dans un
torrent voisin, les mit dans sa panetire, et, tenant sa fronde la main, il marcha contre le
gant philistin. Le philistin, prcd de son cuyer, s'avana aussi la rencontre de David.
(v. 39-41)
L'cuyer de Goliath?... Il n'en est question que dans la Bible, texte in-extenso; cet cuyer est
supprim tout net, dans les manuels d'histoire sainte l'usage des fidles, et l Goliath n'est
plus qu'un simple fantassin. Pourquoi donc les prtres modernes ont-ils opr cette coupure
dans le texte sacr? L'cuyer du gant philistin ne mritait pourtant pas de disparatre ainsi,
d'une faon si arbitraire. En effet, dans les armes d'autrefois, l'cuyer tait le soldat qui
accompagnait un officier cheval et qui prenait soin de sa monture; de nos jours, on
l'appellerait l'ordonnance officier de cavalerie. Or, si Goliath avait un cuyer attach
spcialement son service, c'est qu'il tait officier dans l'arme philistine; la Bible dit,
d'ailleurs, en plusieurs endroits, qu'il y avait une puissante cavalerie chez les Philistins. Et
l'ineffable pigeon-canard, qui nous a assur tout l'heure que Goliath avait plus de quatre
mtres de haut, a oubli de nous

faire connatre les proportions gigantesques de son cheval! Il
est vident que le cheval de Goliath devait tre gant, lui

aussi. Et la sainte criture ne nous
indique pas la contre qui produisait des talons si phnomnaux, des chevaux de

taille
porter des cavaliers hauts de six coudes et une

palme!... Dplorable lacun e!...
Reprenons le rcit biblique: Alors, le gant philistin

jeta un regard sur David, et, voyant que
c'tait un adolescent de cheveux roux et de joli visage, il lui tmoigna son mpris. Suis-je un
chien, lui dit-il, pour que tu viennes contre moi avec un bton? Et il maudit David, en jurant
du nom de ses dieux. Puis, il lui dit encore: Eh bien, viens donc, et je donnerai ta viande aux
oiseaux du ciel et aux btes des champs. David rpondit Goliath: Tu marches contre moi
avec ton pe, ta lance et ton bouclier; mais moi, je marche contre toi au nom de Sabaoth,
dieu des armes d'Isral, dieu de ces troupes ranges en bataille que tu as insultes; et, comme
le Seigneur te livrera aujourd'hui entre mes mains, c'est moi qui t'abattrai, c'est moi qui, aprs
t'avoir coup la tte, donnerai ta viande aux oiseaux des cieux et aux animaux de la terre; et le
monde entier saura qu'Isral a un dieu!... Et David, ayant couru sus Goliath, mit la main
dans sa panetire, prit une pierre, et la lana avec sa fronde; et cet te pierre atteignit le gant
au front o el le s'enfona, si bien que le Philistin tomba le visage contre le sol. Puis, David se
jeta sur Goliath, prit son pe, la tira du fourreau, le tua et lui coupa la tte. Et les Philistins,
ayant, vu que leur gant tait mort, s'enfuirent. Alors, les soldats d'Isral et de Juda, qui
taient demeurs assis, se levrent en poussant des cris de joie et se mirent la poursuite des
Philistins, et ceux-ci, tombant blesss mort sous leurs coups, jonchrent le chemin de
Saharaji m jusqu' Gath et jusqu' Hkron; aprs quoi, les Juifs pillrent le camp philistin
(17:42-53)
Et David prit les armes du gant et les plaa dans sa tente; il prit aussi la tte de Goliath et la
porta Jrusalem. (v. 54) Tiens (il avait donc tout--coup une tente, le jeune David?... Et
c'est Jrusalem qu'il alla, en triomphateur, porter la tte du gant philistin? Ceci est plus
trange encore, attendu que Jrusalem n'appartenait point cette poque aux Juifs; nous
verrons plus loin comment cette ville ne fut prise que plus tard par David, aprs la mort de
Sal. Mais nous commenons nous habituer aux contradictions de l'Esprit-Saint! Or,
lorsque Sal avait vu David marcher contre Goliath, il dit Abner, gnral de l'arme
isralite: Quel est cet adolescent? de quel pre est-il fils? Abner lui rpondit: Aussi vrai que
ton me est vivante, roi, je n'en sais rien. Le roi repartit: Informe-toi tout de suite, afin que
je sache, quelle famille appartient cet adolescent. Sitt donc que David fut retourn du
combat, Abner conduisit Sal le jeune homme, qui tenait la main la tte du gant. Et Sal
lui dit: De qui es-tu fils? David rpondit: Mon pre se nomme Isa, ton serviteur, et il habite
Bethlem. (17:55-58)
147

Ah ! qu'est-ce que tout ce rebchage incohrent?... O le divin inspirateur de la Bible a-t-il
la tte?... Dans le chapitre prcdent, on nous a racont, avec les plus minutieux dtails, que
Sal, pour calmer ses nerfs, s'est enquis d'un bon joueur de harpe; un de ses officiers lui en a
procur un, qui est David, et le roi a t renseign sur sa famille; bien mieux, Sal a envoy
Isa un messager pour prier le vieux bonhomme de lui laisser son fils, parce qu'il lui plaisait
beaucoup; le pigeon nous a dit encore que David allait et venait souvent d'auprs de Sal
Bethlem et qu'il faisait ainsi la navette entre la cour royale et les brebis paternelles. Et voil
que ni Sal, ni Abner, ni aucun officier du roi ne savent qui est David, au moment de sa lutte
contre Goliath ! Voil le joueur de harpe du roi, l'cuyer de Sal, devenu tout coup un
inconnu!... Que penser de ce galimatias?... Lorsqu'il dicta Samuel ce chapitre 17, le divin
pigeon n'avait-il pas, ce jour-l, absorb un peu trop de chnevis?... Ce serait croire, ma foi!
Prenons-en notre parti, et poursuivons l'difiante lecture. Sans se soucier le moins du monde
de ses contradictions, l'auteur sacr nous apprend (18:2) que, cette fois, Sal ne voulut plus
permettre David de retourner chez son pre. D'autre part, Jonathan fut pris tout coup d'une
vive amiti pour le jeune joueur de harpe, dont il avait, lui aussi, ignor la prsence la cour
dans les temps antrieurs: Sitt que David eut achev de parler , Sal, l'me de Jonathan
fut tellement lie son me, que Jonathan l'aima comme son me; et Jonathan fit alliance
avec David, parce qu'il l'aimait comme son me; et Jonathan se dpouilla du manteau qu'il
portait, et il en fit cadeau David, et il lui donna encore tous ses habits, mme jusqu' son
pe, son arc et son baudrier. (18:3-4). Voil de l'amiti! Que durent penser le gnral
Abner, les capitaines, les courtisans, en voyant le fils du roi se dshabiller, ne garder que sa
chemise (du moins, est-il convenable de le supposer) et offrir ses armes et tous ses vtements
l'heureux vainqueur de Goliath?... Malheureusement, la Bible oublie de nous faire part des
rflexions des hauts personnages qui assistrent cette scne impayable.
Une nouvelle existence commenait donc pour le gosse, que Samuel avait sacr roi, et qui,
peu enclin pour le quart d'heure entrer en concurrence avec Sal, se bornait lui servir
d'cuyer et de musicien: mais, malgr cet effacement, David n'allait pas tarder porter
ombrage Sa Majest.
Or, comme ils revenaient, quelque temps aprs la dfaite du gant philistin, il sortit, de
toutes les villes d'Isral, des femmes en grand nombre, qui allrent leur rencontre en
acclamant David; et voici que ces femmes se mirent chanter et danser joyeusement, avec
des tambours et des cymbales; et, tout en jouant de leurs instruments, elles se criaient les unes
aux autres: Sal en a tu mille, mais David en a tu dix mille! (v. 6-7)
Il tait difficile d'admettre que feu Goliath, si gant qu'il ft, reprsentt dix mille hommes,
lui tout seul. Aussi, Sal, qui s'tait distingu la guerre par des exploits multiplis, trouva
que l'ovation faite son cuyer harpiste sortait des limites raisonnables et prenait un caractre
offensant pour lui. Ces paroles des femmes d'Isral dplurent au roi, et il en fut fort irrit.
(v. 8) Depuis ce jour-l, Sal vit David de mauvais il. (v. 9).
Et il arriva, ds le lendemain, que le mauvais souffle de Dieu souffla sur Sal; alors, David
joua de la harpe, comme les autres jours. Mais Sal avait sa lance la main, et il la lana
soudain contre la muraille, en se disant en lui-m me: En atteignant cette muraille, mon arme
transpercera David. Or, celui-ci, qui tait alerte, vita deux fois le coup, en se dtournant.
(18:10-11)
Peu aprs, le roi, pour loigner de lui le jeune homme, le nomma capitaine et le mit la tte
de mille hommes (v. 13), et David, qui tout russissait , devint de plus en plus populaire
parmi les enfants d'Isral, et son nom commena tre connu hors de la nation. Nous allons
voir bientt que le seigneur Jhovah multiplia les preuves de sa protection envers David.
L'ayant fait appeler un jour, Sal lui dit: coute, je te donnerai pour femme ma fille ane
Mrob, et ainsi, toi qui es vaillant, tu seras pour moi un autre fils, et tu dirigeras les batailles
d'Isral (v. 17); au fond, Sal se disait que les Philistins finiraient par le dbarrasser de
148

David. Je suis si peu de chose pour devenir le gendre du roi! rpondit David (v. 18). Il se
gardait bien de rvler que Samuel l'avait oint. Or, quand vint l'poque o Sal devait
donner sa fille Mrob David, il la maria Hadriel Mholatite (v. 19); l'auteur sacr ne dit
pas pourquoi. Mais Mical, seconde fille de Sal, tomba amoureuse de David, et elle le fit
savoir son pre; alors Sal fut trs content, et il dit David: Tu seras mon gendre
aujourd'hui mme. (v. 20-21). Il est probable, d'aprs ce qui suit, que le vainqueur de
Goliath n'aurait pas demand mieux que d'pouser Mical tout de suite; mais Sal avait parl
en l'air, parat-il, ou bien il regretta de s'tre montr si press. En effet, ds qu'il eut le
consentement du jeune homme, il se mit exiger de lui des choses extraordinaires.
On ne devinerait jamais quelle condition Sal fit poser a David pour l'agrer dfinitivement!
Sal dit ceux de ses serviteurs qu'il envoya David: Vous lui direz que le roi demande pour
douaire cent prpuces de Philistins. (v. 25) En d'autres termes, le roi ne voulait pas doter
Mical; son avis, c'tait David qui devait constituer une dot sa femme; et quelle dot!... Cent
prpuces!... On ne voit gure quoi tant de prpuces auraient pu servir dans le nouveau
mnage... Alors, avant que les jours fixs fussent accomplis, David s'en alla au pays des
Philistins, accompagn de sa troupe; l, il tua deux cents hommes. Puis, il coupa leurs
prpuces, les apporta et les remt bien compts (sic) au roi, afin d'tre son gendre. Et Sal lui
donna pour femme sa fille Mical. (18:26-27) On s'imagine la sance de signature du
contrat, le notaire royal comptant gravement les deux cents prpuces, et l'amoureuse Mical
roucoulant David et tout heureuse d'avoir un si beau prsent de noces!
Quant aux Philistins, ils trouvrent de fort mauvais got qu'on vnt s'approvisionner de
prpuces chez eux, et la guerre recommena. Les capitaines philistins se mirent en
campagne; et ds qu'ils furent sortis, David eut plus de victoires que tous les officiers de Sal;
et son nom fut en fort grande estime. (18:30)
C'est en ce temps-l que le roi avait de frquentes priodes de maboulisme; mais on se
demande pourquoi l'crivain biblique s'ingnie peindre l'infortun monarque sous les plus
vilaines couleurs. D'aprs le texte mme, c'est Jhovah qui, par moments, soufflait d'un
mauvais souffle sur Sal; c'est donc Dieu en personne qui le rendait loufoc. Un fou n'est pas
responsable de ses folies, et Sal moins que tout autre, par consquent.
Alors Sal parla Jonathan, son fils, et tous ses officiers, de faire mourir David; mais
Jonathan aimait beaucoup David; c'est pourquoi il lui fit connatre le danger de mort qu'il
courait, par le fait de l'inimiti de son pre. (19:1-2). En outre, le brave Jonathan tenta une
rconciliation. Il parla donc favorablement de David Sal son pre, et lui dit: Que le roi ne
pche point contre David son serviteur; car il n'a point pch contre toi, et mme ce qu'il a fait
t'est fort avantageux, attendu qu'il a expos sa vie et qu'il a tu le gant philistin; tu l'as vu et
tu t'en es rjoui; pourquoi donc pcherais-tu contre le sang innocent, en faisant mourir David
sans cause? Sal prta l'oreille la voix de son fils, et il jura en disant: Par le Dieu vivant,
David ne mourra pas t Alors, Jonathan appela David et lui fit le rcit des nouvelles
dispositions du roi. Il amena ensuite David Sal, et David reprit comme auparavant son
service auprs du roi. (19:4-7 )
On le voit, la haine abandonnait le monarque, aussitt qu'il tait dans son tat naturel; c'est
seulement au cours de ses accs, quand Jhovah soufflait, sur lui d'un souffle mauvais ,
c'est alors que Sal formait des projets homicides contre son gendre.
Cependant, la guerre avec les Philistins battait son plein, et le harpiste trouvait quelquefois le
temps d'infliger une dfaite l'ennemi, entre deux srnades.
Mais voici que le mauvais souffle de Dieu souffla de nouveau sur Sal, un jour qu'il tait
assis dans son palais, ayant sa lance la main, tout en coutant la musique de David. (v. 9)
Le lecteur s'attend bien ce qui va arriver! Alors, tandis que David pinait de la harpe, Sal
essaya encore de le clouer contre le mur avec sa lance; mais David se dtourna agilement, et
149

Sal, sans atteindre son gendre, planta son arme dans la muraille; aprs quoi, ayant ainsi
chapp la mort, David prit la fuite. (v. 10)
Ce fut chez sa tendre pouse que le jeune capitaine harpiste se rfugia; l'aimable Mical le
consola de son mieux. Mais, cette nuit-l, Sal envoya des gens vers la maison de David,
avec ordre de rester en surveillance, afin qu'il pt le faire prir le matin. Et Mical, ayant
aperu les hommes de garde, dit David: Si tu ne te sauves cette nuit, demain on va te tuer.
Alors, Mical fit descendre David par une fentre, et il s'enfuit de nouveau. Ensuite, Mical prit
un marmouset, le coucha dans son lit la place de David et lui mit sur la tte une peau de
chvre, lit quand Sal envoya ses gens pour s'emparer de David, elle leur dit: Il est malade.
Alors Sal s'cria: Qu'on me l'apporte dans son lit, afin que je le fasse mourir! Et Sal et ses
gens ne trouvrent qu'un marmouset, coiff de peau de chvre. Et Sal dit Mical: Pourquoi
m'as-tu tromp ainsi? pourquoi as-tu fait chapper mon ennemi? Mical rpondit: il m'a dit:
Laisse-moi m'en aller. Pourquoi donc aurais-je prt la main ce qu'il ft tu? (19:11-17)
Il ne faut pas perdre de vue que nous reproduisons un livre sacro-saint, une uvre divine, base
fondamentale d'une religion qui a la prtention de courber le monde entier sous sa loi. Peut-on
pourtant trouver une aventure plus bbte que celle-ci? Cet histoire de marmouset n'est mme
pas du vaudeville comique; elle est au-dessous du niveau des plus niaises jocrisseries de foire.
Et c'est du dogme, a!... Sous peine de rtir ternellement en enfer, il est ncessaire de croire
que Mical fit filer son mari, l'oint David, par la fentre, et qu'elle le remplaa dans son lit par
un mannequin coiff d'une peau de chvre! Cette peau de chvre tait-elle le bonnet de nuit
ordinaire de David?... Dans le texte hbreu, il y a thraphim, que les versions modernes
traduisent par marmouset , mannequin. Mais thraphim signifie littralement une idole.
Mical faisait-elle donc coucher des idoles avec elle? voulait-elle que les satellistes envoys
par Sal prissent cette idole pour son mari? et, puisque David avait, nous a-t-on dit, les
cheveux roux, Mical esprait-elle que la peau de chvre dont elle coiffait le thraphim ferait
l'effet de la tignasse du cher homme? Beau sujet de grave examen pour les rvrends
thologiens!
La btise biblique va, maintenant, devenir dlirante.
Ainsi David s'enfuit, chappant la mort. Il s'en vint vers Samuel, Rama, et lui apprit tout
ce que Sal lui avait fait. Puis, il s'en alla avec Samuel, et ils demeurrent ensemble Najoth.
Cela fut rapport Sal, qui envoya des archers pour s'emparer de David. Mais, quand les
archers arrivrent Najoth en Rama, ils trouvrent David au milieu d'une assemble de
prophtes qui prophtisaient, et au-dessus d'eux tous se tenait Samuel, les prsidant et
prophtisant; et voil que les archers de Sal furent saisis de l'esprit de Dieu, et ils se mirent
aussi prophtiser. Sal, en ayant t averti, envoya d'autres archers, et ceux-ci prophtisrent
de mme, au lieu de prendre David. Le roi en envoya encore, pour la troisime fois, et ils
prophtisrent de mme. Alors, Sal se rendit lui-mme en Rama; il vint jusqu' la grande
fosse qui est Scu, et il demandait tous: O sont Samuel et David? On lui rpondit: Ils
sont Najoth, en Rama. Il s'en alla donc Najoth. Or, en route, l'esprit de Dieu le saisit lui-
mme aussi, de sorte que pendant tout son chemin il prophtisa. Et quand il fut arriv
Najoth, en Rama, il commena par se dpouiller de ses vtements de dessus, et, en prsence
de Samuel, il prophtisa; puis, il s'allongea par terre et coucha ainsi sans habits sur le sol, tout
ce jour-l et toute la nuit. C'est pourquoi les Isralites dirent partout: Sal est maintenant au
nombre des prophtes. (19:18-24)
J'ai tenu donner la traduction littrale de ce texte extravagant. Un prophte est un homme
qui prdit l'avenir; il faut donc tre inspir de Dieu pour pouvoir dire quels vnements se
passeront en des temps futurs; voil ce qui est admis chez les croyants. Mais, en gnral, un
prophte ne prophtise que pour annoncer tel fait: on consulte un oracle, l'oracle rpond; ou
bien un homme de Dieu se rend dans une ville, ou la cour d'un monarque, et prdit telle
catastrophe ou tel heureux vnement; c'est ainsi qu'oprent les prophtes, c'est--dire ceux
150

qui se disent inspirs et qui font profession de possder la science des choses les plus caches.
Cependant, il ne viendrait personne l'ide d'imaginer une assemble de prophtes dbitant
des prophties jet continu, si ce n'est Charenton. Ces gens de police qui deviennent tout
coup prophtes, qui se mlent Samuel, David et aux autres prophtes, et qui font assaut de
prophties avec eux; ce Sal, qui va la recherche de son gendre pour le tuer, qui, sans en tre
sollicit par personne, dit la bonne aventure sur son chemin, qui se met nu ou peu prs dans
la runion sainte o prophtes par tat et prophtes par occasion brament en chur, tout cela
n'est-il pas de la haute folie?
Boulanger, l'encyclopdiste, le savant gologue du 18
e
sicle, dit que ce conte stupide
ressemble l'histoire d'un juge de village en Basse-Bretagne, nomm Kerlotin: ce juge, au
cours d'une audience, envoya chercher un tmoin par un huissier; le tmoin buvait au cabaret,
et l'huissier resta avec lui boire; Kerlotin dpche alors un second huissier, qui reste boire
avec eux; enfin le juge y va lui-mme, mais il boit comme les autres et s'enivre, et le procs
ne fut pas jug.
Le chapitre 20 du 1
er
livre de Samuel est totalement dpourvu d'intrt. David s'enfuit de
Najoth et se rfugie auprs de Jonathan, qui essaie de nouveau de plaider la cause de son
beau-frre devant Sal, lorsque celui-ci a fini de prophtiser. Ce plaidoyer est entrepris
l'occasion d'un dner donn par le roi en l'honneur de... la nouvelle lune; Sal remarque que la
place de David sa table est vide, et alors Jonathan y va de son petit discours; mais le roi ne
veut rien entendre et se fche tout rouge. Jonathan dit encore Sal: Pourquoi ferait-on
mourir David? qu'a-t-il fait? Et Sal lana une hallebarde contre lui pour le frapper. Alors,
Jonathan comprit que son pre avait bien rsolu de faire mourir David; il se leva de table trs
afflig, et ne prit aucun repas, le second jour de la nouvelle lune. (20:32-34) Jonathan alla
donc prvenir son beau-frre, qui se tenait dans une cachette, qu'il n'esprait plus flchir le roi
son sujet. David l'avait cout, assis; il se leva du ct du Midi, et se jeta le visage contre
terre, et se prosterna par trois fois; et ils pleurrent tous deux ensemble, et David pleura
extraordinairement. (v. 41)
David, aprs cette lamentation, s'en fut demander asile au grand-prtre Ahimlek, demeurant
Nob; celui-ci le reut, le rgala de pain sacr, mais lui laissa entendre qu'il n'tait gure en
sret chez lui. Et comme le jeune harpiste, avant de reprendre de la poudre d'escampette,
priait Ahimlek de lui donner quelque arme, pour se dfendre le cas chant, le grand-prtre
lui dit: Tiens, voici l'pe de Goliath, que tu as tu dans la valle du Chne; elle est
enveloppe d'un drap, derrire l'phod; si tu la veux pour toi, prends-la; car il n'y en a point ici
d'autre que celle-l. (21:9) David partit, avec l'pe de Goliath, et se dirigea vers Gath, ville
philistine, o rgnait le roi Akis; il esprait que cet ennemi d'Isral lui accorderait sa
protection.
Tandis qu'il approchait de Gath, il fut reconnu par quelques serviteurs d'Akis; il n'en fallut pas
davantage pour qu'il et la venette plus que jamais; le roi philistin daignerait-il comptir son
infortun e? Rien n'tait moins prouv, lui semb la-t-il. Alors David eut une fort grande peur,
cause d'Akis, roi de Gath. Il changea sa contenance et contrefit le fou devant les Philistins; il
urinait contre les portes des maisons, et il faisait couler sa salive sur sa barbe. Et Akis dit ses
serviteurs: Ne voyez-vous pas que c'est un fou? Pourquoi me l'avez-vous amen? (21:12-14)
David partit de l et se sauva dans la caverne d'Odollam; ce que ses frres et toute la maison
de son pre ayant appris, ils descendirent l vers lui. Tous ceux aussi qui taient mal dans
leurs affaires, chargs de dettes, et qui avaient un naturel amer, se runirent lui et le
nommrent leur chef; il se trouva ainsi la tte de quatre cents hommes dtermins. (22:1-
2) Aprs quoi, ayant confi son vieux pre Isa et sa mre au roi de Moab, il se mit en
campagne; la guerre tait dfinitivement dclare entre Sal et son gendre.
Sur ces entrefaites, Sal apprit l'accueil que le grand-prtre Ahimlek avait fait David. Un
Idumen, nomm Dog, qui remplissait les fonctions de premier valet du roi, tmoigna en ces
151

termes: J'ai vu le fils d'Isa venir Nob, vers Ahimlek, fils d'Ahitoub; et Ahimlek a
consult l'Eternel au sujet de David, il lui a donn des vivres et l'pe de Goliath. (v. 9-10)
Sal manda alors le grand-prtre et tous les sacrificateurs, membres de sa famille, comparoir
devant son lit de justice.
Pourquoi avez-vous conspir contre moi, toi et le fils d'Isa, dit-il Ahimlek, puisque tu lui
as donn du pain et une pe, et que tu as consult Dieu pour lui? Ahimlek rpondit au
roi: Y a-t-il quelqu'un, parmi tous tes sujets, qui te soit aussi fidle que David ton gendre, qui
a combattu par ton ordre et qui fait tant honneur ta maison? Est-ce aujourd'hui que j'ai
commenc consulter Jhovah pour lui? Quant conspirer contre mon roi, Dieu m'en garde!
O roi, n'accuse donc de rien ton serviteur, ni aucun de sa famille; car aucun dlit n'a t
commis. Eh bien, reprit le roi, tu mourras aujourd'hui mme, Ahimlek, et toute ta famille
avec toi. (v. 13-16)
La sentence de mort tait prononce; mais les archers qui taient l refusrent de l'excuter,
n'osant pas porter leurs mains sur des prtres. Alors, le roi dit Dog: Tourne-toi et jette-toi
sur les sacrificateurs. Et Dog l'Idumen se tourna et se jeta sur Ahimlek et les sacrificateurs,
et il gorgea en ce jour quatre-vingt-cinq hommes qui portaient l'phod de lin. En outre, il fit
passer au fil de l'pe tous les habitants de Nod, ville des sacrificateurs; hommes et femmes,
grands et petits, bufs, nes et menu btail, tout fut massacr. (v. 18-19) Toutefois, un des
fils d'Ahimlek, nomm Abiathar, russit chapper cette hcatombe, et s'en fut rejoindre
David, qui lui dit: Demeure avec moi, ne crains rien, car celui qui en veut ma vie en veut
aussi la tienne; ainsi tu es sous ma sauvegarde. (v. 23)
J'abrge autant que possible; mais les manuels d'histoire sainte l'usage des fidles sont si
incomplets, qu'il est ncessaire de rtablir, par des citations textuelles de la Bible, nombre
d'pisodes que les tonsurs passent sous silence, mais dont les bizarres dtails offrent parfois
un piquant intrt. Je rsumerais davantage, s'il s'agissait d'un autre livre; or, ceci est l'criture
de Dieu mme, affirment les prtres; ne ngligeons donc pas les perles divines qui se trouvent
si nombreuses dans ce prodigieux crin qui est l'Ancien Testament.
Dans le chapitre 23, nous voyons David, la tte de ses quatre cents flibustiers, dlivrer la
ville juive de Khila, que les Philistins assigeaient; puis, Sal bloque Khila, occupe par son
gendre. L-dessus, David, qui n'escomptait gure la reconnaissance des gens, sollicita de
Jhovah quelques instants d'entretien; papa Bon Dieu ne se fit pas prier. Sal descendra-t-il
jusqu'ici? demanda David. Et l'ternel lui rpondit: Il descendra. David dit encore: Les chefs
de Kbila me livreront-ils, moi et mes gens, entre les mains de Sal? Et l'Eternel lui rpondit:
Ils te livreront. (v. 11-12) Se jugeant srement renseign, David dcampa avec vitess e; il ne
fut donc pas livr Sal. Ensuite, l'auteur sacr nous montre le fils d'Isa errant dans le dsert
de Ziph; cette fois, sa troupe de gens sans aveu, perdus de dettes, s'est, augmente de deux
cents hommes, et Sal lui donne la chasse, sans parvenir . l'atteindre. David a, nanmoins,
une confrence avec Jonathan dans une fort; les deux beaux-frres se jurent un amour
ternel. Du dsert de Ziph, David passe au dsert de Maon, avec son insparable bande. Enfin,
Sal, apprenant que les Philistins se remettent en campagne, renonce poursuivre son gendre,
afin de combattre l'ennemi national.
Les Philistins ayant t repousss, le roi revient , David, qui a tabli alors Engaddi le centre
de ses oprations fructueuses. Oui, fructueuses, attendu que le fils d'Isa, d'aprs la Bible elle-
mme, est un vritable capitaine de bandits: il a runi six cents coupe-jarrets, et il court par
monts et par vaux avec ce ramassis de coquins, ne distinguant ni amis ni ennemis, ranonnant,
pillant tout ce qu'il rencontre. A deux reprises (ch. 24, 26), Sal, qui a pris avec lui trois mille
soldats d'lite, parvient serrer David de trs prs; en ces circonstances, le gendre se
comporta avec une magnanimit touchante.
Les deux pisodes sont trop amusants pour ne pas tre cits. Le divin pigeon, qui en a dict le
rcit, tait vraiment en joyeuse humeur; car, puisque c'est Dieu qui dirigeait tout, il lui et t
152

facile de faire exercer David sa grandeur d'me en des occasions moins triviales que celles
qu'il suscita. Par consquent, si ces aventures sont grotesques, c'est que la sainte Trinit tait
en train de rire la paysanne, c'est que Jhovah et ses co-dieux s'amusaient comme des pitres
de foire; mais ces aventures n'en sont pas moins divines.
En avant donc, la citation textuelle!... Sal, cherchant David jusqu'au milieu des rochers o
se retirent les chamois, s'engagea dans un sentier o tait une caverne, et il entra dans cette
caverne pour faire ses besoins; or, il y avait au fond David et quelques-uns de ses
compagnons, et le roi ne les vit pas. Alors, les compagnons de David dirent ce lui-ci tout
bas: Certainement, c'est aujourd'hui le jour o l'ternel te livre ton ennemi. Et David
s'approcha sans bruit; mais il se contenta de couper tout doucement le pan du vtement de
Sal, du manteau que Sal avait retrouss. Puis, revenant toujours sans bruit au fond de la
caverne, il avait le cur mu, et il dit voix basse ses compagnons: Que Dieu me garde de
porter une main meurtrire sur le roi! car il est l'oint du Seigneur. Ainsi, David ne leur permit
pas de s'lancer contre Sal, et les retint par ces paroles. Ensuite, Sal, ayant fini d'vacuer,
sorti t de la caverne et contina son chemin.
Mais alors David sortit son tour, courut aprs lui, et lui cria: Mon seigneur et mon roi! Sal
se retourna; David se prosterna, le visage contre terre; puis, il dit Sal: Pourquoi coutes-tu
ceux qui te disent que je cherche te faire du mal? Tes yeux voient aujourd'hui que l'ternel
t'avait livr ma merci, quand tu t'es arrt quelques instants dans celte caverne, j'y tais, et
l'on m'a conseill de te tuer; mais je t'ai pargn, car tu es l'oint du Seigneur. Regarde, mon
pre, regarde le pan de ton manteau, que je tiens l dans ma main. Je l'ai coup sans que tu y
prisses garde; j'aurais pu te tuer et je ne t'ai point tu. Sache donc et reconnais que je ne pense
aucunement te faire du mal; et cependant, toi, tu pies ma vie pour me l'te r! L'Eternel sera
juge entre nous deux; mais je ne porterai pas ma main sur toi.
Quoi! toi qui est roi d'Isral, aprs quel homme t'es-tu mis en campagne? qui poursuis-tu? un
chien crev et une puce? L'ternel jugera donc entre moi et toi; et quand Dieu juge, il regarde;
voil pourquoi il sera mon dfenseur et me prservera de ta main. Or, sitt que David eut
achev ces paroles, Sal dit: N'est-ce pas l ta voix, mon fils David? Et Sal, versant un
torrent de larmes, dit David, en parlant trs haut Tu es meilleur que moi, puisque tu m'as
rendu le bien pour le mal que je t'ai fait; car qui est-ce qui, ayant eu son ennemi sa merci, le
laisserait aller sans lui faire du mal? A ce signe, je reconnais que certainement tu rgneras et
que le royaume d'Isral sera puissant sous ton sceptre. C'est pourquoi, maintenant, jure-moi
par l'ternel que tu ne dtruiras pas ma race aprs moi. Et David le jura Sal. Alors, le roi
s'en revint chez lui, tandis que David et ses compagnons montrent en un endroit lev et bien
fortifi. (24:3-23)
La scne est pathtique, quoiqu'on ne comprenne gure pourquoi David, dans son humilit, se
compare un chien crev et une puce; et cet pisode aurait t fort beau, s'il avait t tout
diffrent, en ce qui concerne les circonstances de la rencontre. Sal pargn par David,
pendant qu'il est venu faire caca dans une grotte! On avouera que l'Esprit-Saint aurait pu
trouver mieux; et puisque Dieux tenu ce que les faits se produisissent ainsi, il est
incontestable qu'il y a de sa part, sinon mystification, du moins plaisanterie d'un got douteux
Les clricaux hurlent contre certains livres d'mile Zola, o ce romancier naturaliste a mis en
scne le derrire de la Mouquette et les pets d'un campagnard; mais les romans de Zola n'ont
pas la prtention d'tre des livres sacrs, et il ne viendra jamais personne la pense de fonder
une religion en se basant sur Germinal ou sur la Terre.
Pendant qu'il tait en verve, le pigeon-canard aurait pu ajouter que, dans sa prcipitation au
sortir de la caverne pour courir aprs son beau-pre, David mit le pied dans l'tron de Sal et
que a lui porta bonheur. Mais glissons, pu, pour mieux dire, n'insistons pas.
La seconde fois que le fils d'Isa montra sa grandeur d'me, les circonstances furent moins
odorifrantes, ou peu s'en faut. Tandis que Sal et son arme taient camps Hakila, David,
153

accompagn d'un certain Abisa, pntra de nuit jusqu' la tente du roi; ce coup-ci, Jhovah
tait carrment complice de son oint chri, comme on va le voir. Sal dormait, et sa
hallebarde tait plante en terre son chevet, et Abner et le peuple taient couchs dans les
autres tentes, tout autour. Alors, Abisa dit David: Aujourd'hui Dieu t'a livr ton ennemi;
maintenant donc, je t'en prie, permets que je le frappe avec sa propre hallebarde et que je le
cloue en terre d'un seul coup; je me sens de force ne pas avoir frapper deux fois. David
rpondit Abisa: Non, ne le tue pas; car quel est celui qui pourrait porter une main
meurtrire sur un oint du Seigneur et tre innocent? Mais voici ce que nous allons faire:
prenons, moi, sa hallebarde, et toi. le vase qui est auprs de son lit, et allons-nous-en. Ils
prirent donc, auprs du lit, la hallebarde et le vase de Sal, et ils partirent du camp, sans tre
vus de personne; car tous dormaient, parce que l'ternel avait fait tomber sur eux un sommeil
des plus profonds. Et quand David fut sur une hauteur, qui tait assez loin de l, il cria de
toutes ses forces, le matin: Abner, Abner, ne rpondras-tu pas? Et Abner rpondit: Qui es-tu,
toi qui cries si fort l-bas? Alors, David cria ces paroles: Tu es un vaillant homme, Abner, et
qui est semblable toi en Isral? Personne ne te vaut, et pourtant tu n'as pas su garder le roi
ton seigneur; car quelqu'un est venu pour tuer Sal. Tu ne fais pas bien ton service; par le
Dieu vivant, toi et tes soldats, vous mritez la mort pour avoir si mal gard le roi, qui est l'oint
de l'ternel. Et maintenant, regarde o est la hallebarde du roi, et le vase qui tait auprs de
son lit. En entendant ces cris, Sal se rveilla et reconnut la voix de David. (26:7-17)
L'pisode se termine comme le prcdent, cette simple diffrence que le fils d'Isa ne se
compare plus un chien crev, mais seulement une puce; en outre, il rend la hallebarde,
mais non le pot de chambre.
On se demande pourquoi Sal est au nombre des maudits de la Bible. Si l'on se tient un
raisonnement purement humain, ce roi produit assez bien l'effet d'un brave homme; ses accs
de fureur contre David sont le rsultat du mauvais souffle, et, d'ailleurs, le fils d'Isa est un
triste sire. Quand Sal n'est pas sous l'influence du mauvais souffle, quand il est dans son
naturel, la cruaut lui rpugne; au surplus, il est patriote, tandis que nous verrons plus loin
David s'enrler, avec ses flibustiers, dans l'arme des Philistins. Or, les prtres nous disent
qu'il ne faut pas envisager les choses avec les yeux de la raison; il faut accepter ce qui est
article de foi, et, quand on se soumet ainsi, on comprend bientt que tout se suit avec ordre
dans le plan de Dieu; ce qui paraissait inexplicable devient d'une lucidit tonnante. Fermons
donc, pour quelques instants, nos yeux de raisonneurs; nous aurons aussitt une rvlation des
justes motifs de la maldiction qui pesa si lourdement sur Sal. O est cette rvlation? Dans
le pot de chambre qu'emporta David. Ne croyez pas que je plaisante. Nous savons que
Jhovah est trs friand de massacres; or, Sal dbuta par une victoire sur les Ammonites qui
assigeaient Jabs; mais, tout sa joie d'avoir dlivr cette ville, il s'opposa l'gorgement
des ennemis prisonniers; Sal n'observait donc pas la loi divine. Le pot de chambre du camp
d'Hakila est une preuve dcisive de la rbellion permanente de ce roi envers Dieu. Vous ne
sauriez avoir oubli, n'est-ce pas? les prescriptions formelles de Sabaoth sur la manire de
faire caca en temps de guerre: on doit aller hors du camp, creuser un petit trou rond, etc.
(Deutronome 23:12-14) Or, ce Sal osait se payer le luxe d'un pot de chambre ! Si ceci n'est
pas de l'impit sans vergogne, qu'est-ce qui en sera?... Aprs a, il ne faut pas s'tonner que
Dieu ait regrett d'avoir fait oindre Sal et qu'il ait report toute son affection sur David,
lequel, sans aucun doute, devait poser culotte avec une irrprochable orthodoxie.
Aussi, Jhovah ne laissa jamais chapper une occasion de montrer qu'il protgeait David,
parce qu'il tait bien l'homme selon son cur. Savourez l'histoire de Nabal et d'Abigal.
Rsumons, tout en suivant la lettre le rcit biblique; c'est--dire traduisons mot mot, mais
supprimons les rptitions et les longueurs. Il y avait dans le dsert de Man un homme trs
riche qui possdait sur le Carmel trois mille brebis et mille chvres; et il fit tondre ses brebis
sur le mont Carmel. Sa femme, Abigal, tait prudente et fort belle voir. David envoya dix
154

de ses compagnons Nabal lui dire: Nous venons dans un bon jour; donne-nous et donne
David tout ce que tu pourras. Nabal rpondit: Qui est ce David? on ne voit plus que des
mauvais serviteurs qui ont fui leur matre; vraiment oui! j'irais donner mon pain, mon eau et
mes moutons des gens que je ne connais pas! Alors, David dit ses compagnons: Que
chacun prenne son pe! Et David prit aussi son pe, et il marcha vers Nabal avec quatre
cents hommes, et en laissa deux cents pour veiller sur les bagages. Mais la belle Abigal prit
deux cents pains, deux barils de vin, cinq moutons tout apprts, cinq mesures de grain rti,
cent paquets de raisins secs, et deux cents paniers de figues sches, et les mit sur des nes;
puis, tant monte sur un ne, elle alla la rencontre de David. Et lorsqu'Abigal l'eut aperu,
elle se hta de descendre de son ne, tomba sur sa face devant David et l'adora; et elle lui dit:
Mon seigneur, je te supplie de mpriser cet homme de rien qui est Nabal, mon mari; car il y a
de la folie en lui; mais voici des prsents que ta servante offre mon seigneur, pour lui et ses
compagnons; qu'il te plaise, mon seigneur, de les recevoir avec bont. Alors, David dit
Abigal: Bni soit l'ternel qui t'a envoye au-devant de mo i! et sois bnie toi-mme, toi qui
m'as empch aujourd'hui d'en venir jusqu'au sang! car, sans cela, aussi vrai que Dieu est
vivant, Nabal ne serait plus en vie demain matin, et il ne serait pas rest un de ses gens qui pt
pisser contre les murailles! Or, dix jours aprs, Nabal mourut, frapp par Jhovah qui avait lu
dans le cur d'Abigal. Et quand David eut appris que Nabal tait mort, il dit: Bni soit
l'ternel qui m'a veng de l'outrage que j'avais reu et qui a fait retomber la malice de Nabal
sur lui-mme! Puis, il envoya des messagers Abigal, pour lui proposer de la prendre pour
femme. Alors, elle se leva en toute hte, monta sur un ne, suivie de cinq servantes, et elle
s'en alla aprs les messagers de David; et David l'pousa le jour mme. David pousa aussi
Achinoam, de Jizrhel; de sorte que toutes deux ensemble furent ses femmes. Sal, d'autre
part, sachant cela, donna Mical, premire pouse de David, Phalti, fils de Las, qui tait de
Gallim. (25:2-44)
Les critiques font observer que, si l'on avait voulu crire l'histoire d'un brigand, d'un voleur de
grand chemin, on ne s'y serait pas pris autrement. Sans doute, l'auteur, qui exalte David,
qualifie Nabal d'homme brutal et grossier; mais la conduite de David n'en est pas moins
rvoltante, si cet pisode est vrai. Nous sommes arrivs ici l'poque o l'histoire du peuple
juif commence rellement; c'est, en effet, partir de Sal que les incertitudes diminuent. A
vrai dire, nous rencontrerons encore bon nombre de miracles plus ou moins extraordinaires;
mais ils ne paraissent plus dsormais que destins enjoliver la biographie de personnages
dont l'existence n'est gure conteste. C'est ainsi que les critiques, propos de Nabal mourant
subitement si peu de jours aprs avoir t pill par sa femme, amoureuse de David, disent que
cette mort, immdiatement suivie du mariage de David avec la belle veuve, laisse de violents
soupons. Quant au texte, crit sous l'inspiration du pigeon, il n'hsite pas faire intervenir
directement Jhovah pour tuer ce mari mpris par son pouse, alors que Mical, fille de Sal,
est la femme lgitime de David; et par cette intervention meurtrire Dieu consacre l'adultre
de David, son oint chri. On reconnatra que voil une drle de morale!
C'est cette poque-l que mourut Samuel; et tout Isral s'assembla et le pleura, et on
l'ensevelit dans sa maison, Rama (25:1); ce qui ne l'a pas empch, comme Mose, de
raconter, dans son livre, des faits postrieurs sa mort.
Sur ce terrain-l, c'est Samuel, d'ailleurs, qui dtient le record. En effet, Mose s'est born
narrer ses obsques et le deuil du peuple et indiquer le lieu de sa spulture, tandis que le
rcit posthume de Samuel comprend la fin du rgne de Sal et tout le rgne de David, son
successeur; trente-huit chapitres d'vnements dont l'crivain fut spectateur, quoique dfunt.
a, c'est un miracle!... Comment Samuel, voyant tout cela avec les yeux de son me qui tait
dans l'autre monde, put-il en crire sur terre la narration avec la main de son corps, mort et
enterr? a, c'est un mystre!
155

Ne cherchons donc pas approfondir, et contentons-nous d'tre trs heureux que le prophte
dfunt ait bien voulu continuer tre l'historien des deux rois qu'il avait oints.
C'est ainsi que feu Samuel nous apprend, sans s'en indigner, que David passa, avec les six
cents hommes qui taient avec lui, chez le roi de Gath, Philistin, fils de Mahoc. (27:2). Akis
lui assigna pour rsidence la ville de Ciceleg, et l'oint chri de Jhovah demeura un au et
quatre mois parmi les ennemis de sa nation (v. 6-7). Or, pendant ce temps-l, David partait
souvent en expdition chez les gens de Gessur, de Guerzi et d'Amalec (qui taient des allis
d'Akis, soit dit en passant), et il semait la dsolation dans ces pays; il ne laissait ni homme ni
femme en vie, et il s'emparait des brebis, des bufs, des nes, des chameaux et des vtements.
Il s'en retournait alors chez les Philistins et venait vers Akis. Et lorsque le roi A kis lui disait:
O as-tu fait tes courses aujourd'hui? David lui rpondait: J'ai pill, dans la rgion du Midi,
les gens de Juda (Isralites); ou bien, les Jrahmliens et les Kniens (ennemis des Philistins).
Et David, au lieu de faire des prisonniers qu'il aurait amens Gath, tuait tous ceux qu'il
pillait, afin que personne ne pt lever la voix contre lui. Akis se fiait donc David et disait:
Il fait bien du mal Isral et se rend ainsi trs odieux aux Juifs; c'est pourquoi il me sera
toujours fidle. (27:8-12)
Eh bien, comment trouvez-vous l'oint chri?... Les critiques rappellent que d'abord David co
ntrefit le fou et l'imbcile devant le roi Akis, chez lequel il devait se rfugier pendant seize
mois, et ils font remarquer que ce n'est point l une excellente manire d'inspirer confiance
un monarque qu'on se propose de servir la guerre, comme on le verra plus loin mais,
ajoutent-ils, la manire dont David sert ce roi, son bienfaiteur, est encore plus extraordinaire:
il lui fait accroire qu'il exerce son brigandage contre les Isralites, alors qu'il pille et massacre
les allis d'Akis; il tue tout, il extermine tout, jusqu'aux enfants, de peur qu'ils ne parlent. Mais
comment ce roi put-il rester seize mois dans l'ignorance de la ralit des faits? Il fallait que ce
roi Akis ft plus imbcile que David n'avait feint de l'tre devant lui... Quant aux thologiens,
la conduite de l'oint chri ne les embarrasse pas; ils disent que, dans cette guerre civile, David
ne ravageait plus ses compatriotes, et qu'il importe peu qu'il ait trahi et gorg ses allis,
puisque c'tait des infidles; plusieurs vont mme jusqu' le regarder comme l'excuteur des
vengeances divines, et ils l'absolvent de tout pch en cette circonstance.
Au chapitre suivant, les Philistins s'arment en guerre pour combattre les Isralites, et David,
d'cuyer et de gendre de Sal son roi, devient capitaine des gardes du roi philistin (28:1-2).
Nous voici arriv l'pisode, si connu, de la pythonisse d'Endor. Pour nous conformer
l'usage, nous appellerons ainsi la sorcire que consulta Sal, quoique, vrai dire, le texte
hbreu de la Bible ne contienne pas un mot qui ressemble Python ou pythonisse.
Littralement, il faut lire: une femme ayant un Ob ; c'est la Vulgate, c'est--dire la
traduction de saint Jrme, qui a transform Ob en esprit de Python ; ce qui est un
anachronisme.
Or, les Philistins s'tant assembls en armes Sunam, Sal runit son tour l'arme isralite
qui campa Gelbo; et il fut saisi de crainte. Puis, comme il consulta l'ternel, il n'en obtint
aucune rponse, ni par les songes, ni par les prtres, ni par les prophtes. Alors, Sal dit ses
serviteurs: Cherchez-moi une femme qui ait un esprit de Python (dans le texte hbreu: une
femme qui possde un Ob), afin que j'aille vers elle et que je sache par son ministre ce qui
doit m'arriver. Ses serviteurs lui rpondirent: Il y a Endor une pythonisse (dans le texte
hbreu: une femme qui possde un Ob). Sal se dguisa et se rendit Endor, en se faisant
accompagner par deux de ses serviteurs. (v. 4-8)
Nous avons dj constat les emprunts religieux faits par les Juifs aux Egyptiens et aux
Syriens. Ob tait une divinit, syrienne, dont les statues rendaient des oracles d'une voix
sourde et creuse qui semblait sortir de terre; en d'autres termes, les prtres et prtresses d'Ob
taient de vulgaires farceurs qui se livraient l'exercice de la ventriloquie, de sorte que leur
idole avait censment une voix prophtique que les badauds entendaient plus ou moins bien.
156

Les pythonisses ne pratiquaient pas de mme: c'tait elles-mmes qui parlaient, dans un accs
de folie sacre. La plus clbre de toutes tait tablie Delphes, au temple d'Apollon, o se
trouvait la peau du serpent monstrueux, nomm Python, que le jeune dieu, g de quatre jours
seulement, tua, dit-on, coups de flches; il y avait l un trou trs profond, d'o s'exhalaient
on ne sait quelles vapeurs, naturelles ou produites par quelque subterfuge des prtres, et ces
vapeurs avaient la rputation d'inspirer la prtresse assise sur un trpied en fer plac au-dessus
du trou; cette femme, choisie avec soin dans une famille pauvre, tait attache spcialement
au service du temple de Delphes; une fois sur le trpied, elle avait une crise que l'on ne saurait
mieux comparer qu' une attaque d'hystrie et pendant laquelle elle prononait, souvent avec
l'cume aux lvres, des paroles incohrentes, que les prtres transcrivaient aussitt; ils les
rassemblaient tant bien que mal, leur donnaient un sens, et c'taient l les fameux oracles
d'Apollon, qui avaient auprs des foules autant de valeur qu'une bulle du pape au moyen-ge.
A raison de ce que le trpied tait recouvert de la peau du serpent Python, la prtresse inspire
de Delphes se nommait la pythie . Le temple de Delphes ne tarda pas, on le pense bien,
avoir des concurrences nombreuses dans tous les pays o la religion tait le paganisme grec;
les imitatrices de la pythie furent appeles pylhonisses .
On ne comprend donc gure pourquoi saint Jrme a qualifi de pythonisse la sorcire
d'Endor, prtresse du dieu syrien Ob; car, dans la consultation qu'elle donne Sal, elle
n'opra aucunement la mode delphique; elle n'entre pas en crise, elle n'a pas le moindre
trpied; une pythonisse sans trpied, c'est comme une cartomancienne sans jeu de cartes. En
outre, le terme employ par la Vulgate, une femme ayant l'esprit de Python , n'a aucun
sens, puisque le soi-disant esprit qui inspirait les pythonisses tait celui d'Apollon, et non celui
du serpent qu'il avait tu.
Ces observations faites, voyons le rcit biblique, selon la traduction de saint Jrme.
Sal arriva de nuit chez cette femme et lui dit: Je t'en prie, sois devineresse pour moi par ton
esprit de Python, et fais monter devant moi le mort que je te dsignerai. Mais la femme lui
rpondit. Ignores-tu donc que Sal a extermin ceux qui ont l'esprit de Python et qu'il
condamne mort les devins? pourquoi me tends-tu un pige pour me faire mourir? Alors,
Sal lui lit ce serment: Aussi vrai que Dieu est vivant, il ne t'arrivera aucun mal cause de
ceci. Et la pythonisse lui dit: Eh bien, qui veux-tu que j'voque? Il rpondit: Fais-moi monter
Samuel. Or, lorsque cette femme et vu paratre Samuel, elle s'cria, en interpellant Sal:
Pourquoi m'as-tu trompe? car tu es Sal. Le roi lui rpondit: Je te le rpte, ne crains rien;
mais dis-moi ce que tu as vu? Alors, la femme lui dit: J'ai vu comme un dieu qui sortait de la
terre. Il l'interrogea encore: Gomment est-il fait? Elle rpondit: C'est un vieillard qui monte, et
il est couvert d'un grand manteau. A ce signe, Sal comprit que c'tait bien Samuel que la
pythonisse voyait; et il se prosterna, en tenant sa face contre terre. (v. 8-14)
Samuel dit Sal: Pourquoi as-tu troubl mon repos, en me faisant voquer? Le roi lui
rpondit: C'est parce que je suis trs embarrass; les Philistins me font la guerre; Jhovah s'est
retir de moi, et il n'a plus voulu me rpondre, ni par les prophtes, ni mme par des songes;
c'est pourquoi j'ai fait appel toi, afin que tu me fasses entendre ce que je dois faire. Samuel
lui dit: Puisque Jhovah s'est retir de toi, c'est qu'il est devenu ton ennemi; alors pourquoi me
consultes-tu? Jhovah accomplit en ce moment ce qu'il t'avait annonc par ma voix; il a
dchir ton royaume; il a repris ta royaut, et il l'a donne l'un de tes sujets, c'est--dire
David. Ce qui t'arrive l a pour cause ta dsobissance Dieu, quand tu pargnas le roi des
Amalcites. Voil pourquoi Isral avec toi sera livr entre les mains des Philistins; et demain,
toi et tes fils, vous serez avec moi. En entendant ces paroles de Samuel, Sal tomba tendu de
tout son long sur le sol; et les forces lui manqurent, car il n'avait pris aucune nourriture de
tout ce jour-l, ni de toute la nuit. (v. 15-20)
Alors, la pythonisse s'approcha de Sal, et, voyant qu'il avait t fort troubl, elle lui dit: Ta
servante t'a obi, et voici que pour cela j'ai expos ma vie. Maintenant, je t'en prie, accepte
157

que je mette devant toi une bouche de pain, afin que tu manges et que tu aies des forces pour
t'en retourner. Il refusa d'abord; mais, ses compagnons ayant insist, ainsi que cette femme, il
se rendit leurs instances; il se leva donc, et s'assit sur un lit. Or, la pythonisse avait chez elle
un veau qu'elle engraissait: elle alla le tuer en toute hte; puis, elle prit de la farine, la ptrit, et
en fit des pains azymes. Elle mit tout cela devant Sal et ses compagnons; ils mangrent;
enfin, ils s'en allrent. (v. 21-25)
Cet pisode de la pythonisse d'Endor a soulev de nombreuses discussions parmi les
thologiens; quant aux commentateurs sceptiques, ils en ont fait des gorges chaudes, et il y a
de quoi!
De tout temps, la friponnerie des charlatans a abus de la crdulit des imbciles, en leur
faisant payer trs cher des consultations de haute fantaisie. Ici, non seulement Sal n'offre pas
la moindre menue monnaie la sorcire; mais c'est encore elle qui le rgale d'un souper et qui
tue son veau gras en son honneur. D'autre part, le rcit biblique nous fait assister une
consultation des plus enfantines. D'ordinaire, les vocateurs montrent un fantme quelconque,
se mouvant l'aide d'un truc. Cette pythonisse d'Endor ne se met pas en si grands frais: elle
dit qu'elle voit une ombre, et Sal la croit sur parole; Sal entend bien une voix, pendant qu'il
est prostern, le visage contre terre, mais il ne faut pas oublier que la pythonisse de la Vulgate
est, d'aprs le texte hbreu, une prophtesse d'Ob, le dieu dont les prtresses sont trs
lgitimement souponnes d'avoir t des ventriloques roublardes.
Partout ailleurs que dans la Sainte Ecriture, dit Voltaire, cette histoire passerait pour un conte
de sorcier assez mal fait; mais puisqu'un auteur sacr l'a crite, elle est indubitable: elle mrite
autant de respect que tout le reste.
Quant aux thologiens, s'ils ne mettent pas en doute la vracit de l'pisode, du moins ils ne
sont pas fixs sur l'identit du fantme voqu par la sorcire. Saint Justin, dans son Dialogue
contre Tryphon, admet que les magiciens aient pu voquer quelquefois, par une sorte de
tolrance de Dieu, les mes des justes et des prophtes, qui, disent-ils, taient tous en enfer,
quoique ayant eu une sainte vie, et qui y demeurrent jusqu' ce que Jsus y descendit lui-
mme aprs sa mort, pour les en tirer, selon le dogme chrtien; par consquent, selon saint
Justin, le fantme d'Endor pouvait fort bien tre l'me de Samuel mme. Origne, autre pre
de l'glise, va plus loin: d'aprs lui, la pythonisse fit venir Samuel non seulement en me,
mais encore en corps, et, comme preuve de la matrialit du revenant, il cite le manteau; ce
qui permet aux curieux de demander si l'on a des manteaux en enfer, et surtout des manteaux
incombustibles. Mais les thologiens modernes n'embotent pas le pas ceux des premiers
sicles du christianisme: ils sentent le ridicule de celte interprtation d'Origne et de saint
Justin, en vertu de laquelle des magiciens et des sorcires, suppts du diable, avaient le
pouvoir de faire comparatre devant eux des saints, et ils dclarent que le fantme n'tait autre
que Lucifer ou quelque autre dmon se donnant pour Samuel. Toutefois, il convient de dire
que ces casuistes ont le texte mme de la Bible contre eux; car l'auteur sacr, loin d'employer
un terme dubitatif au sujet de l'apparition, dit formellement que c'est Samuel qui parla Sal:
l'vocatrice vit Samuel , et non une ombre ressemblant au prophte dfunt; trois reprises,
le texte porte. Samuel dit Sal , et Samuel lui dit , et encore, Sal, en entendant ces
paroles de Samuel ; et enfin, Samuel dema nde pourquoi l'on a troubl son repos. Or, on sait
que les petits dtails de ce genre ont une trs grande importance dans les livres de religion.
Dans cette grave discussion, saint Justin et Origne tiennent donc le bon bout.
D'autre part, une question se pose, qui n'est pas des plus faciles rsoudre. Sal est bel et bien
reprsent comme un maudit, depuis le jour o il se montra humain l'gard d'Agag, son
prisonnier; les fidles voient en lui un damn; le prjug contre Sal est si fort, que son nom
n'est jamais donn un enfant, mme parmi les juifs dtachs des pratiques superstitieuses; en
un mot, le nom du premier roi d'Isral a tant t honni par les prtres, qu'il inspire, aujourd'hui
encore, une sorte d'horreur. Eh bien, si l'on examine de prs le texte sacr, il semble fort que
158

Jhovah s'est donn un dmenti au dernier moment et que Sal a t sauv. En effet, Samuel
lui dclare: Demain, toi et tes fils vous serez avec moi ; et, lorsque Samuel parle ainsi, il
est dans cet enfer des justes que, d'aprs la thologie chrtienne, il ne faut pas confondre avec
l'enfer des damns; car, avant la rdemption opre par Jsus-Christ, il y avait deux enfers:
celui des rprouvs, o furent engloutis Cor, Dathan et Abiron, et celui des lus, o les
patriarches, les prophtes et tous les saints de l'Ancien Testament attendaient que la mort du
Messie leur ouvrt les portes du ciel. Donc, si Sal est all rejoindre Samuel, c'est dans l'enfer
des justes; donc, Sal, malgr sa maldiction, a t un lu. C'est une contradiction de plus
relever dans la Bible.
Ce n'est pas tout. Nous avons vu plus haut que David russit empcher une prophtie de
Jhovah de s'accomplir. Jhovah en personne avait dit David: Les chefs de la ville de
Khila te livreront entre les mains de Sal. (23: 12) David, ayant entendu cela, s'empressa
de filer de Khila sans tambour ni trompette, et il ne fut pas livr. Sal est moins malin que
son gendre: ce roi croit aux prdictions de Samuel, puisqu'il le fait voquer, puisqu'il
l'interroge; et lorsque Samuel lui a annonc qu'il trouvera la mort dans cette bataille de Gelbo
qu'il se prpare livrer aux Philistins, il est assez bent pour marcher quand mme au combat!
il ne fait pas la paix avec les Philistins! Il semble que l'accomplissement d'une prophtie laite
par un fantme, sorti de terre l'vocation d'une pythonisse, devait tre plus facile esquiver
que celui d'une prophtie du Pre
ternel parlant lui-mme.
Enfin, voici ce qui pourrait bien simplifier toutes ces questions si complexes: est-on bien sr
qu'il y ait jamais eu un Sal et un Samuel, et toute leur histoire ne serait-elle pas une nouvelle
mystification de l'auteur de la Bible? En effet, les incrdules font remarquer qu'il n'y a que les
livres juifs qui mentionnent ce roi et ce prophte, et que les annales de Tyr, qui ont parl de
Salomon, n'ont jamais dit un mot de David... Dame! il existe comme a pas mal de gens qui
s'etonnent du silence des contemporains de tous ces personnages mis en scne par l'crivain
sacr, et qui ont de la peine digrer: 1 le combat du gosse David contre Goliath, gant haut
de plus de quatre mtres, gant cavalier, c'est--dire mont sur un cheval proportionnellement
gigantesque; 2 l'histoire d'Agag coup subitement en morceaux par un prtre g d'environ
cent ans; 3 la dot de deux cents prpuces philistins tranchs par David et bien compts par
Sal, lui donnant sa fille en remerciement de ce prsent magnifique; 4, etc. Si la pythonisse
d'Endor arrive encore par l-dessus, la digestion devient de plus en plus pnible... Esprit-
Saint, descendez en nous! a ne passe pas!...
Cependant, David tait toujours dans l'arme philiatine; il avait choisi sa place l'arrire-
garde . Le chapitre 29 nous fait savoir que les gouverneurs du camp d'Aphek ne le virent pas
de bon il dans leurs rangs et exigrent du roi Akis son renvoi. Durant ces prliminaires, les
Amalcites pillrent et brlrent Ciceleg, la ville de rsidence de l'oint chri; leur retour du
camp philistin, David et ses six cents flibustiers ne trouvrent plus leurs femmes ni leurs
enfants; les Amalcites les avaient emmens prisonniers (30:1-3); ce qui prouve tout au moins
une chose, c'est que ces ennemis des Juifs n'avaient pas leur barbarie, n'taient pas des
massacreurs. Les deux pouses Abigal et Achinoam taient au nombre des captives. David se
mit la poursuite des Amalcites, les rejoignit et les gorgea, aprs leur avoir repris les
prisonniers et prisonnires.
Le premier livre de Samuel se termine par un rcit de la mort de Sal, laquelle sera prsente
d'une faon toute diffrente dans le livre second ds son premier chapitre.
Sal livra donc la bataille de Gelbo, et l'arme d'Isral fut battue ds les premiers
engagements. Et les Philistins atteignirent Sal et ses fils; et ils turent Jonathan, Abinadad
et Malchisua, fils de Sal. Or, tout l'effort du combat se porta contre le roi, et les archers le
blessrent de leurs flches. Alors, Sal dit son cuyer; Tire ton pe, et passe-la-moi au
travers du corps, de peur que ces incirconcis ne viennent et ne me transpercent en insultant
159

mon malheur. Mais son cuyer, pouvant de ces tristes ordres, ne voulut pas les excuter.
Sal, donc, prit son pe et se jeta dessus. Alors l'cuyer, ayant vu son matre mort, se jeta
aussi sur son pe et mourut avec lui. (31:2-5)
Les Isralites qui habitaient au del de la valle o se livra la bataille, ayant vu la droute de
l'arme juive et ayant appris la mort de Sal et de ses fils, abandonnrent leurs villes; de sorte
que les Philistins y entrrent et s'y tablirent. Et, ds le lendemain de la bataille, les Philistins
vinrent dpouiller les cadavres. Ayant trouv ceux de Sal et de ses trois fils, ils couprent la
tte du roi et firent un trophe de ses armes, qu'ils promenrent dans tous les environs et dans
leur pays, afin que le rsultat de la guerre ft connu partout. Ils placrent enfin ses armes dans
le temple d'Astaroth et pendirent son corps aux murailles de Betsam. Or, les habitants de
Jabs, ayant connu ces outrages infligs au cadavre de Sal, se levrent, firent une marche qui
dura toute une nuit, dcrochrent le corps du roi des murailles de Betsam, et le ramenrent
dans leur ville, o ils le brlrent avec ceux de ses fils. Puis, ils ensevelirent les ossements
sous un chne, prs de Jabs, et ils jenrent sept jours en signe de deuil. (31:6-13)
Le second livre de Samuel s'ouvre par un rcit, tout diffrent, de la mort de Sal. La
contradiction est si flagrante, qu'elle mrite d'tre mise en relief; elle montre bien avec quel
sans-gne l'auteur sacr se moque des croyants.
Aprs que Sal fut mort, David, qui venait de battre les Amalcites, demeura deux jours
Ciceleg. L'auteur a dj oubli que cette ville avait t totalement dtruite par l'incendie,
quelques jours auparavant. Le troisime jour, on vit paratre un homme, qui revenait du
camp de Sal; cet homme avait ses v tements dchirs et sa tte couverte de terre, et, tant
venu vers David, il se prosterna devant lui. David lui ayant demand d'o il venait, il rpondit:
Je suis chapp du camp d'Isral. David l'interrogea encore: Qu'est-il arriv? Je t'en prie,
raconte-le-moi. Cet homme dit: Les Isralites ont lch pied dans le combat; le nombre des
tus est considrable, et Sal et ses fils sont parmi les morts. Alors, David dit ce jeune
homme: Comment sais-tu que le roi et Jonathan soient morts? Le jeune homme fit le rcit: Je
me trouvais par hasard sur la montagne de Gelbo. Et voici que je vis Sal qui se tenait
pench sur sa hallebarde; quelques cavaliers philistins taient sur le point de l'atteindre.
Comme il regardait derrire lui, il me vit et m'appela Qui es-tu? me demanda-t-il. Je suis
amalcite, rpondis-je. Tiens-toi ferme sur moi, reprit-il, et fais-moi mourir; car je suis dans
l'angoisse, et mme ma vie est encore toute en moi. Je lui ai donc obi et J'ai fait mourir. J'ai
pris la couronne qu'il avait sur sa tte et le bracelet qu'il portait son bras, el je te les apporte.
Alors, David dchira tous ses vtements; tous les hommes qui taient autour de lui l'imitrent.
Il y eut deuil gnral et un jene d'un jour. Alors, David lui dit: Comment as-tu eu l'audace
d'avancer ta main pour occire un oint du Seigneur? Puis, il appela l'un de ses gens et lui
commanda de se jeter sur le porteur de nouvelles; celui-ci fut aussitt frapp, et il mourut.
(1:1-15)
Aprs quoi, David composa une complainte la Bible la donne sur la triste fin de Sal et
de Jonathan, Je n'en dtacherai que ce passage: O Jonathan, mon frre! oh! que je suis en
angoisse, cause de toi; tu faisais tout mon plaisir; l'amour que j'prouvais pour toi tait plus
grand que celui que j'ai pour les femmes! (v. 26)
Nous avons vu, ds le dbut de cet ouvrage, que la plupart des livres qui composent la Bible
sont contests divers titres par les savants. Ainsi, l'glise prtend que ces livres ont t crits
par tels personnages qui y racontent les vnements de leur temp s: le Pentateuque serait
l'uvre de Mos e; Josu serait l'auteur du livre de Josu; Samuel, l'auteur des deux livres de
Samuel. Le but de l'glise, en imposant cette croyance ses fidles, est de donner ces livres
un plus fort caractre de vracit; et nous avons vu que les thologiens, Bossuet en tte, se
fchent tout rouge, quand on leur dit que tout cela a t fabriqu aprs coup, en grande partie
par Esdras, postrieurement la captivit de Babylone.
160

