Philosophie Médiévale
Philosophie Médiévale
Philosophie Médiévale
in 2014
https://archive.org/details/esquissedunehisOOpica
ESQUISSE D'UNE HISTOIRE
GÉNÉRALE ET COMPARÉE
DES
PHILOSOPHÏES MÉDIÉVALES
PRINCIPAUX OUVRAGES DE M. FRANÇOIS PICAVET
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;
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•
PHILOSOPHIËS MEDIEVALES
PAR
îastique. Pour les uns, c'esft une succession ou une collection de doctrines,ortho-
doxes ou hétérodoxes, dont l'unité est purement nominale, puisqu'elle provient
des écoles mêmes où elles ont vécu, grandi et décliné. Pour d'autres, au con-
traire, c'est un système qui, à côté de la théologie catholique, s'est constitué
comme une philosophie orthodoxe, servante, suivante ou auxiliaire.
En raison même de ces divergences sur la nature de la scoîastique, les juge-
ments qu'on en; porte sont différents et, en majorité, sévères, hostiles ou dédai-
gneux. l)escartes et Gassendi, Arnauld et Nicole, Malebranche etFénelon, Fou-
cher et! Huet, Buffier et Condillac, qui acceptent tous les enseignements religieux
et théologiques de l'Eglise catholique, abandonnent, combattent ou raillent la
scoîastique. De ce fait, des laïques, voire des clercs, concluent que la valeur de
la scoîastique est médiocre, puisqu'on la met à l'écart, alors même que la théo-
logie à laquelle elle fut liée demeure vivante et respectée. Quant aux profanes,
pour qui la théologie n'est plus la directrice des pensées et des actes, ils ne peu-
vent guère voir, dans la scoîastique, qu'une doctrine ou une série de doctrines
auxquelles les croyants ont renoncé, parce qu'ils en ont eux-mêmes reconnu
l'erreur ou l'inanité. Aussi quand de nos jours Léon XI H recommanda aux eatho-
li.Tiies de revenir au thomisme> il y éut des protestations parmi les fidèles les
Chez les Juifs, chez les Chrétiens et chez les Musulmans d'Orient et d'Occident,
il y a prédominance de la religion et surtout de la théologie. Les uns et les autres
s'appuient sur la révélation, sur des livres saints entre lesquels s'établit, presque
naturellement, une comparaison que justifient leur contenu et leur origine. Ils
commentent ces livres ;ils en donnent une interprétation littérale et historique,
« moyen âge, qui se font jour dans les conclusions de l'auteur. Tandis que l'on
« a coutume de placer la philosophie dite scolastique, avant tout sous le patro-
« nage d'Aristote, et d'y attribuer la prépondérance h l'élément logique,
« M. Picavet indique, à la fin de son travail, que, selon lui, le néo-platonisme,
« en particulier le plotinisme, constitue, en dehors des livres saints, lejfacteur
« le plus important des doctrines médiévales. Or cette vue, si elle se justifie, est
« de grande conséquence. Résumée dans ce qu'on entend d'ordinaire par la
'«
Scolastique, la philosophie du moyen âge. est une œuvre formelle, abstraite,
« conforme sans doute à la foi religieuse, mais constituée dans la région purè-
« ment intellectuelle de l'âme, comme dans une province séparable de celle de
« la croyance, de l'amour et de la vie, composée, dès lors, de concepts quasïr
« mathématiques, immobiles, sans profondeur et sans âme. Et si cette forme
« pseudo-aristotélique est l'essentiel de la philosophie du moyen âge, il apparaît
« comme une entreprise étrange de vouloir que des' hommes, de nos jours, dont
« l'intelligence a été formée par la science et la vie modernes, cherchent dans
« ces doctes écrits autre chose que des documents historiques et des curiosités
« d'érudition. Tout autre apparaît la philosophie du moyen âge, si l'esprit de
« Plotin et non le syllogisme aristotélique y prédomine. L'esprit de Plotin est
« foncièrement religieux. C'est l'effort- même de l'âme pour s'unir ou plutôt se
Plotin est-il bien le véritable maître des philosophes du moyen âge? C'est ce
que nous croyons avoir montré, tout spécialement dans notre chapitre cinquième.
Presque toujours l'Aristotélisme, en se répandant, a été complété par des apo-
cryphes ou des commentateurs néo-platoniciens. Plotin a donné une interpréta-
tion vraiment classique d'un passage célèbre de S. Paul ses disciples ont pré-
;
senté et expliqué Platon et Aristote aux Chrétiens, aux Arabes et aux Juifs. Par
S. Basile, ses contemporains ou ses successeurs, par le Pseudo-Denys l'Aréo-
pagite et Jean Scot Erigène, par S. Augustin et Macrobe, par les orthodoxes et
les hétérodoxes des trois religions, théologiens ou philosophes, Plotin est entré
dans le domaine commun des spéculatifs, de telle sorte qu'on retrouve ses doctri-
nes essentielles, comme elles figurent dans sés œuvres ou comme elles ont été
modifiées par ses disciples, chrétiens, ou néo-platoniciens, chez Malebranche,
Bossuetou Fénelon, comme chez Spinoza et les penseurs allemands du début du
xix e siècle.
(1)11 s'agit de Plotin et S. Paul dont nous avons fait, après modifications, une autre
partie de notre chapitre cinquième.
AVANT-PROPOS IX
cle a été un grand siècle* dans l'histoire de la ci vilisation chrétienne, le plus grand
peut-être dans le développement catholique (ch. VIII).
C'est pour cela encore que des hommes comme Descartes, Malebranche, Char-
les Bonnet dont les recherches font époque dans l'histoire scientifique, se ratta-
chent à. Pîotin par leur métaphysique. Et de nos jours enfin, c'est en faisant
appel aux sciences physiques, naturelles et historiques qiie les catholiques
fidèles aux instructions de Léon XIÏI (ch. IX), ont entrepris de restaurer le tho-
misme philosophique pour le remettre à côté du thomisme théologique et faire
revivre «ne des doctrines médiévales qui rappellent le mieux Pibtin, au point de
vue dogmatique et mystique (ch. VIII, 3).
Par cette étude générale, on comprend le passage de la civilisation médiévale
à îa civilisation moderne. Quand les représentants des philosophies théologie
ques furent, au xvn e et au xvin e siècles, des scolastiques qui ne voulaient pas
savoir ce que devenaient alors les' sciences positives avec l'emploi des instru-
ments comme par l'usage systématique delà raison et de l'expérience, qui igno-
raient ou combattaient Galilée et Bacon, Harvey, Descartes et leurs successeurs,
ceux qui acclamaient avec enthousiasme les découvertes incessantes des nom-
breux chercheurs se demandèrent s'il ne suffisait pas d'étudier, à leur exemple,
l'univers sensible, la nature et l'homme, pour organiser la vie individuelle et
sociale (ch. IX, 1), pour améliorer îa condition humaine en ce monde plutôt que
X HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
surtout des stoïciens, des nëo-platOniciens, pour qui Plotin édifie un système,
des chrétieqs qui, de S Paul à Clément d'Alexandrie, travaillent à constituer
une philosophie, orthodoxe ou hétérodoxe. Toutes ces doctrines, d'origine et
parfois de contenu- différents, mais de tendances analogues, se pénètrent, se
combattent, se neutralisent ou se fortifient les unes les autres.
Du Concile de Nicée à la fermeture des écoles d'Athènes, c'est la lutte, entre
néo-platoniciens, partisans de l'hellénisme, et chrétiens, qui se réclament
également du plotinisme. Puis jusqu'au vm e siècle, le christianisme vainqueur
achèvekde s'incorporer le néo-platonisme en conservant tout ce qu'il peut de la
civilisation antique.
De la Renaissance carolingienne au xm
e siècle, la
comparaison porte sur la
philosophie byzantine dont Photius est le plus illustre représentant sur la ;
(1) Flandre libérale; 12 novembre J904, prof. L. Leclère. Le Soir, 20 novem-bfe: 10O4,
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mon, 1905. Journal de Genève, 20 février 1905, prof. Maurice Millioud. Archives
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Bruxelles, février-mars 1905, prof. L. Leclère, pp. 439-441. Journal des Savants,
mars 1905. Revue bibliographique Mge, mars 1905, V. de Brabandère, pp. 120-121.
.
bien d'autres comme elle l'a été pour moi, fort instructive et fort suggestive.
Lettres et articles de purs historiens des idées et des doctrines, d'historiens ou
qu'hommes politiques, de philosophes et de théologiens, de penseurs libres, de
protestants, d'israélites ou de catholiques ont reconnu l'impartialité de l'exposi-
tion. On a admis, en général, la valeur de la méthode recommandée pour
l'histoire des philosophies, des écoles et de l'enseignement ; les limites et la
caractéristique proposées pour la civilisation médiévale la nécessité d'une
:
silence à leurs antipathies ou à leurs préférences les plus raisonnées et les plus
intimes pour donner de YÉsquisse une exposition impartiale et souvent sympa-
thique aux amis très chers (1) qui m'ont jugé avec une grande bienveillance et
;
Bévue néo s colas tique de Louvain, mars 1905, de Wulf, pp. 412-415, mai 1905,
Pelzer, pp. 266-268. Annales de philosophie chrétienne, avril 1905> Ch. bénis, pp. 73-
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1905, P. Jaequemin, pp. 329-331 Etudes franciscaines, septembre 1905. Fr. Timothée.
.
qui ont signalé, avec une diligence ingénieuse tout ce qui méritait d'appeler
si
l'attention o*es lecteurs, j'adresse mes remerciements les plus vifs et les plus
reconnaissants. Je les prie de conserver les mêmes dispositions pour l'œuvre
future, dont la difficulté, l'importance et la nécessité ont été mises par tous en
pleine lumière.
Paris. 16 mai Î906.
F. P.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
logique ;
0,'de la morale ; /, du droit romain et du droit canon; g, des sciences
mathématiques, arithmétique, géométrie, algèbre, mécanique, astronomie et
astrologie h, des sciences physiques, dans lesquelles on ferait rentrer l'alchi-
;
et des çlasses, des mœurs et des coutumes, des beaux-arts, des langues et des
littératures. Toutes ces indications ssraieht (bailleurs fournies, non au point de
vue même des histoires spéciales auxquelles on les demande, mais pour la cons-
titution d'une histoire générale et comparée des philosophies médiévales (ch. ï,
II et III, ch. IV et VIII).
H
9
Les sources antiques, antérieures au I er siècle de l'ère chrétienne et les
travaux qui traitent de leur diffusion et de leur rôle pendant tout le moyen
âge r
2° Les. travaux sur les philosophies théologiques qui se développent A a lis \o.
Pic a vet b
HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHAS MEDIEVALES
6° Les travaux sur les philosophies théologiques des catholiques et des pro-
jetants, sur le kantisme et le néo-thomisme, sur les philosophies scientifiques,
du xvn e au xix e siècle.
Notre Bibliographie générale, incomplète de propos délibéré comme Y Esquisse
qu'elle précède, portera aussi, comme elle, sur les points qu'il nous semble
utile de mettre en lumière dans une exposition générale et comparée des philo-
sophies médiévales.
(à paraître). —
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XXXIV IHSÎCHIlE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
DE LA CIVILISATION
cie l'industrie l'a été dans l'Angleterre, pendant la première moitié du xix e siè-
;
religion, qui se mêle plus ou moins à la vie des individus et des peuples La
puissance des institutions apparaît surtout dans la Rome républicaine celle de ;
mais ils de parti pris, une œuvre incomplète, en laissant à d'aubes spécia-
font,
listes le soin de mettre en lumière le développement de ceux qu'ils ont négligés ;
une méthode qu'il doit suivre scrupuleusement s'il veut atteindre la vérité et la
présenter avec précision et clarté.
(1) Les idées qui suivent, ont été exposées en 188G dans un Mémoire lu à l'Académie des
sciences morale.c et politiques et publié chez Alcan. Nous avons essayé de les appliquer
l'histoire de la philosophie
Il oloit d'abord réunir les.textes et pour cela puiser à toutes les sources, directes
L'historièn de la philosophie, qui a ainsi réuni tous les textes doit, avant
même d'en examiner l'authenticité et d'en déterminer la valeur, en constituer
l'histoire bibliographique. Alors encore il distingue les originaux, les citations
ou fragments d'originaux.
Pour un texte original, il convient de savoir quels sont les manuscrits que
l'on en connaît, quel est l'â'ge dé chacun d'eux, dans quel état de conservatio^
il se trouve puis, quels sont ceux qui ont été plus spécialement utilisés par lés
;
éditeurs qui l'ont publié. En examinant les variantes tirées des autres manus-
crits, les conjectures proposées ou adoptées, on fixe, provisoirement au moins,
le texte à propos duquel on se posera ensuite les questions d'authenticité et de
valeur, avant d'en extraire les doctrines.
La comparaison des éditions est tout aussi nécessaire, lorsqu'il s'agit d'au-
teurs modernes qui ont eux-mêmes introduit dans jeurs œuvres des change-
ments importants les Essais ont été modifiés par Montaigne en ses publi-
:
été, ce quelle peutêtre). Ueberweg, dans son Grundriss donne vol. I, p. 1 et suivantes,
toutes les références sur le concept, la méthode, les sources générales et spéciales de
l'histoire de la philosophie.
(i) Voir surtout Eduard Zeller, Die Philosophie der Griechen, qï Y Introduction
que M. Boulroux a mise en tête de la partie traduite en français. L'Arçhiv fur Geschichte
der Philosophie, publiée par Liidwig Stein, doit être dépouillée avec soin.
4 HISTOIRE COMPARÉ!!; DES l'HlLOSOPHIKS MÉDIÉVALES
sens à l'aide du contexte. Si les fragments et les citations ont été réunis, classés
et rapprochés, ôn examinera les raisons qui ont guidé les éditèurs pour ces rap-
prochements et l'on verra ainsi jusqu'à quel point l'on est autorisé à admettre
leur reconstruction, dans son ensemble et ses détails.
Même travail préparatoire pour les expositions ou mentions qui ne sont plus
des citations littérales, avec plus de précaution encore pour en établir le sens
d'après le contexte puis classification, par ordre chronologique, avec le nom et
;
D'un autre côté, si l'on sait comment se sont transmises les œuvres de Platon
et d'Aristote, ce que connurent de l'un et de l'autre les Juifs, les Arabes et les
philosophes chrétiens du moyen âge, on est plus à même de trancher certaines
questions d'authenticit é, d'apprécier l'influence des deux philosophes et de saisir
les doctrines à la' formation desquelles ils ont contribué (1).
Même on peut dire que toute étude qui nous renseigne sur le nombre, le prix
des manuscrits d'un philosophe à une époque déterminée, sur la manière dont
ils circulaient, sur la composition des bibliothèques publiques, comme à Alexan-
drie et à Pergame, ou privées, comme à Herculanum et à Pompéi, sur les ouvra-
ges qu'avaient composés les divers philosophes, permet de conjecturer, parfois
même de montrer assez exactement les rapports des- philosophes d'une nié me
1
Après avoir réuni tous les textes et en avoir eoiistitué l'histoire bibliographi-
que, il faut en examiner l'authenticité. Sur ce point, il est bon de se mettre à
l'école des historiens proprement dits, de se pénétrer de leurs méthodes si minu-
tieuses, si exactes, si affinées par le travail de plusieurs générations (2). Mais il
y aura lieu d'user un peu différemment des preuves externes et internes, par
lesquelles on décide d'ordinaire l'authenticité ou l'inauthenticité.
Aux preuves externes, aux témoignages venus de l'époque même par les phi-
losophes et les poètes, les historiens et les scoliastes, il convient de faire une
part très large, à condition toutefois qu'on sache bien s'ils sont des documents
aussi clairs dans leur signification qu'incontestés dans leur transmission. Sauf
exception, à justifier par celui qui nie, il faut admettre comme authentiques
tous les ouvrages sur lesquels s'accordent les témoignages contemporains,
Pour les preuves internes, on a parfois procédé d'une façon assez '-'singulière..
On a construit, avec quelques-unes des œuvres dont l'authentitité n'était pas
plus solidement établie que celle des autres, laissées cependant à l'écart, une
doctrine systématique, une pour le fond, une pour ia forme. Puis on a déclaré
inauthentique tout écrit qui contenait des affirmations contraires, en elles-mêmes
ou dans leur expression, à cette conception qu'on avait imposée, sans bonne
raison, au philosophe étudié. En définitive on a fait Ravoir au lecteur ce qu'on
pensait du philosophe, non ce que le philosophe pensait lui-même: on a fait
une reconstruction arbitraire du système, On va' supprimé les recherches relatives
à l'authenticité et on a donné, a priori, les résultats qui n'auraient dû en être
que les conséquences.
(4) Voir Eduard Zeuler, Die Phil. der Griechen, II, 4 et Âbh. d. Ak. d. W. de
;
Berlin; Hermès, Bd. XI, combattu par Teighmûller, D. platon. Frage, Gotha, 1876;
Ueber d. Reihenfolge der plat. Dialôge, Dorpat 4879. Ueberwegl 8 p. 455-163, résume ,
les travaux relatifs aux Dialogues. M. Brochard (Année philosophique. 4903) a examiné
ies publications récentes et donnés Mes conclusions intéressantes. Sur Aristote, voir notre
chapitre V.
(2) Voir Lavisse et Rambaud, Histoire générale, Paris Colin; Lavisse, Histoire de
France, Paris, Hachette; Mommsén, Histoire romaine (traduction CagnatetToulai.it);
GuRTius, Droysen, Histoire grecque et Histoire de V Hellénisme (traduoiioiis Bouché-
Lecîercq) Langlois et Seignobos, Introduction aux études historiques, Pvfh,
;
avec fruit la plupart des articles publiés dans cette revue, dirigée par M , Henri Berr (Pn
Cerf).
9
Les vraies preuves internes, ce sont celles que l'on trouve dans les indications
relatives à l'histoire politiqueou littéraire, à l'histoire des concepts ou des mots.
Ce qui ne signifie pas qu'il soit nécessaire de renoncer à toute preuve tirée des
doctrines, mais qu'il faut en user avec une extrême prudence, ne s'appuyer que
sur des textes incontestés, n'en faire sortir que ce qu'ils contiennent et se sou-
venir qu'un penseur a pu s'attacher à des idées différentes, môme opposées que ;
te qui est le plus rare, ce n'est pas la transformation des doctrines, mais la
persistance systématique d'un individu, qui élargit et augmente ses idées, dans
la voie où il s'est trouvé engagé au début et même au milieu de sa carrière.
Enfin il est indispensable, pour se prononcer en connaissance de cause, d'exa-
miner les travaux critiques, s'il en existe, qui ont porté, dans l'antiquité, au
moyen âge ou dans les temps modernes, sur les œuvres philosophiques dont on
entreprend l'étude. Si l'on s'occupe de Platon, par exemple, on réunira et on
pèsera les résultats obtenus par Aristophane de Byzance et ïhrasylle, qui dispo-
saient de documents aujourd'hui perdus, comme ceux auxquels ont abouti
Schleiermacher et Hermann, Steinhart et Munk, Grote et Schaarschmidt. Ed.
Zeller, UeberWeg, Teichmûller, etc., en un mot tous les philosophes ou érudits,
étrangers et français, chez lesquels on trouve un sens historique développé
et sûr.
les écrits qu'il analyse ou dont il interprète certains passages. Et dans tous les
cas on devra se demander s'il n'a pas pu ou s'il n'a pas voulu nous tromper,
même s'il a eu souci de nous renseigner exactement. Platon et Aristote ont certes
compris leurs devanciers, mais ne leur ont-ils pas demandé des réponses à des
questions qu'ils ne s'étaient pas posées, ne les ont-ils pas exprimées en des
termes différents de ceux dont avaient usé leurs auteurs, parce qu'ils en par- '
laient, en prenant leurs propres doctrines pour point de départ? N'ont-ils pus
même, quand ils ont traité de certains adversaires, des sophistes (1), par
(!) Voir no-, articles Sophiste, Scepticisme, Pyrrhon, Se.jotus Empiricus, Hayle
(Grande Encyclopédie). Chacun de ces ariicles donne une bibliographie de la question ou
des auteurs a consulter
[/HISTOIRE DE Lk PHILOSOPHIE 7
exemple, été injustes en attribuant à tous ce qui n'avait été dit que par quelques-
uns et en leur imputant parfois des affirmations qu'ils n'avaient jamais émises,
mais qu'on leur attribuait par voie de déduction logique ? Ces dernières ques-
tions ne se posent guère, à propos d'un Sextus Empirions ou d'un Bayie qui, en
raison même de leurs tendances, sont disposés h présenter clans toute leur force
les doctrines adverses.
Mais si îes écrivains que Ton consulte n'ont ni la compétence d'un Aristote, ni
l'impartialité d'un Bayle, si l'on s'adresse à un Diogène Laërce,aux doxographes,
aux adversaires de philosophie ancienne et de toute philosophie, à d'autres
la
qui parlent d'une école sur laquelle nous n'avons à peu près aucun renseigne-
ment immédiat, il faut se poser d'autres questions encore. Quelle était la compé-
tence du compilateur ? Quels matériaux a-t-il employés et que valaient-ils ? A
quelle œuvre originale a-t-il puisé ? Quelle en était la valeur ? Et que valent, en
définitive, pour l'histoire, les documents transmis par des .intermédiaires, suc-
cessifs et nombreux, dont la compétence et l'impartialité sont souvent fort
contestables ? Des recherches récentes sur le Pythagorisme, les physiologues,
les doxographes, sur Cicéron, Lucrèce, etc., ont montré ce qui pouvait être fait
en ce sens (1).
Supposons qu'on ait classé ainsi les textes de toute espèce relatifs aux diffé-*
rents philosophes et aux diverses écoles . Il faut éclairer les obscurités des origi-
naux, compléter des fragments et des citations souvent fort ^courtées, tirer
d'expositions et de commentaires, peu précis et même contradictoires, ce qui
peut être considéré comme la pensée suffisamment exacte des auteurs. Pour
cela, la philologie et la psychologie, l'histoire de la civilisation, celle des reli-
gions, des lettres, des arts et des sciences sont nécessaires.
Les philologues, les physiologistes et les psychologues nous ont appris que le
mot est formé par la réunion d'éléments divers, que c'est un signe par lequel
sont réunies des images et des idées simples ; qu'il éveille, dans des esprits
différents, des idées qui n'ont entre elles que fort peu de rapports. On sait qu'il
est difficile de rendre, dans une traduction, la pensée d'un auteur» que amccptux %
concept et Begriff ne sont pas absolument synonymes. On sait de plus que le sens
d'un même mot varie selon les époques et selon les écrivains, La philosophie,
par exemple, est, pour Hérodote, l'observation perspicace et réfléchie des mœurs
et des coutumes, la connaissance des astres ; pour Thucydide, c'est la culture
générale de l'esprit ; pour Platon, c'est l'acquisition de la science et elle com-
prend les sciences positives. Aristote lui conserve ce sens général, mais la prend
parfois pour ce que nous nommons aujourd'hui là métaphysique. Avec certains
Stoïciens, elle devient l'étude de la vertu, la science des choses divines et
humaines avec Epicure, la recherche du bonheur avec les chrétiens, c'est la
; ;
Voir Zeller, Diels, op. cit. ; Thïaucourt, Les traités philosophiques d* Cicéron
(1)
etleurs sources grecques, Paris, Hachette, et V>ctoh Egger, Disputationes de fùntihus
D. Laertiiy Bordeaux, 1884 qui résument les recherches faites en Allemagne. Ùsener,
Epicurea, Miwro, 4 e édition du de Natura rerum Diels et Tannery, op. cit. Il fauf
;
aussi consulter VArchiv fur Geschichle der Philosophie {Bibliographie générale), qui
analyse et signale les travaux au moment où ils apparaissent.
8 HISTOIRK COMPARÉE DES PHILOSOPHIËS MÉDIÉVALES
variations dans la signification des mots sophiste et sceptique (1), qui obligent
1 listorien à déterminer nettement ce que furent les penseurs auxquels i!
applique l'une ou l'autre de ces désignations. La Sémantique (2) qui établit
quelles idées se sont trouvées successivement réunies sous le même mot de (a
langue commune, comme de la langue littéraire et philosophique, devient une
auxiliaire précieuse ainsi elle nous ferait assister à la transformation profonde
:
ai'<T0>}<nç, àp£rïj, sniarr^in, etc. ; chez les Latins, compréhension voluptas, religio ;.
les relations de ces peuples les uns avec les autres, à une époque sur laquelle
l'histoire proprement dite ne nous apprend absolument rien quelles sont leurs
.;
affinités intellectuelles et jusqu'à quel point ils ont pu arriver, chacun de leur
côté, à des conceptions, en une certaine mesure, identiques. On a pu exagérer
l'importance de l'étude du langage pour la connaissance de la pensée il est ;
incontestable que les progrès de la science du langage, que les travaux qui
nous en font connaître le développement à, travers les âges et chez les différents
(4) Voir nos articles Sophiste et Sceptique (Grande Encyclopédie) avec la bibliographie
qui y est jointe.
(2)Michel Bréal, La Sémantique, Paris, Hachetle.
Goelzer, Etude sur la latinité de saint Jérôme, Paris, Hachette Régnier, Lati-
(3.) ;
nité des sermons de saint Augustin, Paris, Hachette Puech, Prudence, Paris,
;
1879.
e
(5) Voir notre traduction de la Critique de la Raison pratique de Kant, 3 édition,
Paris, F. Alcan. Pour traduire certains mots de Kant, il a été nécessaire de joindre, aux
mots français, des termes anglais et latins, parfois même l'expression allemande. Voir aussi
note 12, p. 314 du même ouvrage.
l'histoire de la philosophie 9
de son esprit. On peut de même, en réunissant tous Jes textes qui nous ont été
transmis^. et en usant avec réserve des inductions qu'autorisent les résultats
auxquels est arrivée la psychologie moderne, reconstituer le caractère et les dispo-
sitions intellectuelles de Gléanthe et d'Epictète, de Marc-Aurèle et de Plotin, de
Pescartes et de Locke. Ceux-là seuls qui auront fait ce travail sauront exacte^
ment ce qu'est la vertu pour Cléanthe, pour Epictète et pour Marc-Aurèle ce
;
que fut la philosophie pour Descartes et pour Locke. Que si Ton n'arrive pas à
faire d'une façon aussi précise la psychologie des individus, on pourra tout au
moins,, avec les documents qui viennent des poètes, des historiens, des
artistes, etc ;
déterminer les habitudes, les goûts, les tendances, les idées et les
, :
sentiments, tes croyances et les aspirations des hommes cultivés qui vivaient
alors :on aura -la psychologie du Grec au temps de Zénon, d'Epicure et de
Pyrrhon, celle de l'Italien de la Renaissance, de l'Anglais pendant les troubles
qui précédèrent les révolutions de 4648 et de 1688. On comprendra déjà mieux
ainsi combien furent différentes les philpsophies qui suivirent Aristote de celles
qui le. prééédèrent, les doctrines qui apparurent en Italie au xvie et au com-
mencement du xvii e siècle, de celles qui furent en honneur dans l'Angleterre
de Hobbes et çle. Locke On pourra d'ailleurs utiliser, pour les premiers phi-
losophes d'une nation et même pour ceux qui leur succèdent, les renseigne-
ments que nous fournissent l'ethnographie sur l'origine et les caractères
essentiels des peuples, sur leurs relations, leur parenté physique et morale ;
le présent et dans le passé, il faut encore examiner les enfants pour assister à la
formation des tendances et au développement des aptitudes de même il faut
:
réunir tout ce qu'il est possible de savoir sur l'éducation du penseur, pour bien
comprendre sa philosophie. Quelle lumière jette sur les doctrines de Stuart Mill,
sur les transformations qu'elles ont subies, les accroissements qu'elles ont pris à
un moment de son existence, la lecture de son Autobiographie! De même les
quelques pages dans lesquelles Descartes a résumé ses premières études, ses
voyages, ses doutes et ses résolutions, nous donnent des indications bien
précieuses pour l'intelligence de ses doctrines. Mais combien la découverte
du cours de philosophie que professaient à La Flèche les Jésuites avec lesquels
v
il étudia, celle d'un morceau de papier sur lequel il aurait consigné jour par
jour les lectures auxquelles il se livrait quand' il passait au lit une partie de sa
matinée, ou quand il vivait retiré à Paris ou en Hollande, ne serait-elle pas
10 HISTOIRE <;OMP4.ftÉ£ DES PHILOBOPHIRS MÉDIÉVALKS
de nature à nous faire mieux comprendre sa théorie sur les rapports en Dieu
de l'intelligence et de la volonté ou telle autre de ses doctrines métaphysiques
ou scientifiques ?
Montaigne raconte, dang ses Esmis, quelle éducation il a reçue de son père en :
lisant ce curieux passage v on comprend son caractère tout païen et son éloigne-
ment pour le dogmatisme- Kant a-été élevé par un père et une mère très pieux,
dirigé ensuit? ^..ms son éducation par Schulz, disciple de Spener, le fondateur
du piétisme il parlera toujours avec admiration de son premier maître et écrira
;
telle page de son œuvre capitale, de manière à y introduire des idées et des ter-
mes chers aux piétistes (1). Dans l'antiquité, les renseignements donnés par
Cicéron, à différents endroits de ses œuvres, font connaître les études philoso-
phiques de sa jeunesse, permettent de combattre ainsi l'opinion accréditée en
Allemagne depuis Mommsen, et trop facilement acceptée en France, qu'il a
composé ses divers ouvrages philosophiques en se bornant à traduire, avec plus
ou moins d'intelligence, une œuvre grecque, comme aussi de comprendre le
caractère oratoire, pratique et éclectique de sa philosophie (2). Les indications,
en nombre assez astreint, que nous avons sur les premiers travaux, sur les maî-
tres de Platon, expliquent la forme dramatique et poétique des Dialogues, le
caractère compréhensif, et difficile à faire rentrer dans un seul cadre, des doc-
trines qu'il y a exposées. On comprend mieux la guerre que déclara Epicure à
la superstition quand on sait qu'il accompagnait, dans sa jeunesse, sa mère,
lorsqu'elle allait dans les campagnes accomplir certaines purifications ou céré-
monies superstitieuses (à). A coup sûr, il n'e*st pas possible de savoir, pour cha-
cun des anciens philosophes, ni quels ont été ses maîtres, ni quel enseignement
il en a reçu, ni comment il a complété ensuite son éducation par ses voyages ou
ses rapports avec tel ou tel autre penseur, mais nous pourrons bien souvent
déterminer, d'une façon suffisamment exacte, quelle (éducation était donnée de
son temps aux enfants de sa condition, quelles connaissances littéraires, scien-
tifiques, historiques possédaient alors les hommes cultivés, quelles étaient leurs
croyances et leurs mœurs. Ainsi nous comprendrons mieux leurs doctrines et
même, dans certains cas, nous retrouverons ce qu'ils doivent à leurs contempo-
rains et à leurs prédécesseurs Si l'on tient compte de la vie molle et luxueuse
des habitants de Cyrène, on s'expliquera plus aisément qu'Àristippe ait retenu
si peu de chose de l'enseignement éminemment moral de Socrate. Si l'on a une
venaient converger toutes les doctrines, toutes les croyances, tous les enseigne-
ments où il y avait des mathématiciens, des critiques et des historiens, des
;
On convient sans doute qu'il faut éclairer l'histoire des idées par l'histoire des
de la philosophie par celle des institutions, des états, de leurs
faits, l'histoire
relations et de leurs révolutions. On expose d'ordinaire^ en quelques lignes, la ,
joué un rôle politique que l'histoire des pythagoriciens est inséparable de celle
;
lateur des Eléates que Zénon trouva la mort en cherchant à affranchir ses con-
;
Cicéron, un des hommes les plus considérables de son temps Sénèque, le pré-
;
qui ait jamais existé. Bacon a été chancelier Descartes a longtemps servi
;
comme volontaire Locke et Hume ont été mêlés aux affaires publiques; Vol-
;
taire a été en relations avec Frédéric II, Choiseul et le roi Stanislas. Turgot a
essayé de réaliser, pendant son ministère, les réformes que lui avaient suggérées
ses études philosophiques et économiques. Fichte a contribué, dans une mesure
qu'on ne saurait faire trop grande, au relèvement de la Prusse (i). Stuart Mill a
pris part aux luttes politiques et économiques de l'Angleterre. Maine de Biran,
en qui l'on voit d'ordinaire le méditatif par excellence, a été administrateur de
la Dordogne, membre des Cinq-Cents* conseiller de préfecture et sous-préfet, .
(i) Voir Les Discours de Fichte à la Nation allemande, traduction Léon Philippe,
avec Introduction de François Picavet et Avant-Propos de Jean Philippe, Paris,
Delagrave Xavier Léon, La Philosophie de Fichte, Paris, F. Alean.
;
12 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
origines les. Grecs doivent ils quelque chose à l'Inde, à l'Egypte, à la Perse et,
:
d'une façon plus générale, à l'Orient, ou bien doit-on considérer leur œuvre phi-
losophique comme absolument originale? Gomment résoudre cette question, on
pour se placer sur un terrain mieux délimité, comment savoir si tel ou tel phi-
losophe a fait des emprunts à tel ou tel pays, lorsqu'on n'a pas demandé aux
historiens ce que nous apprennent les inscriptions cunéiformes, les hiérogly-
phes, les livres des Indous et des Persans, quelles relations ont existé entre ces
différents peuples et la Grèce, ou inversement quelle action ce dernier pays a
pu exercer sur eux par son expansion au dehors ? On ne comprendra ni la vie,
ni le rôle, ni la mort de Socrate, si l'on ne tient compte des révolutions inté-
rieures d'Athènes ni la République, ni les Lois de Platon, si l'on ne sait quelles
;
Pyrrhon on s'apercevra qu'elles ont été imaginées, tout au moins, pour expri-
:
mer un état d'esprit nouveau en Grèce, si on lit dans Droysen, inspiré par les
historiens anciens, le récit de la mort du gymnosophiste Galanus, qui dut pro-
duire sur tous les Grecs une impression aussi étrange que profonde. De même
on soutient quelquefois qu'Epicure n'a admis des dieux que par hypocrisie et
par crainte des persécutions. Or, si l'on consulte les historiens de la Grèce,
on voit que les Athéniens, recevant Démétrius dans leurs murs, l'appelant un
dieu et disant des autres dieux que peut-être ils n'existaient pas, n'auraient pas
songé à punir Epicure de penser comme eux sur ce sujet. Il est fort intéressant
de savoir ce qu'il convient de penser de la conduite de Sénèque comparée à sa
doctrine. A-t-il réellement fait l'apologie du meurtre d'Agrippine et peut-on le
rendre en partie responsable des crimes qui souillèrent le règne de Néron ?
Gertàins historiens se sont demandé d'abord, à tort ou à raison, s'il fallait accu-
ser ce dernier de tous les crimes que lui attribue Tacite ils ont examiné, à
;
propos de certains événements, les détails, très précis que fournit l'historien
romain et qu'eût pu seul donner un témoin oculaire ils ont pensé qu'il ne fal-
;
lait accepter, qu'avec une très grande réserve, les récits dans lesquels ils ont
été utilisés, qu'il y avait lieu de reviser un certain nombre des jugements por
tés par un écrivain dont la langue est forte, concise et imagée, mais dont l'im-
partialité et même la compétence, au sens strict du mot, peuvent ainsi être mis
en doute. D'un autre côté, si l'on se rappelle le sort de Lucain, de Thraséas,
d'Helvidius Priscus, de SénèqueMui même et de bien d'autres S|toïciens> on' est
amené à chercher si le Stoïcisme n'a pas été, à un moment donné, un parti
politique en opposition avec celui qui possédait adors le pouvoir. On peut sou-
tenir le contraire, mais encore faut-il examiner les raisons invoquées de part et
d'autre, pour se faire une idée juste du Stoïcisme à Rome (1).
&i nous laissons de côte le moyen âge, dont nous traiterons plus amplement,
pour passer aux temps modernes, il est bien évident qu'on ne peut comprendre
Montaigne, ses idées de scepticisme et de tolérance religieuse, sans se rappeler
(1) Voir Martha, L<;s moralistes dans Vempire romain, Paris, Hachette; notre Stoï-
cisme à {tome (Grande EncvcloDédie), et Gaston Boissier, Tacite, Paris. Hacl'ette (Vc*r
ch. fil, 3).
.
^HISTOIRE. DK LA PHILOSOPHIE 13
des autres, sera possible d'établir, dans une certaine mesure, ce qui appar-
if
tient en propre, d'un côté à Zénon, à Çléanthe, à Ghrysippe de l'autre à Arcé-
:
Paris en 1677 et 1678, qu'il vit souvent Dernier, qu'il le nomme dans ses ouvra»
ges et qu'il goûtait beaucoup Gassendi, sera amené ainsi a restituer a ce der-
1
nier une partie des théories de Locke. Celui qui saura que la Critique générale dê
l'histoire du Calvinisme du P. Maimbeurg, par Bayle, paru! en 082, tandis que la
î
*
Il n'est pas besoin non plus d'insister sur la nécessité, pour l'historien de la
philosophie, d'étudier l'histoire des lettres et dès arts, afin de saisir dans toute
sa Complexité le développement de la pensée philosophique. Les Grecs ont tou-
jours uni Je bien et le beau et l'on ne saurait dire s'il y a plus de poésie et de
grâce que de profondeur et de subtilité dans les dialogues de Platon. Homère et
Hésiode ont été lus, commentés et interprétés, au moins autant par les philoso-
phesque par les scoliastes et les poètes, Aristophane est inséparable de Socratc,
dont on ne peut guère non plus séparer Euripide, et Chrysippe a fait passer
dans son œuvre presque tous les ouvrages de ce dernier. L'étude des monuments
de l'àrtgrec a fourni des renseignements qu'on ne saurait trouver ailleurs, sur
les croyances des hommes qui en ont été les contemporains. On a rapproché avec
raison la philosophie et les œuvres- artistiques et littéraires qui parurent après
A-nisteote ; la .renaissance littéraire et artistique, de la renaissance philosophique
diu ^ev e siècle, lia philosophie cartésienne et la littérature classique du xvn e siè-
cle. On ne saurait séparer l'étude de la Poétique et de la Rhétorique d'Aristote, de
celle des orateurs et des poètes qui l'ont précédé,pas plus qu'on ne saurait com-
prendre sa Politique, sans connaître.au moins un certain nombre des institutions
qu'elle suppose. Il serait difficile de distinguer nettement, dans l'étude du.
xvin e siècle, ce qui appartient à la littérature et ce qui appartient à la philo-
sophie.
(1) Voir Ja Revue de V Histoire des religions, dirigée par M. Maurice Vernes, puis
par M. Jean Révili.e, et les publications de l'Ecole des Hautes Etudes, seeuoii des sciences
religieuses. •-- Fu<*tel de Coulanges, dans îa Cité Antique, Renan, dans tous ses ouvra-
ges, Alsert Réville, dans ses cour? au* Collège de France, ont fortement contribué à met-
tre en lumière le rôle de c religions dans l'histoire de la civilisation.
l'histoire de la philosophie 15
l'historien de la philosophie v
~ pour gu#lqués-uns d'entre eux faire la
démarcation entre ce qui e^r /L îet ce qui est scientifique, devrait-il
;
abandonner ce qui appartient où* domaine des sciences? Nous ne le pensons pas,
car il mutilerait ainsi les doctrines et s'expierait à en donner une idée fausse.
Assez souvent on a monî-é les analogies entre les systèmes anciens et les systè-
mes modernes, entre les théories d'Anaximandre et l'évolutionisme, entre
Démocrite et les mécanistes ou les matérialistes modernes, entre Platon et Leib-
niz, mais on fait trop souvent aussi abstraction des connaissances positives que
supposent les théories des anciens et des modernes. Examinez une carte où sont
tracées, même d'une façon approximative, les contrées connues au temps où
furent créées l'Iliade et i'Odyssée, et une carte ou, sont marqués les pays connus au
temps d'Hérodote et d'Aristote, vous verrez sans peine que le dernier avait sur
la terre et sur les peuples qui l'habitent, sur leurs mœurs, sur leurs usages et
leur genre de vie, des connaissances positives plus étendues et plus précises
qu'un Thalès ou qu'un Pythagore. Lors donc que les philosophes se poseraient
métrie Malebranche, qui fait partie comme, géomètre de l'Académie des scien-
;
ces Leibnizrqui invente en même temps que Newton, mais par d'autres vqies,
;
(t) Hanneouin, Essai critique sur V hypothèse des atomes, 2 e édition, Paris, F. Àlcan;
Kusd Lasswitz, Gesch. dj Atomistik vom Mittelalter bis Newton, 2 Bde, Hamb'
1889-90.
(2) Voir les Idéologues et Y Introduction à l'édition de la l r e partie du Traité des
sensations.
Pioavet ?
18 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
sances positives, leurs croyances religieuses, les institutions qui les régissaient,
leurs idées, leurs sentiments et la manière dont ils les exprimaient par le langage
ou les arts, pour reconstituer le milieu historique, politique, littéraire, artisti-
que, scientifique. Il doit tenir compte de l'éducation philosophique que chaque
penseur a reçue de ses prédécesseurs et de ses contemporains, se préparer ainsi
à établir ce qu'il s'est assimilé, ce qui lui appartient en propre et ce qu'il a trans-
mis à ses successeurs, à savoir quelles questions il se posait en matière scienti-
fique et en matière métaphysique, avant de passer à l'exposition des doctrines
elles-mêmes.
Cette exposition, comment faut-il la faire, après une telfe préparation ? On
prendra chacun des ouvrages, chacun des fragments, chacune des expositions
ou citations, pour se demander quelles questions s'y était posées le philosophe
et quelles réponses il y faisait. On essayera ensuite, en rapprochant ces ques-
tions et ces réponses diverses, de voir quelle importance il attachait aux premières
et quel degré de confiance il accordait aux secondes ;de ranger les idées diver-
ses qui y sont exposées autour d'une idée maîtresse qui explique pourquoi et
comment celles qui la précèdent l'ont préparée, comment en ont été tirées celles
qui la suivent et quelle valeur elles avaient chacune, relativement à l'idée maî-
tresse, pour celui-là même qui les a émises. On prendra, par exemple, tous les
dialogues de Platon, tous les ouvrages d'Aristote, tous les traités de Cicéron,
toutes les œuvres de Descartes et de Kant on y joindra les renseignements que
;
nous ont transmis ceux qui ont été leurs disciples ou qui ont eu en leur pos-
session des œuvres aujourd'hui perdues. De chacune de ces sources, de valeur
diverse, on fera une étude dans laquelle on tiendra un compte aussi exact que
possible des indications chronologiques : on éclairera par exemple, l'exposition
des idées» contenues dans le Discours de la méthode, par les lettres que Descartes
écrivit au Père Mersenne, depuis le moment où il en conçut le projet jusqu'à
celui où il îe fit paraître. On relira avant d'aborder les Pnssïons de l'âme, le Dis-
cours de la Méthode et les Méditations, les Principes de Philosophie et Ses Retires. On .
reverra, pour bien comprendre \&Critique delà Raison pratique, la première édi-
tion de la Critique de la Raison pure de 1781, les Fondements de la Métaphysique des
Mœurs de 1785, la d euxième édition de la Critique de la Raison pure de 1787 (1).
Puis, quand on se trouvera ainsi en présence ée résultats précis, en ce qui con-
cerne les doctrines que contiennent chacun des originaux, chacun des frag-
ments, chacune des expositions ou mentions, on réunira et on rapprochera
toutes ces indications. Alors, et seulement alors, on cherchera utilement si l'au-
teur, en supposant qu'il ait établi un lien entre les diverses idées qu'il a expo-
sées dans chacune des parties de son œuvre successivement étudiées, a tenté d'y
condenser systématiquement, autour d'une théorie maîtresse, les solutions qu'il
a données des questions que se posaient les penseurs de son temps. On verra
ainsi combien il est difficile de savoir si Platon a été guidé, dans tous ses écrits,
par une idée directrice, d'une importance capitale pour lui et b laquelle il se
serait efforcé de ramener toutes ses doctrines positives, métaphysiques ou
mythiques, ou si sa pensée a subi des changements qu'expliqueraient tout à la
fois le progrès de ses connaissances et les conditions sociales, religieuses et
politiques dans lesquelles s'est écoulée sa longue existence. De même on com-
prendra mieux, après un tel travail, les phases successives de la philosophie
de Leibniz, de Kantou de Maine de Biran (1), de Schelling, de Cousin ou de
Lamennais.
Dé cette manière on arrivera, ce semble, à déterminer aussi exactement qu'on
peut l'espérer, sinon le souhaiter, ce qui, dans l'œuvre de chaque penseur,
revient à ses prédécesseurs et h ses contemporains, ce qu'il a trouvé par lui
même et transmis à ses successeurs, ce qui doit lui être attribué d'une façon spé-
ciale dans le développement des sciences et de la métaphysique. Pac suite, il
sera également possible de montrer quelle influence il a exercée sur ses contem-
porains et sur ses successeurs, sur les philosophes et les artistes, les littérateurs
et les historiens, les orateurs et les jurisconsultes, les médecins, les savants et
les économistes. On pourra dire ce que deit Euripide à Socrate, ce que doivent à
Aristote, à Platon et surtout à.Plotin, les Pères de l'Eglise, les scolastiques et
les hommes de la Renaissance (eh. III et V); au stoïcisme, les jurisconsultes
romains aux philosophes du
; xvm e siècle, les hommes qui ont formulé les prin-
cipes de 1789 à Ka'nt, Schiller, Fichte, Schelling, Hegel et Schopenhauer.
;
II y aura lieu ensuite de faire un travail identique pour les divers repré-
rapports qu'ils ont eus les uns avec les autres. On comparera avec fruit les sys-
tèmes antè-socratiques ; ceux de Platon et d'Aristote de Pyrrhon, de Zénon et
;
Darwin et de Spencer.
{M La philosophie de Biran de Van IX à l'an XI, d'après les deux Mémoires sur
J'hali; h' \ découverts aux Archives de l'Institut (Ac. des se. m. et polit. 4889).
L HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE 21
Il est inutile d'ailleurs de dire que l'historien qui se sera imposé ces cher-
ches ne se croira pas obligé d'en donner tous les résultats à ses auditeurs ou à
ses lecteurs. Il pourra et devra même fort souvent mettre au premier plan l'édi-
fice reconstruit et ne laisser apercevoir que très discrètement les matériaux, qu'il
a utilisés, les études lentes mais sûres par lesquelles il a groupé les idées émises
dans chaque ouvrage suivant la valeur que leur attribuait le philosophe, ras-
semblé de même les idées exprimées dans tous les documents qui nous ont été
transmis, déterminé ce qui vient du passé et du présent et ce qui est laissé à
l'avenir, fait la part de chacun dans la constitution d'un système qui a été forni<\
comme le néo- platonisme ou le scepticisme ancien, par les travaux succes&ifs
d'un certain nombre de maîtres ou d'écrivains. Mais dans d'autres cas et plus
souvent peut-être, il fera hien de mettre en lumière les procédés par lesquels il
est arrivé à avoir, d'une école et d'un système, une connaissance^ très différente
de celle qui était acceptée avant lui. Il devra, pour le Stoïcisme, par exemple,
indiquer aussi nettement que possible quels textes ou quels fragments il a réunis
sur Zénon, quelle éducation avait reçue ce philosophe, dans quel milieu poli-
tique, social, religieux, scientifique et philosophique il s'était formé à Gittium et
à Athènes, pour se justifier d'avoir essayé de lui rendre sa physionomie propre,
dé reconstruire sa doctrine et de montrer ce que fut le stoïcisme à son origine.
Il agira de même avec Gléanthe, avec Chrysippe qui eut à fortifier le système,
attaqué par Arcésilas, et qui sembla avoir deviné les attaques plus redoutables
encore de Garnéade (1) ; avec Panétius et Posidonius, qui l'adaptèrent à un
milieu tout nouveau avec Sénèque; avec l'esclave Epictète et l'empereur Marc-
;
Aurèle. Il lui sera possible ensuite de montrer, s'il y a lieu, les ressemblances
qui existent entre les doctrines des divers Stoïciens et de décider, dans quelle
mesure exacte, on peut parler à leur sujet d'un système ou d'une école.
L'historien laissera dpnc d'abord irrésolues un certain nombre de questions
qu'on se pose avec raison, mais qu'on a coutume de trancher avant de commen-
cer l'exposition des doctrines. Il ne décidera pas d'abord s'il y a progrès ou
décadence dans te développement et l'apparition des systèmes, il n'essayera pas
d'en donner une classification systématique, il n'affirmera pas qu'il faut avoir
les yeux tournés vers l'avenir pour comprendre ia signification et l'importance
des anciennes doctrines. En un mot, il laissera en suspens tous les problèmes
que soulève l'étude des systèmes, mais il recueillera, dans l'immense enquête à
laquelle il se livre, toutes les données qui lui permettront un jour de répondre
affirmativement ou négativement s'il a le temps de la mener à bonne fin, ou,
qu'il transmettra à ceux qui entreprendront, après lui ou avec lui, de ne les
résoudre qu'après avoir recueilli et examiné tous les documents à propos des-
quels on est obligé de se les poser. Et les affirmations auxquelles on arrivera
ainsi ne pourront que gagner en exactitude sans perdre en profondeur.
ment d'après ce que nous avons dit déjà, pour qu'il soit nécessaire d'y insister.
1/historien de la Révolution de 1780 ne saurait comprendre ni les actes, ni les
écrits, ni les institutionsde cette époque, s'il ne connaît les philosophes du
xviii" siècle (1). De même l'étude du Stoïcisme sera très profitable à l'historien
de Rome au temps des empereurs. Le littérateur qui cherche à comprendre et à
expliquer Xénophon et Euripide, Gicéron et Sénèque, Schiller et Gœthe y réus-
sira d'autant mieux qu'il sera plus en état de les replacer comme penseurs dans
l'école à laquelle ils se rattachent. L'historien de l'art ne saurait se dispenser
d'étudier la philosophie grecque l'historien des religions s'exposerait à en
;
fort bien fait, que l'étude des systèmes est nécessaire à celui qui tente de résou-
dre les questions que soulèvent la philosophie des sciences et la métaphysique,
s'il ne veut pas s'exposer à perdre son temps et sa peine, en risquant de don-
ner comme nouvelles des doctrines anciennes, dont les lacunes ou les erreurs
ont été depuis longtemps signalées. Ajoutons néanmoins que seule peut rendre
ce service une histoire essentiellement impartiale et explicativé, qui s'efforce
toujours de faire la part des connaissances positives et des conceptions méta-
physiques.
Ainsi l'historien de la philosophie, profitant des résultats auxquels condui-
sent l'histoire des sociétés, des religions, des lettres, des arts, des sciences, des
institutions et des langues, la psychologie, la philologie, l'anthropologie et
l'ethnographie, rendra à chacun de ceux auxquels il aura fait des emprunts,
des services analogues à ceux qu'il en aura reçus. Il réalisera, autant qu'il est
en lui, cette union si désirable entre tous ceux qui se proposent d'étendre le
domaine de la connaissance humaine et si nécessaire pour les progrès de cha-
que science particulière, comme de la philosophie des sciences et de la méta-
physique elle-même. Le temps n'est plus sans doute où le même homme pou-
vait aborder, comme Aristote et Descartes, presque tous les sujets que se propose
d'examiner l'intelligence humaine chacun doit se consacrer tout entier à un
:
LA CIVILISATION MÉDIÉVALE
On est à peu près cPaccord pour définir et caractériser les civilisations anti-
ques et la civilisation moderne (1).
Les recherches scientifiques et philosophiques ont pris une place telle dans nos
sociétés qu'elles y sont et qu'elles tendent 1) y devenir de plus en plus l'élément
caractéristique et essentiel. Elles fournissent à des hommes, dont le nombre
grandit de jour en jour, l'idéal, qu'on demandait autrefois aux religions; de la
vie individuelle ou sociale. Elles ont amené chez les peuples les plus fidèles aux
croyances du passé, des modifications capitales dans l'agriculture, l'industrie et
le commerce, qui -leur doivent des produits et des engrais, des machines, des
moyens de communication, de transport et d'action dont le nombre et la puis-
sance augmentent sans cesse. Parles applications de la vapeur et de l'électricité,
pp les perfectionnements des armes de toute espèce, elles ont changé l'existence
des individus et d«s peuples. Elles ont donné naissance à une littérature, enrichi
latechnique artistique et elles créeront peut-être, par l'emploi du fer et des
métaux, un art tout nouveau. La civilisation moderne, avant tout scientifique et
philosophique, tend à devenir uniforme, en ses grandes lignes, dans les diverses
parties du monde où elle s'implante et s'étend. Par cela même, elle tend à deve-
nir vraiment universelle (1, 1).
Infiniment plus variée dans ses divers centres nous apparaît la civilisation
antique. Laissons la Grèce à part. Aux grandes époques de son histoire, elle
poursuit nartoiit la vérité et la beauté ; elle travaille à faire de l'homme un être
complet o achevé à tirer de la connaissance du monde physique et moral, les
;
(1) Victor Sgger, Lu Science ancienne et la science Moderne (Hev. int. de l'Ensei-
gnement, XX, pp. 129-160, 277-294).
(2) Voir Alfrë» et Maurice Çroiset, Histowe de la littérature grecque, Paris, Fon-
teinoing {Eibliçgraphie générale).
LA CIVILISATION MÉDIÉVALE 25
Mais dans tous les pays de l'Orient (1), dans îa Grèce pnrriitive à Rome, les
et
religions apparaissent comme l'élément prépondérant. Propres à un peuple ou
même à une cité, elles diffèrent, par les dieux dont elles recommandent le culte,
^par les pratiques qu'elles imposent, par l'éducation qu'elles déterminent et par
les institutions qu'elles établissent. Eiles divisent les peuples autant qu'elles
relient les individus, car les dieux épousent les querelles et les rancunes, les
haines et adorateurs Elles inspirent les artistes, comme en
les inimitiés de, leurs
Egypte les poètes et même des créateurs de philosophies religieuses, comme
;
âgé (2) et par* conséquent les philosophies qu'on a coutume d'y rattacher. Pen-
dant longtemps, on a considéré le moyen âge comme une « époque de barba-
rie », pour la traversée de laquelle il fallait prendre des bottes de sept lieues ;
•de France depuis lès origines jusqu'à la Révolution, publiée avec la collaboration de
MM. Bayet;' Bloch, Carré, Goville, Keinclausz, Langlois, Lemonnier, Luchaire, Mariéjol,
Petit-Dutatllis, Rebelliau, Sagnac, Vida] de la Blache (Paris, Hachette) Bibliothèque de ;
l'Ecole des Chartes; Bibliothèqu,e de t Ecole pratique des Hautes Etudes (4 e section) ;
Moyen Age (dirigé aujourd'hui par Maurice Prou); la Revue historique, dirigée par
M. Gabriel Monod, qui lait une large placé aux études sur le Moyen Age; Histoire de la
littérature française, publiée sous la direction de M. Petit de Julieville, Paris, Colîin ;
les travaux de MM. Gaston Paris, Pjnil Meyer,, Violîet, Glasson, Gebhart, etc.
(3) Voir surtout Lavisse et Rambai/d, Histoire générale et, u.uis Y Histoire de France,
publiée sous la direction de M. Lavisse, les volumes dp MM. Bloch; Bayet, Ppister et
Kleinclausz; Luchaire; Langlois, Coville. —
G. Henry Lewes, A biographical history
of philosophy, 4e édition, Londres, 2 vol.. 487! Hauréau, Histoire de la scolas tique
,
/
26 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE* MÉDIÉVALES
l'authenticité des textes, pour les constituer ensuite dans toute leur pureté litté-
rale et en extraire le sens exact et précis, auquel on présente des écrivains dont
Iç plus grand souci est de rassembler des textes, même apocryphes, pour en
donner une interprétation allégorique qui, plus d'une fois, ne conserve absolu-
ment rien du sens littéral supposez enfin un penseur ou un philosophe, prenant
:
tous, par comparaison avec ce qu'ils font eux-mêmes, proclameront que le moyen
âge, au point de vue spéculatif comme au point de vue pratique, est une période
où l'ignorance, où une erreur pire encore que l'ignorance dominent et voisinent
avec la barbarie.
Les mêmes conclusions, en ce qui concerne l'Occident médiéval, assortiraient,
d'une façon plus ou moins explicite, de la lecture des apologistes je ne dis —
pas des historiens —
de la Réforme ou de la Révolution française. Les uns.
revenant aux Evangiles et à leur interprétation directe, combattent et condam-
nent tout ou à peu près tout ce qui s'est fait sur le terrain théologique et moral,
du iv e au xv e siècle. Les autres, én présence des partisans actuels du thomisme,
qui, depuis plus de vingt ans, travaillent, comme nous le verrons (1), à recons-
tituer l'ensemble des institutions et des pratiques qui étaient en accord avec la
théologie et la philosophie du xm siècle, pour les opposer et les substituer à
e
(1) Voir le chapitre IX, Néo-thomisme et Néo scolaslique ; le ch. X, Les historiens
de la scolastique
LA CIVILISATION MÉDIÉVALE 27
naître que le moyen âge, puisse, par quelque côté que ce soit, offrir une civilisa-
tion comparable à celles de l'antiquité ou des temps modernes.
Ainsi les invasions des Barbares, des faits empruntés à la vie sociale, dans
tous les siècles et chez toutes les classes, l'état des sciences, de l'histoire propre-
ment dite, et même de la pensée la lutte prolongée, parfois dramatique, toujours
;
lif réeà l'ignorance (1) l'Afrique a perdu toute activité intellectuelle; l'Espagne
;
mération exacte soit difficile, qu'il y en eut alors plus qu'il n'en reste de nos
jours. Mais plutôt, il se refuserait à des comparaisons qui sont toujours diffici-
les, quand il s'agit de choses aussi dissemblables qui sont impossibles, quand,
;
elles portent sur des périodes aussi longues et aussi mal connues, en raison
même de la complexité presque infinie des faits qui ne prouvent rien enfin,
1
barie.
D'abord justice a été rendue à Byzance (2). Non seulement elle n'a cessjê d'avoir
des artistes et des jurisconsultes, des poètes et des historiens, des savants et
philosophes, mais encore elle a instruit les Syriens et, par eux, les Arabes. Aux.
Bulgares et aux Slaves, qui avaient youlu la détruire, elle a donné la civilisar
tion dont ils lui ont gardé un souvenir fidèle et reconnaissant. Directement et
par les Arabes, elle a agi sur les chrétiens occidentaux (III, 6 à 10 ? IV, 7 ;
VI et VII).
En Occident, il restait des manuscrits; quelques moines Savaient encore ljre
(1) Au commencement du vie siècle nous entrons dans cette période où, comme le
dit Grégoire de Tours, se déchaîne la barbarie. Bayet, Pfister et Kleinclausz, ouvrage
H, 4, ch. IV, p. 115.
cité.
Voir surtout Krumbacher, Gesch. der byzani. Litteratur, 2 le Auflage, 1897, et la
(2)
Revue qu'il publie à Munich, Byzantin. Zeitschrift ; Diehl, Justinien, Paris, Leroux;
Louis Léger, Russes et Slaves ; Le monde slave (lreet2 6 séries), Paris, Hachette.
(Bibliographie dans Lavisse et Rambaud, ffistowe générale ; dans Ueberweg-Heinze, li
8
,
'
p. 214). %
'
28 HISTOIRE COMPARÉE MiS »>H1L0S0PH1ES MÉDIÉVALES
suivis par Gerbert et Fulbert, puis par Bérenger, Lanfranc, Hildebert et saint
7
Anselme. Rosceltn et Guillaume de Champeaux, Àbélard et saint Bernard, Hugues
de Saint- Victor, Jean de Salisbury et bien d'autres, dont on ne saurait contester
l'intelligence et les connaissances, nous conduiront à saint Louis, qui se fît de la
justice une idée si haute, à Roger Bacon, Albert le Grand et saint Thomas, qui
ne manqueront ni de successeurs, ni de continuateurs (III, 7, 8, 9, 10 IV, 3, 8; ;
VI et VU).
A partir du vin* siècle, les Arabes, ou les peuples soumis à leur domination,
enrichis par le commerce, ^'industrie, l'agriculture, établissent des écoles, ont
des poètes et des historiens, des médecins, des philosophes et des astronomes,
des architectes, des alchimistes et des musiciens, (III, 8 Vlï). ;
Et auprès des Arabes, auprès df^ Occidentaux, lès Juifs étendent le domaine
du savoir et portent, des uns aux autres, les acquisitions nouvelles (IIJ, 8, 9 ;
,
V et VII).
MM. Monod, Levasseur et Himly dans l'a séance de l'Académie 6*es sciences
morales et politiques où nous avons, pour la première fois, exposé ces idées (1),
chacun d'eux tient une telle place dans l'histoire générale qu'il l'éclairé et la
présente sous un jour tout nouveau. Toutefois il nous semble, après un exa-
men approfondi, que la caractéristique véritable, c'est, pour les Arabes ét les
Juifs, comme pour les chrétiens grecs et latins, la religion et surtout la
théologie.
Les Juifs suivent les traditions de leur race depuis son entrée en Palestine ;
mais ils construisent, à l'exemple des Arabes et des Chrétiens, une théologie «t
une philosophie (ch. III, IV et VII) (2).
Les chrétiens, grecs ou latins, constituent une hiérarchie (3) qui, exposée par
ont été complétées et modifiées en plus d'un point. Voir Compte» rendus de
(1) Elles
l'Ac. des se. m. et poL, 1900, et Entre Camarades, Paris, Aican, 1900.
(2) Sur les Juifs, consulter S. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, Paris,
1859, et ses articles dans le Dictionnaire philosophique de Franck Ueberw«g-Heinze, IH.
;
armée immense et où chacun a sa place les purs esprits, les hommes d'aujour-
d'hui et ceux d'autrefois.
D'abord la hiérarchie céleste. Dieu, un et triple, Père. Fils et Saint-Esprit les ;
neuf chœurs des anges, esprits créés qui n'ont jamais été unis à des corps, qui
vivent en présence de Dieu, exécutent ses ordres et transmettent ses volontés.
Aux anges demeurés fidèles s'opposent les démons, dont l'action s'exerce sur le
monde matériel et sur les hommes, dans des limites fixées par Dieu, mais avec
une grande puissance. Nombreux sont, pendant tout Se moyen âge, les traités
d'angéologie et de démooologie qui énu nièrent les noms, les fonctions et le pou-
voir des chefs et des soldats de l'armée divine, comme de leurs adversaires.
Derrière ces deux, armées, antérieures à l'apparition de l'homme, se rangent les
morts qui ont été les fidèles serviteurs de Dieu ou ceux qui ont été conquis- par
les démons et se sont donnés à eux. D'un côté, la Vierge, les Apôtres et leurs
disciples immédiats, les Patriarches et les prophètes, les martyrs, les Pères,
1
les Docteurs, les saints et les saintes dont le nombre grandit mu$ cesse, à tei
point que chaque paroisse aura le sien et qu'on sera obligé, non seulement
d'en- invoquer plusieurs le même jour, mais encore d'instituer la Toussaint
pour se rappeler au souvenir des 'oubliés. De l'autre, la plupart -des hommes
antérieurs au christianisme —
on inclinera même parfois à y joindre tous ceux
qui n'ont pas connnu et pratiqué la loi mosaïque —
les chrétiens qui n'ont pas
su bénéficier de la mort du Christ, les hérétiques, les schématiques, les infi-
dèles, etc. Les saints se mêlent aux anges la Vierge, saint Pierre, saint Jean,
:
bien d'autres siègent plus près de Dieu que les Chérubins et les Séraphins. De
même, les damnés occupent parfois parmi les démons une place qui augmente
leurs souffrances, mais aussi leur pouvoir.
Sur terre, et parmi les vivants, hiérarchies analogues la hiérarchie ecclé-
:
régulier, abbés, prieurs et tous ceux qui les aident dans le gouvernement des
moines. A côté, Sa hiérarchie laïque avec l'empereur ou le roi. au-dessous des-
quels se trouvent les nobles s'étageànt en des fonctions multiples, qui compor-
tent, à Byzance ou dans les féodalités d'Occident, presque autant de dignitaires
que la hiérarchie céleste. Au-dessous encore, les bourgeois, les artisans et les
commerçants, les vilains et les serfs, avec de? divisions qui deviendront de
plus en plus nombreuses.
Dieu gouverne le monde. M agit, en certains cas, d'après des lois ; mais il les
modifie, de son plein gré ou sur les prières des anges, des saints ou des hommes.
Le miracle intervient chaque instant pour produire importantes mani-
les plus
festations de la * ie naturelle et civile. C'est au nom
par une sorte de
de Dieu et
délégation que tous ceux qui sont chargés d'une fonction exercent leur pouvoir.
Ils ont pour auxiliaires les anges, les saints et Dieu lui-même leurs devoirs :
sont tracés par les livres sacrés et leurs commentaires, quelquefois ils leur sont
dictés directement par Dieu ou ses envoyé». Ceux dont le rôle *ni plus spéciale-
ment d'obéir ont, séculiers ou rf guliers, des règles spéciales qui fixent, jour
par joi»r, heure par heure,, l'emploi d'un temps qui doit être tout entier consa-
cré à Dieu. ont des supérieurs, chargés d'en assurer l'exécution et de sup-
Ils
pléer, par leurs propres lumières, aux lacunes qu'elles pourraient présenter. Les
anges, les saints, leurs anciens compagnons apparaissent parfois pour les éclai-
rer, les guider et les aider dans la lutte contre les démons, pour les fortifier et
les réconforter. Et l'obéissance est fructueuse, car elle assure le salut, même
une place privilégiée dans le royaume des cieux. Autant il est aisé aux humbles
et aux pauvres d'être au nombre des élus, autant cela est difficile aux riches et
aux puissants. Aussi abandon'ne-t-on souvent richesses et dignités, pour deman-
der à la pauvreté et à l'obéissance volontaires les moyens d'être plus près de
Dieu pendant l'éternité.
Les laïques vaquent aux œuvres purement humaines, en attendant que Dieu
mette fin au monde actuel ils labourent et sèment, ils m'oissonnent et vendan-
;
gent, ils combattent les hérétiques et les infidèles, ils exécutent les jugements
de l'Eglise ou jugent ceux qu'elle ne réclame pas pour ses tribunaux. Mais ils
savent que « travailler, c'est prier », que juger et combattre les ennemis de
Dieu, c'est faire une œuvre agréable à Dieu, avantageuse pour soi. Les com-
mandements de Dieu et de l'Eglise, les sermons des dimanches et des jours de
fête leur apprennent, comme les décorations des églises et comme les mystères,
qu'ils doivent faire pour être sauvés. Les cloches les invitent, le jour et la
'fruit, à se'WeOmmander à Dieu par la prière avant de commencer les tr avaux et
les repas, avant de se livrer au repos. Par' l'Eglise,. Dieu dirige la vie des indi-
vidus et des peuples les sacrenfents, baptême, pénitence, eucharistie, confir-
:
Si, au moyen âge, Juifs, Byzantins. Arabes et Occidentaux règlent leur vie,
e >mme bon nombre de nations antiques et plus strictement encore, par des pres-
vent réimprimé; L« visse et. Rambauo, Histoire générale, et la bibliographie des ch. III
et VII.
.
hérétique à l'usage des Arabes (1). Monothéistes, les trois religions admettent la
Création telle qu'elle est racontée par la Genèse elles croient que Dieu veille-
;
son héritage.
Ces ressemblances ont leurs conséquences dans la vie des croyants. De ce
qu'ils ont la vérité, ils se croient obligés à la répandre et à la faire triompher;
de ce qu'ils ont vu l'unité politique réalisée dans l'empire romain, ils tentent
de la rétablir, en constituant l'unité religieuse dont elle découlerait nécessaire-
ment. S'ils sont forts, ils prennent les armes contre les hérétiques, les schisma-
tiqùes, les infidèles. Byzance est ensanglantée jusqu'à son dernier jour par 'des
querelles théoîogiques, dans lesquelles chacun prétend défendre l'orthodoxie.
« Il me déplaît, dit Clovis en parlant des Wisigoths, que ces Ariens possèdent
la meilleure partie des Gaules marchons avec l'aide de Dieu, et après les avoir
;
8
(i) Ueberweg-Heinze, II
, p. 2°25. « Als den Ëntstehungsgrund des Mohammedanismus
. bei den Arabem bezcictmet S prenne r in seinem Werke « Das Lehen und die Lehre des
Mohammed » das Bedurfniss zu einenvoffenbarûngsglâubigen Monotheismus von univer-
saiistischen Gharakler zu gelangen,..'
dem Kircb lichen Christenthum gegenùber kann
.
der Mohammedanismus als die spâte, aber uni se energischere Reaction des seit dem Conciî
von Nicàa mehr noch gewaîtsam unterdrûckteri als geistig ûberwundenen. Subordinatio-
ns mus betrachtet werden »
\
lui lé cœur pur et faisait ce qui était agréable à ses yeux. Il m'appartient, dit à
son tour Charlemagne, de défendre la sainte église du Christ au dehors contre
les infidèles et de-la fortifier au dedans en faisant connaître la vraie foi. » Après
des guerres Sanglantes, il force les Saxons et leurs chefs à se fatre baptiser, il
-établit dans le^ys des évêques et des moines qu'il dote richement et décrète la
peine de mort contre tout Saxon qui adorerait ses anciens dieux ou qui néglige-
rait d o&server les jeûnes prescrits par l'Eglise. A son tour, l'Allemagne envoie
des missionnaires qui évangélisent les Scandinaves, des guerriers qui extermi-
nent les païens slaves Les croisades sont entreprises au cri de « Dieu le veut », !
pour rendre aux chrétiens le pays où vécut et mourut le Christ. Mais l'une
d'elles a pour résultat la conquéte de l'empire grec, chrétien et schismatique.
Une autre est dirigée contre les Albigeois hérétiques le comte Raymond est
;
C'est pour faire triompher le Coran que les Arabes entreprennent leurs con-
quêtes: % Combattez les incrédules, dit Mahomet, jusqu'à ce que toute résistance
cesse et que la religion de Dieu soit la seule. La guerre contre -\ les infidèles est
une guerre sainte, Dieu est avec les combattants et ceux qui tombent dans la
bataille vont droit au paradis ». Aux peuples contre lesqifels ils marchent, les
khalifes offrent \le choix entre le Coran, qui les rendra les égaux des Musulmans,
le tribut qui en fera des sujets, l'épée qui les exterminera..
D'ailleurs, l'essentiel pour tous, c'est de répandre la vérité, et de s'opposer à
la propagation de l'erreur. Si l'on y arrive par la persuasion, par la prédication,
il sera inutile de recourir à la force. Les Arabes placent au nombre des vieux
croyants ceux qui acceptent leur foi religieuse. Les chrétiens grecs et latins
envoient des missiï>an«ires chez les peuples païens et luttent parfois à qui
obtiendra le plus de conversion?. Les Juifs font des prosélytes ; dans la seconde'
moidié du vm e siècle, le roi des tfvhozars ou Khazares et une grande partie de
son peuple se convertissent au judaïsme (1).
Mais des faud que tous exposent leurs de^nnes et les discutent avec
[ors, i!
ScolastiqTîes, bon nombre de textes qui témoignent que des Juifs tentent de convertir des
chrétiens et y réussissent.
.
LA CIVILISATION MÉDIÉVALE 33
mente, on interprète les textes sacrés et, pour en montrer la valeur spéciale ou
générale,, on est amené à recourir aux sciences, à la dialectique, à la. philoso-
phie. Et l'on se trouve heureux d'utiliser les travaux si complets des Latins et
surtout des Grecs.
Byzance conserva, augmenta l'héritage antique. En théologie, elle continua
les Pères grefcs, par des discussions où la subtilité l'emporte souvent sur la pro-
fondeur. Les publications de ses jurisconsultes sont demeurées célèbres, comme
celles de ses mathématiciens, de ses grammairiens, de ses historiens, de ses
compilateurs et de ses alchimistes. Qu'il nous suffise de rappeler Jean Philo-
pon (1) le commentateur chrétien d'Aristote. « treizième apôtre », qu'il modifie
là où il contredit les principes du christianisme Jean Damascène, dont la n'u^
;
patriarche Photius, dont le Myriobiblion témoigne d'un esprit aussi hardi que
versé dans l'étude de l'antiquité grecque et du christianisme (Ut, 6, 7, 8; IV, 7,
8, 9 et Ch. V). 11 ne semble pas que Byzance ait eu des philosophes pour les-
quels la théologie ne soit pas la science maîtresse.
Il en fut tout autrement pour les Juifs, les Arabes et les chrétiens occiden-
taux, chez lesquels on débute par les livres saints et où presque toutes les posi-
tions diverses que peut occuper la philosophie par rapport à la religion révé-
lée ont été prises ensuit? •sans que la majorité ait d'ailleurs renoncé à ses
croyances
Sans doute on peut décider qu'on ne recourra ni à la raison, ni à la philoso-
phie qu'on se bornera à reproduire les affirmations de la Bible, de l'Evangile
;
ou du Coran. Mais des questions se posent qui ne figurent pas dans les livres
saints il faut que les textes ou une autorité constituée y fournissent des répon-
:
sans rien emprunter aux religions ni aux théologie Et par là, la civilisation
.
nouvelle, la figure de la gloire future moral si, des actes relatés par la Loi
;
ancienne et nouvelle, il tire des règles de conduite. Ainsi les ïïvres saints diront
ce qui a été depuis origine du monde et ce qui a préparé l'avènement du chris-
l
tianisme, ce qui/sera dans la vie future et ce que nous devons faire dans la vie
actuelle.
Mais les. interprétations qui, chez les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs,
tendent à écarter de Dieu toute qualité indigne de sa divinité, suppriment par-
fois le sens littéral et historique, ou en tirent les affirmations les plus diverses,
les plus hérétiques comme les plus orthodoxes, de sorte que l'autorité, appelée à
prononcer entre elles, n'a plus, à moins d'invoquer l'inspiration et le prophé-
tisme, qu'à se servir de la raison, à rattacher, par un enchaînement syllogistique
et nécessaire, la conclusion, qui servira de réponse,^ des prémisses d'un sens
incontesté, puisées dans les livres saints (III, 10, VIII).
D'ailleurs, nul ne pouvait nier que la grammaire fût nécessaire pour l'intelli-
gence et l'interprétation des livres saints. Quand les khalifes bfûlent en Espagne
lés traités de philosophie, d'astronomie et de sciences, ils conservent ceux
de grammaire, avec ceux de théologie et de médecine. Et la grammaire, chez
Isidore de Séville, chez AJcuih et d'autres,, comprend l'histoire avec la géogra-
phie, la fable, une partie dé la logique elle devient ainsi la science uni-
:
verselle! Isidore de Séville et Àlcuin (VI, 1, 2), fort suivis au moyen âge, éta-
blissent un parallélisme entre la philosophie et ses trois parties, physiqife,
logique, morale, et les Eloquia divina, où la Genèse et l'Ecclésiaste traitent
de la nature; le Cantique des Cantiques et l'Evangile, de logique et de théo-
logie les Proverbes, de morale. Comment le comprendre, si l'on n'étudie les
;
Alcuin, dont l'enseignement est bien théologiqus (1), fait-il un éloge enthousiaste
des arts libéraux. H insiste sur la dialectique qui a servi à confondre Arius, dont
les partisans avaient été si nombreux dans l'Orient et l'Occident. Entre le philo-
sophe, maître des sept arts, dit-il encore, et le chrétien, il n'y a d'autre différence
que la foi et le baptême. La philosophie est donc une préparation évangéhque,
elle est plus qu'une servante de la théologie. Et Charlemagne, convaincu par
Alcuin, recommandera « l'instruction, qui permet de pénétrer plus facilement et
plus sûrement les mystères des Saintes Ecritures » (IV, 2 et VI, 4,2).
Dès lors, il y aura bien, dans l'Occident latin, des mystiques — dont ne sera
pas Hugues de Saint- Victor, l'un des plus éminents d'entre eux —qui répudie-
ront raison et dialectique, science et philosophie il y aura des interprétations
;
on l'affirmera plus tard, que la raison peut à elle seule répondre aux questions
résolues par la foi (ch. VIII). Les alchimistes conçoivent leurs expériences de
telle façon que s'il y eût eu un développement régulier de leurs recherches au
xiv e siècle, la chimie eût été créée trois siècles plus tôt (ch. VIII). Roger Bacon,
tout en conservant la théologie au premier plan, insiste sans cesse sur la néces-
sité d'étudier les langues et les sciences :sans elles la connaissance de la reli-
gion, la constitution de la théologie sont absolument imparfaites. Ramond Lulle
(4) Qu'on instruise d'abord l'homme de l'immortalité de l'âme, de la vie future, delà
rétribution des bons et des méchants et de l'éternité de leur destinée : pins qu'on lui .
dise pour quels crimes et péchés il aura à souffrir auprès du diabfe des peines, femelles,
et pour quelles bonnes actions il jouira avec le Christ, d'une gloire éternelle: enfin
qu'on lui inculque avec soin la toi dans la sainte Trinité et qu'on lui explique la venue
en ce monde du Fil- de Dieu, N.-S.-J.-C. ,
pour le salut du «enre humain. Ed. t'rœben,
ép. 28.
36 HISTOIRE COMPARÉ!: DES l'HILOSOPHIES MÉDIÉVALES
résultats obtenus par un religieux qui médite sur le Coran Averroès, pour qui
;
le but le plus élevé est la philosophie, vraie religion que la révélation ne supplée
qu'auprès du vulgaire, sont tous des savants et des penseurs partisans de la
raison, de l'expérience, de îa métaphysique péripatéticienne, et néo-platoni-
!
1rs esprits cultivés sinon sur la foule, on peut hardiment se confier. L'évolution
se continuera dans les siècles suivants (ch. VIII).
raison des emprunts faits par eux aux chrétiens, aux néo-platoniciens et aux »
Juifs.
Pour au temps de Philon (ch. III, 1) qu'ils sont définitivement
les Juifs, c'est
'en contact avec le monde
grec; c'est en s'opposant aux chrétiens qu'ils délimi-
tent plus exactement leur foi, leurs croyances et' leurs espérances. C'est donc
l'examen du monde chrétien qui nous permettra.de résoudre la question.
D'abord il semble étrange/de chercher une distinction profonde dans l'empire
byzantin entre les années qui précèdent et celles qui suivent 395 pu 476. Si l'on
considère le christianisme, il faut, pour avoir un point de départ ferme, remonter
d'abord au Concile de Nicée, en 325, qui décide ce que l'on doit croire; puis à
l'édit de Milan, qui en fait la religion de l'empire; enfin de proche en proche,
pour la constitution de la doctrine, jusqu'à l'avènement du Christ. Mais cela
même ne suffît pas. Sans doute saint Augustin, baptisé en 387, prêtre en 391,
évêque d'Hippone en 395, n'est plus laissé en dehors du moyen âge dont il a été
l'un des maîtres les plus vénérés et les plus écoutés mais on ne saurait le com-
;
(1) Renan, dans les Origines du Christianisme, fait finir le monde antique avec Marc-
Aurèle (Voir ce qui est dit du Stoïcisme, III, 3).
LA CIVILISATION MÉDIÉVALK 39
({) Voir Bouillet, Les Ennèaaes de Plotin, Paris, Hachette Grandgeorge, Saint
;
Augustin et le Néo-platonisme (Bibl. de l'Ecole des Hautes Etudes, section des sciences
religieuses).
(2) M. de Wulf (Rev. nëo-scolastique, mai 1902, p. 263), écrit « Si le raisonnement
:
de M. Picavet était pertinent, le moyen âge commencerait pour le moins avec Aristote et
Platon, car personne ne peut rivaliser d'influence avec ces deux philosophes ». Il est plus
que contestable que Platon et Aristote (voir ch. V) aient agi autant que Plotin et ses disci-
ples sur la théologie et la philosophie médiévales il l'est plus encore que leurs
; doctrines
s'y relient directement et par leur essence même. On pourrait nous dire que Plotin a fait
la synthèse d'éléments platoniciens, péripatéticiens, stoïciens, dans sa théorie des trois
hypostases, et que, dès lors, il est possible et légitime de le faire rentrer dans la philoso-
phie antique. Nous n'en disconviendrons .pas et nous rappellerons qu'une civilisation ne
se substitue pas du jour au lendemain à une autre civilisation. Il nous suffit que, par sa
préoccupation du divin et de tout ce qui nous en rapproche, le néo-platonisme soit
m'en plus en accord avec la pensée médiévale qu'avec la* pensée grecque, prise dans ce
qu'elle a de plus caractéristique. Voir sur l'influence du néo-platonisme, le chapitre IÎI,
le ch. IV. surtout le ch. V dans son entier, la seconde partie du ch. VI et le ch. VU.
(3) « L'Enéide, écrit Pichon (Litt. Latine, pp. 353-358), est un poème religieux, même
liturgique». « presque chrétien par le cœur ». Voir Co?nparetti, op. cit.
.
« Il y a là six odes (au début du livre 111 des Odes d'Horace), qui sont comme un com-
mentaire des lois morales, religieuses et sociales d'Auguste » {Pic/ion, p. 369).
40 HISTMltr. COMPARÉE DES PHILOSOPHIKS MÉDIÉVALES
trent aussi, par leurs œuvres authentiques et \)ïir celles qu'on leur prête, dans
la période théolôgique et médiévale. Tel est Sénèque : ses Questions, naturelles
dénotent un grand amour et une intelligence pénétrantedes choses scientifiques,
mais ses œuvres ont été comparées avec autant de finesse que de justesse, à cel-
les des directeurs de conscience du xvn8 siècle sa correspondance supposée
;
avec S. Paul fut tenue pour authentique aussi longtemps que son christianisme
fut incontesté.
Ainsi tout en accordant que la philosophie antique continuera être >bien
vivante, c'est avéc la fin du premier siècle avant l'ère chrétienne que nous pla-
cerons les débuts, indispensables à connaître, de* la civilisation essentiellement
théologique du moyen âge (1).
Convient-il d'en mettre la fin au xvi siècle, avec la prise de Constantinople
et l'invention de l'imprimerie, avec la découverte de l'Amérique, avec la Renais-
sance et la Réforme ? La prise de Constantinople fait arriver en Occident et sur-
tout en Italie des manuscrits et des hellénistes c'est une des causes de la
;
religieuses n'ont été plus âpres et n'ont plus profondément remué,., agité, soulevé
et enflammé les individus et les peuples. Que l'on considère les grandes réfor-
mations, celles de Luther, de Zwingle et de Calvin, celles dont l'Angleterre et la
Hollande furent le théâtre, on verra que partout et toujours ce dont on discute,
ce sur quoi on se bat, c'est sur la manière de concevoir Dieu et d'opérer son
salut mais qu'on reste d'accord sur la nécessité absolue d'être chrétien et de
;
faire son salut. Si l'on porte ses regards sur le catholicisme, dans lequel certai-
nes réformes s'introduisent, on verra de même qu'elles ont pour but et pour
résultat de rendre les croyances plus intenses et plus actives. Les jésuites se
représentent le monde comme dèux arnlèes en bataille, d'un côté celle de Dieu,
de l'autre celle de Satan. Ils construisent un système d'éducation qui doit former
le parfait chrétien. L'Université de Paris les suit sur ce terrain, comme les réfor-
més, avec xMélanchthpn et Calvin les y avaient précédés.
(1) Voir les ch. III, V, X « L'Introduction et les progrès du christianisme, l'arrivée
et l'établissement des Barbares, ouvrent pour la Gaule une période nouvelle. Alors
commencent les temps que nous appeldns lè moyen âge ». Bayet, op. cit., p. 1, cf. p. 3
et suivantes.
(2) En particulier, ils reproduisent sâns cesse les œuvres de Pierre le Lombard et celles
de saint Thomas, devenu, après le concile de Trente, le docteur le plus écouté et le plus
autorisé du monde catholique.
LA CIVILISATION MÉDIÉVALE 41
les effets, à ruiner les hypothèses gratuites, à édifier solidement celles qui pré-
paient des découvertes nouvelles et étendent notre connaissance et notre pouvoir.
Bacon proclame l'évangile des temps nouveaux Descartes jette les fondements
;
Ainsi seize siècles forment cette période de civilisation théologique, qui com-
porte formation et accroissement, qui atteint son complet épanouissement dans
l'Occident, où s'est synthétisé un moment ce qu'elle a donné de plus original en
tout pays. Elle a eu son déclin. Elle se continue dans Ie5 pays musulmans ; elle
coexiste encore, dans les pays catholiques et protestants, avec la civilisation
scientifique et philosophique, à laquelle elle tente de s'adapter, en lui faisant
chaque jour des emprunts, sans qu'on puisse dire qu'elle doive lui céder définiti-
vement la place, car il ne semble, pas que. l'unité, pour des raisons multiples,
dont la plupart tiennent à la nature humaine, infiniment diversifiée et variée,
puisse se faire par les sciences et la philosophie, plutôt qu'elle ne s'est faite et
maintenue par les religions.
CHAPITRE III
chées à des religions dont le but commun est d'unir l'homme à Dieu, elles pui-
sent leurs données positives et leurs méthodes à une même source, 'les sciences
philosophies helléniques, parfois adaptées aux tendances romaines. A pre-
et les
mière vue elles forment ainsi un mélange d'idées théologiques, philosophiques
et scientifiques.
Une revue rapide des principaux philosophes, dont quelques-uns relèvent plus
peut-être des religions et des théologies, nous permettra une détermination plus
exacte et nous signalera les essais successifs, analogues à ceux dont parlent les
naturalistes pour la production d'espèces durables, par lesquels se sont élevés
les systèmes destinés à vivre et à se transformer encore dans les époques ulté-
rieures.
La philosophie .théologique du moyen âge commence au i
er siècle avec
saint Paul, chez les chrétiens; avec Philon chez les Juifs avec les néopytha-
;
goriciens dont le plus marquant est Apollonius de Tyane sous Néron, avec les
platoniciens éclectiques et py-thagorisants, comme Plutarque de Chéronée et
Apulée de Madaure, avec les stoïciens Sénèque et Epictète, dans le monde helléni-
que et romain.
e
Une première division nous conduit au vin siècle, au temps de Chârlemagne
et d'Haroun-al-Raschid une seconde, de la renaissance philosophique du
;
e
viii siècle au xvu où commencent les temps modernes.
e
Uonstantinople est prise par les Croisés), par la chute de Constantinople. en 1453.
