Le Mouvement Liturgique de Abbé Didier Bonneterre (1980)
Le Mouvement Liturgique de Abbé Didier Bonneterre (1980)
Le Mouvement Liturgique de Abbé Didier Bonneterre (1980)
sicle, la liturgie avait cess d'tre une force vitale du catholicisme. La liturgie, si admirablement restaure
par saint Pie V (Saint Pie V, un pape pour notre temps, P. Tilloy, Forts dans la foi, 1974), avait subi les assauts rpts
du jansnisme et du quitisme. Les disciples de Jansnius avaient dtach les fidles de la pratique des sacrements. Le
quitisme, qui prtendait atteindre Dieu directement, avait dtourn les mes de la liturgie, intermdiaire voulu par
l'Eglise entre Dieu et nous. C'est l'poque o le gallicanisme triomphant composait ses liturgies diocsaines dont le seul
point de ralliement tait le caractre anti-romain. En Allemagne, Febronius, auxiliaire de Trves, rpandait ces ides ; en
Italie, c'tait le travail de Ricci, vque de Pistoie, condamn avec son synode par Pie VI dans la bulle Auctorem Fidei
du 28 aot 1794 (DZ. 1501).
L'Europe entire sombrait donc dans l'hrsie anti-liturgique, quand clata la rvolution en France. Le culte catho-
lique fut interdit, et remplac par celui de la desse Raison. Le concordat de 1801 rendit l'espoir... mais que d'preuves
pour la liturgie ! Le peuple en avait perdu le got ; le clerg lui-mme n'aimait pas ces crmonies qu'il ne comprenait
plus vraiment... d'autant plus que la restauration du culte avait ramen la multiplicit des liturgies gallicanes.
Mais l'espoir d'une vraie restauration demeurait possible. Dj Chateaubriand, avec ses ouvrages : Le gnie du
Christianisme et Les Martyrs, avait rvl aux Franais d'alors les merveilles de la liturgie du Moyen Age. Une nou-
velle jeunesse tait invite se pencher sur les manuscrits de l'Antiquit, pour y dcouvrir des crmonies dont la liturgie
si fragmente de l'poque ne pouvait donner une ide exacte. Parmi ces jeunes ttes studieuses, il en est une qui
merge, c'est celle de Prosper-Louis-Pascal Guranger (1805-1875)
1
. Ce n'est pas le lieu de retracer ici la vie du fonda-
teur de la Congrgation Bndictine de France ; nous nous attacherons seulement dgager les grandes lignes de son
immense activit liturgique, laissant volontairement de ct son oeuvre thologique et sa restauration du chant grgorien.
Dans ses Considrations sur la liturgie catholique , publies dans le Mmorial de 1830, le futur fondateur de
Solesmes prcisait la double orientation de son travail liturgique.
Tout d'abord, ramener le clerg la connaissance et l'amour de la liturgie romaine. A cette fin, il publiera, partir de
1840, Les Institutions liturgiques
2
, qui contiennent une attaque serre contre les liturgies no-gallicanes et une merveil-
leuse manifestation de l'anciennet et des beauts de la liturgie romaine.
D'autre part, Dom Guranger s'attachera associer les fidles la hirarchie pendant qu'elle clbre le Sacrifice, ad-
ministre les sacrements et clbre l'Office. Pour cela, il publiera, partir de 1841, une traduction commente des textes
liturgiques rpartis au cours de l'anne liturgique : c'est sa clbre Anne liturgique.
L'anne liturgique de Dom Guranger, crit Dom Festugire, est tout simplement une merveille pour rvler
tous les genres d'mes, quel que soit le degr de leur instruction, les richesses spirituelles que contient la liturgie.
Cette facult d'adaptation d'un mme ouvrage constitue un fait trs remarquable. L'Imitation de Jsus-Christ est loin
de la possder au mme degr. L'explication ? Mais c'est le temprament de la liturgie elle-mme, que l'Abb de So-
lesmes avait compltement pntr. L'Anne liturgique participe quelque chose qui n'est pas sorti de la main des
hommes
3
.
Entre-temps, Dom Guranger avait fond Solesmes et sa Congrgation qui pourraient continuer son uvre. uvre
couronne de succs, puisque, avant de mourir en 1875, il eut la consolation de constater que tous les diocses franais
taient revenus au rite romain, et que, dj, la pit liturgique refleurissait parmi le clerg et les fidles.
Pour Dom Guranger, la liturgie est, avant tout, Confession, Prire et Louange, bien plus qu'enseignement
4
.
Dom Guranger, crit Dom Froger, redcouvrit donc la liturgie. Il discerna sans hsitation ce qui en est l'essence :
culte public par lequel l'Eglise, sous la motion du Saint-Esprit qui l'anime et prie en elle avec des gmissements in-
1
Dom Guranger, Abb de Solesmes, par un moine bndictin. 2 tomes Plon-Mame, 1910.
2
Institutions Liturgiques, 3 vol., Fleuriot, Le Mans 1840. - 2 d. en 4 vol. de 1880. - Extraits par J. Vaqui. D.P.F. 1977.
3
La liturgie catholique, Essai de synthse, Dom Festugire O.S.B. Maredsous, 1913.
4
Institutions Liturgiques, de Dom Guranger. Tome I
er
, ch. I
er
.
4
narrables, chante Dieu sa foi, son esprance et sa charit.
Sans mconnatre le moins du monde la valeur formatrice et ducatrice de cette prire pour les fidles qui l'exer-
cent, Dom Guranger considrait trs justement que la liturgie, tant sacrifice spirituel, a pour fin suprme la louange,
et qu'elle chante la gloire de Dieu de faon dsintresse et dans l'oubli de soi. Avant tout, expression de sentiments
de foi, de confiance, d'amour, de joie, d'espoir, etc. la liturgie ne peut que recourir au chant, la musique, la posie,
comme au seul langage qui soit capable de traduire ses transports et sa sobre ivresse. Ainsi la liturgie est-elle ly-
rique bien plus que didactique
1
.
La liturgie, pour l'Abb de Solesmes, est essentiellement thocentrique. Dom Delatte pouvait crire :
Encore l'uvre de sanctification et d'ducation surnaturelle qu'elle accomplit au cours du temps dans les mes
qui se confient ses mains, se rapporte-t-elle comme son terme l'uvre de glorification et d'adoration qu'elle rem-
plit envers Dieu. Les mes se sanctifient afin d'entrer plus profondment dans les conditions de cet esprit et de cette
vrit o elles doivent adorer Dieu ; les mes s'lvent pour que le culte qu'elles rendent Dieu soit moins indigne de
lui ; leur ducation surnaturelle se poursuit dans le temps pour qu'elles puissent sans fin glorifier et louer Dieu durant
l'ternit. C'est Dieu comme terme et sa gloire, qu'aboutit finalement tout l'ordre des choses
2
.
A la mme poque, au Mesnil-Saint-Loup, le Pre EMMANUEL travaillait restaurer la vie liturgique dans sa pa-
roisse.
L, dans ce cadre exigu o toute sa vie s'est coule, crit Dom Bernard Marchaux, il a si bien fondu en-
semble l'enseignement de la foi et celui de la liturgie, que les gens du pays ne croiraient pas tre de vrais chrtiens,
s'ils ne cherchaient comprendre les textes liturgiques pour mieux prier et pour honorer Dieu d'une louange plus
parfaite... Ce phnomne de vie chrtienne et liturgique dure depuis plus de cinquante ans, sans faiblir. Ce n'est pas
un feu de paille. Il dmontre ces deux points de trs haute importance : que les simples fidles, par la grce de leur
baptme, sont aptes goter la prire liturgique ; et que les affectionner en esprit de foi cette prire, est le plus ef-
ficace moyen, sinon le seul moyen, d'empcher la dsertion des glises. Le Pre Emmanuel, qui a mis en lumire
ces vrits, qui a rsolu pratiquement un problme d'intrt si palpitant, ne mrite-t-il pas que son nom figure ct
de celui de Dom Guranger ?
3
.
Pour notre part, nous n'hsitons pas donner une place l'humble moine non loin du clbre Abb. Le Pre Emma-
nuel a t, en effet, le premier mettre en pratique les principes de Dom Guranger ; et ils mritent bien tous les deux
d'tre regards comme les deux co-principes du Mouvement liturgique, c'est--dire, du renouveau de ferveur du
clerg et des fidles pour la liturgie.
N de pres bndictins, le Mouvement liturgique verra pour longtemps son histoire lie celle de l'Ordre de saint
Benot. Le Mouvement n avec la Congrgation de France allait se dvelopper avec elle, et rapidement s'tendre au
del des frontires franaises.
Tandis que Dom Mocquereau (+ 1930), Dom Pothier (+ 1923) et Dom Cagin (+ 1923) continuaient dans la maison
mre l'uvre du fondateur, Solesmes lanait ses premires fondations. Ce fut d'abord Beuron en 1863, qui fonda ensuite
lui-mme Maredsous en 1872, puis le Mont-Csar en 1899, pendant que Dom Gupin partait en Espagne restaurer Silos
en 1880.
En France, l'expulsion des religieux allait, pour un temps, dplacer le centre de gravit du Mouvement liturgique. Le
Centre n'en serait plus la France, mais la Belgique. Dj en 1882 Dom Grard van Caloen, moine de Maredsous, et futur
vque de Phoce, publie Le Missel des fidles en latin et franais, suivi plus tard du Petit Missel des fidles, qui ob-
tiennent un beau succs. En 1884, il fonde le Messager des fidles, qui se transforme en 1890 en la savante Revue
bndictine. En 1889, au Congrs eucharistique de Lige, il prsente une thse ose pour l'poque : la communion des
fidles durant la messe. En 1898, une seconde revue est fonde dans la mme abbaye de Maredsous, Le Messager de
saint Benot, qui, en 1911, s'occupe plus spcialement de liturgie sous le titre de Revue liturgique et monastique.
Mais avant de continuer notre tude du Mouvement liturgique belge, il nous faut nous tourner vers Rome, o, en
1903, vient de monter sur le sige de Pierre celui qui devait donner au Mouvement une impulsion dfinitive, saint Pie
X. Dou d'une exprience pastorale immense, ce saint pape a terriblement souffert de la dcadence de la vie liturgique.
Mais il sait qu'un courant de renouveau est en train de se dvelopper, et il est dcid tout faire pour qu'il porte des
fruits. C'est pourquoi, ds le 22 novembre 1903, il crit son clbre motu proprio Tra le sollecitudini, par lequel il res-
taure le chant liturgique. Dans ce document, il insre la phrase capitale qui va maintenant jouer un rle dterminant dans
l'volution du Mouvement liturgique.
Notre plus vif dsir tant que le vritable esprit chrtien refleurisse de toute faon et se maintienne chez tous les
fidles, il est ncessaire de pourvoir, avant tout, la saintet, la dignit du temple o les fidles se runissent prci-
sment pour y trouver cet esprit sa source premire et indispensable, savoir : la participation active aux Mystres
sacro-saints et la prire publique et solennelle de l'Eglise.
Saint Pie X n'est pas un vellitaire, et il ralise nergiquement son programme de renouveau liturgique. Citons pour
mmoire : L'invitation la communion frquente et la communion des enfants, par les dcrets Sacra Tridentina du 20
dcembre 1905, et Quam singulari du 8 aot 1910 ; Lettre du 14 juin 1905 au Cardinal Respighi, dans laquelle il de-
mande que le catchisme soit complt par une introduction sur les ftes liturgiques ; la bulle Divino afflatu du I
er
no-
vembre 1911, par laquelle ce pape de gnie rforme le brviaire, solution qui restaure l'office du temps, crit Mgr Batif-
fol, sans diminuer en rien l'office des saints : solution ose, lgante et, avec l'aide de Dieu, dfinitive (La Croix, du 28
dcembre 1911). Saint Pie X, en dsignant la participation active aux mystres sacro-saints comme la source pre-
1
L'encyclique Mediator Dei et la liturgie, Dom J. Froger de Solesmes dans La pense catholique, n 7, 1948.
2
Dom Guranger par un moine... , I, p. 260.
3
Dom Guranger et le Pre Emmanuel, Dom Marchaux, dans Notre-Dame de la Sainte Esprance, oct. 1910.
5
mire et indispensable du vritable esprit chrtien, a donn une nouvelle impulsion au renouveau de ferveur liturgique.
Saint Pie X a mme constitu une Commission de rforme du missel en 1912, mais devant les tendances destructrices
dj manifestes par quelques experts il dissout cette commission. Pour saint Pie X comme pour Dom Guranger, la li-
turgie est essentiellement thocentrique, elle est culte avant d'tre enseignement des fidles ; cependant ce grand
pasteur a soulign un aspect important de la liturgie : elle est ducatrice du vritable esprit chrtien. Mais, redisons-le,
cette fonction de la liturgie n'est que seconde.
C'est Dom Lambert BEAUDUIN (1873-1960), que revient le mrite d'avoir compris tout le parti qu'il y avait tirer de
l'enseignement de saint Pie X. Hlas, ce moine n'a pas su garder toute sa vie cette hirarchie des fins de la liturgie,
comme nous le verrons dans la suite de cette tude, mais n'anticipons pas
Dom Lambert Beauduin, d'abord prtre du diocse de Lige, missionnaire du travail sous Lon XIII, entra en 1906,
l'ge de 33 ans, l'abbaye du Mont-Csar que les moines de Maredsous avaient fonde Louvain peu d'annes aupa-
ravant (1899). Son esprit, orient vers les problmes de l'apostolat et de la pastorale par son activit antrieure dans le
clerg sculier, envisagea la liturgie sous l'angle des proccupations qui lui taient habituelles, et trs vite il dcouvrit
dans la liturgie, la suite de saint Pie X, un merveilleux moyen de former les fidles la vie chrtienne. Ds 1909, il
inaugura au Mont-Csar un Mouvement liturgique qui connut tout de suite un immense succs.
Voyons-en rapidement les tapes. C'est tout d'abord le Congrs catholique de Malines en 1909 : le Cardinal Mercier y
soutient de toute son autorit le programme de Dom Beauduin. Quatre objectifs sont fixs :
1) Traduire le missel romain, faire de ce livre le premier livre de dvotion des fidles. Populariser au moins la messe et
les vpres du dimanche.
2) Effort pour rendre la pit plus liturgique, communion dans la messe.
3) Dveloppement du chant grgorien, conformment au dsir du pape.
4) Encourager les membres des chorales faire des retraites dans un centre de vie liturgique : Abbayes bndictines.
Une fois ces objectifs prciss, et fortement encourag par l'piscopat belge, Dom Beauduin va travailler gagner
sa cause les prtres, et plus particulirement les curs de paroisse. A cette fin, il lance deux revues qui connaissent un
immense succs (70.000 abonns en quelques mois), Questions liturgiques et paroissiales et Semaines liturgiques.
Enfin, pour bien expliquer sa conception du Mouvement liturgique, il publie en 1914 un fascicule demeur clbre : La
pit liturgique ; principes et faits.
Mais laissons la parole Dom Froger, dans son magistral article :
L'action de Dom Lambert Beauduin n'eut pas seulement pour effet de donner une impulsion nouvelle au mouve-
ment suscit par Dom Guranger ; elle aboutit aussi faire apparatre la liturgie sous un nouveau jour. Le point de
vue de Dom L. Beauduin n'est plus tout fait, comme celui de Dom Guranger, celui de la prire contemplative, d'un
lyrisme dsintress qui chante son amour sans autre souci que la louange ; cet aspect de la liturgie, Dom L. Beau-
duin ne le mconnat pas, mais il prfre mettre l'accent sur son aspect didactique ; il considre plutt la liturgie dans
son action sur les mes que dans son rle de sanctification.
Et Dom Froger tire plus loin la conclusion de son analyse :
Il ne s'agit donc plus tout fait de liturgie, mais plutt de pastorale liturgique.
Ainsi donc, avec Dom Lambert Beauduin, le Mouvement liturgique tend devenir un Mouvement de Pastorale li-
turgique. Saint Pie X, c'est vrai, avait soulign la valeur ducatrice de la liturgie ; Dom L. Beauduin tend trop insister
sur cet aspect. Notons au passage que Dom Festugire est rest fidle au point de vue tout thocentrique de Dom
Guranger. Cependant, soulignons bien qu' cette poque il ne s'agit chez Dom Beauduin que d'une tendance trop
insister sur un aspect vrai de la liturgie. Nous sommes encore infiniment loin de l'inversion des fins de la liturgie que nous
rencontrerons dans la suite de l'histoire du Mouvement liturgique. Ajoutons avec le R.P. L. Bouyer :
Tel est le trait le plus important du Mouvement liturgique belge : c'est qu'il n'est jamais all se perdre dans l'ar-
chologisme, et qu'il n'a jamais subi la tentation de s'garer dans des innovations douteuses
1
.
D'ailleurs, soyons juste avec le Mouvement belge et reconnaissons que, si Dom L. Beauduin tend trop souli-
gner l'aspect pastoral de la liturgie, il n'est pas seul en lice : nous avons dj mentionn Dom Festugire, mais n'oublions
pas Dom Gaspar Lefebvre de Saint-Andr-de-Lophem, Dom Marmion, Dom Flicotteaux, Dom Vandeur, ni Dom Cabrol,
de Farnborough, en Angleterre.
Tous ces moines de gnie se mettent l'uvre, et les livres de propagande abondent. En premier lieu, on doit citer
La liturgie catholique, long article publi dans la Revue de philosophie (France), et d la plume du grand philo-
sophe et penseur Dom Festugire, bndictin de Maredsous. Cet article de 1913 provoque une immense polmique.
Dom Festugire dveloppait dans son article la pense de saint Pie X sur la liturgie, source premire et indispensable de
la vie spirituelle. Les Jsuites se sentirent - tort - viss dans cet expos serein. Le 20 novembre 1913, la revue Les
Etudes riposta violemment par un article du R.P. Navatel intitul L'apostolat liturgique et la pit personnelle. Le j-
suite soutenait pratiquement que la pit pouvait fort bien se passer de la liturgie, et tendait par l contredire saint Pie
X. La rponse du bndictin fut gniale
2
:
il allait combattre un effort de propagande qui paraissait prjudiciable la vrit, au bien des mes et aux inten-
tions du Sige apostolique. (...) peine le P. Navatel a-t-il, dans son exorde, form des vux pour la restauration du
sens liturgique parmi les fidles, adress des loges, presque trop copieux, aux fils de saint Benot qui s'y dvouent,
et protest de son zle embrasser des intrts que la papaut recommande, - que, oubliant ses bonnes dispositions
et faisant volte-face, il se met attaquer, sur presque tous les points, la cause de la prire publique et des rites -, no-
tions fondamentales, histoire, bases sociologiques, valeur comme mthode d'apostolat, aptitude procurer la sanctifi-
1
La vie de la liturgie, Louis Bouyer de l'Oratoire. Cerf, 1956, p. 85.
2
Revue Thomiste, 1914, n 1-2-3.
6
cation des mes, - et s'applique, en somme, de son mieux discrditer ce qu'il appelle l'uvre des "no-liturges".
Dom Festugire s'appuyait donc sur l'autorit de saint Pie X, et il sut, avec talent, montrer la valeur ducatrice et apos-
tolique de la liturgie, en respectant bien sr le thocentrisme du culte liturgique. La guerre mit fin la controverse, et,
une fois les esprits calms, le P. Peeters, S.J. sut montrer qu'il n'y avait aucun antagonisme entre la spiritualit ignatienne
et la liturgie
1
. Cette querelle eut le mrite de faire connatre de tout le monde le Mouvement liturgique et de rpandre
travers le monde entier ce renouveau de ferveur pour la liturgie.