A l'appui de l'opinion des savants incrdules, il convient de noter ici, an passage, une simple
phrase du chapitra 1
er
du livre 2 de Samuel, qui permet de constater la supercherie des
fabricants d'criture sainte. Cette complainte de David sur Sal et Jonathan, est-il dit au
verset 18, se trouve crite aussi dans le Livre des Justes. Or, ce mme Livre des Justes a t
mentionn dans le livre de Josu, propos du miracle du soleil et de la lune arrts par le
successeur de Mose: Et le soleil s'arrta, et la lune aussi, jusqu' ce que le peuple et achev
le carnage. Ceci est crit aussi dans le Livre des Justes. (Josu 10:13) Si Josu n'est pas u n
mythe, son miracle eut lieu cinq sicles environ avant le rgne de David. Il est, par
consquent, matriellement impossible que Josu ait pu citer, dans un livre crit par lui, un
autre livre qui, d'aprs le soi-disant Samuel, reproduit aussi la complainte de David sur Sal et
Jonathan.
Ce Livre des Justes, que la Bible nomme plusieurs reprises, a t supprim par les prtres;
ils l'ont fait disparatre et disent que c'est un document malheureusement perdu. Son existence
laissait trop bien voir que l'Ancien Testament n'a pas t crit, au fur et mesure, par les
Mose, Samuel, David, etc., relatant fidlement les vnements dont ils furent les
contemporains. Maison ne pense pas tout: les deux versets bibliques, que je viens de
reproduire paralllement, montrent le bout de l'oreille, donnent la preuve certaine de la
supercherie sacerdotale.
David, donc, qui avait t sacr par Samuel, ne se considra comme vraiment roi qu' la mort
de Sal; c'est alors seulement qu'il fit acte de souverain. Il consulta d'abord Jhovah pour
savoir quelle ville serait la capitale de son royaume, et papa Bon Dieu lui dsigna Hbron
(2:1). Puis, il fit appel au peuple; mais, seuls, les chefs de la tribu de Juda vinrent le
reconnatre, et l, Hbron, ils oignirent David pour roi sur la maison de Juda (v. 4). Le
fils d'Isa fut ainsi oint deux fois; ce qui revient dire que l'onction de Samuel ne comptait
pas. Aprs quoi, il installa Hbron ses femmes Abigal et Achinoam, et, pour se consoler de
l'absence de Mical, sa premire pouse, fille de Sal, il la remplaa par quatre nouvelles
femmes: Aggith, Abital et Egl, dont l'auteur sacr nglige de nous faire connatre la famille,
et Mahaca, fille de S. M. Talma , roi de Gessur. Ces six pouses paraissent avoir fait
ensemble assez bon mnage.
Il fallait un gnral en chef David. On n'a pas oubli cet Abisa, qui fut son compagnon
lorsqu'il pntra de nuit au camp d'Hakila, et qui chipa Sal son pot de chambre, tandis que
David emportait sa hallebarde. Abisa, fils de Tsruja, avait deux frres, nomms Joab et
Hasal; ce fut Joab que David plaa la tte de son arme, et nous le verrons jouer un rle
important pendant tout le rgne. Le nombre des jours que David rgna Hbron sur la tribu
de Juda fut de sept ans et six mois. (v. 11)
D'autre part, Abner, gnral en chef de Sal, ne reconnut pas l'lu de Juda. Il prsenta au
peuple Isboseth, le plus jeune des fils de Sal, et celui-ci, acclam par les onze autres tribus,
prit le titre de roi d'Isral et fixa sa cour Mahanaji m; son rgne ne dura que deux ans.
Il y eut donc guerre civile. Au dbut, les armes d'Isral et de Juda s'tant rencontres auprs
de l'tang de Gabaon, Abner proposa Joab de faire lutter douze jeunes gens de la tribu de
Benjamin contre douze jeunes partisans de David. Joab accepta. Alors, chacun des douze de
chaque ct se mit en face de son adversaire et lui passa son pe travers le corps, de sorte
qu'ils tombrent tous ensemble, s'tant mutuellement transpercs; et l'on nomma l'endroit
Helkath-Hatzurim (v. 16). L-dessus, une mle gnrale s'engagea; les partisans de David
mirent en droute ceux d'Isboseth.
Abner avait pris la fuite, quand il vit la bataille perdue. Il courait toutes jambes, poursuivi
par le frre de Joab, Hasal, qui tait aussi lger du pied qu'un chevreuil dans la campagne. Et
Hasal poursuivait Abner, sans se dtourner ni droite ni gauche, mais n'en voulant qu'
Abner. Or, celui-ci, dans sa course, regarda derrire lui et dit: Ne serais-tu pas Hasal?
Oui, c'est bien moi, rpondit Hasal. Alors, Abner lui dit, toujours en courant: Cesse de me
161

poursuivre, et cours plutt aprs l'un des jeunes gens de mon arme; tue-le, et je reconnais ton
droit sur sa dpouille. Mais Hasal s'obstinait courir aprs le gnral. Abner lui dit encore:
Vraiment, tu as tort de me poursuivre; car je n'aurais qu' me retourner et te tuer; et je
t'assure que j'aurais du chagrin te mettre mort, parce qu'aprs cela je n'oserais jamais plus
paratre devant Joab, ton frre. Et voici qu'Hasal ne voulut pas entendre raison, et il
poursuivait de plus belle Abner qui fuyait. Alors, Abner se retourna tout coup, et il le frappa,
la cinquime cte, du bout de la hampe de sa hallebarde, de sorte que sa hallebarde le
traversa et lui sortit par le derrire. Hasal tomba mort sur place; et les autres fuyards qui
arrivaient ensuite s'arrtaient un moment pour le regarder gisant par terre. (2:18-23)
Alors, Joab et Abisa s'lancrent la poursuite d'Abner, et ils coururent si longtemps que
le soleil se couchait, quand ils arrivrent au coteau d'Amma, vis--vis de Gujah. Cette fois, les
fuyards et les poursuivants s'arrtrent. Les Benjamites se rangrent autour d'Abner, au
sommet du cteau, et de la Abner cria Joab ces paroles: L'pe dvorera-t-elle sans cesse?
ne sais-tu pas qu'il y a de l'amertume dans une telle guerre? Dis donc bien vite tes hommes
de ne plus poursuivre leurs frres. Joab rpondit: Dieu m'est tmoin que, si tu avais parl ainsi
ce matin, les miens se seraient dj retirs, chacun ayant du chagrin combattre ses frres.
Joab donc sonna de la trompette, tous les soldats de Juda s'arrtrent, ils ne poursuivirent plus
ceux. d'Isral. Ainsi, Abner, sain et sauf, passa le Jourdain et se rendit Mahanajim; d'autre
part, Joab fit le compte de son arme et vit que dix-neuf partisans de David manquaient en
tout, en sus d'Hasal. Au contraire, l'arme d'Abner avait perdu trois cent soixante hommes.
Et le jour commenait poindre, lorsque Joab et ses troupes arrivrent Hbron. (2:24-32)
Il et t dommage de ne pas reproduire le rcit de cette fameuse bataille; car, ceci tant de
l'histoire sainte, dicte par la divinit elle-mme, les neries comme celles qu'on vient de lire
mritent d'tre signales. Nous ne devons jamais perdre de vue que c'est au nom de ces
stupidits, dclares sublimes, que des prtres sont fonctionnaires dans l'tat, y ont des
privilges, et que l'argent des contribuables sert entretenir leur caste, comme s'ils taient
docteurs des plus nobles sciences et professeurs des plus admirables vrits.
Tandis que onze tribus refusaient de reconnatre sa royaut, David fortifiait sa maison en
faisant des enfants . L'oint chri ne perdait pas son temps, oh! non. D'Achinoam, il eut
Amnon, pour premier-n; d'Abigal, il eut Kilab; de Mahaca, il eut Absalon; dAggith, il eut
Adonias; d'Abita l, il eut Scphatja; d'Egl, il eut Jthraam. Ces six fils de David naquirent
Hbron. (3:2-5)
Une histoire de femme devait, peu aprs, faire passer Abner dans le parti de David. Voici,
textuellement, l'anecdote: Or, Sal avait eu une concubine, nomme Ritspa, fille d'Aja. Et
Isboseth dit un jour Abner: Pourquoi as-tu couch avec la concubine de mon pre? Abner,
trs irrit, lui rpondit: Ai-je donc une tte de chien, pour que tu me reproches de m'tre
adjug une femme, moi qui t'ai soutenu contre la tribu de Juda aprs la mort de ton pre et de
tes frres? Puisqu'il en est ainsi, que Dieu appesantisse sa main la plus svre sur moi, si je ne
donne David ton trne, comme Jhovah a jur de le lui donner, et si je ne transfre la
royaut de la maison de Sal celle de David, depuis Dan jusqu' Beer-Scbah!... Isboseth,
qui craignait Abner, n'osa pas lui rpondre un mot. Abner envoya donc des dputs David,
pour lui dire: Traite avec moi, et je runirai sous ton sceptre tout Isral. David rpondit: Soit,
je traiterai avec loi, une seule condition: c'est que nous ne confrerons pas ensemble avant
que tu ne me ramnes ma chre Mical, fille de Sal. Et, d'autre part, David envoya des
dputs Isboseth, avec ce message: Qu'on me rende immdiatement Mical, ma premire
femme, que j'ai pouse pour deux cents prpuces de Philistins! Isboseth envoya qurir sa
sur et l'ta son mari Phalti, fils de Las. Et jusqu' Bahurim, le second mari de Mical,
Phalti, la suivit, et il pleurait chaudes larmes, en marchant derrire elle. Alors, Abner dit
Phalti: Maintenant, marche en arrire, et va-t'en tout seul. Phalti s'en retourna. (3:7-16)
162

C'est ainsi que David rcupra son pouse n 1, laquelle il tenait beaucoup, comme on voit;
mais il n'en garda pas moins les six autres. Quant Abner, sa trahison envers Isboseth ne lui
porta pas bonheur. Lorsqu'il se rendit Hbron pour traiter avec le fils d'Isa, il s'tait fait
accompagner par vingt de ses officiers; David donna un festin en son honneur, puis le
congdia en ami, afin qu'il allt convaincre les Isralites que lui seul tait le roi lgitime. Mais
Joab, ayant su cela, manda des gens lui, qui rattraprent
Abner en route et le ramenrent Hbron, sous prtexte que David avait encore quelque
chose lui dire. Alors, Joab prit Abner part, pour lui parler en secret, et il le tua en le
perant par les parties gnitales. La mort d'Hasal tait venge. David, la nouvelle de ce
meurtre, proclama qu'il n'y tait pour rien. Que le sang d'Abner, s'cria-t-il, retombe sur la tte
de Joab! Il fit mme de splendides funrailles au gnral en chef de l'arme de son rival. (v.
20-39)
La situation n'tait pas gaie pour Isboseth; un grand nombre de ses partisans l'abandonnaient.
Deux de ses capitaines, nomms Rcab et Bahama, entrrent dans sa chambre, un jour qu'il
faisait trs chaud et qu'il dormait aprs son repas de midi, et ils l'touffrent sur son lit. Fiers
de ce bel exploit et comptant sur une rcompense, ils apportrent sa tte David. David les
rcompensa, en leur faisant couper les mains et les pieds, d'abord; puis, Rcab et Bahama
furent pendus une potence qu'on dressa au-dessus de l'tang d'Hbron. Enfin, David fit
dposer la tte d'Isboseth dans le tombeau d'Abner. (ch. 4).
Aprs avoir rgn sept ans et demi Hbron, David rgna trente-trois ans Jrusalem, qui
appartenait aux Jbusiens, et dont il s'empara grce l'union dfinitive de tous les Isralites
sous son sceptre. David habita dans la forteresse, laquelle il donna le nom de cit de
David, et il btit des difices tout autour, Hiram, roi de Tyr, lui envoya des ambassadeurs,
ainsi que des charpentiers et des maons, avec du bois de cdre, pour lui faire construire un
palais. Rappelons que les annales de Tyr no font aucune mention de cette ambassade et ne
citent mme pas le nom de David.
Quoi qu'il en soit, le vritable tablissement du peuple juif commence la prise de Jrusalem;
jusque-l, les Isralites n'avaient t qu'une horde vagabonde, vivant de rapine, courant de
montagne en montagne et de caverne en caverne, sans avoir pu s'emparer d'une seule place
considrable. Jrusalem est situe auprs du dsert, sur le passage de tous les Arabes qui
allaient trafiquer en Phnicie; la position tait bonne. Le terrain, la vrit, n'est que de
cailloux et, ne produit rien; mais les trois montagnes sur lesquelles la ville est btie en
faisaient une place trs importante. On voit que
David manquait de tout pour y btir des maisons convenables une capitale, puisque Hiram,
roi de Tyr, lui envoya du bois, des charpentiers et des maons; mais on ne voit pas comment
David put payer Hiram, ni quel march il fit avec lui. David tait, dit Voltaire, la tte d'une
nation longtemps esclave, qui devait tre trs pauvre; le butin qu'il avait fait dans ses courses
ne devait pas l'avoir beaucoup enrichi, puisqu'il n'est parl d'aucune vill a opulente qu'il ait
pille; mais enfin, quoique l'histoire juive ne nous donne aucun dtail de l'tat o tait alors la
Jude, quoique nous ne sachions point comment David s'y prit pour gouverner ce pays, nous
devons toujours le regarder comme le seul fondateur.
Ds qu'il se vit matre de Jrusalem et de quinze vingt lieues de pays, David prit encore
des concubines et pousa de nouvelles femmes; et il lui naquit encore des fils et des filles.
Voici les noms des fils qui lui naquirent Jrusalem: Samuah, Sobab, Nathan, Salomon.
Jbahar, Elisua, Npheg, Jphia, Elisama. Eliodah et Eliphaleth. (5:13- 16)
Son installation personnelle, tant acheve, David songea donner Jhovah un logement
convenable, c'est--dire faire transporter l'arche sainte dans sa capitale. Il assembla de
nouveau toute l'lite d'Isral, se montant trente mille hommes, et, accompagn de toute la
tribu de Juda, il alla chercher l'arche de Dieu, sur laquelle on invoque Sabaoth, celte arche
sacre dans laquelle l'ternel rside entre les chrubins. On plaa donc l'arche de Dieu sur une
163

charrette toute neuve, et ils la prirent au bourg du Gabaa, o elle tait, dans la maison
d'Abinadab (fils de Sal, mort avec lui Gelbo); Oza et Ahio, enfants d'Abinadab,
conduisaient la charrette (6:1-3)... Mais lorsqu'on fut arriv prs de la grange de Nachon, les
bufs glissrent et, en tombant, firent pencher l'arche; Oza la retint de ses mains. Alors, la
colre de Dieu s'alluma contre Oza; Dieu le frappa, et il tomba mort sur la place, devant
l'arche de Dieu. (v. 6-7)
Alors, David prouva une grande frayeur de Jhovah ce jour-l, et il se dit: Il serait peut-tre
dangereux que l'arche de Dieu entrt chez moi. Et il la fit placer dans la maison d'un nomm
Obed-Edom. (6:9-10)
Si l'crivain de cette partie de la Bible n'est pas Samuel, il est nanmoins prtre, selon toute
probabilit; car ce qui domine dans ce rcit, c'est la proccupation d'empcher les laques de
toucher l'arche. Nous avons vu dj l'effroyable hcatombe de cinquante mille soixante-dix
curieux, morts instantanment, comme foudroys, pour avoir regard dans la sacre bote;
l'auteur, pour inspirer la crainte, ne recula pas devant l'invraisemblance de l'anecdote.
Maintenant, peu importe que Dieu paraisse d'une injustice criante! voil une arche qui,
quoique divine, ne devait pas tenir une bien grande place, puisqu'elle n'occupait qu'une simple
charrette, et cette charrette devait tre fort troite, puisqu'elle passait par les dfils qui
rgnent de la montagne de Gabaa la montagne de Jrusalem; or, les prtres
n'accompagnaient pas le coffre saint, ce qui ne se conoit gure, et, tant donn qu'on ne prt
pas toutes les prcautions ncessaires pour l'empcher de tomber, voil ce brave homme d'Oza
qui retient l'arche, qui la prserve d'une chute, et qui se voit rcompens de son zle religieux
par une mort subite! On avouera que c'est raide! Les incrdules, milord Bolingbroke en tte,
ont donc beau jeu pour dire que ce rcit est injurieux la bont divine, et que, s'il y avait
quelqu'un de coupable, c'taient les lvites qui avaient abandonn la sacre bote, et non pas le
laque qui la soutenait... Mais c'est avec des rcits de cette espce qu'on entretenait le peuple
ignorant dans la croyance des immunits et privilges accords par Dieu la caste
sacerdotale.
Autre remarque: ces commencements grossiers du rgne de David prouvent que la nation
juive tait encore aussi grossire que pauvre, et qu'en ralit elle ne possdait pas encore une
maison assez convenable pour y dposer l'objet de son culte.
Le sieur Obed-dom, constitu gardien de l'arche, eut grand soin de n'y pas toucher; c'est
pourquoi l'ternel le bnit, ainsi que toute sa famille, et ses affaires prosprrent . (v. 11)
David, ayant constat, au bout de trois mois, qu'il y avait ainsi moyen de ne pas tre foudroy,
fit rclamer l'arche Obed-dom. On la transporta alors Jrusalem. La crmonie du
transfert tut solennelle, et le roi manifesta une joie extraordinaire, dans cette circonstance:
David, ceint d'un phod de lin, sautait de toute sa force (sic) devant l'arche de Dieu. (v. 13)
Dans son allgresse, il leva mme la jambe un peu trop haut et montra... ce qu'il n'aurait pas
d laisser voir. Mical, son pouse n 1, ne lui cacha pas sa faon de penser ce sujet, aprs
que la sacre bote et t place dans un tabernacle, construit ad hoc.
Quand David s'en vint vers sa maison pour la bnir, Mical alla sa rencontre et lui dit: Le
roi d'Isral s'est fait aujourd'hui beaucoup d'honneur, en dcouvrant sa nudit devant les yeux
de ses servantes, et il n'en a eu aucune honte, comme ferait un fou! (v. 20) Quant Jhovah,
il fut fort satisfait de cette danse chevele, et il punit Mical d'avoir mpris ce jour-l son
mari; pour son chtiment, elle n'eut point d'enfants, jusqu'au jour de sa mort . (v. 23)
David aurait dsir construire un temple Jhovah; mais le dieu des Juifs s'y opposa, il
rservait cet honneur Salomon. (ch. 7)
Le chapitre 8 est consacr aux victoires de David. Aprs cela, David battit les Philistins, les
humilia, et affranchit le peuple isralite du tribut qu'il leur payait. (8:1) On est bien tonn
que l'oint chri, aprs la conqute de Jrusalem, ait encore pay tribut aux Philistins, et qu'il
164

ait fallu de nouvelles victoires pour affranchir les Juifs de cette onreuse sujtion; cela prouve
que ce peuple tait encore un trs petit peuple.
David dfit aussi les Moabites, et, les ayant vaincus, il les ft coucher par terre et mesurer
avec des cordes; une mesure de corde tait pour la mort, une autre mesure tait pour la vie; et
Moab fut asservi au tribut . (8:2) La manire dont
David traite les Moabites ressemble singulirement la fable paenne qu'on a dbite sur
Busiris, qui faisait mesurer ses captifs la longueur de son lit; on leur coupait les membres
qui dbordaient, et l'on allongeait par des tortures les membres qui n'taient pas assez longs,
Puis, David dfit encore Adarzer, roi de Soba, en Syrie, et il renversa sa domination sur le
fleuve de l'Euphrate. Il lui prix dix-sept cents cavaliers et vingt mille fantassins; il coupa les
jarrets tous les chevaux de ses chariots de guerre, sauf ceux de cent chariots, qu'il se
rserva. Or, les Syriens de Damas tant venus au secours d'Adarzer, David en tua vingt-deux
mille. Il tablit garnison dans la Syrie de Damas, et la Syrie tout entire lui paya tribut. Il prit
les armes d'or des officiers d'Adarzer et les apporta Jrusalem. (8:3-7) Il fit alliance avec
un certain Tobie, roi de Hammath, aussi inconnu dans l'histoire que le roi dont il fut le
vainqueur. Et, en revenant de sa campagne de Syrie, il tailla en pice dix-huit mille
Idumens dans la valle des Salines. (v. 13)
Plusieurs savants nient formellement ces victoires de David en Syrie et jusqu' l'Euphrate. Ils
disent qu'il n'en est fait mention nulle part, chez aucun historien; qu'on ne connat aucun roi de
Syrie du nom d'Adarzer; que, si David avait tendu sa domination jusque sur les rivages de
l'Euphrate, il et t un des plus grands souverains de la terre, cette poque, et que, par
consquent, le silence absolu de tous les historiens sur son compte ne se comprendrait pas. En
rsum, les savants regardent comme une exagration insoutenable ces prtendues conqutes
du chef d'une minuscule nation, matresse d'une seule ville qui n'tait pas mme encore btie!
Au milieu de sa gloire, David se souvint tout coup d'un vieux serviteur de Sal, nomm
Tsiba; il le fit appeler et lui demanda si par hasard quelqu'un de la famille du premier roi ne
vivrait pas encore. Tsiba lui apprit (David ignorait cela!) que Jonathan avait laiss un fils,
Mphisboseth, lequel, avec le temps, tait devenu papa; ce rejeton s'appelait Mica. Le
monarque n'avait craindre aucune concurrence de la part du fils de Jonathan, puisqu'il se
tenait tranquille au point d'tre demeur inconnu durant tant d'annes. Il donna des terres
Tsiba et Mphisboseth, et voulut que ce dernier ne prt plus dsormais ses repas ailleurs
qu'au palais royal (ch. 9) Ds lors, Mphisboseth demeura Jrusalem, parce qu'il mangeait
continuellement la table du ro i; et il tait boiteux des deux pieds. (v. 13)
David fit aussi la guerre aux Ammonites (ch. 10), la suite d'une mauvaise plaisanterie de
leur roi, Hanun. Un certain nombre de juifs se trouvant en voyage sur le territoire d'Hanun,
celui-ci leur fit raser la moiti de la barbe et couper la moiti de leurs habits, depuis le haut
des cuisses jusqu'aux pieds; puis, il les renvoya ainsi . (v. 4) Il va sans dire que les
Ammonites furent battus plate couture.
L'criture sainte nous a numr tout l'heure les fils que David eut Jrusalem, parmi
lesquels Salomon. Les circonstances de la naissance de ce fils font l'objet du chapitre 11.
Un jour que le roi se promenait, il aperut au loin une belle femme qui prenait un bain;
aussitt, il prouva le vif dsir de voir cette dame de plus prs.
Qui est cette femme? demanda-t-il. Et un de ses officiers lui dit: C'est Bethsabe, fille
d'Eliham, pouse du capitaine Urie. Alors, David envoya des hommes son service auprs de
Bethsabe, et elle fut enleve.
Il coucha donc avec elle; aprs quoi, Bethsabe se lava, et ainsi elle se purifia de son
impuret; puis, elle retourna chez elle. Or, cette femme conut; elle l'envoya dire David en
ces termes: Je suis enceinte. A cette nouvelle, David manda Joab, son gnral en chef, de lui
envoyer Urie. tant venu, Urie fut interrog par le roi sur Joab, sur le peuple, et sur ce qui
passait la guerre. Puis, David dit Urie: Va-t'en chez toi, dans ta maison, et lave tes pieds
165

(sic). Urie sortit donc de la maison du roi, suivi d'un prsent royal que les serviteurs de David
portaient derrire lui. Mais Urie dormit la porte de la maison du roi, avec les serviteurs de
son seigneur, et ne descendit point dans sa maison. Et on le rapporta David, qui le rappela et
lui dit: Pourquoi n'es-tu pas all chez toi, puisque tu revenais de voyage? Urie rpondit
David: Quoi! l'arche de Dieu loge sous une tente, et Joab, mon gnral, et tous mes
compagnons d'armes aussi! et moi, j'entrerais dans ma maison pour y manger et boire et pour
coucher avec ma femme? Non, je ne ferai pas cel a! Alors, David garda Urie Jrusalem
encore un jour et le lendemain. Puis, David le fit manger et boire avec lui, et il enivra Urie. Le
lendemain malin, le roi crivit Joab; il envoya sa lettre par les mains d'Urie. Or, cette lettre
tait crite en ces termes: A la premire bataille que vous livrerez, vous mettrez Urie au poste
le plus dangereux, et vous vous retirerez d'auprs de lui au fort du combat, afin qu'il soit
frapp et qu'il meure. (11:2-15)
Aprs donc que Joab eut fait l'examen de la ville de Rabbath, qu'il assigeait, il plaa Urie
l'endroit o il savait qu'il y aurait une sortie des p lus vaillants Ammonites. Et les assigs
sortirent contre l'arme de Joab; et quelques-uns des assigeants furent tus, et Urie se trouva
au nombre de ceux qui prirent.
Alors, Joab envoya un messager David pour lui faire savoir tout ce qui tait arriv dans ce
combat-l. S'il arrive que le roi se mette en colre, dit-il au messager et s'il reproche qu'on se
soit trop approch des remparts, tu ajouteras ces mots: O roi, ton serviteur Urie est mort dans
cet assaut. (v. 16-21) Le messager s'acquitta de sa mission. David, l'ayant entendu,
rpondit: Fais savoir Joab qu'il ne doit point se dcourager; qu'il redouble le combat contre
Rabbath, et qu'i! dtruise cette ville. (v. 25)
Alors, la femme d'Urie, ayant appris que son mari tait mort, prit le deuil. Et quand le temps
du deuil fut pass, David l'envoya chercher, la prit avec lui, et elle fut sa femme, et elle lui
enfanta un fils. Mais la chose que David avait faite dplut l'ternel. (11:26-27)
Jhovah dlgua auprs du roi le prophte Nathan, qui lui dbita une historiette: un gros
richard, propritaire d'un nombreux btail, avait donn un jour l'hospitalit un voyageur, et,
pour le rgaler, il lui servit une brebis qu'il vola un pauvre homme, au lieu d'en prendre une
de son abondant troupeau. David s'indignait contre ce richard malhonnte, lorsque Nathan
l'interrompit: Ce coupable contre qui s'allume ta colre, c'est toi-mme. Dieu m'a envoy
pour te rappeler qu'il t'avait oint roi d'Isral, qu'il t'avait dbarrass de Sal, qu'il t'avait mme
donn de nombreuses femmes, et si tout cela pouvait te paratre peu, il tait dispos
t'accorder encore autre chose. Mais voil que tu as fait prir le capitaine Urie, et tu lui as
enlev sa femme! C'est pourquoi Jhovah me charge de te dire que le glaive ne sortira jamais
de ta maison dans toute l'ternit, parce que tu as mpris ses bienfaits. Et voici: Dieu va faire
sortir de ta propre famille une honte qui sera contre toi et qui t'humiliera beaucoup; Dieu, je te
l'annonce, prendra tes femmes sous tes yeux mmes, il les donnera l'un de tes proches, et
celui-ci couchera avec tes femmes en plein jour, sous les yeux de tout Isral; car, toi, tu as
forniqu en secret; mais celui qui possdera tes pouses et tes concubines, forniquera en
public avec elles, pour ton humiliation. Alors, David dit Nathan: Hlas! j'ai pch contre
l'ternel! Nathan reprit: Puisque tu pleures, tu ne mourras point; Dieu t'enlve ton pch et le
fait passer sur la tte de ton fils; c'est l'enfant n de ton pch qui mourra. (12:7-14)
Sortie majestueuse du prophte; prire et jene de David, mort, au bout de sept jours, de
l'enfant qu'il avait eu de Bethsabe. Pendant ces sept jours, David ne prit aucune nourriture,
et il demeura jour et nuit couch par terre de tout son long. Et ses serviteurs craignirent de lui
apprendre que l'enfant tait mort. Quand l'enfant tait en vie, disaient-ils, le roi a refus
d'couter notre voix; comment donc lui ferions-nous connatre sa mort? Cela ne se peut, car il
s'affligerait davantage. Mais David, s'tant aperu que ses serviteurs parlaient tout bas,
comprit que l'enfant tait mort. Il leur posa donc cette question: Mon fils n'est-il pas mort? Ils
rpondirent: Oui. Alors, David se leva de terre, fit toilette, se frotta tout le corps de suaves
166

parfums, se vtit de beaux habits, et s'en fut se prosterner devant l'arche de Dieu. Puis, il
revint son palais, demanda dner, et mangea beaucoup. Ses serviteurs tonns lui dirent: O
roi, que fais-tu donc? nous n'y comprenons rien. Tu as jen et pleur pour cet enfant, pendant
qu'il tait encore en vie; et maintenant qu'il est mort, voici que tu ne pleures plus et que tu
manges de bon apptit! David leur dit: Quand l'enfant n'tait que malade, j'ai jen et j'ai
pleur; car je me demandais si Dieu n'aurait pas piti de moi et ne laisserait pas mon fils
vivre. Mais, prsent qu'il est mort, pourquoi jenerais-je? mon abstinence le rappellerait-elle
la vie? Non, n'est-ce pas? En continuant ne prendre aucune nourriture, je mourrais mon
tour; j'irais rejoindre mon enfant, et lui, il ne reviendrait pas vers moi. Alors, David s'en fut
auprs de Bethsabe, et, pour la consoler, il coucha avec elle jusqu' ce qu'elle lui enfantt un
autre fils. Ce second enfant de Bethsabe reut de son pre le nom de Salomon; et celui-ci
plut l'ternel, qui l'aima. Or, David fit part de cette naissance Nathan le prophte, et
Nathan imposa l'enfant un deuxime nom, le nom de Jdidja. (12:17-25)
Voil un pisode des plus difiants, certes!... Le mariage de Bethsabe, grosse de David, est
dclar nul par plusieurs rabbins et par plusieurs commentateurs, rapporte Voltaire. Parmi
nous, une femme adultre ne peut pouser son amant, assassin de son mari, moins d'une
dispense du pape: c'est ce qui a t dcid par le pape Clestin III. Nous ignorons si le pape
peut, en effet, avoir un tel pouvoir; mais il est certain que, chez aucune nation civilise, il n'est
permis d'pouser la veuve de celui qu'on a assassin.
Il y a une autre difficult: si le mariage de David et de Bethsabe est nul, on ne peut donc dire
que Jsus-Christ est descendant lgitime de David, comme le dclare l'vangile en donnant sa
gnalogie. Si, au contraire, on dcide qu'il en descend lgalement, on foule aux pieds la loi
de toutes les nations, l'une des lois universelles conforme aux principes le plus lmentaires
de la morale; si le mariage de David et de Bethsabe n'est qu'un nouveau crime, Jsus-Christ
est donc n de la source la plus impure, puisque le Nouveau Testament le fait descendre de
Salomon. Pour chapper ce dilemme, les thologiens invoquent le repentir de David, qui a
tout rpar. Mais son repentir n'a t que de peu de dure, et il a gard la veuve d'Urie, sa
victime; donc, son crime s'est aggrav; c'est une difficult nouvelle, que les thologiens ne
peuvent rsoudre, et ils en sont rduits se rabattre, comme toujours, sur la ncessit d'une foi
aveugle, les volonts de Dieu tant incomprhensibles le plus souvent.
Dans le cas que nous examinons, il est, par le fait, impossible de dmler exactement les
sentiments de Jhovah. Lui qui a tu le vieux bonhomme Nabal, pour faciliter le premier
adultre de David, il se fche de ce que son oint chri s'est rendu coupable d'assassinat
l'gard d'Urie; fallait-il donc que David le prit de se charger de cette besogne meurtrire, et
qu'il et Bethsabe grce un divin coup de foudre, comme il avait eu Abigal?... Ensuite,
Jhovah fait preuve, en cette circonstance, d'une colre bizarre. Il se montre fch, puisqu'il
envoie le prophte Nathan adresser des reproches au roi et fulminer l'annonce de terribles
chtiments; mais sa colre ne l'empche pas de voir de bon il le mariage de David avec la
veuve de l'assassin, puisqu'il manifeste sa prdilection pour Salomon, n de David et de cette
veuve. Il transporte le pch de l'assassin un enfant au berceau; alors, par l'effet de cette
trange combinaison cleste, David est donc dfinitivement pardonn, direz-vous?... Pas
prcisment. Il est pardonn, car l'enfant mourut; mais il n'est pas pardonn, car la menace de
faire coucher les femmes et concubines du roi avec un autre aux yeux de tout Isral subsista
entirement, ainsi qu'on va le voir.
En attendant, Joab avait fini par s'emparer de Rabbath, la capitale des Ammonites (12:26).
David vint prendre possession de cette nouvelle conqute. Et il prit le diadme de dessus la
tte du roi des Ammonites; or, ce diadme, tout enrichi de pierres prcieuses, pesait un talent
d'or; et David le plaa sur sa tte, et il rapporta de Rabbath un trs grand butin (12:30). On a
calcul que le poids d'un talent d'or quivalait quatre-vingt-dix livres: il n'est gure possible
qu'un homme ait port une telle couronne; elle aurait cras Goliath lui-mme.
167

Ayant vaincu les Ammonites, le roi d'Isral infligea ses prisonniers des supplices
pouvantables; c'taient ces mmes habitants de Rabbath qui avaient dbarrass David du
capitaine Urie: David tait demi-pardonn par Dieu; mais Jhovah choisissait David pour
tre l'excuteur de la vengeance divine contre ses propres complices, qui, au surplus, taient
parfaitement innocents, s'tant loyalement battus; si quelqu'un et d coper, c'tait Joab, dont
le rle n'avait gure t honorable. David se fit amener tous les habitants de Rabbath; tous
furent massacrs, les uns tant scis eu deux avec des scies, d'autres crass et dchirs par de
lourdes herses de fer qu'on fit passer sur eux, d'autres dcoups vifs avec des couteaux, et les
autres jets dans des fours cuire la brique. David traita de mme la population de toutes les
villes ammonites; aprs quoi, il s'en retourna Jrusalem. (12:31)
Il est souhaiter que ces inconcevables barbaries soient une exagration, comme l'est
videmment le diadme de quatre-vingt-dix livres. Il n'y a point d'exemple, dans l'histoire,
d'une cruaut si norme et si rflchie. M. Huet, de Londres, ne manque pas de la peindre
avec les couleurs qu'elle mrite. Le bndictin dom Calmet dit qu'il est prsumer que
David ne suivit que les lois communes de la guerre; que l'criture ne reproche rien sur cela
David, et qu'elle lui rend mme le tmoignage exprs que, hors le fait d'Urie, sa conduite a
toujours t irrprochable . Cette excuse serait bonne dans l'histoire des tigres et des
panthres, rpond M. Huet; quel homme, s'il n'a pas le cur d'un vrai juif pourra trou ver des
expressions convenables une pareille horreur? Et voil l'homme selon le cur de Dieu!... En
tout cas, que cette histoire soit exacte ou invente plaisir, on ne peut que fltrir un tel
enseignement religieux; et que penser de ceux qui se sont donn mission de convaincre an
peuple que de tel les sauvageries sont des actes glorieux et mritoires?...
Mais, dans cette famille de David, on ne sort d'une horreur que pour retomber dans une autre.
Poursuivons.
Immdiatement aprs, Amnon, fils de David, tomba amoureux de sa sur Thamar, sur
aussi d'Absalon, autre fils de David: et il en tait tellement amoureux que toute sa pense
s'absorbait dans cette passion, avec dsespoir; car Thamar tait vierge, et il lui semblait trop
difficile de rien obtenir d'elle. Or, Amnon tait li de la plus intime amiti avec Jonadab,
homme fort adroit, neveu de David. Et Jonadab dit Amnon: Pourquoi maigris-tu ainsi de
jour en jour? quene m'en dis-tu la cause? Amnon lui rpondit: C'est que je su is amoureux de
ma sur Thamar, sur de mre de mon frre Absalon. Alors, Jonadab lui dit: Couche-toi dans
ton lit et lais le malade; puis, quand ton pre viendra te voir, prie-le de t'envoyer Thamar pour
te faire des beignets la viande, qu'elle sait trs bien apprter. (13:1-5)
L'histoire profane rapporte des incestes qui ont quelque ressemblance avec celui d'Amnon.
Toutefois, il n'est pas prsumer que les uns ont t copis des autres; car, aprs tout, de
pareilles impudicits n'ont t que trop communes chez toutes les nations. Ce qu'il y a ici de
particulirement trange, c'est qu'Amnon confie sa passion criminelle son cousin Jonadab; il
fallait donc que la famille de David ft bien dissolue pour qu'un de ses fils, qui pouvait, avoir
tant de concubines son service, voult absolument jouir de sa propre sur, et que son cousin
germain lui en facilitt les moyens.
Amnon suivit le conseil de Jonadab, et les choses se passrent comme celui-ci l'avait prvu.
Le roi, tant venu auprs de son fils alit, couta sa requte, crut une de ces inoffensives
fantaisies de malade qui ne se refusent pas, et envoya sa fille confectionner dans la chambre d
'Amnon les fameux beignets la viande, sa spcialit de cordon-bleu.
Thamar s'en vint donc chez son frre Amnon, et le trouva couch. Elle prit de la pte, la
ptrit, et elle en fit devant lui des beignets, qu'elle cuisit en y mlant des petits morceaux de
viande. Puis, elle apporta la pole auprs de son lit et versa les beignets. Mais Amnon dit: Je
ne veux pas les manger devant les gens qui sont l! Chacun se retira. Alors, Amnon, qui avait
retenu Thamar, lui parla ainsi: Approche les beignets que tu m'as apprts, et toi-mme
approche-toi, parce que je ne veux les manger que de ta main; approche-toi, Thamar, plus prs
168

encore. Thamar fit comme il lui demandait. Mais, tandis qu'elle se penchait sur son lit pour lui
faire manger un beignet, il se saisit d'elle tout coup, et lui dit: Allons, viens, laisse-toi faire;
couche avec moi, ma sur. Et elle lui rpondit: Non, mon frre, je ne veux pas, et, je t'en prie,
ne me fais pas violence, car le viol est dfendu chez les Isralites. Ne commets point cette
action infme. Et moi, que deviendrais-je, une fois que tu m'aurais inflig celte honte? Toi, tu
passerais pour un fou. Maintenant, coute: si tu me veux tout prix, parles-en au roi, notre
pre, et sans doute, pour un mariage, il ne refusera pas de me donner toi. Mais Amnon ne
voulut point l'couter; or, comme il tait plus fort qu'elle, il la renversa et coucha avec elle.
Puis, aussitt qu'il l'eut viole, il conut pour elle une si grande haine que sa haine tait plus
grande que ne l'avait t son amour. Et il lui dit: Lve-toi, je ne veux plus de toi, va-t'en!
Alors, Thamar pleura, en disant: Le mal que tu me fais prsent est encore plus fort que le
mal que tu viens de me faire sur ce lit. Mais Amnon, ayant appel un valet, lui dit: Chasse de
ma chambre cette fille, et ferme la porte sur elle. (13:8-17)
Qu'en pensez-vous, lecteurs?... Comme anecdote de livre saint, dict par Dieu, est-ce assez
bien russi?...
Continuons reproduire ce texte, base sacre de la religion qui a chez nous un budget officiel
se chiffrant chaque anne par millions, aux dpens des contribuables, sans compter les
milliards que, depuis des sicles, les prtres ont extorqus de toutes manires, toujours en se
prvalant des droits divins inscrits en faveur de leur caste dans l'immonde Bible.
Ainsi, Thamar fut chasse. Elle prit de la cendre et la rpandit sur sa tte; elle dchira la
belle robe bigarre qu'elle avait sur elle, et elle s'en alla en criant, tenant sa main sur sa tte
(v. 19). Absalon, qui tait, comme elle, enfant de Mahaca, pouse n 4 de Davi d, a laiss une
rputation surtout chevelue; c'est un des illustres personnages bibliques clbres par leur
tignasse; sous le rapport de la longueur des cheveux, il dame le pion Samson et Samuel.
Quand il apprit le viol de Thamar, Absalon tenta d'abord de la consoler. Nous citons
textuellement: Notre frre Amnon a couch avec toi? lui dit-il. Mais maintenant, tais-toi;
c'est ton frre. Ne prends point ceci cur! (v. 20)
Malgr ces bonnes paroles, Thamar resta dsole. Quant David, quand il connut de quelle
faon son fils Amnon comprenait la dnette de beignets la viande, il prouva une grosse
colre; mais ce fut un feu de paille. Absalon, lui, ne parlait ni en bien ni en mal Amnon;
mais, au fond, il le hassait. (v. 22) Absalon dissimula sa haine pendant deux annes. (v. 23)
Au bout de ce temps-l, il donna, Baal-Azor o il avait une villa, un grand festin auquel il
invita tous ses frres, y compris Amnon. L'incestueux violeur but outre mesure et fut assassin
au dessert. (v. 24-29)
C'est une grande impuret de coucher avec sa sur, remarque Voltaire; c'est une extrme
brutalit de la chasser ensuite avec outrage; mais c'est sans doute un crime encore plus grand
d'assassiner tratreusement son frre en l'attirant chez soi et en le faisant festoyer.
Tous les frres d'Absalon, tmoins de ce fratricide, sortirent prcipitamment de table et
s'enfuirent sur leurs mules, comme s'ils eussent craint d'avoir le sort d'Amnon. A ce propos,
on a fait observer que c'est la premire fois qu'il est question de mulets dans l'histoire juive.
Un thologien, dans sa manie de vouloir mettre de l'extraordinaire l mme o il n'y en a pas,
l'impayable dom Calmet, a eu la belle ide d'avancer, dans son commentaire de la Bible, que
les mulets de Palestine ne sont pas produits de l'accouplement d'un ne et d'une jument, mais
qu'ils sont engendrs d'un mulet et d'une mule . Cette nouveaut inattendue a provoqu le
rire de Voltaire, qui rpond au bndictin: Do m Calmet cite, ce sujet, l'opinion d'Aristote;
mais il aurait mieux fait, sans doute, de consulter un bon muletier. Nous avons vu plusieurs
voyageurs qui assurent qu'Aristote s'est tromp et le rvrend Calmet avec lui. Il n'y a point de
naturaliste aujourd'hui qui croie aux prtendues races de mulets. Un bourriquet fait un beau
mulet une cavale; mais la nature s'arrte l, et le mulet n'a pas le pouvoir d'engendrer.
Pourquoi donc la Providence lui a-t-elle donn l'instrument de la gnration? On dit qu'elle ne
169

fait rien en vain: cependant, l'instrument d'un mulet devient la chose du monde la plus inutile.
Il en est, d'ailleurs, des parties du mulet comme des mamelles des hommes; ces mamelles sont
trs inutiles, et ne servent qu' figurer. David pleura beaucoup Amnon et ne cacha pas qu'il
blmait Absalon de l'avoir tu; c'est pourquoi Absalon s'exila d'Isral: il se rfugia au
royaume de Gessur, dont le souverain, le roi Talma, tait son grand-pre maternel. Il demeura
trois ans dans cet asile. (v. 37-38) Joab usa d'adresse pour faire rappeler Absalon; il y russit
tant bien que mal et le ramena Jrusalem (14:23); mais David ne voulut pas que son fils
part devant lui.
Or, il n'y avait point d'homme dans tout Isral plus beau qu'Absalon; il n'avait pas le
moindre dfaut, depuis les pieds jusqu' la tte; et lorsqu'il se faisait couper les cheveux (ce
qui lui arrivait une fois par an, parce qu'alors le poids de sa chevelure l'embarrassait trop), il
les pesait, et il se trouvait que leur poids atteignait jusqu' deux cents sicles. D'autre part,
Absalon eut trois fils et une fille, qu'il nomma Thamar et qui devint une fort belle femme.
Mais il importe surtout de savoir qu'il demeura Jrusalem deux ans entiers sans voir le roi
son pre. Ensuite, il fit dire Joab de venir le trouver, pour le prier de le remettre tout--fait
dans les bonnes grces du roi; mais Joab ne voulut pas venir chez Absalon. Mand une
seconde fois, il refusa encore de venir. Absalon dit alors ses gens: Vous n'ignorez pas que
Joab possde un champ d'orge auprs du mien; allez donc, et mettez-y le feu. Et les gens
d'Absalon incendirent la moisson du gnral en chef des armes de David. Alors, Joab vint
chez Absalon, dans sa maison, et lui dit: Pourquoi tes valets ont-ils mis le feu mon orge?
Absalon lui rpondit: Je t'ai fait prier de me venir voir, afin de me raccommoder avec le roi
mon pre, et tu ne t'es pas drang; ce n'tait pas la peine, vraiment, de m'avoir ramen de
Gessur! il vaudrait mieux que j'y fusse encore! Maintenant donc, je t'en prie, fais-moi voir le
roi; s'il trouve encore quelque iniquit, eh bien, qu'il me tue! Joab rapporta ces paroles
David, qui fit alors appeler Absalon; et Absalon s'tant mis genoux devant le roi, le roi le
baisa. (14:25-33)
Si cette conduite d'Absalon envers Joab est moins horrible que le reste, elle est, par contre,
excessivement grotesque, Jamais, ailleurs que dans la Bible, on ne s'est avis d'incendier les
orges d'un gnral en chef, d'un premier ministre, pour avoir une conversation avec lui; c'est
un drle de moyen d'obtenir des audiences!...
Apr s cela, Absalon se fit faire des chariots; il assembla des cavaliers et cinquante hommes
qui marchaient devant lui (15:1)... Et il fit une grande conjuration, promettant tous de rendre
justice; et Absalon s'attachait ainsi les curs des Isralites (v. 6)... Et, quarante ans aprs,
Absalon dit un jour David: Il faut que je m'absente; car j'ai me rendre Hbron pour
accomplir un vu que j'ai fait Jhovah, au temps o j'habitais Gessur. Le roi lui rpondit:
Va-t'en en paix. Absalon alla donc Hbron. Et Absalon fit publier dans tout Isral, au son de
la trompette, qu'il avait t tabli roi Hbron. Et deux cents hommes de Jrusalem, qu'il
avait entrans, taient avec lui Hbron, dans la simplicit de leur cur, ne sachant rien de
cette conjuration (v. 7-11)... Alors, David dit ses officiers qui taient avec lui Jrusalem:
Allons-nous-en, fuyons bien vite, de peur qu'Absalon ne vienne s'emparer de nos personnes et
ne nous fasse dvorer par la bouche de son glaive. Ses officiers lui rpondirent: Nous sommes
prts faire tout ce que tu trouveras bon. Le roi David sortit donc de Jrusalem avec tout son
monde, en marchant avec ses pieds, laissant seulement dix de ses femmes pour garder sa
maison; et tout le peuple le suivit, jusqu'au lieu trs loign o il s'arrta; puis, ils reprirent
leur marche, en s'loignant toujours, tous ses officiers et ses serviteurs faisant route auprs de
lui; et les troupes des Krthiens, des Plthiens et six cents Gthens marchaient pied
devant le roi. (15:14-18)
Milord Bolingbroke raconte que le gnral Widers, quelque temps aprs la bataille de
Blenheim o il s'tait signal, entendant un jour son chapelain lire ce passage de la Bible, lui
arracha le livre et le jeta par terre, en disant: Pardieu! chapelain, voil un grand poltron et un
170

vil misrable que ton David, de s'en aller pieds nus avec son beau rgiment de Gthens!...
Ah! moi, j'aurais fait volte-face, et, jarnidieu! j'aurais couru ce coquin d'Absalon; mort-dieu!
je l'aurais fait pendre au premier poirier!
Et tout le monde pleurait, avec de grands cris; puis, le roi David passa le torrent du Cdron,
et le peuple prit le chemin qui conduit au dsert. Sadoc tait l aussi, avec tous les lvites qui
portaient l'arche de Dieu. (15:23-24) Mais David fit retourner l'arche Jrusalem. Quand
David eut pass le haut de la montagne, Tsiba, intendant de Mphisboseth, fils de Jonathan,
vint au-devant de lui avec deux nes chargs de deux cents pains, de cent paniers de figues, de
cent paquets de raisins secs et d'une peau de bouc remplie de vin. Il apportait cela pour le roi
et sa famille. Et David demanda Tsiba: O est Mphisboseth? Tsiba rpondit: Il est rest
Jrusalem, dans l'espoir qu'Isral lui rendra aujourd'hui le royaume de son grand-pre Sal.
Alors, David dit Tsiba: Eh bien, je te donne tous les biens de Mphisboseth (16:1-4)... Or, le
roi David tant venu dans sa fuite jusqu', Bahurim, un ancien domestique de Sal, nomm
Smi, sortit de sa maison et se mit maudire le roi; et il jetait des pierres contre David et
contre tous ses officiers; et tout le peuple et tous les hommes vaillants, entourant le roi
droite et gauche, recevaient ces pierres. Smi criait David: Viens donc ici, homme de
sang! viens, que je te lapide, homme de Blial! (16:5-7)... Mais David et ses gens continurent
leur chemin, et Smi les poursuivait, en continuant leur lancer des pierres, tant et tant qu'il
s'levait autour du roi un nuage de poussire. (16:13).
Les critiques font observer que, si l'auteur sacr n'avait t qu'un crivain ordinaire, il aurait
dtaill la rbellion d'Absalon; il aurait dit quelles taient les forces de ce prince; il nous aurait
appris pourquoi David, ce grand guerrier, s'enfuit si piteusement de Jrusalem avant que son
fils y ft arriv. Jrusalem tait-elle fortifie? ne l'tait-elle pas? Comment tout le peuple qui
suit David n'oppose-t-i l aucune rsistance? Est-il possible qu'un tyran aussi froce, aussi
impitoyable que David, qui vient de scier en deux, d'craser sous des herses de fer, de brler
dans des fours briques ses ennemis vaincus, s'enfuie de sa capitale en pleurnichant comme
un sot enfant, sans faire la moindre tentative pour arrter la rvolte d'un fils criminel?... Et
l'incident de ce Smi, qui lui jette impunment des pierres tout le long du chemin, tandis qu'il
est entour de tant d'hommes d'armes et de tous les habitants de Jrusalem, n'est-il pas une des
plus burlesques mystifications du divin pigeon, inspirateur de l'crivain?... On en est se
demander si l'on rve, quand on lit des balivernes d'une telle niaiserie dans un livre religieux
auquel il faut croire sous peine d'anathme!...
A l'gard de ce pauvre Mphisboseth, fils de Jonathan et petit-fils de Sal, comment ce
boiteux des deux pieds esprait-il rgner? s'imaginait-il qu'Absalon, qui venait de lever
l'tendard de la rvolte pour se proclamer roi, allait abdiquer en sa faveur et achever pour un
autre que lui-mme la dchance de David?... Comment, d'autre part, David, qui n'a plus rien,
qui ne peut plus disposer de rien, donne-t-il tous les biens du prince Mphisboseth son
domestique Tsib a?... Frret dit que si ce prince Mphisboseth avait un intendant (ce qui est
difficile croire), il est probable que cet intendant, reprsent si peu fidle, n'aurait pas
manqu, dans la dbcle, de s'emparer des biens de son matre, sans attendre la permission de
David.
Cependant, Absalon tait entr dans Jrusalem, avec tout le peuple de son parti, et
Achitophel, de Guilo, l'un des conseillers de David, tait pass lui (16:15)... Et Achitophel
dis ait Absalon: Crois-moi, fornique publiquement avec toutes les femmes de ton pre, qu'il
a laisses pour la garde de sa maison, et ainsi, quand les Isralites sauront que tu as fait ton
pre cet affront qui est le pire des outrages, ils n'en seront que plus fortement attachs toi.
Absalon fit donc tendre une tente au-dessus de la terrasse de la maison de son pre, il obligea
les femmes de son pre monter sur la terrasse, et l, il forniqua avec toutes, en prsence du
peuple. (16:21-22)
171

Les critiques ne croient gure que le fait de commettre en public une chose aussi indcente
soit un procd bien efficace pour s'attacher un peuple; ils refusent de croire aussi qu'Absalon,
si jeune qu'il tait, ait pu consommer l'acte, coup sur coup, avec les dix femmes de son pre,
devant toute la population de Jrusalem. Mais ce qui est le plus clair, c'est que l'auteur sacr,
crivant le livre fondamental de la religion, se complat dans les plus sales histoires; aprs
l'inceste d'Amnon, on nous sert les dix incestes d'Absalon; avec la sainte Bible, nous ne
sortons des atrocits que pour tomber dans les turpitudes.
Achitophel donna un autre conseil Absalon, celui de choisir douze mille hommes et de
poursuivre immdiatement David; mais un nomm Cussa lui conseilla de faire d'abord appel
tout Isral, depuis Dan jusqu' Ber-Scbah, et ce dernier avis parut le meilleur Absalon.
Achitophel, ennuy de n'avoir pas t cout, s'trangla (ch. 17). Finalement, le parti de la
rvolte essuya une dfaite dans la for t d'Ephram, o vingt mille soldats d'Absalon furent
tus par les troupes du roi, commandes par Joab. Dans sa fuite, le fils de David, qui tait
mont sur un mulet, eut sa chevelure prise dans les branches d'un chne et y demeura
suspendu, le mulet ayant continu sa route. Joab, inform, prit trois javelots et en transpera
Absalon. Cet pisode parat bien tir par les cheveux, n'est-ce pas? Quant David, lorsqu'il
apprit la mort du beau jeune homme, il versa d'abondantes larmes et cria plusieurs reprises:
Absalon mon fils! Mon fils Absalon! Absalon mon fils! Le dfunt n'eut pas d'autre oraison
funbre. (ch. 18)
David rentra donc dans sa capitale; il pardonna Sm, qui lui avait jet des pierres, et
Mphisboseth, qui lui jura qu'il n'avait jamais song usurper sa couronne (ch. 19).
Il y eut encore une sdition, fomente par un certain Scbah; elle fut vaincue aussi, et les gens
chez qui Scbah s'tait rfugi lui couprent la tte. Enfin, il y avait un capitaine Amasa,
qu'Absalon avait lev au grade de gnral; Joab se rapprocha de lui, feignant de lui vouloir
du bien; et, tandis qu'ils causaient, Joab saisit de la main droite la barbe d'Amasa
familirement, comme s'il voulait l'embrasser; or, Amasa ne prenait point garde l'pe que
Joab tenait de sa main gauche; alors Joab l'en frappa et rpandit ses entrailles par terre .
(20:9-10)
Il y eut, du temps de David, une famine qui dura trois ans conscutifs. Jhovah, interrog,
rpondit: C'est cause de Sal et de sa maison consanguinaire, parce qu'il a fait mourir des
Gabaonites. Alors, le roi appela les Gabaonites, pour leur parler. Or, les Gabaonites n'taient
point des enfants d'Isral; mais c'tait un reste des Amorrhens, et les Isralistes leur avaient
promis dejles laisser vivre; nanmoins, Sal avait voulu les dtruire dans son zle, croyant
servir les intrts d'Isral et de Juda. David dit donc aux Gabaonites: Que ferai-je pour vous?
comment vous apaiserai-je, afin que vous bnissiez l'hritage du Seigneur? Ils lui rpondirent:
Nous ne voulons ni or ni argent; mais, puisque Sal nous a dtruits et qu'il a tellement
machin contre nous que nous avons t extermins sans pouvoir subsister en Isral, qu'on
nous livre sept hommes de sa descendance, et nous les pendrons au nom de l'ternel, sur le
coteau de Gabaa; car Sal tait de Gabaa, et il fut l'lu du Seigneur. David leur dit: Eh bien, je
vous les livrerai. Cependant, le roi ne leur remit point Mphisboseth, fils de Jonathan, qui
avait t son intime ami; mais il prit Armoni et un autre Mphisboseth, qui taient fils de
Ritspa, concubine de Sal, et les cinq fils que Mical, fille de Sal, avait enfants son mari
Hadriel Mholatite. Et il les livra aux Gabaonites, qui les pendirent sur leur montagne devant
l'ternel; et ils furent pendus tous ensemble au commencement de la moisson des orges.
(21:1-9)
Ce passage de la Bible a toujours embarrass les thologiens; car il n'est dit nulle part, dans
l'histoire de Sal, que ce roi et fait le moindre tort aux Gabaonites, et bien au contraire
Samuel lui reprocha constamment, au nom de Dieu, ses sentiments de gnrosit en plusieurs
circonstances; on n'a pas oubli que le prophte le dclara dchu, parce qu'il n'exterminait pas
les peuples non-isralites qui vivaient dans cette contre, tels que les Amalcites, les
172

