Gore Vidal - Creación (1981, Circulo de Lectores)
Gore Vidal - Creación (1981, Circulo de Lectores)
Gore Vidal - Creación (1981, Circulo de Lectores)
Présentée par
Chorong YANG
Volume 1
Thèse soutenue publiquement le 16 décembre 2014,
devant le jury composé de :
M. Laurent BARIDON
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Lumière Lyon 2
Directeur de la thèse
M. Jean NAYROLLES
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Toulouse II-Le Mirail,
Président du jury (Rapporteur)
Mme Marianne JAKOBI
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Blaise Pascal,
Clermont-Ferrand II (Rapporteur)
M. Alain BONNET
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Pierre Mendès France
J’exprime, tout d’abord, mes profonds remerciements à mes trois maîtres : M. Laurent
BARIDON qui a dirigé cette étude, m’a fait bénéficier de ses encouragements et de ses
informations, m’a donné matière à réflexion et a constamment fait montre de compréhension
et de sympathie. Il m’a fourni les outils nécessaires à la réussite de ma thèse et a su faire
preuve de patience, de disponibilité, tout en m’apportant ses judicieux conseils. Cela m’a
permis d’élargir mes recherches et m’a laissé entrevoir de nouvelles perspectives personnelles.
M. Hun-Young SUL (professeur de Philosophie) et M. Seung-Hwan KIM (professeur
d’histoire de l’art), de l’université CHOSUN en Corée du Sud, qui m’ont tout deux guidée
dans ma vie et dans mes recherches depuis ma Licence. Ils m’ont toujours apporté leur
support moral et intellectuel tout au long de ma démarche.
Je remercie également les Professeurs Marianne Jakobi, Alain Bonnet et Jean Nayrolles qui
ont accepté de participer au jury de ma soutenance.
Je tiens à remercier ici les personnes qui m’ont apporté leur aide au cours de mes
recherches et de mes études à l’étranger : M. Eui-Jong KIM (post-doc, chercheur au CNRS) et
sa femme (Ye-ram LEE) qui ont été d’un grand soutien pour ma famille et moi-même pendant
notre séjour en France.
À tous ces intervenants, à tous mes ami(e)s et collègues, je présente enfin mon respect et
ma gratitude en les remerciant de leur sincère amitié et de leur confiance, de leur soutien
inconditionnel et de leurs encouragements.
1
comment le street art, rebelle constant, présente-t-il un retour à l’institutionnalisation
commerciale ou évolue-t-il dans le monde de l’art ?
À des degrés divers, nous allons montrer que les street artistes relèvent de tendances qui
affichent un militantisme politique et social en phase avec le contexte idéologique européen.
Nous allons plus particulièrement mettre en évidence que la volonté de s’inscrire dans
l’histoire sociale et politique est omniprésente chez certains street artistes, en France, depuis
le début des années 80 jusqu’à aujourd’hui. À travers l’examen des rapports entre l’art et la
culture populaire, le street art et les phénomènes socio-critiques de cette période, notre
hypothèse est que cette relation peut se définir par la notion de street art, comprise comme une
pratique artistique dont les connotations sont à la fois d’ordre esthétique et d’ordre social et
critique. C’est sur le fondement de cette hypothèse que nous nous sommes posé la question
des contenus sociaux/critiques du street art et de ses rapports avec la sphère socio-critique qui,
lui, est une représentation de l’ère contemporaine.
Les problématiques développées visent à analyser et à critiquer l’influence politique,
historique et sociale de l’image de telle sorte qu’elles permettent d’étayer le champ pratique et
théorique de notre étude. La méthodologie utilisée est définies en partie par Theodor W.
Adorno dans Théorie Esthétique et Prismes : Critique de la culture et société, qui a rendu
possible une réflexion sur l’œuvre d’art véritable du street artiste. « Modernisme and Mass
Culture in the Visual Arts » de Thomas Crow mentionne le rôle de l’art d’avant-garde en
réinterprétant la théorie d’Adorno, et Hal Foster dans The Anti-Aesthetic : essays on
Postmodern Culture et Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics critique les artistes qui
ont exploité le mouvement du graffiti des années 1980 dans un but uniquement commercial et
de recherche du succès (il a cherché à explorer les relations et interconnections sous-jacentes
entre cet art et les affiliations sociales et politiques). Dans notre société, le mouvement street
art peut-il représenter la valeur véritable de l’art ? Les perspectives critiques de la culture
populaire dans l’industrie culturelle, de l’art d’avant-garde dans l’Académisme ou encore de
l’art contemporain dans le système commercial de l’art, tendent vers le street art ? Afin de
répondre à ces questions, nous tenterons d’analyser l’activité des street artistes et de cerner les
querelles esthétiques dans l’art contemporain.
Avec le geste résistant de l’artiste et sa conscience critique sur notre société, comment
arrive-t-il à garder son autonomie ? Le capitalisme et l’expansion économique rapide a
instantanément détruit notre éthique, notre esprit critique, notre tolérance humaine, mais aussi
l’autonomie de l’artiste. Si nous considérons la récupération et la commercialisation
2
capitaliste de la culture populaire ainsi que de l’art, avec tous les dangers que cela suscite,
désormais les styles de vie et les valeurs du contre-capitalisme minent la valeur d’intégration
politique et culturelle et agissent de manière subversive sur la vie quotidienne. Ce ne sont pas
les implications politiques, ni les réflexions sur les mécanismes de légitimation du capitalisme
avancé, mais les arguments utilisés pour critiquer l’art contemporain qui se constituent en
nouveau genre. Il en est de même pour notre société.
C’est l’activité des street artistes que nous avons choisie pour tenter d’apporter des
réponses à ces questions. D’abord parce que l’activité des artistes de rue est l’une des
pratiques les plus engagées sur les plans plastique et théorique depuis le début des années
1980. Ensuite, et corrélativement, parce que ses œuvres montrent de façon manifeste, non
seulement, la nature critique de son idéologie, mais aussi, son statut d’œuvre d’art dans la
pratique artistique ou l’activisme. Notre étude montre ainsi que la pratique du graffiti et du
street art révèle les limites artistiques de l’image visuelle, et de quelles manières il suit la trace
de l’avant-garde dans la rue, tout en représentant de façon humoristique et caustique notre
société.
Le sujet est organisé sur trois axes en quatre parties. Notre intention première était de
montrer, aux travers des témoignages du graffiti, que les artistes modernes ont découvert la
valeur artistique des graffitis et de certaines expressions anonymes inscrites sur les murs avec
un caractère intellectuel. Puis, en présentant les caractères inhérents au graffiti – son essence
artistique et son esprit rebelle –, nous présenterons les œuvres d’Asger Jorn, de Jacques de la
Villeglé, et de Mimmo Rotella, l’activité des Situationnistes et des anonymes pendant les
années 60. À travers l’étude de ces œuvres d’art, nous voulons montrer que des relations
étroites existent entre les activités de ces acteurs procédant d’une phénoménologie du sens et
de l’expérience sociale qui reconnaît l’interdépendance des dimensions idéologique et sociale
des images. Cette partie analyse également la question de la perspective pour la culture
populaire, du regard critique d’anonyme sur l’époque, et certains critères plastiques. Il
important de s’interroger sur les échanges existant entre ces pratiques picturales qui se
déploient sur les murs des villes et celles qui utilisent des supports traditionnels.
Ce faisant, nous espérons avoir l’occasion de réinterpréter les œuvres picturales
contemporaines qui ne cessent d’être éclairées par cette nouvelle pratique artistique dans
l’espace urbain. Enfin, les troisième et quatrième parties se focalisent sur le mouvement street
art et la manière dont le graffiti est devenu un art à part entière dans l’histoire de l’art
contemporain. À partir d’une étude synthétique du street art, nous étudierons les querelles
3
relatives à l’autonomie de l’art, à la spontanéité de la pratique résistante de l’artiste, et à la
critique de la perspective de l’artiste entendue dans le contexte de l’époque.
Quant aux deux axes de « la valeur artistique » et de « l’acte rebelle », traitant de la
modernité propre à l’art contemporain et des rapports qu’elle entretient avec la vision critique,
ils fondent le mouvement du street art, le caractère rebelle ou activiste de cet art et son
approche critique du monde de l’art ou de notre société, indispensables à sa survie en tant que
tel. Il s’agit de toute image qui se préoccupe de la signification du discours pictural est
polémique et se nourrit d’antagonismes culturels et politiques. Nous pouvons ainsi démontrer
comment certains street artistes aliènent leur œuvre d’un point de vue esthétique à des fins de
commercialisation. Nous parlons, dans ce cas-là, d’art simulé, ou de geste bohème dans le
monde artistique. Ce sujet va donc nous offrir la possibilité de nous interroger sur l’art
véritable dans notre société, et sur la société de consommation.
4
Introduction
Certains artistes ont, tout au long de leur vie et de leur œuvre, essayé d’exprimer leurs
convictions de manière sans cesse renouvelée, de représenter la réalité en s’attaquant aux
préjugés de la société dans laquelle ils ont vécu. À travers la pratique du graffiti, la conscience
des artistes interroge les limites des règles régissant leur travail. Cela concerne également les
événements historiques, les crises politiques ou les situations sociales difficiles, les questions
philosophiques et sociétales qui les fondent et les accompagnent. Il existe des situations
sociales précises au sein desquelles naît un type nouveau de culture de l’image. Dans ce
contexte, ces artistes développent une nouvelle approche graphique et picturale qui participe à
des champs d’expérimentation nouveaux. Les méthodes artistiques et les résultats sont
propres à chaque artiste, mais les unes et les autres témoignent que l’œuvre d’art peut être
concernée par les faits marquants de la période.
Dans certaines de ses origines, la modernité artistique a défié l’ordre culturel de la
bourgeoisie et la norme sociale historiquement dominante. Elle repose sur une révolution qui
n’est pas seulement technologique. Elle fut également sociale et politique dès le milieu du
XIXe siècle. C’est à ce moment-là qu’apparaît une profonde remise en question du
rationalisme et de l’ordre social bourgeois, de la crise de la représentation dans l’art
académique comme du désir profond de découvrir et d’expérimenter de nouveaux codes
visuels, esthétiques et artistiques. La modernité a remis en question la relation entre l’art et la
sphère sociale. Hormis les différences dans les procédés utilisés, de nombreuses œuvres
plastiques sont fédérées par un esprit de rébellion et de contestation.
Au cours de la première moitié du XIXe siècle, une rupture se produit entre, d’une part,
la modernité historique, résultat du progrès social, scientifique et technologique, et d’autre
part la modernité en tant que concept esthétique qui conduira au modernisme et aux diverses
avant-gardes du XXe siècle. Les artistes modernes se sont appliqués à mettre en parallèle la
modernité avec les remarquables innovations technologiques 1 . De ce fait, les artistes se
1
Le modernisme est la représentation radicale de la modernité, une rupture sans concession avec le passé. En
général, la notion de modernité issue des révolutions techniques et industrielles envahit l’art et les institutions au
XXe siècle. L’idéal de la modernité a été la conception de l’architecture sociale, telles que les productions du
Bauhaus, en visant un espace de vie idéal dans la reconstruction d’après-guerre. En particulier, le développement
des sociétés industrielles modernes et la croissance rapide des villes, suivis par l’horreur de la Première Guerre
mondiale, ont été identifiés parmi les facteurs du modernisme en forme. L’arrivée de la guerre entraîna un
changement radical dans la vie des gens et changea leur mode de pensée. Par conséquent, autour de 1920, une
5
revendiquant de l’art moderne s’exprimeront à travers une multiplicité de médiums : dessin,
peinture et sculpture au premier chef mais aussi photographie, cinéma, céramique,
architecture, arts décoratifs ou arts de la scène. Clement Greenberg a toutefois fait remarquer
que de nombreux artistes de cette période se sont délibérément écartés du processus social et
politique pour ne chercher la modernité que dans le cadre de l’expression formelle 2 . La
modernité s’est constituée, non pas comme style dominant, mais plutôt comme mouvement.
En somme, le point de départ du modernisme et de l’avant-garde fut la critique adressée à
l’absolutisme de la raison, à l’ordre social bourgeois du XIXe siècle et aux pratiques
traditionnelles de représentation, une critique également fondée sur la recherche de nouveaux
codes visuels.
Dans cette perspective d’analyse et de réflexion, notre étude propose l’idée que les activités
des artistes, du XIXe siècle à aujourd’hui, s’articulent autour de deux concepts : l’élite et la
culture de masse. Pour étudier ces intentions artistiques, il est nécessaire d’adopter une
approche qui questionne la notion même d’art, ses frontières, sa dimension élitiste ou
populaire. Cette approche ne prétend pas élaborer une nouvelle construction théorique. Elle
veut tenter de comprendre, de situer les œuvres et de les interpréter. En prenant en compte les
nouvelles perspectives concernant cette frontière entre l’élite et la masse, ou l’art politique et
la critique, nous abordons le passage des graffitis populaires à leur intégration dans les
pratiques artistiques.
Dans la société de consommation marquée par l’« industrie culturelle » 3 , comment
pouvons-nous aborder la critique de notre société ? L’art du graffiti, concerné par la
contestation des frontières entre centre et marge, entre « high » et « low » ainsi que par les
sous-cultures très défensives et résistantes qui apparaissent comme une exigence radicale de
liberté d’opinion et d’expression, fait émerger un débat. Ce genre peut-il représenter notre
nouvelle synthèse très puissante des idéaux modernistes vit le jour et se développa au sein d’un certain nombre
de groupes d’artistes avant-gardistes. Enfin, c’est entre 1950 et 1960 que le terme même de « moderne » prend
tout son sens et est employé pour cerner une période. Habermas mentionne : « la modernité s’est ensuite
déroulée dans divers mouvements d’avant-garde et a finalement atteint son point culminant avec les dadaïstes et
le surréalisme. Jürgen Habermas, « Modernity-An Incomplete project », Hal Foster (éd.), The Anti-Aesthetic :
essays on postmodern culture, New York : The New Press, 1998, p. 3.
2
Isabel Nogueira, Théorie de l’art au XXe siècle: modernisme, avant-garde, néo-avant-garde, postmodernisme,
Paris : L’Harmattan, 2009, p. 34.
3
Cette conception d’industrie culturelle a été étudiée par T.W. Adorno et Max Horkheimer. La théorie de
l’industrialisation de la production culturelle a été élaborée dans leur ouvrage Dialectique de la Raison. Voir
Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, Dialectic of Enlightenment, London : Verso, 2010 : Marc Hiver,
Adorno et les industries culturelles, Paris : L’Harmattan, 2010.
6
société ? À partir des années 1980, le mouvement du street art apparaît avec des artistes dont
les propositions plastiques utilisent non seulement les données formelles de l’art, mais aussi
l’activité et les motifs du graffiti. La rue française reflète leurs différents idéaux, les artistes
urbains montrant leurs perceptions du monde. Afin de savoir comment ce genre « sauvage » a
pu devenir un art policé, comment cet acte personnel a acquis une valeur artistique, et
pourquoi les artistes ont choisi ce mode d’expression – sortant ainsi du seul processus de
découverte esthétique –, nous tenterons de réinterpréter le geste des artistes modernes et de
comprendre comment le graffiti lui-même relève d’une activité artistique dans l’art urbain,
s’orientant vers l’expression de l’intérêt du public dans le monde d’art.
C’est sur le fondement de cette hypothèse que nous allons poser la question des contenus
idéologiques de l’art dans cette sphère socio-culturelle. Pourquoi les artistes modernes
utilisent-ils la culture populaire et comment est-elle devenue leur style et leur source
d’inspiration pour la représentation de la société ? Pour répondre à cette question, certains
théoriciens comme John Berger réfléchissent à la relation entre « élite et non-élite ». Ce n’est
pas tant qu’il y a une opposition entre les masses et l’œuvre d’art, mais celle-ci est considérée
comme « un geste politique » 4 . Cela signifie que les activités des artistes des avant-
gardes reflétaient l’expression d’un acte rebelle et participaient d’une réflexion critique sur
leur époque. En pratiquant le graffiti et en faisant un genre artistique à part entière, les artistes
acceptent entièrement les diverses formes de culture populaire. L’essor des mouvements de
contestation fait alors sentir ses effets sur la pratique artistique. Il paraît évident qu’un
problème esthétique fondamental, au moins celui de l’action, ainsi qu’un problème social,
celui d’une utilisation de l’art populaire, sont inévitablement concernés par notre étude des
graffitis.
Multipliant les techniques, recourant à de nouveaux matériaux et supports, ce mouvement
mal défini qu’est le « street art » dans l’art contemporain développe une culture visuelle pour
une nouvelle génération d’artistes, en renouvelant l’art. Ce choix nous conduit à une nouvelle
approche des œuvres d’art et à reconsidérer nos méthodes traditionnelles en histoire de l’art.
En ce qui concerne le problème social, il faut renoncer à une classification simple de ce que
seraient des artistes élitistes et non élitistes. Il est nécessaire de le traiter sous la forme
d’autres aspects relevant des contextes scientifique, politique et social5.
4
Voir à John Berger, About Looking, London : Bloomsbury publicing PLC, 2009.
5
Chez Frank Popper, « On ne pourra pas sans définition, analyse et critique préalables, classer pêle-mêle parmi
les arts non élitistes les arts sauvages (« barbares »), l’art des enfants (arts enfantins), l’art préhistorique, l’art des
7
Nous tenterons de décrire les courants historiques et les questions esthétique et sociale des
graffitis européens en même temps que nous établirons un parallèle avec des questions
concernant d’autres mouvements artistiques contemporains. Afin d’en préciser les objectifs et
les approches, il faut d’abord définir ce qu’est un graffiti. Ce sont donc les concepts du graffiti
qu’il nous faut d’abord éclaircir.
Définition
Le mot « graffiti » apparaît pour la première fois au milieu du XIXe siècle, un siècle après
la découverte des fresques de Pompéi 6 . Le graffiti est alors le nom générique donné aux
dessins ou inscriptions calligraphiées, peintes ou tracées de diverses manières sur un support
qui n’est pas prévu pour cela. Sur les murs de Pompéi, nous apercevons des inscriptions qui
semblent tracées au hasard, dans lesquelles se mêlent mots et images, écriture incertaine et
dessins embryonnaires. Historiquement, le graffiti était souvent associé à la politique et
constituait un moyen populaire de s’adresser à l’autorité. Ces caractéristiques formelles et cet
aspect séditieux ont inspiré les artistes modernes : Giacomo Balla, George Grosz, Pablo
Picasso, Joan Miró, Jean Dubuffet, Asger Jorn, etc.
Les graffitis modernes sont nés à la fin des années 1960 aux É tats-Unis et le phénomène est
arrivé en France au milieu des années 1980. A partir des années 1970, le graffiti prend des
malades mentaux, l’art nègre, l’art prolétarien, l’art populaire, l’art social, l’art civique, l’art public, l’art
démocratique, les arts de combat, la bande dessinée, le photo-roman, la publicité, les enseignes de rue, l’artisanat,
l’art des fêtes populaires, etc. Il faudrait dans chaque cas chercher l’origine, noble ou non, de chacun des arts
considérés, puis déterminer la fonction actuelle de cette forme d’art ». Frank Popper, Ecrire sur l’art : De l’art
optique à l’art virtuel, Paris : L’Harmattan, 2007, pp. 161-162.
Dans l’exposition du MoMA, « Guidé par ce que nous considérons comme les principaux intérêts des artistes
modernes, nous nous pencherons sur quatre variétés de ce type de culture populaire : graffiti, caricature, bandes
dessinées, et le large domaine de la publicité, y compris les annonces dans les journaux, les panneaux
publicitaires, catalogues, et les ventes s'affichent avec leurs transformations d'objets du quotidien. Caricature et
graffitis, en revanche, semblent appartenir à ce qu’on pourrait appeler la culture « de ventre », une tradition de
critique sociale ou de dessin brut, hors la loi. Et alors que la publicité et bandes dessinées fleurissaient dans l'ère
moderne, à travers les technologies de reproduction de masse, la caricature et le graffiti sont des formes
beaucoup plus âgées d'expression, réalisées individuellement et souvent de façon anonyme ». Kirk Varnedoe,
Adam Gopnik, High & Low: modern art & popular culture, The museum of Modern Art : New York, October 7,
1990-January 15, 1991.
6
Johannes Stahl, Street Art, London : H.f.ullmann publishing Gmbh, 2008, p. 6.
8
formes diverses. De nombreux caractères et styles existent mais il s’agit d’un phénomène qui
dans son ensemble a rapidement évolué vers une forme reconnue comme artistique. Nous
distinguerons donc plusieurs sens selon qu’il s’agisse de « graffiti writing » ou de « street
art », en nous concentrant sur les activités de l’art urbain français qui présentent un esprit
rebelle et novateur, lié à l’art des avant-gardes ou à la tradition critique de la pensée française.
Le graffiti writing est l’expression d’une esthétique urbaine de masse aux États-Unis. Ce
mot est un terme générique désignant deux activités complémentaires, le tag (qui est un mode
de signature) et le graff (appelée aussi le Throw up et « la pièce »). Nous ne traiterons ici que
de ce que certains appellent le « graffiti moderne » et d’autres « le graffiti hip-hop ». Nous
nous concentrerons essentiellement sur le « graffiti writing », qui est distinct des post-graffitis
et qui est le mouvement le plus étroitement associé à la culture hip-hop dont la principale
expression visuelle est le tag. Il s’agit d’une forme graphique, fondée sur la typographie, la
formation des lettres, par une application à la bombe aérosol7. Ces writers se font connaître en
apposant leur signature et sont communément organisés en collectifs. Ils pratiquent sur les
murs, dans le métro ou encore sur les camions.
Certains galeristes considèrent le graffiti writing comme une forme d’art qui mérite d’être
exposée dans des galeries tandis que d’autres ne le perçoivent pas ainsi. Et le graffiti writing
est devenu une nouvelle forme d’expression sur les murs et les trains. Il s’agit d’un
mouvement artistique lancé et alimenté avant tout par les jeunes qui montrent un vocabulaire
visuel spécifique, une signature, qui s’est développée et qui continue de fleurir illégalement 8.
Les techniques des writers américains inspirent les autres writers européens ainsi que les
street artistes et même les artistes contemporains9.
Mais nous allons montrer dans notre étude que le graffiti writing se heurte aux limites de
l’œuvre d’art, de l’esthétique, du rôle de l’art dans notre époque et de la société capitaliste. À
la différence de ce mouvement culturel américain, nous verrons que les graffitis des
événements de mai 68 en France, les activités des artistes dans l’art urbain et celles des street
7
Cedar Lewisohn, Street Art, London : Tate, 2009, pp. 23-31.
8
Anna Waclawek, Street art et graffiti, trad. Lydie Echasseriaud, London : Thames & Hudson, 2011, p. 10.
9
Dans son article « Kool Killer ou l’insurrection par les signes », Baudrillard explique : « le graffiti à new York
présente un contenu qui n’est ni politique, ni pornographique. Ce ne sont que des noms, des surnoms tirés des
comics underground. Ces graffiti particuliers n’ont pas de contenu, pas de message. C’est ceci, ce vide qui fait
leur force. L’on se demande s’il convient de parler d’une valeur esthétique absolue pour ces nouvelles formes
d’art. Sans doute ne faudrait-il pas exagérer l’importance de cette valeur dans les graffiti new-yorkais et dans la
peinture murale « ethnique ». Jean Baudrillard, « Kool Killer ou l’insurrection par les signes », L’échange
symbolique et la mort, Paris : Gallimard, 1976, pp. 118-128.
9
artistes sont fortement déterminées par le contexte socio-politique et une mouvance
concomitante au graffiti writing.
En France, les artistes adhérant au mouvement du street art viennent de l’art d’avant-garde,
de la peinture et des techniques des artistes du graffiti européens utilisant le collage et les
pochoirs. L’art urbain s’épanouit en France à partir de mai 1968. Mais le mouvement est
« officialisé » au début des années 1980. C’est un mouvement artistique autonome voire
parallèle au tag et au graffiti writing. Ses initiateurs sont Zlotykamien, Ernest Pignon-Ernest
et ses pionniers sont Blek le rat, Jérôme Mesnager, Miss. Tic., Jean Faucheur, les Frères
Ripoulin, Les Musulmans fumants, les VLP, Némo et André.
À partir de la fin des années 90, l’art urbain, est rebaptisé street art10. Au cours de leur
évolution, les graffitis ont coexisté avec d’autres formes d’art urbain. « Post-graffiti », « néo-
graffiti », « peinture urbaine » ou simplement « street art » sont autant de mots utilisés
aujourd’hui dans les textes consacrés au graffiti pour désigner le renouveau d’une production
artistique à la fois publique, éphémère et illégale. Elle continue de fleurir sous la forme
d’interventions variées généralement regroupées sous le nom de street art11. La distinction
entre le post-graffiti et le street art est ambiguë car les œuvres mêlent des techniques diverses.
Nous allons nous focaliser sur le mouvement du post-graffiti européen et le distinguer
également du street art international. Le mot « street art » sera utilisé dans son sens le plus
large.
Le post-graffiti est une nouvelle approche au-delà des formes traditionnelles du graffiti. Son
émergence ne ressemble nullement à celle du graffiti writing des années des 1970 aux É tats-
Unis. Son essence emprunte aux pochoiristes des années 1980 et aux artistes contemporains
de l’art urbain. Le graffiti writing est visiblement de moins en moins motivé par des
considérations politiques par rapport au post-graffiti, à en juger par ses éléments visuels et ses
slogans. Mais la part de provocation constitutive de cette pratique en fait un geste de rébellion
et de réappropriation de l’espace public. Deux des méthodes les plus populaires et
contemporaines sont les pochoirs et les autocollants (stickers) qui ont tendance à être préférés
pour leur simplicité. L’appellation post-graffiti apparaît avec l’arrivée de Shepard Fairey aux
É tats-Unis, de Banksy en Grande-Bretagne, de Blu en Italie, d’Influenza aux Pays-Bas,
10
L’expression « art urbain » a un sens encore plus large en France. Il comporte toute activité artistique dans la
rue comme Fluxus, Happening, le muralisme, l’art public, street art, etc. Mais le street art doit être compris un
des mouvements de l’art contemporain.
11
Anna Waclawek, Street art et graffiti, op. cit., p. 29.
10
d’Akayism en Suède, d’Invader et de Zevs en France à la fin des années 1990. Les artistes
sont en relation directe entre eux, constituant un champ artistique d’interaction comme
l’illustre le film de Banksy. Il s’agit d’un mouvement qui est devenu international. Ces artistes
exposent tous dans la même galerie : la rue.
Nous notons que les artistes du post-graffiti sont porteurs d’idées satiriques, contestataires
et subversives au travers des messages véhiculés par leurs travaux. Les artistes de la rue ont
bouleversé la question de l’art. Ils n’aspirent pas à modifier la définition de l’œuvre d’art mais
cherchent à intégrer la question des situations sociales existantes dans leur travail. Le street art
est devenu un mouvement à part entière de l’art contemporain. Sa généalogie est multiple et
complexe. Il peut inclure illustrations, graffitis traditionnels, sculpture, pochoir, mosaïque,
stickers, peinture, affiche, projection vidéo et installations de rue. John Fekner précise à juste
titre que « tout art dans la rue n’est pas du graffiti »12.
Le street art va au-delà de la frontière entre art et non-art, ou entre l’art avec un grand A et
un art considéré comme mineur, en produisant une imagerie accessible et ouverte
culturellement 13 . Les street artistes d’aujourd’hui montrent, au travers de leurs pratiques
diverses et variées, qu’ils sont en grande partie animés par des motivations similaires baignant
dans une culture de consommation de masse et explorant l’imagerie et la publicité des grandes
marques pour les détourner. Les street artistes jouent souvent de façon évidente sur la
commercialisation de l’œuvre dans l’espace public et ils se livrent à une analyse critique de la
vie urbaine contemporaine. Ainsi, ils commercialisent leurs œuvres d’art officiellement dans
les festivals14. Aujourd’hui, leurs actions sont nettement moins centrées sur les questions de
politique. Leurs messages inscrits sur les murs sont moins virulents au contraire de ceux des
artistes du post-graffiti qui s’attaquent à des conflits politiques. Comment leur démarche
artistique peut-elle être définie dans l’histoire de l’art ? Et comment pouvons-nous aborder
leur activité d’un point de vue critique? Comment ce mouvement du street art a-t-il pu
12
Cedar Lewisohn, Street Art, op. cit.
13
Anna Waclawek, Street art et graffiti, op. cit., p. 168
14
Cependant les writers créés par les jeunes et les street artistes sont progressivement devenus des artistes
commerciaux. Banksy relève clairement ce processus dans son film sur le graffiti. Hal Foster relève: « Cet
argument important est maintenant en place. Ce qui m'intéresse ici est de savoir comment, dans cette simulation
de la Bohême, les chiffres de l'artiste moderne sont réapparus sous la forme de stéréotypes de masse culturelle,
comment le modernisme, de par ses formations et ses styles, s'est engagé en tant qu'image à travers les images ».
Banksy, Faites le mur!, 2010 ; Hal Foster, « between Modernism and the Media », Recodings : art, Spectacle,
Cultural Politics, New York : The New Press, 1999, p. 35.
11
maintenir le caractère résistant de ses interventions au sein de notre société, comme dans le
contexte des mondes de l’art tels qu’ils existent aujourd’hui ?
Depuis les années 60, de nombreux artistes, s’inscrivant dans la continuité de la logique du
ready made de Duchamp, avaient abandonné la toile comme support pour investir une
hétérogénéité de matériaux et d’objets préfabriqués, afin d’envisager des stratégies de
structuration de l’espace visant à l’élaboration d’un art revendiqué comme démarche
discursive. Dans une certaine mesure, l’art minimal, l’art conceptuel et l’Arte Povera
impliquent une attitude militante hostile à la société de consommation et aux forces du
marché15. En utilisant ces idées, le street art français marque la posture anti-intellectuelle et
critique de la part de jeunes artistes qui prônent une approche critique, sociale ou politique à
l’égard des concepts véhiculés par les élites artistiques.
Le concept d’« avant-garde », militaire et politique dans ses origines, y compris pour les
mouvements politiques français du milieu du XIXe siècle, a été appliqué dans les domaines de
l’esthétique et de l’art en général. Du point de vue artistique, l’avant-garde chercha à stimuler
la transformation radicale de la société et de la culture. Elle toucha divers domaines tels que la
littérature, la musique, les arts visuels, le cinéma et le théâtre. L’avant-garde commença par
dramatiser certains éléments constitutifs de l’idée de modernité. Le terme désigne toute
activité radicale ou pionnière à visée artistique ou sociale16.
Charles Baudelaire définit clairement la modernité et son identification au romantisme
pictural dans son Salon de 1846 : « Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente,
la plus actuelle du beau »17. Plus précisément, le concept de peintre « moderne » change pour
Baudelaire en présentant l’exemple de la critique d’Eugène Delacroix. Il ouvrit ainsi de
nouveaux horizons pour la critique, l’art ne devant pas s’assujettir aux conventions sociales
15
Thierry Laurent, Fun, figuration libre, graffiti dans les années 80, Paris : Au même titre, 1999, p. 26.
16
Peter Bürger établit dans Theory of the Avant-Garde, entre d’une part l’avant-garde historique authentique, qui
a remis en cause le statut institutionnel de l’art, et d’autre part l’esthétisme et l’affirmation de l’autonomie
caractéristiques du modernisme. Peter Bürger, Theory of Avant-Grade, Minneapolis : University of Minnesota
Press, 1984.
17
Charles Baudelaire, « Salon de 1846 », Œuvres complètes, texte établi par Claude Pichois, Paris : Gallimard,
1976, p. 420.
12
ou culturelles. En proposant l’élévation du Beau et de la vie par l’art, les derniers Salons de
1859 soulignent encore l’importance de la communion d’expériences avec les artistes en tant
que source indispensable à l’intuition critique18. Baudelaire mentionne ainsi l’« avènement du
neuf »19 dans la conclusion de son Salon de 1845. Dans son étude intitulée Les cinq paradoxes
de la modernité, Antoine Compagnon a rappelé que le mot d’ordre de cette modernité fut de
« faire du nouveau »20.
Comme Hal Foster l’a mentionné, « le modernisme semble dominant, mais mort »21. Dans
The Anti-Aesthetic: Essays on Postmodern Culture, il émet une critique sur l’échec du
modernisme tel qu’il est présenté par Clement Greenberg et Michael Fried. Il prétend que la
fin du modernisme est le résultat de l’aspiration sociale et culturelle des artistes et se réfère
notamment à la dissolution de la forme et du genre dans l’art, à la résurrection du sujet
satirique et à l’expression multiple. À partir des années 1960, les expressions artistiques
n’inventent peut-être plus beaucoup au sens premier du terme, mais elles réinventent en
permanence. En quoi ces perspectives de l’art postmoderne sont-elles différentes du
modernisme ? Est-il réellement possible de les séparer ? De toute évidence, l’ouvrage dirigé
par Hal Foster permet d’en présenter les nombreuses implications.
18
Charles Baudelaire, « Salon de 1859 », Ibid., pp. 608-682.
19
Charles Baudelaire, « Salon de 1845 », Ibid., p. 407.
20
Antoine Compagnon, Les cinq paradoxes de la modernité, Paris : Seuil, 1990, p. 9.
21
Hal Foster (éd.), The Anti-Aesthetic : Essays on Postmodern Culture, op. cit., p. x.
22
« A postmodernism of resistance, then, arises as a counter-practice not only to the official culture of
modernism but also to the “false normativity” of a reactionary postmodernism. In opposition (but not only in
opposition), a resistant postmodernism, is concerned with a critical de construction of tradition, not an instrumental
pastiche of pop – or pseudo – historical forms, with a critique of origins, not a return to them. In short, it seeks to
question rather than exploit cultural codes, to explore rather than conceal social and political affiliations ». Ibid.,
p. xiii.
13
Ainsi, les images réalistes se mêlent aux images psychédéliques, à la musique, aux films, à
l’art cinétique, etc. Souvent, il devient impossible de distinguer le Pop art du Kitsch ou le
mensonge de l’inadéquation spécifiquement esthétique, s’opposant à l’avant-garde. Son
caractère immédiat et accessible, son appel aux masses ont facilité son appréhension et même,
éventuellement, sa capacité à choquer. Parallèlement, et à la suite du pop art, émergèrent des
mouvements et des tendances qui eurent en commun la volonté de faire tomber les frontières
disciplinaires de l’art, et qui cherchaient de nouvelles limites et de nouvelles approches, le
plus souvent par des performances, des films, de l’art vidéo et des photographies. C’est dans
ce contexte que nous assistons à d’importantes manifestations comme l’Arte Povera, le Land
art, l’Optical art, l’art minimaliste, etc. Tout au long des années 1960 et 1970, dans le
prolongement de l’avant-garde, aussi bien l’art comme idée – art conceptuel, Fluxus –, que
l’art en tant qu’action, prirent de l’ampleur et ne dédaignèrent pas un certain esprit de
relecture du dadaïsme et de Marcel Duchamp. La volonté avant-gardiste et néo-avant-gardiste
d’innover peut être interprétée comme une perte de sens.
Les expériences sur les sujets ou les techniques lancent une réflexion sur le statut actuel de
l’artiste et sur l’état de la société en critiquant le « programme de la modernité »23 par le biais
des progrès de la technoscience dans le capitalisme. Hal Foster propose de parler de deux
postmodernismes : un postmodernisme de résistance au modernisme, qui prétend le
déconstruire en le remettant en question, et un postmodernisme de réaction qui rejette le
modernisme, mais finit par revenir à la tradition24. Alors, dans un certain sens, il n’y a pas de
véritable clivage entre modernisme et postmodernisme.
Lorsque nous parlons de « moderne » et d’« avant-garde », nous ne parlons pas nécessairement
d’époque spécifique ou moderne 25 . Nous remarquons le geste rebelle qui consiste en
particulier à mélanger les mediums, la perspective critique sur l’époque révélant un acte
pratique. Theodor Adorno, dans son ouvrage posthume intitulé la Théorie esthétique, présente
23
Jean-François Lyotard commence par définir le mot « postmoderne » :« Le mot est en usage sur le continent
américain, sous la plume de sociologues et de critiques : il désigne l’état de la culture après les transformations
qui ont affecté les règles du jeu de la science, de la littérature et des arts à partir de la fin du XIXe siècle. Ici, on
situera ces transformations par le rapport à la crise des récits ». Jean-François Lyotard, La condition
postmoderne : rapport sur le savoir, Paris : Minuit, 1994, p. 7.
24
Hal Foster (éd.), The Anti Aesthetic : Essays on Postmodern Culture, op.cit., pp. ix-xvii.
25
Peter Burke écrit que « les XVe et XVIe siècles constituèrent une période d’innovation dans le domaine
artistique ; nouveaux genres, nouveaux styles, nouvelles techniques. Cette période fut fertile en « premières »
expériences […] » L’innovation était perçue comme un renouveau. Il insiste également sur le fait que la position
formelle face à l’innovation et au progrès des arts visuels est celle de Vasari, avec sa théorie des trois états du
progrès. Peter Burke, Culture and society in Renaissance Italy: 1420-1540, London : B.T. Batsford, 1972, p. 23.
14
la catégorie du « nouveau » comme étant intrinsèque à l’art moderne. Ce « nouveau » est
insuffisamment spécifié pour pouvoir caractériser l’art avant-gardiste. Comme Adorno
l’affirme : « Le Nouveau subit la pression de l’Ancien, lequel a besoin du Nouveau pour se
réaliser. […] L’art radicalement fabriqué se réduit au problème de son élaboration »26. Selon
lui, le « nouveau », en ce qui concerne l’art avant-gardiste, ne sut distinguer la mode de
l’innovation historiquement nécessaire. Le regard posé sur l’art avant-gardiste se libéra, sans
pour autant montrer une issue à l’éventuelle fatalité du progrès. Adorno apparente la
modernité au modernisme.
Cela a ouvert la voie à un nouveau concept d’art autonome, un art libéré de la vie pratique,
indépendant de la société et individualiste dans sa création. A l’instar d’Adorno, nous
n’ignorons pas que l’œuvre d’art est volontiers considérée comme étant avant-gardiste. Le
dadaïsme est peut-être l’expression artistique qui remplit le mieux cette fonction. Les
motivations de ces artistes naquirent de la révolte contre la guerre et contre les valeurs
esthétiques et culturelles de l’époque. Toutefois, le dadaïsme fut aussi une attitude
d’opposition à la croissante acceptation critique et esthétique des mouvements d’avant-garde
des années précédentes et aux engagements sociaux et politiques de ces mouvements
nationalismes, de ces engagements politiques. Le critère dadaïste était la transgression de
toutes les frontières littéraires et artistiques, plaçant l’anti-art à la place de l’art27. À la vérité,
au-delà de l’art, ce sont surtout les artistes qui existaient.
Dans cette perspective, nous allons donc nous intéresser aux innovations artistiques
réalisées par les artistes ou écrivains depuis la fin du XIXe siècle. Ces innovations touchèrent
des domaines aussi variés que l’industrie, l’économie, les communications, les loisirs, les
sciences, etc. La ville était, par excellence, le point de rencontre de l’industrie, des nouvelles
technologies et d’audacieuses idées sur l’architecture, lesquelles exigeaient de nouveaux
comportements sociaux et urbains. Les graffitis sur les murs des villes inspirent les artistes,
mais en même temps ils acquièrent une valeur artistique et servent de fondement à un
mouvement artistique. L’écriture sur le graffiti peut donc être considérée comme une critique
26
Theodor W. Adorno, Théorie Esthétique, trad. Marc Jimenez, Paris : Llincksieck, 1974, pp. 34-39.
27
Les interventions se fondaient sur le désir de choquer à travers des textes absurdes et des poèmes sonores, ou
encore des installations plastique. En particulier l’utilisation d’objets courants en collages satiriques, très
fréquents chez Max Ernst ou Hannah Höch, transformant ainsi le peintre en acteur de la gestuelle ou de la
projection d’images. D’ailleurs, le cinéma produisit des œuvres tout à fait remarquables telles Rhythmus 21
(1921) de Hans Richter, Le retour à la raison (1923) de Man Ray, Le ballet mécanique (1924) de Fernand Leger
et Dudley Murphy, ou Entr’acte (1924) de René Clair et Francis Picabia. Isabel Nogueira, Théorie de l’art au XXe
siècle : modernisme, avant-garde, néo-avant-garde, postmodernisme, op.cit., pp. 63-64.
15
littérale des idéologies modernistes. Et le graffiti rejoint explicitement les parodies des formes
nouvelles et l’incorporation du genre différent. Il est également lié à l’art contemporain et au
postmodernisme en rejetant le muralisme et l’art public.
Il est notoire que la volonté de transgresser est intimement liée au modernisme et aux
avant-gardes. Les pratiques des street artistes se sont développées en résistance face aux
galeristes dont ils ne voulaient absolument pas dépendre, sans pour autant rejeter le marché de
l’art puisqu’ils ont créé un marché propre qui a contribué de manière décisive à l’ouverture
des sociétés contemporaines. En s’écartant de l’idéal élitiste, et parfois forcené, du
« nouveau » et du révolutionnaire, ce mouvement s’écarte de l’avant-garde en tant que dogme.
Aujourd’hui, nous savons que les attaques des avant-gardes historiques menées contre l’art,
en tant qu’institution, ont échoué.
Historiographie
Concernant l’historique des graffitis, il existe de très nombreux travaux spécialisés sur
certaines périodes, certains lieux et types de graffiti et, parmi eux, des publications récentes.
Nous commencerons par nous intéresser à deux ouvrages importants : Graffiti de Pompéi.
Inscriptions et gravures tracées au stylet (1854) de Raffaele Garrucci et l’Histoire de la
caricature antique (1865) de Champfleury. Plusieurs chapitres de cet ouvrage sont consacrés
aux graffitis, en reprenant parfois les découvertes de Garrucci. Champfleury a appliqué aux
graffitis le caractère artistique de la caricature. Ces deux livres ne concernent pas simplement
la recherche des témoignages que peuvent apporter les graffitis dans une perspective
archéologique. Ils mettent en évidence leur valeur ou leur fonction sociale. Nous adopterons
la même démarche que ces deux études fondatrices.
Au XXe siècle parait Signes gravés dans les églises de l’Eure et du Calvados (1964)
d’Asger Jorn28 et Graffiti (1961) de Brassaï. Ce dernier ouvrage, régulièrement réédité, est le
fruit de trente ans de recherches. Il envisage le graffiti, sans doute pour la première fois,
comme une forme d’Art brut, primitif et éphémère. Picasso a collaboré à cet ouvrage. Mais
28
« Ne doutons pas qu’une mise en valeur de ces graffitis, qui serait réellement fonction de leur véritable
importance, ne soit critique – et de manière probante – de la structuration traditionnelle de l’histoire de l’art.
Faire entrer les graffitis dans l’Histoire de l’Art, peut-être est-ce ajouter à la confusion déjà grande où celle-ci se
débat actuellement. Le risque est grand, mais nous devons le prendre: Il est la chance d’un renouvellement.”
Publié au début des années 1960, cet éloge reste d’actualité ». Ibid., p. 43.
16
c’est dans la revue Minotaure que Brassaï publia son premier article illustré de graffitis. Enfin,
chez Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular cultureI29, nous
saisissons les points essentiels d’une relation entre culture de masse et élite. Du fait de
l’intérêt des artistes pour les graffitis anonymes, leur pratique du graffiti sur tableau ou sur
mur n’entraîne pas seulement la découverte de cette forme d’art, mais modifie la valeur du
graffiti, son caractère rebelle ou son rôle de critique d’une époque.
Il existe des publications sur les graffitis modernes américains tels que les livres de
Richard Freeman Graffiti (1966) et de Norton Mockridge, The Scrawl of the Wild : What
people write on walls and why (1968). Ils présentent des photos de divers graffitis des années
1960. Mais l’étude d’Allan Schwartzman, Street Art (1985) présent authentiquement l’activité
des street artistes avec d’autres artistes de la rue. Avant les années 1980, les publications sur
les graffitis ne font que montrer des photos de graffitis, mais ce livre aborde le sujet de
manière scientifique, avec diverses photos à l’appui et des artistes de la rue américaine des
années 1980 comme Richard Hambleton, Keith Haring, Jenny Holzer ou John Fekner. Il
faudrait également consulter le sujet sur le « star system » du street art américain.
En même temps, en France, Denys Riout travaille activement sur ce sujet. Dans Le Livre
du graffiti (1985), Denys Riout présente un historique du graffiti et des activités des artistes
qui le pratiquent. Son étude est fondamentale et elle interroge les activités des artistes des
années 1980 en France. Ses articles, « Le graffiti, la rue et le musée », dans le colloque
l’Esthétique de la rue (1994) et « La peinture encrapulée : Les picturo-graffitis » dans Tribu
(1985), développent et continuent également le sujet du street art. Ces deux acteurs, Allan
Schwartzman et Denys Riout, sont importants pour nous en ce qu’ils ont essayé dans un
premier temps de présenter les activités par la suite à traiter des problèmes soulevés pendant
cette période par l’étude du graffiti. Le philosophe français Jean Baudrillard a justement
cherché à développer une nouvelle approche à l’égard des graffitis et de leur relation à la
société. Dans son essai intitulé « Kool Killer ou l’insurrection par les signes » (L’échange
symbolique et la mort, 1976), il montre l’aspect sociologique du phénomène des graffitis.
Le livre de Cedar Lewisohn, Street Art (2008), présente les graffitis de New York et le
street art international. Il insiste sur le fait que le street art a hérité de graffitis writing et est
enracinée dans la créativité de communautés urbaines disloquées et aliénées de l’Amérique
dans la seconde moitie du XXe siècle. Il distingue ces deux activités, le street art et le graffiti
29
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : Modern art & Popular culture, The museum of Modern Art :
New York, October 7, 1990-January 15, 1991.
17
de New York, mais a souvent entremêlé les activités des street artistes et des graffeurs dans le
mouvement street art. Sans une étude profonde sur les street artistes français les artistes
contemporains de la rue des années 1980, il est difficile de comprendre le mouvement du
street art en termes d’approches artistiques et de pensée rebelle dans la rue français. Anna
Waclawek, Street art et graffiti (2011), présente ces deux termes et les situations du street art
en posant des questions relatives à la culture visuelle urbaine. Sa recherche se concentre sur
les street artistes depuis les années 2000 et elle permet de découvrir la pratique rebelle de
l’acteur du graffiti, mais aussi le développement de la forme artistique ou de l’idée critique à
travers les différentes évolutions de ce mouvement.
En nous fondant sur diverses approches historiques des graffitis, nous proposons l’étude
méthodologique de la Théorie Esthétique (1966) et de Prismes : Critique de la culture et
société (1955) de T.W. Adorno. Son travail sur l’art populaire et l’industrie
culturelle concentre et théorise les manières dont l’art peut être utilisé pour répandre
l’idéologie dominante. Dans Dialectic of Enlightenment (1944), écrit avec Max Horkheimer,
Adorno affirme que la société capitaliste produit un art bon marché et standardisé qui endort
l’esprit des gens et les fait se concentrer sur des besoins faussement satisfaisants, comme le
désir des biens de consommation, plutôt que sur leurs vrais besoins de liberté, d’égalité
sociale, de créativité et sur l’opportunité qu’ils ont d’accomplir leur potentiel humain.
Bien qu’Adorno ait beaucoup écrit sur le cinéma, la radio, la télévision et les autres médias
afin de constituer l’illustration parfaite de son argumentation, nous remarquons qu’il défend
l’art et la musique d’avant-garde de haute tenue intellectuelle, insistant sur leur potentiel de
transformation radicale. Nous allons préciser notre approche de l’art en suivant la Théorie
Esthétique d’Adorno et nous allons également analyser la construction du rôle et de la valeur
artistique du street art au sein du pouvoir capitaliste et dans l’art populaire. En même temps,
nous étudierons la façon dont les street artistes ont fait tomber les barrières entre l’art et la vie
au sein d’un réseau d’artistes avant-gardistes, en se livrant à des actions esthétiques qui
pourraient amorcer une pratique artistique. D’autres ouvrages – « Modernism and
Modernity » dans Modernism and Modernity : The Vancouver Conference Papers (1983) et
Modern Art in the Common Culture (1996) de Thomas Crow, Recodings-Arts, Spectacle,
Cultural Politics (1998) d’Hal Foster – vont contribuer à étendre cette discussion. Par le biais
de ces ouvrages, nous aborderons les querelles sur l’œuvre d’art dans le domaine de l’art
populaire, le rôle de l’art dans la société de consommation et de l’acte rebelle dans le monde
de l’art.
18
Problématique et Approche méthodologique
« On ne peut pas comprendre que l’art soit un phénomène social sans la référence à
la structure sociale. Et pour comprendre le contexte social, il faut étudier les
critères de l’idéologie, de l’économie, de la politique, du pouvoir, du genre et de la
race. Cette étude est nécessaire, mais beaucoup de théoriciens n’ont pas pris en
30
La nouvelle histoire de l’art (New History of Art) ou la Culture Visuelle (Visual Culture Study), qui explorait la
théorie critique sur de multiples champs, afin d’engager la sémiotique dans une voie plus soutenue. Le chercheur
américain Norman Bryson a été une figure de proue dans ce développement, et ce n’est pas un hasard qu’il y soit
arrivé par le biais de la littérature. Dans sa célèbre étude Word and Image : French Painting of the Ancien
Regime, Bryson se penche sur les qualités de l’art comme équivalent d’un langage aussi bien que sur la relation
de l’art avec le véritable langage écrit. Sur le plan sémiotique, il s’intéresse à l’examen du caractère ouvert de
l’œuvre d’art : pour lui, une image ne se présente pas comme un signe clos, mais comme un signe ouvert, avec
un système multiple de chevauchement des signes qui fonctionne à la fois dans l’image et dans l’environnement
culturel.
Pour Bryson, la sémiotique débouche sur une vision de l’art comme force dynamique au sein de la société,
puisqu’il observe que le système de signes « circule » par l’image, par l’observateur et par la culture. Anne
d’Alleva insiste sur le fait que l’essai Une image du peuple : Gustave Courbet et la révolution de 1848 de T.J.
Clark, ne peut pas être considéré comme un projet valable pour la sémiotique historico-artistique, puisque, par
ailleurs, il ne se montre pas systématiquement sémiotique dans ses observations. W.J.T. Mitchell, présente bien
ce point d’intersection. Il fait remarquer que l’approche iconographique établie en historie de l’art met l’accent sur les
caractéristiques communes des images en critiquant paradoxalement que, bien que l’iconographie puisse
revendiquer d’avoir été développée uniquement pour les images visuelles, elle peut, en réalité, en ignorer les
qualités uniques. Norman Bryson, Word and Image : French Painting of the Ancien Regime, Cambridge :
Cambridge University Press, 1981 : T.J. Clark, Une image du peuple : Gustave Courbet et la révolution de 1848,
trad. Anne-Marie Bony et Françoise Jaouën, Paris : les presses du réel, 2007 : Anne D’Alleva, Méthodes &
Théories de l’histoire de l’art, trad. Aude Cirier, Paris : Thalia, 2006, p. 37 : Mieke Bal, Patterns of intention :
On the Historical Explanation of Pictures, London : Yale University Press, 1985 : W.J.T., Iconology : Image, text,
ideology, Chicago : The University of Chicago, 1985.
19
compte cette référence à la structure sociale et aux divers aspects des sciences
humaines »31.
Le sens d’une œuvre d’art ne peut être, à ses yeux, séparable du contexte culturel ou
politique dans lequel elle se produit. Un nombre important d’artistes contemporains travaille
dans la relation entre les activités sociales et les situations historiques. Comment pouvons-
nous ignorer l’arrière-plan des différentes sciences humaines pour analyser leur œuvre ? Les
nouvelles méthodes ont tendance à critiquer les approches traditionnelles de l’histoire de l’art
qui ne se sont cantonnées qu’aux problèmes internes d’une œuvre artistique 32 . Qu’est-ce
qu’une image en tant qu’elle fonctionne comme une représentation visuelle et comment
exerce-t-elle son pouvoir de représentation ? De ce fait, nous allons aborder la fonction
sociale de la peinture dans l’horizon de l’art moderne et dans le mouvement du street art en
faisant le bilan des théories récentes sur les images visuelles.
Le modernisme s’est présenté tout d’abord en tant que mouvement d’engagement sans
précédent en faveur de la modernité elle-même, se rapportant d’emblée à la modernité
esthétique – distincte de la modernité de la raison, de la technologie, de la politique et de la
société. L’avant-garde, elle, s’apparenta à une catégorie de la critique ou à un concept du
criticisme – dans les perceptives croisées de Hal Foster, Thomas Crow, et Theodor W.
Adorno –, à une attitude radicale et innovatrice qui, au début du XXe siècle, finit par
radicaliser la version de la modernité d’un point de vue social et critique. Adorno trace les
limites entre l’art moderne élitiste et la culture populaire, créant encore un lieu d’opportunité
pour les artistes dans une lutte culturelle, esthétique et artistique sur laquelle il s’est
particulièrement penché dans son livre Prismes : Critique de la culture et société. Thomas
Crow a, par la suite, soutenu l’étude du Jazz d’Adorno, à travers « Modernism and
Modernity ». De ce point de vue, notre approche va tenter d’analyser cette frontière d’après la
31
John Walker, Art in the age of Mass Media, London : Pluto Press Ltd., 1994, p. 14.
32
Selon Meyer Schapiro, « l’œuvre de peinture ou de sculpture est visée comme une image qui emprunterait
l’essentiel de son sens, sinon de ses effets, à ce qu’elle représente et qui demanderait, préalablement à toute
démarche analytique, à être traduit en mots ». Meyer Schapiro, Style, Artiste et Société, trad. Blaise Allan, Paris :
Gallimard, 1982 : Voir également de Meyer Schapiro, Words and Pictures : On the Literal and the Symbolic in
the Illustration of a Text, The Hague & Paris : Mouton, 1973. Et dans le livre The New Art History : A Critical
Introduction de Jonathan Harrison, il insiste sur le fait que la sociologie artistique est une approche critique
significative de l’iconographie. Voir Jonathan Harrison, The New Art History : A Critical Introduction, London :
Taylor & Francis Books Ltd., 2001.
20
réinterprétation d’Adorno, en commençant par les artistes du XIXe siècle qui se rattachent à
cette problématique.
À la fin des années 1960, en France, la révolte des artistes se concentre sur la conception
traditionnelle et institutionnelle de l’œuvre qui avait jusqu’ici constitué le socle du
modernisme. Ils en font la critique, notamment en ce qui concerne son pouvoir et sa portée,
dans une approche contestataire de la société. Les artistes ont utilisé la culture de masse pour
répondre aux polémiques esthétiques, en dehors de toute stratégie politique ou sociale. Cette
conception de la culture de masse a donc rencontré de multiples difficultés liées à l’essor de la
société de consommation et ce jusqu’à aujourd’hui. À travers certains aspects de la culture
populaire eux-mêmes élevés au rang d’art et d’œuvre d’art, dans lesquels on trouve une
difficile alliance du quotidien et de l’art, nous pouvons distinguer un nouveau mouvement
d’art contemporain : le street art.
Pourquoi témoignons-nous de l’intérêt pour ce mouvement du street art dans l’histoire de
l’art contemporain ? Quelle est sa valeur artistique dans la représentation de notre société ? Et
quelle est sa limite dans le système actuel de l’art et de la société de consommation ? Le
graffiti, assimilé à l’invective séditieuse des classes dangereuses, au vandalisme, provoque des
changements positifs dans la position du monde de l’art. Le graffiti n’est pas simplement une
expression de la sous-culture, mais participe de l’avant-garde à travers son intérêt pour la
culture de masse.
Le street art n’est plus le reflet des aspirations d’une élite rompue aux formes sophistiquées
de la culture. Il puise ses racines et ses références dans les modes populaires d’expression
d’une jeunesse urbaine devenue entité sociologique et culturelle à part entière. Nous tenterons
ainsi d’analyser les activités des street artistes qui prônent une ignorance désinvolte à l’égard
des concepts véhiculés par les élites artistiques. Dans une relation entre l’élite et la culture
populaire, comment définirions-nous le statut d’œuvre d’art ? De par sa vocation commerciale,
comment remplit-il son rôle ?
En tout état de cause, et en guise de conclusion, nous allons énumérer un certain nombre de
questions qui continuent d’être posées :
- Les graffiti ont-ils toujours été un mode d’expression non élitiste ? : quelle méthode
faudrait-il employer pour l’étude approfondie de ces formes d’art ? Et dans quel but ?
- En quoi consiste sa force ? : les graffitis ont-ils des fonctions sociales et politiques ?
21
- Comment ont-ils fait leur place dans l’art contemporain ? : comment ont-ils modifié
leur style ? De quelles manières essaient-ils de surmonter les limites des images ? Comment le
monde de l’art change-t-il ? Comment représentent-ils notre société ?
Les artistes modernes comme Pablo Picasso, Jean Dubuffet et les surréalistes tirent du
populaire, du primitif et du graffiti non seulement de nouvelles formes, mais aussi des
ressources brutes et vulgaires qui pourraient dynamiser leur résistance à l’art des élites. Le
contexte intellectuel et social de l’époque influe sur la démarche de ces artistes.
Le street art existe en dehors du domaine artistique et cette extranéité même change la
structure de l’art. En effet, les graffitis représentent un problème esthétique particulièrement
intéressant dans un cadre où nous nous attachons à étudier une forme d’art spécifique dans
une perspective non élitiste. Mais il est bon de ne pas oublier qu’à chaque période il semble
exister des liens entre le graffiti et l’art grâce à des créateurs sensibles à la force d’invention
manifeste. Les inscriptions portées sur les murs de Paris et le travail des artistes contemporains
des années 1960 33 comme Gérard Zlotykamien et Ernest Pignon-Ernest révèlent le graffiti
comme un art.
Le graffiti est surtout un phénomène social et se développe souvent dans un contexte de
tensions politiques afin d’exprimer une idéologie contestataire. Cela signifie que le graffiti est
utile pour expliquer les liens de causalité dans les relations entre la société et l’idéologie. Au-
delà de ces réflexions fondamentales, depuis l’antiquité romaine, les graffitis ont une longue
tradition politique. Cette tradition de résistance entraîne le graffiti à être employé pour
transmettre un message politique et social. Les graffitis, qui s’adressent à l’opinion publique,
qu’il s’agisse d’activisme ou d’avant-gardisme, d’actes de malveillance ou de vandalisme, doivent
être compris essentiellement comme un discours, comme un défi lancé à la civilisation
moderniste, comme une sorte d’activisme politique.
Si nous nous interrogeons sur un changement qualitatif important dans l’expression
artistique et sur l’influence des graffitis à l’époque contemporaine, il faudrait faire la distinction
entre l’expression sémantique et l’expression stylistique de l’aspect matériel et du support.
33
« Pour que l’art s’expose enfin dans la rue, il faut toutefois attendre les années 60 et la convergence de deux
phénomènes. D’un côté, l’aspiration de certains artistes à faire sortir l’art des galeries. De l’autre, l’émergence
d’un nouveau paradigme dont l’influence sur les arts plastiques est décisive : la société de consommation. Avec
elle, la réclame explose, et diffuse à outrance une imagerie. En France, les nouveaux réalistes reflètent ce monde
voué à la production et la consommation : les artistes détournent, collent, assemblent, accumulent… » Stéphanie
Lemoin et Julien Terral, IN SITU, Paris : Alternatives, 2005, p. 16.
22
Quant à l’importance du milieu où sont produits les graffitis, des études menées à Paris, il
ressort qu’ils abondent surtout dans les quartiers regroupant à la fois maisons d’habitation et
entreprises modestes. Et si nous nous tournons vers les É tats-Unis, nous voyons que les
graffitis y sont très différents de ceux réalisés en Europe. En ce qui concerne une analyse
possible des formes et des styles, il faut tout d’abord noter qu’il existe une nette distinction
entre les formes utilisées par les writers aux É tats-Unis et les street artistes en Europe.
Nous allons développer la critique de l’art moderne, tel qu’il est défini par Baudelaire ou
Champfleury, qui sert de fondement à un nouveau concept d’art autonome libéré de la vie
pratique. Par ailleurs, le point de départ du modernisme et de l’avant-garde fut la réaction
contre l’absolutisme de la raison, contre l’ordre social bourgeois du XIXe siècle et contre le
mode traditionnel de représentation, une réaction directement liée à l’émergence de nouvelles
valeurs spirituelles et à la recherche de nouveaux codes artistiques – refus du réalisme pictural
et littéraire.
Nous faisons remarquer que l’art s’inscrit dans un contexte politique, social, philosophique
et esthétique bien particulier, même s’il occupe l’espace historique de la modernité – progrès,
dépassement et espace ouvert. Pour cette étude, nous voulons donc nous référer aux études
des images qui exercent une fonction de la critique sociale, politique ou idéologique. Alors
que les historiens de l’art ont tendance à insister sur la forme, le contenu et la fonction de
l’œuvre d’art en le mettant en relation avec son contexte historique, les chercheurs qui
étudient la culture visuelle s’intéressent plus à la consommation visuelle telle qu’elle est
vécue de nos jours au quotidien34.
Notre volonté d’examiner le graffiti et le street art sous l’angle de la culture visuelle
urbaine est justifiée par le fait qu’ils donnent accès à un domaine de création qui se situe en
dehors des canons de l’histoire de l’art. Toute approche de la culture visuelle urbaine, et plus
précisément de la peinture urbaine illégale, montre le besoin d’élargir le champ d’étude de
l’histoire de l’art. Le graffiti reflète l’incidence qu’a sur notre vie le fait d’être en contact avec,
et de consommer, des images qui ne relèvent pas du champ de l’histoire de l’art. Dans notre
société, un contenu visuel culturellement significatif peut se présenter sous de multiples
formes et, comme nous l’avons mentionné, il y a perméabilité entre ces diverses formes.
34
Anna Waclawek, Street art et graffiti, op.cit, p. 159.
23
Notre étude se divisera en quatre parties et selon trois axes : la relation entre l’art et la
culture populaire, la pratique artistique de résistance, et la représentation critique de la société.
La première partie concerne directement la dimension du contexte historique et des critères
plastiques pour les sources du graffiti traditionnel, en posant la question suivante : l’auteur du
graffiti fait-il acte de vandalisme et comment les graffitis peuvent-ils témoigner d’intentions
artistiques? Notre étude gardera en perspective les deux aspects de la relation entre caricature
et graffiti, qui relèvent tous deux de la reproduction des images et de leur diffusion : la
recherche formelle du graffiti et ses fonctions politiques. Depuis le graffiti antique, nous
avons découvert plusieurs formes stylistiques : « style formel de la caricature », « style
primitif », « enfantin », et « style calligraphique », établissant une relation entre l’image et le
mot. L’intérêt du style formel du graffiti et de l’expression critique des anonymes dans les
graffitis antiques apparaît lors d’événements historiques.
Pourquoi l’anonyme choisit-il la caricature comme forme d’expression? En quoi le graffiti
représente-t-il un moyen d’expression de la résistance du public ? Quelle sont les domaines de
la culture populaire qui témoignent de capacités artistiques ? Dans ce premier chapitre, nous
discuterons également de la fonction des graffitis, des questions esthétiques, ou encore de leur
valeur artistique. Les artistes n’utilisent pas seulement des styles populaires comme des
sources esthétiques. Ils leur permettent d’exprimer leur esprit de résistance face à la société.
Comment ce genre représente-t-il ou critique-t-il notre société ?
Nous emprunterons une perspective basée sur l’étude de la caricature par Champfleury
afin de savoir comment ce genre « sauvage » a pu devenir un art. Ensuite, nous nous
pencherons sur les perspectives des graffitis et de la caricature en France, continuellement en
relation avec les artistes qui abordent les problèmes sociaux avec cette approche à la fois
critique et innovante. La culture populaire devient en elle-même un art et son intégration
esthétique ne se décide pas unilatéralement.
C’est pour cette raison que nous allons prêter attention au processus de l’évolution
historique du graffiti. Ainsi donc, nous allons mettre l’accent sur le fait que le graffiti n’est
pas indépendant des discours socio-culturels et politiques dans la rue. De ce fait, à partir des
travaux de Raffaele Garrucci et de Champfleury, nous étudierons la fonction sociale et le
caractère de résistance du graffiti, sa valeur de témoignage dans les événements historiques,
sa valeur et sa fonction actuelle par le biais de stratégies telles que la caricature, la relation des
mots à l’image et une fonction du rire. Ils fournissent à l’imaginaire artistique les sources
24
indispensables aux notions de beauté et d’éthique et bouleversent les limites de la pensée
dualiste concernant l’art de l’« élite » et la culture des « sauvages ».
Dans le deuxième chapitre, nous avons l’intention de présenter l’approche artistique de la
rue dans la littérature française. La description réaliste de la rue dans la littérature française et
dans les poésies perceptives de Guillaume Apollinaire. Le mur donne pouvoir à la parole
anonyme, à la résistance, ou au public et transmets les questions du moment. Les graffitis
touchent non seulement à la poésie, mais aussi à toutes les querelles de l’art et de la création.
Pour démontrer la valeur artistique du graffiti, nous allons montrer que le caractère rebelle des
graffitis est réel et représente des réponses qui à leur tour interrogent les problèmes de notre
société et interpellent ceux qui les voient.
Le graffiti a une fonction sociale d’expression de son époque. Nous ne voulons pas
remettre en question les critères de définition de ces courants artistiques, tant sur le plan
technique que pratique pour représenter la société. Mais nous pouvons identifier une nouvelle
évaluation de la valeur artistique du graffiti, des styles de dessin, c’est-à-dire, l’art enfantin,
primitif, et populaire et un message politique.35
Dans la deuxième partie, nous allons démontrer qu’Asger Jorn, Jacques Maché de la
Villeglé, Mimmo Rotella, les graffitis de 1968 se lièrent intimement avec le modernisme
avant-gardiste et avec des idées critiques. Dans le premier chapitre, nous allons analyser
quelques œuvres d’Asger Jorn pour voir comment cet artiste aborde la critique dans le
contexte sociopolitique des années 1950-1960. A travers ces phénomènes artistiques et les
critiques d’Asger Jorn, nous allons également montrer le rôle de l’art dans la relation entre
l’art et la vie, comment l’art réfléchit la société parce qu’il ne peut pas être séparé des
éléments idéologiques qu’il voulait exprimer.
Afin de cerner les querelles théoriques relatives à la relation entre art d’élite et culture
populaire, au rôle de l’artiste dans la société capitaliste et à la perspective du graffiti, nous
allons étudier les œuvres d’Asger Jorn. D’ailleurs, dans son œuvre, des références spécifiques
aux styles artistiques des enfants se mêlent à des sources nordiques préhistoriques. Plusieurs
grands livres illustrés par Jorn et l’exposition Modifications à la galerie Rive Gauche
35
Nous soutiendrons que les œuvres de Jean Dubuffet étaient conscientes du rôle important joué par les
lithographies et les murs aux multiples inscriptions ainsi que de l’art populaire européen et exploraient le dessin
des enfants, les graffiti et les dessins animés dans une variété de médias. Colin Rhodes, L’art outsider : Art brut
et création hors normes au XXe siècle, Londres : Thames & Hudson, 2001, pp. 31-32.
25
proposent de nouveaux rapports entre le discours des images et celui des mots, présents dans
les sources du graffiti. Dans ce chapitre, nous chercherons à savoir s’il existe dans le
modernisme une situation de tensions contradictoires. Le domaine de la culture populaire, sa
solution et ses perspectives sur la sous-culture résistante, représenteront une base importante
de notre étude.