En FRANCE : Curs et sminaristes vont prendre part dans les monastres bndictins belges aux Semaines et aux
Retraites liturgiques et reviennent anims du dsir de restaurer la liturgie dans leurs glises. Cette restauration s'effectue
surtout durant les tristes heures de la guerre et, chose tonnante, dans la partie envahie de la France. Dom Lefebvre et
Mgr Charost multiplient les manifestations Lille, Roubaix et Tourcoing. Le vicaire gnral Leconte, le Ch. Dehove, Dom
Lefebvre, l'abb Bayard publient une revue, La voix de l'Eglise, qui devient La revue pratique de liturgie et de musique
sacre. Plus loin du front de bataille, les associations liturgiques se multiplient : Les amis des cathdrales, Les amis
du grgorien, etc. Mgr Batiffol donne l'Institut catholique de Paris des confrences sur la messe
2
. L'abb Harscout,
futur vque de Chartres, publie d'intressantes tudes sur Les Messes du Carme, les Messes des Quatre-Temps,
puis sur les Messes du Temps Pascal
3
. Dom Gra (+ 1917) crit La Sainte Liturgie
4
, puis il prsente par une Prface
Le Brviaire Romain traduit en franais par le carmel de Bruges. Dom Besse (+ 1920), aptre ardent et passionn de
la liturgie, mne le bon combat avec la revue La vie et les Arts liturgiques, qui disparut peu aprs lui.
La paix revenue, le Mouvement liturgique prit un dveloppement plus grand encore. Qu'il nous suffise de citer la
Semaine liturgique de Rouen, les Journes liturgiques et grgoriennes de Tournus, les Journes grgoriennes de
Lourdes (1920) activement diriges par Dom Lucien David, et surtout le Congrs gnral de musique sacre de Tour-
coing (1919), vrai triomphe de la liturgie, consacr par la prsence du Cardinal Dubois et de plusieurs vques et abbs
mitrs. Puis eut lieu le Congrs de Strasbourg o se forma l'Association franaise de sainte Ccile, prsid par le
Nonce de Paris ; ce congrs met entre autres vux les suivants : enseignement de la liturgie et du chant grgorien,
communion des fidles au moment du Sacrifice, association des fidles la messe par la lecture du texte, etc. En d-
cembre 1922, on tient Paris un Congrs de chant grgorien et de musique religieuse, uvre du Cardinal Dubois et des
moines de Solesmes revenus dans leur pays natal aprs de longues annes d'exil. En 1924, le Cardinal Dubois fonde
Paris un Institut Grgorien ; dans une lettre du 11 avril, Pie XI lui manifeste sa vive satisfaction. Quel immense renou-
veau produit en moins de vingt ans !
A cette poque, la HOLLANDE est un des pays les mieux organiss au point de vue liturgique. Chaque diocse a sa
socit liturgique, commission d'ecclsiastiques chargs officiellement par l'vque de promouvoir le Mouvement litur-
gique dans le diocse. Ces socits bien organises se runissent en une Fdration nationale doue de statuts ap-
prouvs par l'piscopat ds 1915, dote d'une revue, Maandschrift voor Liturgie, qui a plus de 5.000 abonns. De 1914
1919, cette fdration a distribu 209.070 imprims de propagande liturgique. L aussi, quel zle !
En ALLEMAGNE, le centre du Mouvement liturgique est le monastre bndictin de Maria-Laach. L se font prio-
diquement des Semaines liturgiques organises d'une faon pratique pour les diffrentes classes de la socit. Les
moines multiplient les confrences travers toute l'Allemagne. Une collection d'ouvrages : Ecclesia orans vient com-
plter l'enseignement oral. Reck publie le Missel mdit ; Dom Schott publie en 1921 un missel en langue vulgaire.
D'autres abbayes bndictines, comme Saint-Joseph en Westphalie, Ettel en Bavire, Beuron dans le Hohenzollern sont
aussi des centres trs actifs du Mouvement liturgique. Dj, cette poque, nous rencontrons des noms que nous re-
trouverons tout au long de cette tude, Dom Odon Casel, Dom Pius Parsch, augustin de Klosterneuburg, Romano Guar-
dini, sculier. Bien sr, vers 1920, les crits de ces auteurs demeurent modrs, mais cela ne durera pas longtemps,
comme nous le verrons dans notre prochain chapitre. C'est en Allemagne que le Mouvement liturgique va con-
natre ses premires et peut-tre ses plus graves dviations.
En ITALIE, l'expansion du renouveau date de 1913. Cette anne, deux retraites liturgiques sont prches pour le
clerg dans le diocse d'Aoste par Dom Beauduin et Dom Besse. Leurs instructions sont compltes par une lettre pas-
torale de Mgr Tasco qui exhorte tous les fidles prendre une part active la clbration de la liturgie. En 1921, le Car-
dinal Lafontaine, Patriarche de Venise, organise dans sa ville les Stations quadragsimales l'imitation des anciennes
stations Rome. En septembre 1920, on organise dans l'abbaye bndictine de Cava un Cours de Liturgie sacre ; Sa
Saintet Benot XV envoie un tlgramme pour encourager et bnir les prtres qui frquentent ce cours. En mme temps
se tient Turin le XII
Congrs national de l'Association italienne de Musique sacre. Le Cardinal Gasparri crit aux con-
gressistes que l'Auguste Pontife fait des vux ardents pour que les fidles participent plus largement et plus activement
la liturgie. Pour la premire fois, Sa Saintet Pie XI dialogue avec la foule la messe de minuit Saint-Pierre, au
Congrs eucharistique de Rome de 1922. La messe dialogue tait en effet le cheval de bataille du Mouvement litur-
gique d'alors. Nous verrons bientt ce qu'il faut en penser. Le Mouvement italien a comme organes de propagande la
Rivista liturgica des bndictins de Padoue et de Gnes, le Bollettino liturgico du Rme Dom Caronti de Parme,
l'Ambrosius de Milan. N'oublions pas les clbres missels de Dom Caronti et de Dom Battisti. En 1919, le Cardinal
1
Mthode ignatienne et spiritualit liturgique, P. Peeters, S.J. Louvain, 1918 et Confrences au Congrs de Malines de 1924.
2
Leons sur la Messe, Mgr Batiffol, Gabalda, Paris, 1920.
3
Ed. Saint-Brieux 1918 et Paris Art Catholique 1922.
4
Paris, Bonne Presse, 1909.
7
Schuster crit son clbre Liber Sacramentorum, profonde tude de l'anne liturgique
1
. Le renouveau de ferveur pour
la liturgie en Italie, bni par les papes et par d'minents cardinaux, connat donc un immense succs, et ce n'est que
tardivement qu'il dviera de ses premires orientations.
En ESPAGNE, les foyers du Renouveau sont les deux abbayes de Montserrat et de Silos. Montserrat publie la
Revista Montserratina, et organise en 1915 un immense Congrs au succs retentissant. Bni par Benot XV, encou-
rag par l'adhsion du Nonce apostolique et des Cardinaux Serafini O.S.B., Billot S.J., Gasquet O.S.B. et de nombreux
vques, spcialement rehauss par la prsence de 2.000 congressistes dont 300 prtres, ce Congrs met comme
voeux : d'associer intimement les fidles la liturgie sacre, de vulgariser les livres liturgiques, etc. Dom Prado, Dom
Gubianas publient des missels, pendant que le missel quotidien de Dom Lefebvre est traduit en espagnol. Le Mouve-
ment liturgique espagnol tait donc plein de promesses, mais, comme nous le verrons, il fut sabr par la rvolution, et
lorsqu'il se relvera ce sera pour subir les contrecoups des dviations allemandes et franaises.
Aux ETATS-UNIS, le Mouvement liturgique s'attache surtout la formation des enfants. En juin 1920, c'est le Con-
grs international de chant grgorien de New York : la messe y est chante par un chur de 4.000 enfants des 47 coles
catholiques de la ville. A cette poque, 500.000 enfants apprennent le chant grgorien dans les coles catholiques. De
nombreuses publications liturgiques nourrissent la pit des fidles : The Roman Missal de Dom Cabrol ; The Sunday
Missal du Rev. F.X. Lasance ; The daily Missal de Dom Lefebvre. Liturgia du mme auteur est traduit sous le titre
The Catholic Liturgy. En 1921, Dom Michel, O.S.B., publie My Sacrifice and yours, le Rev. Hoffman, O.S.B., Litur-
gical Dictionary, les religieuses dominicaines de Marywood (Michigan) cinq brochures, With Mother Church, destines
l'enseignement de la liturgie dans les classes, etc. Comme nous le verrons dans la suite de cette tude, le Mouve-
ment amricain tait trs bien parti, et il ne dviera que sous la pousse des Mouvements allemand et franais, mais
il faudra attendre pour cela les annes qui ont suivi la dernire guerre.
Ce rapide tour d'horizon du Mouvement liturgique travers le monde dans les annes qui ont prcd ou suivi la
guerre de 1914-1918 nous a permis de constater sa prodigieuse expansion. N du gnie de Dom Guranger et de
l'nergie indomptable de saint Pie X, ce courant a port cette poque des fruits magnifiques de renouveau spirituel.
Cependant, il ne faut pas se leurrer, le caractre Apostolat de la liturgie que Dom Beauduin tend trop accentuer va
devenir, dans la suite, de plus en plus envahissant. Et ce sera la grande tentation du Mouvement : faire de la liturgie un
moyen d'apostolat, avant tout ; faire plier la liturgie aux exigences de l'apostolat. Le nud du drame est l. Comme
nous le verrons, c'est faute d'avoir su rsister cette tentation que cette uvre magnifique s'est effondre et qu'elle a en-
tran dans sa chute presque tout l'difice de l'Eglise.
CHAPITRE II - L'ENTRE-DEUX-GUERRES
LE MOUVEMENT LITURGIQUE DANS LES DIFFRENTS PAYS D'EUROPE
DES DVIATIONS THOLOGIQUES APPARAISSENT EN MME TEMPS QUE LA TENDANCE RFORMISTE
Nous avons expos dans notre premier chapitre les origines du Mouvement liturgique. N du gnie de Dom Gu-
ranger, de la volont de saint Pie X, et du zle de Dom Beauduin, ce renouveau de ferveur pour la liturgie a connu un
dveloppement prodigieux, et produit les fruits magnifiques que nous avons reconnus. Nous avons galement soulign
les germes prcoces de dviations futures que Dom Beauduin avait placs dans les principes mmes de son Mouve-
ment. Mais, poursuivons notre tude... et arrtons-nous quelque temps sur l'trange personnalit de Dom Beauduin,
pre du Mouvement belge, avant de nous rendre en Allemagne pour retrouver Dom Casel.
Nous avions laiss le clbre moine du Mont-Csar la veille de la guerre de 1914-1918: il dirigeait, avec un zle in-
fatigable, le Mouvement liturgique belge. La guerre et une srie de rencontres inattendues vont l'entraner, pour un
temps, loin de la liturgie, dans les sphres troubles de l'cumnisme. Homme de confiance du Cardinal Mercier, qui fai-
sait en gnral preuve d'un meilleur discernement, Dom Lambert Beauduin joue un rle capital dans la rsistance belge
l'envahisseur allemand. Non seulement il rdige lui-mme, presque intgralement, la fameuse lettre pastorale du Cardinal
Mercier, appelant la Belgique la rsistance, mais encore il se charge de sa diffusion, mettant contribution son frre
des fameuses sucreries de Tirlemont
2
. Aprs une srie d'aventures rocambolesques, Dom Lambert Beauduin est oblig
de se rfugier en Angleterre ; et l, fait capital, il se lie d'amiti avec nombre de personnalits de l'Anglicanisme.
Aprs l'armistice, Dom Beauduin peut rentrer au Mont-Csar, o il rencontre Mgr Szepticki
3
, chef de l'Eglise uniate,
qui lui communique son amour passionn pour l'Orient ainsi que ses conceptions sur la vie monastique. Notre moine, qui
se trouvait dj bien l'troit dans son monastre trop beuronien, trop gurangen
4
, c'est--dire en fait trop conser-
vateur, ou trop catholique, notre moine, dis-je, ne va plus rver qu' une nouvelle fondation monastique qui restaurerait la
vie des moines venus l'origine de l'Orient.
Dom Robert de Kerchove, qui estime profondment son moine un peu remuant, va lui donner la possibilit de
1
Liber Sacramentorum, Ildephonse Cardinal Schuster. Vromant Bruxelles, 1925.
2
Dom L. Beauduin, Le Cardinal Mercier et ses suffragants en 1914, dans la Revue Gnrale Belge, I
er
juillet 1953, p. 416-417.
3
Mgr Szepticki, mtropolite de Lvov en Galicie, chef de l'Eglise uniate, i.e. : de cette portion de l'Eglise orthodoxe ukrainienne que l'ac-
cord de Brest-Litovsk, lors d'un des remaniements de la Pologne au XVIII
dition de 1929.
10
Dom Herwegen ne s'en cache pas : il veut dgager la liturgie de toutes les scories dont l'a obscurcie le Moyen Age. Le
Moyen Age a encombr la liturgie de ses interprtations fantaisistes, et de dveloppements trangers sa nature : insis-
tance trop unilatrale sur la prsence relle de la sainte Eucharistie, qui a fray la route l'abandon de la liturgie par le
protestantisme, et la dfaveur et la ngligence dont finalement elle devait tre l'objet dans une si grande partie du ca-
tholicisme post-tridentin
1
.
Une autre grande ide de l'Abb est que ce funeste Moyen Age s'est dtourn d'un mode objectif de pit vers un
mode subjectif. C'est le thme fondamental de son livre Kirche und Seele (L'Eglise et l'me), dans lequel il prsente
l'opposition entre la pit de l'Eglise et la pit de l'me comme parallle l'opposition entre l'objectivit traditionnelle et
le subjectivisme moderne.
Il y a l le double pch mortel du Mouvement liturgique allemand : un archologisme effrn qui se traduit
par le mpris, non seulement de la liturgie tridentine, mais aussi de la liturgie mdivale, ainsi qu'une tendance
former une pit collectiviste. Et nous sommes seulement dans les annes 1920-1925 !
Le nom de Dom Herwegen est depuis longtemps oubli, mais pas celui de Dom Odon Casel, moine du mme mo-
nastre de Maria-Laach, avec sa thorie concernant le Kultmysterium (le mystre du culte chrtien). Laissons le Rv-
rend Pre Bouyer nous expliquer de quoi il s'agit :
Disons d'un mot le contenu du "mystre". C'est la ractualisation dans, par et pour l'Eglise, de l'acte de Notre-
Seigneur qui a accompli notre salut, c'est--dire Sa Passion et Sa mort dans la plnitude de leur effet ultime : la R-
surrection, la communication de la grce salvatrice l'humanit et la consommation finale de toutes choses. Dans
cette perspective, la proprit centrale de la liturgie, et donc ce qu'il faut saisir avant tout pour la comprendre, c'est le
mode unique par lequel l'acte rdempteur du Christ est renouvel et distribu de faon permanente par l'Eglise. Bien
comprendre ce mode, qui est entirement diffrent de celui d'une reprsentation thtrale ou imaginative, ou de toute
rptition physiquement raliste, c'est la clef de l'intelligence de toute la liturgie dont la perte commena pendant le
Moyen Age. Et c'est cette clef que la priode baroque a si profondment perdue qu'elle n'a plus gard sous son re-
gard que l'corce vide de la liturgie, une corce d'autant plus dcore et surcharge extrieurement que la ralit int-
rieure tendait tre oublie
2
.
Rsumons ce long texte, en disant avec Wolfgang Waldstein : Dom Casel nous a fait sortir des impasses des tho-
ries post-tridentines du sacrifice
3
. En clair, Dom Casel nous a librs de la XII
sicle.
Ainsi, la fin de la seconde guerre mondiale, le Mouvement liturgique a considrablement renforc ses positions. Il
a mis au point un puissant organisme de subversion liturgique, le Centre de Pastorale Liturgique. Et surtout, il a labor
sa tactique de guerre : gagner sa cause les vques et ainsi agir dans la lgalit, faire prsenter ses requtes au
Saint-Sige par les vques, toujours sous prtexte d'avantages pastoraux. Il ne restera plus Dom Beauduin qu'
mettre tout cela en forme dans l'ditorial du n 1 de La Maison-Dieu, en janvier 1945 : Normes pratiques pour les r-
formes liturgiques.
CHAPITRE IV - L'APRES-GUERRE
DOM ROUSSEAU FAIT LE POINT. DOM BEAUDUIN LABORE LES NORMES PRATIQUES POUR LES RFORMES LITURGIQUES,
CHARTE DU CENTRE DE PASTORALE LITURGIQUE FRANAIS (C.P.L.) : VITER LE CONFLIT AVEC LA HIRARCHIE (ALLEMAGNE).
1
Mediator Dei, du 26 nov. 1947, Ed. Solesmes, Liturgie I n578 581.
2
Lettre du 15 janvier 1943, cit par Dom Froger, loc. cit.
3
La Maison-Dieu, n 7, pp. 108 114.
4
Liturgisches Jahrbuch, 1953, pp. 108 ss., article de J. Wagner.
5
Le Cardinal Maglione mourut en 1944, et fut remplac par deux pro-secrtaires : Monseigneur Tardini pour les affaires extraordi-
naires et Monseigneur Montini pour les affaires ordinaires.
6
Allemagne, par F. Kolbe in La Maison-Dieu, n 74, 1963.
16
MEDIATOR DEI REPREND LES THSES DE MGR GRBER, MAIS IL EST TROP TARD : ON CONTOURNE L'ENCYCLIQUE. LES OBJEC-
TIFS RFORMISTES DU MOUVEMENT.
Les annes troubles de la guerre ont permis aux dirigeants du Mouvement de mettre au point leur stratgie. Le
Centre de Pastorale Liturgique est n. Les piscopats franais et allemand sont circonvenus. Rome hsite... Les annes
de l'aprs-guerre vont tre dcisives pour l'avenir du Mouvement liturgique.
DOM ROUSSEAU FAIT LE POINT
En 1945, un bndictin de Chevetogne
1
, Dom Olivier Rousseau, publie aux ditions du Cerf une Histoire du Mouve-
ment liturgique. Ce moine, disciple lucide de Dom Lambert Beauduin, fait dans ce livre une pntrante analyse de l'his-
toire des origines du Mouvement. Mais c'est la conclusion de son ouvrage qui retiendra notre attention : Dom Rous-
seau y lance un cri d'alarme.
L'Eglise est vivante, crit-il ; le pass demeure vivant en elle - et il arrive quelquefois aux modernes de l'oublier - ;
mais le prsent y est vivant aussi. Disons plus : le pass n'y vit point sans le prsent, ni le prsent sans le pass. Sa-
chons reconnatre l'incontestable prpondrance des premiers sicles de l'Eglise, prpondrance qui demeurera
toujours et laquelle nous ne pourrons jamais rien changer. Mais disons-nous bien que si c'est mal comprendre
l'Eglise que de la faire commencer quelque priode postrieure de son histoire, c'est aussi mal la comprendre que
de la faire cesser quelque moment. Qu'une telle disposition, chez Dom Guranger, ait quelquefois t excessive, ce-
la ne doit pas trop nous tonner chez un homme de sa puissance. Son ultramontanisme, son conservatisme, son
dogmatisme mme et son got de la bataille ne sont que les extrmes de ses qualits. Il fallait qu'il et pareille trempe
pour donner son mouvement une ossature inflexible. C'est sur cette ossature que sont venus s'appuyer ses dis-
ciples, et principalement ceux qui, rattachs sa filiation dans l'Ordre monastique, ont propag ses enseignements et
ses ides. Ils l'ont fait avec une entire scurit, et une persuasion absolue qu'ils ne communiquaient aux autres que
le plus pur esprit de l'Eglise.