Amorrhens, les Idumens, etc. En outre, puisque Sal tait lui-mme de Gabaa, il est tout
naturel qu'il ait favoris ses compatriotes; s'il avait massacr ceux des habitants de Gabaa, qui
n'taient pas juifs, Samuel n'aurait pas manqu de mentionner ce forfait dans celui de ses deux
livres qu'il consacre Sal.
Ce massacre, qui est relat ici inopinment, aprs coup, produit l'effet d'un mensonger
prtexte, imagin par David pour se dbarrasser des derniers descendants de son prdcesseur.
L'pisode est si peu vridique, que l'auteur y commet un quiproquo: c'est Mrob, sa fille
ane, et non Mical, que Sal maria Iladriel Mholatite (1 Samuel 18:19); quant Mical,
lorsque David lui fut infidle en pousant Abigal et Achinoam, Sal la donna Phalti, fils de
Las (1 Samuel 25:44), et nous avons vu David la reprendre Phalti (2 Samuel 3:14-16). Il est
possible que l'auteur sacr ait voulu parler ici de Mical et des fils qu'elle put avoir d'un autre
mari que David; mais il est difficile d'admettre qu'un crivain, inspir par Dieu, ait manqu de
mmoire au point de confondre le sieur Phalti avec le sieur Hadriel Mholatite, poux de
Mrob.
Quant la famine qui dsola trois ans le pays, du temps du roi David, rien ne fut si commun
dans ce pays qu'une famine. Les livres saints parlent trs souvent de famine; quand Abraham
vint en Palestine, il y trouva la famine. Et nous verrons encore bien d'autres famines dans ce
triste pays, o de tout temps il y eut plus de cailloux que de vgtation.
On est, au surplus, bien surpris d'apprendre que Dieu lui-mme dit David que cette famine
tait envoye cause de Sal, qui tait mort si longtemps auparavant, et parce que Sal avait
eu des mauvaises intentions contre un peuple qui n'tait pas le peuple de Dieu. Si cet pisode
tait vrai, il faudrait dire, avec tous les critiques, que, des nombreux crimes de David, celui-ci
est le plus excrable. On n'y trouve l'excuse d'aucun garement passionnel. C'est une infamie
d'avoir fait pendre, sous un infme prtexte, deux fils illgitimes de Sal, qui n'taient pas et
ne pouvaient pas tre des comptiteurs; et, puisqu'il avait repris Mical depuis plusieurs
annes, Mical de qui il avait plutt se faire pardonner ses nombreux adultres, David
agissait avec une cruaut ignoble en livrant aux Gabaonites, pour tre supplicis, les enfants
que son pouse avait eus d'un autre, l'poque o il l'abandonna pour Abigal et Achinoam. A
l'infamie se joint l'absurdit: en effet, il livre ces sept innocents un tout petit peuple qui ne
devait nullement tre craindre, puisqu'alors David est suppos vainqueur de tous ses
ennemis.
Il y a dans cette action, disent les critiques (lord Bolingbroke, Huet, Frret, Voltaire), non
seulement une barbarie qui ferait horreur aux sauvages, mais une lchet dont le plus vil de
tous les hommes ne serait pas capable. A cette lchet et cette cruaut, David ajoute encore
le parjure; car il avait jur Sal de ne jamais ter la vie qui que ce fut de sa descendance.
Si, pour excuser ce parjure, les thologiens viennent nous dire qu'il ne pendit pas lui-mme les
fils de Ritspa et de Mical, mais qu'il les donna aux Gabaonites pour les pendre, cette excuse
est aussi lche que la conduite de David mme et augmente encore sa sclratesse. De
quelque ct qu'on se tourne, on ne trouve, dans toute cette sainte histoire de l'oint chri de
Dieu, que l'assemblage de tous les crimes, de toutes les perfidies, de toutes les infamies, au
milieu de toutes les contradictions.
Le chapitre 21 se termine par la narration de la dfaite de quatre gants philistins, dont l'un
tait un homme non seulement extraordinaire par sa taille, mais aussi parce qu'il avait vingt-
quatre doigts, six doigts chaque main et chaque pied. (v. 20)
Le chapitre 22 contient un cantique de David. Autre cantique dans le chapitre suivant; celui-ci
nous cite quelques vaillants traits de divers compagnons du roi. Bnaja, fils de Joada, trs
courageux homme de Kabsal, se signala par de grands exploits. Il tua deux des plus puissants
guerriers de Moab. Il tua aussi un gyptien, qui tait un fort bel homme et qui avait une
formidable hallebarde; Benaja vint contre lui avec un bton, dont il lui donna un coup sur la
main; ainsi le gant gyptien lcha sa hallebarde, que le capitaine de David prit trs
173

adroitement et avec laquelle il le transpera. Un autre jour, par un temps de neige, Bnaja vit
un lion norme qui se roulait dans la neige, et Bnaja n'eut aucune crainte; le lion, dans sa
boule de neige, tomba au fond d'une fosse; alors, Bnaja descendit dans la fosse et tua le lion.
Voil ce que fit Bnaja, capitaine de David, et il fut illustre parmi les plus vaillants. (23:20-
22) Il est regrettable que l'auteur sacr ait nglig de dire en quelle contre se passa cette
aventure, vritablement cocasse, du lion s'emptrant dans une boule de neige; la neige est si
rare aux pays o vivent les lions, que Bnaja eut raison de ne pas perdre de temps pour occire
le fauve; sans cela, il et couru le risque de voir cette neige providentielle bientt fondue!
Dsirant savoir le nombre de ses sujets, David, inspir par Dieu, se dit un jour: Faisons le
dnombrement d'Isral et Juda. Cette opration, aussi longue que peu folichonne, ne fut
termine qu'au bout de neuf mois et vingt jours (24:8).
Joab donna le recensement du peuple au roi, et il se trouva que les tribus d'Isral comptaient
dans leur sein huit cent mille hommes robustes tirant l'pe, et que Juda comptait cinq cent
mille combattants. (v. 9) Le dnombrement n'tait pas plus tt termin que David comprit
qu'en y faisant procder il avait commis un grand pch. La Bible ne dit pas en quoi le fait de
cette statistique tait un acte de nature provoquer le courroux de Jhovah; mais elle nous
montre nanmoins papa Bon Dieu trs irrit. Jhovah envoya donc vers le roi le prophte
Gad, qui tait le devin, le voyant de David. Gad dit au roi de la part de l'ternel: J'apporte
trois choses contre toi; choisis l'une des trois, afin que je te la fasse. Que veux-tu qu'il t'arrive?
ou sept ans de famine sur ton pays? ou que tu fuies pendant trois mois entiers devant tes
ennemis victorieux? ou trois jours de peste dans ton royaume? Rflchis bien, et vois ce que
tu veux que je rponde Dieu qui m'a envoy. (24:11-13)
Cette premire partie ncessite quelques observations importantes. D'abord, le texte mme dit
expressment (v. 1) que c'est Dieu qui, ayant sa colre allume contre Isral, incita David
faire ce dnombrement ; or, Dieu s'irrite ensuite davantage et arrte qu'il y a lieu de
dchaner un flau, pour punir ce qu'il a fait faire. Voil donc Dieu reprsent, une fois de
plus, par l'Ecriture Sainte, comme ennemi du genre humain et prenant plaisir faire tomber
les hommes dans ses piges. Secondement, le Seigneur a lui-mme ordonn trois
dnombrements dans le Pentateuque. Troisimement, rien n'est plus utile et plus sage, comme
rien n'est plus difficile, que de faire le recensement exact d'une nation; et non seulement cette
opration de David est prudente, mais elle est sainte, puisqu'en cela il obit l'inspiration de
Dieu. Quatrimement, tous les critiques crient l'exagration, l'imposture, au ridicule,
d'admettre David un million trois cent mille soldats dans un si petit pays: ce qui ferait, en
comptant seulement pour soldats le cinquime du peuple, six millions cinq cent mille
habitants, sans compter les Cananens et les Philistins, qui venaient tout rcemment de livrer
quatre batailles David, et qui taient rpandus dans toute la Palestine. Cinquimement, le
livre des Chroniques, qui fait aussi canoniquement partie de la Bible, et qui contredit trs
souvent les autres ouvrages de mme inspiration divine, compte quinze cent soixante-et-dix
mille soldats; ce qui monterait un nombre bien plus prodigieux encore et bien plus
incroyable. Siximement, les critiques pensent qu'il y a une affectation purile, grotesque,
indigne de la majest de Dieu, d'e nvoyer le prophte Gad au prophte David pour lui donner
choisir l'un des trois flaux pendant sept ans, ou pendant trois mois, ou pendant trois jours;
ils trouvent dans cette cruaut cleste une drision, et je ne sais quel caractre de conte
oriental qui ne devrait pas tre dans un livre o l'on fait agir et parler Dieu chaque page.
Voyons maintenant quel fut le choix du roi. David rpondit Gad: Je suis dans une grande
perplexit; mais il vaut mieux tomber, par la peste, entre les mains de Dieu, qui est
misricordieux, qu'entre les mains des hommes. Aussitt Dieu envoya la peste en Isral; et en
trois jours, depuis Dan jusqu' Deer-Scbah, il mourut soixante-et-dix mille mles. Or,
comme l'ange de la mort tendait encore sa main sur Jrusalem pour ravager cette ville, le
Seigneur se repentit d'avoir envoy le flau, et il dit l'ange qui dtruisait le peuple: Allons,
174

c'est assez maintenant, retire ta main. L'ange du Seigneur tait alors au-dessus de la grange
d'Arauna, jbusien Mais David, de son ct, voyant que l'ange frappait toujours, implora
l'ternel en ces termes: C'est moi qui ai pch, Seigneur; quant ces brebis, qu'ont-elles fait?
Je te prie donc d'appesantir ta main sur moi et sur la famille de mon pre. Alors Gad vint
David et lui dit: Va-t'en vile dans la grange d'Arauna, et dresses-y un autel l' ternel.
(24:14-18) David obit; Arauna fournit tout ce qu'il fallait pour un sacrifice. lit le roi btit l
un autel, y offrit des holocaustes, et c'est ainsi que la colre de Jhovah fut apaise et que la
peste cessa de dtruire Isral. (v. 25)
Passons aux remarques des commentateurs sceptiques. Une peste qui extermine en trois jours
soixante et dix mille mles (viros, dans la Vulgate) doit avoir tu aussi soixante et dix mille
femelles. Il parat affreux aux critiques que Dieu tue cent quarante mille personnes de son
peuple chri, auquel il se communique tous les jours, avec lequel il vit familirement; et cela
parce que David a obi Dieu mme et a fait la chose du monde la plus sage. En outre, Frret,
entre autres, pense que l'auteur sacr imite visiblement Homre, quand le Seigneur arrte la
main de l'ange exterminateur: selon lui, il est trs probable que l'auteur, qu'il croit tre Esdras,
avait entendu parler de l'illustre pote grec; en effet, Homre, dans son premier chant de
l'Iliade, peint Apollon descendant des sommets de l'Olympe, arm de son carquois, et lanant
ses flches sur les Grecs, contre lesquels il tait irrit.
C'est sur cet pisode de la peste que finit le II
e
livre de Samuel. L'Ancien Testament continue
avec le livre des Rois Dans le texte original hbreu, il n'y a qu'un seul livre ainsi nomm; mais
ce livre a t divis en deux par la version grecque des Septante et par la traduction latine de
la Vulgate, et cette division, quoique arbitraire, est communment adopte par les ditions
modernes de la Bible. Il y a mme des ditions qui donnent quatre livres des Rois, en
comprenant sous ce titre les deux livres de Samuel, du texte hbreu. Pour la commodit des
recherches, nous adopterons la division grecque et latine.
Le rcit du livre (ou des deux livrs) des Rois commence aux derniers jours de David et
s'tend jusqu'au milieu de la captivit de Babylone. La tradition talmudique attribue la
rdaction de cet ouvrage au prophte Jrmie; et cette opinion, admise par la plupart des
rabbins et des anciens thologiens chrtiens, a t dfendue en dernier lieu par Hvernick.
D'autres exgtes, notamment Bleck, veulent que ce soit
Baruch, disciple de Jrmie, qui ait crit ce livre. Nous ne nous attarderons pas examiner qui
a raison dans ce dbat. Pour les juifs, comme pour les chrtiens, c'est toujours Dieu qui a dict
les narrations; c'est donc ce point de vue que nous continuerons de nous placer, glanant les
perles divines et faisant ressortir tout ce qui tombe bon droit sous la critique de la saine
raison.
Or, le roi David avait vieilli, ayant beaucoup de jours et
,
quoiqu'il se couvrt d'un grand
nombre d'habits, les uns sur les autres, il ne pouvait parvenir se rchauffer. Alors, ses
officiers dirent entre eux: Allons chercher une jeune fille pour le seigneur notre roi, af in
qu'elle se tienne ses pieds dans son lit et qu'elle le caresse; et mme notre roi pourra sans
doute se rchauffer, si elle dort auprs de lui. On chercha donc dans toutes les contres
d'Isral une fille qui ft bien belle, avec le sang trs chaud. C'est ainsi qu'on trouva Abisag, de
Sunam, et on l'amena au roi. Cette jeune fille tait fort belle: elle coucha avec le roi, et elle le
caressai t; nanmoins, David n'entra pas en elle. (1:1-4)
Cette pucelle-dredon est une vraie trouvaille, qui fait honneur l'imagination du pigeon-
canard. Le bndictin dom Calmet, qui coupe dans toutes les plus mirifiques fumisteries de la
Bible, observe gravement qu'une jeune tille fort belle est trs propre ranimer un homme de
soixante et dix ans; c'tait alors l'ge de David. A l'appui du rcit sacr, le docte religieux
raconte qu'un mdecin juif conseilla l'empereur Frdric Barberousse de coucher avec de
jeunes garons et de les mettre sur sa poitrine. Mais, comme on ne peut pas toute la nuit tenir
175

sur sa poitrine un jeune garon, dom Calmet ajoute qu'on a employ des petits chiens au
mme usage.
En ce qui concerne l'opinion mise par le narrateur biblique, savoir que David se borna se
rchauffer contre la jeune Sunamite Abisag, on peut supposer que Salomon ne partageait
gure cet avis; en effet, nous verrons plus loin qu'il tit assassiner son frre an Adonias,
coupable d'avoir demand Abisag en mariage, comme s'il avait voulu pouser la veuve ou la
concubine de son pre.
Adonias avait pour mre Aggith, pouse par David antrieurement Bethsabe, dont il eut
Salomon. Depuis la mort d'Absalon-le-Chevelu, Adonias tait le plus g des enfants royaux,
et il considrait que la couronne lui revenait de plein droit; mais il y avait, d'autre part, une
intrigue de cour pour faire rgner Salomon. Sans attendre la mort, de leur pre, les deux
princes ne se gnaient pas pour convoiter publiquement le trne.
Adonias disait: Ce sera moi qui rgnerai. Il avait dans son parti Joab, gnral en chef des
armes, et Abiathar, le grand-prtre. Mais un autre sacrificateur, Sadoc, ainsi que Bnaja, et le
prophte Nathan, et Smi, et d'autres vaillants hommes n'taient pas pour Adonias. Ce prince
donna un grand festin tous ses frres et aux principaux de Jud a; cependant, il n'invita ni son
frre Salomon, ni le prophte Nathan, ni Bnaja, Alors, Nathan dit Bethsabe, mre de
Salomon: N'as-tu pas entendu dire qu'Adonias s'est dj fait roi, sans que notre seigneur
David le sache? Va donc te prsenter au roi, et demande-lui pourquoi Adonias s'est fait
proclamer, et dis-lui qu'il t'a promis que ton fils serait celui qui lui succderait. Et moi, je
surviendrai pendant que tu parleras au roi, et je lui confirmerai tout ce que tu auras dit. (1:5-
14)
tant donn que l'crivain sacr ne dit pas qu'Adonias se ft proclam roi, mais qu'il esprait
seulement que la couronne lui reviendrait et qu'il avait ses partisans, tout comme Salomon
avait les siens, voil donc tabli par la Bible mme que le prophte Nathan tait un fieff
menteur, un vil intrigant; il organise avec Bethsabe, l'impudique veuve de l'assassin Urie,
une brigue pour ravir la couronne l'an, et il emploie, lui, le saint homme, la calomnie pour
russir. L'ordre de succession n'tait peut-tre pas encore bien fix chez les Juifs; mais il tait
naturel qu'Adonias, en sa qualit d'an, succdt son pre, d'autant plus qu'il n'tait point n
d'une femme adultre, comme Salomon. Son droit tait reconnu par les deux principales ttes
du royaume, le gnralissime et le grand-prtre.
C'est donc la faveur d'une cabale, ayant recours des mensonges, que Salomon fut dsign
par le vieux roi. David crut la dnonciation calomnieuse de Bethsabe et de Nathan. Et le
roi David dit: Faites-moi venir le sacrificateur Sadoc et le capitaine Bnaja; que le prophte
Nathan se joigne eux; prenez avec vous les officiers de ma garde; mettez mon fils Salomon
sur ma mule, et conduisez-le Guihon. L, Sadoc et Nathan l'oindront roi sur Isral; puis,
vous sonnerez de la trompette, et vous crierez tous: Vive le roi Salomon! (1:32-34)
Enfin, l'heure de la mort de David tait proche. Voici ce que ce roi, avant d'expirer, dit, entre
autres choses, ce fils de l'adultre Bethsabe qu'il avait solennellement fait oindre de son
vivant: Tu sais ce qu'a fait autrefois Joab, qui mit du sang autour de ses reins et dans les
souliers qu'il avait aux pieds. Tu ne permettras pas que ses cheveux blancs descendent en paix
au tombeau; je compte sur ta sagesse. (2:5-6)
Mais voici encore: Tu as, parmi tes partisans, Sm, de Bahurim, qui pronona contre moi
des maldictions atroces et me lana des pierres, le jour o je m'enfuyais Mahanajim, mais,
quand je suis revenu du Jourdain, il implora mon pardon, et, devant tout le peuple, je lui ai
jur par l'ternel que je ne le ferai point prir par le glaive. Mais, maintenant, toi, tu ne le
laisseras pas impuni, et tu es sage, pour savoir ce que tu devras lui faire; tu feras donc
descendre, par une mort sanglante, ses cheveux blancs dans le spulcre. (2:8-9)
176

Ainsi David s'endormit avec ses pres, et il fut enseveli dans la cit de David. Et le temps
qu'il rgna sur Isral fut quarante ans: sept ans Hbron, et trente-trois ans Jrusalem. (v.
10-11)
David meurt comme il a vcu, dit Huet. Il a l'horrible ingratitude, cet homme selon le cur de
Dieu, d'ordonner qu'on assassine son gnral en chef, Joab, le plus fidle de ses capitaines,
celui qui il devait sa couronne. Sur son lit de mort, il se parjure, avec un cynisme rpugnant,
ml d'hypocrisie, vis--vis de Smi, qu'il a affect de pardonner pour se faire un renom de
gnrosit, et qui il a jur de ne jamais attenter sa vie. En deux mots, il est assassin et
perfide jusque sur les bords de la tombe.
Quant au bndictin Dom Calmet, il ne manque pas de justifier David, et il le fait en ces
termes, qui mritent d'tre encadrs: David avait reu de grands services de Joab, et
l'impunit qu'il lui avait accorde pendant si longtemps tait une espce de rcompense de son
inbranlable dvouement; mais cette considration ne dispensait pas David de l'obligation de
punir le crime, et d'exercer la justice contre Joab. Il est vident que Joab avait commis,
notamment, un grand crime, quand il excuta l'ordre de David de placer Urie au poste le plus
dangereux d'un combat et de l'y abandonner. L'Eglise absout David, mais n'absout pas Joab!...
D'autre part, ajoute le R. P. Calmet, les raisons de reconnaissance ne subsistaient pas, en ce
qui concerne Salomon: et ce prince avait un motif particulier de faire mourir Joab, puisque
celui-ci, pour l'exclure, avait conspir de donner le royaume Adonias.
Conclusion: David est un saint, et Salomon est un sage. Amen!
Il est donc admirable que l'glise chrtienne ait tenu faire descendre Jsus-Christ de David
et de Salomon. Nous avons vu dj quelques tranges personnages dans la gnalogie du
Messie, mais ces deux rois ne sont-ils pas plus tranges que tous les autres ascendants?
Si encore l'glise plaidait des circonstances attnuantes!... Mais pas du tou t: elle passe
l'ponge sur tout les cr imes de David et en fait le plus honorable des anctres. Il est le modle
des rois, et, comme tel, il reoit les unanimes louanges des thologiens. Il est proclam saint
parmi les plus saints.
Les papes font chanter ses ineptes rapsodies dans les crmonies du culte. Bien mieux,
l'Eglise, elle l'a dclar souvent dans ses conciles, voit en David l'image humaine de
Jsus, c'est--dire de Dieu le Fils, de la seconde personne de la divine Trinit!
13 CHAPITRE

GLORIEUX RGNE DE S. M. SALOMON

Salomon prit donc possession du trne de David son pre, et aussitt il affermit son pouvoir.
(1 Rois 2:12)
On pense bien, vu les murs bibliques, que le nouveau roi n'allait pas tarder se dbarrasser
d'Adonias et des deux principaux chefs d'Isral, qui auraient voulu voir la couronne choir au
fils d'Aggith.
Adonias ne pensait plus la royaut, il en avait fait son deuil: tout ce qu'il souhaitait de
l'hritage de David, c'tait la jeune pucelle qui avait servi d'dredon au vieux roi; car il tait
amoureux d'Abisag. Pour tout ddommagement du royaume qu'il avait perdu, lui l'ain, par la
brigue et les cabales de Bethsabe et de Nathan, il demandait la jolie servante qui avait
rchauff son pre dans ses derniers jours. Cet amour, qui ne tirait pas consquence, servit
de prtexte Salomon pour faire assassiner Adonias, malgr que Ce dernier se montrait bien
humble et s'inclinait devant le fait accompli. Adonias, qui sans doute passait ses nuits rver
d'Abisag, s'attendait si peu tre occis, fut si simple et si naf, que c'est Bethsabe elle-
mme qu'il s'adressa pour obtenir cette fille.
177

Alors, Adonias, fils d'Aggith, vint vers Bethsabe, mre de Salomon. Et el le lui dit: Viens-
tu dans de bonnes intentions? Il rpondit: Je viens dans de bonnes intentions. Et il ajouta: J'ai
un mot te dire. Elle lui dit: Parle. Adonias s'exprima ainsi: Tu sais bien que la couronne me
revenait, comme l'an, et que tout Isral s'attendait me voir rgner; mais la couronne a t
transporte sur la tte de mon frre. Qu'il soit donc le roi, puisqu'il a t oint et que l'ternel
l'a tabli. Je ne te demande qu'une grce: je te prie d'aller voir le roi ton fils, qui ne te refusera
rien, et de demander Salomon qu'il me donne Abisag la Sunamite; car je dsire en faire ma
femme. Bethsabe lui rpondit: J'y consens volontiers; je parlerai pour toi au roi. Ainsi
Bethsabe se rendit auprs de Salomon, qui se leva ds qu'elle entra, se prosterna devant elle,
puis la fit asseoir sa droite. Et Bethsabe dit au roi: J'ai te faire une petite demande; ne me
la refuse point. Salomon lui rpondit: Fais ta demande, ma mre, et sois certaine que tu n
'auras pas de refus de moi. Alors, Bethsabe dit: Mon dsir est que tu donnes Abisag pour
femme ton frre Adonias. En entendant ces mots, Salomon s'cria: Pourquoi me demandes-
tu la Sunamite pour Adonias? Demande-moi aussi le royaume pour lui, en me faisant valoir
qu'il est mon frre an! demande le pouvoir pour lui, pour le grand-prtre Abiathar et pour
Joab! Eh bien, j'en jure par l'ternel; que Dieu me traite avec toute sa rigueur, si Adonias, en
te chargeant de me porter ces paroles, n'a pas parl contre sa propre vie! Aussi vrai que
Jhovah est le Dieu vivant, Adonias sera mis mort aujourd'hui mme. Et, le roi Salomon
ayant charg Bnaja de tuer Adonias, le capitaine Bnaja s'acquitta aussitt de sa mission, et
Adonias fut tu. (2:13-25)
Ce fut ensuite le tour d'Abiathar; mais celui-ci ne fut pas assassin. Salomon, qui savait
combien le peuple tait superstitieux, ne voulut pas verser le sang d'un grand-prtre; il lui et
t difficile de dire que c'tait Dieu qui lui avait inspir ce meurtre. Puis, le roi dit au grand-
prtre Abiathar: Retire-toi dans ta proprit Anathoth, o je t'exile, quoique tu mrites la
mort; mais, parce que tu as port l'arche de Dieu devant David mon pre, je ne te ferai pas
mourir aujourd'hui. Ainsi, Salomon chassa Abiathar, afin qu'il ne ft plus sacrificateur de
l'Eternel. (v. 26-27)
Pour Joab, pas de piti. Ces nouvelles tant parvenues Joab, il se rfugia dans le tabernacle
de Jhovah; et il se tenait l, embrassant dans ses bras les colonnes de l'autel. Cela fut
rapport au roi, et Salomon envoya Bnaja, en lui disant: Va, et tue Joab. Bnaja entra donc
au tabernacle et dit Joab: Sors d'ici, je viens te tuer. Je mourrai ici, alors, rpondit Joab;
car je ne sortirai pas de l'asile de Dieu. Bnaja, embarrass, retourna vers Salomon et lui
rendit compte du refus de Joab de sortir du tabernacle. Et le roi dit Bnaja: Fais comme je
t'ai ordonn; tue-le et enterre-le ensuite; et de cette faon je ne serai pas responsable, ni moi,
ni ma famille, du sang innocent que Joab a rpandu. Le sang des gens qu'il a tus retombera
ainsi sur sa tte et sur sa postrit, et le Seigneur donnera une paix ternelle David, sa
semence, sa maison et son trne. Bnaja, donc, se jeta sur Joab dans le tabernacle et le tua;
aprs quoi, il l'ensevelit au dsert. (2:28-34)
Si l'on peut ajouter, observe Voltaire, un crime nouveau aux sclratesses par lesquelles
Salomon commence son rgne, il y ajoute un sacrilge. S'il est quelque chose d'trange aprs
tant d'horreurs, c'est que Dieu, qui a fait prir cinqua nte mille soixante-dix hommes pour
avoir regard dans son arche, ne venge point ce coffre sacr, sur lequel on a gorg le plus
grand capitaine des Juifs, qui David devait sa couronne.
Continuons. Alors le roi tablit Bnaja la tte de l'arme, en remplacement de Joab, et il
constitua grand-prtre le sacrificateur Sadoc, en remplacement d'Abiathar. (2:35)
Le roi envoya aussi vers Smi et lui fit dire: Btis-toi une maison Jrusalem, et
demeures-y, sans jamais sortir de la ville; si tu en sors, si tu passes le torrent du Cdron, je te
ferai tuer sans rmission. Smi rpondit: Cet ordre est trs juste. Ainsi il demeura
Jrusalem. Mais il arriva, au bout de trois ans, que deux domestiques de Smi s'enfuirent
chez le roi de Gath. Smi sangla aussitt son ne et partit pour Gath, afin de rcuprer son
178

bien; et il ramena ensuite Jrusalem ces serviteurs infidles (2:36-40)... Et Salomon, ayant
su la chose, commanda Bnaja d'aller tuer Smi; ainsi Smi mourut. Et le royaume fut
affermi entre les mains de Salomon. (v. 46)
Le livre des Rois nous apprend ensuite que Salomon s'allia avec le roi d'Egypte et que celui-
cilui donna sa fille en mariage. Naturellement, la Bible tait le nom du monarque gyptien, ou,
pour mieux dire, elle le dsigne, comme toujours, sous le nom de Pharaon, qui n'est pas un
nom, mais le titre gnral des rois d'gypte. Les noces eurent lieu Jrusalem.
En ce temps-l, Salomon se btissait un palais, commenait l'dification du temple, et
entourait de murailles sa capitale. En attendant que le temple ft achev, le roi allait faire ses
dvotions Gabaon, o se trouvait le sanctuaire le plus important du royaume. C'est l que
Jhovah lui accorda la sagesse, dans un songe.
L'pisode est assez curieux. L'ternel apparut Salomon, Gabaon, en songe de nuit; et
Dieu lui dit: Demande -moi ce que tu veux que je te donne. Et Salomon, qui dormait,
rpondit: Tu as eu une grande bienveillance pour ton serviteur David mon pre, parce qu'il
marchait dans les voies de la vrit, de la justice, et qu'il avait un cur plein de droiture; c'est
pourquoi tu lui as donn un fils qui est assis sur son trne aujourd'hui. Et maintenant,
ternel, mon Dieu, maintenant que tu m'as fait succder David, je ne suis qu'un petit garon,
incapable de discerner comment il faut se conduire; et je suis la tte d'un grand peuple, si
nombreux par sa multitude, qu'il ne peut se compter. Donne-moi donc un cur intelligent
pour juger ton peuple et pour discerner ce qui est bien et ce qui est mal. Or, l'ternel fut
agrablement touch de ce que Salomon lui avait rpondu dans son sommeil, et il lui dit
encore: Parce que tu viens de me parler ainsi, et que tu ne m'as demand ni une longue vie, ni
des richesses, ni de tuer tes ennemis, mais que tu m'as demand de l'intelligence et de l'quit,
eh bien, je t'accorde selon tes paroles: je te donne un cur sage et intelligent, de sorte que
jamais homme, ni avant toi ni aprs toi, n'aura t et ne sera semblable toi; en outre, je te
donne ce que tu ne m'as pas demand, les richesses et la gloire, et nul roi ne t'galera en gloire
et en richesses; au surplus, si tu marches dans mes voies, en observant mes commandements,
comme David ton pre y a march, je prolongerai ta vie trs longtemps. Alors, Salomon se
rveilla, et voil trs vridiquement quel avait t son songe. (3:5-15)
Le texte officiel, que l'Eglise dclare authentique, ne laisse aucun doute: il s'agit bien d'un
rve. Dieu, qui n'attendait pas qu'Abraham, Jacob et autres fussent endormis pour leur
apparatre, ne se manifeste Salomon que dans un songe. Soit. Alors, comment l'a-t-on su?
C'est donc Salomon qui a racont son rve quelque autre juif? De l'un l'autre, ce rcit d'un
rve est arriv jusqu' l'auteur du livre des Rois, lequel vivait au temps de la captivit de
Babylone?... Bizarre, n'est-ce pas?
Les thologiens nous diront, c'est une de leurs thses favorites, que l'apparition de Dieu
dans un rve n'en est pas moins une manifestation divine; l'Eglise admet des songes divins et
des songes diaboliques; le rve d'un homme peut tre, affirment les prtres, le rsultat d'une
action surnaturelle, dans certains cas, et nullement l'effet du hasard. Eh bien, acceptons pour
un instant cette thse. Dieu s'est rellement manifest Salomon; mais cela n'empche pas
que Salomon tait endormi et, par consquent, inconscient de tout ce qu'il pouvait dire ou
faire dans son rve. Si le pape lui-mme rvait, une nuit, qu'il est palladiste et qu'il transperce
des hosties grands coups de poignard, aucun de ses cardinaux ne songerait lui en faire un
crime. Si Salomon, dans son rve, avait choisi la gloire et les richesses, cela n'et pas tir le
moins du monde consquence; rien n'est plus vident. On comprendrait que Dieu, aprs lui
avoir pos des questions, lui et laiss le temps de se rveiller, et qu'alors Salomon,
impressionn par le songe et y voyant une manuvre de stratgie cleste, et dlibr, en
consultant sa conscience, ce qu'il avait rpondre; sa rponse d'homme veill, choisissant la
sagesse et ddaignant le reste, aurait eu du mrite. Puisqu'il rvait, sa rponse ne compte donc
pas; et pourtant l'impayable Jhovah en a t charm. Voil ce qui est plus bizarre que tout!
179

Ainsi dot de la sagesse, demande et reue dans un songe, Salomon n'allait pas tarder
tonner les Isralites par une justice admirable, guide par la plus merveilleuse intelligence.
Chacun connat son jugement des deux mres; le seul fait, d'ailleurs, que la Bible cite comme
preuve de cette extraordinaire sagesse. Deux femmes ont accouch, trois jours de distance,
dans la mme chambre d'une htellerie; l'un des enfants est mort; l'une des mres accuse
l'autre de lui avoir, pendant la nuit, pris son fils, qui est vivant, et de l'avoir remplac auprs
d'elle par le cadavre de son propre enfant, touff par mgarde. Ce cas embarrassant est
soumis au roi, lors de son retour Jrusalem. La mre, accuse de substitution, se dfend en
criant au mensonge, et jure que l'enfant vivant, apport par elle au tribunal, est bien le sien;
l'autre jure, avec la mme ardeur, qu'elle a dit la vrit et rclame l'enfant. Alors, Salomon fait
apporter une pe et ordonne qu'on partage l'enfant en deux et qu'on en donne une moiti
chacune des deux mres. Cri de compassion de la vraie mre, qui, ne voulant pas voir tuer son
bb, rclame maintenant qu'on le laisse celle qui le lui a pris; celle-ci, au contraire, se trahit
par ces mots: Le roi a bien jug; l'enfant ne sera ni toi, ni moi, qu'on le partage! Or, l'ordre
de Salomon n'tait, dans son esprit, qu'une pre uve. Il prononce donc le jugement dfinitif,
rendant l'enfant vivant sa vraie mre (3:16-28).
Tous les fidles s'extasient, quand, au cours d'un sermon, le prdicateur cite cette anecdote.
Sans avoir besoin de recourir la terrible preuve du partage de l'enfant en deux, Salomon
n'aurait eu qu' faire appel la premire sagefemme venue, qui aurait, sans la moindre
difficult, dsign quel tait l'enfant n la veille et quel tait celui dont la naissance remontait
dj quatre jours. Mais ne chicanons pas, et saluons la sagesse du fils de David.
Nous dirons seulement que les anecdotes de ce genre se remuent la pelle, et qu'il y a
toujours eu, dans tous les temps et dans tous les pays, des magistrats, perspicaces sous une
apparence de bonhomie, et mme de simples juges de village, qui auraient rendu des points
Salomon.
Bornons-nous citer deux traits, pour le moins aussi plaisants que celui du partage de l'enfant
en deux; les juges, dont il s'agit, n'avaient pas, cependant, reu de Jhovah le don de sagesse
dans un songe!
Un homme tait mont au plus haut du clocher d'une glise pour y raccommoder quelque
chose. Il eut le malheur de tomber en bas; mais, en mme temps, il fut assez heureux pour ne
se faire aucun mal. Par contre, sa chute fut funeste un homme qu'il crasa en tombant. Les
parents de l'cras, tu sur le coup, citrent devant le bailli l'ho mme qui tait tombe du
clocher; ils l'accusaient de meurtre et prtendaient le faire condamner, sinon mort, du moins
de formidables dommages-intrts. L'a ffaire fut plaide; il fallait accorder quelque
satisfaction aux parents du mort. D'autre part, le bailli ne croyait pas devoir, en conscience,
punir de quelque faon que ce ft un homicide non seulement involontaire, mais qui encore
avait t uniquement le rsultat inattendu d'un accident des plus fcheux. Notre bailli, raconte-
t-on, ordonna celui des parents du dfunt qui tait le plus pre dans cette poursuite, qui criait
le plus fort vengeance, de grimper son tour au haut du clocher et de se laisser tomber de l
sur l'assign, homicide involontaire, lequel serait oblig de se trouver prcisment la mme
place o le dfunt avait perdu la vie. Inutile de dire que le plaideur hargneux se dsista, sance
tenante, de son absurde poursuite.
Le second trait reproduire ici par curiosit est d'un magistrat paen. Un jeune Grec, pris
d'amour pour la courtisane Thognide, s'tait propos de lui offrir une forte somme, afin de
l'avoir pour matresse. Or, tandis qu'il s'occupait de runir l'argent de son offrande, il rva une
nuit qu'il possdait Thognide et jouissait de ses charmes; mais, son rveil, il se trouva
ridicule d'avoir failli s'endetter pour la belle, et le rsultat de ses rflexions fut le
refroidissement complet de sa passion. Comme il raconta ses amis son projet, son songe et
sa renonciation devenir l'amant de Thognide, la courtisane, vexe de ce qu'il refusait de
donner suite sa promesse, le fit appeler devant le juge, en demandant tre paye: elle avait
180

droit, disait-elle, la somme que le jeune hom me s'tait propos de lui offrir, puisqu'elle avait
tout la fois guri sa passion et satisfait son dsir. Le juge, sans tre Salomon, rendit un arrt
devant la sagesse duquel nos tonsurs ne peuvent que s'incliner: il ordonna, ce paen que
Jhovah n'clairait pourtant pas de ses lumires, il ordonna... que le jeune Grec apporterait
dans une bourse la somme promise, qu'il la jetterait dans un bassin, et que la courtisane se
paierait du son et de la couleur des pices d'or, de mme que son ex-amoureux avait joui d'un
plaisir imaginaire.
Parions que, si l'Esprit-Saint, qui aime les historiettes croustillantes, avait pens celle-l, il
l'aurait fait figurer dans la Bible, en la mettant l'actif de la sagesse de Salomon!
Aprs l'anecdote du jugement des deux mres, le livre des Bois passe l'numration des
principaux officiers de Salomon; le lecteur ne nous en voudra pas de lui faire grce de cette
fastidieuse nomenclature: par contre, il y a quelques jolies choses dans l'expos, qui vient
ensuite, de la gloire et des richesses du fils de David.
Juda et Isral taient comme le sable qui est au bord de la mer, tant ils taient en grand
nombre; et ils taient heureux, mangeant et buvant avec abondance, et ils se rjouissaient. En
ce temps-l, Salomon avait sous sa domination tous les royaumes depuis l'Euphrate jusqu'aux
Philistins et jusqu' la frontire d'gypte, et les rois de ces pays lui apportaient des tributs, car
ils lui furent assujettis tout le temps de sa vie. (4:20-21) Ici la blague de l'Esprit-Saint est un
peu trop forte, attendu que nous n'en sommes plus aux poques extrmement lointaines sur
lesquelles les historiens n'ont aucune donne: or, qui jamais a entendu dire que des Juifs aient
rgn de l'Euphrate la Mditerrane? Il est vrai que le brigandage leur valut un petit pays au
milieu des rochers et des cavernes de la Palestine, depuis le dsert de Ber-Scbah jusqu'
Dan; mais il n'est tabli nulle part que Salomon ait conquis par la guerre, ou acquis d'une
manire quelconque, seulement une lieue de terrain. C'est, au contraire, le roi d'Egypte qui
possdait de grands domaines en Palestine; plusieurs cantons cananens n'obissaient pas
Salomon: o est donc cette prtendue puissance?
Et il y avait pour la table de Salomon, chaque jour, trente muids de fleur de farine et
soixante muids de farine commune, dix gros bufs engraisss et vingt bufs amens des
pturages, cent moutons, et grande quantit de cerfs, de chevreuils, de buffles et de volaille de
toute espce. (v. 22-23) Mazette! quel Gargantua!... Les officiers que Salomon daignait
inviter sa table ne risquaient pas de mourir de faim avec un pareil menu!... Quelques
thologiens, embarrasss par ces exagrations manifestes (quatre-vingt-dix muids de farine et
trente bufs par jour, sans compter le reste!), ont insinu que Salomon, imitant les rois de
Babylone, nourrissait ses officiers, et que cela est sous-entendu dans le texte sacr. Le
malheur est qu'un roi juif tait auprs d'un roi de Babylone quelque chose comme le roi
d'Yvetot vis--vis du roi de France.
Salomon avait aussi quarante mille curies pour les chevaux de ses chars, et douze mille
chevaux de selle. (v. 26) Ces quarante mille curies valent mieux encore que les quatre-
vingt-dix muids de farine! Il est vrai que dom Calmet dit qu'il faut traduire juments, et non
curies. Ne le contrarions pas pour si peu: va pour les quarante mille juments de Salomon!...
Et la sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les Orientaux et de tous les
gyptiens; il tait plus sage que tous les hommes, plus sage mme qu'Ethan l'Ezrahite, et que
Hman, et que Chalcol, et que Dordah. En outre, il est bon de savoir qu'il composa trois mille
paraboles et mille et cinq cantiques. (v. 30-32) Bien entendu, jamais personne n'a pu dire
qui taient cet Ethan, ce Hman, ce Chalcol et ce Dordah, mis si inopinment en comparaison
avec Salomon et cits par l'auteur sacr, avec un aplomb imperturbable, comme s'il s'agissait
d'illustres personnages, rputs dans le inonde entier pour leur sagesse hors de pair. Cette
manie de citer de clbres inconnus, qui se manifeste de temps en temps dans l'criture
Sainte, est une des marques les plus caractristiques de cet esprit de fumisterie outrance qui
parat, l'observateur impartial, tre le vritable inspirateur de la Bible. Quant aux trois mille
181

paraboles et aux mille et cinq cantiques, il en reste quelques-uns que l'on attribue ce
Salomon. Plt Dieu, dit Voltaire, que ce roi et toujours fait des odes hbraques, au lieu
d'assassiner son frre!
Nous arrivons au fameux temple de Jrusalem, que Salomon mit sept ans btir (6:38); cette
grande affaire tient quatre chapitres du premier livre des Rois. Nous allons passer rapidement
en revue l'essentiel.
Hiram, roi de Tyr, envoya ses serviteurs vers Salomon, appris qu'il avait t oint roi comme
successeur de David son pre. Et Salomon envoya aussi vers Hiram pour lui dire: J'ai form le
projet de btir une maison mon Dieu, Adona; c'est pourquoi, commande donc tes
serviteurs qu'ils coupent pour moi des cdres du Liban; car tu sais que je n'ai pas un seul
homme parmi mon peuple qui connaisse l'art de couper du bois comme les Sidoniens... Hiram
donna donc Salomon du bois de cdre et du bois de sapin, autant qu'il en voulut; et Salomon
donna Hiram, pour la nourriture de sa maison, vingt mille muids de froment par anne, et
vingt mille muids d'huile trs pure chaque anne... Le roi Salomon choisit dans Isral trente
mille ouvriers, qui allaient tour tour au Liban par dix mille ensemble, pendant que les autres
se reposaient; et Adoniram tait la tte de ces ouvriers. Salomon avait aussi soixante-dix
mille manoeuvres et portefaix, quatre-vingt mille tailleurs de pierre, et trois mille trois cents
intendants des travaux... Et les maons de Salomon, avec ceux d'Hiram, taillrent et
prparrent le bois et les pierres pour btir le temple. (ch. 5)
Or, cette maison, que le roi Salomon btit Jhovah, avait soixante coudes de long, vingt
de large et trente de haut (la coude juive quivalant 52 centimtres, comme la coude
d'Egypte, le monument avait donc, d'aprs le texte biblique, 31 mtres en longueur, 10 et demi
en largeur, et 15 et demi en hauteur)... Le roi fit faire au temple des fentres de ct, larges en
dedans et troites par dehors; et il ft sur la muraille du temple des chafauds tout autour;
l'chafaudage d'en bas avait cinq coudes de large, celui du milieu avait six coudes de large,
et la largeur du troisime chafaudage, celui du haut, tait de sept coudes; et il plaa des
poutres tout autour, afin qu'ils ne touchassent pas la muraille; enfin, on construisit, au-
dessus de toute la maison, un tage suprieur, qui avait cinq coudes de hauteur... Il plaa
aussi l'oracle au dedans du temple, vers le fond, pour y mettre le coffre de l'alliance de
l'ternel; l'oracle avait vingt coudes de long, vingt de large, et vingt de haut... Il fit, dans
l'oracle, deux chrubins en bois d'olivier, qui avaient chacun dix coudes de haut; une aile de
chrubin avait cinq coudes de longueur, et l'autre aile avait aussi cinq coudes. (ch. 6)
Salomon fit construire aussi son palais, dont l'dification dura treize ans... il avait fait venir
de Tyr un nomm Hiram, fils d'une femme veuve, de la tribu de Nephthali, et dont le pre
tait un Tyrien, qui travaillait en cuivre; cet homme tait fort expert, intelligent et savant pour
faire toutes sortes d'ouvrages d'airain; il vint vers Salomon et lui fit tout son ouvrage... C'est
lui qui dressa les colonnes d'airain, places au portique du temple, celle droite qu'on nomma
Jakin et celle gauche qu'on nomma Bohaz... Il fit aussi un grand bassin de fonte, nomm la
Mer d'Airain, qui avait dix coudes d'un bord l'autre et qui tait toute ronde; ce bassin tait
pos sur le dos de douze bufs, qui avaient leur derrire tourn en dedans... Ainsi, tout
l'ouvrage que Salomon (it pour la maison de Jhovah fut achev. (ch. 7)
Quand le temple fut achev, les sacrificateurs portrent l'arche de l'alliance dans l'oracle de
la maison, au lieu trs-saint, sous les ailes des chrubins; car les chrubins tendaient leurs
ailes au-dessus de l'arche et de ses barres de support... Puis, le roi et tout Isral immolrent
des victimes en nombre tellement grand qu'il ne se pouvait compter, pour clbrer la ddicace
du temple Jhovah; et dans le sacrifice qu'il fit lui-mme au Seigneur, Salomon gorgea
vingt-deux mille bufs gras et cent-vingt mille moutons. Ainsi le roi et tous les enfants
d'Isral ddirent la maison de l'Eternel. (ch. 8)
Tous les dtails donns dans ces quatre chapitres sont d'une exagration telle qu'on se
demande, en les lisant, si ce n'est pas la Garonne, plutt que le Cdron, qui coulait en ce
182

temps-l Jrusalem. Cette divine description fond comme de la neige au soleil, ds qu'on
procce au moindre examen.
Cent quatre-vingt-trois mille trois cents hommes sont employs, sans compter les maons et
autres ouvriers qui viendront, ensuite, aux seuls prparatifs d'un temple qui ne devait avoir
que dix mtres et demi de faade, sur trente-un mtres et demi de longueur! Ces constructeurs
qui se chiffrent par trente mille, par soixante-dix et par quatre-vingt mille, mettent sept annes
btir un monument, haut de trois modestes tages seulement, qui occupe en tout trois cent
vingt-cinq mtres de superficie! Ces chiffres font bondir quiconque a la plus lgre
connaissance de l'architecture; il faut, en effet, cinquante ouvriers tout au plus, pour btir en
quatre ou cinq mois une belle maison de cette dimension. Les innombrables ouvriers de
Salomon taient donc de rudes fainants; ou bien, malgr ses immenses richesses, ce roi tait
peut-tre d'une avarice sordide, et ces ouvriers, n'arrivant jamais pouvoir se faire payer,
flnaient presque tout le temps, au lieu de travailler. Au surplus, les mesures que donne le
livre des Rois ne s'accordent pas avec celles du livre des Chroniques, ni avec celles indiques
par Ezchiel, et les unes et les autres sont en contradiction avec les mesures rapportes par
Flavius Josphe; les diffrences entre ces divers auteurs juifs suffiraient, elles seules, pour
inspirer la dfiance, si le texte officiel n'tait pas par lui-mme une burlesque fanfaronnade.
Les auteurs ne s'accordent pas davantage sur la chronologie de ce temple fantastique. Le livre
des Rois le dit bti quatre cent quatre-vingts ans aprs la fuite d'Egypte; Flavius Josphe, cinq
cent quatre-vingt-douze ans; et, parmi les thologiens modernes, on trouve vingt opinions
diffrentes. Cette question n'est d'aucune importance; mais, dans un livre 6acr, l'exactitude
ne nuirait pas.
En outre, il est difficile de ne pas se tenir les ctes, quand on voit la mention de ces tages
chafauds l'intrieur de l'difice et avanant d'une coude l'un sur l'autre, l'tage infrieur
tant d'un mtre moins large que l'tage suprieur; a, par exemple, c'est patant. Et les
fentres de ct, qui taient larges en dedans et troites par dehors, voil encore qui n'est pas
mal trouv comme architecture rigolotte! Avec cela, il serait difficile de prsumer que le
surintendant des btiments de Salomon tait un Michel-Ange ou un Bramante.
La fte de la ddicace du temple achve dignement le rcit de la construction et les aperus de
ce merveilleux monument. Il n'aurait pas fallu faire souvent de pareils sacrifices; mtin! on
aurait t bientt rduit la famine!
Comptez pour chaque buf gras quatre cents livres de viande, voil huit millions huit cent
mille livres de buf, plus douze cent mille livres de mouton, le tout grill en pure perte pour
rgaler le divin odorat de Sabaoth! Et ces dix millions de livres de viande reprsentent
l'holocauste de
Salomon! la Bible dit expressment (8:5) que les enfants d'Isral, qui taient ensemble autour
de leur roi, sacrifirent, eux, du gros et du menu btail en si grand nombre qu'on ne le pouvait
ni nombrer ni compter (sic); les vingt-deux mille bufs et les cent vingt mille moutons,
gorgs par le monarque, figurent part, au verset 63.
Aprs tout a, papa Bon Dieu se serait montr difficile, s'il n'avait pas t content!... C'est
pourquoi l'Eternel apparut Salomon pour la seconde fois, comme il lui tait apparu
Gabaon (9:2); ceci laisserait croire que cette manifestation divine eut encore lieu en songe:
mais, comme le fils de David s'en contentait et ne demandait pas une apparition plus palpable,
nous aurions mauvaise grce y trouver redire. La rcompense consista donc en un petit
discours que Jhovah tint au roi pendant qu'il dormait. Cette harangue peut se rsumer en ces
simples mots: si toi et ton peuple vous continuez m'honorer, tout ira bien pour vous; mais, si
d'autres dieux que moi reoivent tes hommages et ceux de tes sujets, a ne se passera pas
comme a, alors gare! (Air dj trs connu)
Or, Hiram, roi de Tyr, continua d'envoyer Salomon tout le bois de cdre et de sapin, et
tout l'or dont il avait besoin. Alors, Salomon donna un jour Hiram vingt villes dans la
183

Galile. Hiram sortit de Tyr pour venir voir ces villes, et elles ne lui plurent point; et il dit
Salomon: Mon frre, voil de pauvres villes que vous m'avez donnes l. (9:11-13) On ne
sait gure o le fils de David put prendre ces vingt villes pour en faire cadeau son ami
Hiram. Samarie n'existait pas, Jricho n'tait qu'une masure; Sichem, Bthel n'taient pas
rebties; elles ne le furent que sous Jroboam.
Le roi Salomon quipa aussi une flotte Hetsjon-Guber, qui est prs d'Eloth, sur le rivage
de la Mer Rouge, au pays d'Idume; et Hiram mit de bons marins de sa flotte au service du roi
d'Isral. Et la flotte de Salomon, tant alle Ophir, en rapporta quatre cent vingt talents d'or
pour le trsor du roi. (9:26-28)
Pour faire avaler aux fidles que Salomon fut possesseur d'une flotte, il tait ncessaire de
dsigner au moins un port de mer faisant, partie de son royaume. L'auteur n'a pas os le placer
sur les rives de la Mditerrane; car tous les ports de cette rgion appartenaient alors aux
Phniciens et aux Philistins et taient trop connus (Gaza, Ascalon, Jopp, Dor, Tyr et Sidon);
en imaginant le port d'Hetsjon-Guber, au fond du golfe d'Elath qui est l'est de la presqu'le
du Sina, dans la Mer Rouge, le fumiste sacr ne risquait pas qu'on dcouvrt jamais que cette
ville maritime faisait partie de quelque autre royaume: mais on est en droit de dire qu'Hetjson-
Guber a, en gographie, exactement la mme valeur que les illustrissimes sages Ethan,
Hman, Chalcol et Dardah (voir plus haut) ont dans l'histoire.
Quant au rsultat de l'expdition de la flotte sa lomonesque Ophir, pays qui est, d'ailleurs,
demeur introuvable, malgr les laborieuses recherches des historiens et gographes les mieux
intentionns, il est d'un piteux effet aprs toutes les splendeurs qu'on vient de voir dcrites
dans les chapitres prcdents. Avoir quip une flotte pour en recevoir au retour quatre cent
vingt talents d'or, c'est maigre, mon prince! On sait que le talent d'argent quivalait en
moyenne 5,000 francs de notre monnaie, et que, dans les systmes montaires de l'antiquit,
l'or valait douze fois et demie l'argent. Ce que la flotte royale rapporta d'Ophir reprsente
donc vingt-six millions d'aujourd'hui. Quelle misre pour un monsieur qui possdait quarante
mille curies pour les chevaux de sa cour et qui se passait la pieuse fantaisie de brler cinq
millions de kilogs de viande dans un seul sacrifice! Dduisez de ces vingt-six millions les
frais de l'expdition, qui dura deux ans, s'il faut en croire les thologiens; le bnfice net se
rduit peu de chose, et, franchement, ce n'tait pas la peine de citer comme remarquable ce
fait du rgne de Salomon. Mon pauvre Esprit-Saint, entre nous, il y a des moments o tu
baisses, o tu n'es plus la hauteur de certaines de tes blagues dont on savoure parfois la
colossale audace.
Pour rassurer nos lecteurs, disons vite que le divin pigeon s'est rattrap plus loin, au livre 2
des Chroniques, chapitre 9, importante partie de l'Ancien Testament, aussi sainte et aussi
authentique que le reste. Nous apprenons, l, que tous les rois de la terre envoyaient de l'or
Salomon par grandes quantits; la valeur de l'or que le roi d'Isral recevait chaque anne tait
de six cent soixante-six talents d'or (v. 13). Le trne de Salomon tait d'ivoire, recouvert d'or
pur, et ce trne avait six degrs d'or et un marchepied d'or; il y avait aussi douze lions d'or sur
les six degrs du trne; et dans aucun royaume il n'avait jamais t fait un trne si somptueux
(v. 17-19). Et toute la vaisselle du buffet du roi Salomon tait d'or; et toute la vaisselle de son
palais d't, qui tait dans un parc au Liban, tait d'or fin; il n'y en avait point d'argent; l'argent
n'tait point estim de temps de Salomon (v. 20). Et le roi d'Isral avait encore des navires qui
allaient Tarsis et qui en revenaient une fois tous les trois ans, rapportant Salomon de l'or,
de l'argent, de l'ivoire, des paons et des singes. Ainsi, le roi Salomon fut plus grand que tous
les rois de la terre, tant en richesses qu'en sagesse. Et tous les rois de la terre se mettaient en
voyage pour voir Salomon, afin d'entendre la sagesse que Jhovah avait mise dans son cur
(v. 21-23)... Et Salomon fit que l'argent tait aussi commun Jrusalem que les pierres, tant il
y en avait (v. 27).
184

a, la bonne heure!... D'ailleurs, le livre 1
er
des Chroniques (ch. 29) assure que Salomon
avait eu de son pre David un hritage qui n'tait pas ddaigner, talents d'or par milliers,
drachmes d'or, talents d'argent, d'airain, etc. Voltaire s'est amus en faire le total et le
traduire en monnaie de son sicle. Ce que David laissa Salomon, d'aprs la Bible, dit-il,
fait juste dix milliards d'cus, dix-huit milliards de France. Ce que Salomon amassa son tour
pouvait bien aller une somme aussi forte. Il est comique de voir un melch, un roitelet juif,
avoir sa disposition trente-six milliards de livres franaises, ou neuf milliards d'cus
d'Allemagne, ou environ un milliard et demi de livres sterling (la livre sterling est de 25
francs de notre monnaie). On est dgot de tant d'exagrations puriles; cela ressemble la
Jsuralem cleste, qui descend du ciel dans l'Apocalypse, et que le bonhomme saint Justin vit
pendant quarante nuits conscutives: les murailles taient de jaspe, la ville tait d'or, les
fondements de pierres prcieuses, et les portes de perles!
Nous venons de voir que la Bible nous parle de tous les rois de la terre venant en visite
Jrusalem pour admirer Salomon et lui apporter des prsents. L'auteur sacr, dira-t-on, aurait
bien pu citer quelques rois connus; cela et t d'un excellent effet. Mais, des citations
prcises, voil justement ce qui tait scabreux; si fumiste qu'il soit, le pigeon a subi la
ncessit de rester dans le vague, sous peine de voir sa mystification perce jour.
Nanmoins, comme il fallait mentionner au moins un de ces monarques voyageurs (sans cela,
les bons jobards de fidles n'auraient t contents qu' demi), la sainte Bible leur a servi la
relation de la mmorable visite d'une puissante reine: la reine de Saba. Le chapitre x du
premier livre des Bois est consacr en grande partie cet. vnement, ainsi que le chapitre 9
du second livre des Chroniques. Quant au pays de Saba, dont cette dame tait la souveraine, il
a donn lieu de nombreuses discussions entre thologiens, toutes aussi savantes les unes que
les autres; malheureusement, aucune de ces dissertations contradictoires n'a russi fixer
exactement sous quelle latitude ce pays se trouvait.
Donc, la reine de Saba, ayant entendu parler de Salomon, se mit en voyage et vint le voir,
afin de mettre sa sagesse l'preuve en lui proposant quelques nigmes deviner. Et elle
entra dans Jrusalem avec un fort grand train; elle avait des chameaux qui portaient des
aromates et une grande quantit d'or et de pierres prcieuses; et quand elle vit Salomon, elle
lui parla de tout ce qu'elle avait dans le cur. Salomon expliqua sans hsitation toutes les
nigmes qu'elle lui proposa; et quoi qu'elle pt imaginer de subtil et d'obscur, rien ne parvint
embarrasser le roi. Alors, la reine de Saba, voyant que Salomon tait dou d'une si
merveilleuse sagesse, admirant la maison qu'il avait btie Jhovah, ainsi que son palais,
agrablement surprise des mets exquis de sa table, trouvant que tout tait magnifique, mme
les logements de ses serviteurs, l'ordre qui rglait le service de ses officiers, leurs vtements,
ses chansons, et les holocaustes qu'il offrait dans le temple, elle fut toute hors d'elle-mme.
Et elle dit au roi: En vrit, rien n'est plus exact que ce que j'avais appris en mon royaume sur
toi et sur ta sagesse; je n'y voulais point croire, et c'est pourquoi je suis venue: mais je vois
qu'on ne m'avait pas dit la moiti de la ralit; ta sagesse et ta magnificence surpassent tout ce
que la renomme proclame ton sujet! (10:1-7)
Avant de se sparer de son hte, la reine de Saba lui fit cadeau d'objets rares et prcieux
qu'elle avait apports, auxquels elle ajouta cent vingt talents d'or (v. 10). De son ct, le galant
Salomon riposta en la co mblant de prsents: Il lui donna tout ce qu'elle souhaita et qu'elle
demanda, outre ce qu'il lui donna selon ce qu'un roi tel que Salomon en avait le pouvoir (v.
13). Quelques commentateurs factieux supposent qu'au nombre des cadeaux de Salomon
qu'elle emporta dans son pays, la reine de Saba avait un polichinelle dans le tiroir.
Tant de gloire devait tre fatale Salomon, au point de vue du salut de son me. Dieu lui avait
donn la sagesse, et ne la lui avait pas reprise; cependant, la Bible indique comme un
commencement de dchance les relations amicales que le fils de David eut avec les
185

Egyptiens, les thiens, les Ammonites, les Sidoniens, etc.; c'taient, parat-il, de mauvaises
frquentations.
Puis, le roi Salomon aima la fois plusieurs femmes trangres, outre la fille de Pharaon,
savoir, des femmes nes d'entre les nations dont Jhovah avait dit aux enfants d'Isral: Vous
n'entrerez point en elles, et elles ne coucheront pas avec vous; car certainement elles
dtourneraient votre cur pour suivre leurs dieux. Malgr cette dfense de Jhovah, Salomon
s'attacha toutes ces trangres avec passion. Il eut pour femmes sept cents princesses, et en
outre trois cents concubines. (11:1-3)
Sans doute, Jhovah avait vu de trs bon il la polygamie d'un grand nombre de ses
patriarches et prophtes; pour ne rappeler que le dernier, il est certain que David avait
largement us de la permission divine. Mais, franchement, Salomon abusait. Mille femmes,
qu'il aimait toutes avec passion, c'est--dire qui n'taient point l uniquement pour la parade!
mille femmes, qui, sans cesse, il jetait le mouchoir!... Et ce que a devait lui fatiguer le
bras!...
Il arriva donc ce qui devait arriver, ce que Jhovah d'ailleurs savait d'avance, en sa qualit de
Dieu connaissant l'avenir mieux que personne: Salomon, pour faire plaisir aux sept cents
princesses trangres qui taient ses pouses, sacrifia leurs dieux; sur une montagne voisine
de Jrusalem, il btit un temple Chamos, dieu des Moabites, et sur une autre montagne, un
temple Milkon et Molec, dieux des Ammonites; le dieu des Sidoniens, Astaroth, reut
aussi ses hommages (v. 4-8).
Papa Bon Dieu, qui, dans les premiers temps du monde, avait fait un crime Adam et Eve de
ce qu'ils avaient voulu apprendre discerner le bien du mal, s'tait trouv, au contraire, trs
charm de ce que Salomon aspirait, avant tout, possder cette mme science, et il la lui avait
accorde en l'accompagnant de mille bndictions. Laissons de ct ce que ce changement de
manire de voir a de capricieux au superlatif, chez un tre surnaturel que les thologiens
proclament l'infiniment sage, et ne considrons que le fait, c'est--dire: ce discernement du
bien et du mal refus Adam, Salomon l'avait au plus haut degr, par la grce de Dieu. Sa
conduite est donc absolument incomprhensible, et ici encore la Bible se contredit.
Ou bien, il faut voir simplement dans tout ceci une indication historique: c'est qu' cette
poque les Juifs n'avaient point encore de culte fixe et bien dtermin, et c'est l ce qui est le
plus vraisemblable. S'ils en avaient eu, l'auteur sacr n'aurait pas racont plus haut que Jacob
et Esa pousrent des femmes idoltres; Samson n'aurait point pous une philistine; Jepht
n'aurait point dit que le peuple moabite possdait de droit ce que son dieu Chamos lui avait
donn. Les critiques s'appuient sur ces incohrences pour dire qu'aucun des livres juifs, te ls
qu'ils nous sont parvenus, n'tait alors crit, videmment, et que, sous ce rgne de Salomon o
les Isralites commencent peine faire acte de nationalit, il tait fort indiffrent que leur roi
adort un dieu sous le nom de Chamos, ou d'Astaroth, ou de Molec, ou de Milkon, ou
d'Adona, ou de Schadda, ou de Jhovah.
Quoi qu'il en soit, la Bible nous reprsente Jhovah fort irrit. D'o: troisime apparition; cette
fois, il n'est plus dit que papa Bon Dieu se montra en songe. La scne est mouvemente:
l'Eternel adresse de vifs reprochesau sage Salomon, qui a cess d'tre sage sans que ledit
ternel lui ait t la sagesse; le fils de David est rabrou de la belle faon!
Puisque tu as agi ainsi, lui dit Jhovah, je dchirerai ton royaume, afin qu'il ne soit plus toi
et je le donnerai un de tes domestiques. (11:11) Papa Bon Dieu est si fort en colre, qu'il
bafouille littralement; car il ajoute aussitt (11:12): Nanmoins, je se ferai rien de cela
contre toi pendant ta vie; c'est quand ton royaume sera entre les mains de ton fils, que je le
dchirerai.
Notez qu' ce moment-l le fils dont il s'agit, nomm Roboam, n'avait commis aucun pch,
en s'en tenant au texte de la Bible: s'il reste dvot Jhovah pourquoi lui faire payer les pots
casss, Salomon tant seul coupable? s'il doit, une fois sur le trne, commettre les mmes
186

fautes que son pre, il sera donc puni pour son compte personnel, et alors pourquoi Jhovah
dit-il Salomon que c'est son fils qui paiera pour lui?... Ce serait croire qu'en donnant la
sagesse au fils de David, papa Bon Dieu n'en avait pas gard pour lui-mme le plus petit
morceau.
Dieu vient donc de dclarer formellement Salomon qu'il ne divisera pas son royaume de son
vivant. Or, la Bible ajoute immdiatement: L'ternel suscita donc des ennemis Salomon:
en premier lieu, Adad l'Idumen, qui tait de la race royale d'Edom. (v. 14)
La courte histoire de cet Adad est par elle-mme la contradiction flagrante de ce qui prcde,
et l'on se demande quel ramollissement en tait arriv l'auteur sacr, pour avoir pu crire ce
que le pigeon mystificateur lui dictait. Adad, nous narre-t-on, tait tout jeune, en Idume,
lorsque Joab, gnralissime de David, vint massacrer tous les mles de ce pays; il eut la
chance d'chapper au carnage, avec quelques serviteurs de son pre, et il se rfugia en Egypte.
Le Pharaon lui donna asile, le prit en amiti, lui fit cadeau d'une maison et d'une vaste
proprit rurale, et Adad fut si bien vu du roi d'Egypte, que celui-ci lui octroya pour pouse la
sur mme de la reine. L'Ecriture sainte ne nous a jamais indiqu jusqu'ici le nom d'un
Pharaon; mais ici elle nous fait connatre le nom de la souveraine: c'est la reine Takpns,
dont aucun historien n'a parl, est-il besoin de le dire? Donc, voici Adad beau-frre du
Pharaon. Ne perdez pas de vue, je vous prie, que tout ceci se passait sous le rgne de David.
L'auteur nous raconte ensuite que, ds qu'Adad apprit la mort de David, suivie presque
aussitt de celle de Joab, il prit cong du roi d'Egypte, rentra en Id ume, et fut ds lors un de
ces ennemis dont Dieu se servit contre Salomon pour le punir de son idoltrie. Adad fit
beaucoup de mal Salomon (v. 15-22). Or, ce mme chapitre de la Bible nous dit (v. 4) que
c'est dans le temps de sa vieillesse que le fils de David se dtourna du culte de Jhovah
pour adorer les dieux concurrents, et, plus loin (v. 42) qu'il rgna en tout quarante ans.
Admettons, si l'on veut, que la dvotion de Salomon envers Jhovah ait dur trente annes et
que les dix dernires annes de son rgne aient t celles de ses pchs. Ou Adad, ce flau de
Dieu, est demeur, lui, le beau-frre du Pharaon, plus de trente ans ignorer l'avnement de
Salomon, et cela serait d'autant plus impossible que Salomon pousa, ds le dbut de son
rgne, la fille du roi d'Egypte, proche parente d'Adad; ou bien Adad n'a pas perdu de temps et
a promen son fer vengeur dans le royaume d'Isral peu aprs la prise de possession du trne
par Salomon, et c'est le comble de l'extraordinaire que Salomon ait t puni de son pch
trente ans avant de l'avoir commis.
Mais voici qui est plus prcis encore: Dieu suscita aussi un autre ennemi Salomon; ce fut
Razon, fils d'Iiada. Celui-ci assembla des troupes contre lui; il avait t battu autrefois par
David et s'tait rfugi Damas. Mais il fut un ennemi terrible pour Isral pendant tout le
rgne de Salo mon, et il lui ft beaucoup de mal, outre le mal que fit Adad. Razon, qui infligea
ces dfaites aux Isralites, rgnait sur la Syrie. (11:23-25) Ce Razon, roi de Syrie, qui causa
tant de chagrin Salomon durant tout le cours de son rgne en Jude, dmontre, net comme
trois fois un font trois: 1 que le monarque si sage et d'abord si dvot envers Jhovah fut puni,
tandis qu'il tait innocent, des pchs dont il devait se rendre coupable au temps de sa
vieillesse; 2 que l'auteur sacr se contredit singulirement, quand il dit plus haut (4:20-21)
que Salomon rgna de l'Euphrate la Mditerrane.
En outre, le gendre du roi d'Egypte et de six cent quatre-vingt-dix-neuf autres rois de la terre
eut maille partir avec ses propres sujets. Jroboam, fils de Nbath et de Tsruha, qui tait
domestique de Salomon, fut encore soulev contre lui par l'ternel. Or, Jroboam tait un
homme courageux et fort, que le roi avait remarqu parmi ses serviteurs, lorsqu'il faisait btir
Millo, et qu'il avait ds lors charg de la perception des impts dans les familles de la
descendance de Joseph. Et il arriva que Jroboam, sortant de Jrusalem, rencontra sur sa route
Ahias le prophte, qui avait ce jour-l un beau manteau tout neuf. Ils taient tous deux seuls
dans la campagne. Alors, Ahias dchira tout--coup son manteau en douze morceaux ds qu'il
187