Dans le deuxième chapitre, nous allons étudier la façon dont les affichistes identifient et
considèrent leur société de consommation. La relation entre Asger Jorn et les affichistes sera
définie : ils se situent dans une relation au sein du pop art dont nous analyserons l’approche
critique. Ensuite, nous étudierons le rôle de l’art dans la société de consommation depuis les
années 1950, et les arts en relation avec la société en distinguant l’art d’avant-garde politique.
Les artistes connus sous le nom d’« affichistes », transfigurent la rue en produit de masse
éphémère. Ces mouvements participent ainsi à une évolution du monde quotidien, de ses
valeurs et des idéologies qui les sous-tendent.
Le chapitre final de la deuxième partie montrera que le graffiti est un phénomène social
et une ouverture politique pour le public, un moyen d’exprimer ses convictions dans la rue.
Nous reviendrons les activités politico-artistiques de Mai 68 avec les productions d’affiches,
les graffitis et les slogans reflétant l’époque politique et idéologique36. Pendant cette période,
les artistes ont eu l’opportunité de sortir dans la rue pour exposer des phrases poétiques au
sein d’une culture de résistance. Nous étudierons l’impact de ces pratiques sur les artistes
européens.
Comme Adorno l’a écrit, la combinaison de l’art élitiste et de l’art populaire a sacrifié les
objectifs individuels, plus particulièrement dans l’art contemporain. L’art est destiné à la
commercialisation, à la consommation. Ainsi, bien que la conscience critique de l’artiste soit
d’accéder à la société et de montrer le geste rebelle dans sa variété, l’art a souvent échoué
dans cette fonction. Alors peut-on dire que l’emprunt à l’art populaire est négatif ? Il faut
cependant noter que cette étude présente le « pouvoir de résistance » de la culture populaire
tel qu’Adorno l’entend. La culture populaire fait partie intégrante de l’art, car les matériaux
divers et originaux utilisés pour dénoncer et/ou résoudre des problèmes sociaux sont portés au
niveau de l’art.
36
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, Paris : Alternatives, 1990, p. 61.
26
La conscience de résistance de certains artistes à travers les graffitis anticipe le mouvement
du street art des années 1980. La troisième partie et la quatrième partie concernent
directement le mouvement du street art. Dans ces deux parties, nous allons tenter de savoir
comment sera pratiquée l’image dans l’espace urbain pour l’expression libre de toutes les
idées.
Dans la troisième partie, nous nous pencherons sur le travail des artistes américains, ceux-ci
étant directement liés à la culture du graffiti, et ce afin de distinguer le graffiti writing en tant
que tel de l’action artistique de graffiti telle qu’elle est appliquée dans le street art. Et
contrairement à ce phénomène américain, qui selon nous correspondait plus à une culture qu’à
de l’art, l’art de la rue en France a très vite été considéré comme étant un nouveau mouvement
de l’histoire de l’art. Il est important de s’interroger sur les échanges qui existent entre ces
pratiques picturales qui se déploient sur les murs des villes et celles qui utilisent des supports
traditionnels. Les artistes français investissent les murs parisiens pendant les années 1980 en
multipliant les techniques et en recourant à de nouveaux matériaux et supports. Cette nouvelle
vague développe un langage visuel original qui tranche avec celui des graffitis new-yorkais.
Mais sa technique et son geste agissent différemment.
D’abord, dans le premier chapitre, nous allons analyser chronologiquement le
mouvement du graffiti des années 1970 aux É tats-Unis. Cette étude concerne la question du
contenu du graffiti, formé et transformé par des graffiti writers intégrant des interactions
sociales avec leurs spectateurs. Comment leur œuvre est devenu un art ? Finalement, dans ce
réseau, nous mentionnerons les limites du graffiti américain, par un phénomène culturel, pour
devenir un mouvement artistique et une structure du système de l’art. Avec ce courant
américain des graffitis, nous allons analyser les problèmes qui ont été posés par les critiques
d’art et les polémiques esthétiques rencontrées dans l’histoire de l’art contemporain.
Dans le deuxième chapitre, en ayant connaissance des problèmes posés par les graffitis
américains, nous aborderons le graffiti français des années 1980 dans lesquelles se situe ce
mouvement artistique. Les É tats-Unis et la France entretiennent des échanges artistiques avec
le mouvement artistique de la figuration libre. Dans le même temps, à partir de cette période,
les artistes français utilisent le graffiti comme méthode artistique et réalisent illégalement
leurs œuvres dans la rue. Dans le cadre de ces échanges, nous allons montrer dans quelle
mesure l’art urbain français se situe dans le mouvement de l’art contemporain, tout en
expliquant sa fonction et son objet dans notre société.
27
Dans la quatrième partie, nous verrons comment le graffiti est devenu international. Son
exposition a détruit les frontières de l’art. Les street artistes s’expriment sur les murs et les
exploitent pour faire valoir un contenu politique tout en servant leurs propres objectifs avec
des formes qui restent très classiques. Ce phénomène ne signifie pas simplement un échange
entre les cultures « High and Low ». C’est le problème de l’art dans la culture populaire, et de
l’art contemporain comme commerce. Ce problème est décrit dans l’analyse du street art
réalisée dans les documentaires Faites le mur ! (Exist through the gift shop) de Banksy et
Hobo vs Banksy. On assiste à l’émergence d’artistes post-graffiti qui agissent illégalement,
comme le graffiti writing, à la différence que les artistes de cette période avaient commencé
comme écrivains et n’avaient pas suivi le cursus d’une scolarité artistique. Leurs techniques et
leurs méthodes empruntent aux artistes urbains dès les années 1980.
Ils font acte d’une opinion critique sur leur société par le biais de méthodes artistiques
propres à la guérilla et ils jouent dans l’espace public en intervenant sans idéologie
déterminée. Auparavant les artistes cherchaient à grand peine des galeristes prêts à les exposer.
À présent c’est l’inverse, les artistes se font approcher par les galeristes pour « entrer en
galerie » et participer à un projet collectif. L’artiste choisit ou non de participer à un thème
qui l’intéresse dans le cadre d’une galerie mais son activité, son art, s’exprime dans la rue,
lieu qui permet à toute personne de s’approprier l’œuvre, par le regard ou même la
photographie, chose tout à fait impossible/impensable au sein d’une galerie d’art. Nous allons
étudier liberté d’esprit du street artiste, son autonomie, le caractère protestataire de son geste
et sa vue sociocritique de la société.
Nous espérons avoir l’occasion de réinterpréter les œuvres picturales contemporaines qui
ne cessent d’être influencées par cette nouvelle pratique artistique dans l’espace urbain. Nous
allons éclairer une seconde fois le graffiti dans l’histoire de l’art. Cela nous permettra de
savoir quel message transmet l’image visuelle et par quel processus se forme le discours
socio-critique de cette image. Cette étude tentera d’analyser de quelle manière le mouvement
du graffiti a réussi à s’introduire dans l’histoire de l’art contemporain. Nous analyserons
également la façon dont il a changé le système de l’art contemporain en même temps qu’il lui
imposait une nouvelle méthodologie. Cette étude posera des questions sur les sujets de
l’œuvre d’art, sur la fonction de l’art, le rôle de l’artiste, l’espace, l’éthique et l’esthétique de
l’art.
28
Pourquoi témoignons-nous de l’intérêt pour ce mouvement du street art dans l’histoire de
l’art contemporain? Quelle est sa valeur artistique dans la représentation de notre société ?
Que peut nous suggérer ce mouvement artistique au quotidien ? Et quelle est sa limite dans le
système actuel de l’art et la société de consommation alors que ce mouvement présente une
réelle activité ?
Perspectives
L’intérêt du graffiti en tant que sujet relève du fait que sa pratique reflète de manière
dynamique les différentes façons dont le public appréhende la culture visuelle et la vie
urbaine37. Les graffitis offrent aux historiens de l’art un terrain d’étude idéal pour remettre en
question plusieurs des catégories qui font autorité dans leur discipline : le style, le sujet ou la
signature de l’artiste pour son œuvre. Nous allons donc nous intéresser tout d’abord à la forme,
au contenu, au style et à la technique d’une œuvre, puis, dans un second temps, au contexte
social, à la signification, à l’artiste, au commanditaire et au spectateur. Nous pouvons
également découvrir la motivation sociocritique de ces mouvements. C’est sur cette base que
nous allons montrer, à la fin de cette étude, que le problème de la représentation se fonde sur
l’idéologie de toutes les formes culturelles. Et nous espérons que le résultat de cette étude
pourra servir comme une occasion d’établir une nouvelle relation entre l’image visuelle et la
réalité sociale.
L’étude du graffiti dans sa fonction pratique et sa représentation pose le dernier
questionnement de cette étude. Il correspond aux questions suivantes : comment se constitue
le sens d’une image dans le contexte socio-culturel? Comment se pratique l’activité du
graffiteur devant allier l’autonomie de l’art et le contexte de société de consommation ou de
culture industrielle ? Par quelles voies le communique-t-on aux spectateurs? Et, finalement,
quels sont les effets produits par l’image dans la société humaine? En somme, l’intérêt
principal de cette étude peut se résumer ainsi : quels rapports établit l’image visuelle avec la
praxis socio-culturelle dans le cadre de l’art contemporain et en lien avec les valeurs de ceux
qui apprécient les graffitis ?
Nous allons ensuite regarder de plus près le problème de l’idéologie de l’image visuelle,
c’est-à-dire ce que représentent les œuvres d’art dans l’art contemporain. L’image visuelle
37
Anna Waclawek, Street art et graffiti, op. cit., p. 192.
29
n’est pas simplement aménagement d’un espace, elle est également porteuse de sens. Nous
allons donc analyser les méthodes qui permettent au graffiti de faire naître plusieurs sens,
ainsi que les discours esthétique, idéologique et politique qui se trouvent au centre des espaces
représentés. C’est à travers le post-graffiti que nous allons tenter de savoir comment la
présence de l’œuvre d’art se manifeste dans notre société.
Et nous allons mettre l’accent sur le fait qu’il n’est pas libre des discours socio-culturels et
politique. Bien que le graffiti s’attache à l’exigence formelle pour souligner ses caractères
rénovateurs et originaux, il se combine sans cesse avec la pratique socio-critique. En somme,
nous espérons au terme de cette étude, ouvrir l’espace à la critique artistique qui sera
inextricablement liée au pouvoir politique, aux valeurs des éléments et aux intérêts humains.
De nos jours, de nombreux musées et galeries présentent l’œuvre des artistes participant à
l’incessant développement que connaît l’art contemporain dans ses rencontres avec la rue,
l’animation, la culture populaire et le langage visuel des villes. Au travers de ces aventures
artistiques, il est fait allusion aux passerelles possibles entre les pratiques culturelles qui
modèlent nos rues et les questions qui subsistent dans l’univers de l’art contemporain. Les
artistes, qui créent de nouveaux espaces d’expression, remettent certes en question le monde
mais ils le font de manière agréable, réfléchie, drôle, politique et surtout de façon spontanée et
libre.
Le mouvement du graffiti a une place dans ces dialogues entre les différentes formes d’art
puisqu’il explore notre paysage culturel en mêlant des images et des mediums traditionnels et
nouveaux. En ce sens, le graffiti peut être considéré comme faisant partie intégrante de la
culture visuelle contemporaine et propose une histoire urbaine différente : il repousse les
frontières, rejette la société de consommation et s’interroge fondamentalement sur
l’autonomie de l’art et une pratique critique de l’art par les artistes dans nos sociétés
contemporaines.
30
Première partie
31
La tentative de francisation à la fin du XIXe siècle du terme graffiti en « graffite » n’a pas
été retenue, ni le singulier graffito qu’utilise, entre autres, André Malraux. Nous pouvons
néanmoins les regrouper sous un terme générique de par leur cohérence fondamentale, et
donc utiliser le mot « graffiti » au singulier ainsi qu’au pluriel, l’utilisation du s (« graffitis »)
étant admise dans l’usage. Les graffitis existent pourtant depuis des époques reculées, dont
certains exemples remontent à la Grèce antique ainsi qu’à l’Empire romain. Ils ont une grande
importance en archéologie car ils font partie, avec les textes épigraphiques (inscriptions
officielles), des témoignages écrits non littéraires, populaires, souvent très « vivants » et aptes
à nous révéler des aspects inédits des sociétés qui les ont produits.
Ces graffitis sont généralement rédigés en latin vulgaire et apportent de nombreuses
informations aux linguistes comme le niveau d’alphabétisation des populations. Souvent
métriques, c’est-à-dire rédigés en vers, ils sont autant l’œuvre d’anonymes qui écrivent sur le
mur que la citation d’un poète dont la postérité a oublié le nom. Le mot graffiti apparaît pour
la première fois dans la langue française en 1856 avec le livre Graffiti de Pompéï, inscriptions
et gravures tracées au stylet du père jésuite Raphaël Garucci38. L’auteur l’utilise, non pas en
se référant à la technique du graffito, mais déjà avec le sens que nous lui connaissons
aujourd’hui d’inscription spontanée au pinceau, au charbon de bois, ou au stylet sur un
support publique non prévu à cet effet. À Pompéi, il y a deux sortes des graffitis : grattés et
peints. Les noms ou les signatures d’anonyme ont d’abord été grattées sur différentes surfaces.
Les graffitis se présentaient généralement des témoignages historiques ou culturels de
l’Antiquité. Mais surtout, nous pouvons trouver dans l’étude du graffiti ancien que ces
caractères sont souvent satiriques ou caricaturaux. Tracés, dans l’Antiquité, sur des objets ou
des monuments, ils relèvent parfois de l’art visuel, de la littérature ou encore de l’humour. Ils
constituent une manifestation de l’esprit humain, poétique de par son aspect éphémère, et
altruiste de par son mode de diffusion. Parfois, les graffitis sont donc employés pour
communiquer un message politique et social. Il existe de nombreux caractères formels de
graffitis, ces styles évoluant rapidement vers une forme artistique. Tous les graffitis anciens ne
font pas nécessairement référence à des événements historiques. Beaucoup se résument au
tracé d’un patronyme ou à une expression graphique ou plastique. Cependant nous allons nous
focaliser sur les graffitis faisant référence à des événements historiques ou à des expressions
38
Voir Raphael Garrucci, Graffiti de Pompéi : inscriptions et gravures tracées, seconde édition, Paris : Benjamin
Duprat, 1856.
32
critiques afin de présenter leur fonction sociale, élément qui a fortement stimulé et motivé les
artistes.
De ce fait, en suivant Raphaël Garrucci et Champfleury, nous étudierons la fonction sociale
et le caractère de résistance des graffitis, les traces qu’ils ont laissées des événements
historiques et leur valeur artistique. Dans leur relation avec la sous-culture, sa fonction
actuelle se déploie par le biais de stratégies telles que la caricature, une relation des mots à
l’image, et une fonction comique. Ils fournissent à l’imaginaire artistique les sources
indispensables aux notions de beauté et d’éthique et bouleversent les limites de la pensée
dualiste concernant l’art de l’« élite » et la culture des « sauvages ».
Lorsqu’en 1853, Raphaël Garrucci publie son étude sur les graffitis de Pompéi, le caractère
non officiel de l’une de ces inscriptions est établi, et leur valeur pour la recherche historique
devient évidente39. Il en relève par ailleurs des évocations dans les écrits d’anciens auteurs de
l’Antiquité gréco-latine, tels qu’Aristophane, Cicéron ou Pline :
« L’usage d’écrire sur les murs des maisons particulières et des édifices publics a
été plus d’une fois mentionné par les anciens auteurs. […] Ces textes ont
l’avantage de nous indiquer quelques-uns des sujets ordinaires de ces inscriptions :
c’étaient des satires personnelles ou des poésies élogieuses »40.
Deux facteurs devaient être réunis pour que ce type d’inscription soit reconnu. Il a fallu
qu’on se penche avec intérêt sur ces écrits parasites, et que cesse le mépris pour les dessins
d’origine populaire. Nous retrouvons ainsi la satire intellectuelle, le style poétique et le dessin
critique du graffiti qui se présente souvent sous la forme d’une caricature. R. Garrucci, dont
le livre constitue le traitement le plus précoce et le plus important de ce sujet, a étendu le sens
de graffiti, jusqu’alors terme de paléographe, pour inclure des dessins muraux populaires ainsi
que des inscriptions discursives. L’Italien F.M. Avelino a pu publier des reproductions gravées
de certaines de ces inscriptions en 1841. Dans un traité de 1848, l’artiste suisse Rodolphe
Töpffer a exprimé sa joie en déclarant que les dessins muraux de Pompéi et d’Herculanum
ressemblaient à des dessins d’enfants et à un art de « sauvages ». Il a pris toutes ces choses
comme preuve d’un point commun universel à l’origine de toutes les idées de la beauté41.
39
Johannes Stahl, Street Art, op. cit., p. 24.
40
Raphael Garucci, Graffiti de Pompéi, inscriptions et gravures tracées au stylet, op. cit., p. 5.
41
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op. cit., pp. 70-72.
33
Après que Champfleury a développé ces études, Brassaï a magnifiquement enregistré ces
expressions magiques et naïves dans les années 1930-196042.
Quelques artistes ou écrivains, comme Victor Hugo, Emile Zola, Arthur Rimbaud,
Guillaume Apollinaire, anticipent par une récupération d’objets du quotidien dans les rues,
ceux qu’Apollinaire appellera « Grâce industrielle »43 et qui fascineront les futuristes et les
surréalistes, ainsi que divers artistes contemporains par la suite. Il s’agit là de promouvoir des
contre-modèles et de sortir par provocation de la littérature pour la renouveler. D’où ces
contre-arts poétiques qui ont commencé à se proclamer vers 1848 comme celui de Courbet
allant du côté des images d’Epinal, ou de Champfleury, allant du côté de la caricature et des
images populaires44. Un peu plus tard, l’art de la rue a gagné les galeries avec les collages de
Picasso et de Braque, dès le début du XXe siècle, les affiches lacérées de Jacques de Villeglé
et Raymond Hains dans les années 1960, ainsi que, plus récemment le travail d’Ernest
Pignon-Ernest. En France, l’intérêt pour la rue a créé un cadre intellectuel attribuant des
valeurs propres à ses modèles théoriques.
Cela étant dit, en raison de quelle nature la valeur artistique de certains graffitis de la rue
est-elle reconnue? Pourquoi les graffitis des événements de Mai 68 ont-ils été évalués dans
l’art différemment des graffitis américains? Comment les activités de certains sortent-elles du
domaine de l’art quand elles sont dans la rue ? Le graffiti possède-t-il de façon inhérente
certaines particularités artistiques ? Pourquoi les graffitis de la rue moderne comme les tags
(signatures), les graffs (fresques), se distinguent du mouvement street art de par leur caractère
esthétique, leur vocation artistique teintée de témoignages de leur époque, et coexistent auprès
des artistes contemporains, comme les artistes d’avant-garde, dans l’art urbain du fait de leur
autonomie. Le mouvement street art semble être, en réalité, parfaitement intégré par la culture
bourgeoise et popularisé par le mass-média. Le graffiti writing se trouve de ce fait dans une
situation contradictoire : il bénéficie des excès du marché de l’art, de ses débordements
mercantiles, mais n’en accepte pas les critiques. La complexité des tags et graffs qui ne
paraissent destinés qu’à l’entendement de quelques initiés d’une même tribu les rapproche des
42
Voir Brassaï, Graffiti, Paris : Flammarion, 1960.
43
« Tu lis les prospectus, les catalogues, les affiches qui chantent tout haut / Voilà la poésie ce matin et pour la
prose il y a les journaux / […] Les inscriptions des enseignes et des murailles / Les plaques les avis à la façon des
perroquets criaillent / J’aime la grâce de cette rue industrielle (« zone ») », cité par Philippe Hamon, Imageries :
littérature et image au XIXe siècle, Paris : José Corti, 2001, p. 171.
44
Voir Meyer Shapiro, « Courbet et l’imagerie populaire », Style, Artiste, Société, trad. Blaise Allan (etc.), Paris :
Gallimard, 1982.
34
anciens graffiti ésotériques. Le capitalisme désordonne l’aspect rebelle du graffiti et de l’art-
initiative en les rendant commerciaux. La rue contemporaine semble maintenant gagnée par
les galeries ou occupée par les artistes eux-mêmes du fait de leur autonomie dans notre
société de consommation, entrainant ainsi des querelles esthétiques.
Dans cette situation, comment les graffitis peuvent-ils témoigner d’intentions artistiques ?
Quelles sont les traits inhérents au graffiti ? Découvrons-nous la forme innovante des œuvres
de la rue uniquement pour créer un contre-modèle à l’académique ou pour sortir des limites
esthétiques telles qu’elles sont représentées dans la littérature du XIXe siècle ? Comment ce
genre « sauvage » est-il aujourd’hui lui-même devenu un art ? Par la caricature, le graffiti, les
sources des images populaires, l’intérêt de l’artiste est-il simplement de promouvoir de
nouvelles valeurs stylistiques ? Pour répondre ces questions, nous allons d’abord étudier les
caractéristiques des graffitis anciens et ensuite nous pencher sur l’intérêt qu’ont les artistes
non seulement dans l’aspect plastique des graffitis, mais également dans l’expression
politique ou critique des événements de l’histoire, dans leur représentation de la société.
Comme Erwin Panofsky a dit, « l’expérience re-créatrice d’une œuvre d’art ne dépend pas
seulement de la sensibilité naturelle du spectateur et de son entrainement visuel, mais aussi de
son équipement culturel »45. Le graffiti représente la vérité sociale contre la société. Sa forme
esthétique, son objet, le caractère rebelle de son geste, sont le reflet critique de leur société.
Notre étude doit garder en perspective les deux aspects de la relation entre caricature et
graffiti, qui relèvent tous deux de la reproduction des images et de leur diffusion : la recherche
formelle du graffiti et ses fonctions politiques. Du fait de cette approche, nous pouvons
entrevoir les formes et la fonction des graffitis antiques, la relation du graffiti à la caricature,
l’expérience de l’artiste par les graffitis, et la relation entre l’image et les mots dans les
graffitis. En gardant toujours à l’esprit un intérêt pour les styles formels du graffiti, comme
celui de la caricature, le primitif, l’enfantin, et celui des mots, nous pouvons apprécier
l’approche critique des anonymes qui apparait lors d’événements historiques et dont le
caractère est évidemment politique, satirique et humoristique.
Pourquoi l’anonyme choisit-il la caricature comme forme d’expression? En quoi la
caricature représente-t-elle un moyen d’expression de la résistance du public ? Utilisée par
l’anonyme, comme par l’artiste, elle reflète une pratique sociale et politique de l’image. Elle
jouait souvent un rôle informatif essentiel, un principe formel de déformation du visage et
45
Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses significations, trad. Bernard et Marthe Teyssèdre, Paris : Gallimard, 1969,
p. 43.
35
d’attaque du corps de l’objet de la caricature ; elle revêt également une fonction plus moderne.
Nous allons bientôt étudier que l’œuvre Voulez-vous aller faire vos ordures plus loin,
Polisson ! (1883) de A. Bouquet, qui étaie parfaitement ce propos. Les graffiteurs de la rue
inspirent donc les artistes modernes, tout autant que les messages intellectuels, philosophiques,
ou politiques inscrits sur les murs par des anonymes.
Par ailleurs, nous faisons, à tout moment, la démonstration de la relation entre ces deux
éléments que le monde de l’art, tel qu’il était, cherchait constamment à diviser, distinguer et
opposer : le champ des beaux-arts et celui de la culture populaire dite « sauvage ». Quels sont
les domaines de la culture populaire qui font preuve de capacités artistiques ?
Dans ce premier chapitre, nous suivons les traces des graffitis anciens. En général, ils
présentent des témoignages historiques ou des traces culturelles de l’Antiquité. Mais nous
remarquons l’étude d’Alexei V. Zadorojnyi sur les graffitis. Il, dans son étude « Transcripts of
Dissent ? Political Graffiti and Elite Ideology Under the Principate (Transcriptions de la
dissidence? Graffiti politique et idéologie de l’Elite sous le principat) » 46 , considère la
complexité du graffiti comme symbole de la dissidence politique dans le discours littéraire de
l’élite gréco-romaine.
Ensuite, parmi les formes du graffiti, nous allons découvrir une relation avec l’art primitif,
naïf, ainsi qu’avec la calligraphie. Les stratégies de la caricature et les graffitis de la rue
pouvaient se libérer dans l’art moderne, comme le montre en particulier l’étude de Brassaï sur
les graffitis de Paris. Mais les formes de la caricature, primitive, et populaire, empruntent à
l’humour pour critiquer la société. Dans une approche critique des œuvres de Pablo Picasso,
de Jean Dubuffet, d’artistes surréalistes et d’autres encore, nous pouvons remarquer qu’ils ont
utilisé les formes artistiques du graffiti en tant que source d’inspiration, tout comme la
littérature française a souvent pu mentionner l’atmosphère ou les graffiti de la rue parisienne.
Nous discuterons également de la fonction des graffitis, des questions esthétiques, ou
encore de leur valeur artistique. Mais les artistes utilisent des styles populaires pas seulement
en termes de sources esthétiques, mais également pour exprimer leur esprit de résistance face
à la société. Quels sont les graffitis qui ont une valeur artistique ? Comment ce genre
représente-t-il ou critique-t-il notre société, comme l’art a toujours essayé de le faire? Nous
convergerons vers une perspective nouvelle basée sur l’étude de la caricature par
46
Alexei V. Zadorojnyi, « Transcripts of Dissent ? Political Graffiti and Elite Ideology Inder the Principate », pp.
110-133, J.A. Baird et Claire Taylor (éd.), Ancient Graffiti in Contexte, London : Routledge, 2011.
36
Champfleury afin de savoir comment ce genre « sauvage » a pu devenir un art, comment cet
acte personnel a valeur artistique, et pourquoi l’artiste « commet » cet acte, sortant ainsi du
seul processus de découverte esthétique. Cette perspective va insister sur le fait que les
graffitis ont une valeur artistique de par leur style, mais également de par leur message. Nous
nous focaliserons sur les graffitis qui commentent ou montrent un événement historique et/ou
politique.
Par ailleurs, ces graffitis présentent un style caricatural. Le graffiti et la caricature
présentent des similarités. Sur la base de l’étude de la caricature dans les ouvrages Histoire de
la caricature antique (1867) , Histoire de la caricature moderne (1865), et Histoire de
l’imagerie populaire (1869) de Champfleury, L’art et l’histoire de la Caricature (2009) de
Laurent Baridon et Martial Guédron, A la Charge : la caricature en France de 1879 à 2000
(2005) et La commune de Paris Révolution sans images ? (2004) de Bertrand Tillier, nous
réalisons que toute forme de graffiti est porteuse de message.
Dans le deuxième chapitre, nous expliquerons comment l’intérêt de la littérature pour la rue
française ou ses artistes va influencer l’apparition d’essais avant-gardistes sur la culture
populaire. Du reste, l’esprit rebelle français va de plus en plus s’installer comme mouvement
historique ou pensée critique, dans les œuvres des artistes modernes d’avant-garde dans le
mouvement artistique du graffiti au 20ème siècle. Les styles des graffitis antiques et leur
caractère rebelle inspirent non seulement des formes de création aux artistes modernes, mais
aussi un champ expérimental d’avant-garde dans l’art moderne.
Nous allons insister sur le fait que Guillaume Apollinaire et les surréalistes essayaient de
partager un intérêt pour le graffiti, mais aussi de comprendre cet intérêt comme emblématique
d’une fascination de la rue, mis en place en contraste avec des inscriptions officielles. Dans
notre étude, nous confirmerons cette fonction du graffiti représentée par le rejet de la
réglementation, des contraintes, de la hiérarchie et de la logique, tous les principes centraux
de la pratique des artistes modernes qui se trouvent aussi dans le travail d’Apollinaire. Ce
courant réfléchit toujours à la façon que ces artistes ont de critiquer leur société,
jusqu’à aujourd’hui, la société de la consommation.
Nous nous pencherons sur les perceptives des graffitis et de la caricature français,
continuellement en relation avec l’esprit artistique français, et les artistes qui abordent les
problèmes sociaux avec une approche critique et innovante. La culture populaire devient en
elle-même un art, et son incorporation ne se décide pas unilatéralement. Si l’on tient compte
37
du fait que l’œuvre d’art est liée à l’ensemble socio-culturel d’une époque, la compréhension
du graffiti sera réellement plus efficace. Nous allons continuellement tenter de savoir comment
le graffiti se classe et se situe dans l’espace public et dans l’art contemporain. L’intérêt
principal de ce chapitre est dans l’établissement des caractères originaux du graffiti. Le sens
de cette image ne découle pas uniquement de l’œuvre elle-même. L’interprétation de cette
image dépendra du contexte socio-culturel et aussi du temps. C’est pour cette raison que nous
allons faire attention au processus de l’évolution historique du graffiti. Nous allons donc
mettre l’accent sur le fait que le graffiti ne peut être envisagé hors du contexte du discours
socio-culturel et politique de la rue.
38
Par ailleurs, R. Garruci avait étudié le style des alphabets et montré que cet art visuel était
lié à l’écriture. Mais nous tenterons d’établir une relation plus large entre les mots et l’image,
relation dans laquelle le mot est l’image, et l’image est mot, tous deux représentant
catégoriquement le message47. Nous allons donc examiner l’applicabilité des théories socio-
scientifiques d’une relation entre l’image et les mots pour évaluer l’importance culturelle et
sociale de graffiti. L’expression satirique tout comme la poésie était personnelle. Leur acte est
répété, spontané ou vandale, et exprime la conscience de l’acteur à propos d’un sujet ou d’une
question intellectuelle ou sociale. Cette perspective anonyme présente l’attitude des artistes
tels que Marcel Duchamp ou de d’avant-garde. Nous aborderons donc le graffiti en tant que
pratique. Le contexte des graffitis n’est pas seulement historique et spatial, mais aussi
performatif, impliquant une relation entre le public et leur conscience intellectuelle. De fait, le
graffiti a ajouté sa pierre à chaque période et provoqué systématiquement un engouement
populaire pour la spontanéité de son geste.
Le graffiti est constitué de l’inscription elle-même, de l’image elle-même, ou de l’image et
des mots. Pour cette étude, nous allons d’abord rechercher les caractères formels des graffitis,
tout en étudiant les contextes sociaux ou culturels. Nous allons ensuite approfondir la question
de leur valeur artistique, pour finalement discuter de leurs fonctions socio-culturelles dans la
rue.
47
Cette étude montre les œuvres diverses de René Magritte, et tout particulièrement Les Mots et les Images
(1928) dans la Révolution surréaliste en 1929. En amont de ces fondements théoriques de Magritte sur les mots
et l’image, nous avons porté notre attention cette fois à leur coopération réciproque dans ses peintures. Les mots
et l’image y dominent sans exception la réalité. La représentation faite par les mots et l’image n’est plus une
simple mimésis qui est ressemblante au monde extérieur. Ni les mots ni l’image ne permettent seuls de décrire le
monde extérieur d’une manière exacte. D’où vient la nécessité de les combiner, c’est-à-dire d’organiser leur
coopération réciproque et aussi de s’interroger de quel sens est justement dérivé cette coopération dans les
œuvres de Magritte.
Tout cela nous permet non pas de voir et d’apprécier les œuvres de Magritte telles qu’elles sont, mais de les
« lire » en nous référant à l’écart entre les mots et l’image. On aurait pourtant tort de dire qu’il raconte tout
simplement le rapport entre les mots et l’image. Au contraire, il exige des spectateurs de participer plus
activement à l’interprétation de ses œuvres en faisant bien sûr attention au rapport entre les mots et l’image. Car
la notion de sens figé et unique s’effondre dans ses œuvres à cause des relations entre l’objet et son image et
aussi entre les mots et l’image, telles qu’elle s’y se présente.
Au bout du long parcours, nous avons pu constater les deux points suivants : l’un est que la résolution du
problème de la représentation est indispensable à la compréhension des œuvres de Magritte ; plus concrètement,
l’effondrement du rapport entre les mots et l’image n’est pas indifférent à la déconstruction de la théorie
traditionnelle de la représentation ; et le second est que grâce à cette théorie révolutionnaire de la représentation,
Magritte a beaucoup contribué à frayer une voie nouvelle à la peinture contemporaine, notamment conceptuelle,
qui ne cesse de se développer en élargissant son champ de possibles et en allant surtout au-delà de la peinture
figurative.
39
1.1. Les traces des graffitis dans l’histoire, et plus particulièrement
en France : vers un caractère essentiel
Les traditionnelles inscriptions sur pierre ou aux murs de la ville sont soigneusement
tracées à la peinture noire ou rouge. Des graffitis sont jetés d’une main plus hâtive. Les
graffitis, tracés à la pointe dure dans le stuc ou les enduits peints, en caractères cursifs, sous
l’effet d’une émotion fugitive, de l’enthousiasme, de la colère, ou simplement pour noter des
achats ou la liste de tâches à accomplir, sont plus spontanés, et leur fraîcheur, leur incongruité
parfois les rendent encore attachants. Les graffitis ont toujours apporté un témoignage sur la
vie de chaque période. Et les inscriptions, étaient de préférence écrites sur les murs des
espaces publics, sur l’intérieur des habitations, dans et autour de l’espace de travail. Mis à part
la variété topographique, dessins et écritures latines ou grecques racontent un quotidien
méconnu comme les comptes, les achats, la vie scolaire, etc. Ils reflètent l’engouement
populaire pour des événements sportifs, comme de simples noms personnels, des salutations
et des textes érotiques, mais un grand corpus d’exemples picturaux comme des personnages,
animaux, bateaux, ainsi que des images plus abstraites existe également48. Ils parlent d’amour
et de sexe et présentent souvent le désir simple. C’est la spontanéité du geste anonyme.
Les graffitis découlent souvent de dessins enfantins pour les silhouettes humaines, les
visages d’homme, les animaux, etc. En dépit de critères stylistiques, l’aspect naïf, mal
proportionné ou maladroit de certains graffitis a souvent incité à en faire des dessins d’enfants.
Par exemple, le succès évident des bonshommes, réalisées de toutes les façons possibles, tient
au fait qu’ils sont, avec les animaux, un sujet de prédilection pour les enfants d’hier et
d’aujourd’hui. Le dessin d’un bonhomme, par ses transformations physionomiques, révèle des
states de l’évolution d’un enfant, quelle que soit son époque.
48
Benefiel. R, « Dialogues of ancient graffiti in the House of Maius Castricius in Pompeii », AJA 114, 2010,
pp.59-101: Kruschwitz, P. « Patterns of text layout in Pomepian verse inscriptions », Studia Philologica
Valentina 11, 2008, pp.225-264: Milnor, K. « Literary literacy in Roman Pompeii: The case of Vergil’s Aeneid »,
dans éditions de W.Johnson and H. Parker, Ancient Literacies : The Culture of Reading in Greece and Rome,
Oxford: Oxford University Press, pp.288-319: Funari, P.P.A. et Garrafoni, R.S., « Reading Pompeii’s walls : a
social archaeological approach to gladiatorial graffiti », T. Wilmott (éd.), Roman Amphiteatres and Spectacula: a
21st-Century Perspective. Papers from an international conference held at Chester, 16 th-18th February, 2007,
Oxford : Archaeopress, 2009, pp. 185-194 : Funari, P., « Graphic caricature and the ethos of ordinary people at
Pompeii », Journal of European Archaeology 1, 1993, pp. 133-150, cité par J.A. Baird et Claire Taylor (éd.),
Ancient Graffiti in Contexte, op.cit., pp. 1-2.
40
C’est ainsi qu’apparaît un personnage sur la peinture à fond jaune de la probable salle de
classe du quartier INSULA 1 d’Avenches (fig. 1)49. Une figure aux bras sortant de la tête,
incisée en bas de paroi, révèle une étape de représentation enfantine du corps humain, tout
comme le bonhomme dessiné d’un trait, en incluant tous les éléments du corps 50 . Nous
proposons un autre exemple : le petit bonhomme de Périgueux (fig. 2). Le personnage, un
homme plutôt qu’une femme, est tracé de façon schématique : son corps avec la barre de la
tunique forme un A, les mains au bout des bras écartés n’ont que trois doigts et la tête est une
boule ronde ; un soleil à huit rayons le surmonte et l’inscription SAL portée sur le côté est
sans doute à compléter en SAL<VE>, « Salut » 51 . Ces dessins d’enfants montrent la vie
scolaire et le mur devient espace d’exercice.
Des dessins sur les murs antiques ont été étudiés par R. Garruci, dans ses ouvrages Les
murs murmurent : graffitis gallo-romains publié sous la direction d’Alix Barbet et de Michel
Fuchs, et l’Ancient graffiti in Context édité par J.A. Baird et Claire Taylor, dans lesquels ils se
penchent sur les Graffiti de Pompéï. A Pompéi, les noms ou les signatures d’anonyme ont
d’abord été grattées sur différentes surfaces. Les combats de gladiateurs occupent certes une
place très importante dans les sujets favorisés par les graffitis. Les annonces officielles, dont
les façades de Pompéi nous restituent le contenu, et les dépliants qui circulaient dans les rues
et sur les gradins, mentionnaient le motif de la fête, le nom de l’organisateur des jeux, le
nombre de gladiateurs et leur spécialité, parfois certains aménagements de confort comme le
dépliement d’un velum pour protéger les spectateurs du soleil. Les témoignages gravés par
des spectateurs passionnés nous restituent eux une image très vivante des protagonistes,
donnant parfois leur nom pour signaler leurs victoires52.
Nous analyserons une œuvre consistant en une image et des mots OCEANSVS. I. XIII
V. (fig. 3): Oceanus libertus, XIII uictoriarum, uicit. (Oceanus l’affranchi, aux treize victoires,
vainqueur (C.I. L. IV, 8055 a) 53 . Nous connaissons actuellement plusieurs centaines
d’inscriptions pompéiennes, dont seule une infime partie est ici présentée, sans aucune
49
Chasse à AVENCHES, insula 1, salle de classe ( ?). L. 15,5cm, H. 15,6cm. Fin du 1 er-début du IIe siècle ap. J.-
C. Musée romain d’Avenches. Fuchs 1989, p.16-19 ; Fuchs M., Béarat H., Analyses physico-chimiques et
minéralogiques de peintures murales romaines d’Avenches, I : du pigment à Avenches, Bulletin Pro Aventico, 38,
1996, p.38 ; Roduit 2006, pp. 34-35 (cat.15), cité par Aliz Barbet et de Michel Fuchs, cat. Les murs murmurent :
graffitis gallo-romains, musée romain de Lausanne-Vidy, Gollion : Infolio, 2008, p. 97.
50
Ils ont expliqué que le bonhomme à grosse tête dont le tronc, les bras et les jambes sont assemblés en pièces
détachées, est réalisé par des enfants âgés entre quatre et six ans. Ibid., pp. 50-51.
51
Pas avant le milieu du 1er siècle apl. H. C. Dépôt de la ville de Périgueux. Inédit. Cité par Ibid., p. 61.
52
Ibid., p. 68.
53
Textes choisis et traduits du latin par Philippe Moreau, Sur les murs de Pompéi, Paris : Gallimard, 1993, p. 13.
41
ambition érudite et sans autre but que l’agrément du lecteur. Ces inscriptions et peintures
politiques réalisées sur le mode grivois portent un message public à une période différente et
chaque fois suite à une demande officielle comme l’image ARACINTVS L IIII PISITIARIO54
(fig. 4).
Mais par les expressions lucides, le graffiti dans le monde romain était souvent associé à la
politique et a été une façon populaire de parler de retour à l’autorité. Comme le montre
l’ouvrage Sur les murs de Pompéi avec cent vingt-trois inscriptions lapidaires et pariétales
choisies et traduites du latin par Philippe Moreau, les inscriptions gravées dans la pierre ou le
marbre révèlent surtout la vie politique de la cité, les noms et les activités de ses magistrats et
de ses élites comme dans le reste du monde romain. Les inscriptions funéraires, stéréotypées
dans leur forme et leur contenu, relèvent également d’une épigraphie convenue, un peu
contrainte et guindée.
La particularité de Pompéi est d’avoir conservé aussi des inscriptions, peintes sur la chaux
et tracées à la pointe dure sur l’enduit des murs, dont les auteurs ne souhaitaient pas qu’elles
traversent les siècles : d’où leur spontanéité, leur fraicheur souvent, leur verdeur parfois, qui
donnent au curieux le sentiment d’entrer, comme par effraction, dans les préoccupations
quotidiennes, banales ou touchantes, les goûts et les passions des Pompéiens d’avant
l’ensevelissement sous le cendres du Vésuve55. Comme les styles du graffiti de Pompéi, ces
sujets apparaissent continuellement dans le graffiti que Christian Colas analyse à Paris. Nous
découvrons la vision religieuse sur les murs de l’église Saint-Médard à travers les images de
la rébellion de Satan contre Dieu, de diable, du bouc, les signes sacrés et miracles. Il classe
54
Ibid.
55
Les graffiti qui illustrent le volume sont extraits du Corpus Inscriptionum Latinarum, vol. IV, Berlin, 1871, éd.
C. Zangemeister (Académie Royale de Prusse), réimpression 1957 (5215) et du Corpus Inscriptionum Latinarum,
vol. IV, fasc.3, 1, 1952, éd. M. Della Corte (8055 et 8056). Les légendes comportent la transcription des textes
des graffiti, leur lecture avec résolution des abréviations et leur traduction. Le classement par signes des
inscriptions de Pompéi par Philippe Moreau contenait des sujets divers : Prière, Clientèle, Campanilisme,
Vedette, Femmes et politique, Hypocondrie, préférences, méditation poétique, Liste d’achats, Le peintre
d’inscriptions, Parasitisme, Aux âmes bien nées…, Gladiature, Souvenir, Militantisme, Plaisirs Populaires,
Médecin, Politique, Faiblesse, Piète filiale, Politique et spectacle, Agaceries d’Amoureux, Clientèle et clientèle,
Piète impériale, Libéralisme, Préciosité, Compte rendu, Naïveté, Popularité, La cabaretière, Culture, Mauvais
plaisants, privé et public, Ecole libre, Gladiature, Ouvrages de dames, Avertissement, Paradoxe, Professionnelle,
Ennemie, Les Rivaux, La maison qui parle, Couple, Lobby, Hygiène publique, Tendresse, Le monde des affaires,
Francs Buveurs, Palmarès, Evergétisme, Ambigüité, Marché de l’immobilier, Humour Electoral,
Encouragements, Confiance, Vol à l’étalage, Civilités, Cri du cœur, Tendres souhaits, Désamour, Abandon,
Tifoso, É vergétisme, Haine, Supplique amoureuse, Contradiction, Groupe, Affranchissement , Déception,
Honneurs, Sélection, Culte impérial, Pathos, Foi, Romantisme, Lassitude, Rescapés, Bonheur, Camaraderie,
Parti, Propriété, Supporter, Déçue, Envoi. Voir, Ibid.
42
également les formes des graffitis ou d’inscriptions : visions érotiques, carrés d’initiés, un
mercenaire au cachot, la nef des nautes, le répertoire iconographique des graffitis ; le trèfle,
des outils tels que marteau, clé, et lunettes; nom et prénom, un bestiaire, girafe, zébu ; soldat
prussien, lettres de noblesse, fraternité, margot, héros de la Commune, Le chant de la clairière,
etc56.
Les dessins et les lettres se côtoient, parfois s’interpénètrent. Disparates, leurs fonctions
sont multiples. Laisser sa trace, même ténue, c’est vouloir communiquer, faire passer un
message, transmettre du sens. C’est indiquer son appartenance, se distinguer, manifester son
identité. Les témoignages que nous apportent les graffitis antiques sont à ce titre extrêmement
précieux, nous informant, de la manière la plus expressive, sur la société et la culture dont ils
sont le reflet. Par la spontanéité du langage ou du geste, par le côté cavalier de leur présence
sur tel ou tel support, à tel endroit, ils nous offrent l’immédiateté du quotidien des premiers
siècles de notre ère57.
Le style et le contenu changent-ils de sens en fonction de l’espace où se trouvent les
graffitis ? Nous pouvons en prendre comme exemple les graffitis à Pompéi pour lesquels une
écriture ou un dessin plus achevé occupe les pièces d’habitation. L’écriture était, à l’époque,
une forme de privilège, ainsi que l’explique J.-P. Bost :
La distinction parait certes facile entre inscriptions officielles et graffitis privés, mais quels
sont les domaines d’expression de ces derniers ? Il y a des caricatures et des écrits, les uns
éclairant parfois les autres. En imaginant que le graffiti contestataire devait certainement être
56
Christian Colas, Paris Graffiti : Les marques secrètes de l’histoire, Paris : Parigramme, 2010.
57
Sous la direction d’Alix Barbet et de Michel Fuchs, Les murs murmurent : Graffitis gallo-romains, op.cit., p.
195.
58
Bost, J.-P. Exploits amoureux à Limoges au IIIe siècle après J.-C. : trois graffitis de la « maison des Nones de
Mars », Travaux d’Archéologie Limousine, 13, 1993, pp. 53-57., cité par Sous la direction d’Alix Barbet et de
Michel Fuchs, Les murs murmurent : Graffitis gallo-romains, op.cit., p. 16.
43
déchiffrable pour le passant antique, on remarque des inscriptions sauvages et des graffitis
(dessins) sans mots. Mais nous devons distinguer expression métrique et graffitis littéraires
aux desseins politiques.
La forme, la langue de l’écriture, de même que les mots et leur police, accompagnant
l’image ont tous leur importance. Les graffitis inscrits sont presque tous en lettres latines,
avec quelques exceptions intéressantes : un texte entièrement en grec, ou un mélange de
lettres grecques et latines indiquant la culture de l’auteur. Les images sont porteuses de
messages en elles-mêmes et par le contexte social. C’est-à-dire que le graffiteur va parfois
jusqu’à exploiter le cadre peint pour y insérer son message. Nous remarquons que ce geste,
contrairement aux tags ou graffs dont la recherche esthétique l’emporte de loin sur le message,
est différemment apprécié du public et des autorités. Nous les situons quelque part entre art de
la rue et incivilité, entre liberté d’expression et vandalisme. Le geste n’est alors plus aussi
spontané. Il est mode d’action. Ces témoignages sont tout ce qui nous reste de l’humeur, de
l’écriture et du langage quotidiens des petites gens, pour la plupart de ces inscriptions.
Robecca R. Benefiel confronte le fait que, dans Pompéi, de nombreuses maisons, y compris
celles de riches propriétaires, ont ce qui pourrait apparaître à un observateur moderne comme
une relation aléatoire sur leurs murs. La présence de quatre styles dans la maison, atteste que
l’acte de l’inscription de graffiti est une activité sociale dans les espaces centraux et les plus
visibles de la maison. Benefiel montre que l’écriture sur le mur peut être utilisée à des fins
pratiques, ou didactiques, et pourrait être le résultat de cette activité sociale en permettant à
ces graffitis de raconter un certain nombre d’histoires59. Il participe de la connaissance des
grandes résidences de l’élite locale. Au lieu de se concentrer entièrement sur le contenu écrit
de ces graffitis individuels, il est nécessaire d’élargir notre point de vue en abordant ce groupe
de graffitis dans son ensemble. Le grand nombre de graffitis inscrits ici et l’unité des
messages qu’ils partagent suggèrent que leurs auteurs ont été impliqués dans une conversation
continue60.
En examinant les graffitis dans le paysage urbain, sur des sites tels que Pompéi, Dura et
Aphrodiasias, nous pouvons constater l’omniprésence de ce type de pratique d’écriture dans
les villes anciennes. Hormis des différences de contenu, il faut aussi montrer la disparité de la
production, du public et de la signification historique. La corrélation élargie observable à
59
Rebecca R. Benefiel, « Dialogues of Graffiti in the house of the Four Styles at Pompeii (CASa Dei Quattro
Stili, 1.8.17) », éd par J.A. Baird et Claire Taylor, Ancient Graffiti in Contexte, op.cit., p.11 et pp. 21-48.
60
Ibid., pp. 21-26.
44
Pompéi entre le contenu du texte et la technique – peinture ou inscription – n’existe pas dans
les autres villes61. Le graffiti peut être la preuve d’activités qui se déroulent dans des espaces
particuliers, telles que les pratiques religieuses dans les tours de fortification, ou comment il
peut être utilisé pour examiner la présence et le mouvement des groupes particuliers dans les
espaces privés et publics. C’est notamment le cas de l’armée romaine. Nous pouvons aussi
voir les tendances linguistiques des communautés particulières, et l’usage du latin dans
certains contextes.
Dans d’autres cas, qu’il s’agisse d’une inscription kalos, d’un nom de personne, du dessin
d’un phallus ou d’une empreinte, le graffiti crée un lien entre le texte ou l’image et l’individu.
La rédaction d’un nom commémore la présence d’une personne dans un certain domaine. Qui
plus est, les identités sociales attribuées au nom peuvent être multidimensionnelles et
variables. Les lecteurs du graffiti moderne peuvent voir les auteurs de porte-noms comme des
vandales, mais les auteurs ne se considèrent pas nécessairement de cette façon. Ecrire son
nom est plutôt une manière de communiquer avec les autres au sein d’une culture du signe ou
de négocier un statut au sein d’une même communauté. La pratique d’écrire un nom, ainsi que
la réception de celui-ci, situe donc à la fois le propriétaire et le lecteur dans une communauté62.
Les inscriptions étaient très formelles et stylisées, néanmoins elles varient en longueur et en
qualité littéraire. Nous pouvons observer un grand nombre des mêmes motivations qui sous-
tendent la création de tous ces morceaux de l’écriture. Dans un article récent, K. Milnor
interprète le graffiti « littéraire » à Pompéi comme un « acte » plutôt qu’un « texte ». Il
explique : « Les graffitis décrivent non seulement les sentiments que (...les) mots expriment,
mais la pratique de l’écriture de ces mots sur les murs »63.
Par conséquent, l’association entre le simple texte et l’image inscrite, rayée, ou peinte sur
une surface, et le statut social, est complexe. Aux côtés des graffitis à caractère officiel, que
nous avons pu observer sur les murs extérieurs des bâtiments, l’intérieur des maisons s’est
trouvé être un lieu d’expression très important pour cette forme artistique: en fonction de la
hauteur des graffiti sur les murs, il a été possible de les attribuer tantôt aux enfants de la
61
D’après les recherches de Katherine V. Huntley, les graffitis des enfants sont possibles à Pompéi. Mais la
diversité des graffitis à Dura sur l’étude chez J. A. Baird est également évidente. Katherine V. Huntley,
« Identifying Children’s Graffiti in Roman Gampania » ; .A. Baird, « The Graffiti of Dura-Europos : A
Contextual Approach » cité par Ibid., pp. 49-68 et pp. 69-74.
62
Claire Taylor, « Graffiti and the Epigraphic Habit: Creating Communities and Writing Alternate Histories in
Calssical Attica », cité par Ibid., pp. 94-95.
63
Ibid., p. 7.
45
maison, tantôt aux esclaves, tantôt aux citoyens eux-mêmes, attestant de leur culture. P. Funari
suggère que certains types de graffiti picturaux à Pompéi expriment des aspects de la culture
populaire à travers la caricature. Il s’agirait d’une critique des structures de pouvoir existantes
d’une volonté de les substituer des récits alternatifs64.
Nous pouvons citer, en outre, une étude d’Alexei V. Zadorojnyi qui considère la complexité
des graffitis comme symboles de la dissidence politique dans le discours littéraire de l’élite
gréco-romaine. En explorant les techniques utilisées comme une rencontre des idéologies de
l’élite du pouvoir et de l’humour, il évalue les attitudes de ces écrivains envers le graffiti dans
le contexte de leur éducation culturelle et littéraire. Le graffiti, selon lui, est tenu comme
représentant d’une altérité socio-culturelle, mais en même temps il habilite la dissidence
politique au sein de l’élite.
Dans cette perspective, nous allons discuter des sources de l’art et montrer les différences
de message, personnel et intellectuel, des anonymes, donnant une interprétation consciente et
critique des événements historiques et des problèmes socio-politiques de l’époque. Est-il
possible de reconstituer les attitudes à l’égard des graffitis parmi l’élite intellectuelle grecque
et romaine dont la supériorité culturelle et politique repose sur l’engagement de la paideia
littéraire comme une matrice dynamique et compétitive, mais aussi comme un aspect
conservateur? Quel risque courrait l’élite impériale à le pratiquer en tant que sujets de la
classe supérieure dans un état autocratique ?65
Les graffitis de Pompéi, comme les images de gladiateurs, étaient souvent des images ou
des textes à caractère officiel gravés. Mais nous avons découvert que leur fonction essentielle
était l’expression de l’opinion politique et offrait des perspectives intéressantes sur le débat
politique à travers la surface textuelle. L’attitude critique du graffiti par les anonymes, à
l’intérieur de la maison ou dans la rue, est un mode d’expression intellectuel et ne concerne
souvent que les personnes éduquées. Les graffitis ont une grande affinité pour les textes et les
images peintes qui partagent ces caractéristiques. Certains graffitis actuels sont apparentés à
une expression largement contestataire. Leur pratique étant aujourd’hui illicite, il est tentant
de chercher dans sa forme ancienne des images qui échappaient aux normes en vigueur et qui
bousculaient éventuellement les sensibilités. Or, un renversement complet du questionnement
64
P. Funari « Graphic caricature and the ethos of ordinary people at Pompeii », Journal of European
Archaeology 1, 1993, pp.133-150. cité par Ibid., p. 12.
65
Alexei V. Zadorojnyi, « Transcripts of Dissent? Political Graffiti and Elite Ideology Inder the Principate », J.A.
Baird et Claire Taylor (éd.), op.cit., pp. 110-111.
46
s’impose, à nouveau, dès lors que nous observons cette production « sauvage » d’images
spontanées et anonymes, nous nous focalisons cependant sur la recherche des graffitis sur les
murs qui manifestent un goût particulier pour la transgression explicite ou la résistance envers
l’époque.
Les graffitis représentaient une trajectoire de dissidence, même si leur message n’était pas
ouvertement politisé. Mais avilir la propriété établie de l’espace, se la réapproprier, constituait
déjà une entreprise politique. Le Moyen  ge ne nous a pas laissé de graffiti franchement
contestataires et polémiques, du genre de celui relevé par le chroniqueur. Même en admettant
une censure rigoureuse, le graffiti médiéval peut être considéré, par son nombre et son
contenu comme une pratique liée à des intentions qui le situent assez loin de l’outrage et de la
critique sociale. Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittamr et Vincent Jolivet proposent
différents exemples qui permettent de penser que le fait d’écrire et de dessiner sur un mur au
Moyen  ge ne constituait par en soi un acte transgressif 66 . Il servait alors à publier des
messages politiques et sociaux, des annonces ou des messages personnels presque jamais
officiels, produits par la spontanéité d’anonymes. Les graffitis pouvaient être des annonces
électorales, des messages de supporters à leurs athlètes préférés ou encore des messages à
caractère religieux ou érotiques.
Les inscriptions ou graffitis ont parfois une importance historique qui est loin d’être
anecdotique. Par exemple, le Tête d’homme casqué (fig. 5) du Donjon du Château de
Vincennes montre que l’homme casqué a le profil d’un « Landsknecht (lansquenet) ». Ces
« Serviteurs du pays » appartiennent à des phalanges de mercenaires créées par l’empereur
Maximilien Ier de Habsbourg vers 1480. Contrepoints efficaces aux mercenaires suisses, les
plus recherchés à l’époque, ils sont recrutés dans les parties germaniques de l’Europe centrale
et du Nord. Nous les retrouvons notamment à Pavie (1525), dans les rangs de l’armée de
Charles Quint qui bat les troupes françaises sur les ordres de François Ier. Ensuite, catholiques
et protestants français s’attachent les services de ces soldats nommés lansquenets pendant les
guerres de religion du XVIe siècle. Le graffiti de l’homme au casque doit dater de cette
époque67.
66
Comme nus pourrons encore nous en rendre compte en consultant M. Blindheim, Graffiti in Nowegian Stave
Churches c. 1150-c.1350, Oslo, Universitetsforlaget, 1985 ; J. Lapeyre, Graffiti, du Moyen  ge au XVIIIe siècle.
Exposition, Dieppe, 1964 ou les actes des colloques internationaux du Centre international de recherches de
glyptographie depuis 1982, cité par Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar, Vincent Jolivet, Image et
transgression au moyen  ge, Paris : Lignes d’art, 2008, pp. 105-106.
67
Christian Colas, Paris Graffiti : Les marques secrètes de l’histoire, op, cit., p. 25.
47
Par ailleurs, les événements historiques sont présentés par les graffitis politiques de
manières diverses. Le graffiti qui souvent demeure un exutoire, un moyen de défoulement,
s’attaque à l’événement historique. Les graffitis français présentent de plus en plus un cri
d’humour, de révolte, parfois de poésie sur la grisaille d’un mur. Ils demeurent le reflet
critique d’une époque à la différence d’autres graffitis. Les inscriptions « 1817 VIVE LE ROI
DE ROME » dans la cour carrée du Louvre, « VIVE la République 1848 » dans les Combles
de l’église Saint-Germain-des Prés, « 23 juin 1848 » dans la cour Carrée du Louvre, et « Vive
la Commune 1871 Rigault Vermesh » à l’église Saint-Eustache68, ces témoignages historiques
sont situés dans des lieux particuliers.
Plus de mille personnes, des résistants de différentes organisations engagées dans le combat
contre l’occupant et Vichy mais aussi des otages moins impliqués, ont été fusillées au mont
Valérien par les Allemands pendant l’Occupation. Ils ont été détenus dans la chapelle avant
d’être conduits, quelques dizaines de mètres plus loin, à la « clairière ». Des dizaines, voire
des centaines de graffitis constellaient les murs de cette chapelle avant qu’une restauration ne
les efface pour la plupart : seule une douzaine d’entre eux a été conservée.
De nombreux documents de même nature avaient également été collés sur les murs des
villes et des villages de la partie de la France occupée par les Allemands, puis, après leur
entrée en zone libre le 11 novembre 1942, sur la totalité des maisons publiques et privées, des
palissades et des arbres, de l’ensemble de notre pays. En fait, pendant quatre années les
Français ont subi le plus extraordinaire « matraquage » de propagande de leur histoire, une
68
Ibid. p. 78, p. 81 et p. 90.
69
Ibid., p. 126.
48
propagande imposée par l’occupant, qui s’ajoutait à celle dispensée par les journaux et les
radios à son service ou, plus précisément, au service de ses intérêts politiques et militaires.
Mais il était difficile pour les résistants d’engager une riposte contre les affirmations
affichées de la propagande allemande : le risque en était trop grand et, jusqu’au débarquement
allié de 1944, très rares furent les affiches émanant de la Résistance ; ses militants se
limitèrent, malgré le danger couru, à lacérer les affiches allemandes ou à en ridiculiser le
message par des inscriptions lapidaires, le plus souvent à la craie, deux gestes sévèrement
punis. Entre la propagande allemande et l’action informative de la Résistance, très modeste
sur le plan mural, prennent place deux séries d’affiches entre 1940 et la libération : celles du
gouvernement de Vichy, celles des partis politiques favorables à la collaboration, perinde ac
cadaver, avec le vainqueur provisoire de juin 1940, les unes et les autres présentant un grand
intérêt70. De multiples inscriptions recouvrent les fresques de l’église San Zeno de Verone
(Italie), faisant référence à des événements précis, des tremblements de terre comme sur le
graffiti en haut à gauche (« 1965 fu il terremoto grande »), des guerres et des mises à sac. Les
plus anciens, retrouvés dans la crypte, font allusion à l’assassinat de l’empereur Berengario en
92471.
Toutefois, dans la plupart des cas, le graffiti témoigne avant tout d’une marque de soi dans
l’espace et devient la trace d’un parcours individuel. Le fait de graver ou d’écrire sur un mur,
une porte, objets immobiles et permanents, donne une dimension stable à un être dont le
destin est de quitter le lieu auquel il est temporairement affecté. Les prisonniers ne sont pas
les seuls à laisser leur signature : par exemple, les soldats en faction, les bergers, procèdent de
même. Le mur, matérialité de l’enfermement, devient le support de l’expression. Nous
pouvons y voir un effort d’appropriation du lieu par l’auteur contraint de demeurer sur place,
et qui profite d’un temps inactif pour tracer des messages et des dessins72.
Les graffitis de résistants sur les murs du fort de Romainville de 1940 à 1944, spécialement
la casemate n° 17, conservent des traces des événements historiques. Ces graffitis sont
polymorphes. Certains forment des pictogrammes, des représentations figurées ou non, dont
le sens n’est pas toujours évident. D’autres se présentent sous la forme de lettres et de chiffres.
Mais qu’il soit illisibles ou parfaitement déchiffrables, ils peuvent s’avérer difficiles à
70
Pierre Bourget et Charles Lacretelle, Sur les murs de Paris et de France 1939-1945, Paris : Hachette réalités,
1980, p. 7.
71
Sylvie Zidman, « les graffiti », Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman, et Joël Clesse, Graffiti de résistants sur les
murs du fort de Romainville, 1940-1944, Lyon : LIBEL, 2012, p. 47.
72
Ibid., p. 48.
49
comprendre. Le sens du message n’est pas forcément apparent, tant cette écriture rapide et
personnelle comporte des énigmes. Les graffitis de la casemate n° 17 ne font pas exception.
Généralement brefs, ils représentent des mentions autographiques dont la lisibilité est parfois
perdue, des éléments de décompte du temps, des représentations, tels des portraits de femme,
des évocations de la guerre ou de la Résistance.
Plus proche encore de notre objet d’étude, le sociologue Michel Borwicz, lui-même ancien
détenu en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est intéressé dès 1954 à la
signification des inscriptions murales dans sa thèse73. Le tracé des graffitis est une question de
moment dans un parcours, ce que Michel Borwicz appelle « l’influence de changements
décisifs et d’impressions mémorables »74. Ceci explique que l’expression d’Armand Dutreix
soit réduite à une simple mention de nom sur la paroi de la casemate n° 17 en juin 1943 à
Romaninville, alors qu’il écrit « Vive la France » sur le mur de la chapelle du Mont-Valerien,
le 2 octobre 1943, avant son exécution. Michel Blondan a également analysé les lettres et les
graffitis de prison du FTP Louis Perrot. Grâce à leurs travaux, nous pouvons tenter de donner
quelques éléments de compréhension sur ce qui a pu animer les auteurs des inscriptions ou
des graffitis. Ces graffitis traduisent la volonté de laisser une trace de son identité et
d’indiquer pour mémoire son passage dans les lieux, avec des compagnons de détention. Bon
nombre d’inscriptions racontent une histoire, celle de soi-même et de son groupe.
L’intérêt pour les graffitis de la Seconde Guerre mondiale s’était manifesté dès la
Libération comme les graffitis de la casemate n° 17. Ailleurs, ces graffitis se révèlent précieux
pour la connaissance de la répression en France occupée. A Romainville se mêlent les deux
dimensions mémorielles et d’indentification des victimes, de trace et de source. Mais en août
1944, lorsque les Résistants des Lilas entrent dans un fort vidé de ses détenus, la volonté de
trouver des informations est dominante. À la Libération, le graffiti est considéré comme une
archive à ajouter aux autres.
Cette étude des graffitis de la casemate n° 17 a révélé que bon nombre d’inscriptions étaient
suffisamment renseignées pour permettre d’en identifier les auteurs. Elles indiquent des
informations fondamentales : des noms, des lieux de vie ou d’arrestation, des dates
d’incarcération 75 . Les graffitis permettent d’aller de la trace matérielle au message, du
message à l’histoire. Nous avons pensé que l’analyse de ce matériau pourrait jouer un rôle
73
Browicz M., 1954, cité par Ibid., p. 49.
74
Ibid., p. 50
75
Ibid., p. 87.
50
d’amplificateur des études historiques, en facilitant la porosité entre le savoir historique et
toutes les pratiques mémorielles. Cette idée est née de notre propre attraction face aux murs
de la casemate n° 17, couverts de messages infimes et forts. L’analyse des lieux, des traces et
des objets sont d’autres modes d’écriture du récit historique et forment un media pédagogique
très fort76.
Nous avons trouvé des graffitis qui témoignent de l’histoire ou d’événements politiques.
Nous nous sommes plus intéressés au graffiti de l’anonyme qui a répété une pratique
spontanée ou vandale s’exprimer, plutôt qu’aux caractères officiels gravés ou aux actes de
insensés de certains anonymes. Pour autant, quelle que soit la motivation, nous savons que les
acteurs exposent leur conscience d’eux-mêmes ou de leur société. Comme le message
politique avec « Vive la France » ou « mort pour la France », partisan avec « Vive l’Union
soviétique » ou « Vive le parti communiste », les graffitis présentaient une fonction sociale
ainsi qu’un message politique et une image caractéristique. Ces inscriptions racontant les
événements importants de la France, se rapprochent des images sur lesquelles nous allons
bientôt centrer notre recherche. Avant cela, dans le chapitre suivant, nous remarquerons que
les formes des graffitis s’apparentant à la caricature, populaire ou primitive, donnent une
interprétation de la société par le biais d’un message caustique et ayant une fonction sociale.
Ils acquièrent une valeur artistique dans un second temps, a posteriori.
Le graffiti parisien est né bien avant que le graffiti new-yorkais n’ait traversé l’Atlantique.
Nous découvrons que les écrivains français ont continuellement l’intérêt à la description
réaliste de l’ambiance urbaine. Par exemple, Victor Hugo en avait déjà donné un exemple
dans son roman Notre-Dame de Paris (1831), où l’on voit le mot « fatalité » écrit sur un mur
de la cathédrale 77 . Par ailleurs, Brassaï prend de nombreuses photographies des graffitis
relevés la nuit sur les murs de Paris. Ces images paraissent dans la revue surréaliste Minotaure
(1933), avec son article intitulé, « Du mur des cavernes au mur des usines ». Le même Brassaï
publiera en 1960 en recueil appelé Graffitis et accompagné d’un essai de Picasso. Ces
écritures urbaines qui sont perçues comme une forme d’art. Nous poserons la question de
savoir comment ces graffitis, qui étaient hors du domaine artistique, ont pu obtenir cette
valorisation esthétique.
76
Slvie Zidman, « conclusion : des traces mises en histoire », Ibid., p. 151.
77
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (1831), Paris : Pocket classique, 1998.
51
1.2. Les formes artistiques du graffiti
Des études ont été conduites sur la calligraphie du graffiti. Pour Pompéï, R. Garucci a
examiné l’alphabet dans sa totalité, tel qu’il a été gravé par les écoliers avec leur stylet, en
caractères romains carrés. Notre intérêt se porte sur le style de l’image et sa fonction que sur
les formes alphabétiques. Dans notre étude, les graffitis présentent-ils certaines
caractéristiques spécifiques ? Il semble que pour acquérir une valeur, les graffitis des
anonymes font montre d’une intention artistique particulière, d’une réflexion, au contraire des
actions spontanées. Pourquoi la plupart des graffitis relève-t-elle de la caricature ? Les
graffiteurs ont-ils une stratégie artistique pour critiquer l’époque ? Pour répondre à ces
questions, nous observerons les phénomènes artistiques dans la France du 19e siècle et
comment ces perspectives ont été reliées à l’art contemporain.