Et Dom Olivier Rousseau de conclure dans la dernire phrase de son livre :
Et ceci nous fait comprendre aussi combien il importe pour l'avenir que le mouvement liturgique issu de lui, tout
en suivant de prs l'volution des ides et en s'y mlant le plus possible, reste fidle ce sens catholique primordial,
sans lequel, tt ou tard, il est expos faillir
2
.
Notre lecteur nous pardonnera cette trop longue citation, mais nous ne pouvions l'omettre, tant elle est remarquable.
Dom Rousseau a vu juste, et nous regrettons seulement qu'il ne l'ait pas dit avec plus de force : le Mouvement litur-
gique est en train de perdre, s'il n'a dj perdu, le sens catholique de l'Eglise. Pour un catholique, l'Eglise est la
seule Arche du Salut ; Socit divine, elle demeure vivante travers les sicles, toujours pure et immacule, sans ride,
son dogme
3
comme sa liturgie connaissent un dveloppement homogne. Cette vrit fondamentale, Dom Guranger
s'en est fait l'intrpide dfenseur dans ses Institutions Liturgiques. C'est au nom de ce principe qu'il a combattu les ma-
nifestations diverses de l'hrsie anti-liturgique. Pour Dom Guranger, comme pour tout catholique, la liturgie est en-
fante par l'Eglise, assiste de l'Esprit Saint tout au long de son chemin sur la terre. A ce titre, la liturgie tridentine et post-
tridentine est tout aussi vnrable que la liturgie du Moyen Age ou de l're patristique.
Cela, les dirigeants du Mouvement liturgique ne le comprennent plus. Pour eux, la liturgie de l'poque baroque,
la liturgie du Moyen Age sont des liturgies mortes. L'Esprit n'y souffle plus comme au temps des Aptres et des pre-
miers Pres. Il s'agit de revenir cote que cote cette liturgie primitive, qui seule pourra tre l'me d'un vritable re-
nouveau, d'un vritable essor de l'Eglise
4
.
DOM BEAUDUIN PRECHE LA REFORME LITURGIQUE
Dom Rousseau venait peine de poser sa plume, lorsque Dom Lambert Beauduin touffa, de toute son autorit de
vieux prophte, le cri d'alarme de son disciple trop vigilant.
En effet, en janvier 1945, Dom Lambert Beauduin crivait l'ditorial du n 1 de La Maison-Dieu, organe officiel du
C.P.L. ; son titre est tout un programme : Normes pratiques pour les rformes liturgiques
5
.
Nous allons analyser en dtail cet article qui constitue vraiment la charte du Mouvement liturgique dvoy. Nous
verrons quel point Dom Beauduin a perdu ce sens catholique primordial que rappelait l'instant Dom Olivier Rous-
seau. Cet ditorial contient une vritable mthode de subversion mettre en uvre dans l'Eglise : nous ne compre-
nons pas, ou plutt nous comprenons trop bien comment un tel crit a pu tre imprim cum permissu superiorum.
Tout d'abord, Dom Beauduin expose le but du C.P.L., il le fait de faon adroite, en rappelant le mot clbre de saint
Pie X
6
: Nous voulons mettre en pleine valeur la liturgie et ramener non pas seulement une lite, mais les fidles, tous
les fidles, tout le peuple de Dieu, cette source authentique de la vie chrtienne. Ensuite, notre auteur fait une double
constatation : d'une part, l'appauvrissement actuel de la liturgie (il a mme ce mot blasphmatoire : Liturgie momifie),
d'autre part, le dynamisme vanglique antique. En 1909, Dom Lambert Beauduin se serait dit devant ce fait : travaillons
expliquer les rites, les faire vivre, mais respectons-les. En 1945, le mme moine conclut l'absolue ncessit d'une
rforme. Faut-il s'affranchir prudemment, crit-il, de la discipline trop trique des rgles liturgiques actuelles et rendre
aux signes sacramentels et aux institutions chrtiennes toute leur vertu et leur efficacit ?
1
Chevetogne, le monastre cumnique de Dom Beauduin, d'abord install Amay.
2
Histoire du Mouvement liturgique, par Dom O. Rousseau, Cerf, 1945, p. 231-232.
3
Cf. L'volution homogne du dogme catholique, 2 tomes, par le R.P. Marin Sola, O.P., d. S. Paul Fribourg (C.H.), 1924.
4
Cf. La lettre pastorale du Cardinal Suhard, Essor ou dclin de l'Eglise, de 1947.
5
La Maison-Dieu, n 1, de janvier 1945, Cerf, p. 9 22.
6
Tra le Sollecitudini, du 22 novembre 1903, d. Solesmes, Lit. 1, N 220.
17
Mais Dom Beauduin sait que l'Eglise ( l'poque !) ne supporte pas l'anarchie et les expriences trop avances ; il a
lui-mme eu affaire l'autorit romaine lors de ses aventures cumniques, et il ne veut surtout pas que se reproduisent
en France les graves troubles qu'a connus l'Allemagne. C'est pourquoi, il affirme avec justesse :
1) la liturgie appartient l'Eglise ;
2) le Saint-Sige, depuis le Concile de Trente, se rserve d'une faon exclusive le pouvoir de lgifrer dans le do-
maine liturgique ;
3) le droit liturgique, par une disposition exceptionnelle, est soustrait au jeu de la coutume lgitime, laquelle sans cela
a la force d'abroger la loi et de rendre licite ce qui, littralement, pourrait tre illicite.
Ainsi donc, le Mouvement ne pourra pas s'attaquer de front la liturgie de l'Eglise, il ne pourra la dtruire que par le
moyen d'une mthode subversive trs tudie. Mais laissons parler notre moine, pass matre en l'art de la rvolution
dans l'Eglise.
Si le Saint-Sige, crit-il, est justement soucieux du maintien intgral des observances liturgiques et trs svre
pour toute entreprise ou toute initiative contraire ses lois, il se montre, d'autre part, trs comprhensif et trs accueil-
lant pour tous les efforts faits dans le cadre des lois actuelles et encourage sans rserve les travaux historiques qui
recherchent l'origine et l'volution de nos rites. Le Saint-Sige dsire donc que sa discipline soit tudie par toutes
les mthodes historiques. Le C.P.L. peut donc raliser largement ce point de son programme. Sa discipline, sa tho-
logie, les Saintes Ecritures bnficient largement de tous les rsultats des progrs de la science. Il en sera de mme
dans le domaine des rformes liturgiques, une triple condition que notre mouvement doit remplir.
Nous allons maintenant citer en synthse ce texte d'un cynisme inou :
Il faudra procder hirarchiquement : ne prendre comme initiative pratique que ce qui est conforme aux rgles ac-
tuelles de la liturgie. Procder patiemment : utiliser modestement ce qui est lgitime aujourd'hui et prparer l'avenir
en faisant dsirer et aimer toutes les richesses contenues dans la liturgie antique ; disposer les esprits :
Rome craint par-dessus tout le scandale des fidles. Procder mthodiquement : faire des tudes srieuses de vulga-
risation (Offices de la Semaine Sainte, Nuit Pascale, Conclbration). Accentuer aussi l'aspect moral et pratique :
Communion frquente, jene eucharistique, heures de la Messe : l'Eglise ne craint pas de modifier sa discipline pour
le bien de ses enfants.
Notre lecteur comprend maintenant pourquoi les noliturges se sont lancs avec autant de zle dans l'histoire de la
liturgie, histoire conue d'ailleurs d'une faon trs rationaliste, sans tenir aucun compte du caractre sacr de la li-
turgie. Les Jungmann
1
, les Bouyer, et autres Roguet ont multipli alors les ouvrages de ce genre. La cration de la col-
lection Lex Orandi au Cerf est un exemple parmi d'autres de l'effervescence de ces productions littraires. Les noli-
turges cherchaient par l influencer la Section Historique de la Sacre Congrgation des Rites cre par Pie XI en
1930. Ce travail habile de pressions indirectes n'a pas tard porter ses fruits empoisonns, comme nous le ver-
rons bientt.
Dom Lambert Beauduin expose ensuite un second mode de pression indirecte. Il constate que l'Eglise romaine est
anime d'un esprit fortement hirarchique. Pour ne pas heurter de front cette hirarchie, il fera prsenter ses vux et
ses requtes par les vques : Il faut, crit-il, que nous puissions compter sur des sympathies convaincues et agis-
santes. L, notre moine utilisa plein ses dons de sduction : Il avait des amis partout nous dit le P. Bouyer
2
. Ses
amis les plus influents taient alors NN. SS. Roncalli, Suhard, Harscout, Richaud et le R. Pre Dom Capelle. Dom
Lambert Beauduin met ensuite la touche finale son programme de subversion liturgique : Le C.P.L. doit prendre la
peine de faire connatre et apprcier ses travaux des consulteurs de la Sacre Congrgation, des membres de l'Acad-
mie liturgique, etc... S'il ne doit jamais se permettre de devancer les dcisions des autorits comptentes, il a le droit et le
devoir de faire connatre celles-ci les desiderata et les vux sages et motivs des pasteurs les plus zls et du
peuple fidle, en particulier des membres dvous de l'Action Catholique
3
. Voyons maintenant la mise en pratique de ce
manifeste dans les annes de l'immdiat aprs-guerre.
LE C.P.L. REALISE LE PROGRAMME DE DOM LAMBERT BEAUDUIN
En juillet 1945, a lieu la runion d'une quipe rduite, Ligug, sous la protection du Pre Abb, Dom Passet ; en
septembre 1945, se tient le premier congrs Saint-Flour, grce l'appui de l'vque Mgr Pinson et celui du Cardinal
Gerlier. En avril-mai 1946, ce sont les journes de Vanves, diriges par l'abb Martimort, sur la Messe et sa catchse
4
.
Lors de ces sessions, le Cardinal Suhard avoue : De divers cts on nous sollicite actuellement pour obtenir des facili-
ts en matire de discipline liturgique. Il s'agissait alors de la Messe du soir et de l'introduction du vernaculaire dans
l'administration des sacrements. Notre lecteur se souvient qu'au mme moment, en Allemagne, les mmes requtes
taient prsentes Rome par le Cardinal Bertram. Simple concidence ? Ncessits pastorales communes, peut-tre..,
mais ne s'agit-il pas plutt de la mise en uvre de la tactique de Dom Lambert : faire prsenter Rome par les vques
les desiderata de la subversion liturgique, sous couvert d'exigences pastorales ? Pour notre part, nous retiendrons la
dernire hypothse, tout en reconnaissant l'existence de certaines ncessits pastorales.
Durant l'anne 1946, le C.P.L. travaille activement en Alsace ; l se fait la jonction dfinitive de l'effort liturgique al-
lemand et du Mouvement liturgique franais. Notons au passage une confidence du P. Duploy : Nous avons aussi
1
Son plus fameux ouvrage est le clbre Missarum Sollemnia, trad. franaise, 3 vol. Coll. thologie, 19, 20, 21, Paris, Aubier, 1951-
1954.
2
Dom Lambert Beauduin, un homme d'Eglise, L. Bouyer, Castermann, 1964.
3
La Messe et sa Catchse, Vanves, 30 avril-4 mai 1946, Coll. Lex Orandi, Cerf, 1947.
4
Dom Botte l'avoue dans son Mouvement liturgique, p. 102. Prendre des initiatives sans l'accord de la Congrgation, crit-il, c'tait
provoquer un phnomne de freinage. On choisit alors une solution moyenne : prparer en priv des projets de rforme et les faire
prsenter Rome par l'piscopat de divers pays. Mais pour cela, il ne fallait pas travailler en ordre dispers. Il importait au contraire de
concentrer les efforts des divers groupes de travail. De l l'origine des runions internationales.
18
li des contacts avec les reprsentants des diffrentes Eglises chrtiennes. Dom Beauduin nous a appris pour
toujours ne pas dissocier cumnisme et liturgie
1
. Dans le mme temps, le Mouvement pntre dans les s-
minaires (notamment celui de la Mission de France) ; au Saulchoir, le P. Roguet enseigne la liturgie. Des sessions r-
gionales s'organisent, notamment Rodez o elles groupent 120 prtres.
Le C.P.L. a mis en branle une gigantesque rvolution qu'il ne matrise plus :
Les risques existent, avoue le P. Duploy, et ils sont redoutables... Nous constituons une pointe avance dans le
clerg franais. Nous ne parlons pas la mme langue que la plupart des curs et si la plus grande partie de l'piscopat
suit notre effort avec sympathie, nous ne devons pas nous dissimuler que cette sympathie, dont je ne mets pas en
doute la sincrit, peut fort bien concider avec une ignorance presque complte des principes qui nous guident...
Entre cette pointe avance et le gros du clerg franais, nous devons, selon une tactique qui a t trs bien mise en
valeur par le P. Doncur, veiller ne pas se laisser crer d'intervalles... Les intervalles redouts se produiront si nous
ne procdons pas une dispensation conomique et pdagogique de la vrit dcouverte par nous... Nous devons
savoir nous taire et savoir attendre... A Ligug ou Vanves, il ne s'agit que d'une tape de notre travail... Mais il serait
terriblement prilleux, et il serait simplement bte de jeter telles quelles ces apories la tte du clerg franais. Nous
ne pouvons, publiquement, que lui apporter du beau pain cuit. Depuis le dbut de notre effort, nous parlons d'adapta-
tion et d'volution liturgique. Je me demande parfois si nous ne sommes pas dupes de ces mots... Nous sommes sur
une machine lance grande vitesse. Sommes-nous capables encore de la conduire ? Je vous avoue pour terminer
ma lassitude et mes craintes
2
.
Devant cette acclration excessive du Mouvement, Dom Beauduin prenait peur... Nous assistons l aux premiers
phnomnes de dpassements permanents, propres toutes les rvolutions : les meneurs d'hier sont dpasss par
les agitateurs d'aujourd'hui, les premiers rvolutionnaires vont faire figure de ractionnaires, les incendiaires vont crier au
feu ! En effet, le P. Bouyer note de Dom Lambert Beauduin : Je ne saurais dissimuler, cependant, que tout ne le ravis-
sait pas dans le nouveau mouvement. L'engouement prcipit pour les paraliturgies, passes si vite du rle de liturgie
du seuil la prtention d'tre une liturgie de l'avenir, un avenir faisant litire trop facilement du pass traditionnel, ne lui
disait rien de bon
3
. Ces tensions internes vont provoquer, en juillet 1946, l'autonomie du C.P.L. par rapport aux ditions
du Cerf. L'abb Martimort prend ds lors une influence grandissante au sein de l'organisation, peu peu, le P. Duploy
va se retirer... la rvolution avance, et se radicalise.
Notons enfin une session au Thieulin prs de Chartres. Quarante suprieurs et directeurs de Sminaires y sont grou-
ps sous la prsidence de Mgr Harscouet. Les orateurs sont l'abb Perrot, directeur du Sminaire de la Mission de
France, le P. Rgamey de l'Art Sacr, l'abb Martimort, les RR. PP. Duploy et Congar, et bien sr l'invitable Dom
Beauduin. L'esprit de la runion dut tre des plus subversifs, car le P. Duploy avoue :
Quelques jours avant la runion du Thieulin, j'avais reu la visite d'un lazariste italien, le Pre Bugnini, qui
m'avait demand d'tre invit. Le pre couta trs attentivement sans dire un mot, pendant quatre jours. Comme nous
revenions Paris, et que le train passait la hauteur de la pice d'eau des Suisses, Versailles, il me dit : J'admire
ce que vous faites, mais le plus grand service que je puisse vous rendre est de ne jamais dire Rome un mot
de tout ce que je viens d'entendre. Pour le plus grand bien du Concile Vatican II, dont il fut l'un des plus intelligents
ouvriers, le Pre Bugnini ne devait heureusement pas tenir sa parole
4
.
Ce texte rvlateur nous montre une des premires apparitions du fossoyeur de la Messe, un rvolutionnaire plus
habile que les autres qui a tu la liturgie catholique, avant de disparatre de la scne officielle
5
. C'est donc cette poque
que la Contre-Eglise a pntr de faon complte le Mouvement liturgique. Jusqu'alors, il avait t investi par
les forces modernistes et cumniques : aprs-guerre, son degr de pourrissement est suffisant pour que la Franc-
maonnerie en prenne directement les rnes : Satan pntre dans le Cheval de Troie.
LE PAPE PIE XII ET L'ENCYCLIQUE MEDIATOR DEI
Nous avons dj constat les reculades de la Secrtairerie d'Etat devant les exigences de L'effort liturgique alle-
mand. Pie XII tait trahi et mal inform. Cependant, son gnie exceptionnel et ses grandes qualits de Pasteur lui firent
prendre des initiatives nergiques pour tenter d'enrayer l'hrsie anti-liturgique. Le Pasteur Anglique avait t impres-
sionn par la lettre pastorale de Mgr Grber. Il devait rpondre aux inquitudes de l'vque de Fribourg-en-Brisgau par
deux encycliques adresses l'Eglise universelle : ce furent Mystici Corporis du 29 juin 1943, et Mediator Dei du 20
novembre 1947.
L'encyclique Mediator Dei, une des plus longues qui soit jamais sortie de la Chancellerie pontificale, est incontesta-
blement un des plus beaux enseignements du Pape Pie XII
6
. Avec un discernement et une habilet extraordinaires, le
Pape va retenir tout ce qu'il y a de bon dans le Mouvement liturgique, et condamner nergiquement ses dviations.
Nous allons rsumer ce document unique, nous soumettant en tout son jugement, mais en regrettant tout de mme
qu'il n'ait pas t accompagn de ralisations concrtes et de sanctions prcises contre les rvolutionnaires de
la liturgie.
Dans l'introduction de son encyclique
7
, le Pape rappelle que le sacerdoce catholique prolonge l'action du Christ R-
dempteur (508 510). Il se flicite ensuite du renouveau de ferveur pour la liturgie, n la fin du sicle dernier, incitant
1
Les origines du C.P.L., 1943-1949, par le P. Duploy, Salvator, 308.
2
Ibidem, p. 310 312.
3
Dom Lambert Beauduin, un homme d'Eglise, p. 178-179.
4
Les origines du C.P.L., p. 320 en note.
5
Lettre aux amis et bienfaiteurs, n 10, de S. Ex. Mgr M. Lefebvre, du 27 mars 1976.
6
Cf. l'excellent article de Dom Froger : L'encyclique Mediator Dei, in La pense catholique, n 7, de 1948.
7
Ed. Solesmes, Lit. I, N 508 653. Les numros donns dans le texte renvoient cette dition.
19
au zle ceux qui demeurent encore endormis, mais surtout blmant les lments progressistes du mouvement : Nous
remarquons, crit Pie XII, non sans proccupation et sans crainte, que certains sont trop avides de nouveaut et se four-
voient hors des chemins de la saine doctrine et de la prudence... ils souillent d'erreurs cette sainte cause, d'erreurs qui
touchent la foi catholique et la doctrine asctique. (511 515). L'encyclique se divise ensuite en quatre parties : Na-
ture de la liturgie - Le Culte eucharistique - L'Office divin - Directives pastorales.
La partie consacre la nature de la liturgie (516 550) est une admirable synthse doctrinale, elle contient la plus
profonde dfinition de la liturgie : Le culte public intgral du Corps mystique de Jsus-Christ, c'est--dire du Chef et de
Ses membres. A la fin de cette partie de l'encyclique, Pie XII condamne nouveau les innovations tmraires : Nan-
moins, il faut rprouver l'audace tout fait tmraire de ceux qui, de propos dlibr, introduisent de nouvelles coutumes
liturgiques ou font revivre des rites prims, en dsaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. Ces para-
graphes 547 et 548 constituent une vritable condamnation de l'archologisme, de sorte que, crit le Pape, ce se-
rait sortir de la voie droite de vouloir rendre l'autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des
couleurs liturgiques le noir, d'exclure des temples les images saintes et les statues, etc.