vit Jroboam, et il lui dit: Prends pour toi dix morceaux de mon manteau; car l'ternel m'a
parl hier matin en ces termes: Je dchirerai le royaume de Salomon, et j'en donnerai dix
tribus l'un de ses domestiques; nanmoins, je laisserai une tribu son fils, cause de mon
fidle David et de la ville de Jrusalem, que j'ai choisie dans toutes les tribus d'Isral.
(11:26-32)
Nous avons dj vu un lvite qui coupa sa concubine en douze morceaux, parce qu'elle tait
morte d'avoir t viole Gabaa, en une seule nuit, par sept cents mauvais garnements; et
maintenant, voici un prophte qui dchire son manteau (heureusement, ce n'est que son
manteau) en douze parts, pour signifier Jroboam que Dieu l'autorisait soulever une
meute et que des douze tribus d'Isral il en aurait dix. Ce prophte Ahias, remarque Voltaire,
aurait pu comploter contre Salomon avec le rebelle sans qu'il lui en cott un bon manteau
tout neuf; d'autant plus que le dieu d'Isral ne donnait pas beaucoup de manteaux ses
prophtes, car on sait que leur garde-robe tait mal fournie: apparemment que Jroboam,
reconnaissant, lui paya la valeur de son manteau!
Autre observation qu'on ne manquera pas de faire: des trois ennemis que Dieu suscita
Salomon, Jroboam est le seul qui se soit lev contre lui aprs son apostasie; or, c'est
prcisment le seul qui ait fait fiasco. Les deux autres malmenrent assez rudement le fils de
David et l'humilirent ainsi en lui faisant chec; l'meute de Jroboam, au contraire, ne russit
pas du tout. Salomon, ayant donn des ordres pour mettre mort Jroboam, qui venait de se
rvolter, celui-ci prit aussitt la fuite et se rfugia en Egypte, o il demeura jusqu' la mort de
Salomon. (v. 40)
Ce chapitre 11 se termine en mentionnant le dcs du monarque aux sept cents pouses et aux
trois cents concubines, sans dire si, dans ses derniers jours, il revint de bons sentiments
envers Sabaoth; de sorte que les thologiens ont beaucoup discut sur le fait de savoir s'il est
damn ou non; les opinions sont partages.
Une autre lacune trs regrettable, et qui saute l'il, c'est celle qui rsulte du silence gard
par l'auteur sacr sur les nombreuses noces du glorieux roi juif. Car, enfin, c'est trs joli de
nous dire que Salomon eut pour pouses lgitimes sept cents princesses trangres,
appartenant aux diverses familles royales de la terre, et pratiquant toutes les mauvaises
religions; mais on aurait t content d'avoir quelques descriptions de ces crmonies nuptiales
et des ftes qui les accompagnrent. Si l'apostasie de Salomon a dur dix ans (ce qui serait
norme), ces sept cents princesses, femmes lgitimes, reprsentent quarante-six noces royales
par anne, c'est--dire peu prs une chaque semaine. Voyez-vous d'ici ce royaume passant
dix annes conscutives en rjouissances publiques, rceptions des souverains beaux-pres! et
comme il est fcheux que l'Almanach de Gotha n'ait pas exist celte poque, pour nous
donner la nomenclature des familles rgnantes, se comptant alors par centaines!
On ne peut, enfin, clore l'histoire de Salomon sans parler des quatre livres qui lui sont
attribus et qui font partie de la Bible les Proverbes, le Livre de la Sagesse, l'Ecclsiaste et le
Cantique des Cantiques.
Le premier de ces ouvrages est un recueil de maximes qui paraissent nos esprits raffins
quelquefois triviales, basses, incohrentes, sans got, sans choix et sans dessein. Ils ne
peuvent se persuader qu'un roi clair ait compos un recueil de sentences dans lesquelles on
n'en trouve pas une seule qui regarde la manire de gouverner, la politique, les murs des
courtisans, les usages d'une cour. Ils sont tonns de voir des chapitres entiers o il n'est parl
que de gueuses qui vont inviter les passants dans les rues coucher avec elles. Ils se
rvoltent contre les sentences dans ce got: Il y a trois choses insatiables, et une quatrime
qui ne dit jamais C'est assez: le spulcre, la vulve de la femme, la terre qui n'est jamais
rassasie d'eau; et le feu, qui est la quatrime, ne dit jamais C'est assez. (30:15-16) Il y a
trois choses difficiles . retrouver, et j'ignore entirement la quatrime: la trace de l'aigle dans
l'air, la trace du serpent sur la pierre, la trace d'un navire dans la mer, et la trace d'un homme
188

dans une femme. (v. 18-19) Il y a quatre choses qui sont les plus petites de la terre, et qui
sont plus sages que les sages: les fourmis, petit peuple qui se prpare une nourriture pendant
la moisson; le livre, peuple faible qui couche sur des pierres; la sauterelle, qui, n'ayant pas de
roi, voyage par troupes; le lzard, qui travaille de ses mains et qui demeure dans le palais des
rois. (v. 24-28) Est-ce un grand roi, disent-ils, au plus sage des mortels, qu'on ose
imputer de semblables niaiseries? (Voltaire, Dictionnaire philosophique)
Les Proverbes ont t attribus aussi Isae, Elzia, Sobna, liacin, Joack, et
plusieurs autres.
Le Livre de la Sagesse est dans un got plus srieux. On l'attribue Salomon, mais aussi
Jsus, fils de Sirach, et Philon de Biblos; mais, quel que soit l'auteur, on a cru que de son
temps on n'avait point encore le Pentateuque; car il dit, au chapitre 10, qu'Abraham voulut
immoler Isaac au temps du dluge, et dans un autre endroit, il parle du patriarche Joseph
comme d'un roi d'Egypte. Le pis est que l'auteur, dans le mme chapitre, prtend qu'on voit de
son temps la statue de sel en laquelle la femme de Loth fut change. Ce que les critiques
trouvent de pis encore, c'est que ce livre leur parat un amas trs ennuyeux de lieux communs;
mais ils doivent considrer que de tels ouvrages ne sont pas faits pour suivre les vaines rgles
de l'loquence. Ils sont crits pour difier, et non pour plaire; il faut mme lutter contre son
dgot pour les lire. (Voltaire, Dictionnaire philosophique)
L' Ecclsiaste, que l'on met encore sur le compte de Salomon, est d'un ordre et d'un got tout
diffrents. Celui qui parle dans cet ouvrage semble tre dtromp des illusions de la grandeur,
lass des plaisirs et dgot de la science. On l'a pris pour un picurien qui rpte chaque
page que le juste et l'impie sont soumis aux mmes accidents, que l'homme n'a rien de plus
que la bte, qu'il vaut mieux n'tre pas n que d'exister, qu'il n'y a point d'autre vie, et qu'il n'y
a rien de bon et de raisonnable que de jouir en paix du fruit de ses travaux avec la femme
qu'on aime. Il se pourrait faire que Salomon et tenu de tels discours quelques-unes de
ses femmes: on prtend que ce sont des objections qu'il se fait; mais ces maximes, qui ont l'air
un peu libertin, ne ressemblent pas du tout des objections, et c'est se moquer du monde
d'entendre dans un auteur le contraire de ce qu'il dit. (Voltaire, Dictionnaire philosophique)
Quant au Cantique des Cantiques, en huit chapitres, il vaut la peine d'tre reproduit tout au
long.
Chap. 1
er
. 1. Ceci est le Cantique des Cantiques, qui est de Salomon. 2. Baise-moi
d'un baiser de ta bouche, car tes amours sont plus agrables que le vin. 3. A cause de
l'odeur de tes excellents parfums, ton nom est comme un parfum rpandu, et c'est pour cela
que les filles t'ont aim. 4. Tire-moi, que nous courions aprs toi. Lorsque le roi t'aura
introduite dans ses cabinets, nous nous gayerons et nous jouirons en toi: nous clbrerons tes
amours plus que le vin. Les hommes qui sont toujours droits m'ont aime. 5. Oh! filles
de Jrusalem, ma peau est brune; mais je suis belle comme les tentes de Kdar et comme les
pavillons de Salomon. 6. Ne considrez pas que je suis brune, parce que le soleil m'a
regarde; les enfants de ma mre se sont irrits contre moi; ils m'ont mise garder les vignes,
et je n'ai point gard ma propre vigne. 7. Dis-moi, toi qu'aime mon me, o pture ton
troupeau et o tu le fais reposer midi; car pourquoi serais-je comme une femme errante
autour des troupeaux de tes compagnons? 8. Si tu ne le sais pas, toi la plus belle de toutes
les femmes, sors, suis les traces du troupeau, et fais patre tes petites chvres auprs des
cabanes des bergers. 9. Ma grande amie, je te compare mes chevaux qui sont attels aux
chariots du Pharaon. 10. Tes joues ont bonne grce avec tes atours, et ton cou avec les
colliers. 11. Nous te ferons des atours d'or avec des boutons d'argent. 12. Tandis que le
roi a t assis ma table, mon aspic a rendu son odeur. 13. Mon bien-aim est sur moi
189

comme un sachet de myrrhe; il passera la nuit entre mes ttons. 14. Mon bien-aim est
comme une grappe de trone dans les vignes d'Engadd i; je l'introduirai dans ma vigne. 15.
Te voil belle, ma grande amie, te voil belle; tes yeux sont comme ceux des colombes. 16.
Te voil beau, mon bien-aim; oh! que de jouissances tu me donnes! Aussi notre couche est -
elle verdoyante! 17. Les poutres de nos maisons sont de cdre, et nos soliveaux sont de
sapin.
Chap. 2. 1. Je suis la rose de Saron et le muguet des val es. 2. Tel est le muguet entre
les pines, telle est ma grande amie entre les filles. 3. Tel qu'est le pommier entre les arbres
de la fort, tel est mon bien-aim entre les jeunes hommes. J'ai dsir tre couverte par lui et
je me suis couche sous son ombrage; et son fruit a t doux ma bouche. 4. Il m'a mene
dans la salle du festin et s'est tendu sur moi; c'est l'amour! 5. Faites-moi revenir des forces
avec du bon vin, faites-moi une couche de pommes; car je me meurs d'amour. 6. Que sa
main gauche soit sous ma tte, et que sa main droite me caresse tout le long du corps. 7.
Filles de Jrusalem, je vous adjure, par les chevreuils et les biches de nos campagnes, que
vous n'veilliez point ni ne rveilliez celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 8. Ah!
j'entends la voix de mon bien-aim; le voici qui vient sautant sur les montagnes et bondissant
sur les coteaux. 9. Mon bien-aim est semblable au chevreuil ou au faon des biches; le
voil qui se tient derrire nos murailles; il regarde par les fentres, il s'avance par les treillis.
10. Mon bienaim a pris la parole et m'a dit: Lve-toi, ma grande amie, ma toute belle, et
viens-t'en. 11. Car voici, l'hiver est pass, la pluie est passe et s'en est alle. 12. Les
fleurs paraissent sur la terre, le temps des chansons est venu, et la voix de la tourterelle a dj
t entendue dans notre contre. 13. Le figuier a jet ses premires figues, et les vignes ont
des grappes et rendent de l'odeur. Lve-toi, ma grande amie, ma toute belle, et viens-t'en.
14. Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher, dans les cachettes des endroits
escarps, fais-moi voir ton regard et fais-moi entendre ta voix; car ta voix est douce et ton
regard est gracieux. 15. Prenez-nous les renards et les petits renards qui fort des dgts
dans les vignes, depuis que les vignes ont des grappes. 16. Mon bien-aim est moi, et je
suis toute lui; il fait patre son troupeau au milieu de mon muguet. 17. Avant que le vent
du jour souffle et que les ombres s'enfuient, reviens, mon bien-aim, comme le chevreuil ou le
faon des biches, sur les montagnes entrecoupes.
Chap. 3. 1. J'ai cherch pendant la nuit, sur mon lit, celui qu'aime mon me; je l'ai cherch,
mais je ne l'ai plus trouv! 2. Je me lverai maintenant et je ferai le tour de la ville, par les
carrefours et par les places, et je chercherai celui qu'aime mon me. Je l'ai cherch, mais je ne
l'ai point trouv! 3. Le guet, qui faisait la ronde pendant la nuit, m'a trouve. N'avez-vous
point vu, leur ai-je dit, celui qu'aime mon me? 4. A peine les avais-je passs, que je
trouvais celui qu'aime mon me; je l'ai pris, et je ne le lcherai point que je ne l'ai emmen
la maison de ma mre et dans la chambre de celle qui m'a conue. 5. Filles de Jrusalem, je
vous adjure, par les chevreuils et par les biches de nos campagnes, que vous n'veilliez point
ni ne rveilliez celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 6. Qui est celle-ci, qui monte
du dsert comme des colonnes de fume, en forme de palmes, parfume de myrrhe et
d'encens, et de toutes sortes de poudres de parfumeur? 7. Voici le lit de Salomon, autour
duquel il y a soixante vaillants hommes, des plus vaillants d'Isral. 8. Tous maniant l'pe
et trs bien dresss la guerre, ayant chacun son pe sur la cuisse, cause des frayeurs de la
nuit. 9. Le roi Salomon s'est fait un lit de bois du Liban. 10. II a fait ses piliers d'argent
et son lit d'or, son ciel d'carlate et le dedans garni d'amour par les filles de Jrusalem. 11.
Sortez, filles de Sion, et regardez le roi Salomon avec la couronne dont sa mre l'a couronn
au jour de son mariage et au jour de la joie de son cur.
190

Chap. 4. 1. Te voil belle, ma grande amie! Tes yeux sont comme ceux des colombes, et
les tresses de tes cheveux sont comme un troupeau de chvres des montagnes de Galaad,
qu'on a tondues. 2. Toutes tes dents sont comme de blanches brebis tondues qui remontent
du lavoir, deux par deux, et dont il n'y a pas une qui soit strile. 3. Tes lvres sont comme
un fil teint en carlate; ton parler est gracieux. Ta tempe est comme une pomme de grenade
sous tes tresses. 4. Ton cou est comme la tour de David, btie crneaux, et laquelle
pendent mille boucliers et tous les cus des vaillants hommes. 5. Tes deux ttons sont
comme les faons jumeaux d'une biche, qui paissent parmi le muguet. 6. Avant que le vent
du jour souffle et que les ombres s'enfuient, je m'en irai la montagne de myrrhe et au coteau
d'encens. 7. Tu es toute belle, ma grande amie, et il n'y a point de tache en toi. 8. Viens
du Liban avec moi, mon pouse, viens du Liban avec moi; regarde du sommet d'Amana, du
sommet de Snir et de Hermon, des repaires des lions et des montagnes des lopards. 9.
Tu m'as ravi le cur, ma sur; tu m'as ravi le cur par l'un de tes yeux et par l'un des colliers
de ton cou. 10 Que tes amours sont voluptueuses, ma sur, mon pouse! que tes amours
sont meilleures que le meilleur vin, et l'odeur de tes parfums qu'aucune plante aromatique!
11. Tes lvres, mon pouse, distillent des rayons de miel; quand je passe ma langue autour de
la tienne, je lui trouve un got de lait et de miel: et l'odeur de tes vtements est Comme l'odeur
du Liban 12. Ma sur, ma femme, tu es un jardin ferm, une source close, une fontaine
cachete. 13. Les poils qui poussent sur toi embaument comme un verger plant de
grenadiers, comme un jardin o sont des fruits dlicieux de trone et l'aspic au doux parfum.
14. L'aspic et le safran, le roseau odorant et le cinna mome, avec toutes sortes d'arbres
d'encens, la myrrhe et l'alos, avec les principales plantes aromatiques. 15. O fontaine des
jardins! puits d'eau vive et ruisseaux dcoulants du Liban! 16. Lve-toi, bise, et toi, vent
du midi, souffle travers mon jardin, afin que l'odeur voluptueuse qui s'en exhale enivre mon
bien-aim. Que mon bien-aim y pose ses lvres, et qu'il mange de mon fruit!
Chap. 5. 1. Je suis venu dans mon jardin, ma sur, mon pous e; j'ai cueilli ma myrrhe et
mes plantes aromatiques; j'ai mang mes rayons avec mon mie l; j'ai bu mon vin avec mon
lait. Amis, rjouissez-vous avec moi; mangez, buvez, faites bonne chre, mes bien-aims.
2. J'tais endormie, mais mon cur veillait; et voici que j'entendis la voix de mon bien-aim
qui disait, au dehors: Ouvre-moi, ma sur, ma grande amie, ma colombe, ma parfaite; car ma
tte est pleine de rose, et mes cheveux sont mouills des gouttes de la nuit. 3. Je suis toute
nue, rpondis-je; faut-il donc que je remette ma robe? J'ai lav mes pieds, comment les
souillerais-je? 4. Mon bien-aim, alors, m'a mis la main au trou, au travers d'une fissure de
ma tente, et mon ventre a tressailli de plaisir son attouchement. 5. Je me suis leve pour
ouvrir mon bien-aim; et mes doigts encore tout humides mouillrent les garnitures du
verrou. 6. J'ouvris mon bien-aim; mais mon bien-aim s'tait dj retir et tait passe
outre; je le cherchai, mais je ne le trouvai point; je l'appelai, mais il ne me rpondit point.
7. Le guet, qui faisait la ronde par la ville, me trouva; ils me battirent, ils me blessrent; les
gardes des murailles m'arrachrent mon voile. 8. Filles de Jrusalem, je vous adjure, si
vous rencontrez mon bien-aim, que lui direz-vous? Dites-lui que je meurs d'amour. 9.
Qu'est ton bien-aim plus qu'un autre, la plus belle d'entre les femmes? Qu'est ton bien-aim
plus qu'un autre, pour que tu nous aies ainsi adjures? 10. Mon bien aim est blanc et
vermeil; il est toujours le plus droit, mme au milieu de dix mille. 11. Sa tte est comme de
l'or trs fin; ses cheveux sont crpus, noirs comme un corbeau. 12. Ses yeux sont comme
ceux des colombes sur les ruisseaux d'eau courante, lavs dans du lait et comme enchsss
dans les chtons d'anneaux. 13. Ses joues sont comme un parterre de plantes aromatiques
et comme des vases d'odeur; ses lvres sont comme du muguet; elles distillent la myrrhe
franche. 14. Ses mains ont des anneaux d'or, avec des chrysolithes enchsss; son ventre
est semblable de l'ivoire bien poli, couvert de saphirs. 15. Ses jambes sont comme des
191

piliers de marbre, fonds sur des soubassements d'or fin; son port est comme le Liban, il est
exquis comme les cdres. 16. L'intrieur de sa bouche est tout ce qu'il y a de plus suave;
tout en lui, du reste, me rend ivre de dsirs. Tel est mon bien-aim, tel est mon ami, filles de
Jrusalem.
Chap. 6. 1. O est all ton bien-aim, la plus belle des femmes? Dis-nous de quel ct
s'est dirig ton bien-aim, et nous le chercherons avec toi. 2. Mon bien-aim est descendu
dans son verger, au parterre des plantes aromatiques pour patre son troupeau dans les vergers
et cueillir du muguet. 3. Je suis mon bien-aim, et mon bien-aim est moi: il pat son
troupeau parmi le muguet. 4. Ma grande amie, tu es belle comme Tirtsa, agrable comme
Jrusalem, redoutable co mme les armes qui marchent enseignes dployes. 5. Dtourne
tes yeux et ne me regarde pas, car tes yeux me forcent; tes cheveux sont comme un troupeau
de chvres de Galaad, qu'on a tondues. 6. Tes dents sont comme un troupeau de blanches
brebis qui remontent du lavoir, deux par deux, et dont il n'y a pas une qui soit strile. 7. Ta
tempe est comme une pice de pomme de grenade sous tes tresses. 8. Tu as soixante
femmes, quatre-vingts concubines, et des vierges sans nombre. 9. Ma colombe, ma
parfaite, est unique; elle est unique sa mre et particulirement aime de celle qui l'a
enfante; les filles l'ont vue et l'ont dite bienheureuse; les reines et les concubines l'ont loue,
disant: 10. Qui est celle-ci qui parat comme l'aube du jour, belle comme la lune, d'lite
comme le soleil, redoutable comme les armes qui marchent enseignes dployes? 11. Je
suis descendu au verger des noyers, pour voir les fruits qui mrissent dans la valle, pour voir
si la vigne s'avance et si les grenadiers ont jet leur fleur. 12. Reviens, reviens, Sulamite,
et que nous te contemplions!
Chap. 7. 1. Fille de prince, que la dmarche est belle! Le tour de tes hanches est comme
des colliers travaills par la main d'un excellent ouvrier. 2. Ton nombril est comme une
tasse ronde, toute pleine de breuvage; ton ventre est comme un tas de bl entour de muguet.
3. Tes deux ttons sont comme deux faons jumeaux d'une biche. 4. Ton cou est comme
une tour d'ivoire; tes yeux sont comme les viviers qui sont Hesbon, prs de la porte de
Bath-Rabbim; ton visage est comme la tour du Liban, qui regarde vers Damas. 5. Ta tte
est sur toi comme du cramoisi, et les cheveux les plus fins de ta tte sont comme de l'carlate.
Le roi demeure attach sur sa galerie pour te regarder. 6. Que tu es belle! que tu es
agrable! mon amour, mes dlices! 7. Cette stature que lu as a la majest d'un palmier, et
tes ttons me font penser deux grappes de raisin. 8. J'ai dit: Je monterai sur le palmier et
je l'treindrai dans mes bras; et tes ttons me seront maintenant comme des grappes de raisin,
et l'odeur de ton visage sera pour moi comme l'odeur des pommes. 9. Et ton palais
distillera pour moi son doux miel, et tu verseras le meilleur vin ton bien-aim, le vin de
l'amour qui fait parler les lvres de ceux qui dorment. 10. Je suis mon bien-aim; car il
n'a qu'un dsir: jouir de moi. 11. Viens donc, mon bien-aim; sortons la campagne,
passons la nuit dans les champs. 12. Levons- nous le matin pour aller aux vignes, et
voyons si la vigne est avance, si la grappe est forme, et si les grenadiers sont en fleurs; c'est
l que je te livrerai tous mes amours. 13. Les mandragores rpandent leur odeur, et, notre
porte, se trouvent toutes sortes de fruits exquis, des nouveaux et des vieux que je t'ai gards,
mon bien-aim!
Chap. 8. 1. Plt Dieu que tu fusses comme mon frre, qui a suc les mamelles de ma
mre; j'irais te trouver dehors, et je te baiserais, et l'on ne me mpriserait point. 2. Je
t'amnerais et je t'introduirais dans la maison de ma mre; et tu m'instruirais, et je te ferais
boire de mon meilleur vin ml d'aromate et du mot de mon grenadier. 3. Allons, mon
bien-aim, que ta main gauche soit sous ma tte, et que ta main droite me caresse encore par
192

tout le corps! 4. Je vous adjure, filles de Jrusalem, que vous n'veilliez ni ne rveilliez
celle que j'aime, jusqu' ce qu'elle le veuille. 5. Qui est celle qui monte du dsert, et qui
s'appuie doucement sur son bien-aim? Je t'ai rveille sous un pommier, l o ta mre t'a
conue, l o t'a conue celle qui t'a donn le jour. 6. Mets-moi comme un cachet sut ton
cur, comme un cachet sur ton bras. L'amour est fort comme la mort, et la jalousie est dure
comme le spulcre; leurs embrassements sont des embrassements de feu et leur flamme est
des plus vhmentes. 7. Beaucoup d'eau ne pourrait teindre notre amour, mon bien-aim,
et les fleuves mme ne pourraient pas le noyer; si quelqu'un donnait tous les biens de sa
maison pour nous prendre cet amour-l, certainement nous mpriserions son offre. 8. Nous
avons aussi une petite sur qui n'a point encore de ttons; que ferons-nous notre sur, au
jour o l'on parlera d'elle? 9. Si elle est comme une muraille, nous btirons sur elle un
palais d'argent; et, si elle est comme une porte, nous la renforcerons d'un entablement de
cdre. 10. Moi, je suis forte comme un rempart, et mes ttons sont fermes comme des
tours; c'est pourquoi j'ai eu les faveurs de mon bien-aim, et son amour m'a donn la paix.
11. Salomon avait une vigne, Rabal-Hamon, qu'il a vendue ses gardes; chacun d'eux, pour
sa part de fruit, doit apporter mille pices d'argent. 12. Ma vigne, qui est moi, est ta
disposition, Salomo n! Si elle vaut mille pices d'argent, que les mille pices d'argent soient
toi, mais donnes-en deux cents pour les gardes de mon fruit. 13. Toi qui habites dans les
jardins, les amis sont attentifs ta voix; fais que je l'entende! 14. Et maintenant, mon bien-
aim, enfuis-toi aussi vite qu'un chevreuil ou qu'un faon de biche, sur les montagnes pleines
de plantes aromatiques.
Tel est, dans toute sa beaut, le fameux Schir- Haschidim (Cantiques des Cantiques) de
l'Ancien Testament, sur lequel on a tant disput. Aux esprits dgags de la superstition, il
apparat assez clairement que cette licencieuse rapsodie, compose selon toute vidence pour
exciter la chair, n'est rien autre qu'une romance de harem oriental, dans le got de l'poque.
Mais les thologiens, aussi bien les juifs que les catholiques, ne l'entendent point ainsi!
Les premiers soutiennent mordicus que le bien-aim mis en scne par le pote est la
personnification de Jhovah, et que l'pouse, la grande amie, reprsente la nation d'Isral.
Cette explication a t longuement dveloppe par les commentateurs dans le Targum, recueil
de traditions chaldaques, o le Cantique des Cantiques est interprt comme tant une
histoire allgorique du peuple juif depuis la sortie d'Egypte jusqu'au jour o se manifestera le
Messie et o se construira le troisime temple. Pour justifier cette interprtation, on a mis
contribution toutes les complications que peut fournir le systme exgtique du Talmud: la
rduction des mots leur valeur numrique, la substitution des termes homophones, etc. Les
juifs du moyen-ge ont considrablement travaill ces premiers essais, sans cependant
s'carter de la donne primitive; ils ont mme attribu cette interprtation une valeur
canonique et liturgique, en lui donnant une place dans leur rituel. Les nombreuses et terribles
perscutions dont ils furent si souvent victimes ne contriburent pas peu imprimer cette
croyance un caractre de nationalit et d'individualit trs accentu; le pome de Salomon
devint presque pour les perscuts le palladium intellectuel autour duquel ils grouprent leurs
esprances et leurs vux.
Cependant, ct de cette interprtation allgorique toute religieuse, nous en trouvons, chez
les juifs, une autre mtaphysique et philosophique. Ainsi, au treizime sicle, le Cantique des
Cantiques tait, pour Ibn Caspe, la reprsentation allgorique de l'union entre l'intellect actif,
intellectus agens, et l'intellect passif ou matriel, intellectus materialis. Enfin, au dix-huitime
sicle, Mendelssohn inaugura une nouvelle cole juive d'interprtation, qui, sans rejeter
193

absolument l'interprtation allgorique, tient cependant grand compte de l'interprtation
littrale; avec lui, l'allgorie demeurait nationale et perdait son sens religieux.
Quant aux thologiens catholiques, ils modifient de fond en comble l'explication des docteurs
juifs, et ils affirment avec le plus grand srieux que ce pome rotique est le fruit d'une
inspiration sacro-sainte, un livre prophtique, o l'amour de Jsus-Christ pour son glise et de
l'glise pour son divin fondateur, qu'elle regarde comme son poux, est peint sous des figures
hardies, mais dont l'obscnit, purifie par son sens mystique, ne peut scandaliser que les
esprits malveillants des incrdules.
La premire interprtation mystique, dans ce sens, remonte Origne, qui crivit l-dessus un
volumineux commentaire; aussi, il est amusant de constater que l'honneur de cette belle
trouvaille revient un Pre de l'glise dont la castration est presque autant clbre que celle
d'Abeilard. A la suite de l'eunuque Origne se sont embarqus tous les exgtes chrtiens,
toute la sainte prtraille, heureuse l'admirable fumiste Bossuet en tte d'avoir un moyen
peu banal de faire avaler aux nafs fidles le plus formidable crapaud biblique.
Et voil, grce ce truc ingnieux, le Cantique des Cantiques donn, dans les couvents, en
mditation aux religieuses contemplatives; on comprend l'effet produit sur ces malheureuses
femmes clotres, dont le mysticisme plus ou moins hystrique, se dlecte la pense qu'elles
sont les pouses de Jsus-Christ, chacune en particulier, comme l'glise est son pouse en
gnral. Dans leur mditation, les pauvres folles n'ont qu' se substituer l'glise, grande
amie du bien-aim.
Afin de mieux fixer dans les esprits des crdules ouailles leur interprtation de haute fantaisie,
les prtres ont mis des titres aux huit chapitres du Cantique des Cantiques. Maintenant qu'on a
lu le texte, on apprciera la valeur des titres ajouts depuis Origne par la roublardise
sacerdotale. C'est se tordre!
Voici ces titres:
Chap. 1. L'pouse exprime ici son amour pour son poux, et l'poux son amour pour son
pouse. Chap. 2. Discours de l'Eglise par rapport Jsus-Christ.
Chap. 3. La recherche que l'Eglise fait de Jsus-Christ, et sa joie de l'avoir trouv.
Chap. 4. Beaut de l'pouse, dcrite mystiquement et par des expressions toutes figures.
Chap. 5. Regrets de l 'pouse de n'avoir pas rpondu comme elle devait la recherche de
son poux; elle dcrit la beaut de l'poux.
Chap. 6. Dialogue entre Jsus-Christ et l'Eglise.
Chap. 7. Autre description mystrieuse de la beaut de l'pouse; amour fidle de l'glise
pour Jsus Christ.
Chap. 8. Amour rciproque de l'Eglise pour Jsus Christ, et de Jsus-Christ pour l'Eglise.
Aprs cela, tirons l'chelle, et concluons sur ce point par cette apprciation de Voltaire:
Puisqu'on regarde le Cantique des Cantiques comme une allgorie perptuelle du mariage de
Jsus-Christ avec son glise, il faut avouer que l'allgorie est un peu forte, et qu'on ne voit
gure ce que l'glise pourrait entendre quand l'auteur dit que sa petite sur n'a pas de ttons.

14 CHAPITRE

LES DEUX ROYAUMES: ISRAL ET JUDA

L'hritier du trne tait Roboam. Au premier abord, il semble que tout devait marcher comme
sur des roulettes, puisque l'auteur sacr vient de nous dire tout l'heure que jamais les
Isralites ne furent si heureux que dans le rgne de Salomon, que l'or circulait profusion, que
la prosprit publique tait telle que l'on marchait sur l'argent dans les rues, tant il tait en
194

abondance... Mais le divin pigeon a la mmoire courte; ou bien il s'amuse de la crdulit des
fidles; car il nous reprsente maintenant le peuple juif assembl Sichem et tenant ce
langage au fils de Salomon:
Ton pre nous avait impos des charges trs dures, qui nous rendaient misrables; mais toi,
allge ce joug trop pesant pour nous, et nous te servirons. (1 Rois 12:4)
Roboam consulta les vieillards qui avaient t les conseillers de son pre. Ceux-ci reconnurent
que les impts taient vraiment trop crasants et furent d'avis qu'il serait sage de les diminuer,
afin que la nation demeurt attache la famille de David; mais le nouveau roi consulta aussi
les jeunes gens qui avaient t levs avec lui: ils furent d'un avis tout contraire. (v. 6-10)
Or donc, lorsque les dlgus du peuple, la tte desquels se trouvaient jroboam, revenu d'
Egypte, vinrent prendre la rponse de Roboa m, voici ce qu'il leur rpondit: Le plus petit de
mes doigts est plus gros que le dos de mon pre; si mon pre vous a impos de lourdes
charges, moi, je rendrai votre joug plus pesant encore; mon pre vous a fouetts avec des
verges, et moi je vous fouetterai avec des scorpions. (v. 10-11)
Ce discours n'tait gure fait pour gagner Roboam le cur de son peuple; mais la Bible a
soin de nous dire que Jhovah avait tout rgl ainsi, afin que s'accomplissent les paroles
qu'il avait prononces Jroboam par la bouche du prophte Ahias, de Scilo (v. 15). Ainsi,
c'est Dieu lui-mme qui inspira aux jeunes amis du nouveau roi leurs mauvais conseils et qui
aveugla Roboam au point de lui faire dbiter de telles sottises! Le peuple fut donc trs
mcontent et se retira dans ses tentes, en murmurant (v. 15). Et Roboam ayant envoy
l'intendant de ses tributs, nomm Aduram, pour percevoir les impts, tout Isral assomma de
pierres le percepteur royal; il n'en fallut pas davantage pour flanquer la venette Roboam,
qui, montant vivement sur un chariot, s'enfuit Jrusalem (v. 18).
Or, tout Isral sachant que Jroboam tait revenu, le constitua roi; et personne ne suivit la
maison de David, except les tribus de Juda et de Benjamin. Roboam, ayant runi ces deux
tribus, y forma une arme compose de cent quatre- vingt mille soldats d'lite, prts
combattre contre la maison d'Isral et la rduire sous l'obissance de Roboam, fils de Salomon
(12:20-21). Toujours des exagrations ridicules! Un misrable roitelet de la dixime partie
d'une petite nation barbare pouvait-il avoir une arme de cent quatre-vingt mille hommes?
Alors Dieu parla S mas, homme de Dieu, et l'envoya Roboam et aux tribus de Juda et
de Benjamin, pour leur dire: Le Seigneur vous dfend de vous lever contre vos frres, les
enfants d'Isral; retournez-vous-en, chacun dans sa maison. Et ils obirent la parole de
l'ternel, et ils s'en retournrent paisiblement (12:22-24).
Voil donc le royaume juif divis en deux royaumes, qui ds lors prirent les noms d'Isral,
avec Jroboam, et de Juda, avec Roboam. Il faut croire que Sichem, o la nation s'tait
assemble pour manifester ses dolances au fils de Salomon, n'existait pas comme ville; car il
est dit que le premier travail de Jroboam fut de btir Sichem, sur les montagnes d'Ephram;
et il y habita; puis, il sortit de l et btit Pnul (v. 25).
Vous croyez sans doute que Jroboam fut reconnaissant, lui, l'ex-domestique, envers Jhovah
qui venait de le gratifier d'un royaume? Pas du tout. Il s'empressa de faire fabriquer deux
veaux d'or, et en plaa un Bthel et l'autre Dan, et il dit au peuple d'Isral: Gela vous
donnerait trop de peine d'aller jusqu' Jrusalem pour adorer l'ternel; aussi bien, vous pouvez
vous prosterner devant les veaux d'or, car ce sont eux qui vous ont tirs d'gypte. Et le
peuple d'Isral n'en demanda pas davantage. Jroboam fit construire d'autres temples
diverses idoles; il tablit des sacrificateurs, qui n'taient point pris parmi les descendants de
Lvi, et il sacrifia lui-mme (v. 26-33).
Si ce rcit est vrai, il fournit une nouvelle preuve de ce que la religion judaque n'tait pas
encore fixe. Cette minuscule nation juive, on le voit, change de culte tout moment, depuis
sa singulire vasion d'Egypte jusqu'au temps d'Esdras. Remarquez, en passant, son bizarre
got pour les veaux, comme reprsentation de la divinit!... Nous n'avons pas oubli qu'il en
195

cota vingt-trois mille hommes pour le veau d'or d'Aaron; le seigneur Adona, ou Jhovah, ou
Schadda, ou Sabaoth, ou Jhao, devait naturellement gorger quarante-six mille Isralites pour
les deux veaux de Jroboam. Mais nous allons voir autre chose, ce coup-ci!
Alors un homme de Dieu, un voyant (Flavius Josphe le nomme Addo le prophte), vint de
Juda Bthel, tandis que Jroboam tait mont sur l'autel et qu'il jetait de l'encens; et il cria
contre l'autel dans le verbe de Dieu, en disant: Autel! autel! le Seigneur dclare qu'il natra un
jour dans la maison de David un fils qui sera nomm Josias et qui immolera sur toi les pr tres
des hauts lieux qui maintenant brlent de l'encens sur toi, et il brlera sur toi les os des
hommes. Et, pour prouver la vrit de ce que j'annonce, que l'autel se fende prsent! Or,
aussitt, Jroboam tendit sa main vers le prophte et ordonna de se saisir de lui; mais sa main
qu'il avait tendue se scha et il ne put la retirer, et en mme temps l'autel se lendit et la
cendre qui tait dessus se rpandit par terre. Alors, le roi supplia le prophte de prier Jhovah
de lui rendre l'usage de sa main; et, la prire de l'homme de Dieu, la main du roi redevint
vivante comme auparavant. Alors, le roi dit au prophte: Viens dner avec moi dans ma
maison, et je te ferai un beau prsent (13:1-7). Mais le voyant Addo, qui avait des
instructions trs prcises de Jhovah, refusa le dner et tout cadeau, et s'en alla pour retourner
au royaume de Juda, mais en prenant un autre chemin que celui par lequel il tait venu (v.
10).
Le miracle de cette main sche est bien peu de chose auprs de ceux qui nous ont t conts
jusqu' prsent; heureusement, on va se rattraper tout l'heure avec le prophte lie, Quant
la dfense faite aux gens de Juda de manger sur les terres de Jroboam, elle prouve que ce
royaume d'Isral n'tait pas fort tendu. Un bon piton pouvait aisment djeuner Samarie et
souper Jrusalem; plus forte raison, un prophte, d'ordinaire un ermite accoutum une
vie sobre, pouvait se passer de djeuner Bthel, qui tait encore plus prs de Jrusalem que
Samarie.
Or, il y avait un vieux devin qui demeurait Bthel, et ses enfants lui racontrent les
miracles que l'homme de Dieu venait d'oprer. Alors, le vieux devin se fit montrer le chemin
que le prophte de Juda avait pris; ses fils lui sanglrent son ne, et il monta dessus. Et quand
il eut rejoint Addo, qu'il trouva assis sous un trbinthe, il lui dit: Es-tu l'homme de Dieu qui
est venu de Juda? Et Addo rpondit: C'est moi. Le vieux devin reprit: Eh bien, viens donc
manger du pain chez moi. Mais Addo lui rpondit: Je ne puis venir avec toi, ni manger du
pain, ni boire de l'eau dans ce pays; car le Seigneur me l'a dfendu. Alors, le vieux devin lui
dit encore: Ecoute, je suis prophte comme toi, et l'ange du Seigneur m'a port la parole de
Jhovah en me disant de te ramener avec moi dans ma maison, afin que tu manges de mon
pain et que tu boives de mon eau. Mais le vieux devin de Bthel mentait. Addo s'en retourna
donc avec lui, et il mangea du pain et but de l'eau dans sa maison. (13:11-19)
On remarquera que, ds qu'un homme se disait prophte en Isral ou en Juda, on le croyait sur
sa parole. Nous avons vu qu'il y avait, du temps de Sal, des prophtes par troupes. Ds que le
vieux bonhomme de Bthel dclare Addo qu'il est son collgue en prophte, Addo le
reconnat pour tel et se met manger avec lui.
Et il arriva que, lorsqu'ils taient table, une voix se se fit entendre au prophte de Juda, et
c'tait la voix de Jhovah qui lui cria: Parce que tu as dsobi l'ordre de Dieu qui t'avait
dfendu de manger dans ce pays, ton corps ne sera pas enterr dans le spulcre de tes pres.
Alors, le vieux devin de Bthel fit seller un ne au prophte de Juda qu'il avait ramen; et
Addo s'en alla. Mais voici que, sur sa route, il rencontra un lion, qui se jeta sur lui et le tua.
Il est vident que ce lion avait t envoy par Jhovah; la consigne que papa Bon Dieu avait
donne au terrible fauve est assez cocasse. Et voici que le cadavre d'Addo demeura tendu
par terre dans le chemin, et l'ne se tenait auprs, d'un ct, et le lion aussi, de l'autre ct. Or,
quelques passants tant venus par l, furent fort tonns, ce spectacle. Il y avait de quoi!
Ils retournrent Bthel et rapportrent la chose au vieux devin, et celui-ci dit: Ce cadavre est
196

celui du prophte de Juda qui j'ai menti et qui a dsobi aux ordres de Jhovah; voil
pourquoi Jhovah l'a livr au lion. Maintenant, ami lecteur, qu'auriez-vous fait, si vous vous
tiez trouv la place du vieux devin de Bthel? Vous vous seriez bien gard d'aller disputer
au lion le cadavre du confrre prophte, n'est-ce pas? Addo n'tait coupable que d'avoir cru
l'histoire d'apparition que le vieux devin lui avait narre, et, s'il avait t si cruellement puni, il
tait vraisemblable que son trompeur serait chti d'une faon plus terrible encore. Le vieux
devin fit seller son ne par ses fils, et il alla la recherche du corps du prophte de Juda; il
trouva le cadavre tendu dans le chemin, avec le lion et l'ne qu'il avait donn Addo, et les
deux animaux taient la en sentinelles, gardant le corps; le lion n'avait point mang le corps
du prophte, ni dchir l'ne. Alors, le vieux devin leva le corps d'Addo et le ramena Bthel.
Il l'ensevelit dans le tombeau de sa famille, et pleura sur lui, en disant: Hlas! mon frre! Et il
recommanda ses fils de l'enterrer, quand il serait mort, dans le mme spulcre, en ayant soin
de placer son cadavre sur les ossements du prophte Addo. (13:20-31)
Telle est la navrante histoire de ce malheureux Addo, qui l'on ne peut gure reprocher que
d'avoir eu faim et d'avoir djeun mal propos dans un endroit plutt que dans un autre, sur la
foi d'un collgue en prophtie qui lui avait cont une blague sacrilge et qui s'en tira sans
encombre, lui veinard! Le pauvre Addo, on le voit, n'a pas fait grande figure dans le monde; si
ce n'tait l'aventure du lion et de l'ne factionnaires, la postrit l'ignorerait tout--fait.
Et Jroboam, dans tout a?... L'incident de sa main dessche, puis revivante, devait suffire,
semble-t-il, le gurir de l'idoltrie des veaux d'or; en outre, quoi de plus terrifiant que la
pitoyable mort d'Addo, dont il reut la nouvelle?... Eh bien, le croira-t-on? cet imbcile de
Jroboam ne se dtourna point de sa mauvaise voie et continua ses sacrifices aux faux
dieux; et quiconque en Isral voulait tre prtre des idoles, s'y consacrait avec la faveur du roi
(v. 33). Il est clair qu'un tel endurcissement mritait un chtiaient exemplaire.
Qui fut atteint par la vengeance divine?... Jroboam?... Non. Ce fut un tout jeune enfant qu'il
avait, le petit Abija. Brusquement, le bb tomba malade.
Jroboam eut une ide: c'tait le cas, pensa-t-il, de consulter le prophte Ahias, celui qui lui
avait donn dix morceaux de son manteau, pour lui prdire son avnement. Ici, le manque de
logique du roi d'Isral est fantastique. Il sait quoi s'en tenir sur la toute-puissance de Jhovah
et sur le pouvoir qu'il dlgue ses prophtes; eh bien, tout en ayant recours Ahias pour
obtenir de lui la gurison du moutard, il mdite de tromper le saint homme infaillible.
Jroboam envoie la reine, son pouse, Scilo, aprs lui avoir fait revtir un dguisement qui
empchera Ahias de la reconnatre; il s'imagine qu'elle n'aura qu' parler d'un enfant
quelconque qui est malade.
Voil donc madame Jroboam, dguise, qui arrive Scilo; par dessus le march, la Bible
nous apprend (14:4) que le vieil Ahias ne pouvait voir, ses yeux tant devenus tout--fait
obscurcis, tant sa vieillesse tait avance . A tous gards, le dguisement tait donc
absolument inutile.
Et l'ternel dit Ahias: La femme de Jroboam va venir pour s'enqurir de toi touchant son
fils parce qu'il est malade. Tu lui diras telles et telles choses (sic). Quand elle entrera, elle fera
semblant d'tre quelque autre. Aussitt donc qu'Ahias eut entendu le bruit des souliers de la
reine, comme elle tait la porte, il dit: Entre, entre, femme de Jroboam; pourquoi t'es-tu
dguise? Or, puisque tu es venue, tu vas entendre les choses trs dures qui j'ai t'annoncer.
(v. 5-6)
L-dessus, grands discours, amers reproches l'adresse de Jroboam et de ses deux veaux
d'or, prdictions sinistres relatives la famille royale qui sera dpossde du trne, sans
oublier le bb malade, objet de la consultation. Maintenant, conclut Ahias, retourne chez
toi; aussitt que tes pieds fouleront le sol de la ville, l'enfant mourra. (v. 12)
L'infortune reine s'en revint dsole, Tirtsa, o tait alors la cour; et comme elle posait
son pied sur le seuil de la maison royale, le petit garon mourut (v. 17). Et dire qu'avec un
197

peu de prsence d'esprit madame Jroboam pouvait viter cette catastrophe! elle n'avait qu'
faire sa rentre, monte sur des chasses, et ainsi elle n'eut pas foul de ses pieds le sol de la
ville, parbleu! Mais l'amour maternel ne pense pas tout...
Ici le livre des Rois nous renvoie au livre des Chroniques, et nous apprenons l (2 Rois 13)
qu'Abiam, roi de Juda, fils de Roboam, eut une guerre avec Jroboam. Abia m avait quatre
cent mille combattants, bien choisis et trs vaillants. Et Jroboam avait huit cent mille
combattants, bien choisis aussi et trs vaillants. Et il y eut cinq cent mille hommes des plus
vaillants tus dans la bataille, du ct d'Isral. Brrrou! quel carnage!
Enfin, Jroboam, aprs avoir exerc pendant vingt-deux ans le mtier de monarque
s'endormit avec ses pres , et papa Bon Dieu qui lui avait supprim, au moyen d'une maladie,
le jeune Abija, oublia son autre fils, nomm Nadab, lequel lui succda (14:20).
Quant Roboam, il ne s'tait pas mieux comport que Jroboam, l'gard de Sabaoth. Le
royaume de Juda aussi avait fait ce qui est mauvais devant l'Eternel; car ils se btirent des
hauts lieux pour adorer les idoles; et les sujets de Roboam eurent des bocages sur toutes les
collines et sous tous les arbres verts. Il y avait mme, dans ce royaume, des gens qui se
prostituaient la manire des Sodomites, et ils commirent toutes les abominations. (14:22-
24) Mais, la cinquime anne du rgne de Roboam, le roi d'Egypte, Ssac (c'est la premire
fois que la Bible nomme un pharaon) s'empara de Jrusalem, et il enleva tous les trsors de la
maison du Seigneur et les trsors du roi; il pilla tout, jusqu'aux boucliers d'or que Salomon
avait faits (v. 25-26). Voici les observations de Voltaire ce sujet: Le lion de Juda, dont la
verge ne devait jamais sortir d'entre ses jambes jusqu' ce que le Silo vnt, sent cette fois-ci
ses ongles rogns de bien prs, et sa verge n'a pas grand pouvoir. De graves savants prouvent
que ce Ssac tait le grand Ssostris; d'autres graves savants prouvent que Ssostris naquit
mille ans avant Ssac; et des savants encore plus graves prouvent qu'il n'y eut jamais de
Ssostris. Une raison qui ferait croire que ce ne fut pas Ssostris qui pilla Jrusalem, c'est qu'il
ne pilla point Sichem, Jricho, Samarie, ni les deux veaux d'or hrtiques; car Hrodote dit
que ce grand Ssostris pilla toute ta terre.
Roboam eut pour successeur son fils Abiam, qui rgna trois ans seulement, mais qui ne perdit
pas son temps, puisque, d'aprs le livre des Chroniques, il tua, dans une seule bataille, cinq
cent mille soldats de l'arme du roi d'Isral. Et Jroboam n'eut plus de forces pendant le
rgne d'Abiam. Or, quand Abiam vit son royaume affermi, il prit quatorze femmes, et il en eut
vingt-deux fils et seize filles. (2 Chroniques 13:20-21) Comptons un peu! Trois ans de
rgne, dit le livre des Rois (15:2); victoires sur Jroboam, pendant la premire anne; que
dites- vous donc, ami lecteur, des vingt-deux fils de cet Abiam et de ses seize filles, soit
trente-huit enfants, dont ces quatorze femmes accouchent en deux ans de temps?... Ah! voil
une poque merveilleuse, dcidment!
Dans le livre des Rois, nous avons deux versets contradictoires au chapitre 15. Abiam, qui
rgna trois ans, avait sa mre qui s'appelait Mahaca et qui tait fille d'Absalon (v. 2).
Parmi les vingt-deux fils qu'eut Abiam, ce fut Asa qui lui succda. Asa rgna quarante-et-un
ans; sa mre s'appelait Mahaca, et elle tait fille d'Absalon (v. 10). Il faudrait pourtant
s'entendre: la reine Mahaca ne pouvait tre la fois mre et grand'mre du jeune roi Asa.
Quoiqu'il en soit, Asa tant mineur, Mahaca eut la rgence. Ah! pour le coup, ce fut du
propre! Non seulement, cette fille d'Absalon se livrait la boisson d'une faon dplorable;
mais encore elle s'tait pay un magnifique Priape, en guise de divinit. Le veau d'or tait
dpass. Mais, heureusement, pour l'amour de David, Dieu avait allum une lampe dans
Jrusalem ; et cette lampe, c'tait le jeune roi Asa. a Et Asa, petit-fils de Rboam, marcha
droit devant l'ternel, comme son aeul David l'avait fait; car il chassa de pays tous ceux qui
se prostituaient; et mme il dposa sa mre Mahaca, afin qu'elle ne ft plus rgente; il
l'empcha de sacrifier dsormais Priape, et il brisa le simulacre honteux de Priape, qu'elle
s'tait fait faire, et il le brla dans le torrent du Cdron. Toutefois, il ne dtruisit pas les hauts
198

lieux; nanmoins, le cur d'Asa fut parfait devant le Seigneur, pendant tout le temps de sa
vie. (Rois 15:11-14)
Si Asa fut rcompens?... Vous allez voir a... D'abord, il crasa une invasion, s'il faut en
croire le livre des Chroniques, chapitre 14, et quelle invasion!... Asa avait dans son arme
trois cent mille hommes de la tribu de Juda, portant boucliers et piques, et deux cent quatre-
vingt mille hommes de la tribu de Benjamin, portant boucliers et carquois. Et voici que
Zaraph, roi d'Ethiopie, sortit de son pays et vint combattre en Jude avec une arme d'un
million de soldats, forte de trois cents chariots de guerre, et il s'avana jusqu' Maresca. Asa
rangea ses troupes en bataille devant lui, dans la valle de Tspath. (v. 8-10) Et les
thiopiens furent entirement dfaits, parce que c'tait Jhovah qui les frappait; Asa et le
peuple de Juda et de Benjamin les poursuivirent jusqu' Gurar et les exterminrent. (v. 12-
13)
Cet pisode est d'autant plus admirable qu'il y a fort loin d'thiopie Jrusalem. Cette arme
de cinq cent quatre-vingt mille soldats, fournis par deux tribus seulement, n'est pas moins
merveilleuse que celle d'un million d'envahisseurs; mais on se demande comment le roi
d'gypte, Ssac ou Ssostri s, laissa passer sur son territoire ce flot de barbares... A moins que
les thiopiens n'aient fait le voyage en ballons!...
Une autre rcompense fut dcerne par papa Bon Dieu son excellent ami Asa: Au temps
de sa vieillesse, Asa fut malade des pieds. (Rois 15:23) Ici l'auteur sacr est sobre
d'explications; cette maladie des, pieds n'avait pour but, videmment, que d'augmenter les
mrites du brave Asa. A la fin de la quarante et unime anne de son rgne, il s'endormit dans
le sein de ses pres et laissa sa place son fils Josaphat (v. 25).
Mais voyons un peu ce qui se passait, d'autre part, au royaume d'Isral. Nadab, fils de
Jroboam suivit le train de son pere et commit les mmes pchs (v. 26); son rgne ne
dura que deux ans. Une conspiration d'un certain Bahasa, de la tribu d'Issachar, lui cota le
trne et la vie (v. 27-28); naturellement, Bahasa se proclama roi; il rgna vingt-quatre ans,
pendant lesquels il se comporta, vis--vis de Sabaoth, aussi mal que Jroboam et Nadab (v.
33-34). C'est alors que papa. Bon Dieu, trouvant que cette impit durait trop, parla Jhu et
lui apprit qu'il venait de dcrter la ruine de la famille Bahasa.
Celui-ci, selon l'usage, mourut tranquillement dans son lit, et c'est son fils Ela, qui, aprs un
rgne de deux ans, fut assassin par le nomm Zamri (16:10).
Zamri se subsistua sa victime, massacra toute la famille Bahasa, et il n'en laissa pas vivre
un, ni homme, ni bte, de ses parents ou de ses amis (v. 11).
Le rgne de Zamri fut court: sept jours en tout (v. 15); Amri se mit la tte d'une meute,
et Zamri, dont le rle de flau de Dieu tait termin, se suicida (v. 18).
Amri rgna douze ans (v. 23). La septime anne de son rgne, Amri acheta une montagne
un hbreu, du nom de Somer, moyennant le prix de deux talents d'argent; il btit une ville sur
cette montagne et l'appela Samarie en souvenir de Somer (v. 24). C'est aussi vers ce temps-
l que Hiel, natif de Bthel, rebtit la ville de Jricho (v. 34). Remarque: ces grands rois
d'Isral, qui avaient de si formidables armes, ne possdaient pas une ville passable avant
qu'on et bti Samarie, Jrichoet Sichem. Jricho fut une place importante contre les
irruptions des Arabes et des Syriens; ainsi, Josu avait agi en trs mauvais politique, quand il
la dtruisit entirement, et d'autre part on voit que l'anathme prononc contre Jricho tait
nul, puisqu'il avait t prdit que jamais cette ville ne serait releve de ses ruines.
Ah! nous voici arrivs Achab, l'impie Achab, fils d'Amri; avec ce prince, dont le nom est
donn maudire aux enfants qui plent l'histoire sainte, la Bible va redevenir intressante.
C'est maintenant que nous allons avoir nous occuper aussi de l'impayable prophte lie, cet
homme unique qui n'avait pas de pain manger sur la terre, et qui monta au ciel dans un
charde feu tran par des chevaux galement de feu.
199

Achab rgna sur Isral

Samarie, pendant vingt-deux ans, et il fit tout ce qui est mauvais
devant l'ternel, plus encore que tous ceux qui l'avaient prcd; et comme s'il lui et t peu
de chose de continuer, en les aggravant, les pchs de Jroboam, il prit encore pour femme
Jzabel, fille d'Ithobal, roi des Sidoniens. (v. 29-31) Dieu avait pardonn David son
mariage avec Bethsabe, dont il avait assassin l'poux: il n'avait pas vu de mauvais il le
mariage de Salomon et de la fille du roi d'Egypte; mais qu'Achab ost pouser Jzabel, fille
du roi des Sidoniens, voil ce qui constituait un crime irrmissible!
On comprend facilement qu'un roi aussi impie n'allait pas se contenter de simples veaux d'or
pour faire ses dvotions sacrilges. En effet, Achab dressa un autel Baal, dans un temple
de Baal, qu'il fit btir Samarie; et il servit Baal, et il se prosternait devant lui. (v. 32) Ce
n'est pas tout, apprtez-vous frmir encore: Achab fit un bocage! et ainsi Achab fit encore
pis que tous les rois d'Isral ses prdcesseurs pour irriter Jhovah. (v. 33) Aprs cela, il est
hors de doute que le royal poux de Jzabel agissait par pure malice et qu'il se dlectait en
mettant en courroux papa Bon Dieu.
Un prophte hors ligne devenait donc ncessaire, indispensable; c'est lie le Thesbite que le
seigneur Sabaoth dcrta d'opposer l'archi-impie Achab.
Elie le Thesbite tait un de ceux qui avaient fix leur rsidence Galaad. Il se rendit auprs
du roi Achab, et lui dit: Aussi vrai que le dieu d'Isral est l'ternel vivant, il ne tombera pas du
ciel une goutte de rose ni une goutte de pluie, si je ne l'ordonne au nom du tout-puissant
Dieu. (17:1) Aprs quoi, lie, majestueux, tourne, les talons; mais la Bible ne dit pas
comment Achab prit cette annonce.
Ensuite, le seigneur Adona adressa la parole Elie, et lui dit: Va-t'en d'ici, retire-toi vers
l'orient, cache-toi dans le torrent de Krith, qui est vis--vis du Jourdain; tu boiras l'eau du
torrent, et, quant au reste de ta nourriture, il y sera pourvu par des corbeaux qui j'ai
command. Elie, trs obissant au Seigneur, partit donc, et il tablit sa demeure dans les
ravins du torrent de Krith. Chaque matin, ainsi que chaque soir, des corbeaux lui apportaient
du pain et de la viande; et il buvait l'eau du torrent. (v. 2-6)
Cette ide de nourrir les saints par des corbeaux a t imite depuis dans l'histoire des Pres
du dsert. Un corbeau nourrit pendant soixante ans l'ermite Paul dans une caverne de la
Thbade, il lui apportait chaque jour la moiti d'un pain dans son bec. Paul n'avait que cent-
treize ans, lorsque l'ermite Antoine, g de quatre-vingt-dix, vint lui faire une visite. Alors le
corbeau apporta un pain entier pour le djeuner des deux saints; et cela est trs vrai, attendu
que saint Jrme en donne sa parole d'honneur.
Revenons lie. Mais il arriva, au bout de quelques jours, que le torrent tarit, parce qu'il ne
pleuvait plus nulle part. Alors la voix d'Adona se fit encore entendre au prophte et lui di t:
Maintenant, va Sarepta, qui est prs de Sidon, et tu y habiteras; il y a l une veuve, qui j'ai
command de te nourrir. Il alla donc aussitt Sarepta; et, comme il arrivait la porte de la
ville, il aperut une femme qui ramassait du bois; Elie vit bien qu'elle tait veuve: c'est
pourquoi il l'appela et lui dit: Je t'en prie, puise de l'eau dans un pot, et fais-moi boire. La
femme allait lui chercher de l'eau; mais il la rappela et il ajouta: Je t'en prie, apporte-moi aussi
une bouche de pain. Alors, elle lui rpondit: L'Eternel ton Dieu, qui est vivant, m'est tmoin
que je n'ai pas le moindre gteau; je possde en tout, dans un vase, un peu de farine, peine
de quoi remplir ma main, et un peu d'huile au fond d'une fiole. Je suis donc venue chercher
quelques brins de bois, que j'allume pour faire cuire ce restant de farine; mon fils et moi, nous
le mangerons, et ensuite il ne nous restera plus qu' mourir. Elie lui dit: Aie confiance et fais
ce que je t'ai dit; appr te d'abord pour moi un petit pain cuit sous la cendre, que tu
m'apporteras; ensuite, tu en feras pour toi et ton fils autant que tu voudras; car l'Eternel, dieu
d'Isral, a dcrt que la farine qui est dans ton vase ne diminuera point, ni l'huile dans ta
fiole, jusqu' ce qu'il ait fait pleuvoir sur terre. La veuve s'en alla donc, fit ce qu'Elie lui avait
dit, et puis le logea chez elle, et elle mangea avec son fils et lui plusieurs jours, sans que la
200

farine ni l'huile vinssent manquer, selon la parole que Jhovah avait prononce par la
bouche d'Elie. (v. 7-16)
Or, aprs ces choses, il arriva que le fils de la veuve tomba malade; et la maladie fut si forte,
qu'il expira. Alors, cette femme dit lie: Qu'y a-t-il entre toi et moi, homme de Dieu? Es-tu
venu chez moi pour rveiller devant Dieu le souvenir de mes vieux pchs et faire mourir
ainsi mon fils? lie lui rpondit: Donne-moi ton fils. Il le prit la veuve qui le tenait serr
contre son sein; puis, il le porta dans la chambre o il logeait et le coucha sur son lit. Aprs
quoi, il cria trs fort l'ternel: ternel mon Dieu, as-tu ce point afflig cette veuve, que tu
lui aies fait mourir son fils? Et, ayant ainsi cri, il s'assit sur l'enfant et s'tendit de tout son
long sur le cadavre, par trois fois, en criant encore: ternel mon Dieu, je te prie de faire
rentrer l'me de cet enfant dans son corps! Alors l'ternel entendit la voix d'lie et exaua sa
prire; l'me de l'enfant rentra dans le cadavre, et le corps redevint vivant. Et lie prit l'enfant
par la main et dit sa mre: Regarde, ton fils vit. Et la veuve rpondit lie: Je connais
maintenant que tu es un homme de Dieu et que dans ta bouche la parole de l'ternel est
vritable. (v. 17-24)
Il semblerait, d'aprs ce dernier verset, que la veuve se convertit, car, tant Sidonienne, elle
pratiquait videmment la religion des Phniciens, et nous venons de voir que Dieu, qui avait
d'abord plac son prophte chez les hrtiques du royaume d'Isral, l'en retira
momentanment pour le faire aller chez les infidles. Ce prophte tait plein de sagacit,
puisqu'il avait devin, au premier coup d'il, que la femme qui ramassait du bois tait veuve.
On aura peut-tre trouv tonnant qu'il ait commenc par demander pour lui le seul morceau
de pain qui restait cette femme, et il semble que la veuve, quoique croyante aux faux dieux
de Phnicie, a eu plus de confiance en la parole d'un inconnu lui parlant au nom du Dieu
d'Isral que le prophte n'avait lui-mme confiance en son Jhovah; mais cela n'est qu'une
apparence, vous diront les thologiens: lie prouvait cette femme, et le miracle s'est
accompli en sa faveur, prcisment parce qu'elle n'a pas hsit croire le prophte. Si elle
avait refus de donner lie son dernier morceau de pain, il n'y aurait pas eu de miracle, par
consquent; mais alors ce que Dieu avait annonc son prophte ne se serait donc pas ralis?
Inutile d'approfondir; c'est justement la spcialit du surnaturel d'tre incomprhensible.
Ce qui mrite mieux l'examen, c'est le fait des miracles que Jhovah accomplissait chez les
peuples qui ne pratiquaient pas son culte et qui ne l'adoptaient pas, aprs avoir t tmoins de
ces merveilles. En effet, il n'est pas dit formellement que la veuve de Sarepta embrassa la
religion juive. Cette observation a permis aux critiques de rappeler que tous les peuples de
l'antiquit reconnaissaie nt un Dieu suprme qui communiquait une partie de son pouvoir
ceux qu'il voulait favoriser, tantt des mages d'gypte, tantt des mages de Perse ou de
Babylone, tantt des hrtiques samaritains, des idoltres mme, comme Balaam; ces
critiques ajoutent que chacun conservait ses rites, son culte, ses dieux secondaires, en adorant
le Dieu universel sous un nom qui variait selon les pays. Ceci expliquerait que le pharaon qui
vit les miracles de Mose reconnut la puissance de Dieu et ne changea point de culte, et que la
veuve de Sarepta put reconnatre le pouvoir de l'ternel invoqu par Elie, sans se faire juive
pour cela. Il est bien entendu que, par ces observations, les critiques n'entendent nullement
admettre l'authenticit de ces diverses histoires de miracles; mais ils donnent les explications
que nous venons de reproduire, afin qu'on puisse se rendre compte des conditions dans
lesquelles on a pu inventer ces merveilleuses histoires.
En la troisime anne de ce temps-l, Jhovah adressa de nouveau la parole Elie et lui dit:
Le moment est venu de te montrer Achab; car je vais donner de la pluie la terre. (18:1)
La terre tait donc demeure pendant trois ans sans une goutte de pluie! lie s'en alla donc
pour se montrer au roi d'Isral; or, il y avait une grande famine Samarie. (v. 2) Aprs trois
annes de scheresse, cela se conoit; mais pourquoi la famine svissait-elle Samarie plutt
qu'ailleurs? Et Achab avait appel Abdias, son matre d'htel. Cet Abdias avait une grande
201