L'histoire comparée des philosophies théologiques et médiévales se termine
avec l'Edit de Nantes et le traité de Vervins, en 1598, qui concordent à peu
.
Du i
er au concile de Nicée, il y a d'abord une philosophie judéo-alexan-
siècle
drine. Commencée parAristobule au 11 e siècle avant J.-C., par la Lettre à Pkilo-
crate du Pseudo-Aristée, le second livre des Macchabées, peut-être par le livre de
la Sagesse, continuée par les Esséens et les Thérapeutes, elle se résume dans
Philon, qui vit de 30 ou 20 ayant J.-C. à 40 après J.-C. Mélangeant le stoï-
cisme et le platonisme au judaïsme dans sa philosophie et surtout dans sa ^héo-
sophie, il use constamment de l'interprétation allégorique pour l'explication des.
livres saints. Aux principes, d^ contradiction et de causalité, il substitue le prin-
cipe de perfection comme règle directrice et normative de la pensée Dieu, par :
ses puissances, est dans îa.'tejrre et dans l'eau, dans le ciel et dans l'air par son ;
essence, il n'est nulle part, ayant donné l'espace et le lieu à tout ce qui est cor-
porel ; il est dans un intermonde, comme dans un château saint et royal il est ;
le lieu du m onde ^ étant ce qui contient et entoure toutes choses. Pour créer,
Dieu se sert des puissances incorporelles, des idées qui sont, créatrice et Dieu,
royale et maîtresse, providence, législatrice, etc. La plus haute, c'est le Verbe,
làyoj;, en qui est le lieu du monde des idées, comme le plan d'une ville est dans
(1) Les Essais de morale et de politique sont de 1597'; là première édition, en anglais,
du de dignitate et augmentis scientiarum est de 1603 C'est en 1610 que Galilée
découvre les satellites de Jupiter.
(2) Sur Philon, voir surtout, outre Zeller et Uebekweg op. cit., Massebieau, Le clas-
sement des œuvres c(e Philon, Paris, 1889. Jean Réville, Le Logos d'après Philon
d'Alexandrie, Genève, 877 La doctrine du Logos d'après le 4 e Evangile et dans
1 ;
les œuvres de Philon Paris^ 1881 Blum. art. Philon (Gr. Encyc).
;
(3) Voir Albert Réville, Le Christ païen du III siècle (Rev. des Deux Mondes
e
sa vie par Philostrate, et ses lettres, ouvrages traduits du grec, avec introduction,
notes et éclaircissements, 3 e édition, Parts. 1H64. Sur tout ce chapitre, voir la biblio-
graphie mise en tête du volume
44 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
(né entre 126 et 132), qui traite de démonologie et de magie et qui, joint par
saint Augustin aux Platoniciens, deviendra une autorisé pour les chrétiens, même
pour saint Thomas (1) Alcinous peut-être son contemporain, qui expose une
;
vers 151 ou 152: Calvisiùs Taurus, celui d'Aulu-Gelle; Atticus, qui s'attache au
Timée. Galien (2), né en 131, le, maître en médecine des Arabes, des Juifs et des
chrétiens, identifie la philosophiez vec la religion et se distingue, lui et les Grecs,
fort nettement, de Moïse et par suite des chrétiens, en soutenant « qu'il y a des
choses naturellement impossibles et que Dieu ne touche pas à ces choses-là ».
Celse combat lés Chrétiens cjans son Discours véritable, vers 178, un an après
qu'Athénagore, converti au christianisme, adresse son Apologie h Marc-Aurèle.
Numénius d'Apamée, dans la seconde moitié du second siècle, ramène la philo-
sophie grecque <à la sagesse orientale. Parti des doctrines judéo-alexandrines et
peut-être de celles d-es Valentiniens gnostiques, il distingue un Dieu suprême, un
Démiurge et ud troisième Dieu qui est le monde. L'interprétation allégorique,
les affirmations hypothétiques, tirées* du principe de perfection, envahissent le
domaine profane tomme le domaine religieux avèc bfu'ménius, avec Cronius et
Harpocration, ses contemporains qu ses successeurs. Plus qu'aucun des philoso-
phes antérieurs, Numénius prépare la synthèse d'AmmOniùs et. surtout celle de
Plotm(§4).
L'épicurisme qui, par la négation de la création, de la Providence et de
l'immortalité, s'opposait complètement aux tendances. médiévales, s'organisait
de plus en plus comme une église et ressemblait à une religion plus qu'à une
philosophie (3). Le septicisme, qui admettait des dieux, les honorait et croyait
à leur Providence,, transmettait, par Sextus Empiricus (vers 180 à 200
après J .-G), des armes aux chrétiens et à leurs advèrsaires, des doctrines que
devaient utiliser pour la constitution d'une théologie négative, les néo-platoni-
ciens et les chrétiens pour les rapports entre la raison et la foi, les orthodoxes,
;
(ch. VIII). L'école subsista dans des communautés, analogues aux associations
religieuses, appelées thiases etéranes (4).'
Si Platon fut un des maîtres auxquels la période théologique demanda le plus;
les représentants de l'Académie, Arcésilas, Carnéade, Philon de Larisse, Antio-
chus d'Ascalon, Phavorinus d'Arles, le maître d'Aulu-Gelle, fournissent, par
sont interprétés en des sens fort différents par les purs péripatéticiens et les
alexandristes, les averroïstes et les thomistes. Alexandre d'Aphrodise, qui occupe
la chaire d'Athènes de 198 à 2.11, soutient que l'àme, forme matérialisée de l'or-
ganisme et de la vie, n'a aucune existence réelle. Par là, comme par l'usage
constant qu'il fait des principes de contradiction et de causalité, Alexandre
est en opposition avec les néo-platoniciens et les chrétiens. 11 s'en rapproche, en
combattant la .doctrine stoïcienne du destin pour défendre la liberté humaine.
Le stoïcisme (2) a été un facteur important dans la synthèse néo-platonicienne
et dans la philosophie chrétienne, du me au xvue siècle. La théologie est une
partie essentielle du système. Les stoïciens prouvent l'existence de Dieu par la
divination, le consentement universel, les causes finales, parles choses utiles ou
effrayantes. Dieu est le plus subtil de tous les corps il pénètre toutes choses et
:
sède, à un degré infini, toutes les perfections des êtres; âme du monde, il lui
conserve vie, ordre et harmonie. Existant seul d'abord, l'éther divin se trans-
forme, en partie et successivement, en air, en eau, en terre; puis le monde
rentre en Dieu, par une transformation inverse, qui produit l'embrasementuni-
versel. De nouveau et pendant toute l'éternité le même monde renaît et dispa-
raît, avec les mêmes hommes et après les mêmes événements.
Si la doctrine de l'enchaînement et de la sympathie universelle justifie la
croyance à la divination, bien liée avec le Destin et la Providence, elle est en
opposition avec le libre arbitre. Les stoïciens travaillent à maintenir la liberté
humaine le moi est cause parfaite et principale, les autres causes sont auxi-
:
(1) Art. Carnêade (Rev.ph.^ 1887); ch. V et VI, pour Plotin et Jean Scot Erigène.
(2) Voir Georges Lyon, art. Stoïcisme {Gr. Encyc.).
(3) Cette théorie suppose celle du mélange : les corps et ies fluides se pénètrent,
sont coétendus et conservent, leurs propriétés réciproques (Stob. Eci. f, 376) : une
seule goutte çle vin, «lit Chrysippe, se mêle à toute la mer. Plotin lui donne un sens spiri-
tuel et s'en sert pour expliquer une union des âmes avec Dieu, qui exclut le panthéisme
(§4 et ch V) .
40 HISTOIRE COMPARÉE DES PMLOSOJ'HIES MÉDIÉVALES
(1) Kaupe, Elude su?' les origines et fa nature du Zohar. Paris, F. Alcajo : « L'allé-
gorie est inhérente a l'esprit biblique. .. Les . Juifs n'ont donc pas eu
à remprunter à
d'autres. Mais pour ce qui est de la portée quele mysticisme juif donna à l'allégorie, les
Juifs nous paraissent avoir subi véritablement l'influence stoïcienne » (p. 15-1(3).
(2) Art. Stoïcisme à Home, iïèneque [tir. Encycl.) Constant Maktha, Les mondis-
;
de Dieu. Les chrétiens, clercs ou laïques, puisent sans cesse dans les Entretiens
d'Epictète ceux qui vont chercher dans la solitude une perfection plus grande et
;
une vie plus ascétique, s'adressent au Manuel. Saint Nil, au début du v e siècle, et
l'auteur anonyme d une paraphrase dont on ignore la date, adaptent le Manuel
à la vie monastique, par quelques changements qui ne touchent pas au fond
des doctrines. Saint Nil supprime le chapitre sur la divination et conserve le
chapitre sur les présages il remplace les Dieux par Dieu
; Socrate, par saint ;
Paul (1). Au xiii e siècle les exaltés de la religion franciscaine s'enfoncent dans
les bois et les steppes de la campagne romaine, prient et dorment sous un
toit de roseaux ils tentent de réaliser ainsi en pleine époque chrétienne, l'idéal
:
plus en plus du christianisme et qu'elle soit prête à se jeter entre les bras du
Dieu inconnu ». N'est-il pas plus exact de dire que le même courant entraîne
vers la recherche de la perfection morale, de l'union momentanée ou constante
avec Dieu, tous les hommes de cette époque* qu'ils se réclament des phi-
losophies .antiques, des religions helléniques et orientales ou du christianisme ?
Les rapports du stoïcisme et du christianisme frappent d'autant plus les yeux
que l'un et l'autre eurent leurs martyrs ; les partisans d'Apollonius de Tyane
l'avaient comparé au Christ ; Celse rapproche du Christ mourant sur la croix,
Epictète dont Epaphrodite se serait amusé à briser la jambe.
C'est bienune conception médiévale que celle par laquèlle on juge surtout la
valeur d'une doctrine par les martyrs qui ont donné leur vie pour montrer la
force et la sincérité de leur croyance. Dans les sucnces du réel, dans la philo-
sophie scientifique —
et nous entendons toujours par ià celle qui suppose les
sciences historiques et morales, comme les sciences physiques et naturelles —
l'observation, l'expérimentation et le calcul indiquent d'une façon certaine ou
avec une approximation suffisante dans sa détermination, les résultats qui,
annoncés à l'avance, seront observés, reproduits ou vérifiés par chacun de ceux
qui connaissent et savent appliquer les méthodes inductive et déductive. Puis la
vérité d'une affirmation devient incontestable —
et elle est incontestée pour tous
les hommes compétents — quand témoigne d'un raisonnement solidement
elle
et logiquement construit, quand elle est en accord manifeste avec la nature et
avec les choses. L'individu peut bien risquer ou donner sa vie, comme l'ont fait et
pourront le faire dés disciples» ou des successeurs de Pasteur, pour obtenir la
vérification expérimentale sur l'homme, d'un résultat obtenu sur animal ou I
qu'on décide, par de semblables moyens, dont useraient les plus ignorants et les
plus incompétents, de la vérité, Ut, h\ probabilité ou de Ten eur.
{{> Voir Th. Zahn, Der Stoiker Epikiet and sein Verhâltniss sum Christen-
thum, Eriangen und Leipzig, 1895. — Eo-cken écrit (chez Bonhdffér VI) w Der Sioïcis- :
mus. auch den màchtigsten Einflùss auf die Kirche des Morgen und Abenlandes geùbt...
. .
hat »
'
d'inspiré de Dieu (dco£tô«xro;). Ce fut lui qui, purifiant les opinions des anciens
philosophes, et, dissipant les rêveries écloses de part et d'autre, établit l'harmo-
nie entre les doctrines de Platon et d'Arislote dans ce qu'elles ont d'essentiel
et de fondamental ... Ce fut lui qui, le premier, s'attachant à ce qu'il y a dè vrai
dans la philosophie et s'élevant au-dessus des opinions vulgaires qui rendaient
DU i»lU:>1lKR SIÉCLi; AU CONCILE DE N1CJSE 49
la philosophie un
objet de mépris, comprit bien la doctrine de Platon et d'Aris-
tote, les réuniten un seul et même esprit et livra ainsi la philosophie en paix à
ses disciples Plotin,, Origène et leurs successeurs » (1).
C'est à, Pjotin (204^270) que l'école doit son système. C'est lui qui mène à
bonne fip la tâche entreprise par tous ses prédécesseurs. D'un point de vue théo-
logique et mystique, il donne la synthèse définitive, en ses grandes lignes, de
tous les éléments, isolés ou déjà assemblés par les anciens. Ainsi, il fournit
toutes les solutions désirables ,plausibles et fécondes à ceux qui» pendant le
moyen âge ou dans les temps modernes, placés sur le même terrain, expliquent
toutes choses par Dieu, et, cherchent dans l'union avec lui l'immortalité et la béa-
'
titude (2),
Que Plotin ait connu les essais synthèse des écoles qui l'ont précédé, c'est
de.
ce que montre Porphyre: «On dans les conférences de Plotin, les com-
lisait
mélangées dans ses écrits que la Métaphysique d'Aristote y est condensée toit
;
entière (Xlll) que Plotin prit un si grand go&t pour la philosophie, qu'il .se pro-
;
posa d'étudier celle qui était enseignée chez les Perses et celle qui prévalait
chez les Indiens (III) ». Enfin Bouillet a bien fait voir (I, p. XCIX) que Numénius
fut un intermédiaire entre Philon et Plotin puis, par de nombreux rapproche-, ;
ments, que les idées essentielles de Philon ont. passé chez Plotin (3).
Pour donner de la,' philosophie de Plotin une exposition exacte et eompjète;
qui nous en montrerait les éléments stoïciens, péripatéticiens, philoniéns, pla-
toniciens, etc., il faudrait faire l'analyse, par ordre chronologique, des 54 trai*
tés qu'il nous a laissés et que Porphyre a rangés d'une façon tout à tait arbi-
traire (4) puis reconstruire, par une synthèse prudente, la pensée que Plotin a
;
développée plutôt que systématisée. Voici, en abrégé, les résultats auxquels nous
(1) Hiéhoglès, De la Providence (chez Photius, Bibl. cod.. 214, p. 172 a 173
t h,
cod. 251, p. 461 a). — Sur Ammonius. voir surtout Bouillet, vol. ï et lï.
(2) Pour il faudrait exposer l'histoire complète des
l'é;tab!ir, philosophies spiritualistes
de Plotin à nos jours. Pour en avoir une idée suffisante, il faut voir les rap-
et idéalistes,
prochements que Bouillet a faits dans ses Ennêades entre Plotin et les philosophes du
moyen âge ou du xvxi 9 siècle, puis parcourir Wilm, Histoire de la philosophie aile-
mande, 4 vol , Paris, 18*6^849, surtout les pages consacrées à Fichte el à Schelling,
qui sont presque des traductions littérales. Voir pour la même raison, Ravaisson, Essai
sur la Métaphysique d' AYistote ei Rapport sur la philosonhiè au XrX* siècle.
(3) Voir notamment 1; p. 119, 256, 259, -263. 279, 505, 534 If, 142, 231-232, 284,
511, 624: III. 345, etc.
(4) Vit. Plotiniy XXfV « Je ne jugeai pas à propos de
. les ranger confusément sui-
vant l'ordre du temps où ils avaient été publiés j'ai imité Àpollodorc d'Athènes et Andro-
;
nicus le Péripatéticien. J'ai partagé les 54 livres de Plotin en six Ennéades en i'honneur/
. .
des nombres parfaits six et neuf. J'ai réuni dans chaque Ennéade les livras qui traitent
PlCAVET
50 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
a conduit ce double travail. Plotin part, d'un coté, de l'âme considérée indépcn-
dammenl du corps, partant immatérielle, spirituelle et libre. Par une analyse où
le degré d'abstraction des notions détermine le degré de perfection des êtres, il
constitue le.monde intelligible, avec ses catégories spéciales, ses cinq genres,
son image, Aine universelle qui reçoit les formes et les transmet à l'Ame infé-
rieure, puissance naturelle et génératrice, âmes particulières unies à TAme uni-
veFselle dont elles procèdent, multiplicité qui subsiste dans l'unité, comme les
sciences*subsistent distinctes dans une seule âme. De l'Ame procède le corporel,
univers placé dans l'Ame universelle comme un filet dans la mer, corps d'hom-
mes, d'animaux, de végétaux qui sont dans l'àme où a prédominé la puissance
rationnelle, animale ou végétative.
L'Urr-est le Premier, le Uien, l'Absolu, le Simple, l'Infini qui manifeste sa
puissance en produisant tous les êtres intelligibles. L'Intelligence embrasse,
dans son universalité, toutes les intelligences particulières. Ses, idées sont les
formes pures, les types de tout ce qui existe dans le monde sensible, les ess< nées,
les êtres réels. Elles composent le inonde intelligible, au sens précis du mot,
puisqu'il y a des idées des universaux (l'homme en soi), lies individu (Socràte),
de tous les êtres intelligents et raisonnables, de tous les êtres privés d'intelligence
et de raison. Les idées sont les nombres premiers et véritables, contenus dans le
nombre universel- et essentiel L'Intelligence est l'Animal premier, en qui sont la
Vie parfaite et la Sagesse suprême cause, archétype, paradigme, elle fait subsis-
;
ter l'Univers toujours de la même manière; elle est Providence universelle et, par-
conséquent, l'univers, image aussi parfaite que possible de l'Intelligence divine,
est bon, et le mal qu'on y aperçoit ne forme que le moindre degré du bien. Enfin
elle est le type de la beauté toutes les perfections dont nous admirons l'image dans
;
les objets sensibles sont, au degré le plus éminent, dans les Idées ou formes, qui
dé la même matière, mettant toujours en tête ceux qui sont les moins importants. » Dans
cette. édition de Porphyre suivie par tous les éditeurs, sauf par Kirchhoff, nous avons
sa systématisation, bien plus que celle de Plotin.
(1) Le sens du mot Û7r/><TTa<ri; est éclairci quand on le rapproche des mots de même
nature :..ot«c«ç désigne l'être à l'état de stabilité dans le monde intelligible. L'Un est
Dieu en sê portant en quelque sorte vers ses profondeurs les plus intimes, en se posant
lui-même, vTTocrracraç jy.uTov, e©iïHïie dit Plotin avant Fichte, en conservant en lui la
suprême perfection. L'imperfection de l'être est en raison directe de s®n éloignement,
«Trotfracriç, par rapport à l'Un. Voirplus loin le sens du mot extase.
.
stases (1), qui reste unie à l'Ame universelle peut, par elle, atteindre l'Intelli-
gence et, par celle-ci, l'Un lui-même. Les vertus politiques, purificatives et
exemplaires, débarrassent l'homme de ses 'souillures., La science le met sur la
voie et lui montre la route. S'il le veut, il supprime tous les obstacles et l'union
avec Dieu se produit il sort de lui-même et devient Dieu. C'est là l'extase % ix<xra-
:
fft;. Le mot inventé par Plotin, indique bien, tout à la fois, la sortie de soi-même
objections qui ne vaudraient que dans le cas où il eût fait entrer le monde
intelligible dans les catégories d'Aristote, où il l'eût soumis aux principes de
contradiction et de causalité. D'ailleurs les comparaisons dont il use sont carac-
téristiques les âmes particulières sont dans l'Ame universelle, comme la science
:
est tout entière dans chacune de ses parties, sans cesser d'être tout entière en
elle-même, comme les vers se produisent dans un animal qui se putréfie, comme
les centres de. tous les grands cercles Concordent avec celui de la sphère, comme
les chants se confondent harmonieusement lorsque les choristes sont tournés
vers le chef du choeur et attentifs à suivre sa direction. Surtout il reprend et déve
loppe les comparaisons que Platon tirait déjà de la lumière. L'Un est comme le
soleil du monde comme un cercle lumineux con-
intelligible; l'Intelligence est
centrique au l'Ame, comme un second cercle concentrique au premier;
soleil ;
l'une et l'autre sont lumière de lumière, a>wç s* ^wroç. Toutes ces lumières se con-
fondent, sans cesser un instant d'avoir leur existence propre. De même l'âme
humaine, l'âme individuelle est représentée par un cercle lumineux. Si des obs-
(i) Voir surkftit le Livre sur: l'Un ou le Bien, VI, IX, 8, p. 767, 1. IV, ôv; rà vooiiv r.n.ozï-
52 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
tacles l'entourent, elle est séparée du soleil central, dont la lumière n'arrive
plus jusqu'à elle. S'ils sont supprimés, sa propre lumière et celle des hypos-
tases se fondent, sans qu'on puisse dire que l'une ou l'autre disparaissent (1).
Plotin avait combattu les gnostiques et pouvait ainsi apparaître comme un
auxiliaire des chrétiens orthodoxes. Amélius et Porphyre le secondèrent dans
cette lutte « Adelphius et Aquilinus, dit Porphyre (XVI) avaient la plupart des
:
livres où il soutient l'unité des doctrines de Platon et d'Aristote, par le .traité sur
l'abstinence des viandes et les Principes de la théorie des intelligibles. D'un autre
côté, il imprime à ia philosophie un caractère plus religieux et plus théurgique,
préparant ainsi les voies à son disciple Jamblique, et il compose contre les chré-
tiens 15 livres, brûlés en 435 par ordre de Théodose II, qui témoignent d'une
lutte déjà ardente entre ceux-ci et les défenseurs de rhelîénisme\
Syrien Cerd on et Marcion du Pont qui vivent sous Hadrien, Carpocrate d'Ale-
xandrie lesOphiteset les Pérates Basilide, de Syrie, qui tient école à Alexan-
; ;
drie Valentin, le personnage le plus important de l'école, qui enseigne vers 135.
;
(1) Sur Plotin et les Néoplatoniciens, voir le ch. IV, 6 à 14, tout le ch. V et la Biblio-
graphie générale.
(2) Sur la philosophie chrétienne voir Ritter (traduction Trullard) Ueberweg-Heinze :
A la même époque, les Apologistes, nourris dans les "lettres 'et la philosophie
helléniques, défendent le christianisme contre tous ses adversaires. Parmi eux
figurent Quadratus, Aristide d'Athènes qui adresse son Apologie à- Antonio le
PieUx Saint Justin, de Sichem en Palestine, qui fleurit vers 150 après Jésus-
;
Sardes et Apollinaire, évêque de Hiérapolis qui composent, vers 170 et 172, des
Apologies, pour Marc-Aurèle ;Miltiades et Ariston de Pella en Palestine Tatien
;
bablement de/177, tandis que celle de Théophile d'Antioche se place après Î80
l'auteur anonyme de la Lettre à Diognète Hermias, qui tient la philosophie
;
païenne pour un présent des démons. Saint ïrénée né entre 120 et 130 à Clinasie,
mort vers 202 évêque de L^on et de Vienne, attaque ië Valentinisme et la
science hellénique qui lui adonné naissance. Son disciple, lè prêtre Hippolyte,
combat le platonisme et s'en inspire (IV, 6).
Tous les auteurs précédents écrivent en grec. En latin, nous avons les œuvres
,
AriuS auquel s'opppse Athanase (296-373), dont les doctrines sur la Trinité devien-
nent orthodoxes dans l'Eglise et sont postérieures k la théorie plQtinienne des
hypostases >
. L'école catéchétique d'Alexandrie (2) commence avec, Panténus, stoïcien
avant d'être ehrétien, qui meurt vers 200. Son disciple saint Clément enseigne
en même temps que lui et après lui. fi est mort après 216 et se rattache à
Philon, à Platon et aux stoïciens, Origène (185-254), né de parents chrétiens,
suit les leçons de saint Clément et, avec Plotin, celles d'Ammonius Saccas. Il
a pour successeur DéiVys le Grand qui est évêque d'Alexandrie et meurt vers 264,
L'école tout entière travaille à mettre la pensée grecque au service, du christia-
nisme et à constituer une, philosophie orthodoxe. Son influencé, surtout celle
d'Origène, se fait; sentir sur les théologiens et les philosophes de l'Orient et tie
l'Occident, pendanitoute la période médiévale (IV, 6).
(1) On consultera avec fruit les articles de M. Sugène de Faye, sur les Sources du
gnosticisme (Rev de l'Histoire des Religions, 1902, 1903) réunis en volume, Paris,
Leroux.
(2) Voyez ies Histoires de Matter. de Jules Simon, de Vacherot (Bibl. générale)
Harnagk, dp. cit. Fref-pel, Clément d'Alexandrie. Paris. 1866, Origène, Paris 1875
;
en Phénicie entre 400 et 450. Dans 1-éeole de Gaza, figurent Enée, Zacharic le
scotastique, plus tard évéque de Mitylèoe, Procope, adversaire deProelus dans ;
saint Augustin (354-430) et de Pelage de' saint Hilaire, évéque de Poitiers, mort
;
enfin de Boèce (480-525 )-que le moyen âge considère comme chrétien et dont la
Consolation est toute néo-platonicienne (IV, 7).
C'est encore chez les néo-platoniciens que, dans cette période, l'activité philo-
sophique est la plus féconde. Le disciple de Porphyre, Jainblique deChalcis en
Cœlé- Syrie, mort en 330, met la philosophie néo-platonicienne au service de la
religion hellénique. Il place, dans son système, les dieux des Grecs et des Orien-
taux comme les dieux de Plotin. Ses disciples immédiats lui attribuent le don des
miracles ;il est, pour Proçtus, le divin, pour Julien, le très divin. Jamblique
commente Platon et Aristote, composé un grand ouvrage sur le pythagorisme,
cu»*'/r,)yÀ Te,™ r.uOuyoûziw SoypKzw^ dont quelques parties sont conservées. C'est de
lui ou de quelqu'un de son écoie que viennent les Mystères des Egyptiens. Au-des-
sus de l'Un, que Plotin identifie avec le' bien Jainblique place l'Un qui n'a abso-
lument aucune propriété, fi distingue un monde intelligible qui comprend les
idées, objets de la pensée, et un monde intellectuel, qui est l'être pensante Cha-
cun de ces mondes comporte tïois éléments Képu;, ^K-vp, voycriç rïjç. £vy«fttç»ç; vovç,
:
Mynde. Chrysanthius d'Eunape qui, dans les Vies des Sophistes et des
est le maître
Philosophes, n'oublie pas les représentants de son école (1) de l'empereur Julien
;
qui, ne pouvant le faire yenir auprès rie lui, Je nomme grand prêtre en Lydie.
Priscus, au dired'Eunape, enseigne encore à Athènes après la mort <&> Julien, y
a peut-être Plutarque pour disciple et meurt vers 398. Eusèbede Mynde semble
s'être opposé, malgré Julien et la plupart des représentants de l'écoîe/aux prati-
ques magiques et théurgiques. Eustachius de Cappadoce succède à ,Ed.esius et
avec sa femme Sosipatra et son fils A ntonin, s'occupe beaucoup dedémorttkibgie et
de théurgie. Julien, empereur, de décembre 361 à juin 363, élevé 1avvl Eu sèbe
l'évèque deNicomédie et par l'eunuque Mardonius dans les principes^^n! piété
exaltée, puis disciple d'^desius, de Maxime, de Chrysanthius, init i£*ttfeùlté de
Mithra, qui parut un moment près de l'emporter sur le christianismeftie déclara
l'ad versaire des chrétiens et voulut faire triompher les doctrines néo platonicien-
nés. Sa mort fut un échec pour l'école et les chrétiens n'oublièrent pas qu'elle
'avait nourri, encouragé et suivi leur plus redoutable adversaire.
C'est à Rome et en latin que Macrobe compose les Saturnales et le Commen-
taire/du Songe de Scipion, de Cicéron, où il fait entrer tant de doctrines pioti-
niennes (ch. V et-VIIl). C'est en Afrique que Martianus Capella écrit le Satyricon,
encyclopédie en prose et en vers, divisée en sept livres et précédée d'un petit
roman en deux livres intitulé*(2) les Noces de Mercure et de la Philologie, qu'on lit
beaucoup dans les écoles du vi e au xi e siècle et que commentent Jean Scot Eri-
géne et Rémi d'Auxerre (ch. Vil). C'est à Constantinople que vit au début du v e .
cès, dont témoigne son disciple Synésius, l'évèque de Cyrène. Les chrétiens
d'Alexandrie, dirigés par l'évèque Cyrille, se montrent déplus en plus hostiles
aux défenseurs de l'hellénisme. En 415, Une foule furieuse où les moines sontnom-
breux, arrache Hypatie de son char et la lapida, puis la déchire en morceaux
dans la grande église dite L'Impériale Comme le stoïcisme (| 3) et le christia-
!
C'est à Athènes que l'école, avant de finir, jette son plus vif éclat. «plutarque,
fils de Nestorius (350-433), peut-être disciple de P.riscus,y enseigne avec son fils
de Syrianus.
Teubner). Capella fait des emprunts à Apulée que S. Augustin -place à côté de Plotin et de
ses disciples.
H1ST0IKK COMPAHÉK h\s PH1LOSOPHIES MÉDIÉVALES
tituent les dieux au sens le plus élevé du mot. Aux Hénades se rattache la triade
, des êtres intelligibles, intellectuels, intelligibles et .intellectuels. A son tour,
'
l'intelligible (oû<ri«) comprend trois triades, dans chacune desquelles figurent le
Père, la Puissance, l'Intelligence. L'intelligible-intellectuel a de même ses trois
triades et contient les divinités femelles. Les êtres intellectuels sont divisés
d'après le nombre sept. A ces hebdômades vProelus rattache des divinités popu-
laires et des conceptions de Piaton ou de Plotin. Ainsi l'a 18 e des 49 divisions
« la source des âmes » est le vase dans lequel le Démiurge du Timée mélange les
éléments qui entrent dans la substance des âmes.
Toute àme est éternelle d'après son essence; c'est par son activité qu'elle
'
de ses vertus qui vont jusqu'à imiter Dieu pur des miracles puis il montre com- ;
ment Proclus s'est élevé ainsi de la terre au ciel en réalisant un idéal de perfec-
tion et de bonheur.
Parmi ses Condisciples et les derniers représentants du néo-platoiiisme, on
trouve le médecin Asctépiodote; les fils d'Hermias et d'^desia, Héliodore, Ammo-
niùs qui commente les Catégories, YJsagoge et Y Interprétation Sévériatius et ;.
Justinien s'était attaqué dès le début de son règne aux hérétiques et aux non-
1
traités de l'Ame et du Ciel, le Matïuel d'JSpictète, qui ont été conservés et plusieurs
fois publiés. Il unit ainsi les représentants de l'hellénisme, Epictète comme Aris-
totè aux nêo-platoniciens, pour combattre le christianisme dont il réf ute la thèse,
admise par Jean Philopon, de la création du monde dans le temps Ses théories *
tius deByzance, qui meurt vers 543, attaque les Nestoriens, les Eutychiens et
expliqué les formules christôîogiqués du concile de Ghalcédoine avec la termino-
logie d'Aristote le Pseudo-Dcnys l'Aréopagite dontles œuvres sont invoquées à
partir de 532 Maxime Confesseur (580-662), -l'adversaire des Monothélètes et
le
saxort Bède le Vénérable (674-735). Il reste en Irlande des écoles d'où viendront
au ix B siècle Clément Scot et Jean Scot Erigène. Mais en Gaulé, le vu siècle,
auquel il faut joindre une grande partie du viu e est, comme font montré, les
auteurs de la France littéraire, un siècle d'ignorance (II, 2). Les ecclésiastiques,
et les. moines, qui seuls savent lire et écrire, ignorent toute autre chose. Un
évéque d'Auxerre s'empare à main armée des pays d'Orléans, de Tonnerre,
d'A vallon, de Troyes et de Nevers. Les règlements des conciles portent que les
évéques et les prêtres s'instruiront des saints canons et des règles de l'Eglise,
qu'ils ne laisseront plus les simples fidèles dans l'ignorance des premiers princi-
pes du christianisme.
Abubacer, Averroès; après lequel \\ n'y a plus guère, dans le monde musulman,
que des mystiques ou des motecalîemin, raisonnant sur les matières religieuses,
mais condamnant, les uns comme les autres, la philosophie rationnelle. î^n qua-
tre siècles on assiste, dans le inonde musulman, à sa naissance, à ses progrès,
à son apogée et à sa ruine.
Les Byzantins continuent à produire des œuvres remarquables dan;-, tous les
domaines. Sans doute ils portent, dans les questions théoiogiques, une subtilité
qui rappelle les plus déliés des Alexandrins mafs ils donnent aux sciences et à ta
;
58 HISTOIRE COMPARÉE DES PMILOSOPHIES MÉDIÉVALES
philosophie toute leur attention et tous leurs soins. Photius, Michel Psellus,
Eustrate ne sont nullement inférieurs, pour les connaissances et pour la vigueur
de la pensée, à leurs prédécesseurs de la période antérieure.
Les Juifs ont, comme les Arabes, d'illustres représentants Saadia au x e siè-:
Du xin e
siècle à la prise de Constantiuople, il reste des philosophes à Byzance
dont les Grecs redeviennent les maîtres, Johannes ltalus, Michel d'Ephèse, Nicé-
phore Blemmydès, Georgius Pachymère et Théodore Métoehita. Les Juifs ont
Joseph ibn-Falaquera, Levi ben Gerson, bien d'autres qui font triompher la phi-
losophie, même l'averroïsme dans les écoles juives où on le retrouve au début
des temps modernes. Mais c'est chez les chrétiens d'Occident, surtout au
xm e siècle et dans la première moitié du xiv e ,que la philosophie est florissante.
Des œuvres d'Aristote, authentiques et apocryphes, leur viennent d'Espagne et
de Byzance ils ont de nouveaux commentaires néo-platoniciens, les travaux
;
des Arabes et des Juifs, ceux de leurs prédécesseurs, les chrétiens occidentaux
du vm e au xm e siècle; ceux des Pères et des écrivains chrétiens antérieurs au
vm e siècle. Alexandre de Halès achève la méthode, Albert le Grand et Saint Tho-
mas unissent la foi. et la raison, là philosophie et la théologie. Saint Bonaventure
développe la philosophie et la théologie mystiques. Roger Bacon et les alchi-
mistes pratiquent l'observation et l'expérimentation. Vincent de Beau,#ais résume
les connaissances humaines. Henri de Gand, Guillaume d'Auvergne, Guillaume
de Saint-Amour et Siger de Brabant, Ramond Lull et son Grand Art, Duns Scot
et Durand de Sàint-Pourçain, Guillaume d'Occam et Jean Buridan Jes mysti- :
ques Ekkart, Jean Tauler, Suso qui continuent Jean Scot Erigène, qui préparent
la Réforme et la philosophie allemande les Amauriciens, les Averroïstes et les
;
Bibliographie générale.
r
LES DIRECTIONS PHILOSOPHIQUES DU I° AU XVII e SFÈCLf: 59
se rapprochent tantôt des -uns et tantôt des autres. Juste Lipse s'attache au
stoïcisme Montaigne, Charron, Sanchez, au scepticisme ou à l'acatalepsie
; ;
rez parmi les dominicains, les carmes, les cisterciens et les bénédictins. ^Les
;
albertistes s'opposent aux thomistes les seiotistes sont surtout franciscains des
; ;
pellent modernes et combattent les thomistes' qui suivent l'ancienne voie (via
àntiqm). Luther reproche à la scolastique d'avoir par ses sophismes, profané
le domaine théologique Zwingle utilise le stoïcisme et le néo-platonisme les
; ;
attaqué dans sa base môme et le sera de plus en plus, en raison des progrès con-
tinus des sciences exactes. Surtout un nouveau mode de penser et de diriger la
vie humaine est inauguré, qui prendra de jour en jour une puissance nouvelle
(ch. VJIf). Le thomisme continue à vivre et même il con aserve, auprès des pou-
voirs spirituels et temporels, une grande influence au xv1i e et au xvm e siècle;
la scolastique péripatéticienne, grâce à Mélanchthon, se perpétue en Allema-
gne. La fin du xix e siècle verra une rénovation du thomisme et de la scolastique
dans les pays catholiques (ch. IX).
premiers sont les plus nombreux sur le terrain philospphique. 11 y a encore des
épicuriens, des sceptiques, des péripatéticiens, mais surtout il y a une philoso-
phie judéo-alcxandrine, des néo-pythagoriciens, des platoniciens éclectiques et
pythagorisants, des stoïciens et des plotiniens ou néo-platoniciens. Du côté des
chrétiens, il y a après saint Paul, des gnostiques, des apologistes, des trinitai-
res et des monarchianistes.
Dans la seconde, de 325 à 529, il n'y a plus que des chrétiens et des néo-
platoniciens rhais déjà les chrétiens d'Orient semblent parfois suivre une
;
voie différente de celle dons laquelle se sont engagés les chrétiens d'Occident.
De la fermeture des écoles d'Athènes à îa Renaissance carolingienne, les chré-
tiens sont les seuls dont on constate l'activité philosophique ils achèvent, ep
:
Orient surtout, de s'assimiler les doctrines des néo-platoniciens qu'ils ont défi-
nitivement vaincus. Les Arabes et les Juifs se livrent au travail de construction
religieuse et théoiogique qui les conduira à la philosophie. \
d'Orientet d'Occident; elle est puissante aussi chez les Juifs où elle se maintien-
dra par la suite elle renaît .en Occident et lentement prépare l'évolution qui
;
les Juifs, mais c'est dans l'Occident chrétien, héritier des Arabes, des Grecs et
des Byzantins, des Juifs et des Latins des époques antérieures, que la philoso-
phie atteint son plus haut développement.
Du xv e au xv» e siècle, on remet au jour tous les systèmes antiques, qui avaient
disparu devant les doctrines religieuses des chrétiens, des musulmans ou des
Juifs ou. qui s'étaient fondus avec elles. A la suite de la Réforme et des querelles v
ou dès guerres religieuses^ qu'elle provoque, les protestants et» les catholiques se
rallient à une philosophie qui ne contient aucun élément nouveau, qui ire cons-
titue pas une synthèse nouvelle, La scolastique péripatéticienne de~Mélanehthon
se conserve en Allemagne, le thomisme dans les pays catholiques mais la phi- ;
losophie qui s'appuie sur les sciences physiques, naturelles et morales augmente
de jour en jour, et comme elles, en puissance et en ampleur, en portée et en pré-
cisiori. v
place de plus en plus grande aux pratiques théurgiques. Vaincu une première
fois avec Julien, le néo-platonisme meurt par Justinien ou plutôt il achève, avec
le Pseudo-Denys, d'être absorbé dans le christianisme (ch. V).
Philon avait donné la théorie du Logos, il avait fait, des idées platoniciennes,
des pensées divines, dirigé ses recherches d'après le principe de perfection,
employé l'interprétation allégorique et enseigné l'union de l'âme avec Dieu. Ses
contemporains avaient, comme lui, tourné leurs regards vers le monde intelligi-
ble et quelques-uns s'étaient occupés de le peupler, de leTonnaîtreet d'entrer en
rapports avec lui ou même de se rendre maître par lui e toutes choses de là :
er
LES DIRECTIONS PHILOSOPHIQUES DU I AU XVII e SIÈCLE 61
Leur système pouvait ainsi embrasser toutes les sciences positives l'inter- :
sion et d'une exactitude qui n'ont pas été surpassées, tant qu'on a demandé
exclusivement à l'observation intérieure la connaissance de l'âme humaine. C'est
cette analyse qui donne la procession et les hypostases c'est elle qui explique
; ,
leur interprétation allégorique des, textes, des idées ou des données positives est
en accord complet avec le, sens littéral ou la réalité. Ausâj les philosophes qui
suivent, niusulmans, chrétiens ou juifs, seront-ils d'autant plus remarquables
qu'Us auront puisé davantage chez, Plotin et suivi plus fidèlement la voie qu'il
a.tracée, 'en faisant une large place à la réflexion, à l'analyse psychologique^ à
la connaissance littérale deé' textes, à la connaissance réelle des dhoses (VIII). Dès
lors il est impossible de caractériser les philosophies médiévales en disant
qu'Aristote a été, l'unique ou le principal inspirateur de ceux qui les ont créées
(ch. V). Il est tout aussi inexact de dire qu'ils ont fait appel à l'autorité, qu'ils
se sont bornés à répéter ce qui avait été dit avant eux, puisqu'ils ont usé cons-
tamment de l'interprétation allégorique, qui change parfois du tout au tout le
sens littéral ou la donnée positive C'est être superficiel et incomplet que de
limiter leurs recherches à la solution du problème des universaux (ch. VII) ou
d'admettre, avec les catholiques pour l'exalter, avec leurs adversaires, pour la
déprécier, une scola&tique dont les doctrines compléteraient les dogmes et la théo-
logie chrétienne, en opposition avec une antiscolastique, qui serait hérétique ou
même non chrétienne, par ses admirations ou ses tendances (ch. IX et X).
s
Tous les hommes du moyen âge font une place prépondérante, dans leurs
recherches et dans leurs préoccupations, aux questions religieuses qui portent
sur Dieu et sur l'immortalité ou plus- exactement suc-Dieu et lès moyens par les-
quels l'homme se réunira à Dieu. Tous lefe philosophes, néo-platoniciens et stoï-
ciens, chrétiens, musulmans et juifs sont essentiellement des théologiens Mais .
.
scientifiques de l'antiquité que l'on utilise ou que l'on reprend peu à peu et aux-
quelles on fait, à certains moments, des additions parfois considérables. Les
systèmes les plus remarquables sont ceux qui font la part la plus large a l'expé-
rience et à la raison (ch. Vf 11)
II de compléter ces indications, en tenant compte des procédés
est possible
employés pour La méthode scolastique, constituée par le
faire cette synthèse.
travail des générations successives d'interprètes, de commentateurs et de philo-
sophes, parmi lesquels il faut surtout citer Abélard et Alexandre de Halès
(ch. VIII), est caractérisée par l'emploi du syllogisme, lis s'attachent à enchaîner
rigoureusement la conclusion aux prémisses, en suivant les règles minutieuses et
précises d'Aristote, qu'ils ont complétées et parfois formulées. Les prémisses
viennent des livres saints et des livres profanes, des philosophes, des juriscon-
sultes et des poètes, des historiens et des orateurs elles ont été fournies par le
;
bon sens, l'expérience ou la raison. Mais tous usent de l'allégorie, par laquelle ils
donnent aux textes ou aux affirmations, un ou même plusieurs sens, parfois fort
rapprochés, parfois fort éloignés, pour appliquer au monde intelligible ce qui
était dit du monde sensible, pour unir ou opposer le principe de perfection
aux principes de contradiction et de causalité. Divisant les questions, ils rangent
d'un côté tous les arguments positifs, de l'autre, tous les arguments négatifs, jus-
tifient les uns et réfutent les autres ils examinent, à propos de chacun d'eux, les
;
et complètement présentée. Jean Scot Erigf ne, saint Anselme, saint Bernard,
Hugues de Saint- Victor, saint Bonaventure, des Arabes et des Juifs la décriront
et la pratiqueront, en tout ou en partie, sans y ajouter d'éléments nouveaux. Les
plus grands, mystiques seront ceux qui, «"inspirant de la hiérarchie plotinienne, ne
donneront aux pratiques purement ascétiques, corporelles et machinales, qu'une
place secondaire et mettront au premier plan la formation aussi complète que
possible, de l'homme intellectuel et moral, d'autant plus apte à s'unir à Dieu,
qu'il s'est rapproché davantage de la suprême perfection.
Cette période médiévale de seize siècles est unique dans l'histoire comparée des
philosophies car nous assistons à l'éclosion de systèmes liésà l'évolution des reli-
.
tion des dialecticiens rigoureux et froids qui sont, comme saint Thomas, d'ar-
;
dents mystiques ; des philosophes très hardis qui sontdes chrétiens tr,ès fervents
et très dociles;des raisonneurs intrépides, assurés comme Ramond Lull, d'en-
serrer la réalité dans leurs syllogismes des savants, comme Roger Bacon, qui
;
elle a multiplié infiniment plus qu'il ne convient les hypothèses sans s'occuper de
les vérifier, ellea poussé, jusqu'à ses dernières limites, l'analyse.des idées «qjuejui
fournissait, dans le passé et dans le présent, l'observation interne ou externe ;
elle a fait des éléments ultimes de cette analyse, une infinité de combinaisons,
systématiques ou non, logiques ou imaginatives, qui, considérées en elles-mêmes
et indépendamment de leur valeur objective, montrent plus* encore, sinon mieux
que les. œuyrés d'art de toute la période médiévale, quelle fut alors la puissance
créatrice de l'esprit humain, quelle fut la richesse et la variété des conceptions par
lesquelles il essaya de s'instruire et de s'éclairer ou parfois même de se consoler
et de s'enchanter.
CHAPITRE IV
grande activité. Parfois même, comme dans celles d'Italie, on trouve des maîtres
qui ne se réclament plus que delà raison ou de l'expérience mais la découverte ;
Or celui qui veut faire, comme ilconvient, l'histoire d'une Ecole, d'une Faculté
ou d'une Université, cherche ou elle s'est formée et depuis quel temps elle dure ;
pourquoi elle a été fondée comment elle a été installée et organisée quels eh
; ;
ont été les maîtres et les éjèves quelle instruction et, s'il y a l|eu, quelle éduca-
;
V'iion elle donne quels livres elle possède, emploie ou produit; quels rapports
;
elle entretient avec les autres établissements du même genre et avec les autorités
constituées
Les documènts' ne manquent ni pour nos Ecoles ni pour nos Universités actuelles.
S'àgitril de l'Université de France? Nous avons le décret portant organisation
générale du 17 mars 1808, les autres décrets impériaux, les statuts, règlements
et* arrêtas pris en conseil de l'Université, les almanachs impériaux, etc Pour nos.
connaissons les moyens préparés pour atteindre le bu^t visé,ce qu'on réclame
des hommes chargés de le poursuivre, ce que l'on attend d'eux et de leurs
élèves.
Mais ce qui a été décidépar une loi,, par un décret, par un Arrêté, c'est-à-dire
par un acte officiel et administratif, l'a-t-on fa\t réellement passer dans la prati-
que? Parfois on, n'a pu l'entreprendre ainsi le décret du 15 novembre 1811, qui
:
- fixait a cent le nombre des lycées de l'Empire français, quatre-vingts devant être
(1) Voir La Société d'Enseignement supérieur, 1878 à 1003, par François Picavet ;
25* anniversaire de la Société, Discours de MM. Alf? i Croiset, Berthelol, Lar-
naude, Brouardel, Boirac, Van Hamel, Chaumié, Paris, Chevalier-IV|arescq et Cie,
4903. Voir aussi la Réorganisation de renseignement supérieur d' après un livre ,
ea activité dans le cours de 1812 et lès vingt autres érigés dans le cours
de 1813 (1), est resjLé lettre morte, Parfois on n'a rien fait pour en assurer la
réalisation .l'obligation scolaire, que les lois organiques sur l'enseignement pri-
:
maire placent li côté de la gratuité et de la laïcité/ est à peu près près partout
sans sanction effective. Enfin d'autres prescriptions» comme celle qui commandait
aux professeurs de théologie « de se conformer aux dispositions de l'édit de 1682,
concei u nt les quatre propositions contenues en la déclaration du clergé de
Fr mce de ladite année », ont été de très bonne heure combattues par presque
tous ceux à qui elles s'adressaient.
D'autres difficultés naissent, pour l'historien des écoles, des termes mêmes
employés dans les divers documents! S'il s'agit d'une langue étrangère, ils n'ont
pas d'équivalent en français, ou les mots français par lesquels on les rend impli-
quent des idées différentes en tout ou en partie. Trop souvent, en cette matière,
on est exposé à donner raison auv proverbe italien, Traduttore, Traditore. Même
Aeé mots identiques désignent dès choses distinctes. Le doctorat est décerné par
toutes les Universités mais la possession du'diplôme ne répond pas à un ensem-
:
faisaient à peu près ouvertement, et des Universités modernes qui tâchent de s'en
.mcher, s'en font une source de revenus etle décernent à tous ceux qui, même sans
avoir figuré sur les registres d'immatriculation, sans avoir mis les pieds dans
(
tmè salle de cours, versent une somme d'argent plus ou moins considérable. Dans
les Universités où les docteurs ont suivi des cours et prouvé, par des examens
écrits ou oraux, qu'ils possèdent les connaissances requises pàr les règlements,
rlg sont loin de présenter, au ppint de vue. professionnel ou scientifique, la irfême
pages et le ciasre, s'il n'y est déjà, parmi les maîtres de l'enseignement supérieur.
Enfin, on distingue encore les docteurs ès lettres de Paris et ceux des Facultés
provinciales, tandis qu'on ne sépare jamais, ni pour les connaissances ni pour
la valeur intellectuelle, les bacheliers reçus à Paris dé ceux qui le sont en pro-
vince
Ainsi les document officiels, législatifs ou administratifs, doivent être, après
qu'on les a réunis, comparés soigneusement avec les institutions dont ils ont
préparé et réglée la création
Gela est plus indispensable encore quand on veut découvrir ce qui est essen-
tiel et capital, l'étendue, la valeur et la solidité de l'instruction ou de l'éduca-
tion. Sans doute, nous somir es renseignés pàr les maîtres, les examens et les
concours, parfois par des inspecteurs chargés de contrôler les études, d'écouter
les maîtres et d'interroger les élèves. Mais les maîtres nous disent-ils ce que le
règlement leur commandait faire et qu'ils n'ont pas fait ou n'ont fait qu'in-
complètement? Nous disent-ils ce qu'ils se sont proposé comme un idéal, sans
nous indiquer qu'ils n'ont pas réussi à le réaliser ? Ou nous apprennent-ils exac-
(I) J/Almaîiach ré l'Un* ^rsité impériale de 18'2 n'en donne que cinquante-sept.
l'histoire des écoles 61
tement ce que fut leur œuvre? Les inspecteurs sont-ils compétents pour appré-
cier les maîtres, pour interroger les élèves, pour comprendre et juger les études?
Et s'ils le sont, ont-ils toujours l'impartialité requise? Ont-ils .donné ie temps
qu'il fallait pour se rendre un compte exact de ia valeu** des professeurs et des
progrès des jeunes gens? Questions analogues pour les examinateurs sont-ils:
compétents,? Sont-ils impartiaux? Dans les épreuves écrites, sdnt-iis sûrs qui!
nyâ pas eu de fraude ou peuvent-ils conclure, de cé que le candidat a réussi ou
manqué une question., qu'il sait ou ignore toutes les autres ? Dans îes épreuves
oraIësr ont-ils interrogé de façon à s'assurer que celui qui répond bien n'a pas eu
ia chance d'être placé sur le seul terrain qu'il connaissait? Que celui dont les
réponses étaient peu satisfaisantes avait été arrêté par la timidité ou aurait
réussi s'il eût été interrogé autrement ou sur d'autres sujets? D'une façon géné-
rale, inspecteurs et examinateurs peuvent-ils, en un jour ou moins encore,
voir quels résultats ont donnés des études poursuivies pendant use ou plusieurs
années? . .
Enffrn si les mâîtres sont excellents et ont fait ce que l'on -voulait d'eux,
. comme le fit Bossùet pour le Dauphin, les élèves ont-ils profité, comme ils le
devaient ét le pouvaient, de l'enseignement qui leur fut ainsi préparé ? Par contre,
si les élèves n'ont pas répondu, dans l'avenir, aux espérances qu'autorisaient le
ttïérite et renseignement des maîtres, est-ce la faute des uns ou des autres, ou
bien cela est*il -dû aux conditions d'existence dans lesquelles les ont placés la
.
famille et la société? Et s'ils sont deyenus des hommes remarquables, le doivent-
ils à l'enseignement qu'ils ont reçu ou à leur travail ultérieur?
Ainsi l'histoire des écoles actuellement existantes, possible avec le grand nom-
bre de documents qu'elles nous fournissent, difficile, en raison des questions
multiples que soulèvent l'interprétation et l'appréciation de ces documents, est
pour tous d'un intérêt incontestable.
Sans doute, c'est un problème de savoir, pour chaque individu et chaque
société^ quelle place l'activité réfléchie et consciente, raisonnée et raisonnable
tient directement ou indirectement, dans la vie humaine. On peut désirer que
chaque acte, à l'origine ou par acceptation, soit conforme à ia raison*, que les
actes de tous les individus, dans leurs associations les plus différentes, tendent à
réaliser Je vrai, le beau et le bien; mais on ne saurait nier que, pour certains
individus et certaines sociétés, l'activité spontanée et réflexe, provoquée par îes
,
agents extérieurs, l'activité instinctive, innée ou héritée, des habitudes qui
n'ont rien à voir avec la raison, sont tout ou presque tout, soit que le développe-
ment intellectuel et réfléchi ne puisse avoir lieu, soit qu'il se trouve arrêté ou
même annihilé. D'un autre côté, admettons une liaison entre les actions indivi-
duelles ou sociales et l'instruction, qui donne les idées, l'éducation, qui constitue
les habitudes, forme le caractère, discipline et fortifie la volonté. Il faudra nous
souvenir que les connaissances s'acquièrent, que l'intelligence s'étend et s'affine,
non seulement dans les écoles, mais encore dans la famille et les société diverses,
par les livres, les revues et les journaux, par l'observation personnelle des hom-
mes et des choses, par la recherche méthodique de ia vérité. De même Péduca-
tiop, individuelle et sociale, se fait, à vrai dire, dans les écoles, mais aussi par
la famille et par les camarades, par râtelier et la caserne, par îes institutions,
les coutumes et les lois, par l'imitation et ia lecture, par la réflexion et l'effort
personnel. Même il arrive que les écoles manquent à leur tâche, distribuent des
connaissances incomplètes ou fausses, ne fassent rien pour l'éducation intel-
68 HISTOIRE COMPARÉE DES Pff IL0801MIIES MÉJUÉVALES
sibles.
Toutefois, pouf l'éducation comme pour l'instruction, le but poursuivi par les
plus intelligents et meilleurs d'entre nous, c'est de faire que la famille et la
les
société, les hommes, leurs œuvres de toute espèce et les choses elles-mêmes con-
courent, avec les écoles, à la formation physique, intellectuelle et morale, géné-
rale et professionnelle des individus, considérés en eux-mêmes et danslcyrs rela-
tions entre eux. Et dans la réalisation de cet idéal, les écoles peuvent et parfois
doivent' intervenir pour une part considérable. Elles agissent sur l'enfant, au
moment où son cerveau reçoit les impressions les plus fortes et les plus dura-
bles, où la mémoire est la plus fraîche, l'intelligence la plus souple. Comme
leur action s'exerce simultanément sur un nombre considérable d'enfants et
déjeunes gens, elle se trouve fortifiée et multipliée par les réactions des uns
sur les autres, de tous sur chacun. Si la fréquentation est régulière pendant
plusieurs années, a eu les parents avant les enfants, la famille agit
si l'école
dans le même sensa été instituée pour préparer les jeunes gens à rem-
; si elle
placer leurs pères ou même à faire plus et mieux, si la société coordonne ses
efforts pour un but identique, l'école donne tout son effet utile. Quand il en est
ainsi, mais seulement alors, on peut dire, avec M. Jules Simon: « Le peuple
qui a les meilleures écoles est le premier peuple s'il ne l'est pas aujourd'hui, il
;
le sera demain ».
vailler à connaître les pères et leurs enfants, à comprendre les actes des uns et à
prévoir la vie des autres. L'histoire des écoles, qui est une partie considérable
de l'histoire des institutions,, éclaire d'une lumière nouvelle celle des idées et des
faits. Surtout elle nous procure un avantage immédiat et considérable sachant :
ce qui a été obtenu dans un pays et un temps déterminés, avec telle organisation
scolaire, nous pouvons parfois introduire celle-ci, partiellement tout au moins
et, mutatis mutandis, dans la société dont nous faisons partie. Toujours nous
apprenons ce que devient un peuple qui transforme ses écoles ou y fait régner
un esprit nouveau par exemple ce que les Discours de Fichte à la nation allemande
ont fait des Universités, des écoles et du pays ce que les Universités actuelles
;
Dans période médiévale, c'est l'histoire des' écoles Aa vin« au xiji e siècle
la-
qui mérite pjus spécialement d'être étudiée ; car c'est l'époque la plus curieuse
peut-être de la -période théologique qui va du i er au xvn e siècle (ch. NI, VII) : .
l'Orient, après crue Justinien a fermé l'école d'Athènes enf 529, n'a plus que
des écoles chrétiennes, H
civilisation arabe, que provoquent, facilitent ou
accompagnent les travaux des Byzantins et des Juifs, atteint son apogée en
Orient et en Occident J'OcGident chrétien prépare, par ses écoles, les futures
;
médecine et des sciences, tout ce qui n'est pas pur empirisme. En outre les insti-
tutions civiles et politiques, les fêtes et les prescriptions religieuses, les œuvres
littéraires et artistiques supposent des croyances içlentiques^dont le triomphe est,
pour tous, un but commun et définitif; tout concourt à continuer, à maintenir
et à compléter le travail de l'école et des maîtres.
Pour comprendre ces institutions scolaires et cet enseignement, il faut, par les
écoles italiennes et espagnoles, surtout irlandaises et byzantines, remonter
jusqu'à celles de la Grèce et de Rome. Il faut en suivre le développement régu-
lier dans les Universités, du xiii* au xvu e siècle, par conséquent embrasser
dans son ensemble, et, en partant d'un point vraiment central, la ,perisée du
moyen âge
Les difficultés abondent. D'abord celles cpii se produisent à propos des écoles
contemporaines, pour interpréter et apprécier les documents, pour voir si les
hommes ont bien mis en pratique ce qu'ils avaient projeté et résolu. Puis les
documents authentiques sont peu nombreux et la différence de mœurs, de cou-
tumes, d'institutions en rend l'intelligence moins aisée et moins assurée. Les
apocryphes pullulent et sont d'autant plus explicites qu'ils s'écartent davantage
de la vérité. L'usage des deflorationes qui fait qu'on retrouve chez Aîcuin (ch. VI,
I."2), par exemple, des pages entières d'Isidore et de Bède, nous oblige à nous
demander si l'on ne s'est pas borné parfois à reproduire, sans les comprendre,
des œuvres antérieures surtout il nous fait ùne loi de nous prononcer, avec une
;
grande circonspection, sur l'originalité des maîtres, quand nous voyons encore
Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, s'approprier, sans en rien dire, un
traité sur l'immortalité de l'âme de Gundissalinus (2) A l'usage des defloratimtes
!
habitudes apologétiques ont passé, plus d'une fois, des écrivains du moyen âgeA
aux Bénédictins et aux historiens nos contemporains. On se crée pour chaque
type, un idéal de perfection, et l'on attribue à chacun des personnages qui l'in-
carnent, non ce^qu'il a fait, mais ce qu'il a pu et dû faire. Tel évêque, qui était
instruit, &dû fonder des écoles tel monastère n'eût pas été aussi florissant, s'il
;
n'en avait eu une ou plusieurs autour de lui tel maître eût été moins éminent,
;
s'il n'eût pas enseigné telle matière et s'il ne l'eût pas enseignée de telle façon;
tel disciple n'a pu négliger les doctrines exposées par son maître; telle époque
sur ces indications inexactes ou risquées, on a trop souvent fondé des générali-
sations hâtives qui rapprochent, sans raison légitime, des choses éloignées par
l'espace et par le temps, qui étendent à toutes et à tous, ce qui est vrai pour une
seule école et pour un seul maître.
(4) Ce que dit Hauréau, I, 3o et suiv., est surtout vrai des vme, ixe, xa ,
xi% xn« et
xiii' siècles
(2) Bùlow, Des Dominicus Gundissalinus Schrift von der Unsierblichkeit der
Seele, Anhung enlhal tend des Wilhem von Pains {Auvergne) de immortalitate
animxy 4897.
70 HISTOIUE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE*» MÉDIÉVALES
C'est pourquoi îl est nécessaire de préparer des monographies sur une école,
sur un maître et ses disciples, sur une des matières enseignées, sur la méthode
suivie et sur les livres employés dans les écoles qui se sont succédé ou ont existé
simultanément, du vm e au xme siècle, bref sur un des problèmes qui n'ont pas
été résolus et sur lesquels les documents nous permettent de jeter une lumière
suffisante. Il va sans dire qu'il ne s'agit pas de recommencer ce qui aurait été
bien fait, mais d'augmenter le nombre des travaux de ce genre, après avoir indi-
qué ceux qui méritent de subsister ou même de servir de modèles, parce que
leurs auteurs ont dit la vérité et rien que la vérité, parce qu'ils ont. non seule-
ment écarté ce qui est faux ou gratuitement hypothétique, mais encore distin-
gué ee qui est vrai, ce qui est probable, ce qui est vraisemblable.
puient sur des témoignages aujourd'hui perdus, si ce ne sont que dépures con-
jectures ou des affirmations gratuites. L'examen des travaux auxquels l'Ecole a
donné lieu, fait après cotte étude préliminaire, montrera s'ils doivent être con-
servés ou s'il convient de les remplacer par une monographie nouvelle.
Dans ce derr/ r cas, voici quelques-unes des questions qu'on pourra se poser,
sans préjudice de celles qui naîtront au fur et à mesure de l'étude approfondie
des textes :
quelle fut leur vie scolaire et quelle eu fut la durée, quelles situations ils occu-
pèrent, etc. v
Sur les matières enseignées, on verra quel fut le programme et quelle fut la
méthode, soit qu'on place en groupes voisins et se complétant les uns les autres,
letrivium, le quadrivium, les autres sciences, la médecine et le droit, la théolo-
gie èt la philosophie soit qu'on fasse une analyse complète et qu'on s'occupe,
;
celle-ci, pendant tout le moyen âge fut intintement liée et de façons fort diverses,
avec les théologies. Il convient donc, pour en faire l'étude aussi approfondie que
possible, de chercher quelle méthode il faut appliquer à l'histoire des rapports
des théologies et des philosophies médiévales.
Nous nous attacherons, de préférence, aux philosophies chrétiennes, dont -le
développement a été plus complexe, puisqu'elles ont puisé dans les philosophies"
antiques, arabes et juives, et plus continu, puisqu'elles vont des premiers siècles
à nos jours. Et nous indiquerons d'abord quels sont les principaux problèmes
qui se posent, de ce point de vue, pour toute cette* période.
A son origine, le christianisme fut dans une opposition presque complète
avec la philosophie grecque. Les Grecs, dit M. Edouard Zeller, cherchant lè
divin dans la nature qui, corrompue par le péché, perd tout son prix pouf les
chrétiens en présence de la toute-puissance et de l'infinité du Créateur, fis veu-
lent connaître les lois du monde et, dans la vie humaine, ils poursuivent l'har-
monie de l'esprit et de la nature. Le chrétien renonce à la raison, corrompue
elleaussi parle péché, pour se réfugier dans la révélation. Son idéal, c'est l'ascé-
v
tisme, brisant tout lien entre la raison et la sensibilité. 11 remplace les héros,
qui luttent et jouissent comme des hommes, par des^saints d'une apathie monas-
RAPPORTS DES THÉOLOGIES ET DES PHÏLQSOPHIES 7â
tique, les dieux enflammés de désirs sensuels par des anges privés de sexe, un
Zeus qui goûte et légitime toutes les jouissances terrestres par un Dieu qui,
pour condamner ces jouissances, se fait homme, en sacrifiant sa propre vie.
Mais l'homme n'abandonne pas, du jour au lendemain, toutes les idées qui
l'ont fait vivre pendant des siècles. Même quand il le veut, fût-il un JDescartes; il
ne peut faire table rase dans son esprit quoi qu'il en ait et quoi qu'il fasse, les
:
ciens. Parmi les hommes pieux, il place Socrate, Héraclite et Musonius, les
patriarches et les prophètes. Or S. Justin a efercé une influence considérable sur
ses successeurs Justinus ip$e, écrivait Lange, en 1795, fundarnenta jecit, qùibus
:
sequens œtas toturn iîlud corpm philosophematum de religionis capiiibas, qmd a nobis
hodie thologica thetica vocalur supcrlruxit (1). Tatien (2), ancien sophiste. nomade,
combat là civilisation, les mœurs, les arts et ,1a science grecque; il reproche aux.
tiques; les platoniciens, qui ont inspiré Vaientin les stoïciens qui peuvent
;
revendiquer Marcion les (épicuriens, qui nient l'immortalité de l'âme; tous les
;
(i) Dissertatio, in qna Justini Mart. Apologia prima sub examen vocatur Iéna 1795,
3
I,
est, quia ineptum est. Et sepultus res>HTexit certum est t quia impossibile est »
;
Dans la doctrine trinitaire qui s'élabore par les luttes avec les monarchiens
et grâce à des emprunts aux néo-platoniciens (ch. III et V), il convient, ce sem-
ble, de rapporter tout à la fois à l'histoire théologique des dogmes et à l'histoire
de la philosophie chrétienne, ce qui repose sur des principes spéculatifs. I)'ail-
leursHippolyte a comparé la doctrine de Noëtus à la doctrine héraclitéenne de
l'identité des contraires, qui en est, selon lui, l'origine. Puis on signale des analo-
gies entre Sabellius et Philon, on dit que Sabellius se rattache au panthéisme
stoïcien et professe l'éternité delà matière que dans les controverses sur la Tri-
;
nité, c'est surtout l'idée païenne du rapport du monde avec Dieu qui s'éleva con-
tre le mystère chrétien que les pfaïens qui avaient adhéré en grand nombre au
;
l'expression ex f^ràq dont Plotin s'est servi pour désigner les rapports 4e
76 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPH1E8 MEDIEVALES
l'Intelligence au Bien. Saint Ath.mase, qui donne son nom à un Symlxile, oombat
les épicurien» qui nient Providence, Platon qui ne voit pas en Dieu le Créa-
teur; mais il se rapproche souvent des néo-platoniciens et en particulier de
Plotin.
tence des âmes. Inconsidéré la résurrection comme une allégorie spirituelle, s'ins-
pire du nép-platonisme dans ses poésies et, dans son Traité sur la Providence,
reproduit en grande partie les «\lées de Plotin. Némésius, évêque d'Emèse, se
rattache au péripatétisme et surtout au platonisme. Enée de Gaza,, disciple du
néo-platonicien Hiéroclès; Jtean Philopon, qui commente Aristoteen accentuant
-la différence du platonisme et du péripatétisme, acceptent du néo-platonisme les
doctrines qui s'accordent avec le dogme chrétien. Le Pséudo-Denys l'Aréopa-
gite n'emprunte guère au christianisme que les formules et les procèdes exté-
rieurs, le germe de sa pensée est tout hellénique. Dans les Noms divins, il déve-
loppe la doctrine de Plotin sur la théologie négative (ch. V), sur le mal, sur la
Providence, et semble avoir même subi t'influence de Jamblique et deProclus.
Maxime le Confesseur, en commentant le Pseudo-Denys, mêle ses doctrines à
celles de saint Grégoire de Nysse. Jean de Damas, dans la Source de la connais-
sance, expose l'ontologie aristotélique, combat les hérésies, donne des croyances,
orthodoxes une exposition systématique, pour laquelle il compile les deux Grégoire
et saint Basile, Némésius et Denys î'Aréopagite. La philosophie, surtout la logi-
què etl'ontotegte, sont pour lui l'instrumept de la théologie.
Dans l'église d'Ocoident, saint Augustin exerce une influence prépondérante
sur les théologiens et les philosophes postérieurs. Elevé par une mère chré-
tienne, il professe d'abord la rhétorique et éprouve une impression profonde en
lisant YUortensius de Ciécron. Séduit parle dualisme manichéen, il subit Fin-
RAPPORTS DES THÉOLOGIES ET DES PHILOSOPHAS 77
exemple célèbre sut l'essence de la cire qui passera dans les Méditations de Des*
carte», et les doctrines sur l'immortalité. Ses théories sur la prédestination, la
liberté et la grâce sont aussi importantes dans les développements de la philoso-
phie que -dans celui de la théologie. A plusieurs reprises on a étudié sa philoso-
phiey sa psychologie, exposé son anthropologie, sa logique et sa dialectique, sa
théorie de là connaissance et son importance pour le développement historique
de la philosophie considérée comme science pure, sa théorie de la connais-
sance de soi-même comparée à celle de Descartes, sa philosophie de l'histoire,
'ses pensées philosophiques sur la Trinité, sa doctrine de l'immortalité. On l'a
signalé avec raison comme un des principaux intermédiaires par lesquels saint
Thomas et Bossuet, Malebranche, Fénelon et Leibnitz, ont connu les doctrines»
plotinienees. Jansénius, Arnauld, Nicole et Pascal sont des disciples de sajnt
Augustin, que réclament également l'histoire de la philosophie et celle de |a
théologie (1).
Ciaudianus Mamertus, dans le de Statu antmœ, qui selon quelques auteurs a
inspiré les Méditations de Descartes, suit surtout saint Augustin et Plotin. Boèce,
formé par les néo-platoniciens, traduit, explique et commente des écrits d'Àris-
tote, de Porphyre et de Cicéron. Dans son de Consolât ione phi tosophiœ, il reproduit
les idées de Plotin sur le temps, sur ht théorie stoïcienne de la sensa-
l'éternité, ;
ment emprunté comment il a concilié ces emprunts avec les dogmes chrétiens ;
;
L'époque qui va de Charlemagne au xvn e siècle (III, 9, VII) est une des plus
glorieuses, des' plus tourmentées et des plus vivantes dans l'histoire du christia-
nisme. C'est la période des croisades, des luttes entre le .sacerdoce et l'empire*
de la paix et de la trêve de Dieu,' de l'inquisition et de la ehevalerie. La terre se
couvre, comme dit Raoul Glaher, d'un blanc manteau d'églises, puis de cathé-
drales. On élève des monastères où Ton copie les manuscrits et ou l'on rédige
des chroniques des écoles, des universités, dont les .maîtres 'et les écoliers par-
;
querelles des jansénistes, des molinistes, des quiétistes, des protestants et des
catholiques montrent que les questions religieuses préoccupent encore les hommes
et les peuples (II, 8).
Or, jamais les rapports de la religion, de la science et de la philosophie n'ont
été plus intimes, plus incessants qu'à l'époque où Je christianisme tenait une
place aussi importante dans la vie de l'Occident.
Qu'il suffise de rappeler, pour les temps antérieurs à la Réforme, Jean Scot
Erigène et Gerbert, Pierre Damien et saint Anselme, Abëtfard et Pierre le Lom-
bard Walther de Saint Victor qui nomme Abélard, Pierre le Lombard, Gilbert
;
et Pieçre de Poitiers, les quatre labyrinthes de la France, parce que, vnjlés, dit-il,
par tesprit aristotélique, ils ont traité avec une légèrëté scolaUique de Fine/fable Trinité
et de l'Incarnation Jean de Salisbury et Raymond de Tolède les décisions pri-
; ;
nion des théologiens qui voient en Aristote le précurseur du Messie dans les
mystères de la nature, comme saint Jean a été son précurseur dans les mystères
de la grâce.
Des rapports aussi intimes subsistent entre la théologie et la philosophie
après la. Réforme et aux premiers temps de la philosophie «moderne. Luther
eroit d*abord qu'il faut détruire de fond en comble les canons et les décrétâtes, la
théologie, la philosophie et la logique scolasticjues ; que l'Aristote des scolasti-
ques est l'œuvre des papistes que l'Aristote véritable, .naturaliste et niant l'im-
;
mortalité de l'âme, est, pour la théologie, /ce que sont les ténèbres par rapport
à la lumière. Mais Mélanchthon comprend que la Réforme ne peut se passer de
philosophie. Or, pour lui, l'épieurisme manque trop du divin, les stoïciens sont
trop fatalistes dans leur théologie, trop orgueilleux dans leur morale Platon et
;
cipes de l'étendùe essentielle et sans recourir aux accidents absolus. Ses lettrés*,
au P. Mesland inquiètent Bossuet et fournissent aux réformés des armes contre
le concile de Trente. Violemment attaquées par les jésuites, qui accusent les
cartésiens d'être d'accord avec les calvinistes, elles expliquent en partie la per-
sécution à laquelle le cartésianisme fut en butte, à peu près à l'époque où Ton
préparait la révocation de l'édit de Nantes. Spinoza compose un traité théolo-
gico-politique, dans lequel il emploie,, à l'égard des Ecritures, un système d'in-
terprétation qui n'épargne pas la personne du Christ. Bossuet^ Malehrançhe.
Fénelon y les jansénistes et les jésuites discutent, au point de vue théologique et au
point de vue philosophique, les questions de la nature et de la grâce, de la
liberté et de la prédestination. Maleljranche écrit des Conversations métaphysiques
et chrétiennes) des Méditations métaphysiques et chrétiennes, des Entretiens sur la
métaphysique dont les titres montrent bien qu'il veut unir* Tune et
et la religion,
sur la conformité de- la raison avec la foi iicherche à réunir les catholiques et
;
gile de saint Jean ; V. Cousin écrit à Pie IX, en 1856, >qu 'il poursuit l'établisse-
ment d'une philosophie irréprochable, amie* sincère du christianisme. Bu chez, Bau-
;
ciercs enseignent et ont îe dro-ij d'enseigner, que les philosophes $ alors sont des
80 HISÎOIAÊ COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
saints, des évêques, des moines, des papes; que les* laïques acceptent l'autorité
de l'Eglise ou tout au moins celle des Ecritures ; que les orthodoxes trouvent par
suite dans le dogme, pour un certain nombre de questions capitales, des solu*
tions auxquelles la philosophie n'a qu'à donner une forme plus claire et plus logi-
que; q*ue les hérétiques eux-mêmes conservent, sur plus d'un point, }a,s ensei-
gnements de l'Eglise ou les doctrines de l'Ecriture.
Jamais non plus les rapports de la philosophie et de la théologie n'ont été plus
complexes et plus difficiles à définir. On sait quelle était au temps deCharlema-
-çne, l'ignorance des hommes qu'il s'agissait de rappeler aux études littéraires.
Alcuin (V\ VI, VII) et ses successeurs n'avaient d'Aristote que des ouvrages
logiques ; leur métaphysique leur vint d'ailleurs, du Timée et de Chalcidius,
d'Apulée, de saint Augustin, de Macrobe, de Gassiodore, de Boèce, du Pseudo-
,
Denys l'Aréopagite et de Jean Scot Erigène. c'ést-à-dire en somme du, néo-plato-
nisme.
Ainsi les chrétiens d'Occident se trouvent, à la renaissance carolingienne, en
présence des doctrines qui avaient déjà inspiré les Pères et les docteurs, mais
qui avaient été aussi celles des plus ardents défenseurs du' polythéisme Moins
.
encore que leurs prédécesseurs, ils possèdent l'esprit critique. Aussi ne croient-
ils nullement avoir affaire à des doctrines hétérodoxes. Saint Augustin et sur-
tout Denys, dont plusieurs papes ont invoqué l'autorité, les empêchent même de
soupçonner que leur orthodoxie court quelque danger. L'influence exercée indi-
rectement par le néo-platonisme fut profonde et durable David de Dinant, Albert
:
le Grand, saint Thomas, Dante, tous les mystiques, Bossuet, Fénelon, Malebran-
branche, Leibnitz le reproduiront en plus d'un point et même sans en avoir
conscience Pierre Ferno croira servir les intérêts de la religion en publiant le
;
les infidèles, des guerres entre les nations et,, dans les nations, entre les rois et
les seigneurs, ,des massacres sans cesse renouvelés, des persécutions incessan-
tes. On fonde les Universités et la Sorbonne; les plus grands docteurs apparais-
sent avec les Franciscains et les Dominicains. On lit la Métaphysique, la Physique,
le Traité de Vâme d'Aristote, les commentaires des néo-platoniciens ; puis Al-Kendi,
Al-Farabi, Avicenne, Avicebron, Avempaee, Ayerroès, Maimonide, le Livre des
Causes. Les philosophes arabes avaient déjà essayé de concilier les théories
d'Aristote et de ses commentateurs aveo. le Coran. Accusés d'encourager l'audace
des hérétiques, leurs livres avaient été brûlés et à Bagdad et en Espagne, leurs
auteurs eux-mêmes avaient été persécutés. Les Juifs, et spécialement Maimo-
nide, avaient voulu concilier le judaïsme et la philosophie qui, par les Arabes,
^ iaur était venue d'Aristote et des néo-platoniciens.
.
Or, en laissant de Côté les travaux métaphysiques d'Aristote, nous voyons que
les ouvrages d'AÎ-Kendi, d Al-Farabi, d'Avicenne, d'Avicebron qu'on a compté
parmi les panthéistes les plus résolus, d'Avempace, d'Averroès, qui trahissent
l'influence néo-platonicienne, de Maimonide quia inspiré peut-être Spinoza, que
le Livre des Causes,, qui reproduit une partie de Y Institution théologique deProclus,
donnent, comme les commentaires de Simplicius, de Philopon, de Thémistius,
une nouvelle force aux doctrines néo-platoniciennes déjà connues dans l'époque
précédente et rendent de plus en plus difficile l'union de la philosophie et de la
RAPPORTS DES THÉOLOGIES ET DES PHILOSOPHÏËS 81
théologie, que cherchent alors de bonne foi la plupart des penseurs, il ne s'agit
plus seulement, ce qui était déjà une tâche bien difficile, de concilier avec les
doctrines orthodoxes les théories des néo-platoniciens partisans de la religion
hellénique, il faut encore concilier avec elles celles des philosophes qui ont déjà
essayé de les mettre en harmonie avec le judaïsme et le mahotnétisme. Aussi ne
faut-il pas s'étonner de rencontrer alors beaucoup de novateurs ou d'hérétiques
se rappprochant plus ou moins de David de Dinant et d'Amaury de Bennes,
beaucoup de théologiens et de philosophes, considérés comme orthodoxes,
dontjes doctrines, en plus d'un point, sont celles des hommes condamnés par
e
l'Eglise Pétrarque a pu dire, qu'au xiv siècle, Aristote tenait la place du Christ,
1
Averroès celle de saint Pierre, Alexandre celle de saint Paul Brucker, qu'Avi-
;
cenne a été, jusqu'à la Renaissance, le maître principal, sinon ie seul des Arabes
et des chrétiens Renan, que l'histoire des vicissitudes de l'interprétation aiexan-
;
Anselme, saint Thomas, Roger Bacon, Gerson, Tauler et presque tous les auteurs
du moyen âge, les Pères, les docteurs et écrivains ecclésiastiques des huit pre-
miers siècles. En outre on fortifie, par de nouveaux arguments, d'anciennes
doctrines, Pomponace et ses disciples affirment que les principes d'Aristote sont
en désaccord avec ceux que lui ont prêtés les scolastiques et ce qu'enseigne
l'Eglise Telesio reproduit Parménide Juste Lipse, les doctrines stoïciennes
; ; :
PlCAVET
82 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIKS MÉDIÉVALES
crits, des Universités et des écoles, des ordres religieux dont les membres accep-
tent en commun un certain nombre de
doctrines. Les Dominicains et les Francis-
cains, saint Thomas Bonaventure, tous deux canonisés par l'Eglise,
et saint
offrent des différences profondes dans leur oeuvre. De même encore; il faut
essayer de faire la philosophie de l'art chrétien, de' montrer ce qu'il doit à l'art s
tats ainsi obtenus, avoir une notion plus exacte des idées, des sentiments qui
dirigeaient la conduite des hommes dè cette époque la psychologie de Gerbert,
;
serons ce que contient chacun de ces textes, en nous demandant quelles ques-
tions se posait l'auteur^et quelles réponses il y faisait, quelle importance il atta-
chait aux unes et aux autres. Nous réunirons les résultats auxquels nous aura
conduit l'étude de toutes ses œuvres et nous rechercherons ce qu'il doit à ses
prédécesseurs ou à ses contemporains, ce qui lui appartient en propre, ce qu'il a
donné à ses contemporains et transmis à ses successeurs, historiens, artistes,
littérateurs, savants, philosophes et théologiens.
Nous ne prendrons pas une question spéciale pour rechercher les solutions
diverses qui lui ont été données du vm« au xviii 6 siècle, car nous craindrions, en
l'isolant c(e celles auxquelles elle était unie ou subordonnée, de faire prédominer
nos idées contemporaines, et de nous éloigner de la vérité historique. Mais nous
suivrons chronologiquement un certain nombre de questions qui sont d'une
importance égale pour l'histoire de la philosophie, de la théologie et de Ja civili-
sation. En voici quelques-unes. La question de l'origine du mal, résolue impli-
citement ou explicitement en Orient et en Grèce, abordée par les Pères de l'Eglise
auxquels elle s'imposait, puisque le christianisme promettait de délivrer du mal
physique et moral, a été repris^ par les philosophes et les théologiens du moyen
âge et transmise par eux aux modernes, à Malebranche, à Bayle et à Leibnitz,
à Voltaire et à Rousseau, à Schopenhauer et à Hartmann. La preuve dite onto-
logique rappelle Epicure, saint. Anselme et Gaunilon, saint Thomas et Gerson,
Descartes, Gassendi et Spinoza,- Leibnitz et Kant. A travers tout le moyen âge et
la Renaissance, chez les chrétiens, les Arabes et les. Juifs, nous relèverons les
livres des philosophes, les décisions des conciles et des papes, les affirmations
des catholiques et des protestants. Nous étudierons chez saint Thomas une
curieuse théorie des passions, qui rappelle Àristote et annonce Descartes chez ;
de Dieu, le bien et le mal moral dans l'intention saint Thomas, mêler la morale
;
Nous essayerons d'indiquer avec précision non seulement comment les théolo*-
giens, les philosophes et les savants ont conçu en général les rapports de la phi-
losophie, de la science et de la religion, mais comment ils ont, sur chacune des
questions qui peuvent être considérées comme appartenant à des titres divers à
ces trois domaines, déterminé la part de chacune d'elles comment les dogmes
;
fondamentaux, par exemple, ont été jugés par les philosophes et les savants,
comment les principes mélaphysitmes et les doctrines scientifiques ont été
appréciées par les théologiens. Nous exposerons les arguments philosophiques
par lesquels les théologiens ont cherché à faciliter l'intelligence de la Création,
de la Trinité, de l'incarnation, de la Transsuhstantîation, les arguments théolo-
giques par lesquels les philosophes ont voulu montrer que leurs doctrines
n'étaient pas en désaccord avec ces dogmes. Nous étudierons la théologie ortho-
doxe, qui devient la théologie catholique, chez saint Thomas, et la théologie
hérétique, où dominent des tendances pantliéistiques ou néo-platoniciennes, che^
Jean Scot Erigène, David de Dinant, Amaury de Benne, G". Bruno, Spinoza. Nous
verrons quels arguments théôlogiqucs et philosophiques ont employés les défen-
seurs et les adversaires du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel dans la
grande lutte où l'on rencontre Hincmar, Grégoire V1Ï et Henri IV, Thomas Rec-
ket saint Bernard et Innocent lli, Buniface VII f et Philippe le Bel, le Dante et
84 HISTOiHE COMPARÉE DES PHILOSOPHIKS MÊD1ÉTALES
Occam, desbulles papales et des édits royaux, des dissertations juridiques et des
ouvrages populaires, comme le Dialogue entre un clerc et un 'soldat ou le Songe du
Vergier. Nous exposerons de même ceux par lesquels on a combattu ou justifié le
droit de punir des hérétiques chez les catholiques, les luthériens et les calvinis-
tes, chez Bayle et les Encyclopédistes. Nous nous demanderons s'il faut voir en
Jean de Salisbury un précurseur de la politique démocratique et théocratique,
pratiquée par la Ligue et encore en honneur chez bon nombre de nos contempo-
rain*, s'il faut voir dans les ordres mendiants des prédécesseurs des réforma-
teurs qui ont de nos jours voulu changer la constitution de la propriété. Nous
v montrerons comment l'esclavage a été justifié ou combattu par les théologiens,
les philosophes, les politiques.
D'un autre côté, nous prendrons un des ouvrages de l'antiquité qui ont été
lus par les théologiens et les philosophes dont nous chercherons à faire connat-
tre la doctrine. Nous choisirons par exemple, le n«pî d'Aristote, nous en
vcomparerons le texte, tel qu'il est actuellement constitué, avec les traductions et
les commentaires latins dont se servaient ces auteurs; nous chercherons, après
avoir rappelé ce que se demandait ArisAote et ce qu'il affirmait, à établir quelles
questions ce traité a servi à poser, quelles solutions il a fournies à ceux qui l'ont
consultée quelle influence il a exercée sur la philosophie et la théologie, quelle
influence ont exercée sur la philosophie ultérieure les doctrines ainsi constituées,
i^ous ferons ensuite les mêmes recherches sur tous les autres écrits d'Aristote,
puis, réunissant tous ces résultats partiels, «nous pourrons montrer ce qu'a été
l'aristotélisme dans le moyen âge. ce que les doctrines qu'il a fait éclore ont
transmis aux philosophes et aux théologiens modernes (I). Ce que' nous ferons
pour Aristote, nous essayerons de le faire pour les ouvrages des autres philoso-
phes de l'antiquité, des philosophes arabes et juifs, pour ceux des .Pères de
l'Eglise et des écrivains ecclésiastiques, quand ils traitent des questions qui
intéressent à la fois la philosophie et la théologie Nous espérons établir, ou
(2).
totrt-aumoins montrer comment convient d'établir, d'une façon aussi exacte
il
(1) Nous montrerons aussi par contre ce qu'Àristote doit, pour la précision et la clarté,
aux commentateurs grecs et aux hommes du moyen âge.
(2) Le même travail a été faitdepuis 1889 sur la Métaphysique d'Aristote, sur sa Phy-
sique, sur la Morale à Nicomaquc, sa Politique, sur le de Fato, les Académiques, le
de Officiis de Giccron, sur le livre de Plotin. VI, 9, du Bien ou de VUn, etc. Voir les
comptes rendus de la 5« section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes
.
CHAPITRE V
quoi les anciens l'ont appelé le divin ». Et Maimomde s'exprime à peu près de
même. Au xm e siècle, Aristote devient le « précurseur du Christ dans les choses
naturelles comme S. Jean- Baptiste est le précurseur de Jésus dans les choses de
la grâce ». Les péripatéticiens, dit Albert le Grand, affirment tous que la nature
a- donné; avec Aristote, la règle delà vérité, et la perfection suprême de l'intellect
humain (1).