La seconde partie du document (551 598), consacre au Culte eucharistique, est un vritable trait de l'eucharistie,
tant au point de vue dogmatique et liturgique qu'au point de vue asctique. Pie XII y condamne nergiquement les er-
reurs thologiques sur la nature du sacerdoce des fidles (563), et les exagrations sur la notion de participation. Il
prcise exactement la participation mystique des fidles l'oblation (565 572) et l'immolation (573 577). Il indique
ensuite les moyens de promouvoir cette participation : missels, participation active aux chants et la Messe dialogue,
laquelle il impose des limites prcises (579).
La troisime partie de l'encyclique (599 628) traite de la liturgie laudative, c'est--dire de l'Office divin. Pie XII raf-
firme que cette liturgie constitue la prire officielle de l'Eglise (509 607). Il analyse ensuite l'anne liturgique et la nature
du culte des Saints.
Vient ensuite la quatrime partie de la lettre (629 651) qui contient les directives pastorales afin, crit le Pape,
d'carter plus aisment de l'Eglise les erreurs et les exagrations de la vrit, dont Nous avons parl ci-dessus, et afin de
permettre aux fidles de s'adonner trs fructueusement, en suivant des rgles trs sres, l'apostolat liturgique. L'ency-
clique traite d'abord des rapports de la liturgie et des dvotions prives, et elle conclut : Il ferait une chose pernicieuse et
pleine de tromperie celui qui oserait, tmrairement, assumer la rforme de ces exercices de pit, pour les ramener aux
seules crmonies liturgiques. Il est ncessaire toutefois que l'esprit de la sainte Liturgie et ses prceptes influent avec
profit sur eux, pour viter que ne s'y introduise quoi que ce soit d'inadapt ou de peu conforme la dignit de la maison
de Dieu...
Le Pasteur Anglique traite ensuite des Arts liturgiques (639 646) ; il rappelle avec opportunit : Dans tout ce qui
regarde la liturgie, il faut que se manifestent le plus possible ces trois caractres, dont parle Notre prdcesseur Pie X : le
caractre sacr, qui rejette avec horreur l'inspiration profane, la tenue et la correction des uvres d'art, vraiment dignes
de ce nom ; enfin le sens universel, qui, tout en tenant compte des coutumes locales et des traditions lgitimes, affirme
l'unit et la catholicit de l'Eglise (640). Pie XII exhorte ensuite l'acquisition d'une solide formation liturgique (647
651), particulirement pour le jeune clerg. Avant de terminer sa lettre, le Pontife met nouveau les Pasteurs en garde
contre l'introduction d'une fallacieuse doctrine, altrant la notion mme de la foi catholique, et contre un retour exces-
sif l'archologisme en matire liturgique.
Le saint Pape nous donne ensuite la conclusion de son encyclique (652 653) ; il appelle au zle les tides et les
rcalcitrants, et il s'adresse pour finir aux progressistes : A ceux qu'un zle intempestif pousse quelquefois dire ou
faire ce que Nous avons le regret de ne pouvoir approuver, nous redisons le conseil de saint Paul : Mettez tout
l'preuve ; gardez ce qui est bon. Et Nous leur demandons paternellement de vouloir bien rectifier leur faon de voir et
d'agir, d'aprs une doctrine chrtienne qui soit conforme aux leons de l'pouse sans tache de Jsus-Christ, Mre des
saints. La traditionnelle bndiction apostolique conclut le document.
Cette encyclique est admirable, et nous recommandons tous nos lecteurs de la lire et de la mditer. C'est une vri-
table Somme liturgique. C'est en tout cas la dernire recommandation de l'Eglise ses fils avant de pntrer dans
cette mystrieuse grande nuit dont nous ne voyons pas encore l'issue. Nous n'avons qu'un regret, nous le disions tout
l'heure, c'est que cette si belle lettre n'ait pas t accompagne de mesures concrtes, voire de sanctions. Le Grand Pie
XII n'a-t- il pas prt des intentions trop pures, des intentions la mesure de sa saintet, aux meneurs du Mouvement li-
turgique ? Il est clair qu'il n'a pas vu dans ces hommes les brigands qu'ils taient. Il a cru avoir affaire des intellec-
tuels un peu gars, alors qu'il s'agissait au moins pour certains de vritables meneurs rvolutionnaires. Pouvait-il en
tre autrement, lorsque ces meneurs taient prsents, soutenus, encourags par d'influents prlats ?
Saint Pie X ne s'tait pas content d'crire Pascendi, il avait excommuni Tyrel et Loisy, il avait fait prter le ser-
ment anti-moderniste. Nous regrettons que Pie XII n'en ait pas fait autant vis--vis de l'hrsie anti-liturgique. Mais, redi-
sons-le, pouvait-il en tre autrement, alors que le Pape tait trahi, mal inform, et que de nombreux modernistes
s'taient dj infiltrs aux postes clefs de l'Eglise ?
Pie XII avait parl clairement, restait aux pasteurs d'mes diffuser l'enseignement du Pre commun et le mettre en
pratique. Mais, l encore, ce fut la trahison : on ne retint de l'encyclique que les encouragements au zle pour le renou-
veau liturgique, et on tut dlibrment les innombrables mises en garde du document. Le modle de ces commentaires
dulcorants est celui que fit Dom Beauduin lui-mme dans La Maison-Dieu
1
. Mais coutons l'abb Martimort qui cri-
vait ces lignes en 1959 : Les mises en garde de l'encyclique n'effarouchaient pas le P. Lambert Beauduin. Avec l'ex-
traordinaire vigueur de son regard, il situait le document dans une perspective catholique universelle. Avec le recul de
douze ans, il faut reconnatre que le P. Lambert Beauduin avait vu juste : l'encyclique Mediator Dei a donn, dans le
1
La Maison-Dieu, n 13, Cerf, 1948, p. 7 25.
20
monde entier, le branle un ressort liturgique inou
1
. Eh oui ! c'est le drame : on a fait servir Mediator Dei la sub-
version liturgique. Utiliser un document pontifical une fin contraire aux intentions du Pape, c'est l la marque de Sa-
tan. Le Cheval de Troie est bien dans la Cit de Dieu... Plus rien n'arrtera la marche en avant du Mouvement litur-
gique dvoy, et nous ne pouvons que regretter la cration, le 18 mai 1948, d'une Commission pontificale pour la R-
forme de la Liturgie. Non pas qu'une telle rforme, dans des proportions donnes, soit impossible en soi, mais parce
que, dans le contexte de l'poque que le Pape ne pouvait pas souponner, c'tait se livrer pieds et mains lis l'Adver-
saire.
CHAPITRE V - LES ANNEES 1950-1960
LE MOUVEMENT ENLVE LE MASQUE, RENIE DOM GURANGER ET AVOUE SES ORIGINES ANTI-LITURGIQUES
(R.P. LOUIS BOUYER)
L'EXPANSION DU MOUVEMENT TRAVERS LE MONDE
Qui sme le vent rcolte la tempte. Cet adage bien connu rsume parfaitement cette priode de l'histoire de la li-
turgie que nous avons entrepris d'tudier. Le vent, ce sont les Beauduin, les Casel, les Parsch qui l'ont sem... et la tem-
pte se lve, grossissant sans cesse, depuis les annes 1950... bientt ce sera l'ouragan, le concile, puis la mort, la Nou-
velle Messe.
Pour tudier ce laps de temps occup par la fin du pontificat de Pie XII et par le dbut de celui de Jean XXIII, nous
montrerons successivement : les aveux des meneurs du Mouvement liturgique ; l'expansion du Mouvement tra-
vers le monde.
LE MOUVEMENT ENLEVE LE MASQUE
Notre lecteur se souvient de cette phrase de Dom Beauduin, crite en 1945
2
:
Si le Saint-Sige est justement soucieux du maintien intgral des observances liturgiques et trs svre pour
toute entreprise ou initiative contraire ses lois, il se montre, d'autre part, trs comprhensif et trs accueillant pour
tous les efforts faits dans le cadre des lois actuelles et encourage sans rserve les travaux historiques qui recherchent
l'origine et l'volution de nos rites. Le Saint-Sige dsire donc que sa discipline soit tudie par toutes les mthodes
historiques. Le C.P.L. (Centre de Pastorale liturgique) peut donc raliser largement ce point de son programme.
Influencer le Saint-Sige par la publication d'ouvrages d'une prtendue rudition historique, voil le plan d'action du
Mouvement liturgique d'aprs-guerre, et, en particulier, du C.P.L. franais et de sa collection Lex Orandi.
Un ouvrage de cette collection retiendra particulirement notre attention, il s'agit de La vie de la Liturgie par le R.P.
Louis Bouyer de l'Oratoire
3
. Pourquoi ce livre plutt qu'un autre ? Parce qu'il marque une tape dcisive dans l'histoire du
Mouvement liturgique : il inaugure l'heure des aveux et des reniements.
des aveux : parce que le P. Bouyer y affirme clairement les sympathies du Mouvement dvoy pour les fau-
teurs de l'hrsie anti-liturgique ;
des reniements : parce que l'auteur y ridiculise sans retenue Dom Guranger et tout le Mouvement liturgique
orthodoxe. Les loups sont maintenant dans la bergerie, ils n'ont plus besoin de se cacher sous des peaux d'agneaux.
Mais rentrons dans le dtail. Ce livre, qui est en fait la traduction de confrences faites par le P. Bouyer aux Etats-
Unis
4
, commence par une affectueuse ddicace Dom Lambert Beauduin : D. Lamberto Beauduin Patri filius, Magistro
discipulus pro tantis beneficiis hoc quamquam exiguum semper Deo gratias referens dedicavit monumentum
5
. Tel pre,
tel fils, cela est vrai, mais Dom Beauduin ne s'tait jamais dparti d'une certaine prudence, voire d'une certaine modra-
tion, derniers reliquats de sa formation bndictine, alors que le P. Bouyer laisse libre cours ses thories et sa plume
lgante mais acre. Le sous-titre de l'ouvrage est dj tout un programme : Une critique constructive du Mouvement
liturgique.
Toute la premire partie du livre est consacre la critique. On ne critique bien que ce qu'on aime bien, crit le P.
Bouyer dans la prface. Soit, mais tout de mme ! Aprs un jugement froce sur la liturgie tridentine et post-tridentine,
qu'il qualifie intentionnellement de priode baroque, l'oratorien en arrive la raction romantique, l'uvre de restau-
ration opre par Dom Guranger.
Tout d'abord fltrir la liturgie du XVII
sicle :
La liturgie, comme le disent explicitement beaucoup de manuels de cette priode, tait considre comme l'ti-
quette du Grand Roi. Les caractristiques les plus videntes de ce crmonial taient la pompe extrieure, le dco-
rum et la grandeur qui conviennent un prince d'une telle majest. L'absence de toute signification intelligible dans
tant de rites, et mme dans les paroles sacres, tait donc loue comme rehaussant l'impression de rvrence qu'il
fallait donner une foule blouie. (...) Naturellement, dans une telle conception, le plumet sur le casque des gardes-
nobles est au moins aussi important que les mystres sacramentels. Et c'est le lieu de nous rappeler que cette con-
ception gnrale d'une liturgie consistant dans un crmonial de cour transcendant fut accepte, sans aucune objec-
tion, par les premiers pionniers du mouvement liturgique au XIX
sicle
6
. Erasme et les premiers rformateurs sont les pres de ce mouvement.
Certes, le P. Bouyer reproche bien ces derniers d'avoir quitt l'Eglise, mais pour ajouter aussitt : On peut dire que
dans ce domaine comme en beaucoup d'autres, la Rforme a chou non pas parce qu'elle tait trop audacieuse, bien
qu'on l'ait cru souvent, mais parce qu'elle ne critiquait pas suffisamment certaines de ses affirmations
7
. Pour ces mo-
tifs, crit encore l'auteur, les origines d'une vraie renaissance liturgique ne doivent pas tre recherches dans la prten-
due Rforme, mais plutt dans la raction qui s'est produite contre elle, une raction parvenue critiquer la fois la R-
forme elle-mme et l'tat de choses que la Rforme avait mis en question. Malheureusement, il n'en fut pas ainsi d'em-
ble. La faiblesse de la Contre-Rforme gt dans sa longue incapacit raliser avec la critique de la Rforme la critique
de ses causes, et le rsultat de cette incapacit fut le catholicisme baroque
8
. Quelle insulte pour le magnifique renou-
veau catholique issu du Concile de Trente !
Mais la critique constructive de l'oratorien ne s'arrte pas l ; viennent ensuite des pages et des pages de
louanges pour les thologiens anglicans de l'poque de Charles Stuart, les Caroline Divines. C'est enfin une
description idyllique des travaux des rformateurs gallicans et jansnistes des XVII
et XVIII
Congrs eucharistique international, qui runit Barcelone des liturgistes du monde entier. En 1954, le
trs progressiste journal Incunable concourt la fondation des Coloquios de Pastoral Liturgica, prsids par Mgr Mi-
randa, vque auxiliaire de Tolde. Le mme vque dirigera galement, jusqu' sa mort survenue accidentellement en
1961, la Junta Nacional de Apostolado Liturgico, fonde le 15 avril 1956. En 1957 a lieu la premire Semaine nationale
d'Etudes liturgiques o il faut noter la prsence de Mgr Tarancon : comme dans les autres pays, la publication d'un Di-
rectoire de la messe est l'ordre du jour. Notons enfin l'aboutissement de tous ces efforts : la fondation en 1958 du
Centre de Pastorale liturgique de Barcelone.
En ITALIE
3
, les choses allrent moins vite en raison de l'inexistence de Confrence piscopale jusqu'en 1959. Ici en-
core, l'influence du C.P.L. franais et de l'Institut liturgique de Trves fut considrable, surtout par la diffusion des ou-
vrages des leaders des Mouvements allemand et franais. Le Centro di Azione liturgica fut fond en 1948 par Mgr
Bernareggi, vque de Bergame ; le protecteur de cet organisme analogue aux C.P.L. tait le trs puissant Cardinal Ler-
caro. Deux diocses, celui de Milan et de Bologne, sont, autour de ces annes 1955-1960, la tte du Mouvement ita-
lien ; les noms de leurs pasteurs deviendront dans la suite tristement clbres, puisqu'il s'agit des Eminentissimes Cardi-
naux Montini et Lercaro.
Aux ETATS-UNIS
4
, le Mouvement liturgique fut, ds les origines, trs dpendant de l'Allemagne, en particulier de
l'abbaye de Maria-Laach. Les chefs de file du Mouvement amricain, le P. Reinhold, Dom Winzen et le professeur
Quasten viennent tous d'Allemagne. Depuis 1947, un cours de liturgie d't est organis l'Universit Notre-Dame (In-
diana), qui accueille les plus grands spcialistes europens, entre autres le P. Jungmann et le P. Jean Danilou ; c'est
l, galement, que le R.P. Bouyer exposa sa Critique constructive du Mouvement liturgique. L'universit de Washing-
ton abrite aussi un Centre de recherches trs fidle la pense de Dom Casel.
Ce panorama mondial du Mouvement liturgique serait incomplet si nous passions sous silence les Runions inter-
nationales d'Etudes liturgiques qui runissaient chaque anne l'intelligentsia liturgique du monde entier. L, sous la
protection d'minents prlats, comme le Cardinal Bea, les periti des cinq continents changeaient leurs points de vue,
prenaient des rsolutions et proposaient des rformes. Ces Congrs se tinrent Maria-Laach en 1951
5
, au Mont-
Sainte-Odile en Alsace en 1952, Lugano en 1953, Louvain en 1954, Assise en 1956, Montserrat en Espagne en
1958, et enfin Munich en 1960.
Notons, au passage, l'Allocution que le Pape Pie XII adressa le 22 septembre 1956, aux membres du Congrs d'As-
sise
6
. Elle reflte parfaitement l'ambigut profonde de la situation de l'Eglise la fin du pontificat du Pasteur Anglique.
Nous insisterons beaucoup sur cette question dans le prochain chapitre ; le Pape Pie XII, et nous avons dj mis l'accent
sur ce fait, ne connaissait pas la situation relle du Mouvement liturgique. Les meneurs les plus dangereux taient sou-
tenus et protgs par les plus hauts dignitaires de l'Eglise. Comment le Pape aurait-il pu souponner que les experts
que vantaient tant les Cardinaux Bea et Lercaro taient, en fait, les ennemis les plus dangereux de l'Eglise ? C'est pour-
quoi Pie XII adressa des encouragements plus qu'inopportuns aux congressistes d'Assise : Le Mouvement liturgique est
1
Allemagne, par Ferdinand Kolbe, in La Maison-Dieu, n 74, 1963, pp. 47 62.
2
Espagne, par Casiano Floristan, in La Maison Dieu, N 74, 1963, pp. 109 127.
3
Italie, par Rinaldo Falsini, in La Maison-Dieu, N 74, 1963, pp. 155 169.
4
Le Mouvement liturgique aux Etats-Unis , par Jean Danilou, in La Maison-Dieu, N 25, 1951, pp. 90 93.
5
Les premires runions internationales se firent sans reprsentant de la hirarchie, jusqu' Lugano en 1953. On y discutait pas-
sionnment de la rforme de la Messe. Le P. Jungmann se montrait trs svre pour le Canon Romain. Cf. Dom Botte, Le Mouve-
ment Liturgique, p. 102 104. D'autres runions techniques strictement prives se tenaient : en 1954, au Mont-Csar, chez Dom
Capelle, on dbattait de la conclbration.
6
La traduction complte de cette Allocution se trouve dans les Enseignements pontificaux publis Solesmes : Liturgie, tome I
er
, N
793 822.
25
apparu, leur dit-il, comme un signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps prsent, comme un passage du
Saint-Esprit sur Son Eglise pour rapprocher davantage les hommes des mystres de la foi et des richesses de la grce,
qui dcoulent de la participation active des fidles la vie liturgique. Une telle dclaration et t vraie et opportune
avant 1920 ; en 1956, elle ne l'tait plus. Entre-temps, le Mouvement liturgique avait reni ses origines et apostasi les
principes que lui avaient donns Dom Guranger et saint Pie X. Ce n'tait plus le souffle du Saint-Esprit qui l'animait,
mais l'haleine ftide de Satan.
CHAPITRE VI - LES REFORMES LITURGIQUES
LES RFORMES LITURGIQUES DU PAPE PIE XII - LA MORT DE PIE XII,
LES DBUTS DU PONTIFICAT DE JEAN XXIII - SES RELATIONS AVEC DOM BEAUDUIN, - SA RFORME LITURGIQUE
L'INQUITUDE CROISSANTE DES FIDLES DEVANT TOUS CES CHANGEMENTS
Il nous reste maintenant analyser les premires rformes liturgiques, tant celles de Pie XII que celles de Jean XXIII,
essayer de comprendre l'intention de leurs auteurs, de juger le bien-fond de leurs initiatives, sans pour autant pr-
tendre porter un jugement dfinitif sur une question si dlicate, et jusque-l si peu tudie. Nous concluerons en montrant
que, quoi que l'on pense de ces rformes, il est indniable qu'elles causrent un trouble dj douloureux chez les fidles,
signe avant-coureur de l'angoisse de nos temps.
LES REFORMES LITURGIQUES DU PAPE PIE XII
Par le Motu proprio In cotidianis precibus du 24 mars 1945
1
, Pie XII autorisa l'utilisation d'une nouvelle traduction
des psaumes dans la rcitation des Heures canoniques. Cette nouvelle traduction latine faite par l'Institut pontifical bi-
blique ne connut gure de succs, ce qui rend hommage au bon got et sens religieux du clerg catholique. Cette ver-
sion trs labore et trs fidle au texte hbreu est en effet dnue de toute posie, pleine de mots difficiles prononcer,
et totalement inadapte aux mlodies grgoriennes ; elle reste pour toujours le tmoignage du peu de sens liturgique du
Cardinal Bea et de ses confrres jsuites qui ralisrent ce travail.