crainte de Jhovah; c'est pourquoi, une poque o Jzabel faisait exterminer les prophtes de
Jhovah, il en cacha cent, qu'il nourrissait de pain et d'eau, cinquante dans une caverne et
cinquante dans une citerne dessche. Et Achab avait dit Abdias: Il faudrait au moins sauver
nos chevaux et nos mulets, et, puisque la pluie ne tombe plus, allons vers toutes les fontaines
et vers tous les torrents, et ramassons l'herbe que nous trouverons au bord des eaux qui
coulent, afin que le pays ne soit pas dpeupl de btes. Et ils se partagrent le royaume pour
l'explorer, en allant chacun de son ct; Achab prit par un chemin, et Abdias allait par un
autre chemin. (18:3-6)
On ne voit pas bien ce roi quittant son palais pour aller ramasser de l'herbe et revenir ensuite
garnir les rteliers de ses curies; il semble qu'il aurait d charger ses domestiques de cette
besogne. Mais on pourra rpondre qu'il est sous-entendu que, devant l'effroyable misre qui
avait t fatalement le rsultat de trois annes sans une goutte de pluie, le roi Achab avait
congdi tout son personnel et n'avait gard que son matre d'htel. Le plus extraordinaire
tait qu'il y et encore des fontaines, des torrents, des rivires: les prairies n'existaient plus,
c'est clair, faute de pluie; mais, en l'absence de toute eau du ciel, comment les sources
s'alimentaient-elles? Il est bien amusant de penser que les dvots, qui lisent la Bible et qui y
ont foi, ne se posent aucune de ces questions.
Passons. Abdias, en cherchant de l'herbe, rencontre lie, devant qui il se prosterne et qui lui
dit d'annoncer Achab sa prochaine visite. Cette proposition trouble singulirement Abdias,
qui se tient le raisonnement suivant: Quoi! lie, tu m'invites aller dire au roi mon matre:
Voici lie qui va venir. Mais il arrivera qu' peine je serai parti d'auprs de toi, l'ternel te
transportera en quelque lieu cach que j'ignorerai; alors, moi, j'aurai annonc ta visite
Achab, et, comme on ne te trouvera plus nulle part, Achab croira que je me suis moqu de lui,
et il me tuera. (v. 12) On voit que le bonhomme Abdias craignait Jhovah au point de se
dfier mme d'une fumisterie. Heureusement, lie le rassura et s'engagea, au nom de l'ternel,
se montrer dans les vingt-quatre heures au roi Achab. (v. 15)
Achab, ayant t inform par Abdias, vint au-devant d'lie, et, ds qu'il le vit, il lui dit:
N'es-tu pas celui qui trouble Isral? Mais lie lui rpondit: Ce n'est pas moi qui trouble Isral;
c'est toi et la maison de ton pre, depuis que vous avez abandonn Adona pour adorer Baal.
Mais fais ce que je vais te dire: ordonne tout le peuple d'Isral de se rassembler devant moi
sur les montagnes du Car mel, et fais-y venir aussi les quatre cent cinquante prtres de Baal, et
les quatre cents prophtes des bocages qui mangent la table de ta femme Jzabel. Achab
runit donc sur le Carmel tous les enfants d'Isral et tous les prophtes. Puis, Elie dit haute
voix au peuple:. Jusques quand boiterez-vous des deux cts? Si Jhovah est dieu, adorez-
le; mais si c'est Baal, vous lui devez vos adorations. Et le peuple ne rpondit pas un seul mot.
(18:16-21)
Alors Elie dit encore: Je suis demeur le seul prophte de Jhovah, tandis que les prophtes
de Baal sont ici quatre cent cinquante. Eh bien, qu'on amne deux bufs. Les prophtes de
Baal en choisiront un; qu'ils le mettent en pices, qu'ils le placent au-dessus d'un amas de
bois, mais sans y mettre le feu; et moi, je ferai de mme pour l'autre buf. Invoquez tous le
nom de vos dieux, et moi j'invoquerai le nom du mien. Que le dieu qui exaucera par le feu soit
dsormais votre dieu. Tout le monde lui rpondit: Excellente propositio n! Et lie invita les
prtres de Baal sacrifier leurs choix un des bufs que l'on amena; il dit expressment:
Surtout ne mettez point le feu votre amas de bois. (18:22-25)
Les prophtes d'Achab prparrent donc leur buf comme il tait convenu, et ils
invoqurent Baal depuis le matin jusqu' midi, en s'criant: Baal, exauce-nous! Mais il n'y eut
de Baal ni voix ni rponse. Et ces prophtes sautaient par-dessus leur amas de bois. Quand il
fut midi, lie se moqua d'eux, en ces termes: Criez plus fort, puisque Baal est dieu; mais il a
peut-tre quelqueautre affaire qui l'occupe, ou bien il est au cabaret, ou encore il voyage;
peut-tre aussi, il se peut qu'il dorme en ce moment; ne craignez donc pas de trop crier pour le
202

tirer de son sommeil. C'est pourquoi ces prophtes criaient de toutes leurs forces; ils se firent
aussi dans les chairs des incisions selon leur rite avec des couteaux et des lancettes, jusqu' ce
qu'ils fussent couverts de sang. (18:26-28)
Les critiques font remarquer que le mont Carmel tait sur le territoire des Sidoniens, et que le
royaume de Sidon tait distinct de celui d'Isral, puisqu'il est dit plus haut que Jzabel tait
fille d'Ithobal, roi des Sidoniens. Il n'est pas admissible que les sujets d'Achab soient alls se
runir sur un point situ dans un autre royaume, pour assister l'exprience demande par
lie. Le mont Carmel ne figure donc dans ce rcit que par l'effet d'une erreur gographique du
divin pigeon. Les critiques disent encore que, si l'on veut croire la ralit de cet pisode et le
prendre tel qu'il est narr, il en ressort avec vidence, par l'acceptation unanime et soudaine
que les Isralites font de l'offre d'lie, qu'ils taient de bonne foi; il n'est pas moins vident
que leurs prtres, rputs faux prophtes d'aprs la Bible, avaient autant confiance dans leur
dieu Baal qu'lie dans Jhovah, puisqu'ils se donnaient des coups de couteau et faisaient
couler leur sang pour obtenir le feu du ciel.
Mais il convient mieux de ne retenir de tels rcits, si ridiculement fantaisistes, que certaines
constatations, intressantes pour l'histoire du peuple juif, et ces constatations sont celles qui
restent, une fois qu'on a dgag les anecdotes bibliques de leur cadre de miracles plus ou
moins merveilleux. Il rsulte donc tout simplement de ceci que le peuple d'Isral et le peuple
de Juda adoraient le mme dieu sous des noms diffrents. Isral avait des veaux d'or; mais
Juda avait ses bufs d'or, placs par Salomon dans le sanctuaire avant que Ssac vnt piller
Jrusalem et le temple. Il est clair, par le texte, qu'Isral n'adorait point en ralit ses veaux,
puisqu'il n'adorait que Baal. Or, ce mot Bal, Bel, Baal, signifiait le Seigneur , comme
Adona, Eloa, Sabaoth, Schadda, Jhovah. Les rites, les sacrifices taient entirement les
mmes; les intrts seuls taient diffrents. L'hrsie d'Isral ne consistait donc qu'en ce que
les Isralites ne voulaient pas porter leur argent . Jrusalem, dont la tribu de Juda tait en
possession.
Lorsque le midi fut pass et que les prophtes de Baal se furent puiss en vains efforts,
alors lie rtablit l'autel d'Adona, en prenant douze pierres, selon le nombre des tribus des
enfants de Jacob; puis, il fit une rigole tout autour, arrangea son bois sur les pierres, abattit
son buf et le coupa en morceaux, qu'il disposa au-dessus de son bois, sans le moindre feu. Et
il fit verser sur son bois douze cruches d'eau, de sorte que non seulement le bois fut mouill,
mais encore l'eau coulait dans la rigole et la remplissait tout fait. Alors, Elie s'cria: Adona!
dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob! voil le jour o il faut que l'on connaisse que tu es le
dieu d'Isral, et que je suis ton serviteur, et que c'est par ton ordre que j'ai fait tout cela!
Exauce-moi, ternel, exauce-moi! A peine avait-il fini son invocation, que le feu d'Adona
descendit du ciel et dvora d'un seul coup les morceaux de buf, le bois, les pierres de l'autel,
et mme toute l'eau qui tait dans les rigoles. A cette vue, les gens du peuple s'allongrent par
terre, le visage contre le sol, en criant Oui, Adona est dieu! oui, Adona est dieu! Alors, lie,
les ayant fait relever, leur dit: Maintenant, saisissez les prophtes de Baal et les prophtes des
bocages, et qu'il n'en chappe pas un seul! Et le peuple les ayant pris, lie les conduisit au
torrent de Kison, o il ordonna leur mort, et tous sans exception prirent l. (v. 29-40)
Quelques savants prtendent qu'lie n'est qu'un personnage allgorique, qu'il n'y eut jamais
d'lie. Mais, si lie exista, les critiques disent que jamais juif ne fut plus barbare, attendu que,
d'aprs le texte mme, les prtres de Baal taient aussi dvots leur dieu que lui au sien, et
que leur foi tait aussi grande que la sienne. Ils taient fidles leur dieu et leur roi: il y
avait donc une injustice horrible leur infliger la mort. Et comment le roi d'Isral tolra-t-il
leur excution? C'tait se condamner lui-mme!... De plus, lie devait, en bonne logique,
esprer que le miracle inou de la foudre qui vint, en temps serein, brler instantanment son
buf, son bois, ses pierres et l'eau de ses rigoles, donnerait rflchir ces prtres hrtiques
203

et les convertirait infailliblement. Il devait donc porter sur ses paules les brebis gares; il
devait vouloir le repentir des pcheurs et non leur mort.
Aprs la noyade des prtres de Baal dans le torrent de Kison, Elie dit Achab: Monte,
mange et bois, car on entend le bruit d'une grande pluie. (v. 41) Nous n'avons pas oubli
que, depuis trois ans, toutes les nations de la terre, et celle d'Isral en particulier, attendaient
avec de vifs dsirs le bienfait d'une pluie. lie annonait donc une heureuse nouvelle Achab;
mais il blaguait en disant qu'on entendait le bruit d'une averse, car on n'entendait rien du tout,
ainsi que cela rsulte des versets suivants. Achab monta donc au sommet de la montagne,
pour manger et pour boire, et Elie gravissait aussi le sommet du Carmel. Alors, lie se
prosterna si profondment qu'il tenait son visage entre ses genoux. (v. 42) Peut-tre le
prophte avait t clown, dans sa jeunesse. Puis, Elie dit: Regarde maintenant vers la mer.
L'autre regarda et rpondit: Je ne vois rien. lie reprit: Eh bien! retourne-toi jusqu' sept fois
pour regarder la mer qui est l-bas. A la septime fois, l'autre dit: J'aperois au loin une petite
nue, qui n'est pas plus grosse que le poing d'un homme, et celte nue monte de la mer. lie
dit Achab: A prsent, saute promptement sur un chariot, et descends la montagne toute
vitesse, afin que la pluie torrentielle qui arrive ne te surprenne pas. Puis, les cieux
s'obscurcirent, tant les nuages s'amoncelrent de tous cts; la tempte commena, et il se mit
pleuvoir par quantits d'eau extraordinaires. Achab monta sur un chariot, et lie, s'tant
entour les reins d'une ceinture bien serre, courait devant le chariot d'Achab; il courut ainsi
jusqu' Jizrhel, o le roi mit pied terre. (18:43-46) Le spectacle de ce prophte, sans
parapluie, courant devant le chariot royal de toute la vitesse de ses jambes, ne devait pas
manquer de pittoresque.
Mais voici qu'Achab raconta Jzabel comment lie avait fait mettre mort tous les prtres
de Baal; et, aprs cela, lie reut un message de la reine, qui lui dclarait ceci: Que mes dieux
me traitent avec la dernire rigueur, si demain, cette mme heure, je ne t'ai pas mis dans le
mme tat o tu as mis les prtres! En recevant ce message, lie eut le cur boulevers, et il
s'enfuit en toute hte jusqu' Ber-Scbah; et il s'enfona trs avant dans le dsert. Aprs toute
une journe de course, il s'arrta, trs fatigu; il s'assit sous un gent, et l il demanda Dieu
de lui retirer son me; il dit: J'en ai assez, mon Seigneur! prends mon me, je t'en supplie.
(19:1-4)
Ici, on s'tonne bien de deux choses: premirement, que la reine Jzabel ait t assez sotte
pour avertir lie, par message, qu'elle avait dcrt de le faire assassiner le lendemain, ce qui
lui donnait vingt-quatre heures pour prendre de la poudre d'escampette; secondement, rien
n'est plus singulier que la poltronnerie subite de ce gaillard qui, ayant le pouvoir de ressusciter
les morts et disposant son gr des nues et de la foudre, eut un si beau trac devant les
menaces d'une femme.
Or, lie, aprs sa prire, se coucha et s'endormit sous le gent. Alors un ange le secoua, en
lui criant: Rveille-toi donc et mange! lie se leva et ne vit personne; mais, ct de lui, il y
avait un gteau, sorti tout chaud du four, et une bouteille d'eau. Il en mangea et but, et il se
recoucha. Mais l'ange le secoua encore, en lui criant: Mange tout le gteau, et bois toute la
bouteille! Et Elie se rveilla. L'ange lui dit alors: Tu as un long chemin faire; tu ne pourras
l'accomplir, si tu ne reprends des forces. Il se leva donc et finit le gteau et la bouteille; et,
avec les forces que lui donnrent ce repas, il marcha sans s'arrter pendant quarante jours et
quarante nuits jusqu'au mont Horeb, la montagne de Dieu. (19:5-8)
En dictant l'crivain sacr cette rjouissante histoire, le divin pigeon parat avoir totalement
oubli que, lorsqu'il dictait le rcit des aventures de Mose, il nous reprsenta les Hbreux
marchant trente-huit ans pour se rendre du mont Horeb aux environs de Ber-Scbah. Il nous
semble voir une bonne dvote, qui, frappe de cette contradiction, mais n'osant pas douter,
interrogerait son directeur de conscience.
204

Croyez-vous, par hasard, que le confesseur serait embarrass? Oh! que nenni! Un tonsur sait
toujours quoi rpondre l'ouaille crdule. Du mont Horeb Ber-Scbah, prononcerait-il
avec gravit, il y a trois cent quarante-sept fois plus de distance que de Ber-Scbah au mont
Horeb; voil pourquoi Mose a march trente-huit annes, et lie quarante jours, selon la
parole divine, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Et la fidle ouaille, n'en demandant
pas davantage, admirera d'autant plus la Bible qu'elle la trouvera moins comprhensible.
Quoi qu'il en soit quant la longueur du chemin, il convient de regretter que l'ange de Ber-
Scbah n'ait pas crit quelque part la recette du gteau qui suffit pour la nutrition d'un touriste
pendant quarante jours; et s'il ne l'a pas rvle Elie, au moins aurait-il d la rvler
Tartarin, qui, coup sr, aurait mang de cette galette avant de se mettre en marche pour ses
mirifiques excursions.
Un voyage, qui dbutait d'une faon si merveilleuse, rservait videmment Elie bien d'autres
surprises.
Arriv au mont Horeb, le prophte de Dieu entra dans une caverne et y passa la nuit. La
voix de Jhovah. le rveilla, vers le matin, en lui disant: Elie, que fais-tu ici? (v. 9) lie
n'avait reu de l'ange aucune instruction prcise; il savait qu'il devait se rendre au mont
Horeb, mais c'tait tout. Dans quel but ce voyage? il l'ignorait absolument. La question de
papa bon Dieu tait donc bizarre. Nanmoins, Elie rpondit, en s'excusant au sujet de sa fuite:
Seigneur, les enfants d'Isral ont abandonn ton alliance, ils ont dmoli tes autels, ils ont tu
tes prophtes, et je suis demeur moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l'ter! (v. 10)
Remarquons, en passant, qu'lie conte une blague au seigneur Jhovah: ce n'est pas des
enfants d'Isral qu'il a peur, c'est de M
me
Jzabel, dont il ne parle pas. Les enfants d'Isral
viennent de jeter, pour lui tre agrable, tous les prtres de Baal dans le torrent de Kison; il
n'a gure les redouter! L'apostasie qu'il rappelle, mais c'est de l'histoire ancienne! Le peuple,
tmoin du miracle opr sur le Carmel, a cri: Vive Adona! Jhovah connat, aussi bien
qu'lie, le revirement qui s'est manifest en sa faveur. Vraiment, lie parle pour ne rien dire.
Jhovah ne se proccupe pas de cette rponse. Il reprend: Sors, dit Jhovah lie, et tiens-
toi debout sur la montagne; car je vais passer. Alors, s'leva un vent trs imptueux qui
dracinait les arbres et fendait les rochers, et le mont Horeb se souleva en de violentes
secousses, tellement que les pierres s'arrachaient et se brisaient les unes contre les autres; mais
Jhovah n'tait point dans ce tremblement de terre. (v. 11) Reprsentez-vous lie sur cette
montagne qui se met en danse; on aurait pay cher pour voir a de loin avec une longue-vue.
Et ce n'tait pas finit Aprs le tremblement, la montagne sur laquelle lie se trouvait prit feu
de toutes parts; mais Jhovah n'tait point dans les flammes. Aprs le feu, il y eut le sifflement
d'un petit vent, doux et subtil. (v. 12)
Ne riez pas: Dieu tait dans le petit vent. Aussitt, lie enveloppa son visage de son
manteau, et Jhovah lui dit, d'une voix tonnante: lie, que fais-tu ici? (v. 13) Le prophte
rpte sa rponse de tout l'heure, mot pour mot. Mais l'ternel lui dit: Recommence tout le
chemin que tu as fait, retourne et va-t'en Damas. L, tu oindras Hazal pour roi sur la Syrie.
Tu oindras aussi Jhu, petit-fils de Namsi, pour tre roi sur Isral; enfin, tu verras le bouvier
lise, fils de Saphat, et tu l'oindras prophte ta place. Et il arrivera que quiconque
chappera l'pe d'Hazal sera tu par Jhu, et que quiconque chappera l'pe de Jhu
sera mis mort par lise. (v. 15-17) On n'a jamais pu expliquer ce passage de la Bible,
attendu qu'il n'est dit nulle part qu'lise fut oint ni qu'il ait gorg ceux qui chapprent
l'pe de Jhu.
lie partit donc du mont Horeb, et plus lard il rencontra un homme qui labourait avec douze
coup les de bufs. C'tait lise. Alors, lie passa auprs de lui sans lui parler et lui jeta son
manteau sur les paules.
205

lise laissa aussitt ses bufs, courut aprs lie, et lui offrit de le suivre, aussitt qu'il aurait
pris cong de son pre et de sa mre. (v. 19-20) C'est ainsi qu'lise devint le serviteur
d'lie, sans avoir t oint le moins du monde.
Le chapitre 20 du premier livre des Rois relate une guerre que le roi de Syrie, Bnadab,
encore un inconnu, dclara au roi d'Isral sous un prtexte peu commun. Ce Bnadab, un
beau matin, envoya un messager Achab pour lui dire: Je veux tre le mari de tes femmes et
le pre de te enfants; donne-moi donc tout de suite tes femmes, tes enfants, et, en mme
temps, donne-moi beaucoup d'argent et beaucoup d'or (v. 5). Achab runit les anciens d'Isral
et leur dit: Je crois que ce prince se moque de moi. Les anciens lui rpondirent: Seigneur,
n'coute point Bnadab, et n'acquiesce pas sa demande. Bnadab, voyant sa requte
repousse, entra dans une grande colre et jura que toute la terre de la capitale d'Isral ne
tiendrait pas dans sa main. Dclaration de guerre; terrible bataille; triomphe d'Achab, tout
coup protg par Jhovah, on ne sait pas pourquoi.
Bnadab se rfugie dans la ville d'Aphek et se cache au fond du cabinet le plus retir d'une
maison . Nanmoins, il tombe finalement entre les mains d'Achab, qui, jugeant sans doute
qu'il avait affaire un fou, l'pargne. Dieu se repent d'avoir donn la victoire Achab. Ce
n'est pas plus intressant que a!
Ici se place l'histoire bien connue de Naboth, propritaire d'une vigne Jizrhel, laquelle
vigne tait voisine du palais d'Achab. Le roi fait au bonhomme Naboth des propositions qui
eussent sduit n'importe lequel de nos contemporains. Cette vigne, Achab voudrait l'acheter
pour la transformer en jardin; il offre Naboth de la payer ce qu'il dsirera, sans marchander,
ou, si Naboth prfre, de lui donner une autre vigne d'une valeur bien suprieure.
Naboth repousse les ouvertures du roi. Il tient cette vigne de son pre, et il entend la garder,
quand le diable y serait! Achab, en prsence de cet enttement de paysan, est si mortifi de
son insuccs, qu'il en perd le boire et le manger. Alors, Jzabel fit lapider Naboth par des
coquins qui elle avait graiss la patte, elle conseilla ensuite Achab d'entrer en possession
de la vigne convoite. Ces vnements provoqurent l'intervention d'lie, truchement de
Jhovah. Achab, ayant entendu les menaces profres contre lui, dchira ses vtements et ne
se promena plus, pendant quelque temps, dans sa capitale, sans tre revtu d'un sac. (ch. 2 1)
Les circonstances qui prcdrent la mort d'Achab valent la peine d'tre relates tout au long,
d'aprs le texte sacr: et, d'ailleurs, on ne s'embte pas en lisant le chapitre 22 du premier livre
des Rois qui expose ce qui s'est pass non seulement sur terre, mais encore au ciel, ce sujet.
Nous avons l un certain Miche, prophte de son mtier, qui assiste au grand conseil tenu par
Jhovah dans le royaume ternel, et qui en fait le rapport, en sa qualit de tmoin oculaire; on
n'est pas plus prcis, vous allez voir!
Trois ans se passrent, sans qu'il y eut guerre entre la Syrie et Isral. Ensuite, Josaphat, roi
de Juda, vint rendre visite au roi d'Isral. (22:1-2) Il est bon de savoir que Josaphat, fils du
vertueux Asa, tait lui-mme d'une pit exemplaire envers Jhovah; dans la priode du
royaume de Juda, lui, Josaphat, et le roi zchias, dont il sera question plus loin, sont cits par
les curs comme les deux monarques modles. Il n'en est pas moins vrai que le pieux Josaphat
entretenait avec l'impie Achab les meilleures relations d'amiti; l'idoltrie d'Achab et de
Jzabel l'effarouchait si peu, qu'il leur avait demand et obtenu la main de leur fille Athalie
pour son fils Joram. Notons, en passant, que la reine Jzabel fut trs prolifique, et nous
savons, d'aprs les paroles de Jhovah Abraham et Jacob, qu'une famille nombreuse est
une des meilleures bndictions divines; Achab et Jzabel, quoique idoltres, furent donc
bnis de Jhovah, puisqu'ils eurent (on le verra plus loin) soixante-douze fils, sans compter les
filles, dont Athalie tait l'ane.
Voil donc le pieux Josaphat en visite chez son co-beau-pre Achab. Le roi d'Isral dit ses
officiers: Je viens de me souvenir que la ville de Ramoth-Galaad nous appartient; pourquoi ne
nous mettons-nous pas en devoir de la retirer d'entre les mains du roi de Syrie? (v. 3) En
206

effet, trois ans auparavant, lors de la guerre qu'il avait eue avec Bnadab, roi de Syrie, Achab
avait extermin ses ennemis, et, aprs cette extermination, il n'avait pas pens remettre la
main sur Ramoth-Galaad, ville isralite! On n'est pas plus ngligent. Et Achab, se tournant
aussi vers Josaphat, lui dit: Ne viendras-tu pas avec moi la guerre pour m'aider reprendre
Ramoth-Galaad? Josaphat rpondit au roi d'Isral: Dispose de moi comme de toi, et de mon
peuple comme de ton peuple, et de mes chevaux comme de tes chevaux. (v. 4) Hein! tait-il
assez gentil pour l'impie Achab, notre pieux roi de Juda?...
Toutefois, en sa qualit de dvot, Josaphat conseilla de se renseigner auprs de Jhovah, pour
savoir s'il verrait de bon il cette expdition. Josaphat ajouta: Nanmoins, je t'en prie,
informe-toi de la parole de Jhovah. Alors, le roi d'Isral fit appeler environ quatre cents
prophtes, et leur posa cette question: Irai-je la guerre contre Ramoth-Galaad, ou dois-je
renoncer reprendre cette ville? Les prophtes rpondirent: Vas-y; car Jhovah livrera la ville
entre tes mains. (v. 5-6) Comme on le voit, les prophtes ne manquaient pas chez les Juifs;
huit cent cinquante prophtes de Baal et des bocages avaient t occis au torrent de Kison; au
bout de trois ans, quatre cents prophtes de Jhovah les remplaaient. Josaphat trouvait que ce
n'tait pas assez; il et dsir que pas un prophte ne manqut la consultation. C'est
pourquoi Josaphat demanda: N'y aurait-il pas encore quelque autre prophte de Jhovah que
l'on pourrait interroger? Achab rpondit: Oui, il en reste encore un; mais je hais cet homme-l,
parce qu'il ne prophtise jamais rien de bon, quand il est question de moi. C'est Miche, fils de
Jim la. Josaphat dit au roi d'Isral: Je t'en prie, ne parle point ainsi; il faut respecter tous les
prophtes de Jhovah. Alors, Achab appela un de ses officiers et lui dit: Fais venir Miche en
toute hte. (v. 7-9)
Or, le roi d'Isral et Josaphat, roi de Juda, taient assis chacun sur son trne, revtus de leurs
plus beaux habits, sur la grande place qui tait prs de la porte de Samarie; et tous les
prophtes prophtisaient en leur prsence. Alors, le prophte Sdkias, fils de Canahana, se
mit des cornes de fer sur la tte et dit: Ces cornes frapperont la Syrie jusqu' ce qu'elle soit
dtruite; c'est la parole mme de Jhovah. Et tous les prophtes prophtisaient de mme,
disant aux deux rois: Montez contre Ramoth-Galaad, et vous serez victorieux; car Jhovah
vous livrera la ville. (v. 10-12) On fait remarquer que le prophte Sdkias pouvait prdire
aux deux rois des choses agrables, sans se mettre deux cornes de fer sur la tte. C'et t un
beau spectacle, si tous les autres pro-moment qu'elle venait de Miche; aussi insista-t-i l. Le
roi d'Isral lui dit: Parle-moi avec vrit, je t'en conjure; combien de fois faudra-t-il que je l'en
prie? Allons, dis-moi la parole de Jhovah. Et Miche lui rpondit, cette fois: Eh bien, j'ai vu
Isral tout dispers travers les montagnes, comme un troupeau de brebis qui a perdu son
berger, et Jhovah, qui tait l, disait: Maintenant qu'ils n'ont plus leur matre, qu'ils s'en
retournent en paix, chacun dans sa maison. Alors le roi d'Isral dit Josaphat: Ne t'avais-je
pas prvenu que celui-l ne prdit jamais rien de bon, quand il s'agit de moi? (v. 16-18)
Restait claircir pourquoi les autres prophtes avaient fait des prophties favorables; car les
quatre cents avaient -ils raison contre Miche, ou Miche contre les quatre cents?
Miche reprit donc la parole, et c'est ici que son rcit est surtout admirable. coute, dit-il
Achab, ce que j'ai vu de mes propres yeux, et tu sauras pourquoi tu as t tromp par les
autres prophtes. Jhovah m'a admis le voir, lorsqu'il tait assis sur son trne, et j'ai assist
au conseil qu'il tenait, ayant toute l'arme des cieux devant lui, ainsi qu' sa droite et sa
gauche. Et Jhovah disait: Qui est-ce qui veut se charger de persuader Achab d'aller
combattre contre Ramoth-Galaad? qui lui fera croire qu'il sera victorieux? car, en le trompant
ainsi, sa mort sera certaine. Un ange disait d'une faon, et un autre ange disait d'une autre
faon. Alors, un ange s'avana jusque devant le trne de Jhovah, et, se tenant debout, dit
Dieu: Moi, je me charge de sduire le roi d'Isral. Jhovah lui dit: Comment donc t'y
prendras-tu? L'ange rpondit au Trs-Haut: Je sortirai d'ici et je descendrai sur terr e; l,
j'entrerai dans tous les prophtes, et je dirai des mensonges par leur bouche; ainsi, Achab
207

croira les proph tes. Et Jhovah dit: Ce projet est habilement combin pour tromper Achab;
va, et tu russiras tout fait. Aprs ce rcit, Miche ajouta: O roi, apprends par ceci que
Jhovah a mis un esprit menteur dans la bouche de tous les autres prophtes; mais ceci te
prouve aussi que Jhovah a prononc un arrt de mal contre toi. (22:19-23)
Eh bien, comment trouvez-vous l'anecdote? Est-il assez phtes et tous les officiers de l'arme
s'taient mis des cornes pour opine r!
Le messager qui avait t envoy Miche, trouva ce prop hte dispos venir et promettant
de dire exactement la parole de Jhovah. Arriv devant les deux rois, il commena par dire
comme les autres: Montez contre Ramoth-Galaad, et vous serez vainqueurs, la ville vous sera
livre par Jhovah (v. 13-14). Cette prophtie agrable tonna fort Achab, du bien russi, ce
Jhovah qui manuvre avec ses anges pour tromper les hommes? Lord Bolingbroke, en
commentant ce passage de la Bible, dit que c'est une mauvaise imitation d'un pisode de
l'Iliade (livre 2), o Jupiter, en qute d'expdients pour relever la gloire d'Achille aux dpens
d'Agamemnon, fait tromper celui-ci par un songe menteur. Il se peut, crit le philosophe
anglais, que, les livres juifs ayant t crits trs tard, le prtre qui compila les rveries
hbraques ait imit cette rverie d'Homre. Car, dans toute la Bible, le dieu des Juifs est trs
infrieur au dieu des Grecs: il est presque toujours battu, il ne songe qu' obtenir des
offrandes, et son peuple meurt toujours de faim. Il a beau tre continuellement prsent et
parler lui-mme, on ne fait rien de ce qu'il veut. Si on lui btit un temple, il vient un Ssac, roi
d'Egypte, qui le pille et qui emporte tout. S'il donne en songe la sagesse Salomon, ce
Salomon se moque de lui et l'abandonne pour d'autres dieux. S'il donne la terre promise son
peuple, ce peuple y est esclave depuis la mort de Josu, jusqu'au rgne de Sal. Il n'y a point
de Dieu ni de peuple plus malheureux. Les compilateurs des fables hbraques ont beau dire
que les Hbreux n'ont toujours t misrables que parce qu'ils taient toujours infidles, nos
prtres anglicans en pourraient dire autant de nos Irlandais et de nos montagnards d'Ecosse,
pourtant fort dvots, quoique misrables. Rien n'est plus ais que de dire: Si tu as t battu, si
tu es dans l'adversit, c'est parce que tu n'as pas t assez religieux; si tu donnais plus d'argent
l'glise, tu serais vainqueur, tu prosprerais. Cette, infme superstition est ancienne; elle a
fait le tour de la terre; elle a t le mot d'ordre des prtres de toutes les religions et leur a servi
s'enrichir chez tous les peuples aux dpens de la btise humaine.
Mais les prophtes qui Miche avait donn un dmenti se rebiffrent; Sdkias, l'homme
aux cornes de fer, souffleta Miche (v. 24), et celui-ci fut, au surplus, mis en prison (v. 27).
Aprs quoi, Achab partit en guerre pour reprendre Ramoth-Galaad aux Syriens, et le roi de
Juda se joignit lui (v. 29); ce qui nous permet de constater que le pieux Josaphat crut les
quatre cents prophtes plutt que l'extraordinaire Miche.
Cependant, d'aprs le rcit biblique, il semblerait que le roi d'Isral n'tait pas trs rassur.
Achab, ayant dclar guerre, dit Josaphat: Je vais me dguiser pour aller combat; mais toi,
ne manque pas de revtir tes habits royaux. Et il fut fait ainsi. (v. 30) Le but d'Achab tait
facile comprendre, et l'on se demande quelle dose de navet avait l'excellent Josaphat, aprs
le langage de son co-beau-pre. Or, le roi des Syriens avait fait les recommandations que
voici aux trente-deux capitaines de ses chariots: Vous ne combattrez contre qui que ce soit, ni
petit ni grand, sinon contre le roi d'Isral seul. Il arriva donc que, ds que ces capitaines eurent
vu Josaphat, ils coururent aussitt contre lui, le prenant pour Achab; mais il s'cria: Je ne suis
pas le roi d'Isral! Alors, les capitaines se dtournrent de lui. Et voici qu'une flche, partie de
l'arc de quelqu'un des Syriens, atteignit Achab avec force et le frappa entre les jointures de sa
cuirasse. (v. 31-34) Ainsi prit l'poux de Jzabel; il mourut sur le soir, et le sang de sa
plaie coula trs abondamment. (v. 35) L'auteur sacr nous apprend qu'il avait construit une
maison tout en ivoire (v. 39), mais sans nous donner d'autres dtails.
Achab eut pour successeur son fils an Ochosias, dont la courte histoire est narre dans le
chapitre 1
er
du second livre des Rois. Celui-ci dbute par un accident: un jour, il tomba par
208

la fentre de sa chambre haute, Samarie, et il en fut fort malade. (v. 2) Vu l'absence totale
d'explications, nous en sommes rduit supposer que ce monarque devait tre enclin
l'ivrognerie et qu'il habitait, on ne sait pourquoi, le plus haut tage de son palais; sans doute, le
soir de l'accident, il tait plus saoul que de coutume, et, s'il passa par sa fentre, il est probable
qu'il l'avait ouverte en la prenant pour un placard.
Le dieu des pochards avait empch Ochosias de se tuer sur le coup; nanmoins, le roi
s'inquitait de savoir s'il gurirait de sa maladie. C'est Baal Zboub (dont on a fait
Belzbuth), divinit adore Hkron, qu'il s'adressa en cette circonstance; ce qui scandalisa
lie au plus haut point. Un ange parla au prophte et le chargea de dire aux officiers du roi:
N'y a-t-i l donc pas un dieu en Isral? pourquoi aller consulter le dieu d'Hkron? lie rpta
ces paroles et ajouta: Dites au roi qu'il ne descendra pas de son lit, mais qu'il mourra, puisqu'il
a fait appel Baal-Zboub. (1:3-4)
Les officiers rptrent Ochosias les propos d'lie, sans pouvoir le renseigner exactement
sur l'identit de ce prophte de malheur. Ochosias leur dit donc: Comment tait fait cet
homme qui est venu au-devant de vous et qui vous a prononc de telles paroles? Et ils lui
rpondirent: C'est un homme trs poilu, avec une ceinture de cuir sur les reins. Alors, le roi
s'cria: C'est lie! Et aussitt il envoya vers lui un capitaine et cinquante soldats; et comme le
prophte s'tait tabli sur le sommet d'une montagne, le capitaine des cinquante hommes lui
dit: Homme de Dieu, descends de ta montagne; nous venons te chercher de la part du roi, qui
veut te voir. lie rpondit au capitaine: Si je suis homme de Dieu, que le feu du ciel te
consume, toi et tes cinquante soldats! Aussitt, un coup de tonnerre clata, et la foudre dvora
le capitaine et ses cinquante hommes. (v. 7-10)
Un second capitaine, galement escort de cinquante soldats, fut envoy lie par Ochosias;
rptition exacte de la scne prcdente (v. 11-12). Troisime envoi d'un capitaine. Ce
troisime capitaine de cinquante hommes vint donc lie et se mit genoux devant lui, le
suppliant ainsi: Homme de Dieu, le feu du ciel est descendu ta voix et a consum les deux
premiers capitaines et leur cinquante soldats; mais, maintenant, que ma vie te soit prcieuse,
je t'en prie! Alors, un ange de Jhovah dit lie: Descends avec ce capitaine et n'aie point
peur. lie alla donc vers le roi, et il lui dit: Parce que tu as voulu consulter Baal-Zboub, dieu
d'Hkron, comme s'il n'y avait point de Dieu en Isral pour consulter sa parole, tu ne
descendras point de ton lit, et tu mourras certainement. Ochosias mourut donc, et, comme il
n'avait point de fils, son frre Joram lui succda; et Joram monta sur le trne d'Isral en la
seconde anne du rgne de Joram, roi de Juda, fils de Josaphat. (1: 13-17)
Lord Bolingbroke, commentant cet pisode, s'exprime ainsi: Cet lie, qui fait descendre
deux fois la foudre sur deux capitaines, et sur deux compagnies de soldats envoys de la part
de son roi, ne peut tre qu'un personnage chimrique; car s'il pouvait ainsi se battre coups de
foudre, il aurait infailliblement conquis toute la terre, rien qu'en se promenant avec son valet.
C'est ce qu'on disait tous les jours aux sorciers: Si vous tes srs que le diable, avec qui vous
avez fait un pacte, fera tout ce que vous lui ordonnez, que ne lui ordonnez-vous de vous
donner tous les empires du monde, tout l'argent et toutes les femmes? On pouvait dire de
mme lie: Tu viens de tuer deux capitaines et deux compagnies de soldats coups de
tonnerre, et tu t'enfuis comme un lche et comme un sot, ds que la reine Jzabel te menace de
te faire pendre! Ne pouvais-tu pas foudroyer Jzabel, comme tu as foudroy ces deux pauvres
capitaines? Quelle impertinente contradiction fait de toi tantt un dieu et tantt un goujat?
Quel homme sens peut supporter ces dtestables contes qui font rire de piti et frmir
d'horreur?
On ne voit pas au surplus le motif de cette double extermination foudroyante. Il n'est dit, nulle
part, dans le texte sacr, qu'Ochosias voulait faire jeter Elie en prison; quand celui-ci se
dcide venir vers le roi qui le demande, il lui rpte sa prophtie de mauvais augure et s'en
va tout tranquillement. En outre, si Ochosias avait rellement l'intention de lui infliger le sort
209

de M iche, point n'tait besoin d'assassiner par le feu du ciel cent-deux militaires
parfaitement innocents qui ne faisaient qu'obir leur consigne; il suffisait de les rduire
l'impuissance par une paralysie subite et phmre, qui et t aussi merveilleuse que les
coups de foudre.
D'autre part, propos d'Ochosias, de Josaphat et d es deux Joram, le livre divin contient une
contradiction matrielle qu'il est bon de relever; elle est flagrante.
Il est dit au premier livre des Rois, chapitre 22: Josaphat, fils d'Asa, avait commenc
rgner sur Juda, en la quatrime anne du rgne d'Achab, roi d'Isral. Et Josaphat tait g de
trente-cinq ans quand il commena rgner, et il rgna vingt-cinq ans Jrusalem. (v. 41-
42) Et plus loin, da ns le mme chapitre: Quand Josaphat s'endormit avec ses pres et fut
enseveli avec eux, son fils Joram rgna sa place. (v. 51) Ce Joram, roi de Juda, n'est autre
que l'poux d'Athalie, fille d'Achab. Et Ochosias, fils d'Achab, commena rgner sur Isral
Samarie, en la dix-septime anne du rgne de Josaphat, roi de Juda; et il rgna deux ans sur
Isral. (v. 52).
On ne saurait tre plus clair, plus prcis. Par consquent, puisque la Bible nous dit ensuite
qu'Ochosias n'eut pas de fils et eut pour successeur son frre Joram, il est mathmatiquement
vident que ce Joram, roi d'Isral, monta sur le trne en la dix-neuvime anne du rgne de
Josaphat, c'est--dire tandis que Josapbat avait encore six ans vivre, ou encore six ans avant
l'avnement du Joram, roi de Juda, fils de Josaphat et poux d'Athalie.
Il est donc impossible de concilier le chapitre 22 du premier livre des Rois avec le chapitre i
er

du second livre, puisque ici le verset 17 vient de nous dire: Joram (frre et successeur
d'Ochosias) monta sur le trne d'Isral, en la seconde anne du rgne de Joram, roi de Juda,
fils de Josaphat. Puisque Joram de Juda a succd son pre Josaphat huit ans aprs la mort
d'Achab (selon les versets 42, 51 et 52 du chap. 22), comment aurait-il pu avoir dj deux
annes de rgne, lorsque son beau-frre Joram d'Isral succda Ochosias, galement son
beau-frre?
Voil dj une contradiction stupfiante. Mais attendez!... Un peu plus loin, le chapitre m de
ce mme second livre des Rois dbute ainsi: En la dix-huitime anne du rgne de Josaphat,
roi de Juda, Joram, second fils d'Achab, commena rgner sur Isral Samarie, et il rgna
douze ans. (v. 1) Cette fois, il faut tirer l'chelle! La contradiction est triple. Ce nouveau
verset rduit une anne le rgne d'Ochosias, que le verset 52 du chapitre 22 (premier livre)
fixait deux ans; et la premire contradiction (2 livre 1:17) avait, au contraire, allong de huit
ans ce rg ne du monarque fameux par sa chute inexplique d'une haute fentre!
Qu'on ne nous reproche pas de nous attarder mettre en relief ces maladresses si grossires de
l'crivain sacr. Elles montrent le j'm'en-fichisme des prtres qui ont fabriqu cette stupide,
horrible et obscne Bible, et qui ne prenaient mme pas la peine de se relire!
Cependant, un grand miracle tait dans l'air. En ce temps-l, Jhovah se prparait enlever
lie dans un tourbillon; alors, lie et Elise venaient de Guilgal. Et lie dit Elise: Reste ici,
je t'en prie; car Dieu m'envoie jusqu' Bthel. Mais Elise rpondit: Aussi vrai que Dieu est
vivant et que ton me n'est pas morte, je ne te quitterai point. Ainsi ils descendirent Bthel.
il y avait l des fils de prophtes; ils vinrent vers Elise et lui dirent: Ne sais-tu pas
qu'aujourd'hui Jhovah va enlever ton matre? Il rpondit: Je le sais aussi bien que vous; mais
n'en dites rien personne. Alors, lie lui dit: Elise, je t'en prie, ne va pas plus loin; car il faut
que je m'en aille Jricho o Dieu m'envoie. lie rpondit encore: Aussi vrai que Dieu est
vivant, etc. Ils se rendirent donc Jricho. L aussi il y avait des fils de prophtes; ils vinrent
vers Elise et lui dirent: Ne sais-tu pas qu'aujourd'hui (comme, ci-dessus; et mme rponse
d'Elise). Alors, Elie lui dit: Accordez-moi cela, de rester ici; car Dieu m'envoie jusqu'au
Jourdain. Elise rpondit: Aussi vrai que Dieu est vivant et que ton me n'est pas morte, non,
je ne te quitterai point. Ainsi, ils s'en allrent plus loin, tous deux cheminant ensemble. Et
210

cinquante hommes d'entre les fils des prophtes vinrent, et ils se tinrent vis--vis d'eux, au
loin; et eux, ils s'arrtrent auprs du Jourdain. (2:1-7)
Alors, lie prit son manteau et en frappa les eaux du fleuve; elles se partagrent, et ils
passrent pied sec. Quand ils furent passs, lie dit lise: Demande-moi ce que tu
voudras, avant que je sois enlev d'avec toi. Elise lui rpondit: Eh bien! fais que j'aie de ton
esprit autant que deux personnes pourraient en possder. lie reprit: Tu viens de demander
quelque chose de trs difficile; or donc, si quand je serai en l'air tu me vois, c'est que ta
demande aura t satisfaite; mais, si tu ne me vois pas, c'est que ta demande n'aura pas t
accueillie. Or, comme ils continuaient leur route, tout en causant, voici qu'un chariot de feu
parut, avec des chevaux galement de feu. Ils se trouvrent alors spars l'un de l'autre. Et
lie monta au ciel dans un tourbillon. (2:8-11) Et Elise, le regardant monter, criait: Mon
pre! mon pre! chariot d'Isral et sa cavalerie! Puis, il ne le vit plus; alors, prenant ses
vtements, il les dchira du haut en bas en deux morceaux. Aprs quoi, il se couvrit du
manteau d'lie, qui du ciel tait tomb sur lui, et il s'en retourna vers le Jourdain. Arriv au
bord du fleuve, il s'arrta, et, se dvtant du manteau d'lie, il se mit en frapper les eaux;
mais elles ne se divisrent pas. Alors Elise dit: Eh bien, o est donc le dieu d'lie, l'ternel
mme? Et, ayant frapp une seconde fois les eaux, elles se divisrent droite et gauche, et
lise passa pied sec. (2:12-14)
Quelques questions se posent tout naturellement: Puisque Jhovah avait rsolu de prendre
au ciel lie tout vivant en chair et en os, comme il lit jadis pour noch, pourquoi lui imposer
d'abord cette promenade, vide de toute action quelconque, de Guilgal Bthel, de Bthel
Jricho, et de Jricho au Jourdain? pourquoi, en outre, lui faire passer le Jourdain? le char de
feu, dans lequel lie monta, ne pouvait-il pas l'enlever aussi bien sur la rive droite que sur la
rive gauche du fleuve? Qu'est-ce que cette dose d'esprit d'lie que demande lise? et
finalement lise a-t-il eu ce qu'il demandai t? car le texte dit bien qu'lise regarda d'abord
lie au moment de son dpart dans les airs, mais il ajoute, aussitt aprs ses cris bizarres, qu'il
ne le vit plus; on n'est donc pas fix. Puisque les thologiens nous reprsentent comme
l'tat parfait celui des purs esprits qui, selon eux, peuplent le royaume cleste, puisque rien
n'est plus admirable qu'une me vivant en paradis, dgage de toute matire, le double cas
d'noch et d'lie ne contredit-il pas formellement cette thse? et, d'ailleurs, quoi leur corps
matriel peut-il servir l -haut ce patriarche et ce prophte, dans le domaine de l'infini
surnaturel et immatriel? en quoi la gloire d'Enoch et d'lie est-elle, par ce fait, plus grande
que celle des autres lus, puisque les habitants de l'autre monde ne s'en trouveraient pas
mieux, qu'ils aient ou non une forme, un corps humain? Ainsi, maintenant, quand lie et
Mose causent ensemble au ciel, c'est donc une conversation entre une me sans corps,
s'exprimant par la seule pense, et un corps anim, parlant avec sa bouche, mettant des sons,
tandis que son interlocuteur, pur esprit, n'en met pas?
Enfin, ce char de lumire, ces chevaux de feu, ce tourbillon dans les airs, ce nom mme d'lie
(hlios, soleil) ont fait penser lord Bolingbroke et Boulanger que l'aventure d'lie n'est
qu'une imitation de celle de Phaton, qui s'assit dans le char du soleil. Or, la fable de Phaton
fut originairement gyptienne, et c'est du moins une fable morale qui montre les dangers de
l'ambition. Mais que signifie le char d'Elie? Les crivains juifs, dit lord Bolingbroke, ne sont
jamais que des plagiaires grossiers et maladroits.
Voil donc lise hritier du manteau d'lie et d'une partie de son esprit, tout au moins, s'il n'a
pas la double dose demande. Les fils des prophtes se prosternent devant lui (2:15);
Jricho, il assainit pour toujours les eaux de la ville, en y jetant une poigne de sel (v. 19-22).
lise devait encore se signaler davantage. De l il se rendit Bthel, et, comme il
gravissait le chemin qui tait d'une monte rapide, des petits garons se moqurent de lui, lui
criant: Monte, chauve! monte, chauve! lise, se retournant, les maudit, au nom de Jhovah.
211

Alors, deux ours sortirent d'une fort et dvorrent quarante-deux de ces petits garons. (v.
23-24)
Si cette histoire tait vraie, dit encore lord Bolingbroke, lise ressemblerait un valet qui
vient de faire fortune et qui fait punir quiconque lui rit au nez. Quoi! excrable valet de prtre,
tu ferais dvorer par des ours quarante-deux enfants innocents, pour t'avoir appel chauve!
Heureusement, il n'y a aucune fort aux environs de Bthel, et il n'y a pas d'ours en Palestine;
ce pays est trop chaud. L'absurdit de ce conte en fait disparatre l'horreur. On peut ajouter
que, pour avoir dvor vingt-et-un gamins en quelques bouches, ces deux ours affams
sortaient, sans doute, sinon d'une fort, du moins d'un bar hbreu o ils venaient d'ingurgiter
un formidable apritif.
Le chapitre 3 du second livre des Rois, aprs nous avoir reprsent le bon roi Josaphat encore
en vie, contrairement au dire du chapitre 1
er
, nous raconte que le sieur Mesah, roi des
Moabites, avait pay Isral, jusqu' la mort d'Achab, un tribut annuel de cent mille agneaux
et cent mille moutons avec leur laine . A l'avnement d'Ochosias, le sieur Mesah jugea
bon de ne plus s'acquitter de son tribut; mais Joram, en succdant son frre sur le trne
d'Isral, s'empressa de rclamer les agneaux et les moutons moabites. Refus de Mesah, et.
voil Joram ouvrant la campagne, appuy par deux allis, Josaphat, roi de Juda, et le roi
d'Idume. Mais aprs avoir fait route pendant sept jours, ils n'eurent plus d'eau ni pour leur
arme ni pour leurs btes. Alors, le roi d'Isral, Joram, dit: Hlas! hlas! le Seigneur nous a
runis ici, trois rois ensemble, pour nous livrer entre les mains de Moab. Mais le roi Josaphat
dit son tour: N'y aurait-il point par ici quelque prophte d'Adona, afin que nous consultions
Adona par lui? Un des serviteurs de Joram, rpondit: Oui, il y a ici le bouvier Elise, fils de
Saphat lequel tait valet d'lie. Et Josaphat dit: Celui-l possde la parole de Jhovah. Alors
Joram, roi de Samarie, Josaphat, de J rusalem, et le roi d'Idume allrent trouver lise. (v.
9-12) Notons que le fils d'Achab et le roi d'Idume ne professaient pas le culte de Jhovah; ce
qui fait dire lord Bolingbroke: Si on voyait trois rois, l'un papiste et les deux autres
protestants, aller ensemble chez un capucin pour obtenir de la pluie, que dirait-on d'une
pareille imbcillit? Et si un frre capucin crivait un pareil conte dans le ? annales de son
ordre, ne conviendrait-on pas de la vrit du proverbe: Orgueilleux comme un capucin?
lise dit au roi d'Isral: Qu'y a-t-il entre moi et toi? et pourquoi ne vas-tu pas consulter les
prophtes de ta mre Jzabel? Joram rpondit: Non, c'est de toi qu'il faut que je sache si
Jhovah, ton dieu, nous a runis, nous trois rois, pour nous livrer entre les mains des
Moabites. Alors, lise lui dit: Vive Adona-Sabaoth! si je n'avais pas grand respect pour la
face du roi Josaphat, je ne t'aurais pas seulement cout, et je n'aurais pas daign te regarder.
Maintenant, qu'on m'amne un musicien avec ses instruments de musique. Et, le musicien
ayant fait sa musique, un esprit de prophtie, envoy par Jhovah, entra en Elise. (v. 13-15)
Il est fcheux que l'auteur sacr ne nous dise pas quels taient ces instruments dont la musique
fut ncessaire pour permettre au successeur d'lie de prophtiser.
Alors, Elise dit: De la part de Jhovah, je vous annonce qu'il faut creuser tout de suite des
fosses dans cette valle; vous ne verrez ni vent ni pluie, et nanmoins cette valle sera remplie
d'eaux, dont vous boirez, vous et vos btes. Ce prodige cotera peu de chose Jhovah; mais
il fera plus encore pour vous: il vous livrera les Moabites. Et Jhovah vous ordonne, par ma
bouche, de dtruire aprs la victoire toutes leurs villes fortes et toutes leurs villes principales;
vous abattrez tous leurs arbres fruitiers, vous boucherez toutes leurs fontaines, et vous
couvrirez de cailloux tous leurs champs. (v. 16-19) Dans ces conditions, spcifies par papa
Bon Dieu, on ne voit plus ds lors quoi pouvait servir la victoire; car les Isralites avaient
dclar la guerre aux Moabites, uniquement pour les obliger leur donner chaque anne cent
mille agneaux et cent mille moutons, comme par le pass. Le triomphe, en tant suivi d'une
dvastation complte, les laissait donc jamais privs du tribut convoit.
212

Le lendemain de cette prophtie, il arriva, le matin, qu'on vit venir des eaux coulant sur le
chemin d'Idume, de sorte que toutes les fosses qu'on avait creuses furent remplies d'eaux.
(v. 20) La seconde partie de la prophtie se ralisa comme la premire: les Moabites, ayant
donn l'assaut au camp d'Isral, furent battus honteusement. Les Moabites s'enfuirent, et les
Isralites, les poursuivant, entrrent dans leur pays et les turent. Et ils dtruisirent leurs
villes; et chacun apportait des pierres et les jetait dans les meilleurs champs, de sorte qu'on ne
voyait plus que des caillou x; et ils bouchrent toutes les fontaines et abattirent tous les arbres
fruitiers, jusqu' ne laisser que les pierres Kir-Harseth, que les tireurs de fronde
environnrent et vainquirent. Le roi des Moabites vit alors qu'il n'tait pas le plus fort; c'est
pourquoi il choisit les sept cents de ses soldats qui maniaient le mieux l'pe, et, se mettant
leur tte, il voulut arriver jusqu'au roi de l'Idume; mais il ne put pousser jusque-l. Alors, il
dit son fils an de monter sur le fate d'une muraille; c'est ce fils an qui devait rgner sa
place; et le roi Mesah monta aussi sur la muraille, et l il se jeta sur son fils et l'gorgea.
Cette action causa une telle horreur aux Isralites, qu'ils se retirrent aussitt du pays qu'ils
avaient envahi et s'en retournrent, les uns Jrusalem, les autres Samarie. (3:24-27)
Comme histoire idiote, je crois que celle-ci peut tre mise au premier rang; elle ne ncessite
aucun commentaire.
lise nous est montr ensuite, rditant les miracles d'lie, avec de lgres variantes. Ainsi,
il rencontre (la Bible ne dit pas o) la veuve d'un fils de prophte, qui est dsole de ce que
son dfunt mari lui a laiss des dettes, et, comme elle ne peut pas les payer, les cranciers
veulent lui prendre ses deux enfants et les vendre comme esclaves (4:1). lise demande la
veuve de lui dclarer ce qu'elle possde. La veuve rpond: Ta servante n'a rien qu'un pot
d'huile dans toute sa maison (v. 2). C'est tout ce qu'il faut lise, il commande donc la
veuve d'aller emprunter tous ses voisins leurs pots vides, quels qu'ils soient: puis, de se
renfermer chez elle avec ses enfants et de verser l'huile de son pot dans les autres vases. On
devine le miracle: le pot de la veuve devient inpuisable. La bonne femme, merveille, va
retrouver lise, le remercier, et l'homme de Dieu lui dit: Fais-toi marchande d'huile; car tu
as maintenant de l'huile dont la vente te servira payer ta dette, et mme toi et tes fils vous
vivrez du reste de cette huile jusqu' la fin de vos jours. Ce qu'il y a de plus remarquable
dans ce miracle, ce n'est pas sa ressemblance avec celui d'lie en faveur de la veuve de
Sarepta; c'est qu'lise n'ait plus eu besoin de musique pour l'oprer.
Un certain jour, lise, passant par le village de Sunam, y remarqua une femme, trs riche
propritaire et fort prvenante; cette femme l'invita, avec les plus vives instances, dner chez
elle; c'est pourquoi, chaque fois qu'Elise venait Sunam, il s'arrtait chez cette femme pour y
prendre son repas. Or, la riche Sunamite tait marie, et elle dit son poux: Je suis certaine
que cet homme, qui accepte de manger chez nous, est un saint homme de Dieu. Donnons-lui,
je t'en prie, une chambre la maison, l'tage d'en haut; nous lui mettrons un lit, une table, un
sige et une lampe, afin qu'il puisse coucher sous notre toit lorsqu'il viendra dsormais nous
visiter. Il arriva donc que le premier jour qu'Elise revint Sunam, cette femme lui offrit la
chambre qu'elle avait prpare, et lie s'y reposa. Puis, il dit Guhazi, son serviteur: Fais
monter vers moi cette Sunamite. Et elle vint. Alors, lise dit Guhazi: Demande cette
femme, qui prend tant de soins de nous, ce qu'elle veut que je fasse pour elle; par exemple, si
elle a quelque affaire pour laquelle je pourrais parler en sa faveur au chef de l'arme ou mme
au roi en personne. Elle rpondit: Je n'ai besoin d'aucune protection, car j'habite au milieu des
Sunamites, qui me sont tous trs dvous. Elise reprit, en s'adressant Guhazi: Nous
devons, pourtant, la rcompenser de tous ses soins pour nous; que faudrait-il donc lui faire qui
lui soit agrable? Guhazi lui rpondit: Est-ce que cela se demande? ne vois-tu pas qu'elle n'a
point d'enfant et que son mari est vieux? (Sic) Elise la fit donc revenir dans la chambre. Puis,
il lui dit: L'anne qui vient, en cette mme saison, tu embrasseras un fils. Alors, elle lui
213

rpondit: O bon seigneur, homme de Dieu, fasse le ciel que tu n'aies pas menti ta servante!
Cette femme-l conut donc et enfanta un fils au bout de l'anne. (4:8-17)
Une particularit frappe d'abord dans ce rcit: Elise, ds qu'il est log et nourri par une
dvote, ne pose plus pour tre en mauvais termes avec le roi (Sunam, au pied du mont Gelbo,
dans la tribu d'Issachar, faisait partie du royaume d'Isral); dans son empressement faire
l'aimable, lise offre ses services auprs de Joram, comme s'il tait un de ses favoris, et c'est
ce mme roi Joram qui il dclarait insolemment tout l'heure qu'il ne daignait le regarder ni
lui parler!... On aura remarqu aussi que le texte ne dit pas expressment que ce fut le
prophte qui fit un enfant cette dvote; mais l'auteur le laisse souponner. Rien n'indique
que le vieux mari retrouva les forces ncessaires. Cependant, dans la suite de l'histoire, le
bonhomme est qualifi de pre ; mais tait-il pre la mode de saint Joseph?...
L'enfant, tant devenu grand, allait jouer parmi les moissonneurs. Or, un matin qu'il tait
all retrouver son pre dans les champs de bl, cet enfant dit tout--coup: Ma tte! ma tte!
Son pre le fit aussitt porter sa mre par un domestique. La mre prit l'enfant sur ses
genoux et l'y tint jusqu' midi; ce moment-l, il mourut. Alors, cette femme monta dans la
chambre haute, dposa l'enfant sur le lit du prophte, et sortit, aprs avoir bien ferm la porte.
Ensuite elle cria son mari: Envoie-moi un de tes domestiques et une nesse, et j'irai
l'homme de Dieu; puis, je reviendrai. Son mari lui dit: Pourquoi vas-tu vers lui aujourd'hui?
Ce n'est ni la nouvelle lune, ni le sabbat. Elle rpondit: Tout va bien. Elle fit donc seller
l'nesse et se mit en route avec le serviteur. Ainsi, elle vint vers l'homme de Dieu, sur la
montagne du Carmel; et aussitt qu'lise l'aperut au loin, il dit Guhazi: Voici la
Sunamite. Et il ajouta: Va en toute hte sa rencontre, et demande-lui si elle, son mari et son
enfant se portent bien. Et elle rpondit: Bien. Puis, elle vint vers l'homme de Dieu sur la
montagne et embrassa ses pieds. Guhazi s'approcha pour la repousser; mais lise lui dit:
Laisse-la, car elle a le cur outr; et Jhovah me l'a cach. Alors, la Sunamite dit: Mon bon
seigneur, je ne t'ai pas demand un fils, et quand tu m'en as annonc un, j'ai souhait de ne pas
tre trompe par toi. lise dit Guhazi: Mets ta ceinture, prends mon bton dans ta main et
va-t'en; si tu rencontres quelqu'un sur ta route, ne le salue point, et si quelqu'un te salue, ne lui
rponds point; ensuite tu poseras mon bton sur le visage du petit garon, pour le ressusciter.
La mre dit lise: Je ne te laisserai pas ici; je veux t'emmener. Et il se leva et la suivit. Or,
Guhazi, s'en tant all avant eux et marchant trs vite, arriva le premier Sunam; il posa le
bton sur le visage du petit garon, mais l'enfant ne remua aucunement, et la parole et le
sentiment ne lui revinrent point. Il revint donc sur ses pas, au-devant d'Elise qui il dit: J'ai
fait ce que tu m'a ordonn; mais l 'enfant ne s'est pas rveill, il est toujours mort. (4:18-31)
On se demande ici pourquoi lise envoya son valet ressusciter l'enfant avec son bton,
puisqu'il savait bien, en sa qualit de prophte, que Guhazi ne le ressusciterait pas. On se
demande pourquoi il lui ordonna de ne saluer personne sur son chemin: il est clair que c'tait
pour aller plus vite; mais pourquoi courir si vite pour ne rien faire? Voil bien des simagres
inutiles!
Elise entra donc son tour dans la maison; et voil, le petit garon tait mort et couch
dans son lit. Il ferma la porte de la chambre sur lui, et il pria Jhovah. Puis, il monta sur le lit,
se coucha sur l'enfant, mit sa bouche sur celle de l'enfant, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur
ses mains, et il s'tendit sur lui; alors, la chair du petit garon commena s'chauffer. Mais
lise ne resta pas constamment sur le corps de l'enfant: il quittait la chambre et allait par la
maison, tantt ici, tantt l; puis, ii remontait de temps en temps et s'tendait de nouveau sur
l'enfant. Enfin, le petit garon ternua sept fois et ouvrit les yeux. Alors, Elise appela
Guhazi et lui dit: Fais monter la mre. Et, celle-ci tant venue, il lui remit son fils trs bien
portant. La Sunamite se jeta aux pieds du prophte, se prosterna la face contre le sol; puis, elle
prit son enfant et s'en alla. (v. 32-37)
214