Il faut donc procéder,
pour ainsi dire, à une contre-épreuve et se demander
quelle fut la fortune d'Aristote, depuis sa mort en 322 avant J.-C, jusqua la
rénovation du thomisme sous le pontificat de Léon XIII? (2).
Débarràssons-nous d'abord de conceptions étrangères au monde grec et qui sont
de nature à fausser complètement l'histoire du péripatétisme
Four ceux que dominent les idées judaïques, selon lesquelles le vrai disciple
accepte intégralement les doctrines du maître, et les idées romaines d'après les-
quelles toute nouveauté est condamnable ou suspecte, un djsciple est un homme
qui, en toutes matières et sur tous sujets, n'affirme ni plus ni moins que son
maître. Au contraire, chez les Grecs —
à l'exception des seuls épicuriens qui
nous apparaissent, pour cette raison, bien plus comme des croyant» que comme
des penseurs —
tout philosophe qui a suivi renseignement d'un maître estime
,
qu'il lui fait honneur, en pensant d'une façon indépendante, en allant plus loin
dans la voie où il s'engage après lui, en s'en ouvrant une nouvelle et parfois
même en le combattant. Platon se dit, comme Euclide, Antisthène, Aristippe ou
Phédon, le disciple de Socrate Aristote s'est proclamé platonicien les stoïciens
; ;
se réclament de Zénon.
En second lieu, pour ce qui concerne, non plus les Grecs en général, mais Aris-
tote, nom; avons depuis un siècle, accordé unegrande importance à la Métaphysique ;
mais nousavons été par cela même, tenté de ne pas reconnaître comme des péripa-
titfiens yéritables ceux qui n'ont pas, après lui et comme lui, traité les questions
métaphysiques (1). Or Aristote ne fait pas des idées, comme Platon, un monde à
part c'est dans les êtres et les choses qu'il les trouve; c'est donc les êtres et les
;
choses qu'il étudie en eux-mêmes et dans leurs rapports pour connaître les idées.
Aussi est-il aussi bien qu'un métaphysicien, un érudit et un savant, dont les recher-
.
er
de 322 au l eP siècle avant l'ère chrétienne la seconde, du 1 au ix siècle après
e
;
J.-C. trosièmedu ix e au
; la xm c ; la quatrième du xiii au xv a ; la cinquième
La première période est une des plus fécondes dans l'histoire du péripatétisme.
D'abord il fournit aux stoïciens, aux épicuriens, même aux sceptiques une partie
de leurs doctrines logiques, physiques, et morales. Certains de leurs chefs pour-
raient, aussi bien que le scolarque péripatéticien Straton, passer pour des continua-
teurs d'Aristote (2). El quand le stoïcisme, pour pénétrer à Rome, se fait éclectique
Ed. Zeller, Ueberweg-Heinze, op. cit.; BquTROux, art. Aristote (Grande Encycl.). Les
idées que nous exposons ici ont été présentées d'abord dans la Grande
Encyclopédie (art.
Péripatétisme). Voir la Bibliographie du début.
(2) C'est ce qu'a bien montré
Ravaisson dans Y Essai sur la Métaphysique d'Aristote.
LES VRAIS MAÎTRES DES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX 87
Mais c'est surtout dans l Ec*ole du Lycée, que se continuent, avec une'indépen-
dance et une liberté telle; qu'on y a vu parfois de nos jours un abandon pur et
simple des doctrines du maître, l'enseignement et les recherches d'Aristote. Elle
a une succession ininterrompue de scolarqùes dont les plus célèbres sont Théo-
phraste (322-287), Straton de Lampsaque (287-269) Critolaûs qui vient en
;
(1) Les Académique* de Cicéron où sont exposées ces affirmations d'Antiochus ont
passé, en partie par S. Augustin et les écrivains latins des premiers siècles, aux scoîasli-
j
p. 101-147.
88 HISTOIRE COMPARKK DES NHILOSOPflIKS MÉDIÉVALES
dont elle tend à augmenter le nombre, comme le font bien voir les titres des
ouvrages de Théophraste et de Straton. Les sciences naturelles s'enricbissent de
monographies détaillées et de travaux considérables, parmi lesquels nous avons
conservé ceux de Théophraste sur les plantes. La médecine, la psychologie
expérimentale et métaphysique, sont cultivées comme les sciences naturelles,
lr y a, chez tes péripatéticiens, des moralistes qui décrivent les mœurs telles
qu'elles sont et des moralistes qui cherchent ce qu'elles devraient être. D'autres
cçupent d'éducation et de politique. L'histoire, divisée en domaines spéciaux,
s'attache aux institutions, aux. hommes et aux événements, aux lettres et aux
arts, aux sciences, arithmétique, astronomie, géométrie, musique, à la médecine
et à la philosophie. La. géographie et l'ethnographie se développent et s'unissent.
L'esthétique porte avant tout sur la rhétorique et la poétique, mais s'appuie par-
fois aussi sur ce que l'on appellera par la suite les beaux-arts. C'est un péripa-
téticien, Démétrius de Phalere, qui organise la bibliothèque d'Alexandrie où
se formeront des érudits et des exégôtes, des poètes et des savants, des grammai-
riens et des philosophes. Et l'on pourrait de même constater l'influence péripa-
téticienne à Pergame et à Rhodes.
ils sont surtout exégètes et commentateurs. Après And ronicus de Rhodes vien-
nent Nicolas de Damas, Alexandre d'Egée, Adraste et surtout Alexandre d' Aphro-
dite, lexégète par excellence, qui occupe à Athènes la chaire de péripatétisme
(198-214) et qui, par la manière dont il traite de l'âme et du destin, accentue
lui-même le changement de direction par lequel la philosophie est devenue
essentiellement théoiogique et religieuse (III, 3).
A côté des péripatéticiens il y a des éclectiques qui mêlent, comme on le voit
nettement chez Cicéron et ses successeurs, des doctrines aristotéliques au stoï-
cisme, au platonisme et même à l'épicurisme. Le péripatétisme se retrouve
encore chez Ses platoniciens pythogorisants et éclectiques, chez Eudore d'Alexan-
drie. Arius Didymus, Théon de Smyrne, Apulée de Madaure, Alcinous, surtout
chez le médecin Galien qui suit, en logique, Aristote, Théophraste, Eudème et
ajoute une 4 e ligure au syllogisme, qui, même en métaphysique, admet les.
quatre principes, matière et forme, cause efficiente et cause finale (III, 2).
Les née-platoniciens font la synthèse du platonisme, du stoïcisme, du péripaté-
tisme qu'ils unissent au mysticisme orientai « On lit dans les conférences de
:
moyen âge, presque toujours revu, expliqué, complété par les néo-platoniciens,
sera parfois même plus néo-platonicien que péripatéticien. En ce sens, les chré-
tiens néo-platoniciens, S. Basile, Grégoire de ÎSazianze et Grégoire de Nysse,
S. Augustin, Synésius, Némésius, Enée de Gaza relèvent d'Aristote. Même quand
la rupture est complète entre les deux directions religieuses, les chrétiens conti-
nuent d'étudier Aristote et s'efforcent de faire entrer dans leur philosophie ou
dans leur théologie, tout ce que le christianisme peut accepter de ses doctrines.
Jean Philopon, David l'Arménien commentent Aristote et transmettent à leurs
successeurs, avec bien des théories empruntées aux néo-platoniciens, des ouvra-
ges et des doctrines du maître. Boèce — que le moyen âge considère comme un
chrétien (48&52S) —
écrit unu-Consolation néo-platonicienne, se propose de con-
eiîier Platon et Aristote, mais laisse des traductions et des commentaires des
ouvrages logiques d'Aristote comme de Ylsafjofje de Porphyre. Avec Gassiodore
(477-570), Isidore de Séville (636) et I3ède le vénérable (674-735), il fournira aux
scolastiques occidentaux, pendant plusieurs siècles, le cadre péripatéticien dans
requel ils feront entrer (les doctrines chrétiennes et néo-platoniciennes. Enfin
Jean Damascèue donne, vers 700, une Source de la Connaissance (ihrfl yvû-
c-5w;), exposition des doctrines chrétiennes où la logique et V ontologie péripaté-
(1) Voir nos chapitres III, IV et VII A. Jourdain, Recherches critiques sur
; l'âge et
Vorigine des traductions latines d'Aristote, Paris, 2 e édit., 1843 Hauréau, ;
Prantl,
M un k Renan, op. cit. {Bibliographie)
,
(2) Rayaisson, Mém. sur la ph. $ Aristote chez les Arabes , Paris, 1844 (compte
rendu de l'Acad. des Inserîpt. et Belles-lettres), Munk, Renan, op. cil.
(3) Voi" Ueberaveg-Heinze, II , p. 248, qui cite les Elementa theologiœ de
8 Proclus,
le Pseudo-Pythagoras, le Pdeudo- Aristote, Theologia, le de Causis, etc., et Jour-
BAiN, op. cit.
LES VRAIS MAÎTRES DES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX m
avoir de commun avec la philosophie et 'deviennent, à la fin du xii e siècle, les
maîtres du monde de l'Islam, où ils font détruire ou brûler les œuvres des philo -
sophes. Chez les Juifs, les philosophes les plus célèbres, Ipn Gebirol et Maimo-
nide, se rapprochent des péripatéticiens arabes, mais tiennent de plus près
encore au néo-platonisme. A l'Occident chrétien, ils conservent et transmettent
les œuvres arabes et ils contribuent ainsi à lui révéler le péripatétisme nêo-pîa-
v
tonicien. Les invasions des Barbares, qui se multiplient, se continuent et se
succèdent pendant plusieurs siècles, ont fait disparaître en Italie, en Gaule* en
Espagne, en Angleterre, bien des écoles et bien des manuscrits on ne connaît
:
sies, c'est qu'on tente de faire entrer dans les cadres logiques ou métaphysiques,
préparés pour un système de réalités immanentes, les doctrines transcendantes
formulées par les néo-platoniciens et les chrétiens. En ce sens, l'influence d'Aris-
tote fut alors considérable.
mais les Arabes n'ont plus guère que des théologiens, pour qui le péripatétisme,
comme tonte philosophie, reste une chose inconnue et dédaignée les Juifs suivent
;
quand l'étude en est autorisée, après 1231, il y a des philosophes, dont le plus
célèbre et le plus original est Roger Bacon qui pensent par eux-mêmes et recom-
mandent ou pratiquent l'expérimentation et l'observation; il en est qui inclinent
au mysticisme ou vers les doctrines de Platon et de Plotin. Ceux-là même qui
92 HISTOIRE COMPARÉE DES VHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
che pure et désintéressée, sont en décroissance par suite des guerres, des pestes, des
famines. Aristote, beaucoup moins lu et commenté qu'au xm e siècle, revient au
premier plan avec Occam et ses successeurs, qui reprennent la question. des uni-
versaux.
Mais Mélanchthon crée bientôt, pour les écoles protestantes, une philosophie où
Aristote est la^ principale autorité, pendant que, par les jésuites, qui remettent
en honneur le thomisme tout en le modifiant, et commentent les écrits péripaté-
ticiens, Aristote reste un maître respecté dans le£ écoles catholiques. En outre,
si l'imprimerie multiplie les chefs-d'œuvre de l'antiquité païenne, elle publie
surtout, pendant le xv e et le xvi e siècles, les textes et les commentaires, les tra-
ductions, les paraphrases et les exposés dogmatiques qui ont à l'époque médié-
vale, fondé, conservé ou accru l'influence péripatéticienne.
N
phie des anciens péripatéticiens, fondée sur les recherches positives. Les sciences
-d'Observation, aidées par des instruments précis et puissants, font des progrès
tels qu'elles égalent, encefeens, les sciences mathématiques. Et, chose curieuse,
ce sont les savants ou les philosophes comme Galilée et Bacon, Descartes, Gas-
sendi, Pascal ou Malebranche, en qui l'on verrait avec raison les vrais continua-
teurs d'Aristote, qui l'attaquent avec le plus d'énergie et aussi avec le plus
d'injustice. C'est que ceux qui se disent alors ses disciples, jésuites ou profes-
seurs des Universités, en ont ce qu'il ne fut jamais auparavant, même aux
fait
époques où on l'admirait le un maître dont les doctrines doivent être accep-
plus,
tées sans discussion, comme on reçoit sans y rien changer, les dogmes catholi-
LES VRAIS MAÎTJUSS I>ES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX 93
ques. C'est que le Parlement de Paris défend en 1624, sous peine de mort,
d'enseigner rien de contraire à la doctrine d'Aristote. Et pour empêcher, en 1070,
le Parlement de reproduire sa condamnation de 1624, il faut que Boileau et ses
amis composent et répandent Y Arrêt burlesque. Aussi rinfiuenceU'Aristote va t-
elle diminuant sans cesse au xvn« et au xvni e
siècles sur les penseurs et les
savants qui dédaignent le péripatétisme des écoles, encore que Descartes, Spi-
noza, même les îogicisns de Port-Royal et Pascal, soient parfois moins éloignas
qu'ils l'imaginent <lu véritable Aristote dont les doctrines leur sont arrivées par
des voies indirectes.
ïi n'en fut pas de même en Allemagne. Jamais les philosophes ne se sont
séparés complètement de 1a scolastique péripatéticienne de Mélanchthon, pas
plus d'ailleurs qu'ils n'ont entièrement rompu avec les croyances religieuses
qu'avaient alors adoptées Jeurs pères. Leibnitz disait qu'il y a de l'or dans le
fiuuier de* la scolastique et voulait faire une place au péripatéti&me dans son
système éclectique. Son successeur Woîf systématise, à la façoa des mathémati- ,
de figurer dans l'histoire des sciences que sa méthode pouvait encore être étu-
; ,
diée et méditée avec fruit. En même temps ou un peu plus tard, des philosophes
dont le plus marquant a été Ravaisson, estimèrent que. la Métaphysique constitue
la partie la plus importante de son œuvre et conserve aujourd'hui encore toute
sa valeur et toute sa portée. Enfin, depuis 1879 et l'Encyclique terni Patris de
Léon XIH, le néo-thomisme et par suite un péripatétisme chrétien, a trouvé des
adhérents catholiques, ou augmenté le nombre de ceux qu'il a conservés, en
Belgique et en Bollande, en Allemagne et en France, en Hongrie et en Autriche,
en Italie et en Espagne, même en Angleterre et en Amérique. Aussi Aristote
est-il lu et cité par les naturalistes, les psychologues, les moralistes et les logi-
ciens.,' par les sociologues et les métaphysiciens, par les historiens des Arts et des
nique (1). Les hiérophantes y retrouvaient « ce qui de leur temps était considéré
comme la sagesse suprême par la philosophi» la mieux accréditée > (2). Le
stoïcisme y succéda au pythagorisme, plus ou moins modifié pac les doctrines
de l'Académie. Le néo-platonisme remplaça le stoïcisme daoâ les mystères
d'Eleusis, comme il l'avait remplacé dans le monde hellénique (3).
orphiques de cette période qui reflètent les idées et les tendances des Alexandrins, les
écrits de Porphyre el de Proclus attestent suffisamment que le néo-platonisme était devenu
LES VRAIS MAITRES Ï>ES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX
Plotin, écrit Porphyre dans la Vie de Plotin, étaient convenus de tenir secrète
la doctrine qu'ils avaient reçue d'Aminonius. Plotin observa cette convention.
Hérennius fut le premier qui la viola, ce qui fut imité par Origène. Ce dernier
se borna à écrire un livre Sur les Démons et sous le règne de (iallien, il en fît un
;
autre pour prouver que Le Roi est seul créateur (ou poète). Plotin fut longtemps
sans rien écrire. 11 se contentait d'enseigner de Vive voix ce qu'il avait appris"
fK^Vinmonius. Il passa de la sorte dix années entières à instruire quelques disci-
ples, sans rien mettre par écrit ; mais comme il permettait qu'on lui fît des
questions, il arrivait souvent que l'ordre manquait dans son école et qu'il y
avait des discussions oiseuses, ainsi que je l'ai su d'Amélius. ... Plotin com-
mença, la première année de Gallien, à écrire sur quelques questions qui se
présentèrent ».
lîbrs même que Pîotîn écrit, il ne s'adresse pas à tous ; il fait un choix entre
ceux qui souhaiteraient devenir ses lecteurs comme entre ceux quhse présen-
tent pour être ses auditeurs « La dixième année de Gallien, dit Porphyre, qui
:
est celle où je le fréquentai pour la première fois, il avait, écrit 21 livres qui
n'avaient été communiqués qu'à un très petit nombre de personnes ; on ne les donnait pas
facilement et il n'était pas aisé d'en prendre connaissance on ne les communiquait
;
qu'avec précaution et après s'être assuré du jugement de ceux qui les recevaient ».
Enfin Plotin annonce, par les jugements mêmes qu'il porte dans son école,
l'estime qu'il fait des Mystères et l'importance qu'il leur attache: « Un jour,
écrit Porphyre, qu'à la fête de Platon je lisais un poème sur le Mariage sacré,
quelqu'un dit que j'étais fou, parce qu'il y avait, dans cet ouvrage, de l'enthou-
siasme et du mysticisme. Plotin prit alors la parole et me dit d'une façon à être
entendu de tout le monde « Vous venez de nous prouver que vous êtes en même
:
Dans le livre sur le Beau, que Plotin écrivit le premier et qui est, pour les
éditions porphyriennes, le sixième de la première Ennéade, se trouvent, pour
ainsi dire, le plan et le but de l'œuvre tout entière. Plotin entreprend de montrer
comment, par la vue du Beau, on peut purifier l'Ame, la séparer du corps, puis
s'élever du monde sensible au monde intelligible et contempler le Bien; qui est
le principe du Beau. Par le vice, par l'ignorance, l'âme s'éloigne de son Essence
et tombe dans, la fange de la matière par la vertu, par la science, elle, se puri-
;
fie des souillures qu'elle avait contractées dans son alliance avec le corps, et elle
la philosophie deâ Mystères. Maxime, Ëunape, Julien, sans aucun doute Proclus étaient
des initiés d'Eleusis et la charge d'hiérophante, au me et au iv« siècle de notre ère, fut
occupée plus d'une fois par des plùlosophes néo-platoniciens. Jamais peut-être l'accord ne
fut plus étroit entre la religion et la plrilosophie ».
96 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
ainsi que nous voyons* les pourceaux immondes se vautrer datis la fange avec
délices ».
<t nous reste maintenant à remonter au Bien auquel toute âme aspire. Quicon-
II
que l'a vu connaît ce qui me reste à dire, sait quelle est la beauté du Bien. En
effet le Bien est désirable par lui-même il est le but de nos désirs. Pour l'attein-
;
dre, il faut nous élever vers les régions supérieures, nous tourner vers elles et
nous dépouiller du vêtement que nous avons revêtu en descendant ici-bas,
comme, dans les Mystères, ceux qui sont admis à pénétrer au fond du sanc-
tuaire, après s'être purifiés, dépouillent tout vêtement et s'avancent complète-
ment nus ».
Au paragraphe suivant, Plotin substitue son idéal de l'homme sage et heureux
à celui des stoïciens et indique plus clairement encore son intention de rempla-
cer leur interprétation alïégorique des Mystères par, celle qu'il puisera dans sa
propre doctrine* Celui qui est malheureux, dit-il d'abord, ce n'èst pas celui qui
ne possède ni de belles couleurs, ,ni de beaux corps, ni la puissance, ni. la
domination, ni la royauté, mais celui-là seul qui se Voit exclu uniquement de
îa possession de la Beauté, possession^ au prix de laquelle il faut dédaigner les
royautés, la domination de la terre entière, delà mer, du ciel même, si l'on
peut, en abandonnant ét en méprisant tout cek^ contempler la Beauté face à
face. Puis il ajoute :
« Comment faut-il s'y prendre que faut-il faire pour arriver à contempler
•
cette Beauté ineffable qui, comme, la divinité dans les Mystères, nous reste
cachée au fond d'un sanctuaire et ne se montre pas au dehors, pour ne pas être
aperçue des profanes? Qu'il s'avance dans ce sanctuaire, qu'il y pénètre, celui
qui en a îa force, en fermant les yeux au spectacle des choses terrestres et sans
jeter un regard en arrière sur les corps dont les grâces le charmaient jadis ».
Le livre que Plotin a écrit le 9 e et qui porte sur le Bien et l'Un, a paru d'une
importance extrême à Porphyre, qui fa pkcé le 9* dans la VP Ennéade, c'est-à-
dire 1p dernier de toute son édition. En fait, c'est un de ceux qu'on étudie avec le
plus grand profit, quand on cherche à saisir, rapidement dans ses traits essen-
tiels, la philosophie néo-platonicienne. Plotin y traite d'abord de i*Un, qu'il dis-
tingue de l'Intelligence et de l'Être qu'o'n ne saisit, ni par la science, ni par. la
;
.
vie des dieux, des hommes divins et bienheureux, constitue un état ineffable,
extase* simplification, don de soi, etc. Si l'âme ne peut ia maintenir, c'est qu'elle
n'est pas tout à fait détachée des. choses d'ici-bas, qu'elle ne s'est pas encore
identifiée à l'Un.
Dans bien caractéristique de l'époque théologique ou médiévale
ce livre,
(ch. H), Ptotin fait deux choses également significatives au point de vue qui
nous occupe. S. Paul avait rattaché aux doctrines stoïciennes une. formule célè-
bre « C'est en Dieu que nous viv^s, que nous sommes et que nous nous mou-
:
vons » {Actes, XVII, 27 28). Le traité de l'Un ou du Bien en contient une inter-
y
par conséquent, lui semble le plus. important de l'œuvre tCemies c'est cela que veut :
montrer F ordre desmijstêws, de ceu&.on il y a défense d& produire au dehors, pour les
hommes gui n'ont pas été initiés, ce qui y est enseigné comme le divin n'est pas de
:
nature à être divulgué, il a été interdit de le montrer à celui à qui n'est pas échue
la bonne fortune de le voir lui-même. Or puisqu'il n'y avait pas deux êtres, majs
qu'il y en avait un, le voyant identique au vu, de façon qu'il -n'y ei^tpas un être
vu, mais un être unifié, celui qui serait devenu tel, s'il se souvenait du temps où
il était uni au bien, aurait en iui-mèu& une image du Bien. Et il était un et
n'avait en lui aucune différence, ni relativement à lui-même* ni relativement aux
autres. Car rien de lui n'était mû en lui, revenu en haut, n'étaient présents ni
;
appétit ni désir d'autre chose ; en lui, il n'y avait ni raison, ni pensée, quelle
qu'elle soit, ni lui-même absolument, s'il faut dire aussi cela. Mais comme ayant
été ravi ou porté en Dieu, il était constitué tranquillement dans une installation
solitaire, ne s' écartant en aucune façon de son essence, qui est sans tremblement,
ne se tournant-pas vers lui -même, sé tenantde toute façon en repos et étant devenu
pour ainsi dn e>stabilité (î ) Il ne s'occupe plus des choses belles^ s" élevant déjà aussi au-
dessus du beaûjayant dépassé déjà aussi le chœur des vertus, comme quelqu'un qui payant
pénétré dam Vintérieur- de l'impénétrable (du sanctuaire), laissant par derrière les statues
qui sont dan&tê v«ô$, statues qui, pour celui qui sort du sanctuaire, sont de nouveau tes
premières, après le spectacle du dedans et la communication qu'il a eue là, non avec des
statues ou des images, mais avec lui. Spectacles certes qui .-ont le* seconds. Et peut-
être n êta*t-:e pas là un spectacle, mais un autre mode de vision, une extase
a
(4)'Sur l'emploi de ce mol orâcrs; chez Plotiu, voir ch. îli, 4, 10; ch. î\, 4t.
PïCWET 7
98 HISTOIRE COMPAREE DES PH1LOSOPHIES MEDIEVALES
temple ce qui est dans le sanctuaire (1). Mais s'il regarde autrement, rien ne lui
est présent. D'un côté donc, ces images ont été dites à mots couverts par tes sages certn
d'entre tes prophètes pour indiquer de quelle manière ce Dieu est ou. De Vautre, le sage
hiérophante, ayant pénétré Vénigme, ferait, étant venu, la contemplation véritable du
sanctuaire. Et n'y étant pas venu, mais ayant pensé que le sanctuaire, celui-là qui est
en question est une chose invisible et une source et un principe, il saura qu'il voit un
principe comme principe {ou le principe par excellence) et lorsqu'il y est venu avec
lui, il sait qu'il voit aussi Je semblable par )** semblable, ne laissant, en dehors
de sa vue, rien des choses divines, de toutes celles que l'âme peut avoir. Et avanl
la contemplation, elle~ réclame ce qui reste à voir de la contemplation. Mais ce
qui resle, pour celui qui s'est élevé* au-dessus de toutes choses, c'est ce qui est
avant toutes choses. Car certes, ce n'est pas au non êlre absolument qu'ira la
nature de l'âme mais, d'un côté, étant allée en bas, eïle viendra dans le mal et
;
ainsi vers le non-être, non toutefois vers le non-être qui le. serait d une façon
achevée. De l'autre, ayant parcouru la voie contraire, elle viendra non à autre
chose, mâts à elle-même et ainsi n'étant pas dans autre chose, il n'en résulte pas
qu'elle n'est dans aucune chose, mais qu'elle est en elle-même Et celui qui est
en elle-même seule, non dp l'être, est dans Celui-là. Car il devient ainsi lui-
«*
(4) Tous ces ternies employés pour désigner la vision de Dieu et l'union avec loi sont
Caractéristiques : où 0éctj!x« &k\à x\\o^ Tp6v?i t<#£ iàtiv, gx?r«crç^ xai. éhr\to3iç <xi i^iSbi-
7>ç xvroO xoci êf&tru no*i<, ».(s*v y.uinoài èfupixoyyv. ,. Les mystiques
ti'aihc, x«t ;repevo
des siècles suivants, chrétiens ou musulmans, ont choisi l'un ou l'autre de ces termes, qui
impliquent des procédés différents ; tous relèvent ainsi de Plotin et de son école.
(2) Nous avons essayé de traduire ce texte aussi littéralement que possible, la traduction
de Bouillet ne nous ayant pas toujours paru suffisamment exacte. On peut consulter la
traduction anglaise de Th. Tayior. Select Works of'Plotinus, p. 468 et suivantes.
(3) Les uns rappellent la peine de mort portée contre tonte profanation des mystères
et lacondamnation à mort, par contumace, d'Àieibiade. Le dernier écrit, 1«f ar ticle,
p. 174, n. M « Les Grecs eut mêmes, font venir M.u<rrYjpia de (xû&j (clo-e la bouche).
;
disait déjà Platon dans un passage du Timée souvent reproduit par Pic Ju, « que
si c'est une grande affaire de découvrir l'auteur et le père de cet univers, il est
impossible, après l'avoir découvert, de le faire connaître à tous » {Timée, 28, c).
Et sur cette explication repose, outre la constitution de la théologie négative si
importante avec le Pseudo-Denj^s, l'interprétation des. mystères d'Eleusis (§ il).
Plotin rappelle ensuite Je rôle du hiérophante, en ce qui concerne la commu-
nication aux initiés des objets touchant de très près aux divinités des Mystères,
probablement même de leurs effigies (ta fakx?ypcv«). Ces statues ou a ttributs diffé-
raient des attributs et des représentations exposées en dehors du péribole ; elles
étaient enfermées dans un sanctuaire (jtéyotnnv, àvax-cjoov) où le hiérophante péné-
trait seul. Elles en sortaient pour la fête des Mystères sous la garde des Eumol-
:
pides, elles étaient transportées à Athènes, mais voilées et cachées aux regards
des profanes. Pendant Tune des nuits de l'initiation, les portes du sanctuaire s'ou-
vraient et le hiérophante, en grand costume, montrait aux mystes assemblés
dans le ntarfoie» les kpà éclairés par une lumière éclatante. De là même venait
son uom d'hiérophante (6 j.soà yak™)-. Pour Plotin, ce sanctuaire —
qui rappelle
peut-être aussi le Saint des Saints des Hébreux (i) —
et ce qu'il contient ligure
l'Un on le Bien, l'hypostase suprême avec laquelle nous devons chercher à
nous unir les statues qui sont dans le mac représentent, comme il l'indiquera
;
prétation dépasse celle qui. grâce aux stoïciens, avait été longtemps acceptée
pour les Mystères.
Ce magnifique morceau de Plotin, dit Bouillet (t. III, p. 564), est assurément
ce que l'antiquité nous a laissé de plus beau sur les vérités religieuses, ensei-
gnées à Eleusis. Nous y voyons, en outre, la manière dont l'école néo-platoni-
cienne propage sa doctrine parmi les partisans des Mystères et comment, lorsque
ceux-ci ont disparu, elle l'a laissée à leurs ad versaires, parce qu'elfe restait, en
plus d'un point, l'expression la plus parfaite des conceptions chères à toute la
période théologique, qui s'étend, de Phi Ion, à Galilée et à Descartes.
l;e livre qui traite des trois hypostases principales, le dixième dans Tordre
tin (% 6), non eu prononçant fies paroles, mais en élevant noire âme jusqu'à lui
par «Ja prière or la seule manière de le prier, c'est de nous avancer solitairement
;
T
vers Un, qui est solitaire. Pour contempler l'Un, »i faut se recueillir dans son
for intérieur comme dans un temple et y demeurer tranquille, en extase, puis,
eonsftllérer les statues qui sont pour ainsi dire placées dehors (l'Ame et Flulelli-
(1) Il faut se souvenir que Philon, par Numénuis, a. agi sur Plotin (ÏU, 4}..
ioo HISTOIRE COMPÀRKE DKS PUILOSOPHIES MÉDIÉVALES
gence)et avant tout la statue qui brille au premier rang (l'Un), en lacontempiant
de la manière que sa nature exige ».
Ainsi Plotin, parlant de l'Ame du monde, en termes qui sont stoïciens et qui
transforment ie stoïcisme, montre comment il en fait une partie constitutive et,
en une certaine mesure, secondaire, de son système. Pois il continue son inter-
prétation des Mystères, en identifiant, avec l'Ame et avec l'intelligence, les statues
qui sont en dehors du sanctuaire ( I).
En résume Plotin, dans les divers passages rappels, superpose sa philosophie
h toutes les parties constitutives cl, essentielles des Mystères. Tous ceux qui,
préoccupes du divin, placent un monde intelligible au-dessus du monde sensible,
qui sub>til.uent, le principe de perfection aux. principes de causalité et. de contra-
diction, seront conduits à accepter son interprétation, s'ils conservent les Mys-
tères à prendre pour eux ses doctrines, s'ils renoncent à tout ce qui rappelle la
;
religion antique. A cet<égard, Plotin se met dans une position unique. Il pense
bien moins à défendre les anciennes croyances qu'à faire accepter son système.
S'il invoque les mythes, les Mystères ou même les croyances populaires, c'est
surtout pour montrer qu'il les complète, et qu'il en donne l'explication la plus
satisfaisante.
Après Plotin, les tendances sont religieuses, bien plus encore que théologiques
et philosophiques la lutte se poursuit, ardente, implacable entre les partisans
:
(I) On
pourrais retrouver, dans la plupart des livres importants de Plotin des allusions,
directes ou indirectes, aux Mystères d'Eleusis. Il nous suffira d'en mentionner quelques-
unes, puisque nous avons, avec les citations précédentes, une interprétation complété. Le
second livre sur l'Ame, le 28 8 dans l'ordre chronologique, le 4 e de la 4« Enn&ide dans
l'édition de Porphyre, traite des âmes qui font usage de la mémoire et de l'imagination,
puis des choses dont elles se souviennent, il se demande sî les âmes des astres et l'âme
universelle ont besoin de la mémoire et du raisonnement ou si elles se bornent à cèntem-
pler l'Intelligence suprême, s! cherche quelles sont les différences intellectuelles' entre
l àme universelle, les arnes des astres, l ame ^e la ,terre et les âmes humaines, quelle est
l'influence exercée par les astres et en quoi consiste la puissance de la magie. Eouiilet
signale, avec raison, un beau passage qui sè termine par ees lignes : « Avant de sortir de
la vie, l'homme sage connaît quel séjour l'attend nécessairement et l'espérance d'habucr
un jour avec les dieux vient remplir sa vie de bonheur » nï V, 4, j 45). C'est, dit-h, te
développement d'une pensée /le Pindare « Heureux qui a vu les mystères d'Eleusis» a van F
:
d'être nus sous terre Il connaît les tins de la vie et le commencement donné Je Dieu »
!
Enfin dans le livre qui est le 30« par l'ordre chronologique et le 8 e de la 5« Ennénâfe;
Plotin s'occupe de la beauté intelligible et fait figurer « toutes les essences dans le ilfonde
intelligible, comme autant de statues qui sont visibles par elles-mêmes et dont le specta-
cle donne aux spectateurs une ineffable félicité ».
LES VRAIS MAÎTRES DES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX 101
des luttes politiques où la violence eut infiniment plus de part que les convic-
tions philosophiques ou même théologiques. Ainsi Constantin place la croix sur
le îabarum et permet aux chrétiens d'exercer librement leur culte puis il les ;
398 les Goths reparurent en Afrique, conduits par Alaric; les moines qui avaient
acquis assez d'influence sur l'envahisseur pour lui faire épargner Athènes,
durent lui persuader aisément de se dédommager sur le sanctuaire dès Bonnes
Déesses, qui fut livré au pillage et à l'incendie ».
(i) « La sagesse, écrit Thémistius, fruit de son génie et de son travail, Aristote l'avait
recouverte d'obscurité et enveloppée de ténèbres, ne voulant ni en priver les bons, ni la
jeter dans les carrefours toi (mon père) tu as pris à part ceux qui en étaient dignes et
;
qui nous dégagent du monde extérieur, aux purifications secrètes ; les vertus contempla-
tives, aux réunions ; les mêmes vertus, dirigées vers l'unité, aux initiations enfin l'intui-
;
tion pure des idées à l'intuition mystique, Le but des mystères est de ramener les âmes à
leur principe, à leur état primitif et finale c'est-à-dire à la vie en Zeus dont elles sont
descendues, avec Dionysios qui les y ramène. Ainsi l'initié habite arec les dieux,
selon la portée des divinités qui président à Vinitiation. Il y a deux sortes d'initia-
tions les initiations de ce monde, qui sont pour ainsi dire préparatoires; et celles de
:
l'autre, qui achèvent les premières (Cousin, Fragments de philosophie ancienne:, Olym-
piodore, Commentaire sur le Phédon, p. 448).
102 HISTOIHE COMPARÉE DES PHILOSOfHlES MÉDfÉVMiES
nautés fondées en terre païenne, ils utilisent, comme on le voit par l'art des
catacombes, les applications du symbolisme des Mystères; ils s'en inspirent pour
la cène et pour la niasse, comme pour le développement de l'idée sacerdotale.
A plus forte raison ont-ils pu subir l'influence de l'interprétation que Plotin avait
jointe aux. mystères et qui, bien plus aisément que toutes les pratiques, pouvait
se détacher de la religion hellénique !
De même que Plotin a donné, des mystères d'Eleusis, une interprétation idéa-
liste 'jui leur survécut, il a présenté, d'un passage célèbre do S. Paul qu'il ne —
nomme pas d'ailleurs —
une explication systématique, destinée à passer lonf
entière dans le christianisme et en former une partie essentielle.
;
Les Actes des Apôtres (XV ïl, 16 h 34) nous apprennent que S. Pau', arrivé à
Athènes, discutait tous tes jours sur la place publique avec les premiers venus :
niens, c'est celui qui a fait le monde et. toutes les choses qui sont" eu lui, 6 nouiau^
rov y.oTuoj *tù rr«vr« r« èv aOrs>» c'est le niHÎt?*e du ciel et de la terre. 11 n'habite
;
point dans des sanctuaires faits de, main d'homme il n'est point servi par des
;
myins humâmes comme s'il avait besoin d<j quelque chose, npovisàyiswi 7>voc,
LES VRAIS MAÎTRES DES PHILOSOPHES MEDIEVAUX 103
mais il donne à ions vie, respiration et toutes choses, otJovç nù*™ £&>àv xai ttvqïjv
xcà rà Trayra ; il a réparti la terre entre tous les hommes, issus d'un seul, pour
qu'ils le cherchent trouvent en le touchant Çnui» rôv (j&ov, et âipo.ys 'pn'kciftivsiùv
et le
aùrov xtti zvpouv. Il n'est pas loin de chacun de nous, puisquen lui nous vivons,
non? nous mouvons et nous sommes, puisque nous appartenons à sa race, comme
l'ont dit quelques poètes, xai yz o\i txocy^pccj utcô £vô; ex^o-rou ïjja&iv Orra/î^ovree sv aOrw
yoip Çwagv vtat xevovusda v.».\ î<rp.év mç xaî rivsç rôv xecô'vuàç TroujT&iy sipiîxatnv toù yàp xai
t
yévo: èff/xsv. Et comme nous sommes de sa race, nous ne devons pas. croire que la
Divinité soit semblable à de l'or, à de l'argent ou de là pierre sculptés par l'art
et l'intelligence de l'homme. Enfin le narrateur nous apprend que, parmi ceux
qui s'étaient attachés à S. Paul et avaient embrassé la foi chrétienne, se trouvait
Denys l'A réopa gîte.
Ces poètes dont parle S. Paul, c'est Aratus, c'est aussi Cléan he, dans l'hymne
célèbre à Zens, U *ov y«p yevoç fopfr. Le Dieu dont parle S, Piul, c'est au sens
littéral des mots, celui du stoïcisme (III, 3). Comment Plotin a-t-il transformé
cette doctrine, matérialiste, puisque l'éther divin reste un corps, en un idéalisme
qui pût. être accepté par les chrétiens, auxquels il fournit le commentaire le plus
complet et le plus satisfaisant du texte de S. Paul ?
Et d'abord que devient chez Plotin le Dieu inconnu? C'est celui auquel ne
s'appliquent ni les instruments de connaissance par lesquels nous saisissons le
monde sensible, ni les catégories dans lesquelles on fait rentrer les idées que
nous nous en formons, ni les mots par lesquels nous avons coutume de les
désigner et de les rappeler.
Au livre e résumant sa théorie de l'Un et de l'extase, dit que Dieu
, Plotin
n'est aucune des choses que nous connaissons que la compréhension, «nmcriç;
;
que nous en avons, ne vient ni par la science, kziar^ur^ ni par la pensée, vôvjo-tç,
comme celle des autres intelligibles... Car l'âme qui acquiert la science d'un
objet s'éloigne de l'Un et cesse d'être tout à fait une, la science impliquant le
raisonnement ().cyoç), qui comporte multiplicité. A plus forte raison, PUn ne
peut-il être connu par la sensation ou par l'opinion sa compagne, qui ne pour-
rait le représenter que comme une grandeur, une figure ou une masse (pfysdo$ h
ayjux h oyxov). Aussi ne peut-il prendre place dans aucune des catégories établies
par Aristote ou ses successeurs il n'est ni une certaine chose, ni quantité, ni
:
il échappe à la science, puisque notre connaissance est fondée sur les formes,
yvwtç tintai-» ànspeifopèvy Enfiu, ce qui répond déjà par avance aux accusations
.
de panthéisme, l'Un n'est point toutes choses, r« rrcévra, car de cette manière, il
ne serait plus l'Un; il n'est point davantage l'intelligence, car alors il serait
encore toutes choses, puisque l'intelligence est toutes choses il n'est point non ;
3, Des genres de l'être (critique des catégories aristotéliciennes et stoïciennes qui précède
l'exposition des doctrines plotiniennes).
HISTOIRE COMPARSE DES PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
lui donner un nom ou un autre, de lui joindre aucun attribut. Iî n'y a pas même
besoin de dire, Il est : it suffît de l'appeler le Bien en retranchant tout, afin de ne
pas introduire en lui quelque diversité. Et c'est aussi ce qui amène Proclus à
affirmer, dans sa Théologie élémentaire (CXXilf), que « tout ce qui est le divin
même est, à cause de son unité supra- esseotielie, mettable et inconnu aux êtres
de second rang » (1).
Cette théologie négative dont les chrétiens auront l'expression la plus complète
dans les Noms divins et les autres ouvrages qu'on attribuera à Denys l'Aéropagite,
converti par S. Paul, Plotin l'appuie sur une théorie de la connaissance qui lui
sert aussi ù édifier sa théologie positive. C'est le semblable qui connaît le sem-
blable ; avec l'Intelligence, sans se servir d'aucun des sens, sans mélanger
c'est
aucune de leurs perceptions aux données de l'Intelligence, que l'homme contem-
ple l'Un c'est avec l'Intelligence pure, avec ce qui en constitue le degré le plus
;
élevé, qu'il contemple le principe le plus pur, x«©«pw t&> vw to xaOKjo-wTccrov bsûaSai
xc« rot» voO tù Tcpû™. Ce qui rend, même, en ce cas, notre connaissance impar-
faite, c'est que l'âme devient Dieu ou plutôt qu'elle est Dieu c'est que celui qui
;
voit, ne voit pas, à proprement parler, ne distingue pas, ne s'imagine pas deux
choses. Absorbé en Dieu, il ne fait plus qu'un avec lui, comme un centre qui
<
et de se vouloir soi-aiê'nie, car il n'y a rien antre chose 'q ue le Bien qu'il eût sou-
L'Un étant cause rie lui-même, étant par lui-même et étant Lui en
haité d'être.
vertu de Lui-même, est Lui d'une manière suprême et transcendante, il est Fin-
dépendance même et l'auteur de, toute liberté. Il s'aime et se donne ainsi l'exis-
tence il y a en lui identité du désir cl de l'essence. Acte immanent, ce qu'il y a
:
de plus aimable eu lui constitue une sorte d'intelligence. Ayant une intuition sim-
ple de lui-même par rapport à lui-même, il est une action vigilante, c'est-à-dire
une supra-inteilection éternelle. Comme il est le Premier, procédant de lui-même ;
comme son être est identique à son acte créateur et à sa génération éternelle, il
est l'acte premier. Se commandant à lui-même, il est le Premier, non par l'ordre,
mais par sa puissance parfaitement libre. Souverainement indépendant de
toutes choses, il est l'absolu» Supérieur h l'Intelligence, il est ls cause de la
cause iî est cause d'une manière suprême et contient à la fois toutes les causes
;
Ainsi toutes les perfections que les anciens ont signalées en Dieu, tout ce que
Platon, Aristote et les stoïciens en ont conçu par l'étude d'eux-mêmes et du monde
sensible, tout ce que les Mystères et les religions antérieures en ont entrevu ou
pressenti, tout ce, que ses prédécesseurs immédiats en ont dit (ch. îîl, 1. 2. 3. 4.
5; iO), Plotin le rassemble en une synthèse qui pourrait admettre des éléments
nouveaux, mais qui, en fait» ne s'en adjoindra guère pendant la période médié-
vale, pas plus qu'il ne s'introduira de données nouvelles dans le système que
Plotin a constitué pour ses successeurs. Mais il reste entendu que les termes dont
on se sert et qui désignent primitivement des idées puisées dans le monde sensi-
ble ne sauraient être considérés comme l'expression adéquate de la réalité intel-
ligible pas plus que 'celle-ci ne peut être soumise aux principes de contradic-
;
Paul affirme que Dieu a fait toutes choses, Plotin l'explique, surtout dans
Si S.
"le Comment procède du Premier. ce gui est après /m u^ansle livre 10, des trois
livre 7,
hypostases principales; dans le livre ii t 2è la génération et de l'ordre des choses qui
sont après le Premier. D'abord il montre pourquoi l'Un ou le Bien n'est pas resté
en lui-même, pourquoi, par procession, il a produit l'Intelligence, l'Ame et tous
les êtres dont noire monde est peuplé- Toutes les choses, tant qu'elles persévè-
rent dans l'être, tirent nécessairement de leur propre essence et produisent au-
en suivant l'ordre de l'édition porphyrienne, les livres Contre les G nos tiques
(i) Voir,
(llj9,); surl'Ame, l'Intelligence et te Bien (iii, 9) sur les trois hypostases princi-
;
pales (V, î) sur tes hypostases qui connaissent et le principe supérieur (V, 3) ; sur
;
ta liberté et la volonté de CUn (VI, 8); sur l'Un ou le Bien (VI, 9).
106 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
dehors une certaine nature qui dépend de leur puissance et qui est l'image de
l'archétype dont elle provient le feu répand la chaleur; la neige, le froid
: les ;
parfums, tant qu'ils durent, émettent des exhalaisons auxquelles participe tout
ce qui les entoure les sues des plantes tendent à communiquer leurs propriétés.
;
Si donc le Bien suprême restait enfermé en lui-même, c'est qu'il serait impuis-
sant ou jaloux. Mais, dans un cas comme dans l'autre, il ne serait plus ni par
fait, ni principe. Donc l'Un, éternellement parfait, engendre éternellement, et ce
qu'il engendre, éternel mais inférieur au principe générateur, c'est l'Intelligence
qui, à son lotir, engendre l'Ame (1). Celle-ci engendre tout ce qui est inférieur
aux choses divines. Ainsi tout est, produit par une procession 'descendante,
comme, par une progression aseendante, tout se retourne vers son principe géné-
rateur et accomplit sa conversion vers l'Un.
Mais pour conserver à Dieu sa perfection, il faut éviter tout à la fois le dua-
lisme manichéen ou le panthéisme des époques ultérieures. Il faut également con-
server à l'homme sa personnalité et sa liberté, pour rendre possible son immor-
talité et son union avec Dieu Ou ne le pourrait avec le principe de contradietion
et avec le principe de causalité on le peut si l'on réserve pour le monde intelli-
;
ses après la procession. C'est ce que montre et ce que répète souvent Plotin. Si
toutes lésâmes forment une unité générique, elles ne forment pas, dit le livre 8,
une unité numérique; villes peuvent éprouver des affections diverses, comme les.
mêmes puissances produisent des actes variés. Et la raison, c'est que si Ton se
bornait à affirmer que l'âme universelle est présente à toutes les ames particu-
lières dont elle est la commune origine, on ne pourrait admettre que les unes
demeurent unies à l'Intelligence et que les autres n'y demeurent pas, on ne pour-
rait admettre la liberté. De même au livre X (Vf, 9,5), l'Un est présenté connue
la source des choses excellentes, la puissance qui engendre les êtres, tout en
C'est plus encore peut-être en ce qui concerne notre parenté avec Dieu et sa
présence parmi nous, que Plotin, répétant les formules stoïciennes que citait
fv Paul, en donne un commentaire idéaliste et spiritualiste, dont les Chrétiens
feront leur profit. C'est le semblable qui, pour Plotin. connaît le semblable c'est, :
par sa présence, non par science, opinion ou sensation que. l'on arrive, autant
qu'il est possible, à la compréhension de l'Un. Il faut donc que l'âme humaine
ait dé l'affinité avec la na'.ure divine et éternelle et que l'Un soit présent partout,
pour que l'union puisse se faire entre l'âme et l'Un Or dans te livre 2, sur l'Im-
mortalité. Plotin établit que l'âme n'est pas corporelle, qu'elle n'estni l'harmo-
nie ni l'eutélécbie du corps, par conséquent qu'elle ksi de même race que la
natllre divine et éternelle, ta (kio?ipx f'jon .7*77 c q '/'/j) x«è ûiài'p (IV, 7, 10).
••.•/;
Puis, après avoir expliqué," au livre (», que Kàtiie individuelle obéit à la loi par
laquelle l'Un produit les deux autres h y posta ses cl le monde, en venant ici-bas
pour se communiquer aux choses inférieures pour y manifester ses puissances
tout en conservant son intégrité, Plotin insiste, au livre 9, sur la parenté de l'âme
avec l'Un, pour expliquer l'extase « Puisque les aines sont de l'ordre des essen-
:
ces intelligibles et que l'Un est. encore au-dessus de l'Intelligence, il faut, admet-
tre que l'union de l'âme et de l'Un, auvaor;, s'opère ici par d'autres moyens que
ceux par lesquels l'Intelligence s'unit à l'intelligible. Cette union est en effet
beaucoup plus étroite que celle quj est réalisée entre l'Intelligence et l'intelligible
par la ressemblance ou l'identité elle a lieu en vertu de l'intime parenté qui
;
unit l'aine avec i'Un, sans que rien les sépare, x«i nliàv, &*ç ro vooûv isupttwt ô^oio-
Plotin insiste sur î'om ni -présence de Dieu. Deux livres, le 22'- et le 23', sont
spécialement employés à montrer que l'Etre un et identique est partout présent;
mais presque tous reproduisent et justifient la même affirmation. Pour le monde 1
introduisons ensuite le premier principe dans cet espace et dans ce lieu que nous
représente notre imagination ou qui existe réellement. »
Or, en l'y introduisant, nous nous demandons d'où il y est venu et comment il y
est venu. Le traitant alors comme un étranger, nous cherchons pourquoi il y est
présent et quel il est; nous nous imaginons qu'il est sorti d'un abîme ou qu'il est
tombé d'en haut. Pour écarter ces questions, ii faut donc retrancher de la con-
ception que nous avons de Dieu toute notion de Heu, ne le placer- en rien, ne le
concevoir ni comme se reposant éternellement et comme édifié en lui-même, ni
comme venu de quelque part, mais nous contenter de penser qu'il existe, dans
le sens où le raisonnement nous force à admettre qu'il existe, et bien nous
persuader que le lieu est, comme le reste, postérieur à Dieu qu'il est posté
;
rieur même à toutes choses. Ainsi concevant Dieu en dehors de tout lieu, autant
que nous pouvons le concevoir, nous ne le circonscrivons pas en quelque sorte
dans un cercle, nous n'entreprenons pas de mesurer sa grandeur, noua ne lui
attribuons ni quantité, ni qualité; car il n'a pas de forme môme intelligible, il
n'est: relatif à rien, puisqu'il subsiste en lui-même et qu'il a existé avant toutes
ehoses » (1). Non seulement l'Un n'occupe point de lieu et, n'a pas besoin d'un
fondement pour être édifié, mais c'est sur lui que sont édifiées toutes tes autres
choses, c'est lui qui, en "leur donnant l'exis'ence, leur a donné en même temps un
lieu où elles fussent placées (2). Dès lors, il est partout, car il n'y a point de lieu
où ii ne soit pas il remplit tout. Mais s'il était seulement partout, il serait sim-
;
plement toutes choses. Comme, en outre, il n'est, nulle part, toutes choses exis-
tent par lui parce qu'il est partout, toutes cboscîssonî distinctes de lui parce qu'il
n'est nulle part. Pourquoi est-il partout et nulle part ? (Test qu'en raison même
du principe de perfection, l'Un doit être au-dessus de toutes choses, tout remplir,
tout produire, sans être tout ce qu'il produit (3).
A plusieurs reprises. Plotin précise le sens qu'il convient d'attribuer à cette
orn ni -présence et la distingue nettement de ce qu'elle pourrait être, si Ton prenait
(2) VI, 9, 7.
(3> îll, 9, 3.
108 HISTOIRE COMPARÉE DES l'HîLOSOJ'HIES MÉDIÉVALES
sel, dont le monde n'est que l'image, n'est dans rien; car rien n'a précédé son
existence. Ce qui est postérieur cet titre universel doit, pour exister, être en lui,
il
Il ne faut donc pas placer notre monde dans cet être véritablement universel
veut s'unir à lui. Le monde tourne auteur de l'Etre universel, en sorte que, par
toutes ses parties, ii jouit de la présence de cet être tout entier. Si l'Etre univer-
sel était dans un lieu, noire monde devrait se rendre auprès de lui en ligne
droite, toucher différentes parti -;s de cet être peu différentes de ses parties et se
•
trouver ainsi éloigné de lui d'un côté et voisin de lui d'un autre, côté. Mais comme
l'Etre universel n est ni vois: r. d'un lieu, ni éloigné d'un autre, il est nécessaire-
ment présent tout entier dès qu'il est, présent; par suite, il est présent tout entier
à chacune de ces choses, dont il n'est ni voisin ni éloigné (1).
Comment l'Un peut-il demeurer en lui-même et être partout ? Ce- sont, dit
Piotin au livre 22, ses puissances qui descendent en toutes choses, auxquelles il
les communique dans la mesure où elles peuvent y participer. Ainsi par elles,
il est présent partout et cependant i! demeure séparé, car l'unité de l'Etre pre-
mier, un et identique partout, n'empêche pas la pluralité des Etres, pas plus
que l'unité de l'âme n'exclut la pluralité des âmes, pas plus même que la main
qui tient un morceau de bois divisé en plusieurs coudées ou plutôt que la force
qui est dans la main, n'a pour cela perdu son unité. Si les corps ne peuvent
s'unir entre eux, c'est parce qu'ils ne se laissent pas pénétre*. Mais ils ne peu-
vent empêcher les substances incorporelles de s'unir entre elles» Ce qui les sépare
les unes des autres, ce n'est pas une distance locale, c'est leur distinction, leur
différence, krspbrritt $exat iïtofopu. Lorsqu'il n'y a pas de différence entre elles,
elles sont présentes l'une à autre. L'Un, qui n'a pas en lui de duïérence, est
î
« Figure ''.-vous, dit-il au livre 22, un point lumineux qui serve de centre et
autour de lui une sphère transparente, de telle sorte que la ciarté'&u poin4 lumi-
neux brille dans tout le corps qui l'entoure, sans que l'extérieur reçoive aucune
clarté d'ailleurs... Cette lumière im passible pénètre toute la masse qui l'en-
toure... du point central dans lequel* on ia voit brillet, elle embrasse toute la
sphère. Ce petit corps répandait sa lumière en vertu d'une puissance incor-
. .
lement dans l'intérieur et dans toute ia sphère extérieure... Vous ne verrez plus
où elle était fixée... Vous ne direz plus d'où elle vient, ni où elle est.., Si ie soleil
était une puissance incorporelle, vous ne pourriez, lorsqu'il répandrait la
lumière, dire où elle a commencé et d'où elle est envoyée iî n'y aurait qu'une
;
au milieu des choses sensibles, est. pour l'âme une chute, un exil, la perte de ses
ailes (VI, 9, 9). Nous ressemblons à un homme qui aurait les pieds plongés
dans l'eau et le reste du corps placé au-dessus de l'eau nous nous rattachons
;
par le centre de nous-mêmes au centre commun de tous les êtres. Mais l'âme se
laisse ramener aux choses sensibles ;les passions, œuvre du corps, introduisent
en elle des différences et des diversités. En ce cas. il lui est absolument impos-
sible de contempler l'Un et de s'apercevoir de sa présence. Et cela n'est guère
facile non plus, comme nous le savons déjà, quand nous nous sommes unis à
lui. « L? âme étant une, parce qu'elle ne fait qu'un avec l'objet vu „ s'imagine
que ce qu'elle cherchait lui a échappé, parce, qu'elle n'est pas distincte de l'objet
qu'elle pense... L'âme, affranchie de toutes les choses extérieures, tournée
entièrement vers ce qu'il y a déplus intime en elle,,, ignorera toutes choses,
d'abord par l'effet même de l'état dans lequel elle se trouvera, ensuite, par
l'absence de toute conception des formes, elle ne saura môme pas qu'elle s'ap-
plique à la contemplation de l'Un, qu'elle lui est unie». Si nous reprenons les
comparaisons tirées "de la lumière, l'âme est, dans le monde sensible, plongée
dans l'obscurité et séparée par des obstacles, de l'éternelle lumière unie à Dieu,
;
il n'est absentd'aucun être et cependant il est absent de tous, en sorte qu'il est
présent (à tous) sans être présent (à tous). Il est présent pour ceux-là seuls qui
peuvent le recevoir et qui y sont préparés, qui sont capables de se mettre en
harmonie avec lui, de l'atteindre et de ie toucher en quelque sorte en vertu de
ia conformité qu'ils ont avec lui, en vertu également d'une puissance innée ana-
logue à celle qui découle de lui, quand leur âme enfin se trouve dans l'état où
elle était après avoir communiqué avec lui alors ils peuvent le voir autant
:
lui il
; n'est absent que pour ceux qui ne peuvent y réussir... Dieu n'est en
dehors d'aucun être il est au contraire présent à tous les êtres, mais ceux-ci
;
peuvent l'ignorer c'est qu'ils sont fugitifs et errants, hors de lui, ou plutôt
:
hors d'eux-mêmes: Us ne peuvent peint atteindre celui qu'ils fuient, ni. s'étant
perdus eux-mêmes, trouver un autre être V!, 9, 7).
( . L'Union de l'Ame et de
110 H1STOIKF COMPvNmt; 1*1 S fjllLObOl'MlËïs MÉDIÉVALE*
l'Un esl plus étroite que celle qui est réalisée entre l'Intelligence et l'intelligible
parla ressemblance ou par l'identité elle a lieu en vertu de l'intime parenté :
qui unit l'âme avec l'Un, sans que rien les sépare. N'ayant point en lui de . .
différence, l'Un est toujours présent; ei nous, nous lui sommes présents dès que
nous n'avons plus en nous de différence... Quand nous le contemplons, nous
atteignons le but de nos vœux et nous jouissons du repos, nous ne sommes plus
en désaccord et nous formons véritablement autour de lui un chœur divin (VI,
9, 8). Nous ne sommes point séparés de l'Un, nous n'en sommes point distants,
quoique la nature corporelle, en s'approchant de nous, nous ait attirés à elle.
Mais c'est en l'Un... source de là Vie, source de l'Intelligence, principe de l'Ktrc.
cause du Bien, racine de l'Ame... que nous respirons, c'est en lui que nous
subsistons car il ne nous a pas donné une fois pour s'éloigner ensuite de nous
; ;
mais il nous donne toujours, tant qu'il demeure ce qu'il est, ou plutôt tant que
nous nous tournons vers lui c'est là que nous trouvons le bonheur c'est en lui
; ;
que noire âme se repose c'est là qu'elle pense... là qu'elle vit véritablement.
; . .
La vie véritable (où l'on est avec Dieu) est l'actualité de l'intelligence... (Test
en lui qu'est le principe de l'a me et sa fin son principe, parce que c'est de là ;
qu'elle procède sa fin, parce que c'est là le bien où elle tend et qu'en retour-
;
nant là, elle redevient ce qu'elle était. Là-haut seulement est l'objet véritable
. .
de l'amour, le seul auquel nous puissions nous unir et nous identifier, que nous
puissions posséder intimement, parce qu'il n'est point séparé de notre àme par
l'enveloppe de la chair... L'âme vit alors d'une autre vie, elle s'avance vers
Dieu, elle l'atteint, le possède et, dans cet état, reconnaît la présence du dis-
pensateur de la véritable vie (Vf, 9, l))... Si l'Ame ne demeure pas là-haut, c'est
qu'elle n'est pas détachée des choses d'ici-bas. Mais un temps viendra où elle
jouira sans interruption de la vue de Dieu ; c'est quand elle ne sera plus trou-
blée par les passions du corps (VI, 9, 10).. ; Celui qui entre en communication
avec Dieu... devenu Dieu, a en lui-même une image de Dieu... quand il aura
perdu la vue de Dieu, il pourra encore, réveillant la vertu qu il a conservée en lui
et considérant les perfections qui ornent sou Ame, remonter à la région céleste,
s'élever par la vertu à l'intelligence, et par la sagesse à Dieu-m 'me. Telle est la
vie des dieux, telle est aussi celle des hommes divins et bienheureux de. a ceux
que leur démon a bien traités », sj^at/zovwv.
(1) Presque tous auteurs de comptes rendus ont donné une place considérable à la
les
thèse d'après laquelle faut voir en Plotin le maître des philosophes médiévaux. Quelques-
il
un? l'ont combattue et niée. Selon M. de Wuîf, la diversité des philosophiez médiévales
est trop considérable pour qu'on puisse répondre d'une façon uniforme à la question. Mais
les grandes personnalités da xi u« siècle, Albert te Grand, Thomas d'Aquin, Bouavenlure,
adversaires de l'érnaiiatSsme et du panthéisme, ne sauraient avoir été inspirées par Plotin
(Rev. néo-scol. 1 905, p. 145). P. Nicolas Stehle renvoie à de Wulf et juge à peu prés
de m^me Zu Ibrem Beweise fehlt noch vieles und ein solcber Beweis wird svohl auch
:
nie \Ph. Jahrh. 1905). Les Studi Religiosi ont eherehé les arguments
gelingeu
fondamentaux sans pouvoir les trouver ... dopo aver percorso lentamento queste, 368
:
pagine m-fc*. sempre aspettando gjli argument! fqndati, che purtroppo, non abbiamo
. .
Les vrais maIthes des philosophes médiévaux Ht
est nécessaire d'abord de rappeler' -les passades où la question ^ été abordée-
Il
potuto trovare (1905, p. 674). Pr. Tiniothée dans les Etudes franciscaine*, p. 4, écrit :
a exercé quelque influence sur le moyen âge, cette influence a été très peu considé-
rable... On sait que ses écrits n'ont été publiés qu'assez tard. Le moyen âge ne l'au-
rait donc connu que par les quelques auteurs païens qui l'ont cité. Or rien dans les auteurs
médiévaux les plus célèbres qui donne à penser qu'ils aient subi Finfluence du néo-plato-
nisme de Piotin. .Piotin doit énormément au christianisme.
. C'est un néoplatonicien
. .
vinecre pienamente il lettore la dove tenta di sostituire ad Aristoteie Piotino, corne il vero
maestro del medio evo ». Pour M. Gantoni le fait que la philosophie d'Aristote a été trans-
formée ou déformée par ses successeurs prouve uniquement sa vitalité; puis la philosophie
plotinienne fut' vaincue avec les Mystères enfin la théologie négative se trouve dans
;
Origène> avant de figurer chez Piotin « Senza voler menomamente diminuire il valore
:
altissimo é l'efficacia di Piotino nella storia délia filosofia, sembra eue le due prove messe
innanzi dal Picavet non siono pienamenta persuasive ». — T);ins la Revue de philosoph ie
(1906, p. 29G), M. Pomet des Vorges écrit « L'exposé des faits nous conduit à penser,
:
contre l'opinion de M. P., que, si les philosophes chrétiens ont employé quelquefois des
expressions plotiniennes en usage dans la langue philosophique de leur temps, Piotin n'a
fourni aucune doctrine caractéristique à la philosophie chrétienne, mais a plutôt intro-
duit dans le néo-platonisme certaine-* idées chrétiennes déjà répandues dans le monde
romain». D'autres écrivains admettent partiellement la thèse, à propos de laquelle ils
présentent des objections et des quesiions « L'influence de Piotin, écrit dans les E fades,
:
1906, p. 245, X. Moisant, et en général des néo-platoniciens, sur les phiiosophies médié-
vales, fut plus active qu'on ne le pense parfois. M. P. l'observe justement. Elle s'étendit,
non seulement aux fondateurs de la scoîastique, mais à leurs successeurs non seulement
;
aux hétérodoxes, mais aux orthodoxes non seulement aux mystiques, mais aux dialecti-
;
donne une large place à Piotin il nous met en présence de documents significatifs, d'où
;
nous devons déduire que l'histoire du platonisme se répercute dans l'histoire de la scoîas-
tique. Il faut de même convenir que les ouvrages d Aristote ne sont pas parvenu* aux
philosophes du moyen âge, dégagés de tout commentaire néo platonicien Mais X. Moi-
sant ne trouve pas également décisifs tous les autres rapprochements (S. Paul et Piotin,
Alcuin, Maimonide, scoîastique contemporaine). « M. P., dit-il, estime que la philosophie
plotinienne fournit le modèle et la philosophie chrétienne, la copie. Dans certains <\is, et
dans une certaine mesure, oui. Mais il faut bien accorder que la philosophie chrétienne
reçoit du christianisme son idée inspiratrice». —
T. R., dans la Revue des Etudes
grecques, écrit « A part les livres du Pseudo-Denys, on n'aperçoit pas très uettomeni
:
les canaux qui auraient servi à transmettre le plolinisme en Occident... C'est un point
que M. P. devra développer et préciser». —
La Revue thomiste, 19<K», p. î>59, écrit :
soc ce point plus qu'on ne le fait d'habitude et il a raison... La question est d« savoir si
MSTOÎttii COMPARÉE bïïS Wl! I.OSOi»!i:ES MKIMKVàLKS
thèse. .U eût été bon auisi de préciser le mode d'action du néo-platonisme sur les philo-
.
sophes du moyen âge. . En réalité, Plotin n'a probablement été connu que par des cita-
.
lions empruntées à quelques auteurs anciens, Macrobe, par exemple, et les vrais propaga-
teurs des doctrines néo-platoniciennes furent S. Augustin et le pseudo-Denys, tributaire
de Procîutk plus que de^ Plotin ». —
M, Bidez, dans la Revue antique, 1905, p. 129, dit :
tote... dfe. Platon.., permet de constater que lu philosophie médiévale, dans la plus
grande partie de son existence, s'est contentée de plagier les écrits des néo-platoniciens...
Nefaut-iUpas remonter jusqu'à Platon, jusqu'aux Orphiques? » La plupart des comptes
rendus elsdes lettres comportent l'approbation tacite ou expresse de la thèse relative à
l'influent® du plotinisme. Ainsi MM. V Albert (Aurore), N. {Journal des savants),
R. (Petit Temps). Altamira, Ch. Denis (Ateiates de philosophie chrétienne), d'autres
encore su bornent à laformuler sans réserves. Le Soir écrit « Cette thèse originale et
:
ingénieusement dévtflbppée est, pour- ainsi dire, le leitmotiv de son livre ». L'auteur de
,
fortement discutée par ceux qui croient démonirée la prunauLé intellectuelle d'Aristote sur
le moyen âge, pensant ou nulle ou insignifiante l'action du néo-platonisme sur cette
époquei. Elle subira, sans doute, des corrections. Nons la croyons, cependant, dans son
ensemble, très sérieusc-et fortement? appuyée par les arguments et les textes invoqués par
M. P. et nous avons, déjà eu l'occasion, au cours de leçons sur l'histoire de la philoso-
phie du moyen âge, d'émettre des doutes sur la valeur- des opinions qui dénient aax idées,
uéo-ptulûniciennes, toute influence sérieuse sur les doctrines du moyen âge ». M. Millioud .
Plotin Cela est-il pour rabaisser la dSgnité de la religiou chrétienne ? Point. Le chris-
tianisme attestait sa puissance en aspirant la sève de l'antiquité ». —
M. Paul Alphandéry
l H >vue de l'histoire des religions^ 1905., p. 427), emploie plusieurs pages fort docu.
m entées à établir pourquoi et comment le plotinisme passa chez, les chrétiens, les musul-
mans et les juifs. — M. Arthur Mannequin (Mev. phil., avriH905) écrit Les, deux rai- :
sons qu'eu donne M. P. sont Tune et l'autre très fortes et très séduisantes ». M. Bcux- —
deau {Débats) dit « D'après M. P., c'est le mysticisme individualiste de Plotin qui repré-
:
sente le véritable esprit du moyen âge et l'esprk religieux de tous les temps». La —
flevue ds Métaphysique et de morale, janvier 1905,, dit"..* M, P. insiste sur le rôle
j$ iènliel que Plotin a joué dans la formation de la métaphysique religieuse. C'est lui, et
non Aristote, qui est le maître par excellence ; ou si l'on préfère, c'est à travers l'alexau-
drmisme que la moyen âge a été péripatéticien ». —
M. Boutroux écr»t « Conformément
:
â ces vues, M. P. croit pouvoir démontrer que le vrai maître des théologiens du moyen
âge n'est pas le naturaliste Aristote, mais le théologien. Ho Un » (Ac. des se. m. et p. ,
Plotin who, from a theologscal and mystical point of view, Hrst gives the synthesis, défi-
nitive in Us grand lines, of the éléments isolated or already assembled by the ancients.
Plonn, therefore, who ta the rea! master of the philosophers of theMiddle Ages, ortho-
dox or heterodox. The culhor thus cornes to- formula te this chief thesis. Plotin i& the
.
reul monter of the philosophers, Christian*, Jéwn, and Musulmans. This very origi-
nal i.hesis de* erves to he the subject of a spécial paper ». —
M. Louis Lé. -y, dans Y Uni'
v?.r i«rv 1205, n. 1H8. « M. P. me semble £tre... dans ie vrai quand il affirme
I.KS VKA1S HAiTKE& M» PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX î 13
r.îus et àPriscinnus, à Macrobe et à Boèce (Ht 6). On a signait':, rte 329 à Charte-
magne, le Pstuuio-Denys l'Aréopagite, Maxime le Confesseur, Jean Philopon,
Jean Damaseènr, Cassiodore (III, 7). Il a été montré sommairement que le sys-
tème .de Plotiii domine toutes les phiîosopbies médiévales, du i«' au vin siècle 4»
(lit, 10) puis, que de 325 an vm* siècle, les chrétiens s'assimilent les doctrines
;
pîotiniennes (IV, f» et 7) ensuite, que rAristote des Byzantins et des Arabes est
;
plus plotioien que péripatéticien (\% t, 2, 3, 4); pourquoi Piotin est devenu le
maître des philosophes (V, îMI) quelles furent les doctrines de Spot (VI, 3-5)
;
et une justification des doctrines pîotiniennes toutes les discussions sur Je vous*
:
que Piotin est le véritable maître des philosophes da moyen âge ». — M. Pilion {Année
philosophique, 4904) cite quelques passages de ia conclusion « où le rôle de Ploîtn dans
la formation des doctrines religieuses est fort bien expliqué ».—51. An eut Monûl n 1906,
.
2% «M. P. establisbes with forcible proots mal ail synthèses first atiempted between
:
sctenUfic, theological and philosophie*! éléments cas be traeed lo Ploonus,- and also
thèse tradettaken îater by the Christian^, Musulmans, Oriental aud Occidental Jo-tys ». —
Momst, 4905, p. 477. « Tne man who swayed not only Thomism *>ni iiie en tire Medi.ce*
va! philosephy, was thut ancien mystic, Ploti&ysB. Georges R&iard. Itev. polit, et par-
lent*, (903, p. 588 « Ftoiin d'Alexandrie est le njaitre des philosophes de Bysrmce
:
revendiqué par les chrétiens et par leurs adversaires. D'ailleurs il est impossible
de déterminer exactement ce qui revient « AmmoniusSaccas et ce qui appartient
à Plotin dans les Rnnéadcs. Or ii semble infiniment probable qu'Origène te chré
tien fut un disciple d'Arnmnnius et qu'il transmit, par conséquent, aux chrétiens
des doctrines qui, se trouvant aussi chez Plotin, y ont pris souvent une forme
plus complète et plus systématique (1).
Enfin il importe de faire remarquer qu'une Esquisse ne comporte qu'un certain
nombre d'indications, destinées à montrer la vraisemblance de la thèse, qu'il
appartiendra k Y Histoire générale et comparée d'en fournir les preuves.
Or Plotiu, malgré les difficultés du texte, inhérentes à la profondeur du sujet
et à la façon dont composait l'auteur, a été beaucoup lu nu moyen âge. Les néo-
platoniciens rétudiént, le commenteofet le citent a. Rome, à Alexandrie, à Athènes,
pendant les six premiers siècles. Les chrétiens d'Orient le Usent comme les néo-
platoniciens an isre siècle, c'est S. Basile. S. Grégoire de Nysse et S. Grégoire
:
est du xiii 6 siècle. En 1492, Ficin le traduit pour l'Occident. Là. traduction est
réimprimée en 1540, en 1559; elie Test avec le texte grec en 1580, en 1615
Désormais Piotin sera dans les mains des historiens et des philosophes.
Il est donc incontestable que, directement et indirectement, Plotin a été connu
à toutes les époqnes par les philosophes de l'Orient chrétien Par les néo-plato-
nicieus, par les trois Cappadociens. surtout par Synési us, j>ar Cyrille qui, « dans
l'histoire des dogmes ne peut être comparé qu'à Athanase, dans l'histoire de la
théologie qu'à Augustin » par INémésius, Enéo et Zaeharie, par David l'Armé-
;
0) Douillet signale plusieurs ressemblances de ce genre. "Les Rtadcs du. 5 décembre i9Gï
disent d'Origène p. 580 « Son vrai maître, celui qui fit sur aon esprit l'empreinte
, U
Oins profonde, fut sans contredit le fondateur de l'éclectisme. .. Ammonius Sacra* n
fcES VRÀiS MAITRES DES PHILOSOPHES MÉDIÉVAUX
\\) BoLiLLEi, L'nnéades, passim ; Museaux, IJÏ, c. 4; Ghandgkokge, op, cit. ; Jour-
dain, Recherche* sur (es traduction* a" Aristote ;
Ckaionkt, l) saga w kg. Croiset,
op. cit.
CHAPITRE VI
manie pour Hauréau, c'est par lui que l'Allemagne a recommencé l'apprentis-
;
seront envoyés par l'Irlande h l'Ecole du Palais. Ueberweg reconnaît qu'on étu-
diait, avec grand soio, la dialectique dans les écoles fondées par Alcuin; il
jitlirme que la scolastique est née de l'application de la dialectique à la théologie
et il en prend un exemple dans le de nihilo et lenebris de Frîdugise, le disciple
d'Alcuin et son successeur à Tours mais iJ n'en fait pas moins commencer la
;
période avec Jean Scot Krigène, auquel il oppose l'école deRaban Maiu*. M. de
VVulf, dans sa récente Histoire de ta philosophie médiévale, en fait un compilateur
et un grammairien, un puissant instaurateur d'études, mais il estime qu'il ne
mérite pas, comme philosophe, la réputation qu'on tut a faite (3).
Or, î'examen des historiens cités et des textes d'Alcuin nous avait conduit, dès
1889, à des résultats absolument oppocés et qui n'ont pas été infirmés (4).
Il va sans dire qu'où ne saurait faire d'Alcuin ni un homme habile dans le grec
notre point de vue moderne : car pour une philosophie qui admet un monde
intelligible (Hï, V), i! s'agit de savoir* s'il faut
y transporter tout, ce qui a un nom
dans nos langues créées en voeduanonde sensible.
De même, selon Hauréan, Candide fut un disciple êT Alcuin dont if reproduit
plus d'une fois les assertions. Venu de Fuida avee Candide, Rahan Maur resta
six ans à Tours auprès d' Alcuin 11 en emporta des cahiers de rédaction, sur \fi
marge desquels il écrivait ses gloses et dont ii se servait pour ses leçons :
Aussi la méthode <|u' H observe et fait observer à Frdda, c'est celle qui était
pratiquée à Tours. Comme Alcuin, il faitféloge de la dialectique {i) el rappelle
que c'est grâce aux sept arts que les vénérables et catholiques docteurs ou dé-
fenseurs de la foi ont toujours vaincu les hérétiques dans les disputes publiques.
Même Rahan Maur, instruit peut-être des ravages que produisait la dialectique
dans îe domaine religieux, quand elle était maniée par nu Jean Sein Erigène qui.
en combattant Gottscbalk, au nom des orthodoxes) accumulait erreurs sur
erreurs, semble avoir douté de la valeur de la dialectique. Dans le de (fniveno,
qui contient entre autres une doctrine atomiste, adaptée (2), bien avant Gassendi,
au christianisme, et qui semble avoir été remanié, après la transformation de sa
pensée, Haban fait remarquer qu'au sens spirituel, l'autruche peut signifier les
hérétiques ou les philosophes qui « cum pennis sapientiœ se eœ-altare volant, ml
lumen non evolant >». Du geai, il dit loquacissimum genus et vocilms importunum.
:
« Omni* qui incarnai «mis- mysteria juxta hunmmm sapientiam dismdere cmat.ur t
cames agtii aqm vatt coqmre, id est, dispensalimis ejus mgsterium per dissotulam nuit
scientiam penetrafe ». Aux prises avec Gottschalk, il récourt, non à la dialectique
iuais aux Ecritures et aux Pères (e dwinù ScripturU et de arthodoxorum Palrum*
(i) Oportet ciericos banc artein nobUissimam scire ejusqùe jura in assidui* meditationi-
bus babe^e, ut subtiîiter hmieticoram versuliam hac possint cogaoseere eorumque dicta
veneficaMs syîîogismorwn conclusionibus confntare {de Imt. cleric.)
{%) Jean Philippe, Le Poème de Lucrèce depuis la Renaissance carolingienne
jusqu'au XI* siècle (thèse diplômée de l'Ecole pratique, des Hautes Etudes, 5* section).
120 HIS'FOIKF CO.MPAItÉE hES ! 'H tf /'SOPHIE* \JKIMKV.UKS
sacras apot fcctorem Canif e.i prudenter ngere, nt forte vêtit plus sapere quai» oportef
tei
« Si komo vim sw» a.qnmeeret naturm H Creatoris sui potentiam rite intel-
raHonttlis
ligent, nequaqmm stultis se ïmplicaret quœstioml}vs, et quœ Chrutianœ religioni sunt
contraria nec sensu tenervi. nec vocè pvoferrei
Donc Ton insistait Surtout sur la seconde partie de !a vie de Raban (2), on
si
devrait ranger parmi les théologiens qui ont condamné la philosophie plutôt
le
que parmi ceux dont, la philosophie peut se réclamer. QHe vài on ne le fait pas,
au moins faudra~t-il considérer comme philosophe celui dont il lient tout ce
qu'il sait et faire commencer avec Aicuin la seoUstique française et allemande.
D'autres raisons nous y obligent Âlcuin eut porsr disciples, à l'Ecole du Palais,
Adalhard qui fit fleurir les études à Corbie, d'où sortiront par (a suite Paschase
Radbert et Ratramne Angtlbert» l'abbé de Saiot-Rîequier, qui y réunit plus de
;
rum t « nec non tkeologomm pkilosopkoruiwjue sut tempovis princeps ». Non seulement
Raban emprunte ses gloses à renseignement d'Aleuin, mais encore Heiric
d'Awxerre commente les vers mis comme prologue au livre des « Decem Catégo-
ries ». Gerbert suit à Reims l'ancien programme dé ftahan et d'Heiric (3).
C'est au même résultat que conduit l'examen des ouvrages du maître de Char-
lemagne. Alcuin a fort bien compris qu'il était appelé k travailler à une renais-
sance littéraire et philosophique (i). Et les noms nouveaux que prennent le
(1) Les mêmes paroles se retrouvent dans les lettres qu'adressent à Roscelin, Thibault
d'Eiampes et Yves de Chartres. Voir noire Roscelin, op. rit.
(2) On pourrait rappeler encore que le successeur de ttaban, Haimon, connaissait
mieux, au témoignage d'Heirie, «es lettres sacrées que les lettres profanes que les glosas ;
attribuées par Cousin et Hauréau à Raban, sont, selon î'rantl et Kaulicb, l'œuvre d'un de
ses disciples médiats ou immédiats.
ÇA Voir GsRBsnt, Un pape philosophe, d'après V histoire et d après la légende
(Bibl. des Hautes Etudes, sectUm des sciences religieuses, vol. IX).
(4) « Si plurimis inahjtum vestrœ intentionis studium sequentibus, forsan A thème
nova perficeretur in Francia. i?no mut ta cxeellentior ouia hœc Christi Domini
LÀ FH.JLOSOVHlë AVrX \U.\m HT JKAA" SCOT KHIftèXK Î2I
maître *'t les disciples, Flmms, Homère, l)Mie Augustin, David, etc., indiquent
y
tout h la fois que chacun devait commencer sine vie nouvelle, distincte de ia vie
guerrière e* bai bare, et travaillât « Unir ics lettres anciennes avec les doctrines
1
Les œuvres d'Aicuin dan* l'édition de l'abbé Migne, en laissant de coté les
œuvres douteuses et les œuvres supposées, donnent pour tes écrits théologiques,
auxquels U convient de joindre les Vies des Saints, environ i 300 pages, 200
seulement pour tes écrits philosophiques. Il n'est pas étonnant que la théologie'
y ait une place prépondérante Aleuin fut encouragé par son archevêque, peut-
:
être même par le pape, à venir en ah le au prince * qui donnait la paix aux
chrétiens en les défendant contre les païens, qui, pieux et zélé pour la religion,
se présentait en toutes circonstances comme le défenseur de la papauté et de
l'Eglise ». Par contre, pour se concilier Se puissant prince dont i! voulait être
('auxiliaire, il dut lui montrer comment sa tâche pouvait être facilitée par les
connaissances qu'il lui apportait; il fut obligé de les mettre à la portée des
esprits incultes, curieux et neufs, auxquels il s'adressait, de fournir des réponses
à toutes ies questions qu'ils posaient, de les amuser et de les étonner. L'ensei-
gnement, qui avait pour couronnement la théologie, fut pratique, élémentaire,
quelquefois puéril II eut surtout pour objet de faire aimer le savoir et de pré-
parer les esprits ''à comprendre les anciennes doctrines, aies introduire dans
des cadres nouveaux, pour résoudre par elles des questions nouvelles, pour jeter
les germes d'une philosophie qui devait être tantôt l'auxiliaire, tantôt l'ennemie
du christianisme.
La philosophie ou pour Àlcuin une préparation excel-
les sept arts constituent
lente à la vie pratiquée! à la vie religieuse C'est à eux, dit-il, que les philo-
: «
sophes ont consacré leurs loisirs, c'est grâce à eux qu'ils ont réussi dans le
monde c'est grâce à eux qu'ils sont devenus plus illustres que les consuls, plus
;
célèbres que les rois et se sont acquis une gloire et une renommée immortelle ;
nes éternelles et pour quelles bonnes -fichons il jouira avec le Christ d'une gloire
éternelle. Il faut enfin lui inculquera vvc soin la foi dans la Sainte Trinité et lui
expliquer la venue en ce monde du fils Me Dieu, V.-«S. .Î.-Cï, pour le salut du
genre humain » (Froeb. Ep. 28). Alcuin va même jusqu'à dire que les philoso-
phes ont trouvé la Vertu, la vérité et l'amour que 1* religion loue et honore,
dans ta nature humaine qu'ils les ont cultivés avec le plus grand /,è'e et m:
;
sciences humaines sont comme le fondement sur lequel on peut édifier la perfec-
tion évangélique. La philosophie n'est pas la servante de fa théologie puisqu'elle
sert h interpréter l'Ecriture, c'est une véritable 'préparation tkangêligue.
Quelles en sont les divisions ? Quel en est le contenu ? Au trivium, grammaire,
rhétorique, dialectique, au quadrivium, arithmétique, musique, géométrie,
astronomie, qui formaient les sept arts ou la philosophie, Alcuin fait des addi-
tions qui nous montrent en lui autre chose qu'un disciple des anciens. Le traité
fragmentaire ae septem Arlibui que Du Chesne attribue à Alcuin est de Gassio*
donc. La Grammaire comprend un double dialogue le premier est une instruc-
:
idées, exprimées par des mots. La grammaire est, par suite, l'étude des mots
dans leur rapport avec la pensée, c'est-à-dire une partie de la logique. Et c'est
ce que montre encore Alcuin, en recherchant" des définitions philosophiques du
nom, du verbe, etc.. Celte grammaire, où l'auteur utilise ïtonat, Priseien et
reproduit textuellement à plusieurs reprises Isidore de Sévilie, fui en grand
honneur chez ceux qui le suivirent Àlbinus, dit Notker. talent grammafkam
:
condidit ut. Donatus, Nkomaokus, Dos it lieux et miter Priscianm in ejtis compara-
Houe nihiletxe videanivr. Ci! témoignage d'un homme qui a rendu, selon Ueber-
weg, de grands services en traduisant en allemand les Catégories et Y Interprétation
d'Aristole. la GonsohHon philosophique de Boèee. les Noces de la Philologie et de
Mercure deGapella, nous montre encore encore qu'il faut placer Alcuin au com-
mencement d'une ère nouvelle et non à ta tin d'une époque qui disparaît.
Le traité d'orthographe, qui se -rattache à la grammaire, est fort, intéressant
pour l'histoire de la transformation du latin en langue romane. La rhétorique
était enseignée par Alcuin d'une façon es>entiellement pratique et non purement
seofastique «Tu m'as expliqué déjà, dit Charles, que la rhétorique consacre
:
toutes ses forces aux questions civiles. Or, tu le sais bien, à cause des occupa
.
tions^demon règne, à cause des soins du palais, nous nous trouvons toujours au
milieu de pareilles questions et ii est ridicule d'ignorer les préceptes d'un art
dont on doit être occupé tous les jours ». Aussi Alcuin recommande- t-il, pour
augmenter la mémoire « thésaurus omnium ver uni », l'exercice et l'usage d'écrire,
l'habitude de réfléchir, l'abstention de l'ivresse qnl,, avec la santé du corps, enlève
l'intégrité de l'âme. C'est dans la dernière partie du dialogue intitulé de rhetorica
et virtutibus, qu'après avoir parlé de la vertu, de la science, de la vérité, de
l'amour, comme de choses à aimer et à rechercher pour elles-mêmes, Alcuin
place passage auquel il a été déjà fait allusion €. Numquid \noïi kas Chrw-
le :
\
tiana veligio opprime laudat ? Alb. Laudat el coiit* «— 6'. 'Quid pkiiomphis cum Ulis ?
Àib. lias inteUei-eruni in natnra humcma et summo studio cobnemni; —
C. Quid
tune distat inter philosopkum ialem et Chriastianum. Alb. Fides et baptisma.
La dialectique d' Alcuin n'est pas originale ; comme l'a bien montré Monnier.
elle reproduit souvent à la' lettre les Dix Catégories, faussement attribuées à saint
Augustin, ou le texte d'Isidore de Séviiie. En 3 chapitres eîîe traite de la philo-
sophie et de ses divisions, des Isagoges et des Catégories. Mentionnons, dans le.
premier, le parallélisme entre la philosophie qui comprend physique, logique,
morale, et les eloquin divina qui traitent de la nature (Genèse et Eccîésiaste) ; de
a morale (Proverbes), de la logique dans laquelle les chrétiens font rentrer la
théologie (Cantique des Cantiques, Evangile). L'étude de la philosophie est
ainsi recommandée et pratiquée d'abord par les théologiens, qui croient y
retrouver les questions posées et résolues dans les livres Saints. Dans la dialec-
tique rentrent comme espèces les isagoges, les catégories, les formules des syl-
logismes les définitions, les topiques, les périhermeniaî. Les Isagoges, genre,
espèce, différence, accident, propre,, sont brièvement définis, sans qu'il soit lait
aucune mention de ta fameuse phrase de Porphyre. A propos des catégories,
le nom de substance est réservé h ce que nous percevons vpar les sens; celui
à Cicéron, à îérenee, aux Evangiles et plus encore à Virgile. Sans connaître Aris-
tote directement (1), Alcuin a résumé, dans sa dialectique, les théories de l'Isa -
goge. des Catégories, de l'Interprétation, des Topiques, c'est-à-dire celles qui
ont pour objet le vraisemblable. Comme la plupart de ses successeurs', i! ignore
non feulement les Réfutations des sophistes, mais les premiers et les derniers
Analytiques, jpù se trouvent exposées les théories sur la démonstration et la
science, la défi ni lion et l'induction, qui constituent l'originalité d'Aristote et
dominent toute sa philosopnie.