La publication Graffiti de Pompéi (1856) par R. Garruci a suscité beaucoup d’enthousiasme
parmi les érudits, et la valeur de ces travaux a été perçue dès l’origine. Selon lui sur les
graffitis de Pompéi, nous permettent de nous immiscer dans la vie sociale, politique et
domestique d’une ville provinciale. Ils sont aussi les spécimens de langues anciennes. Son
livre a façonné la manière dont ont été vus ces témoignages par les disciplines de l’histoire et
de l’archéologie en général. Les archéologues ont commencé à publier des images de graffitis
romains et fait le point sur l’utilisation de cette manière de dépeindre la vie populaire dans
l’antiquité.
Dans l’étude de R. Garruci, Champfleury choisit les images importantes qui montrent la
valeur artistique de la caricature en utilisant comme base les sources de la littérature. D’abord,
nous remarquerons les différentes formes de graffitis muraux, passant par le dessin naïf,
primitif, la caricature, ou le dessin d’enfants. En ce qui concerne l’intérêt formel porté sur les
graffitis, les artistes reflètent un changement majeur dans l’appréciation critique des formes
ou de l’atmosphère artistiques d’autres artistes français de cette période ? Par ces essais divers,
c’est-à-dire la tentative d’une rencontre entre littérature et dessin, ou l’art de l’élite et l’art
marginal ou la culture populaire, les artistes modernes et les écrivains français, reflètent-ils
simplement de nouvelles approches pour l’avant-garde ou l’art expérimental ? Ou cherchent-
ils de nouvelles perspectives pour la société moderne? D’abord, nous allons décrire le style
des dessins du graffiti, ensuite le caractère artistique des styles populaires, puis, finalement le
caractère rebelle dans la critique de leur époque.
52
1.2.1. Les dessins de la caricature, primitive ou enfantine
Nous avons indiqué que les combats de gladiateurs occupaient certes une place très
importante dans les sujets favorisés par la demande officielle. Les inscriptions, étaient de
préférence écrites sur les murs de l’espace public. A la différence des annonces officielles, et
notamment sur les façades de Pompéi, nous avons trouvé d’autres sources d’intérêt en ce qui
concerne les dessins : les mots accompagnant les graffitis anonymes dans l’espace public ou
privé. La spontanéité de l’acte laisse paraitre le caractère personnel et critique des satires ou
des consciences sur l’époque. Champfleury explique ces divers graffitis de Pompéi au fil
desquels on peut suivre la « pensée du poète »78.
Raphaël Garruci, dans sa grande étude sur les graffitis à Pompéi, a analysé l’importante
image « PEREGRINVS. Portrait couronné en caricature » (fig. 7)79. Il a donné la relation entre
la caricature et le graffiti en tant que documentation historique, en particulier pour ce qui
concerne la recherche des formes du graffiti et la culture populaire. Ce graffiti montre
quelques particularités relatives à la vie privée des anciens, ainsi qu’il l’a reconnue.
« Quant à cette seconde observation, j’ai fait voir dernièrement dans un article
inséré dans la Civiltá cattolica (mai, 1856), qu’un tel désir suppose que ces
inscriptions ou du moins une partie appartiennent à la vie publique des habitants de
Pompéi. Mais cette supposition est complètement inexacte. La simple inspection
des fac-simile démontre l’impossibilité que ces inscriptions aient eu un caractère
public ; mais ce qui est plus péremptoire, tous ces graffiti, sauf un petit nombre, se
trouvent à l’intérieur des maisons. Je suis, du reste, loin de contester que la
connaissance du lieu de provenance soit sans utilité. Cette connaissance peut nous
éclairer sur la vie intérieure des Pompéiens »80.
78
Champfleury, Historie de la Caricature Antique, Paris : E. Denton, 3e édition, p. 258.
79
Voir Raphael Garrucci, Graffiti de Pompéi : inscriptions et gravures tracées, Atlas de 32 planches, op. cit.
80
Ibid., pp. 101-102.
53
pensée du poète, celle du spectateur frappé au cirque par la vue d’un gladiateur. A propos du
« Dessin d’enfant relevé sur les murs de Pompéi. », Champfleury explique :
« Un enfant aura voulu retracer sur les murs de Pompéi la figure d’un triomphateur,
couronné de laurier, qu’il admirait sur son char. De la noblesse des traits il a tiré un
nez grotesque ; du front il a fait une plate continuation du nez, comme l’œil s’est
changé en œil de perroquet, s’écartant outre mesure (ainsi font tous les enfants) de
la racine du nez. […] Et ainsi à couvert, de même qu’un faussaire qui écrit de la
main gauche, il eut retracé sur les murs, sans être inquiété, la caricature d’un
conquérant.
Cela peut tromper des yeux inexercés ; mais le caractère des lignes fait que je tiens
à mon premier sentiment, n’ayant pas à craindre les querelles archéologiques qui
firent reprocher au P. Garucci, lors de la publication de son ouvrage, d’avoir
attribué à des enfants la plupart des graffiti tracés au stylet sur les murs de
Pompéi »81.
R. Garruci commente un autre croquis tracé sur un mur à Pompéi : à droite est assis un
personnage en toge qui semble être magistrat. Devant lui s’abaissent des gradins qui
pourraient être ceux du tribunal où siégeait le président des jeux. On voit du côté opposé, un
gladiateur élevant une palme de la main droite et prêt à descendre par quelques degrés dans
l’arène. Et nous lisons au-dessous « CAMPANI VICTORIA VNA / CVM NVCERINIS
PERISTIS » 82 (fig. 8). Sur ce même croquis, Champfleury a mentionné que les artistes
anciens procédaient comme les modernes :
81
Champfleury, Histoire de la caricature antique, op. cit., pp. 271-272.
82
Nous citons l’explication de R. Garrucci : « Cette légende, extrêmement curieuse, est depuis longtemps
détruite; je ne puis, pas conséquent, exprimer ici qu’une conjecture sur les dates déjà adoptées par les auteurs de
la publication. On a dit que l’inscription fait allusion au récit de Tacite relatif à l’an 813 de Rome : […] Je
voudrais trouver une solution plus satisfaisante, sans toucher à l’intégrité du texte de Tacite, et donner plus de
place aux gladiateurs, ce qui paraît indispensable, vu la palme que tient en main le gladiateur tracé à la pointe.
Dans cette hypothèse nous n’aurions plus devant les yeux l’expression peu naturelle de Victoria una. Je propose
le léger changement de VICTORIA en VICTORES. Ce qui ne devrait pas trop déplaire aux transcripteurs,
puisqu’il en résulte, en somme, que leur copie est admise presque en entier. Or, nous verrons ce que l’on gagne à
ce léger changement suggéré, d’ailleurs, par le génie propre de l’écriture cursive murale. Le résultat est de mettre
en scène les gladiateurs et de faire disparaitre la mention importune des gens de Capoue. Ces gladiateurs appelés
ici Campani victores seraient précisément ceux que l’on appelle dans une précieuse inscription de Sessa
VICTORES CAMPANIE, espèce de gladiateurs estimés, très forts dans leur art. De sorte que Bassæ us a tout
droit de se faire un mérite d’avoir donné un spectacle de ce genre ; spectacle qui avait dû exiger de lui de grandes
dépenses, comme il arrive lorsqu’on appelle des compagnies d’artistes célèbres, pour des représentations
54
« Ce dessin ne me parait autre que la première pensée d’une composition de peintre,
telle qu’elle s’échappe de sa main rapide. Les lignes rectangulaires sont des jalons,
que plus tard l’artiste replacera par des figures d’un contour moins géométrique.
[…] Il ne faut s’étonner ni de cette barbarie ni de cette heureuse spontanéité. De
Rembrandt à Delacroix qui n’a observé de ces jets bizarres ! »83
Il a insisté sur le fait que même les grands maîtres réalisent ces inégalités en proposant
l’exemple du Triomphe de Trajan de Delacroix. Et il a s’est beaucoup plus intéressé aux
formes satiriques des inscriptions ou des dessins. Pour mieux comprendre l’approche de
Champfleury sur les deux images proposées par R. Garruci, nous proposons d’étudier l’œuvre
Voulez-vous aller faire vos ordures plus loin, pôlissons! (1883) (fig. 9) de A. Bouquet84. Cette
image qui montre trois enfants français en train de graffer des visages en formes de poire, et
une vielle dame les invectivant, relate la découverte du graffiti au début du 19ème siècle.
Nous remarquons trois éléments associés à la caricature elle-même, des graffitis sur le mur, et
un style de dessin naïf, ou primitif, des enfants. Cette relation a bien été analysée par Arron
Sheon dans son article « the Discovery of Graffiti »85. Mais nous pouvons noter, par-dessous
tout, la manière dont ces éléments sont utilisés pour critiquer chaque période ou société.
La signification politique de cette caricature satirique est facilement déchiffrable : les
formes de poires représentent le visage de Louis-Philippe, le roi de la dynastie des Bourbons
installé en France par la révolution de 1830, dont la corpulence et la physionomie suggéraient
ce même fruit. Le caricaturiste a voulu faire comprendre que même les enfants répondaient au
ridicule du roi et se moquaient de lui dans leurs graffitis. Nous remarquons, cependant, et
d’abord une relation entre la caricature, le graffiti et l’art des enfants qui reflète un
changement majeur dans l’appréciation critique des formes d’art d’autres exemples français.
Pour comprendre les motivations de cet acte, nous citerons une étude intéressante de
l'histoire de la critique du 19e siècle. Au moment où ces caricatures françaises ont été publiées,
un cadre critique et esthétique élargi a stimulé une nouvelle évaluation de la valeur artistique
du graffiti, intégrant l’art des enfants, les caricatures, l’art primitif, l’art populaire et les
« Le réalisme du dessin enfantin n’est nullement celui de l’adulte : tandis que celui-
ci est un réalisme visuel, le premier est un réalisme logique. Pour l’adulte, un
dessin, pour être ressemblant, doit être en quelque sorte une photographie de
l’objet : il doit reproduire tous les détails et les seuls détails visibles de l’endroit
d’où l’objet est aperçu et avec la forme qu’ils prennent de ce point de vue ; en un
mot, l’objet doit être figuré en perspective. Dans la conception enfantine au
contraire, un dessin, pour être ressemblant, doit contenir tous les détails réels de
l’objet, tous ses éléments logiques, même invisible soit du point de vue d’où il est
envisagé, soit de n’importe quel point de vue, et d’autre part donner à chacun de
ces détails sa forme caractéristique, celle qu’exige l’exemplarité »87.
86
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 74 ; Georges Henri
Luquet, Idées général de psychologie, Paris : F. Alcan, 1906 ; Goerges Henri Luquet, Les dessins d’enfant :
étude psychologie, Paris : Alcan, 1913.
87
Goerges-Henri Luquet, Les dessins d’enfant: étude psychologie, Ibid., p.187.
56
Il a étudié le dessin d’enfant, en analysant son graphisme, et il a essayé de déterminer les
caractères généraux du dessin enfantin dans l’ensemble des dessins, abstraction faite de
l’objet qu’ils représentent. Cela lui a permis d’affirmer les caractères pour ces dessins qu’il
retrouve non seulement dans les dessins d’enfants les plus divers, mais même chez des
dessinateurs adultes, les sauvages, les préhistoriques, et parmi les civilisés contemporains, les
auteurs des graffiti crayonnés sur les murs.
Ces premières réponses à des graffitis ont été basées sur une idée positive de primitivisme,
qui a vu dans tous les dessins incultes un résidu précieux de l’envie primaire de créer. À la fin
du XIXème siècle, quand les sociologues ont enfin dirigé des études sérieuses sur les
inscriptions murales particulières de la société occidentale moderne, ils se sont concentrés
exclusivement sur le graffiti des cellules de prison, les enregistrant et les classant ; de la même
manière ils ont examiné l’argot des prisonniers, afin de discerner les états distinctifs de l'esprit
des voleurs, des assassins, et de leurs semblables88.
Du reste, pour être en état d’interpréter les dessins qu’il a recueillis, il nous faut observer
les études réalisées sur le graffiti, dessin enfantin ou primitif, et appliquer une méthode
scientifique. Ainsi, de nombreuses traces se retrouvent chez certains artistes professionnels,
ceux que l’on appelle justement les « primitifs ». Ces caractères ne sont pas seulement ceux
des dessins d’un enfant, ni même du dessin enfantin, mais d’un art beaucoup plus général que
nous pouvons appeler art primitif ou spontané. Il en subsiste des traces chez les artistes
modernes dans le cadre d’une pratique ou d’une expérience spéciale.
Exactement un siècle après que les premiers auteurs aient noté les inscriptions cursives de
Pompéi, Brassaï y porté son attention sur les inscriptions murales contemporaines à Paris.
Dans son œuvre « Paris de Nuit » parue en décembre 193289, soixante-deux images de nuit,
comme illuminées de l’intérieur, et empreintes de poésie, sont enregistrées. Dans le cercle de
l’art avant-gardiste, il a toujours pratiqué l’écriture : « Souvenirs de mon enfance »,
« Graffiti », « Paris secret des années 30 », « Artistes de ma vie », et « Conversation avec
88
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low: modern art & popular culture, op.cit., p. 73.
89
Brassaï, « Paris de Nuit », Arts et Métiers graphiques, 1932. Ouvrage de 62 pages préfacé par Paul Morand. Il
est composé de 60 images pour lesquelles Brassaï a écrit de longues légendes. Le critique du « Temps », Emile
Henriot, en souligne l’attrait plein de « vérité et de poésie, d’analyse et d’intention, d’atmosphère rendue, de
fidélité matérielle et de transposition fantastique ». Ces images sont présentées en 1933 à Batsford Gallery à
Londres. En 1976, Brassai publiera aux éditions Gallimard « Le Paris Secret des années 30 », dans lequel
l’exploration du Paris nocturne menée au début des années trente se prolonge derrière les façades du Paris
populaire. Cité par l’exposition, « Brassai », Commissariat de Alain Sayag, du Musée national d’art moderne au
Centre Pompidou, 19 avril au 26 juin 2000.
57
Picasso ». En lisant Goethe, Bergson, Montaigne, il se réfère volontiers à Proust chez lequel il
retrouve l’expression de l’une de ses propres préoccupations : le latent, pourtant tout proche,
sous la réalité.
L’œuvre de Brassaï a souvent été rapprochée du surréalisme. L’essentiel de sa participation
au surréalisme se résume pourtant aux images qu’il donna à la revue surréaliste Minotaure,
sur une appréciation du graffiti en tant que forme d’art, des photographies et de brèves
remarques publiées en 1933. La vision de Brassaï, de vieux murs longuement maltraités de
Paris, a été influencée par sa conviction que les dessins du graffiti étaient proches de l'art
rupestre, ainsi que par une association surréaliste familière entre les mystères « dangereux » et
le merveilleux séduisant de la sous-culture urbaine. L’héritage nostalgique des descriptions de
la rue dans la littérature française du 19ème siècle, et plus particulièrement son amour pour
Charles Baudelaire, pour les rues sales de Paris, ainsi que l’esprit des déformations figuratives
de Pablo Picasso, Paul Klee et Joan Miró, se cachent dans ces images sombres de crânes et de
cœurs et de têtes grossièrement coupés. Aussi, son assimilation au surréalisme lui a toujours
paru être « un malentendu » :
90
Ibid.
58
directrices et la pierre angulaire de l’art contemporain de son époque91. Plusieurs années plus
tard, en 1959, il reprend ce thème pour publier un ouvrage, dont la dernière photo est une
illustration murale de Picasso.
Dans son livre Graffiti, les graffitis sont classés en neuf grands chapitres : « propositions du
mur », « le langage du mur », « la naissance de l’homme », « masques et visages »,
« animaux », « l’amour », « la mort », « la magie » et « l’image primitive » 92 (fig. 10). Ce
recueil avait déjà été présenté en 1956, sous le titre language of the Wall : Parisian Graffiti
photographed by Brassaï, dans une exposition où le MoMA présenta 112 photographies de
graffiti de Brassaï. L’exposition sera reprise en 1958 par l’Institute of Contemporary Art de
Londres, dirigé par Roland Penrose puis partiellement par Daniel Cordier dans sa galerie
parisienne en 1962. Concernant l’exposition de Brassaï organisée par le MoMA, Edward
Steichen déclare :
« Brassaï le photographe voit ces graffitis comme il a vu des gens et des lieux. […]
Je crois que l’image visuelle, comme les enfants et les jeunes la voient dans les
films, dans les magazines, dans les journaux les bandes dessinées, sur des kiosques
à Paris, a eu une influence sur les jeunes esprits, les a intéressés non seulement
dans les formes et les motifs, mais aussi dans l’expression émotionnelle que ces
images peuvent avoir.
Brassaï a évidemment été impressionné par le nombre de ces graffitis commencé
avec deux trous dans le mur, et il a trouvé et photographié nombreux visages de
sorte que les yeux créent un impact extraordinairement dramatique. Avec l’étendue
et la qualité de ce travail, Brassai ouvre un nouvel horizon dans le domaine de la
photographie, celle qui a été à peine explorée par des photographes et qui présente
un exemple pour d’autres photographes qui sont prêts à consacrer leur intérêt et
leur art à de nouvelles révélations de l’art mondial ».93
91
Johannes Stahl, Street Art, op.cit., p. 7.
92
Brassaï, Graffiti, op.cit., 1993.
93
“Brassai the photographer sees these graffiti just as he has seen people and places. […] I believe the visual
image, as children and Young people see it in films, in the magazines, in newspapers-the comic strips, on Paris
kiosks, has had an influence on young minds, interesting them not only in the shapes and patterns but also in the
emotional expression these images may have. Brassai has obviously been impressed with how many of these
graffiti begin with two holes in the wall, and he has found and photo-graphed many faces so that the eyes create
an extraordinarily dramatic impact. With the extent and quality of this work, Brassai opens up a new horizon in
the field of photography, one which has been scarcely explored by photographers and presents an example to
other photographers who are willing to devote their interest and artistry to fresh revelations of the world’s art.”
59
Brassaï a vu le lien, que presque tous les écrivains depuis Töpffer avaient remarqué, entre
le graffiti et les dessins d’enfants. Pour Brassaï, cependant, le graffiti était « enfantin » dans sa
véhémence, plutôt que dans toute innocence ou la naïveté. Son texte a insisté sur le fait que
les créations de véritables enfants n’étaient pas seulement ensoleillées et ludiques. Brassaï a
évalué les graffitis précisément dans la manière dont ils étaient à la différence du gribouillage
enfantin occasionnel, parce qu’ils ont été réalisés avec une intensité plus étroitement liée à la
face sombre de la psyché, et donc étaient en contact plus étroit avec les configurations
puissantes de la mythologie94.
Ce n’est que par les héritiers du surréalisme, dans les années 1940, que les inscriptions sur
les murs publics ont été reliées aux œuvres les plus avant-gardistes. Suite à l’initiative
d’André Masson et d’autres artistes dans l’invention du griffonnage expérimental et de
l’écriture automatique, les artistes américains tels Jackson Pollock et de Willem de Kooning
ont développé, dans les années 1940, une nouvelle manière d’abstraction qui a suggéré une
façon de voir les graffitis nettement différente de celle de Brassaï. Cette nouvelle peinture
évalue l’énergie du geste, dispersé à travers le champ de la toile, surtout le contenu figuratif
perceptible, et l’acte même de marquage – pas les images qu'il pourrait créer –, un véhicule
primaire de l’image prise95.
Une transposition picturale complexe des réflexions de Brassaï est néanmoins plutôt
observée dans le domaine de l’art brut. Gaston Chaissac et certains artistes proches du groupe
Cobra ont pu être pris en photo dessinant sur des murs. Dans son tableau Fumeur au mur ou
son album intitulé Les Murs, Jean Dubuffet associe les niveaux de l’observation et de la
conception. Une ligne tracée à la craie s’étire sur le mur derrière le personnage du fumeur et
disparaît au-dessus de lui : ses graffitis sont aussi bien l’illustration d’un résultat qu’un
élément pictural de l’image, aussi bien un élément esthétique qu’un niveau de réflexion. Les
signes sur les murs ont ici atteint, sur le plan théorique, le stade où ils se trouvent
aujourd’hui96.
Brassaï, est une figure canonique de la photographie du XXème siècle, connu pour ses
images de la vie parisienne des élites et de la plèbe. Ce graffiti a été vu par Brassaï et la
Cité par Language of the Wall: Parisian Graffiti photographed by Brassaï, the Museum of Modern Art, New
York, 1956.
94
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 79.
95
Ibid., p. 81.
96
Johannes Stahl, Street Art, op.cit., p. 56.
60
plupart des surréalistes, avec qui il était ami, comme un art enfantin primitif. Pour Brassai,
l’art primitif, l’art des enfants, l’art des malades mentaux et les graffitis partagent une liberté
et une énergie impossibles voire incompréhensibles pour les artistes « sérieux » à reproduire.
En ce sens, Brassaï tirait des parallèles entre ces deux formes de créativité. Lui et les
surréalistes étaient très intéressés par les formes d’art anonymes comme les graffitis qui
n’étaient pas considérés comme dignes d’attention, et cela correspondait avec leurs idées
concernant la manière dont l'art devrait fonctionner97. Picasso lui-même a déclaré que quand il
était jeune, il avait souvent copié les graffiti sur les murs.
Aux côtés de cette forme primitive, les graffitis montrent également un côté caricatural. Les
artistes modernes travaillent avec ces sources. Dans les premiers travaux de croquis chez
Pablo Picasso, croquis avec Pierrot figures, (1900) (fig. 11) et Caricature et Portraits :
Guillaume Apollinaire, Paul Fort, Jean Moréas, Fernande Olivier, André Salmon, Henri
Delormel (1905) (fig.12), deux styles bien distincts se détachent encore parmi toute cette
variété. En eux évoluent une réduction allusive des traits à un code télégraphique de points et
de tirets savamment placés contre des visages vierges et blancs. Un autre style consiste à
modifier l’agencement des traits du visage, dans une distorsion presque graffitées qui agrandit
les yeux du sujet et les intègre dans un design géométrique simplifié. Dans ce deuxième style
de caricature, Picasso utilise souvent le curieux dispositif de traitement d’un œil
anormalement élargi comme un cercle dans un losange géométrique98.
Par ces travaux, au-delà du cubisme, Picasso a trouvé dans ses différentes pratiques de la
caricature la possibilité d’une transgression morale, sociale, et politique. Il y a surtout
découvert un registre d’expression formelle où toutes les normes pourraient être bouleversées
et perverties, au point que la caricature en tant que telle serait abolie par cette nécessité d’une
expressivité élémentaire relevant d’une forme primitive. Cependant, Picasso, éternel avant-
gardiste, dans le cadre de sa perpétuelle recherche artistique, s’est essayé à toute forme d'art,
passant ainsi par l’art primitif et archaïque, en tant que source de création artistique, essayant
de comprendre des cultures étrangères notamment.... La recherche de ressemblance dans le
grotesque qui a longtemps fait partie de la tradition de la caricature pouvait être intégrée dans
les portraits de Picasso réalisés après sa phase de primitivisme99.
97
Cedar Lewisohn, Street Art, op. cit., p. 29.
98
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., pp. 123-124.
99
Ibid., pp. 126-128.
61
Dans la période de 1930 à la fin des années 1940, Jean Dubuffet exploite les évolutions
esthétiques et de goûts, d’un point de vue uniquement formel. Dubuffet fait la caricature du
corps, de l’art naïf, des portraits de style graffiti afin de montrer l’anti-esthétique ou l’anti-
culture. Les portraits de Dubuffet contribuèrent à redécouvrir les modes de figuration
nouveaux, en rejetant les traditions de la figuration académiques et en promouvant un
primitivisme du regard dans l’art brut. L’art de Dubuffet des années d’après-guerre consiste à
ce que la culture réside précisément là où la dépravation semblait plus apparente, et où les
marques de déformation et d’inadaptation étaient les plus vives100.
Dubuffet transforme également le rôle attribué à l’esprit dans la culture populaire. L’art doit
employer l’esprit non pas dans une optique réparatrice mais comme un agresseur, et compter
la douleur comme une partie essentielle de sa mission. Denys Riout explique l’activité de
Dubuffet :
Dubuffet présente des portraits de style graffiti caricatural depuis le milieu des années
1940102. Dans son illustration intitulé Mur aux inscriptions (fig. 13), Jean Dubuffet donne en
1945 un nouvel élan à ce débat. La signature de l’artiste figure ici doublement dans l’image :
d’une part sous la forme du monogramme JD, semblant avoir été tracé à la craie sur le mur, et
deuxièmement par la signature en toutes lettres du peintre, discrètement tracée en écriture
cursive noire, sous forme de graffiti, près du personnage central du tableau103. Au début des
années 1960, ses œuvres, telle L’hôtel du Cantal (1961-62) (fig. 14) dans sa série Paris Circus,
dans lesquelles toutes sortes d’écritures mêlées prolifèrent, inventent de nouvelles
orthographes, se répondent et nous interpellent.
100
Ibid., pp. 85-86.
101
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, op. cit., p. 49.
102
Homme coince dans les murs (1945), L’accouchement (1944), Wall with inscriptions (1945), Six messages
(1944), Fragment terraqué, Hommage à Guillevic (1944), Man Caught in the Walls (1945), Archétypes, May
(1945), Grand paysage noir (1946), Michaux griffures blanches (1946), etc.
103
Johannes Stahl, Street Art, op.cit., p. 34.
62
En Europe, la peinture abstraite d’après-guerre connu sous le nom de tachisme présente un
intérêt similaire à « l’écriture » calligraphique, et annonce des expériences de manipulation
active de surfaces picturales brutes. L’artiste espagnol Antoni Tàpies a commencé à pousser
ce modèle vers des références directes à des graffitis dans le milieu des années 1950, et a
continué à expérimenter avec une combinaison de matériaux plus grossiers une gestuelle
lyrique du dessin qui évoque délibérément la technique de la tache des graffitis réalisés sur les
murs104. La nature double du graffiti, fusion de style personnel et de déclaration politique, est
devenue récemment apparente et importante: les marques incultes sur les murs publics
semblent insister sur les droits de l’imagination privée en même temps qu’ils incarnaient une
rébellion contre les répressions de la discipline civique et une volonté urgente de
communiquer avec un public au-delà des limites sophistiquées du monde de l’art.
Jean Dubuffet est celui qui, dans l’histoire, a attiré l’attention sur le graffiti en tant que
manifestation de l’art brut. La différence de son approche réside dans l’intensité avec laquelle
il a évalué des expressions criminelles, telles que le graffiti, précisément pour être criminel.
Avec plus d’insistance que Brassaï, Dubuffet a identifié l’élément « enfantin » de ces travaux
incultes, non parce qu’ils relèvent d’une naïve simplicité, mais parce qu’ils portent un air de la
rébellion et de la colère de la rue. Et cette insistance sur le fait que l’art véritable soit né de la
résistance personnelle et violente semble particulièrement conditionnée et catalysée par
l’expérience de l’Europe à la fin des années 1930 et 1940105.
En comparaison à Jean Dubuffet, Bernard Quentin travaille différemment en réalisant des
« sténo-graffitis » automatiques, puis des idéogrammes-écritures qu’il va décliner sur tous les
supports des peintures, des collages. Les lettres, les mots, les signes sont les éléments
principaux du tableau. À la différence de Jackson Pollock qui en 1942 crée des silhouettes
sténographiques des manières automatique, Quentin s’essaie à des œuvres spatiales pour
ouvrir l’espace de représentation vers une nouvelle dimension et repenser la politique de la
ville. En 1946, il avait créé l’art sémiotique et ses premières œuvres avec pour sujet principal
les lettres et les signes. Jean Leymarie mentionne les sources du travail de Bernard Quentin :
104
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., pp. 83-85.
105
Ibid., pp. 85-86.
63
médiévales à légende narrative. Il a recours à l’automatisme sauvage et aux lexies
inventées. Il étudie et relève les gravures rupestres de la Vallée des Merveilles, près
de Nice, les runes incantatoires de Scandinavie, où il passe plusieurs mois. Comme
Dotremont, autre peintre et poète de l’écriture, il se rend en Laponie. Il prend part
aux expositions des « Mais éblouies », à la Galerie Maeght, évite le sectarisme des
groupes et courants qu’il traverse sans s’inféoder. Il incise ou dessine ses grimoires
ensorcelés, aux caractères minuscules, sur des supports changeants, toile, papier,
argile, tablettes de bois, sacs de jute »106.
Avec l’exposition chez Maeght en 1947, il évolue vers un art scriptural plus ample et plus
gestuel. À la fin des années 50, il abandonne progressivement les signes minuscules pour une
écriture plus ample, plus structurée, gestuelle et épique qui s’invite dans les polychromies des
immeubles de Niamey et Bamako.
Mais après avoir trouvé son inspiration dans les sources du langage pendant plusieurs
années puis s’être tourné vers l’architecture, la sculpture, le design, il crée l’art pneumatique
en 1965. Dans les années post 1960, des œuvres de Quentin émergent des écritures et graffitis
géants (fig. 15). Depuis 1957, en créant une fresque murale pour le Pavillon Français de
l’exposition universelle de Bruxelles de 40m de long sur 3m de large écrivant le mot «
FRANCE » en lettres calligraphiées et graffitis, les mots prennent le pouvoir, deviennent le
sujet du tableau dont ils ne vont pas tarder à s'émanciper comme les mots « ART » « PAIX »
« LIBERTE ». En changeant l’échelle de ses œuvres, Bernard Quentin prend position contre
l’Art marchandise et se consacre à la transformation de l’environnement par l’architecture-
sculpture, le monument, le design et la participation du public. Pierre Restany a défini son art
sémiotique comme un « phare de la post modernité », et tout particulièrement sa période entre
les années 1945-1960107.
Nous avons vu que les formes du graffiti s’inspirent de sources diverses et qu’ils sont eux-
mêmes sources d’inspiration pour les artistes moderne. Depuis la fin du XIXe siècle, les
inscriptions d’anonymes ou de certains artistes dans la lignée de l’art moderne montrant un
lien avec le primitivisme, prennent force et leur image devient positive, prolongeant
notamment les tentatives de Dada et des autres courants artistiques internationaux revendiquant
un analogue retour au « primitif ». Quelle fonction spécifique vient-elle notamment remplir au
106
Préface de Jean Leymarie, Jean-Calrence Lambert et Pierre Restany, Bernard Quentin : Des graffiti aux
monuments, Paris : Cercle d’art, 1991, pp. 14-15.
107
Ibid., pp. 27-30.
64
sein de la démarche littéraire et artistique de l’artiste moderne ? Car le « primitif » ne
constitue pas seulement un modèle pour l’objectivation de l’activité d’art moderne, le moteur
d’une pratique esthétique – et notamment littéraire – ne présente-t-il pas l’art primitif, la
représentation de la culture primitive, ou de la culture populaire ? Cette activité poétique du
graffiti essaie de mettre en pratique dans la vie moderne son expression immédiate au niveau
de l’artiste moderne.
Le graffiteur fait-il acte de vandalisme ? Dans les temps modernes, la peinture aérosol et les
marqueurs sont devenus les outils les plus utilisés. Dans la plupart des pays, « dessiner » un
ou plusieurs graffitis sur un bâtiment ou sur un bien sans le consentement de son propriétaire
est considéré comme du vandalisme, lequel est punissable par la loi. Ces manifestations sont
progressivement devenues symbole d’une spontanéité involontaire et anonyme. Mais les
enjeux identitaires et mémoriels sont omniprésents dans les graffitis qui sont un acte de
résistance à cette dépersonnalisation. Inscrire son nom, son surnom, son diminutif, son
quartier ou sa cité d’origine, ce n’est pas seulement laisser une trace de son passage, dire « J’y
étais », c’est aussi s’adresser aux autres. Tel Restif de la Bretonne qui confesse dans Mes
inscriptions :
« Je ne fis plus d’inscriptions (sic) depuis la 1re [5 novembre 1779], jusqu’au 1er
janvier 1780. Ce jour-là, je me promenai autour de l’île [Saint –Louis], souffrant,
une idée me frappa : combien d’êtres commencent cette année et ne la finiront pas ?
Serai-je au nombre de ces infortunés ? Plein de cette réflexion, je prends ma clef et
j’écris sur la pierre »108.
108
Nicolas Restif de la Bretonne, Mes inscriptions, journal intime (1780-1787), (Paris : Plon, 1889), Genève &
Paris : Slatkine, 1988, p. 4.
65
Le peintre italien Vittorio Corcos a montré le critique Pietro Ferrigni contre un mur graffé,
sur lequel une silhouette bedonnante et grossière semble à la fois être un écho moqueur du
sujet lui-même et un hommage bon-enfant de l’artiste à l’immédiateté plus piquante d’un
autre style d’évocation109 (fig. 16). En 1844, Grandville se montrait également écrivant son
nom sur un mur couvert de graffitis dans Autoportrait dessinant sur un mur couvert de graffiti
(fig. 17). Il semble répéter ou imiter le geste de l’enfant à ses côtés. L’artiste sophistiqué a,
intentionnellement, associé de manière unique ses compétence artistiques et le graffiti des
enfants. Le peintre belge James Ensor, dans son œuvre The Pisser (fig. 18), présente l’acte
facétieux d'un homme qui urine sur un mur où se trouvent des graffitis et l’inscription « Ensor
est un Fou ». Par ce biais, James Ensor répond de manière ironique quand il dessine cet
homme urinant contre le mur qui l’attaque. Par ces créations, nous découvrons non seulement
le graffiti, mais aussi la raison pour laquelle c’est le geste de l’artiste qui fait le graffiti.
Pourquoi les artistes sont-ils attirés par, et exploitent-ils ces genres « sauvages » ?
Comment ont-ils obtenu la reconnaissance artistique ou rempli une fonction sociale ? Leur
fonction sociale se trouve dans la relation des graffitis à des événements historiques, leur
valeur artistique dans les avantages de la sous-culture, et leur contemporanéité de par leurs
stratégies telles que la caricature, la relation mots/image, la critique littéraire. Ils fournissent
des sources artistiques à l’imaginaire pour toutes les idées de beauté et d'éthique et une limite
à la pensée dualiste sur l’art de « élite » et la culture populaire. Ces questions vont être
continuellement débattues tout au long de notre étude.
Champfleury montre une excellente analyse de la relation entre les graffiti et la caricature
dans son livre Histoire de la caricature ancienne, en 1865. Dans cette étude, Champfleury a
choisi de comprendre l’étape cruciale des célèbres graffitis de Pompéi en termes esthétiques.
Il a fait valoir que c’était la première idée d’un peintre pour une composition, avec les mêmes
traits brefs et impétueux qu’il admirait dans les premières esquisses de Delacroix. Si
l’orientation générale de l’étude était le graffiti, pour une nouvelle connaissance des ordres
inférieurs, Champfleury, plus explicitement que Töpffer, est lié à un concept de géni: la colère
essentielle de l’artiste, qui apparaissait déjà dans de rares expressions anciennes, présentant un
caractère urgent, non prémédité, et sans délimitations des idées. Champfleury requalifie les
caricaturistes en les apparentant à des artistes. Il explique :
109
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 76.
66
« Donc les caricaturistes dérivent des maîtres exacts, de ceux qui peignent les
accidents de la peau, les rides, les rugosités et les verrues. Ils exagèrent, rendent
ridicule et grotesque ce qui était vrai ; mais ceci est le côté purement matériel de la
caricature. […] Le caricaturiste doit atteindre et montrer le moral à travers le
physique. S’il n’est pas ému ou indigné en prenant ses crayons, c’est un triste
ouvrier qui accomplit un triste métier »110.
Beaucoup de philosophes anciens ont négligé ce genre, respecté par Champfleury qui en a
fait reconnaître et saluer les éléments littéraires :
« Les artistes n’ont guère souci que de la forme. Ils sont rares les peintres et les
sculpteurs qui veulent frapper l’esprit du public par un symbole caché. Pour la
majorité des artistes, le mystère git dans la représentation de l’homme ou de
l’animal, de l’arbre ou de la fleur ; ce sont les écrivains, dont l’imagination sans
cesse travaille, qui se sont avisés de la supposer infinie dans l’exécution des œuvres
plastiques. On a des exemples de ces excès d’imagination dans les lettres de
l’enthousiaste Diderot qui, par ses projets de grandes machines, dut plus d’une fois
troubler la cervelle des capteurs de son époque. […] Il en était évidemment des
statuaires de l’antiquité comme des modernes : celui-ci taillait sa statue, celui-là
modelait des vases, sans avoir la prétention de reformer la société ni de s’occuper
du « renouvellement de l’ancien culte par le nouveau »111.
Dans un long débat sur la relation entre la peinture et la littérature, son insistance provoque
des malentendus. Malgré les avantages du lien entre ces deux domaines, l’image présente un
élément littéraire en elle-même, sans relations avec des mots ou un texte. Mais nous notons la
perspective de Champfleury quant à la valeur artistique de la sous-culture. Il dit par ailleurs :
110
Champfleury, Histoire de la caricature antique, op. cit., pp. 47-48.
111
Ibid., pp. 190-191.
67
Français envahisseurs, comme Daumier prouve, par sa perpétuelle ironie contre la
bourgeoisie ventrue, les aspirations qu’il conserve profondément en lui de la
grandeur et de la beauté »112.
112
Ibid., pp. 191-192.
113
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 203.
114
Daumier débuta par ces essais de portraits comme un enfant dessinant d’après des plâtres antiques. Le
Charivari de 1833 en contient quelques uns qui ne sont pas encore du domaine de la caricature. Voir les numéros
des 17 novembre, 8 décembre, 26 décembre 1833, jusqu’en octobre 1835, Champfleury, Histoire de la
Caricature Moderne, Paris E. Dentu, 1865, p. 49.
115
La majorité de ces feuilles, presque aussi singulières que les images révolutionnaires du Journal de
Prudhomme, n’est pas signée. Et la presse satirique se développa en Europe durant la première moitié du XIXe
siècle, et les révolutions de 1848 relancèrent le phénomène. En France, la personnalité de Charles Philipon
dominait la presse satirique et incarnait l’édition de l’estampe caricaturale. Caricaturiste lui-même, il était avant
68
représenter sous forme de « poire » en lithographies, en plâtre et en têtes de pipes comme en
têtes de cannes, commandant aux gamins qui venaient de l’école de dessiner des poires sur
tous les murs, cette mystification prolongée d’un rapin subversif en arriva à devenir un crime
prévu par les lois, une excitation à la haine contre le chef de l’État116.
L’espace de travail de Daumier a été créé en grande partie par le sens aigu des affaires et de
l’idéalisme progressif de l’un des grands hommes du dix-neuvième siècle, l’éditeur et
caricaturiste occasionnel Charles Philipon. Le journal de Philipon Le Charivari semble avoir
commencé comme une entreprise commerciale sans ambition politique majeure. Les caprices
de la Monarchie de Juillet, cependant, ont fait de Philipon l’un des chefs de file des radicaux,
et l’auteur de la caricature la plus célèbre et la plus influente de la première moitié du XIXe
siècle, dans laquelle, presque pour la première fois, une transformation arcimboldesque a été
identifiée avec un individu et dotée d’un aspect politique – la réduction de Louis-Philippe à
une poire, mot d’argot français synonyme d’« imbécile »117.
Grandville fut aussi recruté par Philipon comme collaborateur régulier pour la caricature, et
il y était considéré comme l’égal de Daumier. Quand la satire politique ne fut plus permise,
Grandville caricatura à sa manière les mœurs, comme Daumier, mais en recherchant par la
déformation du trait à démasquer les outrances de la mode jusqu’à l’absurde, liant la torsion
du physique et la distorsion de l’image comme par un effet d’optique 118 . Ces formes de
caricature, primitive et populaire, montrent par les sources de l’humour que le principe de
déformation et d’attaque au corps de l’objet est toujours actuel et les hommes politiques
peuvent toujours être chargés. Les modalités de la représentation chez Grandville et Daumier,
en particulier, ont été très largement déterminées par la pratique de la caricature que ces
artistes ont induite, une évolution notable des conceptions esthétiques au milieu du XIXème
siècle. La caricature, comme nous l’aons vu, était à même d’informer un public toujours plus
large et de plus en plus attentif aux images parlantes, et elle est devenue une pratique très
populaire à la fin du XIXème siècle 119 . Charles-Joseph Traviès a imaginé des gamins
tout directeur de journal. Il fut aussi l’employeur de presque tous les caricaturistes importants entre 1830 et 1862.
Fondateur de La Caricature en 1830, il était déjà partie prenante dans le principal journal de la fin de la
Restauration , La Silhouette. Il créa Le Charivari, qui parut jusqu’en 1882.
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., pp. 147-150.
116
Champfleury, Histoire de la Caricature Moderne, op.cit., p. 96.
117
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 115.
118
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., pp. 157-160.
119
La caricature empruntait toutes les formes d’expression et tous les supports. Créées dans les années 1860, les
marionnettes de Maurice Sand témoignent de la relation de la caricature sculptée avec le spectacle des rues. La
69
propageant la caricature insultante de son collègue Philipon représentant le roi Louis Philippe
en forme de poire, et a associé de manière implicite l’agression par l’étranger de sa satire
politique spécialisée, et les grossièretés irrévérencieuses et irrépressibles de l’art de la rue (fig.
19). Dans une récente étude sur la caricature, Laurent Baridon et Martial Guédron, dans leur
livre L’art et l’histoire de la Caricature (2009), expliquent :
L’ambiance des instances du XIXème siècle est plus explicite quant au caractère criminel
du graffiti, et à l’identification de l’artiste avec cet aspect hors la loi. Ces travaux liaient
l’activité du créateur avec celui des innocents, ou des amoureux qui marquent leurs points de
rendez-vous comme incontournables. Grandville se montrait, avec un coup d’œil furtif sur
l’épaule, en ajoutant sa signature à la liste des graffitis sur un mur régulièrement marqué121.
Notre étude ne présente pas le rôle de la caricature chez les différents peuples et à des époques
diverses, mais la raison pour laquelle les artistes l’utilisent. Champfleury explique :
« J’ai voulu étudier d’après nature les caricaturistes modernes, et voici pourquoi.
La caricature tient un rang très-bas dans l’histoire, peu d’écrivains s’étant
préoccupées de ces manifestations ; mais aujourd’hui que l’érudit ne se contente
plus des documents historiques officiels, et qu’il étudie par les monuments figurés
caricature par des artistes divers permet de mettre en forme des idées nouvelles. Nicolas-Toussaint Charlet
(1792-1845) est peintre d’histoire, à la fin des années 1870. André Gill tentera de renouer avec la peinture, en
réalisant des « portraits-charges » peints. Ibid., pp. 208-211.
120
Ibid., pp. 150-151.
121
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., pp. 75-76.
70
tout ce qui peut éclairer les événements et les hommes, la caricature sort de sa
bassesse et reprend le rôle puissant qu’elle fut chargée de jouer de tout temps. La
caricature est avec le journal le cri des citoyens. Ce que ceux-ci ne peuvent
exprimer est traduit par des hommes dont la mission consiste à mettre en lumière
les sentiments intimes du peuple »122.
Nous pouvons considérer que la culture populaire a finalement conduit à l’attribution d’un
rôle à la caricature et au graffiti dans le processus du changement social, ils ont donc valeur
artistique. Baudelaire a commencé à étudier les graffitis et la caricature, se rapprochant le plus
de l'étude des questions stylistiques impliquées, ainsi que de celles historiques, comme dans
son essai de L’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques123, qui
avait servi d'introduction à une histoire de la caricature et à expliquer la base de l’humour
dans la caricature. Il a été particulièrement intrigué par les liens entre la représentation, le
style, dans la perception de l’observateur et de la réponse psychologique à l’image. Il a
commencé à écrire l’essai dans le milieu des années 1840, stimulé par les idées de Joseph de
Maîstre et Stendhal, et l’admiration à l’échelle européenne pour le « grotesque » 124 . Il a
apporté une contribution importante à la découverte du graffiti de par son éclectisme et une
conscience neuve concernant des formes d’art autrefois négligées125.
Laurent Baridon et Martial Guédron analysent et présentent l’histoire de la caricature dans
leur livre L’art et l’histoire de la Caricature établissant que les origines de la caricature furent
fortement liées aux théories esthétiques néoplatoniciennes et aux normes de la beauté fixées à
la Renaissance : sans la conviction qu’il existait une équation entre le beau et le bien et que
l’apparence de la figure humaine était la manifestation extérieure de l’essence des individus,
ces jeux facétieux de permutations dialectiques entre la forme et le fond auraient eu aucun
sens 126 . Par ailleurs, Bertrand Tillier présente la caricature politique dans ses œuvres La
RepubliCature : La caricature politique en France 1870-1914 (1997), A la Charge : la
caricature en France de 1879 à 2000 (2005), et les images qui constatent les événements
122
Champfleury, Histoire de la caricature moderne, op. cit., p.vii
123
Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, 1961, pp. 975-993, cité par Aaron sheon, op.cit., p. 17.
124
Wolfgang Kayser, The Grotesque in Art and Literature, Bloomington, 1963, pp.48-129, et Mario Praz, The
Romantic Agony, London, 1970, pp. 40-45, cité par Aaron Sheon, op.cit., p.17.
125
Baudelaire and caricature is discussed by W. Hofmann, “Comic Art and Caricature”, Encyclopedia of World
Art, New York, 1960, III. pp. 762-763.
126
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 23.
71
historiques dans La commune de Paris, révolution sans images ? (2004). Bertrand Tillier
explique.
« Le plus souvent, la caricature est donc une charge qui montre pour ridiculiser.
[…] A cet égard, la caricature peut aussi tendre vers la parodie qui, à la différence
de la contrefaçon qu’est le pastiche, est l’imitation satirique et burlesque d’une
œuvre sérieuse. Mais la caricature peut n’être que bouffonne, par facétie ou par
fantaisie – on parle parfois d’image pour rire, d’histoire drôle illustrée ou de gag
graphique –, et viser à l’amusement : elle relève alors du dessin d’humour qui
consiste à présenter avec détachement la réalité, de manière à en dégager des
aspects plaisants ou insolites, parfois même absurdes. Mais une caricature n’est pas
toujours comique. Elle se cantonne alors à l’attaque, l’objection, la polémique ou
l’opposition. En l’occurrence, on parle de dessin pamphlétaire et, surtout depuis
mai 68, de dessin contestataire, pour définir les caricatures exprimant un refus
idéologique, le rejet des idées reçues et la contestation de la société, de ses
institutions, du pouvoir et de l’autorité »127.
Ces caricatures présentent un esprit s’autorisant une certaine liberté d’opinion dans la
critique et l’opposition politique, tout comme dans les graffitis antiques, et font donc partie
intégrante des sources du graffiti moderne. Ces caractères représentent particulièrement bien
le XIXème siècle sous de multiples formes. A quelques exceptions près, les premiers
caricaturistes connus (et reconnus) en tant que tels appartiennent à la génération de ceux que
Baudelaire salue dans son article intitulé « Quelques caricaturistes français »128 et auxquels
Champfleury consacre l’essentiel de son Histoire de la caricature moderne129.
Dans la caricature comme dans les peintures des « primitifs », nous pouvons nous attendre
à une certaine naïveté. Tous sont importants dans l’ordre historique. Ce sont ces différentes
individualités que nous avons étudiées dans leur essence. Pour bien faire comprendre le rôle
de la caricature à notre époque, Champfleury a d’abord décrit des images dans une Revue
127
Philipe Morel, Les Grotesques. Les figures de l’imaginaire dans la peinture italienne de la fin de la
Renaissance, Paris, Flammarion, 1997 : Nelly Feuerhahn, Traits d’impertinence. Histoire et chefs-d’œuvre du
dessin d’humour, Paris, Somogy-Centre Georges Pompidou-BPI, 1993 : Jean-Paul Tibéri, Cabu dessinateur
pamphlétaire, Poitiers, Michel Fontaine, 1984 : Jacques Sternberg et Henri Deuil, Un siècle de dessins
contestataires, Paris, Denoël, 1974 : cité par Bertrand Tillier, A la Charge : la caricature en France de 1879 à
2000, Paris : l’Amateur, 2005, p. 17.
128
Charles Baudelaire, « Quelques caricaturistes français », (1857), Curiosités esthétiques, op.cit., pp. 265-289.
129
Bertrand Tillier, A la Charge : la caricature en France de 1879 à 2000, op.cit., p. 40.
72
sans images, lui étant données la tâche de rendre visibles avec la plume les accentuations d’un
puissant crayon130.
Avec cette exégèse, nous faisons également remarquer que l’anonyme ou le public utilise la
forme de la caricature sur les murs. Ces points de vue sont ceux des artistes, mais qu’en est-il
du public? Ce serait sous l’influence de ce type de représentation que Champfleury aurait
élaboré, dans les années 1840, sa conception de la modernité littéraire à partir d’une caricature
de son propre style. Les papiers de Baudelaire témoignent de ce qu’il s’adonnait parfois lui-
même à la charge de ses proches, par exemple Champfleury, dont il connaissait l’œuvre
d’écrivain et de critique d’art. Celui-ci travaillait d’ailleurs dans la lignée de Baudelaire.
Critique d’art et écrivain dans l’esprit des contes populaires, il établit, entre 1865 et 1974, la
première histoire de la caricature digne de ce nom 131 . Que la caricature française ait ce
pouvoir doit en grande partie aux efforts conjugués d’un grand poète et d’un remarquable
entrepreneur, et, surtout, aux dons du caricaturiste probablement le plus grand qui ait jamais
vécu. Près de quarante ans après la mort de James Gillray, quand un motif à présent familier
est passé dans les mains d’Honoré Daumier, l’image du conflit infernal est devenue une
métaphore satirique pour la bataille émergente de styles entre réalistes et artistes
idéalisateurs132.
Champfleury voulait élever la forme satirique de base en l’attachant aux propriétés
universelles communes de l’esprit humain. Mais Champfleury avait un ami poète qui était, lui
aussi, intéressé par la caricature. Cet ami a même dessiné une caricature de Champfleury à ses
côtés. Il s’agissait de Charles Baudelaire qui est devenu le premier écrivain à couper la
caricature d’un héritage primitiviste. En 1844, les petits revenus de Baudelaire avaient été
placés dans les mains d’un fiduciaire, ce qui l’a condamné le poète à vivre dans de petites
chambres d’hôtels. Baudelaire décide alors de devenir critique d’art. En 1846, il a écrit un
essai concernant la caricature: « De l’essence du rire »133. Il était tout à fait conscient des
affinités entre la caricature et les autres formes d’art populaires, y compris les gravures
populaires comme le De la fabrique du Mans 134(fig. 20).
130
Ibid., p. xviii.
131
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 169.
132
Ibid,, pp. 113-114.
133
Baudelaire, Œuvres complètes (II), Texte établi par Claude Pichois, Paris : Gallimard, 1976, pp. 1342-1352.
134
Jules Fleury Champfleury, Histoire de l’imagerie Populaire (1869), Paris : Fac-similé, 2004, p. XXXVI.
73
En 1853, Baudelaire a publié un court article intitulé Le moral du joujou, une évaluation
mi-autobiographique, mi-critique de la réponse des enfants à des jouets. Depuis son enfance,
il a toujours regretté d’avoir dû quitter ce joujou et était fasciné par les magasins de jouets.
« J’ai maintenu une affection durable et d’admiration pour ces objets uniques, qui,
par leur brillance, une coloration vive, formes simplifiées semblent représenter si
bien les idées de l’enfant sur la beauté »135.
Un enfant, a t-il noté, n’a jamais été bouleversé par la grossièreté ou la simplicité de ses
jouets, et souvent les enfants préféraient jouer avec des jouets simples et peu coûteux. Les
puissances imaginatives de l’enfant sont si fortes qu’il n’a pas besoin de plus que la
suggestion d’une forme pour être stimulé, pour créer un contexte pour elle. Et comme pour
justifier son écriture sur ce que les autres pourraient envisager comme un sujet trivial, il a écrit
que les jouets d’enfant étaient sa première initiation au monde de l’art, son premier contact
avec le goût et la créativité. Notons que la réponse positive de Baudelaire, à la puissance
créatrice des enfants et à l’art des enfants, était en contraste important avec l’attitude des
artistes antérieurs.
Dans d’autres articles, Baudelaire a utilisé l’enfant et son art comme un idéal naïf par
lequel il a comparé d’autres écrivains et artistes. L’enfant était à la hauteur de sa puissance
créative et imaginative, et rarement un artiste pouvait mieux maintenir la naïveté et la
spontanéité de l’enfant dans son art136. Il faut rappeler que Baudelaire avait été impressionné
par le style schématique des tatouages des Indiens d’Amérique peints par Catlin et exposés au
Salon de 1846. Il a expliqué plus tard comment ces peintures ont produit une impression
durable sur lui, renforçant ainsi son affirmation que l’art archaïque et naïf a une forte emprise
sur une modèle visuelle. En cela, il partageait certains principes esthétiques de
Champfleury137.
Celui-ci a fréquemment exprimé sa crainte que le formalisme de l'art finisse par détruire la
naïveté des arts populaires, en particulier, des estampes populaires. Avec un certain sentiment
135
Baudelaire, Œuvres complètes, op.cit., p.525. Il a paru dans Le monde littéraire, 17 avril 1853.
136
Baudelaire, Œuvres complètes, op.cit., p. 1166. : Voir également Woshio Abe, « Baudelaire face aux artistes
de son temps », Revue de l’Art, 1969, IV, p.86 ; Jonathan. Mayne, (ed. et trad.), The Painter of Modern Life and
Other Essays by Charles Baudelaire, London : Phaidon, 1964, p. xi.
137
Baudelaire et Catlin ont discuté dans Baudelaire, Paris, Petit-Palais, 1968, pp. 40-41 et dans Œuvres
complètes, Ibid., pp. 1086-1087 : Baudelaire, « Les contes de Champfleury », Œuvres complètes, Ibid., p. 601.
74
d’urgence, il a cherché à recueillir des exemples de toutes les régions de France. Dans la
préface de son étude intitulée L’imagerie populaire, il a comparé son travail de collecte de ces
impressions au travail des archéologues découvrant des civilisations perdues138. Il insiste sur le
fait que l’imagerie populaire dévoile la nature du peuple et présente ses croyances religieuses
et politiques. Et de l’imagerie découlent encore divers enseignements historiques.
Spécialement, les planches, appartenant presque toutes aux fabriques du Mans, sont
composées de sujets pieux et militaires, d’événements politiques et scientifiques. L’image
populaire gravée pour le peuple parlait au peuple. Ainsi, le châtiment du crime, le souvenir
des traits héroïques y étaient retracés en colorations voyantes. Cet enseignement était clair,
visible, rapide. La bonne humeur recouvrait la leçon de morale139.
Nous savons que Baudelaire a eu accès à une grande collection d'art polynésien amené à
Paris par son ami, le graveur Charles Meryon. Meryon avait été officié de marine et l’artiste
du navire de l’expédition navale française à Tahiti en 1843-46. Ses carnets ont été remplis
avec des dessins d’art primitif, dont beaucoup qu’il admirait comme des pièces rivalisant avec
les chefs-d’œuvre grecs archaïques140. Peu de temps après son retour à Paris, il a loué un
studio près de la Place Saint-André-des-Arts, à côté de la brasserie Andler, qui était le lieu de
rencontre préféré de Champfleury, Baudelaire et Courbet. Autour de 1849, il prévoyait de
fonder un musée d’art primitif en collaboration avec un collègue de l’expédition Tahiti.
Grâce aux modèles opposés de Champfleury et Baudelaire, la caricature peut être comprise
comme à la fois très ancienne et très nouvelle. La caricature était utilisée dans l’art moderne,
car elle était un modèle de sophistication, la mesure de la triste conscience de notre propre
absurdité. Dans les années 1840, le caricaturiste suisse Rodolphe Töpffer a consciemment
essayé de « perdre » sa formation artistique et de régresser vers un style de dessin d’enfants.
La plupart de ses personnages sont nés de griffonnages hâtifs et accidentels, et il a analysé,
dans son Essai de physiognomonie (1845), comment un enfant peut exprimer le caractère du
visage en modifiant légèrement une ligne ou profil141.
Ses Réflexions et menus propos d’un peintre genevois ou Essais sur le beau dans les arts
ont incorporé ses théories dans un essai sur le graffiti et l’art des enfants. L’enfant, comme le
caricaturiste, désigne les objets par des signes ou des hiéroglyphes. Sa compétence résulte de
138
Champfleury, Histoire de l’imagerie populaire, op.cit., pp. ix-xii.
139
Ibid., pp. xiii-xxii
140
Charles Meryon, cat. No. 847. Voir également, William A. Bradley “Meryon and Baudelaire”, Print Collecto’s
Quarterly, I. Dec., 1911, pp. 587-609.
141
R. Töffer, Essai de physiognomonie, Genève, 1845, pp. 11-13.
75
l’économie de ses moyens : l’art n’a pas besoin d’être plus élaboré ou réaliste, car cela ne
ferait que détruire son effet142. Si l’on suit Töffer, nous pouvons supposer que les graffitis et la
caricature sont les premières manifestations de l’activité artistique. Dans son histoire de la
caricature, il a théorisé que la nécessité de caricaturer ou faire la satire était un instinct naturel
de l’adolescent et du primitif. Au début du XXème siècle, la caricature mélangeait donc les
genres. Elle était à la fois dessin d’enfants, bande dessinée, illustration, charge, recherche
plastique et parodie iconoclaste. Parce qu’elle condensait tous ces aspects, elle participait aux
révolutions modernes de son temps, au risque, parfois, de s’y perdre143.
Nous avons toujours remarqué que ces genres populaires, comme la caricature ou le graffiti,
présentent un intérêt pour les artistes, comment ils revêtent une valeur artistique, mais aussi
comment ils parlent de leur époque. Parmi les différents types de caricature autour de 1900, la
distorsion anatomique, norme de dessin de caricature comme les gens de Daumier, étaient
toujours pratiquée dans les cercles artistiques d’avant-garde. Cette caricature était utilisée
dans un objectif formel ou de rupture avec la tradition artistique afin de créer une esthétique
nouvelle, et se montrait bien souvent plus radicale dans ses idées politiques.
Après 1918, la tradition de la caricature pourrait encore se révéler vivifiante. L’art politisé
de Berlin Dada descend de la tradition satirique déjà amère et caustique présente dans le grand
journal de caricature allemand Simplicissimus. Ce qui donne au travail de George Grosz et de
John Heartfield leur côté tranchant est la puissante combinaison de l’imagerie de Dada avec
une langue déjà développée de dessin humoristique politique. Dans les premiers travaux de
Grosz, comme Republican Automatons (1920) (fig. 21), la réduction d’une classe sociale à un
type mécanique – bourgeois transformés en robots – a évidemment ses racines dans l’imagerie
mordante de la caricature politique. Mais Grosz adapte cette forme satirique populaire aux
perspectives mélancoliques des rues de Chirico, aux hommes tubulaires de Léger, aux
pochoirs du cubisme, qui sont ici parodiés pour un rendu satirique144.
Pendant l’occupation de la Belgique par l’Allemagne, René Magritte fait également des
peintures qui montrent la caricature comme Ellipse (1948) (fig. 22) ou Famine (1948) (fig. 23)
à la différence de ses autres peintures qui présentent une idée philosophique ou conceptuelle.
La tradition caricaturale se renouvelle donc ainsi dans les techniques utilisées à chaque
période. L’histoire de la caricature montre bien qu’elle s’est forgée au contact d’autres genres,
142
R. Töffer, Réflexions et menus propos, op.cit., p. 251.
143
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 226
144
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., pp. 121-122.
76
d’autres techniques ou d’autres médias. Les artistes ont emprunté à ces caricatures, ils les ont
souvent parodiées et utilisées comme moyens d’expression. Cette stratégie artistique figurait
alors en bonne place dans les pratiques comme dans les usages sociaux et politiques des
images. Elle accédait en effet plus facilement aux différentes classes de la population et jouait
souvent un rôle informatif essentiel.
Bertrand Tillier montre la peinture, la sculpture, la gravure et la caricature pendant cet
épisode de l’histoire, dans son ouvrage La commune de Paris révolution sans images ?,
auxquelles aucune étude d’importance n’avait été consacrée. Il explique :
« Alors que les peintures, les sculptures, les gravures et les caricatures liées à la
Commune étaient régulièrement reproduites en illustration d’ouvrages historiques,
avec des fortunes très diverses, l’étude des rapports de la Commune avec les arts,
les images et les artistes restait encore à faire. En effet, l’analyse de ce matériau
brut, épars et hétéroclite à bien des égards, n’avait guère été menée jusqu’alors,
sauf en quelques points particuliers ou anecdotiques. L’entreprise parait avoir
souvent buté sur une transdisciplinarité qui pourrait décourager, puisque
l’observateur d’un tel objet d’étude doit nécessairement travailler à la flexion de
l’histoire politique et de l’histoire des mentalités, de l’histoire culturelle et de
l’histoire de l’art »145.
Les techniques de reproduction rapide des images permettaient aussi d’être en phase avec
l’appel de l’actualité, changeante par essence. Et ils constituèrent le système des images de la
Commune, qui marqua durablement les esprits par l’ampleur de leur diffusion et qui eurent
principalement la rue pour lieu d’existence146.
Dans le milieu du XIXe siècle, alors que se développait l’esthétique de la rue147. Bernard
Tillier a développé le point de vue que la Commune fut un moment particulier car toutes les
images produites pendant les événements ou juste à leur suite étaient attachées à la rue. Cet
attachement vaut évidemment pour la caricature, comme l’indique Jean Berleux :
« La plupart des caricatures politiques parues pendant la période qui nous occupe
furent publiées, tirées à part, sur des feuilles volantes, que l’on accrochait à la
145
Bertrand Tillier, La commune de Paris Révolution sans images ?, Seyssel : Champ Vallon, 2004, p. 12.
146
Ibid., p. 62.
147
Philippe Hamon, Imageries : Littérature et Image au XIXe siècle, Paris : Corti, 2001, pp. 147-179.
77
devanture des kiosques et des marchands de journaux. Ces publications éphémères
achetées par ceux-ci, déchirées par ceux-là, quand elles n’étaient par détruites par
la pluie et le mauvais temps, donnent bien la note véritable du dévergondage de la
rue pendant cette période troublée »148.
La commune était encore perçue comme une radicalisation : « Vous faites écrire sur les
murs : république démocratique, indivisible ; liberté, égalité, fraternité, et sous ces mots vous
laissez afficher ces œuvres de division, de licence, d’oppression et de haine ! »149. Dès lors, la
caricature ou le graffiti qui avaient envahi l’espace public devenaient un objet dangereux, tant
pour l’esprit que pour le regard. Cette dimension visuelle est certainement l’une des
métaphores les plus récurrentes et les plus efficaces pour inscrire cette imagerie dans la rue.
Mais cette inscription du système imagier de la Commune dans la rue ne vaut pas que pour la
caricature.
Un champ verbal comprenant une pratique et une part textuelle importe surtout en regard
des images satiriques. Comme B. Thillier a mentionné l’œuvre Henri Rochefort dans Mazas
Prison (1871) (fig. 24) dans son livre La commune de Paris Révolution sans images ?,
Armand Gautier n’a pas exécuté ce portrait dans sa cellule de Mazas, mais après sa propre
sortie de prison. En revanche, les quelques objets épars qui environnent Rochefort sont issus
de « l’état des objets composant le mobilier de la cellule d’un détenu valide », répertoriés avec
précision par l’artiste durant sa détention et recopié dans l’affichette réglementaire apposée au
mur. De la même façon, Gautier avait soigneusement relevé « les inscriptions apposées dans
sa cellule [et] les graffitis des cours » qui se retrouvent dans ce portrait peint de Rochefort.
Thillier en extrait quelques-uns :
148
Dans J. Berleux, La Caricature politique en France pendant la guerre, le Siege de Paris et la Commune….,
Paris, 1890, p. XII, cité par Bertrand Tillier, La commune de Paris Révolution sans images ?, op.cit., p. 74.
149
Dans Louis Veuillot, Paris pendant les deux sièges, Paris : V. Palmé, vol.1, 1871, p. 367, cité par Ibid., p. 74.
150
Ibid., p. 155.
78
Comme l’a expliqué Michelle Perrot, parce qu’ils sont « coupés du monde et sans
possibilité de parole », les détenus dessinent ou écrivent sur les murs : « ces graffitis
manifestent, envers et contre tout, un besoin irrépressible d’expression » 151 . Les graffitis
restitués par Gautier sur les murs de la cellule de Rochefort sont très largement liés à la liberté
et à sa privation. B. Tillier explique :
Il affirme que ce dessin est une sorte de caricature de par sa forme politique et sa plastique
subversive. Mais en établissant une relation entre le dessin et sa légende d’une part, et les
graffitis de l’autre, véritables messages rebelles sur les murs, nous découvrons une analogie
entre ces deux actes de création qui utilisent des stratégies semblables et possèdent la même
force ou fonction sociale.
Si, au début de son histoire, la caricature était une pratique d’atelier pour commencer ses
gammes ou à voir comme un délassement d’artiste, elle devint, au début du XIXème siècle
devient une pratique sociale de plus en plus répandue153. La caricature par les artistes était un
outil de critique de la société par le biais de stratégies de rire, d’ironie, de satire, etc. Nous
pouvons remarquer que cela caractérises aussi l’activité du graffiti dans ces objectifs critiques.
151
M. Perrot, « Ecrire en prison au XIXe siècle », 2001, p.245, cité par Ibid., p.155.
152
Amand Gautier, Mazas, juillet 1871, Dessin 1871, Paris, musée Carnavalet (DO 7243), cité par Ibid., p. 155.
153
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 147.
79
2. La reconnaissance de l’intention artistique de la rue
dans la littérature française
L’art moderne du XXème siècle est venu de transformations très rapides et définitivement
significatives pour la société. Ces profonds changements étaient à situer vers le milieu du
XIXème siècle154 et furent la conséquence d’une progressive remise en question de l’ordre
social bourgeois, du rôle de l’art, de la frontière existant entre art Beaux-Arts et culture
populaire, et de la crise de la représentation. Ceux-ci furent accentués par les progrès des
techniques industrielles telles que la photographie ou l’affiche dans les années 1840. De plus
en plus, l’environnement multiple de la rue crée ce désir profond de découvrir et
d’expérimenter de nouveaux codes visuels, esthétiques et artistiques.
Cette ambiance, souvent décrite dans la littérature française, puise directement dans
l’environnement artistique du XIXe siècle. Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, et le
grand capitalisme, la « nouveauté » des artistes français occupe, en parallèle, une place
prépondérante. Tout au long de notre étude, les artistes emploient les termes « moderniste »
ou « avant-gardiste » mais cette réalité ne sera reconnue comme mouvement d’avant-garde
que vers le milieu du XXème siècle, avec l’avènement de la société moderne. Mais comment
établir la relation entre avant-garde et graffiti ? Comment des convictions politiques
particulières, ou des événements historiques sont-ils censés s’exprimer dans une forme
particulière de langage pictural ? En effet, l’utilisation par les artistes de la forme du graffiti
s’est réalisée avant que le mouvement du street art ne soit reconnu et théorisé, et que les Street
artistes soient reconnus et acceptés dans l’art contemporain.
154
Ce courant est lié au mouvement d’avant-garde qui a un concept militaire et politique – y compris pour les
mouvements politiques français du milieu du XIXème siècle – le terme s’installa dans les domaines de
l’esthétique et de l’art en général. D’un point de vue artistique, l’avant-garde chercha à stimuler la
transformation radicale de la société et de la culture. Elle toucha divers domaines comme la littérature, la
musique, les arts plastiques, le cinéma, le théâtre. L’avant-garde est, plus particulièrement, un concept du
criticisme ou une catégorie de la critique. Bien sûr, au début du XXème siècle, le projet moderniste fut
également associé à l’idée d’avant-garde. Afin de consolider la compréhension des concepts, Isabel Nogueira a
évoqué les mouvements artistiques qui, chacun à sa manière, les ont concrétisés : postimpressionnisme, fauvisme,
expressionnisme, cubisme, futurisme, suprématisme, dadaïsme et anti-art de Duchamp. Isabel Nogueira, Théorie
de l’art au XXe siècle, op. cit., pp. 129-134 : John Weightman, The concept of the avant-garde : explorations in
modernism, London : Alcove Press Limited, 1973, p. 20.