Un vnement beaucoup plus important retiendra davantage notre attention : la fondation, le 18 mai 1948, d'une
Commission pontificale pour la rforme de la liturgie. Mais avant de voir les ralisations de cette Commission, arrtons-
nous sur les motifs de sa fondation, et sur les circonstances qui l'entourrent.
Tout d'abord, rformer la liturgie, dans des limites donnes, est une chose parfaitement lgitime. Ce n'est donc pas le
fait lui-mme de la fondation de la Commission de rforme que nous contestons, mais son opportunit. Prenons une
comparaison : dans une priode de tremblements de terre et de sismes, il ne viendrait l'ide d'aucun architecte d'en-
treprendre la restauration d'une forteresse certes vtuste mais cependant solide et rsistante ; il craindrait trop d'branler
par ses travaux la vieille demeure dj attaque de toutes parts.
Faisons l'application : entreprendre une rforme de la liturgie dans une priode o elle tait attaque de tous cts
par ses pires ennemis, c'tait concourir la ruine de la liturgie en branlant sa stabilit dj bien compromise. On ne
change pas de cap au milieu d'une tempte... Mais encore faut-il se rendre compte de l'existence de la tempte. Encore
faut-il que le capitaine soit bien inform par ses officiers.
Eh bien, disons-le, et redisons-le, le Pape Pie XII ne se rendait pas compte de la tempte qui secouait alors la Barque
de Pierre. Pie XII ne savait pas que le Mouvement liturgique tait aux mains des plus redoutables adversaires de
l'Eglise. Comment aurait-il pu se douter d'une aussi cruelle ralit alors que c'taient les plus grands princes de l'Eglise
qui revtaient ces loups d'une peau d'agneau ? Comment raliser, A L'EPOQUE, SANS LE RECUL DE L'HISTOIRE, une
telle situation ? C'tait chose impossible. Il est ais de juger en 1980, maintenant que les modernistes ont depuis long-
temps enlev le masque et nous ont rvl leurs agissements souterrains, mais en 1948, qui pouvait savoir que sous
cette pourpre cardinalice, sous cet habit blanc ou noir, se cachait un disciple de Loisy ?
Dom Beauduin avait donn le mot d'ordre en 1945
2
: faire prsenter nos requtes par les vques et par les membres
dvous de l'Action catholique. Il avait crit aussi : L'Eglise ne craint pas de modifier sa discipline pour le bien de ses
enfants. C'est pourquoi, cette poque, les vques multiplirent les suppliques Rome pour obtenir des rformes li-
turgiques et des adoucissements de la discipline sacramentelle : rforme du jene eucharistique, Messes du soir, rforme
de la Semaine Sainte, introduction de la langue vernaculaire dans l'administration des sacrements. Les ncessits pasto-
rales taient souvent relles, Pie XII crut devoir accepter ces requtes.
Pie XII a donc entrepris, en toute puret d'intention, des rformes exiges par les besoins des mes, sans se rendre
compte - et IL NE LE POUVAIT PAS - qu'il branlait la liturgie et la discipline une des priodes les plus critiques de leur
histoire, et surtout sans raliser qu'il mettait en pratique le programme du Mouvement liturgique dvoy. Les dsidera-
ta prsents par Mgr Harscouet ou par le Cardinal Bertram taient labors par Dom Beauduin et par Romano Guardini...
et Pie XII ne pouvait mme pas le souponner, tel est le drame affreux qu'a vcu l'Eglise pendant cette partie du pontifi-
cat du Pasteur Anglique.
Il va donc toujours falloir se situer sur ce double plan pour comprendre ces premires rformes romaines : elles sont,
d'une part, l'expression de la volont d'un Pape qui est un Saint - ce qui garantit leur parfaite orthodoxie - ; elles sont,
d'autre part, les tapes de la ralisation d'un complot ourdi pour la mort de l'Eglise. Venons-en aux faits...
Tout d'abord, la rforme du jene eucharistique : Depuis la fin de la guerre, les vques ne cessaient de supplier le
Saint-Sige d'tendre les induits concds en raison du conflit. Par la Constitution apostolique Christus Dominus du 6
1
Cf. Enseignements Pontificaux, Liturgie I, de Solesmes, 481 489.
2
La Maison-Dieu, n 1, janvier 1945, Cerf, p. 9 22, Normes pratiques pour les rformes liturgiques.
26
janvier 1953, le Pape Pie XII rduisit le temps de jene observer avant la Messe ou la Sainte Communion, respecti-
vement clbre ou reue, trois heures pour les aliments solides et une heure pour les boissons non alcoolises
1
.
Par le Motu Proprio Sacram Communionem du 19 mars 1957, le mme Pontife tendit la permission de clbrer la
Messe durant l'aprs-midi.
Citons un passage de ce document, notre lecteur y sentira nettement le double courant d'influences qui anime ces r-
formes, et dont nous parlions tout l'heure : d'une part, les pressions piscopales (manuvres par les divers C.P.L.), et
d'autre part, le souci pastoral parfaitement lgitime du Pasteur Anglique : Les vques Nous signifirent, crit-il, leur
profonde gratitude pour ces concessions, qui avaient produit des fruits abondants, et beaucoup Nous ont pri avec insis-
tance de les autoriser permettre, chaque jour, la clbration de la Messe durant les heures de l'aprs-midi, en vue du
grand profit qu'en tireraient les fidles. (...) Etant donn les changements considrables qui se sont produits dans l'orga-
nisation des travaux et des services publics et dans toute la vie sociale, Nous avons jug bon d'accueillir les demandes
pressantes des vques...
2
. Pie XII conclut son Motu Proprio par un appel au zle : Mais Nous exhortons vivement les
prtres et les fidles, qui sont en mesure de le faire, d'observer, avant la Messe ou la Sainte Communion, l'antique et v-
nrable forme du jene eucharistique. Ainsi donc, il s'agit bien pour le Pape de concessions lgitimes aux exigences
des sants et de la vie moderne, alors que, pour les noliturges, ces rformes constituent les premires tapes de la des-
truction de la discipline sacramentelle de l'Eglise... De trois heures, on passera une heure, pour en arriver au quart
d'heure de Paul VI.
Nous allons retrouver exactement les mmes lments dans la rforme de la Semaine Sainte. A partir des annes
1945-1946, le C.P.L. franais et les organismes analogues du monde entier multiplirent les confrences, les publications
et des tentatives de toutes sortes dans le but de faire participer les fidles aux crmonies de la Semaine Sainte. Des c-
rmonies interminables, clbres des heures indues, devant une assemble drisoire de fidles... Cela ne pouvait
plus durer. Pour ces raisons, crit le Cardinal C. Cicognani, de grands savants liturgistes, des prtres chargs du minis-
tre des mes, et surtout les Excellentissimes vques, dans ces dernires annes, ont adress d'instantes prires au
Saint-Sige prcisment pour le retour des crmonies liturgiques du sacr triduum aux heures de la soire, comme
dans l'ancien temps, dans ce but assurment que tous les fidles puissent facilement assister ces crmonies
3
. L
encore, notons que c'est essentiellement un motif pastoral qui fit agir Pie XII: que les fidles puissent assister en grand
nombre aux plus grandes crmonies liturgiques de l'anne.
Dans ce but, ds 1951, il autorisa certains diocses clbrer l'office de la vigile pascale au soir du Samedi Saint. En
1953, il confia la Commission pour la rforme de la liturgie le soin de restaurer les Offices de toute la Semaine Sainte.
Le travail achev, approuv par l'ensemble des cardinaux le 19 juillet 1955, fut proclam par la Sacre Congrgation des
Rites dans le dcret Maxima Redemptionis du 16 novembre de la mme anne.
En deux ans, les membres de la Commission avaient accompli un travail considrable, mais ils avaient aussi, trs cer-
tainement, dpass l'intention du Pape. Pie XII voulait une restauration des horaires traditionnels des Offices, dans le but
d'en faciliter la frquentation par les fidles ; nulle part nous ne trouvons trace d'une volont de modifier les rites de la
Semaine Sainte. Cela est si vrai que le dcret Maxima Redemptionis ne justifie que le changement de l'heure, sans
expliquer le moins du monde les modifications des crmonies elles-mmes. Les periti de la Commission ont profit
des travaux en cours pour faire passer dans les rites leurs dcouvertes archologiques et leurs conceptions de la liturgie.
Les experts ont utilis cette rforme comme un banc d'essai ; constatant ensuite le succs rencontr par leurs cr-
monies, ils les tendront toute la liturgie.
C'est ainsi que les modifications des rites de la Messe de l'Ordo Hebdomad Sanct Restauratus ont t ten-
dues toute la liturgie par la rforme promulgue par Jean XXIII en 1960. Mais n'anticipons pas, contentons-nous
d'numrer les modifications fondamentales des rites.
Tout d'abord l'extrme simplification de la bndiction des rameaux, sous le prtexte d'expurger le Missel de ses l-
ments non romains ; le projet d'une telle puration remontait loin dans le temps, puisque le liturgiste anglais E. Bishop
crivait en 1899 : Le Missel Romain lui-mme, il est vrai, n'est pas tout fait dpourvu de pices semblables aux com-
positions gallicanes les mieux caractrises. Telle est, notamment, la troisime formule pour la bndiction des Ra-
meaux, qui dbute la manire d'une simple collecte, puis se perd dans une instruction sur le sens mystique de la cr-
monie : les rameaux de palmiers signifient donc le triomphe du Christ. C'est l un expos qui serait parfaitement de
mise dans un discours aux foules, mais qui ne convient srement plus, d'aprs un sentiment que tout le monde partage
de nos jours, une prire que l'on adresse Dieu
4
.
Remarquons aussi que les quatre rcits de la Passion chants durant la Semaine Sainte ne contiennent plus ni l'onc-
tion de Bthanie, ni, ce qui est plus grave, la dernire Cne. Notons galement la suppression du dernier Evangile le Di-
manche des Rameaux, le Jeudi Saint, et la Messe de la Vigile pascale. Il y a aussi la suppression des prires au bas de
l'autel la veille pascale. Le clbrant omet de lire ce que le diacre et le sous-diacre chantent ; le diacre seul dit flec-
tamus genua et rpond levate. Tout ceci sans parler de la modification de la crmonie du lucernaire ni surtout de la
diminution nergique du nombre des lectures et des rpons.
Un dernier coup dans l'ombre permit aussi la disparition de la crmonie baptismale de la vigile de la Pentecte. L'as-
pect positif de cette rforme est encore d'ordre pastoral : l'introduction du lavement des pieds dans la Messe vesprale
du Jeudi Saint, la rapparition de la Messe chrismale, et le renouvellement des promesses du Baptme durant la Veille
pascale. Disons donc pour conclure que cet Ordo Hebdomad Sanct a apport quelques avantages pastoraux,
mais au prix d'une refonte plus que contestable des crmonies les plus antiques et les plus vnrables de la liturgie ca-
1
Cf. Liturgie I, de Solesmes, n 678 683.
2
Cf. Ibid., N 825.
3
Dcret Maxima Redemptionis, S.C.R. du 16 novembre 1955, Liturgie I, de Solesmes, n 740 743.
4
Le gnie du rite romain, par E. Bishop, Ed. franaise annote par Dom A. Wilmart, Librairie de l'Art catholique, Paris, 1920.
27
tholique romaine.
Pie XII a estim que les avantages taient plus considrables que les inconvnients, nous ne nous permettrons point
de contester son jugement, mais nous rappelons simplement notre lecteur que, pendant ce temps, le Mouvement li-
turgique dvoy marquait des points. Citons le P. Chenu : Le P. Duploy suivait cela avec une lucidit passionne. Je
me souviens, c'tait bien plus tard, qu'il me dit un jour : Si nous parvenons restaurer dans sa valeur premire la
vigile pascale, le mouvement liturgique l'aura emport ; je me donne dix ans pour cela. Dix ans aprs, c'tait fait
1
.
Les rubriques du Missel et du Brviaire ne furent pas pargnes. Comme dj dans les cas prcdents, quelques
Ordinaires des lieux ont adress des demandes instantes au Saint-Sige et, poursuit le Cardinal C. Cicognani, le Sou-
verain Pontife Pie XII, en raison de sa sollicitude et de sa charge pastorale, a remis l'examen de cette question une
Commission spciale d'experts qui a t confie l'tude d'une rorganisation gnrale liturgique
2
. Ces travaux abouti-
rent la promulgation, le 23 mars 1955, du dcret Cum hac nostra tate de la Sacre Congrgation des Rites. Cette
rforme tendait simplifier les rubriques, dans le but de rendre aux prtres plus aise la rcitation du Brviaire. Le Pape
Pie XII a voulu un allgement du Brviaire, et, cette fois encore, les experts ont orient la rforme dans le sens dsir
par le Mouvement liturgique.
Ds 1915, le Rm Dom Cabrol estimait que la rforme de Saint Pie X tait insuffisante, que le cycle sanctoral y tait
encore trop privilgi. Quarante ans plus tard, Rome abondait dans son sens en ramenant toutes les ftes semi-doubles
et simples au rang de commmoraison, et en donnant la possibilit de dire l'Office frial de Carme ou de Passion plutt
que l'Office d'un Saint
3
. Le nombre des vigiles fut considrablement diminu, celui des octaves rduit sa plus simple
expression : seuls Nol, Pques et la Pentecte furent pargns. Le brviaire fut allg de tous ses Pater, Ave, Credo ;
l'antienne finale la Sainte Vierge ne fut conserve qu' Complies ; les rgles des Preces et des Commmoraisons fu-
rent simplifies ; le credo de Saint Athanase, pourtant si actuel, fut rserv au seul Dimanche de la Trinit.
Pour conclure cette trop rapide tude des rformes liturgiques du Pape Pie XII, nous avons le devoir de rappeler leur
parfaite orthodoxie, garantie par celle de celui qui les a promulgues, mais il nous faut reconnatre aussi qu'elles consti-
tuent, pour les raisons que nous avons expliques, les premires tapes de l'autodmolition de la liturgie romaine.
LA MORT DE PIE XII ET LES DEBUTS DU PONTIFICAT DE JEAN XXIII
La nouvelle de la mort du Pasteur Anglique fut accueillie avec une joie presque dlirante dans les milieux du
Mouvement liturgique dvoy. Les rformes de Pie XII avaient bien donn quelques satisfactions aux leaders du
Mouvement, mais l'orthodoxie implacable que le Pape y avait maintenue n'tait pas pour leur plaire. Il fallait de nouvelles
rformes plus hardies, il fallait un pape qui comprt le problme de l'cumnisme, qui ft partisan du Mouvement sans
rserve. La disparition de Pie XII allait enfin permettre d'esprer.
Mais coutons le R.P. Bouyer et le vieux Dom Lambert Beauduin :
Je me trouvais Chevetogne, le nouvel Amay, invit prcher la retraite aux moines, crit le P. Bouyer. La
mort de Pie XII nous fut annonce inopinment. Avec un zle qui pourrait paratre intempestif, sur la foi de la radio ita-
lienne, je crois bien mme que nous chantmes une panykhide pour le repos de son me douze bonnes heures avant
sa mort. Ce soir-l, dans la cellule o tait revenu, au bout de son chemin terrestre, le vieux Dom Lambert Beauduin,
nous avons eu avec lui une de ces conversations de la fin qu'entrecoupaient des silences o la torpeur interrompait,
sans jamais l'engourdir, le cours de sa pense. S'ils lisaient Roncalli, nous dit-il, tout serait sauv : il serait capable
de CONVOQUER UN CONCILE et de CONSACRER l'CUMENISME... Le silence retomba, puis la vieille malice
revint, dans un clair de regard : J'ai confiance, dit-il, nous avons notre chance ; les cardinaux, pour la plupart, ne
savent pas ce qu'ils ont faire. Ils sont capables de voter pour lui
4
. Et le P. Bouyer de conclure : Il vivrait assez
longtemps pour saluer en Jean XXIII les ralisations commenantes de ses plus invincibles espoirs.
Notre lecteur se souvient que Mgr Roncalli et Dom Lambert Beauduin taient amis depuis 1924. Un pisode de cette
amiti nous permettra de mieux comprendre le bien-fond des esprances de Dom Beauduin ; coutons encore le P.
Bouyer :
Quand Mgr Roncalli crit-il, avait t bombard Nonce Paris, d'une faon passablement inattendue
5
, il tait all
lui rendre visite, non sans se demander si Joseph, l'anneau au doigt et la robe purpurine sur le dos, pourrait encore
reconnatre son frre humili. Il ne resta pas longtemps sur ce doute. A peine sa carte tait-elle passe qu'il entendit
de l'antichambre la voix bien connue : Lamberto L.. Venga ! Venga ! Un instant plus tard, il exprimentait une des
ces chaleureuses embrassades qui deviendraient clbres. Et avant de savoir ce qui lui arrivait, il entendait le Nonce
lui dire : Tiens ! Assieds-toi l et raconte-nous tes aventures. Pouss amicalement, il gravissait reculons un degr
et se trouvait install sur un sige particulirement auguste. Son interlocuteur ayant pris place sur une chaise en face
de lui, et riant perdre haleine, il commenait donc le rcit de ses tribulations romaines... en ralisant peu peu qu'il
le faisait du haut du trne papal qui dcore obligatoirement la demeure de tous les lgats... Ils n'imaginaient pas alors
ce que cette situation bouffonne pourrait prendre, aprs coup, de symbolique
6
.
Dom Beauduin connaissait bien Jean XXIII : il savait ds 1958 qu'il consacrerait l'cumnisme, et qu'il runirait un
concile, concile qui ferait la synthse de tout son travail, la synthse du Mouvement cumnique et du Mouvement li-
turgique. Mais l'heure du concile n'tait pas encore venue, et le nouveau Pape tenait achever l'uvre de rforme litur-
1
In Un thologien en libert, J. Duquesne interroge le P. Chenu, Coll. Les Interviews, le Centurion, 1975, p. 92-93.
2
Dcret Cum hac nostra tate, du 23 mars 1955, in Les Heures du jour, Descle, 1959, p. 31.
3
Les Experts commentaient ainsi : Si le choix est libre, il reste que pour tre dans l'esprit de cette rforme, il vaut mieux choisir as-
sez souvent l'Office frial.
4
Dom Lambert Beauduin, un homme d'Eglise, par L. Bouyer, Castermann, 1964, p. 180-181.
5
Mgr Roncalli exera les fonctions de Nonce Paris de 1944 1953.
6
Dom Lambert Beauduin, par L. Bouyer, mmes pages.
28
gique commence par son prdcesseur, et en tendre les conclusions toute la liturgie.
Ce fut le Motu Proprio Rubricarum Instructum du 25 juillet 1960 ; en voici un passage :
En 1956, tandis que se poursuivaient les tudes prparatoires pour la rforme gnrale de la liturgie, Notre mme
Prdcesseur voulut entendre l'avis des vques au sujet d'une future rforme liturgique du brviaire romain. Aprs
avoir donc examin attentivement les rponses des vques, il dcida que la rforme gnrale et systmatique des
rubriques du Brviaire et du Missel devait tre affronte et il en confia la tche la Commission spciale d'experts,
laquelle avait dj t demande l'tude de la rforme gnrale de la liturgie. Ensuite, Nous-mme, aprs avoir dci-
d, SUIVANT UNE INSPIRATION DIVINE, de convoquer le Concile cumnique, Nous avons pens plus d'une fois
ce qu'il convenait de faire au sujet de cette initiative de Notre Prdcesseur. Et, aprs avoir bien examin la question,
Nous en sommes arriv la dcision que l'on devait prsenter, aux Pres du futur Concile, les principes fondamen-
taux concernant la rforme liturgique, et que l'on ne devait pas diffrer davantage la rforme des rubriques du Br-
viaire et du Missel romain
1
.