(1) Alcuin dit dans sa dialectique et dans une leltt e à Paulin (XL):« Arùtotelicum
*.,ittud. . .proverbium .qui aculissimas Périhermeniarium scripitans argumenta*
,
Dans la physique Alcuin fait rentrer tout le quadrivium. Sur l'a» ilhmétique
et lagéométrie, i! n'a pas la.i.v>e uï' traité spécial. La science des nombres lui pan. it
surtout "Nécessaire pain* connaître les divines Ecritures. Comme les néo- pytha-
goriciens (th. 1)1, 2), il se plaît à laite ressortir les propriétés mervciHcuses de
quchme>*<uns J'entre eux (T), S'il .semble quelquefois se placerjsur un terrain pins
pratique, comme dans les 'm propositions qui peuvent lui être rapportées aveé
une grande probabilité, nous voyous immédiatemcnt,pur les histoires et iès énig-
mes dont elles sont remplies, que l'arithmétique et la géométrie n'intéressent le
maître et les élèves que lorsqu'elles prennent une forme concrète, .amusante ét
puérile.
Le musique est perdu. La Rhétorique nous apprend
traité d'Alcuin sur Ja
qu'il avait enseigné l'astrologie à Charles « Asirvîopœ. spiendore ittuminasti ».
:
Ses lettres te montrent exerçanl à Tours certains de ses disciples aux études
astronomiques ou rèpondanl aux questions de Charles sur le saut de la lune, la
septuagésime. la soxageVime, la qui nquagésime, le cours du soie.IT à travers tes.
signes du zodiaque, tannée bissextile, etc.. Toutes ces recherches dont le but
est essentiellement théologicjuc, puisqu'il s'agit surloutde savoir si la Paque don
être célébrée à la façon alexandrine ou à ta façon romaine, trelèveut-elles de l'ase
trologie ou de l'astronomie f En laissant de côté le Liber De fiïvmis officus, quO
rien ne nous autorise à attribuer à Aîcuiu, il nous semble, d'après les hrxtes
(Diai. sub. fine; Ep. septembre 798; rkét. sub. init.) authentiques, «qù Alcuin n*a
pas distingué l'astrologie de l'astronomie qu'il a étudié les astres pour con-
;
naître la loi qui préside à leur lever et à leur coucher, leur nature et leur puis*
sance.
Par ses élèves, Alcuin fut forcé de sortir du domaine des sept arts. Gundrade,
sœur d' Adalhard, lui transmit certaines questions agitées dans les réunions du
Palais. Pour y répoudre, il composa le Liber de animœ ratione ad Euialiam virgi-
nem. Q\w suis-je, dit Alcuin après Plotin (III, 4), après saint Augustin et avant
Descartes, sinon une âme et un corps ? L'âme, la meilleure partie de l'iiomme, a
une nature triple, elle est concupiscible, rationnelle, irascible. Quand la raison
commande à la concupiscence et à la colère, l'âme possède la prudence, la jus-
tice, la tempérance, la force elle se rapproche tout à fait de Dieu (proximam Oeo)
;
quand la charité ;v ajoute. Rien d'ailleurs, dit Alcuin qui fait encore songer
-
aux Alexandrins (ch. il!, 4) n'est meilleur que de s'unir à Dieu par l'amour.
L'âme s'appelle anim'i, eu tant qu'elle donne la vie ; spirilûs, en tant qu'elle ,
mens en tant qu'elle comprend ratio, en tant qu'elle discerne volanViSy en tant
y ; ;
qu'elle consent memoria, en tant qu'elle se souvient mais elle n'est pas divisée
; :
en substances comme en noms, car toutes ces choses sont l'Ame et une seule aine.
Elle n'est pas un corps et ne peut mourir. Supérieure à loute créature corporelle,
ayant dans sa nature une image de la. sainte' Trinité, puisque* ses trois facultés
intelligence, volonté, mémoire, ne constituent pas trois substances, mais une
seule, elle ressemblera plus tard aux anges, si bomme se conformé. aux lois (2).
I
(1) Voyez décomposition du nombre 453 (les 158 poissons de rRvangile de saint Jean)
la
dans à A mon (fin, XXKVh.
la lettre
(2) On chercherait vamemeut, dans cet ouvrage d'Alcuin, comme l'a lait îMounier. une
faculté nouvelle, lu conscience, qui serait le véritable instrument dû toute philosophie et
qui permettrait d'analyser louiez les attires facultés.
la eirii.osoiMHK AVEC alcuin et jkak scoî kjugrne 125
Cet ouvrage d'Aleuiu fut utilisé plus tard par A (cher moine de Glairvaux, qui
y joignit des passages de saint Augustin, de Boèce, de Cassiodore, d'Hugues de
Saint- Victor, de saint Bernard, d'ïsaac de l'Etoile, pour en former le livre de l'Es-
prit et de TA me : les œuvres philosophiques çF Alcuin n'étaient pas plus oubliées
que su grammaire.
D'autres élèves interrogeaient le maître sur la substance, l'essence, la subsis-
tance et la nature de Dieu. Pour Alcuin, l'essence se dit principalement de Dieu,
qui toujours est ce qu'il est et qui seul est véritablement, parce que seul il est
immuable (incommutabilis) la substance est le non» commun de toutes les choses;
:
le ciel, le soleil, la lune, la terre, les arbres, les berbçs, les animaux, tous les Aires
vivants et les hommes sont des substances, mais Dieu, créateur de toutes choses,
est la substance suprême et première, la cause de toutes les substances. Le Père, le
Fils, l'Esprit constituent une seule substance (p. 14), une ousia et trois hypostases,
c'est-à-dire une substance de trois subsistances, une substance en trois person-
nes. Dieu est surtout nature, puisqu'il n'y a en lui aucune partie sujette au chan-
gement il y a, des trois personnes, une seule nature comme une seule essence,
î
une seule toute-puissance, une seule divinité (Epist. CLXl, ad Amomm). Dans
d'autres lettres {CLXII ad GaroL), Alcuin distingue, en mêlant la grammaire, î&
théologie et l'ontologie, les mots œternum et sempUemum^ perpetuum et immortaie,
sœwUum, mum et iemptts. A Fridiigise l'auteur du De nikite et tenebris, il indique
qu'il y a trois espèces de vision: la corporelle, la spirituelle, l'intellectuelle
qui ont lieu, la première par les yeux du corps quand nous voyons les lettres, la
seconde, par l'esprit quand nous nous les rappelons, la troisième, par la seule
vivacité de l'âme, quand nous les comprenons. De même encore il soulève et
résout une question reprise par saint. Thomas et Dans Scot, par Descartes et
Leibnitz « À n aliquid disiet in Ben es$e t vivere, intdiigere, pusse ? Simples dm-
:
ialà natura unum habct, est, vivit* inteillgit et omnia potesi. Non ita in nobis,
dum aliud est in nostra natura vivere, aliud iniêlligere, aliud ftosse » il indique ;
qu'il faut entendre, par les «jeux glaives, l'Ame et ie corps et il ne songe pas
encore à y voir la puissance spirituelle et la puissance temporelle (Ep. CLXîll),
Monnier a même signalé, dans Alcuin des tendances réalistes Verba qùibus
: *r
ioqmmur nihil aliud sunt nisi signa rerum tyuas mente wncipimm, quibus ad
cognitÀonem aliorum venire volumus quœ verba numquam recte proferuntur, nisi
:
verifatem significeni. Veritas mim omni komini mtavatis ut nullus unquam pro
wrilate falwm audire vefii ». Mais ce passage est peu concluant et Alcuin n'a
pas posé le problème des universauxen parlant de Porphyre.' Bien plus, i! «on-
sidèré;comi*se susbtanee ce qui est perçu par les sens, comme accident ce que hi
seule réflexion,de l'àme peut, percevoir, de sorte que si l'on voulait à toute force
lui faire prêtre parti, faudrait en faire toute autre chose qu'un réaliste,
5
1
n'est pas une substance et il le prouve non par un argument nominaliste, mats
en disant que la mort ne figure pas parmi les créatures de l'œuvre des six
jours.
Plus encore que de logique, de physique ou de métaphysique, c'est de nuralè
ijue s'est occupé Alcuin. ke nom de directeur de conscience, dont on a peut-être
HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE* MEDIEVALES
abusé, lui convient plus qu'à personne. Ses exhortations sont adressées à des
moines et à des prêtres, à des évéques et arche vêques, au pape, à des ducs, à
des princes et à des princesses, à des rois et à l'empereur lui-même. A tous, il
rappelle avec beaucoup d'élévation, de bon sens et de sagacité, avec modestie et
autorité, les devoirs qui leur incombent. De ses lettres on pourrait extraire Une
morale pratique, pour l'usage des chrétiens de toute condition au ix e siècle, qui
serait h 1 honneur du précepteur de Chariemagne. D'ailleurs il a lui-même con-
densé bon nombre de ses idée** morales dans le Liber de Virlutibus et Vitiis com-
t
qu'il faut éviter ; des juges qui doivent corriger certaines choses par l'équité,
être indulgents dans d'autres par miséricorde, ne faire aucune acception de per-
sonnes et ne recevoir aucun présent. Après avoir parlé des faux témoins, de
l'envie, de l'orgueil, de la colère (iracundia), de la louange humaine qu'il ne faut
pas rechercher, de la persévérance dans les bonnes œuvres, l'auteur passe aux
huit péchés capitaux (superbia, gula, fornkalio, avaritia, ira, acedia, lri$titia,ccno-
do(vta)e,t aux vertus. La vertu est ani/mi hatilus, natures decus, vilœ ratio* morwin
pietas, cvllus divinitatis* honor kominis, wternœ beatitudinis meritum. La prudence
est la science des choses divines et humaines, par laquelle l'homme apprend ce
qu'il doit faire et éviter. La justice est la noblesse de Pâme, attribuant à cha-
que chose sa dignité propre (divinitatn cultus, humanitath jura, jusla judicia et
œquitas lotiiis titœ). La force est la grande patience et longanimité de l'esprit. La
tempérance est la mesure de toute la vie, par laquelle l'homme n'aime ou ne hait
trop quoi que ce soit (ne quid nimis homo vel amet, vel odio habeat). Définitions qui
sont tout à la fois d'un théologien et d'un philosophe.
S'il s'agissait de faire connaître complètement Aleuin, il faudrait insister sur.
le rôle qu'il a joué dans la lutte contre les adoptianistes, sur ces poésies qui ne
manquent quelquefois ni de souttïe, ni de hardiesse; sur l'influence qu'il a exer-
cée pour le développement de Fart au moyen âge; sur le correcteurde manuscrits
et le collaborateur de Chariemagne qui introduit en France et en Allemagne le
chant grégorien et la liturgie romaine. Rappelons seulement que, danss^s Com-
mentaires et ses traités théologiques, où il emploie presque toujours la méthode
des defloratioo.es il n'oublie pas la dialectique. Ainsi dans le de Fide Trinitotù, if
y
traite, au chapitre XV, de la manière dont il faut entendre les locutions attribu-
tives «rue l'on applique à Dieu (quomodo 4nleMigend& sint looidiones prœdicanieinto-
rum de Deo) l'appelle les 10 Catégories et ajoute his omnibus modis solet sancta
% :
Scriplmraioqui.
En résumé, Airain, plus occupé de théologie que de philosophie, a parlé de la
philosophie et des sciences avec enthousiasme, sinon avec précision. Considérant
la philosophie comme une véritable préparation évangélique, comme une arme
excellente contre les hérétiques et retrouvant les divisions delà philosophie dans
l'Ecriture; H traite de la grammaire, de la ehètor ique, de la dialectique en mon-
.
les ancien* dieux, qu'il transforme tout en leur laissant une existence idéale.
L'intellect; vovç, et Zeus la destinée, $ijkuppé»n et la Providence, Kpwoc«, sont un
seul et même dieu, qu* reçoit plusieurs autres noms. Déterministes en logique,
-puisqu'ils nient Féxisténce des. futurs contingenté, les Stoïciens je sont en phy-
(1)11 ne faudrait même pas dire. comme V Çmtot a Pythagore, Arisiute, .\ristippe,
Diogène, Platon. . reviennent aussi dans sa mémoire. » Car il est. évident qu'il ne connaît
.
m les uns ni les autres. De tels «logft? appeHerU. #>mme représailles, des appréciations
aussi ine\aetes dans leur' «4 vérité.
128 HlSlUIÙl C03II AWÉE IUvS rMi.OSOrJllES MKUIÉVAI ES
qui maintient la liberté dans l'homme, comme !e clinamen dans l'atome, et qui,
au fatum d( s physiciens, préférerait même les fables des poète*. C'est le scep-
tique, ou plutôt i'acalalpptique Carnéade qui combat, avee le plus d'énergie,
toutes les thèses du déterminisme stoïcien. Par lui, un nouvel argument est
présenté en faveur du libre arbitre la volonté est elle-même une cause, et une
:
cause dont l'existence nous sont bien mieux connues, grâce à la cons-
et l'action
cience {clamante amscientia), que l'existence et l'action de toutes les autres. Par
conséquent, comme le rediront plus tard les Biramens, ou icit admettre tout à
la ibis le libre arbitre et le principe de causalité.
Avec les néo-platoniciens, la métaphysique, redeyenue distincte de la phy-
sique, est avant tout une théologie (ch.. RI, 2, i, 10; ch. X). Adversaires du
déterminisme psychologique et astrologique des Stoïciens, dirigés, clans leur
pensée, par le principe de perfection, ils admettent tout à la fois, comme Pîotîn,
la liberté et la Providence, ou même, comme Jambfique, la liberté, la divination
et lu prescience. Les dieux, disent-ils, savent l'avenir, comme le présent et
Ainsi a fait Luther, fauteur du de servo ArOitrio, pour qui tout s'accomplit
par nécessité, pour qui la prescience et la prédestination de Dieu rendent impos-
sible le libre arbitre dans l'homme, dans l'ange et dans toute autre créature.
Ainsi Calvin, pour qui rien n'advient « sinon ainsi que Dieu l'a déterminée en
son conseil ».
(i) Pour ne que deux points, notre science moderne trouve, dans l'action du phy-
citer
siolngique sur du physique sur le physiologique et dans l'hérédité, Oes questions
Je nierai,
aussi compliquées! cl aussi importantes que Pétaient, pour lo théologien, celies Je la grâce
<»u «lu péché origine'.
LA PHILOSOPHIE AVEC ALCUIN ET JEAN SCOT ÊR1GÈNE 129
Mais, parmi ceux qui se rattachèrent à saint Augustin, aucun n'est plus connu
que Jansénius, évêque d'Y près et ami de Saint-Cyran. Pascal a immortalisé le
jansénisme par les Provinciales ; les religieuses et les solitaires de. Port-ltoyal ont
montré, au siècle de Louis XIV, ce que la foi peut entreprendre et supporter;
quelques-uns de ces derniers, A'rnauld, Nicole, Lancelot, même Fontaine, ne
sont pas déplaces à côté de Pascal. Boileau et Racine, Philippe de Champagne
et Rollin, à des titres divers, rentrent dans l'histoire du Jansénisme. Le diacre
Paris le rend populaire et, sous Louis XV, \\ fut pour beaucoup dans l'expulsion
des jésuites qui, au siècle précédent, avaient été ses adversaires les plus acharnés
et les plus heureux. Il ne disparut pas à ta Révolution. Grégoire et. Royer-CoHard
ont encore aujourd'hui des héritiers; il en est à Paris qui conservent pieusement
leur souvenir et défendent leur mémoire il y en a dans ta Vendée, où il n'est
;
pas rare de rencontrer les christs aux bras rapprochés, qui rappelaient le petit
nombre des élus il y en a en Hollande. Eussent-ils tous disparu, que l'histoire
;
remplacé par EigiL Raban succéda à Eigil ; puis archevêque île Mayence,
P ICA VET 9
130 WSTOÏRB COMPARÉE D£S PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
parlé le premier, soient de Raban Maur. Mais, dans ['Institution des Clercs, qui
certes lui appartient, il recommande l'étude de la dialectique 1). Son dp Uni-
verso est, parmi les encyclopédies qui nous viennent du moyen âge. une des
premières, des moins connues et des plus curieuses, ("est une théologie, qui
traite du Père, du Fils et du "Saint-Esprit, des Ecritures et des Conciles, des
fêtes et des sacrements. C'esl une anthropologie qui fait, connaître le corps de
l'homme, comme tout ce qui concerne sa vie et sa mort; une zoologie, où figu-
rent les listes, grandes et petites, les .serpents et les vers, les poissons, les oiseaux
et les abeilles. C'est encore une physique, au sens antique du mol, avec les
atomes et les éléments, le ciel et la lumière, le soleil, la lune et les étoiles l'air, ;
connues les villes et tout ce qu'elles contiennent, les campagnes avec leurs habi-
tations et leurs divisions. L'histoire de la philosophie, qui mentionne les Plato-
niciens et la nouvelle Académie, les Péripatéticiens, les Stoïciens et les Cyniques,
tes Epicuriens et les .Cyrénaïques, définit la vraie philosophie comme l'enten-
dent les Pères catholiques. Elle précède celle des poètes, des mages, des païens
et,de leurs dieux- —
qui sont des démons —
de leurs langues et fie leurs dia-
lectes. L'ouvrage se termine par des traités de géologie ou de minéralogie, des
poids, des mesures, et des nombres] de musique et de médecine, d'agriculture,
d'art militaire et; naval, des métiers et de l'alimentation. C'est l'œuvre «l'un gram-
mairien, qui signale les étymologies; d'un compilateur qui cite Ovide, Virgile et
tous les poètes latins .y compris Lucrèce, comme Cicéron, Sénèque et Pline
l'Ancien; d'un chrétien qui cherche un sens mystique aux affirmations les plus
singulières des écrivains sacrés ou profanes. Nulle œuvre de cette époque ne
fait mieux voir comment les idées antiques se mêlent .alors aux idées chré-
tiennes.
Quel était ce Gottschalk dont Haban et Louis le Germanique tenaient à débar-
rasser l'Allemagne 1 C'est un moine vagabond, écrivait le premier h Hincmar,
qui est venu d'Italie à Mayence, semant de nouvelles superstitions et une doc-
trine funeste. 11 a déjà séduit beaucoup de gens et il les a rendus moins dévoués
(1; De Gotkesculei et Joàarmis Scoti Erigenas contr ooersia (Insunt decem Cothes-
catei èti/mtna kavlémts inetfita) Paris. 1853.
.
je n'ai jamais eu de guide » (1). Et Raban qui devait !e connaître mieux, que
personne, l'appelle dédaigneusement un demi-savant (scioium). Au monastère
d'Orbais, il lit, ce semble, S. Augustin. Il demande à Loup de Ferrières, peut-
être son condisciple à Fulda, si c'est avec le* yeux de l'âme ou avec ceux du
corps que les bienheureux verront Dieu face h face, après le jugement universel.
Sans autorisation, il «{tutti son couvent et mena v comme nous l'apprend sa
première confession, «ne vie fort irrégulièra. J'ai été, dit -il, trop rapidement
enchaîné par les tiens «in péché. Et il prie te Christ et la Vierge» saint Michel et
tous les chœurs des anges, saint Pierre, les martyrs et .les patriarches, les pro-
phètes, les vierges et les confesseurs de lui venir en aide. Dans une seconde
confession, il rappelle ses passions et ses fautes, depuis son enfance. )l n'espère
plus en lui-même, mais en Dieu et en sa grâce; il ne compte plus sur ses mérites,
mais sur la clémence de Dieu, «jfui distribue gratuitement ses biens aux coupa-
bles N'a-t-tl pas toujours cru au Christ, méprisé Arias, Sahellius et les autres
hérétiques Y N'a-t-iî pas été nourri par le lait catholique de l'Eglise 1 Mais il
songe aux peines éternelles et an jugement dernier les maudits iront on enfer, :
les élus verront Dieu face à face Et il termine en demandant que tous crient
!
Enfin viennent des vers sur la pénitence, où il avoue encore qu'il a péché par
luxure, par gourmandise, par avarice, etc., et que, pour cela, il devrait être
éternellement torturé. Mais il pleure et espère ta grâce, qui seule relève ceu\
qui sont tombés (sola esi namque graim Lapsi qua soient sjurgeré) n'a-telle pas :
pouvoir de diriger sa vie d'homme fait que sa vie d'enfant. Vaincu par son abbé,
ii Ta été ensuite par le démon. Jl avait donc été décidé par Dieu qu'il en serait
ainsi. Sera-t-il damné? Il en a peur, mais Dieu aura peut-être pitié «le lui,
comme il a eu pitié d'autres misérables. Son espoir grandit. Dans S. Augustin,
il trouve des textes où il est affirmé que Dieu a prédestiné tous les hommes que, ;
sans la grâce, l'homme ne peut rien qu'avec elle, il n'y a pas de situations
;
désespérées. Avec tes mêmes préoccupations, il lit les autres Pères et n'y relève
que des textes conformes à ses idt*es Dieu est tout -puissant il « prédestiné les
:
;
bons au salut, les mauvais à la damnation'; l'homme est son esclave et ne sau-
rait être libre
;
mais, par la grâce, il peut être sauvé .
trouvé la vérité ne doit-il pas les secourir, comme il demandait naguère à Dieu,
:
à tous.
Quittant alors Home où Tavaient conduit ses courses vagabondes, pour retour-
ner en Allemagne, il rencontre le comte E)berhard et lui expose ses doctrines.
Eberhard en entretient révèque de Vérone, Notttngue, qui s'adressa à Raban
Maur ($47). Homme pratique, Raban n'aime guère ces discussions ne suffit -il ;
pas d'observer trente ou quarante ans les préceptes de l'Evangile, pour assurer
son salut et savoir ainsi, par Dieu lui-môme, la vérité sur ces obscures
•
Hincmar est, au ix« siècle, un personnage plus considérable encore que Raban
Maur. Archevêquede Reims pendant 37 ans, de 845 à 882, il est le directeur des
rois, qu'il sacre et qu'il conseille, qu'il sert fidèlement dans les circonstances
difficiles, mais auxquels il rappelle que les évèques ont droit de les juger. Fort
considéré en général des papes, il défend contre eux l'autorité des rois. Théolo-
gien moins profond et moins sûr que Bossuet, avec qui il n'est pas sans ressem-
blance, c'est un politique habile et un des théoriciens marquants de la lutte entre
le sacerdoce et l'empire, Dans son diocèse, c'est un maître absolu, souvent juste,
parfois despotique, contre lequel, à deux reprises, Nicolas I er devra protéger ses
administrés.
Gottschalk, qui troublait la paix de l'Eglise, après avoir manqué à ses devoirs
de moine et de prêtre, n'avait aucune indulgence à ati.endre d'Hincmar. En
mars 840, un concile se réunissait à Kiersy-sur-Oise, où Charles le Chauve tenait
sa cour trente évèques et trois abbés y siégèrent. Hincmar attaqua, par les con-
:
étaient réunies ses sentences, bien qu'on lui criât de le brûler. Ses forces s'épui-
sèrent ; les témoignages des pères tombèrent dans le feu et Gottschalk fut
emporté, presque sans vie, dans le cachot qui devait être désormais sa demeure.
Mais Hincmar n'en avait pas fini avec Gottschalk. Des évêques, qui? relevaient
de Lothaire, prirent la défense du condamné : « Nous avons tous horreur,
écrit Remi de Lyon, de ce qui s'est passé, car c'est par la parole et la dis-
cussion qu'il faut vaincre et convaincre les hérétiques ». Hincmar essaya
d'amener Gottschalk à renoncer de bon gré aux doctrines qui l'avaient fait con-
damner. Gottschalk s'y refusa. Par l'intervention de Prudence de ïroy es, sa cap-
tivité fut adoucie. Il en profita pour écrire deux Confessions : dans Tune étaient
les passages des Pères, dans l'autre l'exposition de sa doctrine. Fondée sur l'im-
mutabilité de Dieu elle prend ainsi, malgré les textes théologiques, une forme
philosophique qui prépare, avec l'intervention de Jean Scot, la transformation
du problème. Plus que jamais Gottschalk est certain de posséder la vérité il :
aimerait mieux souffrir mille morts que d'y renoncer. Qu'on le plonge dans des
tonneaux remplis d'eau, d'huile ou de poix bouillante, qu'on l'oblige à passer à
travers un feu bien nourri, et qu'on l'y laisse périr, s'il manifeste la moindre
crainte. D'ailleurs il pardonne à ses ennemis, en souhaitant qu'ils reviennent
à de meilleurs sentiments !
Tant d'assurance et une si grande infortune gagnèrent à Gottschalk bien des
partisans. Hincmar crut nécessaire de mettre en garde « les moines et les simples
de son diocèse ». Mais Ratramne de Corbie prit le parti de Gottschalk, et dans
un concile tenu à Paris, Prudence se prononça pour la double prédesti nation. De
même que la souveraineté politique tendait h se diviser., en préparant l'organisa-
tion féodale, où chaque seigneur sera le maître dans son domaine, les représen-
tants de l'Eglise en venaient à se mettre en opposition avec leurs chefs. Sans
Goûte, ils ne songeaient guère à faire appel à la raison, mais ils cherchaient avec
soin les autorités anciennes et les interprétations qui leu» permettraient de com-
battre les pouvoirs actuels (ch. II). Après Prudence, c'est Ratramne de Gorbie qui
répète au roi, à Bourges, ce qu'il avait écrit à Gottschalk.
Servat Loup, abbé de Perrières, se déclare lui-même contre Hincmar. Si l'ar-
chevêque de Reims est un politique plus qu'un théologien, Servat Loup nous
apparaît comme un lettré, qui ne semble guère préparé à jouer le rftle d'un Père
de l'Eglise. Dans ses lettres, il pense surtout à réclamer ou a envoyer des li vres
anciens.fi voudrait qu'figinhard lui procurât la Rhétorique de Cicérooet \e$ Nuits
«tft^ti«*d'Àulu-GeIle.Il remercie Adalganl d'avoir fa it corriger Macrobe. Au métro-
politain de Tours, il demande les Commentaire* de Boèee sur les7V/>t^mdeCicéron ;
s
rl i 1*0 ft Gattschalk de continuer h
ou à disputer, car, disait-il, il n'y a eti
(irrite,
argumentation.
Hincmar fit composer cinq ouvrages dont les auteurs étaient en désaccord on :
trouva hérétique celui d'Amalaire de Metz qu'il avait laissé publier, d es! alors
que, désespérant de trouver des défenseurs parmi ies clercs, il s'adressa (1) à an
laïque, Jean Seot Erigène.
Jean Seot était en faveur auprès de, Charles le Chauve qui l'avait appelé en
France vers 843, comme Charlemagne avait fait venir Clément Sent, quand
Alcuin s'était retiré à Tours. Une anecdote, peut-être légendaire, le montre aussi
hardi avec le roi qu'il le lut avec les théologiens. Quelle distance, lui aurad
demandé Charles, y a-t il entre un sot et un Seot {quiJ distat inter soitum et
Scottm) ? La table (tabula), aurait répondu Jean, assis alors en face du roi.
un
lettré dont certaines paires, par la facilité et l'ampleur, rappellent
C'est
Cicéron sont plus nourries que les meilleures des humanistes de la Renais-
et
sance. C'est un éruditqui met en latin les ouvrages du pseudo-Denys Y \ ré opa-
gite, et qui compose des vers grecs. C'est un chrétien qui commente, d'une
façon tort originale, comme nous l'a appris M- llavaissoh (2), l'évangile de saint
Jean. C'est un néo-platonicien, comme J oui dit. MM. Cousin, Saint-René Taillan-
dier et Vacberot. C'est parfois un logicien qui relève d'Aristote. Mais surtout
c'estun penseur qui se sert de ta raison, pour établir ou justifier les théories phi-
losophiques et théologiques qui remplissent le de [hvisione naiurœ et le de Prœ-
destiimiione.
Les dix-neuf chapitres que comprend ce dernier ouvrage mériteraient chacun
une analyse spéciale. Jean Seul o entrepris, dit-il. de discuter l'hérésie inventée
et défendue par Gottschalk, sur ie commandement des pasteurs de l'Eglise et
avec l'approbation du roi très orthodoxe Chât ies, « dont la grande étude est de
penser pieusement et bien sur t>ieu„ de repousser tes dogmes mauvais des héré-
tiques par de solides raisonnements (mris ratiowbus) et par autorité des Pères ». I
Voilà donc le roi rangé parmi les rationalistes, et les Pères placés au second
plan. C'est que, parles règles de la philosophie, on résout toutes les questions,
car la vraie philosophie est la vraie religion. Gottschalk prétend qu'il y a une
double prédestination c'est une opinion insensée qu'on peut réfuter par l'auto-
:
a volonté, partant aucune nécessité, car si une Cause le poussait à l'aire quelque
ehose, elle serait meilleure que lui et; du même coup, deviendrait la cause
suprême. Et si sa volonté est libre, il en est de même de sa prédestination.
Mais la prédestination n'a-l elle pas rapport h ta substance ? Comme ledit
S. Augustin, la prédestination est la préparation et la disposition, avant Ions les
(I) Uinemar s'en défendit, mais Jean Sent, l'affirme de telle façon, ait débat <>e «on tivre,
qu'il est,impossible d'en douter. Les contemporains sont d'accord avec .Jean Seot.
("2) Rapports sur ies hibliethèques des départements de l'Ouest, Pans. 4841
LA PHILOSOPHIE AVEC ALCUIN ET IEAN SCOT ÉRIGRNE 135
ailel*»', de ce que Bien doit faire. Elle existe donc avant toute créature et eJle est
Dieu tnerne.
Or. nous désignons par des noms différents l'essence une et immuable de Dieu.
Il serait impie de dire qu'il y a en lui deux essences, deux sagesses,' deux
vertus, etc. 11 est tout aussi impie et contraire à la raison de mettre en lui deux
prédestinations. Et puis, qu'est-ce que la nécessité? Ce n'est rien autre chose
que la volonté de. Dieu. Tout ce qu'il a voulu faire est nécessairement, et sa
volonté est. la nécessité des natures qu'il a créées.
Considérons Bien comme cause et non plus comme substance. La raison s'op-
pose à ce qu'une seule et même cause produise des choses contraires, par exem-
ple, l'être pI le non-ôtre, la vie et la mort, la justice et le péché, la béatitude et
la damnation. Donc il ne saurait y avoir en Dieu deux prédestinations, l'une
être et le malheur.
Mais GoiUchalk substitue aux deux prédestinations une prédestination double
(ifemina), m invoquant l'exemple de la charité qui est un double amour, puis-
qu'elle s'adresse à Dieu et au prochain. N'est-ce pas mettre, Je nombre en Dieu
que de le dire geminm, bipertilun, duplex, puisque c'est détruire son unité 1 Et
n'est-ce pas le faire encore, que de dire double sa prédestination, attribut. <îe la
substance divine et une ? D'ailleurs, si le précepte, qui commande la charité, est
double, puisqu'il nous oblige à aimer Dieu et le prochain, la charité est une,
puisque c'est à cause de Dieu que nous devons aimer l'un et l'autre.
Donc une seule prédestination : à quelques hommes, Dieu accorde ce qu'ils
n'auraient pas eu par eux-mêmes, pour vaincre et pour acquérir le bonheur
futur d'autres commettront d'eux-mêmes les péchés par lesquels ils périront.
;
Gottsrhalk prend une position intermédiaire ; il nie tout à la fois deux «Ions
divins, la liberté et la grâce. Or, il ne se peut pas en même temps, que le monde
s-oit sauvé cl que ta grâce de Dieu n'existe pas. Car d'où viendrait au monde le
salut, s'il n'y avait pas de grâce 1 Comme nous affirmons avec certitude que. le
salut est enfin venu, nous devons affirmer que la grâce d*» Dieq a lui pour le
monde. Pareillement il ne peut se faire (pie je monde soit jugé et, qu'il n'y ait
pas de- libre arbitre, car avec quelle justice aurait lieu le jugement, si l'homme
n'était pas libre ? Si donc c'esj.une impiété. de nier le jugement futur, c'est une
impiété égale de nier que Dieu ait donné le fibre arbitre h IJfioninie, C'est pour-
quoi, marchant par une voie royale, sans nous détourner ni à droite ui à gau-
che, nous ne défendrons pas I*3 libre arbitre, de manière à lui attribuer tes bonnes
œuvres au détriment de la grâce.; nous ne défendrons pas la grâce, de manière
à ce que l'on compte sur elle pour aimer les œuvres mauvaises.
•
Mais libre arbitre et grâce ne sauraient coexister avec la nécessité de la pré-
destination, car, dans un yen! être il ne peut y avoir une cause nécessaire qui
contraigne et une volonté qui agisse. Or, nous croyons avec raison, nous savons
évidemment (luadissime smitimus) que libre arbitre et grâce peuvent être dans
l'homme (ch. 111, Donc, la nécessité de la prédestination n'est pas dans
l'homme.
Dieu avait doté Adam d'une volonté, libre. Par son péché, il a perdu le pou-
voir de conserver h lui seul le précepte divin, mais non sa substance, qui est
dehors, vienne la lumière qu'il sent déjà, même les yeux fermés, et qu'il
lui
aperçoit, en les ouvrant, comme les objets placés en elle ainsi notre volonté, :
aussi longtemps qu'elle ^st couverte par- l'ombre du péché originel et de ses
péchés propres, est embarrassée par l'obscurité. La lumière de la divine miséri-
corde, quand elle arrive, détruit la nuit du péché, guérit la volonté malade et la
rend propre à contempler la lumière elle-même ».
Mais pourquoi donc, demunde-t-on, Dieu n'a-t-il pas créé l'homme tel qo'il ne
pût pécher ? 11 suffit de consulter la raison pour répondre à cette question. Dieu,
qui est juste, récompense,. de la couronne de vie, celui-là seul qui a librement
observé ses commandements. H a donné à l'homme de grands biens, comme la
prudence, la force, la justice, la tempérance, dont on ne peut faire un mauvais
usage; il lui a donné des biens beaucoup moindres, comme la beauté du corps
dont on use souvent mal. L'homme en a reçu d'intermédiaires, comme la dialec-
tique, dont il fait un usage tantùt bon et tantôt mauvais tel est aussi le libre ;
arbitre. C'est par nature que la volonté de l'homme est raisonnable ; c'est grâce
à un don de Dieu qu'elle est libre. Partant elle se meut elle-même; le don
gratuit et répété de la grâce divine coopère avec elle pour produire les bonnes
actions; c'est, au contraire, par le conseil du démon, sucutenle diuboio, qu'elle
produit ce mouvement pervers d'où sortent les fautes, que suivra un juste mal-
heur.
Que si maintenant nous examinons 1'Ecrituré et les Pères, il faut remarquer
que mots, signes sensibles et adhérents aux corps, ne sauraient s'appliquer
les
tous l\ cette nature incorporelle dont peut à peine s'approcher (atlingitur)V^me
la plus purifiée (1) car elle dépasse toute Intelligence (amnem transcendens intel-
;
teetum). Si Ton peut sans absurdité (non absurde), se servir pour elle de certains
mots(s/4fn, es, eras, esse, essentia, veritas, virlus, sapientia), qui désignent ce qu'il y
a de meilleur en nous, il en est d'autres qui lui sont tout à fait étrangers (aliéna).
Tel celui de prédestination, qui signifie préparation. Pour Dieu, préparer et agir
lie sont qu'une seule et même chose, puisqu'il fait toutes choses et qu'en lui elles
vivent, celles qui ont été, aussi bien que celles qui doivent être. C'est donc abu-
sivement, (abusive) qu'on dit de lui fecisse, facturum esse, prœsciisse, prédestinasse,
:
un épilogue, anathématise, avec tous les fidèles orthodoxes, ceux qui parlent de
deux prédestinations ou d'une prédestination double (gemina, bipeiiifa, duplex).
.Gottschalk fut oublié. Certains de ses disciples lui conseillèrent d'en appeler à.
Home. Le pape Nicolas er semble avoir songé à se prononcer pour lui ou
I plutôt
contre Hinemar. Toutefois, le moine resta enfermé à Hautvilliers et y mourut
sans s'être rétracté. Hinemar lui fit refuser lé viatique et la sépulture ecclé-
siastique.
Jean Scot attira sur adversaires et les partisans de Gottschalk. Hinc-
lui les
mar se défendit de l'avoir appelé à son aide. Contre l'homme qu'il avait tendre-
ment aimé, Prudence de Troyes écrivait son de prœdestinalione « Jean Scot repro-
:
duit, disait- il, les hérésies de Pélage et d'Origène, pervertit le sens des Pères
catholiques et, comme leurs adversaires, recourt aux subtilités dialectiques ».
Tout en rappelant les jugements sévères de S. Jérôme sur les anciens philosophes
et en condamnant la dialectique, Prudence essayait de suivre son adversaire sur \
injures qu'aux arguments. Même il invoquait, lui aussi, les philosophes et sou-
tenait que. les Pères n'ont pas été aussi ignorants en cette matière que semblait le,
(1) Nous la citons tout, entière, parce qu'elle nous révèle l'humaniste :
« Quid si pater multarum iamiliarum, qui per artem suam voluit amplissimam sibi
domuin construere, longitudine, latitudine, profunditatisque capacilate spalio.sam, laterum,
angulorum, absidarum, diversorumque schematum varietate numerosam. allitudine l'un-
damentorum stabilitam, basium, stilorum, capilellorurnque tramitibus ordinalam. arenum,
teetorumque multiformium elata proceritate eminentissimarn, exeellentissimo turrium
acumine consummatam, exterius interiusque innumerabilium colorum îorniarumque pul-
chritudine in tan ta picturarum varietate decoram, omnium metallorum, pretiosissimorum-
que lapidum honestate refertam, per varias multimodasque l'enestrarniw species copiosa
luminis etfusione illustratam. ceteraque ad perfectissimam pulchriludinis gloriam perti-
nentia, qua» numerare longum est, ita ut nullum in ea inveniatur spatium, quod non
omnes habitatores ejus amplitudine sui capiat, nulla pars,, quai non omnium aspicientium
oculos pulchritudine sui pascat, nullus locus, quem pneclarissima lux ubique diftusa, aun
gemmarumque honor a superficie resultans, eorumque mirabiles colores trahens non pro-
fundat, nulla in ea sedes, quae non sit regia, honoribus quietique apta in tanta deinde,
;
ne tam mirabili aide, ut diximus, pater ipse, auctor videlicet ejus et ordinator, aliter in ea
iilios suos disponeret, aliter servos. aliter gralia perpétua; sanitatis numeratos, aliter inopia
malarum cupiditatum, quas intemperantia suae libidinis traxerant, cruciatos, dentibus
Stridentes» verrnibus scatentes, diversis perennis tristithe generibus Jaborantes nunquid:
Jean Scot, qu'il lui arrivait plus d'une foi», fiomme l'a remarqué Bollarmin, de
ne pas comprendre. « Jean Scot, dans sa diabolique discussion, s*£lève, disait- il,
contre la loi, Contre l'autorité* l'Ecriture et des Pérès, contre toute raisod divine
et humaine ». "Maisi plus encore que Prudence, Florus condamne l'emploi du
syllogisme el dans les questions fhéotoyiques.
l'introduction delà philosophie
Un concile tenu en 853 à
Kiersy-sur-Oise, affirma, après .Jean Scot 1" qu'il :
n'y a qu'une seule prédestination 2° que le libre arbitre, dans l'homme, est
;
guéri par la grâce 3" que Bien vent le salut de tous 4° que .lésus-Chrisl a souf-
; :
fert pour tous les hommes. DettK ans plus tard, l'archevêque d» Lyon, Rerni, j
faisait condamner, par le concile fie Valence, les articles promulgués à Kiersy.
Le synode de La tigres, en 859, s'attaquait surtout à Jean Scot. I) y a lutte alors
entre les églises,comme entre les royaumes et les provinces. Mais la discussion
philosophique ou théologique ne présente plus d'originalité. L'anarchie aug-
mente, les guerres civiles sont fréquentes et les ravages des Normands ou des
Sarrasins rendent l'existence de plus eo plus précaire et misérable. Comme dans
toutes les époque* ou l'on a peine k vivre, on n'a plus le loisir nécessaire pour
philosopher.
tre quand on examine, ne fui ce que sommairement, les hommes et les oeuvres.
De même que, sous la Restauration, dans une France démembrée el affaiblie par
la chute cle Napoléon, la poésie el les lettres, les, sciences et les arts, îa philoso-
Lharlemagne avaient surtout discuté tes hérésies toutes tbéologiquês «Je- adop-
tianistes et des iconoclastes <-eux de Charles le Chauve reviennent, à une ques-
;
tion dont l'objet est l'homme aussi bien que Dieu, où l'on invoque re\p«Tu nce j
c'est qu'il n'y a pas eu décadence intellectuelle, aussitôt après In disparition de (iltttrte*
magne.
LA PHILOSOPHIE AVEC &LC1HN ET JEAN SCOT KRWÈNE Î39
originalité, il mit au jour, mieux que personne, les idées de -ses contemporains.
Quant à. Jean Scot, il o' a. 'pas. dV-grd au 1euq>s de Chatàemagne, i\ y a peu d'hom-
mes au moyen âge qui méritent de lui être comparés. Et c'est (Charles le Chauve
qui, en l'appelant en France, comme ChaHemayne y avait amené Alcuin, lui a
fourni l'occasion de se taire connaître par ta postérité, après avoir agi puissam-
ment sur ses contemporains et ses successeurs
L'œuvre de la reconstitution de ta pensée antique ne sera plus interrompue,
Kt ii en sera de même du travail par lequel se constitue lentement la pensée
moderne. Les érudits continueront Serval Loup et Jean Scot.; les théologiens
orthodoxes s'inspireront de. [dus en plus, comme Gottschalk. de S. Augustin, et
tendront à accroître les perfections de Dieu, sans s'occuper de savoir si elles s'ac-
cordent logiquement entre elles. Les hérétiques, pendant tout le moyen âge, ne
feront guère que reprendre ou développer quelqu'une des pensées hardies, mises
ou remises en cipeîutàMon par Jean Scot Il fut. condamné ou ii aurait du l'être,
.
au xi* siècle, avec Bé.renger de Tours, puis avec Abélard, Arnauld de JJreseia et
les partisans de l'Evangile éternel, entin a vec les A nnumeiens elles doctrines pan-
théistiques dont on avait d'abord rendu Aristote responsable. Et l'on trouverait
de même que son action s'est exercée à plusieurs reprises sur les orthodoxes
depuis S: Anselme jusqu'à Alexandre de lïalès, S.Thomas elJJuns Seot.CVstqu'en
effet la théologie et la philosophie- ont en luttant entre «Mes, repris conscience
de leur puissance réciproque ii y aura des théologiens -qui. en tout et. partout,
:
gneront la théologie mais ii y aura bien des esprits, avant et après S. Thomas,
:
qui voudront tes uni? et les concilier. Et quand ht philosophie moderne, avec
une science positive plus étendue, s'efforcera d'expliquer l'univers cl de trouver
une règle de conduite appropriée aux besoins nouveaux, on ne. perdra pas le
souvenir des hommes et des choses du ix* siècle. Heirîc d'Anxerre sera, plus de
cent ans. honoré comme un précurseur de Descartes, pour avoir copié, en Cabré*
géant, une page de Jean Scot (i). Luther, Calvin ef Jansénius n'ont pas fait
oublier Gottschalk Bayie et Leibnitz, aux prises sur des questions que îe der-
;
nier a traitées dans sa ïhéodicée, citent plus d'une fois leurs prédécesseurs du
temps de Charles le Chauve. Et c'est au siècle de Louis XJV. année métm où 1
meurt Descaries, que Mauguin édite toutes Ses pièces de la discussion qui eut, au
IXe siècle, un si grand retentissement
Enfin on sait que les mystiques comme Eekhar! 'et Jacob liodone sont les véri-
tables ancêtres des grands philosophes de l'Allemagne moderne., de Kant et de
Eicbte, d'Hegel et de Scbelling, de Baader et fie Scbopeuhauer (2). On sait aussi
politiques, 1889).
140 HISTOIRE COMPARÉE DES PMLOSOPHIES MÉDIÉVALES
que mystiques sont les vrais successeurs de Jean Scot et que si tous ne l'ont
les
pas ou médité, tous s'en sont inspirés par des intermédiaires plus ou moins
lu
nombreux» niais dont on connaît les noms et les oeuvres.
Et pour les panthéistes modernes, depuis Spinoza, il en est de même que pour
les mystiques.
N'est-il donc pas permis de dire que fiépoque de Charles le Chauve s'attache
à recueillir tout re que les anciens ont laissé de vraiment humain et qu'elle éla-
bore )>on nombre des idées dont vivra le monde moderne ?
CHAPITRE VII
nous fera entrevoir des résultats plus intéressants encore, parce que les philoso-
phiez se produisent chez des peuples différents de race, de langue, de mœurs et
de gouvernement parce que l'étude générale, synchronique et comparée n'en a
:
presque jamais été faite par les historiens (ch. X). Au ix e siècle, rious sommes en
présence de Jean Scot Êrigène, dont l'argumentation soulève l'Occident chré-
tien (ch. VI) de Photius. qui demeure pour nous une source précieuse d'infor-
;
mation et qui tient une place capitale dans les discussions dont le résultat fut le
schisme ou la séparation des églises d'Orient et d'Occident d'Alkindi qui n'est
;
Saadia, Alfarabi le xi» par Michel Psellus. par les frères Je la Pureté, A vicenne
;
aux uns ce que les autres ont trouvé. C'est donc entre les Arabes, chez qui la
philosophie commence, grandit rapidement pour mourir a la lin uti xii» siècle,
et entre les chrétiens d'Occident, où elle renaît, pour n'atteindre son apogée
qu'au xm e pour se transformer ensuite jusqu'à èlre enfin remplacée pardes sys-
,
142 HISTOIRE COMPAREE OHS PHILOSOPHAS MÉDlAVAklg
Pour les Arabes comme pour les chrétiens occidentaux, il faut se demanderez
qu'ils ont mn nu. de l'antiqtiité, de Platon et d'Aristote, des sceptique* et des p»-
curiens, des stoïciens et de*? ftêo-plato-niciens. Les catalogues de» manuscrits
des questions se posent que n'avait pas soulevées leur livre saint. Par l'interpré-
tation allégorique du Coran, par l'autorité ou par le raisonnement, on donne des
réponses à ces questions nouvelles. Des sectes apparaissent, kadrites. djaharites,
cifatistes, motazalcs, qui se combattent et que combattent les orthodoxes. Ainsi
naît \acolam ou science de la parole, que Munk nomme la dogmatique ou la théo-
logie scolastiquc ainsi apparaissent les motecallemin, les orthodoxes qui luttent,
;
l'éducation scientifique et philosophique que les Arabes reçurent des Grecs par
les Syriens. On a dit que la métaphysique i'Arisfotc, avec sa doctrine de l'unité
personnelle de Dieu, sa physique qui pouvait servir de base à la médecine, sa
logique capable de fournir une méthode aux sciences et à la théologie, avaient
contribué à en faire, pour les Arabes, le philosopUe par excellence. En fait, ils
ont utilisé surtout les ouvrages qui avaient déjà été employés par les Syriens et
ils n'ont jamais cessé, en Orient d'être leurs disciples. Ainsi AJfarabi et Avi-
cenne ont pour maîtres des médecins chrétiens et syriens.
Il y a. au x° siècle, des, traductions arabes, laites sur les textes syriaques, mais
comparées, ce semble, avec les textes grecs, des écrits authentiques d'Arigtote,
sauf peut-être de la Politique probablement de la République, des Lois, du
;
Pséudo-Théologie publiée par Diète rici, qui contiennent des doctrines oéo-plato-
niciennes des traductions de Galien, de Théophrasie. d'oeuvres astronomiques
et mathématiques. Au temps de Herbert, on peut dire que lés Arabes d'Orient
sont à même de s'approprier toutes les connaissances positives qui avaient été
accumulées par les Grecs, puis la logique et la philosophie fTAristofce, mais sur-
tout les doctrines de Plotin ét de ses successeurs. tëlies furent acceptées d'autant
mieux qu'elles leur arrivaient par des hommes qui s'étaient présentés bien sou-
vent comme les commentateurs purs et simples de celui que les philosophes
arabes, bien plus que tous autres, ont appelé le maître (V. t). fc{ lïeuvre des
Arabes fut considérable. Aux données positives en astronomie, en mathémati-
ques, en médecine, ils ajoutèrent des connaissances nouvelles. Aux commen-
taires sur Àristote, Us joignirent des interprétations inspirées souvent des néo-
platoniciens. Des doctrines philosophiques, ils firent des combinaisons originales
qui, dès le xin e siècle, passèrent aux Occidentaux avec tout ce qu'ils avaient, par
les Syriens, emprunté aux Grecs.
Les chrétiens d'Occident ont été infiniment moins bien partagés, à ce point de
vue, que les Arabes d'Orient et d'Occident.
Il ne reste plus guère que les auteurs de manuels peu renseignés pour parler
d'Aristote comme de leur maître unique (ch. V). Les travaux de Jourdain, de
Cousin et surtout ceux d'ilauréau etde Prantî (1) ont montré qu'A ristote est alors
plus nommé que lu ou étudié. Alcuin en parle, comme un homme qui ne le côn-
naît pas directement. Dans sa Dialectique, il reproduit à peu près textuellement
Isidore de Séville et les Dix catégories, faussement attribuées à saint Augustin. Il
n'a pas le texte latin des Catégories et s'il connaît indirectement Ylsagoge de Por-
phyre, V Interprétation, les Catégories et les Topiques, il. ignore tout à fait les
Réfutations des sophistes et surtout les Analytiques, qui contiennent la théorie de
la science et de ta démonstration, la partie la plus originale de YOrganon et l'une
des plus importantes de toute la philosophie d'Aristote.
Ha ban Maur commente la traduction, due à Boèce, de Y Interprétation, Les Con-
temporains de lleiric d'Auxerre savent que les Dix Catégorie* du Pseudo-Augustin
ne sont pas une véritable traduction Toutefois, c'est seulement vers la fin du
.
x e siècle que la version de Boèce les remplace et qu'elle est, en particulier, com-
mentée par Reinhard, à VViirzbourg, puis mise en allemand par Notke.r Labeo.
Vers 985 Gerbert explique et commente, à Reims, Yhayoge avec les traduc-
tions de Victorinus et de Boèce, les Catégories, Y Interprétation, les Topiques qu'il
prend encore pour une traduction par Cicéron des Topiques d'Aristote, avec les
cui non dabat mlelligentiam conceptus, partus, generatio, nativitas, apertio vulvœ, tandem
doeeant pudenda, erudiant geuitalia *>.
e
DU VIlT* Ali XÏIÏ SIÈCLE 115
gile (Spirilus intus alit... Mens agitât molem, etc.) enfin à la Sibylle» qui a prédit
;
X!|, 5, 7. etc.
«pverst, ; saint Augustin, dans la Cité de Dieu, esquisse une histoire de la
philosophie ancienne
(3) François Piçavet, Gerbert, t?n oape philosophe d'après ta légende et if après
l* histoire., Paris, Leroux
(i) Raoul 'tlabbh ?
édition Prou, «* iù
On ne saurait exagérer l'influence que les poètes ont exercée sur les scolasti-
ques occidentaux du ix c an xni" siècle. Les doctrines qu'ils exposent sont plus
accessibles à tous, plus agréables aux jeunes gens. D'ailleurs, c'est avec les
poètes que commence l'enseignement n'est-il pas avantageux de les conserver
:
pour compléter l'œuvre et faire acquérir des idées nouvelles, sans invoquer des
noms et des mots nouveaux ?
Mais, dira-t-on, si Perse et Lucain, voire Sénèque, sont vraiment stoïciens,
Virgile et Horace, Térence et Ovide, Cicéron même sont des éclectiques, chez les-
quels il y a bien d'autres doctrines, mêlées et confondues avec le stoïcisme. Rien
de plus vrai. Nous accorderons fort aisément que celui-ci ne se présente guère
au moyen âge tel qu'il fut, antérieurement à Panétius et à Posidonius. Presque
toujours, il est uni au platonisme ou au néo-platonisme. C'est qu'en effet Platon
et surtout Plotin ont été, directement ou indirectement, les véritables maîtres
des scolastiques, depuis la renaissance carolingienne jusqu'à la fondation de
l'Université (1).
On sait quelle est l'importance du Timée dans l'œuvre de Platon l'auteur :
ticuliers. Ceux-ci agissent sur le nôtre et font naître ainsi les sensations, qu'il y
a lie de classer et de distinguer. Ensuite, connaissant l'œuvre de l'intelligence
et de la nécessité, on peut expliquer la formation de l'homme, avec son âme
immortelle et son âme •mortelle, avec son corps, qui est sujet à des maladies et
qui en fait naître dans l'âme elle-même on peut enseigner à guérir ou à éviter
;
les unes et les autres. Enfin on est en mesure de parler des animaux, qui sont des
hommes châtiés et dégradés. En résumé, le Timée a un caractère d'universalité
philosophique il contient une théologie et unethéodicée, une cosmologie et une
:
g*si sans qu'on renonçât cependant à aucun des problèmes agités par des géné-
rafovus plus favorisées.
Or le Timée a été traduit par Chalcidïus, qui fut peut-èfere chrétien, mais qui
certainement a été un disciple de l'école d'Alexandrie. Dè bonne heure, cette tra-
duction fut entre les mains des scolastiques. Jean Scôt Erigène en reproduit
plusieurs passages (2). E.p 957 Gunzo la montre aux moines de Saint-Gall Ger- ;
(1) Sur le rôle des poètes latins au moyen âge, nous avons rappelé et examiné les tra-
vaux de Comparetti et de Thomas sur Virgile, de Manitius sur Perse, de Hild et de Uri
sur Juvénal, de Graf sur Rome, dans la Revue philosophique, Revue générale, avril
1893. —
Il va sans dire que noips nous bornons ici à indiquer les conclusions, sans citer
PU ion.
.
(1) Voyez V Anti-Claudianus dans les\ œuvres 'éditées par Charles de Viscli (Note de la
page 159, à propos d'Alain).
(2) 11 pour s*en convaincre, de parcourir les. Etudes sur Timée de Th,-H. Mah-
suffit,
tin, 2 vol., Paris, 4841
(3) Cf. Botni/LET, Les Ennéades a*e Plotin, Notes et Eclaircissements Grandgeoboe, ;
op. cit.
(4) Douillet note tous les rapprochements qui peuvent être faits avec les néo-platoni-
ciens. Dungal, en 810, cite Macrobe.
$ et 6) Sur l'influence exercée par ce livre, voir Haurûau, 11, 4 ;
Miînk, op. cit.
HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIKS MÉDIÉVALES
Lorsqu'on rapproche les œuvres lues par les chrétiens occidentaux de celles
que les Arabes ont eues à. leur disposition, en comprend que ceux-ci durent être
plus originaux, ayant plus d 'éléments à leur disposition pour en faire lA syn-
thèse parlant qu'ils devinrent., au xm e siècle, les maîtres des premiers et
;
Ce qu'il faut noter, en effet, tout d'abord, c'est que les Arabes ont été, pen-
dant celte période, des savants comme des théologiens et des philosophes (1).
Dès le règne d'Al-Alamoun (813-833), ils traduisent, et commentent Euclide,
Apollonius, Théodose, Ménélaiïs, Hypsielès. Albategni, le Ptolémée arabe (877-
929), substitue les sinus aux cordes c'est un des fondateurs de la trigonométrie
:
(I) Mhnk, Mélanges dé philosophie arabe et juwe. p. 240 c' suivantes, et wote 1,
p. !«»...
DU vw au xnr siècle
À Al-Sindjar, on doit ua Traité sur 1rs sections coniques, des opuscules sur les règles
géométriques y sur des lignes menées d 'un ou de plusieurs points donnés à des cercles
donnés, une Réponse à des questions proposées sur le livre des Lemmes d'Archimcde,
Arzachel, mort vers Î080 à Tolède, substitue, peut-être le premier, l'ellipse aux
excentriques eî aux épieyeles de Ptolémée.
Personne aujourd'hui ne soutient l'origine indienne de nos chiffres; mais il
reste incontesté que, par leur forme, ils se rapprochent autant vies lettres ara-
bes que des apices èe Boèee. Quelle qu'en soit d'ailleurs l'origine, il semble bien
<pté Mohammed ben Mousa a produit une révolution scientifique, en donnant,
à chacune des lettres arabes qui représentent les 9 chiffres et se lisent toujours
de gauche à droite quand elles constituent, des mots, une valeur déterminée par
une progression géométrique dont la raison est 10, et en mettant m petit cercle,
un zéro, à la place qui reste vide.
En astronomie, les écoles de Bagdad et du Caire se rattachent à celles d'Alexan-
drie et d'Athènes, peut-'Hre même, par un cas d'atavisme qu'on signalerait en
d'autres domaines, re iennent-elles aux recherches chères autrefois aux Chai-
TT
820, traduits en hébreu et en latin, sont imprimés d'abord en 1403; ils le sont
ensuite à Nuremberg, avec une préface de Mélancbthon pois à Francfort enfin,
; ;
parGolius, en 1660. Le philosophe Alkiudi, qui commente les travaux des écoles
d'Alexandrie et d'Athènes, relate, dans ses ouvrages, beaucoup de faits curieux,
en particulier, une observation du passage de Vénus sur |e disque du soleil.
Mais déjà son disciple AIhurnazar, l'auteur de taules dressées d'après la méthode
et la chronologie des Persans, s'occupe plus d'astrologie que d'astronomie.
Ennemi de la philosophie et des sciences naturelles, incompatibles pour lui avec
la vraie religion, il croit que te monde fut créé, quand les sept planètes étaient
en conjonction dans le premier degré du Bélier; qu'il finira quand elles y entre-
ront dans le dernier degré des Poissons. C'est par la combinaison de l'Aduar;
égal à 360 années solaires, et de PAkuar t avec ses 120 années lunaires, que sont
réglés les actions et les événements de la vie humaine. La religion chrétienne
subsistera 1460 ans ; la religion mahoniétane, 544.
Sources de l'histoire, sont d'habiles astronomes, dont l'observatoire est placé sut
Je pont de Bagdad. Ils mesurent la hauteur méridienne du soleil, au solstice
d'hiver, au solstice d'été, son apogée et son mouvement; ils fixent la précession
des équinoxes, en observant l'étoile Régulus en 840
et en 847. Les Ephémérides
de l'aîné, Mohammed, pour des planètes, ont été* fort longtemps
les lieux
employés dans les calculs. Son disciple, le mathématicien Thébit-ben-Korràh.
qui dispose des observations recueillies depuis le règne d'Al-M.amoun et regrette
de n'en. avoir pas davantage, parce que « seules, elles peuvent assurer les progrès
v
qu'elle nous montre la nécessité, pour les hommes de cette époque, de justifier
leurs recherches astronomiques par des raisons religieuses (3) et pratiques. « Au
nom du Dieu clément et miséricordieux. L'étude des corps célestes n'est point
étrangère à, la religion. Cette éttfde seule peut faire connaître les heures des priè-
res, le temps du lever de l'aurore,, où celui quj veut jeûner doit s'abstenir de
boire et de manger; la fin du crépuscule du soir, terme des vœux et des devoirs
religieux ; le temps des éclipses, temps dont il faut être prévenu pour se prépa-
rer à la prjère qu'on doit faire en pareil cas Cette même étude est nécessaire
.
Pouchet, Histoire des sciencès naturelles au moyen âge ; Hauréau, Prantl, Ueber-
vveg, Munk, op.etc\ etc. (Voir Bibliographie générale).
cit.,
(il) ^ue la Prosneusis de Ptolémée, le muhadsat d'Aboul-Wéfa et la
Sédillot a soutenu
variation de Tycho-Braié indiquent une seule et même chose. D'autres -ofcVera à une
interpolation. Après une nouvelle traduction, par Munk, Bertrand a écrit ;« Si Aboul-
Wéfa a réellement fait cette découverte, on aura lieu de s'étonner qu'aucun astronome
antérieur à Tychp n'en ait parlé. La découverte.. . était donc, par cela même, comme non
avenue ». A notre point de vue, il n'en est rien.
(3) Voir ce qui a été dit d'Alcuin, ch. VI, I-, 2.
e
DU VI1I Ç AU XIII S1ÈCLH 151
^té- faites précédemment par Ar< himède, Hipparque, Ptolémée et d'autres, notre
maître et seigneur l'iman Hakem a prdonné les corps célestes dont Je mouvement
est rapide (la Lune, Mercure et V4nus) et plusieurs de ceux dont la marche est
plus lente (Mars, Jupiter et Saturne) ».
Les observations faites sous le sultan Gébal-Eddin produisent, en 1079, cinq
ans avant la réforme grégorienne, une réforme d u calendrier, qui fait l'année de
365 jours. 5 heures, 48 minutes, 49 secondes.
Aux Académies de Cordoue, de Sévi lie, de Grenade, de Tolède, qui possèdent
de riches bibliothèques, on enseigne les mathématiques et l'astronomie. Le juif
Arzachel dresse vers 1080 les Tables Tolétanes qui, avec celles d'Albategni, ser-
vent à l'établissementdes Tables Alphonsines. Après lui, Geber compose un traité,
qui a été traduit par Gérard de Crémone et qui a pour objet de faire comprendre
Ptolémée, en employant une méthode plus facile et en démontrant ce qu'il n'avait
pas essayé de prouver. Averroès donne un Abrégé de l'Almageste. Des, écoles
sont établies à Tanger, à Fez, à Geuta, etc. Alp.étrage, vers 1156, observe l'obli-
quité de l'écliptique et propose un système nouveau pour remplacer les excen-
triques et les épicycles de Ptolémée. Aboul-Assan, au début du xin e siècle, déter-
mine la latitude d'une quarantaine de villes de l'Afrique et du midi de l'Espagne.
Il écrit, sur les instruments astronomiques, le traité le plus complet qui nous
les autres que de changer un boeuf en chèvre. Car si la nature emploie des mil-
liers d'années pour faire des métaux, pouvons-nous prétendre en faire autant,
nous qui vivons rarement au delà de 100 ans ? Par une température élevée, nous
pouvons produire parfois, en Un court intervalle, ce que la nature met des
années à engendrer, mais ce n'est encore là qu'un bien faible avantage ». Sur
l'intervention des gaz, sur la coupellation ou la séparation de l'or et de l'argent
d'avec leurs alliages, sur la préparation de l'eau forte, de l'eau régale et de la
pierre infernale* sur la distillation et la cristallisation, sur les moyens de guérir
toutes les maladies et de conserver la jeunesse, on attribue à Geber un certain
nombre d'affirmations, qui peut-être ne sont pas de lui, mais qui constituent un
singulier mélange de vues ingénieuses et chimériques, parfois vraies et justifiées
par les recherches ultérieures Rhazès, Avicenne donnent, comme Geber, des
résultats qui témoignent d'un grand souci de l'expérience. Mais dans les livres
qu'on dit de Calid, roi d'Egypte, on trouve l'alchimie associée à l'astrologie ;
soleil, il faut connaître l'époque où ïe soleil entre dans le signe du Bélier, dans
le signe du Lionoudans celui du Sagittaire, car c'est d'après ces signes que s'ac-
complit le grand œuvre avetî ses quatre opérations ou magistères, solution, soli-
Dans le livre secret sur la pierre philoso-
dification, albification et raréfaction »
phie, il est question
d'une merveilleuse quintessence par laquelle la vie serait
prolongée an delà de milh ans, mais la recette n'en est pas donnée. Puis les
152 HKTOIHt c'ompahkk des philosophons médiévales
minéraux sont rapprochés dos végétaux pour la manière dont ils se produisent
et existent. Les alchimistes qui suivent s'engagent dans les mêmes directions.
Toutefois Bechir semble, avoir obtenu, avant Brandt, du phosphore, en distillant
des urines a v ec de l'argile, de la chaux et du charbon (1).
Pour les sciences naturelles (2), i! faut citer l'école de médecine de Bagdad,
qui s'attache aux auteurs grecs dans son enseignement. Des traductions, des
commentaires, parmi lesquels figurent ceux d'Avicenne, d'Avempace et d'Aver-
roès; des ouvrages originaux, qui traitent des animaux et des végétaux; d'au-
tres, qui sont consacrés à la géographie, mais portent aussi sur la zoologie et la
botanique, dénotent une grande activité et parfois une grande sagacité dans les
cccherches scientifiques. Ainsi Abd-Allatif, né h Bagdad en 1162, visite l'Egypte
et en décrit les plantes les plus remarquables. Ainsi encore les Occidentaux con-
naissent d'abord, par les Arabes,. les travaux des naturalistes et des médecins
grecs.
La philosophie des Arabes, pour laquelle nos documents sont très incomplets,
tient à leur théologie et s'inspire parfois des résultats auxquels ils sont arrivés
par leurs études scientifiques.
les questions que le Coran n'avait pas posées, on recourt,
Pour résoudre
comme chez
chrétiens et les Juifs, à l'interprétation allégorique, puis à la
les
dialectique ou science du raisonnement. C'est le premier calam, essentiellement
théologique et antérieur à l'arrivée des doctrines péripatéticiennes et néo-plato -
niciennes. Les moticallemin (3) sont des orthodoxes, obligés, pour mieux com-
battre en faveur de leurs doctrines, de recourir, comme les chrétiens, aux armes
dont usent les hérétiques..
Avec Maabed ben Khaleb al Djohni, les kadrites (de kadi ~~ pouvoir ou
lihertê) (4), se posant une question qui avait été d'seutée par Pelage et S. Augus-
tin, qui allait l'être à nouveau par Goltschalk et Jean Scot Erigèué (ch. VI, 3, 4,
(t) Voir les publications et travaux de M. Berthelot, signalés au chapitre Vlîl ci Biblio-
graphie générale.
Voir dans Canis, Histoire do. la zoologie, traduite par Hagenmuiler, Louis Oili-
(2)
vier, F. de Tanneriberg, annotée par Schneider, la zoologie des Arabes, p 127-143.
(3) (lorjuenles), de tecallam, professer le calam ou science de
la parole, au parti-
cipe présent motecallemen, dont le pluriel est mote* ailemin. Voir Munk, Mélanges
%
opposé, les çifatisies (dé cifat = Dieu, telles que les leur
atlribut) jettent on
révèle l'étude du monde sensible les qualités que lui
donne le Coran ainsi ils ;
dent dû plus ou moins de perfection que l'homme a atteint ici-bas ? Cela n'est
pas impossible (Vllî, 4), mais il est plus incontestable encore que les orthodoxes
leur ont attribué ces doctrines et les ont déclarés hérétiques ou tout au moins
suspects.
Encore fallait-il, connue avaient fait contre leurs adversaires les orthodoxes
chrétiens (IV, 5 à 11), les combattre sur îeur terrain. De là le second calam, qui a
pour objet de maintenir ou de constituer une théologie en accord avec le Coran.
Parleur souci de placer un monde intelligible au-dessus du inonde sensible, les
fondateurs de ce second calam se rapprochent des néo-platoniciens et des chré-
tiens « Les Motccallemin, dit Maimonide (Moré Nebouchim, I. I, ch. 71), mar-
:
cherentsur les traces de quelques théologiens chrétiens, tels que Jean le Gram-
mairien (Philopon), Yahya ibn Adi et autres, également intéressés à réfuter
les doctrines des philosophes. En général, tous les anciens montecallemin, tant
parmi les Grecs devenus chrétiens que parmi les Musulmans, ne s'attachèrent
pas d'abord, en établissant leurs propositions, à ce qui est manifeste de l'être,
mais ils considéraient comment l'être devait exister, pour qu'il pût servir de
preuve de la vérité de leur opinion ou du moins ne pas la renverser. Cet être de
leur imagination une fois établi, ils. déclarèrent que l'être est de telle manière,
d'où Hs devaient faire découler les propositions par lesquelles leur Opinion pût
se confirmer ou être à l'abri des attaques... Quoique divisés en différentes classes,
ïls son t tous d'accord sur ce principe, qu'il ne faut pas avoir égard à ce que l'être
est, car ce n'est là qu'une habitude et non pas une nécessité et le contraire est
toujours .possible dans notre raison. Aussi dans beaucoup d'endroits suivent-U^
l'imagination qu'ils décorent du nom de raison ».
Pour établir là nouveauté du monde, la production de la matière, un Dieu
créateur, uniaue et incorporel, c'est donc au néo-platonisme qu'ils s'adressent
tout d'abord, (''est aussi aux atomistes, qui leur fournissent une physique propre
à être opposée à celle d*Aristote. Des atomes, sans quantité ni étendue, créés par
Dieu quand il lui plaît; le vide un temps composé de petits instants indivisibles,
;
qui ne durent qu'un instant et que pieu crée continuellement comme il produit
constamment les privations ou attributs négatifs, le repos, l'ignorance, la
mort(l) des accidents qui n'ont entre eux auçutie relation de causalité, qui
;
tous peuvent exister dans toute substance, toutes choses pouvant être autrement
Qu'elles ne sont, puisque tout ce que nous pouvons imaginer peut aussi exister
rationnellement, par exemple, le feu pouvant se mouvoir vers le centre et être
froid, les sens étant incapables d'être juges delà vérité ou de nous fournir aucun
argument, parce que leurs perceptions nous trompent souvent, voilà quelques-
unes des conceptions ou des affirmations que les Motecallemin opposent aux
philosophes. Munk, en les rapportant, dit qu'ils détruisent toute causalité, qu'ils
déchirent tous les liens de la nature, pour ne laisser subsister réellement que le
seul Créateur. Manifestement le°. Motecallemin sont guidés, comme la plupart
des théologiens et des philosophe * "médiévaux, par le principe de per ection
et, comme eux encore, ils sont avant tout préoccupés du monde intelligible. Mais
ils vont plus loin que Plptin et que °, Thomas au lieu de subordonner les prin-
:
(1) Voir ce qui est dit de Fridugise et d'AIcuin, pp. il*, 125.
.
du vni ft
au: xim siècle 155
comme Tertullien, à les I«ï sacrifier aussi souvent qu'ils le peuvent.; au lieu de
voir r dans le monde sensiblé, une série de degrés pour s'élever au monde intelli-
gible, ils veulent l'ignorer et ne Voient en lui qu'une succession de créations et
de destructions, propres uniquement à montrer la puissance et la liberté de »
(ch. 11,3).
Ce «ont surtout les Ascharites qui ont entraîné les Arabes dans cette direction.
Al-Aschari, de Bassora (880-940), s'étant séparé du môtazale ^1-Djalbaï, pro-
clama la préexistence du Coran, 'les attributs de. Dieu, la prédestination des
actions humaines, tout en faisant des réserves, pour ne pas tombeu dans l'an-
thropomorphisme et dénier tout mérite et tout démérite aux aérons humaines.
Pour les attributs, il convient, selon lui, de les distinguer de l'essence, mais il ne
faut pas comparer Dieu aux créatures, La puissance de Dieu, dont la volonté
éternelle et absolue, cause de tout, du bien et du' niai, est inséparable de sa
prescience, crée les* actions des hommes naais les hommes,par V acquisition (cdsb)
; ,
. accidents, par exemple, çhez l'individu qui écrit, la volonté de mouvoir Fa plume,
la faculté de la mouvoir, le mouvement de la main^et celui de la plume. Et par
là, les ascharites énoncent ou entrevoient des réponses aux questions que soulè-
vent encore, au xvn° siècle, les partisans de la création continuée, des causes
occasionnelles ou de la prémofîon physique.
Un Ascharite, Abou-Hamed al Gazâli (i), que ne satisfont pas les théories des
motecaUemin et qui penche vers le mysticisme des Soufis, attaque victorieuse-
ment les philosophes dans le Têhâfot ai faiâsifa ils n'ont aucune preuve pour
:
avec les théories religieuses. Au xu e siècle les Ascharites sont les maîtres du
monde musai man, en Orient, en Egypte, en Espagne on prêche dans les mos- :
quées contre les philosophes, on brûle leurs, livres on persécute leurs succes-
:
seurs. Sana les transcriptions, les traductions et les commentaires des Juifs, non s
ignorerions une bonne partie de la philosophie arabe
Ses principaux représentants sont en Orient, Al-Ivindi, Al-Farabi, Ibh-Sîna
(Avicenne) et AI -Gazai i (Algazel) qui, ëtf les attaquant tous, reste lui-même un
philosophe ;en Occident* Ihn-Baà^a (Avempaceî, Ibn-Tofaït .(Abubacer), Ilm- ;
ftosehd (Averrocs).
Al-Kindi est un contemporain de Photins et de Jean Scot Erlgène. Il est bien
difficile de déterminer exactement ce qu'il savait et ce qu'il pensait. On nous dit
qu'il possédait ta science des Grecs, des Per60$, des Indiens et qu'Al-Mamoun le
chargea de traduire —
ou plutôt de. réviser tes traductions déjà existantes —
d'Aristote et des auteurs grecs; qué des fanatiques persécutèrent; qu un
le
khalife confisqua ssa bibliothèque et qu'un.. autre Ja lui rendit. On, ajoute qu'il
(1) Voir Mun*, Ueberweg, Carra m Vaux. op. cit. , et MIguel Asin, Algazel, Zara-
goza, 4901.
156 HISTOIliK OOUPABÉE DES PHILOSOPHIEZ Mti. tâYAÎ.ES
attaqua, au non» de l'orthodoxie, les doctrines d' A l-Kindt sur l'essence, les attri-
buts et l'unité dé Dieu, que l'auteur du Traûtalus de erforibus philosophorum lui
reproche, en l'appela ni un savant homme, d'avoir affirmé que les événements
terrestres dépendent de la situation des astres, que toutes les causes de ce monde
agissent sur 'uns 'es individus et que la connaissance d'un seul de ceux-ci offri-
rait, connue dans un miroir, toute la représentatiOL de l'harmonie céleste. Al-
Kihdi se serait trompé encore; en disant qu'on donne abusivement à Dieu k ;
praûqué Aristote (1). il l'a complété par les doctrines qui, dePlotin et de ses dis-
ciples, étaient passées aux chrétiens et au Pseudo-Denys (ch. Il et V). l
Ajoutons que les Arabes l'ont appelé le philosophe par excellence, que son
influence fut considérable au xiir* siècle etque Cardan le considère encore comme
un des douze génies qui jusqu'au xvr* siècle, ont paru dans le monde.
Àl-Farabi; de Faraben Mésopotamie, meurt en i>50. C'est un eontemporaia de
Saadia 042), qui disparaît à peu près au moment où Gerbert entre au couvent
d'Auriliac pour ; commencer son éducation. (Test un mathématicien, un médecin
et un philosophe, un musicien célèbre par son talent et par ses études spécula-
tives, dont la plupart des œuvres ne nous sont pas parvenues. Son Enumeratiwi
ou Remèdes Sciences 9 que Casiri appelle une Encyclopédie, est peut-être résumée
dans le «te scientiis, qui nous a été conservé elle comporte les sciences linguisti-
:
V. distingue la Logeai
naturelles et civiles. alens* qui emploie l'argumentation et
constitue l'instrument par lequel on passe du connu à l'inconnu, de la Logica
docens, qui considère rargumentation comme sa matière, sor sujet et son sub-
m.
s Ira tu
En métaphysique, il insiste sut ia preuve de l'existence de Dieu, tirée de la
nécessiié d'un premier moteur, qui a son point de départ, selon lui. dans le
Timêe, 28, et dans la M êta'fàysiffue, \\\, 7. Albert Se Grand, S Thomas et bien
d'autres, môtn au xtx e siè( le. !a reproduisent cl en font un argument classique.
Ce quAJ-Farabf dit de Dieu nous ra aène à Plotin (ch. III, 4, 10 ; ch. V, 8, 9,
10, 1 1) Dieu est cause de tout ce qui existe. Son éternité suppose la perfection.
:
Libre de tous les accidents, il est simple et immuable,. C'est la pensée et le bien
absolus, objet absolu de la pensée et être pensant absolu. Premier être voulant,
premier objet du vouloir, il jouet de la béatitude absolue il a sagesse, vie. con-
;
Pîutïn et à ses successeurs arabes, qu'on prisse s'unir et s'unifier avec Dieu.
disait-il, et particulièrement ses Principes des êtrot* est de pure fleur de farine.
Al-Farabi reconnaît six principes des choses le principe divin ou cai.se pi -
:
et la matière abstrrite qui sont unies aux corps, sans être elles-mêmes des corps.
Il y o de même six genres pour les corps dont l'ensemble constitue l'uni Vers;
corps des sphères célestes, animal raisonnable, animaux, végétaux, minéraux et
éléments Pour (pie l'homme atteigne le but de son existence et le bien suprême,
il faut qu'il puisse recevoir les notions premières il faut que l'intellect actif les
;
lui donne. Possédant ainsi l'intellect en acte, pais l'intellect acquis, il peut s'alla-
cher à l'intellect actif et recevoir la révélation prophétique, ouisqu'il ne reste
aucun voile entre lui et l'intellect actif. Les sociétés humaines sont d'autant
mieux organisées qu'elles sont plus propres à nous faciliter cette union
Que deviennent les Ames séparées ? Nous ne sommes pas bien sur d'avoir eu
ce point l'opinion d'AJ-F&rabi. Les âmes, échappées des corps, monteraient et
seraient rejointes par les âmes pui les suivraient et les imiteraient. Attachées les
unes aux ai très, leur jouissance augmenterait avec leur nombre: car chacune,
en pensant sa propre substance, penserait nue multitude de substances sembla-
bles et l'objet de sa pensée augmenterait constamment dans la suite des temps le :
montre les choses en une harmonie complète la. nature, faculté de Fàme totale
;
qui pénètre tous les corps du monde sublunaire et par laquelle celie*ci agit sur
.les quatre éléments, qui forment le mOnde de la, génération et delà destruction ;
les minéraux, végétaux et animaux, qui résultent du mélange des quatre élé-
ments, présentent une chaîne ininterrompue d'êtres où apparaît un art qui n'est
jamais en défaut.
Les dé.vot,s virent, dans cette Encyclopédie, une œuvre impie les philosophes
;
deM undo, \i\ Physique et la Métaphysique une analyse de VOrganon, etc., sont
;
métaphysique ou philosophie première, portant sur les choses qui ne sont pas
attachées à la matière ; la physique ou science des choses qui sont dans la
matière les mathématiques, intermédiaire entre la métaphysique et la physi-
;
que. Une ontologie était jointe à cette classification qu'on a parfois trouvée supé-
rieure, en clarté et en précision, à celle d'Aristote.
L'être se présente sous trois formes le possible ou les choses sublunaires ;le
;
possible pac lui-même, rendu nécessaire par une cause extérieure, les sphères et
les intelligences ;le nécessaire par lui-même, Ù'ieu ou première cause. Sur Dieu
intemporelle, de celle de Dieu, par qui le temps est produit avec les choses.
De même H donne, de la Providence, une conception qui se rapproche des
idées "religieuses. Dieu connaît par lui-même les choses universelles mais
;
les âmes des sphères connaissent les choses particulières et, par leur inter-
médiaire, la Providence divine s'étend au monde sublunaire. De la distinction
(1) F. Dieterici, Die Philosophie der Araber in X Jahrhundert nach den Schrif-
ten der lauteren Brader {Bibliographie générale).
Pranti., Renan, op. cit. (Bibliographie générale).
(2) Munk) Carra de Vaus,
e
DU YHr AU XIII SIÈCLE 159
entre l'intellect actif et l'intellect passif. Avicenne tire une- classification \ysté-
matique des facultés qu'ont reprise les Arabes, les scolastiques occidentaux cl,
bien des inodernes 1° facultés extérieures, les cinq sens 2° facultés intérieu
: ;
Descartes, ce que lui ont appris ses parents ou ses maîtres, pour se demander
s'ils lui ont. fourni des connaissances certaines, c'est-à-dire exemptes de
tout
doute, de toute erreur, de toute conjecture. Ni les perceptions des sens, ni lès
principes intellectuels, ne lui parurent, pour des raisons bien souvent répétées
de Pyrrhon à Descartes, mériter une confiance complète. Aussi ne put-il être
satisfait par la dogmatique, qui s'appuie sur le raisonnement pour défendre et
fortifier la tradition. Il ne le fut pas d'avantage par la philosophie les fatalistes :
dient les animaux et les plantes, sans s'occuper du sage créateur qui connaît la
fin des choses ;. les théistes comme Soerate, Platon, Aristote, adversaires des
uns et des autres, sont, comme eux, hérétiques et mécréants.
Les mathématiques sont suspectes, sauf pour ce qui concerne la marche de la
lune et du soleil, leur conjonction et leur opposition. La Ipgique ne doit pas être
réprouvée, mais l'on ne doit pas croire que l'hérésie, venant de logiciens, a l'évi-
dence qu'ont les démonstrations logiques dans les matières ordinaires. Il en est
de même de la physique et de la médecine, sauf pour certaines questions qui
touchent à la philosophie. Pour la métaphysique, Al-Gazel signale vingt erreurs
dont dix-sept sont hérétiques et troié irréligieuses les plus graves sont la néga-
•
De là. les deux ouvrages d'Al^Gazel, Les tendances des philosophez ol La Destruc-
tion des philosophes, Le premier expose la logique, la métaphysique, la physique
d'après Aï-Fa rabi et rbn-Sina. Traduit par Gundisafvi, i! contribue à répandre
leur péripatétisme néo»platonioién. Le second s'attaque à Ari8tote,a Al-Farabief
à Ibn-Sina, mais ne s'ôccupeque do leurs doctrines cdntraires aux dogmes relfc
gteux, création ex nihilo, attributs divins, résurrection des corps, miracles que
nie leur théoriè'de la causalité. C'est un livre qui devait produire une impression
profonde sur ceux que préoccupaient surtout l'existence de Dieu et l'immortalité,
lîadja semble avoir été le premier des Arabes d'Espagne qui ait cultivé la philo*
Sophie avec succès. Mais déjà comme l'a montré Munk, il rencontre pour l'atta-
,
avant Condillac, Bulîori •«' llonnet, pour exposer le développement des facultés,
un solitaire né sans père u' mère, dans une île inhabitée sous l'équateur. Hay
Ibn-Yaklhan, le vivant fils du vigilant, arrive à se détacher successivement de
tout ce qui est inférieur pour ressembler à Dieu et, s'unir à lui. Asal, qui est
arrivé par la religion au mémo résultat, vient trouver Hay qu'il instruit, en lui
faisant connaître l'usage de la parole et les doctrines religieuses. L'un et l'autre
concluent que la, philosophie ci la religion enseignent les mêmes vérités. Et nous
pouvons aller plus loin et constater à. nouveau que les musulmans, comme les
(! ) Voir Renan, Mi n 1
'
. Ukbprv m op. cit. . notre chapitre \\\\ e! notre JîiMiographM
*fè.'t' >ile.
du vin* au xnf siècle 161
tique générale qui a été publié en latin ; une Astronomie abrégé de CAlmageste,
surtout des commentaires des? ouvrages d'Aristote, les grands, les moyens, les
paraphrases ou analyses, qui ont fait dire que si la nature avait été interprétée
par Aristote, Aristote lui-même l'avait été par Averroès. Ses principaux ouvra-
ges philosophiques sont la Destruction dp. la Destruction (Tehafol al Tehafol). ou
il réfutai! Aî-Gaxel des Questions ou Dissertations sur l'Orna non. sur la Phy-
;
Traités su)' l'accord de la religion avec la philosophie, sur le vrai sens des
dogmes religieux, etc. Proscrits par les musulmans, ses ouvrages nous sont
parvenus, en petit nombre et non sous leur forme primitive; grâce aux Juifs de
Provence et d'Espagne,
Aussi est-il bien difficile de dist inguer, dans tout ce qui a été. rapporté d'A ver-
rocs, ce qui esl légendaire et ce qui est historique. U semble qu'il maintienne, en
face l'un de l'autre, la puissance et l'agent, la matière première, inengendrée et
incorruptible, \e, moteur qui ne peut agir librement, puisque le monde n'aurait
pu être ni plus grand ni plus petit, qui ne connaît que les lois générales de. l'uni-
vers. Entre Dieu et l'homme, il y a une hiérarchie nombreuse, qui rappelle
ÀristOté et Pi oti n, des intelligences qui constituent la chaîne des moteurs, par
lesquels le mouvement se transmet de la première sphère jusqu'à nous.
De même Averroès mêle Plotin el Aristote dans la théorie de l'âme. U y a deux
intellects, l'un matériel, passif et périssable ; l'autre séparé, impassible, impé-
rissable, immortel et éternel. L'intellect actif est impersonnel, absolu, séparé
dis individus, qui ne font qu'y participer. Faudrait-il avec Renan, dire que
l'unité de l'intellect n'est que l'universalité des principes de la raison pure et
riel, puis l'unit aux intelligiblets et rend ainsi l'homme semblable à Dieu.
Il faut encore signaler, chez Averroès, les théories relatives a ta perception
des substances ou întelligenees séparées, à la hiérarchie des principes éternels,
autonomes et primitifs, vaguement rattachés à une unité supérieure; celles qu'il
a exposées sur l'immortalité, sur la résurrection des corps, qui l'ont fait consi-
dérer comme un hétérodoxe (ch. VIII), et «tout il est bien difficile de se faire une
idée exacte; sa morale où il combat les motecallemin, pour qui le bien est ce que
Dieu vent ; sa politique, qui est une paraphrase de la République de Platon ; ses
jugements sur les théologiens, sur les religions existantes, sur les dogmes reli-
gieux, qui ont donné lieu à tant d'interprétations différentes. Elles s'expliquent,
ee semble, si l'on admet qu' Averroès, en suivant parfois, souvent même, Plotin
pour constituer un monde intelligible où règne le principe de perfection, s'est
souvent souvenu d'Aristote et a donné à l'étude du monde sensible et aux prin-
cipes qui le régissent une place telle, qu'il ne lui a plus été possible, par la suite,
I
de subordonner où de coordonner l'un à l'autre.