Les critiques se moquent de ce miracle d'Elise, qui ne se distingue de celui d'lie que par la
surabondance de contorsions. Mais les thologiens disent qu'il y a l un sens mystique; savoir,
qu'il faut se proportionner aux petits pour leur faire du bien. Il y a mme des Pres de l'glise
qui ont approfondi plus encore cet pisode; d'aprs eux, rien n'est plus important que l'incident
du bton qui, entre les mains de Guhazi, ne put pas oprer le miracle, dont la russite tait
rserve lise seul: Guhazi et le bton reprsentent la Synagogue, qui Dieu ne permet
pas de ressusciter l'humanit; lise, au contraire, figure l'glise romaine, qui tout russit
pour faire le bonheur des peuples, comme chacun sait.
Avec lise, nous n'avons pas fini de rire. Le prophte revint de Sunam Guilgal et trouva
la famine dans le pays. Encore et toujours la famine! et preuve, toujours, que ce beau pays
de Canaan, avec ces montagnes peles, ses cavernes, ses prcipices, son lac de Sodome, et son
dsert de sable et de cailloux n'tait pas tout fait aussi fertile que papa Bon Dieu l'avait fait
annoncer son peuple par la voix de Mose! lise vit les fils des prophtes, assis en rond
par terre et n'ayant rien manger. Alors, il dit Guhazi: Mets l une grande marmite; car
nous allons faire un bon potage pour les fils des prophtes. Aprs quoi, il envoya son valet
dans les champs pour y cueillir ce qu'il trouverait. Guhazi alla et rapporta des coloquintes
sauvages en grande quantit; et personne ne savait ce que c'tait. Et lise fit mettre toutes ces
coloquintes, coupes par morceaux, dans la marmite qui tait sur le feu, au milieu des fils des
prophtes. La coloquinte est une sorte de petite courge, extrmement amre, qui s'est
employe autrefois en mdecine comme purgatif, mais laquelle on a renonc, parce qu'elle
avait un got par trop mauvais. On voit par l le beau potage qu'lise tait en train de faire
confectionner ses amis de Guilgal. On dressa donc ce potage, et quelques-uns des fils des
prophtes se mirent en manger; mais, ds les premires bouches, ils crachrent et crirent
lise: Homme de Dieu, tu as mis la mort dans cette marmite! Et ils refusrent tous d'en
manger. Alors, lise dit: Qu'on me donne un peu de farine. Il jeta trois pinces de farine dans
la marmite, et il di t: Le peuple mangera de ce potage; qu'on le lui distribue. Et les hommes du
peuple mangrent volontiers; car qui sortait de la marmite d'lise tait devenu trs bon.
(4:38-41)
Or, il vint un homme de Baal-Salisa qui apporta au prophte les prmices de sa rcolte,
savoir, vingt pains d'orge et du grain en pi avec sa paille. lise dit: qu'on distribue cela ce
peuple, afin que tous mangent leur apptit. Mais Guhazi lui rpondit! Comment veux-tu
qu'on distribue ceci? mme en le partageant trs menu; il n'y a pas de quoi en donner cent
personnes. Elise reprit: Donne, te dis-je, donne ce peuple, et qu'ils mangent; car l'ternel
me fait savoir qu'ils mangeront et qu'il y en aura de reste. On distribua donc le pain au peuple,
et chacun prenait dans le tas, et il y avait toujours du pain pour ceux qui se prsentaient
ensuite; ils mangrent tous leur apptit, et ils en laissrent beaucoup. (4:42-44)
Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce miracle, c'est qu'il fut, plus tard, imit par le Christ;
mais alors, lise, tant mort et enterr depuis longtemps, ne put intenter au fils de Marie un
procs en contrefaon.
Le chapitre 5 est consacr l'histoire de Naaman, encore un de ces personnages censment
fort connus, au dire de la Bible, mais dont aucun historien n'a parl. En ce temps-l, vivait
Naaman, gnral en chef des armes de Syrie, homme trs puissant auprs de son roi, et qui
tait trs honor dans son pays, parce que les Syriens lui devaient leur dlivrance; ainsi l'avait
voulu Jhovah; mais cet homme fort vaillant tait lpreux. Or, sa femme avait son service
une jeune fille juive, qui avait t prise par des voleurs syriens dans une incursion sur les
terres du roi d'Isral. Cette jeune fille dit donc sa matresse: Je souhaiterais fort que mon
seigneur Naaman se prsentt devant le prophte qui demeure Samarie; celui-l aurait
bientt fait de le gurir de sa lpre. (v. 1-3)
Ces paroles ayant t rptes au gnral, celui-ci demanda son roi un cong, qui lui fut
accord; le roi de Syrie lui promit, en outre, d'envoyer au roi d'Isral une lettre d'amiti, afin
215

qu'il ait bon accueil dans le pays. Naaman partit, emportant dix talents d'argent, six mille
pices d'or et dix tuniques de rechange (v. 4-5). Mais voici que le roi de Syrie avait commis
un quiproquo. Quand le roi d'Isral, Joram, ouvrit la lettre, il y lut ceci: Ds que cette lettre
te sera parvenue, tu sauras que je t'ai envoy mon gnral Naaman, afin que tu le gurisses de
la lpre. (v. 6). On comprend la stupfaction de Joram cette lecture; mais on comprend
moins la manire dont il prit la chose, au dire de la Bible: Ds que le roi d'Isral eut lu la
lettre, il dchira ses vtements en s'criant: Suis-je un dieu ayant le pouvoir de faire mourir et
de rendre la vie, pour que ce roi envoie vers moi un homme gurir de la lpre? Allons, le roi
de Syrie me cherche une querelle. (v. 7)
Heureusement, Elise eut connaissance de ce qui se passait, et il fit dire Joram qu'il n'avait
qu' lui envoyer Naaman. Sept bains dans le Jourdain, suivant l'ordonnance d'Elise,
dbarrassrent compltement le brave gnral de sa lpre: au septime bain, sa chair lui
revint semblable la chair d'un petit enfant . A vrai dire, Naaman avait t d'abord surpris de
l'ordonnance du prophte: il ne pensait pas tre venu de si loin pour avoir se baigner
purement et simplement; il y avait, pensa-t-il, de beaux fleuves Damas qui auraient pu le
gurir; mais on lui fit comprendre que ces fleuves n'avaient pas la vertu du Jourdain,
purifiante par la vertu d'lise.
Aussitt guri, il vint remercier le prophte: Maintenant, je connais, lui dit-il, qu'il n'y a,
dans toute la terre, pas de vrai dieu autre que celui qui est en Isral. C'est pourquoi, je t'en
prie, accepte les prsents de ton serviteur. lise refusa ces prsents, malgr les instances de
Naaman (v. 8-16).
Naaman dit encore au prophte: Je ne ferai plus d'holocaustes d'autres dieu x; mais je te
demande de prier ton dieu de me pardonner ceci: quand le roi mon matre entrera dans le
temple de Re mnon pour s'y prosterner devant le dieu des Syriens, il faudra que je me
prosterne avec lui; que Jhovah veuille donc me pardonner, chaque fois que je me prosternerai
avec mon roi devant Remnon. lise lui rpondit: Que ton me soit en paix. (v. 17-19)
Mais le dsintressement d'lise dans ces circonstances ne faisait pas l'affaire de Guhazi,
son domestique. Quand Naaman fut parti, Guhazi courut aprs lui, le rejoignit dans la
campagne et lui dit: lise mon matre n'a rien voulu pour lui; mais deux jeunes fils de
prophtes trs pauvres viennent de lui arriver d'Ephram; c'est pourquoi lise te prie de me
remettre, pour ces jeunes gens, un talent d'argent et deux tuniques de rechange. Naaman, tout
joyeux, donna Guhazi, non pas un, mais deux talents, et les deux tuniques. Rentr chez lui,
Guhazi fut puni de son indlicatesse: la lpre, dont le gnral avait t dbarrass, tait
passe sur lui. (v. 20-27)
lise accomplit encore de nombreux miracles.
Un de ces personnages que l'auteur sacr dsigne sous ce nom vague de fils de prophtes ,
se trouvant sur les bords du Jourdain, coupait du bois, un beau jour. Mais il arriva que,
tandis qu'il abattait une pice de bois, le fer de sa cogne tomba dans l'eau; il s'cria: Hlas!...
lise lui dit: O ton fer est-il tomb? L'autre lui montra l'endroit. Alors lise coupa un
morceau de bois, le jeta l, et aussitt le fer vint nager la surface de l'eau. Le fils de
prophte n'eut qu' le prendre et le rajuster au manche (6:1-7). Le miracle aurait t encore
plus beau si le fer tait venu se rajuster lui-mme.
Autre miracle, qui montre quel point Jhovah protgeait lise:
Or, le roi de Syrie, pendant la guerre qu'il faisait Isral, tenait conseil avec ses officiers, et
l'on arrtait que le camp serait tabli en tel endroit. Mais lise envoyait prvenir aussitt le
roi d'Isral; et Joram prenait des mesures en consquence, d'aprs ce que lui avait rvl
l'homme de Dieu; il tait ainsi toujours sur ses gardes, et ceci se produisit plus d'une et deux
fois. Le cur du roi de Syrie en fut troubl; il runit ses officiers et leur dit: Il faut dcouvrir
quel est celui des ntres qui prvient le roi d'Isral de tout ce que nous avons rsolu de faire.
L'un des officiers lui rpondit: Seigneur, il n'y a pas de tra tre parmi nous; mais Elise le
216

prophte, qui est en Isral, sait tout ce que nous disons et rvle au roi Joram les paroles
mmes que tu dis la nuit dans la chambre o tu couches. Le roi de Syrie dit alors: S'il en est
ainsi, il faut savoir o est cet lise, afin que nous nous emparions de lui; c'est la chose la plus
importante pour le succs de notre guerre. On vint apprendre au roi qu'lise tait Dothan,
et il envoya l des chevaux et des chariots, et des troupes nombreuses, qui, la faveur de la
nuit, environnrent la ville. Et voici que le serviteur du prophte, s'tant lev de grand matin
et ayant vu la ville cerne par l'arme syrienne, vint le rapporter lise, en lui disant: Hlas!
comment nous en tirerons-nous? lise lui rpondit: N'aie pas peur; car ceux qui sont avec
nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont avec eux. Et le prophte fit cette prire
l'ternel: O Jhovah, ouvre les yeux de mon serviteur, afin qu'il voie. Alors, le serviteur, ayant
eu les yeux ouverts par Dieu, regarda et vit que la montagne tait couverte de chevaux de feu
et de chariots de feu tout autour d'lise. Ensuite, les troupes syriennes descendirent pour
prendre le prophte, et lise dit Jhovah: O ternel mon Dieu, je t'en prie, frappe ces
soldats ennemis d'aveuglement. Aussitt, les soldats syriens devinrent aveugles. (v. 8-18)
Ici, l'aventure tourne la comdie la plus bouffonne qu'il soit possible de rver. Qu'on
s'imagine ces infortuns militaires, tant les officiers que les soldats, frapps tout--coup de
ccit, et qu'on n'oublie pas surtout qu'il s'agit d'une arme fort nombreuse, puisque la ville o
se trouve le prophte est entirement cerne et qu'il y a l infanterie, cavalerie et chariots de
guerre. Eh bien, si un tel miracle pouvait se produire, il semble que ces milliers d'hommes,
dans leur dsolation d'avoir perdu la vue, n'ont plus song qu' lever le sige, implorer la
piti des Isralites, dont ils avaient envahi le territoire, et ont suppli qu'on les reconduist
chez eux, heureux mme de s'en tirer si bon compte. Pas du tout! D'aprs la Bible, ces
troupes aveugles ne continurent pas moins avoir la prtention de s'emparer d'lise. Et
alors l'auteur sacr fait avaler aux fidles l'une des plus monumentales fumisteries qui aient
t crites par un prtre se fichant des crdules ouailles: lise s'offre conduire officiers et
soldats syriens la recherche d'lise; ces aveugles idiots acceptent, et le prophte les trane
ainsi sa suite jusque dans la capitale du royaume, o les voil prisonniers. Cette blague est
tellement insense, qu'il est ncessaire de reproduire encore le texte divin. lise vint alors
vers les Syriens, devenus aveugles, et leur dit: Ce n'est pas ici la ville o vous trouverez
l'homme que vous cherchez; venez aprs moi, et je vous mnerai cet homme. Et il les mena
Samarie. (6:19).
Reprsentez-vous, par la pense, ces troupes suivant la queue-leu-leu le prophte;
reprsentez-vous tous ces aveugles cheminant de Dothan Samarie, chacun tenant le pan de
l'habit de celui qui marche devant lui, et le premier de ces milliers d'hommes tenant par un
bout de sa tunique le guide lise. Aprs cela, dites s'il est possible une religion de se
moquer plus joyeusement de la foi de ses fidles!
Et il arriva que, sitt que les Syriens furent entrs dans Samarie, Elise, ayant fait refermer
les portes, dit: O ternel, ouvre leurs yeux, afin que maintenant ils voient. Et Jhovah ouvrit
leurs yeux; et ils se virent prisonniers au milieu de Samarie. . (v. 20).
Mais tout est bien qui finit bien, et l'on va constater qu'Elise, magnanime ce jour-l, n'abusa
pas de son triomphe. Ds que le roi d'Isral eut vu les troupes syriennes sa merci, il dit
lise: Mon pre, frapperai-je? frapperai-je? Et il rpondit: Tu ne les frapperas point.
Frapperais-tu de ton pe et de ton arc ceux que tu aurais pris toi-mme prisonniers? Au
contraire, mets du pain et de l'eau devant eux, et qu'ils mangent et boivent, et qu'ils s'en
retournent vers le roi leur seigneur. Et il leur fit faire grande chre; puis, il les laissa aller; et
ils s'en retournrent dans leur pays. Depuis ce temps-l, les troupes syriennes ne revinrent plus
au pays d'Isral. (v. 21-23)
Ce qu'on vient de lire va maintenant, immdiatement, se trouver contredit par la suite. C'est
a, l'Ecriture Sainte! Le verset 23 nous affirme que, par le fait de la gnrosit d'lise, le
royaume d'Isral a eu pour jamais la paix avec le royaume de Syrie. Lisez donc le verset 24:
217

Mais il arriva, aprs ces choses, que Bnadab, roi de Syrie, rassembla toute son arme, et il
partit en guerre et assigea Samarie. Les curs, pour ne pas avoir s'expliquer sur ces
contradictions par trop stupides, ne parlent, dans leurs manuels d'histoire sainte, que du
miracle de l'aveuglement des Syriens.
Voici donc Bnadab de nouveau en scne; c'est ce Bnadab que le rot Achab avait laiss
chapper, ou s'en souvient peut- tre. Et il y eut une grande famine dans Samarie; la tte
d'un ne s'y vendait quatre-vingts pices d'argent, et un quart de boisseau de fiente de pigeons
cinq pices d'argent. a y est! c'est en toutes lettres, c'est le verset 25. Et comme le roi
d'Isral passait un jour le long des remparts, une femme lui cria: O roi, mon seigneur, sauve-
moi! Et le roi lui rpondit: Gomment puis-je te sauver, puisque Jhovah ne vient pas notre
aide? Je n'ai ni pain ni vin; et toi, qu'as-tu? Et la femme reprit: Voil ma voisine qui m'a dit:
Donne-moi ton fils, afin que nous le mangions aujourd'hui, et nous mangerons demain le
mien. Nous avons donc fait cuire mon fils et nous l'avons mang. Je lui ai dit le lendemain:
Faisons cuire ton fils, afin que nous le mangions. Mais elle n'en veut rien faire, et elle a cach
son enfant. Le roi, ayant entendu cela, dchira ses vtements, et alors le peuple vit qu'il avait
un sac sur sa chair en dedans (?). Et le roi dit encore: Que Dieu m'extermine, si la tte d'Elise
demeure aujourd'hui sur ses paules! car c'est lui qui nous vaut cette famine. (6:26-31).
Or, lise tait dans sa maison, et des vieillards se trouvaient avec lui. Le roi envoya donc
vers lui un homme; mais, bien avant qu il arrivt, le prophte dit ses amis: Prenez garde;
quand un messager du roi viendra, fermez bien la porte; car cet homme vient pour me couper
le cou. Tandis qu'il parlait, le bourreau arriva et dit: Le mal dont nous souffrons est sorti de la
main de l'Eternel; que pourrons-nous attendre de plus de Jhovah ? (6:32-33)
Heureusement, si lise tait cause de la famine, il allait bientt changer la face des choses;
savourez. Alors, lise dit: coutez l'ternel qui parle par ma bouche: demain, cette mme
heure, le sac de fine farine se vendra un sicle (trente-deux sous), et pour un sicle aussi on aura
deux sacs d'orge. (7:1)
Pendant ce temps-l, le Seigneur fit entendre dans le camp des Syriens un grand bruit de
chariots, et de chevaux, et d'une grande arme, de sorte que Bnadab crut que le roi d'Isral
avait pay le roi des Ethiens et le roi d'Egypte pour venir son aide. Et tous les Syriens,
effrays, s'enfuirent pendant la nuit, abandonnant leurs tentes, leurs chevaux, leurs nes, et ne
songeant qu' sauver leur vie (v. 6-7)..,. Tout le peuple sortit aussitt de Samarie et pilla le
camp des Syriens, de sorte qu'on vendit le sac de fine farine pour un sicle et les deux sacs
d'orge pour un sicle aussi. (v. 16)
Le chapitre 8, aprs nous avoir appris que la Sunamite, dont lise avait ressuscit l'enfant,
alla passer sept ans chez les Philistins pour n'avoir pas . souffrir de la famine, nous raconte
l'histoire du capitaine Hazal. Pour comprendre, il faut se rappeler que, lorsqu'lie (pas
lise, s. v. p) tait au mont Horeb, Jhovah, qui l'y avait fait venir, lui dit, aprs tremblement
de terre et incendie des rochers: Recommence tout le chemin que tu as fait (quarante jours et
quarante nuits de marche), retourne et va-t'en Damas; l, tu oindras Hazal pour roi sur la
Syrie; tu oindras aussi Jhu, fils de Namsi, pour tre roi sur Isral, etc. (1 Rois 19:15-16) La
Bible ne prend pas la peine d'expliquer pourquoi Elie n'oignit jamais ni Hazal ni Jhu; papa
Bon Dieu ayant prononc les paroles qui viennent d'tre remises sous les yeux du lecteur, il
n'en fut plus question, voil tout. Maintenant, nous en sommes Elise; l'crivain sacr pense
tout--coup Hazal et Jhu, et tant bien que mal il va rparer son oubli, puisqu'il a Elise
sous la main. Enfin! nous allons savoir ce que c'est que cet Hazal!
lise se rendit Damas, et, au temps de ce voyage, Bnadab, roi de Syrie, tait malade. Ses
gens vinrent en hte lui dire: L'homme de Dieu vient d'arriver. Alors, le roi dit Hazal:
Qu'on aille vite au-devant du prophte de Jhovah avec beaucoup de prsents, et qu'on le
consulte pour savoir si je gurirai. Hazal alla donc vers lise, avec quarante chameaux
chargs de cadeaux magnifiques, et quand il fut devant lise, il lui fit part de sa mission,
218

savoir, si le roi Bnadab gurirait de sa maladie. lise lui rpondit: Va-ten, et dis-lui que
certainement il gurira; mais, quant toi, sache que Jhovah m'a dit, au contraire, que
certainement ton roi mourra. (2 Rois 8:7-10) On se demande si l'on rve, quand on lit de
pareilles neries. Pourquoi lise, sachant par Dieu que Bnadab va mourir, dit-il Hazal
d'annoncer son matre sa gurison? et pourquoi, lui prophte, se montre-t-il Hazal sous le
jour peu favorable d'un menteur, conscient de son mensonge? La Bible ne l'explique pas. Tant
de btise dconcerte. Et voil le livre fondamental d'une religion!...
Aprs quoi, l'homme de Dieu, arrtant sa vue sur Hazal, le regarda longtemps; puis, il
pleura. Hazal lui dit: Pourquoi mon seigneur pleure-t-il? lise lui rpondit: C'est que je sais
que tu feras grand mal aux fils d'Isral; tu brleras leurs villes, tu tueras avec le glaive les
jeunes gens, tu craseras la tte des petits enfants; tu fendras le ventre des femmes enceintes.
(v. 11-12) Je suppose que, si un monsieur vous parlait ainsi et si vous tiez convaincu de la
vracit des prophtes, vous reculeriez, saisi d'horreur, en entendant ce langage; que penserez-
vous donc de la rponse du capitaine Hazal? Et Hazal lui dit: Comment veux-tu que je
fasse de si grandes choses (sic), moi qui ne suis qu'un chien? Et lise ajouta: Jhovah m'a
rvl tout cela, et je sais par lui que tu seras roi de Syrie. Alors, Hazal quitta lise et revint
vers Bnadab, son matre, qui lui demanda: Qu'a dit le prophte? Hazal lui rpondit: Il m'a
dit que tu guriras de ta maladie. Mais, le lendemain, Hazal prit une peau de chvre, la
trempa dans l'eau et l'appliqua toute mouille sur le visage de Bnadab, de sorte que celui-ci
fut touff; et Hazal rgna sa place. (v. 13-15) Cette faon de s'emparer d'une couronne
est excessivement peu complique; comme on le voit, aucun des hritiers de Bnadab ne
rclama.
Grce la fin de ce chapitre, nous savons que, dans ses dernires annes, le vieux Josaphat
associa au trne son fils Joram, l'poux d'Athalie; ce qui est quelque peu en contradiction avec
ce que nous avons lu prcdemment, puisqu'il a t dit (1 Rois 22:51) que ce Joram de Juda,
fils de Josaphat, monta sur le trne aprs la mort de son pre. Mais, s'il nous fallait nous
arrter toutes les contradictions de la Bible, nous n'en finirions plus! Joram de Juda
marcha dans une mauvaise voie; tout comme son beau-frre Joram d'Isral, il fit tout ce qui
pouvait dplaire Jhovah. Aussi en fut-il puni par la rvolte des ldumens, qui cessrent de
lui payer un tribut. Joram de Juda avait trente-deux ans, lors de son avnement, est-il dit
encore, et il rgna huit ans. Quand il mourut, Joram d'Isral tait dans la douzime anne de
son rgne. A Joram de Juda succda Ochosias, son fils, donc fils d'Athalie. Ochosias eut la
couronne paternelle vingt-deux ans, n'adora pas Jhovah et ne dura qu'un an. Il s'allia son
oncle Joram d'Isral, pour faire la guerre Hazal, roi de Syrie; mais Hazal battit Joram et
Ochosias. Et Joram, roi d'Isral, s'en retourna Jizrhel pour se faire panser les blessures
qu'il avait reues des Syriens Rama, quand il combattait contre Hazal; et Ochosias, fils de
Joram, roi de Juda, descendit pour rendre visite Joram, fils d'Achab, Jizrhel, parce qu'il
tait malade. (v. 29) Lecteur, vous n'allez pas tarder frmir; car de terribles massacres sont
en prparation par la volont divine.
En ce temps-l, le prophte lise appela un des fils des prophtes et lui dit: Mets une
ceinture bien serre autour de tes reins, prends cette petite fiole d'huile, et va-t'en Ramoth de
Galaad; quand tu seras l, tu verras Jhu, fils de Josaphat, fils de Namsi, et, l'ayant fait entrer
dans une chambre secrte, tu lui verseras sur la tte tout le contenu de ta fiole, en lui disant:
Voici comment parle Adona: Je t'oins roi d'Isral. Aprs quoi, tu ouvriras la porte, et tu
t'enfuiras toutes jambes. (9:1-3) Le jeune prophte, qui avait remplac Guhazi auprs
d'lise, se rendit donc Ramoth et excuta fidlement ces instructions, au grand
bahissement du capitaine Jhu. Nanmoins, une fois qu'il eut reu son huile, il se dit que
celte onction tait chose des plus srieuses, et il raconta aux autres officiers de la garnison ce
qui venait de lui arriver. Alors, les officiers prirent chacun leurs vtements et les placrent
sous lui, de faon l'lever trs haut, et ils sonnrent de la trompette, et s'crirent: Vive Jhu,
219

qui a t fait roi! Ainsi, Jhu, fils de Josaphat, fils de Namsi, fit une conjuration contre Joram,
roi d'Isral. (v. 13-14)
Nous voici maintenant retombs dans un pouvantable labyrinthe d'assassinats n'en plus
finir. Nous avons vu l'horrible mission donne Hazal de la part de Dieu, mission qui
commence par le meurtre de Bnadab et qui doit se continuer par les carnages les plus
affreux: le nouveau roi de Syrie devra craser la tte des petits enfants et fendre le ventre des
femmes enceintes. Jhu, lui aussi, l'ordre de se vautrer dans le sang. Le crime des Joram,
Ochosias et autres princes tait d'adorer Baal au lieu d'Adona. C'est ainsi que la Bible
enseigne la tolrance.
Ayant t proclam roi par la garnison rvolte de Ramoth-Galaad, Jhu monta cheval et
s'en alla Jizrhel; car Joram, roi d'Isral, tait l malade, et Ochosias, roi de Juda, son neveu,
y tait aussi, tant venu le visiter. Or, une sentinelle, place sur une tour Jizrhel, vit la
troupe de Jhu qui venait et la signala. Et Joram envoya un messager pour dire: Que signifie
ce mouvement de troupes? ne sommes-nous pas en paix? (v. 16-17). Ce messager ne
revenant pas, Joram en envoya un autre qui ne revint pas davantage. Alors, Joram fit atteler
son chariot, y monta, Ochosias monta de son ct dans son chariot, et tant sortis de Jizrhel,
ils allrent pour rencontrer Jhu. Et ds que Joram l'eut aperu, il lui dit: Apportes-tu la paix,
Jhu? Mais Jhu rpondit: Quelle paix serait donc possible, tandis que ta mre Jzabel se livre
la prostitution et multiplie tous les jours le nombre de ses enchantements ? (v. 21-22)
Pour dguster dans toute sa saveur ce reproche de Jhu au sujet du dvergondage de la reine
Jzabel, il est ncessaire de se livrer un petit calcul chronologique, en se basant sur les textes
sacrs. Quel ge avait donc alors la veuve d'Achab? Elle tait la mre d'Athalie, et celle-ci
avait environ cent ans!... On ne dit pas quel ge l'une et l'autre se marirent; mais supposons
que la fille d'Achab ait t ge de quinze ans seulement, quand elle fut unie au Joram de
Juda, fils de Josaphat. Nous savons dj que ce Joram ne fut pas dvot Jhovah; le livre
second des Chroniques (ch. 21) nous fait connatre son chtiment: L'ternel excita contre
Joram l'esprit des Philistins et des Arabes, voisins des Cusciens; lesquels montrent contre
Juda et pillrent tout, mme la maison du roi; et aprs cela, l'ternel le frappa dans ses
entrailles d'une maladie incurable. Au bout de deux ans, la maladie tait si forte que ses
entrailles lui sortaient du corps, et il mourut dans de grandes douleurs. (v. 16-19). Et le
chapitre 22 dbute par ces renseignements prcieux: Alors, les habitants de Jrusalem
tablirent pour roi sa place Ochosias, le plus jeune de ses fils, parce que les troupes arabes
qui taient venues avaient tu tous ceux qui taient plus gs que lui. Or, Ochosias, fils de
Joram, roi de Juda, tait g de quarante-deux ans quand il commena rgner, et il rgna un
an Jrusalem et sa mre tait Athalie. (v. 1-2). Le nombre des frres d'Ochosias nous est
donn au verset 14 du chapitre x du second livre des Rois: ils taient quarante-deux .
Maintenant, rcapitulons. Athalie, marie au plus tt quinze ans, a pu avoir son premier fils
un an aprs. Admettons qu'elle n'ait jamais eu que des garons, puisque la Bible ne parle pas
de filles de cette reine: Ochosias tant n le quarante-troisime, Athalie avait donc cinquante-
huit ans, lorsqu'elle mit celui-ci au monde; et, par consquent, elle avait exactement cent ans,
lorsqu'Ochosias, g de quarante-deux ans, monta sur le trne. D'o il rsulte que Jzabel,
mre d'Athalie, avait au moins cent vingt ans, lorsqu'elle se livrait la prostitution, son fils
Joram rgnant sur Isral et son petit-fils Ochosias rgnant sur Juda. On comprend sans peine
que, pour tenter encore des amoureux, la vieille Jzabel avait besoin de multiplier le nombre
de ses enchantements!
La rponse de Jhu n'tait pas faite pour rassurer le fils de Jzabel. Alors, Joram tourna
bride et s'enfuit, disant Ochosias: Nous sommes trahis. Et Jhu prit son arc pleine main, et
il frappa Joram entre les paules, de sorte que la flche lui traversa le cur, et il tomba sur ses
genoux dans son chariot. (2 Rois 9:23-24) Ochosias, roi de Juda, s'tait enfui aussi. Mais
220

Jhu l'avait poursuivi et avait dit: Tuez-le de mme dans son chariot. C'est dans la monte de
Gr, prs de Jiblham, qu il fut frapp; puis, il s'enfuit Maggeddo, et mourut l. (v. 27)
Voici, prsent, le tour de Jzabel. Jhu vint donc Jizrhel; et Jzabel, l'ayant entendu,
farda son visage, orna sa tte, et elle se montra Jhu par la fentre. (v. 30) Cette vieille de
cent vingt ans comptait encore sur ses charmes pour sduire l'usurpateu r! Et comme Jhu
franchissait le seuil de la porte, elle lui dit: Cela a-t-il port bonheur Zamri, d'avoir tu son
roi? (v. 31) On se rappelle que Zamri, ayant massacr le roi Bahasa et toute sa famille, ne
rgna que sept jours et se suicida, lors du succs de l'meute d'Amri.
Alors, Jhu leva la tte vers la fentre, et il dit: Qui veut venir ici de mes gens? qui? Deux
ou trois officiers le regardrent. Jhu leur dit: Jetez cette femme par la fentre. Et ils la
jetrent, et son sang rejaillit contre la muraille et contre les chevaux; et il la foula aux pieds.
Puis, il entra dans la maison royale, et il mangea et but. Aprs quoi, il dit: Allez voir
maintenant cette maudite femme, et ensevelissez-la; car elle est fille de roi. Ils s'en allrent
donc pour l'ensevelir; mais ils ne trouvrent rien que le crne, les pieds et les poings. Et, tant
retourns, ils le lui rapportrent; et Jhu dit: Ainsi s'est accomplie la parole de Jhovah, qui,
par la bouche d'Elie, a annonc que dans le champ de Jizrhel les chiens mangeraient la chair
de Jzabel et que son cadavre serait comme du fumier, si bien que nul ne pourra dire: C'est ici
Jzabel. (v. 32-37)
Mais nous savons que Jzabel avait t prolifiqu e; Joram laissait des frres aptes lui
succder. Or, Achab avait eu encore soixante-dix fils; et Jhu crivit des lettres et les
envoya Samarie, aux principaux de Jizrhel, aux anciens, tous ceux chez qui ces enfants
d'Achab logeaient. (10:1). Ces lettres ordonnaient l'extermination de tous ces princes.
Aussitt donc que les ordres de Jhu furent parvenus aux anciens, ceux-ci prirent les fils
d'Achab et les gorgrent; puis, ils envoyrent Jhu les soixante - dix ttes dans des paniers.
(v. 7) Jhu fit encore mourir tous les amis et tous les officiers attachs la maison d'Achab
(v. 11). Aprs cela, Jhu, allant Samarie, rencontra en chemin les frres d'Ochosias, roi de
Juda. Ils rpondirent: Nous sommes les quarante-deux frres d'Ochosias. Alors, Jhu dit ses
gens: Eh bien, qu'on les saisisse tout vifs! Et, les ayant ainsi capturs, il les fit gorger tous les
quarante-deux, auprs du puits d'une maison de bergers; et pas un ne survcut ce massacre.
(v. 12-14) Il n'est pas mauvais de rappeler que ces quarante-deux fils d'Athalie avaient dj
t tus par les Arabes, puisqu'Ochosias, quarante-troisime et le plus jeune de la famille,
n'avait succd son pre, le Joram de Juda, qu' cause de cette premire extermination de ses
ans... Ah! le cruel Jhu! il assassinait mme les revenants!...
Si vous croyez que cette fois c'est termin, vous vous trompez bien. Jhu annona qu'il allait
donner de grandes ftes en l'honneur de Baal. Et il convoqua tous les prtres de Baal, en
disant: Que pas un ne manque, car je veux faire un grand sacrifice Baal, et ceux qui ne
viendront point seront tus. Mais Jhu tait trs rus, et il agissait ainsi pour faire prir
quiconque servait Baal. Et il fit publier dans tout Isral l'annonce de cette fte solennelle. Et
tous les serviteurs de Baal vinrent, sans qu'un seul manqut; le temple de Baal, ce jour-l, fut
rempli d'un bout jusqu' l'autre. (10:19-21) Pendant que l'on faisait des sacrifices au dieu
rival de Jhovah, le temple fut cern par les troupes de Jhu. Et, ds qu'on eut achev
l'holocauste, Jhu dit aux archers et aux capitaines: Entrez, tuez-les, qu'il n'en chappe aucun!
Les archers donc et les capitaines les firent passer au fil de l'pe, et ils les jetrent l. Puis, ils
tirrent les statues hors du temple et les brlrent. Et ils dmolirent la statue de Baal, et ils
dmolirent de fond en comble le temple de Baal. Ainsi Jhu extermina Baal du milieu d'Isral.
(v. 23-28) Maintenant, lecteur, calez-vous bien contre un mur, pour ne pas tomber la
renverse. Voici le verset 29: Toutefois, Jhu marcha constamment dans la voie du pch; car
il adorait les veaux d'or qui taient Bthel et Dan. Incomprhensible, n'est-ce pas, le
seigneur Jhu?... Oh! oui, alors! Encore une citation: Or, Jhovah apparut Jhu et lui dit:
Parce que tu as fort bien excut mes ordres en me vengeant de la maison d'Achab, ta
221

descendance rgnera sur Isral jusqu' la quatrime gnration. Mais Jhu persista marcher
hors des voies de Jhovah, et il se souilla de tous les pchs d'idoltrie de Jroboam. (v. 30-
31) Enfin, quoi qu'il en soit, l'usurpateur Jhu rgna vingt-huit ans; sa mort, il laissa sa
couronne son fils Joac haz (v. 35-36).
L'crivain sacr, tout entier aux exploits de Jhu, a nglig de s'occuper d'Athalie.
Heureusement, il se rattrape au chapitre 11. Par suite de l'avnement de l'usurpateur, la fille
d'Achab avait donc eu prendre de nombreux deuils; en quelques jours, on avait gorg sa
mre Jzabel, son frre Joram d'Isral et ses soixante-dix autres frres, son fils Ochosias et ses
quarante-deux autres fils.
Il ne restait la reine de Jrusalem que ses petits-fils, les fils d'Ochosias, Que fit -elle, pour
les prserver de la fureur de Jhu? Elle les gorgea elle-mme. Athalie, mre d'Ochosias,
ayant vu que l'on avait tu son fils, s'leva son tour et extermina toute la race royale. (v. 1)
Il n'y a que dans la Bible que l'on trouve des vengeances de ce numro-l! Ce qui fait dire
Voltaire Athalie, grand'mre du petit Joas, assassine tous ses petits-fils dans Jrusalem, ce
que dit l'histoire sainte, la rserve du petit Joas, qui chappe; elle avait prs de cent ans, et
n'avait, d'ailleurs, aucun intrt les gorger: elle ne commet tous ces prtendus assassinats
que pour le plaisir de les commettre, et pour donner au grand-prtre Joada un prtexte de
l'assassiner son tour. Nous avons l, dans cette priode des rois d'Isral et de Juda, des
scnes de meurtre et de carnage, dont on ne pourrait trouver d'exemple que dans l'histoire des
fouines, si quelque coq de basse-cour avait fait leur histoire.
Au surplus, les invraisemblances sont toujours ce qui domine dans la Bible. Comment le plus
jeune des fils d'Ochosias est-il sauv du massacre gnral? Il est sauv par sa tante Josabeth,
qui le cache. Or, qui est cette Josabeth? Elle est sur d'Ochosias et fille d'Athalie (2 Rois
11:2); elle est encore l'pouse du grand-prtre Joada (2 Chroniques 22:11). Ainsi, la reine
Athalie, fameuse par son impit, Athalie qui ne reconnaissait que Baal pour Dieu, avait
mari sa fille au grand-prtre de Jhovah! Et le petit Joas fut lev en secret dans le temple.
Pendant six annes, Athalie rgna seule (2 Rois 11:3), et elle ignora tout fait ce complot
permanent de son gendre. En la septi me anne, Joada runit des capitaines fidles
Jhovah, leur montra le jeune fils d'Ochosias, le proclama roi, et Athalie, qui tait accourue
pour voir ce qui se passait, fut gorge dans la rue qui conduisait aux curies du palais de
David (v. 16). Par la mme occasion, on massacra Mathan, le grand-prtre de Baal, c'est--
dire le concurrent de Joada (v. 18).
Le chapitre 12 du second livre des Rois est consacr au rgne de Joas, qui n'est pas des plus
brillants. Tout ce qu'on y trouve d'intressant, c'est la glorieuse invention de la tirelire par le
grand-prtre Jo ada. Le temple ayant besoin de rparations, Joas avait dit que les prtres s'en
chargeraient, et que, pour cela, ils recevraient diverses sommes, soit de l'impt du
recensement, soit de la gnrosit des fidles. A la vingt-troisime anne du rgne de Joas,
aucune rparation n'avait encore t faite; mais les pr tres n'en avaient pas moins encaiss
tout le temps (v. 6). Le roi, se dcidant mettre ordre cet tat de choses, dcrta que les
prtres ne recevraient plus directement l'argent, et, par consquent, qu'ils n'auraient pas la
charge des rparations. Alors, le grand-prtre Joada prit un coffre bien ferm, fit une fente
son couvercle, et le plaa prs de l'autel main droite, l'endroit par o l'on entrait dans la
maison de l'ternel; et tout l'argent qui tait apport au temple tait mis dans ce coffre. Ds
qu'on voyait que le coffre tait plein, le secrtaire du roi et le grand-prtre l'ouvraient
ensemble, comptaient l'argent et le mettaient dans des sacs; ensuite, ils dlivraient cet argent
bien compt entre les mains de ceux qui avaient la charge de faire faire les rparations par les
maons et les charpentiers. (v. 9-10) On le voit, sans l'invention de la tire-lire, le temple
n'aurait jamais t rpar.
Du livre des Rois, il rsulte que Joas fut un pieux monarque; mais, d'aprs le livre des
Chroniques, il finit par mal tourner (livre 2, ch. 24): il restaura le culte des idoles des bocages
222

et autres faux dieux, au grand scandale de Zacharie qui, la mort de Joada son pre, tait
devenu grand-prtre de Jhovah. Joas, irrit des reproches de Zacharie, le fit assommer
coups de pierres, dans le parvis mme du temple (12:21). A son tour, Joas fut gorg par deux
de ses domestiques, les sieurs Zabad et Jhozabad (v. 26). Ce roi avait rgn quarante ans.
Son fils Amasias lui succda.
En reprenant le livre des Rois, nous savons qu'en Isral le terrible Jhu eut pour successeur
son fils Joachaz, lequel se moqua de Jhovah comme d'une guigne, pendant les dix-sept
annes de son rgne; aussi, durant dix-sept ans, son royaume fut dvast par les rois de Syrie,
Hazal, d'abord, et Bnadab, fils d'Hazal, ensuite. Si les Isralites furent mis en capilotade,
ce n'est rien de le dire! Qu'on en juge par ce verset: De tout le peuple de Joachaz il ne resta
que cinquante cavaliers et dix mille fantassins, tant le roi de Syrie les dtruisit et les rendit
menus comme la poudre qu'on foule dans l'aire. (2 Rois 13:7)
A Joachaz, succda son fils Joas, qu'il ne faut pas confondre avec le Joas, roi de Juda. Le Joas
d'Isral, petit-fils de Jhu, fit la guerre Amasias, fils du Joas de Juda, le battit plates
coutures Bethsms, fit aux remparts de Jrusalem une brche de quatre cents coudes, et
pilla tous les trsors du temple et de la maison royale.
C'est sous le rgne du Joas d'Isral que le prophte Elise mourut. Or, Elise avait t
malade; et Joas, roi d'Isral, tant venu le voir, ne put retenir ses larmes, qui coulrent de ses
yeux sur le visage du prophte. Et Joas s'cria: Mon pre! mon pre! chariot d'Isral et sa
cavalerie! (13:14) Voil la deuxime fois que nous trouvons dans la Bible cette bizarre
exclamation; aucune explication n'en est donne par l'auteur sacr; mais peu importe.
Continuons. lise dit au roi Joas: Prends un arc et des flches... Puis, il lui dit: Ouvre la
fentre l'orient; tire une flche par la fentre. Et Joas tira. Alors Elise s'cria: C'est la flche
de la dlivrance de l'ternel, et la flche de la dlivrance contre les Syriens. Tu frapperas donc
les Syriens Aphek, jusqu' les consumer. Il lui dit encore: Prends de nouveau des flches, et
maintenant, au lieu de tirer en l'air, tire contre terre. Et Joas tira ainsi trois flches; puis, il
s'arrta. Alors, lise se mit en colre, et lui dit: Roi imbcile, il fallait tirer au moins cinq ou
six flches; ainsi tu aurais frapp les Syriens jusqu' les dtruire; mais maintenant tu ne les
battras que trois fois. Aprs avoir dit cela, lise mourut, et on l'ensevelit. (v. 15-20)
On cherchera vainement comprendre, croyons-nous, pourquoi le roi d'Isral, dont les
sujets mles avaient t rduits dix mille cinquante, sous le rgne prcdent, aurait
extermin les Syriens, s'il avait tir six flches contre terre, au lieu de trois. lise savait donc
non seulement ce qui devait arriver, mais encore ce qui ne devait pas arriver. C'est beau!
L'anne suivante, un fait merveilleux se produisit: des gens transportaient un homme mort
pour l'ensevelir. Or, voici que ces gens s'effrayrent en voyant venir une bande de voleurs, et
ils jetrent la hte leur cadavre dans un spulcre qui tait l, et ils s'enfuirent; c'tait le
tombeau d'Elise. Alors, le cadavre, ayant roul sur les ossements du prophte, tressaillit en
les touchant, revint la vie, et, s'tant lev sur ses pieds, se mit courir. (v. 21)
Evidemment, les voleurs eurent le trac, et se mirent courir aussi. Les critiques, jamais
contents, font encore des objections. Ils demandent pourquoi Jhovah ne ressuscita pas lise
lui-mme, au lieu de ressusciter un pkin quelconque, un personnage parfaitement inconnu et
nullement intressant, jet par hasard dans la fosse du prophte. Ils demandent comment cette
fosse se trouvait l ouverte, si propos, au bout d'un an. Ils demandent ce que devint ce
ressuscit et s'tonnent de ce que, dans sa seconde vie, aprs un vnement aussi
extraordinaire, il n'ait pas jug utile de se faire connatre. Enfin, puisqu'une telle vertu secrte
tait attache aux ossements d'lise, ils demandent comment on n'a plus song la mettre
profit; dire que, grce ce squelette, si l'opration s'tait gnralise, nous serions tous
immortels!
223

De la mort d'lise la fin des royaumes d'Isral et de Juda, nous avons un tel mli-mlo
politique qu'il est difficile de s'y reconnatre si l'on n'a pas la prcaution de placer, avant tout,
sous les yeux du lecteur un tableau de la succession des rois.
En Isral: Joas succde Jroboam II, son fils, qui rgne quarante-un ans (14:23); Jroboam II
a pour successeur son fils Zacharie (v. 29), dernier descendant de Jhu, lequel ne rgne que
six mois (15:8); il est assassin par un certain Sellum (v. 10), qui s'empare du trne et l'occupe
seulement un mois (v. 13); celui-ci son tour est assassin par Manahem (v. 14), autre
capitaine, plus heureux, qui rgne dix ans (v. 17), pendant lesquels il paie tribut Phul, roi de
Ninive (v. 19-20); Manahem meurt tranquillement dans son lit, et a pour successeur son fils
Phacea (v. 22), qui rgne deux ans (v. 23); Phacea est assassin par le capitaine Phace (v.
25), qui monte sur le trne et s'y maintient vingt ans (v. 27), au cours desquels une guerre
avec Tglath-Phalazar, roi d'Assyrie, lui fait perdre toute la Galile et la tribu de Nephthali,
dont les habitants sont emmens en servitude (v. 29); enfin, le capitaine Ose dtrne Phace,
le tue (v. 30), rgne neuf ans (12:1) et est finalement fait prisonnier par Salmanazar, roi
d'Assyrie, qui s'empare de Samarie aprs un sige de trois annes (v. 5) et dtruit le royaume
d'Isral. Ose et ses ex-sujets sont emmens captifs et dissmins Halah, Habor et dans les
villes des Mdes (v. 6).
En Juda: Amasias, aprs un rgne de vingt-neuf ans (14:2), est assassin Lakis par des
conspirateurs (v. 19), et le peuple maintient la couronne son fils Azarias, g de seize ans (v.
21), qui rgne cinquante-deux ans Jrusalem (15:2); Azarias a pour successeur son fils
Jotham ou Jonathan (v. 7), qui rgne seize ans (v. 33); ce roi, qui tait pieux, succda son
fils Achaz (16:1), qui rgna aussi seize ans, mais qui fut impie (v. 2) et se signala par son
alliance avec le roi assyrien Tglath-Phalazar contre le roi d'Isral, Phace, et contre le roi de
Syrie, Retsin (v. 5-9); Achaz a pour successeur son fils Ezchias (v. 20), roi d'une pit
exemplaire, dont nous aurons dire quelques mots, et qui rgne vingt-neuf ans (18:2); c'est
pendant son rgne que le royaume d'Isral est dtruit; son fils Manass lui succde (21:1) et
rgne cinquante-cinq ans, pendant lesquels il commet toutes les abominations qui dsolent
Jhovah (v. 2); Amon, fils de Manass, rgne son tour (v. 19), suit les mauvais exemples de
son pre (v. 20), et, au bout de deux ans, est assassin par ses domestiques; Amon, succde
Josias, son fils (v. 26), qui rgne trente-un ans (22:1) avec pit; tu dans une bataille par le
roi d'gypte Nchao, le pieux mais mal chanard Josias a pour successeur l'un de ses fils,
Joachaz, oint parle peuple (23:29-30); mais Joachaz ne rgne que trois mois (v. 31); fait
prisonnier par Nchao, il meurt en Egypte (v. 34), et Nchao met sur le trne Joachim, autre
fils de Josias, lequel rgne onze ans (v. 36); ce Joachim a pour successeur un autre Joachim,
son fils, que la Bible nomme aussi Jchonias, dont le rgne ne fut que de trois mois (24:8);
Nabuchodonosor, roi de Babylone, ayant envahi alors le royaume de Juda, pilla le temple,
emmena de nombreux prisonniers, parmi lesquels Joachim-Jchonias (v. 10-16), et il mit sur
le trne sa place un troisime fils de Josias (v. 17). Celui-ci, connu sous le nom de Sdcias,
fut le dernier roi de Juda; car, en la onzime anne de son rgne (25:2), Jrusalem fut prise par
les armes de Nabuchodonosor, aprs dix-huit mois de sige (v. 4), les princes royaux furent
massacrs, et Sdcias, ayant eu les yeux crevs et les bras chargs de doubles chanes
d'airain, fut emmen en captivit Babylone, avec tout ce qui restait du peuple (v. 7);
Nabuchodonosor, ayant incendi le temple de Salomon et le palais, laissait Jrusalem en
ruines (v. 9-10).
Enfin, dit Voltaire, voici le dnouement de la plus grande partie de l'histoire hbraque. C'est
d'abord la destruction des dix tribus du royaume d'Isral, et bientt ensuite la captivit des
deux autres tribus; c'est quoi se terminent tant de miracles faits en leur faveur. Les sages
chrtiens voient, avec douleur, le dsastre de leurs pres qui leur ont fray le chemin du salut.
Les sceptiques voient, avec une secrte joie, l'anantissement de presque tout un peuple qu'ils
regardent comme un vil ramas de superstitieux enclins l'idoltrie, dbauchs, brigands,
224

sanguinaires, imbciles et impitoyables. Cette rvolution nous offre un tableau nouveau, et de
nouveaux personnages. Quels taient ces peuples et ces rois d'Assyrie, qui viennent de si loin
fondre sur le petit peuple qui avait habit prs de la Clsyrie, de Dan jusqu' Beer-Sbah,
dans un terrain d'environ cinquante lieues de long sur quinze de large, et qui espra dominer
sur l'Euphrate, sur la Mditerrane et sur la mer Rouge?
Parmi les pisodes qui viennent jeter un peu de gat dans les annales de cette poque o la
dsolation des Juifs clate, il faut citer, en premier lieu, l'histoire de Tobie, qui se rapporte la
captivit des Hbreux du royaume d'Isral.
Cette histoire ne se trouve ni dans le livre des Rois ni dans le livre des Chroniques; elle figure,
part, dans la catgorie des ouvrages que les Juifs dclarent, tout en les respectant, ne pas
avoir t directement inspirs de Dieu. Par contre, les catholiques admettent le livre de Tobie,
et le concile de Trente l'a dclar canonique; cela suffit pour que nous lui donnions place
en rsum, du moins dans cet examen gnral de l'Ancien Testament.
Tobie, de la tribu de Nephtali, fut, du temps de Salmanazar, roi des Assyriens, emmen
captif Ninive. Ceci est le dbut du livre de Tobie. On regrette vivement, en lisant cela, que
le dit Salmanazar n'ait pas fait lever de bonnes cartes gographiques de ses Etats; car on a
bien de la peine dbrouiller comment, tant roi de Ninive sur le Tigre, il avait pu passer par-
dessus le royaume de Babylone pour aller enchaner les habitants des bords du Jourdain, et
conqurir jusqu'aux voisins de la mer d'Hyrcanie. C'est absolument comme si le Grand Turc,
qui rgne Constantinople, allait, en sautant l'Autriche pieds joints, lui et ses bachi-
bouzoucks, faire prisonnire et ramener dans son empire la population du royaume de Prusse.
Mais passons.
Or, Tobie, quittant un jour Ninive, alla faire un voyage Rags, ville de Mdie; et l, ayant
vu que Ga blus, de sa tribu, tait dans le besoin, il lui donna, contre une promesse crite de
remboursement, dix talents d'argent, pris sur les dons qu'il avait reus du roi. (1:15-17) On
s'tonne qu'un captif ait obtenu de telles sommes des libralits du souverain qui gardait sa
nation en esclavage; car dix talents d'argent ne reprsentent pas moins de quarante-cinq
cinquante mille francs de notre monnaie. C'est beaucoup assurment pour le mari d'une
blanchisseuse; Anne, femme de Tobie, blanchissait la toile et faisait des raccommodages (2:
13). On ne saurait trop admirer vraiment ce Tobie, qui s'en va Rags, quatre cents lieues
de Ninive, pour prter ces cinquante mille francs au juif Gablus, qui tait extrmement
pauvre, et qui, selon toute probabilit, serait hors d'tat de les lui rendre jamais! Cela est fort
beau.
Revenu Ninive, un jour qu'il avait employ son temps ensevelir des morts, il s'endormit
au pied d'un mur; un homme assez riche pour prter cinquante mille francs dans Rags
aurait bien d avoir au moins une chambre coucher dans Ninive. Mais Tobie ne s'aperut
point qu'il y avait des passereaux perchs sur la muraille, lesquels fientrent tout chaudement
dans ses yeux, et il en devint aveugle. (2:9-10) Les critiques naturalistes disent que la merde
de moineau ne peut rendre personne aveugle, et qu'on en est quitte pour se laver sur-le-champ.
En ce mme jour. Sara, fille de Ragul, qui habitait Ecbatane, ville de Mdie, fut outrage
par les servantes de son pre. Sara avait t donne en mariage sept maris; mais un esprit
malin (ici les traducteurs catholiques mettent: un diable), nomm Asmode, les avait tus
chaque fois, au moment o ils allaient coter avec elle. Les servantes lui disaient donc: Tu as
touff tes sept maris, l'un aprs l'autre, et tu n'as port le nom d'aucun. Et maintenant tu nous
bats. Va-t'en rejoindre tes maris!... Ayant entendu cela, Sara fut fort contriste, jusqu' vouloir
s'trangler. Mais elle pria Jhovah, en lui criant par la fentre: Seigneur, retire-moi de la terre,
af in que je n'entende plus de tels reproches! Tu sais que je suis pure et que je n'ai point
souill mon nom ni le nom de mon pre, au pays o je suis captive. Je suis fille unique, et il
n'y a aucun de nos proches parents qui je me rserve pour emme; dj il m'en est mort sept;
225

qu'ai-je plus faire de vivre? Mais, si tu ne juges pas bon de me faire mourir, aie piti de moi
et ordo nne que je n'aie plus d'opprobre. (3:7-15)
Jamais les Juifs, jusqu'alors, remarquent les critiques, n'avaient entendu parler d'aucun diable
ni d'aucune sorte de dmons; les bons et les mauvais gnies avaient t imagins en Perse,
dans la religion de Zoroastre, qui enseigne l'existence de deux dieux gaux en puissance, l'un,
Ormuzd, principe du bien; l'autre, Ahrimane, principe du mal, chacun ayant sous ses ordres
une arme d'esprits, les uns bienfaisants, les autres malfaisants. De la Perse, ces gnies
passrent en Chalde et s'tablirent enfin en Grce, o Platon donna libralement chaque
homme son bon et son mauvais dmon. Schamadda, que l'on traduit par Asmode, tait un
des principaux diables. Le bndictin dom Calmet, dans son commentaire sur Asmode, dit
qu'on sait qu'il y a plusieurs catgories de diables, les uns princes et matres dmons, les
autres subalternes et assujettis . Tout concourt donc prouver, dans les divers livres qui
composent la Bible, que les Juifs ne furent jamais qu'imitateurs, qu'ils prirent tous leurs rites,
les uns aprs les autres, chez leurs voisins et chez leurs matres, et non seulement leurs rites,
mais tous leurs contes. C'est ainsi qu'au retour de leur captivit chez les Mdes et les
Assyriens, ils rapportrent les croyances perses et chaldennes et les ajoutrent leurs
dogmes.
Les termes dont se sert l'auteur du livre de Tobie insinuent qu'Asmode tait amoureux et
jaloux de Sara. Cette ide est conforme l'ancienne doctrine des gnies, des sylphes, des
anges, des dieux de l'antiquit ; tous ont t amoureux de nos filles. Nous avons dj vu, dans
la Gense, les fils ou anges de Dieu amoureux des filles des hommes et leur faire des enfants
gants (pages 76 et suivantes). La fable a domin partout. Ce n'est point ici le lieu de
rpter ce que les thologiens ont dit des dmons incubes et succubes; des hommes
miraculeux, ns de ces copulations chimriques; de tous les diffrents diables entrant dans les
corps des garons et des filles en cent manires diverses; des moyens de les faire venir et de
les chasser; enfin, de toutes les superstitions de cette espce dont la fourberie s'est servie dans
tous les temps pour tromper l'imbcillit. Cela nous mnerait trop loin. Cette tude est
rserve l'ouvrage que je prpare sous le titre les Cocasseries de la Foi.
Or, la prire de Tobie et celle de Sara furent entendues devant la gloire du grand Dieu; et
Raphal fut envoy pour gurir Tobie des taies qu'il avait sur les yeux et pour donner Sara en
mariage Tobie fils, en liant Asmode, l'esprit malin, parce que Dieu avait dcid que le droit
de la possder comme femme appartiendrait Tobie fils. (3:16-17)
C'est la premire fois qu'un ange est nomm dans l'Ecriture sainte. Tous les commentateurs
avouent que ces noms sont d'origine chaldenne: Raphal, mdecin de Dieu; U riel, feu de
Dieu; Jesral, race de Dieu; Mikal, semblable Dieu, Gabriel, l'homme de Dieu. Les anges
persans avaient des noms tout diffrents: Mah, Kur, Dubadur, Bahman, etc. Les Juifs tant
esclaves chez les Chaldens, et non chez les Persans, s'approp rirent donc les anges et les
diables des Chaldens, et se firent une thurgie toute nouvelle, laquelle ils n'avaient point
pens encore. Ainsi, l'on voit que tout change chez ce peuple, selon qu'il change de matres.
Quand ils sont asservis aux Cananens, ils prennent leurs dieu x; quand ils sont captifs chez
les rois qu'on appelle assyriens, ils prennent leurs anges bienfaisants et malfaisants.
Un jour, donc, Tobie se souvint de l'argent qu'il avait remisa Gablus, et il se dit en lui-
mme: Pourquoi n'appellerai-je pas Tobie mon fils avant que je meure, pour le lui dclarer? Et
il l'appela et lui di t: Mon fils, si je meurs, ensevelis-moi, et ne mprise point ta mre. (4:1-
3) Suit un long discours, qui se termine ainsi: Maintenant je te dclare que j'ai prt dix
talents d'argent Gablus sur sa promesse, dans Rags, ville de Mdie. (v. 21) Puis, Tobie
remet son fils le billet que Gablus lui a souscrit (5:3) et lui recommande de se trouver un
compagnon de voyage (v. 4). Alors Tobie fils rencontra un jeune homme trs beau, dont la
robe tait retrousse la ceinture; c'tait Raphal; mais il ne savait pas avoir affaire un ange
de Dieu. Il le salua et lui dit: Pourrais-je aller avec toi en Mdie? connais-tu ce pays? L'ange
226

lui rpondit: J'irai avec toi, je connais la route, et mme j'ai log Rags, chez Gablus, notre
frre. (v. 5-8) Comme cela tombait bien! Tobie fils, enchant, prsenta aussitt son pre le
jeune homme la robe retrousse. Celui-ci dclara qu'il se nommait Azarias, de la race du
grand Ananias (v. 15); justement le vieux Tobie avait connu Ananias, qui tait quelque peu
son parent. L- dessus, discussion sur le salaire accorder au voyageur-protecteur: Sera-ce
assez d'une drachme par jour, demanda Tobie, avec les choses ncessaires, comme pour mon
fils? J'ajouterai quelque chose au salaire, si vous retournez avec une pleine russite. Et ils se
mirent d'accord ainsi. (v. 20) Il est assez bizarre que Tobie, qui tait juif et habitait alors
Ninive, ne compte dans ce rcit ni en monnaie juive ni en monnaie mde; car la drachme est
une monnaie essentiellement grecque. Tobie fils se mil donc en route avec le faux Azarias,
et le chien de la maison partit avec eux .
On pense bien que ce voyage ne devait pas se passer sans aventure. Comme ils arrivrent le
soir aux bords du Tigre, ils logrent l. Et le jeune Tobie descendit pour se laver les pieds
dans le fleuve; mais voici qu'un poisson norme sauta hors de l'eau pour le dvorer. Alors,
l'ange lui dit: Saisis ce poisson par les oues. Tobie le prit donc et le tira dehors sur terre.
(6:1-3)
On se demande ici comment un poisson aussi monstrueux, capable de dvorer un homme,
pouvait se laisser si aisment saisir par les oues, comme un simple lapin qu'on suspend par
les oreilles. Mais les thologiens ne sont pas embarrasss pour si peu. Il est vident qu'il
n'existe pas de tels poissons d'eau douce; aussi, ce poisson terrible avait t plac l
exceptionnellement par Jhovah; il avait t cr tout exprs pour les besoins de la cause;
c'tait une mise en scne divine, et il est donc inutile de rechercher l'espce laquelle
appartenait ce monstre aquatique. L'ange dit ensuite au jeune Tobie de fendre le poisson et
de mettre part le cur, le foie et le fiel. Cette opration faite, le poisson fut rti et les deux
compagnons s'en nourrirent jusqu' Ecbatane. Alors, Tobie dit l'ange: Azarias, mon frre,
que ferons-nous du cur, du foie et du fiel de ce poisson que j'ai pris l'autre jour? Raphal lui
rpondit: Le cur et le foie, lorsqu'on les fait griller sur des charbons, produisent une fume
qui chasse le diable ou tout esprit malin troublant un homme ou une femm e; quant au fiel, si
on en graisse les yeux d'un homme devenu aveugle par des taies, cet homme est aussitt guri.
(v. 6-8)
Raphal conseilla ensuite au jeune Tobie de demander l'hospitalit son parent Ragul et de
prendre sa fille Sara pour pouse. Tobie fut fort hsitant sur ce second point. Il dit l'ange:
Azarias, mon frre, j'ai entendu dire que cette jeune fille s'est marie dj sept fois et que tous
ses maris ont t trouvs morts dans la chambre nuptiale. Or, mon pre n'a pas d'autre enfant
que moi, et je crains, si j'pouse Sara, de mourir comme les autres; car il y a un esprit malin
qui l'aime et qui s'attaque quiconque veut coucher avec elle. L'ange lui rpondit: Ne te
souvient-il point que ton pre t'a recommand d'pouser une femme de ta parent? Donc,
coute-moi, et n'hsite pas prendre Sara pour femme. Quant l'esprit malin, n'en aie aucun
souci. Quand le moment sera venu de te mettre au lit, tu feras griller le cur et le foie du
poisson sur un brasier parfums, et il en sortira une fume trs puante; or, l'esprit malin, en
sentant cette odeur, s'enfuira et ne reviendra jamais. Ayant entendu ces paroles, Tobie prit
confiance, et il devint Irs amoureux de Sara, et son cur lui fut extrmement attach.
(6:13-17) Notez que le fils Tobie n'avait pas encore vu sa jeune parente.
Ils arrivrent ensuite Ecbatane et se rendirent la maison de Ragul. Sara vint au-devant
d'eux, les salua, et ils la salurent; puis elle les fit entrer. Et Ragul dit Edna, sa femme: Oh!
que ce jeune homme ressemble Tobie mon parent! (7:1-2) Le fils Tobie se nomme; on
s'embrasse; un grand festin est prpar, mais Tobie refuse de toucher aucun mets si Ragul
ne lui accorde pas sance tenante sa fille en mariage. Ragul rpond qu'il le veut bien;
toutefois, il tient dire au jeune homme l'horrible histoire des sept maris trangls la nuit
mme de leurs noces. Tobie insista en affirmant que, quant lui, il ne redoutait rien. Alors
227