Cette rforme liturgique entra en vigueur le janvier 1961. Elle n'est, au fond, que l'extension toute la liturgie des ru-
briques testes en 1955 et 1956 par les periti de la Commission de rforme, et mrite, ce titre, le mme jugement
que les rformes de Pie XII. Le Brviaire est cependant la principale victime de cette rforme trop htive, Jean XXIII s'en
rendit bien compte puisqu'il crivit d'une faon un peu nave : Aussi, avec un esprit paternel, exhortons-Nous tous ceux
qui sont tenus la rcitation de l'Office divin faire en sorte que ce qui est supprim dans l'Office divin par les abrvia-
tions, soit compens par une rcitation faite avec une diligence et une dvotion accrues. Et comme parfois la lecture des
Saints Pres est galement un peu rduite, Nous exhortons instamment tous les ecclsiastiques avoir assidment
entre les mains, comme texte de lecture et de mditation, les volumes des Pres, remplis de sagesse et de pit
2
.
Cette rforme de 1960 constitue donc un peu la synthse des rformes prconciliaires. Malgr des disparitions dou-
loureuses et des maladresses insignes, la liturgie catholique y demeure substantiellement inchange. La grande erreur
de Jean XXIII sera de confier au Concile la refonte des principes fondamentaux de la liturgie. A partir de ce moment, les
rformes seront animes totalement par une conception nouvelle de la liturgie. Certes, cette conception sourdait d-
j dans les rformes prconciliaires, mais elle tait contenue, domine par l'orthodoxie vigilante de Pie XII.
L'INQUIETUDE CROISSANTE DES FIDELES DEVANT TOUS CES CHANGEMENTS
Toutes ces rformes prconciliaires nous paraissent aujourd'hui bien dpasses ; des rformes bien plus consid-
rables sont venues depuis bouleverser de fond en comble la liturgie. Certes, cela est vrai, mais il ne faudrait pas ou-
blier que ces premires rformes causrent dj un trouble considrable parmi les fidles. Tmoin de cette inquitude,
un petit livre crit par le R.P. Roguet : On nous change la Religion
3
. Ce livre exprime les inquitudes des catholiques
des annes 1958-1960 devant les changements intervenus dans la liturgie. Les fidles sentaient bien que derrire ces
dtails de rite il y avait dans la volont des rformateurs - et non du Pontife - une intention de changer le comportement
religieux des catholiques, sinon dj de changer leur foi.
Le R.P. Roguet ne s'en cache pas :
Ainsi, les gestes que nous faisons, les pratiques culturelles en apparence les plus minimes signifient et nourris-
sent notre foi. Il n'est donc pas indiffrent que nous assistions la Messe, que nous recevions l'Eucharistie d'une ma-
nire plutt que d'une autre. Ces comportements engagent la foi, et en mme temps, ils la forment. Des changements
dans l'horaire de la Messe et des Offices, dans la rglementation de la Communion ou la disposition des Autels peu-
vent donc avoir des consquences profondes. C'est ce que sentent vivement ceux qui se plaignent qu'on nous change
la Religion
4
.
Contentons-nous d'numrer les titres des chapitres, ils expriment loquemment les tonnements et les plaintes des
fidles : On ne peut plus prier ! L'autel l'envers. O mon me, adore et tais-toi ! On veut nous faire chanter ! La prire du
corps. Une vritable nouveaut : les Messes du soir. La transformation du jene eucharistique. La Messe de Minuit...
Pques. Le plus beau jour de la vie. Le retour la Bible. Vers une Liturgie en franais ? Rajeunissement des glises.
Pour conclure ce paragraphe, contentons-nous de citer le R.P. Roguet. Ce passage est la conclusion de son ouvrage,
il contient tout le programme des no-liturges : nous faire revenir une Eglise primitive, conue d'une manire trs
protestante, en niant quinze sicles de vie de l'Eglise ; la dernire phrase prsage dj l'excommunication de fait des
catholiques attachs la Tradition.
On nous change la Religion, crit l'auteur. Non pas. Il s'agit seulement de librer notre religion de routines qui,
pour tre anciennes, ne sont pas pour autant vnrables. Il s'agit de revenir au jaillissement et la fracheur de
l'Evangile. Voil la vritable enfance : si nous ne savons pas y revenir, nous n'entrerons pas dans le royaume de
Dieu
5
.
Ainsi donc, en 1960, le Mouvement liturgique dvoy a dj gagn de nombreuses batailles, mais il n'a pas encore
gagn la guerre. Ses meneurs, protgs en haut lieu, ont profit de la sollicitude pastorale des Papes pour branler l'an-
cienne stabilit de la liturgie catholique, et pour insinuer travers les rites leur conception nouvelle de la liturgie. Jean
XXIII avait annonc la runion du Concile cumnique qui traiterait, entre autres, des principes de la rforme liturgique.
Ce concile fut vraiment, selon l'expression du Cardinal Suenens, 1789 dans l'Eglise.
CHAPITRE VII - LA BATAILLE FINALE
1
Motu Proprio Rubricarum Instructum, in Liturgie I, de Solesmes, n 891 892.
2
Ibid.
3
On nous change la Religion, par A: M. Roguet, Coll. Tout le monde en parle, Cerf, 1959.
4
Loc. cit., p. 8.
5
Loc. cit., p. 123.
29
L'AVANT-CONCILE, LE CONCILE ET LE CONSILIUM - LA GRANDE VICTOIRE DU MOUVEMENT
LES DERNIERS PRPARATIFS (SAINT-ANSELME EN 1960) - LES HOMMES SONT MIS EN PLACE
LA MACHINE EST MISE EN BRANLE ET ABOUTIRA AU NOVUS ORDO
A la nouvelle de la mort de Pie XII, le vieux Dom Lambert Beauduin confiait au R.P. Bouyer : S'ils lisaient Roncalli,
tout serait sauv : il serait capable de convoquer un concile et de consacrer l'cumnisme
1
. Consacrer l'cumnisme,
certes, mais aussi consacrer le Mouvement liturgique, telle serait la tche du Concile tant attendu. Depuis plus de qua-
rante ans, les no-liturges rpandaient leurs erreurs, ils avaient russi influencer une portion considrable de la hirar-
chie catholique, ils avaient obtenu du Saint-Sige des rformes encourageantes : tout ce patient travail de sape allait por-
ter ses fruits. Les rvolutionnaires de la liturgie ont profit de la Constitution sur la liturgie pour faire admettre leurs
thses. Nomms ensuite membres du Concilium, ils n'ont plus eu qu' tirer les conclusions extrmes des principes de
Vatican II.
Il nous reste donc, pour achever cette tude du Mouvement liturgique, retracer grands traits les tapes de l'as-
saut final des rvolutionnaires contre la liturgie catholique. Et nous montrerons enfin que la liturgie conciliaire, promul-
gue par le Pape Paul VI, n'est que la conclusion ncessaire, l'expression et la synthse de toutes les dviations du
Mouvement liturgique.
LES DERNIERS PREPARATIFS AVANT L'ASSAUT
Depuis 1960, tout le monde connaissait les projets de Jean XXIII sur la liturgie : Nous sommes arriv la dcision,
crivait-il, que l'on devait prsenter aux Pres du futur Concile les principes fondamentaux concernant la rforme litur-
gique
2
. Ainsi le Pape ne se contenterait pas d'une rforme de dtails, mais il visait une rforme de fond, dont la dis-
cussion des principes serait confie aux Pres du Concile.
Il fallait donc agir vite, mettre pleinement profit les quelques mois qui prcdaient encore l'ouverture du Concile.
Nous ne retiendrons qu'un exemple, dans le cadre trop limit de cette tude, de l'activit accrue des rformateurs. Notre
noliturge type sera Dom Adrien Nocent, moine bndictin de Maredsous, n en 1913. Cet ancien lve de l'Institut de
liturgie de Paris fut nomm en 1961 professeur l'Institut Pontifical de liturgie Saint-Anselme de Rome. C'est dans cette
vnrable universit bndictine fonde par Lon XIII, o Dom Beauduin avait galement enseign, que Dom Nocent
prparait le Concile.
Son ouvrage, L'avenir de la liturgie, publi la mme anne 1961
3
, avec l'imprimatur de Mgr Suenens, va nous per-
mettre de juger de l'tat d'esprit des noliturges la veille de Vatican II. Voici, tout d'abord, un extrait de l'introduction,
nous y trouverons la caricature du bon fidle, puis la description pleine de charit du catholique progressiste, et
enfin le trac exact de la voie mdiane que prendra le Concile, tape vers des rformes ultrieures, mais laissons parler
l'auteur :
Il ne faudrait pas cependant s'imaginer tous les catholiques vibrant d'espoir dans l'attente d'un Concile o seront
tudies les questions poses par la vie liturgique dans l'Eglise en notre temps. Il en est encore, et plus qu'on ne
pourrait le croire, qui se demandent pourquoi il y a lieu de modifier des usages dj anciens, bien ancrs dans leurs
vieilles habitudes. Il y a chez eux une opposition farouche ce qui pourrait troubler une religion qu'ils ont assouplie
leur propre mesure et dans laquelle ils gotent un contentement maniaque, comme on se sent paresseusement
l'aise dans un vieux complet ou des chaussures cules. Pourquoi troubler des pratiques dont ils se trouvent bien et
dont ils croient tirer un rel profit spirituel ?
A l'oppos de cet immobilisme, il est une autre attitude, trop impatiente, parfois insuffisamment claire, que r-
jouit l'avance toute iconoclastie, et tout incendie des vieilles idoles. Elle confond routine paresseuse avec tradition
lgitime et vritable, affectionne le changement pour lui-mme, comme manifestation suprme de vitalit. Il faut ce-
pendant parfois excuser sa violence et l'expliquer par une tenaillante angoisse pastorale...
Paralllement aux PROBLEMES CUMENIQUES, on sait qu' l'ordre du jour du futur Concile est inscrite UNE
REVISION de la LITURGIE et que des commissions d'tude se sont dj mises au travail. Ce serait cependant aller
au-devant d'une dsillusion que de s'attendre des solutions toutes faites, un remaniement complet. LE ROLE DU
CONCILE SERA, AUTANT QUE DE PRENDRE DES RESOLUTIONS FERMES, DE DONNER UNE IMPULSION A
TELLE ORIENTATION PRECISE DANS TELLE RECHERCHE D'ADAPTATION, DE BARRER LA ROUTE A TELLE
TENDANCE, LEGITIME PEUT-ETRE, MAIS RECONNUE INOPPORTUNE
4
.
Notre lecteur nous pardonnera cette trop longue citation, mais elle est si rvlatrice que nous ne pouvions l'omettre.
Avec deux ans d'avance, Dom Nocent nous rvle le plan des rvolutionnaires : l'opposition traditionaliste tait encore
trop forte, cette poque, pour que l'on pt songer un bouleversement immdiat de la liturgie, il faudra se contenter,
dans un premier temps, de principes de rforme acceptables par la tendance traditionaliste, pour confier ensuite l'ap-
plication de ces principes des reprsentants de la tendance progressiste. Adrien Nocent sait bien que le Concile ne
pourra accepter d'emble une nouvelle liturgie de la Messe, mais il sait aussi que cette nouvelle liturgie - laquelle il a
travaill - sera promulgue plus tard au nom du Concile, c'est pourquoi toute la suite de son livre traite de la liturgie de
l'avenir.
Arrtons-nous quelques instants sur la messe d'Adrien Nocent ; puisse-t-elle faire comprendre nos lecteurs qu'en
1961 la nouvelle Messe tait dj conue... simplement inopportune en 1963, elle sera promulgue en 1969.
1
Dom Lambert Beauduin, un Homme d'Eglise, par L. Bouyer, Castermann, 1964, p. 180-181.
2
Dcret Rubricarum Instructum du 25 juillet 1960. Solesmes, Liturgie I, n) 891 et 892.
3
L'avenir de la Liturgie, par A. Nocent, Ed. Universitaires, 1961.
4
Ibid., p. 9-10-11.
30
Le professeur de Saint-Anselme affirme, tout d'abord, le principe et fondement du culte nouveau : Une grande varit
de clbration serait donc permise autour du noyau central toujours respect et qui serait clbr seul aux jours
simples. L'autel doit tre face au peuple, sans nappe en dehors des clbrations, les prires de prparation doivent tre
simplifies, les lectures multiplies, la prire universelle restaure. L'offertoire, aprs le Credo rcit seulement le di-
manche, est trs raccourci. Le clbrant ne fait qu'lever les oblats en silence. Le calice est pos droite de l'hostie, la
pale facultative, l'encensement rapide. Le lavabo n'a lieu que si le clbrant a les mains sales, il faut viter ce symbo-
lisme facile et sans intrt majeur. La patne demeure sur l'autel, l'Orate Fratres est rcit voix haute, la secrte
haute voix. La Canon est dpouill de toute prire d'intercession, des per Christum Dominum nostrum, moins de
signes de croix et de gnuflexions, Canon rcit haute voix, mme en langue vernaculaire, Pater rcit par tous ; on se
serre la main l'Agnus Dei, pendant lequel a lieu la fraction de l'hostie. La fraction de toutes les hosties a lieu partir du
mme pain ordinaire. Communion sous les deux espces, debout et dans la main. Bndiction, Ite Missa est, plus de
dernier Evangile, ni prires de Lon XIII. Notre rformateur passe ensuite en revue tous les Sacrements et propose ga-
lement des rformes qu'il nous serait trop long de reprendre ici, mais qui sont en substance les sacrements rforms de
l'Eglise conciliaire
1
.
En 1961, Adrien Nocent connaissait donc trs exactement le plan de la rvolution conciliaire. Barrer la route
telle tendance, lgitime peut-tre, mais reconnue inopportune, autrement dit le Concile va faire un schma tel qu'il ouvre
la porte aux novateurs et semble la fermer aux ultra-rformistes, mais pour un temps seulement. Le plan se droulera
ainsi :
tendance rformiste modre : 1964 ;
allant progressivement en s'accentuant : 1967 ;
pour laisser enfin la place aux ultra-rformistes: 1969.
LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE
De tous les schmas prparatoires du Concile, le seul ne pas tre repouss fut celui sur la liturgie. L'aile progres-
siste ne pouvait, en effet, qu'tre satisfaite d'un texte dont l'auteur principal tait le R.P. Bugnini, c.m., secrtaire de la
Commission prparatoire de liturgie. Citons les noms de quelques membres de cette commission : Dom Capelle, Dom
Botte, (il avait soixante-dix ans en 1963), le chanoine Martimort, l'abb Hngii (actuellement vque de Ble, alors pro-
fesseur Fribourg en Suisse), le Pre Gy, l'abb Jounel. Le prsident de cette commission tait le vieux Cardinal Gaeta-
no Cicognani, qui s'opposa de toutes ses forces ce schma qu'il jugeait trs dangereux. Le projet de schma, pour tre
prsent dans l'aula conciliaire, devait tre revtu de la signature du Cardinal... Jean XXIII l'obligea le signer : plus
tard, crit le P. Wiltgen, un expert de la Commission prconciliaire de liturgie affirma que le vieux Cardinal tait au bord
des larmes, qu'il agitait le document en disant : On veut me faire signer a, je ne sais que faire. Puis il posa le texte sur
son bureau, prit une plume et signa. Quatre jours plus tard, il tait mort
2
.
C'est le 22 octobre 1962 que ce schma prparatoire fut prsent dans l'aula conciliaire, et c'est le 4 dcembre 1963
que le nouveau Pape Paul VI
3
promulgua la Constitution Sacrosanctum Concilium. Elle avait t approuve par 2 151
voix contre 4 !
Pour une tude dtaille de cette Constitution, nous renvoyons nos lecteurs aux ouvrages de MM. Pierre Tilloy
4
et
Jean Vaqui
5
, nous contentant ici de rsumer leur pense.
Les caractristiques de cette Constitution
1) Elle est une LOI-CADRE, c'est--dire qu'elle nonce seulement les grandes lignes d'une doctrine liturgique dont le
Consilium et les Commissions liturgiques nationales et diocsaines s'inspireront pour laborer la nouvelle liturgie (a. 44-
45).
2) Elle inaugure une TRANSFORMATION FONDAMENTALE de la liturgie ; en particulier, elle annonce la rvision
du rituel de la Messe (a. 50), un nouveau rite de la conclbration (a. 58), la rvision des rites du Baptme (a. 66), de la
Confirmation (a. 71), de la Pnitence (a. 72), des Ordinations (a. 76), du Mariage (a. 77), des Sacramentaux (a. 79), etc.
3) Elle constitue un COMPROMIS entre le traditionalisme et le progressisme qu'elle cherche quilibrer l'un par
l'autre. Pour satisfaire la majorit traditionaliste sans principe ferme, on respectera les principes fondamentaux de la litur-
gie, mais sans aucune application pratique. Pour la minorit progressiste agissante, on assurera l'volution ultrieure
dans le sens du progressisme. Cela en particulier pour les questions si importantes des rapports culte-pdagogie dans la
liturgie (a. 33), et de l'emploi du latin (a. 36, 54, 101).
Une loi-cadre, inaugurant une transformation fondamentale, crit M. Vaqui
6
, et s'inspirant de deux doctrines contra-
dictoires, ainsi se prsente la Constitution liturgique du 4 dcembre 1963.
Ainsi le vu de Jean XXIII, mis en 1960
7
, tait-il ralis, les Pres du Concile s'taient prononcs sur les principes
fondamentaux concernant la rforme liturgique. La rvolution liturgique tait virtuellement acheve, les principes consti-
tutifs de la liturgie taient atteints, la nouvelle liturgie, issue de cette Constitution, allait tre DIDACTIQUE, EVOLUTIVE,
DEMOCRATIQUE et LIBRE. Restait mener bien cette rforme ; le Pape Paul VI allait y consacrer toutes ses ner-
gies, soutenant sans cesse le parti ultra-rformiste contre l'aile traditionaliste dans l'interprtation de la Constitution. Ac-
1
Pour les dtails de la Messe d'Adrien Nocent, cf. Ibid., p. 119
2
Le Rhin se jette dans le Tibre, par Ralph Wiltgen, s.v.d., Ed. du Cdre, 1975.
3
Jean XXIII tait mort le 3 juin 1963, 19 h 49.
4
De l'Hrsie antiliturgique de nos jours. Etude polycopie de mai 1965. A notre connaissance, la premire et la plus lucide raction
contre la Constitution conciliaire.
5
La Rvolution liturgique, par J. Vaqui, D.P.F., 1971.
6
Ibid., p. 39.
7
Dcret Rub. Instruct., loc. cit., cf note 2 supra.
31
cepte par une bonne majorit d'Evques fidles, mais manquant de convictions ou, tout au moins, de connaissances li-
turgiques, la Constitution conciliaire sur la liturgie va servir la destruction de la liturgie catholique. Mais voyons les
tapes de cette agonie.
La machine est mise en branle et aboutira au Novus Ordo Miss
Le 25 janvier 1964, Paul VI, par le Motu Proprio Sacram liturgiam, met en application immdiate certaines disposi-
tions de la Constitution et annonce la cration d'une Commission spciale charge de mettre en application cette Consti-
tution.
Le 29 fvrier 1964, le Pape cre le Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia ; il en confie les
postes aux lments les plus avancs du Mouvement liturgique, en particulier la prsidence au Cardinal Lercaro et le
secrtariat au R.P. Bugnini
1
. Le Consilium peut trs exactement tre compar au Comit de salut public de la Rvolution
franaise ; il va fonctionner jusqu'en 1969, comme une vritable tribunal d'exception, dpossdant la Sacre Congr-
gation des Rites de presque tous ses pouvoirs. Paul VI intervient personnellement le 20 octobre 1964 et le 7 janvier 1965
pour soutenir le Consilium alors en conflit avec la Congrgation romaine.