PlCAVlST 11 .
4
HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPH1ES MÉDIÉVALES
(1) Kîtrpe (op. ctt.; montré, contre Munk, paur qui il n'y a pas trace de spérulalion
îi
pbih^opniquc dans la littérature lulmudique. que la philosophie s'introduit, par elle, dans
H' janViSint. Cent te Graetx, qui voit dans le ^nosluisme, la .nnurcf des interprétations,
1
!
Karpe a fsttt appel au néo-,pylluq;ori>nu*. 11 fn'it y joindre l? néo plafouism*. Selon la Bible
DU Viil" AU Xiïl* SÎÈOE m
Après la clôture du Talrnud, les gaonim, les docteurs qui sont les chefs des
Académies de Soura et de Pountoedita, dirigent, par leurs réponses, les commua
nautés et de tons pays. lis entrent en contact avec les Arabes, Au
les particuliers
ix* siècle, on signale l'apparition d'une doctrine a n h ropOmorp h iqu e, matéria-
t
Il proclame les droits de la raison toute interprétation doit être d'accord avec
;
elle, comme avec le texte. Les karaïtes attachent une grande importance à l'exé-
gèse biblique ils se servent de la dialectique, pour constituer une. théologie sys-
;
rection des morls n'est pas absolument contraire à la raison. D une façon systé-
matique, il expose, par la seule volonté de Dieu, la création ex nihilo et combat
tous les philosophes antiques qui affirment l'éternité de la matière, comme ceux
de ses coreligionnaires qui posent des' atomes éternels, qui nient les miracle» ou
cherchent à tes expliquer par la raison. En montrant, comme Alcuiu (ch. VI).
que la religion trouve, dans la raison, un solide appui, iî prépare les recherches
des Juifs d'Espagne et de Provence.
Une école juive, indépendante «le l'Académie babylonienne de Sora, se fonde à.
il y a entre Dieu l'homme un abîme que rien ne peu» eomUer il n'y a place ni pou?
et ;
une théogonie, ni une cosmogonie, puisque bar - créer, lésigne un miracle où. la
po'ir
raison n'a rien a voir nî pour la recherches scientifique on philosophique, puisque la
,
Bible se borne dire que les choses sont, sans j nais indiquer pourquoi elles sonl
*i —
ce
qui ia distingue profondément do la spéculation grecque. d'Aristote, par exemple, pour
qui la poursuite du t:omment et du pourquoi, doit suivre la connaissance du fait. Le
Maaseh Bereschil est une allusion au début de la Genèse, qui commence par le mo*
Beresch 1 1 il y aurait lieu de le con parer au commentaire d'Origène et de ses succes-
-,
seurs chrétiens le Maasrh Merc?bah porte sur le oremier et !e dixième chapitre d'Ezè-
;
aux plotinieus,
164 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE* MÉDIÉVALES
rabb iniques, tout en maintenant que la foi n'est pas contraire à la raison où il ;
dans tout l'Occident, les œuvres des philosophes grecs et arabes, comme celles
de leurs coreligionnaires. Les chrétiens n'ont pas adopté leurs doctrines reli-
gieuses, mais ils leur ont emprunté, au xiu* siècle, tout ce qui, des philosophes
et surtout des néo-platoniciens, pouvait entrer dans leur théologie et leur philo-
sophie (ch. VIII).
Dans l'Occident chrétien, les sciences sont loin de présenter le même dévelop-
pement que dans le monde arabe et musulman. Quelques noms peuvent être-rap-
pelés, ceux de Walafried Strahonetde Fabbesse Hildegarde, que mentionnent
les historiens de la botanique; ceux d'Àlcuin, d'Odon de Clunv, surtout de Her-
Crémone qui appartiennent à l'histoire
bert et d'Àdhélard de Bat h, de Gérard de
des mathématiques ou de l'astronomie. M faùt encore citer le Physiologie, qui,
sous ses formes très différentes, sert de manuel de Eootagie (2) les Bestiai- :
DU VIT!'' AU XIII
e
SIÈCLE 165
ras et les travaux des alchimistes ('ch. Vili). Mais il semble bien que la renais-
sance scientifique fut moins marquée que la renaissance littéraire et philoso-
phique.
Quelles furent, du vm° au xni c siècles, les questions que se posèrent et qu'es-
sayèrent de résoudre les philosophes et les théologiens d'Occident ? (1).
Pour Gharlemà'goe, la théologie, partout et toujours, est au premier plan.
Pendant ses repas, il se fait lire la Cite de Dieu,* Pour qu'on pénètre ou qu'on
accepte plus facilement les mystères des Saintes Ecritures, il recommande aux
évêques et aux abbés d'installer des écoles. A ses questions sur la religion, la
morale et la discipline, les évêques répondent par de véritables traités de théo-
logie. C'est en invoquant l'utilité pratique et siutout théologique des arts libé-
raux, qu'Aleuin réussit à les lui faire étudier. Enfin il meurt en corrigeant, avec
des Grecs et des Syriens, le texte des Evangiles (ch. VI).
Sous son règne, deux grandes querelles ont lieu, celle des adoptianistes et celle
des iconoclastes. Les premiers se rapprochent des ariens et des nestorieus, par
suite des néo-platoniciens, pour qui la première hypostase est supérieure aux
deux autres. Peut-être aussi ont-ils subi l'influence des musulmans d'Espagne,
tout occu pés de ma intenir l'unité divine. Pour les combattre, trois conciles sont
réunis, où siègent Paulin d'Aquilée, Alcuin, Benoît d'Aniane, flaimon et Haban
Maur une mission est envoyée eu Espagne. Par les seconds, l'existence de l'art
,
accepté par Borne. Les Fausses Décrétâtes placent le pape au-dessus de tous (tan-
quant te (minibus prœesse moneris) les rapports du pouvoir temporel et du pouvoir
:
règne « sur les rois et les tyrans, qu'il soumet à son autorité comme s'il eût été
le maître du monde »
Puis c'est Gottsehaîk qui bouleverse les églises d'Italie, .d'Allemagne et sur-
tout de France, avec ses affirmations sur la double prédestination.Des conciles
ou des synodes se réunissent à Mayence, à kiersy-sur-Oisc, à Paris, à Vi ience,
à Langres, Les hommes les plus marquants, Raban Maur et Rincmar, Prudence
et Serval Loup, Ratramne de Corbie, Jean Scot et Florus de Lyon, bien d'autres
dont les noms ne nous ont pas été transmis, discutent, raisonnent ou colligent,
dans leurs traités, des textes concluants (VI, 3, 4, 5).
Voir « La Scolastique
(1) », Revue internationale rte renseignement, 15 avril 1 893,
et Grand Encyclopédie
fi .
166 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIÉS MÉDIÉVALES
n'y a pas un libre arbitre grâce n'intervient pas, pour rendit* u la volonté
et si la
sa puissance affaiblie par le poché originel, Dieu devient responsable du péché ;
phie Prudence et le synode de Langres trouvent que Jean Scot et le concile fil
:
Kiei'sy ont mai phi!< sophé, tandis que Florus et ceux qui se réunissent à Valence
condamnent l'emploi même de la philosophie.
Voilà donc une discussion qui a occupé les représentants les plus autorises <;c
l'Eglise et tas plus libres -esprits, après avoi»* passionné les philosophes grecs et
latins, comme les Pères de i'iSglise grecque et latine, avant de passionner à leur,
tour les Réformateurs, puis les penseurs du xvii*, du wiii*' et du xix e siècles. Et
cependant elle e&t passée sous silence dans l'histoire des idées, parce qu'on a
décidé, a priori, qu'il ne fallait voir dans la scolastique que les recherches sur les
universaux (l).
Une autre question commence aussi à être discutée au ix° siècle, qui prendra,
pour lev générations postérieures, une importance presque aussi grande, dan»
débat.
nv vur AU Xllf SÏÈCLK 167
l'ordre religieux, que celle de la suprématie de l'un ou de l'autre («cm voir dans
Tordre politique c'est celle de la présence réelle. Le.de Corporc et Sanguine fhtmmi.
:
de l'asehase Ratnert, aftirrne que la chair n'est pas autre dans le. sacrement
et sur l'autel que celle qui, née de Marie, a souffert sur 'la croix et est sortie du
sépulcre après la résurrection. Ratramnc et Jean Sent furent d'un avis contraire
et Itatbert ne semble guère alors avoir trouvé de partisans.'
Le x siècle fut un « siècle de fer et de plomb ». Toutefois nous voyons, par les
ft
recherches de Gerbert (f), par les discussions qu'il soutint, les ouvrages qu'il
publia et les hautes situations auxquelles il parvint, que des sujets scientifiques*
philosophiques et théologiques, où ne figurent pas les universaus, occupant
encore les hommes de cette époque qui n'ont pa« renoncé a étudier et à réfléchir.
Le siècle suivant a surtout des préoccupations religieuses. Les hérétiques foi-
sonnent il y a des manichéens à Orléans parmi les hérétiques brûlés en 1022
: ;
bert, qui avait paru si singulière deux siècles plus tôt, est devenue ortho-
doxe (2). La doctrine de Jean Scot et de Bérenger, très répandue en Italie, en
Gaule, en Germanie, est condamnée à Rome, à Brioivie, à VerceM, à Paris. Lan-
franc l'attaque avec une énergie qui témoigne de l'importance que l'Eglise atta-
che à la défaite de Bérenger. Puis c'est Rosée! in et ses affirmations sur la Tri-
nité, que rien n'autorise à rapprocher historiquement, sinon logiquement, de sa
doctrine d'ailleurs si vague sur les universaux, mais qu'on peut comparer, avec
bien plus de raison, aux doctrines analogues qui ont paru dans les époques pré-
cédentes ou qui seront soutenues au xn* siècle (3) Lan franc avait combattu
âéreng&r, S. Anselme combattit Roscelin. Gomme si elle eut été dans un camp vit
obligée de se défendre, l'Eglise demandait à ses plus vaillants défenseurs de h
débarrasser de ses ennemis intérieurs.
Aussi a-l-eite été singulièrement puissante En 1020 elle rétablît la Paix, puis
I
en t04! la ÏW#* de Dieu. En 1077, Henri IV reste k Caoossa, trois jours et trois
nuits el les pieds nus, exposé à un froid des plus rigoureux. Vers la lin du
siècle, la papauté lance la chrétienté eoutre l'Orient musulman et, en 10'JO, Gode-
froy de Bouillon devient « avoué a du Saint-Sépulcre. Les Hospitaliers, un peu
plus tard les Templiers» sont institués pour soigner les malades et les blessés,
pour protéger les pèlerins, mais surtout pour garder le tombeau du Christ et
combattre les infidèles.
C'est que jamais les croyances religieuses n'ont été plus vives et n'ont exercé
une influence p'.u's grande sur ta vie pratique -Au-dessus du monde réel, d'où Ton
veut chasser hérétiques et infidèles, il y a un monde où les démons, tes anges
et Dieu lui-même se mêlent aux hommes, d'où ils interviennent pour modifier
les lois naturelles, pour faire de la vie actuelle un enfer ou un paradis. Alors se
forme la légende de Gerbert qui, en se développant pendant plus d'un siècle,
nous donne l'idée de l'importance sans cesse grandissante du merveilleux. Le?
(1) Cf. noire volume sur Gerbert, dans la Bibliothèque de l'jBeoIe des Hantes titudes.
(2) Sur dogmes, voir Harnacfc (Bibtioy rapine générale). Sur Béreiger
l'évolution des
de Tours, le travail le plus récent est la thè>e diplômée d'EbersoIt à l'Kcolc des Hautes
Etudes, Revue de, C histoire d:$ religions* 4903.
(3) Voir noire brochure sur Roscelin.
.
Histoires de H :><>ti Ofaber; terminées entre t046 el 1049, sont remplies devisions,
î
Proslogium (2). Dans sa jeunesse, i! yeul aller au ciel et il rêve qu'il y a été.
Déjà Dieu t'ait pour lui des miracles. A Pahbaye du Bec, il a, par suite d'austé-
rités et de macérations fréquentes, la. vision h travers l'espace, qui lui explique
celle des prophètes à travers le temps. En songe, un jeune moine, qu'il a ten-
drement aime, lui apparaît aussitôt après sa mort. Un autre est débarrassé par*
lui du démon qui le tourmente. Par sot» intervention on fait, des pèches inespé-
rées et miraculeuses. Le Monohgium est le, résultat d'une longue méditation,
devenue une véritable obsession te démon jaloux cache ou brise les tablettes sur
:
lesquelles il est écrit. Une autre fois, le démon lutte encore contre S. Anselme,
pour empêcher la conversion de Cad ut) qui était venu demander aide et direc-
tion au prieur du Kec. Vainqueur du démon, S. Anselme guérit, même sans le
vouloir, les lépreux et les fiévreux:. Et nous ne sommes plus, comme pour Ger-
bert, ci» présence d'une légende fabriquée après coup, ("'est le fidèle serviteur de
S. Anselme, Eadmer, qui, après avoir vécu seize ans avec lui, nous a laissé ces
pieux récits. Son secrétaire Riculfe, ne i'a-t-il pas vu en oraison, entouré d'une
sphère de flamme brillante ? On n'a pas besoin alors d'inventer le merveilleux,
parce que partout on le voit, on le sent, on l'entend,
Les tendances religieuses sont tout, aussi puissantes au xu° siècle. Philippe I er
meurt en 1108, sous l'habit de moine bénédictin, avec une frayeur horrible de
l'enfer. Louis Vil et Conrad lit entreprennent la seconde croisade Frédéric ;
mêmes tendances.
(3) GsbharTi L'Italie mystique^ p. 40.
Dîi yilV A(J Xllt e SIÈCLE 169
de ces accusateurs, dans le Contra nova s hœreses, attaque tout à la t'ois Abélard,
Pierre le Lombard, Gilbert et Pierre de la Porée, qu'il appelle tes a quatre
labyrinthes de la France » — non parce qu'ils ont touché à la question des uni-
versaux, —
mais parce qu'ils ont traité, ayee une légèreté toute scoîastique
(levitate scolastica) de le Trinité et de l'Incarnation ({». 91). Enfin, quand le siècle
Vâ finir, on condamne les Henriciens, précurseurs des Va u dois, puis des Mani-
chéens auxquels se rattacheront les Albigeois, les Cathares, tes Pa tari as et les
Vnudois eux-mêmes.
Qui doue s'occupe des uni versa 10 ? Quelques scolastiques Guillaume deCbam- :
ava.it été le disciple d'autres encore, dont les discussions agitent l'école (i), mais
*
certains de nos philosophes classiques qui. ont examiné, avec beaucoup de saga-
cité et de tin. esse, des questions dont la solution ne satisfait guère qu'eux-mêmes'
et leurs disciples.
C'est qu'en effet, il y a, au xii" siècle, toute une série de théologiens philoso-
phes pour qui rien n'existe en dehors d'une métaphysique qui nous ramène
encore aux Alexandrins. S. Bernard, dont l'influence a été si grande les Vieto- ;
rîns, Hugues, Richard, Gauthier, l'abbé Acbard, cherchent a vaut h.m à préparer t.
cette union de l'homme et de Dieu, cette conversion à propos de laquelle les néo-
platoniciens enseignaient les intermédiaires qui, du inonde sensible, conduisent
«aux bypostases et à. PI In la plus élevée de toutes.
Les litres de leurs ouvrages sont caractéristiques et présentent un grand inté-
rêt pour la psychologie, mystique. De S. Bernard r nous avons le De Contemplu
mumii, le De diliyenth (ho de maître Aehard, les Sept 'déserts* Hugues de Saint-
;
Victor a surtout en v ue la seiem e des choses divines et revient, dans tous ses
ouvrages, sur la contemplation et ses .divers degrés. C'est ce que font encore
Richard de Saint- Victor, dans soi» Benjamin Minor, sïve df Contemplât iom\ et Adam
i
des créatures, dont nom nous servons des vertus et des sacrements (ch. VIII).
:
Alain rie Lille, (de Arle site de Articulés fidei vatÀolicœ) connaît le livre des Causes
et défend, contre les Mahométaos, les Juifs et les hérétiques, tes doctrines capi-
tales de l'Eglise chrétienne.
En outre la lutte continue radie le, pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.
Elle estmarquée en Angleterre par l'assassinat de Thomas Becket et la pénitence
de Henri II. Pour la comprendre il faut tenir compte des ouvrages de Jean de
Salisbury, du Décret de Grat.ien, qui constitue le droit canonique du moyen âge,
(!) C'est par Jean de Saitshury que nous savons ce qui s'y passa.
170 HISTOIRE C.O.MPARKK DKS PHILOSOI'ÏIIKS MÉDIÉVALES
(I) S'oyex notre Revue générale dans la Revue pkitùsopkîqur. avril - et spécial
hment l'analyse du fJidâscalionjlle Conrad de Hirschau.
.
DU VU le AU XI il* SIÈCLE 17 i
les leçons de Serval Loup. Dans un texte depuis longtemps célèbre, mais qui a
été emprunté, comme ou îe sait par Hauréau, à Jean Seot, Ileiric exprime, en
tenues énergiques et convaincus, une doctrine qui est l'antécédent du Cogito,
eryo sum. Dans des gloses célèbres (1), Heiric, reproduisant encore Jean Seot, s'en
écarte cependant, parce que, s'il fait converger toutes les catégories à la sub-
stance, il se refuse à voir en celle-ci un tout universel, mais la prend comme le
tout intégral de chacun des êtres numérabîes.
Remi mêle la philosophie à ses commentaires théologiques, tout en émettant
des opinions très variées sur les rapports qu'elle soutient avec la théologie. Ainsi
le verset 1 oe la Genèse —
fit principio èrmvit Deus cœlum tt terram est, à son —
sens, une réfutation des doctrines des philosophes sur la création du monde ; de
Platon qui donne, comme principes, Dieu, l'exemplaire et la matière,. d'Arislote
qui admet la matière, la forme et une troisième chose (operarlum), par laquelle
on ne sait pas bien ce qu'il entend (2). Ailleurs, il réfute l'opinion platonicienne
qui fait du cerveau le siège de îa pensée. Et, reproduisant Jean Seot et Feiric, il
prend pour philosophes les dialecticiens, les rhéteurs, les sophistes et les juris-
consultes. Dans son œuvre, on trouve, confusément mêlés, des éléments platoni-
ciens et néo-platoniciens, stoïciens et pythagoriques, qui viennent de ses pré-
décesseurs mais dans le Commentaire sur les psaumes, qut sera plus d'une fois
;
cité par Abélan\ il y a des passages qui font songer à saint Anselme (3).
Chez Heiric et Remi, nous avons à signaler des reflets- ou des ébauches. Ger-
bert est un personnage que l'on peut rapprocher de Jean Seot.
On ne saurait omettre, en pariant de Gerbert, les légendes qui r,e sont formées
sur son compte. Elles 4e présentent comme tui magicien dont le pouvoir redou-
table ne s'explique que par l'intervention de Satan autjuc!., en revanche, il est
livré après sa mort (4). Mais s'il faut savoir à quelles époques elles ont pris nais-
sance et accroissement pour les comprendre et se faire une idée exacte des hom-
mes qui les ont forgées, il importe, de les distinguer avec soin de ce que nous
pouvons historiquement affirmer de l'origine cl des premières années de Ger-
bert, de son séjour en Espagne, de son enseignement à Reims,, de son rôle comme
abbé deBobbio, comme archevêque de Reims et de Rave une» rumine souverain
pontife, enfin de ses relations avec les rois de France et les empereurs d'Alle-
magne.
Ses œuvres ont besoin d'être analysées, expliquées, commentées. Pour la dia-
(t) M. Cousin lisait Hknhïcus, mayister Remigii, feci.t has glmsas : Hauréau lut avec
raison Heiricus.
(î) Voir ce qui a été dit des Juifs et du Maaseh Bereschit, § 6.
(3) « J'ai résolu, ditRemi, de faire une enquête sur mon Dieu, car ii ne me suffit pas de
croire en lui, je veux encore voir d« lui quelque chose. Je sens qu'il y a quelque chose
au delà de mon âme. Si mon Ame demeurait en elle-même, sans s'élever au-dessus
d'elle, elle ne verrait qu'elle : il faut qu'au-dessus d'elle, mon âme atteigne Dieu. »
(Ps. XLÎ, Mignk, }». 5C7).
(4) Oli.ekis, Œuvres de Gerbert, Cfei mont-Ferrami et Paris, 1861, donne les ren-
seignements nécessaires sur le développement de la légemte. Voir notre volume déjà cité
sur Gérberl
172 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE.* MÉDIÉVALES
leetiqne. il faut tenir grand compte de la iliHeiisrinn d<> Gerberl <1 d'Otluar en
présence dé l'Empereur Qthon l wr que Riclter reproduit d'une façon trop incom-
,
fonl bien voir que la dialecti<(ue est une auxiliaire estimée de la théologie. Celles
des lettre» de Gerbert, qui ne servent ni à retracer sa vie ni à exposer sa doc-
trine, nous apprennent quels poètes et quels philosophes il lisait, quelle valeur
i! attribuait aux différents ordres d'études. Avec tous ces documents, on peut
discuter les jugements ;i'OH«:r»s, de Franck, de Hauréau, de IJebcrweg, de Julien
Hiavet, sur la valeur morale et intellectuelle de Gerbert (t). Jl a continué l'œuvre
de ses prédécesseurs il a élargi la dialectique, en y joignant la poésie et la rhé-
;
(1) Olleris, op. ci/., Franck, Journal des savants, mai et juin t8t$ Ukuerwe&, :
de celle de Jean Scot, leur doivent leur ampleur métaphysique. Mais aussi, en
rapprochant du Monologium et 0*11 Proélogium les Méditations de Descartes, les
textes de Spinoza, de Leibnitz et de Kant, où la preuve ontologique a été exposée
et combattue, on s'aperçoit- que la métaphysique médiévale a inspiré plus d'une
fois les modernes. Ainsi Descartes a connu, comme fa montré Hauréau dans la
vie de Marin Mersenne, l'argumentation de S. Anselme. Mais les Méditations sont
inférieures, en rigueur logique, comme eri profondeur métaphysique, au Mono-
logium et au Proshgium. Q'est que S. Anselme s'est inspiré davantage des uéo- plato-
niciens c'est que Descartes est grand, original par sa philosophie scientifique,
;
comme l'a établi M. Liard, et non par une métaphysique qui continue, sans
l'égaler, celle du moyen âge. En outre* si l'on considère la correction que Leib-
nitz apportait a. la preuve cartésienne, on sera convaincu u.u'tl ne faisait par là
que revenir à S. Anselme. Enfin, si l'on compare la métaphysique de S. Anselme
h celle de Kant, on se rappellera que celle-ci exige au moins trois postulats,
tandis que celle de S, Anselme devient absolument inattaquable, si on lui accorde
son point rte départ, à savoir qu'il existe quelque chose de parfaitement bon,
de parfaitement grand et de supérieur h tout ce qui est.
Donc, l'étude impartiale des textes montre qu'on doit faire une place considé-
rable, plus gronde que celle qu'on leur accorde d'ordinaire, à Aleuin, à Ileiric
d'Auxerre. même h Bérenger de Tours qu'il faut compter, parmi les penseurs
;
dont l'influence s'étend au delà de leur époque et de leur pays, jean Scot, Ger-
bert, S. Anselme,
On arrive à des résultats différents pour certains hommes de ia fin du xi e et
du xii 1 siècle, qui ont été plus vantés qu'étudiés, pour Knseelin, pour Guillaume
'
de Chain peau*, pour Abélard. On n'avait pas assez le nu compte des sources aux-
quelles ils ont puisé. Moins encore avait-ou étudié leurs prédécesseurs, qui
n'avaient que peu ou point abordé le problème des uni versa u x auxquels on
ramenait toute, !a scolastique.
Si l'on s'en rapporte uniquement aux textes, on voit que Roscelin semble bien
avoir soulevé la question, pour soutenir que les genres et les espèces sont des
mots (vncff$). Incontestablement aussi, il a été attaqué, pour avoir affirmé que les
HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIKS MÉDIÉVALES
trois personnes de la Trinité sont absolument distinctes (très m). Mais il est tout
h impossible de croire qu'il a saisi l'importance psychologique, logique et
fait
métaphysique de la question pa r lui pos<V il est absolument déplacé de le com-
;
lui qui, le premier, a fait constamment appel à l'autorité (ch. VIII). Qu'il s'agisse
de littérature, de philosophie ou de théologie, il s'appuie, tout à la fois et éga-
lement —
ce qui explique la ré.proba'ion des orthodoxes et les sentences des con-
ciles de Soissonset de Sens —
sur les poètes et les écrivains latins, sur les phi-
losophes, sur l'Ecriture et les Pères. Ce qu'il se propose, par ses traités de
philosophie, c'est de constituer, à l'usage des étudiants et des martres,, une
Somme des ou vi âges d'Aristotc, de Porphyre et de Boèce, qu'il avait à sa dis-
position; c'est de bien exposer, non d'inventer (4). Sur les universaux, il a des
opinions fort différentes mais 'à où il est le plus affirmatif, il n'est pas coneep-
;
tualîsle, puisqu'il ramène à des strmgim les genres et les espèces. La plupart de
ses hardiesses philosophiques sont des digressions où, tout occupé de montrer
les applications possibles de son exposition présente, il oublie ce qu'il a dit
ailleurs et ne se décide jamais a traiter d'une façon complète les questions qu'il
soulève.
Alcuin et et S. Anselme, bien avant Abélard, ont appli-
Jean Scot, Béreng&r
qué la dialectique à Ce qui appartient en propre à ce dernier, c'est
la théologie.
d'avoir voulu, pour la théologie comme pour la philosophie, composer mie
Somma (aliquam srh-ros eruditionis Summam) où, pour chaque question, se trouve
indiqué ce qu'ont dit les Ecritures et les Pères, comme aussi les philosophes et
les poètes. S'il est hardi, téméraire, voire même hérétique, c'est qu'il connaît,
d'une façon trop incomplète, les problèmes théoîogiques et la méthode qu'il faut
suivre pour les résoudre (1). En ce sens et spécialement, par ses affirmations
sur la Trinité, sur l'Espril-Saint. par la dédicace au Paraclet de l'asile qu'il
abandonna pins lard à Héloïse, il peut être rattaché, d'un coté, à Jean Seot, de
ï autre, à Arnauld de Éîrescta, à Joaehim de Flore et aux partisans de l'Evan-
gile éternel, S. (François d'Assise et à la floraison artistique du xm« et du
;i
xiv e siècle.
Pour qui s'attache surtout h renseignement théologique, littéraire ou philoso-
phique, Abélard apparaît comme le continuateur d'Aîcuin, de Raban Maur et de
Gerbert, comme un précurseur d'Alexandre de Ha lès {eh V1ÏI), de Vincent .
uns ni les autres, des universaux. {)uii nous suffise maintenant de rappeler, en
quelques mots, ce qu'a été l'un de ceux dont il importe le plus d'étudier l'œu-
vre, pour voir ce que fui la spéculation à cette époque, ce. qu elle est devenue
dans la seconde période et même au xvn* siècle on de nos jours.
Jean de Salisbury, l'auteur du Po'tycralicus et du Mètalogicus^ qu'on prendrait
volontiers, dit Hauréau, pour un contemporain des beaux esprits de la Renaît»-
uance, et qu'il faut, pour sa latinité éléganle, approcher de Jean Seot,, est un des
«
écrivains les plus originaux et les plus suggestifs de notre, moyen âge. Disciple
d' Abélard et de bon nombre de ceux qui tinrent école pendant son premier séjour
en France, il nous apprend ce qu'étaient renseignement et les doctrines, les maî-
tres et les disciples. Ami de Thomas Becket, il nous décrit la société anglaise,
surtout les courtisans, et, mieux que personne, nous renseigne sur Ses diverses
péripéties de la lutte entre Henri il et son ancien favori. Par lui nous savons ce
que furent les Gorniticiens, ces singuliers contempteurs de tout" science et de
toute recherche spéculative, il connaît les  nnlyliqws et cependant il se rattache,
par Cieéron, aux Académiciens en métaphysique {qui me in hts quœ suiU dubilabi-
lia napiruh, academicum esse- pridem professus sum). Plus d'une, fois on pense, en
le lisant, à Arcésihis, à Garnéade, h Sextus Empiricus. Nul n'est si bien rensei-
gné su» la philosophie antique, nul n'a voulu la faire connaître plus exactemenl
— dans !» mesure où le comportaient Ses sources, qu'»! lui a été donné de consul
ter. - personne non plus n'a exposé avec autant d'exactitude et d'impartialité,
les problèmes soulevés et les solutions trouvées ou reproduites au xii* siècle,
i*que de Chartres tout dévoué à ses fondions épisropales, .h rétien cou vaincu
«
Im somme Aristote n'a été, que pour la logique, le maître des théologiens et
(f ) 13 n'écoule q\m tort peu de temps Anselme de Laon et se pose comme son rival
en théologie l> tb^rd il a peu d'auditeurs, parce q ron trouve ridicule que, dénué pres-
.
que entièmneui. a> lecture* sacrée, il se hâte d'abosder la science; puis, Anselme lui
interdit de continuer ses leçons et ses gloses, parce que, s'il échappait a son ineapkhirxce
quelque erreur louchant la foi, on pourrait rimpuier à celui dont il usurpait ainsi la place.
ne HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIE- MÉDIÉVALES
des philosophes chrétiens d'Occiden t. D$ns toutes les Questions posAei*, du vui*
au xiue siècle, on rencontre des" doctrines épicuriennes, stoïciennes, éclectiques
et académiciennes, mais surtout néo-ptatonicien nés. PJotîn et ses disciples sont
sans cesse reproduits, amplifiés, commentés.
On ne traite des universaux que dans les écoles e1 on n'en traite que de 1090
à 1100 environ, pour en donner d'ailJeurs des solutions grammaticales et logi-
ques plus que métaphysiques. D'autres problèmes sont examinés et discutés avec
passion, qui nécessitent des arguments philosophiques el théologiques. La Trinité
et la présence réelle; les images et l'évangile éternel la liberté, la prédestina-
;
giennes.
La philosophie et la théologie sont étroitement unies. La première est parfois
un»' servante de la seconde mais -die en est chez Alcuin el. S, Anselme une au xi
;
I foire fort utile, même nécessaire ; elle domine, pour Gerbert, la théologie, comme
les sciences et les lettres Tour Jean Scot, >.! faut suivre la raison en tous sujels
et en toutes circonstances.
les Arabes d'Orient et d'Occident, montre, même après une esquisse succincte ci.
nécessairement incomplète, combien est fragmentaire el inexacte la conception
qu'on, s'en fait ordinairement en !<» réduisant à une seolastiquc subordonnée à la
théologie, disciple d'Àrislote et surtout occupée; de la question des universaux
(ch. XV En Tait les sciences, la philosophie et. la théologie ont été constamment
en rapport chez les Arabes, les Byzantins et les Juifs, parfois chez led h réunis •
d'Occident, de façon qu'il est fort difficile de déterminer ce qui tient- la première
place dans leurs combinaisons systématiques qu'il est toujours: nécea-
(i) Voir le mémoire diplômé de M. Alphamlcry, sur les idéeà morales et !.•> hété-
rodoxes latins au début du sni' siècle (liibf des Hautes Etudes, section dc^ sciences
.
religieuses) >
e
DU V1J1« AU KIII SIÈCLE 177
lui que s'inspirent indirectement, mais par des sources nombreuses et variées,
les orthodoxes, les hérétiques et les novateurs, les partisans comme les adver-
saires de la philosophie, les scolastiques qui font surtout appel à l'intelligence;
et lesmystiques qui préfèrent la voie du sentiment, comme ceux qui, plus près
de lui par la. méthode suivie*, font servir la raison, la volonté, l'âme tout entière
à construire .ce monde intelligible et à s'en rapprocher de plus en plus pour y
vivre enfin le plus longtemps possible et même pendant l'éternité.
PiC A VET 12
CHAPITRE VIII
(1) C'est ce que ne semblent pas avoir compris, au xvnc siècle, les partisans des moder-
nes, comme Perrault, La Motte et Fontenelle.
(2) Quand môme on Renan, Ribot, que la métaphy-
inclinerait n croire, avec Ravaisson,
sique est, comme les œuvres d'art, essentiellement le produit
de l'imagination, il resterait
à noter l'importance des notions positives qui joueraient, pour le métaphysicien, le rôle
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PHILOSOPHIES 'MÉDIÉVALES 179
et' la plus féconde, puisque c'est alors* que se sont constituées, sous une forme à
peu près définitive en ses grandes lignes, leur théologie et leur philosophie.
Or jamais, dans toute la période médiévale, la raisbn et la science n'ont été plus
consultées' et plus écoutées. Leur intervention est marquée, chez les orthodoxes,
par les œuvres que Roger Bacon compose pour le pape Clément IV et où il
recommande, en vue des! progrès de la religion et de la théologie, l'étude des
langues et des sciences. S-ur ce point, toute contestation est impossible on a :
thomisme. En second lieu, les Averroïstes vont si loin, dans cette direction,
qu'ils opposent la raison et la foi, la philosophie et la religion. Enfin, ce sont
,
maître Pierre et les alcliimistes, à-peu près uniquement tournés vers les recher-
ches expérimentales et scientifiques. Les catholiques actuels, rénovateurs du
thomisme ou de la seolastique, ont si bien compris que le.xiu^ siècle a été
;
grand parce qu'il a utilisé lout ce qui lui venait de la raison, ou de l'expérience
contemporaine et antérieure, qu'ils se sont adressés aux science pour rendre à ;
leur métaphysique sa force et sa splendeur (ch. IX). N'avaient ils pas d'aillsurs
les enseignements de l'histoire, qui leur fournissait une contre-épreuve excel-
que remplissent les couleurs pour 1» peintre, les sons pour les musiciens, les formes pour
le sculpteur, les images et les mots pour le poète.
(t) Voir Emile Charles, Roger Bacon Bkidges, The opus majas of Roger Bacon,
;
Oxford, 1897, Introduction, p. XCII, combat Renan, Ilauréau et Littré, rapprochant Ito^cr
Bacon et Auguste Comte. Voir notre brochure {Bibliographie),
i&O flîStOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPH1ES MÉDIÉVALES
Que le xm e
un grand siècle dans l'histoire de la civilisation chré-
siècle ait été
tienne que personne ne conteste, même parmi ceux qui condamnent
(1), c'est ce
les Croisades contre Byzance ou contre les Albigeois, l'Inquisition et les procédés
dont on use avec les Juifs et les hérétiques. C'est l'époque où la France et
l'Europe se couvrent de cathédrales et, comme l'a dit un de nos poètes à qui
l'on peut pardonner un anachronisme.:
Des papes, demeurés illustres, dirigent PEglis«, à laquelle les Universités, les
Franciscains et les Dominicains donnent gloire et puissance. De grands rois
surgissent, Louis IX q ui protège, de son auréole de sainteté et de justice, jses
v
successeurs jusqu'à Louis XV; Frédéric II, qui rêve de faire île la science là
directrice d'une société où il aurait gardé un absolu pouvoir? Alphonse X, que
son amour pour les lettres, Tastronomie et la science, comme sa prudence et son
habileté, font surnommer le Sage par la catholique Espagne. Puis éveillés par
S. François d'Assise, Dante et'Giotto créent une poésie nouvelle et un art qui,
sans méconnaître l'esprit et sa haute valeur, voit la nature dans sa beauté et sa
jeunesse éternelles (3). A côtéde l'idéal entrevu du rêvé, les légistes tentent de
faire revivre la société la plus positive qui fut jamais. Les traducteurs enrichis-
sent }a langue comme la connaissance. Suivant la voie ouverte par Lucrèce et
Cicéron, par les Pères comme S. Jérôme, ils forgent des mots latins pour rendre
les termes grecs métaphysiques, scientifiques ou simplement abstraits. Une
nouvelle langue, d'où sortira le français moderne, se forme, également rede-
vable au latin classique et au grec, capable d'exprimer toutes les idées*.
Que la philosophie et la théologie aient, au xm
e siècle, acquis leur plus grand
Sans revenir sur Roger Bacon (1), pour qui là contestation est impossible et
dont l'exemple est d'autant plus significatif qu'il écrivit son œuvre à la demande*
d'un pape, par qui elle semble avoir été fort biçn accueillie, essayons de mon-
trer d'abord comment la raison et l'expérience ont contribué à l'achèvement de
la méthode scolàstique.
Rappelons brièvement (2) ce qui avait été fait, par les chrétiens d'Occident,
pôur la constitution d'une méthode propre à résoudre les questions qu'on se
posait dans les écoles (ch. IV) et à en transmettre les solutions }i ceux qui ne
pouvaient guère acquérir les connaissances nécessaires h l'exercice de la prédi-
cation, au gouvernement de l'Eglise ou h la direction des âmes, qu'auprès de
maîtres savants et capables d'enseigner.
On a cité (3), parmi les ouvrages où cette Méthode $e trouve en germe, le
Liber SetUentiarum Pwsperi, extrait de Prosper et de S. Augustin, surtout les
très Libri Sententiarum, d'Isidore de Séyille, formés de citations empruntées aux
Pères de Ce dernier ouvrage constituerait un progrès considérable, en
l'Eglise.,
ce, que matière y est 'répartie en trois divisions, et que, sous chaque titre, il
la
J;.a plusieurs sentences d'auteurs différents. Isidore de Séville serait resté, $it-on,
le modèle, du genre jusqu'au temps où Abélard, par le Sic rt Non, fournit des
cadres nouveaux plus commodes et moins imparfaits.
:
(4) Peut-être faudrait-il tenir plus de compte de S. Hilaire de Poitiers, dont les ouvrages,
Adversus Arianos, de fideou dè trinitate, en 12 livres, de synodis, Contra Auxen-
tium, Contru Dioscurum, ont été considérés comme ouvrant la série des Sommes ou des
Traités du moyen âge, par M. Pichon (Histoire de la littérature latine,, p. 829), qui y
trouve la méthode de la'scôlastïque philosophique, parce qu'elle emploie un grand nombre
d'arguments et de syllogismes ;
religieuse, parce que ses arguments ont, comme point de
départ, dés propositions prises dans les [ivres saints.
(5) Ainsi, pour le temps, dit-il, on compte de trois manières selon l'autorité humaine
:
(olympiades), selon l'autorité divine (le sabbat est le septième jour de la semaine), par
.
Mais c'est dans les discussions suscitées par les hérétiques qu'il faut surtout
chercher tes antécédents du Sic et Non. Et l'on sait combien il y eut d'hérésies
au Moyen Age! Contre les Adpptianistes, Alcuin prouve l'humanité et la divinité
,
de J.-C. par des témoignages « empruntés aux quatre Evangiles ». Même
méthode contre les Iconoclastes, au concile de Francfort, sous Chariemagne, à
celui de Paris, sous Louis lé Débonnaire; dans les luttes entré les deux pouvoirs,
où les adversaires s'opposent des sentences de la Bible, de l'Evangile, des Pères
et plus tard des lois romaines.
Caractéristique entre toutes est l'hérésie de Gottschalk (ch. VI, 3, 4, 5), au
temps de Charles le Chauve « Il a extrait beaucoup de témoignages des œuvres
:
Héraclite le compose de feu, fcpicure, d'atomes. Pour ce dernier, en outre, il est otiosus^ et
inexercitus. —
On pourrait dire que ces procédés ont été fréquemment employés par les
anciens, mais pour les scolastiques, inventer n'est bien souvent, en toutes matières, que
retrouver et comprendre (Voir ch. VI, 4).
LA ftÀlSOUy hk SCIENCE ET LES PIlILOSOPHïES MÉDIÉVAUX 188
min « droit et battu que nous ont montré nos maîtres si saints, si sages, si catho-
liques » (1).
Ainsi, en faveur de leurs thèses opposées, hérétiques et orthodoxes prennent
des sentences dans la Bijale, l'Evangile et les Pères. Avaient-ils besoin pour cela
d'imiter les apories d'Aristote ? (2) D'abord ils connaissent fort peu de choses
d'Aristote (V et VII). Puis, ce qui est en jeu entre les adversaires, c'est la gloire
de Dieu, l'existence de l'Eglise* leur salut éternel et celui de leur prochain. Que
de raisons pour être diligent dans le choix des textes et l'examen des proposi-
tions contraires Enfin nous ne voyons pas de quelle autre méthode les scolastiques
!
auraient pu se servir. Pour eux, la vérité est dans les Livres saints et chez les
Pères.' Dès lors., ue faut-il pas réunir, ;sur chaque question qu'on pose, les sen*
tences qui l'expriment, comme celles qui condamnent l'erreur ? N'emploiera-t-on
pas une argumentation positive (Pro, Sic) dans le premier cas, négative dans le
second (Contra, Notij 'l
pour des affirmations ils imitent l'Ecriture, en se conformant aux idéés com-
;
munes, et appellent» par exemple, Joseph^ le père de J.-.G. Donc il faut rappro-
che^ soigneusement les différents sens d'un même mot ; il faut, si les contradic-'
tions sont trop manifestes, comparer les autorités et faire un choix entre elles.
Avec le. Sic et Non (3), où il a rassemblé les sentences des Pères qui paraissent,
sur une même question, présenter quelque dissonance, il veut exciter les jeunes
lecteurs à chercher la vérité et, par cette recherche même, les rendre plus péné-
trants.. Car l'inquisition est la clef de la sagesse, et Aristote, le plus perspicace
(1) Voir Clerval, Les Ecoles de Chartres, Paris, 1885 et Ebersolt, op. cit.
(2) « Die Aporien den Skolastjkern aïs Vorbild der Disputatio pro et contra dienten ».
Zeller, Die Ph. der Griechen, II, p. MA.
(3) « His autem prrelibatis, placet, lit instituimus, diversa sanctorum Patrum dicta
colligere, qtfando nostra? occttrrerint mémorise, aliquam ex dissonantia, quam habere
videntur quaestionem contrahentiâ, quae teneros léctores ad maximam inquirendœ verita-
tisexercitium provocerit et acutiores ex inquisiti0ne reddant. Hœc qtiippe prima sapientise
clavis definitur assidua scilicet seu frequens interrogatio ad quam quidem toto desiderio
arripiendam philosophus ille omnium perspicacissimus Aristoteles in prœdicamento ad
aliquid sludiosos adhortatur, dicens : Portasse autem difficile est de hujusmodi rébus
confidenter declarare rtisi pertra-otae ^int saepe. Dubitare autem de sirigulis non erit inu-
tile. Dubitando enim ad inquisitionem venimiis inquirendo veritatem percipimus; juxta
;
quod et Veritas ipsa Quaerite, inquit, et invenietis, pulsate etaperielur vobis {Mâtth., vu).
:
Qu* nos etiam proprio exemplo moraliter instruens, circa duodecimum aplatis suae
annum sedens et interrogans in medio doctorum inveniri voluit, potius discipuli t'ormam
per interrogationem exhibens, quam magistri per praedicationem, cum sit tamcn in ipsa
Dei plena ac perfecta sapientia ».
184 HISTOIRE COMPAREE ÏVES PHILOSOPHIE» MÉDIÉVALES
Et Jésus n'est-il pas venu s'asseoir au milieu des docteurs pour les interroger ?
Les 158' questions sur lesquelles Àbélard rapporte le Sic et le Non ont un carac-
tère théologique, même quand le titre- semble philosophique. Demande-t-il s'il
faut croire, ou non en Dieu seul, il s'agit de savoir si l'on doit, suivre S. Pierre,
S. Paul, c'est-à-dire l'Eglise comme les'Livres saints. Cherche-t-il s'il y a ou non
une substance* il ne parle que de Dieu et de la Trinité. De même, c'est en théo-
logien qu'ilvoit si rien ne se fait par hasard qu'il examine si la foi doit s'ap-
;
(1) « Duofous mpdis de spe et fide nostra rationem, poscentibus reddere debemus, ut
et justas spei ac fidei nostrav causas omnibus intiraèmus, sîve fideliter, siVe infideliter
qurerentibus, et ipsam fidei ac spei nostrœ professiOnem-illibatam semper teàeamus ètiam
intcr pressuras aàversantium »
(2) « Beato attestante Augustino, in o mnîbus
x
auctoritatein humant auteponi.ratiom
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PHILOSOPHIE? MÉDIÉVALES 185
les théologiens, la Bi ble, le Nouveau -Testament, les Prophètes** *es Pères. Mai»
tament. Il classe de même les philosophes : d'abord Hermès, Platon, qui, selon
les Pères, a le plus approché de dé préférence
la foi chrétienne, et qu'il suivrait,
1
avant Porphyre et Boèce. La valeur des poètes est déterminée par la place qu'ils
occupenfrdans la chronologie, te^le que la conçoit Abélard.
Ainsi tout ce qui est écrit (sçriptum) constitue pour lui, comme po>r beaucoup
d'autres, une autorité. En concentrant toutes leurs ressources,
fait, les clercs,
espéraient maîtriser plus aisément les nombreux partisans de la force brutale»
comme autrefois Panétius et ses compatriotes, établis à Rome, soutenaient l'ac-
cord des penseurs greçs pour faire accepter les doctrines philosophiques à leurs
farouches vainqueurs. Mais Abélard met sur le même rang les autorités sacrées
et les autorités profanes « Dieu, dit-il moins clairement, mais aussi «expressé-
:
1
ynaent que Roger Bacon, s'est révélé aux philosophes. Peut-être Platon à4-i] vu
Jérémie en Egypte, ouva-t-il lu les Écritures dans ses voyages, et certes les
abeilles qui couvraient ses lèvres de mie\ présageaient que Dieu lui révélerait un
jour «a doctrine.' Et si Dieu a fait parler l'ànesse de Balaam, n'a-tT il pu inspirer
la Sibylle et Virgile ? » Abélard rapproche donc ce que disent sur Dieu Pla&m et
Hermès, de ce qu'en disent S. Jean, S. Augustin, S. Hilaire, bien d'autres
encore il s'appuie également sur Aristote et sur Jésus. Dans Virgile, il trouve
;
convenit maxime autem in his quœ ad Deum pertinent, tutius aqctoritate quâm humano
;
nitimur judicio ».
(1) « Ut véro ne aliquis sexus hiler honjines sapientia? fama cœteris prœstantes fidej
nostrœ testinioniis desjt >.
180 ftisTomis cowPAttfeic dks philosophas médiévaux
S. Paul ou S. ÀUgUstin (,1). RiPn d'étonnant, certes, qu'ils 1 aient accusé « d'avoir
soumis les Ecr-iturés au* philosophes chrétienne ». et d'avoir souillé la théologie
PeUt-ètre de plus indulgents, se souvcnnnt qtte Seigneur avait ordonné aux le
Hébreux d'emporter les vases précieux qu'ils avaient empruntés aux Egyptiens»
lui auraient-ils pardonné et même su gré, d'avoir fait témoigner les plus illus-
tres des païens en faveur du christianisme. Mais l'Eglise aVait condamné plu-
sieurs des propositions théologiques d'Abélard il n'avait donc, pas ramené à ;
l'unité les assertions opposées du Sic et Non. Ge livre devenait, privé ainsi de
son complément nécessaire, dangereux pour la foi, puisqu'il préparait des armes
aux hérétiques. Les philosophes jeX les poètes apparaissaient bien plus comme
des fauteurs d'hérésies, tels que l'avaient été déjà Jean Scot, Bérenger et Vil-
gardj que comme des commentateurs propres à éclairer les obscurités des Ecri-
tures et* des Pères. Pour toutes ces raisons, Abélard n'avait pas atteint le but
qu'il avait clairement aperçu et il n'était pas sûr, pour un théologien, d'argu-
menter après lui, pro et cont~i. surtout de s'appuyer sur les autorités profanes
à l'égal des autorités Sacrées. .Ne part-il pas. d'ailleurs, des catégories d'Aris- •
tote (p. 91), applicables aii monde sensible, jointes aux principes de contradic-
tion et de causalité, tandis que le monde intelligible auquel tout chrétien doit
croire correspond au principe de perfection et suppose, comme l'a montré Plo-
nit (ch t des Catégories spéciales ? fît pour un philosophe, la
III, 4, 10),
Dialectique était ûne Somme incomplète (2), puisque Abélard ne connaissait
.
lation. Les philosophes « qui ne croyaient que ce que prouve la raison humaine »
Qu'on se rappelle Héloïse récitant des vers de Lucain au moment de prendre le voile
(1)
et de prononcer ses vœux !
(2) Abëlard dit lui-même qu'il y a réuni deux ouvrages d'Arislole, les Catégories et
l'Interprétation, un de Porphyre, l'isagoge, quatre de Boèce, les Divisions» lès /Topiques,
les Syllogismes hypothétiques et catégoriques.
er
(3) Des sept livres, six seulement, dit-on, appartiennent à Hugues le 1 traite de la :
bus Cônstet fides 8 de spiritu creato, utrum sit localis 6 de distinctione Trinitatis 7 de
; ; ;
simul animam et carnem assumpserit 17 quod Christus omnia infirma nostra praeter
;
peccatum susceperit 18 an Christus sit creatura ? 11) an in morte Chrisli separata fuerit
;
divinitas ab humanitate ?
LA ttÀlSON, LA SCIENCE ET LES Î>H1L080PHIES MÉDIÉVALES 187
Lombard, mort en 14 64 évêque de Paris* dont les Sententiarum libri quatuor (2)
furent lus, commentés dans les écoles pendant toute la seconde période, et parfois
placés, si nous en croyons Roger Bacon, avant la Bible eile a rhême. Dieu, le bien
absolu dont nous jouissons, les créatures dont nous usons, l'Incarnation, les
Sacrements en forment les quatre divisions* Chacune comprend des Distinctions,
partagées en un certain nombre de paragraphes et terminées par un Epilogus
qui résume les résultats obtenus.
Enfin avec Pierre de Poitiers, disciple de Pierre le Lombard et chancelier de
l'Université de Paris, dont rious avons aussi des Sentences, nous arrivons au
xin e siècle.
(t) « Quidam ausi sunt dtèere in altari non esse veritatem corporis Ghristi, sed solum
sâcrarhentum et rem ipsam ».
cognosci Creator ?1 Deus se revelavit illis scilicet, dum fecit opéra (Apôtre). 2 Prirna ratio
vél modus quomodo potuit cognosci Dëus (S. Ambroise). 3 secunda ratio qua potuit
cognosci, vel modus quo noverunt(S. Augustin). 4 tertia ratio vel modus. 5 Quartus
modus vel ratio. 6 Quomodo in creaturis apparet vesligium Trinitatis 7 Quomodo in
anima sit imago Trinitatis (S; Auguste). 8 Quomodo eeqUalia sint, quia capiuntur a sin-
gulis omnia et tota (S. Auç.). 9 Quomodo tota illa tria memoria capiat. 10\Quomodo tota
iila tria oapiat intelligentia et 11) voluntas (s. Aug.). 12 Ex quo sensu illa tria dicuntur
esse unum et una essentiâ quaBritur. 13 Quod etiam ad se invicem dicuntur relative
(S. Aug ). 14 Hic aperitur quod supra quserëbatur, scilicet quomodo haec tria dicantur
Unum (S. Ailg.}. 15 Quod in illa similitudirte est dissimilitudo (S Aug.). 16 Prima dissi-
militudo(S. Ahg.). 17 Altéra dissimilïtudo (S. Aug.); 18 Aiia, assignatio Trinitatis in
anima, scilicet mens, nolitia, amor. 19 Quia mens vice Patris, nolitia Filii, amor. Spiritus
sancti accipitUr (S. Aug.). 20 Quod non est minor mente natitia, nec amor «troque
(S. Aug ). -21 Quod haïctria in seipsis sunt (S, M$.). 22 Quomodo mens pèr isfca: profi-
cit ad intelligendum Deum, 23 Hic de suiiima Trinitatis urtitaie,
Voici l'EpilogUs de la Distinctio Prima Omnium igitur quae dicta sunt ex quo de rébus
:
specialiter tractavimus, hase summa est. Quod alise sunt quibus fruendum est, alise quibus
utendum est, alise quai fruuntur et utuntur, et inter eas quibus Utendum est, etiam quse-
dam sunt per quas fruimur, ut virtutes et potentife animi, qua3 sunt haturaiia bona. De
quibus omnibus antequam de eïghis Iractemus, agendum est, ac primum de rébus tiuibus
fruendum est* sCilicet de sancta atque individua Trinitate. —
L'auteur avait traite dans
les8 paragraphes qui précédaient cet Epilogus l de rébus communiter
: 2 des choses ;
dont on jouit, dont on use, doiit on jouit et usé; 3 autre différence entre Oui et uti
;
4determinaiio eorum qu* videntur contraria; 5 alia determinatio; utrum hominibùs
sit utendum vel fruendum 7 hic •
quseritur an Deus frùatUr an utatur nobis ; 8 utrum uten-
dum an fruendum sit virtutibus.
188 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
(1) Il convient de ne pas oublier les mystiques, qui continuent avant tout la tradition
néo-platonicienne et S. Anselme, puis Roger Bacon et ceux qui préparent plus directer
ment la philosophie et la science modernes.
(2) Hauréau, dont l'autorité est grande en cette matière, a écrit (Hiét. de la Scolasti-
que, 235)
II, 1, p. « La manière d'Albert le Grand ne ressemble guère à celle des doc-
:
teurs quf sont venus avant lui. . Non seulement il reconnaît, il avoue les. difficultés que
.
les queslions lui présentent, mais après avoir déclaré comment il, faut les résoudre, il
revient sur lès solutions par lui-même proposées, pour y faire dés objections qu'il discute
séparément. Cette discussion achevée, il se demande si d'autres objections ne se trouve-
raient pas ailleurs. Il s'adresse donc alors aux interprètes, lès interroge tous,, arabes,
latins ou grecs, et n'hésite pas à se prononcer contre eux, c'est-à-dire contre l'autorité,
lorsqu'elle lui paraît en défaut. Cette méthode sera désormais celle de nos docteurs sco-
lastiques. Elle était encore en faveur au xvn* siècle; quand Descartes vint proposer la
sienne ». On, ne saurait nier qu'Albert le Grand et, S. Thomas aient pratiqué cette
méthode. Mais avant eux, Alexandre de Halès en avait fait usage et partant doit en être
considéré, après Abélard, comme le véritable créateur. C'est ce qu'ont affirmé d'ailleurs,
des auteurs dont le témoignage est d'un grand poids. Paul Janet (Histoire de la Science
politique; I 3 , p. 360, sqq ), dit: «.Selon la méthode scol asti que, l'auteur démontre
d'abord le pour,, puis le contre et enfin il donne son opinion,: Pour avoir l'opinion pré-
, .
cise d'un scolastiqûe, il ne faut la chercher ni dans le Sicm dans le Non ; il faut. surtout
interroger le corps de la discussion, cette partie qu'Alexandre de Halès appelle resolutio
,et saint Thomas resppnsio. C'est en quelque sorte le jugement rendu ^rès plaidoiries ».
Pour Paul Janet, Alexandre pratique donc, avant saint Thomas, la /méthode scolastiqûe.
Jourdain, .l'historien et l'admirateur de saint Thomas, écrit (pict. pk. art. Alexandre) :
bûçh, I, 1, $,3), dorit il fait grand éloge, n'a pas traité de sa méthode, et il ne l'a pas
cité» dans l'article que ^nous avons rappelé en commençant notre exposition. Dans son
Histoire de la philosophie médiépàle. pp. 201 et 253, M. de Wulf adopte nos conclu-
sions, relatives ,à4 Abélard et Alexandre de Halès, sur la formation de la méthode scolasti-
qûe. Dans la Revue thomiste, le R. P. Mandonnet a contesté que la Somme soit d'Alexan-
dre, mais il n'a pas donné, à notre connaissance, les raisons sur lesquelles il s'appuie pour
conclure ainsi: Dans le nouveau Dictionnaire de théologie, le R. P. Portalié a accepté,
h peu près dans leur ensemble, nos affirmation^.
LA RAISON, LÀ SCIENCE ET L«S PMLOSOPHlES MÉDIÉVALES 18$
que question comporte une sorte de préambule, où elle est séparée en plusieurs
membres. A sôn tour, le membre est parfois partagé en articles. 'Tout membre nadi-
visé jet tout article donnent des «arguments négatifs, placés les uns à la suite des
autres, qui se terminent par la même conclusion, et des arguments positifs dis-
posés de même. De ces arguments, les uns sont des enthymêmes, avec majeure
et conclusion (ergo), les autres, des syllogismes avec majeure, mineure (sed atqui, y
Ecritures vi dès Pères, des philosophes quelquefois, ce sont des assertions ration-
;
nelles. ,
1. La théologie est en grande partie historique (S. Augustin). Donc (ergo), elle
rentre dans les choses qui sont saisies actuellement par l'intelligence. Mais (sed)
de ces choses,- il n'y a pas, de science. Car ^(enim) la science porte sur les intelli-
gibles. Il reste donc (relinquetur ergq) que 4
la théologie n'est pas une science
(polysyllogisme et épichérème).
2. Comme le dit le Philosophe au démit de la Métaphysique, l'expérience porte
sur le singulier la science sur l'universel. Or la théologie traite, non des univer-
;
saux, mais des individus, comme le montre la narration historique. Il reste donc
(relïnquetur ergo) qu'elle estun art et, non une science. ,
plus /sûrement par l'inspiration divine que par le raisonnement humain, parce
*
science qui porte sur les choses relatives au salut de l'homme. Donc elle est uné
science!,,
Dans la réponse h la question, Alexandre fait cette remarque préliminaire
190 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIEZ MÉDIÉVALES
sur les choses universelles. 3. S, Augustin distingue #, ce que l'on croit tou-
:
qui est compris pour être cru, comme les mathématiques; c, ce» qui est cru
d'abord pour être compris ensuite, comme les choses religieuses. Donc il n'y a
aucune contradiction (non répugnât) à ce- que la théologie relève de la foi (esse*
credibilium) et de la science. 4. La théologie engendre la foi, et là foi, changeant
le cœur, donne naissance à l'intelligence (intellect uni) et à la science. Mais, dira-
t-on (objection), toute science porte sur un sujet dont elle Considère les parties et
les passions en soi, comme l'indiqué le Philosophe. Or, selon Boèce, Dieu n'est pas
sujet et ne peut être considéré à la façon d*une passion. Donc la théologie, qui
est la connaissance de Dieu, n'est pas une science. Mats ce n'est pas la même
chose (réponse) de connaître les formes attachées à la matière et celles qui en sont
séparées. C'est par les choses créées que l'intellect saisit ce qui, en Dieu, est
invisible. Autre chose est, en outre, la connaissance des composés et celle des
simples, comme Dieu,
Dans le membre )a théologie est-elle distincte des autres sciepces et
second ;
œuvres de réparation ».
Le quatrième, —
de modo traditionis hujus scient îœ, —
compte cinq articles,
traités chacun comme le premier et le troisième membre. I. S'ngit-it d'une
méthode technique ou scientifique f L'Ecriture ne relève pas de l'art ou de la science,
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PMLOSOpfJIES MÉDIÉVALES 191
xni e siècle a eu une connaissance plus ou ; moins complète. Il donne plus d'une
solution originale, reproduite par S-* Thomas et ses successeurs, voire par nos
contemporains. A la méthode, il est manifeste qu'il a donné la forme sous
laquelle elle sera désormais pratiquée par les scolastiques. Aux divisions inau-
gurées par lesJiérétitjues et- les orthodoxes, systématisées par Àbélard et conser-
vées par les 'auteurs de Sentences et de Sommes, il a assuré l'ampleur et la préci-
sion, Par l'emploi du syllogisme, dont les Analytiques lui avaient montré le
maniement, elle a acquis rigueur et exactitude. En prenant ses prémisses chez
les philosophes comme dans la Bible, l'Evangilé et les Pères, en les demandant
à la raison comme à l'autorité, Alexandre a fait voir comment on pouvait, de
toutes mains, travailler à l'augmentation du savoir et réaliser la synthèse des
matériaux de provenance si diverse, en possession desquels venait d'entrer le
xm e siècle. Et cette entreprise considérable, dont il a vu, mieux encore qu'Abé-
lard, le but et la portée*, non seulement il l'a réalisée, mais de plus il est resté
orthodoxe et en a ainsi, du même coup, rendu le succès certain. Soixante-douze
théologiens, dit Wadding, chargés par Alexandre IV d'examiner la Somme, la
recommandèrent, comme un livre parfait, à tous les professeurs. Comment donc
ne verrait-on pas, dans le premier maître des Franciscains^ le créateur de la
méthode scOlastique qu'Abélard avait esquissée et à laquelle il donna toute la
perfection dont elle était devenue susceptible au xm e siècle.
Mais dira-t-on, comment ne lui a-t-on pas rendu plus tôt justice, et pourquoi
ne lui a-t-on pas accordé, là placé' qu'il mérite parmi les grands scolastiques?
11 ne suffit pas, pour répondre à cette question, de rappeler que Roger Bacon en
a parlé avec dédain ; car Roger Bacon fut peu lu et encore moins suivi au
moyen âge, même par les Franciscains. Et d'ailleurs il a plus mal traité encore
Albert le Grand et S. Thomas. Le véritable motif, c'est que, de bonne heure, les
.
qnèstions, celles-ci, en articles, La première question, par son titre, de ipsa scienpia
theologica, et par ses dix articles (1), rappelle Alexandre de kalès. L'argumen-
tation plus concise, mais moins variée, est au fond identique. La question,
posée daps l'article, est divisée (decem quœruntur) et suivie de la formule, ad pri-
mwn (ou tertium ou «seœtum) sic proceditur.
Puis viennent les arguments négatifs Videtur quod non, avec leurs numéros,
:
avec les raisons qui infirment l'argumentation négative (Àd primum, ad secun-
dum ergo dicendum), enfin la conclusion.
Et pour montrer que les divisions proposées ne sont pas restées la propriété
exclusive de la théologie, rappelons qu'aujourd'hui encore certains manuels de
philosophie se demandent si ta logique est un art ou une science, si la philoso-
phie est une science, en qupi elle se distingue des autres sciences, quel en est
l'objet et quelle en est la méthode (2). Et les mêmes questions sont posées à i
propos de la psychologie.
Donc Abélard, mettant à profit les recherches de ses prédécesseurs, a pratique
la méthode dont se sont servis les auteurs des Sentences et des Sommes du
xii a siècle Alexandre de Halès, s'inspirant d'Aristote comme des théologiens et
;
Les sciences et la raison tiennent de même une grande place dans la eonstitu-
tiondu thomisme, avec lequel il convient de rappeler ralbertteme,qui l'a préparé
(1) 1 Utrum jprœter alias scientias doctrina theologica sit necessaria. 2 tJtrum sit scientia.
3 Utrum sitana scientia, Yel plures. 4 Utrum speculativa vel practica. 5 Utrum sit digntor
alïis scientiis. 6 Utrum sit sapîentia. 7 Quid sit subjectum ejus. 8 Utrum sit argumenta-
tiva. 9 Utrum uti debeat metaphoricis vel symbolicis locotionibus. 40 Utrum sit secundam
plures sensus exponenda.
{%) Voyez en particulier le Manuel de philosophie de Paul Janet. On pourrait insti-
tuer une comparaison analogue pour ce qui concerne la connaissance, l'existence, l'essence
et les attributs de Dieu
(3) Nous avons montré, p. 63, qu'elle se complète souvent par une méthode mystique.
L'une et l'autre désignent ce que les néo-platoniciens ont parfois appelé la dialectique de
{'Tfftdligence et k dialectique du sentiment.
LA RAISON, LA SCIENCE, ET LES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES 193
etqui avait peut-être une tendance scientifique plus marquée encore « Le coup
:
théories, métaphysiques et théoiogiques, sont bien plus en accord avec le, chris-
tianisme qu'avec les religions doctrines rivales'. Aristote n'est plus un
ou les
ennemi, '•c'est un auxiliaire d'autant plus précieux que son autorité est plus
grande chez tous les adversaires du catholicisme romain*
La philosophie de S, Thomas se construit, et un point de vue chrétien, avec
tous los éléments qui lui viennent d'Aristote, dos néo-platoniciens et des Grecs,
des Arabes et des Juifs. Elle est, par rapport à la théologie (p. 36), « une vas- -
sale », capable de conquérir aussi bien que de défendre, pour son ^hef, des ter-
,
ritoires fort étendus une « servante » qui, au lieu de suivre pour tenir la queue,
;
marche devant, comme disait ^ant, pour porterie flambeau. C'est ce que montre
la Somme de théologie; ou le philosophe et le commentateur, Aristote et Averroès
tiennent leur place avec les» autres philosophes étudiés par S- Thomas. C'est ce
que montrent mieux encore les Commentaires sur les Sentences de Pierre Lom-
bard, trop négligés par les philosophes, qui n'y voient que de la théologie, et
par les théologiens, auxquels la Somme fournit une exposition plus systématique
delà doctrine thomiste.* Ces Commentaires se rapprochent de la Somme par
que Launoy voyait, dans celle-ci le tra-
l'étendue, le plan, le contenu, a tel point
vail d'un frère prêcheur, inspiré surtout par les Commentaires. Or si l'on coniDare
les Sentences à l'explication de S. Thomas, on voit que celle-ci tient cinq ou six
fois plus d'espace On peut apprécier l'accroissement que la théologie a pris en
moins d'un siècle et, du même coup, se rendre bien compte qu'il est dû tout
entier à f acquisition,, $ar la philosophie, de connaissances nouvelles. Sur la
nature divine, sur les êtres créés, anges et hommes, sur ^incarnation^ les vertus
et les vices, les sacrements et les fins dernièreé de l'homme-, des questions sont
posées, des objections soulevées et résolues, des prémisses avancées et justifiées,
des conclusions proposées et établies, par l'appel incessant à la raison, aubon
sens interrogés en eux-mêmes ou par l'intermédiaire des philosophes^ d'Aristote,
-dont tous les ouvrages sont utilisés, d'Avicenne, d'Averroès, de Maimoriide,
comme des Latins que connaissait la période antérieure
A la théologie ainsi enrichie par la philosophie, >S Thomas joint un Commen-
.
taire des livres saints plus étendu qu'aucun de ceux qui avaient été ju'sque r là en
usage. Sans doute, il souhaitait éclaircir l'œuvre qu'il étuoMait et méditait sans
cesse; sans doute, il se croyait des lumières spéciales, puisque S. Pierre et
S. Paul lui étaient apparus, disaifcril, pour lui expliquer un passage obscur et
mystérieux d'isaïe. Mais il voulait ft'un côté, faire pour l'histoire une synthèse
analogue à pelles qu'il a données pour la théologie et la philosophie la Catena
:
anrea, par exemple, a pour objet de relier, avec l'autorité des saints, Pères et
docteurs, les quatre Evangiles, com,me s'ils étaient l'œuvre d'un seul docteur
(kistona untus Doctoris). D'un autre côté, l'interprétation allégorique, par laquelle
on tortille là connaissance et la croyance ; l'interprétation morale par laquelle
on Cherche des règles de conduite, doivent se modifier et s'étendre avec les doc-
trines théologiques et philosophiques qu'elles accompagnent. Le Psautier, dit
S. Thomas, découvre au fidèle tout ce qu'il doit savoir de la création, du gouver-
nement de l'univers, de la rédemption du genre humain et de la gloire des élus,
comme de tous les mystères de Jésus Christ. En germe, il contient tout ce que
développe la Somme de théologie et il faut montrer, au moins par uncertain nombre
d'exemples, comment on l'y découvrira. La même œuvre doit être faite pcmr le
Symbole, V Oraison dominicale et le Décalogue, èomme pour le Livte de Job ou
'
tion allégorique, qui conserve toujours chez S. Thomas, un rapport étroit avec le
une place aussi grande que possible aux principes de contradiction et de causa-
lité, tout en conservant, pour le monçle intelligible, le principe de perfection,
L? usage de la raison est plus manifeste encore chez certains ayerroïstes, dont
noué demanderons surtout la connaissance à S. Thomas. Non seulement ils font
appel au principe de, contradiction,, mais ils l'appliquent à l'examen d'une deo
questioné-qu/. intéressent le* plus les -Jhomines'-du moyen âge ils montrent l'op-
;
Quod anima intellecttva sit actus et forma corporis, et quod aliquid animœ est intellec-
tus. 11 rapporte et détruit les raisons de ceux qui soutiennent que l'intellect n'est
rien de l'Ame chap. III, Rationes probantium intellectum nihil animœ esse et earum
;
solutiones. H rappelle ce que pensaient les péripatéticiens sur ce sujet, chap. IV,
Quid cirai hoc tenserunt Peripatetici ; détermine ce qu'il faut en retenir, chap. V,
In quo ostenditur per miiones quid tenendum ; soutient que l'intellect possible n'est
pas un pour tous, chap. VI, Ubi ostenditur quod intellectus possiWis non est unuz
omnibus; enfin réfute les objections par lesquelles les adversaires s'efforcent
d'exclure la pluralité de l'intellect possible, chap. VII, Solvuntur ea quiburplura-
litatem intellectus posstbilis nituntur excludere (1).
Dans le langage de l'école, Averroès affirme que l'intellect, appelé possible
par Àristote, nommé par lui d'un nom qui ne convient pas, matériel* est une
substance séparée du corps selon l'être^ unie à lui en quelque façop comme
forme il soutient en outre que l'intellect possible est un pour tous (2). Saint
;
gnent, dit-il, à la foi chrétienne, comme chacun peut le voir aisément. Car si
l'on supprime la, diversité de l'intellect, qui seul apparaît incorruptible et
immortel entre les parties.de l'âme, il suit que rien des âmes, humaines, me
demeure après la mort, si ce n'est' l'unité de l'intellect ainsi disparaissent les
:
(1) L'édition Fretté, t. XVII, donne un faux titre ; le véritable titre est fourni par le
texte lui-même.
(2) Ch 1. « Error. ex dictis Averrois sumens exordium, qui asserere nititur, intellec-
. .
tum quem Aristoteles possibiiem vocat, ipse autem inconvenienti nomine materialem esse
quandam substantiam secundum esse a corpore separatam et aliquo modo uniri ei ut for-'
mam et iilterius quod intellectus possibilis sit unus omnium ».
(3) Ch. 1. « Nec id nunc agendum est ut positionem praedictam ostendamus erroneam,
quia repugnet veritati fideî christtanae hoc enim cuique satis in promptu apparere
:
potest. Substracta enim ab omnibus diversitate intellectus, qui solus inter partes animœ
incorruptibilis et immortalis apparet> sequitur post mortem nihil de animabus hominum
remanere nisi unitatem intellectus et sic tollitur retributio prœmiorum et pœnarum et
diverritas eorumdem ».
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES 107
les plus essentiels par lesquels le christianisme s'est attaché les esprits (ch. II, 5 ;
dans des coins, ni devant des enfants qui sont incapables de prononcer stir des matières
aussi ardues, mais qu'il prenne la plume, s'il Vose et qu'il écrive contre nos écrits;
il trouvera, pour lui répondre, non pas moi seulement, qui suis le plus petit de tous,
mais d'autres que moi en très grand nombre, qui cultivent la vérité et qui sauront
résister a ses erreurs et apporter le remède à son ignorance (2) ».
Les expressions dont il se sert à leur égard dénotent le dédain, l'ironie,
le mépris, la colère ils argumentent d'une façon grossière {ruditer), ils n'ont
:
jamais vu les ouvrages sur lesquels ils s'appuient, on s'étonne (miror) d'où ils
tirent leurs objections, on se demande comment ils peuvent se vanter d'avoir
pour eux des péripatétiçiens, comment ils aiment mieux erf'er entièrement
-
{aberrare) avec Averroès, que penser juste (reck sapere), avec les autres péripaté-
tiçiens. Ce qu'ils disent n'a pas de sens, Koc nihil est; ils rayent (sommant),
ils mentent, ut quidam mentiuntur; ils sont impudents ils comprennent ou inter-
;
#
(1) « Mirum est quam graviter, quam
copiose S. Thomas in iliam vanissimam senten-
tiam semper inveheretur. Captabal «bique tempora, quœrebat occasions imde ipsam
retraheret in disputationern pertractaritem vero torquebat, exagïlabal monstrabaique
;
non a christiana solum, sed ab omnî quoque alia, peripateticaque grœcipue philosopbia
dissenti re »,
(2r Ch. VII. « Si quis autem ^loriabundus de falsi nominis s^ientia velit contra hve.c
quae scri'psimus aliquid dicere, non loquatur in angulis, nec corarn pueris qui nescinnt
de causis ardûis judiearel sed contra hoc scriptum scribat, si audet, eî inveniet nosi solum
me qui aliorum sum miriimus, sêd muitos alios qui verîtatis ^unt cultores per quos ejns
errori resistelur, vel ignorantia? consuletur ».
198 HISTOIRE COMPARÉE DRS PHILOSOPHIE* MÉDIÉVALES
Les adversaires averfoïstes de saint Thomas sont nombreux. Leur erreur, qui
a son point de départ dans Averroès, a fait depuis longtemps son apparition ;
elle s'est enracinée dans les esprits. Saint Thomas a. déjà beaucoup écrit contre
eux; mais ils ne cessent pas de lutter contre la vérité, écrivant peu, ce semble,
s'adressanf de préférence aux jeunes gens probablement dans les écoles et en 1
Latins, ont été, dans une large mesure, les auteurs et les défenseurs des héré-
sies, comme ils ont le plus' contribué à la formation des dogmes. Après la croi- .1
sade de 1204, qui rendit les Latins maîtres de Byzance, il se produisit quelque
chose d'analogue, toutes proportions gardées, à ce qui s'était passé quancfRome
avait conquis la Grèce, à ce qui se passera encore quand les Byzantin&rvien-
dront en Italie après' la conquête, turque. Des manuscrits grecs arrivèrent en
Occident et provoquèrent, avec les versions latines des ouvrages grecs et arabes
venus d'Espagne, Ja renaissance du xm e siècle qui vit paraître tant d'hérésies,
non populaires mais savantes, issues d'un développement de l'esprit d'examen
et de recherche scientifique (2). Ainsi les averroïstés, que combat saint Thoirias,
estiment que les Latins n'ont rien écrit de vrai en cette matière et il» «Usent
qu'ils suivent les péripatéliciens Us vont même plus loin et soutiennent que
;
tous les philosophes, sauf les Latins, sont avec eux pour affirmer l'unité, de
•
l'intellect (3).
Mais, pourra-t-on dire, doit-on ajouter une confiance entière, pour Connaître
les averroïstés,aux affirmations que leur attribue leur redoutable adversaire?
Deux raisons également puissantes nouf v invitent. D'abord les formules
mêmes dont se sert saint Thomas indiquent. qu'il entend rapporter exactement
combat. On ne saurait diré d'ailleurs après l'avoir lu, comme
les opinio;ns qu'il
après avoir lu d'autres polémistes, qu'elles sont présentées de manière à les
diminuer ou à les fausser (4). Sans doute nous ne pouvons comparer les textes
(t) Ch. I. « Inolevit siquidem jamdudum circa intellectum errer apud multos ex uictis
Averroïs sumens exordium . . . quem jampridem multa
contra conscripsimus. quia erran-
. .
hoc fuisse principium apud omnes philosophantes et' Arabes et Peripateticos, quod in tel-
lectus non multiplicaretur numeraliter, licet apud Latinos non».
(4) Ch. I. « Verba sectari se dicunt ». Ch. II et III. « Adhuc autem ad sui erroris
fulcimentum assumant objieiunl etiam, objiciunt ulterius » ch. V. « Secundum dictum
;
:
moralis Philosophie principia. Dicunt eniin, horum autem solutio »; chap. VI. « Hœc
positio manifeste apparet repugnans dictis Aristotelis » ; ch. VII. « Valde autem ruditer
1
.
rapportés par saint Thomas à.tous ceux des averrôïstes auxquels il répond
peut-êtremême, comme nous l'avons ^fait déjà remarquer, ia plupart d'entre
eux n'âvaient-ils rien écrit, Mais il rapporte et commente dé nombreux passages
d'Aristote, empruntés surtout au Traité de V Ame. Or si l'on peut contester quel-
ques-unes de ses interprétations et cela se comprend puisque, sur le voûç, —
la doctrine d'Aristote, incomplète, a été tirée en des sens différents par ceux qui
ont voulu lui faire, résoudre des questions qu'il no s'était pas posées on ne —
saurait nier, qu'en ce qui concerne Y interprétation littérale du texte, saint
Thomas ait toujours cherché à être exact et ait presque toujours réussi à l'être.
D'une façon générale, il procède de même partout ou nous pouvons instituer une
comparaison entre ce qu'il prête aux auteurs et ce qu'ils ont réellement pensé et
dit, en particulier dans tous ses commentaires sur Aristote. Il est donc très
vraisemblable qu'il en a agi de même avec les averroïste^.
On est amené à n'en pas douter, quand on examine de plus près l'opuscule
de saint Thomas, où il s'est efforcé évidemment de ne laisser sans réponse
aucune affirmation hétérodoxe des adversaires, comme de ne répondre qu'à
celles dont ils usaient ou pouvaient user. Or saint Thomas a écrit « sa réfutation
sans recourir à l'autorité de la foi, avec les arguments et les textes des philoso-
phes eux-mêmes », non per documenta fidei, sed per ipsorum philosophorum rationes
et dictai l\ est faux, déclare-il, après examen, que tous lés philosophes aient
admis l'unité de l'intellect (1). Il s'appuie sur Platon, dont'il ramène la doctrine
sur l'âme' à être voisine dé l'orthodoxie, sur Grégoire de Nysse, quoiqu'il ait
abusivement imposé à Aristote une conséquence contraire au christianisme, sur
Plotin, cité par Maerobe (ch. V, VII), parce que, Grecs et non Latins, ils sou-
tiennent des doctrines tout à fait contraires à celles des averrôïstes (2)1 Quant aux
.
disciples grecs d'Aristote (3), les averrôïstes, dit saint Thomas pour les com-
tionem. Patet autem falsiim esse quod dicunt ». Quant, aux formules indirectes, ch. U et
III. « Et ne forte aliquis diceret Et ne forte dicatur, sed ne aîiquis dicat, et ne aljcui
. . .
Si quis autem quaerat ulterius », etc.; ch» VI et VII. « Si quis autem dicat... Si quis
autem objiciat. Si quis autem vellet respondere, etc. »
. . on peut supposer que saint ;
Thomas pr£te des raisons, des objections ou des réponses â ses adversaires, quand ils
ne les ont pas données eux-mêmes, ce qui nous inclinerait encore à croire qu'il n'a voulu
ni les diminuer ni diminuer leurs doctrines. Maison peut aussi supposer que ces formules
rappellent un adversaire dont saint Thomas ignore le nom, qu'il est peut-être un peu
moins sûr que les choses citées aient été dites, ou qu'il les ëmploie pour varier son'exposi-
tion,/car on en trouve même où \\ réunit les deux formes ch. II. « Et ne quis dicat sicut ;
(1) Cf. la n. %
p. 198 ce qui est tiré du ch. VII.
(2) Ch. H. « Quos (Platon et saint Grégoire de Nysse) in id induco, quia non fuerunt
tatini, sed graeci » ch. IIL « Nam Gregorius Nyssenus imponit Aristoteli quod quia ponit
;,
anrmam esse formam corporis posueriteam esse corruptibilem » ch. V. « Sed et Ploti- :
nus, ut Macrobius refert. qui quidem Plotinus, unus de rnagnis commentatoribus, poni-
tur 'rater commentatores Aristotelis, ut Simplicius refert ».
(3) Ch. I, n. 3 de la page 498; ch. IV. « Nunc autem considerare oportet quid alii
Peripatetici dehoc ipso senserunt... Theophrasti. quidem libros non vidi... Quod . .
autem Alexander intellectum possibilem posuerit esse formam corporis et etiam ipse
Averroes confitetur. A.Grœcisad Arabes transeamus.
. .ut ostendamus quod non solum . .
200 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
battre, n'ont jamais vu leurs livres, libros nunquam viderunt. Cependant il exa-
mine ceque les péripatéticiens ont pensé sur ce. sujet. D'après le Commentaire de
Simplicius au De Anima, on voit que l'intellect possible, que l'intellect agent
lui-même est une partie de l'âme humaine, pour le maître comme pour le dis-
ciple. Saint Thomas n'a pas vu les livres deThéophraste, mais, par Thémistius,
il sait que pour Théophraste, l'intellect possible est en puissance toutes choses,
et, s'appuyant sur le contexte, disaient qu'elle ne s'applique pas à toute âme.
Latini, quorum verba quîbusdam non sapiunt sed et Graeci et Arabes hoc senserunt quod
intellectus sit pars vel polentia, sive virtus animai, quœ est forma» corparis.Unde miror ex
quibus Peripaleticis hune errorem se assumpsissaglôrïentur, etc ».
(4).Ch. 1. « Positionem praedictam ejus (ArisL) verbis et senlentiae repugnare omnino »;
ch. H. « Est autem cohsideranda mirabilis diligçntia et ordo in process.u Aristotelis» ;
cii. III. « Sic igitur djligenter consideratis fere omnibus verbis Aristotelis quaede intellectu
humano dixit, apparet eum hujus fuisse sententiœ quod anima humana sit actus corporis
et quod ejus pars sive potenlia git intelleetus possibilis ».
,
est dit séparé, ^wpio-r'o;,où il est parlé de l'intellect agent et de l'intellect possi-
ble, ils aboutissaient à conclure que l'intellect n'est pas une partie de l'âme. Ils
procédaient encore d'une autre façon. Rassemblant les endroits où Aristote
présente l'intellect comme séparé, éternel, incorruptible, immortel, puis les
opposant à ceux où l'âme est donnée comme forme du corps, ils oMsaient, avec
Grégoire de Nysse, avec les alexandristes, que l'âme est corruptible dans la
doctrine d'Aristote, que, par conséquent, ri est impossible de faire, de l'intel-
,
lect, une partie de l'âme. Ils utilisaient tous les textes où il est dit que penser,
aimer, haïr sont des passions de celui qui a l'âme, non de l'âme elle-même ;
que l'intellect ne s'exerce pas sans image; bien d'autres empruntés aux traités
physiques et métaphysiques d'Aristote, pour soutenir que leur interprétation est
seule exacte, que toute autre oblige à mutiler Aristote ou à aboutir logiquement
à nier l'immortalité.
Ils faisaientappel à la raison, après avoir employé l'autorité des philosophes.
Ils s'efforçaient de montrer, que cette substance séparée s'unit à l'individu par
les images qui sont en lui, qu'en même temps, par conséquent, il y a intellection
pour l'intellect possible uni à l'individu et pour l'individu lui-même. En d'autres
termes, ils résolvaient, par des .arguments et aussi par des textes, cette grosse
difficulté de la conjonction de l'intellect possible et de l'individu ils essayaient
;
principes, à savoir l'unité de l'intellect, parce que peut-être leur loi y est oppo-
sée. Il montre ainsi qu'il est douteux pour lui que cette doctrine soit contraire à
(1) Ces considérations devaient tenir une grande place dans l'argumentation des aver-
roïstes, puisque saint Thomas y a consacré plus de deux chapitres sur les six qui suivent
l'introduction
-
la foi et en outre qu'il se donne comme étranger à cette loi ». Cet averroïste
ajoute: «C'est la raison pour laquelle les catholiques paraissent avoir cette
position » et il ose affirmer que « Dieu ne peut faire plusieurs intellects, parce
que cela implique contradiction ». Il va plus loin encore, selpn S. Thomas:
« Par la raison, dit-il, je conclus nécessairement que l'intellect est un numéri-
quement je tiens cependant fermement le contraire par la foi ». Comme une
;
De même qu'on trouve au xiu e siècle, des partisans de la raison qu'on peut
soupçonner, sinon convaincre, de se contenter des affirmations auxquelles elle
conduit, oti y rencontre des partisans de l'expérience, qui semblent te préférer à
tout autre mode de connaissance. Tels sont maître Pierre, dont Roger Bacon fut
le disciple, et les alchimistes étudiés par M. Berthelot.
Maître Pierre dédaigne les hommes et les honneurs. Vivant dans la retraite,
« le maître des expériences » étudie, en prenant l'observation pour guide, la
(1) « Est etiam majori adrniratione, vel etiam indignatione dignum, quod aliquis Chris-
tianum se profitens tam irreverenter de Christiana fide' loqui pnesumpserit ; sicut eu m
dicit, quod « principes eorum haec non recipiunt », scilicet quod sit unus
Latini pro
intellectus tantum, quia forte lex eorum est in contrarium ». Ubi duo sunt mala': primo
«
quia dubitat an hoc sit contra fidem; secundo quia aliènum se innuit ab hac lege. El quod
postmodum dicit, « Haee est ratio per quam Catholici videntur habere hanc positionem »
ubi sententiam fidei positionem nominal Nec minoris prresumptionis est quod postmodum
.
asserere audet, Deum facere non posse quod sint multi intellectus, quia implicat contra
dictionem. Aclhuc aujem graviuls est quod postmodum dicit « Per rationem concludo de
:
necessitate, quod intellectus est unus numéro firmiter tamen teneo oppositum per fidem ».
;
Ergo sentit quod tides sit de aliquibus quorum Contraria de necessitate concludi possunt.
Cum autem de necessitate concludi non possit nisi verum necessarium, cujus oppositum
est falsum et impossibile,* sequitur secundum ejus dictumquod tides sit de falso et impos-
sibili, quod etiam Deus facere non potest. Quod fidelium aures ferre non possunt Non
caret etiam magna temeritate quod de his qu;e ad philosophiam non pertinent sed sunt
pura? fidei, disputare praesumit, sicut quod anima patiaturab igné inférai et dicere senten-
tias Doetorum de hoc esse reprobandas, Pari ergo ratione posset disputare de Trinitate,
de Incarnatione, et aliis liujusmodi, de quibus non nisi balbutiens loqueretur ».
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PH1LOSOPHIES MÉDIÉVALES 203
4893, 3 vol. in. Voir Moyen Age novembre 1891, La science expérimentale au
xin e siècle en Occident ; Revue philosophique, art. de M. Boutroux sur le -premier
volume de M. Berthelot.