Ragul appela Sara sa fille, la prit par la main, et la donna Tobie en disant: La voici, je te la
donne pour femme; entre en elle, selon ton droit, et puis tu la conduiras dans la maison de ton
pre. Aprs quoi, il les bnit; puis, il prit des tablettes, fit le contrat et le scella. (7:15- 16)
Enlevez le bifteck!
Edna prpara la chambre nuptiale et y conduisit Sara, qui pleurait; et elle essuya ses larmes,
en lui disant: Aie bon courage, ma fille. (v. 19-20) Or, quand ils eurent achev de souper,
Ragul et Edna menrent Tobie vers Sara. Alors, Tobie, se souvenant des paroles de son
compagnon Azarias, prit de la braise, mit le cur et le foie du poisson dessus, etil s'en
dgagea aussitt une paisse fume. Et l'esprit malin Asmode, ayant senti cette odeur,
s'enfuit jusqu'au bout de la haute Egypte; mais l'ange l'y poursuivit en mme temps, le saisit,
et l'enchana trs solidement. (8:1-4)
Des thologiens se sont demand si le diable Asmode est encore enchan et en quel endroit
prcis; grave question! Des flots d'encre ont coul pour la rsoudre. Les plus roublards sont
les moines d'un couvent gyptien, qui montrent aux plerins un puits trs profond, o, disent-
ils, Raphal a attach son ennemi, lequel y est encore; moyennant une offrande aux bons
religieux, on jette une pierre dans le puits, ou quelques gouttes d'eau bnite, afin d'augmenter
le supplice du mchant dmon, rduit l'impuissance.
L'esprit malin n'tant plus dans la chambre, Tobie se mit genoux sur le lit (v. 5), et dit:
Seigneur, tu es tmoin que je ne prends point cette femme pour la paillardise, mais je la
prends en droiture; fais-nous donc vieillir ensemble. Et Sara, priant aussi, disait: Amen! Alors,
ils se couchrent et ils passrent cette premire nuit dormir. (v. 9-10) Pendant ce temps,
Ragul, convaincu que Tobie ne s'en tirerait pas, creusait une fosse dans le jardin (v. 11).
Mais quand, le lendemain matin, il sut que son gendre tait sain et sauf, il fut dans une joie
indescriptible. Il commanda ses servit eurs de combler la fosse et dcida que les noces
dureraient quatorze jours. Et il dit Tobie: Tu prendras la moiti de tout ce que je possde,
et tu t'en iras ainsi chez ton pre; quant au reste, tu l'auras, lorsque nous serons morts, moi et
ma femme. (v. 22) Pendant les noces, l'ange Raphal, qui tait revenu de la haute Egypte, fit
le voyage de Rags, sous les traits d'Azarias; l'emprunteur Gablus avait russi dans ses
affaires, et rendit sans difficult les dix talents de Tobie pre (ch. 9).
Enfin, le fils Tobie, sa femme, l'anglique compagnon et le chien revinrent Ninive, o le
vieil aveugle commenait dsesprer. Tobie frotta avec le fiel du poisson les yeux de son
pre, lui disant: Aie bon courage, mon pre. Or, comme ses yeux lui dmangrent, une peau
albumineuse comme du blanc d'uf en tomba; et alors, voyant son fils, Tobie se jeta son
cou et pleura. (11:10-11)
Il ne restait plus qu' payer le salaire promis Azarias; celui-ci refusa les rachmes, se fit
connatre pour Raphal, l'un des sept, anges lesplus importants dans la hirarchie cleste, et
disparut (ch. 12).
Tandis que les Hbreux du royaume d'Isral taient en captivit Ninive, Rags, Ecbatane et
autres villes mdes, captivit permettant des prisonniers, comme Ragul, d'avoir
domestiques, troupeaux et un grand train de maison, et d'autres, comme Tobie, de prter
cinquante mille francs un camarade sans se gner, le royaume de Juda continuait
subsister, d'abord sous le pieux gouvernement d'Ezchias, qui n'entendait pas raillerie sur la
question religieuse. Il supprima les hauts lieux, mit eu pices les statues des dieux trangers,
coupa les bocages o l'on rendait un culte aux priapes, et brisa mme le serpent d'airain,
uvre de Mose, parce que les Juifs lui faisaient des encensements. (2 Rois 18:4)
Aussi, papa Bon Dieu lui donna la victoire sur les Philistins. Nanmoins, Jhovah ne lui
donna, en certaines circonstances, qu'une demi-protection: c'est ainsi qu'en la quatorzime
anne de son rgne, Ezchias eut son territoire envahi par Sennachrib, fils de Salmanazar, et
il n'obtint la cessation de l'occupation qu'en payant ce roi de Ninive trois cents talents
d'argent et trente talents d'or (v. 14). Et Ezchias donna tout l'argent qui se trouva dans la
228

maison de l'Eternel et dans les trsors de la maison royale; il dpouilla mme les portes du
temple et les linteaux qu'il avait recouverts lui-mme de lames d'or, et il donna toutes ces
richesses Sennachrib. (v. 15-16)
Aprs cette rfle, Sennachrib aurait pu laisser la paix Ezchias. Pas du tout. Il revint bientt
la charge, en lui envoyant un certain Rabsak charg de lui poser une question, tandis qu'il
faisait investir Jrusalem par son arme. Cette question tait celle-ci: Quelle est la confiance
sur laquelle tu t'appuies? Si c'est ta confiance en Jhovah, elle ne te sauvera pas. Ezchias
avait dlgu trois parlementaires auprs de Rabsak, et ceux-ci, entendant un tel langage,
lui dirent: Nous te prions de nous parler en langue syriaque, car nous la comprenons; mais
ne parle pas en langue judaque, cause du peuple qui est l sur les remparts et qui coute.
(v. 26) Mais Rabsak fut plus insolent encore. Mon matre, dit-il, m'a envoy pour que tout
le monde entende ce que j'ai dire; et il faut que les habitants de Jrusalem sachent que nous
leur ferons manger leurs propres excrments et qu'ils boiront leur urine avec vous. (v. 27)
Ezchias n'avait pas trop eu confiance en Jhovah, puisque tout d'abord il s'tait laiss
dpouiller sans rsistance. Cependant, le prophte Isae, qui vivait alors, lui remonta le moral,
et, ce qui tait le plus important, papa Bon Dieu vint son aide. Il arriva, en une nuit, qu'un
ange de Jhovah descendit du ciel et tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes dans le camp
des Assyriens autour de Jrusalem; et, au point du jour, quand le roi Sennachrib vit tous ces
corps morts, il ordonna aux survivants de plier bagage et s'en retourna Ninive. (19:35-36)
La Bible dit ensuite que Sennachrib fut tu par ses fils Adramlec et Saratsar, qui, aprs ce
meurtre, se rfugirent en Armnie, et qu'un autre fils de Sennachrib, nomm Assar-Iladdon,
monta sur le trne (v. 37); puis, au chapitre suivant, l'auteur sacr dit qu'Ezchias, dans les
dernires annes de son rgne, fit alliance avec Mrodak-Baladan, roi de Babylone (20:12).
Ces affirmations ne concordent gure avec les dcouvertes des archologues touchant
l'histoire des royaumes assyriens; car il rsulte des inscriptions du fameux palais de
Khorsabad, dcouvert en 1842 par M. Botta, consul de France Mossoul, que Mrodak-
Baladan fut chass de Chalde par Salmanazar mme, pre de Sennachrib, son vainqueur la
bataille de Betlakin (709 av. J.-C), et Salmanazar, aprs cette victoire, s'empara de Babylone
et runit ce royaume celui de Ninive. Comment donc Ezchias pouvait-il tre l'alli de
Mrodak-Baladan, sous le rgne d'Assar-Haddon, fils de Sennachrib, puisque ce roi de
Babylone avait perdu ses tats dans sa guerre contre le roi de Ninive, grand-pre d'Assar-
Haddon, et puisque Assar-Haddon, rgnant au temps des dernires annes d'Ezchias, tait
la fois roi de Ninive et de Babylone?
Mais, si l'on ne veut pas tenir compte des dcouvertes des savants et si l'on prfre s'en
rapporter exclusivement la Bible, on ne peut nanmoins s'empcher de faire cette remarque:
c'est que Jhovah, qui avait dit Ezchias par la bouche du prophte Isae: Je dlivrerai
Jrusalem, et, si je veux que cette ville soit garantie contre les ennemis, c'est cause de moi et
cause des bonnes uvres de David (19:34), aurait fort bien pu ne pas attendre la seconde
invasion de Sennachrib; car, puisqu'en sa qualit de Tout-Puissant il avait dcrt que
Jrusalem tait sous sa protection, mieux valait la protger tout de suite, au lieu de permettre
Sennachrib d'emporter toutes les richesses du pays et tous les trsors du temple, demeure
divine. On ne comprend pas non plus pourquoi le seigneur Sabaoth, qui se dclarait
solennellement le protecteur de la tribu de Juda, et qui, par le bras de son ange exterminateur,
tuait en une seule nuit cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens, abandonna quelques annes
plus tard cette tribu dont la verge devait dominer toujours, laissa dtruire son sanctuaire sacro-
saint par une autre arme d'Assyriens, et vit tout tranquillement cette tribu et celle de
Benjamin, avec tant de lvites, plonges dans les fers.
Voici encore, propos d'zchias, un fait dont les dtails ne manquent pas d'tre curieux. Ce
prince tait mont sur le trne l'ge de vingt-cinq ans, et Dieu avait crit, sur le livre de: sa
destine, qu'il mourrait dans sa trente-neuvime anne; mais, la suite de circonstances qui
229

mritent d'tre mentionnes, Jhovah passa le grattoir sur cette page du grand livre ternel et
inscrivit nouveau qu'Ezchias vivrait jusqu' l'ge de cinquante-quatre ans.
Donc, en la quatorzime anne de son rgne, zchias tomba malade, en vertu de ce qui tait
crit l-haut avant le coup de grattoir. Le roi de Juda ne fit pas appeler un mdecin; ce qui
tait bien inutile, puisqu'il avait sous la main le prophte Isae, saint homme tout fait au
courant de ce que Dieu avait dcid. Isae, apprenant pour quel motif le royal malade
demandait le consulter, s'empressa de venir. Et Isae dit Ezchias: Voici, Adona te fait
dire par ma voix de mettre ordre tout de suite tes affaires, attendu que l'heure de ta mort
approche et que tu vas cesser de vivre trs certainement. Alors, Ezchias tourna son visage
contre la muraille et pria l'ternel. Souviens-toi, Seigneur, dit-il, combien j'ai march droit
devant toi avec un cur pur et combien j'ai fait tout ce qui t'est agrable. Et il versa des larmes
en abondance. Cependant, Isae s'tait retir; mais il n'tait pas encore sorti de l'antichambre,
que Dieu lui parla ainsi: Retourne sur tes pas et dis Ezchias qu'tant touch de ses larmes,
je vais le gurir; et dans trois jours il sera debout et viendra au temple; annonce-lui encore que
je lui ajoute, partir d'aujourd'hui, quinze annes d'existence. (20:1-6) Lord Bolingbroke
plaisante sur l'instabilit des dcrets du dieu juif et demande sous quelle forme il tait, quand,
au milieu de l'antichambre, il dclara Isae son changement de volont.
Isae, sans s'pater, s'acquitta de sa nouvelle commission. Mais il parat qu'en prsence de ces
deux prophties contradictoires, le moribond n'tait pas trop rassur Ezchias demanda
Isae: Par quel signe Jhovah me montrera-t-il que je serai guri et que dans trois jours je
pourrai aller au temple? Isae lui rpondit: Voici le signe que l'Eternel te donne choisir pour
t'assurer que c'est ma seconde prophte qui s'accomplira, et non la premire: veux-tu que
l'ombre du cadran solaire avance tout d'un coup de dix degrs, ou prfres-tu qu'elle
rtrograde de dix degrs? Ezchias lui dit: Il est facile que l'ombre de la baguette de fer se
mette avancer de dix degrs sur le cadran; ce n'est donc pas ce que je veux, mais je demande
qu'elle recule de dix degrs en arrire. Le prophte Isae poussa un cri vers l'ternel, et
Adona fit rtrograder l'ombre par les degrs qu'elle avait dj parcourus sur le cadran solaire
d'Achaz, jusqu'au dixime degr en arrire. Aprs cela, Isae lit mettre une marmelade de
figues sur l'ulcre d'Ezchias, et le roi fut guri. (v. 7-11)
Une nue d'incrdules fond sur cette marmelade de figues et sur ce cadran solaire en goguette.
Ou le mal d'Ezchias, disent-ils, tait bien peu de chose, puisqu'il fut guri par un simple
empltre de figues; ou bien c'est la vertu seule du pouvoir divin qui opra la gurison du roi
deux doigts de la mort, et alors cette marmelade est d'une inutilit absolue qui crve les yeux.
Quant l'histoire du cadran solaire, zchias produit tous les critiques l'effet d'un parfait
imbcile quand il dit qu'il est plus facile l'ombre d'avancer que de reculer; dans l'un et l'autre
cas, les lois de la nature sont galement violes, et tout l'ordre du ciel est galement
interrompu. En outre, la rtrogradation de l'ombre sur le cadran solaire d'Achaz ne parat
qu'une copie renforce du miracle de Josu. Par contre, les thologiens n'hsitent, pas croire
que le soleil s'arrta pour Josu et recula pour Ezchias. Isae mme, au chap. 38 de son livre
de prophties, revient sur ce fait et dit trs nettement: Le soleil rtrograda de dix degrs ;
mais il est clair qu'Isae, quoique prophte, se met le doigt dans l'il; car l'ombre est toujours
oppose au soleil, et, si le soleil est l'orient, l'ombre est l'occident. Pour que l'ombre, sur le
cadran solaire d'Achaz, rtrogradt de dix degrs vers le matin, il aurait fallu que le soleil se
ft avanc de dix degrs vers le soir. Le fait matriel du mouvement de l'ombre sur le cadran,
tel que l'indique l'auteur sacr, serait donc impossible, mme si le miracle tait possible.
Enfin, tout considrer, il y aurait eu un jour double dans la nature, et une nuit totalement
supprime!
Mais le plus curieux de tous les faits tranges qui signalent cette poque, c'est le trpas d'Isae:
cet homme, qui tait le miracle incarn, ne put faire aucun miracle le jour o sa vie fut en
danger. Manasss, fils et successeur d'zchias, que le coup du cadran solaire avait laiss fort
230

sceptique, fut aussi impie que son pre avait t bigot. Voulant voir si Isae avait, pour sa
prservation personnelle, quelque marmelade de figues, il fit saisir le prophte et ordonna de
le scier en deux. L'infortun Isae fut sci comme s'il avait t une simple planche; ni Raphal
ni aucun autre ange ne vinrent son secours. Peut-tre Jhovah, pendant le supplice de son
fidle serviteur, tait occup aux affaires de quelque autre plante.
Pendant que nous en sommes cette priode si embrouille de la fin du royaume de Juda, il
convient de parler de Judith, dont l'unique exploit est jamais clbre et se trouve narr dans
un livre spcial. L'pisode est tellement connu, qu'il suffira de le rappeler en quelques lignes.
A une poque que la Bible ne prcise pas, mais qui prcde de peu la destruction du royaume
de Juda, la ville de Bthulie, tout fait inconnue des historiens et des gographes, fut mise en
tat de blocus par une arme de Nabuchodonosor, que commandait le gnral Holopherne,
personnage dont il n'est question nulle part dans les documents assyriens. Holopherne coupa
les canaux qui alimentaient Bthulie, de sorte que les assigs, privs d'eau, tiraient la langue
comme des caniches en t.
La situation devenait intolrable. C'est alors qu'une jolie veuve bthulienne, Judith, dont le
mari tait mort d'un coup de soleil, au temps de la moisson des orges, rsolut de sauver sa
patrie. Pour cela, elle revtit sa plus belle robe, se parfuma des odeurs les plus excitantes, et,
suivie d'une vieille ngresse, se rendit au camp des assigeants. Holopherne, galant au
possible, suivant l'habitude des pioupious, invita Judith dner en tte tte dans sa tente.
On fit bombance, on vida de nombreuses coupes, on se dit mme des choses aimables au
dessert. Mais, aprs le festin, tandis qu'Holopherne, trs content de sa soire, se prlassait sur
son lit de repos, Judith saisit prestement un instrument tranchant, et, d'un coup sec, dcapita le
gnral. Que l'on dise aprs cela que l'amour ne fait pas quelquefois perdre la tte!
Puis, Judith, sans tre vue de personne, rentra en ville; la ngresse, sa suivante, avait mis la
tte d'Holopherne clans un sac. On accrocha aux murs de Bthulie la binette du gnralissime
des armes de Nabuchodonosor. Aussi, quand les assigeants l'aperurent, ils s'enfuirent
toutes jambes, sans mme songer se mettre sous les ordres d'un autre chef.
Nous nous bornerons reproduire le commentaire de Voltaire sur cet pisode biblique:
Un gographe serait bien empch placer Bthulie: tantt on la met quarante lieues au
nord de Jrusalem, tantt quelques milles au midi; mais une honnte femme serait encore
plus embarrasse justifier la conduite de la belle Judith. Aller coucher avec un gnral
d'arme pour lui couper la tte, cela n'est pas modeste. Mettre cette tte toute sanglante, de ses
mains sanglantes, dans un petit sac, et s'en retourner paisiblement avec sa servante travers
une arme de cinquante mille hommes, sans tre arrte par aucune sentinelle, cela n'est pas
commun.
Une chose encore plus rare, c'est d'avoir demeur cent cinq ans aprs ce bel exploit dans la
maison de feu son marri comme il est dit au chapitre 16, v. 28. Si nous supposons qu'elle tait
ge de trente ans quand elle fit ce coup vigoureux, elle aurait donc vcu cent trente-cinq
annes. Dom Cal met nous tire d'embarras en nous disant qu'elle avait soixante-cinq ans
lorsque Holopherne fut pris de son extrme beaut: c'est le bel ge pour tourner et couper des
ttes. Mais le texte nous replonge dans une autre difficult: il dit que personne ne troubla
Isral tant qu'elle vcut; et malheureusement, ce fut le temps de ses plus grands dsastres.
Voici, d'ailleurs, le texte, traduit mot mot: Et durant tout le temps que Judith vcut, il n'y
eut personne qui pouvantt Isral, jusque longtemps aprs sa mort. (Judith 16:30, terminant
le livre)
Ce texte va nous servir montrer, une fois de plus, avec quel aplomb le divin inspirateur de la
Bible se moque des fidles. Si l'on admet l'interprtation du bndictin Calmet et des
thologiens catholiques, c'est--dire que Judith avait soixante-cinq ans (ce qui n'est dit nulle
part) lorsqu'elle tua Holopherne, et que le verset 28 signifie qu'elle vcut cent cinq ans en tout,
et non cent cinq ans encore aprs son exploit, il n'en reste pas moins quarante annes entre le
231

dit exploit et la mort de l'hrone. Or, en rapprochant le livre biblique des Rois (chapitres
consacrs aux derniers rois de Juda) de ce que l'on sait de l'histoire des empires d'Assyrie, on
y trouve la preuve clatante du mensonge de l'histoire de Judith.
Assar-Haddon, dont il a t question tout l'heure, deuxime fils de Sennachrib, rgna la
fois sur Ninive et sur Babylone, son grand-pre Salmanazar, chef de la dynastie des Sar
gonides, ayant chass de Babylone le ro M rodak-Baladan, dernier descendant de
Nabonassar. Assar-Haddon garda Ninive pour capitale, mais tablit Babylone un satrape,
Saosducheus; celui-ci, la mort d'Assar-Haddon (668 av. J.-C), se proclama indpe ndant et
rgna Babylone, malgr Tglath-Phalazar V, troisime fils de Sennachrib et successeur
d'Assar-Haddon, et malgr Sardanapale VI, roi de Ninive (de 660 647). Enfin, Assourdanil
II (le Kiniladan des Grecs), succdant son pre Sardanapale VI, s'empara de Babylone, ds
la premire anne de son rgne, c'est--dire en 647, et y tablit de nouveau des satrapes.
Pendant le rgne d'Assourdanil II, se place l'invasion du pharaon Nchao, qui, traversant la
Jude pour aller combattre les Assyriens, blessa mortellement, la bataille de Mageddo, le
pieux Josias, petit-fils de Manass et arrire-petit-fils d'zchias, roi de Juda. D'autre part,
cette mme poque, Cyaxare I, dont l'histoire est dans Hrodote, rgnait en Mdie (635-595)
et exterminait ce qui restait de Scythes en Asie. Sous le rgne de Sardanapale VII, dernier du
nom et dernier roi de Ninive, fils d'Assourdanil II, le satrape de Babylone, Nabopolassar, se
dclare indpendant, fait alliance avec le roi des Mdes, Cyaxare, dont la fille pouse son fils
Nbukadnezzar (Nabuchodonosor, dans la Bible); en 606, Nabopolassar s'empare de Ninive
avec le concours de Cyaxare; Sardanapale V meurt, Ninive est dtruite, c'est la fin du
deuxime empire assyrien connu. Nabopolassar, dont l'pouse, clbre dans l'histoire, est
l'gyptienne Nitocris, fonde le troisime empire d'Assyrie, dit empire chaldo-babylonien;
Nitocris prodigue les embellissements Babylone, capitale du nouvel empire, et le prince-
hritier Nabuchodonosor, ayant vaincu le pharaon Nchao Karkmis, sur l'Euphrate, est
associ la couronne.
C'est en ce temps-l que Nabuchodonosor envahit pour la premire fois la Jude, afin de
chtier le roi Joachim, fils de Josias, qui avait pris parti pour Nchao contre les Assyriens;
Jrusalem se rachte, mais une partie du peuple est emmene Babylone; c'est le
commencement des soixante-dix ans de captivit, et ds lors la royaut de Juda ne durera plus
que dix-neuf ans. Ainsi, les faits de cette premire invasion de Nabuchodonosor en Jude,
faits reconnus par le second livre des Rois (ch. 24), ne concordent aucunement avec ce que la
Bible nous raconte d'autre part au sujet de Judith. Si l'pisode d'Holopherne se plaait cette
poque, il est hors de doute que Nabuchodonosor en aurait tir vengeance, lors de cette
premire invasion victorieuse.
Les faits historiques qui suivent ne concordent pas mieux. En 601, malgr les avertissements
de Jrmie, qui sentait que le royaume de Juda allait bientt finir piteusement comme celui
d'Isral, Joachim cesse de payer tribut Nabuchodonosor; c'est une rvolte du roitelet juif.
Est-ce alors qu'il faut placer l'expdition d'Holopherne? Non; car les armes isralites ne
brillent gure en ces annes-l! Aprs quatre annes de dvastation du territoire juif par les
Assyriens, Nabuchodonosor entre dans Jrusalem (c'est la deuxime prise de la ville sainte par
les armes de Babylone), fait mourir Joachim et le remplace par son fils, nomm galement
Joachim, dit Jcho nias. Mais, au bout de trois mois, Nabuchodonosor se ravise; Joachim-
Jchonias est mis au nombre des captifs que les Assyriens emmnent Babylone, aprs avoir
pill le temple; c'est Mathanis, oncle maternel de Jchonias, que le vainqueur tablit roi de
Juda en remplacement du jeune prince dtrn et prisonnier, et Nabuchodonosor change le
nom du nouveau roi en celui de Sdcias (597). Ce n'est pas encore cette poque qu'il
convient de placer le glorieux pisode de Judith, n'est-ce pas?
Impossible de le placer non plus dans les neuf annes qui suivent, annes de dsolation en
Jude, annes pendant lesquelles le joug assyrien pse plus durement que jamais sur les dbris
232

de la population isralite, laisss Jrusalem et autres villes des deux tribus de Juda et
Benjamin. Enfin, en 388, le pharaon Apris, aprs une guerre heureuse contre les Tyriens,
pousse Sdcias secouer le joug de Babylone; Apris est vaincu en Egypte mme, et, au
retour de son expdition triomphante, Nabuchodonosor va mettre le sige devant Jrusalem
pour la troisime fois. L'exploit de Judith ne s'est videmment pas accompli ce moment-l,
puisque la victoire fut de nouveau aux ennemis d'Isral. C'est l le sige de dix-huit mois qui
se termina par la prise de Jrusalem et la fin du royaume de Juda (587), les Assyriens tant
entrs par la brche dans la cit de David, en la nuit du 9 au 10 juillet; le temple et le palais
sont dtruits, les difices publics et les maisons des particuliers sont incendis, les remparts
sont dmolis; toute la famille royale est massacre, sauf Sdcias qui, enchan et les yeux
crevs, est emmen en captivit Babylone avec les derniers Juifs.
Donc, de 606 587, Nabuchodonosor n'a cess d' tre le flau de la Jude; c'est uniquement
pendant cette priode de temps que ses armes sont venues sur le territoire hbreu, et toujours
elles ont t victorieuses, soit sous les ordres de ses gnraux, soit qu'il les ait commandes en
personne; cela est expressment reconnu dans le livre biblique des Bois. Donc, tant donn
que le livre de Judith expose le prtendu exploit de l'hrone en l'affirmant accompli contre un
gnral de Nabuchodonosor, tant donn que l'Assyrie n'a pas eu d'autre roi du nom de
Nbukadnezzar (Nabuchodonosor), le livre de Judith, depuis sa premire ligne jusqu' la
dernire, est un audacieux mensonge; et Voltaire a eu raison de dire que l'poque assigne par
les thologiens l'existence de Judith est prcisment l'poque des plus grands dsastres de la
nation juive.
Quelques partisans de Judith, continue Voltaire, ont soutenu qu'il y avait quelque chose de
vrai dans son aventure, puisque les Juifs clbraient tous les ans la fte de cette prodigieuse
femme. On leur a rpondu que, quand mme les Juifs auraient institu douze ftes par an en
l'honneur de sainte Judith, cela ne prouverait rien.
Les Grecs auraient eu beau clbrer la fte du cheval de Troie, il n'en serait pas moins faux et
moins ridicule que Troie et t prise par ce grand cheval de bois. Presque toutes les ftes des
Grecs et des anciens Romains clbraient des aventures fabuleuses. Castor et Pollux n'taient
certainement pas venus du ciel et des enfers pour se mettre la tte d'une arme romaine, et
cependant on ftait ce beau miracle. On ftait la vestale Sylvia, qui le dieu Mars fit deux
enfants (Romulus et Rmus) pendant son sommeil, lorsque les Latins ne connaissaient encore
ni le dieu Mars, ni les vestales. Chaque fable avait sa fte Rome comme dans Athnes.
Chaque monument avait t difi pour consacrer une imposture. Plus ils taient sacrs et plus
il est sr qu'ils taient ridicules.
Et, sans chercher des exemples trop loin, n'avons-nous pas encore, dans l'Eglise grecque, la
fable des Sept Dormants, et, dans l'Eglise romaine, la fable des Onze mille Vierges? Y a-t-il
rien de plus clbre dans notre Occident que l'Epiphanie et ces trois rois Gaspard, Melchior et
Balthazar, qui viennent pied des extrmits de l'Orient au village de Bethlem, conduits par
une toile? On peut en dire autant de Judith et d'Holopherne.
Mais il y a une rponse encore meilleure faire: c'est qu'il est faux que jamais les Juifs aient
eu la fte de Judith. C'est un faussaire, un moine dominicain nomm Jean Nanni, connu sous
le nom d'Annius de Viterbe, qui fit imprimer, au 16
e
sicle, de prtendus ouvrages de Philon
et de Brose, dans lesquels cette prtendue fte est suppose. C'est ainsi que se sont tablies
mille opinions: plus elles taient ridicules et plus elles ont eu de vogue. Les Mille et une Nuits
rgnent dans le monde.

233

15 CHAPITRE

PENDANT ET APRS LA CAPTIVIT

Les livres de prophties, Isae et Jrmie, par exemple, n'offrent aucun intrt dans
l'examen qui nous occupe. Si on les considre au point de vue des faits annoncs, on remarque
que les vnements, ds qu'ils sont indiqus avec prcision, sont exclusivement de ceux qui
ont pu tre relats aprs coup; ces narrations, censment crites l'avance, font double emploi
avec d'autres passages de la Bible. Quant la gnralit de ces prophties, elles sont surtout
aussi vagues que possible; ce qui permet aux prtres de les interprter leur guise, et mme
de varier leurs interprtations au gr de leurs intrts et selon la marche des vnements. Nous
ne nous attarderons pas ces divagations; ce serait faire perdre au lecteur son temps,
exactement comme si nous entreprenions de commenter les Psaumes de David, qui font
galement partie de la Bible.
Nous terminerons donc cet ouvrage en groupant dans un dernier chapitre tous les pisodes,
affirms vridiques par l'glise, qui constituent plus ou moins dogmatiquement l'histoire du
peuple hbreu depuis la destruction du temple par Nabuchodonosor jusqu' la naissance de
Jsus-Christ; car telle est, pour les chrtiens, la fin de l'Ancien Testament. Le lecteur aura
ainsi un choix des morceaux les plus curieux et les plus singuliers, en commenant par Daniel,
dont les aventures sont du temps de Nabuchodonosor et de ses successeurs.
Le livre de Daniel dbute en nous apprenant que le roi Nabuchodonosor fit lever Babylone,
parmi ses eunuques, quatre jeunes juifs de noble race, choisis parmi les plus beaux de visage.
Asphnez, chef des eunuques, confia Meltsar, sous-chef eunuque, ces quatre adolescents:
Daniel, Sidrach, Misach et Abdnago. Il n'est pas dit expressment qu'on les chtra; mais cela
ressort assez bien du texte. Quoi qu'il en soit, cette ducation profita admirablement aux
jeunes gens, et Nabuchodonosor, leur ayant fait passer un examen, reconnut qu'ils taient dix
fois plus intelligents et savants que tous les devins et astrologues de son royaume (ch. 1).
Un jour, ou plutt une nuit, Nabuchodonosor eut un songe, dont il fut tellement troubl qu'il
ne put se le rappeler son rveil. Il manda devant lui tous ses mages chaldens et les mit en
demeure: 1 de lui dire ce qu'il avait rv, et 2 de lui en donner l'explication. Ceux-ci
rpondirent que la premire partie de ce problme tait insoluble; mais que, si le roi parvenait
se rappeler le songe, l'expliquer serait pour eux la chose la plus aise du monde.
Nabuchodonosor rpliqua en condamnant tous les mages mort. L'excution tait en train et
les quatre jeunes hbreux allaient y passer aussi, quoique n'ayant pas t appels la
consultation royale, lorsque Daniel dclara qu'il se chargeait de rappeler Nabuchodonosor
son rve et de lui en donner une interprtation exacte. Il remmora donc au roi qu'il avait vu
une grande statue dont la tte tait en or, la poitrine et les bras en argent, le ventre et les
hanches en airain, les jambes en fer et les pieds partie en fer et partie en argile; et voil qu'une
petite pierre, se dtachant d'une montagne voisine, vint frapper la statue dans ses pieds et les
brisa, de sorte que toute la statue s'effondra, tandis que la petite pierre devint une grande
montagne qui remplit toute la terre. Quant l'explication, Daniel la donna ainsi: la tte d'or,
c'est Nabuchodonosor en personne; et aprs Nabuchodonosor, il s'lvera un royaume
d'argent, c'est--dire moindre; puis, un troisime royaume d'airain, qui dominera le monde; et
en quatrime lieu, il y aura un autre immense royaume, moiti fer et moiti argile, c'est--dire
moiti fort et moiti faible; c'est alors que Dieu suscitera un cinquime royaume qui brisera et
consumera tous les autres et sera tabli ternellement. Nabuchodonosor, pat de tant de
science, se prosterna devant le jeune Daniel, lui fit de grands prsents et le nomma gouverneur
de la province de Babylone; du moins, c'est la Bible qui le dit (ch. 2), car les archologues
n'ont jamais rien dcouvert de semblable dans les inscriptions assyriennes.
234

Quelque temps aprs, Nabuchodonosor fit dresser en pleine campagne, Dura, dans la
province de Babylone, une statue toute en or, haute de soixante coudes et large de six, et
runit, pour le jour de l'inauguration, tous les satrapes, magistrats, officiers, intendants,
percepteurs, conseillers, gouverneurs des provinces, etc. A quelque distance de la statue, on
avait construit un immense four, tout flambant. Alors, un hraut annona, de la part du roi,
que quiconque ne se prosternerait pas devant la statue d'or serait jet dans la fournaise.
Sidrach, Misach et Abdnago n'ayant pas voulu se prosterner, Nabuchodonosor entra dans une
grande colre, ordonna qu'on remplt la fournaise de sept fois plus de combustible qu'
l'ordinaire, et y fit jeter les trois jeunes Hbreux. Or, le four flambait si fort, que les hommes
qui y prcipitrent les victimes furent eux-mmes brls vifs rien qu'en s'approchant du feu.
Et Nabuchodonosor fut au comble de la surprise en voyant quatre hommes se promener tout
tranquillement dans la fournaise, sans tre le moins du monde incommods par les flammes;
l'un de ces quatre hommes tait semblable un fils de Dieu. Nabuchodonosor invita alors
Sidrach, Misach et Abdnago sortir de la fournaise; ce qu'ils firent. Tous les satrapes,
magistrats, gouverneurs, conseillers, etc., et le roi lui-mme taient merveills en considrant
ces hommes-l dont aucun cheveu n'tait grill, dont les caleons n'avaient mme pas
l'odeur du feu. Sance tenante, Nabuchodonosor promulgua un dcret, en vertu duquel
quiconque dirait quelque chose d'inconvenant contre le dieu des Juifs serait mis en pices et
aurait sa maison dmolie. (ch. 3)
Le chapitre 4 est un chef-d'uvre de btise. Les prtres racontent que Nabuchodonosor fut
chang en bte pendant sept annes de sa vie; mais c'est dans la Bible qu'il faut lire cet
pisode! Dans son livre, Daniel passe la plume au roi d'Assyrie, et c'est Nabuchodonosor lui-
mme qui raconte ce qui lui est arriv. Moi, Nabuchodonosor, roi des Assyriens, je
m'adresse tous les peuples et aux nations de toutes les langues qui habitent dans toute la
terre; que la paix soit avec tous! Il m'a sembl bon de vous faire connatre les signes et les
merveilles que le Dieu souverain a faits envers moi. (4:1-2) Et ainsi de suite: trente-sept
versets! Tout un chapitre de la Bible rdig par Nabuchodonosor! a, c'est une trouvaille; la
fumisterie de l'Esprit-Saint ne recule devant aucune bourde faire avaler aux fid les... Donc,
Nabuchodonosor raconte qu'il vit en rve un arbre immense, dont la cime touchait les cieux et
sur les branches duquel se perchaient tous les oiseaux de la terre; tout coup, un saint
descendit d'un nuage et commanda d'abattre cet arbre, de n'en laisser que le tronc et les
racines, de lier ces restes avec des chanes de fer, d'arroser ce tronc et ces racines avec de la
rose, et de donner ce tronc et ces racines un cur de bte pendant sept temps.
Nabuchodonosor dit qu'il consulta Daniel ce sujet et que le prophte lui rvla tout d'abord
que cet arbre tait sa royale personne; le reste du rve indiquait qu'il serait dchu du trne et
chang en bte durant sept annes. Poursuivant son rcit, Nabuchodonosor narre qu'en effet,
un jour qu'il se promenait sur la terrasse de son palais et qu'il se plaisait admirer les
splendeurs de Babylone, il entendit une voix qui lui cria sa dchance, et qu'aussitt il fut
chass de son palais, que tous les hommes le honnirent et qu'il lut rduit se rfugier dans les
champs; que l il se mit brouter de l'herbe, n'ayant pas d'autre nourriture pendant sept ans;
qu'il lui poussa sur tout le corps des poils de buf et des plumes d'aigle, et que ses ongles
devinrent semblables aux serres des oiseaux de proie.
Mais, la fin de la septime anne, je levai mes yeux vers le ciel, rapporte Nabuchodonosor,
et mes sens d'homme me revinrent; alors, je louai le Dieu souverain, et je retournai
Babylone; tous mes anciens conseillers me firent fte, les grands du royaume me
redemandrent, je fus rtabli sur le trne, et mon rgne se termina avec plus de magnificence
encore qu'au dbut . Il est fcheux que Nabuchodonosor n'ait pas fait connatre qui avait
rgn sa place. Il va sans dire que les savants n'ont jamais rien dcouvert qui se rapportt
cette prtendue dchance du fils de Nabopolassar et son prtendu rtablissement sur le
trne au bout de sept annes.
235

Dans le chapitre 5, Daniel, reprenant la plume, nous dbite sa mirobolante aventure, connue
sous le nom de festin de Balthazar. A plusieurs reprises, l'auteur nous dclare que ce
Balthazar tait le fils de Nabuchodonosor. Donc, ce roi d'Assyris donna un souper
extraordinaire mille de ses principaux seigneurs, et, au dessert, il eut la fantaisie de faire
boire ses convives dans les vases sacrs que son pre avait pris au temple de Jrusalem. Alors,
tout coup, une main parut et se mit tracer sur la muraille des lettres d'une langue inconnue.
Balthazar, effray, fit appeler les astrologues, les devins, les plus savants des Chaldens,
promettant de donner un collier d'or, une robe d'carlate et le tiers de son royaume au premier
qui dchiffrerait cette criture mystrieuse et l'expliquerait; mais aucun ne put le satisfaire.
Heureusement, la reine se souvint de Daniel. Le prophte arrive et, sans sourciller, lit sur le
mur les mots: Man, Thcel, Phars.
Puis, sans dire quelle langue ils appartiennent, il les traduit ainsi, la grande stupfaction de
l'assemble: Le mot Man signifie: Dieu a calcul ton rgne, et il y a mis fin. Le mot Thcel
signifie: Tu as t pes dans la balance, et tu as t trouv trop lger. Le mot Phars signifie:
Ton royaume a t divis et donn aux Mdes et aux Perses. Balthazar, en homme qui n'a
qu'une parole, fit aussitt revtir Daniel d'une robe d'carlate, lui passa au cou un collier d'or,
et, par un hraut, fit proclamer sance tenante que la troisime partie du royaume serait
dsormais sous la domination du prophte. Le chapitre se termine immdiatement par ces
deux versets (30-31): Cette mme nuit-l, Balthazar, roi de Chalde, fut tu. Et Darius de
Mdie prit possession du royaume, tant g de soixante-deux ans.
Cette historiette du festin de Balthazar n'est pas mal imagine; on sait quel succs elle a eu; le
sujet est d'ailleurs plein d'attrait pour les peintres, qui n'ont pas manqu d'en tirer parti; aussi,
que de braves gens croient que c'est arriv! Par malheur, l'histoire est l, qui contredit
formellement la Bible.
D'abord, aucun Balthazar n'est mentionn nulle part comme ayant rgn Babylone.
Nbukadnezzar (Nabuchodonosor) mourut en 561 (av. J.-C), laissant un fils vilmrodak, qui
lui succda, de 561 556, et une fille, marie Nergalsarassar (Nriglissor), lequel assassina
son beau-frre, usurpa le trne, et prit un an aprs (555) dans un combat contre Cyrus, alors
roi de Perse. La couronne ne sortit pas encore de la famille de Nabuchodonosor: elle fut
dvolue, en premier lieu, son petit-fils Laborosoarchod, fils d'vilmrodak, qui ne rgna que
quelques mois, et en second lieu Nabonid, fils du frre cadet de Nabuchodonosor, que
quelques auteurs donnent comme un descendant de Smiramis, en confondant cette reine avec
Nitocris, l'illustre mre de Nabuchodonosor. Mais Nabonid, qui rgna de 555 538 et fut le
dernier roi de Babylone de la dynastie de Nabopolassar, n'est videmment pas le prince que la
Bible appelle Balthazar, puisque le livre de Daniel donne expressment ce Balthazar comme
fils de Nabuchodonosor, et puisqu'il le fait mourir dans la nuit de la prise de Babylone par
Darius. Or, Cyrus, qui comme roi de Perse avait succd en 560 son pre Cambyse I, et dont
la mre, Mandane, fille d'Astyage, roi des Mdes, tait la petite-fille de ce Cyaxare I qui eut
pour gendre Nabuchodonosor, Cyrus, disons-nous, runit la couronne de Mdie celle de
Perse en 536, c'est--dire la mort de Cyaxare II, frre de sa mre et son beau-pre, dont il
avait pous la fille unique, Bardane. Et c'est bien Cyrus, et non Darius, qui prit Babylone en
538, mettant fin au rgne de Nabonid, lequel n'est videmment pas Balthazar.
Il est vrai que Babylone fut prise de nouveau, vingt-deux ans plus tard, et cette fois par Darius
I. Aussi, quelques thologiens roublards insinuent que le roi de Babylone de cette autre
poque est le Balthazar de la Bible. Mais cette thse ne tient pas debout, ds qu'on l'examine
de prs. En effet, il est connu, archi-connu, que Cyrus, ayant runi sur sa tte les couronnes de
Perse, de Lydie (544, en dtrnant Crsus), de Mdie et d'Assyrie, fonda la grande monarchie
persane par la runion de tous ces tats et tablit la domination aryenne sur toute l'Asie
occidentale. Son fils Cambyse II lui succda, ajouta l'empire l'Egypte, dont il fit la conqute
en 525 et mourut en 522. On sait que, Cambyse n'ayant pas d'enfant et la couronne revenant
236

son frre Smerdis, celui-ci avait t secrtement assassin par les mages de Mdie qui lui
avaient substitu un des leurs, lequel rgna sept mois; mais, la supercherie ayant t
dcouverte, des seigneurs persans formrent un complot, massacrrent les mages et le faux
Smerdis (521) et donnrent la couronne Darius, deux fois gendre de Cyrus (il avait pous
ses filles Atossa et Aristhone), connu sous le nom de Darius I, fils d'Hystape. C'est l'histoire,
cela! Et Darius, qui rgna de 521 486, divisa son empire en vingt satrapies. Il est vrai qu'un
moment les satrapes de Babylone, Nabou-Imtouk et son fils Belsaroussour, se rendirent
indpendants; Darius eut reprendre Babylone (516). Mais comment soutenir que
Belsaroussour puisse tre Balthazar, puisque ce roi n'tait qu'un satrape rvolt, et non le
propre fils de Nabuchodonosor, qualification formellement donne par la Bible son
Balthazar et rpte plusieurs fois? Entre Nabuchodonosor et Belsaroussour, neuf rois avaient
rgn sur Babylone. En outre, les chapitres suivants du livre de Daniel nous reprsentent ce
prophte maintenu dans les plus hautes fonctions par Darius et par Cyrus, en donnant ces
deux rois comme rgnant simultanment, l'un sur les Mdes, l'autre sur les Perses. Or, ils
furent, l'un aprs l'autre, la fois rois des Mdes et des Perses, et entre le rgne de Cyrus et
celui de son gendre Darius, il y eut Ca mbyse le conqurant et le faux Smerdis.
Enfin, comme il est indiscutable que la prise de Babylone qui a mis fin l'empire chaldo-
babylonien (dynastie de Nabopolassar, famille de Nabuchodonosor) est celle de 538, c'est--
dire la prise de Babylone par Cyrus, d'autres thologiens supposent que Darius, commandant
les armes de Cyrus, dont il tait le gendre, prit possession du royaume au nom de son beau-
pre, et disent que cela est sous-entendu dans le verset 31 du chapitre 5 cit plus haut. Ils
ajoutent, toujours par hypothse, qu'videmment Cyrus demeura le haut souverain de tout le
nouvel empire persan, mais qu'il dut dlguer des pouvoirs spciaux son gendre Darius, en
l'tablissant particulirement roi sur la Chalde, c'est--dire sur les tats de Balthazar, dont
Babylone tait la capitale. Ils prtendent justifier cette supposition, en la basant sur le verset
28 du chapitre 6 et sur le verset 1 du chapitre 9. Ces versets sont ainsi conus: Daniel
prospra sous le rgne de Darius et sous le rgne de Cyrus, roi de Perse (6:28). Darius, fils
d'Assurus, de la race des Mdes, avait t tabli roi sur le royaume des Chaldens (9:1).
Ainsi, disent-ils, le rcit de Daniel se concilierait avec l'histoire.
On comprend que les prtres, qui proclament Daniel un des plus grands prophtes qui Dieu
se soit rvl, tiennent tant le justifier de toute vantardise menteuse; il est vident que, si cet
crivain juif a menti en racontant des vnements passs dont il aurait t le tmoin et l'un des
principaux acteurs, il n'y a aucune confiance avoir, plus forte raison, dans les annonces
qu'il fait d'vnements futurs: or, comme ces prophties, visant le Messie et son Eglise, sont
de la plus grande importance pour le christianisme qui se dclare la religion ainsi annonce, il
ne faut, aucun prix, que Daniel soit pris en flagrant dlit d'imposture. Voil pourquoi les
prtres se donnent un mal de tous les diables vouloir prouver que, le dernier jour du rgne
d'un Balthazar quelconque, fils de Nabuchodonosor, Babylone fut prise par Darius de Mdie,
agissant pour le compte de Cyrus et investi tout aussitt de la royaut chaldenne.
Mais c'est une fatalit: Daniel, hbleur et bavard irrflchi, croyait n'crire que pour la basse
classe du peuple juif, pour ses compatriotes ignorants, incapables de discuter avec les lvites
un point d'histoire; ainsi ont t inventes ces lgendes d'Holopherne, de Balthazar, et autres
pisodes du mme genre, trs flatteurs pour l'amour-propre de ces pauvres Hbreux qui, en
ralit, avaient t traits fort durement par leurs divers vainqueurs: avec ces blagues de
l'hrosme des Judith et de l'lvation des Daniel et des Esther, on chatouillait agrablement la
fibre nationale, on donnait une fiche de consolation, aprs la captivit, aux vaincus enfin
dlivrs de la servitude, et l'on crivait ces livres d'une fantaisie insense, sans se douter qu'un
jour tout cet chafaudage de mensonges s'croulerait et montrerait la cynique mauvaise foi
des prtres de tout temps.
237

En effet, la dernire argumentation des thologiens, pour sauver leur Daniel de l'accusation
d'imposture en ce qui concerne Darius et Cyrus, n'est pas plus solide que leurs autres
hypothses. Darius n'tait pas fils de roi, mais fils d'un seigneur persan, nomm Hystape; il
n'tait donc pas fils d'Assurus, et Assurus est encore un roi imaginaire invent par la Bible,
un soi-disant roi de Perse et de Mdie qui aurait pous la juive Esther. Darius n'tait pas de la
race des Mdes; bien au contraire, la mort de Cyrus, qui avait fait dominer l'influence perse
dans le nouvel empire, les mages de Mdie profitrent de l'expdition de Cambyse en Egypte
pour essayer de s'emparer du pouvoir, et ils y russirent quelque temps en mettant sur le trne
le faux Smerdis: or, ce fut prcisment pour liminer l'influence de la race mde que les
seigneurs persans firent une rvolution, massacrrent les mages et leurs partisans, et
donnrent la couronne Darius, fils d'Hystape, de sang perse. Enfin, Darius n'eut jamais une
royaut particulire Babylone: quand il reut la couronne, ce fut pour rgner comme
successeur lgitime de Cyrus et de Cambyse, ce fut pour tre chef du grand empire persan, roi
tout la fois de la Perse proprement dite, de la Mdie, de la Lydie, de la Chalde, de la
Bactriane et de l'Egypte.
Aprs la bonne histoire de Balthazar, Daniel raconte (ch. 6) que Darius, ayant divis son
royaume de Chalde en cent vingt satrapies, mit au-dessus des cent vingt satrapes trois
gouverneurs, et qu'il tait, lui Daniel, le plus important des trois; les autres gouverneurs et les
cent vingt satrapes, jaloux de cette immense autorit donne un juif, conspirren t ds lors sa
perte. Pour cela, ils imaginrent de faire dcrter par Darius que, pendant trente jours, la
personne royale serait adore et prie, l'exclusion de tout dieu. Naturellement, Daniel ne tint
pas compte de ce dcret, et il continua adresser ses prires Jhovah. Or, lorsque Darius
reut la dnonciation contre son premier ministre, pour lequel il avait une grande affection, il
comprit que ses conseillers l'avaient fait tomber dans un pige; mais, sa parole royale tant
engage, il donna ordre de descendre Daniel dans une fosse remplie de lions. Toutefois,
Darius, quoique d'abord dvot aux dieux de son pays, eut une certaine confiance en Jhovah,
Darius ayant command qu'on jett Daniel dans la fosse aux lions, lui dit: Ton Dieu, que tu
sers sans cesse, est celui qui te dlivrera. Et l'on apporta une pierre qui fut mise sur l'ouverture
de la fosse, et le roi la scella de son anneau et de l'anneau des principaux seigneurs. Puis,
Darius s'en alla dans son palais; il passa la soire sans souper, ne lit point venir ses musiciens,
et mme il ne put dormir de toute la nuit. Le lendemain, au point du jour, le roi se leva et se
rendit en toute hte vers la fosse aux lions; arriv l, il appela Daniel d'une voix triste, en ces
termes: Daniel, serviteur du Dieu vivant, ton Dieu t'aurait-il dlivr des lions? Alors, Daniel
dit au roi: O roi, vis jamais! Mon Dieu a envoy son ange, qui a ferm la gueule des lions, et
ils ne m'ont fait aucun mal. Darius fut transport de joie en entendant ces paroles; il fit retirer
Daniel de la fosse, et tout le monde vit bien qu'il n'avait aucune blessure. Aussitt, par ordre
du roi, tous ceux qui avaient accus Daniel furent jets dans la fosse aux lions, ainsi que leurs
femmes et leurs enfants, et ils furent dvors par les lions avant mme d'avoir touch le pav
de la fosse. Alors, le roi Darius crivit une lettre qu'il envoya tous les rois de la terre, et cette
lettre tait ainsi rdige: A tous les peuples et nations de toutes langues qui habitent sur la
terre. Que la paix soit avec vous! Je vous cris pour vous faire savoir que je viens de publier,
dans toute l'tendue de mon royaume, un dit ordonnant que dsormais tous mes sujets
honorent et craignent le Dieu de Daniel, car il est le Dieu vivant et le seul ternel, et sa toute-
puissance dominera le ciel et la terre jusqu' la fin des temps. (6:16-26)
Il faut vraiment que le peuple juif ait t tenu par ses chefs dans l'ignorance la plus complte
de ce qui se passait chez les autres peuples, il faut aussi que les lvites qui crivaient pour lui
ces livres sacrs aient eu un toupet phnomnal, pour qu'on trouve dans la Bible des
affirmations d'une telle audace, en contradiction si flagrante avec l'histoire. La conversion de
Darius Jhovah! le judasme proclam religion d'tat par dit de Darius! et cet vnement
politico-religieux de la plus grande importance, port par lettres royales la connaissance de
238

tous les peuples! aurait-on pu rver un mensonge aussi impudent? croirait-on qu'il ait t
possible, si la Bible n'avait pas t conserve?... Darius, adorateur de Sabaoth-Jhovah-
Adona, lui qui participa, avec ses richesses, l'rection du temple de Diane phse; car ce
fameux sanctuaire paen, commenc vers l'an 620 avant l're chrtienne et termine deux-cent
vingt ans aprs, fut lev aux frais communs de tous les tats de l'Asie occidentale (Pline)...
En revanche, Daniel, ce prtendu premier ministre de Darius, ne dit, dans ses quatorze
chapitres, pas un seul mot de la guerre que
Darius fit aux Grecs; cette guerre formidable, Daniel n'en a jamais entendu parler! il ignore m
me la bataille de Marathon!...
Les chapitres 7 12 du livre de Daniel sont consacrs des songes que l'crivain prtend
avoir eus et des prophties. Ecrites par un auteur sincre, ces rveries n'auraient dj aucune
valeur; sous la plume du fumiste qui a racont imperturbablement qu'il avait t gouverneur
de la province de Babylone sous Nabuchodonosor et, plus tard, premier ministre de Darius,
ces prtendues prophties et visions n'ont pas mme l'at trait de la curiosit qui peut s'attacher
parfois aux visions extravagantes d'un fou. Que peut nous importer que Daniel ait vu ou non
en rve un lion avec des ailes d'aigle, un ours dont la gueule tait remarquable par trois
immenses crocs, un lopard quatre ttes ayant sur le dos quatre ailes d'oiseau, une bte d'une
forme indescriptible avec dix cornes et des dents de fer? Que peut nous importer que cet
effront blagueur annonce une rsurrection gnrale, qui aura lieu, dit-il, dans un temps, plus
des temps, plus la moiti d'un temps? Tout cela a la mme porte que les calembredaines
dbites par la premire tireuse de cartes venue. On ne peut, en lisant ces pages idiotes, que
prendre en aversion les prtres qui y recourent pour abrutir les fidles, et prendre en piti ceux
dont la btise incommensurable accepte comme des inspirations merveilleuses ces ridicules
stupidits.
Le chapitre 13 expose comment Daniel sauva la vie d'une vertueuse femme que deux vieux
coquins avaient fait condamner mort, et comment la calomnie des accusateurs fut dmontre
et les fit excuter la place de leur victime. La scne se passe Babylone, au temps de la
captivit. L'hrone est une certaine Suzanne, femme d'un juif nomm Joachim.
Cette Suzanne tait trs belle et non moins fidle son mari. Deux vieux magis trats, qui
venaient parfois dire bonjour son mari, conurent pour elle une vive passion. Ils avaient
honte de dclarer l'un l'autre l'envie qu'ils avaient de coucher avec Suzanne; mais ils
cherchaient avec soin, tous les jours, les moyens de la surprendre. (13:11-12) Un hasard les
obligea se faire un jour la confidence mutuelle de leur coupable amour; ils rsolurent, ds
lors, de manuvrer d'accord pour contraindre Suzanne leur cder. C'est ainsi qu'ils se
cachrent dans le jardin o elle venait quelquefois se baigner; ils attendirent qu'elle ft nue,
aprs avoir renvoy ses servantes; alors, se montrant soudain, ils exigrent sa soumission
leurs impurs dsirs, la menaant de dire qu'ils l'avaient trouve avec un amant, si elle leur
rsistait. Suzanne pleura, mais rsista. Les deux vieux juges crirent, ameutrent les gens de la
maison, les voisins, et se dmenrent tant et si bien, qu'une assemble du peuple fut
convoque pour se tenir le lendemain devant la maison de Joachim.
Quelle drle de captivit tout de mme! Voil les Juifs, prisonniers de guerre, interns
Babylone, que l'autorit laisse se runir en assemble dlibrante, en tribunal de haute justice,
absolument comme s'ils taient chez eux, Jrusalem! On aurait cru plutt que Suzanne,
accuse d'adultre par deux magistrats babyloniens, allait tre dfre aux juges ordinaires de
Babylone, aux juges chaldens institus par Nabuchodonosor; car l'pisode est du temps de la
jeunesse de Daniel.
Tous les Juifs captifs Babylone se runirent donc l'heure dite, en toute libert. Suzanne
comparut devant l'assemble populaire. Les deux vieux juges babyloniens maintinrent leur
accusation. Mettant chacun la main sur la tte de la femme Joachim, ils jurrent qu'ils
l'avaient surprise dans le jardin, toute nue sous prtexte de bain, et faisant l'amour avec un
239

jeune homme; celui-ci, disaient-ils, avait t plus fort qu'eux, ils n'avaient pu le retenir; voil
comment le complice de l'adultre avait russi s'chapper. Suzanne nia, sans dire toutefois
pourquoi les deux vieux coquins portaient faux tmoignage contre elle; mais elle adressa,
haute voix, une prire Jhovah, attestant qu'elle tait injustement condamne; car le peuple
avait cru ses calomniateurs et avait dlibr qu'elle devait prir.
On allait donc mettre excution la sentence, lorsque le jeune Daniel, du milieu de la foule,
demanda la parole, l'obtint, et se fit fort de prouver l'innocence de cette Suzanne, qu'il voyait
pour la premire fois. Sur son initiative, les deux accusateurs furent spars. Alors, l'un d'eux
fut de nouveau appel, et Daniel commena son attrapage dans ces termes: O toi qui as
vieilli dans une longue malice, maintenant sont venus leur comble les pchs que tu
commettais auparavant, en rendant des sentences injustes, condamnant les innocents et
absolvant les coupables! Maintenant donc, si tu as vu cette femme en faute, dis sous quel
arbre tu l'as surprise avec son amant? Il rpondit: Sous un lentisque. Et Daniel lui dit:
Vraiment tu as menti contre ta propre tte; car, voici le messager de Dieu qui, ayant reu de
lui l'arrt, te coupera par le milieu! (13:52-55)
On trouvera peut-tre que Daniel, avant de traiter le premier faux tmoin de menteur, aurait
d attendre la rponse contradictoire du second, puisque c'tait uniquement cette contradiction
qui devait prouver la calomnie des accusateurs.
Mais un jeune garon qui devait plus tard lire sur un mur et traduire des mots n'appartenant
aucune langue humaine, n'tait videmment pas comme les autres hommes. Et Daniel, aprs
avoir fait, retirer part le premier vieillard, commanda qu'on amena l'autre, et lui dit: O vieux
sperme de Canaan! la beaut de Juda a allum tes convoitises. Voil comment vous avez
abus des filles d'Isral, et, par peur de vous, elles ont souffert que vous entriez en elles; mais
la fille de Juda, plus vaillante que les filles d'Isral, n'a point souffert votre iniquit!
Maintenant donc, dis sous quel arbre tu as surpris cette femme avec son amant. Il rpondit:
Sous un chne vert. (13:56-58).
La cause tait entendue, le faux tmoignage tait vident. Il est clair que les deux vieux
magistrats babyloniens mritaient un chtiment exemplaire. Mais qui donc allait les juger? La
Bible affirme que leur condamnation fut prononce et excute par l'assemble populaire des
Juifs captifs! Alors, toute l'assemble bnit Jhovah haute voix; et tous s'levrent contre
les deux vieux juges, car Daniel les avait convaincus de faux tmoignage par leur propre
bouche. Et, leur appliquant la loi de Mose, ils les traitrent de mme qu'ils avaient
mchamment voulu faire traiter Suzanne; ils les mirent donc mort, et ainsi le sang innocent
fut sauv ce jour-l. (13:60-62)
En supposant cette histoire vraie, y compris l'excution, il est certain que les deux vieux
coquins ne l'avaient pas vole; mais, si indignes de piti qu'ils fussent, il est non moins certain
que le jugement de leur cas appartenait aux tribunaux babyloniens; c'est pourquoi cette
conclusion suffit, elle seule, pour prouver le mensonge du rcit biblique. Il est inadmissible
que les magistrats de Nabuchodonosor aient laiss juger et supplicier deux des leurs, mme
indiscutablement coupables, par une runion de prisonniers de guerre, tenus en servitude; il
est impossible que des Juifs, en tat d'esclavage Babylone, aient pu librement et
publiquement appliquer la loi de Mose deux fonctionnaires de l'tat babylonien, deux
personnages officiels qui taient au nombre de leurs matres et oppresseurs. Et l'histoire de
Suzanne et des deux vieillards est une de celles qui sont le plus facilement admises! L'art s'en
est empar pour la populariser; elle est une tradition respecte, laquelle la multitude croit.
Vraiment, dirons-nous, on ne lit pas assez la Bible; car la lire, c'est la mpriser et cesser d'y
croire, tant les impostures qui la composent y sont maladroites force de cynisme!
Au chapitre 14 et dernier du livre de Daniel, nous avons tout d'abord un mensonge historique
flagrant: Le roi Astyage tant mort, Cyrus de Perse fut mis en possession de son royaume; et
Daniel mangeait la table du roi, qui lui accorda des honneurs plus qu' tous ses meilleurs
240

amis. (v. 1) Le lvite qui a crit ce livre ne sait mme pas qu'Astyage, roi de Mdie, mort en
559, dont la fille Mandane fut mre de Cyrus, laissa un fils, Cyaxare II, qui lui succda et
rgna vingt-trois ans; ce lvite ignore que c'est seulement la mort de Cyaxare (536), que
Cyrus, qui tait la fois son neveu et son gendre, eut en hritage cette couronne de Mdie
qu'il runit la couronne de Perse, Cyaxare II n'ayant laiss aucun enfant mle. Dbutant
donc par une si forte blague, ce chapitre promet.
C'est l que nous apprenons que Cyrus adorait Babylone une idole, nomme Bel; de
nombreux commentateurs y voient encore Baal. Or, les prtres de Bel ou Baal prtendaient
que leur idole dvorait pendant la nuit tous les mets que les fidles dposaient sur son autel
durant la journe. La Bible veut nous faire croire que Cyrus avait la navet d'avaler une
bourde de calibre-l, et qu'il essayait m me de convaincre Daniel: Quoique l'idole Bel soit
en terre recouverte de cuivre, disait-il, c'est un dieu parfaitement vivant, puisqu'il mange et
boit tous les jours. (v. 5). Daniel, ayant piti de la jobarderie de Cyrus, le dcida tenter une
preuve. Des viandes et du vin furent apports comme l'ordinaire sur l'autel de Bel, et l'on fit
retirer les sacrificateurs; puis, Daniel, en prsence du roi seul, rpandit de la cendre sur le sol;
aprs quoi, le roi et lui s'en allrent, et Cyrus eut soin de poser son cachet sur toutes les portes.
Mais les prtres avaient une trappe au-dessous de l'autel; ils vinrent donc la nuit par cette
entre secrte et emportrent tous les vivres pour les boulotter en famille. Le lendemain, la
fraude fut aisment dmontre par les traces de pas sur la cendre. Cyrus entra dans une colre
bleue, en voyant qu'il avait t si longtemps dup; il fit massacrer tous les sacrificateurs de
Bel, leurs femmes et leurs enfants, et donna l'idole Daniel, qui la dtruisit avec son temple.
Or, il y avait aussi Babylone un grand dragon, et les Babyloniens l'adoraient. (v. 22)
Cyrus dit Daniel: Ce monstre n'est pas une idole de matire; il est bien vivant, lui; par
consquent, il est dieu. Daniel demanda au roi de lui accorder simplement la permission de
combattre ce dragon sans pe et sans bton. Cyrus y ayant consenti, Daniel prit de la poix,
de la graisse et de la bourre, qu'il fit cuire ensemble, et il en fit des tourteaux qu'il jeta dans la
gueule du dragon, et le dragon creva. (v. 26)
Le peuple s'tant montr mcontent de la mort du dragon, Cyrus, pour apaiser l'meute dj
grondante, fit jeter Daniel dans la fameuse fosse aux lions. Cyrus et les Babyloniens auraient
d savoir que Daniel ne serait pas dvor, puisque l'aventure avait dj eu une premire
dition; mais l'auteur sacr s'emptre ici dans ses mensonges de la faon la plus comique. La
premire fois qu'il met Daniel dans la fosse aux lions, c'est du temps de Darius, et ce roi ne l'y
laisse qu'une nuit. Cette fois, Daniel passe six jours et six nuits au milieu des fauves; car il
faut que le second miracle soit plus clatant encore que le premier. Or, il y avait dans la
fosse sept lions, et tous les jours auparavant on leur donnait deux cadavres et deux brebis;
mais alors on ne leur donna rien, afin qu'ils dvorassent Daniel. (v. 31). Ce coup-ci, il va
donc falloir non seulement que Dieu prserve son prophte des griffes et des dents des lions,
mais aussi qu'il le nourrisse. De cette faon, le miracle ne laissera rien dsirer. La suite de
l'pisode est donc plus admirable q ue tout ce qu'on a lu jusqu' prsent. Or, un prophte
nomm Habacuc tait rest en Jude; et, un jour qu'il s'apprtait aller porter des
moissonneurs dans les champs une soupe de pain qu'il avait cuite et qu'il tenait dans un vase,
un ange lui apparut et lui dit: Habacuc, va porter Babylone ce dner Daniel, qui est dans la
fosse aux lions. Habacuc rpondit: Seigneur, je ne vis jamais Babylone, et j'ignore o est cette
fosse. Alors l'ange prit Habacuc par le sommet de la tte, et, en le tenant par les cheveux, le
transporta jusqu' Babylone, au-dessus de la fosse. L, Habacuc cria: Daniel, Daniel, voici le
dner que Dieu t'envoie. Ainsi, Daniel mangea. Puis, l'ange du Seigneur retransporta de
nouveau Habacuc l'endroit o il l'avait pris. Et au septime jour le roi Cyrus vint pour
pleurer Daniel; il vint la fosse et regarda dedans, et il vit que Daniel tait bien vivant,
tranquillement assis au milieu des lions. (14:32-39).
241