Laissons Dom Botte nous expliquer l'organisation du Consilium : Le Conseil, crit-il
2
tait constitu de deux groupes
diffrents. Il y avait tout d'abord une quarantaine de membres proprement dits - pour la plupart cardinaux ou vques -
qui avaient voix dlibrative. Ensuite il y avait le groupe des consulteurs, beaucoup plus nombreux, chargs de prparer
le travail. Les sances se tenaient le plus souvent au Palazzo Santa Marta, derrire la basilique Saint Pierre, dans la
grande salle du rez-de-chausse.
Plusieurs experts taient groups et travaillaient ensemble, sous la direction d'un relator. Dom Botte fut charg de la
rvision du 1
er
tome du Pontifical, et nous lui devons, en grande partie du moins, la disparition des ordres mineurs ainsi
que le nouveau rituel des Ordinations et le nouveau rite de la Confirmation
3
.
Monseigneur Wagner, directeur de l'Institut liturgique de Trves, fut le relator du groupe charg de la rforme de la
messe, dont les membres les plus actifs furent ; le professeur Fischer, Mgr Schnitzler, le Pre Jungmann, le Pre Louis
Bouyer, le Pre Gy, Dom Vaggagini et Dom Botte.
Le 26 septembre 1964, le Consilium autorise l'usage facultatif de la langue vulgaire dans tous les rites sauf la prface
et le canon de la Messe ; le psaume Judica me et les prires aprs la Messe disparaissent, de nombreuses rubriques
de la Messe sont modifies et, enfin, pour la premire fois, des pouvoirs liturgiques sont confis aux Confrences pisco-
pales. Le dcret entra en vigueur le 7 mars 1965.
La rvolution se radicalise encore, le 4 mai 1967, avec l'Instruction Tres abhinc annos, qui autorise la rcitation du
canon de la Messe haute voix et en langue vulgaire.
Mais cela ne suffisait pas aux novateurs, la Messe tridentine, mme mutile et rforme, demeurait un obstacle
l'cumnisme, ce christianisme universel tant dsir. Le Cardinal Lercaro et le P. Bugnini n'avaient pas perdu leur
temps depuis le Concile, ils avaient russi en trois ans mettre au point une nouvelle liturgie de la Messe, conforme en
tous points aux desiderata du Mouvement liturgico-cumnique. La quintessence de l'hrsie anti-liturgique allait voir
le jour. On baptisa ce culte nouveau Messe normative, et on le prsenta aux Evques runis Rome en Synode le 24
octobre 1967.
Voici la relation que le Courrier de Rome donna de l'vnement : Une premire la chapelle Sixtine : c'est de la
Messe normative, monte dans les studios de la commission Lercaro-Bugnini, que nous voulons parler. Par une dlicate
attention, les producteurs avaient tenu, avant de soumettre leur invention au vote du Synode, excuter devant eux une
reprsentation gnrale. Il fallait tester. On avait expliqu, avant de tourner, aux cent quatre-vingt-trois prlats qu'ils
devaient s'imaginer jouer le rle de paroissiens assistant la nouvelle messe, active, consciente, communautaire, simpli-
fie. Six sminaristes feraient la schola cantorum, un lecteur lirait les deux plus une lectures, et le Pre Annibal Bugnini
lui-mme se dvouerait pour clbrer et prononcer l'homlie.
Cette Normative-Messe serait appele remplacer celle que saint Grgoire le Grand, saint Thomas d'Aquin, saint
Philippe de Nri, Bossuet, le Cur d'Ars, ont clbre sans jamais se douter qu'ils clbraient une messe passive, in-
consciente, individualiste et complique.
La messe normative supprime le Kyrie, le Gloria et l'Offertoire. Elle pulvrise le Confiteor. Elle glisse sur l'interces-
sion des saints, sur le souvenir des mes du Purgatoire, sur tout ce qui exprime l'offrande personnelle du prtre humain.
Elle propose quatre canons de rechange. Elle corrige les paroles de la Conscration. Et, bien entendu, elle remplace le
latin par l'idiome national.
Afin de lever tout doute dans l'esprit de nos lecteurs, nous devons prciser que cette messe exprimentale voulait
tre une messe vritable, un vrai sacrifice, avec prsence relle de la Victime Sainte du Calvaire
4
.
Les Evques refusrent cette Messe lors du vote du 27 octobre. A la question : La structure gnrale de la messe
dite normative, telle qu'elle a t dcrite dans le rapport et la rponse, a-t-elle l'accord des Pres ?, les rponses furent :
Placet : 71 ; Non Placet : 43 ; Placet juxta modum : 62 ; Abstentions : 4
5
.
L'chec relatif de la Missa Normativa ne dcouragea par le Consilium...
6
Le Pape mettrait son autorit dans la ba-
1
Le R.P. Bugnini a dclar dans l'Osservatore Romano du 19 mars 1965 que La prire de l'Eglise ne devait tre un motif de malaise
spirituel pour personne et qu'il fallait carter toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l'ombre d'un risque d'achoppement
ou de dplaisir pour nos frres spars.
2
Le Mouvement liturgique, par Dom Botte, p. 156.
3
Ibid., p. 165 188. Nous esprons tudier trs bientt tous les nouveaux rites des Sacrements. La revue Fideliter publiera
ces travaux.
4
Le Courrier de Rome, n 19, du 1
er
novembre 1967.
5
Cf. La Documentation catholique, 1967, col. 2077-2078.
6
Pour une raison mystrieuse, le Cardinal Lercaro fut alors remplac par le Cardinal Bno Gut, qui, au dire de Dom Botte n'tait pas
32
lance. En effet, le 3 avril 1969, Paul VI proclamait la Constitution Apostolique Missale Romanum par laquelle il rfor-
mait le rite de la Messe et introduisait de force la Normative-Messe peine retouche. Le 6 avril, la Sacre
Congrgation des Rites promulguait le Nouvel Ordo Miss, avec son Institutio generalis ; le nouveau Missel devait en-
trer en vigueur le 30 novembre 1969.
Le Consilium avait men terme la rvolution liturgique, il pouvait disparatre. Le 8 mai 1969, Paul VI, par la Constitu-
tion Apostolique Sacra Rituum Congregatio, substitua l'antique Congrgation des Rites deux nouvelles congrga-
tions, intitules l'une pour la cause des saints, l'autre pour le culte divin, cette dernire hritant des comptences de
l'ancien dicastre et absorbant le Consilium. Le prfet de la Congrgation pour le culte divin tait le Cardinal Gut, le
secrtaire, l'me damne de cette rforme, Annibal Bugnini.
Grce Dieu, les rformateurs taient alls un peu loin, et un peu vite, ce qui entrana la salutaire raction traditiona-
liste. Saisissant enfin o on les menait, les catholiques fidles ragirent. Le 3 septembre 1969, les Cardinaux Ottaviani
et Bacci crivirent Paul VI leur clbre lettre ouverte, prsentant au Pape le Bref Examen critique du Novus Ordo
Miss. A partir de cette date, la rsistance catholique allait devenir ce que l'on sait, grce surtout la fermet et au
zle intrpide de Son Excellence Mgr Lefebvre.
Dmasqu par cette lettre ouverte, le R.P. Bugnini annona le 18 novembre une nouvelle rdaction de l'Institutio ge-
neralis, pour une meilleure comprhension pastorale et catchistique ; nouvelle rdaction qui demeure aussi mau-
vaise que la premire
1
, et qui laisse inchang le rite lui-mme. De son ct, le 19 et le 26 novembre, Paul VI s'effora de
tranquilliser les fidles. Dj, le 20 octobre, la Congrgation pour le culte divin avait publi l'Instruction De Constitutione
Missale Romanum gradatim ad effectum deducenda, par laquelle l'introduction du N.O.M. tait reporte au 28 novembre
1971, et latitude tait laisse aux Confrences piscopales de fixer une date ultrieure. On sait que plusieurs piscopats
europens profitrent de cette occasion pour dclarer interdite la Messe traditionnelle. Le Pape Paul VI ne dclara-t-il pas
la mme chose au Consistoire de mai 1976 ?
Quand des chefs en viennent rclamer la soumission inconditionnelle de leurs sujets, au nom de leur seule volont,
et au mpris le plus flagrant des lois, c'est que leur conscience n'est pas trs tranquille, mais c'est aussi qu'ils se sentent
faibles... faibles, parce qu'ils ont t dmasqus. Mais il faut qu'ils le soient encore plus : crions au loup, temps et
contre-temps.
CONCLUSION GENERALE
C'est donc avec la promulgation du Nouvel Ordo Miss que nous achevons notre tude du Mouvement liturgique.
Cette nouvelle Messe est, en effet, comme la synthse de toutes les erreurs et dviations de ce grand courant
d'ides.
Briss par saint Pie X, les modernistes ont compris qu'ils ne pouvaient pntrer l'Eglise par la thologie, par un expo-
s clair de leurs doctrines. Ils ont utilis la notion marxiste de praxis, et ont compris que l'Eglise pourrait devenir mo-
derniste par l'action, par l'Action sacre par excellence qu'est la liturgie. La rvolution utilise toujours les forces vives
d'un organisme, elle les investit peu peu et, finalement, les fait servir la destruction du corps abattre. C'est
le processus bien connu du cheval de Troie. Le Mouvement liturgique de Dom Guranger, de saint Pie X et des
monastres belges, au moins leurs origines, tait une force considrable dans l'Eglise, un moyen prodigieux de rajeu-
nissement spirituel, qui d'ailleurs produisit de bons fruits. Le Mouvement liturgique tait donc le cheval de Troie idal
pour la rvolution moderniste. Il fut facile tous les rvolutionnaires de se cacher l'intrieur de cette grande car-
casse... Avant Mediator Dei, qui se souciait de liturgie dans la Hirarchie catholique ? Quelle vigilance apportait-on
dceler cette forme particulirement subtile de modernisme pratique ?
C'est ainsi que, ds les annes 1920, et surtout pendant et aprs la deuxime guerre mondiale, le Mouvement litur-
gique est devenu l'gout collecteur de toutes les hrsies. Dom Beauduin privilgia tout d'abord de faon excessive
l'aspect pdagogique et apostolique de la liturgie, il conut ensuite l'ide de la faire servir au Mouvement oecumnique
auquel il se dvoua corps et me. Dom Parsch lia le Mouvement au renouveau biblique. Dom Casel en fit le vhicule
d'un archologisme forcen et d'une conception toute personnelle du Mystre chrtien. Ces premiers rvolutionnaires
furent largement dpasss par la gnration des noliturges des divers C.P.L.
Aprs la deuxime guerre mondiale, le Mouvement tait devenu une force que plus rien n'arrterait. Protgs en
haut lieu par d'minents prlats, les noliturges investirent peu peu la Commission de rforme de la liturgie, fonde par
Pie XII, ils influencrent les rformes labores par cette Commission, la fin du pontificat de Pie XII et au dbut de celui
de Jean XXIII. Dj matres, grce au Pape, de la Commission prconciliaire de liturgie, les noliturges firent accepter
aux Pres du Concile un document contradictoire et plein d'ambigut, la Constitution Sacrosanctum Concilium. Le
Pape Paul VI, le Cardinal Lercaro, et le P. Bugnini, eux-mmes membres trs actifs du Mouvement liturgique italien,
dirigrent les travaux du Consilium, qui aboutirent la promulgation de la nouvelle Messe.
Ce rite nouveau reprend son compte toutes les erreurs mises depuis le commencement des dviations du Mou-
vement. Ce rite est cumnique, archologique, communautaire, dmocratique, presque totalement dsacrali-
s; il se fait aussi l'cho des dviations thologiques modernistes et protestantes : attnuation du sens de la pr-
sence relle, diminution du sacerdoce ministriel, du caractre sacrificiel et surtout propitiatoire de la Messe. L'Eucharis-
tie y devient une agape communautaire, bien plus que le renouvellement du sacrifice de la Croix.
Par ce rite nouveau, les modernistes et les rvolutionnaires de toute espce veulent transformer la loi des fidles.
C'est Mgr Dwyer qui l'avouait, ds 1967 : La rforme liturgique est, dclarait-il, dans un sens trs profond, LA CLE
une lumire (sic).
1
Cf. Itinraires, de fvrier 1978, Documents.
33
DE L'AGGIORNAMENTO. Ne vous y trompez pas, c'est l que commence la REVOLUTION
1
. Dj, en 1965, Paul
VI n'avait pas cach ses intentions aux fidles : Vous prouvez par l, leur disait-il, que vous comprenez comment la
NOUVELLE PEDAGOGIE RELIGIEUSE, que veut instaurer la prsente rnovation liturgique, s'insre pour prendre la
place de MOTEUR CENTRAL dans le GRAND MOUVEMENT inscrit dans LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS de
l'Eglise de DIEU
2
.
Aussi donc, cela est sr, la rvolution et le modernisme ont pntr la Cit de Dieu par la liturgie. Le Mouvement li-
turgique a t le cheval de Troie au moyen duquel les disciples de Loisy ont occup l'Eglise.
Puisse cette tude avoir fait mieux comprendre nos lecteurs la gravit de la rvolution liturgique et la perversit
de ce rite nouveau de la Messe, expression et symbole de l'hrsie anti-liturgique des temps modernes. Puissions-nous
surtout avoir affermi nos convictions : L'Eglise est occupe. Il s'agit de bouter dehors l'adversaire, en nous redisant
souvent que la force des mchants vient de la lchet des bons. Notre attachement indfectible la liturgie catholique
romaine de toujours, notre fidlit intgrale aux principes des auteurs du vritable Mouvement liturgique, Dom Guran-
ger et saint Pie X, sont dj les gages de la Victoire.
PRIERE A SAINT PIE X
O saint Pie X, gloire du sacerdoce et honneur du peuple chrtien ; - toi en qui l'humilit parut fraterniser avec la
grandeur, l'austrit avec la mansutude, la pit simple avec la doctrine profonde, toi, pontife de l'eucharistie et du cat-
chisme, de la foi intgre et de la fermet impavide, tourne ton regard vers la sainte Eglise que tu as tant aime et la-
quelle tu as donn le meilleur des trsors que la divine bont, d'une main prodigue, avait dposs dans ton me.
Obtiens lui l'intgrit et la constance au milieu des difficults et des perscutions de notre temps, soulve cette
pauvre humanit, aux douleurs de qui tu as tellement pris part qu'elles finirent par arrter les battements de ton grand
cur. Fais que la paix triomphe dans ce monde agit, la paix qui doit tre harmonie entre les nations, accord fraternel et
collaboration sincre entre les classes sociales, amour et charit entre les hommes, afin que de la sorte les angoisses qui
puisrent ta vie apostolique se transforment, grce ton intercession, en une ralit de bonheur, la gloire de Notre
Seigneur Jsus-Christ qui avec le Pre et le Saint-Esprit vit et rgne dans les sicles des sicles. Ainsi soit-il.
Pie XII. Discours Quest'ora, prononc le 29 mai 1954, pour la canonisation de Pie X.)
EPILOGUE - TAIZE ET LE NOUVEL ORDO MISS
I. Un dbat dans la presse : Dom BOTTE et Mgr LEFEBVRE
II. Un document rvlateur : l'Ordo de Taiz en 1959.
I. UN DBAT DANS LA PRESSE : DOM BOTTE ET MONSEIGNEUR LEFEBVRE
Chacun se souvient de l't chaud 1976, de la suspense a Divinis de Monseigneur Lefebvre, et de la Messe c-
lbre par lui Lille, le 29 aot de cette mme anne.
Un journal belge, La Libre Belgique fut ce moment-l le porte-parole d'un dbat, auquel on prta peu d'atten-
tion l'poque, entre le clbre liturgiste Dom Botte (O.S.B., Abbaye du Mont Csar, Louvain) et l'Evque de fer.
Nous publions ici intgralement ces articles, car ils constituent un document historique d'un grand intrt. Notre lecteur
y verra le liturge bndictin essayer de dfendre la liturgie nouvelle, et Monseigneur Lefebvre accuser la mme liturgie de
saveur protestante.
Le grand Evque prtend que des protestants ont particip aux rformes, et il le prouve, documents l'appui. Dom
Botte s'acharne le nier.
La Libre Belgique, 25 aot 1976.
LA LITURGIE DE VATICAN II
Une mise au point du R.P. BOTTE
La liturgie de Vatican II suscite des remous. II faut distinguer ce qu'elle a contenu de certaines adaptations par trop
fantaisistes qu'il faut regretter et condamner. Nous publions ci-dessous le tmoignage autoris de Dom Bernard Botte
O.S.B., qui fut un des tmoins et des acteurs de la commission liturgique de Vatican II. Avec beaucoup de clart et d'au-
torit, Dom Bernard Botte met les choses au point. Il voque par exemple certaines dissidences historiques, traite du latin
et fait une opportune mise au point propos de la messe de saint Pie V. Voici le texte du R.P. Botte :
On a beaucoup parl de la rforme liturgique de Vatican II. Elle serait l'uvre d'hommes trangers la liturgie ro-
maine. Si j'ai bien compris, ce ne seraient mme pas des catholiques. Il est d'autant plus facile de couper les ailes
ce canard qu'on connat parfaitement les responsables de cette rforme. Le Vatican fait quelque mystre ce sujet.
Mais en fait il n'y a aucun secret. Les responsables ont toute libert de se faire connatre, et c'est ce que je fais pour
mon compte.
Rforme catholique
La rforme de la messe a t confie une commission dont le prsident tait Mgr Joseph Wagner, directeur de
l'Institut liturgique de Trves (Allemagne). Secrtaire Dom Franquesa, O.S.B., moine de Montserrat.
Membres : R.P. Joseph Jungmann, professeur Innsbruck, auteur de Missarum Solemnia, la meilleure histoire de
1
Confrence de Presse de Mgr Dwyer, Archevque de Birmingham, le 23 octobre 1967, in Documentation catholique, 1967, col. 2072.
2
Discours du 13 janvier 1965.
34
la messe romaine, ouvrage qui a t traduit de l'allemand en franais, anglais; italien.
Mgr Balthazar Fischer, professeur la Facult de thologie de Trves.
Mgr Schnitler, crmoniaire de la cathdrale de Cologne.
Dom Jean Vaggagini, O.S.B., l'poque professeur au Collge bndictin Saint-Anselme Rome.
R.P. Gy, O.P., l'poque sous-directeur de l'Institut suprieur de liturgie de Paris.
Mgr Pierre Jounel, professeur l'Institut suprieur de liturgie de Paris.
Il n'y a jamais eu de protestant dans cette commission.
En outre, le prsident, Mgr Wagner, avait tenu inviter titre personnel deux hommes connus pour leur attache-
ment la tradition, le P. Louis Bouyer et moi-mme. Mgr Wagner est venu spcialement en voiture de Trves Lou-
vain pour m'inviter prendre part la session o devaient tre rdiges les nouvelles anaphores (prires eucharis-
tiques). J'ai donc t non seulement tmoin, mais acteur.
Histoires de dissidences
Nous assistons un phnomne qui a commenc avec le premier Concile cumnique, celui de Nice (325). Au
lendemain de ce Concile, il s'est trouv des minoritaires qui ont refus de se soumettre la loi de la majorit. Ils
avaient apparemment des raisons de le faire. Le terme de homoousios tait une innovation trangre l'Ecriture. De
plus, il tait quivoque et se prtait plusieurs interprtations. Il y eut donc une opposition au Concile. Elle dura un
bon sicle. Mais ds le dbut du V
sicle, toutes les grandes Eglises taient rallies au Concile. Pour trouver des
Eglises ariennes, il fallait aller chez les Barbares, Goths de toute obdience. Cela dura encore quelques sicles, mais
ces Eglises disparurent progressivement. La dissidence arienne ne laissait plus aucune trace au Moyen Age.