80
Notre étude ne s’attardera pas sur le courant, critique, ou l’attitude esthétique, de ce
mouvement historique qu’est l’avant-garde, mais s’efforcera de situer le rôle, la valeur, et la
fonction artistique du graffiti dans cette catégorie critique de l’avant-garde, dans les stratégies
des artistes, et dans la relation entre l’art de l’élite et la culture populaire. Par ailleurs, nous
démontrerons que certains artistes, par leur prise de position contre l’ordre de la société
bourgeoise et contre les méthodes traditionnelles et académiques, ont réagi de manière directe
à l’émergence de nouvelles valeurs artistiques et sont partis à la recherche de nouveaux codes
artistiques dont nous proposons l’étude, le graffiti faisant partie intégrante du concept de
criticisme à la française. Ces préoccupations des artistes se reflètent continuellement, des
artistes de la rue aux street artistes français d’aujourd’hui.
Nous assistons à l’utilisation de la culture populaire ou des produits industriels sous une
forme poétique, et inversement, celle des sources littéraires dans l’imagerie populaire
réappropriées par l’artiste. L’artiste ne réagit pas violemment contre la réification, mais ne
l’imite pas non plus, son medium pour cette expérience étant la forme poétique dans l’art ou
le graffiti qui se présente directement écrit dans la peinture ou inscrit sur le mur. Nous
découvrons souvent que des caricatures de politiciens s’affichent aux côtés de slogans de
propagande et de peintures murales politiques traditionnelles.
Champfleury a participé, de par sa prise de position pour la défense de l’art du vrai, à
l’attribution d’une valeur artistique à l’imagerie populaire. Minoritaire et méprisé avant 1850,
l’esthétique réaliste va s’affirmer après 1865, en peinture, avec les impressionnistes et, dans la
littérature, avec les réalistes, mais lorsque Champfleury se transforme en défenseur attitré de
Courbet, le combat est encore loin d’être gagné. Le réalisme apolitique et impartial dans
lequel Champfleury veut contenir l’art critique sur la société inclut tout d’abord la littérature,
mais il a découvert, par la suite, ces mêmes caractéristiques, dans la caricature ou le graffiti,
qui raillent l’académique. Le peintre porte donc l’attaque au cœur de la représentation que
l’Académie veut préserver, celle de la hiérarchie des genres. Selon Champfleury, un sujet est
parfaitement admissible dans la mesure où le peintre observe avec honnêteté ses modèles. Le
trait essentiel du réalisme, énoncer la vie moderne, dans toutes ses facettes et dans sa vérité,
doit être un sujet privilégié par la peinture contemporaine.
Gustave Courbet exprimait son réalisme radical et militant sur les deux plans, artistique et
politique. Il comprenait son destin comme une permanente action d’avant-garde dirigée contre
les forces que l’académisme et le conservatisme exerçaient sur l’art et la société : L’Atelier du
peintre. Mais à la différence de la génération de 1848, Courbet a découvert un nouveau type
81
de langage visuel contestataire pour affirmer son opposition au code qui régissait alors la
peinture. Ainsi, il le trouva dans le fonds des images populaires, dans les gravures sur bois
sommaires et simplifiées de l’Imagerie d’Epinal : Enterrement à Ornans (1849-1850)155 et
Bonjour Monsieur Courbet (1854) 156 . Les artistes modernes, comme É douard Manet,
s’intéressent de près à la société et aux événements politiques de l’époque comme le siège de
Paris et la Commune, mais ils représentent leur société, à la différence des convictions
politiques de la génération de 1848, par une réalité d’ordre plus phénoménologique ou
critique que politique ou social.
Le cas de la critique dramatique à la fin du XIXe siècle fait apparaître certaines limites à
l’autonomisation du champ littéraire à savoir que les critères essentiels de l’exercice de la
critique semblent largement dépasser le cadre purement littéraire. Mais dans l’image ou la
peinture, les sources linguistiques dépeintes par une relation des mots à l’image, pour laquelle
nous nous appuierons sur les propos de W.J.T. Mitchell, ont déjà mentionnées 157 . En
permettant d’identifier les motifs des images ou en portant parfois notre attention sur un
élément particulier à l’intérieur de l’image, nous tenterons d’expliquer les sources littéraires
des images dans le contexte social.
Le graffiti dans son ensemble est un phénomène composite, partie blague enfantine, partie
insulte de l'adulte. Il est fou et politique, humoristique et en colère, plein d’esprit et obscène,
et composée d’éléments d’imagerie, d’écriture, et de marquage simple. Tout ou partie de ce
mélange, a été exploité dans l’art moderne à partir de sources diverses et variées. Pour le reste,
Guillaume Apollinaire avait peut-être à l’esprit des combinaisons particulières de graffiti de
mots et d'images quand il a fait ses poèmes-image de 1913 à 1916, les Calligrammes, publiés
en 1918. Dans ce monde de l’art où le « moderne » fraternise avec le « primitif », l’« enfantin »,
l’« image populaire », ces nouvelles parentés le lient avec la filiation des graffiti et prennent
une valeur artistique.
155
Linda Nochlin explique cette œuvre : « Courbet s’appuie essentiellement sur la configuration ni généralisée ni
idéalisée de ce paysage de Franche-Comté âpre, pierreux et sans rien de classique pour faire naître le sens du lieu,
de même qu’il tient à donner de ses compatriotes d’Ornans une représentation franche, sans fioritures, où maints
observateurs et la plupart des critiques du Salon de 1850-51 ont vu une caricature et certains même un sacrilège à
cause, par exemple, du nez rouge des bedeaux ». Linda Nochlin, Les politiques de la vision : art, société et
politique au XIXe siècle, trad. Oristelle Bonis, Paris : Jacqueline Chambon, 1989, pp. 47-48.
156
Gustave Courbet, L’enterrement à Ornans, 1849-1850, Huile sur toile, 316x668cm, Musée d’Orsay, Paris :
Gustave Courbet, Bonjour Monsieur Courbet, 1854, Huile sur toile, 1.29x1.49m, Musée Fabre de Montpelier.
157
Voir W.J.T. Mitchell, Iconology: image, text, ideology, Chicago : The University of Chicago Press, 1985.
82
2.1. Le graffiti et la description de la rue dans la littérature
française. La perception de Guillaume Apollinaire
Nous avons avancé que des artistes comme Daumier ou Grandville, ou des critiques comme
Champfleury avaient découvert un caractère artistique dans l’imagerie populaire critiquant
leur époque. Dans leurs œuvres, nous pouvons dépister les querelles sociales, les aspects
bourgeois, ou la critique politique. Ces sources, ce mélange de genres, sont devenues une
caractéristique prépondérante de l’art moderne du XXème siècle. Adorno illustre bien ce
phénomène.
Selon Adorno, le postulat de Rimbaud concernant l’art moderne radical est celui d’un art
qui, dans la tension de Spleen et Idéal, tension de la spiritualisation et de l’obsession, se meut
à travers ce qui est le plus éloigné de l’esprit. Le primat de l’esprit dans l’art et l’irruption de
ce qui auparavant était tabou sont deux aspects du même fait159. L’art devint vulgaire par sa
condescendance, lorsque, essentiellement par humour, il invoqua la conscience déformée et la
confirma.
La description de l’ambiance ou des graffitis des rues de Paris dans la littérature française
est un excellent exemple, et ces études présentent continuellement l’esprit français de
véritable critique de l’époque. Les graffitis à la différence des tableaux d’artistes qui
n’exploitaient que des sources stylistiques, ne présentent pas leur société uniquement du point
de vue de l’expression politique d’un événement politique ou historique donné, mais décrivent
158
T.W. Adorno, Théorie esthétique, op. cit., p. 27.
159
Ibid., p. 129
83
franchement les événements humains de la vie quotidienne. Le nouveau sens de l’observation
d’un tel art était évident comme nous l’avons déjà montré des graffitis sur les murs de Paris de
Restif de La Bretonne. Il a recueilli ses propres graffitis sous le titre Mes inscriptions par des
notes et en les traduisant du latin au français. Cet ouvrage, unique en son genre, souvent
attendrissant, est d’un très grand intérêt pour comprendre non seulement les mobiles des
auteurs de graffiti, mais aussi ceux des auteurs de tout geste apparemment gratuit et
anonyme.
Honoré de Balzac a donné une description différente des graffitis sur les murs de la rue
Pagevin, dans son roman Ferragus (1833), dans lequel il parle avec aversion d’un temps où la
rue Pagevin, « n’avait pas un mur qui ne répétât un mot infâme »160. En parlant de la vie des
rues, de leurs animations, il demeure un morceau d’anthologie dans l’examen de l’identité
physique et morale des rues. Balzac écrit sur la laideur, par contraste, de certaines rues ou
quartiers parisiens par rapport à d’autres. Bien que « vêtue d’affiches », Paris est
indéniablement sale :
« Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un homme
coupable d’infamie ; puis il existe des rues nobles, puis des rues simplement
honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité desquelles le public ne s’est pas
encore formé d’opinion ; puis des rues assassines, des rues plus vieilles que de
vieilles douairières ne sont vieilles des rues estimables, des rues toujours propres,
des rues toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin, les
rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par leur physionomie
certaines idées contre les quelles nous sommes sans défense.
Il y a des rues de mauvaise compagnie où vous ne voudriez pas demeurer, et des
rues où vous placeriez volontiers votre séjour. […] »161.
160
Balzac, Honoré de, Œuvres Complètes de H. de Balzac VIII, La comédie Humaine, Paris : Ancienne Maison
Michel Lévy Frères, 1879, p. 9.
161
Ibid., pp. 6-7.
162
Il appelle à une prise de conscience des autorités de la capitale sur les conséquences désastreuses de
l’insalubrité publique, surtout après l’épidémie de choléra de 1832. Il écrit dans La Fille aux yeux d’or, comme
dans cet extrait, que certaines rues connaissent un taux de mortalité plus grand que d’autres. Il répète ses
accusations à l’encontre du pouvoir et fait référence aux « mathématiques sociales » de son temps qui révèlent
84
toutes les heures du jour et de la nuit parisienne. Il y a peu de monuments décrits dans La
Comédie humaine, mais si, dans Ferragus, une nouvelle statue est érigée dans Paris, Balzac ne
peut s’empêcher de signaler qu’aussitôt un gamin, le futur Gavroche de Victor Hugo, la signe
de son nom. Les effets de lumière, la nuit, à la brune, produisent parfois des effets étranges
dans les rues, et des « échappées de lumière », certains jours, égaient les laideurs d’une
ville surpeuplée. Honoré de Balzac, qui était aussi un des fondateurs du journal La Caricature
aux côtés de Philipon, a souvent choisi des objets sociaux, selon le principe de la caricature de
Grandville. Dans l’écrit de Balzac qui a dessiné les rues de Paris, nous avons constaté une
description réaliste de la ville moderne et un aspect de la nature humaine.
Ces stratégies donnent un rôle important non seulement aux artistes avant-gardistes dans
l’art moderne, mais aussi dans l’art postmoderne, ainsi qu’aux street artistes par le moyen du
mélange de genres et de perspectives critiques sur leur société. Les street artistes, dans le
mouvement des graffitis, cherchent à pénétrer ces rues que Balzac a décrites. Malgré le fait
que les graffitis soient des actes vandales et anonymes, qui ne peuvent pas accéder aux zones
publiques, et se répandent dans des quartiers dits dangereux, les artistes occupent les lieux
publics.
Nous allons par ailleurs faire appel à l’œuvre de Guillaume Apollinaire et aux poètes
surréalistes, qui s’enracinent dans la littérature française du début du XXe siècle, pour étayer
notre discours. Nous ne chercherons pas seulement à démontrer qu’Apollinaire et les
surréalistes avaient un intérêt commun dans le graffiti. Nous voulons aussi comprendre leur
intérêt pour sa fonction sociale et ses sources littéraires. Notre thèse est que la fonction du
graffiti est une métaphore du rejet de la réglementation, des contraintes, de la norme
esthétique, de la hiérarchie et de la logique, tous les principes fondamentaux de la pratique des
artistes qui se trouvent également dans le travail d’Apollinaire.
Apollinaire est passionné par les arts premiers et, dès 1906, il projette d’écrire un ouvrage
intitulé L’art chez les sauvages. Il dessine sur un feuillet un masque à deux visages superposés,
une cape décorée et des panneaux sculptés aux formes issues de l’art océanien avec une
réjouissante liberté de forme et de conception ajoutée à ses propres inventions graphiques et
picturales. Dans un volume intitulé Et moi aussi je suis peintre, nous découvrons la tendance
principale d’Apollinaire qui caractérise son œuvre littéraire et graphique et s’impose déjà dans
l’album de jeunesse. Comme son œuvre Prêtre gravant le mot « Jésus » sur le tronc d’un
l’inégalité des conditions de vie des Parisiens, surtout les plus pauvres, par rapport aux provinciaux qui
profiteraient de la pureté de l’air.
85
arbre (1895) (fig. 25), ce dessin témoigne du sérieux du prêtre et également de l’appétit visuel
du jeune artiste qui réunit en une seule planche de multiples observations successives. Dans
son cahier, son autoportrait et des portraits d’autres personnalités comme Victor Hugo,
Napoléon, Jean Baptiste, etc..., présentent un style caricatural, ou primitif. Apollinaire partage
avec les cubistes, concernant le style plastique, leur goût du collage, technique qui a toujours
fait partie de sa créativité littéraire.
Claude Debot remarque donc la présence dans ces carnets d’Apollinaire de hiéroglyphes,
de pictogrammes, et de signes cabalistiques, témoignant de l’intérêt qu’il porte à tout système
de communication rapprochant l’écriture et le dessin163. De l’union du mot et de l’image,
naitront plus tard les « calligrammes », qui proposent une nouvelle synthèse de la poésie et de
l’art visuel. Depuis qu’il a écrits Alcools, Apollinaire a repris ses activités littéraires et trouvé
un titre en mars 1917, Calligrammes. Depuis sa jeunesse, il a réfléchi sur les liens qui unissent
la lettre et l’image, l’écriture et le dessin. La plupart des dessins qu’il a laissés juxtaposent
encore les deux systèmes de signes, dessin légende, dessin redoublant l’explication écrite,
dessin en marge des brouillons et poèmes164. Son poème-tableau, L’horloge de demain (fig.
26), montre une image et plusieurs messages. Claude Debot décrit ainsi cette œuvre :
163
Choix et présentation de Claude Debot et Petre Read, Les dessins de Guillaume Apollinaire, Paris :
Buchet/Chastel, 2008, p. 18.
164
Ibid., p. 153.
165
Ibid.
86
rues de Paris donne l’inspiration artistique aux artistes. En 1918, Louis Aragon a écrit dans
« Du décor » au sujet de la rue :
166
Louis Aragon, Ecrits sur l’art moderne (1981), Paris : Flammarion, 2011, pp. 29-30.
167
Brassaï, « Du mur des cavernes au mur d’usine », Minotaure, no.3, Paris, décembre 1933.
87
On peut regretter que la ville n’ait pas conservé, dans son dépôt, au lieu de les
vendre, un spécimen au moins de chaque appareil d’éclairage »168.
Cette description d’Apollinaire des lanternes, presque comme s’il s’agissait de statues de la
ville moderne, les présente comme le potentiel contenu d’un musée de la rue, soulignant son
sentiment nostalgique. Le graffiti était à la fois éphémère et d’une grande importance pour les
surréalistes. Spécialement, dans le chapitre « À la santé » d’Alcools (1913), les quatrième et
sixième poèmes d’Apollinaire condensent le thème du graffiti dans les termes suivants :
Les murs de l’intérieur de la prison contrastent fortement avec les murs extérieurs de la rue
Berton, couverte d’écrits, et la relation entre l’écriture et l’emprisonnement ou la liberté est
une question importante. D’une part, c’est dans les actions transgressives derrière les mots
qu’Apollinaire trouve l’inspiration pour son œuvre À la Santé : défigurer le mobilier brut qui
appartient aux autorités et les règles d’écrasement avec la poésie sont des exploits qui
incarnent le caractère illicite de graffiti. D’autre part, l’acte même de l’écriture est alors la
seule chose qui permet à Apollinaire de libérer son esprit et de rendre son emprisonnement
plus supportable. Apollinaire établit également un lien entre deux thèmes pertinents : d’une
part, l’emprisonnement, par les rêves qu’il induit et la poésie qu’il lui inspire peut devenir un
moyen de libération, d’autre part, les relations entre les cultures de l’élite et populaire, entre la
poésie et l’image populaire, sont véritablement essentielles à l’intérêt du poète non-
conventionnel pour le graffiti.
168
Guillaume Apollinaire, « Le Flâneur des deux rives(1918) », Michel Décaudin et Pierre Caizergues (éd.),
Œuvres en prose complètes, 3 vols, Paris : Pléiade, 1977, p. 6.
169
Guillaume Apollinaire, « A la Santé », Alcools (1913), IV et VI, 5e édition, Paris : la Nouvelle Revue
Française, 1920, pp. 150-153.
88
L’écriture comme un exercice de libération et comme une transgression à la convention et à
la logique a donc été au cœur des origines littéraires du surréalisme. En citant Apollinaire et
les surréalistes, et la raison pour laquelle Apollinaire s’est décrit comme « libre » en dépit de
la censure et de l’emprisonnement qui lui ont été imposés: une société raillée par ses victimes
ne peut jamais, Apollinaire l’indique, être forte, démontrant, à l’inverse, ses victimes dans une
position de pouvoir et donc de liberté. La tentative de liberté des libertins de la contrainte
sociale, et incarnée dans l’œuvre du Marquis de Sade, est à relier ici à la pratique de l’écriture
d’obscénités sur les murs, qui est, à son tour, définie comme une pratique impulsive résultant
d’expériences étranges et intenses170.
Nous allons ici décrire deux poèmes dans son livre Calligrammes : Poèmes de la paix et de
la guerre (1914-1916) de Guillaume Apollinaire. D’abord, « La Victoire » qui décrit la rue.
« […]
La rue où nagent mes deux mains
Aux doigts subtils fouillant la ville
S’en va mais qui sait si demain
La rue devenait immobile
Qui sait ou serait mon chemin
[…]
La Victoire avant tout sera
De bien voir au loin
De tout voir
De près
Et que tout ait un nom nouveau »171
170
La transgression de nature sadienne est liée aux graffitis dans le fait qu’une telle inversion de la morale, une
telle parodie des valeurs hypocrites de la société était un élément fondamental de l’œuvre Sade. Si les
surréalistes étaient, pour la plupart, enfermés dans les contraintes sociales et mentales plutôt que physiques, un
de leurs héros particulier, le marquis de Sade, avait fait l’objet d’un emprisonnement physique et avait trouvé
une source de liberté dans son écriture subversive. Dans sa préface, il a expliqué que Sade avait passé vingt-sept
ans de sa vie dans onze prisons différentes, était mort à l'asile de Charenton et eu ses livres bannis de l'enfer de la
Bibliothèque nationale. Pourtant, selon lui, Sade aimait par-dessus tout la liberté, ses actions, son système,
philosophique témoignent de son goût passionné pour la liberté. Guillaume Apollinaire, « Introduction : essai
bibliographique de notes », Sade, Dodtien-Alphonse-Francaois de, L’œuvre du Marquis de Sade, Paris :
Bibliothèque des curieux, 1909, pp. 12-17.
171
Guillaume apollinaire, Calligrammes : Poèmes de la paix et de la guerre (1914-1916), Paris : Mercure de
France, 1917, pp. 193-197
89
Avec un autre poème « l’inscription anglaise », la rue témoigne des traces de la guerre par
des inscriptions faites par des soldats ou des civils. Dans un deuxième poème important
« L’Adieu du Cavalier »172, nous remarquons cette légende: « Ah! Dieu Que la guerre est
jolie ». Cette légende se présente dans sa boite prise au piège dans une prison d’un genre très
différent, cette fois les tranchées en 1916, Apollinaire a rayé une caricature grossière de
soldats dans le couvercle de sa boîte de dentifrice (fig. 27). Dans la première strophe du
premier poème il s’agit d’un jeu de mots sur le soldat mourant de « l’adieu », deuxième
poème.
Le poème a été écrit au mois d’août 1915, tandis qu’Apollinaire occupait les tranchées dans
la forêt des Ardennes, mais sa répétition de la phrase transforme ici l’image lointaine de la
mort d’un soldat en quelque chose de beaucoup plus imminent, qu’Apollinaire traite avec
humour et ironie173. Le grattage de la caricature, une libération momentanée de l’ennui, n’est
pas public de la même manière que le graffiti dans la rue Berton, il n’est pas destructeur de la
propriété de quelqu’un d’autre, comme à la prison de La Santé. Il s’agit plutôt de l’utilisation
créative d’une surface sans importance, qui aurait probablement été jetée s’il n’y avait pas eu
l’inscription d’Apollinaire.
Le vandalisme tente de défigurer le mur blanc avec un message privé ou un gribouillage
grossier, exerçant son pouvoir d’agression ni par son sujet ni pour un groupe, sans caractère
« avant-gardiste ». Mais nous avons déjà remarqué l’expression politique ou sociale, la forme
artistique, le message rebelle dans le mouvement de masse. Les artistes ou les écrivains
étaient également ouverts aux idées libres et à la tendance imaginative. L’acte rebelle et la
liberté dominent leur esprit nouveau, et leur expression littéraire a surtout besoin de liberté
pour exploiter le domaine de cette tendance artistique. Brassaï, dans un poème sur les graffitis,
a reconnu que le but derrière l’écriture sur les murs ou sur des surfaces inappropriées n’est pas
toujours le vandalisme :
172
« Ah Dieu ! Que la guerre est jolie/Avec ses chants ses longs loisirs/Cette bague je l’ai polie/Le vent se mêle à
vos soupirs
A dieu ! Voici le boute-selle/Il disparut dans un tournant/Et mourut là-bas tandis qu’elle /Riait au destin
surprenant » Ibid., p. 123.
173
Pour la datation de ce poème, et son inclusion dans des lettres à Louise Faure-Favier, Madeleine Pagès et
Louise de Coligny-Châtillon, voir les notes dans Œuvres poétiques, 1906. Il a ensuite été inclus dans
Calligrammes (1918).
90
Une date
Sur le mur d’un édifice
Ce vandalisme ne s’expliquerait pas par le seul besoin
De destruction.
J’y vois plutôt l’instinct de survie/
De tous ceux qui ne peuvent dresser
Pyramides et cathédrales
Pour laisser leurs noms à la postérité »174
Il suggère que le graffiti est une forme de monument non-officiel, personnel, mais valide
comme ce qu’Aragon a vu plus tôt comme inscriptions sur les obélisques. Toutefois, pour
Apollinaire, les graffitis sont une forme d’anti-monument qui défigure littéralement le
monument officiel. Les deux, inscriptions officielles et graffitis sont avérés monuments dans
leur propre droit, témoignages de vies humaines relevés également par Brassaï, qui a tracé
leur évolution en retournant photographier le même site plusieurs années après sa première
visite.
Ces traces éphémères retrouvées peuvent donc présenter, d’une part, un côté ludique et,
d’autre part, une portée plus profonde. Quand Aragon écrit des « hiéroglyphes sur les murs »
et que les mots inscrits sur des objets de tous les jours peuvent être aussi importantes que « les
inscriptions d’un livre de magie noire », il reconnaît à ces deux modes d’expression la même
puissance que celle qu’Apollinaire avait trouvée dans les fragments linguistiques et donne les
mêmes propriétés magiques des talismans que Brassaï avait attribué aux graffitis, les
rapportant à la fois à l’art rupestre et aux remèdes psychologiques :
« Tout est magie pour l’enfant … les fées, les diables, les monstres sont pour lui
d’une telle évidence qu’il en a peur … L’art seul permet d’exorciser ces
phantasmes. Car c’est bien le pouvoir de la magie qui est à l’origine du pouvoir de
l’art. Tracer une ligne, une figure, donne à l’enfant ce sentiment de puissance et de
domination propre au magicien. C’est par l’art seul qu’il peut plier le monde à sa
volonté … Le pouvoir que le chasseur préhistorique voulait exercer sur le gibier en
traçant son « simulacra » au fond des cavernes s’exerce encore sur le mur sous une
autre forme »175.
174
Brassaï, « Poème sur les graffiti », Graffiti (1961), Paris : Flammarion, 1993, p. 151.
175
Ibid., p. 98.
91
Brassaïestime que le concept de l’artiste en tant que magicien remonte au romantisme, et la
notion de l’art comme simulacre ou effigie est un émule de la description de la magie établie
par Freud concernant les cultures « primitives » dans Totem et Tabou (1913). En ce sens, les
prémisses de Brassaï pour comparer l’art du graffiti à l’art rupestre en premier lieu était leur
ressemblance esthétique. Il a vu les graffitis comme preuve d’un instinct humain primitif qui
était le même en 1933 que ce qu’il avait été à l’âge de pierre. Brassaïn’était, bien sûr, pas seul
à faire cette observation. Par ailleurs, il explique ces sources artistiques pour une découverte
d’une nouvelle valeur plastique :
« En 1933, j’écrivais: « L’art bâtard des rues mal famées devient un critérium ».
(Minotaure, n°3/4). Or, depuis cette époque, ne s’est-il pas produit un événement
historique aussi important, je pense, que celui du cubisme : la découverte du mur
pas nos artistes modernes ? Chaque page de cet album semble témoigner de
l’influence occulte du mur sur la peinture contemporaine. Déjà perceptible dans le
cubisme et le « collage » par des bouts d’affiches, des caractères d’imprimerie, cet
apparentement est devenu manifeste avec Paul Klee, Miró, Dubuffet, comme avec
beaucoup d’autres qui se sont inspirés plus ou moins directement des graffiti»176.
Ces peintres actifs, ainsi que les « calligraphes », se sont attachés aux gestes instinctifs. Le
mur leur a offert non seulement une inépuisable richesse d’inspiration artistique, mais aussi
ses matériaux. L’antique support des inscriptions sert encore aujourd’hui de témoignage de la
vie sociale. Et le mur devient le miroir des tendances majeures de l’art actuel : « calligraphie »,
l’instantanéité du geste auxquelles les peintres de l’ « informel » ou de l’ « action » accordent
une si grande valeur, se manifeste librement177.
Pour Apollinaire, le fait magique du quotidien est peut-être plus comique qu’il ne le serait
pour les surréalistes, mais n’en est pas moins en prise avec les méthodes de transformation ou
de modification du banal pour créer quelque chose de merveilleux. Il semble pertinent de
conclure avec une image emblématique qui incarne peut-être l’attitude surréaliste des
possibilités et des implications des graffitis et inscriptions, une attitude qui, comme nous
l’avons vu, a été partagé par Apollinaire. Selon lui, les inscriptions découvertes représentent
176
Ibid., p.10.
177
Ibid., p.20.
92
un type particulier d’expression éphémère dont les connotations sont passionnantes et
précieuses. Ils défient les contraintes et les règlements de l’autorité, ils monumentalise ce qui
semble, selon la hiérarchie de l’autorité, être négligeable, et ils évoquent des significations
puissantes et suggestives qui produisent quelque chose de merveilleux et de magique à partir
de quelque chose d’apparemment destructeur et banal.
Nous avons étudié la description de l’ambiance et des graffitis de la rue à Paris dans la
littérature française. Nous pouvons découvrir non seulement les formes et la valeur artistiques
de l’image dans le graffiti, mais aussi les fonctions de l’interaction entre mots et images au
mur ou au tableau. Beaucoup de théoriciens ont fait l’étude de cette dernière. Mais, au cours
de notre étude, nous l’abordons uniquement dans le cadre de la stratégie artistique et du mode
d’interaction pour ajouter à la signification de l’œuvre. Nous allons approfondir notre
argument à savoir que les graffitis par les mots et l’image présentent une véritable valeur
artistique donnant le caractère ambigu de l’art comme autonome et comme fait social. Ce
caractère rebelle des graffitis est réel et représente des réponses à la forme interrogative aux
problèmes de notre société, l’extérieur venant à notre rencontre.
De tous les graffitis trouvés jusqu’ici, nous avons constaté qu’ils ont pris la forme de
caricatures, leur contenu littéraire, et l’expression critique ou le message politique sur des
événements historiques. Cependant, comme nous l’avons vu, l’opinion publique s’est
retournée contre les graffitis à la fin du XIXe siècle. Cela était dû à la relation entre les classes
ouvrières, imaginées comme étant les auteurs des graffitis, et l’élite, qui dominait la
production culturelle. Après l’intérêt romantique des graffitis vus comme un acte public pur
ou officiel, les artistes et certains anonymes du 19ème siècle sont retournés à « l’art véritable
», démontrant une perte d’intérêt pour l’art produit dans les rues. Dans notre étude du graffiti,
nous avons cherché à caractériser leurs éléments formateurs, et à en trouver les
caractéristiques littéraires.
Si les graffitis des civilisations antiques ont fait l’objet d’études savantes, nous avons
également trouvé de nombreuses références aux graffiti modernes dans la littérature française.
Au sein de ces échanges entre la caricature ou le graffiti et la littérature, noble ou populaire, et
93
l'acte du graffiti, apparaissent des procédés artistiques efficaces et un esprit rebelle pérenne.
L’expression linguistique à caractère sociopolitique s’est répandue très directement ou
continuellement tout au long du mouvement de street art au XXe siècle. Dans cette littérature
française et l’étude de la caricature, nous avons noté un esprit français particulier, qui se
montre différent de l’avant-garde américaine, du mouvement du graffiti américain des années
1970, jusqu’au mouvement street art d’aujourd’hui.
Les recherches collectives de Laurent Baridon et Martial Guédron, dans leur livre L’art et
l’histoire de la Caricature, mentionnent que tous les éléments du contexte de la caricature
furent utilisés pour former des « images parlantes » et des calembours visuels :
Comme les artistes qui font souvent la caricature ou les caricaturistes, les artistes modernes
trouvaient leurs angles d’attaque dans les expressions populaires, les paroles des chansons et
des ritournelles, l’inscription ou la légende au mur, dans l’image populaire primitive,
enfantine, dans le graffiti, etc. Les graffitis dans l’image visuelle, se composent d’images et de
mots, de mots seuls comme les inscriptions ou les slogans, ou encore d’images seules. Quand
l’image s’accompagne de mots qui vont dans le même sens, leur sens est plus fort que
l’expression linguistique, la relation a une fonction positive. Lorsque le sens des mots
contraste avec le message de l’image, la relation négative retransmet ironiquement une
fonction positive. L’image visuelle présente les éléments littéraires de notre société.
D’abord, nous retrouvons des inscriptions satiriques également à Rome. Sur un mur au pied
du mont Palatin, le P. Garucci a calqué le dessin d’un âne tournant la meule, avec cette
inscription : « LARORA ASELLE QVOMODO EGO LA BoRAUI, ET PRoDERIT TIBI
178
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 203.
94
(Travaille, petit âne, comme j’ai travaillé et cela te servira) » 179 . Les esclaves à Rome
travaillaient comme des bêtes de somme. Ce graffiti présente le cri sarcastique d’un esclave
plein d’amertume. Par ailleurs, Champfleury a analysé l’expression ironique des mots, aux
origines de la facétie, dans l’imagerie populaire, et tout spécialement avec le « crédit est
mort » (fig. 28). Dans son Recueil des plus illustres proverbes (1637, in-4°) chez Jacques
Lagniel, une planche représente un groupe d’hommes causant sur une place publique près
d’un monument où est étendue une figure dans son linceul. Sur la table du monument est
inscrit : « CRÉ DIT EST MORT ». Et au-dessous, l’épitaphe écrit :
Dans le haut de la planche, en face d’un bâtiment à fenêtres grillées près duquel est dressée
une sorte de guérite, nous voyons un homme à cheval arrêté par des archers armés qui
cherchent à le désarçonner, et sur les pavés de la place publique se lisent ces paroles : « Crédit
est mort/ Il faut payer ». Champfleury insiste sur le fait que la gravure est de plus illustrée de
deux vers qui ont un double caractère, l’un facétieux, l’autre proverbial. Et la légende de la
planche au bas est plus précise :
« Si prête non rant si rant non tout si tout non tel si tel non gré Car a prester cousin
germain, au rendre fils de putain.
Rotisseurs, Hosteliers, Chaircuitiers, Boulengers,
Depuis que le Crédit fut mis dessous la tombe,
Ne présentent à pas un voisin ou estrangers.
Pour les mauvais payeurs sur tout ce malheur tombe ;
Les grands et les petits souffrent fort maintenant
Qu’ils n’ont plus de Crédit l’assistance propice.
Chacun pleure et larmoyé, hautement se plaignant
Comme un enfant qu’on saure de sa nourrice »181.
179
Cité par Champfleury, Histoire de la caricature antique, op.cit., p. 277.
180
Cité par Champfleury, Histoire de l’imagerie populaire, op.cit., pp. 193-194.
181
Ibid., p. 197.
95
Il indique que les quatre derniers vers semblent avoir trait à un événement politique. Par ses
autres illustrations, nous comprenions un ton gouailleur. Outre cette relation des mots et
l’image, ses gravures montrent avec minutie les événements historiques ou politiques de façon
brutale, exagérée, satirique, ou humoristique. Bertrand Tillier analyse le vocable du Mur et ses
images, puisque la Commune de Paris fut privée de monument et de lieu commémoratifs, de
cénotaphe et de sépulture officiellement reconnus comme tels de 1871 à 1909182. Mais des
images de toutes sortes, surtout des gravures, des caricatures et des photographies,
contemporaines de ces vers et de ces romans, firent également office de mémorial, en place
d’un véritable lieu du souvenir encore inexistant. En l’occurrence, les choses sont plus
troublantes, dans la mesure où l’image est douée d’un pouvoir de représentation semblable à
celui du monument, là où le verbe ne possède qu’une faculté de suggestion183.
Bertrand Tillier a mentionné que les premières images du Mur des Fédérés réalisées après
la Commune furent celles d’Ernest Pichio – Le Triomphe de l’ordre et La Veuve du
fusillé 184 (fig. 29). Ce dernier reprenait le vocable du Mur, mais dans une perspective
commémorative, où la question d’un lieu du souvenir était posée par l’artiste. À cette fin, le
peintre représenta une veuve désignant, à l’intention de ses deux enfants, une inscription
gravée sur la muraille : « Mai 1871. Aux Martyrs/Sans nom/Morts pour la liberté ». Au pied
du mur, le sol est jonché de couronnes mortuaires et l’ombre d’une croix mortuaire s’y ajoute.
Entre ces deux œuvres, le pan de mur – qui n’est pas encore le Mur des Fédérés – est devenu
une sorte de métonymie et de métaphore de la Commune réprimée, dont nous trouvons la
trace sous la plume de nombreux témoins185.
S’ensuivit l’apparition d’une nouvelle génération d’artistes, qui n’avait pas vécu la
Commune, mais qui y trouvait un héritage politique. Comme nous l’avons déjà considéré, les
182
En mai 1883, dans un poème intitulé Le Monument des Fédérés et dédié « A Alphonse Humbert, conseiller
municipal de Paris » et ancien communard, Eugène Pottier offrit des images saisissantes par la violence qu’elles
charriaient. Et, en mai 1886, dans une tonalité tout aussi coléreuse, Pottier consacra un nouveau poème au Mur
des Fédérés – Le Mur voilé, qu’il dédia « A Sévérien, qui a eu la première idée de cette pièce ». À la même
époque, le chansonnier Jules Jouy signa en novembre 1887 une chanson intitulée Le Mur. Madeleine Rebérioux
et Danielle Tartakowsky ont souligné la force et l’impact sur les imaginaires, à la charnière des deux siècles, de
cette littérature du Mur.
M. Rebérioux, « Le Mur des Fédérés … », 1984 ; et D. Tartakowsky, Nous irons chanter sur vos tombes…, 1999.
Cité par Bertrand Tillier, La commune de Paris Révolution sans images ?, op.cit., pp. 423-425.
183
Ibid., p. 425.
184
Ernest Pichio, Le Triomphe de l’ordre, Lithographie, vers 1875, Saint-Denis : MAH (Na 2024) et Ernest
Pichio, La Veuve du fusillé, Montreuil : MHV, 1877.
185
Bertrand Tillier, La commune de Paris Révolution sans images ?, op.cit., p. 426.
96
artistes revendiquent une pose stratégique pour manifester leur originalité, une façon
d’affirmer leur marginalité ou un moyen politique ou critique d’amener l’avant-garde
artistique. Ils disposaient là d’une voie nouvelle pour combattre vigoureusement un art miné
par l’industrie culturelle, par les conventions sociales et par les codifications académiques, au
bénéfice d’une liberté de création, d’imagination et d’invention qui ne se souciait ni du
vraisemblable ni du ressemblant.
Depuis l’Antiquité, les graffitis ont toujours été un moyen d’expression, ludique,
événementiel, politique (revendicatrice ou dénonciatrice), contestataire, amoureuse, parfois
votive qu’il s’agisse de symboles religieux, d’inscriptions militaires, de silhouettes humaines
ou animales ou encore de simples ornements. Nous avons les trouvé sur les murs d’églises, de
châteaux, de maisons, sur les rochers, dans les cachots, les carrières souterraines, les tours, etc.
Les graffitis anciens pouvaient être aussi bien des annonces électorales, des messages de
supporters à certains athlètes, des messages religieux, érotique ou pornographique, personnel,
etc... que des messages à contenu politique parmi lesquels nous avons ainsi retrouvé la
caricature d’un homme politique. Nous avons démontré que les graffitis relèvent de la
communication pure et servent donc à diffuser un message, par exemple un message politique,
un message politique clandestin comme le « V » de la victoire et de la liberté sous
l’occupation nazie. Et le fait de laisser une trace, un élément de mémoire, était d’ailleurs un
aspect important du graffiti, les auteurs transformant leur support de témoignage, sur les
événements, ou individuels. Pour finir, nous avons insisté sur le fait que le graffiti relève
parfois de l’art visuel, de la littérature ou encore de l’humour. Il constitue alors une
manifestation de l’esprit humain ou poétique avec son aspect éphémère. Les constatations des
préhistoriens montrent que les peintures rupestres n’avaient pas un rôle décoratif. En effet, les
grottes concernées ne montrent que rarement des traces d’habitations ; de plus, les zones
peintes sont souvent dans des zones difficiles d’accès. De très nombreuses théories visent à
expliquer la signification de cette forme : traces de manifestations religieuses, cérémonielles ou
rituelles, formes de communications intertribales186.
186
Il existe des signes pariétaux (dont 26 apparaissent de manière récurrente dans 146 grottes françaises entre -
30 000 et -12 000) qui évoquent des formes symboliques ou des marqueurs sociaux, on attribue à la culture
Vinča (entre -6 000 et -3 000, dite aussi Vieil européen : culture préhistorique du Néolithique près de Belgrade,
en Serbie, qui peuplait également les régions à proximité du Danube, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie
– mais il en reste des traces un peu partout dans les Balkans) ce qui pourrait être les plus anciennes écritures en
Europe avec des tablettes gravées de symboles datant de
-5 300 alors que l’écriture apparait pleinement en Mésopotamie vers -3 300, mais on ne peut les considérer
comme des graffitis car ces inscriptions se font dans un contexte cérémoniel/ « officiel ».
97
Au-delà des témoignages sur l’évènement historique, il s’agit de peintures, caricature ou
graffiti, dont le sujet artistique représente l’ère dans une perspective critique. Ces expressions
linguistiques sont véritablement un produit de leur temps, d’une époque qui se préparait à la
révolution culturelle, en rapport avec la politique et la production culturelle, tant du passé que
du présent. L’expression des mots dans l’image a été particulièrement utilisée afin de
cristalliser une stratégie critique.
Pour ce sujet maintes fois étudié – la relation des mots à l’image – Rhétorique de l’image
de Roland Barthes propose l’analyse d'une publicité pour les pâtes Panzani. Mais l’étude
récente, Iconology : Image, texte, ideology (1985), de W.J.T. Michell, analyse bien cette
relation en critiquant les différents chercheurs comme Nelson Gooman, Ernst Gombrich,
Gotthold Ephraim Lessing, John Dewey, Clement Greenberg, Roland Barthes, Walter
Benjamin et en appliquant la nouvelle histoire de l’art comme Norman Bryson, John Berger,
Roger Fry, Erwin Panofsky, etc187. Par ailleurs, beaucoup d’artistes ont abordé ce problème
dans leurs peintures, mais René Magritte a continuellement réalisé cette recherche dans ses
tableaux comme à travers la série de Ceci n’est pas une pipe188ou l’image et les mots (1929)
(fig. 30) dans la révolution surréaliste, etc. Nous ajoutons l’importance des techniques
picturales de Magritte dont les stratégies – juxtaposition, luxation, hybridation, métamorphose,
affinités collectives, jeu des contraires, fossilisation, changement d’échelle, simultanéisme,
copie, peinture dans la peinture, les mots et les choses – sont de plus en plus vues et
exploitées dans les activités des street artistes, tout autant que dans les chefs-d’œuvre de
l’histoire de l’art.
Dans l’histoire de l’art, beaucoup d’œuvres d’art ont utilisé une technique similaire. Mais
nous souhaitons présenter les mots dans l’image dans le cadre particulier du graffiti.
L’expression linguistique donne à sa stratégie un caractère plus satirique, humoristique,
critique, ironique ou encore anti-Académique. Lorsque Duchamp a ajouté une moustache, une
barbe et une légende sur une carte de la Mona Lisa, il a transgressé les codes sociaux et les
idées de la féminité et de la beauté, il a créé quelque chose de précis et chiffré à partir de
quelque chose déjà supposé avoir une signification universelle. Il a à la fois dévalué et
manipulé un des plus grands trésors du Louvre, la construction de l’image galvaudée étant un
187
Voir W.J.T. Mitchell, Iconology: Image, Text, Ideology, op.cit.
L’usage de la Parole (1928) : Ceci n’est pas une pipe (1928 ; 1966) : La trahison des images (1928-1929 ;
188
1948 ; 1952 ; 1953) : L’Air et la Chanson (1964) : Les deux Mystères (1966).
98
défi à la notion de valeur, et il a utilisé un jeu de mot qui exigeait d’être déchiffré : LHOOQ
(fig. 31), lu phonétiquement « Elle a chaud au cul », suggère la raison du sourire de la
Joconde, sexuellement excitée. Malgré le fait que Marcel Duchamp ait réfléchi sur le
mécanisme constant du goût, de l’instauration d’un goût, il s’en est pris à un élément
fondamental de l’art, et notamment de la peinture, en instruisant le procès de la
personnalité189 ; l’art moderne, a souvent poursuivi la seule nouveauté, ne recherchant qu’à
être médiatisé en adoptant des formes vulgaires. Par cette forme de réaction, la dissonance se
rapproche de son contraire, la réconciliation, et, sans conscience rebelle, préfère adopter le
parti de la « conscience réifiée ». Adorno critique ces points :
« Parmi les dangers de l’art nouveau, le pire est celui de la sécurité. Plus l’art se
sépare des idées reçues et plus il est renvoyé fondamentalement à ce qui réussit
sans emprunter en quelque sorte à ce qui lui a échappé ou lui est devenu étranger,
plus il est rejeté au point de la pure subjectivité, celle qui lui fut toujours spécifique
et par là même abstraite. Cette tendance fut violemment anticipée par le
mouvement qui va de la branche extrême des expressionnistes jusqu’à Dada »190.
Quand l’art tend vers la nouveauté sans une représentation de la société ou une idée rebelle,
le radicalisme de la forme artistique apparaît souvent dans les divers mouvements d’art
contemporain et réside dans son « caractère inoffensif » qu’Adorno a déjà mentionné. Nous
rapprochons ces actes, même si nous croyons que les artistes sont immergés dans leurs
techniques de l’informel comme les tachistes avec Dubuffet, au poème sonore de Dada ou à
l’écrit automatique des surréalistes malgré leur caractère politique, car ils n’utilisent que le
geste, et non pas la fonction. Adorno insiste également :
189
Louis Aragon, Ecrits sur l’art modern, op. cit., p. 70.
190
T.W. Adorno, Théorie esthétique, op.cit., p. 47
99
[…] Il faut rester fidele au noble dans l’art dans la même mesure où celui-là est
obligé de réfléchir sa culpabilité, sa complicité avec le privilège. Son refuge n’est
encore que rigueur et force de résistance de la formation. Le noble devient mauvais
et lui-même vulgaire lorsqu’il se pose comme tel car, jusqu’à aujourd’hui, rien
n’est noble »191.
Il ne recommande pas de poursuivre ou de mettre fin à l’art de l’élite, mais fait remarquer
le rôle social de l’art. L’avant-garde européenne s’est généralement accomplie par la diversité
de ses expériences, et l’art moderne a souvent représenté une critique de la société pendant la
guerre ou des événements historiques. Mais certains ont poursuivi leur technique expérimentale
extrême, leurs œuvres tombant donc dans le simple jeu ou le véritable non-sens. Leur objectif
devint de plus en plus intellectuel, leur pensée coupée du réel, s’excluant d’emblée de la
masse. Dans d’autres domaines que la culture populaire telle que les graffitis, que trouvons-
nous ? En souscrivant à la perspective d’Adorno sur l’art, comment pouvons-nous découvrir
l’essence de l’art dans le graffiti ? Dans cette partie, nous avons approfondi la question de la
forme artistique et de l’esprit rebelle du graffiti. Dans notre deuxième partie, nous allons
continuellement étendre ces perspectives au domaine de la culture populaire et montrer que le
graffiti exprime l’art et la résistance comme l’a fait l’Avant-garde. En critiquant sa place dans
le système commercial de l’art et dans l’industrie culturelle qui ont inquiété Adorno, à quel
moment, et de quelle manière, le graffiti devient-il, dans la rue, lui-même art ? Le geste
instinctif ne fut plus seulement authentique, mais accompagné d’une conscience intellectuelle.
Le mur donne donc la parole et pose des questions d’époque. Les graffitis touchent non
seulement à la poésie, mais aussi à toutes les querelles de l’art et de la création, aux
préoccupations de l’art contemporain, de notre temps.
Nous avons vu le graffiti comme la récurrence d’une forme originale de la langue, dont il
est lié à la fois au désir infantile à griffonner et à la révélation de l’inconscient dans les
dessins sans contrôle académique. Mais nous avons également remarqué que les graffitis
avaient bénéficié de la valeur artistique de la culture populaire attribuée par la littérature
française, et qu’ils reprennent les sources littéraires de l’ironie ou de la satire comme la
caricature.
Par ailleurs, en ce qui concerne tout autant les termes visuels qu’intellectuels, l’histoire des
débuts de l’intérêt pour les graffitis est celle qui, comme nous pouvions l’imaginer, approchait
191
Ibid., p. 318.
100
de sa conclusion logique, à l’époque de la Première Guerre mondiale, dans l’émergence de ces
marques et dessins sur les murs publics comme source d’inspiration pour les artistes modernes.
Nous pouvons noter que tous les éléments étaient disponibles pour que cette forme renégate
prenne sa place parmi d’autres types d’art mineur ou de non-art – folklore, dessins d’enfants,
art tribal et autres – dont les styles allaient être adoptés par l’avant-garde comme antidotes
antinaturalistes aux normes établies, et comme des affronts aux notions communes de
technique savante192.
Peter Bürger établit dans Theory of the Avant-garde, une relation entre d’une part l’avant-
garde historique authentique, qui a remis en cause le statut institutionnel de l’art, et d’autre
par l’esthétisme et l’affirmation de l’autonomie caractéristiques du modernisme193. Mais nous
ne nous intéressons pas seulement au mouvement de l’avant-garde, mais à son témoignage
vis-à-vis de la politique de l’époque, ainsi qu’à ses intentions formelles, et aux stratégies de
l’artiste productrices d’œuvres d’art. Ce qui nous intéresse est que cet esprit du début de
l’avant-garde française du 19e siècle présente un caractère rebelle, un élément satirique, une
perspective critique, et de ce fait, est liée de manière inextricable aux activités des artistes
contemporains. L’intérêt des artistes modernes pour les graffitis devient un excellent modèle,
et l’acte du graffiti, lui-même, devient art.
Nous avons pu démontrer, que certains artistes ont rempli un simple rôle de décoration ou
d’art public pour des zones pauvres ou sous-développées, alors que d’autres artistes ont fait
tomber, par leur pratique, la distance entre la forme et le message, entre les frontières de l’art
et de la culture populaire, essayant sans cesse de détruire toutes frontières préexistantes. Nous
avons découvert que les écrivains français décrivaient leur société de manière « réaliste », en
même temps que « critique ». Ces deux relations ont clairement relevé le niveau des activités
des artistes du 19e siècle qui ont montré une préférence pour les formes défigurées comme la
caricature, et ont souvent présenté ou ont plus souvent utilisé dans leur tableaux, les images
populaires afin de critiquer leur société. Ce n’est que justice que les artistes aient montré de
l’intérêt pour les murs afin de mêler le paysage, le témoignage d’une époque, la pensée de
l’artiste, aux paroles du public, etc194.
Souvent d’une part, l’art peut-il donc devenir un mode d’expression abstrait, au contraire de
l’expression politique extrême concernant un évènement historique ou politique, et d’autre
192
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 77.
193
Voir Peter Bürger, Theory of the Avant-Garde, op. cit.
194
Voir Louis Aragon, Le paysan de Paris (1926), Paris : Folio, 1953.
101
part, comme le pop art ou le néo-expressionnisme, l’art peut également représenter un mode
d’expression figuratif à l’inverse de la manière abstraite par ses expressions esthétiques
intellectuelles. Il peut ainsi devenir un mode artistique qui correspond aux exigences et aux
goûts de la bourgeoisie dans la société capitalise. Mais certains artistes opposent « l’art pour
l’art » à « l’art social »195 et dans ce contexte où l’œuvre d’art serait essentiellement un objet
plastique et où ni l’anarchisme ni le socialisme ne seraient à même de susciter une
iconographie stimulante, ils créent le sens et la valeur des œuvres et posent la question de la
valeur sociale de l’art. Sur cette base, l’étude des graffitis, dans le cadre du mouvement du
street art d’aujourd’hui, pose des questions sur les querelles esthétiques de l’histoire de l’art.
Les travaux d’Ernest Pignon-Ernest représentent le parfait exemple. Il place ses œuvres
dans des lieux politiques ou des sites historiques, en travaillant ses images de manière
poétique. Ses images ne sont accompagnées d’aucun texte. Cependant, ses images expriment
de nouveaux éléments linguistiques dans l’espace et dans la mémoire historique pour
exprimer ses idées. Avec une pensée critique sur son époque, ses images poétiques inspirent
un large éventail de street artistes suivants que son activité conduit à la naissance de méthodes
formelles diverses, de libre pensée, ou d’acte rebelle dans la rue. En outre, les slogans de Mai
68 s’ancrent solidement dans l’esprit français à savoir que la pensée libre, l’expression
littéraire, et la satire poétique et humoristique sont des procédés de l’art de rue, et donnent un
rôle important à l’image éphémère. Les graffitis critiques, avec leurs formules courtes, et la
poésie de leurs images ont envahi la rue au 21ème siècle.
Le rôle social de l’image n’est pas indifférent aux problèmes politico-historico-sociaux, en
somme, idéologiques posés dans l’histoire de la peinture. Cela nous conduit à constater que le
sens de l’art après 1960 sera saisi dans ses rapports avec le pouvoir social. Restant fidèles à la
195
Louis Aragon avait abordé la question esthétique de la peinture par le biais de la position éthique de l’artiste
dès la période surréaliste. Une telle attitude développée de manière systématique dans les écrits esthétiques de
Georges Lukas, dont l’influence sur l’élaboration de la théorie du réalisme ne doit pas être sous-estimée, devait
logiquement conduire Aragon à une attitude de plus en plus normative. Et Aragon a posé le premier jalon de sa
définition du réalisme : « Réalisme socialiste et réalisme français ».
Avec cette étude d’Aragon, Linda Nochlin analyse les artistes français de la période entre les années 1840-
1880. Dans d’’autre livre, Les politiques de la vision, elle s’est donc formée à l’histoire de l’art du XIXe siècle à
l’époque où elle-même s’ébauchait, où la constitution d’une histoire d’art moderne reposait. Son sujet « Courbet
et le réalisme » qui s’offrait la possibilité d’aborder les questions du contenu, de la forme et, surtout, celle de leur
problématique rapport à l’histoire politique française autour de la révolution de 1848, s’obligeait dans le même
temps à recourir à des méthodologies et des ressources d’archives extrêmement diversifiées. Pour son étude, la
principale difficulté qu’elle rencontra consista à établir un lien entre le style réaliste de Courbet et ses options
politiques. Louis Aragon, Écrits sur l’art modern, op. cit., pp. 101-110 : Linda Nochlin, Realism, op. cit. : Linda
Nochlin, Les politiques de la vision: art, société et politique au XIXe siècle, op.cit.
102
nouvelle approche théorique dans le but d’expliquer la représentation de l’image visuelle,
nous nous efforcerons donc d’élargir cette approche pour répondre aux questions suivantes :
quelle image la peinture contemporaine montre-t-elle aux spectateurs? De quoi parle-t-elle?
etc...
Lutte d’idéologies qui reflète les valeurs sociales d’une époque donnée, l’image visuelle
n’est pas simplement un espace de forme, mais également un espace de sens où se reflètent les
discours linguistiques malgré l’absence de mots dans la peinture. Il est vrai que le sens de
l’image varie selon le contexte socio-culturel. Nous allons nous pencher, dans le cadre de
cette étude, sur l’art contemporain qui permet à la peinture contemporaine de faire naître du
sens et aussi aux discours, esthétique, idéologique, et politique, qui se trouvent au centre des
espaces représentés. Le sens de cette image ne découle pas uniquement de l’œuvre elle-même.
L’interprétation de cette image dépendra du contexte socio-culturel. C’est pour cette raison
que nous allons faire attention à la fonction sociale de la peinture dans l’art contemporain.
C’est à travers les œuvres de l’art contemporain que nous allons tenter de savoir comment la
présence de l’œuvre d’art se manifeste dans notre société. Ainsi donc, nous allons mettre
l’accent sur le fait que l’art moderne n’est pas libre des discours socio-culturel et politique de
la société.
Il est notoire que bien que la peinture contemporaine s’attache à l’exigence formelle pour
souligner ses caractères rénovateurs et originaux, elle se combine sans arrêt avec la pratique
socio-politique. Autrement dit, l’évolution continue de la situation technique de la peinture
contemporaine s’accompagne de celle du rôle socio-culturel des artistes. En soulignant ce
caractère des œuvres picturales, nous allons finalement répondre à la question suivante :
comment l’image visuelle pourra-t-elle être réinterprétée et reproduite dans le contexte social?
C’est à partir du résultat obtenu de l’enquête sur la représentation que nous allons proposer la
nouvelle direction de l’art contemporain. Cette nouvelle direction pourrait être indiquée par
l’examen du problème du sens de l’image (qu’est-ce qui est en effet représenté?), celui de sa
fonction sociale (qu’est-ce qu’on représente?) et finalement celui de son usage social
(comment peut-on contrôler l’image?). En somme, nous espérons ouvrir notre société, au
terme de cette étude, à une acception inextricablement liée au point de vue critique et aux
intérêts humains.
Le graffiti est, spécialement aux É tats-Unis, un phénomène socioculturel des années 1970,
mais l’ouverture politique du pays à ce mode d’expression des idéologies n’a eu lieu qu’au
début des années 80. Il se pratique dans l’espace public et recourt à un moyen d’expression
103
libre. D’ailleurs, les graffitis ont en eux-mêmes une longue tradition politique. La position de
Theodor W. Adorno sur la musique semble donc souvent dans la ligne de pensée de Clement
Greenberg, s’en distingue pourtant en ce qui concerne les beaux-arts. Des contributions à la
théorie de la modernité et de la culture de masse qui ont fusionné en 1930, Adorno seul a su
préserver sa gamme originale de références et d’intentions.
« Aujourd’hui, tous les phénomènes de la culture, même s’il s’agit d’un modèle
d’intégrité, est susceptible d’être étouffé dans la culture du kitsch, pourtant,
paradoxalement, à la même époque, c’est aux œuvres d’art qu’a échu la charge
d’affirmer sans un mot ce qui est interdit aux politiques... Ce n’est pas une période
pour l’art politique, mais la politique a migré dans l’art autonome, et c’est encore
plus vrai là où cela semble être politiquement mort »196.
Sur ce point de vue, Thomas Crow décrit « l’avant-garde comme une sous-culture résistante ».
L’une des conséquences étant d’apporter une substance historique et sociologique à la position
d’Adorno comme ce qui a trait aux arts visuels. Que doit-il être fait de la relation continue
entre l’art moderne et les matériaux de la culture populaire ou de masse? L’avant-garde
artistique s’est redécouverte, renouvelée, ou réinventée par l’identification avec des formes
« non artistiques » marginales de l’expressivité telles que les formes improvisées par d’autres
groupes sociaux sur les matériaux dégradés de la manufacture capitaliste. À cette fin, nous
avons discuté des stratégies qui apparaissent dans la littérature française, le graffiti et l’art de
la caricature et de leur rencontre avec l’établissement.
L’art contemporain se définit par les conditions d’appartenance à la contemporanéité qui est
liée à l’utilisation des nouvelles technologies, autant qu’au mélange des genres, des matériaux,
qu’à l’exploration de nouvelles formes, l’expérimentation de nouveaux champs artistiques, etc.
Toutefois, est dit « contemporain » un type d’art qu’on ne peut assimiler totalement à aucun
des mouvements et courants antérieurs à la modernité, ou aux avant-gardes de la fin des
années 60 – l’art conceptuel, le pop art, le land art, ou le body art, etc. Ces œuvres héritent en
effet des époques antérieures. Elles perpétuent et intègrent des sujets, des formes et des styles
196
“ Today, every phenomenon of culture, even if a model of integrity, is liable to be suffocated in the cultivation
of kitsch, Yet paradoxically in the same epoch it is to works of art that has fallen the burden of wordlessly
asserting what is barred to politics… This is not a time for political art, but politics has migrated into
autonomous art, and nowhere more so than where it seems to be politically dead.” T.W. Adrono, « On
Commitment » (1962), dans A. Arato et E. Gebhardt (ed.), The Essential Frankfur School Reader, Oxford :
Blackwell, 1978, p.318, cité par Thomas Crow, Modern Art in the Common Culture, op,cit., p. 28
104
déjà exploités part l’art moderne. D’ailleurs, le développement des nouvelles technologies
montrent que nombreux sont les travaux de ces dix dernières années qui présentent un
caractère hybride, à la fois œuvres d’art, recherches technologiques et expérimentations
scientifiques.
Cette stratégie a provoqué un certain nombre d’hybridations formelles, mais les relations
entre l’art élite et la culture populaire ont également eu des effets négatifs. Cependant, la
critique savante de cette relation s’est réalisée dans l’art académique, comme avec l’avant-
garde, qui a toujours été l’objet de controverses. C’est de cette résistance qu’est née la
nécessité de l’intériorité, de l’autoréflexivité, de la modernité, de la vérité face aux médias.
Certaines pratiques actuelles utilisent des techniques classiques et prolongent l’idée de
l’œuvre d’art au sens traditionnel, sur un support sensible et perceptible. Dans ce sens, l’art
actuel pourra se constituer en image politique par des techniques banales qui visent au
réalisme. À la différence du pop art américain, l’art français, et particulièrement le nouveau
réalisme, ou les peintures des artistes de la Figuration Narrative, parle de politique.
Mais nous n’allons pas nous focaliser sur les mouvements artistiques ou les « isme »
propres à l’art, nous aborderons des artistes particuliers. Ceux-ci sont liés à l’ensemble socio-
culturel d’une époque, et la compréhension d’une œuvre d’art devient réellement plus efficace
si l’on se réfère à eux. Le contexte intellectuel et politique de l’époque influe sur la démarche
des artistes comme Asger Jorn, Jacques de la Villeglé, Mimmo Rotella, ainsi que sur les street
artistes. De nombreuses œuvres plastiques produites à cette époque naissent d’une réflexion
théorique et pratique intense. Les œuvres d’art, en France, font reconnaître la validité d’une
peinture militante, et leurs œuvres représentent les problèmes sociaux et politiques. Ils sont
fédérés par un esprit de rébellion et de contestation, affichant un militantisme politique et
social, en phase avec le climat idéologique européen. Nous allons, en parallèle, montrer à
quelle point la volonté de s’inscrire dans l’histoire sociale et politique est encore patente, en
France, du début des années 60 jusqu’à aujourd’hui.
Dans le chapitre suivant, nous étudierons les travaux d’Asger Jorn qui présente une
conception critique de son époque, son point de vue sur la culture populaire, réalise des
graffitis dans des carnets anonymes, des modifications d’images, en insistant sur la fonction
de l’art et sur le rôle de l’artiste. Nous verrons par la suite que les grands formats utilisés dans
leurs activités par les Affichistes (surtout en ce qui concerne Mimmo Rotella et Jacques de la
villeglé), dans le nouveau réalisme, les expressions artistiques de la Révolution de 68, et les
artistes dans l’art urbain, tout comme d’autres caractéristiques techniques, ont eu une
105
influence significative sur les artistes qui exploitent le graffiti en France. À travers les
activités des artistes de rue et des affiches et slogans révolutionnaires, intelligents et
populaires de Mai 68, nous allons découvrir des esprits libres, le comportement de la
résistance, la pratique de l’acte vandale, la fonction des graffitis sur notre époque. Les
peintures elles-mêmes semblent renvoyer par leur format à celui des murs dans l’espace
urbain. Elles expriment de façon inhabituelle les affaires du monde, la société,
l’environnement urbain dans lesquels nous vivons. Et ce faisant, nous espérons avoir
l’occasion de réinterpréter les œuvres picturales contemporaines qui ne cessent d’être
éclairées par cette nouvelle pratique artistique dans l’espace urbain.
106
Deuxième Partie
107
Dans Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics, Hal Foster a exprimé la notion suivante :
« Certains artistes ont tout simplement adopté la culture de masse (comme si cela
constituait une rupture définitive avec les frontières culturelles) et / ou des formes
modernistes manipulées comme s’il s’agissait de clichés médiatiques. Ci-dessous,
je discute de cinq formes d’art contemporain […] Il s’agit de: 1) un art, surtout
américain, qui ironise sur les genres des artistes modernes mais les embrasse
néanmoins ; 2) un art, surtout italien, qui, dans son fétichisme des styles et des
modes passés nie l’historicité de l’art et ses implications dans la société ; 3) un art,
surtout allemand, qui renoue avec un style moderne (l’expressionnisme) et un type
moderne (l’artiste dans le sens primitif du terme) d’une façon moins qu’ironique ;
4) une forme qui existait jusqu’à tout récemment, aussi bien en dehors de l’art
moderne et contre les médias: le graffiti ; et 5) un art qui prétend utiliser les deux :
les types modernes et les formes de médias contre eux-mêmes »197.
Selon lui, certains artistes ont utilisé la culture de masse et les formes modernistes en les
manipulant. En outre, la reconnaissance de longue date du système à double niveau entre arts
occidental et art des pays du Tiers Monde (autrefois appelé primitif), modernisme et art
populaire, art noble et culture de masse, s’est effondré à partir de ses frontières. Les pratiques
de l’art contemporain mélangent des formes diverses, combinent des genres et rencontrent des
médias de masse. Toutefois, ces anciennes divisions ont été traitées de manières très
différentes. Dans le modernisme, nous avons assisté à un mouvement du bas vers le haut et
des marges vers le centre, ce flux a été qualifié d’innovation ou d’appropriation, le flux
inverse est qualifié de « vulgarisation » et méprise la culture kitsch. En fait, comme nous
l’avons déjà remarqué dans la partie précédente, la découverte d’une « nouveauté » dans l’art
se considère par rapport aux éléments du siècle précédent, c’est à dire en comparaison avec le
197
“Some artists have simply embraced the mass-cultural (as if this constituted a definitive breakdown of
cultural boundaries) and/or manipulated modernist forms as if they were media clichés. […]. They are: 1) an art,
mostly American, that is ironic about the types of the modern artists but embraces them nonetheless; 2) an art,
mostly Italian, that in its fetishism of past styles and modes denies the historicity of art and its imbrications in
society; 3) an art, mostly German, that revives a modern style (expressionism) and a modern type (the artist as
primitive) in a less than ironic way; 4) a form that until recently existed both outside modern art and against the
media: graffiti; and 5) an art that claims to use both modern types and media forms against themselves.” Hal
Foster, Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics, New York : The New Press, 1999, p. 33.
108
régime esthétique traditionnel 198 . Le postmodernisme s’est développé par la combinaison
d’une nouvelle voie et de nombreux éléments hérités du modernisme.
Bien qu’Hal Foster ait caractérisé la notion d’art contemporain en étudiant surtout les
années 1980, nous débuterons notre étude en intégrant les années 1960. A partir de ce moment,
les artistes modernes s’intéressent à la culture de masse et l’utilisent de manière stratégique.
Cela a pour effet de détruire les frontières des genres artistiques. L’art contemporain se définit
aussi par l’utilisation des nouvelles technologies, par le mélange des matériaux et par
l’expérimentation de nouveaux territoires de pratiques artistiques.
En 1936 Alfred Barr a organisé l’exposition Cubisme et art abstrait, au Musée d’art
Moderne de New York. Meyer Schapiro en a fait la critique en indiquant que cette exposition
était non historique et non exhaustive, conçue dans une perspective purement formaliste199. Or
cette exposition a été décisive dans la formation de l’art européen du 20e siècle et elle est
directement liée au développement de l’art moderne d’après-guerre. Cette vive controverse a
traversé tout le siècle200. Barr, a créé un schéma d’évolution des mouvements de l’art abstrait
avant et après le Cubisme, une généalogie téléologique. Il a également décontextualisé et sorti
l’art des préoccupations politiques sociales. A ce sujet, Yve-Alain Bois a avancé l’idée que
l’art contemporain américain est d’abord une forme d’imitation des avant-gardes européennes
qui accorde une importance très relative aux significations attachées aux œuvres d’art201.
En Europe, l’esprit avant-gardiste et la critique sociale étaient souvent liées, et ce
phénomène artistique a été mené activement et continuellement, à la différence des É tats-
Unis202. Au sein des différentes approches, deux courants auparavant séparés appréhendent les
198
La longue histoire de la relation entre l’art et la culture populaire, est déjà présente chez Champfleury dans
son anthologie des gravures Histoire de l'imagerie populaire (1869). Il a déjà écrit un article sur la gravure
populaire le Juif errant en 1854, ce qui a sans doute amené Courbet à s’en inspirer pour son tableau Bonjour,
Monsieur Courbet (1856). Il est extrêmement important d’identifier des éléments dans leur caractéristique, que
ce soit la relation entre le modernisme et le post-modernisme avec une approche « historique ». Le procédé
citationnel de leur démarche évoque une des caractéristiques du postmodernisme. Voir Peter Wollen, Raiding the
Icebox: Reflections on Twentieth-Century Culture, Bloomington : Indiana University press, 1993, pp. 278-279.