Bien entendu, Cyrus, imitant Darius, fit retirer Daniel de la fosse et commanda d'y prcipiter
ses ennemis, lesquels furent immdiatement dvors. Le miracle de la fosse aux lions de
Cyrus enfonce donc dans le sixime dessous le miracle de la fosse aux lions de Darius; mais il
y a une petite difficult que soulvent les critiques: c'est que Darius monta sur le trne neuf
ans aprs la mort de Cyrus; en dictant ses blagues l'crivain lvite, l'Esprit-Saint a oubli sa
chronologie, s'y est embrouill, et, comme un vrai hanneton, a tout btement interverti l'ordre
de succession de ces deux rois!
Ezchiel est, avec Isae, Jrmie et Daniel, un des quatre grands prophtes; il crit ses
prophties, aux bords du fleuve Kbar (?), o il tait captif. Si Daniel est un fumiste, par
contre, Ezchiel produit l'effet d'un fou; son livre, en quarante-huit chapitres, est une longue
suite de divagations. Il raconte, notamment qu'il a vu (pas en rve) quatre animaux ayant
chacun un corps d'homme, quatre ailes, des pieds de veau, et quatre faces, d'homme, de buf,
de lion et d'aigle; leur aspect tait celui d'un animal tout en feu; ils allaient et venaien t; ct
d'eux, couraient des roues d'une hauteur immense et remplies d'yeux (ch. 1). Cette description
donne une ide du dtraquement crbral du personnage.
Ce prophte raconte ce qu'il a fait, par ordre de Dieu. Un jour, il a mang un livre sur lequel
taient crites des lamentations et des maldictions (ch. 2). Quelque temps aprs, il s'est
couch pendant trois cent quatre-vingt-dix jours sur le ct gauche, en expiation des iniquits
du royaume d'Isral, et ensuite pendant quarante jours sur le ct droit, en expiation des
pchs du royaume de Juda (ch. 4). En outre, tout le temps que dura cette double expiation,
Ezchiel mangea du caca en tartine, son djeuner. C'est Jhovah en personne qui lui avait
ordonn cette mortification: En prsence des enfants d'Isral, eux le voyant, tu mangeras
chaque matin des excrments d'homme tendus sur des gteaux d'orge, que tu auras fait cuire.
(v. 12).
Cependant, cette nourriture ayant dgot le prophte, Dieu consentit un changement: Je
te permets la fiente de buf, au lieu de la merde d'homme, et tu feras cuire ton pain avec cette
fiente. (v. 15). Dans une autre circonstance, tant dans une maison et voulant s'en aller,
Ezchiel, au lieu de passer par la porte, comme tout le monde, lit un trou dans la muraille et
dmnagea par ce trou avec ses habits et ses provisions (12:7).
Au chapitre 37, Ezchiel narre que, se promenant dans une campagne pleine d'ossements
desschs, il les anima en leur faisant un discours.
Mais, de tous les passages d'Ezchiel, celui qui a excit le plus de murmures parmi les
critiques, et qui a le plus embarrass les thologiens, est l'apologue d'Ahola et Aholiba, les
deux surs prostitues. Sous prtexte de fltrir le manque de foi d'Isral et l'indiffrence
religieuse de Juda certaines poques, Ezchiel fait parler Jhovah dans les termes de la plus
dgotante obscnit: Mon cur s'est dtach d'Aholiba, comme il s'tait dtach de sa sur
Ahola; car elle a multipli ses adultres, jusqu' rappeler le souvenir de sa jeunesse o elle se
prostituait en Egypte; et elle s'est attache de prfrence aux dbauchs dont le membre est
gros comme celui des nes et dont l'jaculation est puissante comme celle des chevaux.
(23:18-20). Voil les honteuses comparaisons que l'on trouve dans la Bible, sous prtexte
d'apologue, dont, au dire des prtres, il faut admirer le sens mystique. Du mysticisme? Quelle
moquerie! Pour exprimer que les deux royaumes d'Isral et de Juda avaient manqu de pit
envers Jhovah, tait-il donc ncessaire d'crire de telles cochonneries?...
Un autre prophte qui se dlecte dans les malproprets, c'est Ose, dont les rcits se
rapportent des faits vcus, et qui, tout en prtendant avoir des visions de Jhovah, les
complte par des actes passablement rpugnants.
Cet Ose, n chez les Samaritains, s'attacha nanmoins au culte de Jrusalem. La Bible le cite
comme un modle d'obissance Dieu; mais quels tranges ordres Dieu lui donne!...
Lorsque l'ternel commena parler Ose, il lui dit: Prends pour femme une prostitue, et
fornique avec elle, de manire avoir d'elle des enfants de prostitue. (1:2) C'est ainsi que
242

notre homme se justifie d'avoir pous une femme de mauvaise vie. S'il faut en croire ce
prophte, Dieu lui enjoignit plus tard de coucher avec la femme d'un de ses amis, mais la
condition toutefois qu'elle ait dj tromp son mari: L'ternel me dit: Va encore aimer une
femme ai me de son poux, mais s'tant livre l'adultre; car c'est ainsi que Jhovah aime
les enfants d'Isral, lesquels pourtant, honorent d'autres dieux et se rjouissent boire des
flacons de vin. Pour obir Dieu, j'entrai donc en cette femme, aprs lui avoir donn quinze
pices d'argent et un boisseau et demi d'orge. Et je dis celte femm e: Nous habiterons
ensemble pendant plusieurs jours; tu ne coucheras avec aucun autre que moi; et je te promets
de t'tre fidle. (3:1-3).
Mais quelle conclusion tirer des passages de ce genre, si multiplis dans la Bible, sinon que le
peuple de Dieu fut un peuple de paillards, ne reculant devant aucune impudicit, en mme
temps qu'un peuple de splendides ivrognes, si nous devons en croire ces paroles de Jol, autre
prophte sacr: Ivrognes, rveillez-vous et pleurez, et vous tous qui buvez le vin, hurlez
cause de cette liqueur qui sort de la vendange; car je vais en priver dsormais votre bouche.
(Jol 1:5)
Le livre d'Esther entre dans la catgorie des ouvrages crits indubitablement pour panser les
blessures de l'amour-propre juif. Nous ayons vu que Daniel a eu l'aplomb d'crire qu'il avait
t le premier ministre Darius, qui il donnait pour pre un prtendu Assurus; quelque autre
lvite, d'un toupet non moins formidable, a eu l'aplomb d'crire l'histoire de cet Assurus, de
ce mythe, d'en faire un monarque, dont le royaume, ayant pour capitale Suse, a comprenait
cent vingt-sept provinces et s'tendait de l'Inde l'Ethiopie, et de lui faire pouser une juive.
D'aprs la Bible, donc, en la troisime anne de son rgne, cet Assurus, inconnu des
historiens, donna un incomparable festin, qui dura cent quatre-vingts jours (Esther 1:4). Sur la
fin du repas, le monarque invita tout le peuple de Suse pendant sept jours, depuis le plus riche
jusqu'au plus pauvre (v. 5). Or, le septime jour du banquet populaire, le roi, tant plus gai
que de coutume, cause du vin qu'il avait bu, commanda ses eunuques d'amener Vasthi, la
reine, devant lui, toute nue, avec la couronne royale, pour faire voir sa beaut aux seigneurs et
au peuple; car elle tait belle. (v. 11) Mais la reine Vasthi refusa. Le roi, transport de
fureur, consulta sept sages; en suite de quoi, Vasthi fut rpudie, et par un dit son diadme
fut promis la plus jolie pucelle qui plairait au roi. Sous la garde d'Hga, eunuque en chef,
on runit ainsi un grand nombre d jeunes filles; chacune, . tour de, rle, devait passer une
nuit l'essai dans le lit de Sa Majest.
Or, il y avait Suse un juif nomm Mardoche, fils de Jar, de la tribu de Benjamin, qui
avait t transport de Jrusalem avec les prisonniers qu'emmena Nabuchodonosor, lorsqu'il
captura Jchonias. Mardoche levait sa jeune nice Adassa, orpheline de pre et de mre; il
la traitait comme sa propre fille, et il l'appela Esther. C'est sous ce nom qu'il la fit entrer au
srail d'Assurus; car elle tait trs belle. Esther, suivant la recommandation de son oncle, ne
dclara pas qu'elle tait juive. Et elle fut de celles qui plurent au roi, ds le premier coup d'il;
c'est pourquoi le roi lui fit faire tout ce qu'il fallait pour la prparer, en attendant que son tour
vnt de coucher dans le lit royal. Toute jeune fille destine entrer au lit d'Assurus devait,
pendant six mois, se frotter avec de l'huile de myrrhe, et, pendant six autres mois, des plantes
aromatiques. Alors, elle tait remise entre les mains du roi, aprs avoir reu tout ce qu'elle
demandait. Elle entrait au palais le soir, et, sur le matin, elle retournait dans le second srail,
sa nouvelle demeure, sous la conduite du prince eunuque Schahagas, gardien des concubines;
mais, ds lors, elle ne retournait plus au palais d'Assurus, moins que le roi ne dsirt encore
coucher avec avec elle et qu'elle ft appele nommment. Quand le tour d'Esther fut venu, elle
ne demanda que ce qu'Hg lui conseilla de demander. Ainsi, elle fut dfinitivement conduite
Assurus, en son palais royal, dans le dixime mois de la septime anne de son rgne. Et le
roi aima plus Esther que toutes les autres pucelles qu'il avait essayes auparavant; elle gagna
243

ses bonnes grces et sut tre plus agrable que toutes; il mit donc le diadme sur sa tte et la
proclama reine la place de Vasthi. (2:5-17).
Quelque temps aprs, Assurus eut pour premier ministre Aman, fils d'Amadath, de la race
d'Agag. Or, Aman, trs orgueilleux, voulait que tout le monde s'agenouillt devant lui; seul,
Mardoche osa rsister cet ordre. Furieux, le ministre obtint du roi un dit ordonnant le
massacre de tous les juifs; malgr tout son esprit subtil, Aman n'avait pas trouv un autre
moyen d'atteindre Mardoche. Mais, tandis qu'on expdiait l'dit de mort tous les
gouvernements des provinces, Mardoche prvint Esther, et celle-ci se rendit auprs du roi,
sans attendre d'tre appele; ce qui tait trs grave. Quiconque s'approchait du roi, sans avoir
t demand, tait par ce fait condamn mort, moins que le roi ne lui tendt son sceptre
d'or en signe de pardon de sa tmrit. Esther risqua le coup; Assurus, tonn, mais aussitt
charm, tendit son sceptre l'aimable reine, et lui demanda ce qu'elle dsirait, lui offrant
mme la moiti de son royaume. Esther pria le roi de vouloir bien venir dner chez elle, en se
faisant accompagner d'Aman.
Le dner eut lieu, et Assurus, fort intrigu, ritra, au dessert, son offre de partage du
royaume. Esther la dclina, mais pria son royal poux de lui faire encore l'honneur de dner
chez elle, le lendemain, toujours avec Aman. Celui-ci fut tellement fier d'tre honor ce
point par la reine, qu'il s'en flatta auprs de Zrs, sa femme, et de tous ses amis; mais, comme
nanmoins l'indpendance de Mardoche le mortifiait plus que jamais, il fit faire une potence
haute de cinquante coudes, en se promettant bien qu'on y accrocherait le dtest juif, dont il
ignorait la parent avec la reine (ch. 3, 4, 5).
Cependant, Assurus, ne pouvant dormir cette nuit-l, se fit lire, pour se distraire, les annales
de son rgne; il eut ainsi l'occasion d'apprendre que deux de ses eunuques, nomms Bigthan et
Thrs, avaient form, dans un temps dj assez lointain, le projet de l'assassiner, mais que ce
complot avait t rvl aux autorits par un certain Mardoche, qui avait ainsi prserv sa
royale existence. Assurus demanda quelle rcompense ce Mardoche avait reue. Aucune,
lui rpondit-on. C'est pourquoi, ds le matin, quand Aman se prsenta chez le souverain,
celui-ci lui dit: Aman, conseille-moi; que faudrait-il faire un homme que le roi voudrait
honorer d'une faon tout fait extraordinaire? Aman, s'imaginant que c'tait de lui qu'il
s'agissait, rpondit: Roi, il faut revtir cet homme de votre manteau royal, lui mettre votre
couronn, le faire monter sur votre cheval; il faut ensuite que cet homme soit promen ainsi
par les rues de votre capitale, le cheval tant tenu par la bride par l'un des plus grands
seigneurs du royaume, lequel criera au peuple: Voici l'homme que le roi veut qu'on honore
jamais dans son royaum e! Alors le roi lui dit: Tu as raison; or donc, va auprs d'un certain
Mardoche, et promne-le par toute la ville comme tu viens de dire. Aman dut s'excuter, On
pense s'il le fit contre-cur! (ch. 6).
Le soir, la reine Esther donna son second dner Assurus, accompagn d'Aman; mais le
ministre n'tait plus si pimpant que la veille. Pour la troisime fois, Assurus offrit Esther de
lui accorder tout ce qu'elle dsirerait, ft-ce la moiti de son royaume. La reine lui rpondit: O
roi, accorde-moi que je vive et que ceux de ma race ne soient pas extermins!
Assurus, qui avait pous Esther sans savoir de quelle race elle tait, devint alors fort
perplexe. Que signifie ceci? pensa-t-il. Et lorsque la reine lui eut affirm qu'un ennemi de sa
race avait machin une extermination gnrale et que c'tait pour cela qu'elle implorait la
souveraine clmence, Assurus, n'y comprenant rien, s'cria: Qui est et o est cet homme qui
a eu l'audace de machiner l'extermination de la race laquelle appartient la reine Esther, qui
m'est si chre? Esther de rpondre: Cet ennemi, l'oppresseur de ma race, c'est ce mchant
Aman, ici prsent.
Trouble d'Aman, grande colre du roi; entre d'un eunuque, venant dire qu'une haute potence
destine Mardoche a t leve par ordre du ministre.
244

Conclusion: Assurus ordonne qu'Aman soit pendu sa potence; l'ordre royal est aussitt
excut, et Mardoche est nomm premier ministre. (ch. 7, 8)
Avec le consentement du roi, Esther et Mardoche firent publier que les Juifs, dont le
massacre avait t annonc par Aman pour le treizime jour du mois Adar, auraient le droit,
ce jour-l et Je lendemain, de massacrer quiconque les avait maltraits depuis Je
commencement de leur captivit. Huit cents personnes furent ainsi gorges Suse, et
soixante-quinze mille dans les autres villes du royaume. Le quinzime jour d'Adar, les
Isralites banquetrent joye usement partout. Esther fit un dit dclara nt qu' l'avenir les Juifs
clbreraient chaque anne la mmoire de ces vnements (ch. 9). Ce sont les ftes de
Pourim, qui sont encore observes de nos jours par les Isralites: un jour de jene, en souvenir
des transes et des prires du mythe Esther, et deux jours de rjouissances, en souvenir des
prtendus massacres.
Tel est le conte d'Esther, dont les prtres ont fait une histoire sacre, laquelle il faut avoir
foi, malgr ses criantes invraisemblances. C'est toujours par une impudicit qu'une sainte
lgende commence: si la reine Vasthi a t rpudie pour n'avoir pas voulu paratre toute nue
devant les seigneurs et les sujets d'Assurus, il est sous-entend u que la belle Esther, en se
mettant au nombre des candidates la succession de Vasthi, tait dispose se plier au
caprice du roi. Les critiques disent aussi que jamais le sultan des Turcs, ni celui du Maroc, ni
le shah de Perse, pi le grand Mogol, ni l'empereur de Chine ne reoit une fille dans son srail
sans qu'on apporte sa g nalogie et des certificats de l'endroit o elle a t prise; il n'y a pas
un cheval arabe dans les curies du Grand Seigneur, dont la gnalogie n soit entre les mains
du grand cuyer: comment donc Assurus n'aurait-il pas t inform de la patrie, de la famille
et de la religion d'une fille qu'il pousait solennellement et proclamait reine?... Quant cet
Aman, qui veut faire massacrer toute une nation parce qu'un quidam de cette nation refuse de
se prosterner devant lui, et alors que les autres juifs qu'il voue cet gorgement lui rendent cet
honneur qu'il dsire, il faut avouer que jamais une folie si ridicule et si horrible n'entra dans la
tte de personne. D'autre part, si l'on admet, selon la Bible, qu'Esther a russi devenir reine
et garder la couronne en cachant qu'elle tait juive, la gloire de cette lvation s'en trouve
singulirement diminue au point de vue de l'amou r-propre national; et, au surplus, on ne voit
pas comment Assurus peut juger Aman coupable d'avoir voulu faire gorger sa chre Esther
en sa qualit de juive, puisque prcis ment personne ne sait quelle race elle appartient!...
Enfin, la cruaut excrable de la douce Esther, en terminant le conte, ajoute l'odieux au
ridicule. Nous n'ignorons pas, dit Voltaire, que la fable d'Esther a un ct sduisant: une
captive devenue reine, et sauvant de la mort tous ses compatriotes, est un sujet de roman et de
tragdie. Mais qu'il est gt par les cont radictions et les absurdits dont il regorge! qu'il est
dshonor par la barbarie d'Esther, aussi contraire aux murs de son sexe qu' la
vraisemblance!
Avec Esdras et Nhmie, nous arrivons la libration du peuple de Dieu. Selon la
chronologie fantaisiste de la Bible, les Juifs eurent donc un grand adoucissement leur
malheur sous le rgne d'Assurus, pre de Darius, et n'oublions pas que Darius fut fils
d'Hystape, seigneur persan, qui ne rgna jamais nulle part, et sous le rgne de Darius, qui
prit pour premier ministre le juif Daniel, comme Assurus avait pris le juif Mardoche. Or, la
Bible, nous l'avons vu, place le rgne de Cyrus aprs celui de Darius, lorsqu'on consulte le
livre du prophte Daniel; mais, ds qu'on ouvre le livre du prophte Esdras, Cyrus est suivi
d'Assurus, puis d'Artaxercs, puis de Darius (Esdras 7:5-7). Ce nouvel ordre de succession
n'est pas, plus que l'autre, conforme l'histoire; quel galimatias! quel gchis! Par-dessus le
march, Esdras et Nhmie, qui sont les deux, prophtes sur lesquels les prtres s'appuient
pour fixer les circonstances du retour Jrusalem, ne s'accordent mme pas entre eux. D'aprs
Esdras, c'es Cyrus qui, ds la premire anne de son rgne, autorisa les en fants d'Isral
rentrer librement en Jude, et dclara dans un dit que Jhovah lui avait ordonn de faire
245

reconstruire son temple Jrusalem; les Juits reviennent donc dans leur patrie, sous la
conduite de Zorobabel; malheureusement, la construction est interrompue pendant les rgnes
d'Assurus et d'Artaxercs, cause de difficults souleves par les divers peuples qui s'taient
tablis en leur absence dans leur pays; enfin ces hostilits cessrent peu aprs l'avnement de
Darius et le temple fut achev en la sixime anne de son rgne. D'aprs Nhmie, ce n'est pas
sous Cyrus, mais sous Artaxercs, en la vingtime anne de son rgne, que les Jujfs furent
autoriss retourner Jrusalem et relever la ville de ses ruines, Zorobabel tant la tte du
peuple enfin libr; les difficults souleves par les peuples occupant leur territoire sont
surmontes victorieusement par les Juifs qui travaillent avec la truelle d'une main et l'pe de
l'autre; enfin, cet auteur sacr parle d'un voyage qu'il fit Babylone, au moment o s'achevait
la reconstruction du temple, en la trente-deuxime anne du rgne d'Artaxercs (Nhmie
13:6). Or, Esdras atteste dans son livre que Nhmie accompagnait Zorobabel lors du retour
en Jude, sous le rgne de Cyrus, et prtend qu'il y eut un second rapatriement des Juifs sous
Artaxercs, mais en la septime anne de son rgne, et non en la vingtime, et il affirme que
c'est lui, Esdras, qui conduisait cette fois ses compatriotes. Dbrouillez donc la vrit au
milieu de ces contradictions flagrantes!...
Aprs les livres d Esdras, de Nhmie et d'Esther, les prtres placent dans la Bible un livre de
Job, racontant une histoire dont la date n'est indique nulle part. Cette histoire peut se rsumer
ainsi: Au pays de Huts (?), vivait un homme immensment riche, fidle serviteur de Dieu.
Or, il arriva un jour, dans le royaume ternel o sont les anges, que Dieu dit Satan, qui tait
parmi eux: D'o viens-tu, toi? Et Satan rpondit Jhovah: Je viens de me promener sur la
terre, j'y ai couru et l. Alors Dieu reprit: S'il en est ainsi, tu as rencontr sans doute mon
serviteur Job, qui n'a pas d'gal au monde pour la pit.
Et Satan rpliqua: S'il est pieux, c'est parce que tu l'as combl de biens; mais retire-lui ses
richesses, et tu verras quelles maldictions il profrera! Jhovah ne voulut causer
personnellement aucune affliction son fidle serviteur; d'autre part, il autorisa Satan le
perscuter autant qu'il lui plairait. Tu peux lui faire tout souffrir, l'exception de la mort, dit-il
l'ange malicieux.
Messire Satan ne manqua pas d'user de la permission, D'abord, une tribu d'Arabes vole Job
ses 500 paires de bufs et ses 500 nesses; la foudre tombe sur ses troupeaux (7,000 brebis)
et les anantit, ainsi que leurs bergers; des cavaliers chaldens lui prennent ses 3,000
chameaux et passent leurs gardiens au fil de l'pe; enfin, un vent furieux, soufflant du dsert,
renverse la maison o ses sept fils et ses trois filles taient en train de boire, et les ensevelit
sous les ruines. Job apprend tous ces malheurs coup sur coup; mais, comme il a le caractre
bien fait, il se met genoux et s'crie: Nu je suis sorti du ventre de ma mre; qu'importe que
je n'aie plus rien? Dieu m'avait tout donn, Dieu m'a tout repris; que son saint nom soit bni!
Mais Satan ne se tient pas pour battu. Le malheureux Job se voit bientt couvert d'une plaie
hideuse, qui se rpand depuis sa t te jusqu' la plante de ses pieds. Assis sur un fumier, il
enlve avec les tessons d'un pot cass l'humeur ftide qui coule de ses ulcres. Sa femme elle-
mme vient l'invectiver; mais Job rpond encore d'une voix rsigne: Nous tenons tout de
Dieu; si nous avons reu de lui les biens, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux? Trois
de ses amis, Eliphas, Baldad et Tsohar, instruits de ses infortunes, vinrent le voir; et ils
s'assirent terre avec lui pendant sept jours et sept nuits, sans lui dire aucune parole; car ils
voyaient que sa douleur tait fort grande .
Tout coup, Job clate en plaintes violentes sur ses afflictions; il maudit le jour de sa
naissance. Que ne suis-je mort au sortir du ventre de ma mre! ou pourquoi n'ai-je pas t
comme un avorton? Et il appelle la mort grands cris. Ces plaintes forment les 26 versets
du chapitre 3; mais, comme elles sont en contradiction avec le sujet principal du livre, on n'en
parle jamais dans les manuels d'histoire sainte. En effet, il suffirait que le livre s'arrtt l;
Satan, qui est reprsent comme ayant fait une sorte de pari avec Jhovah, est le gagnant, ds
246

que Job perd patience et reproche Dieu de l'avoir fait venir au monde et de ne pas l'en retirer
maintenant.
Eliphas, Baldad et Tsohar entreprennent alors de sermonner Job; ils l'humilient en lui
dclarant que les adversits ne tombent que sur les mchants. Job prend Dieu tmoin de son
innocence et proteste qu'il est injustement opprim. Ce dialogue entre Job et ses amis dure
vingt-neuf chapitres. Tout coup, au chapitre 32, surgit un nouvel interlocuteur, nomm
Elihu, plus jeune que les autres, lequel prend la parole non pour accuser Job d'avoir mrit par
ses crimes les chtiments svres que Jhovah lui a infligs, mais pour lui faire remarquer
qu'il a montr trop d'orgueil en protestant de son innocence, parce que, dit-il, nul mortel ne
peut se flatter de pntrer dans les jugements de Dieu et d'tre toujours rest parfaitement pur
ses yeux.
Puis, Jhovah lui-mme arrive dans un tourbillon, et, aprs avoir blm la prsomption du
jeune Elihu, rappelle quelques-uns des prodiges qui montrent sa puissance. Alors, Job
reconnat qu'il est sorti des bornes que devaient lui imposer sa faiblesse et son ignorance, et
Dieu, satisfait de sa soumission, le gurit de ses maux et lui rend au double les biens qu'il
avait perdus.
Dans son discours, Jhovah cite, en tmoignage de son pouvoir, deux animaux
extraordinaires, le Bhmoth et le Lviathan, dont la description fantastique tient deux
chapitres. Quant Satan, il n'en est plus question. Le dernier chapitre (42) nous apprend que
Job eut encore sept fils et trois filles et qu'il vcut cent quarante annes aprs cette terrible
preuve de sa vie.
Comme on voit, ce livre de Job n'offre pas un intrt trs palpitant. Les critiques y relvent
cette singularit: Satan, dont il est parl pour la premire fois, allant et venant dans le ciel
parmi les bons anges et gageant que le bonhomme Job commettra le grand pch de profrer
des maldictions, s'il est accabl de misre et de maladie; et Dieu acceptant la gageure, avec
l'espoir que son fidle serviteur sera patient jusqu'au bout. Voil donc Jhovah qui ignore
l'avenir et qui mme se trompe dans ses prvisions, puisque Job se laisse aller maudire.
Nous avons vu que la Bible compte quatre grands prophtes, prtendus auteurs de livres; elle
donne aussi quelques livres censment crits par des petits prophtes, au nombre de douze.
On les nomme; Ose (dont nous avons reproduit un court extrait), Jol, Amos, Abdias, Jonas,
Miche, Nahum, Habacuc, Sophonie, Agge, Zacharie et Malachie. Sans contredit, Jonas est
le seul qui mrite d'tre cit; l'histoire des douze petits prophtes, dit le bndictin Calmet,
ne nous fournit rien qui approche tant du merveilleux que la vie de Jonas .
C'tait un Galilen, de la tribu de Zabulon. Les commentateurs le font vivre sous Jroboam II,
roi d'Isral; par consquent, il tait n parmi les hrtiques. Un jour, il reut de Jhovah l'ordre
d'aller prcher les idoltres habitants de Ninive. Il est le seul, d'ailleurs, qui ait eu une telle
mission. En quelle langue prcha-t-il? demande Voltaire, qui fait observer encore qu'il y avait
quatre cents lieues de sa patrie Ninive. Il faut croire que Jonas n'entrevit, pour sa
prdication, qu'un succs de pommes cuites; car, au lieu de se rendre Ninive, il fila
prestement l'oppos, descendit Jopp, port de mer, et s'y embarqua, aprs avoir pay son
passage, sur un navire qui levait l'ancre pour Tharsis.
Une fois en mer, une tempte horrible survient; chose trange, cette tempte endort Jonas. Les
matelots, pris de frayeur, commencent par jeter toute la cargaison l'eau; mais le navire,
quoique dlest, est secou de plus belle. Alors, le matre-pilote rveille Jonas et l'adjure
d'invoquer son Dieu pour apaiser la tourmente; Jonas n'en fait rien. La mer s'agitant de plus en
plus, les matelots tirent au sort, pour savoir lequel des passagers ou des hommes de l'quipage
est cause de cette tempte; le sort tombe sur Jonas; on le jette la mer, et la tempte cesse,
dans le mme instant.
Le prophte rcalcitrant tait en train de boire un coup, lorsqu'une baleine du ple Nord,
flnant par hasard dans la Mditerrane, se prsenta lui, ouvrit la gueule et l'avala.
247

Jonas ne s'attendait pas cette nouvelle aventure; toutefois, comme il n'y avait pas moyen de
faire autrement, il prit le parti d'attendre les vnements, dans son trange domicile. La Bible
nous le reprsente durant trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine et y chantant un
assez long cantique Jhovah.
Celui-ci, qui avait seulement voulu donner une leon son prophte, intima au monstrueux
poisson l'ordre d'vacuer Jonas; le poisson obit, et voil Jonas dpos sur un rivage. On
montre, de nos jours, l'endroit o le prophte fut recrach par la baleine; mais les thologiens
ne sont pas d'accord pour prciser si Jonas fut vomi ou s'il fut vacu par le ct de la queue.
Les critiques incrdules disent que ce rcit est une fable imite des fables grecques. Homre,
dans son livre 20, parle du monstre marin qui se jeta sur Hercule. Lycophron raconte
qu'Hercule resta trois jours et trois nuits dans son ventre, qu'il se nourrit de son foie aprs
l'avoir mis sur le gril, et qu'au bout de trois jours il sortit de sa prison en victorieux. On voit
que le conte d'Hercule n'est pas infrieur celui de Jonas. Nous avons aussi, dans la
mythologie paenne, l'histoire d'Arion, qui, jet la mer par des matelots, fut sauv par un
marsouin, lequel le porta sur son dos jusqu' Lesbos; mais cette aventure ne vaut pas celles de
Jonas et d'Hercule.
Jonas, au sortir de la baleine, se rendit donc Ninive, et annona, de la part de Dieu, aux
habitants la ruine prochaine de leur ville. D'aprs la Bible, il se promena par les rues, en
criant: Encore quarante jours, et Ninive sera dtruite!
Ce! simples paroles eurent un effet prodigieux: Les habitants crurent aussitt Jhovah et se
vtirent de sacs; le roi aussi se leva d dessus son trne, ta son vtement magnifique, se
couvrit d'un sac et s'assit sur un tas de cendres. Et il fit publier un dit royal ordonnant un
grand jene, non seulement aux hommes, mais encore aux btes; et cet dit disait: Que les
btes, bufs et brebis, aussi bien que les hommes, soient couverts de sacs, et que tous crient
vers Jhovah, et que chacun se convertisse de ses iniquits. Tous les habitants s'tant donc
convertis, Dieu fut touch de leur repentir; de sorte que la prdiction de Jonas ne se ralisa
pas. Ce n'est que fort longtemps aprs que Ninive fut saccage et ruine.
Vex la pense qu'on pouvait le prendre pour un blagueur, Jonas s'loigna de Ninive et se
rfugia dans un dsert. Il faisait une chaleur atroce, et il n'y avait pas Je moindre arbuste
l'horizon. Et Jhovah fit pousser tout coup un kikajon, qui monta au-dessus de Jonas et
ombragea sa tte; et Jonas se rjouit d'une grande joie, cause de ce kikajon. Mais le
lendemain, ds l'aube, Jhovah mit un ver dans le kikajon, ce ver mangea toute la sve, et le
kikajon scha. Alors, en se rveillant, Jonas, n'tant plus protg contre le vent brlant du
dsert, se dsespra et se plaignit amrement, priant Dieu de le faire mourir et disant: La mort
m'est meilleure que la vie.
Et Jhovah parut et dit Jonas: Gomment peux-tu bien t'affliger ainsi pour ce kikajon? Jonas
rpondit: Oui, Seigneur, j'ai raison de m'affliger ainsi, mme jusqu' la mort. Et Jhovah lui
dit encore: Tu voudrais que le ver et pargn le kikajon, et pourtant ce n'est pas toi qui l'as
plant ni qui l'as fait crotre; car il est venu en une nuit, et en une nuit il a pri. Et moi,
pourquoi n'pargnerais-je pas Ninive, cette grande ville, dans laquelle il y a plus de cent vingt
mille cratures humaines, qui ne savent pas discerner leur main droite de leur main gauche, et
outre cela plusieurs btes? C'est sur ce spirituel mot divin que se termine le livre de Jonas
(en quatre chapitres). C'est une pauvre fin, le miracle du kikajon tant bien peu de chose
auprs du miracle de la baleine.
Nous voici arrivs aux derniers temps de l'histoire du peuple hbreu, avant Jsus-Christ.
L'Ancien Testament a, comme conclusion, les quatre livres des Macchabes.
Les huit premiers versets sont consacrs noter la victoire d'Alexandre-le-Grand sur Darius
III Codoman et dire que le monarque macdonien, ayant rgn sur plusieurs pays, mourut de
maladie et partagea son immense royaume entre ses gnraux. D'autre part, on sait que,
d'aprs une lgende juive (11 Josphe, ch. 8), le grand-prtre des Juifs, nomm Jaddus, vint
248

au-devant du conqurant, quand il s'approcha de Jrusalem, et lui montra de prtendues
prdictions, d'aprs lesquelles le monde entier devait appartenir Alexandre. Sensible cette
flatterie, Alexandre aurait pargn Jrusalem.
La Jude fut alors soumise au gouvernement thocratique: la nation vivait dans une sorte
d'indpendance, n'tant pas inquite par les royaumes voisins et n'ayant pas de roi elle-
mme. Les prtres gouvernaient le peuple et l'administraient; l'autel tait en mme temps le
trne. Au fond, c'tait absolument comme si les Juifs avaient eu un roi, puisqu'ils payaient au
grand-prtre la fois la dme et l'impt.
On ne sait gure combien de temps dura cet tat d'indpendance relative; mais, des livres des
Macchabes, dont l'auteur est ignor, il rsulte que les Juifs n'eurent pas se fliciter de leurs
rapports avec les successeurs d'Alexandre. Voici en quels termes amers la Bible mentionne ce
changement de situation: Alexandre tant mort, ses gnraux gardrent leur royaume,
chacun en sa contre; et ils se couronnrent aprs sa mort, et leurs fils aprs eux, pendant
plusieurs annes, et les maux furent multiplis sur la terre. D'eux sortit une race trs
mchante, celle d'Antiochus l'Illustre. (1 Macchabes 1:9-11) Avec les Sleucides, dynastie
grecque qui rgna en Syrie, il est certain, en effet, que les Isralites virent reluire les jours
nfastes, quoique l'crivain sacr s'efforce de relever, par le rcit de quelques miracles, le
prestige du peuple de Dieu, de nouveau trait en vassal et durement trait.
Comme tout le reste de l'Ancien Testament, les livres des Macchabes fourmillent de
contradictions et de grossires erreurs historiques. Au surplus, les vnements y sont relats
avec un tel dsordre qu'il est impossible de dmler le vrai du faux, surtout si l'on entreprend
de suivre ces rcits, chapitre par chapitre. Voltaire a eu la patience de runir les arguments
que les critiques apportent contre l'authenticit et la vracit de ces derniers livres de la Bible;
aussi, pour terminer, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le rsum de ses
observations:
1. On nie d'abord, crit Voltaire, le supplice des sept frres Macchabes et de leur mre
(morts dans les tortures pour avoir refus de manger de la viande de cochon), parce qu'il n'en
est pas fait mention dans le premier livre, qui va bien loin par-del le rgne d'Antiochus
Epiphane ou l'Illustre.
Mathathias, pre des Macchabes, n'avait que cinq fils qui tous se signalrent pour la dfense
de la patrie. L'auteur du second livre, qui raconte le supplice des Macchabes (ch. 7), ne dit
point en quelle ville Antiochus ordonna cette excution barbare; et il l'aurait dit, si elle avait
t vraie. D'ailleurs, Antiochus parat tout--fait incapable d'une action si cruelle, si lche et si
inutile. C'tait un trs grand prince, qui avait t lev Rome. Il fut digne de son ducation,
valeureux et poli, clment dans la victoire et le plus affable: on ne lui reproche qu'une
familiarit outre, qu'il tenait de la plupart des grands de Rome, dont la coutume tait de
gagner les suffrages du peuple en s'abaissant jusqu' lui. Le titre d'Illustre que l'Asie lui
donna, et que la postrit lui conserve, est une assez bonne rponse aux injures que les Juifs
ont prodigues sa mmoire.
Jrusalem tait enclave dans ses vastes tats de Syrie.
Les Juifs se rvoltrent contre lui. Ce prince, vainqueur de l'gypte, revint les punir; et,
comme la religion tait l'ternel prtexte de toutes les sditions et des cruauts de ce peuple,
Antiochus, lass de sa tolrance, qui les enhardissait, ordonna enfin qu'il n'y aurait plus qu'un
seul culte dans ses tats, celui des dieux de Syrie. Il priva les rebelles de leur religion et de
leur argent, deux choses qui leur taient galement chres. Antiochus n'en avait pas us ainsi
en Egypte, conquise par ses armes; au contraire, il avait rendu ce royaume son roi avec une
gnrosit qui n'avait d'exemple que dans la grandeur d'me avec laquelle on dit que Porus fut
trait par Alexandre. Si donc il eut plus de svrit pour les Juifs, c'est qu'ils l'y forcrent. Les
Samaritains lui obirent; mais Jrusalem le brava, et d l naquit cette guerre sanglante, dans
laquelle Juda Macchabe et ses quatre frres firent (au dire de la Bible) de si belles choses
249

avec de trs petites armes. Donc, l'histoire du supplice des prtendus sept Macchabes et de
leur pre n'est qu'un roman.
2. Le romanesque auteur commence ses mensonges en disant qu'Alexandre partagea ses
tats ses gnraux de son vivant. Cette erreur, qui n'a pas besoin d'tre rfute, fait juger de
la science de l'crivain.
3. Presque toutes les particularits rapportes dans le premier livre des Macchabes sont
aussi chimriques. Il dit que Juda Macchab, lorsqu'il faisait la guerre de caverne en caverne
dans Un coin de la Jude, voulut tre l'alli des Romains (ch. 8): ayant appris qu'il y avait
bien loin un peuple romain, lequel avait subjugu les Galates . Or, cette nation des Galates
n'tait pas encore asservi e; elle ne le fut que par Cornlius Scipion.
4. Il continue, et dit qu'Antiochus-le-Grand, dont Antiochus piphane tait fils, avait t
captif des Romains . C'est une erreur vidente: il fut vaincu par Lucius Scipion surnomm
l'Asiatique; mais il ne fut point prisonnier; il fit la paix, se retira dans ses tats de Perse, et
paya les frais de la guerre. On voit ici un auteur juif mal instruit de ce qui se passe dans le
reste du monde et qui parle au hasard de ce qu'il ne sait point.
5. L'crivain des Macchabes ajoute que cet Antiochus-le-Grand cda aux Romains les
Indes, la Mdie et la Lydie . Ceci devient trop fort. Une telle impertinence est inconcevable.
C'est dommage que l'auteur juif n'y ait pas ajout la Chine et le Japon!
6. Ensuite, voulant paratre inform du gouvernement de Rome, il dit qu'on y lit tous les
ans un souverain magistrat, auquel seul on obit L'ignorant ne savait pas mme que Rome
et deux consuls.
7. Juda Macchabe et ses frres, si on en croit l'aut eur envoient une ambassade au snat
romain; et les ambassadeurs, pour toute harangue, parlent ainsi: Juda Macchabe, et ses
frres, et les Juifs, nous ont envoy vous pour faire avec vous socit et paix. C'est peu
prs comme si un chef de parti de la rpublique de Saint-Marin envoyait des ambassadeurs au
Grand Turc pour faire alliance avec lui. La rponse des Romains, selon la Bible, n'est pas
moins extraordinaire. S'il y avait eu, en effet, une ambassade Rome d'une rpublique
palestine bien reconnue, si Rome avait fait un trait solennel avec Jrusalem, Tite-Live et les
autres historiens en auraient parl. L'orgueil juif a toujours exagr; mais il n'a jamais t plus
ridicule.
8. On voit bientt aprs une autre fanfaronnade; c'est la prtendue parent des Juifs et des
Lacdmoniens. L'auteur suppose qu'un roi de Lacdmone, nomm Anus, avait crit au
grand-prtre juif Onias troisime, en ces termes (ch. 12): Il a t trouv dans les Ecritures,
touchant les Spartiates et les Juifs, qu'ifs sont frres, tant les uns et les autres de la race d'Abr
aham; et, prsent que nous le connaissons, vous faites bien de nous crire que vous tes en
paix; et voici ce que no us avons rpondu: Nos vaches et nos moutons, ainsi que nos champs,
sont vous; nous avons ordonn qu'on vous apprt cela. On ne peut traiter srieusement des
inepties si hors du sens commun. Cela ressemble Arlequin qui se dit cur de Domfront; et
quand le juge lui prouve qu'il a menti: Monsieur, rplique Arlequin, je croyais l'tre. Ce
n'est pas la peine de montrer qu'il n'y eut jamais de roi de Sparte nomm Arius, et qu'au temps
du grand-prtre Onias troisime, Lacdmone n'avait plus de rois. Ce serait trop perdre son
temps de montrer qu'Abraham fut aussi inconnu dans Sparte et dans Athnes que dans Rome.
250

9. Nous osons ajouter ces purilits si mprisables l'aventure merveilleuse d'Hliodore,
raconte dans le second livre, au chapitre 3. Sleucus Philopator, frre an et prdcesseur
d'Antiochus piphane, roi de Syrie, de Perse, de la Phnicie et de la Palestine, est averti par
un juif, intendant du temple, qu'il y a dans cette forteresse un trsor immense. Sleucus, qui
avait besoin d'argent pour ses guerres, envoie Hliodore, un de ses officiers, demander cet
argent, comme le roi de France Franois 1
er
demanda plus tard la grille d'argent de Saint-
Martin. Hliodore vient excuter sa commission, et s'arrange; avec le grand-prtre Onias.
Comme ils parlaient ensemble dans le temple, on voit descendre du ciel un grand cheval
portant un cavalier brillant d'or. Le cheval donne d'abord des ruades avec les pieds de
devant Hliodore; et deux anges qui servaient de palefreniers au cheval, arms chacun
d'une poigne de verges, fouettent Hliodore tour de bras.
Onias, le grand-prtre, eut la charit de prier Dieu pour lui. Les deux anges palefreniers
cessrent de fouetter. Ils dirent l'off icier: Rends grces Onias; sans ses prires, nous
t'aurions fess jusqu' la mort. Aprs quoi, ils disparurent.
On ne dit pas si, aprs cette flagellation, le grand-prtre Onias s'accommoda avec son roi
Sleucus et lui prta quelques deniers.
Ce miracle a paru d'autant plus impertinent aux critiques, que ni le roi d'Egypte Ssac, ni le
roi de l'Asie Nabuchodonosor, ni Antiocbus Epiphane, ni Ptolme Soter, ni le grand Pompe,
ni Crassus, ni la reine Cloptre, ni l'empereur Titus, qui tous emportrent quelque argent du
temple juif, ne furent pas cependant fouetts par les anges. Il est vrai qu'un saint moine a vu
l'me de Charles Martel, que des diables conduisaient en enfer dans un bateau, et qu'ils
fouettaient pour punir le vainqueur des Sarrasins de s'tre appropri quelque chose du trsor
de Saint-Denis; mais ces cas-l arrivent rarement.
10. Nous passons une multitude d'anachronismes, de mprises, de transpositions,
d'ignorances, et de fables, qui pullulent dans les livres des Macchabes, pour venir la mort
d'Antiochus l'Illustre, dcrite au chapitre 11 du livre second. C'est un entassement de
faussets, d'absurdits et d'injures, qui font piti. Selon l'auteur, Antiochus entre dans
Perspolis pour piller la ville et le temple. On sait assez que cette capitale, nomme Perspolis
par les Grecs, avait t dtruite par Alexandre. Les Juifs, toujours isols parmi les nations,
toujours occups de leurs seuls intrts et de leur seul pays, pouvaient bien ignorer les
rvolutions de la Chine et des Indes; mais pouvaient-ils ne pas savoir que cette ville, appele
Perspolis par les seuls Grecs, n'existait plus depuis cent soixante ans? Son nom vritable tait
Sestekar. Si c'tait un juif de Jrusalem, c'est--dire un asiatique, qui et crit les Macchabes,
il n'et pas donn au sjour des rois de Perse un nom qui figure uniquement dans les livres
grecs. De l, on conclut que ces derniers livres de l'Ancien Testament n'ont pu tre crits que
par un de ces juifs hellnistes d'Alexandrie, qui commenait vouloir devenir orateur.
Mais voici une autre raison de douter. Au premier livre, il est dit qu'Antiochus Epiphane
voulut s'emparer des boucliers d'or laisss par Alexandre-le-Grand dans la ville d'li mas sur
le chemin d'Ecbatane, qui est la m me que Rags, et qu'il mourut de chagrin dans cette
contre en apprenant que les Macchabes avaient rsist ses troupes en Jude. Au second
livre, il est dit, au contraire, que ce roi tomba de son char; qu'il fut tellement meurtri dans sa
chute que la gangrne se mit son corps; que ses chairs fourmillaient de vers; et qu'alors il
demanda pardon au dieu des Juifs. C'est l qu'est ce verset si connu, et dont on a fait tant
d'usage: Le sclrat implorait la misricorde du Seigneur, qu'il ne devait pas obtenir .
L'auteur ajoute qu'Antiochus promit Jhovah de se faire juif. Ce dernier trait suffit: c'est
comme si Charles-Quint avait promis de se faire turc.
Nous ne dirons qu'un mot du troisime livre des Macchabes, et rien du quatrime,
unanimement tenus pour apocryphes.
251

Voici une historiette du troisime; la scne est en Egypte. Le roi Ptolme Philopator est
fch contre les Juifs, qui commeraient en grand nombre dans ses tats; il en ordonne le
dnombrement, et, selon Philon, ils composaient un million de ttes. O n parque ce million
d'hommes dans l'hippodrome d'Alexandrie. Le roi promulgue un dit, par lequel ils seront
tous livrs ses lphants pour tre crass sous leurs pieds. L'heure prise pour donner ce
spectacle, Dieu, qui veille sur son peuple, endort le roi profondment. Ptolme, son rveil
remet la partie au lendemain; niais Dieu lui te alors la mmoire: Ptolme ne se souvient
plus de rien. Enfin, le troisime jour, Ptolme, bien veill, fait prparer ses juifs et ses
lphants. La pice allait tre joue, lorsque soudain les portes du ciel s'ouvrent: deux anges
en descendent; ils dirigent les lphants contre les soldats qui devaient les conduire; les
soldats sont crass, les Juifs sauvs, le roi converti... On crivait plaisamment l'histoire dans
ce pays-l!
En somme, si l'on prend dans ses grandes lignes l'histoire biblique des Macchabes, elle se
rsume ceci: Le sacrificateur Mathathias, sous le rgne d'Antiochus Epiphane, donne le
signal de la rvolte en gorgeant un Juif qui sacrifiait aux dieux de Syrie; ses cinq fils, Jean,
Simon, Juda, Elazar et Jonathas, se signalent aussi.
La Jude se soulve; on fait arme de n'importe quoi. Juda Macchabe, le plus illustre des fils
de Mathathias, se met la tte de l'insurrection et taille en pices les armes royales: mais il
ne se contente pas d'tre gnral; il succde comme grand-prtre Mnlas, descendant du
fameux Jaddus, le flagorneur d'Alexandre. On cite ses victoires contre Apollonius dans les
environs de Sa marie, contre Sron Bthorom, etcontre trois autres gnraux d'Antiochus:
Ptolme, Nicanor, et Gorgias.
Sous le rgne d'Antiochus Eupator, fils d'piphane, lazar Macchabe a moins de chance
que son frre Juda
::
au fort d'une bataille, ayant vu dans les rangs ennemis un lphant couvert
des insignes royaux, mons Elazar fonce sur l'animal, en s'imaginant que le roi est au-dessus;
mais l'lphant saisit notre juif avec sa trompe et le casse en deux comme s'il s'tait agi d'une
simple pipe de quatre sous.
Sous Dmtrius Soter, oncle et successeur d'Antiochus Eupator, Juda Macchabe triomphe
encore de l'arme syrienne, commande par Bacchide, et, deux reprises, de celle que
commandait Nicanor, lequel prit, dans la droute. Mais une nouvelle expdition dirige par
Bacchide ayant mis les 3,000 hommes de Juda en prsence de 22,000 hommes, et Jhovah
n'ayant pas pens cette fois envoyer un ange exterminateur au secours de son peuple, les
Macchabens pouvants se dbandent et laissent leur gnral se faire craser par l'ennemi.
Ainsi finit le clbre Juda Macchabe. Ses deux frres, Jonathas et Simon, lui succdrent l'un
aprs l'autre dans ses doubles fonctions de grand-prtre et de gnral.
Il convient de remarquer, avec Voltaire, que ces Macchabes taient de la race de Lvi, et
que, simples sacrificateurs dans un petit village nomm Modin, vers la mer Morte, ils
obtinrent, par une rvolution, la puissance sacerdotale, puis la royale. On ne saurait donc
s'empcher de constater que cet vnement confondait toutes ces vaines prophties que la
tribu de Juda avait toujours faites en sa faveur par la bouche de ses prophtes, et dmentait
cette-ternelle suprmatie de la maison de David tant prdite et si fausse. Il n'y avait plus
personne de la race de David; du moins, aucun livre juif ne signale aucun descendant de ce
prince depuis la captivit.
Si les enfants du lvite Mathathias nomms d'abord Macchabes et ensuite Asmonens, eurent
l'encensoir et le sceptre, ce fut pour leur malheur. Leurs petits-fils souillrent de crimes l'autel
et le trne, et n'eurent qu'une politique barbare qui causa la ruine complte de leur patrie. S'ils
eurent dans le commencement l'autorit pontificale, ils n'en furent pas moins tributaires des
rois de Syrie. Antiochus Eupator composa avec eux, mais ils furent toujours regards comme
sujets. En outre, ces saints hros se massacrrent entre eux. Simon, le dernier frre de Juda
252

Macchabe, fut assassin, avec deux de ses fils, par son gendre Ptolme, gouverneur de
Jricho, qui voulait s'emparer du pouvoir.
Hyrcan, fils de ce grand-prtre Simon, et grand-prtre lui-mme, tenta de se rvolter contre
Antiochus Sidts. Le roi de Syrie l'assigea dans Jrusalem, et Jhovah ne le secourut point,
puisqu'on dit qu'Hyrcan apaisa le roi avec de l'argent. Mais o le grand-prtre Hyrcan prit-il
cet argent? C'est une difficult qui arrte chaque pas tout lecteur raisonnable. D'o
pouvaient venir tous ces prtendus trsors qu'on retrouve sans cesse dans ce temple de
Jrusalem pill tant de fois? Josphe l'aplomb de dire qu'Hyrcan fit ou vrille tombeau de
David, et qu'il y trouva trois mille talents.
C'est ainsi qu'on a imagin des trsors dans les spulcres de Cyrus, de Rustan; d'Alexandre, de
Cha rlemagne; il n'y a pas longtemps, un naf ministre de la Rpublique franaise, confiant en
la baguette divinatoire d'une sorcire fumiste ou folle, esprait en dcouvrir dans les
tombeaux de nos rois, Saint-Denis. Quoi qu'il en soit, Hyrcan se soumit et obtint sa grce.
Ce fut cet Hyrcan qui, profitant des troubles de la Syrie, prit enfin Samarie, l'ternelle
ennemie de Jrusalem, rebtie ensuite par Hrode et appele Sbaste. Les Samaritains se
retirrent Sichem, qui est la Naplouse de nos jours; ils furent encore plus prs de Jrusalem,
et la haine des deux fractions du peuple de Dieu en fut plus implacable. Jrusalem, Sichem,
Jricho, Samarie, qui ont fait tant de bruit parmi nous, et qui r: n ont fait si peu dans l'Orient,
furent toujours de petites villes voisines, assez pauvres, dont les habitants allaient chercher
fortune au loin, comme les Armniens, les Parsis, les Banians.
Flavius Josphe, ivre de chauvinisme, ne manque pas de dire que cet Hyrcan Macchabe fut
un conqurant et un prophte, et que Dieu lui parlait souvent face face. Si l'on en croit
Josphe, une preuve incontestable que cet Hyrcan tait prophte, c'est qu'ayant deux fils qu'il
aimait, et qui taient des monstres de perfidie, d'avarice et de cruaut, il leur prdit que, s'ils
s'endurcissaient dans leur sclratesse, ils pourraient faire une mauvaise fin. De ces deux
sacripants, l'un tait Aristobule, l'autre Antigone. Les Juifs avaient dj la vanit de prendre
des noms grecs. Dieu vint voir Hyrcan une nuit et lui montra le portrait d'un autre de ses
enfants, qui d'abord ne s'appelait que Janne, diminutif de Jean (ce qui quivaut Jeannot), et
qui ensuite eut la prsomption de s'ajouter le nom d'Alexandre. Celui-l, dit Jhovah, aura
un jour ta place de grand-prtre. Hyrcan, ce bon pre, entrevoyant dans cette parole divine
l'annonce d'une usurpation, s'empressa de faire mourir son fils Jeannot, de peur que cet
oracle ne s'accomplt , ce que dit l'historien. Mais, apparemment que Jeannot ou Janne ne
mourut pas tout--fait, ou que Dieu le ressuscita, car nous le verrons bientt grand-prtre et
matre de Jrusalem.
En attendant, il faut voir ce qui arriva aux deux frres bien-aims, Aristobule et Antigone, fils
d'Hyrcan, aprs la mort d'Hyrcan leur pre. Le prtre Aristobule fait assassiner le prtre
Antigone, son frre, dans le temple, et fait trangler sa propre mre dans un cachot. C'est de
ce mme Aristobule, le premier Macchabe qui prit le titre de roi des Juifs, que Josphe
dit qu'il tait un prince trs doux.
A cette poque, la Jude tait trouble par les rivalits de Pharisiens ajoutaient la loi de
Mose la tradition orale, sur laquelle ils admettaient la mtempsychose, et sur cette doctrine de
la mtempsychose ils greffaient encore toutes sortes de croyances; c'est ainsi qu'ils tablirent
que les esprits malins pouvaient entrer dans les corps des hommes; ils voyaient des
possessions de dmons dans toutes les maladies inconnues. Ce sont les Pharisiens qui
inventrent les diables et les exorcis mes; c'est l'un d'eux qui fabriqua le livre intitul La
Clavicule de Salomon, livre sacr de l'occultisme. On les rvrait comme les savants
interprtes de la loi; on s'empressait de s'initier leurs mystres; ils enseignaient ta
rsurrection et le royaume des cieux. Il y avait une troisime secte, celle des Essniens, qui
vivaient en commun, s'appliquaient au dehors du monde aux vertus pratiques, la temprance
et le travail, et qui s'accommodaient assez bien de diverses croyances perses. Les Macchabes
253

favorisrent d'abord les Saducens contre les Pharisiens; mais cela tenait surtout ce que ces
derniers formaient l'cole la plus puissante dans l'Etat et cherchaient entrer dans toutes les
affaires.
Aristobule 1
er
tant mort, son frre Jeannot-Alexandre ressuscite et lui succde; on l'avait sans
doute gard en prison, au lieu de le tuer. Janne pouse Salom, c'est--dire la veuve
d'Aristobule, et lui change son nom en celui d'Alexandra.
C'est dans ce temps surtout que les Ptolmes, rois d'Egypte, et les Sleucides, rois de Syrie,
se disputaient la Palestine. Cette querelle, tantt violente, tantt mnage, durait depuis la
mort d'A lexandre-le-Grand. Le peuple juif se fortifiait un peu par les dsastres de ses matres;
les prtres, qui gouvernaient cette petite nation, changeaient de parti chaque anne et se
vendaient au plus fort. Ce Janne-Alexandre commena son sacerdoce par l'assassinat de celui
de ses frres qui restait encore, et qui ne ressuscita point comme lui. Josphe ne nous dit point
le nom de ce frre, et peu importe ce nom dans le catalogue de tant de crimes. Janne se
soutint dans son gouvernement la faveur des troubles de l'Asie. Ce gouvernement tait la
fois sacerdotal, dmocratique, aristocratique: une anarchie complte.
Josphe rapporte qu'un jour le peuple dans le temple jeta des pommes et des citrons la tte
de son grand-prtre Janne, deux sectes religieuses, qui devaient bientt devenir des factions
politiques: les Pharisiens, ainsi appels d'un mot hbreu qui veut dire spars , parce qu'ils
affectaient de se distinguer du peuple, et les Saducens, tirant leur nom de Sadoc, leur chef;
ceux-ci taient en quelque sorte les picuriens juifs, s'en tenant scrupuleusement la lettre du
Pentateuque, n'admettant pas l'immortalit de l'me, par consquent ni enfer ni paradis, et
encore mo ins la rsurrection, tandis que les qui s'rigeait en souverain, et que cet Alexandre
fit gorger six mille hommes de son peuple. Ce massacre fut suivi de dix ans de massacres. A
qui les Juifs payaient-ils tribut dans ce temps-l? Quel souverain comptait cette province dans
ses tats? Josphe n'effleure pas seulement cette question: il semble qu'il veuille faire croire
que la Jude tait une province libre et souveraine. Cependant, il est certain que les rois
d'gypte et ceux de Syrie se la disputrent, jusqu' ce que les Romains vinrent l'engloutir.
Aprs ce Janne, si indigne du grand nom d'Alexandre, sa veuve Salom, dite Alexandra,
garda, pendant neuf ans, l'autorit au nom de ses jeunes fils, tout en abandonnant le
gouvernement aux Pharisiens et tolrant les violences qu'ils commettaient contre leurs
adversaires, les Saducens. Puis, la mort d'Alexandra laissant une libre carrire aux rivalits
politiques et religieuses de ces deux sectes, ce royaume, qui n'avait pas dix lieues d'tendue en
tous sens, fut dchir par la guerre civile, Hyrcan II, l'an des fils du grand prtre Janne,
s'tant mis la tte des Pharisiens, et Aristobule II, le cadet, tant le chef des Saducens; et la
Jude eut ainsi deux rois, au lieu d'un. Ces deux frres ennemis se livrrent bataille vers le
bourg de Jricho, non pas avec des armes de trois, de quatre, de cinq et de six cent mille
hommes; on n'osait plus alors crire de telles blagues, et mme l'exagrateur Josphe en aurait
eu honte; les armes juives alors taient de trois quatre mille soldats. Hyrcan fut battu, et
Aristobule II resta le matre.
A cette poque, les Romains, sans trop s'embarrasser de leur prtendue socit amicale avec
les Macchabes, portaient leurs armes victorieuses dans l'Asie Mineure, dans la Syrie et
jusqu'au mont Caucase. Les Sleucides n'existaient plus; Tigrane, roi d'Armnie, beau-pre de
Mithridate, avait conquis une partie de leurs tats. Le grand Pompe avait vaincu Tigrane; il
venait de rduire Mithridate se donner la mort; il faisait de la Syrie une province romaine.
Les livres des Macchabes ne parlent ni de ce grand homme, ni de Lucullus, ni de Sy lla. On
n'en sera pas tonn. Hyrcan, chass par son frre Aristobule, s'tait rfugi chez un chef
d'Arabes, nomm Artas. Jrusalem avait toujours t si peu de chose que ce capitaine de
voleurs vint assiger Aristobule dans cette ville. Pompe passait alors dans la basse Syrie.
Aristobule obtint la protection de Sca urus, l'un de ses lieutenants. Scaurus ordonne au
Bdouin de lever le sige et de ne plus commettre d'hostilits sur les terres des Romains; car,
254

la Syrie tant incorpore l'empire, la Palestine l'tait aussi. Tel est le seul pacte de socit
que la rpublique romaine avait pu faire avec la Jude.
Josphe crit qu'Aristobule, pour obtenir la protection de Pompe, lui envoya un magnifique
prsent; Strabon parle de ce prsent, qui serait une vigne d'or, mais il l'attribue Alexandre-
Janne, et non Aristobule. Quoi qu'il en soit, les deux frres Aristobule et Hyrcan, qui se
disputaient la qualit de grand-prtre, vinrent plaider leur cause devant Pompe pendant sa
marche. Il allait prononcer, lorsque Aristobule s'enfuit; ce qui laisserait croire que le cadeau
de la vigne d'or n'avait pas russi influencer l'arbitre et que le fils cadet de Jeannot et ds
lors plus confiance dans les remparts de la capitale de David.
En effet, Pompe alla mettre, son tour, le sige devant Jrusalem. On sait que cette ville est
dans une excellente situation, au point de vue de la dfense; elle pourrait tre une des
meilleures places de l'Orient entre les mains d'un ingnieur habile; du moins, le temple, qui
tait la vritable citadelle, pourrait devenir inexpugnable, tant bti sur la cime d'une
montagne escarpe, entoure de prcipices. Pompe fut oblig de perdre presque trois mois
prparer et faire mouvoir ses machines de guerre; mais ds qu'elles purent manuvrer, il fit
brche la forteresse et entra. Un fils du dictateur Sy lla y monta le premier, et, ce qui rend
cette journe plus mmorable encore, c'est que la prise de Jrusalem par les Romains eut lieu
sous le consulat de Cicron (63 av. J.-C). Josphe dit qu'on tua douze mille Juifs dans le
temple; nous le croirions, s'il n'avait pas toujours exagr. Nous ne pouvons le croire quand il
ajoute qu'on y trouva deux mille talents d'argent et que le vainqueur en tira dix mille de la
ville: car, enfin, ce temple ayant t pris tant de fois si aisment, tant de fois pill et saccag, il
tait impossible qu'on y gardt deux mille talents d'argent, qui feraient prs de douze millions
de francs de notre monnaie; et il serait encore plus extravagant de croire qu'on pt taxer un si
petit pays, si puis et si pauvre, dix mille talents, prs de soixante millions!... C'est quoi
ne pensent pas ceux qui lisent sans examen et qui reproduisent la lgre ces fables
imagines par l'orgueil hbreu. Un homme sens lve les paules, quand il voit qu'Alexandre
ne put ramasser en Jude que trente talents pour aller combattre Darius, et qu'il voit douze
mille talents dans les caisses des Juifs, outre les trois mille censment trouvs dans le tombeau
de David.
Il est certain que Pompe ne prit rien pour lui, et qu'il se borna faire payer aux Juifs les frais
de son expdition, qui avait t un accessoire de sa campagne principale en Asie Mineure.
Cicron loue ce dsintressement; mais Rollin (Histoire Romaine, livre 16) dit que rien ne
russit dsormais Pompe, cause de la curiosit sacrilge qu'il avait eue de pntrer dans le
sanctuaire du temple juif. Voltaire rplique Rollin que Pompe ne pouvait gure savoir s'il
tait dfendu d'entrer l; que la dfense pouvait tre pour les Juifs, et non pour Pompe; que
les charpentiers, les menuisiers, les autres ouvriers y entraient, quand il y avait quelque
rparation faire. On pourrait ajouter que c'tait autrefois la prsence de l'arche qui rendait ce
lieu sacr, et que cette arche divine tait perdue depuis Nabuchodonosor. Csar serait entr
tout aussi bien que Pompe dans cet endroit de trente pieds de long et aurait certainement eu
la mme curiosit d'y regarder. Si donc Pompe fut vaincu par Csar la bataille de Pharsale,
il se peut que ce fut pour avoir t curieux Jrusalem; mais il y eut sans doute d'autres
raisons aussi de cette dfaite, et le gnie de Csar y contribua beaucoup. On pourrait encore
observer que c'est un bien plus grand sacrilge d'gorger douze mille hommes dans un temple
que d'entrer dans une sacristie o il n'y avait rien du tout. (Voltaire, Sommaire de l'histoire
juive)
Au surplus, Pompe, ayant pris Aristobule, l'envoya captif Home. En outre, dans le courant
de l'anne 49 (av. J.-C), il ordonna un descendant des Scipions, son lieutenant en Syrie, de
faire couper le cou au fils an d'Aristobule, qui avait pris le nom d'Alexandre et le titre de roi.
Cet vnement achve de faire voir quelle tait l'alliance de couronne couronne que les Juifs
se vantaient d'avoir avec les Romains, et quel fond on peut faire sur les rcits des historiens de
255

cette nation. Enfin, pour mettre la dernire main ce tableau, et pour montrer de quel respect
l'empire romain tait pntr pour les Juifs, il suffira de dire que, quelques annes aprs (38),
le triumvir Marc-Antoine condamna dans Antioche un autre roi juif, le second fils
d'Aristobule, nomm Antigone, mourir du supplice des esclaves; il le fit fouetter et crucifier.
Ce fut alors que le Snat accorda le titre de roi l'Idumen Hrode, fils d'Antipator,
procurateur de la Jude, qui pousa Marianme, fille d'Hyrcan II, et rgna environ quarante
ans, sous la protection de Rome, tenant ses sujets hbreux courbs sous son sceptre de fer.
**********************
Ainsi finit l'Ancien Testament. Notre tche d'aujourd'hui est accomplie. Dans quelque temps,
nous publierons une nouvelle dition de la Vie de Jsus, qui parut il y a seize annes; notre
ancienne Bible Amusante, qui prcda alors cette critique humoristique du Nouveau
Testament, tait un simple jeu, une srie de plaisanteries accompagnant les dsopilants
dessins de notre ami Frid'Rick. Alors, le clricalisme paraissait dfinitivement rduit
l'impuissance, et il ne nous restait plus qu' aller explorer le camp des vaincus, pour connatre
par nous-mme et pouvoir dire un jour quelle part il convient de faire la bonne foi des
derniers dfenseurs du dogme; nous voulions voir de prs si l'autel tombant en ruines compte
vraiment des prtres croyant ce que leur glise enseigne. C'est la faveur d'une mystification
pousse aux extrmes limites que nous avons russi faire cette curieuse exprience.
Mais, avant d'en publier les rsultats, il nous a paru ncessaire le parti clrical relevant la
tte de reprendre en main cet album de dessins comiques de notre ancien collaborateur et
de refaire une critique gnrale, complte cette fois, de ce monument de btise abrutissante
qui s'appelle la Bible. En terminant, disons un mot, qui tonnera bien nos lecteurs libres-
penseurs, mais qui est l'expression de la vrit constate par notre enqute personnelle de
onze annes: si idiote que soit la Bible, il y a des prtres, et mme des prtres intelligents, qui,
de bonne foi, la croient vraie, authentique, et dont l'esprit n'est dconcert par aucun des rcits
les plus fantastiques des fumistes auteurs de l'Ecriture Sainte; non seulement ces
extraordinaires nafs croient que la baleine a aval Jonas, mais encore ils croiraient que Jonas
a aval la baleine, si le divin pigeon l'avait dict quelque soi-disant prophte.
Conclusion: la foi religieuse est une varit de la folie.

Vous aimerez peut-être aussi