Les Conciles d'Ephse et de Chalcdoine provoqurent aussi des dissidences. Mais aprs un certain nombre de
sicles, on s'aperoit aujourd'hui que c'est une querelle de mots. En fait, les Nestoriens ne sont pas plus nestoriens
que les Monophysites ne sont rellement monophysites. On peut envisager d'ici quelques annes le moment o les
Nestoriens et les Monophysites auront rejoint l'orthodoxie. Les Eglises nestoriennes et monophysites n'existeront plus
comme telles.
Aprs Vatican I, il y eut aussi des dissidents. Cela a donn naissance une minorit de Vieux-Catholiques. Pour
survivre, ils se sont rapprochs des vques jansnistes.
Allons-nous assister la naissance d'une nouvelle dissidence ? Le fait serait d'autant plus regrettable que Mgr Le-
febvre ne pose pas le problme sur une question doctrinale, mais sur une question disciplinaire.
La messe de Pie V
Notons que le problme est pos de telle manire qu'il risque d'induire en erreur des hommes de trs bonne foi. Je
n'ai pas entendu dire explicitement qu'il tait interdit de dire la messe en latin : mais cela parat tre un postulat admis
par tout le monde. Et c'est tout fait faux. Personnellement, quand je ne conclbre pas et que je dois dire la messe
seul, je la dis entirement en latin. C'est tout fait rgulier et je n'ai jamais song faire publier par la radio que tel
jour telle heure je clbrerais la messe en latin dans la crypte du Mont Csar.
En second lieu la position de Mgr Lefebvre repose sur une double erreur. Historique tout d'abord, thologique en-
suite.
Erreur historique, car il n'est pas vrai que la messe de Pie V soit normative de la foi. Qu'est-ce que cette messe ?
C'est peu de choses prs, la messe du Missel de la Curie Romaine du XIII
sicle.
Ce grand pape est-il moins orthodoxe que son successeur du XVI
sicle ?
D'autre part la messe latine n'a jamais t normative pour personne. Le latin n'est pas une langue sacre contrai-
rement ce qu'on dit souvent. C'est une langue liturgique de traduction qui partage le sort de toutes les langues litur-
giques. L'usage de l'Eglise ancienne tait que, quand elle rencontrait une langue de culture comprise par le peuple,
elle l'adoptait pour la traduction de la Bible et pour la liturgie. Il en est ainsi du syriaque, du copte, de l'armnien, de
l'arabe, de l'thiopien. Le latin remplit les mmes conditions. C'est une langue de culture qui permet la conservation
des textes et, l'poque o elle fut adapte, elle tait langue vivante. Sa seule particularit est qu'elle tait, en Occi-
dent, l'unique langue de culture. Mais la messe latine tait aussi inconnue des Orientaux que l'anaphore de saint
Jacques l'tait des Latins. Cela n'a rien voir avec la Foi.
Ignorance du Concile.
Surtout, Mgr Lefebvre semble ignorer les circonstances particulires dans lesquelles s'est droul le Concile. Sur
les quelque 2 500 vques prsents, il y en avait au moins 2 000 qui appartenaient aux missions ou aux nouvelles
Eglises. Il tait impossible d'imposer ces Eglises l'cran du latin. L'Evangile doit tre prch dans toutes les langues.
De plus, le Concile a voulu revenir la tradition ancienne ; la catchse et la prdication doivent partir de l'Ecriture.
C'est la tradition atteste par tous les Pres, aussi bien en Orient qu'en Occident. Il n'y a pas d'influence du protestan-
tisme, mais retour une tradition apostolique.
Je souhaite que ces querelles absurdes cessent et que les gens autoriss s'abstiennent de lancer des bruits qui
n'ont pas le moindre srieux. Les protestants ne sont pour rien dans la rdaction des nouvelles anaphores. J'ai cit les
principaux responsables. Personne ne peut mettre en doute leur comptence. De plus, aprs notre rdaction, nos
textes ont t soumis la discussion et au vote de la Commission piscopale, c'est--dire d'une quarantaine de cardi-
naux et vques.
Si quelqu'un croit tre mieux inform que moi, je le prie de se faire connatre et de m'apporter la contradiction. Je
suis prt confirmer sous serment tout ce que j'ai avanc ici et me soumettre un jury d'honneur.
35
Bernard BOTTE.
La Libre Belgique, 15 septembre 1976.
QUELQUES PRECISIONS SUR LES PRIERES EUCHARISTIQUES DE VATICAN II
L'article que j'ai publi dans La Libre Belgique a provoqu des mouvements en sens divers et m'a attir une cor-
respondance abondante laquelle il m'est impossible de rpondre individuellement.
Je me permets de rappeler tous mes correspondants que mon tmoignage avait une porte volontairement limi-
te. A l'affirmation que les nouvelles prires eucharistiques taient l'uvre de protestants, j'opposais le dmenti le
plus formel. Ces prires sont bien l'uvre de Mgr Wagner et de son quipe de liturgistes catholiques comptents. Les
protestants n'y sont absolument pour rien. A la fin de mon article, je proposais de renouveler ce dmenti sous la foi du
serment en prsence d'un jury d'honneur.
Mgr Lefebvre ne met pas ma bonne foi en doute, mais il me rpond que je ne puis me porter garant des intentions
des membres de la Commission, qui ont pu subir l'influence des observateurs protestants prsents au Concile. Je r-
ponds que je n'ai aucune raison de mettre en doute la bonne foi de Mgr Wagner, mais que j'ai des raisons positives de
lui faire confiance.
Notons qu'il ne faut pas donner trop d'importance cette prsence d'observateurs non catholiques. Contrairement
ce qu'affirme Mgr Lefebvre, ils n'ont jamais eu la facult de prendre la parole en sance publique. Ils assistaient aux
discussions. Pas plus que sur d'autres questions, ils n'ont pu donner leur avis sur les nouvelles prires.
Non seulement je n'ai aucune raison de me mfier, mais j'ai des raisons positives de croire la bonne foi de Mgr
Wagner. Depuis la premire runion internationale de Maria Laach, en 1951, j'ai t le dfenseur du Canon romain et
je n'ai jamais vari depuis lors. Mgr Wagner le sait fort bien. Il n'avait aucune obligation de m'inviter. Il aurait pu inviter
quelqu'un des liturgistes qui avaient vivement critiqu le Canon romain. Le fait qu'il m'invitait signifiait videmment qu'il
comptait sur moi pour que je continue dfendre la tradition. Il en est de mme du P. Louis Bouyer, bien connu aussi
comme dfenseur de la tradition. De fait, durant la session o nous avons rdig les nouvelles prires eucharistiques,
il n'a pas t question des protestants.
Notre proccupation tait de rpondre au dsir de Paul VI d'avoir trois nouvelles formules. Nous souhaitions don-
ner trois formules diffrentes, mais qui reprsentaient chacune un type authentique de prire eucharistique. Voici quel
tait notre choix.
1. La plus ancienne prire eucharistique connue, conserve dans la Tradition apostolique de saint Hippolyte.
2. Une prire de type gallican, caractrise par un dveloppement du Sanctus avant le rcit de la dernire Cne.
Elle fut prpare par le P. Bouyer.
3. Une prire de type oriental. Nous avions propos l'anaphore (prire eucharistique) de saint Basile, utilise dans
le rite d'Alexandrie. Mais elle fut carte par la Commission des vques, cause de la place de l'invocation au Saint-
Esprit, trop loigne des paroles du Seigneur. Nous avons alors pris comme base une formule inspire par plusieurs
anaphores orientales qui, dans l'action de grce, dtaillent les tapes du salut. Cette prire a t compose par dom
Jean Vaggagini. Elle ne contient que des textes emprunts des liturgies orientales authentiques, sans aucun rapport
avec le protestantisme. Dans le Canon romain, qui a t conserv et qui figure en tte du choix actuellement propos,
c'est aux derniers mots de Jsus : Faites ceci en mmoire de moi, que se rattache l'offrande sacrificielle de l'eucha-
ristie : C'est pourquoi, Seigneur, faisant mmoire de la bienheureuse passion du Christ ton Fils notre Seigneur, de sa
rsurrection du sjour des morts... nous offrons ta glorieuse Majest... la victime parfaite, la victime sainte, la victime
sans tache, le pain sacr de la vie ternelle et la coupe de l'ternel salut. Il en est de mme dans les trois prires
nouvelles comme dans toutes les anciennes anaphores orientales ; c'est la place traditionnelle de l'expression de l'of-
frande eucharistique.
Je ne puis donc que rpter et renforcer mon premier tmoignage : les nouvelles prires eucharistiques n'ont rien
voir avec les protestants ni avec le protestantisme.
Pour le reste, je n'ai aucun dsir de poursuivre une controverse avec Mgr Lefebvre.
Bernard BOTTE, O.S.B.,
Abbaye du Mont Csar, Louvain.
La Libre Belgique, 25 septembre 1976.
Dans un nouveau droit de rponse, Mgr LEFEBVRE nous crit :
LA NOUVELLE MESSE EST D'ESPRIT PROTESTANT
Nous avons reu un nouveau droit de rponse de Mgr Lefebvre. En voici le texte :
L'article de dom Botte, o je suis cit trois fois et constamment vis, se termine par un dfi : Si quelqu'un croit tre
mieux inform que moi, je le prie de se faire connatre et de m'apporter la contradiction. Je suis prt confirmer sous
serment tout ce que j'ai avanc ici et me soumettre un jury d'honneur.
Le tout est quelque peu tmraire. Quel tmoignage?
Je n'aurai pas la cruaut de demander dom Botte (qui a bien servi jadis la liturgie catholique) de confirmer sous
serment qu'il croit vraiment que les vques ariens et semi-ariens qui perscutaient ou abandonnaient saint Atha-
nase et saint Hilaire taient des minoritaires ; pas besoin de dranger non plus pour cela un jury d'honneur. Il suf-
fisait d'ouvrir n'importe quelle histoire de l'Eglise pour y retrouver le mot de saint Jrme : le monde gmit et s'tonna
de se trouver tout entier arien.
Je ne lui demanderai pas non plus de confirmer par un serment... moderniste qu'il est vraiment persuad que
homoousios (consubstantialis - consubstantiel) est un terme quivoque (comme le soutenaient, en effet, les
ariens) et donc que toute la sainte Eglise proclame depuis quinze sicles, en Orient comme en Occident, un Credo
36
quivoque !
Quant son tmoignage personnel, je veux bien le croire, mais qu'a-t-il au juste constat ? Qu'aucun protestant of-
ficiel n'tait membre en titre (pas plus que lui-mme d'ailleurs) de la commission charge de la rdaction de la nou-
velle messe et qu'il n'en a aperu aucun la session laquelle devaient tre rdiges les nouvelles anaphores et
laquelle il avait t invit titre personnel par le prsident de ladite commission. Soit. Il est os d'en conclure que
les protestants ne sont pour rien dans la rdaction des nouvelles anaphores (et a fortiori de la nouvelle messe).
Six observateurs protestants
Cette commission, que je sache, ne travaillait pas en conclave et dom Botte ne peut donc affirmer qu'aucun de ses
collgues n'a, entre les sances, communiqu avec les six observateurs protestants attachs qualitate qua au Con-
silium pour la rforme de la liturgie, dont dpendait ladite commission (il n'y a pas moyen de nier l'existence de ces
observateurs : la photographie o ils posent ct du Pape la sance de clture du 10 avril 1970 a paru en couver-
ture de La Documentation catholique du 3 mai suivant). Imagine-t-on qu'ils aient pu tre ignors au moment mme
o l'on discutait d'une des questions qui leur tenaient le plus cur puisqu'elle touche la nature sacrificielle de la
messe ?
L'intervention active de ces observateurs est corrobore par les dclarations de Mgr W.W. Baum, executive di-
rector pour les affaires cumniquesde la confrence piscopale amricaine : Ils ne sont pas simplement l en ob-
servateurs, mais aussi en consulteurs, et ils participent pleinement aux discussions sur le renouveau liturgique catho-
lique. Cela n'aurait pas beaucoup de sens s'ils se contentaient d'couter, mais ils contribuent. (Detroit News, 27 juin
1967).
Rforme protestantisante
En tout cas, dans l'hypothse hautement invraisemblable o lesdits observateurs n'auraient pas collabor la
rdaction des nouvelles prires eucharistiques (et au saccage du canon romain dont la prex Ia n'est qu'une habile
contre-faon), il faudrait alors dire que leur esprit avait tellement imprgn les membres de la commission qu'ils ont
spontanment combl les vux inexprims des hrtiques. En effet, M. Jean Guitton a rapport dans La Croix du
10 dcembre 1969 avoir lu dans une des plus grandes revues protestantes : Les nouvelles prires eucharistiques
catholiques ont laiss tomber la fausse perspective d'un sacrifice offert Dieu. Quant au Consistoire suprieur de
l'Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine, il a dclar le 8 dcembre 1973 Strasbourg : Nous
tenons l'utilisation des nouvelles prires eucharistiques, dans lesquelles nous nous retrouvons et qui ont l'avantage
de nuancer la thologie du sacrifice que nous avions l'habitude d'attribuer au catholicisme. (Dernires Nouvelles
d'Alsace, 14 dcembre 1973).
Il n'y a d'ailleurs pas que la prire eucharistique. Luther abominait l'offertoire de la messe romaine en raison de son
caractre oblatif, pr-sacrificiel: il n'en reste presque rien dans le nouvel ordo miss... Dom Botte objecte que l'offer-
toire n'a pas l'antiquit du canon romain : dois-je lui rappeler que la tradition est chose vivante, non fige, et que l'ar-
chologisme liturgique (qui sert de prtexte aux novateurs pour cautionner leurs inventions) a t rprouv par Pie
XII dans Mediator Dei ? Ces prires de l'offertoire dataient dj de plusieurs sicles lors de la codification de saint
Pie V (saint Pie V, s'il vous plat, dom Botte ! vous dplat-il tant qu'il ait t canonis ?) Puisqu'elles constituaient
un rempart contre le protestantisme, les dmanteler quivalait livrer la forteresse. Elles n'existaient pas sous cette
forme du temps de saint Grgoire le Grand ? Mais les hrsies protestantes non plus ! En tout cas, ni au sicle de
saint Grgoire ni en aucun autre, il n'tait venu l'ide de personne d'utiliser comme offertoire... les prires juives de
bndiction du repas ! Il a fallu attendre pour cela l'uvre de liturgistes dont, parat-il, personne ne peut mettre en
doute la comptence.
Quelle comptence ?
Je n'ai pas le loisir de me livrer pour l'instant des apprciations critiques sur chacune des personnes dont le nom
est cit par dom Botte. J'espre que les revues spcialises feront ce travail. Deux remarques non exhaustives en at-
tendant :
Dom Vaggagini est connu pour sa critique acerbe du canon romain dont je n'ai pas rappeler dom Botte l'an-
tiquit exceptionnellement vnrable et dont le saint concile de Trente enseigne qu'il ne contient rien qui ne respire
au plus haut point la saintet et la pit et qui n'lve vers Dieu l'esprit de ceux qui l'offrent. (XXIIe session, chapitre
IV).
Dom Botte lui-mme, qui se dit connu pour son attachement la tradition (il est vrai qu'il le fut jadis), affirme :
le latin n'est pas une langue sacre, contre l'enseignement de Jean XXIII, qui le dclara la langue vivante de
l'Eglise, une langue que nous pouvons vraiment appeler catholique (constitution apostolique Veterum sapien-
tia). Cela n'a rien voir avec la foi, ajoute dom Botte, contre dom Guranger, qui dfendait le latin liturgique
comme un point de doctrine (Institutions liturgiques, III, 55) et contre le pape Pie VI, qui, dans sa bulle Auctorem
fidei, a rprouv comme fausse, tmraire, perturbatrice de l'ordre prescrit pour la clbration des mystres, en-
gendrant facilement de nombreux maux la proposition du synode jansniste de Pistoie demandant l'emploi de la
langue vulgaire dans la liturgie (66e proposition condamne ; cf. aussi la 33e). Que le latin soit un cran dans les
pays de mission, dom Botte me permettra d'en sourire aprs trente ans d'Afrique, o j'ai pu au contraire en apprcier
les bienfaits d'unit, et de lui faire observer que si, effectivement, l'Evangile doit tre prch dans toutes les
langues, je n'ai pas coutume de prcher en latin ! Mais ramener la liturgie, et spcialement le Saint-Sacrifice de la
messe, la catchse et la prdication est une illustration trs typique de la contamination protestante, par le biais
du Concile, mme chez un prtre autrefois attach la tradition. Il est vrai que, pour dom Botte, la liturgie n'est qu'une
question disciplinaire et non doctrinale ! Que fait-il donc de la maxime lex orandi, lex credendi, si bien mise en
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lumire par dom Guranger ? Mais que reste-t-il de son uvre de restauration de la liturgie romaine dans des ab-
bayes o, de l'aveu de dom Botte, le latin n'est plus tolr que dans la crypte, et pour les prtres non rquisitionns
pour la conclbration vernaculaire ?...
Et puis, ct des membres de la commission, il ne faut quand mme pas ngliger la personnalit du secrtaire
du Consilium, dont l'Osservatore Romano du 20 juillet 1975 crit qu'il a dirig le travail des commissions. Ledit se-
crtaire a ainsi prsent la Rforme liturgique : Il ne s'agit pas seulement de retouches une uvre d'art de grand
prix, mais parfois il faut donner des structures nouvelles des rites entiers. Il s'agit d'une restauration fondamentale, je
dirais presque d'une refonte et, pour certains points, d'une cration nouvelle (...). L'image de la liturgie donne par le
Concile est compltement diffrente de ce qu'elle tait avant. (Confrence de presse du 4 janvier 1967). Ceci n'est
pas dans l'esprit de la tradition catholique rappel par dom Guranger : l'antiquit, l'immutabilit des formules de l'au-
tel est la premire de leurs qualits (Inst. liturgiques, V. 405).
La charit de la vrit
A noter que mon refus de la protestantisation de notre sainte liturgie n'implique nullement de l'hostilit pour la per-
sonne des protestants. Bien des protestants loyaux sont d'ailleurs curs des quivoques de ce syncrtisme sa-
veur maonnique et m'ont exprim leur sympathie. Leur honntet naturelle apprcie la nettet du dogme catholique,
ce qui peut tre un chemin providentiel pour leur conversion. Comme je l'ai dit Genve le 4 juillet : Nos amis protes-
tants ont besoin de sentir auprs d'eux des catholiques qui sont catholiques. On ne trompe pas ses amis, nous ne
pouvons pas tromper nos amis protestants. Si nous croyons en notre foi catholique, si nous sommes persuads que le
Bon Dieu a vraiment donn Ses grces l'Eglise catholique, nous devons nous efforcer de faire comprendre que cette
vrit peut faire du bien aussi nos amis. C'est manquer de charit que de voiler la vrit.
Or, la nouvelle messe voile la vrit catholique, pour ne pas dire plus. Voici deux jugements trangement conver-
gents. Du fr. Max Thurian, de Taiz, l'un des six observateurs : un des fruits en sera peut-tre que des communau-
ts non catholiques pourront clbrer la Sainte Cne avec les mmes prires que l'Eglise catholique. Thologique-
ment, c'est possible. (La Croix, 30 mai 1969). Des cardinaux Ottaviani et Bacci : Le nouvel ordo misse s'loigne de
faon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le dtail, de la thologie catholique de la sainte messe, telle
qu'elle a t formule la XXII