199
Meyer Schapiro, La nature de l’art abstrait, trad.Geoges Minet, Paris : Allia, 2013.
200
Thomas crow a également dit : « Le modernisme a deux portées ambivalentes : le fonctionnalisme / l’avant-
garde. En même temps, le modernisme est situé sur une base instable et renverse l’esthétique devenue
rationaliste et fonctionnaliste. » Thomas Crow, « Moderniam and Mass Culture in the Visual Arts », Benjamin
H.D. Buchloh (ed.), Modernism and Modernity, The Vancouver conference papers, Halifax : The Press of the
Nova Scotia college of Art and Design, 2004, pp. 215-264.
201
Ernestine M Fantl, Alfred Hamilton Barr, Dorothy C Miller, Cubism and abstract art : Paintings, sculpture,
construction, Museum of modern art, New York, 1936.
202
Voir Thomas Crow, The Rise of the Sixties, Laurence King publishing Ltd. : London, 1996. Dans ce livre, il
étudie l’art américain dans les courants politique et culturel sous la direction de la structure esthétique et formelle
109
graffitis : d’une part, dans la perspective de L.H.O.O.Q. (fig.30) de Marcel Duchamp, il s’agit
de valoriser un art iconoclaste, critiquant la culture dominante ; d’autre part, avec l’esthétique
surréaliste, c’est l’art primitif, le geste agressif et la confrontation avec le hasard qui sont
privilégiés. Peu de temps après l’imagerie brûlante de Dubuffet à la fin des années 1940, ces
deux aspects ont émergé dans une Europe en pleine reconstruction. Les artistes d’avant-garde
du modernisme ont contesté les canons officiels et le système de valeur de l’art occidental
moderne. Ils se limitent toutefois à des formes et des styles associés à la culture urbaine dans
les pays industrialisés. Les artistes de l’après-guerre comme Jean Dubuffet et Cy Twombly
expérimentent dans leur pratique des qualités formelles inhérentes aux arts primitifs et
populaires.
Plutôt que de les présenter de façon isolée, nous allons les considérer comme une attitude
parmi d’autres en Europe. Elle correspond à l’esprit de rébellion et la liberté d’expression
d’une époque. Nous allons démontrer que les graffitis français et les artistes dans la rue se
lient intimement avec la route du modernisme avant-gardiste et ses idées critiques. Comme les
écrivains divers que John Berger a reconnus, l’art moderne a commencé comme « un geste
politique » dirigé contre la définition du grand art qui a gouverné le monde de l'art203. Les
artistes modernes ont exploité le populaire et le primitif, non seulement en utilisant de
nouvelles formes, mais aussi en employant des moyens simples et brutaux qui pouvaient
exprimer une résistance face à la culture des Beaux-Arts.
Toutefois, est dit « contemporain » un type d’art qu’on ne peut assimiler totalement à aucun
des mouvements et courants antérieurs à la modernité, ou aux avant-gardes de la fin des
années 60. L’explosion artistique depuis cette époque est très complexe et diverse. Mais nous
insisterons sur les différences entre les É tats-Unis et la France. Nous montrerons qu’il y a une
différence de statut de l’art entre ces deux pays, et notamment au plan commercial. Sortir des
galeries, renforcer le contact avec le public, dénoncer le marché de l’art, tels sont, à la même
époque, les intentions du mouvement artistique comme les affichistes dans le Nouveau
Réalisme, le BMPT, la Figuration narrative, et les Supports/Surfaces, en même temps que le
Street Art en France.
comme le Pop, le minimalisme, l’art conceptuel. Mais son étude est une interprétation déraisonnable. Parce
qu’en réalité, la stratégie de l’art américain, à cette époque-là, avait un objectif purement commercial, et ses
conséquences n’ont été souvent réalisées qu’en Europe. Cependant l’art contemporain européen – surtout en ce
qui concerne les artistes français – prône une attitude critique.
203
Voir John Berger, « The primitive and the Professional », About Looking, New York : Pantheon Books, 1980 :
Robert Golwater, Primitivism in Modern Art, New York : Vintage Books, 1967.
110
Dans la même période, depuis la fin des années 1960, l’art intellectuel tout comme l’art
conceptuel, l’art Optique, et la performance, s’éloignent du public. Comment l’expliquer ? Il
est cependant nécessaire de déterminer la convergence de phénomènes opposés. D’un côté,
l’aspiration de certains artistes à faire sortir l’art des galeries. De l’autre, l’émergence d’un
nouveau paradigme dont l’influence sur les arts plastiques est décisive : la société de
consommation. Et enfin, la « New Art history » vient concrétiser dans le champ de la théorie
critique l’apparition d’une nouvelle histoire de l’art.
Comme Hal Foster l’avait fait remarquer, les graffitis sont alors une nouvelle forme d’art
apparu tout récemment et qui s’est développé sans faire l’objet de nombreuses études. Nous
allons entreprendre une discussion esthétique sur l’émergence d’une culture populaire et l’essor
des mouvements de contestation, ainsi que sur leurs effets dans la pratique de l’art à partir des
années 1960. Toutefois, nous écarterons les deux axes de conflit entre les Beaux Arts et les
arts populaires, et entre l’avant-garde et l’industrie culturelle, mais tâcherons d’identifier une
relation unitaire entre eux au sein d’une culture fortement maquée en Occident par une
économie capitaliste. La période d’après-guerre voit les artistes internationaux s’appuyer
fortement sur la culture populaire, le marché de l’art et le système des arts. Ceux-ci ont su
utiliser la culture de la consommation en la rendant positive et critique, et ont par la même
occasion conduit un certain nombre de débats esthétiques. A cette époque, sont publiés dans
des littératures diverses des articles au sujet de la relation entre l’Art de l’élite et l’art
populaire, ainsi qu’entre l’art et les medias de masse204.
Le champ de nos recherches sur le mouvement artistique des graffitis contemporains
délimité par ces deux principaux critères.
Dans cette étude, notre approche est davantage analytique que chronologique. Dans les
premier et deuxième chapitres, nous allons analyser quelques œuvres d’Asger Jorn pour voir
comment il aborde la critique dans le contexte sociopolitique des années 1950-1960. A travers
204
En 1939, Clement Greenberg, critique d’art américain, a publié un essai sur la relation entre l’avant-garde et
le kitsch. A Londres, dans les années 1950, Lawrence Alloway et John MacHalwei ont travaillé au sujet de la
relation entre la culture populaire et les médias, et «la méthode de la vision» dont John Berger a été le précurseur
en 1972. Et de 1980 à 1992, ils ont organisé des expositions sur le thème de l’art et les médias, et se sont
intéressés au sujet critique de l’exposition en galeries privées et musées d’art. Clement Greenberg, Art and
culture : critical essays, Beacon Press, 1971 ; L.Alloway, « The art and Mass media », Architectural Design
February 1958 ; J. Mchale, « The Fine Arts and Mass Media », Cambridge Opinion (17), 1959 ; John Berger,
Ways of Seeing, London : Penguin Classics, 2008 ; Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art &
popular culture, op.cit. ; Thomas Crow, « Modernism and Mass Culture in the Visual Art », op. cit., pp. 215-264.
111
ces phénomènes artistiques et critiques, nous allons également mettre en évidence la relation
qui s’instaure entre l’art et la vie dans les arts, l’idée que l’art reflète la société, et qu’il ne
peut pas être séparé des éléments idéologiques qu’il voulait exprimer. La perspective de Jorn
sur l’œuvre d’art ou l’art populaire, va donner une place artistique et un rôle critique au
graffiti. Dans ce chapitre, nous chercherons à savoir s’il existe dans le modernisme une
situation de tensions contradictoires. Le champ de la culture populaire, et la façon dont elle est
envisagée constitueront une partie importante de notre étude.
Dans le deuxième chapitre, nous allons étudier la manière dont les affichistes identifient et
considèrent la société de consommation. La relation entre Asger Jorn et les affichistes sera
définie : ils se situent dans une relation de pop art dont nous analyserons l’approche critique.
Alors, nous allons étudier le rôle de l’art dans la société de consommation, depuis les années
1950, et la relation des arts en relation avec la société en distinguant l'art d'avant-garde
politique, sa perspective critique sur la société dont il ne peut être séparé. Ils travaillent avec
les affiches anonymes et les graffitis dans la rue, mais leur approche est déterminée par
l’héritage littéraire, théorique et artistique du 19ème siècle. Les artistes modernes ont exploité
la rue, tout comme les artistes contemporains, mais ces derniers y ont ajouté une dimension de
critique sociale comme nous l’avons vu dans la première partie. Ce mouvement des affichistes,
typiquement européen, a transfiguré la rue en un produit de masse éphémère.
205
En contrepoint de ces graffitis dans la rue parisienne, les graffitis aux É tats-Unis depuis le mouvement du
modern graffiti art, développent des styles différents. Sur ce phénomène, notre étude va analyser leurs
caractéristiques citées dans le premier chapitre de la Troisième Partie.
112
Dans la partie précédente, nous avons démontré que les graffitis ont eu, de longue date, une
fonction sociale. Nous avons également prouvé que les modernistes, comme Dubuffet, ont
utilisé la culture populaire sous le nom d’« innovation » et d’« avant-garde » afin de créer des
formes innovantes, même si cela relève d’une forme d’échec du modernisme.
Comme Adorno l’a écrit, la combinaison de l’art élitiste et de l’art populaire a sacrifié les
objectifs individuels, et plus particulièrement dans l’art contemporain. L’art est destiné à la
commercialisation, à la consommation, l’objet critique de l’art est d’accéder à la société et de
la montrer dans sa variété, et il a échoué dans cette fonction. Alors pouvons-nous déclarer « la
fin » de l’art ?206 Pouvons-nous dire que l’emprunt à l’art populaire est négatif? Il faut noter,
cependant, que cette étude présente le « pouvoir de résistance » de la culture populaire tel que
l’entend Adorno. La culture populaire fait partie intégrante de l’art, car les matériaux divers et
originaux utilisés pour dénoncer et/ou résoudre des problèmes sociaux sont portés au niveau
de l’art.
Adorno trace les limites entre le grand art et la culture populaire, créant encore un lieu
d’opportunité créatrice pour les artistes dans une lutte culturelle, esthétique et artistique telle
que Thomas Crow l’a proposé. De ce point de vue, notre étude va tenter d’analyser cette
frontière d’après la réinterprétation d’Adorno et d’après celle d’Asger Jorn qui présente cette
problématique comme étant extrêmement importante puisqu’elle concerne le kitsch, les mots,
les affiches, les bandes dessinées, les graffitis, le collage, etc. La variété de ses peintures
reflète sa tentative d’expression artistique à travers différentes méthodes. Ses stratégies
206
Nous pouvons penser qu’Andy Warhol est le plus important et soulève une vive controverse dans le
mouvement du pop Art parce qu’il a les caractéristiques doubles de sa vie et de ses œuvres. Arthur Danto et
Duchamp, ces dernières années, se sont opposés au statut artistique de ses œuvres et au caractère mercantile de
l’art d’Andy Warhol. Mais Thomas Crow fait une réinterprétation des œuvres des cinémas indépendants et de
plusieurs œuvres politiques. Cependant, nous pensons impossible d’interpréter que ses œuvres sont l’avant-garde
en cas de l’impact de petites actions simples dans une culture politique.
113
artistiques hétérogènes ont donné lieu à des interprétations divergentes selon que l’on
considère la production de ses débuts, ou celle plus tardive, de sa période de Cobra, son
association avec l’Internationale Situationniste (IS), ses écrits théoriques ou ses expériences
picturales, son engagement pour l’art de son temps et son intérêt sur la culture populaire.
Avant toute chose, nous nous concentrerons sur la perspective de Jorn qui, tantôt tend vers
la relation entre l’art et la culture populaire telle qu’elle est considérée dans la période du
mouvement Cobra, tantôt, comme le montrent très bien ses œuvres détournées et certains de
ses ouvrages, vers la stratégie artistique des situationnistes. Très jeune, Jorn a présenté sa
réflexion sur la culture populaire et le rôle de l’art, et a combattu le capitalisme avec ses
stratégies critiques dans la société de consommation. De ce fait, il est difficile de distinguer
clairement sa première période entre Helhesten, le mouvement du groupe Cobra et la période
de l’IS.
Durant toute sa carrière, son inclination à l’écriture théorique est proportionnelle à sa
passion de la fondation de mouvements. Pendant la guerre, il a créé la revue Helhesten, puis il
s’est approché du surréalisme. Après sa rupture avec le parti communiste danois en 1948,
associé au poète Joseph Noiret et à ses amis peintres Dotremont, Appel, Constant et Corneille,
membres de l’International des artistes expérimentaux, il publie le premier numéro de la
revue du groupe Cobra. En 1953, il est à l’origine du groupe informel Mouvement
international pour un Bauhaus imaginiste avec Enrico Baj. Puis il rencontre le jeune lettriste
Guy Debord et, en 1957, fonde avec lui l’Internationale situationniste. Il crée le Mouvement
pour un Bauhaus imaginiste en 1961, à la suite de ses désaccords avec Debord et, enfin, entre
1962 et 1966, l’Institut Scandinave de Vandalisme Comparé.
Ces activités paraissent souvent chaotiques et hybrides. Mais nous montrerons qu’il a
cherché à réunir ensemble l’esthétique, la politique et les spéculations anthropologiques afin
de s’exprimer sur le potentiel révolutionnaire de l’art et de sa capacité à changer le monde.
Dans ces mouvements éphémères, il poursuit résolument un travail plastique au sens
traditionnel du terme tout en ayant des préoccupations liées à l’imbrication de l’art et de la
vie207.
207
Les futuristes et les artistes du groupe Dada, s’efforcèrent d’imbriquer la vie et l’art, la vie comme œuvre
d’art, l’art comme moyen de transformer la vie, tout en soulignant l’aspect dérisoire des icones de ce qu’on
n’appelait pas encore la « consommation » moderne. Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger
Jorn, Paris : Diagonales, 2001, pp. 8-10.
114
Les avant-gardes puis l’art moderne, jusqu’à son apogée dans les années 60, ont largement
contribué à cet ébranlement dû, en partie, aux reconfigurations des arts, aux mélanges et aux
hybridations des pratiques et des matériaux. Après la Seconde Guerre mondiale, nous
pouvons faire valoir l’essor économique et technique qui conduit en trois décennies à la
société de consommation et exerce une indéniable influence sur l’art et la culture208. Dès les
années 1950 l’artiste contemporain ne se limite plus à un seul media et ce phénomène préside
à l’apparition rapide de nouveaux courants artistiques. Comment pouvons-nous expliquer les
activités de Jorn dans ce cadre ? Pouvons-nous considérer que ses œuvres répondent à ce
processus ? Leur contenu, en rébellion contre la société, ne peut-il rester que dans les limites
de ses propres moyens d’expression ? Enfin, les thèses d’Adorno sur l’art et le kitsch sont-
elles toujours valables, alors que sa référence majeure état l’art moderne tel qu’il s’est
développé depuis les débuts de la révolution industrielle jusqu’aux années 60 ? Ce sont ces
questions auxquelles, à partir de spéculations philosophiques et esthétiques apparues dans le
contexte de l’art contemporain, nous tenterons de répondre.
En étudiant l’intérêt d’Asger Jorn pour la culture populaire et son regard sur les graffitis,
nous allons, dans un premier temps, étudier ses propos théoriques sur la relation entre l’art et
la culture populaire avant 1957. Après cette date, en relation avec les théories de Guy Debord
et d’Henri Lefebvre, il conçoit stratégies critiques de l’œuvre d’art et de la société de
consommation.
Dans un deuxième temps, nous allons étudier le rôle de l’art chez Jorn en comparant ses
conceptions aux courants d’avant-garde aux É tats-Unis. Nous montrerons les effets
bénéfiques du mélange art et culture populaire et ce, malgré les craintes sont de T.W. Adorno
qui redoutait l’influence de la culture populaire sur l’art moderne. Nous nous pencherons sur
les stratégies artistiques de Jorn comme avec le logogramme pendant sa période d’Helhesten
et avec ses images détournées.
Enfin, en nous fondant sur la compréhension d’Asger Jorn de la culture populaire et du rôle
de l’art dans la société de consommation, nous allons mettre en évidence l’intérêt du kitch
dans la culture populaire, des graffitis dans le vandalisme et de leur influence sur l’Art.
208
Voir Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Paris : Gallimard, 2005, pp. 14-20.
115
1.1. L’intérêt d’Asger Jorn pour la culture populaire
De nombreux livres traitent de l’attitude artistique dans la vie même d’Asger Jorn, son but
à travers l’art, et les perspectives stylistiques et artistiques de ses œuvres. Les études les plus
importantes sont celles de Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne, Asger Jorn
(2001), Peter Shield, Comparative Vandalism, Asger Jorn and the artistic attitude to life
(1998), Françoise Monnin, Asger Jorn (2003), et le catalogue du Centre Pompidou, Asger
Jorn : œuvres sur papier (2009).
Avant que nous expliquions la place d’Asger Jorn dans la période du groupe Cobra, nous
étudierons les grandes théories de l’époque précédente, celle d’Helhesten, tout en gardant en
vue sa perspective sur l’art et la culture populaire209. Helhesten, qui a servi de modèle pour la
revue du mouvement Cobra, a été lancée par Asger Jorn. Il y a formulé les idées sur la
nouvelle forme d’expression artistique qui se fondait sur les traditions picturales danoises du
siècle précédent et s’inspirait également des langages d’autres cultures, des masques primitifs,
de la spontanéité des dessins d’enfants et de l’écriture automatique du surréalisme, dégagée
des interprétations freudiennes. D’ailleurs l’intérêt de Jorn pour l’art ethnographique, au-delà
de la fascination formelle, était déterminé par une compréhension prudente des cultures
primitives et populaires, des graffitis et de sa conception de la relation entre l’art et la vie.
209
L’Helhesten (« Le cheval enfer ») est fondé par Jorn et Robert Dahumann Olsen (1915-1993) de 1941 à 1944.
Jorn fait l’historique de son évolution et de celle de ses amis depuis 1935, parlant plus longuement d’Egill
Jacobsen et de Carl-Henning Pedersen – l’un pour « l’apport explosif d’un système chromatique de son
invention », l’autre pour l’introduction des « éléments d’une symbolique nouvelle ». Il évoque aussi la guerre et
la résistance « de l’art libre à l’obscurantisme nazi » : il s’agit de Helhesten, qui a été l'équivalent danois de La
Main à Plume. Jorn avait l’intérêt des possibilités politiques de l’art par sa relation avec des artistes surréalistes
et des artistes de la peinture abstraite de Linien, 1934-1939. En participant aux activités communistes au
Danemark au début des années 1930, il a montré une forme expressionniste avec les démonstrations de gravure
sur linoleum et les illustrations sur le conflit du travail à la revue socialiste publiée dans Frem. Le Frem insiste
sur la réforme politique et sociale, Linien s'intéresse au formalisme de l’art, et Helhesten présente la culture
scandinave à travers ses traditions folkloriques et ses légendes romantiques. Enfin, l’occupation du Danemark
par l’Allemagne permet aux artistes d’intégrer des caractéristiques de l’avant-garde et de devenir ainsi plus
critiques.
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, Paris : Chêne/Hachette, 1983, p. 20 : Karen Kurczynski,
Beyond Expressionism: Asger Jorn and the European Avant-Garde, 1941-1961, New York : New York
University, 2005, pp. 88-89.
116
Asger Jorn publie « Intime Banaliteter » (Intimes banalités) dans Helhesten, l’un de ses
grands textes, encore assez proche cependant de Jørgensen. Helhesten traite d’archéologie,
d’art populaire, d’éducation artistique, de cinéma et de photographie. Dans cette revue, Jorn
décèle les fondements de l’art dans les « banalités »210.
En premier lieu, Jorn fait l’éloge du kitsch qui est « le meilleur de l’art aujourd’hui ». Et il
apprécie la peinture du dimanche, de la personne qui peint par hobby, de l’anonyme, et le
travail des enfants.
« On voit généralement que celui qui a perdu le contact avec les fondements de
l’art manque aussi d'un sens du banal. Je ne parle pas de la capacité de voir si
quelque chose est banal, car cette capacité particulière est développée dans une
mesure regrettable ; Je parle de la capacité de comprendre la valeur artistique de la
banalité. […] En effet, il est son importance fondamentale pour les arts. Il existe
d’innombrables exemples de banalités anonymes dont la validité et la puissance ont
traversé les siècles et qui dépassent de loin toute performance brillante de nos soi-
disant grandes figures »211.
Il a insisté la valeur artistique de la banalité anonyme. En deuxième lieu, Jorn a déclaré son
amour pour les peintures triviales de tous les jours et tous les chemins du graffiti. Il a illustré
son article avec des affiches de films, les tatouages des marins, des pêcheurs robustes de
210
Dans cette revue, l’illustration, sur les huit pages, est déjà révélatrice du style graphique de Jorn : elle
assemble des lettres ornées, des « peintures idiotes, dessus-de-porte et toiles de saltimbanques », comme celles
qui faisaient les délices de Rimbaud, des modèles de tatouages venus d’une boutique du vieux port de
Copenhague, des photos de films américains dont King-Kong. Et Troels Andersen a relié l’attention de Jorn sur
le kitsch avec les passages bien connus de Jean Nicolas Arthur Rimbaud (1854-1891). Et il a insisté sur le fait
que Jorn ait proposé l’idée de combiner les caractéristiques de l’art danois des années 20-30 avec les styles
abstraits et surréalistes. Pour marquer la publication de la deuxième livraison de Helhesten, une vaste exposition
collective est organisée sous une tente du 17 mai au 8 juin 1941, dans le bois de Bellevue, au nord de
Copenhague. Jorn y participe avec vingt-trois petits formats peints sur bois, car il n’a pas alors les moyens
d’acheter des toiles. C’est une étape déterminante, au cours de laquelle il passe avec versatilité du dessin naïf,
presque enfantin, à la forme abstraite, sans se refuser parfois une figuration plus symbolique (voir Jean-Clarence
Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., pp. 36-41 ; Voir Troel Andersen, Asger Jorn : En Biografi, Vol. 1,
Copenhagen Valby : Borgen, 1994, trad. Peter Shield, Asger Jorn, Silkeborg Kunstmuseum, 1985, pp. 25-31.
211
“One typically sees that he who has lost touch with the fundamentals of art also lacks a sense of the banal. I
am not referring to the ability to see whether something is banal, for that particular ability is developed to a
regrettable extent; I speak of the ability to understand the artistic value of banality. Indeed, it is fundamental
importance for the arts. There are countless examples of anonymous banalities whose validity and power span
centuries and far surpass any brilliant performance by our so-called great figures.” Asger Jorn, « Intime
Banaliteter», Helhesten 1, no.2, 1941, pp. 33-38, traduction par René Lauristen, for « Karriere », Musée de Jorn,
Silkeborg.
117
Skagen et d’angelots joufflus de Raphaël, qui, après leurs reproductions à l’infini sont
maintenant associés avec des albums d’images plus qu’avec la Renaissance italienne. Il a
considéré ces images populaires comme des manifestations universelles, qui sont
fondamentales pour l’humanité et, en tant que telles, au cœur de tout bon art212.
En troisième lieu, avec son intérêt sur le kitsch dans « Intime Banaliteter », Jorn insiste sur
le fait qu’il faut abandonner définitivement la séparation qui existe entre art populaire et art
noble.
« Il n’y a pas de styles, et il n’y en a jamais eu. Le style est une expression de
contenu bourgeois, ses nuances sont appelés un goût. Il n’y a pas de distinction
absolue entre la sculpture et la peinture. Aucun mode d'expression artistique ne
peut être isolé en vertu de sa forme, ils sont simplement des moyens différents
utilisés pour atteindre un but artistique commun. […] »213
Jorn critique alors les formes et les goûts bourgeois artistiques ainsi que le système existant
de critique et de classification de l’art. Il persiste sur le fait que le marché de l’art exploite la
classification des niveaux artistiques pour donner une grande valeur (financière) à l’œuvre et
la répartition du pouvoir pour façonner cette classification. Dans la sorcellerie et les Beaux-
Arts (1948), Jorn a noté :
En finalement, il insiste prioritairement sur une relation entre la forme et le contenu de l’art
dans « Intime Banaliteter ».
212
Helle Brons, Asger Jorn, Louisiana Museum of Modern Art, 2009, p. 96.
213
“There are no styles, and there never were. Style is an expression of bourgeois content; its nuances are called
taste. There is no absolute distinction between sculpture and painting. No mode of artistic expression can be
isolated by virtue of its form, they are simply different means employed for a common artistic goal. […] ”.
Asger Jorn, « Intime Banaliteter», op.cit.
214
Erik Steffensen, op.cit., p. 157.
118
est le phénomène de la vie et le contenu, la peinture vivante. Le contenu de la
peinture reflète le contenu du peintre. Il montre combien il a ressenti lui-même et a
ressenti son époque, le souffle de sa portée et la profondeur de son expérience »215.
Sa pensée libre sur cette frontière entre l’art et la culture populaire se réalise dans le groupe
Cobra. Jean-Clarence Lambert a noté que Jorn est le théoricien le plus représentatif de ce
groupe. Par ailleurs, il a été jugé que le groupe Cobra, à partir de la théorie de Jorn, a présenté
une manifestation spontanée de la vie comme étant un art, l’art expérimental et l’intégration
de l’art populaire.
Son désir aura été, tout au long de sa vie, de partager et promouvoir les idées du groupe
Cobra. Il a passé la majorité de son temps à voyager, en organisant des réunions de discussion
et d’écriture autour de ses théories. Le groupe Cobra naît d’abord en réaction brute et émotive
contre les atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Les peintures et les sculptures des artistes
du mouvement puisent une partie de leur inspiration dans les arts primitifs où se mêlent arts
océaniens et certaines formes de production automatique héritées du surréalisme. En rejetant à
la fois l’abstraction géométrique et le réalisme, Cobra s’intéresse tour à tour à la préhistoire,
au dessin enfantin, aux graffitis et aux paysages 216 . Asger Jorn modifie, expérimente et
revisite ces sources et ces approches de l’art.
215
“One must understand that it is impossible to distinguish between the form and contents of a painting. Just as
the structure of a flower is determined by an inner tension (when it loses its juices, it loses its shape), so it is in
art: the content creates tension, creates shape. Form and content is the same being. Form is the phenomena of life
and content the living painting. The contents of the painting reflects the contents of the painter; it shows how
much he has felt of himself and his times, the breath of his scope and the depth of his experience. ” Asger Jorn,
« Intime Banaliteter», op.cit.
216
À Paris en 1936, travaillant dans l’atelier de Fernand Léger, y rencontrant Pierre Wemaëre, participant à
l’Exposition internationale de 1937, de 1938 à 1953, Asger Jorn s’implique dans divers domaines et confronte
ses œuvres à celles des artistes qu’il admire, notamment Klee, Miró et incontestablement Picasso. Comme
Picasso ou Paul Klee, il fait référence à des aspects de culture populaire. Engagé dans la Resistance au
Danemark, communiste, il émerge ensuite artistiquement au moment du surréalisme révolutionnaire, c’est-à-dire
juste à la sortie de guerre. Alors le travail de Jorn, inspiré de la mythologie scandinave et fantastique, du
surréalisme, de l’écriture automatique, de l’expressionnisme, de l’abstraction lyrique, de l’art brut mais aussi de
dessins d’enfants et de collages, est avant tout expérimental. En tout cas, Jorn ne travaille ni dans le « tachisme »,
ni dans l’« abstraction géométrique », ni dans l’ « art concret », ni dans l’« abstraction lyrique », ni dans
l’ «expressionnisme abstrait», ni dans le «surréalisme ». Jorn procède décidément par juxtapositions. Ses
diverses formes étaient populaires. Françoise Monnin, Asger jorn, Neuchâtel : Ides et Calendes, 2003, pp. 21-38.
119
D’abord, dans son œuvre, des références spécifiques aux styles artistiques des enfants se
mêlent à des sources nordiques préhistoriques. Ainsi parut cette figure entre toutes
symbolique, l’aigle, qui hantera son imaginaire jusqu’en 1951, jusqu’à ce Droit de l’aigle
(fig. 32), qui est l’une de ses compositions les plus directement expressionnistes 217 . Jorn
explique :
Jorn explore l’approche primitive et l’art enfantin, ainsi que sa propre culture219 et la forme
mythique comme base de ses travaux, ajoutant également des éléments humoristiques dans le
titre de la plupart de ses œuvres.
Dans les années 50, le questionnement de Jorn semblait plus grave : en quoi l’art peut-il
constituer un moteur de vie et de transformation de la vie ? En quoi l’art est-il un agent de
l’histoire collective et de l’histoire individuelle ? Comme Vision nocturne (1956) (fig. 33) ou
La double face (1960) (fig. 34), Jorn a utilisé de nombreuses références pour devenir un
artiste comme les artistes de l’avant-garde. Jorn écrit à Constant en 1950 : « Le danger des
artistes est de devenir ou bien des gens des provinces ou bien des cosmopolites déracinés […]
Nous sommes des lieux de passages »220 .
217
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p. 45.
218
Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger Jorn, op.cit., pp. 37-40.
219
Jorn est de plus en plus préoccupé par la symbolique des formes. Il étudie de prés les relevés des motifs
décorant deux cornes d’or trouvées à Gallehus au Danemark, et qui dateraient du Ve siècle de notre ère. Ce que
Jorn cherche, c’est comprendre les raisons et les moyens de la permanence certains emblèmes. Il est persuade
qu’ils peuvent réapparaître dans la peinture spontanée comme forme archétypales.
220
Le dilemme (« gens de provinces » ou « cosmopolites déracinés ») exprime tous nos enjeux actuels. Les
120
Nous pouvons voir, à travers son œuvre et les formes artistiques diverses qu’il a explorées,
sa résistance constante à cette tentation de franchir la limite entre art critique et affiliation
politique, ou politisation de l’art. Il a cherché à atteindre une esthétique qui ne soit ni
« bourgeoise », ni affiliée au réalisme socialiste, ni surréaliste. Jorn veut que l’art représente
des aspects « sociaux » et « réels » de la vie221. Sa pensée s’est définie encore plus clairement
après sa rencontre avec Christian Dotremont. Walter Korun avait eu un entretien à ce sujet
avec lui :
« Exactement, je crois d’ailleurs que c’est la seule bonne façon dans l’art. Le
nouveau apporté par Cobra ne s’était pas encore clairement formulé dans les
articles de la revue et pourtant, c’était la force du travail des peintres. […]
Dotremont nous a stimulés partout et sans cesse dans une « expérimentation »
toujours jeune et vivante. […] Nous avions ajouté inconsciemment à l’unité forme-
expression le climat d’une recherche et d’une expérimentation continuelle et voilà
la nouvelle base dont on pouvait partir »222.
années cinquante étaient déjà « globales », dans la mesure où l’affrontement idéologique entre USA et URSS se
répandait sur la planète entière. Jorn résout le dilemme dans la tension complémentaire, mêlant les deux aspects
et s’affirmant comme « lieu de passage » Lettre à Constant en 1950, Archives Constant, Bibliotheque royale de
La Haye, cité par Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger Jorn, op.cit., p. 108.
Dotremont, constant, et Jorn, apportent une réponse à ce dilemme de différentes manières. Dotremont a
commencé à prôner un art non-politique en présentant sa conception désabusée de la politique. Constant et Jorn,
ne l’ont pas fait. Ils ont trouvé préférable de refuser tout préjugé idéologique et de préserver une relation directe
et véritable avec l’art, la politique résultant d’une complexité toujours changeante de la société. Peter Wollen,
Raiding the Icebox: Reflections on Twentieth-Century Culture, London : Verso, 1993, pp. 191-192.
221
Jorn a été profondément influencée par Christiane Christensen, militante syndicaliste au Danemark avant la
guerre. Dans un article «situationnisme International », nous pouvons savoir que Jorn mentionne Christensen.
222
Walter Korun, « Entretien avec Asger Jorn», Hôtel Canterbury, 29, mars, 1956, Gerard Berreby, Textes et
documents situationnistes 1957-60, Paris : ALLIA, 2004, p. 58.
223
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p. 19.
224
Willemijn Stokvis, COBRA, Paris : Gallimard, 2001, p. 10.
121
social proposant une forme artistique libre. C’est dans la revue Cobra qu’aboutissent enfin les
idées que Jorn caresse depuis longtemps et qu’il a exposées de façon détaillée dans une lettre
à Constant durant l’hiver 1946-1947225.
D’abord dans le premier numéro de la revue du groupe Cobra, l’un des thèmes principaux
sera ce que l’on appelle le « matérialisme » des artistes expérimentaux. Ce numéro est encore
proche de l’esprit de Helhesten. Les textes danois sont néanmoins tous traduits en français.
Le deuxième numéro est conçu comme un catalogue (une liste recense les œuvres
exposées). Il est presque entièrement consacré au « matérialisme » des artistes Cobra en
relation avec les théories marxistes. Pourtant c’est dans la deuxième partie du manifeste de
Dotremont, Le Grand Rendez-vous naturel, publié dans le numéro 6, que le sens de cette
devise sera explicité :
« […] qui donc pourrait se dire marxiste sans voir que la distinction de la fin et des
moyens est le reflet de la distinction métaphysique que la classe supérieure fait
entre l’art et la vie, entre la culture et la politique, finalement entre la matière et
l’esprit ? Et qui donc pourrait se dire marxiste sans reconnaître à la matière une vie
intense, une imagination qui déborde la fonction, sans reconnaître à la main un
esprit créateur, à l’exécution un droit de regard sur le plan, à l’outil et au matériau
un pouvoir sur l’œuvre même ? »226
225
Ibid., p. 211. Dotremont avait déjà développé dans cet esprit des projets qui s’étaient concrétisés dans
l’unique numéro de la revue Le Surréalisme révolutionnaire, mais ce chemin semblait alors être une impasse.
226
En général, le « matérialisme » des expérimentaux, qui au sein du groupe Cobra s’intéressaient aux
fondements théoriques de leur mouvement, découlait des théories que Marx avait élaborées pour décrire le
développement de la société humaine. Plusieurs membres du groupe danois s’étaient essentiellement intéressés
aux théories sociologiques et artistiques pendant la guerre. Pour les artistes du groupe Cobra, Bachelard,
différemment au réalisme surréaliste et à la description imaginaire intérieur pur (les autres surréalistes allaient
vers l'abstrait), était de montrer la troisième voie. Même si Bachelard s’intéressait principalement à la poésie et
aux productions littéraires, on comprend tout le parti que des artistes pouvaient tirer de cette conception qui
renverse les rapports classiques. Jorn l’utilisera pour sa méthodologie des arts. Dans « The first complete revision
of the existing philosophicl system », il écrit les théories qui ont donné l’influence à Jorn. Constant donnera dans
Cobra 4 un complément précis à ces idées dans un texte intitulé : C’est notre désir qui fait la révolution ; mais
déjà, dans le Petit Cobra 1 ronéoté, à Bruxelles au février en 1949, Dotremont annonce que le groupe Cobra ne
sera pas un « isme » de plus, mais un délire d’action.
Peter Shield, Asger Jorn and the artistic attitude to life : Comparative Vandalism, Aldershot : Ashgate, 2008 :
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p. 17 et pp. 35-36 : Asger Jor, Pour la Forme, Paris :
ALLIA, 2001 : Jean-Clarence Lambert, Cobra, New York : Abbeville Press, 1984, p. 26 : Hervé Gauville, L’art
depuis 1945 : groupes et mouvements, Paris : HAZAN, 1999, pp. 61-66 : Revue Cobra 1948-1951, Paris : fac-
similé, 1980 : Willemijn Stokvis, Cobra, Paris : Gallimard, 2001.
122
La création libre spontanée issue de la source d’inspiration, donne l’espoir d’une société
nouvelle dans laquelle s’implique l’artiste. Jorn, Dotremont et Constant, notamment, fondent
des théories sous-tendant leur œuvre. Au sujet de l’intérêt pour le dessin d’enfant dans les
numéros 4 et 5 et de la croyance des expérimentaux en l’art populaire, Asger Jorn explique :
De ce fait, il n’apparaît plus que l’article original était dirigé contre le réalisme socialiste,
dont on débat beaucoup au sein du mouvement Cobra à l’époque. Avec Jorn, le thème
important devient celui l’émergence d’un art populaire qui, en réaction à l’art de la société de
classes capitaliste et en opposition au réalisme socialiste décrété par le monde communiste,
serait produit par le peuple lui-même228.
Le numéro 6 de Cobra, que Dotremont et Alechinsky élaborent à Bruxelles en même temps
que se préparait le Cobra-Meta d’Hanovre, est tout imprégné des idées de Jorn. Dotremont
cependant accentue le caractère marxiste de ses propositions. C’est ce en quoi Cobra diffère
de l’« art brut », tel que le conçoit Dubuffet 229 , préoccupé avant tout de déprécier
l’intellectualisme. Jorn a opéré en toute clarté la jonction avec l’art populaire qui ne dispose
plus uniquement de lieux vulgaires pour s’exprimer librement. Jorn en dégage un sens
général :
227
Willemijn Stokvis, Ibid., p. 224.
228
Ibid.
229
L’art brut, organisé en « Compagnie » depuis juin 1948, se situe en effet dans la perspective du dualisme
culturel qui a été celui de l’Occident à travers les siècles : d’un côté, l’art des musées, galeries et salons, l’art des
gens cultivés, et de l’autre, celui des gens du commun, les paysans et leurs tradition séculaires, les autodidactes,
les irréguliers en tous genres, par exemple les malades mentaux. Dubuffet ne se soucie aucunement de la
situation socio-historique des productions sauvages qu’il collectionne et dont il s’inspire. Il n’est apparemment
pas conscient que l’Europe, avec le redémarrage de l’industrialisation favorisé par le Plan Marshall de juin 1947,
vit la fin de ce dualisme culturel : tout l’art, même le plus sauvage, le plus brut et brutal, le plus marginal, va
bientôt se retrouver dans les musées, à côté des arts primitifs, récupérés de longue date. L’œuvre personnelle de
Dubuffet sera l’illustration parfaite de cette évolution : son éclatante réussite, sa gloire internationale marquent
l’entrée triomphale dans le champ du « grand art » des productions non ou anti-professionnelles.
123
« L’art populaire est l’art du peuple mondial et il n’existe pas d’art spécifiquement
national. Le caractère national n’est qu’une variation du thème commun […]
Picasso et d’autres peintres espagnols nous ont montré qu’un artiste peut bien vivre
en exil sans perdre son caractère national. Seul l’artiste qui a l’esprit international
trouve son inspiration dans l’art populaire »230.
Cette spontanéité qu’il partage avec l’art populaire est une condition de la créativité231.
Dans le numéro 7 de Cobra, Jorn avance l’idée que l’art populaire présente l’intérêt de
recourir à des symboles magiques. Il traite d’un personnage de la mythologie danoise qu’il
compare aux figures mythiques d’autres cultures populaires traditionnelles. Cet intérêt se
perpétue dans le cadre de l'Institut scandinave et, notamment, à travers ses études du folklore.
Il confie dans ce livre son idée directrice, à savoir qu’il faut trouver une nouvelle harmonie
pour la société contemporaine232. Au printemps 1951, il écrit un texte interne à Cobra dans
lequel il tente de faire une synthèse :
Dans ses écrits, il a désiré instaurer une forme libre d’art et constamment voulu montrer et
promouvoir l'esprit de la création. Sa recherche d’une forme libre de l’art, et l’effondrement
des frontières entre grand art et art populaire, permet l’élargissement de son expression
230
Jorn Asger, in Cobra, n. 6, 1950, cité par Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne, Asger Jorn,
op.cit., p. 109.
231
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p.160
A vrai dire, art populaire est un terme assez inadéquat ; il limite le champ de référence au folklore traditionnel
européen – alors que les artistes Cobra ont bien plutôt en projet de retrouver les symboles communs à tous,
comme le dit Jorn, les cellules d’origine de la vie même (lettre à Constant, 1950)
232
Ibid., p. 226. Jorn rédige une étude sur les signes et symboles des mythes et des cultes, Guldhorn og Lykkehjul
(Corne d’or et Roue de la fortune). Dans cette étude, qu’il acheva en 1949 mais qui ne parut qu’en 1957, il
commente le symbole du serpent babylonien.
233
Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne, op.cit., p. 26.
124
artistique aux messages sociaux. C’est cette perspective qui l’oppose notamment à la théorie
de Greenberg, ainsi que Marc Jimenez le précise :
Jimenez insiste également sur le fait qu’il existe assurément des similitudes entre la
position de Greenberg et l’attitude de penseurs marxistes comme Walter Benjamin et Theodor
Adorno. Mais Greenberg pousse plus loin encore sa doctrine dans son article Towards a
Newer Laocoon 235 . Sa théorie moderniste, son formalisme quasi dogmatique, la thèse de
l’auto purification de la peinture repliée sur son seul moyen d’expression spécifique ne
correspondent plus guère, à la fin des années 60, à la réalité à la fois artistique et sociale. La
nouvelle génération d’artistes européens n’accepte plus la théorie greenbergienne, et ils
soulignent leur désir de rester dans les limites de leurs propres moyens d’expression.
Nous pouvons dénouer les problèmes causés par la fusion de l’Art et de la culture populaire
grâce aux perspectives de Jorn sur le jeu stylistique de l’art, le contenu de l’œuvre d’art mis
en relief par la forme d’expression artistique choisie. Pour Adorno, la forme équivaut au
contenu, mieux encore, elle est ce contenu même dont la signification est éminemment
historique et sociale236. L’œuvre d’art de Jorn parvient à triompher du kitsch, néanmoins, il
n’est pas parvenu à triompher de la notion de marchandise de qualité culturelle inférieure.
234
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, op.cit., p. 113.
235
Clement Greenberg, « avant-garde and Kitsch », Partisan Reveiw 6, 1939, pp. 34-39: « Towards a Newer
Laocoon », Partisan Review 7, 1940, pp. 296-310: T. J. Clark, “Clement Greenberg’s Theory of Art”, Critical
Inquiry, vol. 9, No.1, 1982, pp. 139-156 : Voir également Gotthold Ephraïm, trad. J.-F. Groulier, Laocoon ou Des
frontières respectives de la peinture et de la poésie, Paris : Klincksieck, 2011.
236
Voir Theodore W. Adorno, Théorie esthétique, op.cit.
Selon Greenberg, prendre parti pour l’avant-garde ne signifie pas vouloir instaurer une résistance idéologique
aux dictatures de l’époque. Selon lui, l’avant-garde tire sa force de son autonomie, de son apolitisme et non pas
de sa soumission à une obédience doctrinale ou partisane. Nous devons distinguer les différences évidentes entre
les théories de Greenberg et d’Adorno malgré le fait que le critique d’art américain et le philosophe allemand,
émigré aux Etats-Unis, soient tous deux sous l’influence du marxisme, et prennent tous deux parti en faveur de
l’art avant-gardiste dès la fin des années 30. Marc Jimenez montre bien la différence existant entre les deux.
Adorno, lui aussi, considère que l’art ne saurait transmettre directement un quelconque message politique. Il ne
s’agit ni de formalisme ni de propagande, mais d’une perspective critique de l’art. Thomas Crow l’explique bien
dans son article « Modernism and Mass culture in the visual arts ».
125
Pour légitimer les formes d’expression populaires, Jorn met en avant des éléments avant-
gardistes issus de sa rencontre avec Guy Debord. A cette époque, le pop art aux É tats-Unis est
un des éléments de la société de consommation qui en fait la commercialisation. Les
rencontres entre Jorn et Debord se font constamment dans la préoccupation et la recherche de
l'art. Jorn pose la question suivante :
Jorn alors participe à divers mouvements, diffusant ses discours, ses réflexions sur
l’abstraction et ses théories artistiques. Sa rupture avec le parti communiste danois et ses
désaccords avec Debord font que, très vite, il renonce à sa collaboration avec Dotremont et
démissionne de l’Internationale Situationniste qui avait pourtant permis à de nombreux
artistes de Cobra de percer au plan international. Mais Jorn, déçu par certaines déclarations et
par le jeu des exclusions qui va toujours croissant, reprend son indépendance238.
En 1957, l’année de la fondation de l’IS, Jorn entra en contact avec la galerie Rive Gauche
qui le représenta Jorn pendant dix ans. Il écrivit de très nombreux articles pour cette galerie et,
par son expérience artistique et politique, il eut une influence considérable sur Debord. En
retour, celui-ci donna de nouvelles impulsions à Jorn, nées de leurs discussions. Mais, alors
que Debord ’était enfant pendant la guerre, Jorn, lui, avait connu la lutte contre le fascisme et
le nazisme, le Front populaire, les Républicains espagnols, la Résistance et la presse
clandestine pendant l’occupation allemande du Danemark239. Jorn entraina Debord dans deux
Marc Jimenez, La quelle de l’art contemporain, op.cit., pp. 113-128 : Thomas Crow, « Modernism and Mass
culture in the visual art », op. cit., 1994.
237
Programme du Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste, congrès d’Alba, 1956, Rapport de
l’International Situationniste, 1957. Cité par Françoise Monnin, Asger jorn, op.cit., p. 67.
238
Ibid., p. 67.
239
Il y a aussi Risque et chance(1952), Structure et changement(1956), Les cornes d’or et la roue de la
126
expériences artistiques danoises, qui débouchèrent sur deux livres intitulés Fin de
Copenhague et Mémoires 240 . Ils comprenent des phrases décousues qui renvoyent à des
souvenirs de jeunesse de Debord dans l’après-guerre existentialiste, accompagnées de
structures que l’onpeut qualifier tachistes réalisées par Jorn. C’est aussi ce que font apparaître
les Mémoires. Composées à Copenhague le 1er mai 1958, elles dialoguent avec des collages,
des photos, des textes épars disposés par Debord. A partir de Textes et documents
situationnistes : 1957-1960 édité par Gérard Berréby241, nous pouvons analyser les idées et
articles de Jorn. Ce volume, qui fait suite aux Documents relatifs à la fondation de
l’Internationale situationniste publié en 1985, rassemble dans l’ordre chronologique la quasi-
totalité des productions dues aux membres de l’International situationniste entre juin 1957 et
juillet 1960, à l’exception des textes publiés dans la revue Internationale situationniste elle-
même.
En 1957, Debord présente dans la première édition du Rapport sur la construction des
situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste
Internationale, des analyses des tendances historiques avant-gardistes – le futurisme, le
dadaïsme, et le surréalisme. Il fait également la procès de la décomposition de la pensée
fortune(1957), Fin de Copenhague (avec Debord, 1957), Critique de la politique économique, suivie de la lutte
finale (1959), Contre le cinéma (avec Debord, 1961), L’ordre de la Nature(1962), Cobra(1970)… La parution,
après sa mort, de recueils de discours et d’articles, ainsi que de fragments d’ouvrages inachevés atteste d’une
rare prodigalité. Parmi les lettres les plus célèbres, celles aux peintres Constant, Baj, Alechinsky ou Dubuffet, et
à l’écrivain Debord, regorgent de sentiments honnêtes, d’intuitions justes et d’encouragements à l’action. Troels
Andersen « Jorn en France », sous la direction de Jonas Storsve, Asger Jorn : œuvrés sur papier, op.cit., p. 27.
Dans Bauhaus imaginiste, Max Bill avait ouvert à Ulm un nouveau Bauhaus, où il entendait reprendre en
partie les conceptions de Gropius. Jorn avait proposé d’y enseigner la peinture (qui ne fut jamais enseignée à
l’ancien Bauhaus). Comme prévisible, Max Bill refusa, d’où un échange de lettres qui tourna à la polémique, ou
plutôt au parallélisme des monologues. C’est du moins ce qui ressort d’Image et Forme, l’article dans lequel Jorn
en rend compte et qui constitue le premier chapitre de son recueil Pour la forme, ébauche d’une méthodologie
des arts, publié en 1958. Et Jorn pourra passer d’une pratique de l’expérimentation en art à une attitude
culturelle révolutionnaire intégrale. Ce sera le Situationnisme. Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre,
op.cit., pp. 208-209.
240
Debord et Jorn font paraître dès 1957 Fin de Copenhague avec une technique de détournement analogue mise
au point par Debord, puis Mémoires en 1959. L’influence directe est peu vraisemblable à cause de deux aspects :
d’une part la non-diffusion (Mémoires est offert en « potlatch ») ou le peu de diffusion de ces livres, d’autre part
les « cercles » amicaux très différents qui maintiendront à distance ces groupes (même plus tard
lorsqu’Alexander Trocchi aurait pu faire le go-between). Troels Andersen « Jorn en France », sous la direction de
Jonas Storsve, Asger Jorn : œuvrés sur papier, op.cit., p. 27.
241
Dans ce volume, nous pouvons trouver à leur place les sommaires des quatre numéros parus durant cette
période, ainsi que la mention des trois conférences de l’Internationale Situationniste. Les Mémoires de Guy
Debord, Pour la forme d’Asger Jorn, Le Livre de Caïn d’Alexander Trochhi et Stavrim, Sonetter de Jorgen Nash,
publiés pendant cette période et non reproduits dans le présent volume, sont également indiqués et décrits.
Gérard Berréby, Textes et documents situationnistes : 1957-1960, Paris : Allia, 2004.
127
bourgeoise et il mentionne l’importance de l’avant-garde expérimentale dans la société.
Evoquant le mouvement Cobra, l’International lettriste, et le Mouvement International pour
un Bauhaus Imaginiste, il propose l’union de plusieurs tendances expérimentales pour un
front révolutionnaire dans la culture, commencé au congrès tenu à Alba, en Italie, à la fin de
1956.
« A ce propos, je ne tiens pas à ce que ce Rapport soit publié comme mon œuvre
personnelle, ou sous ma seule signature. Ce Rapport peut être présenté comme
l’expression théorique adoptée à la conférence de fondation de l’Internationale
situationniste à Cosio d’Arroscia et on peut dire qu’il exprime la pensée des
dirigeants de l’Internationale dont on peut citer nommément Korun (Belgique),
Debord (France), Gallizio (Italie) et Jorn (Scandinavie). Comme cela, on aurait plus
l’image d’un comité responsable, démocratiquement, devant la tendance
internationale que nous avons entrepris de grouper »242.
Dans cet article, Debord présente trois facteurs primordiaux, insiste sur l’importance de
définir collectivement leur programme pour le réaliser d’une manière disciplinée, par tous les
moyens, même artistiques243.
242
Guy Debord, lettre à Pinot-Gallizio, 4, avril, 1958, Gérard Berréby Textes et documents situationnistes : 1957-
1960, op.cit., p. 15.
243
Jorn est parti de ce groupe (IS) en 1961, mais son influence se poursuit. SI passe par trois étapes. Les trois
étapes de la chronologie suivante séparées par une option commune des chercheurs, et qui est divulguée
conformément à l’Internationale Situationniste #12 publié par Guy Debord en 1969.
1) La première étape (1957-62) : Pendant cette période, IS a développé de nombreuses idées d’International
Littérature. Certains membres ont exposé leurs œuvres d’art pour réaliser la production d’œuvres d’art et
la théorie politique. Debord insiste sur le fait que ces activités aient été accomplies dans le contexte de «
transcendance de l’art ». Par exemple, en 1958 à Bruxelles, les situationnistes internationaux ont jeté en
l’air des affiches, accusant le rôle des critiques professionnels devenus le support de la propagande dans le
marché de l’art.
2) La deuxième étape (1962-1968) : SI s’est transformé radicalement en devenant une organisation politisée.
Pendant cette période, il sera publié: « la société de spectacle, en 1967 » par Guy Debord et « la révolution
de la vie quotidienne, 1967 » par Raoul Vaneigem
3) La troisième étape (1969-1972) : Les activités de SI sont démantelées à cause d’un conflit théorique
interne en 1972.
« Notre idée centrale est celle de la construction de situations, […] » Pour cela, Debord présente leurs
tactiques de recherche crative: un urbanisme unitaire, la dérive, la psychogéographie, le jeu situationniste, une
architecture libre, la propagande révolutionnaire, etc. Gérard Berréby Textes et documents situationnistes : 1957-
1960, op.cit., pp. 16-22 : Guy Debord, “The Organization Question For The I.S.”, Internationale Situationniste #
12, 1969, cité par Ken Knabb, Situationist Intrnational Antology, op.cit., p. 298 : Peter Wollen, Raiding the
Icebox: Reflections on Twentieth-Century Culture, op.cit., pp. 164-184.
128
« Le dadaïsme et le surréalismes ont libéré l’art de l’étreinte funeste de l’esthétisme.
Nous avons réalisé aujourd’hui que l’art est un mode de vie : le beau, le laid, le
splendide, l’immonde, l’absurde, le criard, le contradictoire, etc. – peu importe, tant
qu’il s’agit de la vie dans toute sa fécondité »244.
Jorn, comme Henri Lefebvre et Guy Debord, s’inscrit dans une sorte de retour à un Marx
originel avant qu’il soit interprété et trahi par le marxisme. Les dessins, les détournements de
photos ou les bandes dessinées sont caractéristiques de l’esprit des échanges entre Debord et
Jorn pour leurs deux livres. Nous le retrouvons, dans une certaine mesure dans la Critique de
la vie quoidienne de Lefebvre, qui est d’ailleurs cité par Debord en juin 1958 dans le numéro
1 d’Internationale Situationniste. Cet ouvrage important mêle de façon très originale la
philosophie, la poésie, l’analyse politique et la littérature245.
Jorn adopte une pratique du quotidien différente dans le but d’en faire un pivot pour une
transformation sociale. Et il publie Pour la Forme. Ebauche d’une méthodologie des arts qui
parait aux éditions de l’Internationale situationniste le 30 juillet 1958 avec un tirage de 750
Les tendances des recherches existantes sur IS sont divisées en deux. Tout d’abord, c’est un cadre qu’IS
configure pour se situer par rapport aux groupes politiques internationaux. Richard Gombin, Les Origines du
gauchisme, Paris : Le suil, 1971, Peter Wollen, Raiding the Icebox: Reflections on Twentieth-Century Culture,
op.cit., Sadie Plant, The Most Radical Gesture: The Situationist International in a Postmodern Age, London:
Routeldge, 1992, Mark Shipway, “Situationism”, in Non-Market Socialism in the Nineteenth and Twentieth
Centuries, Marimillen Rubel&John Crump (eds.), New York : St. Martin’s Press, 1987, etc.
Et d’autre part, c’est un cadre qu’IS situe sa situation aux contextes culturels et la situation culturel-politique
sans la perspective du groupe politique. Il s’agit de décrit une lutte entre culture et politique, et les artistes et les
théoriciens, Et ils insistent que finalement leur groupe est démantelées afin que c’est provoqué ces causes. Mary
P. Joyce, The Limits of Cultural Politics: The Situationist Internaitonal, 1957-1971, University of California,
Irvine, Ph. Dissertation, 1997 ; Greil Marcus, Lipstick traces: A Secret History of the Twentieth Century,
Cambridge ; Harvard Up, 1989, Thomas F. Mcdonough, “Rereading Debord, Rereading the Situationists”,
October 79, 1997, etc.
Pascal Dumontier, Les situationnistes et Mai 68, Paris: Lebovici, 1990, Stewart Home, The Assault on
Culture: Utopian currents from Lettrism to Class was, Edinburgh: AK Press, 1991, Jean-Francois Martos,
Histoire de l’International Situationniste, Paris: Lebovici, 1989. Ces articles démontrent que les situationnistes
utilisent continuellement des images de la culture populaire pour se consacrer à la diffusion de leur théorie.
244
Asger Jorn, discours aux pingouins et autres écrits (1938-1973), Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts,
2001, cité par Françoise Monnin, Asger jorn, op.cit., p. 31.
245
Il y décrit, avec son exclusion du parti communiste en 1958, la « bouffonnerie et tragédie dans l’histoire » et
évoque des souvenirs personnels « sur le normal et l’anormal ». Il y défend « l’idée critique » contre tous les
« ismes » – les situationnistes refuseront toujours la notion de « situationnisme » – en évoquant aussi bien
l’individualisme contre l’individu ou le formalisme contre la forme. Parlant déjà (et pourtant dans une période de
guerre froide pesante) de la « fin des idéologies », Lefebvre souligne les puissances de l’ironie et élabore une
« théorie des moments ».
129
exemplaires. Jorn y aborde un nombre très important de questions. Sa technique est celle du
principe d’équivalence et des correspondances. Il lie entre eux tous les territoires, politique,
économie, art, vie quotidienne, mythologie. Jusqu’à la fin de sa vie, Jorn souligne le rôle
politique de l’art dans l’importance qu’il donne à sa culture et à la culture populaire. Nous
allons étudier les caractéristiques qui apparaissent dans son mode d’expression artistique.
L’historien d’art Simon Ford, estime que ces livres de Jorn ont véritablement contribué au
travail de théorisation artistique de l’IS246. La notion de « peinture détournée » est destinée à
faire l’éloge de la créativité artistique247. Jorn et les situationnistes ont voulu combiner l’art et
la politique dans la vie quotidienne en rejetant l’idée que la peinture est un art pur et en se
distanciant de la conception élitiste de l’avant-garde.
Guy Debord et les situationnistes ont finalement réclamé la destruction de l’art, poussant
Jorn à créer une forme artistique propre avec son utilisation ironique de l’art bourgeois, une
approche critique du statut de produit de consommation des œuvres et une position favorable
envers le kitsch. Cependant, si nous considérons ses œuvres de la période Cobra, sa
reconnaissance de longue date de la culture populaire etsa pensée critique sur le rôle de l’art,
depuis sa jeunesse, ces stratégies diverses de « détournement » des images préexistaient à la
période de l’IS.
Nous avons étudié l’intérêt d’Asger Jorn pour la culture populaire et sa perspective de l’art.
Que signifie son utilisation des images populaires ? Pourquoi les recherche-t-il ? L’utilisation
des images populaires et de l’image comme langage depuis Helhesten, sont des questions qui
se développent en rencontrant les théories du marxisme puis celles de Guy Debord et de la
critique de la société de consommation.
Dotremont fait allusion au philosophe Henri Lefebvre, dont il apprécie suffisamment
l’ouvrage, La Critique de la vie quotidienne, pour en tirer des « expérimentations sur la vie
quotidienne » 248 . Dans l’esprit Cobra, l’influence d’Henri Lefebvre a été tout aussi
déterminante que celle de Bachelard qui, lui, ne s’occupait pas des « valeurs sociales » – bien
qu’il ne les ignorât pas pour autant. Henri Lefebvre, qui était alors communiste et dont le
246
Simon Ford, The situationist International : A User’s Guide, London : Black Dog, 2005.
247
Claire Gilman, « Asger Jorn’s Avant-Garde Archives », OCTOBER 79, Winter 1997, pp. 33-48.
248
Voir Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, Paris : L’Arche, 1962.
130
travail était publié dans la revue des surréalistes-révolutionnaires, distingue, en, 1947 le signe,
le symbole et l’image249.
Pour Jorn, la mesure expérimentale de la peinture ne réside pas dans la multiplication des
techniques mais dans la puissance originelle de l’image, comme déclencheur de
comportement. Il y a là beaucoup de thèmes qui, au-delà de Cobra, vont faire leur chemin
jusqu’aux situationnistes, jusqu’aux événements de mai 68250. Dans tous les cas, Jorn tente
d’établir des bases théoriques diverses et des modes d’expression expérimentauxpour
valoriser l’art populaire contre celui des élites, la résistance populaire et anonyme parce
qu’elle est déterminante de la vie quotidienne et de l’art actif. Après avoir mentionné les
théories de Jorn dans l’art et la vie, il nous faut éclairer sous des angles différents la manière
dont sa pensée artistique a renversé la forme picturale établie et promu les graffitis. Pour cette
analyse, nous allons présenter l’interaction entre art et vie quotidienne par le biais de l’étude
de plusieurs œuvres majeures.
Comment le constant intérêt de Jorn pour le kitsch et l’art populaire s’est-il ressenti dans
ses approches artistiques et son travail ? Nous allons étudier ses stratégies artistiques qui
participent du renversement des images détournées avec la Modification, le Luxury painting,
l’image et l’écrit et, enfin, son intérêt pour les graffitis. En outre, nous allons considérer sa
conception sur la position sociale de l’art dans la société de consommation et sa stratégie
visant à utiliser activement la culture populaire tout en critiquant la société. Les années
soixante donneront une réponse délibérément bouffonne : à l’ère de la consommation, jouez
avec le kitsch des icones publicitaires. Tout en pensant au rôle de l’art et de l’artiste, son
propos n’est pas périphérique à l’attitude artistique mais partie intégrante de son contenu.
Dans cette partie, nous allons faire l’analyse de son approche postmoderne, de sa
perspective politique, de la critique dans ses différentes stratégies d’emprunt et de
détournement d’images, de sa concpetion du kitsch et des graffitis pendant les années 1960.
En outre, nous allons approfondir l’étude des formes artistiques qu’il a adoptées pour sa
représentation du rôle de l’art et de l’acte artistique au-delà de l’idéologie politique, tout
évoquant les mouvements artistiques internationaux dans les années 1960.
249
Voir Noël Arnaud, Asger Jorn, Christian Dotremont, Zddenek Lorenc, etc., Le surréalisme révolutionnaire :
revue bimestrielle, Le Bureau International du Surréalisme Révolutionnaire, n.1, mars-avril, 1948.
250
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., 1983, p.20.
131
1.2.1. Les images détournées
L’exposition Modifications :
L’augmentation rapide des produits de consommation a entrainé divers problèmes chez les
situationnistes, les artistes du mouvement Pop ainsi que chez Jorn. Sa conception de la
pratique artistique se révèle dans l’exposition Modifications à l’occasion de laquelle il
présente des peintures détournées dans la galerie Rive Gauche. Jorn a acheté une carte postale
et une peinture dans un marché et les a modifiées afin d’étayer son discours sur
l’anonymisation par la société de consommation. Beaucoup d’articles ont étudié la notion de
modification mise en rapport avec le concept de « détournement » de l’IS251. Mais, la plupart
d’entre eux insistent sur l’influence de l’IS sur Jorn alors que sa théorie de Jorn occupe une
position équivalente à celle de Guy Debord et qu’elle a joué un rôle tout aussi important
dans ’l’élaboration des idées de l’IS.
Dans le chapitre précédent, nous avons pu remarquer l’intérêt de Jorn pour l’art populaire et
le kitsch à travers ses écrits depuis la période de Helheten. Pour mieux le démontrer, il
251
Il existe des articles représentatifs: Guy Atkins with Troels Andersen, Jorn in Scandinavis, 1930-1953, New
York : George Wittenborn, 1968, Asger Jorn : The Crucial Years, 1954-1964, New York : Wittenborn Art Books,
1977, et Asger Jorn: The Final Years, 1965-1973, London: Lund Humphries, 1980 ; Troels Andersen, Asger Jorn,
Silkeborg : Sikeborge Junstmuseum 1974.
Pour l’exposition Modifications, Asger Jorn, ‘Peinture détournée’ Vingt peintures modifiées par Asger Jorn,
Paris: Galerie Rive Gauche, 1959; Michel Ragon, estime que les images de Modifications par Asger Jorn
prennent une autre signification à l’heure actuelle, et mentionne un lien avec Jean Dubuffet et Jean Fautrier.
Michel Ragon, “Asger Jorn”, Climaise, vol.8, no.51, 1961, pp. 48-57; Werner Haftmann décrit des œuvres de
Jorn en liant des œuvres d’Emil Nolde et James Ensor, et ses œuvres représentent le caractère de l’art populaire.
Werner Haftmann, “Asger Jorn”, QUADRUM, no.12, 1962, pp. 61-84.
Une étude véritable sur la peinture de Modifications, commence avec l’exposition On the Passage of a Few
people through a Rather Brief Moment in Time, qu’a organisée Peter wollen Mark Francis. Cette exposition a eu
lieu au Musée National d’art Moderne (Centre Pompidou), du 21 février au 09 avril 1989, à Paris ; ICA :
Institute of Contemporary Art, du 23 juin au 13 août 1989, à Londres, The Institute of Contemporary Art, du 20
octobre 1989 au janvier 1990 à Boston.
Lors de cette exposition, Peter Wellen estime que Jorn fait l’éloge du kitsch à travers les peinture de
Modifications et qu’il présente également ses conceptions théorique et politique dans la différence entre les
peinture de Modifications et d’autres formes d’expression postmodernes « hybrides » dans lesquelles la
distinction entre l’orientation théorique et politique est soutenue. En 1997, la revue October, consacre son
édition au mouvement de SI. Claire Cilman, dans son article « Asger Jorn’s Avant-garde Archive », avance que le
style de Modifications fonde le concept d’art négatif qu’a mentionné Guy Debord. Peter Wollen, Raiding the
Icebox: Refletions on Twentieth-Century Culture, op.cit.: Claire Gilman, « Asger jorn’s Avant-Garde Ahives »,
op.cit., pp. 32-48.
132
imagine, en 1949, de « continuer » des toiles de maîtres anciens. Il s’attaque à des
reproductions de peintures de Monet, et confie l’année suivante, dans une lettre, à Constant :
« Voici où je suis entrainé, à former une nouvelle section de notre travail : je l’ai
appelée Section d’Amélioration des anciennes toiles. Nous proposons au nom de
cobra d’améliorer des toiles anciennes, des collections ou des musées anciens. J’ai
déjà commencé avec des œuvres de Raphaël, de Claude Monet, de Georges Braque
et de Salvador Dalí »252.
Dix ans plus tard, c’est à des croutes anonymes, trouvées au marché aux Puces, qu’il
applique ce principe baptisé « Toile Améliorée », puis « Kitsch », « Modification » et
« Nouvelle Défiguration ». C’est ce qu’annoncent les défigurations et modifications,
auxquelles Jorn va s’adonner après 1959.
Tout d’abord, nous pouvons trouver, dans cette exposition, la relocalisation du kitsch dont
il présente certaines œuvres dans Modification. Jorn oppose le modernisme élitiste et confirme
que le kitsch est un moyen de création artistique. Il revendique la position selon laquelle la
division « grand art »/« art populaire » est obsolète, et que la valeur de l’art, et la
compréhension de l’art kitsch se façonnent par les prix du marché de l’art et par le système de
l’art. Dans Intime banaliteter [Intime banalité, 1941], Magi og skønne kunster [Magie et
Beaux-Arts, 1948], Pour la Forme (1958), et sa préface « Peinture détournée » (1959), il
critique cette division esthétique.
Le titre de la première exposition Modifications expose 20 œuvres représentant principalement
des paysages, avec la préface intitulée « Peinture détournée »253.
252
Depuis 1949, dans le groupe Cobra, Jorn a produit des œuvres qui présentent la modification. Il a réalisé des
travaux relativement moins connus qui sont les cartes postales illustrées, et les graffitis sur reproduction
d’œuvres célèbres comme la peinture de Sistine Manonna, Raphaello. Jorn a informé son collègue Constant que
c’est un essai pour préserver et enregistrer les tableaux oubliés. Et il a déjà mis en pratique ce concept avec les
peintures copiées sur Raphael, Manet, Braque, et Dali. Jorn écrit à Constant, 1949-1950, Constant Archives,
op.cit.
253
Première fois où Jorn a attaché le nom de « kitsch » dans ses œuvres. Mais il a changé le nom de l’exposition
à Modifications. Dans l’exposition Nouvelles défigurations en 1962, les vingt-trois peintures sont exposées avec
la préface de Jacques Prévert, A Jorn. Modifications, vingt peintures modifies par Asger Jorn, galerie Rive
Gauche, Paris, 1959., cité sous la direction de Laurent Gervereau et Paul-Hervé Parsy, La Planète JORN, Musée
d’art moderne et contemporain, de Strasbourg, du 19 octobre 2001 au 15 janvier 2002, p. 64.