204 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
procédés et des recettes techniques, traduites du grec au vii e ,au vin» et auix e siè-
cle, avec des additions du temps des Ab'bassides. Un autre, ù Cambridge, joint
à des recettes et à des procédés de falsification pour tous les arts, des doctrines
mystiques qui dominent de plus en plus les idées scientifiques. Ainsi les deux
métaux qui constituent ie miroir d'électrum, sont assimilés au Verbe fils de
Dieu et à l'Esprit-Saint. Ce miroir .est placé au-dessus des sept portes, répon-
dant aux sept cieux, dans la région des douze maisons célestes et des Pléiades,
au-dessous de l'œil divin. AveC ce métal, Alexandre a fabriqué dés monnaies
qu'il a semées en terre ; ce sont des talismans institués par Aristote, dont la
grande intelligence est cependant limitée, puisqu'il ne possède pas l'inspiration
divine, nécessaire pour atteindre au plus haut degré de connaissance. C'est avec
ce miroir, c'est-à-dire à la lumière du Verbe et de l'Esprit-Saint* en présence de
la Trinité, que l'on doit regarder son âme pour se connaître soi-même. Puis,
tfprâs une mention des sept talismans, tirés de la géhenne et en forme de bou-
teilles, dans lesquelles on peut emprisonner les démons, il est montré combien
ont grandi encore les espérances des alchimistes « Nous pouvons faire qu'un
:
tin serpent vivant, que la chair de bœuf se change en abeilles et en frelons, que
l'œuf devienne dragon, que le corbeau engendre les mouches, qu'en pourris-
sant, les plantes engendrent des animaux, le basilic, des scorpions venimeux ».
Depuis que. les Arabes furent par les' Syriens, initiés à l'alchimie, ils n'ont pas
cessé d'écrire sur ce sujet encove aujourd'hui il existe,- au Maïoç et dans les
:
pays musulmans, des manuscrits alchimiques. Avec les procédés techniques, ils
ont créé, en peu de temps, un art original. Par eux l'Occident a connu les alchi-
mistes comme les savants et les philosophes grecs. Quant aux œuvres de Djaber,
le Géber latin et le plus célèbre des alchimistes arabes, M. Berthelot a cru que
les traductions latines, où se trouvent des découvertes à noter pour l'histoire de
[a science, n'ont rien à voir avec les ouvrages publiés par lui et traduits par
M. Houdas. On trouve, dans ceux-ci, des invocations et des professions de foi
,
qu'il est difficile de déterminer, les idées des alchimistes étaient passées des
Grecs aux Latins, dès le temps de l'Empire romain. Nous savons que les tradi-
tions techniques des arts et métiers .se même aux époques les
sont conservées,
e renaissance (VI, 1, 2,
plus sombres. Puis, au ix unè première
siècle, se produit
transcrites en lettres latines' par le copiste qui ne les comprenait pas; témoignent
.
d'une origine byzantine d'autres, par exemple, pour écrire en lettres djor, Sônjt^
;
les mêmes, éauf des variantes très légères, que celles du papyrus dejbeyde. Ces""
recettes sont rangées en cinq séries :coloration et teinture du Verre, teinture des
peaux, drogues et minerais, dorure et peinture. Elles nous apprennent bien des
choses qu'on ne songerait pas à demander à un semblable recueil. Ainsi les
,
dit-il, ignorent, ce qu'est l'alchimie (Quid sit alçhymia, nondum çognovit vestra lati-
nitas) ». Au milieu du xin e siècle, Vincent de Beauvais a lu ce que lés, Arabes ont
sur 1'alëhimie, transmis à l'Occident. En cinquante ans, les traducteurs ont mis
en latin les œuvres médicales, philosophiques et scientifiques
Les philosophes apparaissent tout différents de ce qu'ils avaient été chez les
Grecs et de ce qu'ils sont pour nous, Ainsi les commentaires arabes de la Me'téo~
rologie se confondent avec le texte, et de ce chef Aristote devient- un alchimiste»
Il l'est encore comme inventeur du feu grégeois. D&ns un voyage avec Alexandrè
qu'un Grec, sur l'ordre du pape Honorius, aurait traduit de l'hébreu en latin, n
y est question de la lutte d'Alexandre contre AiUiochus, du char d'Antiochus
dont les roues sont assimilées aux quatre éléments., du serpent- d'Hermès^ etc.
De là aussi le De perfecto Magisterio qui développe, sous le nom d'Aristote, des
théories sur l'existence simultanée dans les choses, de qualités apparentes et de
qualités occultes, dont le rôle, a été 'grand au moyen âge et même de nos jours,
puisque Voltaire la proclame la plus sage qu'aient eue les scolastiques. Sans
doute, elle se rattache aux Météorologiques, qui parlent de deux éléments actifs et
de deux éléments passifs, existant chacun en puissance dans les autres, de l'ex-
halaison sèohe qui fait minéraux et pierres, tandis que l'exhalaison vaporeuse
engendre les métaux fusibles et ductiles. Mais la théorie fondamentale de la
transmutation, venue de Platon, quoique rendue plus précise par les Arabes, est
aussi donnée sous le nom d'Aristote, L'or, dit le De perfecto MagiMerio, est engen-
.
dré par «un mercure clair, associé avec un soufre rouge, clair et cuit pendant
longtemps sous la terre à une douce chaleur ; le fer, par un mercure troubke,
mêlé avec un soufre citrin troublé le plomb, par un mercure épais, mêlé avec
;
un soufre blanc, épais et un.peu rouge. Joignez à cela qu'on.donneà Aristote dés
ouvrages néo-platoniciens, comme le De Cavsis et vous verrez combien parle peu
clairement celui qui dit d'un homme du xrit* siècle qu'il est disciple d'Aristote'!
(ch. V).
Il qu'il y a un traite d'alchimie sous le nom de Platon ; il est en
va sans dire
même temps astrologique et géométrique, cite VAlmageste de Ptolémée, Euclide,
Pythagore, Homère, lesChaldéens siégeant sur le fleuve Euphrate, gens habiles
dans la connaissance des étoiles et de l'astrologie judiciaire. Mais de toutes ces
traductions ou adaptations —
car il n'y a guère, en cette matière, de traducteur
fidèle —
la plus curieuse peut-être est la Turbo, Philosopkorum, parce qu'elle
nous présente, sur]a môme ligne des citations attribuées à des philosophes et à
des alchimistes d'époques fort différentes. L'auteur est monothéiste Deus cum
:
solus .ftiissët... dico Denm ante omnia fuisse, cum quo nihil fuit. Ce qu'il dit des
choses, créées par Dieu d'une.essence unique, qui ne meurent pas jusqu'au jour
du jugement, ferait croire qu'il est chrétien mais d'autres passages « 11 existe
; :
un Dieu un, non engendré et qui n'a pas engendré », font, plutôt songer à un
Jifif ou h un Musulman. Autour de la Turba, toute une littérature se forme :
espèce ou de plusieurs. L'œuvre, dit très bien M. Berthelot, est une bouillie de
de théories anciennes, non digérées, commentées' par un théologien qui
faits et
ne révoque jamais en doute les textes sur lesquels il s'appuie. Le sens expéri-
mental des vieux écrits grecs se perd, tandis que gjçandit la partie mystique et
chimérique.
Voilà ce que le xm* siècle reçût de ses prédécesseurs. Des matériaux de pro-
venance grecque, latine, byzantine, arabe, ii a construit une grande philosophie,
.
mise en accord avec une théologie qu'il avait dû. préserver du panthéisme des
Amauriciens, des hérésies des Albigeois et de ceux qui voulaient substituer ie
troisième Evangile, celui du Saint-Esprit, au christianisme, comme celui-ci avait
remplacé le judaïsme. On sait que les., pratiques techniques atteignirent une
v
grande perfection et. pour une large part, contribuèrent à rendre incomparable
l'art qui élève les cathédrales et les bôtels>de ville, qui sculpte tout lin mônde de
statues, produit des vitraux et des tapisseries, des. meubles et des miniatures,des
autels et des chasses d'un travail merveilleux. Même on commence à reconnaître
que Léonard de Pise, .qui introduit en Orient l'arithmétique et l'algèbre des
Arabes/ est allé plus loin que Diophante, pour n'être surpassé que par Fermât
et le xVne siècle.
Ce qu'on sait moins, c'est que le xin e siècle marque une époque importante
dans l'histoire des sciences expérimentales, que Roger Bacon n'est pas une appa-
rition Jsolée oit une exception. D'abord il y a toute une école d'alchimistes qui
J
« J'ai répété cette opération dans le fourneau des fabricants de verre, dit Johan-
nés dans, le Liber Sacerdotum.-.. et cela s'est passé à Ferrare, » Il semble b;en que
cette confrérie alchimiste ait eu son siège dans la ftaute^Italie, d'où était origr-
i naire d'ailleurs le célèbre traducteur Gérard de Crémone. Certains ouvrages^ on
ils sont mentionnés, rappellent les Mémoires ou le* Traités actuels de chimie,
qui rapportent ù chaque individu sa doctrine ou, son procédé « Le frère Pasinus"
;
corail,.. Je crois que c'était le frère prêcheur de Mantoue dont parlait Gabriel en
disant Il y a un frère mineur qui est dans l'erreur, comme le disait aussi Lan-
:
franc de Verceil... Maître Jean possède, pour les opérations, le livre des Douze
eaux qui occupe deux folios... Richard de fouille (Pulia) a de même le livre dès
douze eaux... Cortonellus, fils de feu maître Bonaventure de Yseo. possède un'
livre d'alchimie .. Maître Jean dit qu'on peut donner toute espèce de figure au
fer chaud... Pierre Tentenus parle d'une veine de minerai blanc, pareillè à dtf
.cristal.,..Frère Michel dé Crémone, de l'ordre des Ermites, est alchimiste et il &
dit à Ambroise de Crémone... A m b r oise a dit. de même que l'on peut fabriquer
de bon azur avec la terre que Ton foule aux pieds.. Maître Galien, le scribe de
.
l'évêché, est alchimiste et sait blanchir le. cuivre en le rendant pareil a l'argent
ordinaire.... Renaud de Crémone a traduit te Livre des 70 chapitres de Jean...
Voici le chapitre d'un archevêque très habile dans l'art alchimique... le cha-
;
Et comme on peut s'y attendre, quand là nature est consultée avec ardeur et
! ténacité, les découvertes sont assez namJàreu ses pour qu'on rapproche l'œuvre
des alchimistes de celle des hommes qui ont le plus marqué eh tout genre. Lès
,
(1) Il ne serait pas impossible d'admettre, ce semble, que ces traités supposent la con-
naissance d'ouvrages de Géber (VII, 4), perdus comme tant d'autres et différents de ceux
qu'a publiés M. Berthelot» Quelle que soit d'aU leurs la part, très difficile à déterminer, des
208 HISTOIRE COMPARER DES PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
que cette science est poursuivie par des gens instruits; s'il était possible d'en
atteindre le but par quelque voie, on y serait parvenu déjà des milliers de fois.
Nous ne trouvons pas la vérité sur ce point dans les livres des philosophes qui
ont prétendu la transmettre. Bien des princes et des rois, ayant à leur disposi-
tion de grandes richesses et de nombreux philosophes ont désiré réaliser cet art,
sans jamais réussir à en obtenir les fruits précieux c'est donc là un art fri-
;
disposons les matériaux et les conditions elle agit par elle-même, nous sommes
;
on y trouve des faits, des définitions très nettes des métaux et, sauf pour la
transmutation, une science solide et positive. La description des opérations
chimiques, accompagnée de figures exactes, rappelle la méthode d'exposition
de saint Thomas. IVlème dans le second livre, tout alchimique, ce qui concerne
l'analyse et l'épreuve des métaux par coupellation, ignition, etc., dénote une
science véritable qui poursuit un but effectif, par des procédés sérieux, sans
mélange d'illusion mystique et dè charlatanisme.
C'est à ces alchimistes' occidentaux que nous devons Taieool ou i'eau-de-vie,
qu'on assimile à l'élixir et au mercure des philosophes, Tacide nitrique, feau
régale, l'huile de vitriol, le nitrate d'argent. D'ailleurs ce sont des esprits parfois
fort ouverts et en avance sur leur époque, à laquelle ils parlent de tolérance et
de morale philosophique « Jacob le juif, homme d'un esprit pénétrant, dit l'un
:
d'eux, m'a aussi enseigné beaucoup de choses et je vais te répéter ce qu'il m'a
enseigné. Si tu veux être un philosophe de la nature, à quelque loi (religion)
que tu appartiennes, écoute l'homme instruit, à quelque loi qu'il appartienne
lui-même, parce que la loi du philosophe dit ne tue pas, ne vole pas, ne commets
:
pas de fornication^ fais aux autres ce que tu fais pour toi-même et ne profère pas de
blasphèmes ».
Enfin l'Occident devient à son tour une soiirce ou. puise l'Orient grec. L'ou-
vrage de Théoctonicos, du xin € siècle, est une traduction grecque 'd'un Traité*
latin attribué à Albertus Teutonicus. Peut-être. est-elle l'œuvre d'un de ces élèves
du collège constantinopolitain que Philippe-Auguste avait institué à Paris au
début dû xni e siècle.
Ainsi, nous savons, par M. Berthelot,. comment les arts ont pu atteindre au
xiii*' siècle tinsi haut de gré de perfection. Une fois de plus nous constatons que la
Arabes et des Occidentaux, nos conclusions sur le rôle de la science dans les philosophies
médiévales n'en sont pas modifiées ou ébranlées.
LA RAISON, LA SCIENCE ET LES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
est celleoù la philosophie et la théologie catholiques ont acquis leur plein déve-
loppement.
Pour avoir renoncé à user librement de leur raison, pour n'avoir tenu aucun
compte des résultats considérables que donnent au xvn siècle l'observation et
e v
tation (2), Paracelse, Rabelais, Copernic, d'autres encore, n'avaient pas réussi à
convaincre leurs contemporains.
Au contraire, après 1600, les Universités et les Jésuites s'accordent à prendre
pour maître l'Aristote cathôlicisé par saint Thomas, (chap. III, 9 V,-7). L'auto- ;
rité séculière^ pas plus que le clergé,' ne laisse aux étudiants la liberté dont
avaient joui Albert le Grand et son illustre disciple. En 1600, Giqrdano Bruno,
condamné par l'Inquisition' est brûlé à Rome en 1619 le Parlement de Toulouse
;
fait périr Vanini d'une mort horrible.. En 1624, le Parlement de Paris décrète
la peine .de mort contre quiconque avancerait quelque chose de contraire à la
doctrine d'Aristote. Aussi enseigne-t on partout que le soleil tourne autour de la
terre et que les cieux sont incorruptibles que l'éther se meut en cercle, tandis
;
que les corps périssables se meuvent en ligne droite vers le haut ou vers le
bas (3).
C'est à Pise que Galilée naquit en 1564, vingt ans après le Tasse et Tannée
même où mourait Michel Ange, comme si l'Italie, après avoir inspiré les artistes
et les poètes, devait guicler les savants et les philosophes. Sa famille, originaire
de Florence, était noble et pauvre son père savait les littératures grecque et
;
(1) Quelques-unes des idées que nqus exposons ici ont été présentées dans une con-
férence faite pour la Société des études italiennes, à la demande de M. Dejob, Galilée
destructeur de la scolastique et fondateur de la philosophie scientifique. Impri-
mée dans fa Revue scientifique du 5 janvier 1895, elle a été reproduite dans un volume
publié chez Fontemoin&.
(3) Voir réloge qu*en a fait M. Gabriel Séailles, dans le volume qu'il lui a consacré.
(3) De Wulp, La philosophie scolastique dans les Pays-Bas, p. 381 ; Th. H. Mar-
tji», art. Galilée (Dict. philos.).
Picavkt 14
210 HISTOIRK COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
damné par l'Inquisition, emprisonné quelques jours, puis obligé (Je résider suc-
cessivement à Ja villa Médicis, à l'archevêché de Sienne, enfin à la villa d'Ar-
cetri, près de Florence. Aveugle, dès 163K, il continue ses travaux avec ses dis-
ciples, Castelli, Viviani et Torricelli. Il meurt en chrétien le 8 janvier 1642 (1).
Nous savons que Galilée n'a pas été soumis à la torture, qu'il n'en fut pas
menacé. Rien ne permet d'affirmer qu'il ait prononcé, après son abjuration, le
« pur si muove », qui a inspiré de grands artistes et popularisé une légende
plus poétique que l'histoire. Mais nous savons aussi qu'il est mort prisonnier
dans sa villa d'Arcetri, malgré les sollicitations des ambassadeurs de Toscane et
de France que, pour le condamner, on s'est servi de pièces apocryphes.
;
informes qu'il en a tirés se réunir sous la main du maître pour constituer le Parthénon
t>u le Coiisée, i! comprendrait que l'architecture n'est pas une science
inutile ». Voir les
texte soigneusement réums et les opioions largement discutées dans Rabier, Logique,
.
nouveaux, aidées par la déduction et le calcul, furent instituées les juges suprê-
mes de toute discussion, scientifique.
D'abord il retrouve, imagine ou, prépare des instruments, compas ée propor-
tion, balance hydrostatique, thermomètre et baromètre, horloge à pendule et
microscope. Surtout il donne au télescope une rneryèil,leuse puissance et révolu-
tionne la science,
Au commencement de 1609, Galilée apprend qu'un Hollandais a imaginé une
lunette, avec laquelle on voit les objets éloignés aussi nettement que s'ils étaient
rapprochés. De Paris, Jacques Badouère lui confirme cette nouvelle. Galilée cons-
truit lui-même un tùbe de plomb et y adapte des verres de lunettes en s'appuyant
sûr la théorie des réfractions. Les objets lui apparaissent trois fois plus près et
neuf fois plus grands, puis, à la; suite de nombreux perfectionnements, mille fois
,
plus grands qu'à, l'œil nu
Galilée examine la lune) y découvre des mon,tagnes.dont il enseigne à calculer
là hauteur. 11 la compare à la terre, voire à la Bohême (rëgto consimilis Bokemiœ).
Après la lune, les étoiles. Dans le Baudrier etl'Epée d'Orion, il en compte quatre-
vingts, où l'on en voyait sept. Au lieu des sept Pléiades que symbolisaient les
poètes alexandrins, avant Ronsard et ses amis, il en met plus de quarante.
Dans la voie lactée, il signale comme dit son admirateur Milton, une poussière
d'étoiles.
Aux planètes, il donne plus d'attention encore. Le 16 janvier 1610, il aperçoit,
â côté de Jupiter, trois points lumineux, les deux prèmiers à l'orient, le troi-
sième au couchant, Osé dit que peut-être ce sont des étoiles inconnues. Mais
ie lendemain les trois points apparaissent 'à l'orient ce ne sont donc pas des'
:
fixes, mais des planètes on des astres errants, comme disaient les anciens. Cinq
jours plus tard, Galilée en voit quatre. Après deux mois d'observation, il est sûr
d'être en présence de satellites qui tournent autour de Jupiter, comme la lune
accompagne la terre dans sa rotation autour du soleil.
•
De Jupiter il passe à Saturne dont il voit confusément l'anneau et que, pour
cette raison, il nomme un astre trijumeau, puis à Vénus, dont il observe les
phases et établit le mouvement de rotation.
Désormais, il ne peut plus être question de l'incorruptibilité des deux, non
plus que d'une distinction entre la région céleste et la région sùblunaire.
Avant 1597, Galilée était partisan du système de Copernic. Maintenant il a des
raisons positives d'être plus hardi dans ses affirmations. La terre et les planè-
tes tournent autour du soleil. L'espace est plein de soleils qui sont, chacun,
comme le nôtre, centre d'un système. Identiques à notre terre sont la lune et le
soleil, le satellite et le chef du chœur. Unité dans le système solaire, unité des
systèmes qui constituent l'univers, voilà les résultats incontestables —
à préciser
dans l'avenir — que l'observation donne à Galilée et qui détruisent h jamais
l'astronomie de Ptolémée, la physique céleste d'Aristote et toutes les conceptions
géocentriques auxquelles la scolastique attribuait tant d'importance»
Aces recherches, il faut joindre celles que Galilée a faites antérieurement sur
la chute des corps. Là encore il rencontrait une théorie scolastique. Les péripa-
téticiens disent bien que les corps acquièrent d'autai^ plus d§ mouvement qu'ils
212 HISTOIRE COMPARÉE DKS PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
s'éloignent davantage du lieu d'où a commencé leur chute mais ils opposent les
;
graves, qui vont en bas, aux légers qui se dirigent vers le haut ils croient que
:
des corps différents, dans un milieu aérien et identique, tombent avec une vitesse
proportionnelle à leur masse. C'est à 25 ans que Galilée abandonne du haut de la
'
tour penchée de Pise, n.s
corps différents de volume et de poids les spectateurs
:
fait glisser une balle de laiton. Pour mesurer le temps, il pèse l'eau qui coule,
par un robinet étroit, d'un vase très large. Avec cette horloge d'une exactitude
suffisante et après plus de cent expériences, Galilée établit que les espaces par-
courus sont proportionnée aux carrés des temps. De cette loi, il déduit alors celles
qui portent sur les espaces et la vitesse.
Enfin Galilée s'occupe du mouvement curviligne des projectiles et montre que
l'impulsion communiquée se combine, avec la direction perpendiculaire qui
vient de la pesanteur, de manière à leur faire décrire line parabole.
En somme ces recherches, où l'expérience a un rôle capital, détruisent la phy-
sique scolastique, créent la mécanique et préparent l'horloge à pendule de
Huyghens, dont Galilée a même l'idée. Mais déjà aveugle, il ne peut faire cons-
truire l'instrument qui sera d'un si grand secours pour l'observateur. En outre
ses découvertes sur la combinaison des mouvements annoncent et justifient à
l'avance les trois grandes lois de Képler sur la marche des planètes.
Les découvertes astronomiques, physiques et mécaniques de Galilée sont rap-
prochées par Newton qui demande, lui aussi,à l'expérience et à l'observation les
jutions qu'il ne veut pas puiser dans la métaphysique scolastique et péripaté-
ticienne ou même cartésienne « Physique, dit-il souvent, 'préserve-toi de la
:
de bien loin les poétiques divinations de Pascal et ont fait dire, à un penseur
contemporain, que les cieux révèlent la gloire de Newton et de Laplace.
Ainsi Galilée a montré aux savants, d'une façon éclatante, ce que peut la
méthode expérimentale. Avec elle il a détruit l'antique conception de l'univers ;
avec elle, il a déterminé ce qu'il fallait garder des théories de son temps. Les
résultats atteints par lui et conservés par ses successeurs indiquent en partie et
préparent, pour le reste, notre moderne conception de « l'infini, à l'égard duquel
l'homme est un néant et dans lequel il est englouti. ». Son influence a donc été
capitale dans la formation de la civilisation moderne. S'il n'a pas été métaphysi-
cien —ce que contesteraient Th. -H. Martin et Kurd-Lasswitz (1), il a plus que
personne, sauf peut-être Descartes, préparé la métaphysique nouvelle, qui devra
s'appuyer sur les sciences et' la philosophie des sciences.
En face des Universités et des Ecoles qui restent fidèles au passé, les Acadé-
mies groupent tous ceux qui veulent utiliser les méthodes nouvelles pour aug-
menter les connaissances positives. En 1603, se constitue à Rome, pour l'avan-
cement des sciences expérimentales, l'Académie des Lincei, qui crée un cabinet
d'histoire naturelle, un jardin botanique et a pour membres Stelluti, Severino,
Galilée. En 1657, est fondée à Florence, par le grand-duc Léopold de Médicis,
l'Académie del Cimento, qui s'inspire des idées et de la méthode de Galilée. Elle
publie des Essais, où l'on trouve toute une série d'expériences qui sont demeu-
rées classiques. A peu près à la même époque, un médecin de Schweinfurth,
Bausch, organise l'Académie des Curieux de la Nature. Puis c'est la Société royale
qui, en 1660, est régulièrement constituée par lettres patentes ;Y Académie des
Sciences, de Paris, que Colbert organise officiellement en 1666.
Les noms choisis par les Académies italiennes indiquent l'obligation d'observer
avec des yeux pénétrants (Lincei), de réunir les efforts des travailleurs indivi-
duels, comme le ciment maintient les unes à côté des autres, les pierres d'un
édifice Toutes ces fondations nouvelles poursuivent un but identique, bien
marqué par Robert Boy le. « Si les hommes, dit-il, avaient plus à cœur le pro-
grès de la vraie science que leur propre réputation, il serait aisé de leur faire
comprendre que le plus grand service qu'ils pourraient rendre au monde, ce
serait de mettre tous leurs soins à faire des expériences, à recueillir des observa-
tions, sans chercher à établir aucune théorie ». Toutes publient des mémoires/
où sont recueillies les observations faites par leurs membres ou même par des
étrangers.
Quelques noms et quelques dates suffisent pour montrer avec quelle ardeur on
se lance dans cette voie nouvelle. En 1614 Napier découvre les logarithmes, qui
rendent prompts, faciles, précis, les calculs trigonométriquès et astronomiques.
En 1619, apparaissent les Harmonices mundi lihri quinque de Kepler où se mêlent,
à des conceptions métaphysiques et religieuses que l'expérience ne justifiera
pas, les lois qui expliquent les révolutions des planètes. Puis Hévélius' donne
uneSélénographie, un catalogue où, pour 1660, il fixe 1564 positions d'étoiles ;
faire des expériences et à recueillir des observations. Son disciple Denis Papin
fait des recherches sur la vapeur. Sauveur abandonne la théologie pour l'acous-
tique Roemer mesure la vitesse de propagation de la lumière et, en la repla-
;
çant ainsi parmi les agents physiques, lui enlève ce caractère mystérieux qui
avait permis aux néo-platoniciens (ch. III, 4, 10) d'en tirer un si grand parti
pour leurs explications métaphysiques. Huygheuis donne l'horloge à pendule, si
précieuse pour les astronomes, découvre un nouveau satellite et l'anneau de
Saturne, îa polarisation de la lumière. Newton et Leibnitz créent par des voies
différentes, le calcul différentiel. Newton, complétant les travaux de Roemer et
de Huyghens, décompose la lumière solaire.
D'un autre côté Harvey et Malpighiv Leuwenhoeck et Swammerdam, Ruisch,
Spallanzani et Lyonnet demandent à l'observation, à l'expérimentation servies
par le microscope et par des instruments d'une délicatesse infinie, la connais-
sance des êtres-vivants et de l'infiniment petit à côté duquel « l'homme est un
tout De tous ces merveilleux observateurs, on peut affirmer ce que Sénebier
disait de l'un d'eux, t Ils anéantissent les nombreux et énormes volumes qu'on
aurait écrits pour couvrir la nature de ténèbres •. Ou si on le préfère, ils leur
laissent une valeur purement historique et ils obligent, par conséquent, les théo^
logienset lés philosophes à comparer leurs conceptions, pour qu'elles ne dispa-
raissent pas comme les conceptions de la science médiévale, avec les résultats
obtenus par les physiciens et les naturalistes.
Mais les scolastiques du xvn e et du xvm e siècle ne voulurent pas savoir ce que
devenaient, de leur temps, les sciences positives. Ils ne lurent pas Bacon qui
vantait, en termes poétiques >et grandioses, la nouvelle méthode, le Novum orga-
wm, l'induction, que n'avait pas d'ailleurs ignorée Aristote, mais dont ne se
souvenaient plus ceux qui se prétendaient alors ses disciples et ses continua-
teurs. Us ignorèrent de même Descartes, qui recommande de n'admettre pour
évident que ce qu'on reconnaît être tel, qui adapte aux recherches expérimentales
l'analyse et l'algèbre des géomètres et prépare ainsi, par l'intermédiaire de Gon-
dillac, les travaux de Lâvoisier, comme par ses théoriês sur le mécanisme^ il
inaugure bon nombre des systèmes ou des doctrines positives dont l'apparition
est une caractéristique des temps modernes. Et cela est d'autant plus étrange
que ce partisan de la raison libre et -de la science de plus en plus complète
rejoint, dans sa métaphysique, S. Anselme et Plotin qu'il aurait pu ainsi servir
;
,
tout a» moius de point de départ pour un nouvel essai de coordonner, en un
sens chrétien, le monde sensible, mieux connu, au monde intelligible dont on
aurait conservé les éléments essentiels. Malebranche, plus que Bossuet et Fénelon
en eut la vision nette /et, en somme, demeura orthodoxe (1). Spinoza, en une cer-
taine mesure, se ràttacha aux sciences d'alors et à la métaphysique des succes-
seurs de Plotin, plus qu'à Plotin lui-même. Ainsi s'expliquent entre eux les
ressemblances que signalait Mairan ainsi s'expliquent les différences qui frap-
;
paient Malebranche et qui justifient chez lui, comme chez les catholiques, ses
contemporains ou ses successeurs, les attaques violentes contre « l'impie et
l'athée ». Mais lès sV.olastîques ne songèrent ni à invoquer la raison, ni à utiliser
les Années scientifiques pour transformer ou modifier leur métaphysique et leur
théologie, pour reprendre l'œuvre accomplie par S. Thomàsi comme par Plotin
et bien d'autres, qui avaient, pour cela même, donné une place si grande à Fin-,
terprétation allégorique. Et ce fut, sinon la mort, comme chez les Arabes, du
moins un long et lourd sommeil pour les doctrines auxquelles ils demeuraient
attachés(1). Leurs successeurs ont de nos jours (ch. IX) essayé de réparer leur
erreur, en rendant à la science'età la raison le rôle qu'ils n'avaient plus voulu
leur attribuer. •
A partir du xvn e siècle, il y a des hommes quf n'ont plus d'autre guide que la
raison et la science pour expliquer l'univers, pour organiser la vie individuelle
et sociale (p. 4!). Il y a même des athées, des libertins ou des philosophes qui nient
l'existence,de Dieu et l'immortalité de l'âme, les deux dogmes essentiels de toute
la période médiévale. Mais il ne faudrait pas croire, comme on. l'a fait souvent,
que le xvii® siècle a vu le triomphe de la science et de la philosophie scientifi-
que, substituées tout à coup à la civilisation théologique des époques antérieures.
Celle-ci se maintient dans les esprits d'un grand nombre d'hommes, comme
dans les institutions ecclésiastiques, juridiques ou politiques dont l'ensemble
constitue ce que Ton appelle l'ancien régime- Us. ne cessent ni d'être chrétiens, ni
dè se rattacher aux doctrines philosophiques dont le succès avait été grand
pendant tout le moyen âge Ce qui est incontestable, ce sont, d'un côté, les
progrès de la pensée scientifique et rationnelle (1), de l'autre le déclin des Univer-
sités et Ecoles, comme du péripatétisme thomiste, qu'elles enseignent sous le
nom de scolastique. Inconnue, dédaignée ou méprisée par les laïques, même par
bon nombre de séculiers ou de réguliers qui entendent faire une place aux idées
nouvelles, la scolastique continue à avoir des chaires à Salamanque, à Coïmbre,
à' Alcala, à Rome,, à, la Sorbonne, mais partout les maîtres sont moins remar-
quables et leur influence ne s'exerce guère que sur quelques-uns de leurs écoliers
et non sur les meilleurs (2).
Mais il en va tout autrement pour les philosophies religieuses qui avaient
précédé ie thomisme et même, en un certain sens, pour le thomisme, dont la
scolastique n'est alors qu'une reproduction servile, sans vie comme sans liberté.
(1) C'est ce que nous avons essayé de montrer dans les Idéologues, Paris. Alean.
(2) Voir VAr^ét burlesque, rédigé par Boileau et ses amis les critiques rie Malebran-
;
vantes; l' Astronomie et Théologie du P. Ortolan, 4894-, pour qui rattachement obstiné
des scolàstiques à leurs préjugés péripatéticiens a été en grande partie cause de la ruine
de leurs doctrines. Voir chap. VIII et chap. X.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX* SIÈCLE 217
\
Les guerres religieuses continuent en Allemagne, entre protestants et catholi-
ques. En Angleterre où les catholiques sont vaincus, les sectes diverses se com-
battent par la plume, et par les armes. En Hollande, les arminiens et les goma-
rïstes ; en France, les jansénistes et leurs adversaires reprennent avec une
ardeur au moins égale les questions qui avaient agité autrefois les contem-
porains de Gottschalk (ch. Vï). Puis ce sont les discussions que provoque le
quiétisme; c'est la révocation de l'édit de Nantes; ce sont des condamnations
comme celles de Giordano Bruno et de Vanini, de Léonore Galigaï et d'Urbain
Grandier, de Galas, de la Barre et de Sirven. On s'aperçoit nettement qu'on n'est
pas sorti de la période théologique. On s'en aperçoit mieux encore, quand on
passe une revue sommaire des philosophes et de leurs œuvres.
Descartes, qui ne veut pas savoir s'il y a eu des hommes avant lui, écrit les
Meditationes de prima philosophia, in qua Dei existentia et anirnœ immortalitas
demonstrantur, où il traite les deux questions capitales pour tous les philosophes
médiévaux (ch. II) en disciple de S. Anselme, en continuateur de S. Augustin et
de Piotin (!).
Pascal dans ses Pensées, essaie de joindre la raison et le cœur pour se rappro-
cher de Dieu et nous'rappelle Piotin, subordonnant et unissant la raison à l'amour
(ch. V) (2). Gassendi, comme certains philosophes latins ou arabes (ch. VI),
maintient la Création, la Providence et l'immortalité, h côté des doctrines ato-
mistiques qu'il substitue lui aussi au péripatétisme. Malebranche dédaigne
l'histoire et compose des Conversations métaphysiques et chrétiennes, un Traité de la
Nature çt de la grâce, des Méditations métaphysiques et chrétiennes, des Entretiens
sur la métaphysique et sur la religion, un Traité de V amour de Dieu, des Entretiens
d'un philosophe chrétien et d'un philosophe chinois' sur la nature de Dieu. On y ren-
contre, sur Dieu et la manière dont nous
connaissons, su£ la liberté, sur la
le
Providence et sur l'optimisme: ;sur l'union de l'âme avec le corps, sur les rapports
de Dieu et du moMe, bien des théories qui par delà S. Augustin remontent à
Piotin^ dont il n'a pas réussi à reprendre la construction où se subordonne
harmonieusement, grâce au principe de perfection, le monde sensible au monde
intelligible (p.. 50), puisque Mairan le soupçonne de panthéisme et ne voit pas
én quoi il se distingue de Spinoza. Quant à Spinoza lui-même, il rappelle l'Aver-
roïsme qui se maintint si longtemps dans les écoles juives, comme les doctrines
cabbalistiques dont le développement témoigne de l'action, exercée, directement
ou indirectement, par le néo-platonisme. Et c'est par lui surtout que les théories
plotiniennes arriveront aux philosophes allemands du xix e siècle (3).
Bossuet est plus'augustinien et thomiste que cartésien. Comme S. Augustin, il
ramène, dans le Discours sur V histoire universelle, tous les. événements accomplis
depuis l'origine de l'humanité à l'œuvre de l'Incarnation et de la Rédemption du
monde. pense, comme S. Thomas, sur la nature et les rapports de la raison et
Il
\
218 HISTU1RK COMPA.RÉK DES PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
Dieu. Aussi n'y a-t-il pas de s'étonner quand on rencontre dans le Traité de
lieu
la connaissavr.fi de Dieu et de soi-même, dans les Méditations sur l'Evangile, dans les
Elévations sur les mystères, des passages qui apparaissent edmme des traductions
de Plotin (1).
Les mômes rapprochements ont été faits pour le mystique FénHon. Son
Traité de l'existence de Dieu, ses Lettres sur divers sujets de métaphysique et de
religion, ses Maximes des Saints font songer à S. Augustin et à S. Anselme, aux
Victorins et à S. Bonaventure, comme à Plotin, leur maître à tous (2).
Locke et Gondillac modifient sans doute, mais reprennent la théorie scolastique
-sur l'origine de nos connaissances. Rien pour eux n'est dans l'intellect qui n'ait
été auparavant dans le sens. L'un et l'autre restent profondément chrétiens et
acceptent sur Dieu et sur l'âme les solutions traditionnelles. Berkeley crée en
Angleterre une école idéaliste qui rejoint, par plus d'un côté, celle des chrétiens
plotinisants (3). Charles Bonnet voit Dieu partout son sentiment religieux,
:
voisin du mysticisme, son échelle des êtres, dont le principe et les grandes lignes
"Tout penser aux hiérarchies du Pseudo-Denys, rejoignent par delà Leibnitz, les
continuateurs chrétiens de Plotin. Voltaire et Rousseau maintiennent, dans leur
religion naturelle, les deux dogmes essentiels des religions médiévales.
En Italie, Muratori s'inspire de Malebranche, Gerdil réfute Locke en s'atta-
chant à Descartes et à Malebranche, Miceli a pu être considéré comme un Spinoza
catholique et Gonzalez a trouvé essentiellement chrétienne la pensée philoso-
phique de Vico, qui « vécut et mourut en vrai catholique ».
Enfin les mystiques, comme Saint-Martin et Martinez Pasqualis, Swedenborg
et Çagliostrio, Lavater, Gessner et Mesmer, remontent par Boehme, par les
Cabbalistes, par bien d'autres sources encore, aux thaumaturges et aux mysti-
ques successeurs de Plotin.
En résumé, les philosophes du xvii et du xvin 6 siècle, en dehors d'un petit
nombre de penseurs indifférents ou hostiles au christianisme, restent attachés
aux grandes doctrines des siècles précédents, qui supposent la prédominance
d'un monde intelligible, où règne le principe de perfection, sur le monde sensi-
ble, régi par les principes de contradiction et de causalité. Mais ils ont souci de
faire entrer dans ce système les découvertes dont le nombre grandit sans cesse
et quelques-uns d'entre eux sont parmi ceux qui ont le plus enrichi les sciences
positives. Par cela même, ils apparaissent en opposition manifeste avec les
thomistes dégénérés, qui entendent surtout proscrire les nouveautés scientifi-
ques et conserver les erreurs et les préjugés péripatéticiens ou scolastiques.
(1.) Voir chap. VI et les Ennéades traduites par Bouillet où' les rapprochements abon-
dent. C'est en ce sens que s'expliquent les affirmations de M. Lanson, Histoire de la litté-
rature française, p. 565. « Son œuvre est absolument catholique. . mais la meilleure
.
substance de l'antiquité gréco-romaine a passé dans soja esprit ; il découvre dans la Bible
ou l'Evangile, les pensées à'Aristote ou de Platon (it faudrait lire de préférence Plotin).:.
il Fait entrer dans le système de la religion toutes les vérités acquises depuis des siècles
par la raison laïque ». M. Elie Blanc, op. cit.. ne relèverait, en néo-thomiste, que quel-
ques passages trop favorables au cartésianisme et à l'ontologisme mais il se plaint, en
outre, de la place trop grande que Bossuet fait à l'Etat et au gallicanisme.
\i) Voir ch. VI et Bouillet, Ennéades.
(3) Voir ce que nous en avons dit h propos de lord Brooke (Rev. ph.. janvier 1896) et
Bibliographie générale.
\
Et l'on cesse aussi de voir les ressemblances profondes qui rapprochent les
doctrines théologiques et métaphysiques, prises en leurs grandes lignes, dp
saint Thomas, de celles de S: Anselme, de S. Augustin ou du Pseudo-'Denys, et,
surtout dé Plotin et de ses successeurs qui continuent à alimenter les dogmati-
ques et les mystiques, les orthodoxes et les hérétiques.
Mais il invoque, pour traiter des Questions qui avaient souvent été discutées et
avec passion au moyeu âge, tons ceux qui les avaient abordées ou en avaient
proposé des solutions intéressantes ; S. Athanase, S. Basile, S. Grégoire de.
Nysse et S. Grégoire de Nazianze, Manès, Origène, Marcion, Prudence, S. Jérôme,
S, Ambroise, Pelage et S. Augustin, Gottschalk et Jean Scot Erigène, Abélard et
le Maître des Sentences, S. Bernard et S. Bonavènture, les Cabbalistes et l'Evan-
gile éternel, Maunonidè et S, Thomas <i'Aquin, Durand de Saint-Pourçain, Buri-
dan et Pierre Auriol, Jansénius et Molina, Dans le Discours sur la conformité de la
foi avec la raison, il examine les objections que Bayle, partant du principe de
contradiction, déclare insolubles, iie manière à laisser entendre qu'il place,
Comme Plotin» un monde intelligible .au-dessus du monde sensible, le principe de
perfection au-dessus des principes de contradiction et de causalité. Et Leibnitz
termine les Essais par un Abrégé de la controverse réduite à des arguments en forme,
f Le successeur de Leibnitz, Wojf systématise, à la façon des mathématiciens.
Ou des scolastiques péripatéticiens, les connaissances qui lui ont été transmises.
- Kant reste dans la période théologique c'est un chrétien, un luthérien, un
:
piétisté, un scolas{ique. Sans doute, c'est une des gloires du siècle des lumières ;
Mais il a eu pour maîtres Schulz et Knutzen, dont le piétisme s'unit aux études
philologiques, historiques, scientifiques et philosophiques, qui se font « devant
Dieu, partout présent ». Ce qui caractérise les piétistes, c'est qu'ils s'écartent
il cite la Bible, développe la preuve de l'existence de Dieu par les causes finales
tellement unis en lui qu'il ne court pas plus de risque de se voir dépouiller de
l'une, qu'il ne craint de perdre l'autre. On n'a pas suffisamment remarqué que
son entreprise n'aurait eu ni sens ni portée, s'il avait voulu combattre des chré-
tiens ou des néo-platoniciens, car Us lui auraient fort bien accordé et Plotin — *
« Ils ont vu dans la vertu... l'héroïsme du sage... ils ontplacé celui-ci au-dessus
des autres hommes et l'ont soustrait à toute tentation de violer la loi morale. A
la place d'une discipline morale, sobre, ils ont introduit un fanatisme moral, héroï-
que... Ils s'arrogent la sagesse... la vertu dont ils faisaient un si grand cas » (3).
Sage au-dessus des autres hommes, s'ils se fussent représenté là loi dans toute
la pureté et toute la rigueur du précepte de l'Evangile... Celui-ci enlève à l'homme
la confiance de s'y conformer, complètement du moins dans cette vie, mais en
retour, il le relève, car nous pouvons espérer que, si nous agissons aussi bien que
cela est en notre pouvoir, ce qui n'est pas en notre pouvoir n,ous viendra ulté-
rieurement d'un autre côté, que nous sachions ou non de quelle façon,.. Tout
précepte moral de l'Evangile présente l'intention morale dans toute sa perfection. ..
Le commandement Aime Dieu par dessus tout et ton prochain comme toi-même),
:
sont les solutions qu'il adopte et la forme même sous laquelle il les exprime.
C'est de Dieu, de l'âme et de son salut que, dans cette période théologique où
se développe le christianisme (ch. II), l'on se préoccupe avant tout et par dessus
tout.. De bonne heure, on s'aperçoit que la question de la liberté est étroitement
liée à l'une et à l'autre. De leur mélange naissent les problèmes de la perfection,
surtout de la bonté, de la puissance, de la justice de Dieu, de la Providence et de
la Prescience, de la Prédestination et de la Grâce, auxquels saint Augustin, en
combattant leé Manichéens et les Pélagiens, travaille à donner une solution ortho-
doxe. Reprise par Gottsdhalk et ses contemporains (ch. VI), par Luther., par Cal-
vin, par Jansénius, par Bayle, la question est longuement traitée, avec des argu-
ments théologiques et philosophiques, par Leibnitz dans les Essais de théodicée.
C'est de même sur les trois concepts de laliberté, de Dieu et de l'immortalité que
Kant dirige les recherches de la Critique de la Raison pure, comme les solutions de
la Critique de la Raison pratique (2).
Kant, comme autrefois Descartes (3), pose et admet le Dieu du christianisme,
en lui-même et dans ses rapports avec les créatures. C'est en lui que nous nous
représentons l'idéal de la sainteté en substance. Originairement, le concept de Dieu
appartient, non à ia physique ou à la métaphysique, mais à la morale. C'est
l'existence du mal qui empêcha les philosophes grecs d'admettre d'abord une
cause parfaite, raisonnable et unique. Lorsqu'ils eurent traité philosophiquement
les objets moraux, ils trouvèrent, dans le besoin pratique, une détermination pour
le concept de l'être premier, que la raison spéculative ne fit qu'embellir et orner.
Cet être a des attributs qu'on trouve en germe dans les créatures, toute-puissance,
omniscience, omniprésence, toute bonté il a trois attributs moraux qui n'appar-
;
Etre des êtres, il suffit h tout et de cet attribut dépend «toute la théologie. Par
l'aqcord de sa volonté avec la lof morale, il est en possession de la sainteté. Etre
raisonnable au vouloir parfait et tout-puissant, il a besoin de la béatitude, il en
est digne et il la possède. Cause première, universelle et suprême, auteur de la
nature, de l'existence delà substance, son libre choix est incapable d'une maxime
qui ne pourrait en même temps être une loi objective fa sainteté qui lui cou vient
;
le met au-dessus, non des lois pratiques, mais des fois pratiquement restrictives,
Pour lui, la condition du temps n'est rien par une seule intuition intellectuelle
:
tion, d'un orgueil chimérique, lui à qui il faudrait surtout rémission ou indul-
gence Aucune créatute ne peut réaliser l'idéal de sainteté, qui doit nous servir
!
(4) Op. c, p. 272, 254, 482, 146, 202. 216. 182, 209, 228, 54, 224
f2) m,
Op. cit., p. 250, 147, 450, 149, 224.
.
LA RESTAURATION THOMISTE Al T
XIX e SIÈCLE 223
mènes, non aux phénomènes; Dieu, créateur et cause des noumènes, n'est pas
la' cause des actions dans le monde sensible. Dès lors on conçoit une connexion
tous les devoirs sont des ordres divins... des ordres de TEtre
la religion,.,
suprême... d'une volonté sainte, bonne, toute-puissante, parce que l'accord
avec cette volonté peut seul nous faire espérer d'arriver au souverain bien... La
morale nons; enseigne comment nous devons nous rendre dignes du bonheur. ....
drions posséder, Dieu et l'éternité, woec leur majesté redoutable, seraient sans cesse
devant nos yeux. Sans doute la transgression de la loi serait évitée, mais la
. .
Valeur morale des actions n'existerait plus... Notre connaissance n'est élargie
qu'au point de vue pratique nous ne connaissons ni la nature de notre âme, ni
:
Admettre l'existence de Dieu est une hypothèse pour la raison pure, une woyançe
(Glaube) pour la raison pratique... L'honnête homme peut dire Je veux qu'il y :
ait un Dieu, que mon existence dans ce monde sôït encore, en dehors de la liai-
son naturelle, une existence dans un monde pur de l'entendement, enfin que ma
durée soit infinie; je m'attache fermement à cela et je ne me laisse pas enlever ces
croyances »
Ainsi Kant, resté ou redevenu fidèle à ses croyances de luthérien et de piétiste,
établit d'abord, par la Critique de la Raison pure, qu'il est impossible de justifier
l'athéisme et le matérialisme ;puis, avec l'idéalité de l'espace êt du temps, il
maintient tout à la fois, contre Spinoza, la création et la liberté enfin, du point
;
de vue moral, il aboutit à de fermes croyances avec l'aide du Dieu des chré-
;
et des catégories dynamiques et, d'une façon générale, trouve fort utile, pour la
théologie et la morale, la pénible déduction des catégories.
En somme les doctrines Scientifiques et philosophiques de son temps ont con-
tribué à former Kant, mais il est surtout chrétien, luthérien et piétiste et il
emploie toutes les ressources d'une puissante originalité, qui éclate dans l'une
et l'autre Critique, et qui s'enveloppe sous des formes scolastiques, à conserver
croyances, capitales pour lui et pour les siens comme pour les
et à justifier les
philosophes médiévaux, à la liberté, à l'existence de Dieu et à l'immortalité de
l'âme.
(h up: cit., p. 209-216, 238, 235, 236, 266, 248, 2G9. Pour toutes ces affirmations,
couauller ce qui a été dit de Plotin, ch. III et V.
(2) Op. cit., n. 14, p. 341.
LA RESTAURATION THOMISTE Aî X.1X* S1ÈCLK 225
et la politique? Bien des époques et bien des hommes ont sans doute accepté des
compromis et refusé de rompre complètement avec ie passé, comme de condam-
ner l'avenir. Ainsi la monarchie de Juillet se présenta comnif la meilleure des
Républiques ainsi l'éclectisme cousinien se donna comme gardant un juste
;
« Nous devrons nous unir, disait, le 4 août 1902, un Ministre à Moulins, pour terminer
la bataille commencée depuis trois siècles... Nous serons vainqueurs définitivement et
nous ferons l'union entre tous ceux qui veulent que la France soit k là tète des nations
et demeure Se flambeau de l'humanité ». Un autre disait à Quiberon Toute l'histoire du : ce.
siècle est dans ia lutte entre l'idéal du moyen âge et l'idéal de l'avenir, entre ie clérica-
lisme qui a pris la défense du passé et la cause de la Révolution. Aueun.de nous n'est . .
tons domine les choses du cœur. Mais nous ne pou vons accepter que l'Eglise catholique,
institution politique, autant que religieuse, prétende mettre ia main sur la vie nationale...
.
plus rude encore pour persuader ses semblables de l'utilité ou de la nécessité des
transformations individuelles ou sociales. Et elle n'est jamais terminée pour celui
qui veut de mieux en mieux diriger sa vie elle ne Test jamais pour les sociétés
;
Schiller. Nous sommes solidaires avec toute l'humanité sans oublier ce qu'est la patrie
française et sa mission à travers l'histoire. On a dit que tout étranger avait deux patries,
celle où il était né et ia France qui représente les plus grandes conquêtes de l'humanité et
de la civilisation. Pour nous, républicains, ces deux patries se confondent et c'est là notre
honneur et notre gloire »
(1) V.nir Les Idéologues, Paris, Alcan et Revue bleue, 10 octobre 1896.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 227
esprits, ouvert des routes nouvelles et préparé une salutaire réforme des métho-
des » (1). Saint Simon, Auguste Comte, Jean Reynaud, contribueront à appeler
l'attention sur la pensée médiévale.
Si Chateaubriand s'oppose à Boileau et soutient que, pour les arts ou la poésie
le merveilleux chrétien égale ou surpasse en puissance le merveilleux païen, il
vante que par rapport à l'antiquité et aux temps modernes. Le siècle de Louis XIV
lui semble le plus accompli des quatre grands siècles célébrés par Voltaire. Il
préfère les Invalides et Versailles à tous les autres monuments chrétiens. Si l'ar-
chitecture gothique, majgré ses proportions « à quelque chose de
barbares »,
grand et de sombre, comme le Dieu du Sinaï, c'est, au milieu des vents et des
tempêtes, au bord dé la mer, dont Ossian a chanté lès orages. Chateaubriand
ignore les chansons de geste,les mystères, les f'abliauxfil dédaigne la scolastique,
« cette malheureuse philosophie, qui se composait des subtilités, de la doctrine
péripatéticienne et du jargon mystique de Platon ». La chevalerie, l'architecture
gothique, le chant grégorien, V Imitation, saint Bernard « qui joint une grande
doctrine à beaucoup d'esprit, qui a quelque chose du génie de Théophraste et de
la Bruyère » ; Dante, « qui peut-être a égalé les plus grands poètes dans le pathé-
tique et le terrible » ne lui paraissent pas indignes des choses et des hommes de
l'antiquité ou du xvn e siècle (2).
Pour Mme de Staël, le moyen âge, avec la chevalerie, est une des quatre épo-
ques entre lesquelles se partage l'histoire de la littérature « L'Europe, dil-ôlle :
après Schlegel, était une en ces grands siècles et le sol de cette patrie universelle
était fécond en généreuses pensées qui peuvent servir de guide dans la vie et
dans, la mort ». C'est que la chevalerie est propre à faire naître l'enthousiasme,
nécessaire à l'éclosion des grandes œuvres. Aussi Mme de Staël salue-t-eîîe avec
prédilection les ouvrages allemands qui ont tenté de la faire revivre, les Contes et
YObéron de Wieland, Gœtz de Berlichingen, les Niebelungen, où. se retrouvent l'hé-
roïsme et la fidélité qui distinguaient les hommes du xin e siècle, « lorsque tout
était vrai, fort, décidé comme les couleurs primitives de la nature ». Par contre,
Richelieu* a détruit le fégime féodal et tari pour la France, une source d'enthou-
siasme notre poésie classique est la seule, en Europe, qui ne soit pas répandue
;
parmi le peuple; parce qu'elle doit passer par les souvenirs du paganisme pour
venir jusqu'à nous. Et Boileau, avec ses préceptes de « raison et de sagesse », a
introduit, dans la littérature a une sorte de pédanterie nuisible au sublime élan
des beaux-arts ». Seule la poésie romantique, celle qui remonte aux trouba-
(1) Les Idéologues, p. 413, 218, 275, 407, 415, 482, 484, 502.
(2) Même point de vue ou à peu près dans le Demie?* des Abencerages, où il opposp
les civilisations chrétienne et maure de l'Espagne à celle de la Renaissance.
. .. .
'Jours, qui est fondée sur lale merveilleux du moyen âge, pourra
chevalerie et
croître, se perfectionner et se vivifier ànouveau.
Los contemporains de Mme de Staël prennent au moyen âge des sujets de tra-
gédie et d'épGpée, les chansons célèbrent troubadours et chevalier, Ossian est
traduit à plusieurs reprises et Oeuzé de Lesser compose, sur la chevalerie, un
poème de 15.000 vers, où il fait place à tous les cycles. Mais c'est surlout après la
restauration, religieuse et politique de 1815, que nos poètes-réalisent amplement
la prédiction de Mme de Staël, #
jusqu'au christianisme néo-piatonicien (1). Victor Hugo, dans iès Odes et Balla-
des, tente de donner une idée de la poésie der troubadours « ces rapsodes chré-
tiens qui savaient manier l'épée et la guitare ». Dans la Préface de Cromtvell, il
(1) Dans l'hymne de la mort, il dit Voir ch. llî et ch. V).
(
'
'n dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie.
divine, dont elle semble avoir dérobé le double caractère, variété, éternité «.Les
Durgraves, écrit Lanson, ressuscitent « l'effrayante, la confuse grandeur dsî Uie-
magne féodale » le Rhin, les légendes des vieilles cités et des ruines grandioses,
;
accompagnées d'une description plus idéale que réelle. La Légende di'3 siècles pré-
sente des évocations merveilleuses, sinon des restaurations certaines v!) du
mosde médiéval dans les diverses parties de l'Europe chrétienne.
De Lamartine et de Victor Hugo, il faudrait rapprocher Walter Scott, dont les
romans médiévaux ont tant de lecteurs en France et 'en Angleterre, Méric; et * ..
Antony Deschamps, qui traduit le Dante Sainte-Beuve qui é?;rit ses merveilleox
;
volumes sur Port- Royal Musset, dont Jes premières Stances, en 1828, chantent
;
tout ce que les romantiques aiment du moyen âge et donc les vers célèbres sont
dans toutes les mémoires (ch. VIII, p. 180) :
Les sculpteurs ont peu d'emprunts au moyen âge. Les architectes en con-
fait
servent et même en restaurent les monuments. Mais
la peinture fut romantique
avant la poésie le Radeau de la Méduse inaugure en 1819, avec Géricault, l'école
:
nouvelle. C'est en 1822 que Delacroix donne la Barque du Dante, que suivent tant
de chefs-d'œuvre dont les sujets sont pris aux chroniqueurs médiévaux, Ary
Scheffer et Ingres lui-même le suivent sur ce terrain nouveau. Overbeek se pas-
sionne, en Allemagne, pour les artistes antérieurs à Léonard de Vinci et à
Raphaël. L'Angleterre a ses préraphaélites, qui rappellent Giotto, le peintre de
S. François et Fra Giovanni deFiesoîe, surnommé l'Angélique comme S. Thomas
d'Aquin.
Weber, pour Freysckùtz (1819, Euryanthe (1823), Obe'ron (1826) Wagner, pour ;
che, Hérold, avec le Pré aux clercs, Halévy, avec Charles VI et la Juive Gounod, ;
avec Faust Berlioz, avec la Damnation de Faust; Reyer, avec Sigurd, ont montré
;
que les musiciens avaient grand avantage à connaître et même à aimer le moyen
âge.
(i) Voir dans notre Gerbert, ce qui concerne l'empereur Othon et le pape Sylvestre H
230 HISTOIRE COMPAREE DES PHILOSOPHES MÉDIÉVALES
le Recueil des historiens des Gaules et de la France le Comité des travaux histori-
ques (1834) la Société pour l' Histoire de France, la Société des Àqtiquairtv-,
;
l'Académie des Inscriptions, par Y Histoire littéraire et les Notices et Extraits dt%
manuscrits celle des Sciences morales, par la publication des Ordonnances des rois
;
de France, ont réuni, commenté, expliqué des documents de toute nature, sur les
institutions et les arts, sur les lettres latines et françaises. De même, on a étudié
les catacombes et les basiliques, les mosquées et les palais arabes, les églises et
lés abbayes romanes, les cathédrales gothiques et les châteaux 'féodaux, les for-
tifications, les hôtels de ville et les maisons privées, les tentures, les meubles et
les miniatures, les œuvres des sculpteurs, des graveurs et des orfèvres.
On put croire que l'école éclectique avait fait entrer définitivement les phiïoso-
phies médiévales dans l'histoire générale.. Victor Cousin qui continue Chateau-
,
incontestablement les deux plus grands philosophes que la France ait produits,
l'un au moyen âge, l'autre dans les temps modernes ». A côté de lui, ou en même
temps, Jourdain réédite les Recherches critiques sur Vâge et V origine des traductions
latines d'Aristote, publiées par son père en 1819 et écrit la Philosophie de S.. Tho-
mas ftousselot donne trois volumes sur la Scolastique, dont Hauréau (ch. X] écrit
;
y a soixante ans» que l'Ange de l'Ecole serait présenté pour modèle à la philoso-
phie contemporaine, par l'Académie dont la mission particulière est l'avance-
ment des études philosophiques » ?
'(1) Voir ses lettres à Mgr Maret. On nous a même' montré autrefois un catéchisme com-
posé par lui, où il avait o*M\é le purgatoire.
'232 HiStOiRE COMPARÉE DES PfcMLOSOPHIES MÉDIÉVALES
Maistre, est comme une armure du moyen âge qu'on, va prendre à volonté dans
un vestiaire ou dans un musée et qu'on revêt extérieurement sans que cela
tique du xm e sièe;e, barbai r et enfantine, mais ce qu'on peut appeler la scolastique carté-
sienne, c'est-à dire ce cartésianisme mitigé qui fut adopté en général pour l'enseignement
ecclésiastique au xvui e siècle et fixé dans les trois volumes connus s«>us le nom de Philo-
sophie de Lyon. Ce nom le livre fit partie d'un cours complet d'études
vient de ce que
ecclésiastiques rédigé une centaine d'années par l'ordre de M. de Montazet, l'arche-
\l y a
vêque janséniste de Lyon. La partie théologique de l'ouvrage, entachée d'hérésie, est
maintenant oubliée mais la partie philosophique, empreinte d'un rationalisme fort respec-
;
table, était encore vers 1840 ia base de l'enseignement dans les séminaires, au grand
scandale de l'école néo-catholique, qui trouvait le livre dangereux et inepte ». Renan,
Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Paris, 1893, p. 245.
e
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX SIÈCLE 233
C'est Lamennais
(1) qui, plus que personne, a contribué à ramener l'Eglise
catholique à la philosophie thomiste. Né en 1782 à Saint-Malo, il avait Subi l'in-
fluence des doctrines qui, de 1789 à 1800, se répandirent par toute îa France. Sa
première communion fut ajournée parce qu'il avait opposé, au prêtre chargé de
l'y préparer les arguments hostiles qu'il avait lus auparavant. Mais la Terreur,
puis la réaction qui aboutit, avec Bonaparte, à la conclusion du Concordat, pro-
duisirent bon nombre de conversions. L'année où Pie VII sacrait Napoléon à
Notre-Dame, Lamennais, âgé de 22 ans « courba la raison sous le joug de îa foi,
demanda à la religion la solution des problèmes cju'il n'avait pas trouvée dans la
philosophie et, foulant aux pieds le respect humain, fit sa première com-
munion ».
A 34 ans, il se laissait ordonner prêtre « Je suis et ne peux qu'être désormais
:
au-dessus de tout dans le domaine tenqporel, comme dans les matières spirituel-
les. Et dans deux écrits politiques, La religion dans ses rapports avec l'ordre moral
et politique 1826, Les progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise, 1829,
r •
damna Lamennais et ses amis. Lamennais se soumit d'abord, mais l'homme que
les arguments des incrédules avaient éloigné de la religion reparut bientôt en lui
et il rompit brusquement avec le catholicisme les Paroles d'un croyant, le Livre
:
Au peuple, une Voix de prison, les Amschaspans et les Darwans, obtinrent un grand
succès parmi les opposants à la monarchie de Juillet. Dans son Eéquisse d'une
philosophie, il examina toutes les questions que se sont posées les philosophes
anciens et modernes, pour unir, dans une vaste synthèse, les données scientifi-
ques. Il n'eut pas, en 1848, l'influence que semblaient lui promettre ses écrits
antérieurs et mourut, en 1854, sans que l'Empire et ses soutiens, politiques ou -
sans cesse, le Dieu qui crée le monde de sa propre substance et dont l'univers est
une manifestation, dénotent un essai de modifier, pour les rendre acceptables à
ia raison, les doctrines catholiques et chrétiennes. De renseignement chrétien,
Lamennais avait reçu une empreinte si profonde que jamais il n'a pu ni peut-
êtrevoulu en rejeter les affirmations essentielles. Ce qui lui manque le plus, ce
sont les connaissances positives et scientifiques qui lui eussent été nécessaires
pour adapter le thomisme aux conditions actuelles et au milieu ambiant, comme
pour créer une métaphysique originale. Mais jamais il ne pensa librement. Ce fut
e
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX SIÈCLE 235
bien plutôt un de ces hérétiques dont les doctrines contribuent à orienter l'Eglise
dans une direction nouvelle.
Pour le catholicisme en effet, les novateurs ont fait, depuis son origine et à
leurs risques et périls, des expériences d'une valeur incontestable. Si leurs idées
paraissent en opposition radicale avec les dogmes ou les institutions, on les con-
damne, tout en se réservant de les soumettre à un nouvel examen et de les incor-
porer, en les fortifiant, à la dogmatique ou à l'organisation catholiques. De bonne
heure, l'Eglise accueille les innovations,, doctrinales ou autres, qui lui apportent
une puissance plus grande, une autorité plus incontestée, une action plus éten-
due. Elle laisse au temps, à la recherche spéculative ou à la pratique orthodoxe,
le soin de montrer les avantages ou les inconvénients de celles dont on n'aperçoit
pas bien nettement les conséquences. En ce sens, Arnauld de Ôrescia et Joachim
de Flore sont, comme l'a montré M. Gebhart d&nsYltalie mystique, les précurseurs
de saint François d'Assise et de la rénovation chrétienne à laquelle sont liés le
mouvement artistique, caractérisé surtout par Giotto,°et le mouvement littéraire,
dont Dante est le plus glorieux représentant. De même Abélard, condamné par
l'Eglise en invoquant l'autorité, mais en mettant sur le même plan l'Ancien et le
Nouveau Testament, les écrits des Pères, les ouvrages des philosophes et des
poètes, a préparé la métriode et les doctrines du xm e siècle, où l'autorité religieuse
tient la première place et se complète par l'autorité profane, là où elle se recon-
naît insuffisante ou incompétente, mais, avant tout, là où elle peut le faire sans
danger et même aVec' profit pour l'orthodoxie (ch. VIII).
C'est à ce titreque Lamennais figurera toujours dans l'histoire, du catholicisme.
C'est à ce point de vue qu'il convient de parler de son originalité et de l'unité de
sa vie intellectuelle.
^ D'un Côté il a, dans Y Essai sur l'indifférence, soutenu,avec force et avec éclat,
que le catholicisme doit remonter, non seulement au delà du xvni 6 siècle, mais
plus haut que le xvn e pour rompre avec les compromissions et laisser le moins
,
nisme,, dont on doit les rapprocher, les Déclarations de 1682 ont produit la Cons-
titution civile du clergé. Aussi Lamennais est-il ultramon tain s'il n'y a point, dit-:
il, de christianisme sans église, il n'y a pas non plus d'église sans une règle
infaillible, sans un Pape qui empêche l'anarchie dans les esprits et par suite dans
la société.
D'un autre Lamennais a posé les, bases d'une réconciliation entre l'Eglise
côté,
et le libéralisme. « Nous voulons rester, disait-il, des catholiques liés à l'unité et
à la hiérarchie, mais nous demandons toutes les libertés, notamment la liberté
de conscience et la liberté d'enseignement, la liberté, de la presse et la liberté
d'association. Nous demandons l'extension des droits de suffrage et la suppres-
sion de la centralisation. Nous voulons régénérer. le christianisme, en l'unis-
. .
23(i HISTOIRE COMPAREE DES PHILOSOPHES MÉDIÉVALES
sant à la cause des peuples, en défendant les faibles contre les forts, les pauvres
contre les riches, en secondant l'humanité dans ses aspirations nouvelles, en
cherchant à. faire régner le principe chrétien de l'égalité des droits ». Aussi Spul-
lera-t-il pu terminer son livre sur Lamennais, en disant « qu'il était en passe de
devenir le maître et le. docteur du socialisme chrétien ».
Ainsi Lamennais a justifie, tout à la fois ou successivement, la proclamation
de l'infaillibilité du pape, par le Concile du Vatican en 1870 le retour à la philo-
;
sophie thomiste, recommandé par Léon XIII en 1879 pour rendre plus forte l'unité
catholique, pour lui donner la jeunesse et la vitalité, même politique, dont avait
fait preuve le catholicisme libéral.
Comment s'est faite dans l'Eglise cette évolution à laquelle Grégoire XVI avait
coupé court par la condamnation de Lamennais?
Le thomisme n'avait jamais été abandonné par les Dominicains et les cours.de
Rosetti avaient eu du succès parmi eux. Vers 1840, un jésuite, le P. Sordi appela
l'attention du Cartésien Sanseverino sur l'œuvre de S. Thomas. Sanseverino
publia, 20 ans après, sept volumes —
Philosophia chriatiana cum antiqua et nova
comparata —
qui furent approuvés par l'archevêque de Naples, Sforza, défendus
contre les rosminiens et les cartésiens par Signoriello. Pie IX se déclara en faveur
de Sanseverino et de l'archevêque. Mais quand le cardinal Pecci, archevêque de
Pérouse, demanda que S. Thomas fût institué le patron des Universités, Pie IX
se refusa à imposer aux écoles romaines un système que cependant il approuvait,
A Bologne, le P. Cornoldi opposait le thomisme au mécanisme. Il instituait une
Académie philosophico-médicale de S. Thomas, qui avait pour organe la Scienza
llaliuna. En 1878,
le cardinal Pecci remplaçait Pie IX sur le trône pontifical et
prenait le de Léon XIII. Pans la lettre même où il annonçait son élévation,
nom
il recommandait déjà de suivre le docteur angélique pour l'enseignement de la
philosophie. Puis il appelait à l'Université grégorienne le P. Cornoldi, dont le
cours, tout entier thomiste, réussit fort bien auprès des étudiants. Le 4 août 1879,
Léon XIII publiait l'Encyclique Mlerni Patris qui présentait le thomisme comme
la meilleure philosophie pour les catholiques. Le P. Palmieri, hostile au thomisme,
le P. Caretti, cartésien, quittaient l'Université romaine. Le P. Cornoldi et le
P. Zigliara entraient, l'un au Collège romain, l'autre à la Minerve ; Mgr Loren-
zelli et Mgr Satalli, à la Propagande pour la philosophie et la théologie Mgr ;
Talamo faisait un cours à l'Apollinaire Le .18 janvier 1880, Léon XIII confiait
aux cardinaux Antoine de Luca, Jean Simboni, Thomas Zigliara, le soin de pré-
parer une édition des œuvres de S. Thomas. Cette édition, qui eût pu être défini-
tive et rendre de grands services à tous ceux qui cherchent à connaître la pensée
médiévale, laisse à désirer. Le texte grec d'Aristote n'a pas été constitué d'après
les recensions les meilleures et les plus récentes les deux versions latines qui
;
figurent dans les éditions antérieures et qui sont indispensables pour compren-
dre le commentaire de S. Thomas, ont été omises. Même la Somme de théologie,
dont la publication a commencé avant qu'on eût achevé celle des Commentaires,
eût été plus correcte, si les éditeurs avaient consulté les manuscrits qui se trou-
vent en France (1).
(1) Dans YArch. fur Geschichte der Philosophie, le Dr Baeumker a fait des criti-
ques analogues à celles que nous avons énoncées dans la Revue philosophique du
1er mars 1892.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLF 237
49 Anglais, 29 Suisses et 29 Polonais. Instruits sous les yeux du pape, par des
maîtresjqu^l a choisis, ces jeunes gens devaient retourner ensuite d3ns leurs pays
respectifs, pour y travailler à la rénovation des études scolastiques et surtout du
thomisme. Les Instïtutiones de philosophie morale, les Principia philosophica de
leurs professeurs Feretti et Schif fi ni, écrits en latin, se répandaient dans tous îeé
pays catholiques. La Scienza italiana de Bologne, fondue en 1891 dans la Scuola
cattolica de Milan, la Civilta cattolica à Rome, le Divus Thomas, h Plaisance, ser-
vaient àpropager et à défendre les idées nouvelles.
Plus que tout autre, le P. Liberatore et le P. Zigliara contribuèrent, en Italie,
à faire connaître le téo-thomisme. Le premier a montré, es réclamant un impôt
progressif, la frxetion d'un salaire minimum et d'une taxe des pauvres, qu'il ne
craint pas certaines des réformes demandées parte socialisme. Le second a donné
une Summa Philosophica où il a abordé toute espèce de sujets.
En Italie encore, Egger, directeur du séminaire de Brescia, compose, pour les
candidats en théologie, des Propœdeutica philosophica théologien, qui portent sur la
logique, la métrique, l'ontologie, la théodicée, la psychologie et la cosmologie.
A Quaracchi, près de Florence, on réédite les œuvres de S. Bonaventure. Tandis
que Bartaglini et Lorenzelli. donnent des fnsliluliones philosophicœ, d'autres tentent
d'assimiler les résultats des recherches scientifiques au thomisme. Liverani veut
justifier laphysique moderne par les principes de la scola^tique, Scarpati écrit
une Anthropologie sous îorme syllogistique Gaudenzi étudie l'atomisme Prisco
; ;
et Marinis traitent de l'Etat selon le droit et selon les enseignements de Léon XIII,
selon S. Thomas. Dante et Machiavel Révolta s'occupe de la rénovation de la
jurisprudence par la scobstique Valensysse rie '/esthétique. Des polémiques ont
;
été instituées dans lesquelles on a réfuté toutes les doctrines modernes par une
argumentât n essentiellement thomiste.
5
'
Les deux faits les pi s caractéristiques, à ce point de vue, ont été la condam-
1"
Albert, puis de Pie ÎX. Devenu suspect, lors de la réaction qui suivit, il vit con-
damner ses livres, se soumit au jugement de l'Eglise et se retira à Stresa sur !e
lac Majeur, où il avait établi ie siège de son ordre. Sa philosophie, qui avait pour
objet îa réforme du catholicisme et la rénovation politique de î'Palie, rappelle
tout à la foi* Hegel et Spinoza, Plotin et Platon, par son idée d'être, forme uni-
verselle de notre entendement, au-dessous de laquelle il y a le fiai, corps et âmes,
au-dessus de laquelle est Dieu, l'infini déterminé et actif, auteur de l'existence
idéale et de l'existence réelle. Le décret du 14 i.'c-mbre 88 a condamné qua-
î *
dit-il, ne vise qu'à démolir les preuves de l'existence de Dieu pour affermir la
thèse, il aboutit à déraciner/ le tout ensemble il détruit son œuvre de ses propres
;
et fortifier les mauvaises plantes qu'il se, proposait d'extirper.. Et Kant, s'il .
quelle sinistre tromperie que la Critique de la raison pure /... C'est le Criticisme
qui, plus que tout autre système, a contribué .. à jeter la philosophie dans les
abîmes du panthéisme germanique, puis du positivisme français, jusqu'à ce
monstre du pessimisme de Schopenhauer et de Hartmann, monument de la déses-
pérance et de l'imbécillité sénile du xix e siècle »
Redevenu ainsi le prêtre François Bonavino, celui qui s'était appelé un moment
Italien libre, n'a pas été plus indulgent pour l'évolutionnisme « qui sert excel-
lemment à masquer au vulgaire la honte du matérialisme » pour la science ;
brute î »
Jamais, depuis la Harpe qui reprochait si durement aux autres les doctrines
,
qu'il avait voulu lui-même faire triompher, néophyte ou converti ne fut plus
sévère pour ses amis ou ses adversaires Et cependant François Bonavino sou-
!
haitait, entre les uns et les autres, une alliance « qui ne serait pas moins utile
aux progrès de la science qu'au développement de la foi » !
(1) Tous les journaux catholiques ont commenté et justifié cette condamnation. Voir
Ph. Jahrbuch, II, h. 1 et Revue néo-sco las tique Mgr Mercier ,
et M. Billia, dans notre
paragraphe suivant.
(2) Les journaux catholiques de France et d'Allemagne ont signalé avec éloge la
conver-
sion et le dernier ouvrage de Franchi. Nos citations sont prises aux Annales de la Phi-
losophie chrétienne, septembre et octobre 1889.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 239
Quels résultats ont obtenus les thpmistes romains ? Ils sont considérables pour
l'Eglise catholique, ses Universités, ses séminaires, ses évêques, ses prêtres et
ses moines. Us ont fourni une « ample apologie de tradition », ils sont en plein
accord avec « l'Eglise qui a fait si longtemps les cerveaux et les âmes », qui ne
demande pas d'originalité à ses philosophes qui « n'a de joie qu'à universaliser
;
réfute lé darwinisme dételle façon que William James y voit un modèle du genre,
pour l'abus des axiomes métaphysiques Zanon définit l'électricité comme Argan
;
définit l'opium le cardinal Mazella affirme que Dieu a créé les fossiles, in statu
;
perfecto, tels que le géologue lès -trouve dans le sol. Pour le P. Cornoldi, l'histoire
des philosophîes modernes est l'histoire des aberrations intellectuelles de Innomme
abandonné aux caprices de sOn orgueil, « la pathologie de la raison humaine » .
C'est que le courant créé par le P. Cornoldi tendait à la science par la philoso-
phie et que le « courant contraire eût été meilleur » ; car la science, prise
comme accessoire et non sous sa forme authentique, a été abandonnée pour la
dialectique. « Si l'Eglise aime la science, disait Huxley; comment expliquer que
tout le Sacré-Collège n'ait pas réussi à fonder un seul laboratoire dans les mai-
sons d'étude placées «ous la dépendance immédiate du Souverain Pontife ? » Et
en, rompant « en visière à tout le genre humain », en se mettant en état perma-
nent d'hostilité, en voyant une hérésie et un sectaire là où les autres voient une
défaillance et un homme, en ignorant les questions scientifiques qui sont en con-
nexion avec les questions philosophiques, les théologiens romains éliminent de
parti pris une portion considérable du vrai et par suite ils font évanouir la con-
fiance qu'on serait porté à avoir dans leur philosophie.
(1) Voir G. Besse, deux centres du mouvement thpmiste, Paris, 1902, p. 28 et sui-
vantes.
210 HISTOIRE COMPARÉE DES PHII.OSOPHIKS MÉDIÉVALES
qui fait loi dans l'Ecole mais ils font des commentaires, des amplifications ou
;
des apologies de mots, jamais rien de critique ou d'historique. « S'ils ont voulu,
par un effort conscient, demeurer en conflit, avec les méthodes et les goûts du
temps présent, ils ont réussi ». Ii en est résulté un « vif dénigrement contre
l'esprit d'autorité qui anime l'Ecole, un dédain âpre. une défiance invaria-
ble contre les certitudes affichées, scandaleuses de tous ces syllogismes éta-
blis sur le raisonnement et qui, s'ils sont vrais dans leur forme rigide, le
réel » (1).
Mais ne se cont-ils pas proposé, comme but essentiel, d'enseigner le thomisme
aux futurs processeurs, qui devaient ensuite le répandre dans tout le monde
catholique? Cest ce que répondent aux objections de l'abbé Besse, ceux-là
même qui ont été des élèves de Rome et de Louvain. Il conviendra de nous sou-
venir â notre point de vue historique des arguments invoqués par les uns et par
les autres.
En 1892, nous pouvions écrire que le succès des catholiques était grand en
Belgique. Us avaient créé un enseignement qui répondait aux vues exposées par
Léon XIII dans la bulle Mterni Patris. Des ouvrages, publiés à Tournai, àNamur,
à Louvain et acceptés par la majorité des lecteurs belges, contribuaient, dans
les pays voisins, à la diffusion ci» thomisme. Tels étaient le S. Bonaventu.e
d'Evangélista, le Cours d'apologétique chrétienne de Devivier, le Socialisme considéré
au point de vu? du droit naturel de rlalieux, où les doctrines socialistes sont
combattues au nom du catholicisme, 'es Prœlectiones du P. Lahousse qui forment
un cours de philosophie de deux mil'e pages d'impression, le Prœlectionum Phi-
losophiœ scolasiicœ brevis conspeclus du jésuite Van der Aa, dont la première édition
s'écoula immédiatement dans les écoles de Belgique, de France, d'Angleterre,
d'Espagne et des Etats-Unis: Le jésuite Casteiein, dans son Cours de philosophie.
examinait, à la lumière des théories scolas*iques, les récents résultats des scien-
ces et confirmait, par les découvertes physiologiques, les assertions scolastiques.
Van Weddingen, a umônier de la cour, est, l'auteur de l'Apologétique chrétienne qui,
traduite par l'évêque Gialdini, fut classique.; Y Université grégorienne, de travaux
sur l'idée du surnaturel sur S. Anselme ei S. Thomas. Désigné par Léon XIII
(t) cette argumentation est empi untee à l'auteur précédemment cité, qui ajoute
Toute :
« Mais fond du thomisme n'est pas disqualifié pour nous être présenté d'une manière
le
lâcheuse. Mgr Mercier et ses amis ont su échapper aux critiques précédentes et tout en
. .
seignement religieux des matières obligatoires, bien des maîtres qui s'efforcent,
avec une audace sans pareille, d'éteindre l'esprit chrétien dans l'âme des enfants
et d'y semer les germes de l'impiété ». Et, constatant que les écoles catholiques
ont commencé à s'en rapporter à la doctrine philosophique de S. Thomas, tout
en se proposant de la mettre en harmonie avec les progrès et les découvertes
modernes, il estimait qu'une chaire où l'on interpréterait les doctrines thomistes
préserverait les jeunes gens des doctrines matérialistes et naturalistes, ferait
acquérir à ceux qui seront appelés aux honneurs, aux charges publiques, à la direction
des cités, une conviction chrétienne et philosophique qui se graverait profondé-
ment dans leur âme. M. l'abbé Mercier, professeur de philosophie au petit sémi-
naire de Malines, fut chargé du nouveau cours.
En 1884, les catholiques reprenaient le pouvoir. Les communes eurent dès lors
le droit de faire figurer l'enseignement religieux sur le programme d'une partie
ou de la totalité de leurs écoles; furent autorisées à adopter une ou plu-
elles
nombre par les catholiques depuis 1879.
sieurs des écoles libres fondées en si grand
On revenait ainsi à une instruction essentiellement chrétienne et on se débarras-
sait de « maîtres peu orthodoxes » Plus tard les Chambrés, votaient une loi sco-*
.
Picavet 1G
242 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
une somme autrement considérable pwt répondre à tout ce qu'on doit attendre
d'un Institut digne de 'l'Université de Louvain. Mais nous nourrissons l'espoir
que l'on recueillera des fonds en rapport avec l'entreprise ».
L'attente de Léon XIII ne fut, pas trompée. Les dons affluèrent et l'Institut put
s'adjoindre,un séminaire important, qui fournit des professeurs de philosophie
aux grands séminaires des diverses nations et qui reçoit, pour y faire leur philo-
sophie, bon nombre d'abbés.
Le pape songeait-il uniquement à faire de cet Institut un Collège romain à
l'étranger, une succursale de l'Ecole Cbrnoldi? Les ennemis récents de l'Institut,
écrit C. Besse, ont eu le droit de: le soutenir, d'après le ton des brefs et la teneur
des principales considérations qui y sont développées. C'est à son directeur,
Mgr Mercier, qu'il revient d'avoir maintenu, accentué et accru le programme du
pape et d'avoir créé un thomisme dégagé de toute initiative et de tout plagiat
romain, d'avoir construit une philosophie qui soit, sinon indifférente à la théo-
logie, du moins exempte de servilisme théologique, puis de s'être appliqué à
trouver dans S. Thomas un terrain d'entente entre la philosophie et la science
proprement dite (1)..
11 semble bien cependant que Léon XIII ait nettement indiqué, dans ses diffé-
rents brefs, la voie qu'il convenait de suivre. Sans doute, il vante « le vaste
savoir et le zèle plein d'ardeur, notamment en ce qui concerne les disciplines
philosophiques » de Mgr Mercier, mais il espère que les catholiques reconnaî-
tront « que le sort de la jeunesse est enjeu; qu'il faut employer tous les moyens
pour inculquer à l'esprit des jeunes gens les principes d'une saine philosophie
et d'un* science solide, en vue d'éviter qu'ils ne soient entraînés par la contagion
de l'erreur, de toutes parts répandue ». En constatant, le 7 mars 1894, que la
tion de cet Institut est un fait accompli, il écrit que la philosophie est, pour
îa science sacrée, une habile auxiliaire (adjutrix), pour les autres sciences, un
guide naturel, tout en affirmant qu'il n'y a de bonne philosophie que chez ceux
qui, par de longues études, se sont entièrement familiarisés avec la méthode et
la pensée des docteurs scolastiques. Et il ajoutait « l'Eglise est faussement accu-
:
d'une excommunication qui le menace, pu enlacé dans des dogmes qui le gênent
et que pour rester fidèle à sa foi, il doive renoncer à l'amour désintéressé et à;
la culture libre de la science. De là la défiance qui l'accueille. Une^publication
qui émane d'une institution catholique... est traitée... comme une thèëe d'apolo-
gétique, à laquelle on refuse a priori les honneurs d'un examen impartial et
objectif » (1).
Et Mgr Mercier semble dire que les adversaires des catholiques, ou même les
purss savants n'ont pas tort. « Les catholiques se résignent trop facilement au
rôle secondaire d'adeptes de peu, parmi eux, ont l'ambition de
la science et trop
travailler à ce que l'on a nommé la science à faire trop peu visent à rassembler
;
et façonner les matériaux qui doivent servir à former dans l'avenir la synthèse
rajeunie de la science et de la philosophie chrétienne... les matériaux sont
groupés, rangés, classés sans nous, trop souvent contre nous et l'incrédulité
accapare à son profit le prestige scientifique qui ne devrait servir qu'à la propa-
gation de la vérité ».
11 faut donc former des hommes qui se vouent « à la science pour elle-même » ;
élargir les cadres de l'ancienne philosophie, avoir des chercheurs et des maî-
tres... pour la physique pour la géologie et la cosmogonie, pour la
et la chimie,
biologie et pour les sciences archéologiques, philolo-
les sciences naturelles,
giques et socialesu.. qui conquièrent le droit de parler au monde savant et de
s'en faire écouter... afin de répondre par des faits actuels et vivants « à l'éter-
nelle objection que la foi et la raison ne sont pas compatibles ».
Mgr Mercier a divisé d'abord son Institut en trois grands compartiments.
Dans l'un, on étudie la cosmologie ou philosophie de la matière, en connexion
avec la physique, la chimie, la minérafogie, la cristallographie et les mathéma-
tiques supérieures dans le second, la psychologie ou philosophie de la vie, en
;
met l'histoire.
il y a une double série de cours,
cours d'analyse, avec les faits, les expé-
les .
riences, les exercices pratiques cours de synthèse, avec les principes et les
; les
lois qui les organisent et les systématisent.
Mgr Mercier s'est réservé l'enseignement de la métaphysique générale et de la
théodicée et il en a consigné les résultats dans de nombreux volumes (2).
aperçu sur la philosophie antique (voir ch. X), qiu' forme le sixième volume du Cours
de philosophie de Mgr Mercier.
(2) C'est l'auteur du septième volume du Ç6urs de Mgr Mercier, Cosmologie ou philo-
sophie naturelle.
(3) Il y a des cours généraux en 1903-1904, Mgr Mercier donne 4 heures 1/2 par
;
dans le second semestre, le cours d'histoire de la philosophie du moyen âge est tait par
lui en deux années. M. Thiéry consacre deux leçons, par semaine à la psycho-physiologie
dans le second semestre, trois à la physique, dans le premier; M. Nys, trois leçons à la
chimie dans le premier semestre. Des cours spéciaux sont faits, pour une première sec-
tion, par M. Sihenaler, trigonométrie, géométrie analytique, calcul différentiel, par
M. Meunier, biologie générale, notions de botanique et de zoologie, avec exercices
pratiques, par M. Ide, anatomie et physiologie générales pour une seconde section,
;
(4) Voici les cours généraux M. Nys, la Cosmologie, trois heures pendant le premier
:
semestre, cinq pendant le second Mgr' Mercier, la Psychologie, deux heures chaque
;
semaine pendant les deux semestres; M. Thiéry, la Psychophysiologie, deux leçons pen-
dant le second semestre; M. J. Forget, la philosophie morale, deux leçons pendant le
premier semestre, trois pendant le second M. de Wulf, Histoire de la philosophie
;
médiévale, en deux années, une leçon pendant le premier semestre, Histoire de la phi-
losophie ancienne, deux leçons pendant le second semestre M. Ide, anatomie et phy-
;
siologie, trois heures pendant le premier semestre. Des cours spéciaux sont donnés, pour
une première section, par M. Sibenaler, calcul intégral, deux leçons pendant le premier
semestre, par M. Pasquier, mécanique analytique, deux leçons pendant le premier
semestre, par M. Ide, embryologie, histologie et physiologie du système nerveux,
deux heures pendant le premier semestre, par M. Kaisin, notions de minéralogie et de
cristallographie, deux heures pendant le second semestre pour une seconde section, par
;
dant le second semestre ; M. Deploige, le droit naturel ét le droit social, 6 heures pen-
dant le premier- semestre Mgr Mercier, La Théodicée, une leçon pendant les deux
;
second semestre M. Becker, la Théodicée, 3 heures pendant les deux semestres. Des
;
conférences sont faites par M. Forget, Exposé scientifique du dogme catholique, par
L. de Lantsheere, La philosophie moderne, La philosophie de l histoire, par M. Pas
quier, Les hypothèses cosmogoniques, par M. Van Overbergh, Le socialisme contempo-
rain, par M. Legrand, La littérature française contemporaine. Des cours pratiquer
ont lieu au laboratoire de psycho- physiologie, sous la direction de M. A. Thiéry, au labo-
ratoire de chimie, sous celle de M. Nys, a la conférence de philosophie sociale, sous celle
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 245
tique, il a appelé l'attention des érudits et des penseurs étrangers à la foi chré-
tienne sur un monde d'idées qui leur était généralement inconnu ». Il indiquait
que la Revue chercherait à concilier les leçons de la sagesse antique avec les
découvertes modernes, qu'elle s'intéresserait, par conséquent, aux sciences phy-
siques, biologiques, politiques et sociales, qu'elle rapprocherait les synthèses
préparées par elles des doctrines traditionnelles de l'Ecole.
Une place considérable a été faite à la polémique. La Revue néo-scolastique
a combattu le positivisme, le matérialisme, l'athéisme, les formes anciennes ou
les spiritualistes outrés, tributaires de' Cousin, en vogue surtout dans le clergé
français, mais elle insiste sur ce qui a remplacé le cousinisme, un autre excès
d'idéalisme bier; pins dangereux, le phénoménisme issu de Kant. « Telle est, de
fait, écrit-elle, la philosophie officielle en France, enseignée en Sorbonne, non seu-
lement aux jeunes gens, déjà viciés par une éducation antérieure, mais même aux
catholiques et aux prêtres, forcés par l'état défectueux de l'enseignement supé-
rieur et par les tracasseries d'en haut de se laisser servir ces idées subversives ».
Et pour parer aux affreux ravages qui se sont produits dans les rangs des
<r
catholiques français, pour échapper au danger imminent qui menace les croyan-
ces », elle proclame la nécessité d'étudier le néo-thomisme. L'année suivante,
elle revient sur « l'irréductibilité des deux systèmes en présence, sur l'antago-
nisme des deux mondes représentés par Kant et Thomas d'Aquin » « le chris- :
du renégat qui reproduit plus exactement que personne l'idée que Spinoza se faisait de U
haine », de « nos maîtres détraqués du pouvoir », de Combes, « balourd prétentieux ».
« L'ouvrier et îe bourgeois anticléricaux, dit-il encore, assez inoffensifs en temps ordi-
naire, firent, pour l'amour de M. Combes, cause commune avec l'anarchiste et l'apaclie. ..
Les microbes jusque-là réputés neuves prirent une violence extraordinaire. Le spiritua-
. .
lisme des Cousiniens était indirectement anticlérical... Avec Renan, on eut un simple
épîcurïsme intellectuel .. Buisson .. le grand ouvrier de la laïcisation.
. laissait croire
. .
aux protestants qu'il travaillait pour eux, aux catholiques qu'il n'était pas leur ennemi ;
cependant qu'il ne travaillait, en réalité, de concert avec Pécaut et Steeg que contre
l'Eglise... L'école athée. il la voulait et s'
. . l'a... L hypocrisie de nos philosophes est
tombée. le jour où ils se sont sentis les plus fortes
. L'Etat-Idole a, dans les 36.000 com-
.
munes de France, un groupe d'idoles plus petites. petite^ idoles devenues ennsiées. ..
. .
La cynique parole du ministre Pelîetan, « Il n'y a que deux partis, celui uni profile des
abus cf. celui qui en est In victime ». Toutes les roueries parurent bonnes
. .
La défense
. . .
républicaine, ironie et haine mêlées... L'Etal, soit dans ses chaires d'ense^ncmeni,
•• -
comme la vie morale, écarte a 'priori, tout théologisme, toute théorie de l'absolu,
qui ramène tous les rapports moraux, comme les rapports sociaux au respect der
la personne humaine, et le vieux Décalogue, l'éducation religieuse qui doit en
tout temps se considérer comme chez elle à l'école sans épithète.
La Revue néo-scolastique critique ce que M. Brunetière dit des faillites « par-
tielles de la science » elle paraît regretter, avec Léon XIII (1901, p. 84) que
;
(1) Mai 1899, Un cri d'alarme, Mgr Mercier répond à Billia, qui dans « Uesiglic di
Atfostino » avait appelé le néo-thomisme un système de philosophie « par décret, par
obéissance » et s'était moqué, en rosminien plus qu'en chrétien, du Congrès des savants
catholiques de Fribourg. « Il nuovo simbolo, disait-il, sara credo in unum Condilla-
chium patrem philosophorum omnipotentem, et chi non giuri nella tabula rasa sia
anatema. Aspettianioci che il prossimo congresso faccia un falo (jelle opère di S. Agostino
anzi délie lettere di S. Paolo».
(2) « 11 existe une question juive, parce que, disséminés par le monde, les Juifs ont en
tous pays un caractère religieux et économique qui les isole. .
. .. Certes la fameuse question juive a été maintes fois résolue, de parti pris, dans un
sens défavorable à Israël. Antisémitisme, terme adopté par nos contemporains
tel est le
que et ne devrait être nulle part. Boutez-le dehors, peuple autochtone! » Et sur cette
idée, un parti s'est constitué, très bruyant par moments en France, et remarquablement
organisé en Autriche. .
L'objet de cette étude est de préciser ia solution donnée par S. Thomas d'Âquin à îa
y
complexe question juive et d'apprécier son antisémitisme. . .
... Ses dispositions à leur égard peuvent se résumer en deux mots: « Point d'hos-
tilités. Rien que dès mesures défensives. Liberté pour les Juifs, protection pour les
chrétiens.
Liberté pour les Juifs qu'on s'abstienne de leur faire violence pour les convertir au
!
christianisme. qu'on évite de baptiser leurs enfants si les parents y font opposition,
. .
Protéger la religion des chrétiens contre les tentatives de corruption des Juifs, tel est
son postulat antisémite. Les mesures pratiquement recommandées sont, les unes d'appii
cation universelle., les autres liées à l'état social eî politique du moyen âge... C'est
.. . .
d'abord recommandation faite aux catholiques d'être prudents dans leurs relations avec
la
les Juifs... Le conseil donné par S. Thomas est de bon sens élémentaire. Il est l'écho
du « Ne ave eis dixeritis » de l'apotre S. Jean, que la bouche autorisée de l'Evêque dè
Liège rappelait naguère à propos de l'hérésie socialiste. .
religion chrétienne pénètre intimement les institutions et le premier devoir des princes est
d'en favoriser l'expansion. Ils sont, comme les collaborateurs de l'Eglise dans son auguste
mission et au besoin ils mettent leur épée à son service... N'eût-il pas été absurde..:
d'accorder une part d'autorité dans le gouvernement ?. contradictoire de nommer sous-
. .
j
sans indemnité, pour cause religieuse).
,
Il était nécessaire ensuite que, pour se garder du commerce des Juifs, on pût les discer-
ner des chrétiens. L'idée vint de marquer la qualité des Juifs dans leur accoutrement.
Cette pensée paraîtrait pour le moins singulière à notre époque où tout le monde s'habille
de vêtements uniformes mais aux gens du moyen âge, qui aimaient la variété des costu-
;
mes, cela devait sembler moins extraordinaire. La désolation de Graetz quand il narre cet
épisode de l'histoire d'Israël, est au moins très exagérée. .
analysé dans son pays les organes principaux de la vie nationale.. Il a procédé par
induction Son antisémitisme est le fruit de ses études de psychologie sociale.
. Pour lui . .
la question juive n'est pas une question religieuse, mais une question sociale et économi-
que. C'était faire la partie belle aux avocats dé la synagogue. Les Juifs, une race dis-
. .
tincte ? se sont-ils écriés. Mais rien n'est moins démontré. ... Ces critiques adressées à
l'antisémitisme qui réduit la question juive à un conflit de races n'en laissent pas moins
subsister le fait que le Juif a partout une physionomie particulière... L'insoeiabilité et
l'exclusivisme d'Israël sont indéniables ; les écrivains juifs eux-mêmes le reconnaissent.
Où- donc est l'explication dernière et vraie de permanence des Juifs comme nation dis-
la
tincte, malgré leur dispersion au milieu des peuples? Dans le sang, dans la race? Non
encore une fois. Elle est dans la religion juive. C'est elle qui a maintenu le type juif par-
tout et toujours, avec ses particularités physiques et mentales, avec son inassimilabilité,
sa morgue et son immense orgueil. . . La religion talmudique est une religion dr corps..
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 249
dans leurs relations avec les juifs et surtout ne leur accorder aucune part d'auto-
ritédans le gouvernement, aucun accès aux fonctions publiques ou aux profes-
sions qui leur donneraient autorité ou influence sur les catholiques. De là la
nécessité d'imposer aux juifs, pour les distinguer des chrétiens, un accoutrement
où le rituel minutieux, les prescriptions légales sur là nourriture, sur l'hygiène, ont eu
leur contre-coup physiologique. . . Elle a encore façonné le cerveau juif par les pratiques
cultuelles et l'enseignement de ses docteurs. Le culte a gardé un caractère national. Les
cérémonies juives ne sont qué la commémoration des joies et des deuils d'Israël. Jérusa-
lem. .reste la Patrie.
. Le Juif demeure un nomade.
. . Il méprise et exploite les autres . .
peuples. .. Faire de la question juive une question de race, c'était aussi en compro-
mettre les résultats futurs.
Tel qu'il est cependant, l'antisémitisme de Drumont a du bon ; ses livres sont des traités
de pathologie sociale; ils ont fixé l'attention sur le mal dont souffre la France Et si le
diagnostic est erroné, on peut le rectifier. Ce n'est pas en effet le sémitisme qui a conquis
ia France, c'est l'athéisme. La Révolution rompit les sécula'res attaches sociales avec
. .
l'au-delà. Toutes les opinions philosophiques et toutes les confessions religieuses acquiè-
. .
rent droit de cité. La religion du vrai Dieu cessant d'être la religion officielle dans l'Çtat
devenu neutre, la religion de l'or et celle du plaisir ont bientôt d'innombrables fidèles,
les Juifs se font les salariés du nouveau culte. S.Thomas et ses contemporains étaient . .
mieux inspirés. La religion catholique est le principal élément vital pour la société
. .
comme pour l'individu ; l'attaquer, c'est se faire tueur d'âmes et ce crime est puni comme
homicide... Il suffisait (selon S.Thomas) d'empêcher les Juifs de mettre la main à la
« machine sociale », leurs conceptions des choses étant autres, ils l'auraient fait « fonc-
tionner en subversif ». Le droit public médiéval fut plus sévère pour les Juifs que les
canons dé l'Eglise romaine, et le législateur civil ne se contenta pas de l'antisémitisme
purement défensif des Papes et des conciles. Il les relégua dans les bas-fonds de l'édifice
. .
social; il les rejeta dans la catégorie des serfs... Au xme siècle... non seulement en
Allemagne, mais encore ailleurs, les Juifs étaient hors cadre, avec une liberté personnelle
réduite, un droit de propriété précaire et des obligations onéreuses envers le fisc... Le
Juif était devenu serf quand S. Thomas parut... Sa pensée peut... se résumer en deux
mots Il ne faut pas déduire du principe que les Juifs sont serfs, des conclusions que ne
:
renferme pas le principe. Dans l'application des conséquences licites de la théorie, il faut
s'abslenir d3 toute rigueur. S. Thomas fait prompte justice de la théorie d'après laquelle
. .
baptiser les enfants juifs est licite Dans la rigueur du droit, écrit-il, il est certes per-
. .
mis au seigneur d'exiger des redevances, puisqu'en principe les biens mêmes des Juifs lui
appartiennent. Mais il faut éviter d'aller aux extrêmes. Pourquoi irriter les Juifs? pour-
quoi les aigrir, les exaspérer et vous faire maudire d'eux? Soyez large; ne les vexez pas
par de nouvelles tailles. Laissez-leur le nécessaire et abstenez-vous, par une intervention
fiscale plus exigeante de déranger leur habituel train de vie. Contentez-vous, si toutefois
rien ne s'y oppose d'ailleurs, de lever les impôts qu'ils 'ont eu coutume de payer à vos
prédécesseurs. La douceur et l'humanité recommandées en l'occurrence par S. Thomas
. .
ont toujours été prêchées par l'Eglise romaine. Excusables ou non, les Juifs contempo- .
sont injustement enrichis par l'usure. .. les pouvoirs publics auront d'abord à contrain-
dre les Juifs à restitution:. puis à verser entre les mains des citoyens volés par les Juifs
. .
tim s de l'usure, si elles sont mortes ou émigrées, il faudra affecter l'argent repris aux
Juifs, à des œuvres pies ou à des travaux d'utilité générale... C'est assurément une
ingrat; et peu profitable besogne «pour le prince de faire dégorger toujours les sangsues
juives et d'injecter le sang dégorgé aux vict mes saignées. Mais, dit S. Thomas, il peut se;
prévenir? Tolérer que les Juifs demeurent oisifs et vivent en parasites, c'est- une inintelli-
gente et coupable politique. Que l'autorité publique les oblige donc à être dans le corps
social des membres producteurs Qu'elle les contraigne à chercher des moyens.de subsis-
!
tance dans le travail utile, au lieu de les laisser se nourrir aux dépens des autres. Des
princes. notamment S. Louis ont suivi la politique que recommande S. Thomas. Le .
souvenir de ces liquidations d'autrefois est sans doute revenu à l'esprit de Drumont
quand il a écrit, « Imitons S. Louis. Mettons sous les verrous trois cents individus juifs,
catholiques ou protestants de naissance, mais qui se sont enrichis par le système juif,
c'est-à-dire par des opérations financières. Forçons-les à nous restituer les milliards enle-
vés à la collectivité contre toute justice. . . »
Concluons . . De Dieu, à Dieu, par telle est la devise du navire qui porte
le Christ,
les passagers de l'Etat chrétien. A cette devise, la religion des Juifs leur interdit de
souscrire... Que faut-il en faire? Les maltraiter, les. jeter à l'eau ou à fond décale?
Nullement. Il suffit de ne pas leur laisser la boussole et de les tenir à distance du gouver-
nail. Les idées religieuses et morales d'Israël sont subversives d'une société constituée
. .
sur des bases chrétiennes. La saine raison commande d'eplever au Juif toute influence sur
la formation des esprits et sur la direction des affaires. Que les particuliers lui ferment
donc leurs salons et que l'Etat l'exclue des bureaux de son administration! Tout aussi
rationnelle est la solution thomiste de la question économique... Les Juifs n'apportent
rien, ils enlèvent ; ils n'aident pas leurs associés, ds les exploitent. Gela n'ést pas admis-
sible. L'Etat, qui a souci de sa conservation et de son progrès, ne peut tolérer qu'ils vivent
en parasites au détriment des producteurs il doit leur imposer le devoir de la coopéra-
;
tion mutuelle qui est une exigence primordiale de la vie sociale. La Révolution française
a rompu avec cette politique qui fut celle de tout le moyen âge chrétien. Elle a résolu la
question juive par la liberté. Et voilà que la question juive se pose à nouveau.
. L'an- . .
tisémitisme qui était jadis dans les lois, reparait dans les livres des écrivains, dans les
journaux des propagandistes, dans les sentiments du populaire. Que sortira-f-il du mou-
vement... Les antisémites eux-mêmes l'ignorent. Ne feraient-ils pas toujours bien de
méditer la solution thomiste? Nous le pensons. Et nous croyons aussi qu'il faut souhaiter
aux Juifs de ne pas voir le triomphe de solutions plus sévères ». Toutes ces citations sont
textuelles, nous n'avons pas besoin de le répéter.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 251
S*ils se sont injustement enrichis par l'usure, les pouvoirs publics devront les
contraindre à restitution puis verser, entre les mains des citoyens volés par eux,
;
social, des membres producteurs, à chercher par le travail utile, leurs moyens
de subsistance. Sur le navire qui porte- lés passagers de l'Etat chrétien, il ne
faut ni maltraiter les j'uifs ni les jeter à fond de Câle ; maïs il ne faut pas davan-
tage leur confier la boussole ou le gouvernail. Par conséquent, les particuliers
leur fermeront leurs salons et l'Etat les exclura de son administration. Enfin
l'Etat leur imposera le devoir de la coopération v utuelle, qui est une exigence
primordiale de la vie sociale. Et l'auteur souhaite aux juifs de ne pas voir le
triomphe de solutions plus sévères, si l'on renonce, à s'inspirer de la Révolution
française qui, en résolvant la question juive par" i liberté, a rompu avec la !
(t) Voir au chapitre X les critiques que M. de Wulf adresse dans son Histoire de la
philosophie médiévale à ceux qui ne sont pas thomistes et catholiques.
(2) Février 4903, p. 38. Voir mai 1901, p. 210. L'auteur explique qu'au titre dp Revue
des sciences philosophiques, qui n'effarouchait personne, mais ne symbolisait pas je
programme de la Société philosophique, on préféra celui de Revue néo-scolasfique. qui
pouvait effaroucher, mais traduisait bien ce programme. Les lacunes et les imperfections
qui pouvaient exister dans !a scolastique, comme dans toutes les œuvres humaines...
expliquent que ceux qui l'ont reprise ont eu raison de différencier momentanément leur
philosophie de la scolastique d'autrefois : « Nous disons momentanément, car si notre col-
fiance s'est ras téméraire, ce nom de néo-scoJastique, que nécessite une période de tran-
sition, fera de nouveau place à celui de scolastique, peut-être même à ceiu delà philoso-
phie tout court »
En raison de cette tendance, qui paraît en opposition manifeste avec les polé-
miques précédemment relevées, la Revue nèo-scolastique fait une place considé-
rable aux questions scientifiques. Elle traite des bases physiologiques delà
parole rythmée et de l'origine des contes populaires, de la vue et des couleurs,
des nucléoles nucléiniens, des esprits animaux et de la définition de la masse, de
l'hypothèse et de l'induction scientifiques. Et ces recherches rejoignent celles où
est abordée la métaphysique, à propos de la notion de vérité, du principe de
raison suffisante en logique et en métaphysique, de l'espace» du temps, de la
durée et de l'objectivité de la connaissance intellectuelle, de la philosophie, de
l'ancienne métaphysique et des sciences, des hypothèses cosmogoniques, de la
philosophie de la contingence, du beau dans la nature et dans l'art. La Revue
rend compte des Congr,ès de psychologie expérimentale, d'anthropolbgie crimi-
nelle, de philosophie. Elle aborde les questions morales et sociales ainsi elle
:
(4) îmtitutiones juris naturalis par T. Meyer, Logicalas par T. Pesch, Philoso-
phiœ naturalis par T. Pesch, Pêychologicœ par T. Pesch, Theodicenœ par J. Hou-
theirii.
-
e
LA RESTAURATION THOMISTE AU XÏX SIÈCLE 253
Belgique est restée fidèle à Dieu et à l'Eglise, disait Léon XIII, en 1901,
« Si la
a conservé la religion et la foi, c'ést en grande partie à l'Université de
si elle
Louvain qu'elle le doit. C'est d'elle que sont sortis tant de catholiques éminents
qui ont occupé des positions importantes dans la Chambre.» dans les tribunaux,
dans les administrations..., elle sert aux clercs, et aux laïques, comme de Lant-
sheere, qui vient d'entrer à la ,Chambre belge >.
En succès politique des catholiques a été grand en Belgique. Maîtres
fait, le
du pouvoir depuis 1884, ils semblent devoir le conserver longtemps encore, unis
étroitement comme Jls le sont sur les doctrines religieuses, politiques, philoso-
phiques et sociales, pour lutter contre les libéraux et les socialistes, qui n'ont pu
s'allier contre leurs communs adversaires. Aux évêques qui ont la haute direction
de. Louvain, les ministres, comme le disait l'un d'eux au cours de la discussion
scolaire, n'ont rien à refuser. L'enseignement primaire est tout entier ou à
peu près entre leurs mains. L'enseignement supérieur leur appartient à Lou-
vain, qui fournit, en bonne partie, le personnel gouvernemental. C'est un des
professeurs de Louvain, C. Van Overbergh, qui en est le directeur général., tout
en continuant sés conférences, en présidant des thèses d'agrégation, comme il
préside la Société belge de Sociologie, à laquelle sert d'organe le Mouvement sociolo-
gique annexé à la Revue néo-scohstigue. Aussi les Universités de l'Etat, à Liège et
à Gand, ont-elles un nombre de plus en plus grand de maîtres dont l'éducation
s'est faite à Louvain (1). L'Université libre de Bruxelles, fondée, disait Léon Xlll,
par des francs-maçons, reste donc seule réfractaire à l'action catholique et
thomiste. Et la scission qui aboutit à la fondation de l'Université nouvelle dont
le succès ne semble pas s'être maintenu, malgré la valeur de ses maîtres, paraît
montrer que l'Université libre n'était pas aussi opposée, que le croyait le pape, à
celle de Louvain. Le thomisme a été le lien qui a rapproché de plus en plus les
catholiques belges,. qui leur a donné la cohésion et l'unité; il a indiqué aux pro-
fesseurs, aux savants, aux théologiens et aux politiques le but unique et suprême
qu'ils avaient à poursuivre. En s'unissant, ils se sont opposés nettement à tous
ceux qui ne sont pas catholiques et thomistes, aux protestants et aux Juifs, aux
francs-maçons et aux penseurs libres, même aux catholiques qui ne sont pas
thomistes ou aux thomistes qui refusent de joindre les choses nouvelles aux choses
antiques, nova et vetera, la science et la critique modernes à la théologie et à la
philosophie du xra e siècle. Et par cela même, leur accord est plus complet, puisque
toa| soutiennent les mêmes doctrines et combattent les mêmes adversaires. Aussi
les catholiques des divers pays admirent l'œuvre qui s'est faite en Belgique et sur
(!) A la soutenance publique d'une thèse d'agrégation en août 1902, assistaient avec
M. C. Van Overbergh, MM. Halleux, professeur à l'Université de Gand, de Graene, profes-
seur à l'Université de Liège, M. Halkin, professeur a celte dernière Université était à la
Même époque admis è la Société de sociologie de Louvain.
25't HISTOIRE COMPARKK DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
tout par Louvain. Et ils la proposent comme modèle à leurs coreligionnaires (1).
Des étudiants, clercs pour la plupart, viennent, à Louvain, de la Prusse Rhénane
et de la F rauce de Beyrouth et des Mies anglaises, de f Irlande et de la Sicile, de
î
1
science et à la raison, ce n'est pas pour leur demander une explication de plus
en plus compréhensive de l'univers, d'où il£ tireraient une direction exclusive de
pour
la vie individuelle et sociale (2), c'est fournir la contre-épreuve du maté-
<«
(1; Voir surtout G. Besse, Deux centres du mouvement thomiste, Rome et Louvain,
Paris, 190$.
(â) Les thomistes romains remarquent que les trois années employées à faire un docteur
ne permettent de lui donner des connaissances bien étendues, ni dans les sciences, ni
même en philosophie seolastique.
(3) Le fait que MM. Thiéry et Deploige, qui n étaient pas dans les ordres, lorsqu'ils
Turent nommés professeurs à Louvain, y sont devenus nrétres, est an indice, avec beau-
coup d'autres, de la prédominance des tendances religieuses. Sur l'histoire des iociriaes
r
philosophiques, telle qu'elle a été traitée par M. de Wulf, voir noire chapitre X Voii plue
loin l'examen des résultats généraux de la restauration du thomisme, au point de vue
scientifique et philosophique.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 255
seuls les scolastiques peuvent fournir la solution des questions auxquelles veu
lent répondre les idéalistes et les réalistes.
La Natur und Offenbarung dé Munster contient de nombreux articles sur*
l'hypnotisme et le darwinisme s'il fallait choisir, dit Gutberlet, entre la théorie
:
qui fait descendre l'homme des animaux et celle qui fait venir les animaux de
l'homme il faudrait sans hésitation prendre la dernière. Pohle y combat l'hypo-
thèse des mondes habités. On y trouve des considérations sur la psychologie et
l'évolution des sociétés de fourmis, sur le feu central, sur l'âge de la race humaine
et les hommes-singes (dryopithecus, anthropopithecus erectus) d-es temps primitifs;
sur la beauté de la nature et celle des -êtres aperçus par le microscope, sur les
guérisons miraculeuses opérées par la foi, sur le darwinisme rapproché de la
démocratie sociale et du matérialisme.
Le Katholik de Mayence, qui date de 1820, expose la doctrine du Cosmos chez
Nicolas de Cus, signale le discours où Virchow se met en opposition avec le dar-
winisme, traite des erreurs de Rosmini, examine les rapports de la conception
matérialiste du monde avec la morale et le droit. C'est par S. Thomas qu'il
résout leproblème de la liberté humaine c'est avec les doctrines catholiques
;
qu'il combat diverses théories sur l'origine de l'àme. A propos des « Sept énig-
mes du monde, Stôckl critique Comte et Mill, Spencer et Dubois-Reymond. De
l'athéisme, il rapproche le libéralisme moderne qui, par la négation d'un ordre
divin au-dessus de l'homme, .attribue à celui-ci une autonomie absolue et une
liberté illimitée. Gutberlet place S. Thomas bien au dessus de Kant Grùbçr
;
sur les rapports du capital et du travail que Lehmkul montre que le pape a
formulé les principes toujours professés et défendus par l'Eglise; que Pesch com-
bat le socialisme de Karl Marx-. Marx, dit Pesch, n'a pas tenu compte de la con-
currence il a exagéré l'importance du travail dans la production de la richesse
;
Parmi les nouvelles Revues, il faut citer les Saint- Thomasblàtter, le Jakrbuch
'
tent surtout, pour régénérer la philosophie, sur les anciens ordres religieux,
bénédictins, dominicains, jésuites, sur des hommes qui rappelleront RabanMaur,
Thomas cTAquin, Suarez.
C'est sous la direction de Gutberlet et de Pohle, professeurs à l'école philoso-
phico-théo logique de Fulda que là Revue parut en 1888. Gutberlet en indiqua le
hnt et définit la tâche de la philosophie chrétienne au temps présent. En nous
attachant à S* Thomas, disait-il, parce que c'est avec lui que la philosophie
chrétienne a acquis son plus brillant développement, nous ne nous interdisons,
nullement de l'améliorer, de le compléter et même de le contredire, quand ses
principes ne seront pas en accord complet avec la vérité. Aussi la philosophie,
ainsi comprise, ne manque ni de liberté, ni .d'indépendance et la devise de ceux
qui la défendent sera In dubiis libertas, in necessariis unitas, in omnibus caritas.
:
Bon nombre d'articles sont consacrés à S. Thomas. Cathrein traite du droit des
gens chez lesjtomains et chez S. Thomas Kaufmann, de la théorie thomiste de
;
une preuve qui fait songer au Monologium. Anton Michel, qui ne nie pas l'in-
fluence de Maimonide sur S. Thomas, s'applique à la circonscrire et à montrer
que S. Thomas S'en est servi, quand il ne développe pas exclusivement des doc-
trines judaïques, comme des autres .auteurs, pour approfondir les questions et
préciser les solutions. D'autres articles portent sur S. Thomas et les philoso-
phes grecs, sur la Cosmologie de Maimonide et de S. Thomas, sur l'âme et le
corps d'après S. Thomas.
Il en est qui ont pour objet de résoudre, en faisant appel à S. Thomas et aux
auteurs chrétiens, les questions que se pose notre monde'moderne. Ainsi Costa-
Rossetti expose la doctrine de la philosophie chrétienne sur la société. Le but de
la société constituée en Etat, c'est, d'après S.Thomas, le bien commun, ou encore
c'est, comme ditSuarez, que les hommes vivent en paix et justice avec des biens
suffisants. Et pour montrer que l'idée moderne de l'Etat, comparé à un grand
organisme, n'a pas été étrangère à la philosophie chrétienne, il cite un curieux
passage de l'auteur du de Reyimine pnncipum, où sont expliqués et rappelés les
textes d'Aristote, de S. Augustin et de S. Paul qui impliquent cette comparaison.
Puis il détermine l'origine de la société constituée en Etat. En cette matière, la
philosophie chrétienne tient un milieu excellent (goldene Mitte) entre deux extrê-
mes. Pour elle, l'Etat n'est ni l'œuvre artificielle de la volonté humaine, comme
l'a rêvé Rousseau, ni un produit immédiat de la nature au sens de Haller. 11 a
une origine médiàtement naturelle. Naturelle, en .ce sens que l'humanité, ten-
dant au bonheur, est invitée par la nature à vivre en société médiàtement;
Une vigoureuse campagne avait été entreprise autrefois par les catholiques,
surtout en France, contre la « culture païenne », en matière d'éducation. Pohle a
montré que la suppression du latin serait préjudiciable au catholicisme dans
•equel il tient tant de place ; qu'en outre, des programmes qui favoriseraient les
langues nationales et les sciences pourraient, d'un côté, diminuer l'union inter-
nationale des catholiques, de l'autre, propager des doctrines indifférentes ou hos-
tiles.. Et il a pris énergique ment ,1a défense des classiques anciens et de la cul-
ture humanitaire, en analysant les causes de la guerre qu'on leur fait de manière
à montrer à ses coreligionnaires qu'ils ont intérêt à le suivre. A ce même point
de vue, Braig insisté sur l'importance philosophique des livres scolaires et regrette
qu'on sacrifie la culture pédagogique et philosophique aux critiques, aux com-
mentaires,, aux compilations. Kadéravek réclame l'introduction, dans les facul-
tés, de la philosophie péripatético-thomiste. C'est Vraiment, dit-il, une science
naturelle et la plus élevée de toutes, qui combat les erreurs contradictoires répan-
dues par les systèmes antichrétiens des temps modernes. Elle cherche le savoir
par la logique formelle et matérielle, par la métapl^sique générale et les trois
disciplines de la métaphysique particulière, théologie naturelle, psychologie et
cosmologie. Par la philosophie morale, elle apaise la soif de savoir, tandis que
Kant, le père des systèmes antichrétiens en Allemagne, enlève de la philosophie
la métaphysique rationnelle, centre et objet capital de la pensée chrétienne. Et
cette philosophie chrétienne, non seulement il est possible, mais il est nécessaire
de l'introduire dans les Facultés. Car si les systèmes anti chrétiens y sont ensei-
HlSTOlJlK COMPARER DES PH1LOSOPHJKS MEDIEVALES
gttés, si ua« liberté raisonnable leur est accordée, pourquoi n'y posséderai t-eUe
aucune chaire?
Le Pkilosophisches Jahrbuch ne néglige pas les au-tres scoiastiques. Ainsi Endres
étudie la vie et les doctrines psychologiques d'Alexandre de Halès (p. 481), l'ori-
girie et le développement de la niéthode d'enseignement. Praxmarer expose la
-controverse entre Vasquez et Suarez sur l'essence de la loi naturelle. On examine
la Preuve de S. Anselme; on traite de Leibnitz et de la seolastique, etc.
Il est tenu compte de la science moderne. On accepte les découvertes de la psy-
passé. Ainsi Riccioii, l'adversaire de Copernic, ne l'a combattu que.parce que son
hypothèse ouvrait la porte aux erreurs des sens: La théorie physico-chimique
de fatomisme, qui ne contient pas de contradictions, n'est encore qu'une hypo-
thèse, mais elle ne présente pas les difficultés que soulevait en 1616 l'hypothèse
copernicienne.
Souvent, c'est à des réflexions religieuses que conduisent les recherches scien-
tifiques. Ainsi l'examen de la théorie du contraste esthétique permet de remar-
quer que, si. les montagnes proclament la grandeur et la puissance de l'homme,
elles proclament plus encore la puissance etia supériorité de Dieu.. De même, on
cherche et on trouve des analogies entre la connaissance de la nature et la preuve
physique de l'existence de Dieu.
On rencontrerait difficilement un aVticle qui ne contienne une ou plusieurs
critiqués des doctrines modernes. Mais il en est bon nombre qui sont tout entiers
occupés par la polémique. (îutberlet déclare absurbe toute théorie qui oie la réa-
lité du inonde extérieur, la valeur objective des principes supra-sensibles., le
finalisme dans le monde physique, de la volonté humaine et if combat
la liberté
ainsi jusqu'à soutenir que des doctrines comme celles de Wundt amèneront une
anarchie complète dans l'armée et dans 'a vie publique, parce qu'on se deman-
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX* SIÈCLE 261
dera où est la contraction musculaire d'un homme qui souffre la mort pour sa
patrie ou pour son prochain Des critiques pénétrantes, mi-partie physiques,
!
ment amélioré par l'examen des manuscrits l'autre a pour but déjuger les doc-
;
(4) Voir Revue philosophique, vol. XXXUÏ, janvier à juin 4892, Bévue des périodi-
ques étrangers, Philosophisches Jahrbueh, de 888 à 1891, pp. 100-1 1 1 Le mouv. néo-
1 ;
V homme dans V Univers ; III. Psychologie, Facultés de l'âme, Essence de l'âme, Origine
de l'âme, Rapport entre l'âme et le corps ; IV'.f Théologie. Preuves de l'existence dé Dieu,
Essence et Attributs de Dieu, Trinité; V. Morale, Liberté du vouloir et Objet de l'acti-
vité libre de la volonté, Béatitude, Moralité des actions humaines, Loi morale, Bien
subjectif et objectif, Le Mal.
"
Le thomisme et les catholiques liennent une grande place en Allemagne. Dans
son Histoire de la philosophie moderne, écrite en tchèque, l'herbartien Durdik
disait déjà, en 1877, que, depuis l'Encyclique Mterni Patris, la philosophie est'
entrée en un nouveau stade et qu'un mouvement puissant, qui fera époque, s'y
forme pour suivre cette direction. Froschammer, Eucken, Siebeck estimaient
que. cette restauration du thomisme n'était pas sans danger pour la pensée libre.
Sous la direction de Windthorst, le parti du centre forçait le prince de Bismarck
à renoncer au Kulturkampf. Placés sur le terrain constitutionnel, portant dans
leurs réunions des toasts au pape et à l'empereur, aussi soucieux que personne
d'affirmer la supériorité de l'Allemagne sur les autres pays (1). d'accord sur tous
les points en face d'adversaires divisés, les catholiques sont devenus de plus en
plus puissants, dans un pays où ils ne forment pourtant qu'une minorité (2). Au
congrès de Munich, en 1895, ils ont montré leur vitalité en insistant surtout sur
leur loyauté et leurs bonnes intentions à l'égard du gouvernement de l'Empire
S'ils demandent qu'on rende au Pape ses Etats et son armée, ils croient qu'on y
arrivera en ramenant le peuple italien au respect de la religion. L'Eglise doit
administrer en matière scolaire « L'Ecole a pour but, disent des instituteurs
:
eux-mêmes, de faire de l'enfant un bon chrétien qui aille au ciel... Le curé leur
doit certains égards, mais ils ont à le respecter et à lui servir d'instrument ». Ils
combattront la science qui n'est pas religieuse, spécialement les théories darwi-
niennes quivnous font descendre du singe, comme les livres amusants quinesont
pas approuvés par les comités catholiques. Les jeunes gens iront aux Universités
catholiques de-Fribourg ou de Salzbourg, à Louvain où nous en avons rencon-
tré plusieurs, venus surtout des provinces rhénanes. On créera une littérature
catholique et on ne fera aucune commande aux artistes qui traitent les person-
nages divins comme des personnages historiques. Par tous les moyens, disent-ils
après le Pape, on agira fortement sur la jeunesse, on écartera des maîtres les
éléments qui troubleraient leur foi. Et allant plus loin même que Léon XIII,
pour qui la philosophie est tout au moins une auxiliaire (adjutrix), ils veulent
que « la science royale, la théologie, domine, comme au moyen âge, les Univer-
sités et la science laïque ». Seuls d'ailleurs les catholiques peuvent venir efïica-
dit-il, un exemple aux savants des autres pays la supériorité de l'Allemagne est recon-
;
nue par les savants étrangers qui acceptent d'y collaborer. Il faut voir aussi ce qu'il
dit de Napoléon III dans son Etude sur les humanités (Rev. ph., janvier 1902, vol. XXXII 1,
p. 102).
(2) Aussi Le Gaulois du
28 décembre 1891 les citait-il en exemple aux catholiques
français' a quj mieux, plutôt que de perdre leur activité en de vains efforts,
feraient
de se réunir, pour former à l'exemple des catholiques allemands, un faisceau d'opposition
constitutionnelle ».
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 263
cernent en aide aux gouvernants dans leur lutte contre le socialisme. Seuls ils
pourraient encore les aider à résoudre la question agraire, en arrêtant les progrès
de l'usure dans les campagnes^)-
Le succès politique des catholiques, depuis 1805, n'a fait que grandir, en
Allemagne. Au Reichstag, ils sont de plus en plus puissants et les gouvernants
cherchent de plus en plus à leur être agréables, Il'suffit de rappeler le rôle qu'y
joue le baron von Hertling, le professeur de Munich, la nomination de'Baeu, iker
à r'Université de Strasbourg, qui peut se justifier d'ailleurs par ses travaux anté-
rieurs, celle de Spahn qui n'avait guère d'autre titre que d'être le fiïs d'un
membre militant du centre (Z), la' transformation de l'Académie royale, théolo-
gique et philosophique de Mûrtster en une Université, par l'adjonction d'une
faculté de droit et sciences politiques (3), la création d'une faculté de théologie
catholique à Strasbourg et l'abrogation de la loi relative aux jésuites qui expli-
quent mieux que tout autreévénement, l'aîliànce de l'Empire avec le catholicisme
thomiste. « La Hochsçhule, écrivait Montanus dans Y Européen, fut organisée par
les Allemands dans un esprit absolument anticlérical ét libéral. On voulait en
faire un instrument pour la propagation de la science et de la vie intellectuelle
allemande dans les provinces annexées... On appela les meilleurs professeurs et
on n'entrava nullement la liberté scientifique par des considérations de religion
ou 4e confession... Un libre-penseur radical, comme Ernst Laas, fut nommé à la
chaire de philosophie... Depuis, le centre catholique est devenu le soutien de
(4) Jules Léguas, Débats des 26 et 27 août, du 4«r septembre 1895, La Croix du
dimanche etAnnales de V Union catholique de V île Maurice, 30 novembre et 7 décem-
bre 1902, complète ces renseignements. « Pour combattre le socialisme, le centre catholi-
que a tenu en moins de 10 ans, plus de 5.000 réunions fréquentées par des milliers de
personnes. Les socialistes ont 132 journaux distribués chaque jour à des centaines de
mille de lecteurs. La presse du centre- est aidée par le Volksverein, avec son comité, avec
sa correspondance sociale qui envoie chaque semaine, gratuitement, à 250 journaux
catholiques, deux articles d'économie et de politique sociaie, qui distribue à ses
membres,
chaque année, 8 brochures traitant en quelques pages, les questions du jour et contenant
un récit populaire propre à intéresser la femme et l'enfant de l'ouvrier. D'autres brochu-
res écrites pour les membres de l'association populaire sont distribuées gratuitement ou
au prix de deux centimes. Une de ces brochures a été tirée à 480,000 exemplaires. Des
feuilles volantes pénètrent pourtant. On en a distribué en 4893, un million et demi en
quinze jours, en 4894, un million, pour le commencement de 1896, 4.250.000. En moins
de 40 ans, plusse 4 .000 réunions populaires, plus de 42 millions de brochures, de feuilles
volantes, des centaines de journaux, des milliers de travailleurs rangés sous la bannière
de l'œuvre. Les 27 bureaux ou secrétariats du peuple donnent chaque année plus de
150.000 consultations et font restituer aux ouvriers plus de 70.000 francs. L'Université
populaire fondée à Gladbach en 4892 sous le nom de cours social pratique a eu un très
grand succès. Les chefs de tout ce mouvement ont été les deux Reichensperger, Schocle-
mer, Windthorst, Ketteler, Monfang, Lieber, Hitze. Spahn, Grœber et Ballenstein. Heu-
reux peuple qui possède de tels chefs !Ses intérêts ne seront jamais livrés aux caprices
d'une vile multitude ou à haine stupide de quelques misérables sectaires » (Revue inter-
la
nationale de l Enseignement, 45 janvier 4903, pp. 70-74).
(2) Voir la Revue internationale dé l'Enseignement, 1904 et 1902.
(3) Revue internationale de V Enseignement, 45 janvier 4903, pp. 71-72, Munster
était, avefc ses 358 étudiants en théologie, la première des sept facultés catholiques
d'outre-Rhin. Le sénat académique a demandé une faculté de médecine, qui lui sera proba-
x
blement accordée.
264 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPH1ES MÉDIÉVALES
p. 105,
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 265
unis sous un pape pour qui les questions philosophiques semblent devoir passer
au second plan ? Leurs .adversaires irouveront-ils un terrain d'entente pour se
grouper et leur enlever une situation qu'ils doivent surtout à leurs discordes ?
Les progrès ou la décadence du thomisme en Allemagne dépendent de la solu-
tion qui sera donnée à ces deux questions (1).
(1) Il est à noter que l'annexion de l'Alsaee-Lorraine, dont les conséquences pèsent si
lourdement sur toute l'Europe, a, contribué à amoindrir en Allemagne l'importance des
éléments protestants, qui ont été les plus ardents à la revendiquer. Mommsen ne semble
pas s'être deuté qu'il v avait peut-être une liaison entre les deux questions.
(2) Mind XII, 1888, XIII, 1889.
(3) The metaphysics of the Schools, London, I, 1879, II, 1881, Uî, p. 1, 1884. L'œu-
vre doit comprendre 5 volumes.
(4) Parmi ces manuels nous citerons : Moral philosophy, or Ethics and Natural
266 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
influencé qui va sans cesse grandissant en matière politique et sociale (2). Aussi
a-t-on pu poser à Washington le 24 mai 1888 la première pierre d'une Univer-
sité catholique, pour laquelle Mme Galdwell seule avait donné 300.000 dollars,
en présence du cardinal Gibbons, de 4 archevêques, de 21 évêques et de nom-
breux laïques, parmi lesquels le président Cleveland. Les catholiques ont doqné
la première place aux théories sociales. Ainsi l'archevêque de Saint-Paul,
Mgr Ireland, est, dans l'Eglise et le Siècle, d'une singulière hardiesse. Aux prêtres,
il reproche de « n'avoir été admirables que de gémissements et d'avoir pris leurs
quartiers d'hiver dans les sacristies » Non seulement,' il ne déclare pas la guerre
.
à la science, mais il veut que l'Eglise « pousse le siècle à des recherches plus
profondes, à des observations plus étendues, qui ne laissent inexploré aucun
atome de matière pouvant cacher un secret, aucune particularité de l'histoire,
aucun acle de la vie de l'humanité pouvant donner la clef d'un problème ». Il
faut, dit-il encore, qué «' parmi lès catholiques, se trouvent les historiens les
plus érudits, les savants les plus expérimentés, les philosophes les plus habiles ».
C'est en Amérique, pour l'exposition de Chicago (3), que fut tenu le Parlement
des religions, dont l'objet était de « former la sainte Ligue de toutes les reli-
gions contre l'irréligion ». Par les affirmations sur l'importance du sentiment
religieux pour le bonheur de l'humanité, l'on a vu combien « paraissent creuses
les déclamations des libres penseurs qui souvent n'ont pas assez de mépris pour
ce qu'ils appellent le fanatisme et la -superstition », et aussi « qu'il ne faut pas
Law, par J. Rickaby The First principles of Knowledge, par le même, Logic, par
;
(1) Journal des Débats du 11 septembre 1895, édition du soir, Revue philosophique,
janvier 1896, p. 54. Cependant i) faut lire Revue thomiste, novembre 1902, p. 575. 'j
récit d'une conférence faite à l'Université d'Oxford par le R. P. Sertillanges.
(2> Voir les articles de M. Max Leclerc dans le Journal des Débats en 1891.
(3) Voir Revue philosophique, octobre 1895, l'article de M. Arréat et janvier 1896
notre Revue générale des travaux récents sur le néo-thomisme et la scolastique.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX P SIÈCLE 267
conclure, avec les adeptes de la morale indépendante, que la morale n'a que
faire de la religion, mais qu'au contraire les conceptions religieuses déterminent
le contenu de la morale, lui fournissent ses stimulants et ses sanctions » (1).
Les catholiques d'Amérique ont fort bien compris les avantages de semblables
réunions où ils auraient chance de ramener à eux, comme le souhaite Léon XIII,
les chrétiens de confessions^ différentes et peut-être même les adhérents des
autres religions. Le cardinafjjibbons estimait un tel congrès « digne d'encoura-
gements et de louanges », parce que. composé d'hommes éminents, réunis pour
déclarer ce qu'ils ont à offrir ou à suggérer pour l'amélioration du monde et pour
montrer quelle lumière la religion projette sur le problème du travail, la ques-
tion de l'édueation et les conditions sociales de notre époque, il ne peut que pro-
duire un heureux résultat.
Les évêques d'Amérique, réunis à New-York, déléguèrent à ce « Parlement »
le Recteur de l'Université catholique, Mgr Keane, qui trouvait le projet admirable,
digne de recevoir l'encouragement de tous ceux qui, aimant réellement la vérité
et la charité, désirent promouvoir leur règne dans l'humanité C'est seulement, .
qui offensent notre Père des cieux. Une pareille réunion d'hommes intelligents
et consciencieux, présentant leurs idées religieuses sans dénigrement, sans acri-
monie, sans controverse, avec l'amour de la vérité et de l'humanité, sera un
événement bien honorable dans l'histoire de la Religion et ne pourra manquer
de produire un grand bien ». Pour Mgr Ireland « la conception d'une pareille
assemblée religieuse est presque une inspiration ».
Pohle a jugé sévèrement dans le Philosophisches Jahrbuch (VIII, 2, p. 247/. le
Catholic University Bulletin, fondé par l'Université de Washington, parce que les
Américains et les Irlandais en ont exclu les professeurs allemands et françaié ;
parce qu'ils n'ont pas mémi^une fois mentionné leurs travaux dans la chronique,
parce que l'éditeur de cette entreprise peu chrétienne et peu heureuse (vnchrist-
Itche und unkluge Gebahren) s'est mis par ce « boycottage » en opposition avec lés
instructions de Léon XIII et produira une fort mauvaise impression sur les
facultés catholiques de Paris, de Lille, de Louvain, de Fribourg. Quant aux uni-
versités allemandes, ajoute Pohle, le nouveau journal devra, pour mériter leur
attention et justifier scientifiquement son existence, atteindre au moins la hau-
teur élémentaire d'un compte rendu objectif (2).
D'un autre côté, Léon XÎII condamnait, le 22 janvier 1899, un certain nombre
de doctrines défendues par des catholiques américains, dont le plus marquant
était le P. Hecker (3). Il se prononçait contre quiconque prétend que le dépôt de
la foi n'est pas essentiellement immuable, que la foi de l'Eglise est susceptible de
progrès en ce sens qu'on y peut ajouter des vérités nouvelles, en supprimer ou
devait, surtout et avant tout, rester fidèle aux grands enseignements théolo-
giques, philosophiques et doctrinaux <ki xm e siècle.
(1)Voir Ueberweg-Heinze. Gesck. der Ph. der Neuzeit, II. 4897, pp. 499 et suivantes.
Revue philosophique, XXXIII, p. 288 ; Eue Blanc, III, 589.
(2) Historia de la filosofia del siglo XIX (préface de Mgr Mercier), 1903.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIECLE 269
et les conséquences terribles de ees doctrines, nous les touchons dans ces horribles
attentats et dans ces maux sociaux si graves qui menacent de destruction la
société et la civilisation ». Don Sarda y Salvany soutient que le Libéralisme est
un péché; puis dans Maçonnisme £t catholicisme, que « le naturalisme contempo-
rain.... conduit à la domination sociale de la secte antichrétienne.. ^ que le remède
au libéralisme est dans le retour à la doctrine intégrale, philosophique et sociale
de l'Eglise » (1),
En Portugal, l'Histoire de la Philosophie de Lopez Praça (Historia da phil. em
Port. Coimbra, 1868), comme les articles publiés dans la Revue de Lotivain mon-
trent qu'on y est resté le plus souvent fidèle à la philosophie scolastique et tho-
miste (2).
la
des plus puissants qui, a-t on écrit, fut encouragé par Léon XIII (3), mais qui
ne semble pas avoir été en liaison constante avec le thomisme. Des difficultés y
ont été soulevées par l'institution du mariage civil et de la liberté religieuse. Des
tentatives ont été faites pour amener à Salzbourg l'établissement d'une Univer-
sité essentiellement catholique (4), qui augmenterait en Autriche l'influence des
thomistes^ En Hongrie, s'est formée à Buda-Pest une Société de S. Thomas, qui
a pour organe la Revue Boïescieti-Folyoirat. La philosophie néo-thomiste est
devenue maîtresse dans tous les séminaires. A côté du professeur Kiss qui a
publié, dès 1886, le Bôkscleti-Folyoiratet présenté, en 1895, au Congrès interna-
tional des catholiques, un Mémoire sur la classification des catégories, se placent
Haidn, avec un manuel de psychologie, Lubrich, avec un traité de cosmologie,
Korary, qui a combattu le transformisme et le positivisme, Szilvek, Klinger, etc. (5).
En Bohême, Pospisil a donné une Philosophie d'après les principes de S. Thomas
d'Aquin (1883), Hlavaty, une Analyse de la 'philosophie de S. Thomas (1885),
E. Kaderavek, des écrits sur l'âme humaine considérée en soi (1,883), sur la compa-
raison de là philosophie chrétienne avec quelques philosophies modernes (1885), sur la
Psychologie (1894) Wychodil, des Preuves de V existence de Dieuet leur histoire (1 889),
;
On pouvait croire que la France serait au premier rang parmi les pays catho-
liques où l'on restaurerait le thomisme. En vertu de la loi de 1875 sur la liberté
de l'enseignement supérieur, des Facultés catholiques ont été fondées à Lille, à
Paris, à Lyon, à Toulouse, à Angers. Dans ces Facultés, comme dans la plupart
des séminaires, on a enseigné la philosophie et la théologie scolastiques, c'est-à-
dire le thomisme, complété selon les instructions de Léon XJIL Et les catholiques
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX* SIECLE 271
qui se sont ralliés à l'Encyclique Mterni Patris se sont de même attachés à faire
triompher les idées exposées dans celle qui traite de la condition des ouvriers.
Le Play (1806-1882) a fondé une école, dont l'organe est la Réforme sociale et dont
les disciples se sont divisés vers 1885. Les uns se sont rapprochés de l'école libé-
rale, comme Claudio Jannet, professeur d'économie politique à l'Institut catho-
lique de Paris, qui fut, à côté de Mgr Freppel, un des chefs de la Société catholi
que d'économie sociale et qui s'est montré défavorable aux économistes catholiques,
auxquels il a appliqué l'expression de « socialistes chrétiens ». D'autres, comme
MM. de Mun, de la Tour du Pin, Chainbly, Léon Harmel, le P. de Pascal, le P.'
du Lac, etc., dirigent ou suivent le. mouvement d'où sont sorties VŒuvre des
Cercles catholiques et la Revue Y Association catholique. A ces tendances sociales se
rattachent le Monde et Y Univers, les Croix de Paris et des départements, fondées par
les R. P. Assomptionnistes, l'abbé Garnier et ses journaux, Y Union nationale et le
Peuple français ; la le XX e siècle h Marseille
Démocratie chrétienne à Lille ; la Socio-
;
logie catholique à Montpellier France libre à Lyon, etc., etc Les partisans de
; la
Claudio Jannet, comme M. Joseph Rambaud, professeur d'économie politique à
l'Institut catholique de Lyon, sont restés attachés à la monarchie. Les défen-
seurs des cercles catholiques ont accepté, comme le souhaitait et l'indiquait
Léon XIII, les institutions républicaines. Les uns et les autres se sont toujours
présentés comme les adversaires des doctrines socialistes et révolutionnaires.
Da ns les Facultés catholiques, le thomisme est dominant. A. Angers, Mgr Sauvé,
le premier recteur, l'ami du cardinal Pie et de Mgr Gay, suivit les directions de
divers ouvrages sur Boèce, sur la doctrine thomiste de la connaissance, sur l'En-
cyclique Mterni Patris le P. Fontaine, diverses études relatives à l'apologétique
;
civile, réunit des textes empruntés aux Pères, aux docteurs, aux théologiens»
aux orateurs, aux publicistes; à S. Thomas, à Bannez, à Suarez, pour établir,
après Léon XIII, que la formule « omnis potestas a Deo » s'applique au pouvoir et
non à la personne du prince. Bossuet lui-même, le défenseur de ces « libertés
gallicanes », qui n'étaient que la « liberté de l'Eglise 'confisquée au profit de la
puissance civile », n'a-t-il pas écrit que « le pouvoir des rois ne vient pas telle-
ment de Dieu qu'il ne vienne du consentement des peuples », et encore que « les
empires, quoique violents, injustes et tyranniques d'abord, peuvent devenir légi-
times par la suite des temps et le consentement des peuples » ? Le chanoine
Didiot a écrit une Logique surnaturelle, une Contribution philosophique à l'étude des
sciences, un volume sur S. Thomas d'Aquin. Son recteur, Mgr Baunard est l'au-
teur de travaux sur les idées pédagogiques de Platon, sur S. Théodulphe, sur
S. Jean, sur S. Ambroise, le cardinal Pie, le cardinal Lavigerie, sur Jouffroy et
sur Un siècle de l'Eglise de France (1).
(I)Nous avons mentionné plus haut ce que la Revue nèo-sco las tique dit du professeur
et du recteur voir aussi Elie Blanc, III, pp, 191, 572.
;
272 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHAS MÉDIÉVALES
A Lyon, nous trouvons Mgr Guiol, le premier recteur, qui « bien rw'apparte-
nani par son éducation à une autre écoJe, favorise, par tous les moyens, la
renaissance et le développement de la philosophie de S. Thomas ». Le second
recteur Mgr Dadolle, s'occupe surtout d'apologétique et d'édi*eation. Puis l'abbé
Jaugey, qui professe la théologie -morale, publie la Controverse, quand les Jésuites
suspendent en 1880 leurs Etudes. Il ("onde ensuite la Science catholique et dirige un
Dictionnaire d'Apologétique, auquel collaborent Mgr de Mariez, MM. Didiot,
Vacant, etc. Surtout l'abbé Elie BJanc, dont nous examinerons l'Histoire de la
philosophie (ch. X). y défend le thomisme dans un Traité de philosophie scolas-
tique, kon'oré d'un bref de S. S. Uon XTIf,eA dans une foule d'autres ouvrages, où
il attaque les adversaires de là philosophie scolastique. C'est pour La Faculté libre
(i) Voir notre analyse, Revue philos., janvier «896, pp.. 61-63. Voici aussi Notre
philosophie, par Mgr Batittol, le rect2ur actuel, dans Bulletin de l'Institut de riovem-
ore (903.
Là RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 273
tance, déterminait de même ce qu'il, faut entendre par cause efficiente et cause
finale, avant de procéder à la constitution d'une métaphysique positive. Au Con-
grès bibliographique international de 1888, il présentait un Rapport sur la philo-
(4) Dans l'antique Sorbonne, disait-il en 1890, à la rentrée de l'Institut catholique, dent
on a changé l'esprit avant de renouveler les pierres, d'une part, une Faculté protestante
où un professeur de dogme pourrait impunément mettre en doute la divinité de J.-C. ou
la personnalité de Dieu de l'autre, une école des sciences religieuses où des athées
;
notoires font une place au christianisme dans l'inventaire historique des superstitions
humaines. Nous, Messieurs, qui payons les éeoîes publiques, où l'on combat nos croyan-
. .
ces, et qui devons payer encore nos écoles libres, où on les défend,. Que faire?...
réclamer, revendiquer, non seulement par des paroles, mais par des actes et des sacri-
fices. Quand je vois avec quelle résignation nous avons pris notre parti de tant d'atteintes
. .
portées à nos droits les plus sacrés, je me prends à féliciter lés ennemis de notre foi
d'avoir devant eux des adversaires aussi pacifiques. On dit que nous faisons acte de rébel-
lion en instituant à nos frais et risques une concurrence légale. Des parents honnêtes et
chrétiens viennent nous confesser tout bas que nos Facultés ont toutes leurs sympathies,
mais que l'Etat les voit d'un mauvais œil. Moi je trouve qu'il y aurait mieux à faire que
de le ménager, il faudrait le convertir. Ce ne sera pas par la persuasion ce sera par;
l'usage énergique et fier des libertés qui nous sont laissées. Que toute la jeunesse catholique
vienne à nous franchement, la tête haute, décidée h servir son pays sans rougir de sa foi.
Ce jour-là, je vous l'assure, l'Etat trouvera à son tour qu'il est temps pour lui de se modé-
rer dans la victoire, de peur de préparer sa défaite. On me dira cette attitude est sédi-
:
>de convertir au thomisme ceux dont il avait éprouvé les inquiétudes et les doutes ;
l'idée de continu, de l'idée de Dieu, en critiquant Hume, Stuart Mill, Littré, Taine
et Kant, le traditionalisme et le fidéisme de la liberté et des fondements de
;
la morale, etc. Léon %Hi a écrit à l'abbé Farges « qu'il formait pour lui et pour
la vraie science, le vœu que son œuvre eût un plein succès d.
L'abbé Vallet est l'auteur d'une Histoire de la philosophie, de Vidée du Beau dans
la philosophie de S. Thomas ; du Kantisme et du Positivisme, de la Tête et le Cœur,
de la Vie et l'hérédité (1891). Le transformisme est, pour lui, une forme nouvelle
du matérialisme, car il est impossible de passer de la matière à la vie, de la vie
â la sensation, de la sensation à la pensée. Pour l'activité de la matière, la vie
végétative, animale, intellectuelle et morale, S. Thomas fournit les solutions,
que les philosophes et savants- modernes, Clausius. Maxwell et Stallo, Claude Ber-
nard, Robin, Wallace el Perrier, Condillac et Cousin, Paul Janet et Ferraz, ingé-
nieusement interprétés, rendent vivantes et actuelles. Pour l'hérédité, l'abbé
Vallet pose, sur une psychologie expérimentale qui vient de Ribot, de Lucas, de
Gallon, de Weismann, une métaphysique tirée de l'union substantielle, d'après
S.Thomas, de l'âme et du corps. S'il voit, dans l'hérédité physiologique, la cause
directe ou indirecte de l'hérédité psychologique, il maintient, en affirmant l'action
du moral sur le physique, la liberté et le progrès pour l'homme, l'éducation pour
l'enfant. Son étude a une base expérimentale, un faîte rationnel.
(lj Voir Rtvue ph., janvier 1896, pp. 59. 60 et 4893, vol. XXXIH, p. 301.
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE
l'Intellect actif, qui a été rééditée sous lè titre Vidée, écrit deux volumes sur la
longtemps encore le mécanisme cartésien, qui aime mieux admettre des effets
sans cause efficiente que de recourir aux principes invisibles et qui, depuis un
demi-siècle, a pénétré jusqu'à la moelle ». Son confrère, le P. Ragey, a longue-
ment étudié S. Anselme. Pas plus que le P. Bulliot, il n'estime « le gué du car-
tésianisme », car il veut entrer « dans les eaux profondes de la scolastique ». Et
c'est chez S. Thomas qu'il trouve, à son plus haut degré de perfection, la méthode
créée par Si Anselme. De même M. Pluzanski, en étudiant Duns Scot, s'efforce
de le rapprocher de S. Thomas. M. Vacant lui enlève l'orthodoxie en même temps
que l'originalité. M. Maisonneuve, qui a traité au Congrès international des
catholiques, des doctrines philosophiques et des théories physiologiques contem -
poraines sur la vie, rend compte des œuvres philosophiques au Pôlybiblion et s'atta-
che à en mettre en relief les traits essentiels. M. Lelong, dans la Vérité sur l'hypno-
tisme, a examiné la question du miracle, des stigmates, des possessions et de
l'hypnose. Pour lui, les possessions de fcoudun ne peuvent être assimilées aux
phénomènes hystériques, mais elles apparaissent de même nature que les posses
sions évangélicfues.C'est sur les suggestions dans l'hypnose, mais aussi sur l'exer-
cice ou les troubles du langage, comme sur bon nombre de sujets scientifiques
où il fait entrer des données catholiques et thomistes, qu'écrit Je docteur Fer-
rand. M. Lechalas critique, au point de vue scolastique, les principes métaphy-
siques de la physique de Kant, tandis que, dans Astronomie et tliéohgïe (1894), le
P. Ortolan s'efforce de résoudre les objections élevées eu nom de la science con-
tre la foi, pour ce qui concerne l'erreur géocentrique, la pluralité des mondes
habités et le dogme de l'Incarnation.
Parmi les Jésuites, le P. Bonniot écrit sur l'âme et la physiologie, sur le Mira-
cle et les sciences médicales, une Histoire merveilleuse des animaux, le M racle
et ses contrefaçons, le Problème du mal, la Bête comparée à l'homme, les Mal-
heurs de la philosophie. Le P. de Boyîesve compose une Philosophie qui a été une
des meilleures, dit M. Elie Blanc, à une époque où la scolastique était trop
oubliée. Le P. de Régnon, à qui Ton doit Bannez et Molina, des Etudes de théolo-
gie positive sur la sainte Trinité, la Métaphysique des causes- d'après S. Thomiê et
Albert le Grand, est un thomiste qui parfois a semblé incliner vers le ^ûaior-
misme. D'une façon générale, les Etudes publiées par les Jésuites doivent être
dépouillées si l'on veut se rendre un compte exact du mouvement thomiste et
des polémiques contre toutes les théories modernes qui ne sont pas catholiques,
ou même entre dès catholiques qui entendent la philosophie chrétienne, voire le
thomisme, de façons différentes.
De même il convient de parcourir le Correspondant, la Quinzaine, qui est ouverte
à des catholiques, thomistes ou adversaires du thomisme, les Annales de philoso-
phie chrétienne (1), qui ont pour collaborateurs ou amis des laïques et des clercs,
des membres du clergé séculier et du clergé régulier, des professeurs des lycées
çt facultés de l'Etat, comme des professeurs de l'Institut catholique et des adver-
saires de l'Université « instrument de la tyrannie actuelle de l'Etat »,des savants
et des éclectiques « qui s'en font les défenseurs contre l'inondation croissante du
positivisme ». Joignons-y la Scolastique elles traditions franciscaines du P. de Aîar-
tigné, qui estime qu'il faut revenir à Alexandre de Haies, à S. Bonaventure, à
Richard de Middletown, de préférence à Duns Scot, suivi par les conventueis et
les observantins, pour concilier les écoles franciscaines entre elles et avec l'école
thomiste. L'abbé Féret a publié un travail historique sur la Faculté de théologie
de Paris et ses docteurs les plus célèbres, vivement attaqué par les Dominicains.
L'abbé Mignon a donné les Origines de la scolastique et Hugues de Saint Victor;
l'abbé Glerval, les Ecoles de Chartres au moi/en âge l'abbé Urbain a, dans une
;
thèse latine soutenue devant la Faculté des lettres de Paris, pris parti pour
Durand de S. Pourçain contre S. Thomas. Enfin M. Elie Blanc signales, dès 1896^
parmi les apologistes « ceux qui se sont «appliqués à démasquer les sectes anty-
chrétiennes, en particulier la franc-maçonnerie » Le P. Deschamps, doni les
;
synanoque de Satan ; Dom Paul Benoît, dont la Cité anti-chrétienne au XIX e sièele
comprend les Erreurs modernes et la Franc- Maçonnerie. Et à plusieurs égards,
ajoute-il, on pourrait citer les Œuvres de M. Drumont qui « intéressent si sou-
vent la philosophie sociale, en révélant l'action de la franc-maçonnerie, combi-
née avec celle de la juivèrie » (2).
Peut-être suffirait-il, pour comprendre le mouvement thomiste dans sa com-
plexité, d'étudier les publications des Dominicains. Ils ont fourni des professeurs
à Fribourg, à Toulouse, à Paris, comme à Amsterdam et ils ont fondé la Revue
thomiste, doni l'actiona été considérable.
Le P. Maumus de «S. Thomas d'Aquin et la philosophie Gartè¥ne, des
est l'auteur
Philosophes contemporains, de Y Eglise et ta démocratie Il s'est attaché à établir l'in-
.
suffisance des doctrines philosophiques écloses dans les temps modernes, carté-
siennes comme contemporaines. A Vacherot et à Taine, le 'thoûiisme pourrait
prendre beaucoup de choses. Mais Kant est responsable de toutes. les aberrations
de la philosophie allemande. Schelling, Hegel sont des révoltés qui ne peuvent
que divaguer comme des esprits malades. Schopenhauer osfc un triste person-
nage qui déshonore l'histoire de la pJ^losophie.
nisme des jésuites montreraient comment les Dominicains sont restés des con-
temporains de S. Thomas, tout en se renseignant fort exactement sur la pensée
et la science modernes.
Mais c'est surtout la lecture de la Revue thomiste qu'il faut recommander à ceux
qui veulent être complètement informés sur le but poursuivi et les résultats
espérés par la restauration du Efromisme.
Pour la Revue thomiste, comme pour tous les dominicains, la théologie reste la
maîtresse et la directrice de la vie pratique comme des recherches spéculatives :
aussi réponidï-di^ pleinement aux conseils de Léon Xllï (plane congruit cum consi-
liis nostris).
Autrefois charges par les papes de combattre les hérétiques et de convertir les
infidèlesv les Dominicains travaillent, de notre temps, à conquérir ou à garder
a la foi les esprits éefekés. Le vrai thomiste,, c'est pour eux celui qui a étudié
l'œuvre entière de S. Thomas, qui. ami ardent et sage du progrès, sait parler
à ses contemporains, s'inspirant de la méthode suivie par S. Thomas, de
l'Ecriture et des Pères, de l'histoire, de la tradition et des sciences profanes.
Cette position, la Revue lo, maintient dans les questions théologiques, reîigieu-/
,
les contemporains (1). Pour étudier la Bible et la théologie positive, il faut pren-
dre S. Thomas comme guide et suivre les recommandations pontificales, où
S. Tfrqmas est dit le « théologien, l'apologiste r le philosophe par excellence »
notamment en ce qui concerne les rapports réciproques de la raison et de la foi.
Ainsi on sera capable de combattre le rationalisme « qui nie la révélation et l'ins-
piration, ^les miracles et les prophéties, qui blasphème Dieu, le Christ et l'Evan-
gile et, au ntitfn'd'une prétendue science indépendante* par les livres, les brochu-
res, le journai et l'école, trompe les masses et séduit les théologiens demi-
savants De même, en cherchant avec S.Thomas, que suit d'ailleurs Harnack,
la vraie cause de la certitude de notre foi dans l'autorité divine, en Dieu lui-même
et non dans les arguments de crédibilité, on peut résoudre la question de la
composition des quatre évangiles, on peut examiner et juger la conception his-
torique du dogme fondamental, c'est-à-dire de la Trinité chez Harnack, « qui
commence à trouver de l'écho dans certains milieux intellectuels en France ».
(1) C'est ce dont témoignent les articles où il est traité du site de l'Eden, de l'inonda-
tion diluvienne, du berceau des Chamites, de S. Jean-Baptiste, de S. Joseph, de Ste Marie
Madeleine, de l'empire du diable, de l'habitation du Saint-Esprit dans les âmes saintes,
du savoir d$vin de S. Augustin et du Manichéisme de sm temps, de la grâce suffisante,
;
nant « qu'il n'est pas un seul de nos actes, même les plus secrets, dont l'Eglise,
au tribunal de la Pénitence et par le ministère d'un directeur, n'ait le droit de
juger l'inspiration et de la gouverner ». On éviterait encore de mettre en balance
comme le P. de Grand maison, dans les Etudes, la théologie scolastique avec une
théologie critique, « dont le nom même est emprunté aux protestants ». On n'op-
poserait pas, comme l'abbé Denis et bien d'autres, une apologétique nouvelle à
l'ancienne, car « l'apologétique dite ancienne, est au fond plus nouvelle que la
nouvelle, elle est celle de l'avenir, comme elle fut celle du passé ».
Ainsi S. Thomas, étudié en lui-même, et non dans ses commentateurs, « fus-
sent-ils Suarez ou de Lugo », permet dé rester fermement catholique et de pro-
fiter, pour les études religieuses et exégétiques, des recherches modernes (1).
Ainsi armé, on peut combattre tous les adversaires. Sur les Juifs, la Revue
thomiste pense comme U-b al.holiques du xm e siècle (2). Elle ne traite guère
<
mieux les protestants (3). Elle s'attaque au rationalisme qui « aujourd'hui, dit-
(4) Mais c'est là une condition essentielle. Quand au Congrès de Besançon (Rev. th.,
janvier 1899, pp. 767-768), on vote la fondation de cours de théologie pour les jeunes gens
dans les villes de province, puis qu'on décide que des demandes -en autorisation de cours
libres de théologie devront être faites dans- les Universités de l'Etat « qui constituent des
milieux où il est utile aux catholiques de pénétrer », la Revue thomiste se demande où
l'on trouvera les hommes compétents pour faire ces cours et elle ne semble guère croire,
en leur absence, à l'utilité d'une, pareille mesure.
(2) En 1894, dans V Empire du diable, le P. Mônsabré parle du « Juif charnel qui a
4'u ni té des anges réprouvés pour mal faire, qui abuse desdroits qu'on lui donne pour
multiplier ses trahisons, qui a commis le crime de Gain et qui le commet encore... qui,
marqué comme Cain d'un signe mystérieux, parcourt le monde et traverse les siècles,
partout et toujours méprisable et odieux aux honnêtes gens, partout et toujours inextermi-
nable i>. Et il ajoute que « Dieu détruira îe juif charnel, sa cupidité, sa haine, son aveu-
glement, pour le faire revivre, spirituel, en son église ». En 4897, le P Coconnier analyse
le travail sur S. Thomas et la question juive de M. Deploige « un des sujets les plus
distingués de cette jeune et brillante école de philosophes chrétiens formés par Mgr Mer-
cier. qui sajt faire ressortir le bien fondé et la grande modération de l'antisémitisme de
. .
elle, estl'ennemi ». Très sévère pour Voltaire et pour Renan (1), elle se moque
des éclectiques et de Cousin « leur grand Stradivarius universitaire » parce ,
qu'ils ont voulu se fondre avec l'Eglise pour bénéficier de sa popularité et qu'ils
sont, pour cela même, plus redoutables que les matérialistes. Elle raille Ravais-
son « l'un des derniers survivants d'un âge où la scolastique était méconnue,
parce qu'elle était ignorée » et elle déclare à la Revue de Métaphysique et de Morale,
« que c'est fini et bien fini du moi et de l'idéologie cartésienne ». Kant, protes-
tant et rationaliste, est doublement combattu, comme tous ceux qui, en France,
ou à l'étranger, se rattachent à ses doctrines, surtout par le P. Gardeil dont les
articles, pleins de verve, sinon toujours d'impartialité, dénotent une connais*
sance approfondie des doctrines kantiennes et de leur opposition ayee le tho-
miâme. De vives attaques sont dirigées de même, par lui et par d'autres, contre
le transformisme et l'évolutionisme, considérés non comme des hypqthèses
scientifiques, mais comme des systèmes qui veulent donner, de l'univers, la
meilleure explication et, pour la conduite de l'individu et de la société, la, direc-
tion unique et complète. De Taine, de Fouillée, parfois de Boutroux, surtout de
Ribot, la Revue thomiste parle en connaissance de cause, quelquefois aveç sévé-
rité, quelquefois avec sympathie.
Peut-être/ est-elle plus sévère encore pour les catholiques, avec lesquels ses
rédactéurs ont bon nombre d'opinions communes. A l'abbé Lemire, elle con-
seille de relire certaines thèses « de ces scolastiques qu'il semble tant mépriser».
Contre l'abbé Ragey, elle maintient « le vice de l'argument de S. Anselme».
A l'abbé Ackermann, à l'abbé Piat, elle fait remarquer qu'ils pourraient avoir
une connaissance plus précise du thomisme. Elle combat avec énergie l'abbé
Gayraud qui, dominicain et professeur à Toulouse, avait attaqué le molinisme
et s'en rapproche depuis, en laissant entendre que si les Dominicains ne font pas
de même, c'est qu'ils ne peuvent étudier ou exposer d'une manière indépendante
la doctrine de S. Thomas. Plus dure est-elle encore contre ce qu'elle appelle le
« néo -kantisme » de Blondel (2).
Avec les Jésuites, il s'agit de l'interprétation même de S. Thomas. Et la. Revue
thomiste use de la ratlierie et du raisonnement, pour maintenir que les Domini-
doxe ne peut pas plus tenir debout qu'une maison sans fondement». En juillet 4898
(p. 389), signalant l'article te M. Darîu sur M. Brunetière, elle écrit: « Au fond ce qui
contriste M. Darlu, c'ei. *jue M. Brunetière se soit entendu avec le Saint-Père, sans donte
pour lui consacrer sa parole et lui soumettre la Revue qu'il dirige, la vieille Revue libé-
rale, maintenant repentie... M. Darlu, je l'ignore, mais je le parierais, est protestant ».
Voir aussi les différents articles sur Haraaçk, comme Y Origine de la société (novembre
4898). (La théorie du Contrat social est le fruit naturel de l'hérésie protestante) la con-
;
que le dégoût mépris (mai 4898) i. Renan, apostat, sceptique léger, blasphémateur
et le .
nalisme théologique qu'on ne saurait trop relever. Je souhaite qu'il comprenne l'insuf-
fisance de ce petit salut comme pour la forme, adressé aux idées thomistes de Léon Xill,
lorsque le pape nous présente la philosophie. et la théologie scolastiques cornise unblo< Un
et indivisible ».
280 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
cains ont mieux étudié, développé plus abondamment et ptfus clairement les doc-
trines de leur grand docteur (1).
Sur le terrain social, ia Revvt thomiste suit Léon XIIT et S. Thomas, mais de
manière à, bien montrer qu'ils -n'abandonnent aucune de leurs doctrines théolo-
grques ou philosophiques, qu'ils nef donnent en aucune façon leur adhésion aux
principes de la Révolution (2). « La puissance civile vient de Dieu, omnis potestas
a Deo... Le gallicanisme avait voulu confisquer 3,a doctrine, faire marcher le roi
de pair avec le pajpe, confisquer la liberté de fEglise au profit de la puissance
civile... Pour gouvernements se succèdent, tantôt popu-
l'Eglise catholique, les
laires, tantôt monarchiques. Le pouvoir demeure toujours le même, toujours
immuable et, toujours divin... Ainsi nous voyons le Pape persister, quand tout
change ». Et commentant, en juillet. 1898, un jugement célèbre, rendu, à propos
d'un pain volé, par le tribunal de Château-Thierry, la Revue thomiste écjrit :
tiques, ils cherchent à être aussi exactement renseignés que possible. Ainsi s'ils
se moquent de « cette fameuse science (avec un S) représentée par MM. Zola,
A. France et Silvestre », s'ils rapprochent Zola t de cette bourgeoisie grossière,
de ces endormis, de ces engourdis, de ces matériels, de ces Bouvard et Pécuchet
auxquels il facilite la digestion de leurs dîners plantureux », ils admirent
Musset, Victor Hugo et surtout Lamartine, à propos de qui ils se demandent
« s'il n'aurait pas lu la Somme de S. Thomas », comme s'il ne lui suffisait pas
d'avoir pratiqué les néo-platoniciens du xvn e siècle Ils s'occupent de peinture
î
le. droit de défense ». En septembre 1893, elle publie une lettre d'Ignace/qui indique une
opposition des jésuites à S. Thomas et réplique au P. Portalié, qui s'est joint au P. Frins
que «ce sont les jésuites qui ont commencé ».
(2)Voir surtout les articles du P. lifaumus en 1893 et 1894, du P. Schvvalm, en. 1894,
Ainsi, en France, les catholiques ont été dans toutes lés directions. Mais il
semble que ce qriia surtout frappé leurs adversaires, c'est la tendance à se mettre
en opposition absolue avec les doctrines de la Révolution et à restaurer tbut l'an-
cien régime. Et tandis que les catholiques sont restés divisés en matière poli-
tique, philosophique et sociale, tous ceux qui se trouvaient menacés par leurs
attaques ont réussi à s'unir en déterminant les idées ou les conceptions dont ils
entendaient réclamer ^n commun la réalisation.! lia lutte politique est devenue
de plus en plus vive et, pour le moment, la conciliation ouun accord limité entre
les partisans de la philosophie scientifique et rationnelle et ceux d'une concep-
tion théologique, dans laquelle lemondeintelligibîe serait mis en harmonie ^avec
le monde sensible, ne semblent avoir aucune chance d'être sérieusement exami-
nés. C'est, en somme, pour la France, une situatiou opposée à celle de la Belgique
et de l'Ail emagne, mais dont les résultats apparaissent les mêmes au point de
vue spéculatif.
terpréter la pensée de Léon XIII et'des catholiques qui ont suivi le plus fidèle-
ment ses instructions. C'est ce qui ressort manifestement, à notre avis, de l'Ency-
clique JEterni Patris et du mouvement thomiste, tel que nous avons essayé de le
présenter. C'est aussi ce que pense Mgr Bàtiffol (1) La Revuethomiste (2) nous a
.
verses soeiaîes, politiques, bibliques, la nécessité qui s'impose de veiller autour des
v premiers principes. L'Encyclique JEterni Patris est peut-être de toutes les encycliques
de ce grand pontificat celle qui exprime la pensée la plus personnelle et en même temps
la plus centrale de toute l'œuvre de Léon XIII, celle aussi par laquelle il domina de plus
haut son propre temps ».
(2) Nous avons déjà signalé le passage important où le P jschwalm, en 1896, disait, à
propos de M. Maurice Blondel « Qu'il ne nous serve plus son insoutenable distinction
:
pour qui cette première Encyclique ( JE'terni Patrisy du 4 août 1879) eût perdu de son
v
actualité et qui fussent tentés de croire que, dans |a pensée du Sal rit Père lui-même, son
importance a diminué avec les années, nous nous contenterions de citer le fait suivant :
appris que c'était l'avis do bon nombre de ses rédacteurs et qu'en août 1900
Léon XIII disait lui-même que « l'Encyclique -fâterm Patris était cellequiJui tenait
le plus au cœur et qui lui avait donné le plus de consolation ».
des Juifs, qu'il portât d'ailleurs sur les sciences, sur la philosophie, sur la théo-
logie et l'exégèse biblique ou évangélique. Mais il fallait enlever de ces emprunts,
tout ce qui aurait pu favoriser le judaïsme, le mahométisme, les schismatisques
£recs ou les hérétiques et même les Infidèles, pour en former, fondu dans les
croyances ou les dogmes dé l'Occident, l'ensemble synthétique qui servirait à
guider la chréfTenté future. C'est ce qu'avait fait S. Thomas (p. 192-195). Dans
son œuvre, exégétique, dogmatique et mystique, la philosophie, sans empiéter
sur la théologie, fut l'auxiliaire incomparable qui permit d'unir les catholiques
et de triompher de tous ceux qui refusaient leur adhésion à l'orthodoxie chré-
tienne. Au temps delà Réforme, les Pères du Concile de Trente trouvaient encore,
dans la Somme de théologie, des réponses à toutes les questions soulevées par ceux
qui voulaient à nouveau rompre l'unité de l'Eglise. Et le thomisme redevenait,
pour le xvi e et le xvn« siècles, lé guide philosophique d'un grand nombre de
laïques et surtout de clercs.
Ne fallait-il donc pas, pour reprendre au temps présent la situation avanta-
geuse que l'on avait eue au xm e siècle et longtemps après, restaurer cette philo-
sophie thomiste, si intimement unie à la théologie, qu'elle ne semble f*aire avec
elle qu'un seul et même corps ? Puis, après l'avoir enrichie de toutes les acquisi-
tions faites depuis trois siècles parles sciences positives, après avoir travaillé à
les augmenter, il convenait d'établir l'unité entre les catholiques, en leur four-
nissant des réponses identiques pour toutes les questions qui se posent aujour-
d'hui aux individus et aux sociétés enlin de combattre avec les armes nouvelles
;
et le monde catholique par ce premier acte si solennel et si important de son grand por>-
tiftcat ».
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX e SIÈCLE 283
semble d'une science dont il n'a pas cessé de s'occuper depuis sa jeunesse, qu'en
sera-t-iî pour ceux qui aspirent à saisir au moins, de toutes les sciences, les
grandes hypothèses auxquelles elles aboutissent et les méthodes qu'elles
emploient ou transforment ? Le thomiste est dans une situation plus difficile
encore. Il doit connaître en entier S. Thomas — et ce n'est pas peu de chose î
—
Il doit connaître' les sources théoîogiques, scientifiques et philosophiques aux-
quelles a puisé S. Thomas, pour voir comment il a constitué sa synthèse.
Gomme le partisan d'une philosophie scientifique, le thomiste est obligé de
savoir ce qu'enseignent les sciences positives et, en plus, il doit l'examiner au
pointde vue des doctrines traditionnelles de la théologie et de la philosophie, au
point de vue des questions que souîèventses contemporains, partisans ou adver-
saires. La difficulté se renouvelle tous les jours, plus encore pour lui que
pour tous ceux qui admettent un monde intelligible au-dessus du monde sensi-
ble. Car le monde intelligible reste pour lui ce qu'il était autrefois, tandis que
la- conception du monde sensible se renouvelle de jour en jour par la science.
avec' le plus grand soin à ce que les membres du clergé ne se laissent point surprendre
aux manœuvres insidieuses d'une certaine science nouvelle qui se pare da masque de la
vérité et où l'on ne respire pas le parfum de J.-C scieace menteuse qui, à> la faveur d'ar-
;,
a il faut, dit le personnage* ecclésiastique dont le jouma^ste rapporte les paroles que
^Eglise soutienne la pureté^ de son enseignement traditionnel. La science, qu'elle soit
historique ou autre, doit en matière, religieuse, être d'accord avec la théologie ». Voir aussi
Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, novembre 1903, La science par-
faite, par Mgr l'évêque de Pamiers.
0) « Ces succès de la philosophie scolastique, dit W. Elie Blanc (III, 601), ne sont
.guère que des débuts et des espérances.. Le monde de la pensée, considéré dans son
ensemble, lettres, arts,, sciences, politique, gravite encore autour d'autres principes, il
obéit à d'autres forces. La philosophie nouvelle ne s'est emparée, en dehors du clergé^ que
d'un petit nombre d'esprits; elfe- ne s'imposera à tous que par les institutions et les
œuvres: écoles savantes, journaux et autres périodiques, bibliothèques, encyclopédies,
associations puissantes, intellectuelles et morales, qui seront peut-être les assises d?une
société nouvelle,, si la présente où nous sommesmenacés doit se transforme? ». —
trop*
« D'excellents esprits, écrit Mgr Batiffoï en novembre 1903> (Bulletin. de Toulouse,
. .
p. 275) estiment que le ralftement recommandé par Léon XIII n'a pas été réaiisé. La pensée
LA RESTAURATION THOMISTE AU XIX* SIÈCLE 285
par Louvain, suivent les, jL^tru^tions de Léon XIII. Resteront-ils aussi étroite-
ment unis après la disparition du, pape dont l'inspiration contribua si gran-
dement à leur succès ? Libéraux et socialistes.continueront-ils à rester divisés ?
G'est ce qu'il est également difficile de nier ou d'affirmer.
En Allemagne, la minorité catholique, aussi. cohérente que la majorité beige,
a pris une situation telle que ^'empereur, allié au roi d'Italie pour lui garantir la
possession de Rome enlevée au pape, a déclaré, à plusieurs réprises, tout le
prix qu'il attachait â leur affection et à leur fidélité. Là encore, on peut se
demander si les protestants, deux |o^s pius nombreux, ne {Parviendront pas à
trouver un terrain d'entente et si J,eur groupement avec les socialistes n'amènera
pas de division parmi des catholiques (disposés d'ailleurs comme leurs coreli-
gionnaires des autres pâys) à renoncer aja thomisme, pour une des philosophies
que nous^ avons précédemment indiquées.
Il y a longtemps que nous avons signalé, les avantages, manifestes pour les
pontificale a été fausséepar ceux qui, sous prétexte d'être scolasliques, ont borné leur
horizon au xm e
faussée par ceux qui, sous prétexte de dégager et d'imposer la
siècle . .;
pure doctrinede S. Thomas, ont sacrifié cependant Je véritable esprit scolastique, qui est
îaTecherche personnelle de la vérité et ont appliqué à la philosophie la méthode d'autorité
qui ne vaut que pour la révélation ; faussée par ceux qui, avec un absolutisme intolérable
en ces matières philosophiques, ont affecté d'affirmer arec la même intransigeance les
vérités essentielles à toute philosophie chrétienne ejt h&
opinions discutables ou les systè-
mes douteux, comme le système de la matière et de la forme en cosmologie et la distinc-
tion de i'essence et de l'existence en métaphysique ».
(1) Bevùe philosophique, XXXIII, p. 307. «Èrtire les catholiques d'un même pays, il
pouvait auparavant exister des divergences tfeliës sur les problèmes philosophiques qu'il
leur fût di$\cile ensuite de s'unir pour une, action commune sur Je terrain religieux De . .
plus en se séparant les uns des autres, ils étaient exposés à se rapprocher de penseurs qui
ne sont rien moins qu'orthodoxes. De même les catholiques se divisaient sur les ques-
. .
grand philosophe qui peut-être ait jamais existé et de le modifier de façon telle qu'on ne
risque plus de se rencontrer avec ceux qui, invoquant Aristote, ont émis des assertions
tout à fait opposées aux doctrines catholiques. Ajoutez à cela que S. Thomas, né en Italie,
a étudié à Cologne .et à Paris, qu'il a professé à Cologne et à Paris/à Bologne et à Bomt,
HISTOIRE COMPARÉS OES PHILOSOPHAS MÉDlAVALKS
lesinconvénients. Tous les thomistes ont travaillé à s'unir sur le terrain philo-
sophique, scientifique et social, comme en rejigion et en théologie. Malgré cer-
taines dissidences entre dominicains et jésuites, entre thomistes italiens et tho-
mistes belges, entre catholiques français qui ne s'accordaient pas sur le régime
politique; malgré les condamnations portées par Léon XIII contre ceux qui
inclinaient trop vers les nouveautés, l'unité, par le thomisme, a été grandissant
(
que les jésuites ont contribué comme les dominicains, à le remettre en honneur . Des
.