133
Soyez modernes, collectionneurs, musées.
Si vous avez des peintures anciennes, ne désespérez pas.
Gardez vos souvenirs mais détournez-les pour qu’ils correspondent à votre époque.
Pourquoi rejeter l’ancien si on peut le moderniser avec quelques traits de pinceau ?
Ça jette de l’actualité sur votre vieille culture.
Soyez à la page, et distingué du même coup.
La peinture, c’est fini.
Autant donner le coup de grâce. Détournez.
Vive la peinture »254.
Dans cette préface, Jorn reconstruit des peintures anciennes dans une nouvelle situation, et
il montre un intérêt continu pour les peintures kitsch. Dans « Les preuves de la
préméditation », il écrit :
Jorn a du respect pour la mauvaise peinture. Comme Grand baiser au cardinal d’Amérique
(1961) (fig. 35) ou En attendant Godot, elle l’a eu (1962) (fig. 36), Jorn ajoute le visage et la
forme du corps en graffiti. Dans la plupart des œuvres de Modifications réalisées en 1959,
coexistent pacifiquement les figures « d’origine » alliées aux images plus féroces et aux
tâches de couleur qu’il a ajouté256.
254
Edition établie par Gerard Berréy, Textes et documents situationnistes 1957-1960, op.cit., p. 103.
255
Ibid., p. 105.
256
Guy Aktins, Asger Jorn : The crucial Years, 1954-1964, New York: wittenborn Art Books, 1977, p. 65.
Passages comme Paris by Night (1959), les 23 portraits comme Grand baiser au Cardinal d’Amérique (1962),
Choux (1961), Poussin (1962), etc. Les œuvres dans la deuxième exposition sont organisées sur le thème « la
134
Quand Jorn « améliore » ou « modifie » des peintures anciennes, il laisse toujours la
signature du peintre de l’œuvre originale bien que beaucoup de peintres de « l’image
victime » en auraient sans doute été peu honorés. S’agit-il d’une blague puérile, d’un propos
sérieux, ou tout simplement de vandalisme ? Pour Jorn, il s’agissait en réalité de tout cela257.
Les « Modifications » de 1959 sont contemporaines de celles de Baj. Mais on sait que, chez
Jorn, ce projet remontait à très loin et qu’il était lié à la conception qu’il se faisait de la
destruction, du vandalisme comme une force créatrice, à quoi s’ajoutait son intérêt pour les
procédés de détournement, intérêt partagé par ses nouveaux amis de l’Internationale lettriste
Guy E. Debord et Gil J. Wolman258. Claire Gilman estime d’ailleurs que « les peintures de
modification de Asger Jorn assument une importance particulière par rapport à la théorie de
Debord »259. Guy Debord a également réalisé des détournements.
La dualité du masque est apparue fréquemment dans le travail de Jorn. Comme l’indique
Choux (fig. 37), ses masques ont un effet grotesque et pathétique. Le titre de l’œuvre met
également l’accent sur cet aspect. Il a transformé la peinture d’une petite élégante bourgeoise
en rendant l’image instable, et en lui donnant par ce procédé une signification différente. Ce
qui nous intéresse ici est de savoir dans quel but artistique il utilise ces modifications. Jorn
recourt à la représentation grotesque de la vie humaine apparue dans la culture populaire
nordique ancienne260. Nous ne pouvons pas négliger la relation entre les deux, mais nous
belle et la bête humaine » (8), « Adieu héroïsme artisanal » (7), « Imageries anecdotique de la vie quotidienne »
(8). Dans le catalogue, il y avait 24 œuvres numérotées et programmées, mais la 24ème œuvre manquait. Guy
Aktins, Asger Jorn : The crucial Years, 1954-1964, New York : wittenborn Art Books, 1977, p. 257.
257
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., p. 97.
258
Mode d’emploi du détournement, dans « Les Lèvres nues », n°8, mai 1956.
Modification d’Asger Jorn : Mon château en Espagne (1954) et Le Canard inquiétant (1959), Modification
d’Enrico Baj : Ultracorps en Suisse (1959)
259
Claire Gilman, « Asger Jorn’s Avant-Garde Archives », op.cit., p. 34.
260
Comme les interprétations de Peter Wollen et Michel Ragon, nous pouvons découvrir les styles de la période
du groupe Cobra et des caractères des images populaires dans les éléments culturels en Europe du nord. Ragon
estime également que l’origine de ces arts se trouve dans les vieilles églises au Danemark où se trouvent des
formes démoniques et dans la culture Viking. Et John Lefebvre (1906-1986) qui a organisé la première
exposition solo de Jorn à la galerie Lefebvre de New York aux É tats-Unis relie ces images humoristiques avec
François Rabelais (1483-1553).
Mikhail Bakhtin (1895-1975) définit par le carnavalesque et le grotesque le rire dans la culture populaire, et
ce, de l’Antiquité à la Renaissance. C’est en faisant une louange exagérée et grotesque, que la limite disparait
entre grand art et art populaire, vrai et faux, et bien et mal. La majorité de ses œuvres est remplie plutôt de
troubles et de confusion que de configuration harmonieuses, et poursuit plutôt l’état du processus qu’une forme
fixe et achevée. Les masques qui sont également apparus fréquemment dans ses œuvres signifient un élément
satirique d’une forme d’humour sinistre. Le masque, qui est une déformation et un jeu, et qui est aussi un rejet et
une négation espiègle des aspects évidents du quotidien.
135
avons besoin de l’aborder dans un sens plus large pour cette exposition. Ces images
détournées dans son exposition Modifications évoquent le travail de certains street artistes, et
notamment de Banksy. Ses tableaux détournés exposés à Brooklyn Museum (fig. 38), au
Metropolitain Museum à New York (fig. 39), ou au Musée de Louvre de Paris (fig. 40)
relèvent des mêmes procédés. Ses peintures vandalisées présentent des sujets sur le caractère
problématique de la société contemporaine dans des peintures anonymes comme dans des
tableaux célèbres de Leonardo Da Vinci ou de Monet.
« Le problème pour l’artiste n’est pas de savoir si l’œuvre d’art doit être considérée
comme objet ou sujet, puisque les deux vont en même temps. Le problème est de
saisir et formuler la tension voulue dans l’œuvre entre l’apparence et le signe. La
conception de l’art qu’est l’« action painting » réduit l’art à un acte en soi où l’objet,
l’œuvre d’art, n’est que la trace, et où la communication avec le public n’existe plus.
C’est l’attitude du créateur pur qui ne fait rien que se réaliser dans la matière, pour
son propre plaisir. Cette attitude est inconciliable avec l’intérêt pour l’objet en soi,
l’œuvre d’art dans son anonymat ; le plaisir senti dans sa pureté devant une
sculpture d’un pays inconnu, d’une époque incertaine. […] »261
Dans cet article, Jorn se réfère au déclin de la place absolue de l’artiste dans la relation
entre le public et l’œuvre et pointe l’aporie de l’action de Pollock qui continue de promouvoir
la figure démiurgique de l’artiste. La série de Luxury painting (1961-1963) présente
apparemment de nombreuses similitudes avec les œuvres de Jackson Pollock. Mais pour Jorn,
il s’agit de rendre accessible l’art de Pollock et Dubuffet par, notamment la réduction de la
taille des toiles, rejetant ainsi la notion de grand artiste ou même d’Œuvre. Jorn lui-même
mentionne Jackson Pollock et Jean Dubuffet à titre d’exemples. Ces deux artistes, par la
méthode du tachisme, dissolvent la surface de l’image, mais d’une manière tout à fait
Peter Wollen, Raiding the Icebox: Refletions on Twentieth-Century Culture, op.cit., p. 183 : John Lefebvre,
« Asger Jorn : Word-Portrait», Art Voices, Vol. 3, no. 4, April/May, 1964, pp. 48-49.
261
Gérard Berréby, Textes et Documents, Situationnistes : 1957-1960, op.cit., pp.103-104.
136
différente de l’impressionnisme et avec des motivations différentes. Dans les drip paintings
de Pollock, toute la toile se décompose en un réseau vacillant de fils décoratifs de couleur, et
toutes ses parties prennent ainsi une importance égale. Idéalement, cet effet all-over conteste
l’idée traditionnelle de la composition des éléments picturaux ’déterminée par le rapport au
bord de l’image. Les toiles de Pollock gisaient sur le sol et il a travaillé sur elles de part en
part, debout à l’intérieur de l’image. L’objectif était de libérer la peinture de l’obligation de
représenter des figures naturalistes ou abstraites. Au lieu de cela, l’action painting était une
traçabilité directe des mouvements de danse de l’artiste à travers la toile, comme une version
physique corporelle du dessin automatique du surréalisme.
En comparaison avec la peinture de Pollock, élégante, la version du tachisme chez Dubuffet
est brutale. Ses tableaux sont souvent bruts et réalisés avec des matières premières, dans le
dessin comme dans la texture, et provoqués par une résistance à toute forme d’autorité, de
notion de conformisme et de respectabilité de l’art. L’inspiration de Dubuffet est venue de ce
qu’il a appelé l’Art brut262. Il s’agissait de présenter l’intérêt commun, entre autres choses
cultivées sous le nom de « vandalisme ».
Dans la série de Luxury painting, l’œuvre Wakenupriseandprove (1961) (fig. 41), un titre
emprunté à James Joyce263, le rouge, le jaune et le blanc ont été projetés depuis une faible
hauteur de façon relativement contrôlée. Ensuite, de plus loin, il a projeté de la peinture bleue,
orange et noire comme un jet de gouttelettes. Enfin, un fil trempé dans la peinture verte et
noire a laissé des pistes linéaires latérales et agitées264. Il devient impossible de séparer le
figuratif du totalement abstrait et matériel et le hasardeux du contrôlé. La plupart des œuvres
de la série Luxury painting possèdent cette dualité, où des personnages et des visages
surgissent au milieu des tâches de couleurs aléatoires265.
Paradoxalement, ce sont les Luxury painting qui ressemblerait le plus à des peintures
d’égouttement de Pollock, mais elles sont au moins aussi proches de Dubuffet, dans le
matériau notamment. Quand il jette les toiles sur le sol, c’est une manière de souligner le
caractère matériel et physique de l’image, et comme avec des visages et des créatures que
Dubuffet fait apparaître dans sa peinture. Pour ces trois artistes, la peinture est quelque chose
qui provient de la matière liée à la terre plutôt que d’un concept intellectuel. Alors que les
262
Ce sont les oeuvres artistiques fabriquées par des enfants, des outsiders, les patients psychiatriques et d’autres
qui ont créé de manière totalement indépendante des normes esthétiques ordinaires de la peinture.
263
Voir James Joyce, Finnegans Wake, London : Ulysses, 1939, p. 572.
264
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., p. 83.
265
Ibid., pp. 82-84.
137
œuvres de Pollock conservent habituellement le classique discret des tons noirs, bruns et gris,
Jorn utilise des couleurs primaires vives habiuellement associées à la culture populaire. Jorn
recourt également à la surface brillante de la peinture émail, ce qui rattache ses œuvres à la
photographie, à la production industrielle et aux produits de luxe plutôt qu’à la peinture
expressive.
Alors que les emprunts des maîtres comme Duchamp, Dubuffet et Pollock reflètent les
mouvements physiques et mentaux de l’artiste, ceux de Jorn abandonnent systématiquement
toute autorité de contrôle par les grands artistes (fig. 42). Il utilise différentes méthodes dans
ses Luxury painting comme les gouttes à faible distance et les empruntes d’artistes. Cette
technique est une manière par laquelle il peut explorer la distance physique entre la toile et
l’artiste. Les traces du peintre peuvent difficilement être prises comme l’expression de
l’émotion, elles sont plutôt expérimentales et extérieures. De même, l’humour dans la
figuration et les titres des Luxury painting introduisent l’attitude active de l’artiste.
Dans sa réutilisation évidente d’images célèbres comme dans les modifications et dans les
Luxury painting, et dans Nothing Happens (Rien ne se passe) (fig. 43), Jorn adopte une
approche critique, conceptuelle de la peinture. Par exemple, Instructive extraction of a
konstruktif destruction (1966) (fig. 44), mélange dans son titre le réel et le fictif, anglais et
allemand dans un jeu de mots. La peinture combine construction et destruction. Les formes,
qui se détachent sur un fond de couleur sombre, sont, comme des des graffitis, grossièrement
profilées avec un tube de peinture rappelant ainsi les interventions vandales des Modifications.
Les têtes sont grimaçantes et les couleurs dures et discordantes. Un autre type de destruction
est la forme dans le coin inférieur gauche, qui est tracée dans la peinture posée sur la toile, et
dont l’idiome est tout aussi proche de l’Art Brut de Dubuffet que des « décorations » des
portes de toilettes d’école. Avec cet idiome brut satirique et l’inspiration de l’expression
créative de tous les jours, comme les graffitis et les dessins d’enfants, Jorn (comme Dubuffet)
se distancie de l’expression élitiste de l’art et la met au défi par la banalité, l’ironie, l’humour
et un sens anti-esthétique266.
Dans ces images, Jorn englobe à la fois l’avant-garde et l’image populaire kitsch avec une
reconnaissance impartiale au sein d’une approche critique. Clement Greenberg a fait tout ce
qu’il pouvait dans son célèbre essai Avant-garde et kitsch (1939) pour représenter ces deux
termes comme des contraires et, en général, le modernisme américain a beaucoup de
266
Ibid., pp. 114-115.
138
difficultés à se défaire de l’idée d’une opposition entre la culture ’et ce qui est vulgaire. Mais
pour Jorn les deux éléments sont étroitement liés. Il pense que la peinture peut affecter le
spectateur, critiquer la tradition ancienne et réactualiser sa valeur. Comme tous les autres
médias artistiques, la peinture doit continuellement se transformer pour rester effectivement
vivante.
Cependant Jorn pense que ces images détournées ne suffisent pas. En même temps qu’il
explore le concept de « détournement » dans le contexte de l’IS. Il cherche une nouvelle façon
de transcender le dualisme entre le grand art, l’œuvre chez Jackson Pollock en l’occurrence, et
le kitsch, qui a divisé l’art entre « le bon » et « le mauvais » selon Greenberg. Si les
modernistes, comme Dubuffet et Picasso voient l’intérêt de la forme dans l’art primitif, Jorn
s’attache bien davantage à son contenu culturel et les œuvres qu’il produit s’attachent
également à cette dimension. Il pensait que les caractéristiques populaires telles que la
banalité, la quotidienneté et la forme grotesque, avaient plus d’authenticité que les
caractéristiques de la culture de l’art noble. Dans un livre Guldhorn og lykkehjul (1957), Jorn
a noté que « l’art doit exprimer la vie, et l’art populaire sera partagé par plusieurs personnes
pendant une longue période de temps »267.
Avec sa peinture de 1962 L’avant-garde ne se rend pas (fig. 45) l’artiste ne déchire pas
l’image pour obtenir la défiguration : dans le tableau d’origine d’une petite fille bourgeoise,
assez banal, Jorn a ajouté une moustache et a transformé son environnement. Cette idée n’était
évidemment pas originale puisqu’elle évoque l’oeuvre de Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q
(1919) (fig. 31) qui, elle aussi détourne un tableau, mais à travers sa reproduction 268 . Le
267
Asger jorn, Guldhorn og lykkehjul, København, Bogtrykkeriet Selandia, 1957, p. 68.
268
C’est avec son ridicule obscène de la peinture de tableaux qu’il a rejeté le moyen et lancé l’art conceptuel. En
1965, il a envoyé la carte postale montrée ici avec le sous-titre LHOOQ rasée comme une invitation (Marcel
Duchamp, L.H.O.O.Q. rasée, 1965, 21x24cm, ready-made, Louisiane Museum of Modern Art). Bien que la
Mona Lisa ait ici été nettoyée et « restaurée » à son expression originale, ce ready-made interfère peut-être
encore plus avec l’expérience de l’original, car à l’avenir toute carte postale innocente de la Mona Lisa
rappellera l’œuvre de Duchamp. Ce travail était de fournir une critique sur le problème des emprunts d’Andy
Warhol.
Duchamp est également fermement opposé à une représentation physique, alors que Jorn lui a donné de
l’importance dans ses œuvres. En effet, Duchamp a déclaré que « l’art devrait être dirigé par l’expression
intellectuelle plus que par la représentation animale». Cependant que Jorn a valorisé la nature animale de
l’existence humaine dans sa vision influencée par Darwin, Marx, Freud, et Kafka. Et il s'est exprimé au sujet de
139
détournement de Jorn révèle des différences avec le ready-made de Duchamp. Le graffiti de
Duchamp peut sembler proche de celui de Jorn par le même processus de dépréciation de
reproductions d’art « noble », mais leur comportement est différent. La modification de Jorn
travaille au sein de l’œuvre déjà existante : il s’agit d’un acte de création à part entière. Les
œuvres de Duchamp comme Appolinaire Enameled (1917) (fig. 46) ou Pharmacie (1914)
(fig. 47) sont des ready-made réalisés par le collage artistique et par une déformation de forme
mécanique. En particulier, dans le cas de Pharmacies, Duchamp a ajouté des formes rouges et
vertes qui évoquent un flacon de médicament. Le message, ou le sens, ou l’objet, issus de
cette succession d’ajouts et de couches, est difficilement lisible. Au bas de l’image à côté du
nom de l’auteur de l’œuvre originale, Marcel Duchamp inscrit le titre et sa signature en
majuscules. Jorn, lui, joue sur les couches en respectant l’auteur de l’image originale. Il a signé
les peintures de la série Modifications de 1959 à 1962. Contrairement à la signature de
Duchamp, Jorn présente sa propre signature, et les ajouts, par le relief, se distinguent de
l’original.
Jorn ironise ainsi sur le désir de Duchamp et des autres artistes des avant-gardies de se
distancier le plus possible de la tradition. Comme il l’écrit dans la revue des situationnistes:
« Il est facile et sans doute amusant de créer de nouvelles idées en opposition avec les
anciennes, mais la culture est à l’opposé de cela ; c’est la transformation développée et
269
continue des phénomènes existants » . Claire Gilman le confirme en évoquant
Modifications :
« Bien que les Modifications ne soient pas les seules œuvres que Jorn ait réalisées
au cours de son implication dans le IS, ni la seule fois où Jorn se soit essayé à la
modification de vieilles toiles, ce sont les peintures que les textes situationnistes et
« l’humain animal » et de la notion de non-civilisation. Dans son écrit Discours aux Pingouins (1949) pendant la
période du groupe Cobra, il déclare que «la représentation mentale pure est impossible, il faut un comportement
physique qui concrétise l’idée ». Asger jorn, Magi of Skonne Kunster, Lobenhavn : Borgen, 1971, pp. 128-129,
cité par Erik Steffensen, Asger Jorn, Animator of Oil Painting, Hllerup: Bløndal, 1995, pp. 159-162.
Jorn a écrit l’article, « human Animal » (1950). Dans cet article, il est fasciné par le sujet de « la bête
humaine » dans le travail de Franz Kafka (1883-1924). Il a également traduit les écrits de Kafka, et Odradek et
Helhesten les a publiés en 1942. Jorn a essayé un certain nombre d’illustration sur l’étoffe d’Odradek. Asger
Jorn « Discours aux Pingouins », Cobra, Brussels, no.1, 1948, p.8, cité par Lawrence Alloway, “Introduction”,
Guggenheim International Award 1964, New York : Guggenheim Museum, 1963, pp. 18-19.
269
Asger Jorn : “On the current value of the functionalist idea” in Situationist International Press, 1956, Cité par
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., pp. 98-100.
140
les critiques contemporains tiennent comme la manifestation par excellence de la
pratique de l’art situationniste. […]
Le détournement est facile à comprendre comme une forme de sabotage critique, en
parallèle, une nouvelle fois, aux tactiques de collage de Dada et du Surréalisme.
Pris isolément, de nombreuses déclarations des situationnistes semblent appuyer ce
point de vue. […] Le point suivant [l’intérêt pour la peinture elle-même] cependant,
est un peu plus surprenant et suggère une dimension qui a été tout sauf ignorée par
les critiques, l’une qui revêt une importance particulière lorsqu’il est appliqué à
l’œuvre de Jorn »270.
Elle compare tout particulièrement son travail à War de Heartfield, (fig. 48), basé sur une
peinture de Franz v. Stuck achetée par John Heartfield en 1933.
Le deuxième livre de Debord et Jorn, Mémoires 272 (fig. 49) assume une importance
particulière par rapport à cette stratégie. Dans ce livre, nous découvrons les slogans publicitaires
et ses cartoons qui doivent être considérés comme un commentaire sur la société de
consommation.
270
“Although the Modifications are not the only works that Jorn executed during his involvement with the S.I.,
nor the only time that Jorn experimented with modifying old canvases, they are the paintings that Situationist
texts and contemporary critics hold up as the quintessential manifestation of Situationist art practice. […] For
critics like Plant, détournement is easily understood as a form of critical sabotage, parallel, once again, to Dada
and Surrealist collage tactics. Taken in isolation, many Situationist statements would seem to support this view.
[…] The next point, however, is somewhat more surprising and suggests a dimension that has been all but
ignored by critics, one that takes on particular significance when applied to Jorn’s work.” Claire Gilman, « Asger
Jorn’s Avant-Garde Archives », op.cit., p. 38.
271
“Heartfiled also modified old paintings, and the difference between his and Jorn’s works is illuminating. […]
If Heartfield’s strategy recalls Benjamin’s surgeon, then Jorn and Debord’s degradation of the art object to a
position of “self-liquidation” finds a surprising parallel in the writing of Theodor Adorno, that champion of the
radical, autonomous art work.” Ibid., pp.40-42.
272
Une cinquantaine de pages, le livre est divisé en trois sections, étiqueté Juin 1952 Décembre 1952 et
Septembre 1953 respectivement. Dans chaque section, les pages blanches sont parsemées de reproductions de
photos, de textes anonymes taillés à partir d'une variété de sources, et les tourbillons qui se chevauchent de Jorn
allant des rouges brillants et les bleus rose chaud et le vert acide.
141
Le livre devient une surface de nivellement sur laquelle les tourbillons peints de Jorn, les
textes imprimés et des reproductions de photos s’accumulent dans l’équivalence qui les
banalise. La référence à Pollock est indubitable dans les éclaboussures de couleur, et pourtant
les gouttes et les giclures photo-lithographiées portent atteinte à la rhétorique de l’authenticité
gestuelle qui entoure l’œuvre de Pollock, Mémoires réduit tout à l’état de la photographie.
Cette stratégie se révèle très différente de celle du collage d’Heartfield. Thomas crow insiste
sur les limites du collage dans le cubisme et dans le Dada Berlin.
« Mon argument a été que le modernisme l’a fait avec succès quand il a figuré en
détail la culture manufacturée à laquelle il s’oppose, l’a mise en évidence en
déplaçant les frontières et en modifiant les idées reçues. Les dadaïstes berlinois
étaient plus attentifs à ce côté du collage cubiste, et ont cherché dans leur propre
travail à rendre cette importance brutalement explicite. […] L’exemple de Dada
Berlin démontre, cependant, que rendre cette signification explicite équivalait à
réduire l’art à une sorte de politique, de mettre fin à toutes ses prétentions de
résoudre et d’harmoniser un ordre social insupportable. Le précédent cubiste était,
en revanche, un effort pour repousser ce résultat, pour articuler et défendre un
espace esthétique protégé. Et parce qu’il était circonscrit, il a été rattrapé et assimilé
comme chacune des sous-cultures d’avant-garde qui l’ont précédé »273.
Par ses stratégies ironiques, Jorn répand sa théorie active et son objectif d’un art pratique.
Son attiude semble rejoindre ces propos d’Adorno :
273
“My argument has been that modernism has done this successfully when it has figured in detail the
manufactured culture it opposes, put it on display by shifting boundaries and altering received meanings. The
Berlin Dadaists were most attentive to this side of cubist collage, and sought in their own work to make this
significance brutally explicit. (…) The example of Berlin Dada demonstrates, however, that to make this
meaning explicit was to collapse art into a kind of politics, to end all its claims to resolve and harmonize an
unendurable social order. The cubist precedent was, in contrast, an effort to fend off that outcome, to articulate
and defend a protected aesthetic space. And because it was so circumscribed, it was overtaken and assimilated
like each of the avant-garde subcultures which preceded it.” Thomas Crow, « Modernism and Mass culture »,
op.cit., p. 250.
142
un temps pour l’art politique, mais la politique a migré dans l’art autonome, et c’est
encore plus vrai lorsqu’il semblait être politiquement mort »274.
Jorn a fait de l’art critique de manières diverses et ironiques pour présenter sa société de
consommation. Dans Mémoires, puisqu’il s’agit de reproductions photographiques, l’image et
l’écrit ne se confrontent au modèle primaire.
La relation entre le langage et les images occupe une place importante dans l’art du
modernisme : le collage dans le cubisme, des mots avant-gardistes dans Dada et l’écriture
automatique dans le surréalisme. Ces relations représentent une stratégie de plus en plus
importante dans l’art contemporain. Un des premiers mots-peintures de Jorn avec Dotremont
est intitulé Il y a plus de choses dans la terre d’un tableau que dans le ciel de la théorie
esthétique 275 . Le point de départ de Jorn est matérialiste dans les deux sens, artistique et
politique.
Du fait de son intérêt pour la culture populaire, Jorn a également travaillé les images
comme langage depuis Cobra 4. Dans « Les formes conçues comme langage », il expose des
réflexions qui s’apparentent à ces idées. Depuis des années, il menait une réflexion
approfondie sur la relation entre art et société. Le dernier numéro de Helhesten contient un
nouvel article de Jorn. Ses collaborations donnent naissance à des œuvres spécifiques, depuis
les premières peintures-mots avec Dotremont, en 1948 à Bruxelles, jusqu’aux logogrammes
dans lesquels l’équivalence de l’imagination plastique et de l’imagination scripturale trouve sa
274
T. W. Adorno, « On commitment » dans A. Arto et E. Gebhardt (éd.), The essential Frankfut School Reader,
New York, 1978, p. 318, cité par Thomas Crow, Ibid., pp. 246-247.
275
Cette relation entre le texte et l’image a été comparée à l’absurde dans le soi-disant « livre Tongue », que
Corne a publié en 1968 avec l’écrivain français Noel Arnaud. Arnaud a écrit le texte, tandis que Jorn s’est
attaqué à la matière picturale. Les images proviennent largement des cultures différentes et des périodes, et ont
une chose en commun – elles montrent les chiffres tirant la langue: animaux fabuleux dans les peintures, les
sculptures et les décorations architecturales, des dessins anatomiques des encyclopédies médicales, un
manifestant tirant la langue à la police et Einstein tirant la langue au photographe. Toutes les images sont
énoncées comme matériel documentaire en noir et blanc avec les langues soulignées par la couleur. Le titre est
un commentaire ironique sur l’anthropologue français et le livre structuraliste Le cru et le cuit de Claude Lévi-
Strauss, qui associe les règles de repas dans les différentes cultures aux systèmes sémiotiques. Bien que « The
Book Tongue » tire la langue à sa théorie de bout en bout, Lévi-Strauss lui-même l’a jugé très divertissant et a
déclaré: « Le savoir est habituellement si morne que l’on a à envier à ceux qui savent comment le rendre gai ».
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., pp. 110-116.
143
plus complète expression276.
Cobra 7 contient aussi deux jalons importants vers ce développement de l’art Cobra que
seront les logogrames de Dotremont : L’Écriture rêvée par Marcel Havrenne et Signification
et Sinification de Dotremont277.
Jorn était très intéressé par la relation entre le mot et l’image, et elle est devenue un point
récurrent dans son travail. La valeur picturale de l’écriture, qui va passionner le mouvement
Cobra, intéresse déjà le cercle de Helhesten, notamment Jorn, qui évoque en 1944 dans la
revue, l’écriture qui apparaît dans chaque peinture « comme il y a une peinture dans chaque
écriture ».
« La peinture et l’écriture sont une seule et même chose. L’image est écrite et
l’écriture forme des images […] Il y a une écriture, une graphie dans chaque image,
de même que dans chaque écriture se trouve une image […] La frontière entre
peinture et écriture était à l’origine très mouvante » 278.
De plusieurs façons, Jorn a étudié les différences et les similitudes entre les modes
d’expression de l’écriture et de l’image dans le cadre de son œuvre. Il a illustré des recueils de
poésie, a collaboré avec des écrivains sur les mots-photos et des livres d’images et il a
théorisé la relation entre le mot et l’image. Dans les titres de ses tableaux, il a essayé d’ouvrir
la langue aux ambiguïtés et à la vitalité qu’il considérait comme des caractéristiques de
l’image visuelle. Alors que dans les peintures de cette période Jorn tente d’explorer les
structures de l’écriture comme celles de l’image, plus tard, il tentera de tirer ses images de
plus en plus loin du verbal, vers une forme plus purement picturale d’expression279.
Entre les deux guerres mondiales, les surréalistes ont déjà cherché à exprimer l’inconscient
à travers les mots et l’image, en élaborant une méthode dite « scientifique » inspirée de Freud.
A l’inverse, l’approche du groupe Cobra est directe et spontanée. De ce point de vue, Cobra et
Dada sont à certains égards comparables. Comme Dada, Cobra rassemblait des poètes, des
peintres et des artistes travaillant dans les domaines les plus divers ; ils rejetaient tout ce qui
276
Le dernier numéro de Helhesten contient un nouvel article de Jorn. Leur jeu commun permet l’existence
d’œuvres spécifiques, depuis les premières peintures-mots avec Dotremont, en 1948, à Bruxelles, jusqu’aux
logogrammes où l’équivalence de l’imagination plastique et de l’imagination scripturale trouve sa plus complète
expression. Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p. 37.
277
Ibid., p. 173
278
Willemijn Stokvis, COBRA, op.cit., p. 146.
279
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., pp. 30-31.
144
tenait à la tradition et prônaient avant tout l’expérimentation. Néanmoins, l’analogie entre
dans les deux mouvements n’est qu’apparente car pour l’essentiel, ils sont quasiment
antinomiques. Dada réagit à l’époque par le sarcasme et l’ironie – réactions que l’on pourrait
juger négatives. Cobra, au contraire, rejeta les apparences afin d’atteindre les valeurs
profondes et authentiques de la vie et de l’art280.
Dotremont insiste aussi sur l’automatisme de l’écriture, mais avec une réserve qui annonce
déjà celles de Jorn et de Cobra. Il écrit : « Dans l’automatisme, le poète ne possède plus aucun
talent que le reste des hommes ne pourrait facilement montrer »281. Il parlera plus loin d’en
venir à la poésie collective, à la poésie-par-tous, « qui ne doit pas être une somme de poèmes-
pour-quelques-uns »282. À partir de 1945, les contacts du cercle avec des poètes et le fait que
certains peintres écrivent des poèmes débouchent sur la publication de plaquettes où le dessin
accompagne la poésie. Jorn, pour sa part, parvient pendant l’hiver 1947-48, lors d’un séjour
en Tunisie, à une fusion spontanée de l’écriture et de l’image dans une série de dessins à
l’encre de Chine rapportés de Djerba283.
Christian Dotremont, qui va jouer un rôle décisif dans le mouvement Cobra, est l’un des
principaux collaborateurs de La Main à plume. Presque tous les membres de cette revue ont
participé, à des degrés divers, à la Résistance284. Avant même le grand départ du café Notre-
Dame, Jorn et Dotremont avaient créé, à Massy-Verrières et rue des É peronniers, à Bruxelles,
des peintures-mots, moins d’une demi-douzaine de petites toiles. La nouveauté de
l’expérience consistait en l’émergence simultanée de l’écriture et de la peinture, les formes et
les graphismes réagissant réciproquement pendant la co-naissance de l’œuvre. Dans une lettre
adressée à Constant, à Amsterdam, Dotremont raconte comment les choses se sont passées :
« Jorn et moi avons beaucoup travaillé pendant trois jours. Nous avons pris de
petites toiles. Parfois, j’ai commencé à écrire des mots, puis Jorn a peint (le tout
automatiquement). Parfois, ça a été l’inverse. Nous avons voulu (automatiquement)
280
Willemijn Stokvis, COBRA, op.cit., p. 9.
281
Les peintures-mots de Cobra seront d’une autre nature, dans un esprit de spontanéité, dont Magritte était
dépourvu ou dont il se méfiait. Pour Dotremont, le surréalisme de Magritte et Nougé est bien trop « froid et
planifié », ce qui l’en éloignera progressivement, non sans qu’il eût collaboré à diverses reprises avec Magritte –
jusqu’à tenter de réaliser avec lui des « cartoons » (en 1945-1946). Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre,
op.cit., p. 14.
282
Ibid., pp. 15-16.
283
Willemijn Stokvis, COBRA, op.cit., p. 146.
284
Ibid., p. 152.
145
mêler organiquement mots et images – Jorn y a vu une suite des traditions
paysannes »285.
Dans Je lève, tu lèves, nous rêvons (1952) (fig. 50), le dessin est une expression des efforts
des artistes Cobra pour transcender les frontières entre poésie visuelle et art, d’une part, et
d’autre part pour effacer les limites à la subjectivité des artistes. Cette oeuvre commente ainsi
sa propre tentative d’aller au-delà des limites de chaque milieu et de chaque individu dans le
rêve de la création collective.
C’est vers 1962, dans la lancée des « dessins-mots » avec ses amis, que Dotremont trace ses
premiers logogrammes, de toute petite taille. Mais leur origine remonte, nous le savons, à bien
plus haut : Magritte, É luard et Picasso, suivis des premiers échanges avec Jorn. Un autre jalon
déterminant pour Dotremont aura été l’expérience concrète qu’il a décrite et commentée dans
Signification et sinification (n° 7 de Cobra) : regardant par transparence et dans le sens
vertical un de ses manuscrits, il constate que son écriture, vue sous cet angle, « a quelque
chose de chinois ». La singulière expérience pour lui, qui n’avait cessé de « rêver chinois ! ».
L’effort de Cobra pour revenir à l’originel de l’art, à l’immédiateté et à la spontanéité de l’être,
concernait un système indépendant de la langue. Le signe graphique est une image à
considérer en soi et sur laquelle il convient de porter le même regard que sur la forme
plastique. Ainsi l’écriture rejoint-elle dans un destin commun la peinture au sens du Cobra et
Dotremont peut-il légitimement avec ses logogrammes être défini non plus comme simple
écrivant, mais comme peintre de l’écriture.
« Ne me dites pas que mes logogrammes sont abstraits. Et ne me dites pas qu’ils
sont calligraphiques : Je ne cherche pas la beauté, je la trouve parfois, et alors je
l’accepte, si elle n’est pas purement formaliste. Mon but n’est ni la beauté ni la
laideur, mon but est l’unité d’inspiration verbale-graphique ; mon but est cette
source »286.
Les logogrammes, qui ont fait l’objet d’expositions importantes à travers le monde à Paris,
New York, en Scandinavie, etc., et dont un certain nombre a été rassemblé dans un superbe
Logobook (1975), rendent visibles de la plus immédiate façon par noir sur blanc. La
285
Jean-Clarence Lambert, COBRA : un art libre, op.cit., p. 95.
286
Christian Dotremont, Traces, Brussels : Jacques Antoine, 1980, pp. 20-21.
146
dimension majeure de Cobra a été de renouveler le défi de la spontanéité pourtant déjà
exploré par les surréalistes.
L‘œuvre de Christian Dotremont et d’Asger Jorn, Ç a diapre (1963) (fig. 51) et celle de
Christian Dotremont, Dépassons l’anti-art, (1974) (fig. 52), comportent une dimension
politique. L’imagination scripturale est un cas particulier de l’imagination plastique. Les
logogrammes en seront la répétition ; toutefois, comme ils sont aussi des textes poétiques ou
critiques, ils ne briseront pas l’unité verbale-graphique : « Écrire, c’est créer à la fois le texte
et les formes ». Cette valorisation de la « visibilité » de l’écriture est bien dans l’esprit de
Cobra et Dotremont ne manquera de le souligner dans son essai de 1978 : « J’écris, donc je
crée »287. Jorn utilise la relation entre l’image et les mots d’une autre manière.
Le contradictoire et l’ambivalent sont au centre de toutes les activités de Jorn. Il est à la fois
un homme sérieux qui discute gravement les grands courants théoriques de son temps et un
ironiste ludique et populaire qui se fait une vertu de perforer toute théorie qui a été érigée en
une vérité établie. Une volonté d’aller en territoire inconnu, de faire des erreurs et de renoncer
à la logique ordinaire était à la fois une stratégie artistique spécifique pour Jorn et une attitude
générale, une alternative à la mentalité scientifique et idéologique.
Les images de Modifications, peinture-écriture, collage, utilisation des produits de
consommation populaire correspondent à cette stratégie. Nous pouvons penser que les street
artistes acceptent ces stratégies et ces idées. Nous avons découvert la valeur artistique de l’art
populaire dans le cadre de notre étude sur les critiques français du XIXème siècle et dans les
idées d’Asger Jorn. L’utilisation de la culture de masse par les artistes fait écho aux débats de
la société dont ils sont contemporains. A travers une préoccupation sur la « légèreté » de la
culture de masse se réalise la conscience critique de l’époque et la valeur d’œuvre d’art.
D’autre part, les street artistes se rebellent en altérant ou en défiant le monde de l’art
contemporain.
L’art dans la vie, c’est pour Jorn le refus de la consommation par l’argent au profit de la
transformation des conditions de vie. C’est la volonté d’une expérimentation plastique, d’une
invention de formes. Ce sont les images détournées de ses rapports avec les autres ici et
maintenant dans une morale personnelle du quotidien. Il poursuit le message de l’art dans sa
transformation. Il rejette la mise en exergue, même pour les combattre, des images
industrielles, de même que l’attitude conceptuelle fondée sur l’agencement spatial de l’objet
287
Ibid., p. 174.
147
préexistant. Il intervient sur le monde pour le recréer. Il veut modifier l’art, les objets,
l’architecture, l’espace quotidien. Il refuse, en parallèle, le formalisme de l’abstraction
purement formelle, comme l’illustration du réalisme sans ambigüité et sans invention
matérielle. Il défend une vision immémoriale qui est celle du signe dans l’expérimentation des
formes. Ce n’est pas un touche-à-tout multipliant les supports, mais il met en œuvre une
hybridité unifiant la forme et le sens dans la réunion déstabilisatrice des plans et des contraires.
C’est en cela que l’optique de Jorn nous a semblé d’une grande importance pour résoudre l’un
des problèmes clefs de l’art contemporain. Son attitude critique reflète également son regard
sur le graffiti.
Tout d’abord, nous revenons encore une fois à l’œuvre de Marcel Duchamp (fig. 31) qui
ajouta sur une reproduction de la Joconde des moustaches et une barbiche. A la place du titre,
il écrivit les mots « L.H.O.O.Q. », précisant par ailleurs qu’il convient de lire phonétiquement
ces lettres. La tradition du graffiti insolent entrait ainsi au musée.
D’une part, elle s’attaquait aux œuvres qu’il contient, ce qui, en soi, n’était pas très
nouveau, puisque ce type de « vandalisme » est fort ancien. Mais, d’autre part, elle forçait les
portes de ces temples de l’art, détruisant l’idée même d’une limite entre vandalisme et
création : tout ce qu’a fait Duchamp occupe une place de choix dans ces hauts lieux de la
culture288. En 1919, Marcel Duchamp a produit un petit « readymade rectifié » sous la forme
d’une reproduction photomécanique de la Joconde, à laquelle il ajoute une moustache au
crayon et les lettres LHOOQ. Etant donné que Fallimento de Giacomo Balla datant de 1902
est essentiellement une huile sur toile qui imite une photographie instantanée, la petite carte
de Duchamp est sans doute le premier ouvrage entièrement moderne intégrant le graffiti dans
ses stratégies289.
La défiguration mineure de Duchamp identifie l’écriture en graffiti comme étant une
activité réactive plutôt que créative, absorbée dans la critique ou le commentaire de ce que
d’autres ont fait, plutôt que dans une expression personnelle directe. Si Duchamp suggère que
les deux sont similaires, c’est au prix d’un idéal artistique ancien, et non au crédit d’un nouvel
288
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, op. cit., p. 44.
289
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op. cit., p. 77.
148
idéal de graffiti. La proposition, ici, est que l’artiste moderne peut agir comme l’artiste de rue,
non pas dans la récupération d’une quelconque force barbare préverbale, mais dans une
irrévérence cynique et consciente et dans l’utilisation insidieuse d’un esprit grossier et acéré à
l’encontre des vieux principes établis. Cette approche convenait parfaitement aux idées de
Duchamp.
Le recours aux graffitis a souvent inspiré les artistes peintres. L’histoire de l’art est ainsi
jalonnée de ce jeu avec les signatures non officielles, en tant que motif récurrent. Il n’est pas
rare de voir la signature du peintre insérée dans l’image, directement aux côtés de
reproduction de dessins d’enfants290. Dubuffet se trouve également à la fin d’une lignée qui
remonte de Brassaï à Luquet. Mais il se rapproche de la notion de Duchamp qui a montré les
graffitis comme un acte qui s’approprie, réorganise et combat les règles de la culture
dominante. La nouvelle perspective d’Asger Jorn sur la notion d’art populaire relève
indéniablement de l’engouement pour les graffitis. Il s’attache à une glorification des
banalités et des choses populaires dans son article, Intime Banaliteter (1941) jusqu’à ses
dernières années de travail avec « Thidrek » 291 qui est est liée à la volonté d’intégrer la
compréhension de la culture nord-européenne. Jorn, il écrit en 1944 dans la revue
d’architecture A5.
Alors, la grande toile de Jorn intitulé Stalingrad, stedet som ikke er eller modets gale letter
(Stalingrad, no mans’s Land or the Mad Laughter of Courage) (fig. 53), ne serait pas de l’art
parce que faisant référence explicitement à un événement historique, en étant donc en
situation d’illustration, de dépendance sémantique. Mais par sa nature plastique, épaulée
d’ailleurs par le sous-titre « le non-lieu ou le fou rire du courage », l’ensemble complexifie la
290
Johsnnrd Stahl, Street Art, op. cit., p. 31.
291
Des livres de Gotlands Didrek et folkekunstens Didrek : Troels Andersen, « Thidrek », Asger Jorn, ARKEN
Museum of Modern art, 2002, p. 140.
292
Willemijn Stokvis, COBRA, op.cit., p. 146.
149
mission illustrative assignée. Cette toile, tant de fois retouchée de 1957 à 1972, devient une
sorte de vaste mur de graffitis, d’ectoplasme improbable. Jorn ne se résout pas à faire du
réalisme « socialiste » comme certain muralistes. Sa pratique, traversée de significations
nombreuses, présente des compositions à interprétations multiples, des énigmes formelles et
sémantiques293.
Afin de favoriser l’expérimentation, Jorn a toujours cultivé la spontanéité, la considérant
comme la première phase de l’état créatif : « Notre idée de la liberté est complètement
différente. Nous sommes pour une liberté spontanée »294 . Jorn préfère ce qu’il nomme la
« spontanéité irrationnelle ». Symbolique de l’ensemble, Stalingrad, la toile imaginée dès
1937, après le choc de la découverte du Guernica de Picasso, a été couverte de peinture,
recouverte de coups de pinceau, jusqu’à ne pas signifier davantage que ce qu’un champ de
neige peut dire : tout a commencé avant et l’oubli de ceci ne peut être que momentané. Si Jorn
avait vécu plus longtemps, elle aurait encore changé de nom, voire d’apparence. Il ne s’agit
pas d’une image, mais d’un laboratoire, comme chacun des champs investis, chacune des
images envisagées, chacun des textes inscrits295.
En hommage au syndicaliste Christian Christensen296 qu’il a fait rencontrer à Debord, Jorn
fait paraître Critique de la politique économique, suivie de La Lutte Finale en 1960, critiquant
les usages marxistes de la pensée de Marx. A l’Institut scandinave de vandalisme comparé,
sort en 1962 Vaerdi og Okonomi (La Valeur et l’économie), sur la couverture duquel il se
présente malicieusement avec une longue barbe à la Karl Marx297. Jorn, à ce sujet, a écrit un
certain nombre de livres et de documents, et, en 1961, a créé l’archive et l’institut scandinave
de vandalisme comparé qui étudie la culture populaire de l’Europe du nord. Jorn souligne que
le style des graffitis sur les bâtiments et la sculpture par les Vandales et les Goths ne
correspond pas à des actes de vandalisme, mais à une culture spécifique qui s’est diffusée
dans presque toute l’Europe.
D’ailleurs Jorn a produit le livre Guldhorn og lykkehjul (1957) qui exploite les graffitis des
murs de l’église de Normandie. Ce livre montre que les signes des Vikings ne constituent pas
293
Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger Jorn, op.cit., p. 37.
294
Cité par Françoise Monnin, Asger jorn, op.cit., pp. 36-37.
295
Entre 1957 et 1960, cette fameuse toile est baptisée La retraite de Russie, puis Le fou rire. Plus tard, elle
deviendra Stalingrad. Ibid., pp. 71-75.
296
« J’ai appris auprès de lui le contenu libertaire de la révolution sociale », Voir Asger Jorn, Critique de la
politique économique, suivie de la lutte finale, Belgique : Internationale Situationniste, 1960.
297
Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger Jorn, op.cit., p. 134.
150
un acte de vandalisme en raison de la faiblesse de ses aspects linéaires, mais poursuit un effet
décoratif. En 1957, paraît un livre danois avec une traduction française de sa femme (Matie
van Domselaer) et de Michel Ragon, Les Cornes d’O et la Roue de la Fortune.
(« Méthodologie des cultes »), où Jorn s’applique à comparer les représentations symboliques,
en rassemblant des travaux antérieurs. Dans les années 1960, Jorn travailla à la réalisation
d’une série monumentale d’ouvrages portant sur 10 000 ans d’art populaire nordique. Ce
projet s’inscrivait dans le cadre de ce qu’il appelait « L’institut scandinave de vandalisme
comparé ». Plus de 25 000 photos prises par Jorn dans les églises et les musées scandinaves,
au Danemark, en Norvège et en Suède, ont été organisées sous sa direction298. Jorn de mettre
en tension le sérieux et le parodique, le savoir et la dérision. Le terme de vandalisme se réfère
à l’Histoire du vandalisme de Louis Réau299. Mais là où ce savant ne voit que menace et
chefs-d’œuvre en péril, Jorn s’efforce d’isoler une catégorie d’expression en soi, touchant du
reste à un point sensible de notre époque : une bonne partie de l’activité artistique
contemporaine n’est-elle pas inspirée par la destruction ?300
L’essentiel de son entreprise consiste à faire reconnaitre la richesse des cultures d’Europe
du Nord, dans la magie desquelles l’Occident trouverait matière à se ressourcer s’il voulait
bien y prêter attention. Gardant en tête les pratiques folkloriques et les légendes finnoises du
Kalevala qui ont bercé son enfance, et à la lumière de ses visites du Musée de l’Homme en
1938 à Paris, il entreprend un vaste travail d’inventaire. Embauchant dès 1951 Gérard
Franceschi, le photographe auteur des célèbres illustrations en noir et blanc des ouvrages
d’André Malraux, Jorn publie en 1964 un recueil des Signes gravés sur les églises de l’Eure et
298
Troels Andersen, « Jorn en France », sous la direction de Jonas Storsve, Asger Jorn : œuvrés sur papier,
op.cit., p. 30.
299
Voir Louis Réau, Histoire du Vandalisme, Paris : Robert Laffont, 1994.
300
Jorn présente la classification par Louis Réau des diverses variétés de vandalisme selon qu’il s’agisse de
destruction de monuments à signification historique ou à caractère artistique. Louis Réau opère la classification
suivante : D’une part, avec Mobiles inavoués, il s’agit d’un Vandalisme sadique : l’instinct brutal de destruction ;
d’un Vandalisme cupide : avidité aveugle de pillards ; d’un Vandalisme envieux : effacement de la trace des
prédécesseurs ; d’un Vandalisme intolérant : fanatisme religieux et révolutionnaire ; d’un Vandalisme imbécile :
le graffitomanie.
D’autre part, avec Motifs Avouables, nous trouvons le Vandalisme religieux ; le Vandalisme pudibond ; le
Vandalisme sentimental ou expiatoire ; le Vandalisme esthétique du goût ; le Vandalisme enginiste et
collectionneur.
À cette classification bien detaillée, Jorn ajoute que pour pouvoir vraiment dénoncer le vandalisme, il parait
essentiel de pouvoir indiquer non seulement l’acte, mais également l’agent responsable. Sous la direction
d’Asger Jorn, Signes gravés sur les églises de l’Eure et du Calvados, Institut scandinave de vandalisme comparé,
Bibliothèque d’Alexandrie- Vol.2, Editions Borgen, pp. 131-135.
151
du Calvados (fig. 54)301. Cette lire ecense d’anciens graffitis tracés sur les murs d’églises.
Jorn soutenait qu’il pouvait y avoir un lien entre ces graffitis et les gravures et inscriptions
rupestres nordiques. Sa théorie fut totalement rejetée par les archéologues français, mais Jorn
ajouta une conclusion aux contributions des archéologues, dans laquelle il présentait une série
de considérations philosophiques302.
Quand Asger Jorn fonde l’Institut Scandinave de Vandalisme comparé, il étudie les signes
anciens et utilise ces acquis pour peindre dans l’allégresse d’une gestualité libérée, chargée
d’une énergie primordiale nourrie d’une longue tradition primitiviste303. Si la modernité a
placé Sade ou les traditions orales des conteurs sur le devant de la scène, elle a introduit les
objets folkloriques et les « peintures naïves » dans l’univers des formes artistiques.
Indéniablement, les graffitis ont bénéficié de cet engouement, au point qu’il semble difficile
maintenant de nier l’intérêt poétique ou pictural de certains d’entre eux. Asger Jorn plaidait
pour ces changements de perspective :
« Ne doutons pas qu’une mise en valeur de ces graffitis, qui serait réellement
fonction de leur véritable importance, ne soit critique – et de manière probante – de
la structuration traditionnelle de l’histoire de l’art. Faire entrer ces graffitis dans
l’Histoire de l’Art, peut-être est-ce ajouter à la confusion déjà grande où celle-ci se
débat actuellement »304.
La procédure d’intervention sur des œuvres anciennes est quelque chose que Jorn a
également découvert sur un certain nombre de murs d’églises en Normandie où les Vikings
avaient réalisé des incisions-graffitis comme dans les fresques305. Il a considéré le vandalisme
comme un moyen positif d’inscrire de nouvelles valeurs symboliques en donnant à des objets
culturels obsolètes de nouvelles significations. A ses yeux, c’était l’expression d’une volonté
particulièrement nordique de réinterpréter et d’adapter la matière picturale existante. Cette
idée allait à l’encontre des préjugés historiques qui présentaient les Vikings comme des
301
Françoise Monnin, Asger jorn, op.cit., p. 62.
302
Troels Andersen, « Jorn en France », sous la direction de Jonas Storsve, Asger Jorn : œuvrés sur papier,
op.cit., p.30.
303
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, op.cit., p.52.
304
Sous la direction d’Asger Jorn, Signes gravés sur les églises de l’Eure et du Calvados, op.cit., p. 255.
305
Les photographies de cet ouvrage ont été réalisées par Gérard Franceschi. Jorn a engagé le respecté
photographe français Gérard Franceschi, avec qui il a voyagé dans toute l'Europe afin de documenter et
comparer l’« art vandale ».
152
vandales, et en tant que tels souvent confondus avec des barbares incultes et sauvages
L’aspect comparatif promu par l’Institut scandinave de vandalisme comparé consistait en des
enquêtes sur des expressions du vandalisme dans la plupart des pays de l’Europe au sein
d’une démarche qui procédait d’une tolérance fondamentale envers la pensée des autres
cultures. Il a donc également fait preuve d’une volonté de lutter contre l’uniformisation
culturelle306. L’Institut scandinave de vandalisme comparé est devenu un nouveau cadre pour
les activités de Jorn après qu’il eut quitté l’Internationale situationniste.
La création des graffitis est souvent le résultat de la répétition régulière de gestes identiques,
ce qui indique qu’il s’agit bien là d’un rituel 307 . Cet acte répété peut devenir un acte de
résistance. Mais l’attitude constante de rechercher une utilité à l’art a toujours été considérée
par les artistes comme une forme d’oppression et une atteinte à leur liberté. Jorn déclare que
« Guy Debord donne dans le vandalisme incendiaire, en ce cas précis où s’opposent
socialisme et barbarie, et se trouve bien du côté des barbares »308. Comme Debord, beaucoup
de théoriciens n’ont accepté de manière générale que le caractère vandale incendiaire ou
négatif du graffiti. Theodor W. Adorno était plus négatif. Il présente ainsi les « Vandales »,
mot qui sert de titre à un chapitre de Minima moralia :
Asger Jorn a créé une harmonie entre la culture populaire et l’art élite sans une absorption
du premier par le second. Toutefois, ce chapitre a tenté d’offrir un aperçu du monde visuel
complexe de Jorn – en particulier de sa vision sur la culture populaire, des formes artistiques
expérimentalement libres, du rôle de l’art sur la société. Par les différentes approches, des
peintures aux théories de Jorn, nous nous sommes concentrés sur ses œuvres protéiformes,
présentées par exemple dans ses interventions sur de vieilles photos, ses collages, et dans
d’autres expériences picturales et éditoriales.
Pour Jorn, l’art ne s’exprime pas seulement par les mots, les tons et les couleurs. Il
s’agitd’abord d’un mode de vie. Cette approche critique l’a conduit à adhérer à l’idéologie
marxiste et elle s’est manifestée de façon éclatante dans sa vie tumultueuse et mouvementée.
Il a présenté ses théories sur le kitsch, la culture populaire, le vandalisme, les graffitis, les
présentant avec sympathie et en soulignant leur intérêt. Cela aboutit à une distance ironique,
en parallèle à ses essais de diverses stratégies picturales. En parodiant Lévi-Strauss dans La
Langue verte et la cuite310, Pollock dans Luxury painting, Duchamp ou les peintres du week-
end dans Modifications, il les absorbe organiquement. Ils perdent leur caractère pour être
ingérés, assimilés puis régurgités dans une version subvertie et habituellement plus étoffée311.
Et ainsi, par l’utilisation du langage ironique, Jorn a développé un art pratique et critique.
310
En 1968, La Langue verte et la cuite parodiant avec la collaboration de Noël Arnaud Le Cru et le Cuit de
Lévi-Strauss ou encore les livraisons du Situationist Times (avec Jacqueline de Jong), posent de nouveaux
rapports entre le discours des images et celui des mots concernant l’art populaire ou le graffiti, un livre gag.
Constitué de photographies d’œuvres ou d’humains dont nous voyons la langue, ainsi que de recettes de cuisine
invraisemblables : chacune de ces langues, longuement tirée, est repeinte en vert ou en rose par les deux
complices. Titre du recueil ? La langue verte et la cuite. Un second volume, inachevé, devait être consacré aux
barbes. Et en consultant les archives de Jorn, conservées au musée de Silkeborg, les liasses de notes et d’images
emmagasinées laissent à penser que d’autres ouvrages mijotaient aussi.
Françoise Monnin, Asger jorn, op.cit., pp. 39-42.
311
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., p. 116.
154
Il a utilisé ces acquis pour peindre dans l’allégresse d’une gestualité délivrée, chargée d’une
énergie primordiale nourrie d’une longue tradition largement humaine plus que
spécifiquement artistique. Souvent, il dessine sur des feuilles déjà écrites, des factures, des
brouillons d’écrivain, des plans de ville, des cartes, ou sur de précieux documents manuscrits
du XVIIIe siècle. Cette façon de marquer un territoire déjà occupé, d’insérer son propre
discours dans celui d’un autre, n’est pas sans proximité avec les pratiquespurement
graffitistes312. Mais les œuvres de Jorn ne ressemblent pas plus aux graffitis que celles de Joan
Miró, Paul Klee, André Masson, Max Ernst, ou qu’aux travaux de Jean Dubuffet et de Cy
Twombly.
Bien sûr, nous obtenons une image plus complète de Jorn non seulement en acceptant qu’il
avait un pied dans les deux camps, mais aussi en reconnaissant qu’il s’est fait un point
d’honneur à les affronter tout en en transcendant les frontières. Son travail implique une
réflexion théorique sur lui-même et s’interroge sur le rôle d’art dans la société. De la même
manière, il se situe entre la peinture traditionnelle moderniste, introvertie qui est restée dans
ses propres cadres, et la peinture plus politique et sociocritique. En d’autres mots, il a rejeté la
construction d’un « pour ou contre », bien qu’il pensât que le point de vue « bourgeois » de
l’art constituait un danger pour l’art libre, qui risquait d’être exploité par le système et d’y
perdre sa puissance critique. Dans certaines de ses œuvres, il y a un ton si ironique et une
activité tellement subversive que la fondation moderniste est ébranlée et, sa praxis artistique
comme les modes de pensée théorique se déplacent vers le postmodernisme. Jorn a
constamment mené une lutte sur la frontière entre l’expression et l’ironie, l’écrit et le pictural,
le théorique et le matériel.
Il a accentué l’idée que l’art n’est pas une œuvre achevée, mais une étude toujours en cours
et inachevée. Il a aussi ambitionné une harmonie entre art et vie en relation avec Guy Debord
et les groupes divers auxquels il a participé tout au long de sa vie. Pourquoi s’est-il intéressé à
la culture populaire ? Jorn a montré un intérêt pour ses formes et il ainsi mit l’accent sur ses
propriétés et sa force de résistance. Dans le même temps, il a constamment réfléchi au but de
l’art, sur la forme et le contenu d’une œuvre d’art et il a utilisé l’art à comme outil pour
dénoncer les problèmes de sa société. Cela serait l’exemple le plus approprié pour « la
négativité à travers l’art négatif » qui a été mentionné par Adorno. Jorn et Debord ont fait de
nombreux commentaires, mais il s’agit de prendre une attitude différente sur l’art et la
312
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, op.cit., p.52.
155
politique. Jorn puisait dans l’œuvre d’avant-garde, mais il a rejeté les « -ismes », et il a adopté
une attitude prudente pour que l’art ne devienne politisé ni dans la forme ni dans le contenu.
L’art peut montrer la situation politique et critiquer les problèmes sociaux, mais il ne doit pas
être utilisé dans la politique. C’est cette raison qui a fait échouer de nombreuses œuvres d’art,
même avant-gardistes.
Cette perspective d’Asger Jorn est importante afin de suggérer le rôle de l’œuvre d’art dans
la rue, parce que la rue était souvent utilisée pour des stratégies de propagande, éducatives ou
idéologiques. Ces caractéristiques se voient à travers les affiches propagandistes, les activités
politiques d’avant-garde dans la rue urbaine, ou l’art public dirigé par le gouvernement. En
accord avec les idées de Jorn, des affichistes européens critiquent la société à travers une
approche « vandaliste ». Leur travail, souvent anonyme, porte un discours critique sur la rue
et l’époque.
Nous avons vu que Jorn représente la société dans laquelle il vit à travers ses œuvres dont
les fondements sont ses convictions en ce qui concerne notamment la culture populaire, la
portée des images, et la compréhension des graffitis. Jorn a également essayé d’harmoniser la
relation entre l’art et la culture populaire tant redoutée par Adorno. Son objectif n’est pas
simplement le développement formel comme les artistes modernes, un regard sur la culture
populaire et anonyme qui peut révéler une valeur artistique.
Dans le même temps, dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale313, la tradition
d’une valorisation des phonèmes et de la déclamation gestuelle de la poésie se poursuit à Paris,
313
La même chose a lieu en France, qui avait perdu, avec la guerre, sa crédibilité politique, mais qui voulait
récupérer tout de suite son hégémonie artistique, surtout Paris, la ville ayant représenté le centre du Modernisme
durant la première moitié du siècle. Ici aussi, la mixtion idéologique conduit les artistes dans différentes
directions, qui vont du Réalisme au Néo-cubisme, de l’Abstraction géométrique au Surréalisme tardif. Germano
Celant, Mimmo Rotella, trad. Silbia Bonucci et Claude Sophie Marzéas, Paris : Skira, 2007, p. 30.
156
à partir de 1946, avec les protagonistes du mouvement du Lettrisme crée par Isidore Isou314.
C’est dans ce climat de mélange de traditions et d’innovations dans le domaine de l’art qu’il
faut situer la présence de Pierre Restany qui se démontre par l’apparition incessante de
nouveaux courants en marquant incontestablement la genèse de l’art contemporain. Les
transformations sociales sont l’avènement de la culture de masse, de nouvelles conditions de
travail, de la montée des valeurs de la distraction et de l’exposition, de la transformation de la
politique en spectacle, bref, des transformations qui accompagnent le développement du
capitalisme industriel 315 . Dans ce contexte particulier des mouvements contestataires qui
secouent la sphère artistique traditionnelle et intellectuelle apparaissent : les mouvements
d’art contemporain accompagnent le changement social avec l’art figuratif nouveau.
La question se pose donc de savoir comment les artistes européens, face à un horizon
historique de l’après-guerre, en particulier les limites européennes et les interdictions qui était
fondamentalement différentes de celle de leurs homologues américains, ont réagi. Notre étude
ne présente pas le contexte complexe de l’art contemporain, mais remarque que l’art
contemporain utilise les medias populaires et hybrides, et traite des problèmes politiques et
critiques, malgré l’aliénation du public. Dans les mouvements principaux de l’histoire de l’art
contemporain, quelques artistes créent de manière solitaire.
A cette époque, que s’est-il passé? Y a-t-il eu un changement radical dans l’histoire de l’art
contemporain? C’est aux É tats-Unis que nous entendimes parler en premier de
postmodernisme, l’associant au Pop Art et cette réflexion introduit un nouveau champ
historique au débat sur la postmodernité. Mais en Europe, la pertinence et la formulation de
questions théoriques et politiques opèrent plus fréquemment un renversement des rôles de
l’art. Ce processus se déroule en même temps que les mouvements militants et d’avant-gardes
qui sont le Nouveau Réalisme, le Situationnisme, le Happening, et le Fluxus, l’Arte Povera, la
Figuration narrative, la Nouvelle Figuration, et etc. Il est nécessaire d’ouvrir un champ
théorique qui ne se limite pas et permette également de rendre apparente l’histoire d’un
décalage entre des pratiques artistiques et les discours idéologiques. Marie Luise Syring a
314
Ibid., pp. 19-20.
315
L’une des premières industries françaises de récupération après la Seconde Guerre mondiale a été l’industrie
automobile. Depuis que Comte de Saint-simon parle de la « société industrielle », la théorie française de Henri
Lefebvre et Guy Debord, a commencé à se rapprocher d’une théorie critique de la société. Yves Michaud insiste
sur le fait que les découvertes techniques, ce sont celles qui assurent, depuis la lithographie et la photographie, la
reproductibilité des œuvres. Yves Michaud, La crise de l’art contemporain : Utopie, démocratie et comédie,
Paris : PUF, 1997, p. 64.
157
insisté sur ce point dans « 1960-1980 Critique politique, critique de l’image, contestation
détournement » :
Il explique la complexité de l’histoire de l’art contemporain. Toutes les voies de l’art ont
été explorées et expérimentées, mais pouvons-nous abolir la distance entre l’art et le
public ? Kirk Varnedoe, le nouveau directeur au MoMA de New York vient d’organiser, en
collaboration avec le journaliste Adam Gopnik, une exposition, High and Low – Modern art
and popular culture317. Dans cette exposition, les Américains et les Européens s’y rencontrent
sans discrimination, sous le signe commun de la culture populaire. Mais il faut remarquer que
cette ambiance artistique différente entre deux pays revendique un changement du statut de
l’art dans la société marchande, sortir des galeries, renforce le contact avec le public, dénonce
le marché de l’art. Ainsi nous distinguerons les différences radicales entre les arts des deux
pays malgré le fait que cette division ne soit pas exacte parce qu’il y a toujours des querelles
sur le Pop art revisité sous la direction du mouvement de l’avant-garde et la méthodologie
critique par les théoriciens du post-marxisme américain.
316
Marie Luise Syring, « 1960-1980 Critique politique, critique de l’image, contestation détournement», Face à
l’Histoire 1933-1996, Paris : Flammarion, Centre Georges Pompidou, du 19 décembre 1996 au 7 avril, 1997, pp.
350-357.
Restany explique aussi : « En 1960, après quinze ans de guerre froide entre les marchands parisiens et new-
yorkais, les ponts étaient virtuellement coupés. L’âpre rivalité commerciale entre les deux métropoles avait
conduit au plus aberrant résultat : la rupture quasi-totale des relations humaines entre les expressionnistes
abstraits américains et leurs homologues informels ou tachistes européens. » Pierre Restany, Nouveau Réalisme :
1960-1990, Paris : La Différence, 1990, p. 68.
317
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit.
158
L’étude du rapport entre le domaine de l’art et celui de la production industrielle s’est, bien
entendu, focalisée sur les « nouvelles approches perceptives du réel »318. Et les Nouveaux
Réalistes ont la valeur ajoutée, sémantique, sociale et culturelle, qui s’attache aux produits
industriels du fait de leur entrée en art. L’action collective du groupe des Nouveaux Réalistes
est brève, mais son influence sur le climat artistique des années 70, notamment en France, est
considérable. Pierre Restany annonce ce que sera le contexte socioculturel de l’époque, un
humanisme technologique qui a su tempérer l’élan optimiste d’une vision planétaire par le
sens réaliste d’une nature moderne, émanation directe d’une société industrielle encore à son
apogée mais déjà proche du déclin319.
Une grande partie de la théorisation de Restany porte sur l’extraordinaire dans l’ordinaire,
au sujet de la présence de l’art dans la réalité banale de la quotidienneté urbaine. Restany n’a
jamais montré une trace d’anti-américanisme, pourtant l’attitude en vogue dans la France des
années cinquante et adoptée par Henri Lefebvre, avec les Situationnistes, et par les marxistes
en général320. Michel Ragon explique :
318
Restany définit donc le «Nouveau Réalisme » des années 1960 : « Le jeudi 27 octobre 1960, les Nouveaux
Réalistes ont pris conscience de leur singularité collective Nouveau Réalisme = nouvelle approches perceptives
du réel. […] Ce parti pris s’inscrivait dans la ligne générale de cette cristallisation de ma pensée.» Le recyclage
poétique du réel urbain, industriel, publicitaire. Le décollage d’affiches, la compression d’autos, l’accumulation,
le piégeage d’objets, l’emballage, l’animation mécanique de la ferraille, etc. Pierre Restany, Nouveau Réalisme:
1960-1990, op.cit., pp. 109-111.
Cependant, entre Néo-dadaïsme, Junk culture et Nouveau Réalisme, les frontières apparaissent alors trop
incertaines pour que le « retour au réel » dont on les crédite ne semble bientôt plus autre chose qu’une réponse
artistique plus ou moins satisfaisante au déferlement de la société de consommation et de la culture de masse
dans l’Occident en proie à la crise des valeurs. A partir de 1963, l’avènement du Pop Art aux Etats-Unis, puis en
Europe, semble enfin donner à cette réponse la forme iconographique assimilable que prévoyait Sidney Janis.
Jean-Paul Ameline explique bien ces relations pendant les années 1960. Jean-Paul Ameline, Les Nouveaux
Réalistes, Paris : Centre Georges Pompidou, 1992, pp. 52-53.
319
Pierre Restany, Nouveau Réalisme : 1960-1990, op.cit., p. 67.