-aux principes généraux et universels du droit naturel et partant la diversité des formes de
gouvernement. En politique et en philosophie, comme en matière religieuse, les catholi-
que^ seront d'accord sur les principes et même, grâce à !a dirt»ction pontificale, sur les
modiQcations possibles pour la pratique. Non seulement ils seront, dans chaque pays*
complètement unis en face d'adversaires que divisent la politique, la philosophie, la reli-
gion, mais encore les catholiques de tous les pays, groupés autour du pape, se rencon-
trant fréquemment dans les Congrès internationaux, travailleront en commun, en présence
des peuples qui luttent sans cesse les uns contre les autres sur le terrain économique ou
politique, au triomphe de leurs doctrines ».
(1) On peut voir encore dans la Quinzaine du
!•» mars 1904 des tendances analo-
Mais une autre direction apparut prépondérante dans l'Eglise. Des catholiques
entendaient, avant tout, continuer la lutte, comme le demandait M. de Mun \n
1878, contre tous ceux qui s'opposaient à ce que l'Eglise fût maîtresse de régir
1
cette vie, comme de préparer l'autre. Dans tous les pays, l'antisémitisme prit
une importance de plus en plus grande. Pour justifier la. lutté, conseillée par
tous les moyens, contre les juifs, on rappela les doctrines de S. Thomas et les
pratiques de S. Louis. Puis on mit sur le même plai\ les protestants, les francs-
maçons, Jes penseurs libres qui ne se réclamaient que de leur conscience et de
leur raison. Alors qu'on projetait de reconstituer, pour l'Exposition de 1&0O, un
Congrès où cependant il était posé en principe que l'union des religions était
dirigée contre. l'irréligion, les évêques refusèrent le concours qu'avaient promis
des protestants, des juifs et même des penseurs, étrangers à toute confession !
L'école laïque, à peu près annihilée en fait en Belgique, fut attaquée avec une
extrême violence en France (1), comme renseignement des collèges et des lycées
de jeunes gens ou de jeunes filles, parfois même comme celui des Universités où
figurent cependant tant de représentants du catholicisme. Des campagnes poli-
tiques furent menées en tout temps, mais plus encore en temps d'élection, avec
une violence extraordinaire^ contre ceux qui s'opposaient à ce que l'Eglise fût la
maîtresse absolue des esprits et des âmes.
En Allemagne, on a même v
dans des discussions récentes, soutenu que des
chaires d'Université devaient être occupées par des catholiques, non parce qu'ils
étaient savants, mais parce qu'ils étaient catholiques. Et l'Espagne a montré
plus d'une fois, pendant ces vingt dernières années, que la domination de
l'Eglise y est restée complète, sinon incontestée.
Au fond, ceux qui se plaçaient à ce point de vue pouvaient se réclamer du
thomisme. Ne se proposaient-ils pas de traiter tous leurs adversaires, comme
S. Thomas avait traité les Juifs ou les Averroïstes, comme ses contemporains
traitaient les hérétiques, les infidèles, les schismatiques, les Grecs et les Albi
geois? En ce sens, ils étaient bien les vieux thomistes, ceux qui maintenaient
les choses anciennes, vetera, tandis que ceux qui voudraient la conciliation et
l'entente, seraient des thomistes vraiment nouveaux, au sens où le prenait
Spuller.
Mais au temps de Thomas, le nombre des orthodoxes, fidèles disciples de
S.
l'Eglise, l'emportait à peu près partout sur celui des hétérodoxes ou des non
catholiques. 11 n'en est plus de même aujourd'hui. En formant un bloc contre
tous leurs adversaires, en leur déclarant une guerre sans merci, les catholiques
ont donné à tous l'idée de s'unir contre,eux. C'est ce qui a commencé à se faire
en Espagne, c'est ce à quoi pensent, en Belgique, des libéraux et des socialistes,
«* Âtteuftagne, des protestants de toute nuance et peut-être même des socialistes.
C'est ainsi que s'est formé, en France, le bloc des députés et des sénateurs qui
(1) Dans un Manuel d'instruction morale et civique, paru en 1869 chez Colin et
en collaboration avec M. Pierre Laloi, nous avons écarté toute théorie métaphysique ou
religieuse. Nous avons prié' des, prêtres d'en lire les épreuves pour nous signaler les
affirmations qui leur paraîtraient hostiles à l'esprit religieux. Nous n'avons donné
que ce qui est essentiellement laïque, scientifique* rationnel. Bon nombre de revues ou
de journaux catholiques ont trouvé cette neutralité* irréprochable, mais absolument inac-
ceptable pour eux.
288 HISTOIRE COMPAREE PES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
MÉDIÉVALES
(1) Paris a deux cours de philosophie scolastique à la Faculté de théologie reconnue par
le Saint-Siège ; à ses cours .littéraires de l'Ecole libre des hautes études, il y a, pour la
philosophie : t° exposition et' controverse
; 2° histoire de la philosophie — enseignements
Picavet 19
290 HISTOIRU COMPARÉE DES PHILOSOl'HlfiS MÉDIÉVALES
Collège France, la chaire des langues et littératures méridionales donne lieu à une
il -
étude pénétrante et minutieuse de Dante; celle d'histoire des religions fait place au chris-
tianisme. 'I y a, en outre, une chaire de langue et de littérature françaises du moyen âge.
La 4« section de Ecole pratique vies hautes -études a de nombreux enseignements sur
!
âge, d'histoire d'Auvergne, d'à- 1 roman Dijon, d histoire du moyen âge; Grenoble, de litté-
;
du moyen âge; Nancy, d'histoire du moyen âge de langue française du moyen âge ;
(1) La Faculté des lettres et le Conseil de l'Université de Paris ont émis en1 897 le vœu
qu'un cours fût créé pour les enseigner et provoquer parmi les étudiants français ou
étrangers des recherches impartiales et objectives, dont les résultats pourraient être mis
en opposition avec les^pologies des doctrines médiévales, être utilisés d'ailleurs par leurs
partisans et leurs adversaires, comme par ceux qui souhaitent avant tout savoir exactes
ment ce que l'humanité a pensé aux diverses époques de son Histoire. Le vœu mi resté
purement platonique jusqu'à l'heure présente.
292 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MTÉDIÉVALES
à augmenter notre connaissance des travaux philosophiques que Ton doit a l'Occi-
dent chrétien du vm e au xvir3 siècle.
C'est en 1850 que Jean-Barthélémy Hauréau (1812-1898) publiait un mémoire
en deux volumes, De la philosophie scolastique, couronné par l'Académie des sciences
morales et politiques. En 1872 paraissait la première partie de VHistoire de la
philosophie scolastique il avait modifié et corrigé de l'ancien livre tout ce qu'il
:•
(4) La première partie va de Charlemagne à la fin du xue siècle. Ses 550 pages com-
prennent les divisions suivantes ch. I. Ruine et rétablissement des écoles ( l-16) II. De
:
s ;
l'enseignement des écoles (17-27) III. De la philosophie scolastique (28-41) ; IV. Du pro-
;
ques interprètes anciens de Platon et d'Aristote (90-121) VII. Alcuin, Fridugise, Agobard,
;
Candide, Raban (122-147) VIII. Jean Scot Erigène (148-175); IX. Saint Heiric et saint
;
Remi d'Auxerre (176-206) X. Gerbert, Bérenger (207-241) XI. Roscelin, saint Anselme,
; ;
Gaunilon (242-287) XII. Odon de Cambrai, Hildebert, Rupert (288-319); XIII. Guillaume
;
de Champeaux (320-344) XIV. Adhélard.de Bath (345-361); XV. Pierre Abélard (362-
;
Guillaume de Conches (420 -446); XVIII. Gilbert de la Porrée (447-478) XIX. Nomina- ;
listes et réalistes orthodoxes (479-504) XX. Mystiques (505-532); XXI. Jean deSalisbury
;
(533-549). Le 1er volume de la seconde partie, ^en 462 pages, comporte 15 chapitres.
I. Reprise des études, vues générales sur le xme et le xiv e siècles (1-13) II. Philosophie ;
des Arabes et des Juifs (14-53) III. Simon de Tournai, Alex. Neckam, Alf. de Sereshel
;
•
(54-73) ;IV. David de Dinan (73-82) V. Amaury de Bennes et le concile de Paris (83-
;
407; ; VI. Grégoire IX et la philosophie d'Aristote (108-128) VII. Michel Scot et Alex, de
;
Halès (129-141) VIII. Edm. Rich et Guilt. d'Auvergne (142-170) IX. Richard de Lincoln,
; ;
Rochelle (192-213) XI. Albert le Grand, sa logique (214-247) ; XII. Physique d'Albert le
;
Grand (248-307) XIII. Métaphysique d'Albert le Grand (308-337) XIV. Saint Thomas et
; ;
XV, suite (338-462). Le second volume de la seconde partie a 495 pages et 15 chapitres qui
font suite aux chapitres du volume précédent XVI. S. Bonaventure (1-25); XVII. Pierre
;
XXII. Jean Duns Scot, sa logique et sa physique (171 227) XXIII. Métaphysique et psy-
;
chologie de Duns Scot (228-259) XXIV. Jean Dumbleton, Jacques de Douai, Gérard de
;
Bologne, ftàoul le Breton, Jean de Pouilly, Jean de Jandun, Augustin d'Ancône (260-^91) ;
XXV. Franciscains, Raymond Lull, François de Mayronts, Pierre Thomas, Jean de Bas-
scies, Alexandre d'Alexandrie, Pierre Auriol (292-322); XXVI. Dominicains, Hervé de
Nédellec, Jean de Naples, Durand de Saint-Pourçain (323-355) ; XXVII. Guillaume d'Oc-
kam, sa psychologie (356 392) XXVIII. Des universaux selon Guillaume d'Ockam >393-
;
« plus précis et plus énergique que Gassendi, Hobbes et Huet, quand il fait valoir
l'objection de Gaunilon et d'Albert » Bayle, Brucker « scrupuleux investigateur
;
rot et Condillac. même d'Argens. Voltaire « qui fait le plus autorité parmi les
philosophes mondain » lui sert de modèle et inspire souvent ses jugements. C'est
,
parmi les voltairiens, dont le nombre est grand, non parmi les thomistes et les
scotistes, s* il en reste, qu'il entend remettre en honneur la mémoire dOckam. il
loue Ockam d'avoir pensé comme Voltaire et ne croit pas faire un médiocre
éloge du siècle de saint Thomas en le rapprochant de celui de Voltaire. Idéolo-
gie et philosophie sont pour lui synonymes il étudie Yidéologie absolument
:
croit en Dieu aussi bien que S. Clément et S. Augustin avec sa raison, qui s'in- ;
cline et qui est ai^ée par l'expérience, il en prouve facilement l'existence. Mais,
pour la raison humaine, le moteur premier et immobile n'est que le plus univer-
(1) Voir la Notice que lui a consacrée M. Wallon (Ac. des Inscr. et B. L. 1898;, ,
pas de livres sacrés où se gardât le dogme national, qu'elle jouit d une liberté
absolue et qu'elle donna une majesté incomparable à toutes ses œuvras. Toute
théologie, si l'on en écarte la métaphysique et la morale, qui relèvent de la phi-
losophie, comprend des fables, des mythes ou des mystères ]i », nés en tel
temps et en tel lieu, par suite de tel ou tel débat, sont soumis à la critique histo-
rique. Quant aux théologiens, ils sont intéressés à perpétuer \ ignorance ou
Terreur. ïis dissertent sur les dOgmes, les miracles, les sacrements, les articles
de la foi comme si c'étaient des vérités logiques et, par cet artifice, ils espèrent
obtenir l'adhésion de la. raison trompée. Mais ils ont perdu le droic d'enseigner
au nom de la raison, en s'ingénient à compliquer le mystère de Dieu par d'au-
tres mystères. En fait, il n'y a pour eux qu'une école légale, celle du Christ où
la théologie est la maîtresse, tandis que la philosophie est la servante. Même il
en est qui ne veulent pas accepter les services de la philosophie soumise et
humiliée, ce sont les mystiques, ces faux sceptiques qui argumentent contre la
raison, parce qu'ils la veulent oisive, au profit do ia foi. Eiit~e l'Eglise et la pen-
sée moderne, il y a opposition c'est par un grand acte de révolte et par un
:
appelle l'hérésie, nVst-ce pas la liberté? Quand l'école vient de s'ouvrir, elle est
le produit de l'ignorance plus tard elle sera « le noble fruit de l'intelligence
;
fécondée par étude ». C'est ia nature* c'est Dieu « qui nous Veut hérétiques » ;
\
c'est par des hérésies que commence et finit la scoîastique. Réalistes et nominaux
sont également suspects. Jean Scot Erigène, cet « autre Procius à peir : chré-
tien, qui a la gloire d'avoir devancé Bruno et Vanini, Spinoza, Schelling ët
Hegel », doit, comme Roscelin, être inscrit sur le martyrologe de la philosophie
moderne. Bernard et Thierry, Gerbert et Michel Scot, Pierre Lombard, même
S. Thomas. Duns Scot et Buridan ont été, par leurs prémisses ou par leurs con-
clusions, des hérétiques, conscients ou inconscients, et le mépris de ta tradition
est « le délit commun de tous les philosophes » (3).
dre lli contre Se philoscphisme de Pierre le Lombard, elle est dnre, mais est-elle vraiment
iwjuste? Lés sentences de Pierre le Lombard, et la Somme de théologie de S. Thomas. .
orit été comr.<;r,ées selon la méthode e', l'esprit de la secte nominaliste (l, 468) ». Ailleurs- il
•l'hïstoihe enseignée et écrite 295
écrit * Les plus monstrueuses impiétés, les nouveautés les plus abominables étaient. çori-
:
tenues dans les prémisses du réalisme (1, 293) le riommniisme contraint la raison spécu-
. .
(2) II, 1, p. 231 SI, 2, p. 9L-92, p. 172. Voir 1, p. 542-544 ce qui est dit des opinions
;
conceptualistes, qui demeurent les uns et les autres dans les limites tracées en
commun par l'expérience et la raison les réalistes, qui les ont franchies (1).
;
bon sens, vouée à la défense de la vérité, elle est devenue, à juste titre, la phi-
losophie moderne. C'est d'ailleurs la philosophie d'Aristote c'est celle dont se ;
les devoirs de l'individu lui sont naturels au même titre que ses droits (3).
Considérée de ce point de vue, la scolastique apparaît intimement liée à l'his-
toire politique, comme à celle des origines et du développement de la pensée
moderne. « Si la France fut le sol natal de la philosophie scolastique, c'est que
l'esprit français, curieux et audacieux, ne voit que le but et se précipite tou-
jours pour l'atteindre. La scolastique, c'est le travail fervent des intelligences
qui, trop longtemps asservies au joug d'un dogme révélé, s'efforcent de mériter
et de conquérir leur émancipation, au prix même de cette douce sécurité que
procurent l'ignorance et la foi la scolastique, c'est la révolution qui se pré-
;
(3) F, p. 87, 88, 393, 503 II, 2, p. 334, 335, 391, 426 sqq.
;
(4) I, 121.
p.
devaient « rechercher la part d'erreur et surtout de vérité que les systèmes et -écoles pou-
vaient contenir, /appliquer à dégager et à mettre en lumière ce qui, soit parmi les prin-
l'histoire enseignée et écrite 297
relève avec soin les conquêtes successives de la raison et les défaites de ses adver-
saires. Avant Kant, remarque-t-il, le moyen âge avait reconnu l'insuffisance de
l'argument de S. Anselme; il. avait eu Gaunilon, le sage que Hegel appelle « un
Kant des anciens temps ». C'est de S. Anselme que Descartes tire son argumen-
tation ontologique sur l'existence de Dieu. Son cogito, ergo sum est chez Heiric
d'Auxerre, surtout chez Jean Scot Erigône, plus nettement d'ailleurs que chez
S. Augustin. Avant Descartes, Guillaume d'Ockam a fait appel à l'évidence. A
l'école nominaliste, qui les a transmis à la philosophie moderne, il a donné ces
deux principes, que les entités simplement relati ves n'existent pas et que la diver-
sité des phénomènes n'implique pas la diversité des agents. Son langage sur la
perception est aussi explicite, aussi résolu que celui de tous les docteurs écossais.
Arnault définit le concept de manière à rappeler Biel l'ockamiste C'est qu'Ockam
substitue une psychologie véritable aux imaginations décevantes de la scolasti-
que c'est qu'il continue Abélard, qu'il se rencontre souvent avec Locke et Kant
; ;
ainsi forcé l'autorité à se confiner dans un étroit domaine et livré le terrain aban-
'
ne touchant à celle des Arabes et des Juifs que pour expliquer la formation des
philosophies chrétiennes en Occident.
Que son œuvre ne soit pas une histoire comparée des philosophies médiévales,
c'est ce qui est tout aussi incontestable, puisqu'elle n'examine, dans leur déve-
loppement synchronique, ni les philosophies helléniques et les premières doc-
trines philosophiques des, chrétiens, ni.celles de Plotin ou de ses disciples et des
Pères de l'Eglise grecque ou de l'Eglise latine (ch. III), ni celles des chrétiens, des
Arabes et des Juifs d'Occident ou d'Orient (ch. VII).
ci pes, soit parmi les résultats que nous a légués la philosophie scolastique, pourrait
encore être mis à profit par la philosophie de notre temps ». C'est en bonne partie l'obli-
gation imposée aux concurrents, de juger, en modernes, la philosophie médiévale, qui
explique toutes les .iffirmations aujourd'hui contestables de B Hauréau. Ce qui lui appar-
tient bien en propre et ce qui lui restera, ce sont les informations étendues, minutieuses et
précises d'une érudition qui n'a pas été dépassée.
(1) I, p. 287, 524, 482, 277, 282 ; II, 1, p. 87 ; U, 2, p. 333, 365, 366, 373, 383, 391,.
412,426,428.
298 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPIHES MÉDIÉVALES
y a des catholiques qui font eux aussi rentrer l'histoire des philosophiez
1
Il
dans la philosophie, unis dans une philosophie tout opposée à celle fie R. Hau-
réau, dans le néo-thomisme ou la néo-scolastique. Pa-rmi" tous ceux dont nous
avons signalé les couvres (ch. IX), nous choisirons, pour le montrer brièvement,
MM. Elie Rlanc et deWulf.
M. Elie Rlanc (p. 272), chanoine honoraire de Valence et professeur aux Faeu'
tés catholiques de Lyon, a publié en 1896 une Histoire de la philosophie et pirticu-
fièrement de la philosophie. contemporaine, « complément naturel » de son Traité de
philosophie scolastiq^e, qui contient les opinions et les mêmes doctrines.
mêmes
Le premier volume va des origines au le second comprend le xviu,
xyi'i* siècle ;
Mais, considérée en son ensemble, son Histoire comprend trois parties, d'étendue
et d'importance fort inégales.
ph^s chrétiens sont les vrais continuateurs des sages de l'antiquité, de Socrate,
de Platon et d'Âristote. S. Clément est « le père de la philosophie chrétienne » ;
S. Denys, dit l'Aréopagite, est peut-être celui qui s'est servi le mieux du plato-
nisme pour expliquer les dogmes les plus élevés -d&la théologie et les mystères
les plus obscurs. De la philosophie grecque dont ils ne cessèrent de posséder tous
les trésors, les Byzantins n'ont rien su tirer d'excellent, tandis que l'Occident,
sans connaître le schisme ou l'hérésie, hérita des Pères grecs comme des Pères
latins, et eut, bien qu'il lût beaucoup plus tard Platon et Aristote, une période
exceptionnellement glorieuse. S. Augustin, après Tertullien et Lactance, forma
la première synthèse de toutes les sciences philosophiques, et prépara l'œuvre de
(1) « Les Hébreux eurent te privilège s'abreuver >ov ours à une religion pure (p. 48). .
U est impossible de faire naitlre le christianisme du pi..tonisme. Cette religion dépasse
. .
par ses dogmes toutes les philosophies (195). La philosophie péripatéticienne,' interprétée
par les plus grands scolastiques, ïat d'un secours inappréciable à la théologie et à la phi- •
losopbie chrétienne p. 222). Le mot $e charité ne peu avoir {chez Cicéron) ce sens élevé,
(
surnaturel et divin que lui donnera le christianisme h.\ 278). L'influence du christianisme
atteignit certainement Sénèque (282). Epictète pensait comme l'auteur de Vlmitatioh
. .
(284). La vie de Marc-Aurèle, ses belles sentenees. ses actes de clémence et de justice
. ,
ne furent qu'une protestation inefficace. Le remède ne pouvait venir que d'une religiûs
, .
n'en reste pas moins un apostat et sa philosophie, une de celles contre lesquelles
une société chrétienne a le droit et le devoir de se défendre ftamus, Vanini » ;
mont, dont les œuvres intéressent si souvent la philosophie sociale, qui révèlent l'action
de la franc-maçonnerie, en tant qu'elle se combine avec celle de la juiverie ». (III, 495).
!
se sont avancés vers les positivistes ou les défenseurs d'une philosophie pare-
ment scientifique (p. 300).
(1) Dans le Moyen Age(t. XV), nous avons écrit que le Manuel de M. de Wulf rensei-
gnerait tort bien ceux qui veulent savoir ce que les catholiques, soucieux de âé confor-
«
humaines et scientifiques; d'autres enfin, jusqu'où et cqmmtri: est possible une' concilia-
tion entre les deux partis, dans chacun desquels l'unité d'bilk ars est encore loin d'ètrG
faite » (février 49u2). Dans la Revue de l'Histoire des religions, nous avons (novembre-
décembre 4901) signalé des affirmations qui sont d'un apologiste ou d'un adversaire bien
plus que d'un historien. Après avoir examiné surtout les jugements que porte M. de Wulf
sur les religions, nous ajoutions «qu'il restait à voir ce que nous apprennent, avec une
science incontestée, des hommes qui se placent, comme B. Hauréau, à un point de vue
absolument opposé, puis ce que. l'on doit penser de la scolasrque étudiée d'une façon
entièrement historique et impartiale » .
v
.
(2) Les divisions du livre indiquent les préférences de l'auteur. Sur 450 pages, 12 por-
tent sur l'Inde et la Chine, 109 sur la philosophie grecque, 45 sur celle des Pe: :s, 76 sur
la scolastique occidentale jusqu'au xiie siècle, 9 sur la philosophie byzantine, arabe et
des emprunts faits par la suite aux Arabes pour le second, ne saurait être com-
parable, en valeur, à la synthèse chrétienne.
La philosophie arabe va souvent contre le Coran mais elle n'est guère qu'un
;
-emprunt fait à la Grèce par l'intermédiaire des Syriens, Son ambition, c'est de.
bien-commenter Aristote et souvent elle l'altère par de's éléments pris aux néo-
platoniciens, aux gnostiques, aux médecins grecs et à leur psychologie matéria-
liste.
leur paraît gênante ». Les mystiques* protestants sont, pour la plupart, entraînés
jusqu'au panthéisme, jusqu'au monisme absolu, en contradiction manifeste avec
lesfondements mêmes du christianisme-
Quant à la philosophie byzantine, son développement est irrégulier et lent,
comme génie byzantin lui-même. Les idées antiques, recueillies, de première
le
main, et dans leur forme originale, s'y infiltrent beaucoup plus superficiellement
que dans le monde arabe, où elles arrivent cependant par de nombreux intermé-
diaires. Les Byzantins n'ont d'autre souci que de défendre ou de.conserver, soit
comme Photius, soit comme Aréthas ou Psellus, le platonisme.
Ainsi, non seulement une philosophie, fondée exclusivement sur les sciences
et se tenant a l'écart des religions (p. 24, 216), dont ne s'occupe pas d'ailleurs
l'auteur, mais encore celle des Indiens et des Chinois, des Grecs, des Juifs et des
Arabes, des Byzantins et des hommes de la Renaissance ou de la Réforme, sont
inférieures à la philosophie catholique, par cela même que leurs croyances reli-
gieuses sont inférieures aux croyances catholiques.
Même la philosophie des Pères, dont les catholiques invoquent l'autorité théo-
logique, est, selon M. de Wuif. inférieure pour plusieurs raisons à la philosophie
scolastique. D'abord elle se déploie dans une civilisation ynbue d'hellénisme et se
rattache intimement au monde qui disparaît à des idées en partie nouvelles,
:
elle joint un mode ancien de penser, tandis que « la scolastique naît sur un sol
vierge de civilisation hellénique et germe au sein des races germaniques, appe-
lées à détenir l'hégémonie intellectuelle ». Les Pères ont eu pour rôle essentiel l'éta-
bien informés pensent en philosophie et comment ils jugent les religions ou les
philosophies rivales ; on sait ce qu'on doit attendre du triomphe des catholiques
animés de « l'esprit nouveau », ce qu'il convient de faire pour maintenir les doc-
trines purement humaines et scientifiques on même comment une conciliation
serait possible entre les deux partis, dans chacun desquels d'ailleurs l'unité est
loin d'être faite. Mais il ne saurait être question pour eux d'histoire générale
l'histoire enseignée et écrite 305
analogies qui pourraient être relevées entre les philosophies reliées à des reli-
gions proclamées fausses et celle que l'on dit seu.le adaptée à la « vraie reli-
gion ». Une histoire comparée, au sens que nous attachons à ce mot, des phi-
losophies théologiques du moyen âge apparaîtrait, aux croyants, comme une
profanation, à peu près analogue à celle dont se rendraient coupables ceux qui
voudraient écrire l'histoire comparée des religions médiévales. Par contre, la
préoccupation d'attirer surtout l'attention sur ce o^u'on appelle la scoiastiqKê, •
« sur une œuvre formelle, abstraite, conforme sans doute à la foi religieuse,
mais constituée dans une région purement intellectuelle de l'âme, sur um
forme pseudo-aristotélique dont oh fait l'essentiel de la philosophie du môyen
âge », a peut-être contribué, comme le pense M. Boutroux, à faire que les hom-
mes de nos jours, dont l'intelligence a été formée par la science et la vie moder-
nes, n'y aient vu que des documents historiques et des curiosités d'érudition. Et
de fait, il semble que depuis la restauration du thomisme et de la scolastique par
les catholiques,bon nombre d'homme; cultivés et même de maîtres d'enseigne-
ment supérieur ont éprouvé un dédain grandissant et non dissimulé pour « ces
concepts quasi mathématiques, immobiles, sans profondeur et sans âme ». Ce
dédain, ne sauraient certes l'avoir, quelles que soient d'ailleurs leurs convic-
ils
L'ouvrage d'Ueberweg (1), mis au courant des travaux récents par Heinze, va
des origines du christianisme à la Renaissance et à la Réforme îe christianisme
:
(1) Friedrich Ueberweg's Grundriss dei- Philosophie, Zweiter Theii, Die miMlere
oder die patristische und scholastic e Zeit. Achte.
. .Auflage, hgg. Von Max Hsinxe,
VIII-364 p., 1898.
PlCAVET &i
306 HISTOIRE COMPARÉE DKS PH1LOSOPHIES MÉDIÉVALES
Une première période s'étend des Apôtres à Charlemagne ; unfe seconde com-
prend la scolastique proprement dite.
Le concile de Nicée (325) partage la première en deux parties. D'abord se fait
4a genèse des dogmes fondamentaux, par les Pères apostoliques, les Gnostiques
et les Apologistes, les partisans de ftlomousie et leurs divers adversaires, par
Clément, Origène et les Pères latins la spéculation est théologique et philoso-
:
phique. Puis, du Concile de Nicée à Alcuin et Fridugise, avec les trois lumières
de l'Eglise de Cappadoce, avec saint Augustin et Synésius, le pseudo-Denys et
Jean Damascène, Claudianus Mamertus, Capella, Boèce et Cassiodore, Isidore
de Séville et Bède le Vénérable, on développe, on fortifie le dogme on le défend
;
saint Ambroise imite Cicéron Sénèque est rangé par les chrétiens parmi les cor-
;
moines. C'est chose fort légitime d'étudier à part les Grecs et les Latins restés
fidèles à l'hellénisme, puis les philosophes chrétiens qui ont écrit dans l'une ou
l'autre langue pour suivre la décadence des uns et les progrès des autres. Mais
ce sontdeux recherches qu'il faut mener de front pour faire l'histoire comparée
des idées et des systèmes (ch. III).
En second lieu, la Renaissance —
la troisième, puisqu'il y en eut une avec
Charlen igne, une autre avec le xm e siècle — n'a point mis fin aux conceptions
théologiques dont vécut l'époque médiévale, pas plus que la Réforme où l'on vit
des guerrres religieuses, une scolastique protestante et une restauration catholi-
que du thomisme, li fallut Galilée, Bacon et Descartes, le traité de Vervins et
l'histoire enseig née et écrite. 307
Ces critiques ne saur aient faire oublier ce que nous devons à Ueberweg-Heinze.
Leur bibliographie est aussi complète que possible, L'exposition de la patristi*
que est exacte et suggestive, comme d'ailleurs celle de bon nombre des para-
graphes relatifs à la seconde période, spécialement de çeux qui portent sur
Jean Scot — où l'on souhaiterait seulement unipeu plus de place pour les dis-
cussions sur la Prédestination — sur saint Anselme et Jean de Salisbury, sur
Albert le Grand, saint Thomas, Duns Scot et Occam.
Ainsi si nous trouvons chez les historiens dont nous avons rapplé les œuvres
des informations précieuses et dont il est nécessaire de tenir grand compte, il
reste bien faire une étude générale et comparée des philosophies médiévales.
Il semble qu'elle ne peut être menée à bonne fin, ni par un Français qui ferait
.
trouve en mais aussi qu'il rencontre chez ses contemporains ou qu'il aper
lui,
coit dans œuvres <Jcs hommes d'autrefois, qu'il commence ses recherches.
les
comment les idées étaient associées pour former des systèmes qui, avec les
groupements divers des sentiments, concouraient à expliquer la réalité et à
déterminer l'orientation de la vie individuelle et sociale. En ce sens psycho-
logique et philosophique (1), l'étude absolument impartiale et, par suite, aussi
complète que possible du passé de l'humanité, surtout des religions et des philo-
sophies, lui est aussi indispensable que l'examen des résultats auxquels aboutis-
sent, dans leurs recherches les plus récentes, les sciences physiques, naturelles
et morales.
C'est à ce point de vue que nous nous sommes placé (2), dans nos précédents
travaux relatifs à l'histoire des philosophies médiévales, comme pour diriger
(1) On peut y voir la synthèse des affirmations de M. Théoduïë f^ibot, éparses dans
toutes ses recherches psychologiques et de M. Boulroux, dans ses Études sur l'histoire
'
de la philosophie.
(2) Dès 1889, en même temps que nous exposions l'histoire des dogmes, nous commen-
cions une série de recherches auxquelles se sont joints un certain nombre des jeunes gens
qui suivaient nos conférences et que nous avons cru pouvoir grouper sous le titre de Société
d'histoire générale et comparée des philosophies médiévales. Pour nôtre part, nous
avons publié, Kant, Critique de la Raison pratique (traduction nouvelle), 1888. 3« édi-
ion, 1906, Histoire des rapports de la théologie et de la philosophie, 1888 (voir
ch. IV)De C origine de la scolastique en France et en Allemagne, 1889 (voir ch. VI)
;
;
Les Idéologues, 1891 Le mouvement néo-thomiste, 1892 (voir ch. IX) Néo-thomisme
; ;
et scolastique, 1893 (voir ch. IX); La scolastique, 1893 (ch. VII) La Science expé-
;
scolastique, 1896 (ch. VIII) ; Discussions sur la liberté au temps de Gottschalk, 1896
(ch. VI); Renaissance des études scolastiques, 1896 Roscelin, 1896; Gerbert, 1897
; ;
IX^hu XIIIe siècle, 1901 (ch. IV) Les Historiens de la philosophie scolastique, 1902
;
ch. X): Plotin et les Mystères d'Eleusis, 1903 (ch. V); Ptolin et S. Paul,iW6
(ch. V). De nombreux articles sur les philosophies médiévales ont paru dans la Grande
Encyclopédie; École péripatéticienne, Pierre d'Aquila, Pierre de Corbeil, Pierre
d'Espagne, Pierre de Poitiers, Pierre de Prusse, Pierre de Mariscourt, Pierre de
S. Joseph, Pierre de Mantoue, Paul de Venise, Porphyre, Priscien, Priscus, Proces-
sion, Puissance, Quadrivium, Raimbert, Rainaud, Ranulfe de Humblières, Raoul
le Breton, Raymond {de Tolède) Raimond de Sebonde, Reinhard, Remid' Auxerre,
;
verse sacramentaire au XI" ùd.) P. Alphandéry, Les Idées morales chez les hété-
;
ceux des jeunes gens qui ont bien voulu nous prendre pour guide. Gest à ce
jtoint de vue que nous avons composé la présente Esquisse et que nous enseigne-
rions et écririons Y Histoire générale et comparée, à laquelle cette Esquisse peut ser-
vir d'introduction (1), quoiqu'elle soit, en principe, destinée à se suffire à elle-
même.
pour y rentrer ou s'y réunir, certains des êtres ainsi produits, en d'autres termes,
.
CONCLUSION 311
comment notre monde est créé, puis gouverné par Dieu, comment se réaliseront
un jour la justice, la sainteté, la béatitude que l'homme conçoit et qu'il désespère
parfois d'atteindre en cette vie.
Une semblable doctrine tient compte, comme Ta justement dit M. Boutroux,
non seulement de région purement intellectuelle de l'âme, mais « de la
la
croyance, de l'amour et de la vie». Pour instituer sa dogmatique et sa mysti-
que, qui s'accompagnent et se complètent, elle invoque, comme eût dit Platon,
la dialectique des idées et la dialectique des sentiments, ou comme dirait M. îiibot,
la logique rationnelle et la logique affective.
Par conséquent le système dont s'inspirent les philosophies médiévales et qui
les dépasse toutes en ampleur et en harmonie est caractéristique, en ce sens, que
non seulement toutes les données déjà acquises par tes sciences physiques, natu-
relles, psychologiques et morales y trouvent place, mais encore parce qu'elles
sont utilisées pour la construction du monde intelligible et pour l'union, partielle
ou complète, de notre âme avec Dieu le sensible et l'intelligible, distingués et.
:
nettement séparés, sont aussi fortement liés qu'ils peuvent l'être, le principe de
perfection auquel obéit le second, laisse aux principes de contradiction et de cau-
salité tout ce qui, du premier, ne doit pas nécessairement être modifié en vue
du divin et du parfait.
cle à nos jours, les doctrines religieuses des Musulmans d'Orient jusqu'au
xi a siècle, des Musulmans d'Occident jusqu'au xm e
,
apparaissent ainsi avec des
caractères communs d'une importance suffisante pour qu'il soit possible d'en
extraire une philosophie religieuse, dont la constitution serait d'une valeur
incontestable pour histoire des religions. Qu'on puisse tirer une philosophie
1
des religions antiques ou primitives, c'est ce que l'on soutient et ce que l'on
essaie de faire, malgré les lacunes des traditions et des textes, parfois même en
l'absence de dates précises qui en marquent le développement continu ou syn-
chronique. La philosophie des religions médiévales du i e 'siècleau xvn e peut, au ,
qui fait une grande place aux causes secondes et sera, pour cette raison, un pré-
curseur de Montesquieu, elle est déjà métaphysique et scientifique avec Descar-
tes et Pascal, qui mettent au premier plan le progrès des sciences et de la raison.
Puis la doctrine de la perfectibilité, chrétienne encore avec Turgot, devient
exclusivement humaine avec Condorcet qui en donne la formule la plus com-
plète. "Et l'on peut se demander ce que l'évolution spencérienne et le transfor-
misme darwinien conservent ou modifient des- théories sur le progrès que déve-
loppent, snrtout au point de vue moral et social. les partisans de la Révolution
française.
r.ONCLUSIOjN 315
que rationnelle s'est émancipée la déduction fut l'œuvre des anciens ; l'induc-
:
-dont on exclut les théories et les hypothèses;- qui ne sont que des instruments
d'ordre ou de découverte. C'est dans l'activité religieuse qu'elle rencontre sa
manifestation la plus complète. Soustraite au principe de contradiction, elle est
régie par ce que M. Ribot appelle le principe de finalité, considéré comme indé-
1
tionne la série. •
affectif est engendré par une croyance ferme et sincère qui se refuse à être trou-
blée et aspire au repos il s épanouit luxurieusement. dit M. Ribot, dans toutes
:
les religions. Enfin, copnposé ou mixte, il suppose, comme dans les plaidoyers
de toute sorte, un enchaînement rationnel qui en est le squelette, l'emploi des
émotions comme moyen d'agir et comme procédé d'argumentation. C'est une
(!) Herm. Siebeck, Geschichtè der Psychologie, 4880; 1884. La première partie, en
deux divisions, a seule paru. Elle va jusqu'à S. Thomas.
316 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
FIN
(4) Voyez tout ce qui a été dit des deux mondes et des' principes qui les régissent.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos ....
Bibliographie générale
CHAPITRE PREMIER
I. L'histoire de la civilisation porte sur l'antiquité, le moyen âge et les temps modernes.
Les éléments essentiels sont, pour toute civilisation, l'agriculture, l'industrie et le com-
merce, les institutions familiales et sociales. L,es leïtres, les beaux-arts, les sciences et
la philosophie, en s'y ajoutant, constituent les civilisations les plus avancées. Certains
historiens traitent d'une civilisation en donnant à chacun de ces éléments l'importance
qu'il a eue dans la réalité d'autres s'attachent à un seul d'entre eux.
;
— II. L'historien
des philosophies réunit tous les textes, œuvres et fragments originaux, expositions faites
d'après des documents disparus. —
111. L'histoire bibliographique de ces textes différents,
des manuscrits et des éditions, c(onne une idée générale de l'œuvre philosophique. —
IV. L'authenticité des textes, abordée dans l'étude précédente, estdéterminée parles preu-
ves externes et internes, pour lesquelleson tient compte des travaux critiques dont ils ont
été déjà l'objet. —V. Les textes, immédiats et médiats, sontensuite classés d'après leur
valeur respective. — 1
ce qui lui vient de ses prédécesseurs ou de ses contemporains, ce par quoi il agit sur ses
318 HISTOIRK COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
successeurs. On pourra ensuite, par la même méthode, faire l'histoire d'une école ou
d'une époque. — XII. Ainsi comprise, l'histoire des philosophies peut rendre de grands
services à l'histoire, des institutions et des hommes, des lettres et des arts, des* religions,
des langues et des sciences, à la psychologie, à la philosophie des sciences et à la méta-
physique p> j_23
CHAPITRE II
La civilisation médiévale
sauf celle de la Grèce, mère de la nôtre, les religions, différentes et «imemies, sont pré-
pondérantes et forment un centre autour duquel se groupent les autres éléments.
II. On a soutenu qu'il n'y a pas de civilisation au moyen âge, en s appuyant sur les inva-
sions des Barbares, sur des faits empruntés à la vie sociale, sur l'état des sciences, de
l'histoire, de la pensée et de la philosophie. — III. En admettant la vérité des faits et la
valeur limitée des arguments, on sait que Byzancea conservé la civilisation et l'a trans-
mise aux Syriens et aux Arabes, aux Bulgares, aux Slaves et aux Occidentaux. Les
Occidentaux et les Arabes, à partir du vm« ou. du ixe siècle, les Juifs, avec les uns et les
autres, s'assimilent et complètent ce qu'a laissé l'antiquité, préparent la science et la
pensée modernes. 11 y a eu barbarie il n'y a pas eu que barbarie.
; — IV. La caractérist-
ique de la civilisation médiévale, c'est la religion et surtout la théologie. Les Juifs suivent
leur tradition en la modifiant. Les chrétiens constituent des hiérarchies, céleste et infer-
nale, ecclésiastique et laïque. Dieu gouverne d'après des lois et aussi par des miracles. C'est
de lui que vient tout pouvoir, c'est par lui qu'il s'exerce. La prière, l'obéissance, l'humi-
lité, la pauvreté sont propres à rapprocher de Dieu, séculiers et réguliers, pendant toute
l'on use le plus de de l'expérience sont celles où la civilisation est la plus bril
la raison et
lahte. — VIII. La médiévale ne commence pas en 395 ou 476 pour finir
civilisation
\ en 1453. Pour le christianisme, il faut remonter à l'avènement du Christ; il faut, pour
comprendre le développement de la civilisation chrétienne, étudier Philon et Plotin, le
mouvement religieux qui se manifeste, à partir d'Aguste, dans là foule et dans l'élite.
La civilisation médiévale part donc du I«r siècle de l'ère chrétienne. Elle "finit, ou plutôt
éllé laisse une place de plus en plus grande à la civilisation moderne, au xvn e siècle,
après l'édit de Nantes et le Traité de Vervins, avec Galilée et Harvey, Bacon et Des-
cartes. . . . . p. 24-41
CHAPITRE III
I. Les philosophies médiévales, dont une histoire comparée est possible, commencent avec
S. Paul, Philon, Apollonius de Tyane, Plutarque de Chéronée et Sénèque. Une première
période va du i er au viir5 siècle, avec subdivisions en 325 et en 529; une seconde, do
vu*r% au xvii e avec subdivisions à la fin du xn e siècle et en 1483. Elles sont un mélange
,
déplus en plus comme une église. Le scepticisme fournit des éléments pour une théo-
logie négative et pour la solution de la question des rapports entre te foi et la raison.
De l'Académie, par Carnéade', vient une théorie'de la liberté, qui développe celle d'Aris-
tote. Celui-ci transmet une logique fondée sur les principes de contradiction et de causa-
lité, en opposition avec les logiques qui répondent à un monde intelligible et au principe
Juifs, Saadia, Ibn Gebirol, Maimonide; chez les chrétiens d'Occident, d'Alcuin et de
Jean Scot Erigène à Alain de Lille. — IX. Du xnr9 siècle, à ia prise de Constantinople, il
reste dés philosophes chez les Grçes, chez les Juifs ; mais c'est dans l'Occident, surtout
au xm e siècle et dans la première moitié du xiv" que là' philosophie est florissante.
La décadence vient ensuite. Après 4453, il n'y a plus de philosophie byzantine. Eh Occi-
dent* c'est la Renaissance et la Réforme. La première fait revivre les doctrines antiques
tique philosophique comme la théologie scolastique ; mais les protestants refont, avec
Mélanchthon, une scolastique péripatéticienne, les catholiques reprennent le péripaté-
tisme thomiste. La philosophie scientifique s'empare, au début du xvir* siècle, des esprits
amis de l'observation et de la réflexion, elle devient la caractéristique de l'époque
moderne, sans faire disparaître complètement le thomisme et la scolastique, dont nous
avons vu une nouvelle restauration chez les catholiques dociles aux enseignements de
Léon XIII. — X. C'est du i^ au vm° siècle que se marquent les directions philosophi-
ques. Le christianisme, le stoïcisme et le néo-platonisme se disputent J'influence. Puis le
christianisme est en lutte avec le néo-platonisme. Vaincu une première fois avec Julien,
celui-ci meurt par Justinien ou plutôt achève, avec le Pseudo-Denys. d'être absorbé par
le chris'»«nisme. Les néo-platoniciens ont constitué un monde, intelligible dont le monde
sensible est une image, ordonné et hiérarchisé d'après le principe de perfection, où
l'interprétation allégorique des textes, des idées oq des données positives repose sur une
.
analyse psychologique d'une précision et d'une exactitude qui n'ont pas été surpassées
tant qu'on s'est limité à l'observation intérieure et s'appuie sur des comparaisons admi-
rablement choisies. Leur système inspire et domine ainsi toutes les philosophies médié-
vales. On ne peut donc les caractériser en disant qu'Aristote est le maître de tous les
philosophes ou qu'elles relèvent de l'autorité ou qu'elles sont tout occupées du problème
des universaux ou qu'elles se ramènent à une scolastique chrétienne, et à une antiscolas-
tique, non chrétienne ou hérétique. Tous les philosophes sont des théologiens dont les
conceptions portent sur le monde sensible et intelligible, sur la vie présente et future, en
se rattachant à la religion, à la philosophie, à la science, grecques et latines. Elles sont
d'autant plus remarquables qu'elles font une part plus large à l'expérience et à la raison.
La méthode scolastique emploie le syllogisme, prend des prémisses aux livres sacrés et
profanes, au bon sens, à l'expérience et à ia raison, use de l'interprétation allégorique,
divise les questions, examine et oppose les arguments positifs et négatifs. Elle se com-
plète par une méthode mystique qui indique à l'homme comment il peut s'unir à Dieu.
Elle remonte à Plotin quiy fait une place à la science, à l'esthétique et à la morale.
L'histoire comparée des philosophies médiévales présente des systèmes li'és à des reli-
gieux qui se pénètrent et se combattent elle révèle des types disparus ou aujourd'hui
;
incomplets ; elle nous montre une analyse des idées poussée à ses dernières limites, des
combinaisons systématiques ou non, logiques ou imaginatives, d'une richesse et d'une
variété qui révèlent la puissance créatrice de l'ésprit humain. . . p. 42-63
. . ,
CHAPITRE iV
I. Du premier siècle à 325, il y a des écoles, dans tout l'empire, pour les représentants de
l'hellénisme, pour les chrétiens, à Alexandrie, pour les Juifs, à côté des synagogues.
De 325 à 529, il y a des écoles néoplatoniciennes, juives et chrétiennes. De 529 au
vm° siècle, il y en a chez k- 1
-étiens d'Orient, il en reste quelquès-unes en Occident.
Du vin" au xni e siècle, les écoles sont florissantes chez les Juifs, les Arabes, les chrétiens
d'Orient et d'Occident. De 1200 à 1453, les écoles, mutilées chez les Arabes, se main-
tiennent à Byzance, sont florissantes chez les Juifs, chez les chrétiens occidentaux, où
elles constituent des Universités. Au xvi" siècle, il y a une grande activité dans les
Ecoles catholiques et protestantes au xvir et au xvm», les progrès des sciences et de là
;
des Facultés ou des Universités se pose un certain nombre de questions. Il lui est assez
facile de réunir, pour les Ecoles actuelles, les documents qui indiquent ce que l'on a
voulu en faire. Mars il doit les comparer soigneusement avec les institutions dont ils ont
préparé et réglé la création, surtout pour découvrir l'étendue, la valeur et la solidité ri./,
l'instruction ou de l'éducation. Sans doute, l'instruction s'acquiert et l'éducation se tV
autrement que par les Ecoles. Mais leur histoire est une partie considérable de l'histoire
des institutions, qui éclaire celle des faits et des idées, qui permet parfois d'introduire
des modifications heureuses dans la société dont nous faisons partie. —
III. Dans la
période médiévale, c'est l'histoire des écoles du vm e au xiir5 siècle, qui est la plus
curieuse à étudier. Tout concourt alors à continuer, à maintenir et à compléter le
travail de l'école et de ses maîtres. C'est en pariant de cette époque, comme d'un point
central, qu'on peut embrasser dans son ensemble la pensée du moyen âge. Les difficultés
sont nombreuses : il y a peu de documents authentiques, beaucoup d'apocryphes, de
déflorations, d'interprétations allégoriques, de procédés apologétiques, de généralisations
hâtives. C'est pourquoi les monographies sont nécessaires. —
IV. Il faut d'abord dresser
Picavet
ÎÏ22 HISTOIRE COMPARÉE DKS PHtLOSOPHtES MÉDIÉVALES
la liste des écoles, du vih« au xiu* siècle, puis réunir les documents contemporains ou
postérieurs et examiner la valeur dés travaux auxquels chacune d'elles a donné lieu,
pour savoir s'il convient d'en faire la monographie.' Dans ce dernier cas, on se pose ifh
certain nombre de questions générales, puis on subdivise chacune de celles qui concer-
nent les mitres, les élèves, les matières enseignées, etc. La réunion de ces monographies
donnerait tout ce qu'il est possible de savoir sur cette époque : elle aurait une valeur
pratique comme une valeur historique. —
V. L'hisloire des rapports de la philosophie et
dé Sa théologie est aussi nécessaire que celle des écoles à l'histoire comparée des philo-
sophie» médiévales. C'est chez les chrétiens que l'on voit mieux quels problèmes se posent
pour toute la période. L'opposition est d'abord presque complète entre le christianisme et
la philosophie grecque ; mais celle-ci se fondra, comme la civilisation grecque, dans la
théologie et la philosophie chrétiennes. —
VI. Du premier siècle au concile de Nicée, la
théologie chrétienne et la philosophie hellénique se combattent, se pénètrent, s'allient,
avec S. Paul et les gnostiques avec les apologistes, saint Justin, Talien, Alhénagore,
-
Théophile, Hermias ; puis avec IVénee et Hippolyte, avec Tertullien et les adversaires des
monarchiens avec l'école catéchetique d'Alexandrie ; avec Minucius Félix, Arnobe et'
:
Lactance, - VU. De 325 au vin* siècle, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et
saint Gréera de Nysse. Synésius et Némésius. Jean Philopon, le Pseudo-Denys l'Aréo-
pftgite, ixîmele Confesseur et Jean Damascène, saint Augustin, Claudianus Mamertus,
néo-platoniciens, des Arabes et dés Juifs. Au xvi* et au xvh* siècle, ils luttent entre eux
et contre les savants ou contre les philosophes qui ont renouvelé les théories antiques et
formé des systèmes nouveaux. XI. Pour faire l'histoire des rapports de la théologie et
de ia philosophie, il faut joindre, aux œuvres des théologiens ët des philosophes, les
décisions des conciles, les bulles des papes, les doctrines des hérétiques, les travaux
hisionques, littéraires et juridiques, ceux des astrologues et des alchimistes. Il faut,
s'occuper des œuvres d'art, des bibliothèques et des manuscrits, des universités et des
écoles, des ordres religieux, etc. if faut suivre chronologiquement un certain nombre de
questions ; il faut prendre chacun des textes» antiques, se demander ce qu'il a fourni aux
hommes du moyen âge et ce que ceux-ci nous ont transmis ou donné p. 64-84
. .
CHAPITRE V
1 . L'énumération des philosophes et des théologiens a montré qu'ils ont eu pour maîtres
on trouve, à toutes les époques,
Plotip et les néo -platoniciens bien plus qu'Aristote. Mais
des témoignages d'une admiration sans limites pour Aristote et ses doctrines. Il faut
donc procéder à une contre- épreuve, examiner quelle fut la fortune d'Aristote, depuis sa
mort jusqu'à nos jours, en se souvenant que le disciple, chez les Grecs qui se distin-
guent ainsi des Hébreux et des Romains, a reçu l'enseignement du maître, mais estime
lui faire honneur en pensant par lui-môme, en allant plus loin dans la môme voie, par-
lois m^tne en le comhaUant. *— II. Sept périodes peuvent être distinguées dans l'his-
TABLE DES MATIERES 323
toiredu péripatétisme. Dans lapremière, de 322 av. J.-C, à l'ère chrétienne, Aristote
agit sur les Stoïciens, les Epicuriens et les Académiciens^ Les scolarques et les autres
péripatéticiens so.nl des savants et des philosophes qui continuent, dans toutes les direc-
tions, l'œuvre du maître. L'école compte des métaphysiciens et des logiciens, des mathé-
maticiens et des astronomes, des théoriciens de la musique, des physiciens et des natu-
ralistes, des médecins et des psychologues, des moralistes et des historiens, des
géographes et des esthéticiens. —
III. Du ier siècle au ix e la science positive passe au
,
second pian. Le péripatétisme, comme toutes les autres doctrines, est surtout considéré
d'un point de vue théolôgique et religieux. Les péripatéticiens sont des exégètes et des
.commentateurs, dont le principal est Alexandre d'Aphrpdise. Le péripatétisme se retrouve
chez tous les éclectiques II est absorbé dans le néo-platonisme et le christianisme.
Pendant tout le moyen âge, les commentateurs néo-platoniciens suivront et compléteront
Aristote. —
IV. Du ixe au xme siècle, il y a chez les Byzantins et les Syriens, des com-
mentateurs et des traducteurs d'Aristote. Les philosophes arabes, comme Avicenne et
Averroès, qui témoignent une vive admiration pour Aristote, le voient à travers le néo-
platonisme et lui attribuent des apocryphes dont les doctrines sont néo-platoniciennes.
Il y chez les Arabes, des atomistes et des mystiques, des théologiens qui ne veulent
a,
même pas de la logique péripatéticienne et qui font détruire les œuvres des philosophes.
Le péripatétisme d'Ibn-Gebirol et de Maîmonide est plus voisin de Plotin et de Proclus
que d'Aristote. Les Juifs transmettent à l'Occident chrétien les œuvres arabes et le péri-
patétisme néo-platonicien. Jusqu'au xn e siècle, les chrétiens occidentaux ne connaissent
qu'une partie de YOrganon. L'étude continue de ses Catégories, qu'on ne peut com-
pléter par celles de Plotin, produit des nouveautés et des hérésies. — V. Du xni* au
xv e siècle, le péripatétisme, dédaigné comme toute philosophie chez les Arabes, survit à
Byzance. Les Juifs se mêlent aux chrétiens d'Occident, parmi lesquels le péripatétisme
prend une importance croissante ; mais Aristote n'est pour eux ni un maître incontesté,
ni le seul maître.— VI. Du xv e au xvn e siècle, on trouve des humanistes et des savants,
des philosophes qui font renaître les doctrines stoïciennes et épicuriennes, académiques
et sceptiques, qui combattent par suite Aristote ; on cite des péripatéticiens albertistes,
thorrustes, occamistes. averroïstes et alexandristes ;on trouve le péripatétisme des luthé-
riens et celui des jésuites.— VIL Au xvir2 siècle et au xvm«, il y a ruine de la scolas-
tique et déclin de l'aristotélisme chez les catholiques, persistance de la scolastique péri-
patéticienne en Allemagne. Au xixe siècle, les philosophes et les érudits allemands
publient et commentent Aristote, les savants et les philosophes français, plus encore les
néo-thomistes, dans tous les pays catholiques, lui font une place considérable. A aucune
époque il' ne fut le maître dont on reproduit fidèlement toutes les doctrines sans les
mêler ou les subordonner à d'autres, sans les transformer ou les compléter. — VIII. On
peut, se rendre compte de la manièredont le néo-platonisme s'est répandu dans le monde
médiéval, en voyant comment, avec Plotin, il s'est substitué, clans les mystères d'Eleu-
sis, à l'interprétation stoïcienne. La philosophie de Plotin est une initiation. Le livre sur
le Beau, le premier pour l'ordre chronologique, donne le plan de l'œuvre tout entière et
explique les institutions, les rites, les pratiques des mystères dont le plotinisme devient
l'interprétation. — IX. Le livre sur l'Un ou le Bien, le 9e dans l'ordre chronologique,
contient les traits essentiels de la philosophie néo-platonicienne, la théorie de l'Un dont
procèdent tous les êtres et celle de l'extase, par laquelle nous nous unissons à lui. Sans
cesse Plotin rappelle les mystères, il montre que son système en fournit une explication
plus élevée et plus belle que celle du stoïcisme et aussi que le système lui-même peut
être accepté par ceux qui n'admettraient pas les Mystères. Les mêmes conclusions res-
sortent du 40*. du 28e, du 30e livre dé Plotin. — X. Après Plotin, dont les tendances
sont plus philosophiques que religieuses, la lutte se poursuit entre les partisans de l'hel-
lénisme et les chrétiens. L'interprétation plotinienne des mystères sert surtout à défendre
l'ancienne religion, qui est ruinée à la suite de luttes politiques où la violence a plus de
part que les convictions philosophiques ou théologiques. Le plolinisme ne disparut pas
avec elle. Par les doctrines des successeurs de Plotin, il alimenta toute la spéculation
<V2\ HISTOIRE COMPARÉE DUS PHILOSOPH1ES MÉDIÉVALES
logie positive qui rassemble en Dieu toutes les perfections que lui avaient attribuées les
philosophie? et les religions antérieures. Elle rend compte de la production des êtres en
évitant le dualisme, le panthéisme et le fatalisme ; elle montre, appuyée sur Je principe
de perfection, en quoi consiste Tomni-prcsence de Dieu, comment peut se faire ici-bas
l'union momentanée de notre âme avec lui comment se fera l'union permanente et
;
durable de notre âme, débarrassée du corps, avec l'infinie perfection. Plotin a été connu
directement et indirectement, par les philosophes de l'Orient chrétien. Les Arabes et les
Juifs ont été au courant des doctrines plotiniennes. 11 en a été de même pour les philo-
sophes chrétiens de l'Occident qui ont puisé à des sources plotiniennes, néo-platoni-
ciennes, byzantines, arabes et juives . . . . . .. . . 85-116
. .
CHAPITRE VI
t. L'examen des historiens qui ont refusé de voir, dans Alcuin, un philosophe ; celui des
textes qu'ils avancent, nous obligent à le considérer comme le fondateur, au vin* siècle
de la scolastique française et allemande. —
II L'examen de ses œuvres conduit au même
résultat. Plus occupé de théologie que de philosophie, iîa parlé de la philosophie et des
sciences avec enthousiasme. 11 l'a considérée comme une véritable préparation évangéli-
que, comme une arme excellente contre les hérétiques. Il a traité de la grammaire de ;
n'a pas d'égal autemps de "Charlemagne. Il y a peu d'hommes au moyen âge qui méritent
de lui être comparés. L'œuvre de reconstitution de la pensée antique, après Alcuin et
Jean Scot, ne sera plus interrompue en Occident. . . . .417-440
. ....
CHAPITRE VII
1. L'histoire comparée des philosophies, du vhi« au xm e siècle, porte sur les Byzantius et
les chrétiens occidentaux, sur les Arabes d'Orient et d'Occident, sur les Juifs. Elle est
particulièrement intéressante en ce qui concerne les chrétiens d'Occident et les Arabes.
II. Pour les uns et pour les autres, il faut savoir ce qu'ils ont connu de l'antiquité.
Au vin" siècle, la médecine et la philosophie pénètrent chez les Arabes. Des traductions
d'Aristote et des néo-platoniciens, de savants et de philosophes grecs, sont faites an vuie,
au ix e et au x« siècle, pour la plupart, par les Syriens. Au temps de Gerbert, le9 Arabes
possèdent les connaissances positives qu'avaient accumulées les Grecs, les doctrines phi-
losophiques d'Aristote et des néo-platoniciens. Ils augmentent les unes et combinent les
vutres d'une façon originale. — III. Les chrétiens d'Occident sont moins bien partagés,
usqu'au xm° siècle, ils n'ont, d'Aristote, que i'Organon et il leur en manque même, à
resque tous la partie essentielle, les Analytiques. Ils connaissent des doctrines épicu-
iennes, néo-pythagoriciennes, académiciennes, stoïciennes, éclectiques; ils ont le Timée,
ginaux que les chrétiens occidentaux. Ni les uns ni les autres ne se sont uniquement
occupés du problème des universaux. Les Arabes étudient les sciences, comme la philo-
sophie et la théologie. Albategni, Aboul-Wéfa, Aîkhowarezmi, Thébit ben Korrah,
Alhazen, Al Sindjar, Arzachel, Mahomet- ben-Mousa font porter leurs recherches sur la
trigonométrie, l'algorisme ou les premiers éléments d'algèbre, sur la géométrie, l'optique
et l'arithmétique. A Bagdad, au Caire, à Damas, à Cordoue, à Séville, à Grenade, k
Tolède, à Tanger, à Ceuta, etc., il y a des astronomes comme des mathématiciens. On
revise les Tables de Ptolémée, on dresse des tables nouvelles, hakémites, toîétanes, etc.,
on mesure la terre, on observe et on écrit. Parfois on se réclame exclusivement de l'ex-
périence ; parfois on se justifie d'observer par des raisons religieuses et pratiques par- ;
fois on mêle l'astrologie et l'astronomie. Les astronomes les plus célèbres sont Albategni.
Alfergani, Alkindi, Albumazar, les trois fils de Mouza-ben Schakir, Thébit.ben Korrah.
Aboul-Wéfa, Ibn-Younis, le juif Arzachel, Geber, Averroès, Aboul-Hassan, etc. En
chimie Geber. au vm e siècle, unit l'observation et le raisonnement le Pseudo-Calid
;
associe l'alchimie à l'astrologie. L'école de médecine de Bagdad donne, sur les sciences
naturelles, des travaux importants. — V. La philosophie arabe se mêle à la théologie et
aux sciences. Les motecallemin emploient la dialectique contre les hérétiques. Des
sectes s'élèvent, kadrites, djaba rites, cifatistes, dont les molazales tentent de systématiser
en -partie les doctrines. Puis, avec l'introduction des œuvres grecques, des. écoles philo-
sophiques prennent naissance. Presque toutes font appel au néo-platonisme, mais sans
satisfaire les partisans orthodoxes du Coran. Un second calam se produit, qui a pour
objet de maintenir ou de constituer une théologie en accord avec le Coran. Pour cela on
s'adresse au néo platonisme et à l'atomisme ; on subordonne et parfois on sacrifie
les principes de causalité et de contradiction au principe de perfection. Al-Aschari,
et ses disciples, dont le plus redoutable pour les philosophes sera Al-Gazâîi, amèneront
au xii* siècle la disparition de la philosophie dans le monde musulman. Elle y eut pour
326 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHIES MÉDIÉVALES
aux chrétiens d'Occident des doctrines religieuses, mais surtout philosophiques et néo-
platoniciennes. - VII. Dans l'Occident chrétien, les sciences se présentent, du vin^ au
xiiie siècle, sous une forme d'abord rudimentaire, puis font des progrès de plus en plus
marqués, avec les apports qui viennent directement ou indirectement, du monde grec.
Les questions posées et résolues ne sauraient être ramenées aux problèmes des univer-
saux. Sous Charlemagne, la théologie est au premier plan. Deux grandes querelles,
celles des Adoptianistes et des Iconoclastes, occupent les hommes mêlés à la renaissance
littéraire, philosophique et scientifique. Alcuin touche à une foule de problèmes scienti-
fiques, théologiques, psychologiques, moraux ou métaphysiques. Sous Louis le Débon-
naire a lieu l'addition du filioque au Symbole. Les Fausses Décrétales apparaissent.
TABLE DES MATIÈRES
Puis c'est la querelle de Gottschalk sur la double prédestination, ce sont les premières
discussions sur la présence réelle. Au x« siècle se placent les recherches scientifiques,
,
philosophiques et théologiques de Gerbert. Au xi*, ce sont des hérésies ou des nouveau
1
tés qui font partout invasion il va des manichéens, des partisans et des adversaires de
:
ia présence réelle, des interprètes de la doctrine trinitaire, des théologiens et des philo-
sophes qui traitent de l'existence et de l'essence de Dieu. Au xne siècle, on trouve des
fondateurs d'ordre religieux ; des hérétiques ou des novateurs, qui sont encore plus mal-
traités qu'au siècle précédent, des philosophes qui traitent des universaux; des théolo-
giens philosophes, pour qui rien n'existe en dehors d'une métaphysique dont les princi-
pales doctrines viennent des Alexandrins. La lutte continue entre le pouvoir spirituel et
le pouvoir temporel. Le droit canonique et le droit romain sont invoqués tour à tour ou
simultanément. Le mouvement communal se produit. L'art ogival prend naissance. Les
alchimistes continuent leurs recherches et la psychologie réapparaît comme science natu-
relle. Enfin les traductions latines des auteurs grecs et arabes arrivent d'Espagne, —
VIII. Les philosophes les plus marquants de cette époque sont Jean Scot, Gerbert,
S. Anselme, Jean de Salisbury. Après eux viennent Aîcuin et Heiric d'Auxerre, Béren»-
ger de Tours, Abélard, les mystiques, tels que S. Bernard et les Yictorins. Enfin iî fau-
drait placer Raban Maur et Rémi d'Auxerre, Roseelin. Guillaume de Champeaux, etc. La
succession des maîtres est ininterrompue et nous conduit à l'Université de Philippe*
Auguste. — IX. L'étude des philosophies, du vin 6 au xiii« siècle, nous présente un
abrégé de leur développement dans tout le moyen âge . 141-177
CHAPITRE VIII
méthode démonstrative d'Aristote, mais aussi de celle par laquelle Plotin et sea succes-
seurs avaient rattaché le monde intelligible et le monde sensible. C'est Alexandre de
Haies qui transforme et complète la méthode, qui la transmet à tous les scolastiques du
xuic siècle et des siècles suivants. — III. La raison et lessciences tiennent de même
l'enfer, le salut pour l'homme : la justice^la bonté et' la puissance de Dieu. Aussi les
cômbat-il toujours et partout. Ils sont nombreux et nous pouvons, pour eux comme pour
bien d'autres, nous en rapporter au témoignage de S. Thomas. Les averroistes n'usaient
que d'arguments et de textes philosophiques; ils refusaient toute sagesse aux Latins,
soutenaient que tous les philosophes grecs et arabes, notamment les péripatéUeiens et
leur maître Aristote affirmaient comme eux l'unité de l'intellect. Ils faisaient ensuite appel
à la raison, pour établir leur thèse. Us opposaient la raison et la foi, faisaient intervenir
le principe de contradiction en matière théologique et maintenaient ainsi en fait, sans la
justifier en droit, la distinction du croyant et du rationaliste, bien avant les averroistes
de îa Renaissance- — V. Il y a ausjsi, au xuï« siècle, des partisans de l'expérience qui.
semblent la préférer à tout autre mode de connaissance. Tel est maître Pierre, dont Roger
Bacon fut le disciple. Tels sont les alchimistes étudiés par M. Berthelot. Byzance vit
qu'une science était impliquée dans les procédés techniques, qu elle perfectionna, mais
elle ne put l'en dégager. Les Syriens, les Persans, les Arabes continuent les Byzantins.
L'Occident a, vers le ix* siècle, les Compositiones ad tingenda qu'a publiées Muratori ;
importante dans l'histoire des sciences expérimentales. 11 y a une école d'alchimistes qui
font les expériences indiquées par les anciens et en imaginent de nouvelles. Aussi les
découvertes sont nombreuses et l'Occident devient une source où puise l'Orient grec.
Ainsi nous apparaissent, comme intimement liés, les progrès de Pexpérience et de la
raison, de la philosophie et de la théologie. — VI. Les scolastiques du xvu 6 siècJe ont
laissé ruiner l'œuvre de leurs prédécesseurs du xiii", pour avoir renoncé à tenir compte
de la raison et de l'expérience. La condamnation de Galilée, après les supplices de Gior-
dano Bruno et de Vanini, a été mauvaise pour la science, pour la philosophie, pour les
défenseurs du catholicisme et de sa scoîastique. Galilée donne le moyen de choisir entre
les hypothèses qui se partagent les esprits. !i institue juges suprêmes de toute discussion
scientifique observation et l'expérimentation, favorisées par des instruments nouveaux,
l
TABLE DES MATIÈRES 329
aidées par la déduction et le calcul. Il signale les montagnes de la lune, découvre dés
étoiles nouvelles et les satellites de Jupiter il entrevoit l'anneau de Saturne, observe les
:
astronomes préparent l'œuvre de Laplace. Les Académies groupent tous ceux qui veulent
utiliser les méthodes nouvelles pour augmenter les connaissances positives. Physiciens et
naturalistes travaillent à l'envi à renouveler les idées et les théories Les, scoîastiques
les ignorent, comme ils ignorent Bacon qui vante la nouvelle méthode, Descartes qui se
recommande de la raison et de la science, pour maintenir une métaphysique qui rappelle
S. Anselme et Plotin. De là résulte ce long et lourd sommeil de la scolàstique, que ses
modernes partisans tenteront de secouer en faisant intervenir la raison libre et les
sciences prises dans leur intégrité p. 478-245
CHAPITRE IX
I, S'il y a penseurs qui, auxvn siècle, n'ont d'autre guide que la raison et la science,
p!es
la civilisation théologique reste dominante. Il y a sans doute progrès de la pensée ration-
nelle et scientifique, déclin de la scolàstique ou du péripatétisme thomiste. Mais les phi-
.
losophiez religieuses du Moyen Age et les questions qu'elles agitaient continuent d'être
suivies ou discutées. Les catholiques et les protestants, les Arminiens et les Gomaristes,
les jansénistes et les quiétistes, Descartes et Pascal, Gassendi et Malebranche, Spinoza,
Bossuet et Fénelon, Locke et Condillac, Berkeley et Charles Bonnet, Voltaire et Rous-
seau, Muratori, Miceli et Vico, SainMMartin et les mystiques sont, en des mesures diver-
ses, attachés aux grandes doctrines qui supposent la prédominance d'un monde intelli-
gible sur le monde sensible, tout en s'opposant aux péripatéticiens thomistes, tout en
renonçant même aux erreurs et aux préjugés scoîastiques, pou c y substituer les décou-
vertes que font chaque jour les sciences positives. —II. En Allemagne, les philosophes
doivent se modifier incessamment avec les progrès des sciences de la nature, de la vie et
de la pensée. Pour ceux qui préfèrent rester fidèles au passé, la direction A suivre a été
indiquée par des hommes très différents d'origine et d'opinion. L'école idéologique a
remis en honneur l'étude historique du Moyen Age. Chateaubriand a estimé que certains
hommes ou certaines œuvres de celte époque ne sont pas indignes de l'antiquité ou du
xvir siècle. Madame de Staël a plaeé le -Moyen Age parmi les grandes époques de l'his-
a
toire de la littérature. Lamartine nous ramène au christianisme néo-platonicien Victor
;
Hugo, au moyen âge allemand et français. Bien d'autres, écrivains ou poètes, le*
accompagnent ou les suivent. La peinture est romantique avant la poésie. Les musi-
ciens puisent dans les légendes allemandes et françaises. — IV. Les idéologues et les
romantiques ont conduit les historiens à l'apologie ou à l'étude impartiale du Moyen
Age. Il en a été de même des historiens de la littérature et dêséruditsen général. L'école
éclectique a tenté défaire entrer définitivement les phi losophies médiévales dans l'histoire
générale et parfois y a cherché une règle de vie. L'Eglise catholique a été la dernière à
revenir à sa philosophie médiévale et même au thomisme. De Bonald, Joseph de Mais-
tre, surtout Lamennaisont contribué à l'y ramener. Adversaire de l'athéisme, du déisme,
du protestantisme, du cartésianisme et du gallicanisme Lamennais est ultramontain et
veut qu on remonte au delà du xvu« siècle. D'un autre côté, il pose les hases d'une récon-
ciliation entre l'Eglise et le libéralisme. Il justifie par avance la proclamation de l'in-
faillibilité du Pape et le retour au thomisme. — V. Le cartésien Sanseverino a publié
vers 1860 une Philosophie thomiste, qui fut approuvée par l'archevêque de Naples et
par Pie IX. Cornoldi institua une Académie et rédigea une Revue thomiste. Léon XIII,
dès son avènement au pontificat, recommandait le retour au thomisme, appelait le P. Cor-
noldi à l'Université -grégorienne et publiait l'Encyclique ^Eterni Patris. Des mesures
étaient prises pour constituer à Rome un enseignement thomiste dont l'influence se fit
sentir dans l'Italie et dans le monde catholique. A cette œuvre travaillèrent Cornoldi,
Zigliara, Lorenzelli, Satolli, Talamo, l'Académie romaine de Saint -Thomas et la Grego-
riana, la Scuola cattolica, la Civilta cattolica, le Divus Thomas, etc. Des propo-
sitions de la Teosofia de Rosmini furent condamnées en 1887. Le retour du kantien
positiviste, Ausonio Franchi, aux doctrines catholiques et thomistes, provoqua des discus-
sions aussi vives que la condamnation de Rosmini. Les thomistes romains ont fait pénétrer
leurs doctrines dans les Universités catholiques, dans les séminaires, chez les évêques, les
prêtres, les moines. Mais des catholiques mêmes trouvent qu'ils n'ontpasagi surla société
moderne, parce qu'ils n'ont fait œuvre ni decriliques. ni d'historiens ou desavants. —
VI.
Dès 1892 les catholiques belges avaient créé un enseignement qui répondait complètement
aux vues exposées dans l'Encyclique AUterni Patris et auquel se rattachent les noms
d'Evangélista, de Devivier, de Bossu, de Lahousse, de Van (1er Aa, de Castelein, de Van
Weddingen. C'est en 1880 qu'à la demande de Léon XI (Lies évêques de Belgique fondaient
à Louvain une chaire de philosophie thomiste, confiée à l'abbé D. Mercier. En 4884 les
catholiques reprenaient le pouvoir. En 1888, Léon Xllldemandaitqu'on créât à Louvain un
Institut thomiste. Mgr Mercier, chargé de le diriger, y joignit un séminaire pour rece-
voir des clercs destinés à devenir professeurs dans les grands séminaires, fl s'est pro-
posé de former des maîtres pour la physique et la chimie, la géologie et la cosmologie,
la biologie et les sciences naturelles, les sciences archéologiques, philologiques et
sociales, comme pour philosophie. L'Institut comporte trois grands compartiments,
la
sociales, des doctrines traditionnelles de l'Ecole. Elle a, fait une grande place à la polé-
mique contre les théories ou philosophiques que réprouve Léon XIII, spéciale-
sociales
ment contre le kantisme . Elle attaque l'anticléricalisme sous Combes, les scolastiquès
attardés et les rosminiens elle trouve que l'antisémitisme de S Thomas, qu'elle compare
;
à celui de Drumont, était justifié en principe et en fait. C'est dans la religion, non dans
le sang ou la race, qu'il faut chercher l'explication dernière de la permanence des Juifs
comme nation distincte, de leur insociabilité et de leur exclusivisme. Le remède, c'est
que l'Etat chrétien oblige les Juifs à être des mémbres producteurs, à se livrer à un tra-
vail utile et qu'il les exclue de son administration ; c'ést que les chrétiens leur ferment
leurs salbns. Parfois la Revue néo-sco las tique s'attache a taire connaître, aussi exacte-
ment que possible, les doctrines historiques ou scientifiques, à traiter avee modération
des adversaires qui se réclament de la pensée rationnelle et scientifique. Elle a fait une
place considérable aux questions scientifiques et à la métaphysique qu'elles rejoignent,
comme à la sociologie. Elle est ouverte aux thomistes des autres pays et signale leurs
Revues, leurs articles ou leurs livres. Léon XIII estimait que l'influence de l'Université
de Louvain a été grande en Belgique. En fait, elle a, pour sa bonne part, contribué à la
conquête, par les catholiques, du pouvoir politique et elle sert à le leur conserver. Le
i
thomisme a uni les catholiques entre eux. en leur montrant le but suprême à atteindre,
et contre leurs adversaires, tous ceux qui ne sont pas catholiques et thomistes. Aussi
l'œuvre accomplie en Belgique et surtout à' Louvain a-t-elle été fort admirée par les
catholiques de tout pays. En réalité, il y a eu un eftort considérable pour assimiler
les résultats obtenus par les savants et les historiens modernes, mais si l'on fait appel
à la science et à la, raison, c'est, en définitive et surtout comme au xm* siècle, pour
combattre et extirper, dans tous les domaines, les erreurs modernes. — VII. La ten^
dance des catholiques de l'Allemagne du Sud et des provinces rhénanes à revenir au tho-
misme s'est manifestée dans les Revues anciennes, Theologische Quartalschrift dé
ÏVibingen, Natur und Offenbarung de Munster, Katholik de Mayence, Stimmen au*
Maria-Laach de Fribpurg, Historisch-politische Blàtter fur das katholische
Deutschland de Munieh, Zeitschrift fur katholische Théologie d'Inspruck. De nou T
vel les Revues se sont fondées, les Saint- Thomas Blàtter à Ratisbonne, le Jahrbuch
fur Philosophie und spéculative Théologie, à Paderborn et à Munster, surtout le
Philosophisches' Jahrbuch de la Gôrres-Gesellschaft. Toutes ces Revues, mais spé-
cialement la dernière, se proposent de mettre en lumière les doctrines de S Thomas
en les comparant avec celles de la philosophie grecque et avant tout d'Arisîoté, avec
celles des Pères, des chrétiens antérieurs ou postérieurs à S. Thomas, puis de signaler
les ouvrages, les articles et les journaux qui peuvent intéresser les lecteurs. Le Philoso-
phisches Jahrbuch contient des articles qui portent sur S. Thomas, sur les autres sco-
lastiquesou qui ont pour objet de résoudre les questions que se posent les modernes. On
y tient compte de Ja science et souvent on est conduit par elle à des réflexions religieu-
ses. On y combat tous les philosophes modernes, de Gassendi à Hartmann, à Darwin et
à Spencer, comme à Auguste Comte. Des livres ont été publiés en Allemagne pour les
étudiants catholiques. D'autres éditent ou étudient des œuvres médiévales. MM. Baeum-
ker et Gr. von Hertling dirigent les Beitràge sur Geschichte der Philosophie des Mit'
telalters, Texte und UntersuchungenyOù figurent des textes en grande partie inédits,
comme la traduction latine de la Source de Vie d'Ibn-Gebirol et des travaux comme la
Philosophie de Pierre Lombard, où l'on détermine, en se servant des cadres actuels,
quelles furent les doctrines des philosophes médiévaux. Le succès du thomisme et de$
catholiques a été grand en Allemagne. Le parti du centre a pris une place de plus en
plus considérable au Reichstng. Après Windthorst, le baron von Hertling a joué un rôle
important. Baeumker, Spahn ont été nommés à l'Université de Strasbourg. L'Académie
de Munster est devenue une Université. La Faculté de théologie catholique, créée à Stras*
bourg, consacre l'alliance de l'Empire avec le ^catholicisme thomiste. Les Revues et les
livres ont rappelé l'attention desérudits sur la philosophiedu catholicisme aux xin«, xiv*
et xv» siècles, celle des politiques et des philosophes, sur des conceptions qui paraissaient
332 HISTOIRE COMPARÉE DES PHILOSOPHTES MÉDIÉVALES
*a«^nt de l'autorité pontificale que de l'adhésion complète et entière de tout le clergé régu-
lier et séculier. Pour îes laïques, il faut distinguer la spéculation et l'action dans les dif-
férents pays. En Italie ils n'ont guère subi l'influence nouvelle. En Belgique, les catholi-
ques, complètement unis, sont les maîtres en face d'adversaires divisés. En Allemagne,
la minorité catholique est arrivée à un résultat analogue, car ses adversaires politiques,
religieux ou philosophiques, beaucoup plus nombreux cependant, n'ont ni réussi ni même
cherché à s'entendre combattre. En France, la lutte est engagée de telle façon
pour la
que toute conciliation soit actuellement difficile. Sur le domaine spéculatif, il y a des
difficultés, non encore surmontées* pour la constitution d'une synthèse qui complète
celle de S. Thomas au xni e siècle. Des travaux partiels, fort intéressants, ont été pro-
duits sur le domainedogmatique et historique. L'ensemble même des recherches doit être
étudié par le savant et le philosophe, par l'historien des religions et des philosophies.
Mais i! n'y a pas en ce moment une systématisation des nova etdes vetera qui ait réussi
à s'imposer à la majorité des clercs, à pins forte raison à la majorité des catholiques.
Peut-être se produira t-elte par la suite ou suffira t-il aux catholiques qu'on assi-
mile aux dogmes et à la philosophie thomiste les découvertes scientifiques que per-
TABLE DES MATIÈRES 333
sonne ne conteste, parmi ceux qui sont aptes à en examiner la valeur et là portée.
Mais peut-être aussi se trouvera-t-il des catholiques pour construire* en accord avec les
dogmes, une métaphysique nouvelle ou pour reprendre quelqu'une de celles qui dans le
monde chrétien, se rattachent à Plotin. D'autant plus que si nous avons pu signaler les
avantages immédiats pour les catholiques, du retour au thomisme, on aperçoit mainte-
nant les inconvénients qui en résultent pour eux. On avait vu des catholiques disposes à
chercher un terrain de conciliation avec les représentants des autres religions, avec les
partisans de l'école laïque, des doctrines politiques, sociales et démocratiques de la Révo-
lution, avec les propagateurs d'une philosophie scientifique et rationnelle et Ton avait, en
Ce sens, signalé leur esprit nouveau Mais il s'en est trouvé d'autres, qui ont paru l'em-
porter en nombre et en influence, pour combattre par tous les moyens, les hommes et les
institutions qui étaient en opposition ou en désaccord avec leurs conceptions politiques,
sociales, philosophiques, religieuses et scolaires. lis ont fait bloc contre les Juifs, les
protestants, les francs-maçons, les libres- penseurs, les partisans des doctrines de la Révo-
lution; ils' ont attaqué l'enseignement et la morale laïques sous toutes leurs formes. Par
suite, ils ont donné à tous ceux qu'ils traitent en adversaires l'idée de se grouper pour
se défendre ou même pour prendre l'offensive. La lutte politique a remplacé les discus-
sions philosophiques. Il faut attendre les actes de Pie X, il faut voir quelles tendances ils
feront naître ou développeront chez les membres du clergé séculier ou régulier, pour
savoir exactement si le thomisme continuera ô être, sous le nouveau Pontife comme sous
l'ancien, la seule philosophie de l'Eglise catholique. Mais ce qui ressort, sans contesta-
tion possible, de cet exposé sommaire de la Restauration du thomisme sous le Pontificat
deLéonXÏSI, c'est que l'élude des philosophies religieuses, qui vont de Philon, à Plotin,
à S. Augustin, au Pseudo-Denys, à Avicenne, Avicebron, Averroes et Maimonide, à
S. Anselme, à S. Thomas, à Duns Scot, Malebranche, Leibnitzet Kant, jusqu'à nos con-
temporains, idéalistes ou thomistes, est absolument indispensable, non seulement àfhis-
torien des philosophies qui veu t savoir ce qui a été pensé avant lui pour essayer de déter-
miner exactement ce qu'il lui convient de penser et de faire, mais encore à ceux qui
prennent part aux luttes sociales, politiques ou scolaires, s'ils estimer?! vraiment que,
pour établir un accord durable ou pour conduire une lutte sans trop de désavantage. ?, il 1
faut connaître les principes sur lesquels s'appuient leurs adversaires, les applications
qu'ils en ont tirées, les conséquences qu'ils en ont fait sortir pour la direction des
individus et des sociétés , . .
Jp. 21 6-288
CHAPITRE X
L'histoire des philosophies médiévales est indispensable pour comprendre le moyen âge,
pour se rendre compte de ce que sont devenues les conceptions antiques, de la manière
dont s'est formée la. civilisation moderne. La restauration du thomisme sous Léon XOÏ
a mon! ré qu'elle est nécessaire pour îe politique, le sociologue et l'éducateur, comme
pour la philosophe. Or, on fait l'apologie eï l'exposition des doctrines thomistes dans les
séminaires de tout pays, dans les Universités d'Espagne et de Portugal, d'Amsterdam* de i
pérée qui est devenue la philosophie moderne et ne saurait être confondu avec le sensua-
lisme et le scepticisme. La scolastique, c'est pour B. Hauréau, la Révolution qui se pré-
pare et qui annonce sa venue. Le but qu'il s'est proposé, c'est de raconter les luttes entre
la raison et la foi, entre réalistes et nominaux, en relevant avec soin les conquêtes suc-
cessives de la raison et les défaites de ses adversaires. Son histoire, avec les publications
qui la complètent, commence au ixe siècle et se termine au xv« ; elle laisse de côté ou
touche à peine quelques-unes des philosophies les plus importantes du moyen âge, et
elle ne les examine jamais dans leur développement synchronique. Elle omet ou place au
second plan des questions infiniment plus importantes que celle des universaux, dont on
a cherché la solution au moyen âge, et elle est conçue à un point de vue polémiste qu'ont
abandonné avec raison les historiens actuels, soucieux d'étudier les religions pour en
connaître le rôle dans les civilisations, plutôt que d'en faire la critique ou l'apologie. S'il
n'a pas écrit l'histoire générale et comparée des philosophies, médiévales, ceux qur le
tenteront profiteront longtemps encore de son érudition et devront toujours s'inspirer de
son impartialité et de son admirable probité scientifique. —
III. Les catholiques font
rentrer l'histoire des philosophies médiévales dans une philosophie tout à fait, opposée à k
môme de M. de Wulf Pour lui, la religion chrétienne est seule vraie et, dans lè christia-
.
nisme, le catholicisme atteint seul la vérité complète et l'exprime en ses grandes lignes
au xin siècle quand il systématise le dogme. On ne peut taire un choix que parmi les
ft
philosophies chrétiennes et ce choix doit être fait comme celui qui porte sur les formes
religieuses du christianisme ou sur les églises. Ainsi se trouvent écartées la philosophie
scientifique, celle des Indiens et des Chinois, des Grecs, des Juifs et des Arabes, des
Byzantins et des hommes de la Renaissance ou de la Réforme, même celle des Pères. La
scolastique l'emporte sur toutes les philosophies, comme le catholicisme romain l'emporte
sur toutes les religions ou même sur toutes les autres doctrines qui relèvent du christia-
nisme. Avec les philosophies byzantine et arabe, avec ses déviations, avec l'antiscolas-
tique, la scolastique constitue la philosophie médiévale. Elle comprend une période de
formation, une période d'apogée, une période de décadence, une période de transition qui
conduit à la philosophie moderne. Ainsi MM. Elie Blanc et de Wulf, préoccupés avant
tout de l'orthodoxie, étudient avec diligence et sollicitude dans sa formation, son apogée
«t son déclin ou sa restauration, la philosophie du xm« siècle, qu'ils nous apprennent à
mieux connaître et à mieux juger. Mais ils n'ont pas songé et ne pouvaient même guère
songer à une histoire générale et surtout comparée des philosophies médiévales, exami-
nées exclusivement en elles-mêmes et non dans leurs rapports avec ce qu'ils considèrent
comme la vraie religion. En restreignant ainsi les philosophies médiévales à la scolas- -
tique péripatéticienne, ils ont peut-être contribué à les faire dédaigner de plus en plus
par ceux qui auraient été disposés à les étudier avec intérêt, si on les eût présentées,
dans leur ensemble, comme la caractéristique essentielle de la période théologique dont
on examine avec tant de soin les éléments les moins importants. —
IV. L'histoire
TABLE DES MATIÈRES 335
Conclusion p. 310
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