320
Michèle C. Cone, « Pierre Restany and the Nouveaux Réalistes », Yale French Studies, No.98, 2000, pp. 53-
54.
321
Michel Ragon, « De la critique considérée comme une création », Pierre Restany, Les nouveaux Réalistes,
Paris : Planète, 1968, p. 10.
159
La conception de Restany sur l’art est la suivante: « L’art a dépassé de si loin la pensée et la
réflexion qu’il lui faut aujourd’hui retrouver directement le réel objectif »322. Il est capital de
remarquer que l’intégration de la dimension commerciale de la vie quotidienne de rue par les
affichistes ouvre sur un domaine plus spécifiquement contemporain de la politique, fondé sur
l’antagonisme entre la gauche européenne et la culture de masse entraînée par un capitalisme
perçu comme imposant les valeurs américaines. Cet esprit sociocritique et avant-gardiste est
toujours présent et les phénomènes artistiques qu’il engendre évoluent de manière continue323.
Alors, dans le mouvement du Nouveau Réalisme, nous aborderons seulement le Français
Jacques de la Villeglé et l’Italien Mimmo Rotella, appelés les Affichistes avec Raymond
Hains et François Dufrêne. Rotella et Villeglé et quelques pratiquants plus tard d’une méthode
similaire sont venus à être appelés, ne correspondaient pas un mouvement conscient, réfléchi
et stratège, mais ils partageaient certains intérêts, notamment dans la poésie phonétique et
l’expérience linguistique. Jacques de la Villeglé et Mimmo Rotella, ne réalisent pas de
revendications politiques fortes pour leur œuvre, mais la question spécifique du vandalisme en
tant que forme d’art activisme a été soulevée par la suite, tout comme pour les travaux
connexes d’affiches déchirées par le Danois Asger Jorn. Ils se battaient contre les normes
sociales et esthétiques dans la rue.
Tout d’abord, nous étudierons les travaux de Mimmo Rotella, qui ont commencé à la fin
des années 1940 et au début des années 1950, et qui sont fondés sur des agglomérations de
papier couché et déchiré. Ces travaux de double collage ont été trouvés sur les murs publics,
et consistaient en des affiches collées les unes sur les autres, puis soumises à la pourriture ou
au vandalisme en considérant ses stratégies artistiques pour élaborer Cinecittá, Mec-Art,
Blank et Sovrapitture.
Ensuite, nous nous attarderons sur la notion artistique de Jacques de la Villeglé pour qui la
syntaxe fortuite de ces fragments d’affiches collés ensemble constituait une façon d’articuler
un « inconscient collectif » de la société. Ses objectifs et ses motivations semblent avoir été en
totale contradiction avec les accents psychologiques à la fois des surréalistes et de Dubuffet.
Et après 1968, Villeglé travaillera l’alphabet socio-politique dans une quête des graffitis
anonymes dans la rue.
322
Ibid., pp. 30-31.
323
Ibid., p. 46.
160
Ces deux artistes travaillent des affiches lacérées sélectionnées différemment en fonction de
leurs contextes, et de leurs objectifs respectifs. Et dans le mouvement du street art, ils fixent
leur attention sur les graffitis qu’ils intègrent directement dans leurs tableaux. Comment
l’affiche lacérée, pose-t-elle différemment le problème sociologique par rapport au collage
dans le modernisme? Ces méthodes reflètent-elles les transformations sociales de l’époque ?
Pouvons-nous dire que c’est l’intérêt de Villeglé et Rotella pour les affiches anonymes et les
graffitis dans la rue, qui a donné assez d’importance au mouvement du street art pour
permettre la naissance d’une valeur artistique des graffitis de la rue française? Et dans bon
nombre des mouvements d’art contemporains, pourquoi s’intéresse-t-on à ces activités
solitaires et polémiques ? Pourquoi nous enthousiasmons-nous sur l’art éphémère de la rue?
324
Brandon Taylor, traduit par Lydie Echasseriaud & François Vidonne, Collage-The making of Modern Art, London :
Thames & Hudsonn, 2004, p. 8.
325
Eric Shanes, Pop Art: Une réponse à la culture de masse, New York : Parkstone, 2006, p. 15.
161
À la suite de ces travaux, nous disons généralement que le collage a été inventé vers 1910
ou 1911. Mais nous avons la preuve que Picasso en a réalisé au moins un dès 1908 dans Le
Rêve (1908) (fig. 56). Dans ce tableau, les jeunes femmes dorment, elles semblent rêver
comme l’indique le titre du dessin. Le dessin rudimentaire du cadre collé au milieu, semble
représenter leur rêve. L’homme tente de recueillir au bout d’un seau un poisson mort. Une
femme est debout tandis que l’autre, appuyée sur un coude, montre l’écran d’une main qui
ressemble à une tenaille qu’elle se noie dans son rêve et en même temps s’en saisit. À droite,
l’autre femme se lève pour partir avec les yeux fermés. Dans ce dessin, qui paraît animé, les
arbres créent le mouvement. Jacque Villeglé a fait des recherches concernant l’histoire du
collage.
Il clarifie l’utilisation du collage par les artistes modernes. Cette méthode a été
profondément influencée par le pop art, mais anticipait clairement les artistes d’avant-garde
européens. Ils s’intéressaient à toutes sortes d’images banales, mais, ici, l’approche est
différente. Malgré le fait que l’esprit des artistes du pop art se soit exprimé de manières
diverses, de nombreux livres distinguaient les deux courants, celui propre aux É tats-Unis et
celui propre à l’Europe dans le Pop Art. Lucy R. Lippard explique clairement dans son livre
Pop Art :
326
Jacques de la villeglé, « L’affiche lacérée : ses successives immixtions dans les arts », Leonardo, Vol. 2, No.1,
Janvier, 1969, p. 35 : Raoul Michau, « Les collages de peinture ou pictocollages », Leonardo, Vol. 1, 1968, p.
253.
162
« Depuis 1962, les critiques et les musées du monde entier se sont obstinés à mettre
dans le même panier les divers Nouveaux Réalismes et le Pop Art, mais il est clair
désormais qu’ils représentent, chacun, des phénomènes visuels totalement
différents. […] Les uns comme les autres se sentaient beaucoup plus concernés par
les objets de production courante caractéristiques de la civilisation industrielle et de
la société de consommation. Cependant les Américains acceptent telle quelle leur
réalité de chaque jour, tandis que les Européens inclinent à voir, dans leurs sources
d’inspiration, des « mythologies quotidiennes ». Moins agressif que son homologue
américain dans le domaine du style et de la forme, l’artiste européen, en revanche,
est volontiers porté à des manifestes ou à des déclarations qui, au regard de
l’attitude « cool » des Anglo-américains, contempteurs du « groupe », semblent
féroces, émotionnels et « engages » »327.
À l’instar de cette perspective de Lucy R. Lippard, nous distinguerons ces deux tendances
du fait que les artistes européens s’identifient avec la tradition du Surréalisme et le courant du
mouvement d’avant-garde.
Le Dada combinait des textes publicitaires, des images, des slogans, des pamphlets
révolutionnaires, des éléments du quotidien et de l’art populaire pour en faire des collages,
des tableaux graphiques, des photos, des films, des assemblages, du théâtre, des
performances328. Le photocollage ou photomontage est pratiqué sur la base du travail de John
Heartfield, mais la capacité des journaux à reproduire de la couleur a conduit les artistes à
renouveler le genre329. John Heartfield inventa un nouveau genre artistique, le photocollage,
dans lequel une grande partie de l’œuvre est composée de fragments de journaux, ouvrant
ainsi la porte à l’humanité toute entière. Le montage est un moyen de résistance qui a été
utilisé quelquefois par les nazis comme outil de propagande, mais le montage artistique ou
littéraire est, quant à lui, un outil critique tel que George Grosz, Paul Hausmann, et d’autres
l’ont exploité. La technique du collage a toujours provoqué une polémique sur la combinaison
revendication esthétique/revendication politique.
327
Lucy R. Lippard, «Le Pop Art en Europe et au Canada», Lucy R. Lippard, Lawrence Alloway, Nancy Marmer,
et Nicolas Calas, Pop Art, London : Thames & Hudson, 1997, p. 174.
328
Tilman Osterwold, Pop Art, trad. Wold Frunhtrunk, London : TASCHEN, 2007, p. 132.
329
Laurent Baridon & Martial Guédron, L’art et l’histoire de la Caricature, op.cit., p. 281.
163
Cette controverse se reflète particulièrement clairement dans le travail collectif de Guy
Debord et Asger Jorn. Les années 1950 ont vu une grande partie de l’activité s’épanouir en
Europe, un véritable réexamen de l’univers théorique relatif à la pensée esthétique. Debord a
lui-même réalisé des collages de morceaux de textes et de cartons assez librement disposés,
recouverts de raccords à l’encre. Pour Debord, La Société du Spectacle, vivant sur l’héritage
de l’impérialisme et du colonialisme, a un besoin urgent de se trouver confrontée à une
opposition révolutionnaire. Les collages de Debord affichent un certain dédain pour les
subtilités formelles. Guy Debord publie en association avec le travail de l’avant-gardiste
danois Asger Jorn sous le titre de Mémoires en 1959. Ce livre, qui constitue la principale
illustration de l’idée situationniste de « jeu collectif », comprend des fragments littéraires et
des parties découpées d’un plan de Paris disséminés librement sur, sous ou parmi les lignes et
les tâches de couleur disposées en coulures par Jorn. Dans ce livre, ils ont fait le collage en
combinant l’art et la politique. Debord a coupé des images et des textes dans des recueils de
poésie et des romans, des livres d’histoire et d’économie politique, des journaux et des
scenarii, des publicités et des bandes dessinées. Jorn a peint les lignes et les tâches sur ces
images et ces textes. Ce livre montre une critique ironique et amère de la société de
consommation en utilisant la masse commerciale.
Son utilisation du collage 330 et le concept de « Détournement » est central pour les
situationnistes. Cependant, quelques artistes de cette période de l’art expriment une critique
de leur société sans être liés par l’esprit du temps des moyens politiques. La politisation de
l’art était toujours problématique. Au delà d’une des intentions essentielles des collages
d’objet, la politisation présente l’exagération de l’ordre, de la propreté et de la morale qui
semble bien être la caractéristique d’une société de consommation agressive et éducatrice.
L’action des images politiques et manipulatrices des mass-médias, leur esthétique autoritaire
330
Jorn s’essaie aux travaux de collage de 1964 à 1970, comme dans Le Vertige de l’Horizontale (1969). Jorn, lui,
non plus, n’est pas créateur à répéter une formule pour être sûr d’être reconnu, mais, quand, par exemple, il
emprunte la voie des affiches lacérées ouverte par Hains et Villeglé en 1969, nul doute qu’il ne fasse du Jorn
(comme dans ses collages des années cinquante). [….] Il reste d’ailleurs très intéressant de constater combien il
se moque de reprendre le procédé des « affichistes » avec quelque dix ans de retard. Son propos n’est en effet
absolument pas l’innovation technique, lui semblant péripétie. Son propos demeure la recherche formelle. En ce
sens, il définit avec vigueur le rôle de l’artiste : un inventeur de formes uniques. Aujourd’hui, peu lui importerait
probablement de faire de l’infographie (qu’il pourrait éventuellement utiliser, comme les affiches lacérées) ou
des toiles, à condition d’élaborer des agencements singuliers portant sa marque. La fonction de l’artiste,
déliquescente parce que se confondant avec les supports qu’il utilise ou qu’il fait fabriquer (certains artistes
devenant en fait des sortes de P.M.E. en faisant travailler d’autres pour réaliser des pièces), est celle d’un
inventeur direct de formes. Laurent Gervereau, Critique de l’image quotidienne : Asger Jorn, op.cit., pp. 137-
139.
164
et récupératrice se reflétera chez bon nombre d’artistes européens à la fin des années 60 et au
début des années 70.
Bien que Jorn, de son propre aveu, ait valorisé l’acte même de création plus fortement en
contradiction avec le point de son travail sur le matériau et le pictural, ce désaccord l’a
conduit à la rupture d’avec le mouvement situationniste en 1961. Du fait que Jorn a refusé la
politisation de l’art, l’expression politique extrême ou la fixation d’un « -isme » pour
qualifier/classifier son idée libre, il a continuellement essayé de modifier sa place dans le
mouvement artistique contemporain. Cependant, Jorn a souvent continué à soutenir le
périodique des situationnistes avec des articles et des financements. Par un mélange des
genres entre « haut » et « bas » de l’art, et de l’objet véritable de l’art. La méthode de ce
collage se réfère à la pratique des œuvres d’art chez Jorn afin de subvertir les matériaux
culturels préfabriqués, de manipuler la manière et de se livrer à la critique de la société331. Son
art ne relève pas d’un mouvement politique ou de propagande, mais représente un art actif
pour présenter sa société. Cette perspective met en parallèle les œuvres de Kurt Schwitters et
d’Hannah Höch qui agissent différemment des autres, tels que Pablo Picasso ou Jorn Hartfield.
Quelques unes de ces œuvres, dont un collage réalisé par Schwitters, For Käte (Pour Käte)
(fig. 57) en 1947, utilisait pour la première fois la bande dessinée. Schwitters, qui avait déjà
fait ses premières expériences avec le collage et l’assemblage avant 1920, combinait des
tickets, des slogans publicitaires, des photos, des lettres, des signes graphiques, des coupures
de journaux et d’autres matériaux pour en faire des tableaux et des reliefs qui insistaient sur
des objets du quotidien dans l’intimité d’une composition cubiste332.
Plusieurs photomontages de Hannah Höch datant de cette période traitent de la politique et
des figures politiques nazies tout en étant souvent liés au sexe 333 . Spécialement, Après
l’apogée du mouvement dada à l’été 1920, Höch se sent de plus en plus libre de suivre sa
propre voie. Elle quitte Hausmann en 1922 et se libère de la pensée dada, se rapprochant de
Schwitters. Hannah Höch réalise, entre la fin des années 1950 et 1970, des collages aussi
incisifs que ses œuvres de pionnière du mouvement Dada. Avec des fragments de magazines
en couleur (en particulier Life International) déchiquetés au point de devenir méconnaissables,
elle compose des collages de style informel, en introduisant souvent un fragment figuratif
unique évoquant la séduction féminine et les fantasmes induits par le regard féminin.
331
Helle Brons, Asger Jorn, op.cit., p. 103.
332
Tilman Osterwold, Pop Art, op.cit., p. 136.
333
Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art, op.cit., p. 47.
165
Dans ces œuvres parodiques mais moins agressives qu’avant, elle revient souvent à
l’imagerie qui était la sienne dans les années 1920, utilisant les yeux, les jambes, les lèvres et
les distorsions d’échelle comme autant de références sexuelles. Evoquant les nouvelles
œuvres sérigraphiées de grand format de Rauschenberg, elle remarque que des presses géantes
produisent des épreuves de plusieurs mètres de long, et que la photographie en couleur permet
d’offrir, sans limite, des matériaux fascinants334. Dans l’œuvre d’Hannah Höch, On With The
Party, (1965) (fig. 58) après une incursion dans l’abstraction, au cours des années 1950, elle
réintroduit ici une femme ambigüe, qui n’est pas sans évoquer le style de Picasso, dans une
scène festive.
Pour traiter de la crise de l’esthétique du collage à partir des années 1960, il faut d’abord
considérer de nombreux autres sujets. Si les découvertes des pionniers du modernisme, en
particulier les juxtapositions de Dada et du surréalisme, aussi que le style graphique du
constructivisme, ont inspiré, au cours des années 1960 et 1970, un grand nombre de projets
qui visaient à prolonger les découvertes du passé, le paradoxe n’est qu’apparent.
L’intérêt de notre étude porte plus sur le collage de Höch et de Schwitters que sur d’autres
collages du Dada Berlin, style souvent utilisé par la propagande et l’art politique pour ses
formules stimulantes et ses expressions fortes. Mais le geste critique du collage est saisi avec
une technique magnifique par les jeunes artistes dans l’art urbain. En même temps, cette
méthode de collage inspire les affichistes. Jacque Villeglé insiste sur les facteurs déterminant
ses œuvres de décollage.
Voir C. Lanchner, « The later adventures of Dada’s Good Girl : The photogmontage of Hanna Hoch after
334
1933 », dans catalogue d’exposition, The Photomontages of Hanna Hoch, Walker Art Centre, 1996, p. 147 :
Brandon Taylor, Ibid., pp. 195-196.
166
gloire serait mais comme de revenir au jeu de dupes qu’est devenu l’exercice du
dessin et de la peinture »335.
Le collage et le décollage étaient deux réponses parmi d’autres pour une nouvelle
conscience de la ville comme un terrain de matière dégradée mais utilisable, celui dont la
335
Jacques de la villeglé, « L’affiche lacérée : ses successives immixtions dans les arts », op.cit., pp. 39-41.
336
Brandon Taylor, Urban Walls : A generation of collage in Europe & America, New York& Manchester :
Hudson Hills Press, 2008, p. 9.
337
“By contrast, the process of décollage introduces a number of different features into the paradigm of collage.
Even while continuing an explicitly antipainterly attitude in its attack on the advanced forms of urban mass
culture as that governing language that contrains and suspends traditional practices of artistic representation, it
ruptures the collage paradigm both in terms of its materials and procedures. Rather than constructing a new
pictorial universe from the affluence of industrial detritus and the languages and signs of consumer culture, it
limits its choices to the images and messages of urban advertisement, the affiches found on billboards or
dispersed on the walls of city streets.” Benjamin H.D. Buchloh, “Frome Detial to Fragment : Décollage
Affichiste”, October, vol., 56, Spring, 1991, p. 107.
167
propriété pourrait être débattue et même changée. Nous recherchons justement à savoir
comment ces deux techniques ont concouru pour la domination picturale dans les années
d’après-guerre. Pierre Restany déclare :
« Le collage est l’attitude adjonctive par excellence. Issu des papiers collés cubistes
et futuristes et des compositions de Schwitters, le genre, après une courte éclipse, a
connu un considérable regain de faveur à partir de 1954, un peu partout dans le
monde mais plus particulièrement en Europe et surtout à Paris. Le collage est avant
tout une construction formelle, par superposition, amalgame, combinaison
d’éléments ajouté. […]
La vogue actuelle de l’affiche lacérée venant se greffer sur ce renouveau du
collage a engendré une confusion habilement exploitée par les habituels spécialistes
de l’opportunisme artistique »338.
Nous pouvons voir maintenant comment cette aventure au début de décollage, faisait déjà
partie d’une tradition d’avant-garde au moment-même où elle a été « créée ».
Après l’invasion de l’Allemagne nazie, les murs deviennent un site de propagande politique
intense et d’interdiction fasciste. Puis, après la libération du fascisme allemand, ces mêmes
murs deviennent le support d'une forme assez différente de propagande et une subtile forme
de violence: les stratégies nouvellement conçues de publicité, initiatrices de la nouvelle
culture émergente des consommateurs dans les années 1950 339 . Mais l’enregistrement
photographique de Brassaï des gestes de graffiti réintroduit une préoccupation plus large pour
les écritures primitives brutes de l’agent anonyme, par le biais d’un chiffre qui ressurgit sur
des ruines de la Seconde guerre mondiale340.
Dans le prolongement direct de l’attraction surréaliste dépassée, ces interlignes urbaines et
leurs formes d’épaves de publicité seraient maintenant devenues des lieux où l’articulation
d’une nouvelle rébellion artistique pourrait être inscrite. La spécificité de l’esthétique de
décollage devient encore plus apparente en comparaison avec d’autres conceptions artistiques
de résistance, à travers les gestes d’intervention que les artistes se proposent de réaliser face
au choix de diminution de l’intervention sociale dans les espaces publics. Les enregistrements
des affichistes et leurs gestes par affiches lacérées anonymes préfigurent d’articuler un geste
338
Pierre Restany, Les nouveaux Réalistes, op.cit., p.66.
339
Benjamin H.D. Buchloh, “Frome Detial to Fragment : Décollage Affichiste”, op.cit., p. 98.
340
Ibid., p. 101.
168
impuissant de la rébellion dans un espace urbain abandonné et dans un milieu d’obsolescence.
La technique du décollage, puis du collage, consiste à arracher des affiches, à les reporter sur
toile pour les déchirer à nouveau.
L’affichiste utilise les actes des vandales anonymes de propagande et acquiert une nouvelle
agressivité directe par ces actes de collaboration. Les affichistes résistèrent à toute quête
d’une activité d’avant-garde critique révolutionnaire. Cela les conduisit à une attitude
réactionnaire pure et simple au regard de la réalité politique de la Ve République. Dans le cas
de Dufrêne, Hains, et Villeglé, cependant, cela les a conduit à une situation paradoxale qui a
transformé la structure interne de l’objet esthétique, mis l’accent sur la nature collaborative du
projet artistique tout en démontrant une relocalisation de la pratique artistique dans l’espace
urbain collectif de la culture développée de la consommation industrielle341.
À partir de ces différences, le mouvement du Nouveau Réalisme peut être reconsidéré par
Pierre Restany. Depuis la fin des années 1940, ceux qu’il est convenu d’appeler les
Affichistes, décollent des affiches déchirées et les exposent dans les circuits de l’art, galeries
privées ou musées publics. Une activité de collectionneur est métamorphosée en pratique
artistique : Hains, Villeglé ou Rotella, Vostell recueillent dans la rue des œuvres déjà faites, se
les approprient et nous les offrent. Sur ces lacérations, il n’y a que très rarement des
graffitis342. C’est pourquoi l’appropriation d’affiches pratiquée par Rotella, Hains, Villeglé et
Vostell343 doit être étudiée en tenant compte de leurs spécificités et de leurs différences.
Vers 1953, Hains s’est lié d’amitié avec Guy Debord, Yves Klein et d’anciens membres du
mouvement lettriste, d’inspiration surréaliste. Les « peintures » de Hains, à base de
lacérations d’affiches, semblent plus à l’écoute de l’actualité politique que les travaux
contemporains de Rotella. Des affiches électorales, des slogans et des graffitis apparaissent
dans des œuvres telles que Paix en Algérie (1956) (fig. 59), montrée pour la première fois
dans le cadre d’une exposition conjointe avec Villeglé à la galerie de Collette Allendy en
1957, exposition organisée sous un titre percutant : « Loi du 29 juillet 1881 », en référence à
341
Ibid., p. 110 : Jacques de la Villeglé, « Léo Malet », Urbi et Orbi, Mâcon : W., 1986, p.149
342
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre Leroux, Le Livre du Graffiti, op.cit., pp. 52-53.
343
Les premiers dé-collages d’affiches de Vostell datent de 1954, et l’action de décoller fut à l’origine du
mouvement Fluxus. Vostell utilise, intègre et compose à partir de l’objet-affiche, pour élaborer un art total où se
mêlent théâtre, poésie, peinture. Les premiers happenings, en 1959-60, reposaient sur la participation du
spectateur. Vostell abandonna le dé-colle/age pour l’effaçage.
169
la loi qui réglemente l’affichage, détournée ici avec ironie en montrant ce que Villeglé appelle
le « lyrisme sans permission »344.
Entre-temps, à Paris, la rencontre en 1955 entre Hains, Villeglé et François Dufrêne est
importante, car elle permet d’établir un lien entre le mouvement affichiste parisien 345 . En
1950, Hains invente le concept de l’ « ultra-lettre » et déforme les mots à l’aide du verre
cannelé déjà utilisé pour ses photographies hypnagogiques. La création d’un langage, le
langage de l’illisible, met au défi toute tentative de lecture possible et assure l’autonomie des
œuvres. C’est à l’intérieur de cette problématique que les œuvres de Hains et de Villeglé
prennent des chemins différents. 1954 est la dernière année de leur collaboration. Villeglé
continue à collectionner les affiches de façon radicale, Hains élabore sa relation
discours/forme.
Malgré la similitude des apparences morphologiques, les premières divergences d’idées
commencent à se faire jour dans les sélections individuelle. Il est donc important pour les
deux artistes que, dans un premier temps, Jacques de la Villeglé réalise un décollage des
panneaux publicitaires de la ville présentant l’intérêt de graffitis anonymes, et que, par la suite,
le second artiste, Mimmo Rotella, avec sa perspective critique sur la société de consommation,
connecte également et étudie les facteurs du Pop art et les éléments de la critique européenne
à travers sa propre méthode de décollage. Ils commenceront à intégrer les graffitis dans le
cadre de leurs tableaux dans les années 1980. La lacération d’affiche présente l’un des gestes
344
Villeglé, « L’affiche lacéré: ses successives immixtions dans les arts », Leonardo, Vil.2, 1969, p. 37 :
Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art, op.cit., p. 150.
345
La rencontre avec Dufrêne eut lieu en 1954. Dufrêne, poète lettriste intéressé par les cris-rythmes, et ultra-
lettriste en hommage à l’inventeur de l’ultra-lettre, débuta sa collection d’affiches en 1957. Son intérêt pour les
dessous d’affiches lui permit de lier ses recherches poétiques et phonétiques sur l’audible/inaudible à la question
du lisible/illisible, du visible/invisible. Il participa pleinement à l’élaboration de cet appareillage verbal et
théorique proche du dadaïsme par son esprit délibérément provocateur et son projet de destruction des valeurs
traditionnelles au moyen du langage.
Dufrêne demeure « totalement indifférent » aux affiches lacérées de Hains et Villegle jusqu’à leur exposition
du mois d’octobre 1957 chez Collette Allendy. Dès lors, Dufrêne commence à réaliser ses propres versions des
collages-affiches dos, dessous et envers. Il semble que cette activité soit révélatrice du désenchantement que
Dufrêne ressent vis-à-vis de l’avant-gardisme sous sa forme révolutionnaire traditionnelle. Les décollages de
Dufrêne de la fin des années 1950 demeurent attachés à une conception littéraire de la variabilité sémantique, de
l’ambigüité et du potentiel humoristique du lexème ou de l’unité alphabétique. Alors, le scepticisme politique de
Dufrêne n’est pas partagé par Debord et les autres membres d’IS, pour qui les méthodes provenant d’une
esthétique nouvelle du collage prennent une importance cruciale.
Catherien Bompuis, « Les affichistes face à l’histoire ou l’histoire de l’Action non-Painting », Face à l’Histoire
1993-199, op.cit. : L’artiste moderne devant l’événement historique, Paris : Flammarion, Centre national d’art et
de culture Georges Pompidou, Du 19 décembre 1996 au 7 avril 1997, pp. 285-286.
170
spécifiques de la sociologie des masses urbaines346. Dans notre étude, nous approfondirons les
œuvres de Rotella et Villeglé. Ils présentent bien la société de consommation et les problèmes
posés par les graffiti comme le vandalisme, un geste pratique, une relation avec le public et
l’espace public.
Domenichino (Mimmo) Rotella, de 1945 à 1951, peint des toiles abstraites et figuratives.
Batteur de jazz, il est également le créateur d’une forme de poésie phonétique qu’il appelle
epistaltici et qu’il interprète en public avec enthousiasme, suivant l’exemple des machines
sonores futuristes de Russolo. Rotella abandonne la peinture à sont retour à Rome fin 1952,
après une année passée aux Etats-Unis. Rotella se tourne alors vers la texture matérielle de la
ville de Rome et, en particulier, ses couches superposées d’affiches de spectacles et ses
surfaces murales délabrées347. Il a découvert l’affiche publicitaire comme moyen d’expression,
et a inventé la méthode de déchirement qu’il devait utiliser toute sa vie.
Toutefois, l’intérêt de l’artiste italien, surtout le futuriste, n’était pas tourné vers la
découverte d’une potentialité de l’écriture poétique, mais plutôt vers une immersion dans les
terreaux des dialectes et de leurs sonorités pour les employer à l’instar d’expressions de soi.
Mais, en ce qui concerne Mimmo Rotella, cela revient à tourner son attention vers l’affiche
publicitaire, et tout particulièrement les affiches de films, appartenant à la culture populaire et
médiatique, qui englobe tous les espaces, personnel et social, naturel et urbain. Rotella évolue
entre la tradition du collage et les expériences abstraites, la lacération linguistique du mot et
les émergences métriques, avec lesquelles il entend attaquer le langage en tant que moyen de
communication. Ce n’est donc pas un hasard si ces dernières confluent, en 1953, dans un
geste de plongée au sein du réel urbain, lors du passage de la page au panneau, vecteur des
affiches publicitaires348.
Pour ses décollages ou « affiches lacérées » réalisés en 1953 et exposés en 1954, Rotella
enlève des fragments d’affiches publicitaires déjà déchirées, les colle sur la toile et parfois les
déchire à nouveau afin de former des textures imprévues. A la fois sensuelles et critiques, les
346
Pierre Restany, Les nouveaux Réalistes, op.cit., p. 59.
347
Brandon Taylor, « Collage-The making of Modern Art », op.cit., p. 147.
348
Germano Celant, Mimmo Rotella, op.cit., pp. 20-21.
171
affiches lacérées occupent un large format, celui des grandes peintures de chevalet, d’une
manière à la fois captivante et apocalyptique.
Mimmo Rotella, sans rien connaître de l’activité de Hains et de Villeglé, réalise des
collages à base de lambeaux d’affiches qu’il déchire lui-même pour leur donner une forme
nouvelle. Rotella expose pour la première fois en 1954 à l’Art Club de Rome, des affiches
déchirées. La rencontre avec Hains, Villeglé et Dufrêne a lieu en 1960. À propos de ces
collages, dont la méthode diffère sensiblement de celle des décollagistes français, Restany
emploiera l’expression de « double décollage ». Rotella pratiquera le « double décollage »
jusqu’en 1959 et exposera les tableaux abstrait ainsi obtenus dès 1955 à Milan349.
Pierre Restany distingue les œuvres de Rotella à son article, « Un demi-siècle de culture
urbaine » dans l’exposition rétrospective de Mimmo Rotella.
« La Manifestation est importante : elle regroupe 140 pièces réalisées sur l’art d’un
demi-siècle, depuis les premiers déchirages et pré-décollages (1948-53), la période
désormais historique des décollages de 1953 à 1965, et les séries successives du
Mec-Art, de l’Art typo, des Blanks et des sur peintures. […] Cette réserve mise à
part, je reconnais que l’exposition atteint son but : illustrer l’ampleur d’une œuvre
qui constitue un témoignage visuel capital sur la seconde moitie de notre siècle, en
nous offrant l’une des images poétiques les plus puissantes de sa légende
urbaine »350.
D’abord, les années 1945-1951 que Mimmo va passer à Rome seront des années d’activité
fébrile et de recherche intense. Dans son apprentissage de la peinture à travers la tradition
cubiste et géométrique, il s’exerce à peindre des toiles post-cubistes et abstraites géométriques,
mais il n’est pas satisfait. Ensuite, dès son retour à Rome en 1953, il découvre les affiches
lacérées sur les murs. Jusqu’en 1957 l’artiste développe sa démarche affichiste dans un sens
très particulier : sa technique sera celle du « double décollage »351. La troisième catégorie, une
rencontre de 1958 avec les nouveaux réalistes français, a été déterminante dans sa carrière.
349
Catherine Francblin, Les Nouveaux Réalistes, Paris : Editions du Regard, 1997, p. 43.
350
Pierre Restany, « Un demi-siècle de culture urbaine », Mimmo Rotella : Rétrospective, du 11 décembre 1999
au 3 avril 2000, Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice, pp. 13-21.
351
Pierre Restany explique ce manière : « Les affiches arrachées au mur sont reportées directement sur toile, est
lacérées à nouveau par l’auteur, une fois collées sur leurs support. Rotella opère ainsi un double contrôle
opérationnel du matériau contingent, ce qui lui permet de réaliser des effets précis de composition et d’équilibre.
Par ailleurs, il reporte indifféremment sur la toile le recto ou le verso de l’affiche, obtenant ainsi des
172
La composition est l’élément principal sur lequel travaille Rotella. Jusqu’en 1957, celui-ci
parle de collage, et non de décollage. L’affiche publicitaire, la collection d’affiches sur le
cinéma Cinecittà, participaient déjà des questions posées par le Pop Art et des Combine
Painting de Rauschenberg352.
Dès 1958, il commence à travailler progressivement l’image elle-même. Rotella qui a
réalisé la série de cinecittà qu’il a travaillé à partir d’affiches de cinéma dans lesquelles il a
isolé les visages et les silhouettes, et qui se construit avec des couleurs intenses. Il est
indispensable de se reporter à un texte de Mimmo Rotella, paru à Milan en 1960 sur le sujet353.
« Je colle les affiches, puis je les déchire, ainsi, naissent des formes nouvelles,
imprévisibles. J’ai abandonné la peinture de chevalet pour cette protestation…, Il
s’agit d’une recherche qui s’applique non pas à l’esthétique, mais à l’imprévu, aux
humeurs même de la matière. […] Si je collais des couleurs, des formes variées sur
des bouts de carton, les choisissant comme sur une palette, je résoudrais un simple
problème de goût avec le secours d’une technique artisanale. Je déchire les affiches
d’abord des murs, puis de la base du tableau : que de goût, que de fantaisie, que
d’intérêt s’accumulent, se heurtent, se rejoignent de la première à l’ultime
déchirure… »354
compositions homogènes de lacérations positives ou négatives ». Pierre Restany, Les nouveaux Réalistes, op.cit.,
p. 82.
352
Rotella est tout de-même invité à participer à The Art of Assemblage qui se tient au Museum of Modern Art
de New York, en octobre 1961, événement auquel il participe en compagnie des protagonistes de l’assemblage
historique et contemporain. Une reconnaissance américaine qui se poursuit en 1962 avec l’exposition New
Réalistes à la Sidney Janis Gallery, où les travaux du groupe des Nouveaux Réalistes sont associés à ceux du
futur pop américain, dont la présence est due aux fortes pressions de Leo Castelli, qui avait ouvert une galerie en
1957. Cité par Germano Celant, Mimmo Rotella, op.cit., p. 38.
353
« Crack », documenti d’art moderna, Ed. Krachmalnicoff, S.P.A. Milan, 12 juin, 1960, cité par Villeglé, Urbi
& Orbi , op.cit., p. 162
354
Pierre Restany, Rotella dal decollage alla muova imagine, Ed. Apollinaire, Milan, 1963, cité par Ibid., p. 162.
173
Nous avons souvent dit que l’intérêt de Rotella pour l’atmosphère séduisante et survoltée
de Cinecittà est révélateur des importantes différences culturelles existant entre les panneaux
d’affichage romains du monde du spectacle et les affiches politiques parisiennes, mais cette
distinction n’est peut-être pas très pertinente. Sur son œuvre, Marilyn (1962) (fig. 60),
Restany a expliqué :
« Quand Mimmo Rotella déchire une affiche, il est capturé par un sentiment de
l’importance de son action. Pour lui, c’est la seule façon concevable de s’approprier
un aspect de la réalité dans toute sa totalité objective et sociologique »355.
Que fait-il ? En se posant cette question, Restany rend hommage à Rotella, grâce à qui
Cinecittà est devenue une ville ouverte. Son atmosphère et les personnalités que l’on y
rencontre ne sont plus des objets mythologiques, elles recommencent à vivre, à venir à notre
rencontre.356 Entre 1958 et 1960 Rotella abandonnera peu à peu les compositions purement
abstraites et le recours éventuel aux dessous d’affiches au profit d’une lacération plus figurée,
c’est-à-dire plus soucieuse d’exalter tel ou tel détail de l’image-base. Cette évolution
culminera dans la série thématique qui a été exposée à la galerie J. à Paris en 1962 sous le titre
de Cinecittà. Pour la quatrième catégorie, dès 1963, Rotella met ses conclusions en pratique,
systématisant le procédé du report photographique et assurant la transition entre le Nouveau
Réalisme et la série de Mec-Art. La cinquième catégorie débute dans les années 80, pendant
lesquelles il expose chez Marconi à Milan et ensuite à Paris chez Denise René ses Blanks : des
affiches publicitaires oblitérées de larges bandes de papier bleu ou blanc que l’on trouve sur
les emplacements d’affichage réservé lorsque le contrat qui fixait la date-limite de leur
présence est arrivé à expiration. Quelques années plus tard, dans la seconde moitie des années
80, apparaissent les premières Sovrapitture357.
En septembre 1963, Rotella montre ses premiers reportages à Restany. Il s’agit d’une
nouvelle tentative d’introduire une proposition, inhérente à des faits divers, tout comme le
355
“When Mimmo Rotella rips a poster he is captured by a sense of the significance of his action. For him it is
the only conceivable way to appropriate an aspect of the real in all its objective and sociological totality.” Pierre
Restany, Mimmo Rotella, expo. Brochure, La Salita Gallery, Rome, 1961, cité par Brandon Tayler, Urban Walls:
A generation of collage in Europe & America, op.cit., p. 17.
356
Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art, op.cit., p. 166.
357
Pierre Restany explique : 1) Le radar mental, 2) Rome I : La culture urbaine (1945-1951), 3) Rome II : la
découverte et l’approfondissement du langage (1951-1964), 4) 1958 : une rencontre capitale, 5) Paris : Rotella
nouveau réaliste et citoyen du monde (1964-1680), 6) Le retour à Milan : Mimmo a réponse à tout. Pierre
Restany, « Un demi-siècle de culture urbaine », Mimmo Rotella : Rétrospective, op.cit,. pp. 13-21.
174
pop-art, au caractère hasardeux du document photographique. C’est un passage du high au
low, qui utilise la mémoire de la photographie, quelle qu’elle soit : « Je prends juste les
images et je les photographie. Seul m’intéresse ce geste pur par lequel je m’approprie l’image
et je la reproduis sur la toile »358. Ce procédé sera ensuite appelé Mec-Art.
À partir de 1966, il les transfère sur la toile ou sur de vastes feuilles de plastique, créant
ainsi une série de travaux qu’il appellera artypos néologisme forgé à partir de la fusion des
mots art et typographie, qui sont présentés pour la première fois à la Fenice de Venise, durant
l’été 1966. Ce procédé est typique de la production industrielle des figurations, la seule
différence étant que l’Artiste choisit ces dernières au moment de leur plus grand désordre
communicatif. En entrant dans une imprimerie et en isolant des fragments d’imprimés colorés,
l’Artiste accomplit une nouvelle plongée, non plus urbaine mais technologique, en se
contentant d’isoler la dimension « irrationnelle » et chaotique de la construction de
l’information359.
Germano Celant, dans son livre Mimmo Rotella, a bien classé les œuvres chez Rotella par
ces séries. De plus, entre 1967 et 1968, Rotella assiste à un renversement des valeurs, qu’elles
soient personnelles ou politiques, industrielles ou idéologiques, qui se concrétise dans le
mouvement de 1968. Rotella sera à son apogée avec les affiches présentées sur les sujets
sociaux, de la production et du sexe, au mois de mai, dans les rues de Paris, tandis que le
mouvement s’étend à l’Amérique, avec les manifestations contre la guerre du Vietnam et
Nixon, et à la Chine avec la révolution culturelle. Rotella est donc pleinement en syntonie
avec les recherches de son époque qui, à la suite de John Dewey, se tournent vers Herbert
Marcuse et Norman O. Brown, dont les théories sur le rapport entre « érotisme » et « société »
se diffusent entre 1964 et 1967360. Germano Celant, dit des œuvres de cette période :
358
Germano Celant, Mimmo Rotella, op.cit., p. 45.
359
Ibid., pp. 46-47.
360
Il est intéressant de souligner que de telles stimulations – « ce sont là les choses nouvelle que m’inspira
l’Amérique… – […] » surviennent après avoir quitté Paris pour aller à New York où il séjourne jusqu’en avril
1968, tandis qu’en Europe arrivent sur le devant de la scène l’Art processuel et l’Art minimaliste, l’Arte Povera
et l’Art conceptuel. Ce séjour est certes marqué par la fréquentation d’artistes comme Christo, Oldenburg, Tom
Wesselman,, James Rosenquist, Warhol, Robert Indiana, Alex Katz ; de galeristes comme Dick Bellamy, John
Gibson, Ivan Karpl du critique Alloway et des collectionneurs Holly Solomon, Morton Neuman et Harry
Abrams ; mais il l’est aussi par des événements politiques comme la contestation estudiantine, la crise du
Vietnam, l’assassinat de Martin Luther King. […] C’est donc l’explosion dans les bars et dans les clubs de la
« Révolution sexuelle » avec ses rituels homos et sadomasochistes, avec la sortie du « ghetto » de toutes les
minorités, et la « Sortie du placard » du « système des genres ». Parallèlement aux spectacles, Rotella conçoit à
New York, toujours dans le cadre de l’érotique et du pornographique, une proposition d’installation-événement
pour la galerie Bonino : Subjection (1968), Terror (1968) Cité par Ibid., pp. 48-49.
175
« Toutefois, la cible de Rotella était tout à fait actuelle, parce que la sortie de
l’enfermement sexuel, de même que la pornographie, n’était pas encore un sujet
dominant dans le monde de l’art »361.
De fait, il avait déjà identifié « la Femme » comme étant Marilyn, apparaissant dans ses
décollages des années 1970, et il s’adapte au cours du temps à d’autres « stars », comme Gina
Lollobrigida et Sophia Loren, jusqu’à arriver dans les années 1990 aux stars du porno, comme
Moana Pozzi, ou aux mannequins sexy de la mode et du glamour érotique : Moana la
scandalosa (2002) (fig. 61). Mais, comme avec Opération Sade (1966) (fig. 62), il a déjà
insisté sur la pornographie et la vision rapprochée du vagin, sa suite sadique semble indiquer
que l’Artiste tourne son attention vers le monde de la communication érotique (La Dolce Vita,
fig. 63) qui, à partir des années 1950 avec Playboy, puis en 1965 avec Penthouse, est
accessible au grand public.
Ces sujets ont été composés grâce aux mêmes techniques du décollage et mais focalisés sur
ses attirances sexuelles et sur ses relations amoureuses. Mais les années 1970 sont placées
sous le signe de la crise politique, économique, culturelle et artistique. Et il reconstruit la
situation artistique de l’époque comme le néo-expressionisme dans les années 1980.
À son retour de Paris pour vivre à Milan en 1980, Rotella a eu l’idée d’une série de Blanks
(Red Blank (1980), fig. 64), affiches publicitaires effacées et recouvertes de feuilles vierges
comme des publicités expirées. En 1984, on le vit, une fois de plus, travailler à l’aide de
pinceaux et de couleurs acryliques pour créer le deuxième cycle de travaux consacrés au
cinéma : Cinecittà 2. Plus tard, il a inventé plus que de la peinture, l’art du graffiti, avant que
le terme n’ait été inventé. Il a compilé des signes, des messages d’amour ou des mots écrits
sur des affiches qui ont été déchirés et collés sur la toile. Inspiré par la naissance du graffiti,
Rotella crée des sovrapitture (1987) (Virus (1987), fig. 65) (Happy End (1993), fig. 66), où il
intervient picturalement sur des affiches lacérées. Il utilise cette fois-ci des écrits anonymes,
comme ceux qu’il est possible de lire sur les murs de la ville : signes, mots d’amour et slogans
dans un double message politique.
Mimmo Rotella a présenté une imagerie plus proche du Pop Art par sa simplicité brute ou
par ses références aux loisirs des masses, comme le cinéma. Il a exploré les rues à la
recherche d’une iconographie contemporaine incluant marques commerciales et logos de
361
Ibid., p. 50.
176
sociétés, produits de consommation, vedettes du cinéma ou de la politique. Rotella a utilisé
des publicités de cinéma et présenté la société passée au crible de sa critique. Il a donné vie au
mur. Cependant, en utilisant des méthodes similaires, mais tout de même singulières, un
artiste français s’est fait remarqué par son intérêt pour l’expression anonyme. Les artistes
européens de l’époque se disputaient avec les forces esthétiques et sociales, dans la culture de
masse de plus en plus agressive ; les jeunes artistes comme Robert Rauschenberg et Cy
Twombly à New York dans les années 1950 ont inévitablement eu une approche et des effets
très différents. Il a ainsi fallu que Villeglé s’aligne sur les exigences du grand art tout en
utilisant une forme faible d’art urbain telle que les graffitis des murs.
362
Catherien Bompuis, « Les affichistes face à l’histoire ou l’histoire de l’ « Action non-Painting », Face à
l’Histoire 1993-1994 : L’artiste moderne devant l’événement historique, op.cit., p. 284.
363
Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art, op.cit., p. 150.
364
Face à l’Histoire 1993-1994 : L’artiste moderne devant l’événement historique, op. cit., p. 284.
177
significatives sur les plus petits collages du cubisme de Pablo Picasso et Georges Braque, du
Dada de Kurt Schwitters et du surréalisme de Max Ernst et Hans Arp365.
Au mois de février 1949, déjà, ils dévoilent leur première longue frise d’affiches déchirées
et lacérées, démontées de leurs panneaux et transférées avec le minimum d’ajustements sur de
la toile. Ils transfèrent ainsi l’action artistique de l’espace privé de l’atelier vers l’arène
publique de la rue, en même temps qu’ils font revivre la philosophie du ready-made366 sous sa
forme la plus ostentatoire et la plus colorée367.
Ici, le langage survit en tant que réduction, bégaiement et ruine: Bach (la famille de
musiciens), Alma-Marceau (la station de métro), Metro. C’est surtout dans ce sens que
Villeglé (lorsqu’il travaille seul) s’inspire autant de l’art « noble » que des formes « pauvres »
des graffitis urbains ou des murs de prison, dont de puissantes photographies avaient déjà été
publiées avant-guerre par Brassai et par un ami de Camus, l’écrivain Benjamin Calet368. Ach
Alma Manétro de Villeglé aurait émergé du contexte parisien de 1949. Le premier serait celui
que les formalistes ont déjà donné pendant un certain temps : que les langues de la peinture,
comme toutes les autres langues, fonctionnent en toute indépendance par rapport aux
contextes historiques.
La création d’un langage, le langage de l’illisible, met au défi toute tentative de lecture
possible et assure l’autonomie des œuvres. C’est à l’intérieur de cette problématique que les
œuvres de Hains et de Villeglé prennent des chemins différents. 1954 est la dernière année de
leur collaboration. Hains persiste dans l’élaboration de sa relation discours/forme, Villeglé
continue en revanche à collectionner les affiches de façon radicale. Jacques Villeglé, dans Le
lacéré anonyme, commence à élaborer son catalogue raisonné des affiches lacérées depuis
1970 : il choisit un classement thématique qui distinguera finalement neuf volumes, chaque
volume se rapportant à un thème particulier qui peut lui-même être subdivisé :
365
Catherine Francblin insiste sur le fait que « Celles-ci révèlent une attitude qui non seulement ne doit plus rien
à la pratique picturale, mais se distingue de surcroît de la pratique du collage telle que la mettent en œuvre aussi
bien Braque ou Picasso, au début du siècle, que Arp ou Schwitters dans les années vingt ». Quelque temps avant
l’exposition de Hains et Villeglé chez Colette Alledny, Brassaï avait exposé à New York des photographies de
graffiti. La beauté que le photographe avait su déceler dans ces inscriptions, souvent obscènes, tracées à la hâte,
cette beauté méconnue, dédaignée, Hains et Villeglé la découvrent, eux, dans les affiches collées et arrachées à la
sauvette par des mains inconnues. D’où le titre de l’exposition chez Colette Aleendy en 1957 : Loi du 29 Juillet
1881 ou le lyrisme à la sauvette. Catherine Francblin, Les Nouveaux Réalistes, op.cit., pp. 37-39.
366
Gérard Durozoi explique que la relation entre le ready-made tel que l’a conçu Duchamp et le décollage tel
que le pratique de Villeglé, est très loin, quoi qu’on en dise souvent, d’être évidente ou simple.
367
Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art, op.cit., pp. 147-148.
368
Villeglé, Urbi & Orbi, op.cit., p.32 et p.108, cité par Brandon Taylor, Collage-The making of Modern Art,
op.cit., p. 149.
178
- La lettre lacérée
- Sans lettres, sans figures
- Avec lettres ou fragments de mots
- Objets ou personnages lacérés
- Affiches de peintres
- Transparences
- Politique
- Dripping et graffiti
- Petits formats divers369
Cette division formelle et stylistique des œuvres est devenue l’une des bases importantes de
l’étude de Villeglé. Mais cette recherche met l’accent sur deux catégories particulières
classées entre d’une part, l’affiche lacérée : acte rebelle du public et d’autre part, le graffiti:
langage social du public, qui montrent toutes deux des caractéristiques politiques/sociales.
Cette méthode analyse le décollage et les graffitis comme l’a fait notre étude sur Mimmo
Rotella. En d’autres termes, ce chapitre fonctionne sur la signification de l’acte anonyme, le
miroir de l’époque à travers les affiches de la rue, et l’expression de la résistance du public, et
se concentrera sur le fait que le graffiti lui-même ait pu devenir un mouvement artistique.
Pierre Restany interprète :
369
Voire Jacques Villeglé, Le lacéré anonyme, Paris : Les presses du réel, 2008.
179
série. […] Le ready-made n’est plus le comble de la négativité ou de la polémique,
mais l’élément de base d’un nouveau répertoire expressif »370.
L’intérêt de la villeglé pour la surface du mur, l’emprunt d’affiches lacérée de la rue par
l’anonyme et les graffitis de rue correspond à sa réalité de la société, le caractère rebelle du
public et son point de vue critique. L’attention qu’il porte au sens des graffitis et à leurs
fonctions sociales appréhende une approche plus agressive de l’expression du public. Les
signes qui flottent au-dessus de la surface des affiches mixtes et les graffitis à la bombe sur les
affiches suggèrent sans filtration la réalité sociale. Comme le note Villeglé, l’intérêt de
l’affiche déchirée est de constituer un « antidote contre toute propagande »371.
Il poursuit l’art collectif avec le public. Le choix ayant été considéré au départ, l’invention
de la palissade est créatrice. Elle transcende la prise de conscience qui résulte de l’agrégation
d’une multitude d’actions individuelles, d’un collectif créateur et anonyme.
370
Pierre Restany, Les Nouveaux Réalistes, op.cit., p. 206.
371
Catherine Francblin, Les Nouveaux Réalistes, op.cit., p. 120.
372
« Entretien de Villegle avec Beranrd Lamarche-Vadel », décembre, 1987, Bernard Lamarche-Vadel, Villegle :
la présentation en jugement, Paris : Galerie Fanny Guillon-Laffaille, 1990, pp. 44-45.
180
« Dès l’origine, j’ai prévu que le résultat de cet ensemble dépasserait celui fabriqué
par le plus imaginatif des peintres de ma génération. La contrainte que j’allais
m’imposer en étant attentif à l’œuvre d’une collectivité diffuse, m’accorderait plus
de liberté que n’en pourrait obtenir l’artiste solitaire face à sa toile blanche »373.
Le lien que la dénomination Lacérée Anonyme pourrait établir entre les individus de ce
groupement d’intérêt, qui par ailleurs s’ignorent et s’opposent, ne peut être le lien de l’affairement
culturel 374 . Cette dénomination générique consiste à attribuer aux seuls artistes, Dufrêne,
Hains, Rotella, Villeglé. Villeglé non seulement l’intérêt de l’affiche lacérée, mais également
l’acte rebelle de l’anonyme. Les affiches lacérées qui recouvraient les murs de Paris et qui
présentaient un caractère critique se trouvaient au point de rencontre ultime avec le public. Il
dit également : « La lacération, geste physiologiquement proche de la nature animale, où
éclate souvent l’absence de préméditation, d’idée préconçue, de parti théorique, est un
non » 375 . Nous pouvons découvrir les œuvres suivantes : Boulevard de la Bastille, 18
novembre, 1962, 122, rue du Temple, juin, 1968, Rue de Thorigny, juin, 1969, Rue
Tiquetonne, Septembre, 1972, etc. C’est lorsqu’elle est lacérée qu'elle interroge sur les
questions sociologiques.
En même temps, Villeglé annonce qu’il déchire lui-même afin d’exprimer la résistance du
public et de reconstruire l’espace esthétique. En conséquence, c’est une réflexion sur des
messages critiques sur la société mis en reliefs pas l’intention de l’artiste. Mais c’est différent
d’une production endommagée selon la configuration et le comportement de l’artiste. Cela se
réalise simplement par l’intervention d’artiste. Ces marques de lacérations anonymes sont une
démonstration publique de la société elle-même. Comme en ce qui concerne Algérie-
Négociation, 13 mai 1961, 122, rue du Temple, juin, 1968, Rue de Thorigny, juin 1969, Rue
Tiquetonne, septembre 1972, Avenur Mac Mahon, 30, octobre 1958, 59, rue au Maire, 4
janvier 1961, Carrefour Turbigo, septembre 1967, Michel Lecomte, 12 décembre, 1973,
Villeglé les déforme par son intervention.
373
Villeglé, Urbi &Orbi, op.cit., p. 83.
374
Ibid., p. 82.
375
Catherine Francblin, Les Nouveaux Réalistes, Edition du regard, 1997, p. 161.
Hains a découvert que les personnes déchiraient différemment les affiches à caractère politique et les affiche
d’annonce simple. Il est possible que la lacération des affiches se fasse par une action légère et simple comme
dans Metro République, 10, décembre, 1971, Rue de Quintaine, 4, juillet, 1972, Picasso-La Pagode, février 1971.
Mais on peut également trouves des lacérations des affiches violentes et complexes comme dans Avenue Mac
Mahon, 30 octobre 1958. Ainsi, la lacération est l’expression de la pensée et de l’émotion de l’actant.
181
Alors, il fait remarquer les mots et leur signification dans l’affiche lacérée. L’œuvre,
Algérie-Négociation, 13 mai 1961 (fig. 68), présente les mots comme « ALGERIE » et
« NEGOCIATION ». Dans cette œuvre, on peut comprendre que cette affiche avait inclus les
négociations et la guerre entre la France et l’Algérie. Nous pouvons découvrir les affiches
politiques dans les œuvres de Villeglé, mais son œuvre ne correspond pas/plus à une affiche
de propagande. Malgré le fait que la méthode de collage politique soit une technique
innovante dans l’histoire de l’art, ce collage/affiche a été souvent utilisé pour la propagande376.
Mais Villeglé a livré des messages sociologiques et critiques par l’affiche lacérée anonyme
que l’artiste ne présente pas le message politique, mais réfléchit leur société par le public.
Kair Cabañas explique dans son livre « Poster Archaeology » :
376
Par exemple, Sergei Senkins, Under the Banner of Lenin-To the Second Five Year Plan (1931) et Rudolf
Baranik, Angry Arts (1967), ces affiches politiques communiquent efficacement le message de la révolution
socialiste. Leur signification est simple, restreinte, et immédiate. « ANGRY ARTS », « AGAINST THE WAR
IN VIETNAM », par ces deux inscriptions, le message est clair pour tous, et n'est que cela. Si les artistes font
une déclaration sur un sujet précis et de façon très directe comme les affiches politiques, le public va
progressivement perdre son intérêt.
377
“The well-rehearsed opposition between the Internationale Situationniste and Nouveau Realisme is due not
only to the latter’s discursive framing by Restany, who evacuated all political significance and ambivalence in
the work, but also to Guy Debord’s condemnation of its members in the pages of the SI’s journal. Nevertheless,
in the aftermath of World War II – a context marked by the French government’s (and the rising consumer
culture’s) seemingly exclusive control of the space of the city’s speech –Villegle’s work, like that of his
182
Les conditions de généralisation du détournement se concrétisent cinq ans plus tard, en mai
1968. Pendant ce temps, plus de 600.000 affiches avec plus de 700 dessins ont été produites,
Villeglé les archive, comme par exemple, les œuvres suivantes : « LA CHIENLIT C’EST
LUI » dans l’œuvre La Chienlit rue de Sévigné, 17 mai 1968 (fig. 69) ; « PLUS JAMAIS ça »
dans l’œuvre 223, rue Saint-Martin, ‘Une blonde qui nous vient…’, 16 juin, 1968 (fig. 70) ;
«UNITE, TRAVAILLEUR, ACTION», suffrage universel, la présentation proportionnelle
dans l’œuvre Gare Montparnasse – Rue du Départ, 12 juillet, 1968 (fig. 71)
Certaines des affiches des ateliers se trouvent dans les séries de mai 68 de Villeglé, y
compris La Chienlit rue de Sévigné; et 223, rue Saint-Martin, dont chacune comprend l’une
des premières affiches produites par l’Atelier populaire de l’école des Beaux-arts. L’affiche
illustre littéralement la reprise de conditions sociales au cours de cette révolution politique et
culturelle, dramatise à travers son slogan que le langage et la parole ont fait partie de ce qui
était en jeu lors des événements de mai. À cette époque, les mots ont agi et ont servi à
transformer la réalité plutôt que de s’y conformer ou de la représenter. Dans ce contexte, alors,
les lacérations suggèrent une récupération des murs par les forces critique sur leur société.
Otto Hahn pense :
« Villeglé est devenu l’historien de son époque. Selon Sartre, l’Histoire n’est pas un
concept, mais simplement une notion. De ce fait l’interprétation historique n’est pas
une activité objective mais une projection personnelle. Villeglé à travers son
tempérament, reconstitue le présent avec les témoignages objectifs qui s’affichent
dans la rue »378.
Si Villeglé et Debord, aux commandes de l’IS à partir de 1957, reflètent des trajectoires
différentes, leurs deux modes d’expression se télescopent à nouveau au moment de Mai 68.
Jacques Villeglé et l’IS revendiquent l’héritage d’un usage artistique du langage incarné par la
contemporaries in the SI, demonstrated a concern with power’s ideological manipulation of language. By 1962
the liberation of language played an increasingly central role in Debord’s writings and Situationist theory. The
same year, 1963, in the context of the SI’s last exhibition, Debord explains, “‘détourned’ abstract painting should
be understood as slogans that one could see written on walls.” Applied as much to texts ad words as to images,
détournement is a procedure of quotation and re-use of an original element in a new context so as to reclaim a
different, non-commodified meaning.” Guy Debord, « All the King’s Men », Tom McDonough, Guy Debord
and the Situationist International, Cambridge, MA and London: MIT Press, 2002, p. 153, Origine Internationale
situationniste 8, January 1963, pp. 29-33, cité par Kaira Cabaña, Poster Archaeology, op.cit., pp. 106-108.
378
Villeglé, Urbi &Orbi, op.cit., p. 82.
183
figure tutélaire d’Isou. Par ailleurs, ils sont travaillés par des questionnements identiques sur
leur rôle politique. Au sein de l’IS, ces réflexions conduisent à une utilisation de l’imagerie
spectaculaire, détournée et désamorcée par un emploi critique et offensif du langage, diffusée
par ses revues et tracts, qui orientent la lutte contre la société des années 1960. Villeglé fait
usage des mêmes outils de communication de masse que les situationnistes, mais il n’élabore
pas, comme la prose situationniste tente de le faire, un contre-langage qui viendrait parasiter
le discours dominant. Les affiches que Villeglé collecte alors ont pour matière non plus la
propagande commerciale de l’époque, mais sa tentative de mise en échec, qui est elle-même
brouillée par des lacérations en surface.
L’appropriation d’affiches par Villeglé, de manière différente par rapport aux situationnistes
dans le IS, puisqu’il s’interroge sur la manipulation idéologique et politique par le moyen
puissant qu’est le langage, et archive les aspects de la société par le biais d’une sélection
d’idées anonymes.
Avant et aux côtés des œuvres de mai 68, Villeglé a également recueilli une série d’affiches
lacérées dans laquelle graffitis et peintures en à la bombe jouent un rôle décisif. Dans le cas
de ces dernières, la peinture a souvent une fonction similaire aux lacérations. Effacer le
message de l’affiche est l’expression de l’anonyme réfléchi.
Des œuvres telles que L’anonyme du Dripping (1967) (fig. 72) ne soulignent pas seulement
cette fonction, mais forge une nouvelle association avec dripping painting de Jackson Pollock.
Alternativement, la pulvérisation de peinture a également été déployée comme un moyen
rapide et efficace permettant de superposer un message politique par le biais des idéogrammes,
comme dans la rue du Faubourg du Temple (1978) (fig. 73). Dans d’autres cas, les singles
graffs sur une affiche particulière et sprays « non », comme dans la rue de Thorigny (1969)
(fig. 74), où le graffiti est écrit en grosses lettres sur la surface de l’affiche et crée un geste
audacieux. Une telle utilisation multiforme de pulvérisation de peinture a élargi le champ des
possibles pour contrer le discours dominant à un moment historique qui a coïncidé avec la
disponibilité accrue et la vente de bombes aérosols.
Villeglé avait été associé dès le début de son travail avec le groupe lettriste politisé en
France. Bien qu’Asger Jorn ait démissionné du groupe en 1961, son travail sur l’affiche
déchirée (1964-1969) et d’autres dégradations étaient des actes d’auto-conscience de plagiat
184
et de subversion qu’il considérait comme compatibles avec son programme de critique
anticapitaliste. Debord et Villeglé poursuivent évidemment des buts bien différents. Mais ils
partagent sans doute une volonté de propager leurs manœuvres, de faire en sorte qu’elles
deviennent un mode d’appréhension actif pour la société, sans passer pour leurs instigateurs.
Villeglé a ainsi longtemps estimé que ses décollages étaient une incitation pour le passant à
prélever lui-même des affiches dans la rue, plutôt qu’à acheter les siennes dans une galerie
d’art. De même, l’activité de Debord n’avait pas pour perspective de le poser en meneur d’une
révolution, mais d’élaborer un système qui encourage les individus à changer leur rapport au
monde, leur quotidien, de le prendre en charge. D’où leur désir de casser l’image classique de
l’artiste, de modifier la notion même d’avant-garde, en créant pour les passants un dispositif
dans lequel ils deviennent les acteurs impliqués du processus artistique et politique en train
d’advenir. Dans ce contexte, la participation de Villeglé au Nouveau Réalisme, mouvement
médiatisé pour lequel il n’a pas exprimé d’adhésion idéaliste, mais qui est une manière
pragmatique de se faire connaître, peut paraître paradoxale. L’IS, dans l’un des nombreux
articles qu’elle consacre aux avant-gardes qui lui sont contemporaines, pointe en effet la
différence qui existe entre sa propre stratégie et celle de groupes comme le Nouveau Réalisme.
Villeglé et Debord, eux, choisissent d’investir ce dont ils ne sont pas les créateurs directs.
Villeglé prélève des affiches qui étaient déjà présentes dans l’espace public, tandis que
Debord, par le biais du détournement, qui sera l’un des apports les plus marquants de l’IS,
réutilise des éléments de son environnement direct ou intellectuel, qu’il dispose dans un
nouveau contexte.
379
« Le détournement comme négation et comme prélude », Internationale situationniste, n°3, décembre 1959, p.
10.
185
Les correspondances entre les collectes de Villeglé et les détournements situationnistes sont
en vérité nombreuses. Elles sont à mettre en rapport avec le questionnement qui émerge à
cette époque quant à la validité de la notion d’auteur380.
À travers Rue du Temple vietnamien, 24 juin, 1967 (fig. 75)381, nous pouvons comprendre
que la collection de Villeglé d’affiches lacérées, de lettres déchirées et d’affiches politiques,
au mois de mai 1968 et la série de décentralisation, sonde la relation entre langage et contexte
dans l’espace public par le biais des graffitis anonymes.
En dehors de ce cas exceptionnel de primitivisme, le travail des affichistes a abandonné
l’idée de la culture de la rue « brute » qui avait entouré l’approche précédente du graffiti. La
forme des murs dont ils ont extrait leurs travaux n’a pas été façonnée par des « artistes isolés
de la rue » mais par un collectif anonyme de forces, le hasard y compris. L’artiste, à son tour,
agit comme un collecteur ou un commentateur plutôt que comme un générateur individuel de
sens. Le modèle d’activité linguistique dans lequel le graffiti a été considéré comme une
exploitation s’était déplacé d’une expression mettant l’accent sur la créativité innée à
expression une mettant l’accent sur l’interaction sociale et la manipulation des conventions
culturellement déterminées382.
L’écho de cette histoire est manifeste dans les graphismes socio-politiques de Villeglé à
partir de 1969 : une « héraldique de la contestation » et une « cryptographie populaire »,
inspirées par des précurseurs, de Geoffroy Tory à Victor Hugo, sont également instruites dans
l’épisode de l’Occupation en France où la guérilla des signes opposait les croix de Lorraine à
la francisque, le V de la victoire des alliés et des résistants aux symboles de Vichy ou de
l’occupant. On la retrouve évoquée avec pudeur, au détour d’une référence ou d’une autre,
comme dans le livre d’Henri Calet, l’ami de Camus, illustré par cinq photographies de
graffitis laissés sur les murs de la prison de Fresnes par des résistants incarcérés, ou
notamment dans sa description du désert culturel qui attend sa génération. Comme Miro
recherche dans le monde primitif la force de tout recommencer, Villeglé aime les déchirures
et les graffitis de son temps et de tous les temps383.
380
Fanny Schulmann, « Au café moineau, Paris, 1953», Centre Pompidou, Jacques Villegle : La comédie urbaine,
Du 17 septembre 2008 au 5 janvier 2009, Paris : Musée nationale d’art moderne, centre Pompidou, pp. 49-50.
381
Voir également Rue Pastourelle, mars 1967; Rue du Temple, 12 avril, 1970; Rue Pierre Lescot, 3 mai, 1981;
Rue au Maire, 15 mars 1983; etc.
382
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 91.
383
Laurence Bertrand Dorléac, « Changer de politique », Centre Pompidou, Jacques Villeglé: La comédie
urbaine, Du 17 septembre 2008 au 5 janvier 2009, Musée nationale d’art moderne, centre Pompidou, pp. 20-21.
186
L’Alphabet socio-politique (fig. 76), transcription de signes, « symboles de forces étatiques,
idéologiques, tyranniques, destructrices »384, devenus écritures, prélevés sur les murs parisiens,
appartient à cette catégorie. Le réel est composite et contradictoire, mais supporte mal la
description. Villeglé a appelé les graffitis dans la rue à « une nouvelle guérilla des signes » :
« Le 28 février 1969, de Gaulle reçoit Nixon. Je vois alors sur le mur d’un couloir
de métro […] L’impact des idéogrammes politiques ainsi assemblés primait sur
tous les autres slogans anti-Yankees de l’heure »385.
Cette invention graphique, sur laquelle, en bon ravisseur, il a spéculé, est devenue depuis
lors internationale. Villeglé a décidé de montrer une grande affiche intitulée Guérilla des
écritures (1982) dans laquelle il a présenté sa propre version de l’alphabet latin avec des
éléments graphiques superposés comme le montre la première Liberté de Parole. Pourtant,
plutôt que d’écrire une phrase, il a présenté les lettres en ordre plus ou moins « alphabétique ».
Placé sur les panneaux publicitaires devant le Palais de Justice de Rennes et à Paris en Février
et Juin 1982 respectivement, le graffiti a été fait pour exister dans cet espace d’exclusion.
Mais plutôt que d’utiliser le travail du « graffeur anonyme » de présenter un point de vue
unique, et ainsi faciliter son absorption homogène dans les médias mêmes contre lesquelles il
travaille, l’affiche de Villeglé ne correspond ni à un mode contemplatif de la perception du
musée, ni à la consommation spectaculaire du capitalisme tardif.
Guérilla des écritures constituait un refus de l’enregistrement des graffitis comme faisant
partie intégrante de la déclaration d’une esthétique expressive qui a dominé le marché des
années 1980. Dans les années suivantes Villeglé travaillera à déployer son alphabet
sociopolitique dans divers contextes. Nous voulons plutôt regarder les graffitis dans un
événement important. À partir de ce période, Rotella et Villeglé montrent l’intérêt des graffitis.
Après 1968, le travail de Villeglé intervient plus explicitement dans la critique des
représentations idéologiques, ainsi que sur la participation de l’art dans le commerce. Pourtant,
son approche, l’antithèse de l’IS politisée ainsi que de la critique de Daniel Buren de
l’institution de l’art, est à la fois attendue et a coïncidé avec une génération d’artistes
384
J. Villeglé, entretien avec M. et Y. di Folco, dans Jacques Villegle. Alphabet socio-politique, catalogue
d’exposition, Poitiers, Musée Sainte-Croix, 2003, p. 48.
385
Villeglé, Urbi & Orbi, op.cit., p. 59.
187
postmodernes plus connus pour leurs « signes subversifs »386. Ces trois facteurs le distinguent
de Mimmo Rotella avec Sovrapitture, parce que celui-ci peint des graffitis dans ses tableaux,
alors que l’alphabet sociopolitique de Villeglé sort dans la rue pour être in situ la seconde
moitié des années 80. Malgré leurs différences, ils sont tous deux très influencés et inspirés
par la culture des graffitis, et cela se réalise dans leurs œuvres. Les graffitistes et les tagueurs
ont envahi la surface des murs de la ville depuis les années 1970.
Cependant, par l’étude de ce chapitre, nous pouvons voir que Mimmo Rotella et Villeglé se
sont intéressés aux murs dans leur époque. Ils ont eu la curiosité des graffitis et des signes de
la rue depuis les années 1970, et cet intérêt, s’est donc reflété à travers leurs œuvres de
manières différentes. Nous pouvons également découvrir l’expression des anonymes sur les
murs de la rue depuis l’époque moderne. Et ce mode d’expression continue d’être exploré
depuis l’événement de 68 387 . En même temps, à partir de 1960, la rue new-yorkaise est
devenue le contexte archétypal exclusif. La culture populaire est celle qui se lit sur les murs
de la ville, les titres des journaux dans les kiosques, les panneaux publicitaires ou les
enseignes sur les façades, les affiches ou les graffitis.
Après l’événement de 68, les artistes de la nouvelle génération apparaissent plus soucieux
d’examiner leurs points communs et de cultiver leurs différences. Ainsi, nous devons être
capables de détecter l’atmosphère artistique européenne et d’avoir une approche critique, à la
différence de l’art américain, sur la société de consommation. Le contexte intellectuel et
politique de l’époque influe tout particulièrement sur la démarche des artistes européens.
Beaucoup se montrent sensibles à la critique du capitalisme exposée par les artistes européens
ainsi qu’à ses positions sur la pratique théorique et à un courant d’Avant-garde en Europe qui
permette de relier les mouvements comme le Nouveau Réalisme, la Figuration narrative, le
GRAV, le BMPT et le Support/Surfaces, et l’art urbain388.
386
Buchloh explique ce terme origine par Hal Foster, “Subversive Signs”, in Recordings: Art, Spectacle,
Cultural Politics New York: The New Press, 1985, pp.99-118, cité par Benjamin H.D. Buchloh, “Villegle : From
Fragment to Detail” op.cit., p. 459.
387
Boulevard du Montparnasse, 31 mai, 1965 : ‘La guerre n’est pas une lois de la nature Et la paix n’est pas
offerte comme un présent’, ‘NON’, ‘VIETNAM(présomption)’, ‘Parti Communiste Français’ ; Rue de
Ménilmontant, 21 décembre 1968 : ‘LUTTE OUVRIERE’, ‘pour la révolution dans le monde hebdomadaire
d’information OUVRIERE’ ; Rue des Quatre-fils, 31 décembre 1970 : ‘A LA HAUSSE’, ‘L’ETAT NE NOUS
TRANSPORTE PAS il nous roule’ ; Rue Brantôme, 26 octobre 1971 : ‘LA TELEVISION MENT’, ‘C’EST
FAUX’
388
Il s’agit de représenter la réalité sociale pour asseoir les fondements d’une interprétation critique de son
fonctionnement. Sur ce plan-là, et hormis des différences dans les procédés utilisés, l’esprit rebelle et
188
A des degrés divers, toutes ces tendances affichent un militantisme politique et social, en
phase avec le climat idéologique européen, et en réaction, parfois vive, à la prépondérance
américaine, au pop art, à l’art conceptuel et à Marcel Duchamp. Et l’intérêt constant sur les
images et les tâches anonymes dans la rue fait apparaître un nouveau mouvement artistique
hérétique, le street art.
contestataire de la figuration narrative, lui aussi avide de liberté, n’est pas totalement aux antipodes de celui qui
anime le Nouveau Réalisme. Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, op.cit., pp. 87-89.
389
« L’avant-garde, porteur de la modernité, a été couronnée de succès quand elle a trouvé pour elle-même un
lieu social dans lequel cette tension est visible et peut être exploitée. (The avant-garde, the bearer of modernism,
has been successful when it has found for itself a social location where this tension is visible and can be acted
on.) » Thomas crow, « Modernism and Mass Culture », op.cit., p. 256.
189
étroitement liés au mouvement d’avant-garde comme le lettrisme et IS, cependant qu’ils
avaient choisi une voie différente.
Au cours du mouvement de Mai 68, l’utilisation de l’affiche comme support de
contestation et de création connaitra un développement remarquable, avec la création de
l’Atelier populaire des beaux-arts, où les slogans et les images sont parfois inspirés des
publications de l’IS. Mais dans les mois qui suivent la révolte, l’influence des situationnistes
sur le traitement des affiches de la capitale devient encore plus importante. Peu avant 1968,
l’international Situationniste avait joué un rôle initiateur390.
Le monde capitaliste moderne tombe effectivement sous le coup de la critique révolutionnaire
qui est sans cesse renouvelée grâce aux apports situationnistes quant au rôle critique de l’art, à
la valeur de la vie quotidienne, et à une critique politique précise et non politisée. Les
événements de mai-juin 1968 représentent indéniablement ce moment historique où le champ
de possibilités de l’expression libre a explosé.
Comment le caractère critique du geste de l’artiste se reflète-t-il a travers son style ? En
conséquence de ce mouvement culturel et politique, les artistes ont-ils été plus actifs et sont-
ils plus facilement ou plus souvent sortis dans la rue pour partager leurs idées ? Comment
procèdent-ils pour assurer la rencontre du mouvement du street art, en construction perpétuel,
avec l’art urbain ?
C’est d’abord la parole qui se libère, dans les assemblées plus ou moins organisées, dans les
slogans qui, sur les murs, réactivent des mélanges improbables de conscience politique et
d’exigence poétique, dans les tracts et publications éphémères391. En même temps, les slogans
et les graffitis dans la rue pendant la révolution de 68, sont des représentations normatives,
révérencieuses dans le ton, une récupération des positions idéologiques en vigueur dont ils
sont le reflet, et qui sont bien éloignées de celles de l’IS.
Ensuite, nous étudierons le facteur artistique de cette période et la transformation du
mouvement artistique conséquemment aux événements. Nous remarquerons que les artistes
sortent dans la rue pendant et après mai 68. En général, ces artistes qui ressentent le besoin
d’une alternative à, d’une part, un art élitiste favorisé par le marché de l’art et, de l’autre, le
commerce sur la culture de masse. Ces artistes ne cherchent pas à faire de l’art pour l’art afin
de procurer un plaisir esthétique. Ils souhaitent utiliser l’art pour réaliser des interventions
idéologiques/critiques, en établissant une relation avec le spectateur dans l’espace public.
390
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre LeRoux, le livre du graffiti, op.cit., p. 61.
391
Gérard Durozoi, Le Journal de l’art des années 1960, Paris : Bibliothèque HAZAN, 2008, p. 370.
190
3.1. Les mouvements d’art contemporain pendant les années 1960
392
Laurent Chollet, Les situationnistes : L’utopie incarnée, Paris : Gallimard, 2004, p. 11.
393
Laurent Chollet, L’insurrection situationniste, Paris : dagorno, 2000, p. 14.
394
Guy Debord, « Rapport sur la construction de situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action
de la tendance situationniste internationale », juin 1957, cité par édition établie par Gérard Berréby, Textes et
documents situationnistes 1957-1960, op.cit., pp. 22-23.
191
construite autour d’un projet de dépassement de l’art et de sa réalisation dans la vie
quotidienne. Paradoxalement, c’est grâce à ses rencontres avec la littérature, la peinture,
l’architecture ou le cinéma que ce courant s’est progressivement structuré avant de se
radicaliser politiquement avec l’idée comme « destruction » et « anti- ». Les éléments de
destruction du spectacle doivent précisément cesser d’être des œuvres d’art. Le départ des
artistes a entrainé une transformation radicale de l’IS.
Thomas Crow décrit l’art contemporain pendant les années 1960 dans son livre The Rise of
the sixties :
« L’art contemporain et le sort de son public »: tel était le titre d’un texte largement
lu publié en 1962, au cœur de la période couverte par ce livre. […] Les spectateurs
ordinaires d’aujourd’hui, espérant cohérence et beauté dans leurs expériences
imaginatives, sont confrontés à la place à des œuvres d’art déclarées existantes dans
des dispositions de textes nus et de photos banales, dans des fabrications
industrielles ne révélant aucun signe de la main de l’artiste, dans des produits
commerciaux banales simplement transférés des centres commerciaux aux galeries,
ou dans des spectacles éphémères et conflictuel dans lesquels les valeurs morales
dominantes sont délibérément travesties »395.
Nous faisons une appréciation positif/négatif de l’art expérimental de cette période, plutôt
que de chercher à savoir pourquoi il atteint des tendances de plus en plus extrêmes. Ses
résultats, pétris d’un sens anti-esthétique de l’art et critique sur la société n’entraîne pas pour
autant le rejet du public et des critiques artistiques. Ces actions artistiques sont toujours le
caractère de « résistance » de l’art moderne, malgré les critiques de divers scientifiques, et
elles ont été la cause développement des différentes variétés d’art critique et d’expression
libre. Cependant les problèmes sont survenus quand ces actions innovantes sont devenues des
objets commerciaux, le fruit d'une technique expérimentale excessive, et l’art politique une
propagande, et se sont fixées aux deux extrêmes de la forme et du contenu de l’art.
395
“Contemporary Art and the Plight of its Public »: so ran the title of a widely read essay published in 1962, at
the heart of the period covered by this book. […] Ordinary viewers of today, hoping for coherence and beauty in
their imaginative experiences, confront instead works of art declared to exist in arrangements of bare texts and
unremarkable photographs, in industrial fabrications revealing no evidence of the artist’s hand, in mundane
commercial products merely transferred from shopping mall to gallery, or in ephemeral and confrontational
performances in which mainstream moral values are deliberately travestied.” Thomas Crow, The Rise of the
Sixties, New Haven & London : Yale University Press, 2005.
192
Ainsi que Thomas Crow l’avait déjà mentionné, la limite de l’avant-garde se trouve entre le
cubisme et le dada Berlin, et l’art contemporain, depuis les années 1960, semble également
s'être placé dans un contexte similaire. L’exploration des nouvelles formes n’est pas une
application simple de techniques nouvelles et n’est pas seulement une préoccupation
d’identité nationale, mais il consiste en l’effort des artistes qui déploient un nouveau langage
artistique pour représenter leur époque. Bien entendu, ces œuvres héritent des époques
antérieures qu’elles perpétuent et intègrent notamment les sujets, formes et styles déjà
exploités une partie de l’art moderne. Cependant ils présentent encore plus de travail politique
et socio-critique pour représenter leur société et désagréger le modèle qu’est l’art moderne.
Les artistes d’avant-garde européenne ont souvent trouvé un caractère autonome et des styles
expérimentaux extrêmes.
En même temps, aux É tats-Unis, nous pouvons éclairer, de préférence, les exemples des
pops artistes présentés comme une réaction positive et hybride à la culture de masse. En effet,
décrire les peintures pop comme satiriques et critiques (comme le furent les premières) est
réducteur: de nombreux artistes se sont adaptés pour répondre aux goûts de la culture de
masse. La pop américaine consiste à concentrer notre attention sur le langage formel de
l'artiste plutôt que sur le contenu. Il est dit que ce sont les qualités abstraites des formes, des
couleurs et des moyens de représentation plutôt que leur contenu qui importent. Leurs travaux
sont figuratifs, et pourtant il revête une forme subtile d’abstraction ou de formalisme.
Certains critiques hâtifs ont rejeté le pop art comme étant inauthentique, un mouvement
superficiel, décadent. Il y a quelque chose à dire à ce sujet, mais le rejet de la pop est trop
hâtif durant les années 1960: certains artistes pop ont décidé d’expérimenter, de produire des
œuvres qui étaient satiriques et/ou critiques. Pour la plupart des critiques américains,
cependant, le contenu de leur travail est toujours important. Le Pop art est plus hétérogène,
plus complexe et plus subtil. Même les peintures pop sans aucun contenu politique peuvent
être interprétées avec un sens critique.
É valuer le mouvement du pop art dans l’ensemble est problématique en raison de son
hétérogénéité, et du fait que les critiques en présentent des interprétations différentes. 396
Malgré les diverses polémiques, nous pouvons néanmoins tirer la conclusion suivante. Les
matériaux auparavant méprisés et le kitch avaient été élevés au rang d’art noble et recherché.
396
Pour un aperçu des réponses critiques au pop art, voir son article: « pop art: Differential Responses and
Changing Perceptions », And Journal of Art and Art Education (26), 1991, pp. 9-16, cité John A Walker, Art in
the age of mass media, op. cit., 1983, p. 45.
193
Miraculeusement, la culture de la minorité s’était approprié son antithèse, sans abandonner
ses valeurs élitistes. Mais l’une des réactions des artistes, qui bénéficiaient du pouvoir des
médias de masse, a été de poursuivre leur quête d’une pureté formelle, d’où l’émergence de
ces styles sans contenu, comme l’art minimal. Par cette autonomie artistique et leur différence,
ils ont tenté diverses approches mais ont finalement été dans l’incapacité de critiquer la vie
quotidienne. Cela signifie que ce mode d’expression, le véritable véhicule de la protestation
esthétique a disparu, l’art étant privé de son caractère artistique et paradoxalement absorbé par
le pouvoir contre lequel il se bat, en raison de la puissance du marché de l’art et de la capacité
des institutions officielles à récupérer toute dissidence.
Grace aux deux courants majeurs du pop art et de l’art d’avant-garde européen dans les
années 1960, nous nous apercevons du phénomène suivant: l’art international contemporain
ne semble tout simplement pas couler à travers un canal unique, mais s’est divisé en de
multiples formes et groupes dispersés comme le Fluxus, l’Op Art, l’art vidéo, la performance,
l’art physique, le minimalisme, l’Arte povera, l’art conceptuel, etc. Que signifient ces
phénomènes artistiques multiples ? Les courants de l’art contemporain européen sont très
critiques et révélaient un intérêt pour les questions idéologiques et politiques des jeunes
artistes dans les années 1970. L’art politique devenu propagande et l’expérimentalisme poussé
à l’extrême peuvent contribuer à stimuler un changement social, mais risquent par la même
occasion de devenirs obscurs pour le public. Il s’agit bien sûr de poser la question de
l’articulation entre l’art moderne et l’art contemporain. Ce dernier, si on le comprend à la fois
comme abandon des supports et des matériaux que respectait encore l’art moderne, comme
indifférent à une relation naguère admise entre l’artiste et son œuvre et comme constante
remise en chantier de la définition de l’art, apparait incontestablement au cours des années
1960. Bien que l’art contemporain critique la société contemporaine et subvertisse le système
de l’art bourgeois, et que les artistes sortent dans la rue pour créer et montrer leurs œuvres, le
public s’y intéresse-t-il? Ce qui est intéressant, c’est de constater que cet art reçoit toujours
l’attention d’un public bourgeois, cultivé, élitiste, plutôt que du grand public. Le rôle des
artistes du début des années 1980 sera donc de critiquer son obscurité et son
incommunicabilité.
Nous avons déjà vu comment les situationnistes critiquent l’idéologie et son support
spectaculaire avec la presse, la télévision, la radiodiffusion, la publicité, le cinéma, la culture,
etc. Mais on remarque généralement une confusion extrême à leur sujet. Il n’est pas rare de
citer l’I.S. parmi les différents mouvements de l’« underground », beatniks, hippies, provos,
194
happening théâtre, etc. La France ne découvre réellement la contre-culture qu’après Mai 68. Il
en va de même à propos des situationnistes. L’assimilation des idées situationnistes à une
expression de la culture « pop » se produit dans ce contexte et fait oublier que l’I.S. est bien
plutôt issue des mouvements artistiques avant-gardistes de l’après guerre, et qu’elle a su
depuis longtemps se démarquer d’une quelconque pratique artistique. Comment cette
assimilation a-t-elle pu se produire ? Tout simplement, par le caractère original de l’idée que
les situationnistes se font de l’activité politique. En refusant les expressions artistique et la
culture traditionnelle, l’I.S. a su créer un vocabulaire spécifique, une revue hors du commun,
une utilisation fréquente des comics, du détournement, de l’injure comme formes modernes
de l’expression contestataire, etc397.
Jean-Jacques Lebel et Alain Jouffroy récidivent peu de temps après, avec l’ouverture du
premier Anti-Procès. Selon Jouffroy :
« L’art est devenu trop étroit pour un artiste. La peinture ne suffit plus, la poésie ne
suffit plus, l’activité créatrice toute entière n’est qu’un pis-aller. Le monde qui
entoure chaque homme est trop écrasant, trop complexe, trop provocant, pour que
des tableaux, des poèmes, des films puissent prétendre à rivaliser d’intensité et de
vérité avec lui. C’est pourquoi toute expression artistique, aujourd’hui quel que soit
son style, quelles que soient les intentions qui lui servent de moteur, conserve un
caractère romantique, anachronique, pour ne pas dire superfétatoire. […] Notre but,
avec l’Anti-Procès, fut de replacer l’art dans un contexte d’actualité et de vie
réelle »398.
Le happening, comme les « Fluxus events » ou les « poetry readings » que pratiquent les
écrivains de la Beat Génération, composent autant de tentatives de faire fusionner l’art et la
vie. Le premier Workshop de la Libre Expression, qu’il créé en 1964, offre aux créateurs la
possibilité de présenter leurs œuvres dans leurs véritables contextes psychiques en marge de
l’industrie culturelle dont les principes sont mis en question. A cette époque, Lebel suit
attentivement les activités du mouvement Fluxus. Ils ont vécu les changements sociaux qui
397
Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68: Théorie et Pratique de la révolution (1966-1972), Paris :
Ivrea, 1995, pp. 178-179.
398
Alain Jouffroy, Pour un dépassement de l’Anti-Procès par lui-même, galerie Brera, Milan, 5 mai 1961,
reproduit in Alain Jouffroy, Les Pré-voyants, La connaissance, 1974, cité par Laurent Chollet, L’insurrection
situationniste, op.cit., pp. 40-41.
195
ont transformé le monde artistique, la relation entre l’art et la vie, et le classement de l’art,
mais leurs travaux en sont devenus encore plus intellectuels et obscurs399. Bien sûr, ce n’était
pas le résultat escompté. L’un des fondateurs de mouvement, Georges Maciunas, ecrit :
« Il faut que l’artiste établisse sont statut non professionnel, non parasitaire et non
élitiste dans la société. Pour cela il doit démontrer que le public peut se divertir tout
seul. Il doit montrer que n’importe quoi peut se substituer à l’art et que n’importe
qui peut le faire »400.
Poursuivant d’une façon autonome ses activités politiques, il déclenche à partir de 1967 une
véritable guérilla culturelle. Le départ des artistes a entraîné une transformation radicale de
l’IS, faisant du « plus politique des mouvements artistiques le plus artistique des mouvements
politiques »401. Nous mettons de côté les problèmes sociaux, il s’agit ici d’agir en tant que la
guérilla et de mettre ses idées en pratique. Nous tenons à citer les propos de Jürgen
Habermas :
399
Jean-Jacques Lebel dans Retour d’exil, op.cit., cité par Laurent Chollet, Ibid., pp. 41-42.
400
Ce groupe informel fondé à New York en 1961 par Gorges Maciunas réunira, tout au long des années soixante,
de nombreux intervenants parmi lesquels La Monte Young, Georges Brecht, Henry Flynt Nam June Park, Wolf
Vostell, Joseph Beuys, Yoko Ono, Ben, Serge III, Oldenbourg ou Robert Filliou. Flash Art, numéro spécial
Fluxus, 1974, cité par Laurent Chollet, L’insurrection situationniste, Paris : Dagorno, 2000, p. 42.
401
Cité par Jean-Christophe Angaut, « Les situationnistes et le concept d’avant-garde : art, politique, et
stratégie », Montréal- Colloque Imaginer l’avant-garde, 7 & 8 Juin, 2010.
196
de la production artistique ainsi qu’au statut cognitif particulier des jugements de
goût. [...] »402.
Mais nous pensons qu’au lieu d’abandonner l’art expérimental contemporain et d’autres
mouvements artistiques contemporains comme le pop art, nous devrions étudier et critiquer
les erreurs qu’ils commettent afin de donner une indication quant à la direction à prendre pour
sortir de ces approches esthétiques.
Il s’agit de la représentation du politique dans l’art ainsi que des capacités des plasticiens à
s’impliquer artistiquement dans des actions relevant de ce contexte. Ceci ne concerne pas
seulement l’organisation des pratiques artistiques dans l’art contemporain. Depuis le 19e
siècle, la liberté artistique s’affirmait sous des courants refusant de prendre de la distance avec
l’académisme prôné par les instances officielles. De multiples tendances se sont attachées,
sous des angles divers, à promouvoir leurs propres aspirations. Beaucoup d’artistes sont situés
à l’avant-garde de l’innovation en matière plastique, malgré des techniques expérimentales
extrêmes. Dans d’autres champs, nous abordons la sphère de la culture de masse au-delà du
domaine des arts plastiques. Le graffiti s’attache à exprimer un caractère rebelle propre, et à
revêtir une valeur artistique malgré son caractère éphémère, en s’éloignant de manière critique
des principes essentiels régissant traditionnellement l’œuvre d’art.
En ce temps-là, à Paris, « les murs avaient la parole » 403 . Et sur ces murs, il y avait
essentiellement deux modes d’expression : les affiches célèbres, et beaucoup de graffitis.
Dans Paris, les murs blanchis par Malraux se sont mis à crier. Une grande exposition poétique
teintée d’ironie. Les murs ont ricané. En attendant de prendre le pouvoir, l’imagination a pris
possession de la rue et y a trouvé un support à la mesure de son délire 404. Alors que les
402
“But all those attempts to level art and life, fiction and praxis, appearance and reality to one plane; the
attempts to remove the distinction between artifact and object of use, between conscious staging and
spontaneous excitement; the attempts to declare everything to be art and everyone to be an artist, to retract all
criteria and to equate aesthetic judgment with the expression of subjective experiences – all these under takings
have proved themselves to be sort of nonsense experiments. These experiments have served to bring back to life,
and to illuminate all the more glaringly, exactly those structures of art which they were meant to dissolve. They
gave a new legitimacy, as ends in themselves, to appearance as the medium of fiction, to the transcendence of
the artwork over society, to the concentrated and planned character of artistic production as well as to the special
cognitive status of judgments of taste. […]” Jürgen Habermas, « Modernity-An incomplete Project », Hal Foster
(éd.), The Anti-Aesthetic: Essays on Postmodern culture, op. cit., pp.10-11.
403
Julien Besançon, Les murs ont la parole : Journal mural Mai 68 Sorbonne Odéon Nanterre etc…, Paris :
Tchou, 2007 : Bertrand Tillier, La Commune de Paris Révolution sans images ?, op. cit.
404
Walter Lewino, L’imagination au pouvoir, Paris : Le terrain Vague, 1968.
197
graffitis de Mai 68 étaient lourds de contestation, les picturo-graffitis ne présentent qu’une
pure délectation. Ils demeurent obstinément fermés à tout message405.
Aux É tats-Unis, à New York, les rébus évoquent l’aspect d’un mur urbain posté un peu
comme la combinaison vue par les affichistes, d’un intérêt à traiter les sujets de manière
impersonnelle. Ce phénomène américain déploie le mouvement culturel qui s’est appelé
graffiti writing. Dans l’art, deux aspects sont essentiels à l’œuvre : le contenu et la forme. Si
la forme l’emporte sur le contenu, alors, c’est un art qu’on peut qualifier de commercial. A
l’inverse, on peut qualifier l’art de propagande. Les jeunes artistes des années 70, qui
souhaitaient percer, et être exposés, trop jeunes ou immatures parfois pour vraiment apporter
une critique recherchée de leur société, ont fortement tendu vers ce défaut de manque de
contenu. Ils ont soumis l’intervention active de la dégradation aux dictats des forces
commerciales éphémères, faisant ainsi accepter l’abstraction picturale et l’impénétrabilité de
l’art expérimental en esthétisant ses lignes. Nous seront amenés à discuter des polémiques
diverses apparues au sujet de ce mouvement du graffiti moderne, dans notre troisième partie.
Paris devient une espace libre d’images et de slogans. A leur façon, ils apportent une
contribution essentielle à la dynamique contestataire des années 68 par les mots et les images
de la contestation. La prise de parole est aussi affaire des artistes. Tandis que les murs des
universités et du Quartier latin se couvrent d’affiches. Le 7 mai 1968, dans le premier numéro
d’Action, un journal réalisé par l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), le
Mouvement du 22 mars et les comités d’action lycéens (CAL), l’illustrateur Siné publie un
dessin dont le titre caricatural est : « Debout les damnés de Nanterre ! » (fig. 77) et celui-ci
montre un groupe de jeunes manifestants, le poing levé, la bouche grande ouverte406.
À Paris, pendant l’insurrection étudiante de mai 68, des affiches seront conçues et
fabriquées par les étudiants des Beaux-arts et baptisé Atelier populaire, puis par celui des Arts
405
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre LeRoux, le livre du graffiti, op.cit., p.92.
406
Dans cet ouvrage, Christoph Kalter analyse plusieurs sens sur jeu de mots présentés dans cette caricature.
Coordination par Caroline Apostolopoulos, Geneviève Dreyfus-Armand, Irène Paillard, Les années 68 : un
monde en mouvement, éditions SYLLEPSE, 2008, p. 63.
198
décoratifs. Imprimées surtout en sérigraphie, procédé économique correspondant parfaitement
au graphisme brut et direct d’un message sans équivoque, l’impression se fait dans l’urgence
en une seule couleur. Il y aura d’autres ateliers à Paris : à la Facultés des Sciences, à l’Institut
d’art et d’archéologie, à la fac de médecine, aux Arts appliqués : en province des ateliers se
formeront à Marseille, Montpellier, Grenoble, Dijon, Amiens, Caen et Strasbourg.
L’ouvrage offre un regard sur les événements de Mai avec une série de photos inédites
de Marc Riboud, des clichés de Philippe Vermes, et des photos de Jean-Claude Gautrand. Et
le texte de Michel Wlassikoff est didactique et foisonne d’informations essentielles quant à
l’organisation des journées dans Mai 68: l’affiche en héritage. La Galerie Anatome présente
une centaine d’affiches issues des collections de la BnF, léguées dès 1968 par les
protagonistes des ateliers des Beaux-arts (ENSBA) et des Arts décoratifs (ENSAD), en tant
que témoignage historique. Le parti pris de cette exposition, dont le commissariat est assuré
par Michel Wlassikoff, est de rappeler le patrimoine esthétique et culturel de ces affiches,
d’offrir une réflexion sur leur production et de bousculer certaines idées reçues. Ainsi, la
notion de « création spontanée » des étudiants est remise en cause – l’accent est mis sur
l’importance du mouvement de la Jeune Peinture dans l’installation de l’atelier des Beaux-arts
et son rôle dans le processus de conception : du slogan imposé à la critique collective407.
Pendant les années soixante-dix, de nombreux livres ont représentés ces placards, soit en
s’y consacrant, soit en les évoquant. Le meilleur d’entre eux, bien que sommaire, reste
probablement l’un des premiers, l’Atelier populaire présenté par lui-même408, paru fin 1968,
parce qu’un certain nombre d’indications précises ou de datations y sont mentionnées. L’été
de la même année, chez Dobson à Londres, des membres de l’atelier avaient réalisé un album
reproduisant 96 de leurs affiches. Enfin, en Allemagne, Louis F. Peters, toujours en 1968,
analysait les rapports entre art et révolte et rassemblait un certain nombre de documents. Les
publications ne manquent donc pas, surtout si nous songeons à tous les ouvrages postérieurs
dans lesquels certaines affiches de 68 figurent, liées à d’autres images de la contestation409.
Le 14 mai, plusieurs artistes, élèves de l’école ou personnes extérieures arrivées là après la
grande manifestation du 13 mai, impriment une lithographie destinée à soutenir les
mouvements en cours : U sines, U niversites, U nion. Le procédé lithographique, pratiqué
407
Galerie Anatome, Mai 68 : l’affiche en héritage, exposition du 7 mai au 26 juillet 2008.
408
Atelier populaire présenté par lui-même, U.U.U. 1968.
409
Sous la direction de Geneviève dreyfus-armand et Laurent gervereau, MAI 68 : Les mouvements étudiants en
France et dans le monde, Le musée d’histoire contemporaine de la bibliothèque de documentation internationale
contemporaine, du 3 mai au 10 juillet 1968, p. 160.
199
avec une presse à bras, impose un tirage restreint. Aussi, apparemment, ce ne sont qu’une
trentaine d’exemplaires qui sortent de l’école pour prendre place dans une galerie proche410.
Selon les récits, des étudiants auraient interpelé les artistes dans la rue et auraient affiché ce
texte, qui devient ainsi la première affiche de l’atelier populaire des Beaux-Arts, fournissant
d’ailleurs plus tard, par ses initiales (U.U.U.), le sigle du groupe qui rééditera les productions
graphiques de l’époque. Mais cette méthode n’aurait jamais permis un affichage conséquent.
A l’assemblée générale du 14 mai aux Beaux-Arts, Guy de Rougemont, qui travaillait alors
près du Panthéon dans un atelier de sérigraphie artistique, parle de cette technique. Il est alors
chargé de l’implanter à l’école. Dès le lendemain, il apporte le premier cadre, très artisanal 411.
En ce qui concerne les affiches illustrées, même si des différences apparaissent entre les
ateliers ou même au sein de chaque atelier entre les artistes, il se dégage un style général qui
les fait reconnaitre et qui, dès leur sortie, les a fait remarquer. Ce style tient, à notre sens, à
deux éléments. D’une part, les contraintes de la technique obligeant à un dessin simple en
aplats, avant de pouvoir insoler des photos ; d’autre part, les débats collectifs et la recherche
d’efficacité qui interdisait des fantaisies personnelles d’artistes – il faut noter d’ailleurs à cet
égard la grande différence formelle des lithographies signées, insistant beaucoup plus sur les
détails et proche de la patte reconnaissable de chacun412.
Propos recueillis par Laurent GEREREAU, La sérigraphie à l’Ecole des Beaux-Arts.
Entretien avec Rougement, plasticien, qui a activement participé à la mise en place et au
travail de l’atelier d’affiches des Beaux-Arts. Il se propose leur technique :
« Il n’y avait pas d’atelier de sérigraphie aux Beaux-Arts, ni aux Arts-déco. C’était
une technique qui était utilisée à l’origine par les Américains pendant la seconde
guerre mondiale pour marquer les caisses à partir du système du pochoir. Plus tard,
quelques artistes américains la détournent pour leurs recherches de peintres. […]
410
Voir l’interview de Gérard Formanger, cité par Ibid.
411
Ibid., p. 162.
412
Ibid., p. 170. L’image doit frapper par son évidence. Généralement couplée avec un texte court, elle rapproche
les symboles découpés dans leurs contours essentiels. Jeux de formes, elle se distingue du dessin d’humour ou de
la caricature politique par un emploi de traits plus larges et de masses encrées qui soulignent objets et
personnages. Le texte intervient, en haut ou en bas, manuscrit comme une manière de dégager l’idée de l’image.
Nullement en concurrence, le texte participe comme élément graphique, et l’image, plus que de l’illustrer,
l’épaule en apportant un supplément d’expression. L’aspect brut, renforcé par l’écriture manuscrite et l’opacité
de l’encre largement utilisée, donne une impression vigoureuse qui frappe. L’opposions des noirs et des blancs
ou celle de couleurs franches (bleus, rouges, verts) avec des blancs, ajouté au coté mat de l’encrage arrête et
surtout tranche par rapport à l’ensemble de l’affichage politique du moment.
200
Un peu plus tard, s’est installé un petit laboratoire où nous pouvions traiter la
photographie et pratiquer l’insolation. Les seules choses qui ont été signées, ce sont
des lithographies faites par des artistes comme Aléchinski, Jorn … »413.
Dans la foulée de mai 1968, les messages politiques de la rue parisienne gagnent en poésie
et en qualité graphique. Ils sont notamment le fait d’étudiants en philosophie, en littérature, en
sciences politiques ou en art et font souvent preuve d’humour absurde ou d’un sens de la
formule plutôt étudié. Ces slogans sont indifféremment écrits au pinceau, au rouleau, à la
bombe de peinture ou sur des affiches sérigraphiées.
L’expérience de l’ex-atelier Brianchon, devenu « l’Atelier populaire », a permis à quantité
de peintres de participer activement à mouvement collectif dont ils auraient pu se sentir
exclus414. L’Atelier débute effectivement le 14 mai, au moment où sort la première affiche en
lithographie à trente exemplaires, celle des « trois U », Usine-Université-Union, symbole de
la synchronisation des crises et de l’extension du « mouvement ». Une toute dernière affiche
paraîtra cependant grâce à Gérard Fromanger qui a réussi à transporter son matériel de
sérigraphie jusqu’au siège de la CFDT pour imprimer La police s’affiche aux Beaux-Arts, les
Beaux-Arts affichent dans la rue. (fig. 78) Après le 20 mai, plusieurs artistes reconnus
préparent des affiches en marge de l’Atelier populaire : Roberto Matta, Jean Hélion, Antonio
Ségui, Pierre Alechinsky, Leonardo Cremonini, Daniel Pommereulle, James Pichette, Gina
Pellon, et Asger Jorn415. Les principaux thèmes d’inspiration de l’atelier populaire de 1968
concernèrent notamment la personne du général de Gaulle, maintes fois représenté en des
charges dont certaines rappellent, par leur puissance, les estampes de Daumier contre Louis-
Philippe, ainsi : « Moi ! » ou « Machiavélique moi »416.
413
Propos recueillis par Laurent GEREREAU, La sérigraphie à l’Ecole des Beaux-Arts. Entretien avec
Rougement, pp. 180-183. Laurent GERBEREAU a essayé l’entretien : 1) Entretien avec Rougemont : La
sérigraphie à l’Ecole des Beaux-Arts, 2) Entretien avec Gérard Fromanger : L’atelier poplaire de l’ex-Ecole des
Beaux-Arts, 3) Entretien avec François Miehe et Gérard Paris-Clavel : L’atelier des Arts-décoratifs. On peut
étudier les caractéristique ses et les approches des affiches de l’événement de 68. Ibid., pp. 172-197.
414
Pierre Nahon, « Défense de ne pas afficher » Mai 1968 il y a 30 ans, Galerie Beaubourg, op.cit., p. 62.
415
Jean-Louis Violeau, « L’expérience 68, peinture et architecture entre effacements et disparitions », Sous la
direction de Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Natonti, Bernard Pudal, Mai-Juin 68, Paris :
l’Atelier/Ouvrières, 2008, pp. 222-233.
416
Pierre Nahon, « Défense de ne pas afficher » Mai 1968 il y a 30 ans, Galerie Beaubourg, op.cit., p. 63.
Dans ce livre, Pierre Nahon analyse les multiples styles d’affiches : En effet, tout un aspect de la production
s’attache à mettre en scène la police et la répression policière, depuis le « CRS BRANDISSANT SA
MATRAQUE » Jusqu’à « LA POLICE S’AFFICHE AUX BEAUX-ARTS, LES BEAUX-ARTS AFFICHENT
DANS LA RUE » qui figure un policier mordant un pinceau. D’autres affiches dépeignent un malaise à propos
201
Jean Jacques Lebel aussi mentionne les styles des images sur d’affiche dans « Rendons la
parole aux murs » :
« Toute révolution produit ses propres images, ses propres langages. L’originalité
des affiches de 68, au regard des images que Daumier, Cham ou Gustave Doré
nous on laissées de la Commune de Paris, n’est pas d’ordre esthétique, elle tient à
leur processus d’élaboration. Il s’est agi le plus souvent d’un travail collectif – à
l’Atelier populaire des Beaux-Arts ou ailleurs – qui portait à la fois sur le contenu
politique et sur la forme – la plus « claire » possible – entériné par un vote de
l’assemblé. On peut qualifier ce processus de « démocratique » ou de
« bureaucratique » selon qu’on lui applique ce processus de lecture léniniste ou
libertaire … »417.
de l’ « intox » provoquée, selon les étudiants, par les journaux, la radio et la télévision quand elles ne s’attaquent
pas aux élections législatives ou à la hausse des prix destructrice des « revendications satisfaites ». Une dernière
série d’affiches, non la moindre, cherchait à illustrer la lutte populaire proprement dite. Ouvriers en grève dans
les usines, cheminots, chauffeurs de taxi, postiers en sont les protagonistes. « MAI 68 DEBUT D’UNE LUTTE
PROLONGEE » et « A BAS LES CADENCES INFERNALES » sont à cet égard des chefs-d’œuvre du
genre. Sous la direction de Geneviève dreyfus-armand et Laurent gervereau, MAI 68 : Les mouvements étudiants
en France et dans le monde, op.cit., p. 171.
417
Jean Jacques Lebel, « Rendons la parole aux murs », Galerie Beaubourg, op.cit., p. 145.
202
(fig. 81) disait: « Pas de puissance d’imagination sans image puissante »418. Il a aussi écrit
« vive la révolution pasione ! ». Le « s » et le « e » manquant dans le mot « passionnée ».
C’était sa manière d'ironiser avec humour sur la société.
Ainsi, des artistes confirmés rejoignent également les combats des étudiants en les aidant à
plus d’un titre, dans les ateliers des écoles d’art et dans la rue, mais aussi en organisant des
ventes de leurs œuvres, et en offrant parfois une aide financière substantielle419. De tirage plus
limité, non destinées à l’affichage, ces créations se présentent sous un aspect très différent des
affiches : plus « artistiques », plus soumises au style spécifique de chaque plasticien, leurs
nuances, leurs coloris, la qualité de leur papier, les écartent de la matière brute destinée aux
murs420.
La dimension contestataire et militante des affiches ont présenté la critique de la société et
des autorités, englobant tous les aspects de la vie sociale et politique. Militant actif ou simple
porte-parole, ils contribuent au domaine de la vie quotidienne ou de la culture. Ces activités se
situent dans le cadre des modes de pensée libre, des représentations de la société, et des
pratiques artistiques.
Entre 1959 et 1961, les exclusions et démissions d’artistes se multiplient. Le plus politique
des mouvements artistiques devient le plus artistique des mouvements politiques. Le mot
d’ordre de l’IS, inscrit ici à la craie sur un mur de la rue de Seine, au début de l’année 1953 :
« Ne travaillez Jamais », « Culture de masse » et « contre culture »421. Denys Riout explique :
418
Troels Andersen « Jorn en France », sous la direction de Jonas Storsve, Asger Jorn : œuvrés sur papier,
Gallimard: Centre Pompidou, Galerie du musée et Galerie d’art graphique, paris, 11 février -11 mai 2009, p. 32.
419
Coordination par Caroline Apostolopoulos, Geneviève Dreyfus-Armand, Irène Parillard, Les années 68 : un
monde en mouvement, Paris : SYLLEPSE, 2008, p. 278.
420
En province, quelques ateliers se mettent en place en juin, mais l’essentiel de la production est parisienne,
d’autant que les modèles parisiens sont rapportés et copiés. Les situationnistes choisissent, eux, de faire paraitre
des placards typographiés austères, à contre-courant. Les partis politiques utilisent des moyes d’impression
classiques. En mai, alors que les murs appartiennent aux étudiants, le Parti communiste édite des affiches-textes
en bleu sur fond blanc, d’une composition assez vieillotte. En juin, les Comites de défense de la
République(CDR) se mettent en place des le 2-3. Leurs affichettes s’attaquent au mouvement étudiant en gardant
un graphisme et une typographie conventionnels, hormis celle, noir et rouge, représentant une barricade et
déclarant Pas ça ! mais la reforme avec de Gaulle – qui semble gagnée par l’objet de son courroux. Sous la
direction de Geneviève dreyfus-armand et Laurent Gervereau, MAI 68 : Les mouvements étudiants en France et
dans le monde, op.cit., pp. 166-167.
421
Laurent Chollet, La révolte en images : Mai 1968, Paris : Hors Collection, 2007, p. 24.
203
« Quoi qu’il en soit, la caractéristique générale de tous ces graffitis, c’est qu’ils
proclamaient un texte, sans soucis de la forme. Ecrites en hâte au feutre, à la bombe
ou à la brosse, les lettres se contentaient de manifester les messages. […] Aussi n’y
eut-il pas à proprement parler de « style 68 », hors dans les affiches réalisés par
l’Atelier Populaire des Beaux-arts »422.
422
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre LeRoux, Le livre du graffiti, op.cit., p. 62.
423
Voir Walter Lewino, L’imagination au pourvoir, op.cit.
424
Voir Ibid.
425
Sous la direction de Geneviève dreyfus-armand et Laurent gervereau, MAI 68 : Les mouvements étudiants en
France et dans le monde, op.cit., pp. 163-164.
426
Ibid., p.169.
204
Les slogans introduisent l’humour et la sauvagerie sur les murs, une parole personnelle. (fig.
82) Les affiches trouvent un style qui leur est propre pour répandre leurs idées et, bien que les
slogans des grévistes soient provocateurs et politiques, les graffitis anti-travail montrent la
présence indéniable du mouvement situationniste. L’idée politique de l’expression d’une libre
parole sur les murs et le mode de pensée établi depuis les années 1960 dans la ligne de l’art
conceptuel ont incité les artistes à chercher à mélanger les mots et les actions. En mai 68, les
Français « ont pris la parole comme en 1789 ils avaient pris la Bastille ». La « parole », c’est
aussi cette expression spontanée qui se libère à propos de toutes les choses de la vie,
professionnelles, amoureuses, personnelles, intellectuelles ou collectives427.
Il est difficile d’identifier avec précision la politique des étudiants qui ont déclenché les
événements de mai 1968. Au cours de ces moments critiques de libération de la langue,
apparaissent également des tracts-poèmes écrits par des étudiants de la faculté de Lettres de
Censier, collés et diffusés : « Emplir l’espace de nos CRIS »428. Ces graffitis redonnent une
existence aux murs et aux façades pour des passants aveuglés de propreté. Bien que n’étant
pas exhaustif, le graffiti a donné un sens de l’esprit rebelle, tempéré par l’humour verbal. Leur
style et l’humour des affiches et des graffitis, aujourd’hui, devient un état d’esprit qui présente
l’ironie de l’époque. Les chansons et les poèmes sont parfois d’ailleurs apparus durant cette
période, sous forme de graffiti ou d’affiches manuscrites sur les murs. Le noir domine le plus
souvent dans ces affiches et dans les slogans. C’est de cet affichage sauvage et militant que
naît une tradition parisienne du graffiti à vocation esthétique. La sérigraphie s’inspire du
pochoir, alors peu employé dans les milieux artistiques et qui joue en rôle essentiel dans la
production.
Ces graffitis présentaient un mode d’expression écrit, c’est le nom donné aux dessins ou
inscriptions calligraphiés, peints, ou tracés de diverses manières, à différencier du tag ou graff
dans le graffiti writing, qui correspond à la signature d’un nom ou d’une fresque. Nous avons
plutôt présenté les graffitis des rues de Paris pendant les événements de Mai 68. En quoi ces
deux formes du graffiti sont-elles différentes en ce qui concerne les querelles esthétiques de
l’art? Comment certains graffitis possèdent-ils une valeur artistique ? Pour intégrer le graffiti
427
Jacques Tarnero a cité l’expression de l’historien Michel de Certeau : Voir Jacques Tarnero, Mai 68 La
révolution fiction, Les essentiels, Milan, 1998, p. 40.
428
Coordination par Caroline Apostolopoulos, Geneviève Dreyfus-Armand, Irène Paillard, Les années 68 : un
monde en mouvement, op.cit., p. 168.
205
dans une relation entre l’art élite et la culture populaire, dans la sphère de la sous-culture, ou
dans la société de consommation, les questions essentiels concernant l’art ont été posées.
Nous nous sommes intéressés au fait que le graffiti urbain se développe souvent dans un
contexte de tensions politiques : pendant les Révolutions, sous l’occupation, pendant la guerre
d’Algérie, en mai 1968, sur le Mur de Berlin ou dans les régions où se posent des problèmes
d’autonomie. Dans un autre contexte mais tout autant politique, en 1952 Guy Debord inscrit
le graffiti « Ne travaillez jamais » (fig. 83). Dans la foulée de mai 1968, les messages
politiques de la rue parisienne gagnent en poésie et en qualité graphique. Ils sont notamment
le fait d’étudiants en philosophie, en littérature, en sciences politiques ou en art et font
souvent preuve d’humour absurde ou d’un sens de la formule plutôt étudié. Comme le graffiti
« La poésie est dans la rue », ces slogans sont indifféremment écrits au pinceau, au rouleau, à
la bombe de peinture (plus rare) ou sur des affiches sérigraphiées. C’est de cet affichage
sauvage et militant que naît une tradition parisienne du graffiti à vocation esthétique.
Pendant cette période, beaucoup d’artistes créent 429 et de nouveaux groupes naissent.
L’Atelier populaire, ce n’est pas la « contre-culture », c’est encore une autre histoire, bien
plus brève, deux mois à peine, mais dont l’influence a été si durable que ses affiches sont en
quelque sorte devenues des synecdoques de Mai 1968430. Quel est le « style » de l’Atelier ?
Le rire de Mai : mettre des images au service de la lutte du peuple, représenter les luttes, faire
de la représentation une lutte. Son style est tout d’abord la réactivité et le collectif, donc la
sérigraphie, la dilution de l’artiste dans un collectif. Mais aussi un lieu de formation à la
technique de la sérigraphie, notamment pour les ouvriers des usines en grève qui viennent y
chercher un relais graphique. Sur les affiches, une rhétorique omniprésente de solidarité avec
les travailleurs en grève.
429
Les idées situationnistes d’Asger Jorn et d’autres ont soutenu leur engagement plus direct avec le graffiti
pendant le soulèvement de Paris en mai 1968, lorsque les étudiants de l’École des Beaux-Arts et d’ailleurs
menaient une campagne intensive de harcelèment et de slogans sur les murs à travers Paris. C’est sans doute ce
sentiment de possibilité que le vieillissant Joan Miro, honoré et reconnu comme conforme à ses propres idéaux
dans son mai 1968, peint en 1973. Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture,
op.cit., p.92
430
Jean-Louis Violeau, « L’expérience 68, peinture et architecture entre effacements et disparitions », Sous la
direction de Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Natonti, Bernard Pudal, Mai-Juin 68, op.cit.,
p.222-233.
206
Aux Beaux-Arts, l’Atelier se divise en un lieu pour la conception des affiches et plusieurs
dédiés à leur réalisation : sérigraphie, lithographie, pochoir, chambre noire. L’encre et le
papier sont fournis par des imprimeries en grève ou des éditeurs. Les premières affiches ne
comportent que du texte, puis juxtaposent texte et image après le 19 mai. Avec cette leçon
tirée à chaud, au cours de l’été 1968, qui dit bien au fond quel était le parti graphique adopté
par l’Atelier, « notre expérience nous a révélé les dangers de l’ambigüité et la nécessité de
lier les mots d’ordre au graphisme. La sincérité, la fantaisie et l’imagination ne sont efficaces
que dans la mesure où elles interprètent et renforcent l’objectif des mots d’ordre »431. S’y
retrouvent alors, malgré tout, la plupart des « artistes » : Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo,
Biras, Bodek, Pierre Buraglio, Leonardo Cremonini, Henti Cueco, Lucien Flury, Gerard
Fromanger, Jean-Robert Ipoustéguy, Merri Jolivet, Jean-claude Latil, Julio Le Parc et les gens
du CRAV (Groupe de recherche d’art visuel), Michel Parré, Bernard Rancillac, Guy de
Rougemont, Roland Sabatier, Antonio Ségui, Gérard Tisserand, Vladimir Velickovic.
Les proches de la Nouvelle Figuration sont nombreux et les affiches reprennent
majoritairement les larges aplats de couleur, évidemment noirs et rouges de préférence, et cet
au-delà, de la raison technique de la sérigraphie apportée par l’artiste Guy de Rougemont et le
sérigraphe É ric Seydoux432. Sur la scène artistique institutionnalisée, il est bien difficile de
dire précisément quels changements Mai 1968 aurait produits. Par exemple, dès 1964-1965, le
Salon de la Jeune peinture était déjà entré en crise433. Dès 1960, Le nouveau réalisme, d’après
leur critique-mentor Pierre Restany, c’était tout autant « l’appropriation de la réalité extérieure
sous les catégories de la quantité et du constant [que déjà] la conscience de l’épuisement
gestuel du style expressionniste abstrait »434. Une poignée d’années plus tard, le même refus
anime la Figuration narrative435 en particulier, et la Nouvelle figuration en général, optant
pour les aplats de couleurs vives, le pochoir, utilisé par G. Fromanger ou B. Rancillac.
431
L’Atelier populaire présenté par lui-même, op.cit., p.14
432
Jean-Louis Violeau, « L’expérience 68, peinture et architecture entre effacements et disparitions », Sous la
direction de Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Natonti, Bernard Pudal, Mai-Juin 68, op.cit., pp.
223-224
433
Le thème officiel du Salon de l’année 1965, l’année du revirement définitif, était encore « Hommage au vert ».
A contrario, le Salon ira, en 1973, jusqu’à concevoir une salle autour du thème « A travail égal, salaire égal » où
les artistes et collectifs devaient présenter des œuvres de même format et de même couleur noire et blanche. Et
puis il y aura eu entre-temps la « Salle rouge pour le Vietnam » en mai 68.
434
Pierre Restany, « Nouveau réalisme et pop art », Paris-New-York, 1977-1990, repris dans Nouveau Réalisme,
1960-1990, Paris : La Différence, 2007, p. 68.
435
Valerio Adami. Erro, Peter Klasen, Jacques Monory, Bernard Rancillac et Hervé Télémarque. La Figuration
narrative est une variante d’un courant plus large, la Nouvelle Figuration, qui regroupe alors, dans la foulée des
207
Présentée en juillet 1964 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, cette manifestation
est organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Bernard Rancillac et
Hervé Télémaque en réaction au triomphe du Pop Art et de l’art américain qui envahissent la
scène nationale et internationale artistique. Robert Rauschenberg, notamment, reçoit le Grand
Prix de peinture de la Biennale de Venise. Trente-quatre artistes y participent dont Arroyo,
Berthelot, Bertini, Fahlström, Klasen, Monory, Rancillac, Recalcati, Saul, Télémaque, 34
artistes venant d’horizons esthétiques et géographiques différents. Si, comme leurs
homologues américains, ils placent la société contemporaine et ses images à la cour de leur
œuvre en utilisant publicité, bande dessinée, image cinématographique, ils en diffèrent par le
refus d’un certain « art pour l’art ». Emile Aillaud, Eduardo Arroyo, Henri Cueco, Antonio
Recalcati et Gérard Tisserand, qui se sont fixé pour objectif de faire de l’art un outil de
transformation sociale, investissent et redonnent au Salon de la Jeune Peinture une orientation
militante. Dès lors, les expositions se succèdent.
Les manifestations de groupe sous le drapeau « Figuration narrative » vont en particulier
malmener le monde de l’art, ses icones telles que Duchamp ou Miró plus tard, et ses
institutions. Peu à peu, les caractéristiques de cette nouvelle figuration s’affirment. Pour les
artistes français, il n’est pas a priori incongru de donner à une œuvre une portée
immédiatement politique. Les membres du Salon de la Jeune Peinture entendent ainsi prouver
que la figuration peut être porteuse d’un sens plus précis que dans sa version « narrative » :
leurs débats sont notamment influencés par la réflexion de Pour Marx et Lire (1965) de Louis
Althusser, et par la façon dont il montre que le culturel est structuré par l’idéologique436.
Alors une nouvelle figuration a émergé dans un climat international tendu. La Guerre
d’Algérie, les événements de la guerre froide, la Guerre du Vietnam donnent lieu à des images
chocs dans la presse. L’image publicitaire d’une société de consommation ne cesse de se
multiplier. Après Mai, lorsque la norme sera à la subversion, apparait Supports/Surfaces437,
inspiré par la théorie de Marcelin Pleynet, bardé de références au marxisme-léninisme, à la
sémiotique et à la psychanalyse, puis à la coopérative des Malassis, durablement proche du
deux expositions « Mythologies quotidiennes » (1964) et « figuration narrative » (1965), Gérard Fromanger,
Eduardo Arroyo, Cilles Aillaud, Antonio Recalcati, ou encore Leonardo Cremonini. Jean-Luc Chalumeau, l’un
des critiques qui auront accompagné ce mouvement apres Gérald Gassiot-Talabot et Jean-Louis Pradel, a fait
paraitre aux éditions du Cercle d’art en 2004 La Nouvelle Figuration, une histoire de 1953 à nos jours, qui
dresse un bilan exhaustif de ce courant depuis ses origines.
436
Gérard Durozoi, Le Journal de l’art des années 1960, op.cit., p. 242
437
Voir la thèse de Marie-Hélène Dampérat, Supports/Surfaces, 1966-1974, parue aux Publications de
l’université de Saint-Etienne/CIEREC en 2000.
208
Parti communiste et de l’action culturelle développée par ses municipalités en banlieue
parisienne.
Dans l’atmosphère de l’après-1968, des artistes commencent à se manifester en province,
même s’il n’est pas encore question de décentralisation culturelle. Ils peuvent s’opposer au
système marchand, et sont parfois animés d’intentions politiques, ayant lu Althusser ou
attentifs au maoïsme, mais ils sont aussi rétifs au principe d’une peinture réaliste. Et les
générations des jeunes français viennent d’inventer le mouvement punk. Le mode de vie
situationniste a eu une certaine influence sur la sous-culture hippie dans les années soixante,
et l’idéologie punk dans les années soixante en Grande-Bretagne, influence situationniste
ressentie de manière plus menaçante en France en particulier dans les universités, mais il faut
dire que leur influence sur les événements de mai 1968 a été exagéré. Pour la plupart,
cependant, l’héritage du mouvement est resté moins évidemment politique et restreint dans
son appel à un public assez spécifique dans le milieu culturel et en particulier les arts visuels.
En effet, la mesure dans laquelle l’influence situationniste a prospéré dans les domaines de
l’art et de la culture populaire est remarquable et contraste avec l’absence de l’influence du
mouvement dans d’autres domaines438.
Mai 68 en tant que tel n’a produit aucun artiste et se serait plutôt produit comme une
performance ou une œuvre éphémère. Si malgré tout, le paysage artistique en porte une trace,
c’est peut-être dans l’inflexion qui voit les artistes et leurs œuvres passer d’une critique de la
marchandise à une critique du travail et de l’aliénation, mouvement que symboliserait le
passage des Nouveaux réalistes aux Malssis439. Support/Surfaces, BMPT, Malassis, Figuration
narrative et Nouvelle Figuration, etc., si l’on assemble toutes les pièces de ce puzzle, on
recomposé à grands traits communs le travail que les artistes dénouent dans la rue440.
Le lieu est difficile d’accès et le travail risque de n’être vu par personne, mais il est mené
comme une « action » autosuffisante. Commencent ainsi à collaborer des membres de ce qui
438
Peter Smith, « On the Passage of a Few People: Situationist Nostalgia », Oxford Art Journal, Vol.14, No.1,
1991, pp. 118-125; Voir M. Poster Existential Marxism in Postwar France: from Sartre to Althusser, Princeton
University Press, 1975, p. 386.
439
Jean-Louis Violeau, « L’expérience 68, peinture et architecture entre effacements et disparitions », Sous la
direction de Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Natonti, Bernard Pudal, Mai-Juin 68, op.cit., p.
227.
440
Certains théoriciens se focalisent sur le caractère politique des artistes : « Ces images dont les gauchistes ont
perdu la maîtrise », cet imaginaire graphique gauchisant se résume, dix ans après Mai 68, à un « Marx motard »,
cool bien entendu, qui invite des « loulous » à la fête des Jeunesses communistes avec, pour décor, des chantiers
de construction. Le contrôle des images, certes, mais au prix d’une disparition progressive des origines de cette
esthétique. Ibid., p. 231.
209
deviendra en 1970, le groupe Supports/Surfaces, préoccupés par la mise en évidence de
pratiques « matérialistes » qui entendent avant tout « peindre » à leur façon, et rompre avec
toutes les tendances antérieures. Au lieu d’être accrochées aux murs, les toiles libres y
pendent, ou sont disposées dans l’espace, tandis que sont appuyés de biais des châssis sans
toile ou que se déroulent des échelles de tarlatane441.
Daniel Buren qui, en 1968, colle ses papiers rayés au hasard des rues, ou encore, BMTP,
auraient pu offrir un écho aux divagations des « piétons de Mai ». En Octobre, Gérard
Fromanger expose ses Souffles de mai (fig. 84) dans les rues de Paris. Sculptures minimales
composées de demi-sphères transparentes teintées en rouge, les Souffles suscitent
attroupements et débats, tandis que l’artiste montre les sérigraphies « Le Rouge » à la
Biennale de l’estampe (ARC)442. Commémorant les événements de mai, Fromanger dispose
dans la rue, sans autorisation préfectorale, 9 sculptures, intitulées Souffles, ainsi qu’un
ensemble de sculptures miniatures, les Souffles à voler.
Fromanger continue à réaliser des « Ciné-tracts » avec Jean-Luc Godard. La coopérative
des Malassis, qui tire son nom d’un quartier se trouvant sur le plateau des Malassis à Bagnolet,
est créée par cinq artistes : Cueco, Fleury, Latil, Parré et tisserand. La coopérative défend une
conception sociale et politique de l’art et propose des réalisations collectives. Leurs styles
sont plus populaires et facile d’accès aux spectateurs. Mais les plus militants de ces peintres
s’engagent dans la politique, l’association éclate donc très vite, chaque artiste radicalisant ses
propres pratiques et procédés.
Nous savons que la rue new-yorkaise est également devenue le contexte archétypal exclusif
à partir des années 1960. La culture populaire est celle qui se lit sur les murs de la ville, les
titres des journaux dans les kiosques, les panneaux publicitaires ou les enseignes sur les
façades, les affiches ou les graffitis : son destin est de finir sur les cimaises des musées. Les
néo-dadas et les artistes pop, tout comme les Nouveaux Réalistes, demeurent les tenants de la
modernité dont ils ont su exalter avec talent les valeurs de langage du populaire industriel,
urbain et médiatique. Ils ont illustré le dernier moment expressif de la société industrielle à la
société postindustrielle. Cependant la situation actuelle est spectaculaire, et embellit tant du
fait de son rôle de catalyseur de potentiels. Une nouvelle sensibilité caractérise la condition
postmoderne, qui affronte les nouvelles technologies et la culture de nos nouvelles mutations.
441
Gérard Durozoi, Le Journal de l’art des années 1960, op. cit., pp. 402-403.
442
Ibid., p. 389.
210
Dans un tel contexte, néo-dadas, pop artistes et Nouveaux Réalistes suivent le destin de leur
modernité.
Malgré les problèmes divers de chaque mouvement artistique, beaucoup des mouvements
d’art contemporain s’identifient à l’apogée d’une culture urbaine. Nous voulons faire remarquer
un autre phénomène culturel dans la même période. Denys Riout décrit le changement
brusque de la situation sociale de mai 68 avant le début des années 1970.
« Au-delà de mai et durant les quelques années qui suivirent, la rumeur graffique
poursuivit son cheminement. A cette époque déjà lointaine, la « société de
consommation » triomphait. […] Aujourd’hui, le paysage a bien changé. Les
enfants adorent regarder les spots de pub à la télé. Après la vieille réclame, puis la
publicité, c’est maintenant le règne d’un nouveau concept : la communication.
Moins abondants, les graffitis politico-contestataires ne s’en prennent plus guère à
la société de consommation. Ils demanderaient plutôt son accroissement et sa
généralisation. Mai 68 a vécu, il est entré dans l’histoire »443.
Dans cette volonté de rendre la parole à la rue, dans laquelle la révolte se donnait en
spectacle sur le mode d’un collectif, les affiches et les graffitis eurent un rôle éminent que
relaient les artistes urbains comme Erenst Pignon-Ernest, Zlotakamien, et les artistes et les
writers depuis le début des années 1970. Au milieu de ces années, la culture du graffiti est
plus ou moins figée dans son fonctionnement et dans ses productions. C’est à cette époque
aussi que le milieu de l’art commence à se pencher sérieusement sur le sujet.
Des artistes installés tels qu’Andy Warhol y côtoient des graffiti artistes tels que Jean-
Michel Basquiat ou des peintres inspirés par cette culture. De nombreux artistes s’intéressent
à l’art urbain et clandestin. Souvent associée à une esthétique du graffiti art, à l’instar de ses
homologues des É tats-Unis tels que Keith Haring et Jean-Michel Basquiat, la Figuration Libre
est caractérisée par l’utilisation de divers matériaux et couleurs discordantes inspirée par des
formes culturelles alternatives telles que les graffitis et les bandes dessinées, mais aussi par les
médias. Les éléments secondaires ou mineurs de l’art moderne, et marginal sont plutôt
devenus centraux et nouveaux. Ils deviennent des éléments centraux de la production
culturelle et artistique. Présentée comme une réaction contre l’art minimal et conceptuel qui
avait émergé dans les années 1960 et 1970, cette « nouvelle » esthétique artistique, et l’artiste
443
Denys Riout, Dominique Gurdjian, Jean-Pierre LeRoux, Le livre du graffiti, op.cit., pp. 62-64.
211
qui lui est associé, sont connus en Allemagne comme le Neue Wilden, en Italie comme la
Transavanguardia, et en France sous le nom de Figuration Libre. Les jeunes artistes se
joindront à la culture résistante et hippie par leur mode de vie.
Ces diverses tendances néo-expressionnistes ont récupéré une esthétique picturale qui, par
sa répétition d’un style historique comme l’expressionnisme, a également suggéré la mesure
dans laquelle elle avait été « affectée par les forces mêmes contre lesquelles elle avait [à
l’origine] déclaré s’opposer »444. C’est-à-dire qu’ils simulent une expression directe comme
moyen de contrer la reproduction et la normalisation de la subjectivité dans le capitalisme
avancé, en même temps que leur demande naïve d’une authenticité picturale a participé à
l’élaboration d’un style national et donc d’un produit national exportable.
Hal Foster témoigne dans « Entre le modernisme et le media (Between Modernism and the
Media) » :
« Pour Buchloh, une telle régression est le destin de l'artiste qui considère que sa
mission d’avant-gardiste a échoué. L’analogie est claire: au début du 20ème siècle, le
modernisme était considéré comme largement cul-de-sac, et dans les années 80, il
en est de même en ce qui concerne le minimalisme et du conceptualisme. En effet,
le nouvel art international de figuration expressionniste et caricaturale, et la prise de
position « primitive », bohémienne, nous est vendue comme un baume après des
années d’abstraction « aride » et d’engagements post-studio »445.
444
Voir la critique de Benjamin Buchloh de ce retour à la figuration par rapport à l’Allemagne et l’Italie dans
“Figures of Authority, Ciphers of Regression : Notes on the Return of Representation in European Painting”,
Brain Wallis (ed), in Art After Modernism : Rethinking Representation, New York : The New Museum of
Contemporary Art, 1984, p. 131.
445
“To Buchloh such regression is the fate of the artist who finds that his avant-gardist mission has failed. The
analogy here is clear: in the ‘20s the early modernisms were regarded largely as culs-de-sac, and in the ‘80s so
are minimalism and conceptualism. Indeed, the new international art of expressionistic, cartoonish figuration and
“primitive”, bohemian posturing is sold to us as a balm after years of “arid” abstraction and poststudio
involvements.” Hal Poster, Recoding,op.cit., p. 37.
212
l’explique, « contre le conditionnement social », dans les années 1980 la multiplication des
graffitis a fait son chemin dans les milieux artistiques élevés comme en témoigne l’œuvre de
Robert Combas, Figuration Libre, et le succès du graffiti art sur le marché américain446. Il
s’ensuit que, avec le graffiti en tant qu’art, « le fonctionnaire réclame le titre officieux, les
galeries absorbent les graffiteurs ». Plutôt que de travailler contre le code dominant, le graffiti,
dans ce cas, devient le code447.
Malgré sa participation à de nombreux mouvements, Hal Foster décrit ce phénomène
artistique comme « l’erreur expressive (the expressive fallacy) »448. Pour commencer, nous
allons approfondir un commentaire d’Hal Foster dans « Entre le modernisme et le media
(Between Modernism and the Media) » dans notre troisième partie. Mais notre étude ne fera
pas la liste des courants complexes de l’art contemporain. Plus spécifiquement, les œuvres
d’art combinent un registre expressif de la rue et un inventaire des graffitis tag du début des
années 70 aux années 1980. En même temps, nous remarquons les auteurs du graffiti français
dans la rue des années 1980, en parallèle avec le graffiti art (depuis appelé street art) ou le
graffiti writing aux É tats-Unis (à ne pas confondre selon nous malgré l’amalgame largement
répandu).
Toutefois la rue de Paris sera aussi, à l’époque, un lieu important du graffiti. Nous allons
analyser l’esprit européen dans les graffitis et la manière dont les artistes représentent leur
société en exploitant ces techniques du graffiti. Quelles seront les questions soulevées dans et
par le street art? En d’autres termes, ce mouvement peut-il surmonter les difficultés du
mouvement de l’art contemporain dont le geste rebelle, comme celui notamment de l’avant-
garde, est devenu hypocrite dans la société de consommation? Ensuite, put-il être qualifié
d’art? Enfin, dans ce mouvement du street art, quels problèmes pourraient apparaître dans le
monde d’art?
446
Jacques Villeglé, Traversée Urbi & Orbi, op.cit., p. 185. Le succès de la Figuration Libre, qui a été renforcée
avec l’exposition Figuration Libre: France-USA à Paris en hiver, 1984.
447
Kaira Cabaña, Poster Archaeology, op.cit., pp. 114-115.
448
Hal Foster, « The Expressive Fallacy », Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics, op.cit., pp. 59-77.
213
THÈ SE
Pour obtenir le grade de
Présentée par
Chorong YANG
Volume 2
Thèse soutenue publiquement le 16 décembre 2014,
devant le jury composé de :
M. Laurent BARIDON
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Lumière Lyon 2
Directeur de la thèse
M. Jean NAYROLLES
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Toulouse II-Le Mirail
Président du Jury (Rapporteur)
Mme Marianne JAKOBI
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Blaise Pascal,
Clermont-Ferrand II (Rapporteur)
M. Alain BONNET
Professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Pierre Mendès France
214
Nous avons défini et retracé la généalogie des différents mouvements d’avant-garde
apparus au XX siècle et leur volonté de réduire l’intervalle entre l’art et la vie dans le cadre de
l’art urbain. Après Dada, et les surréalistes, ils ont participé à la genèse de l’art urbain. Brassaï,
par exemple, photographie les inscriptions portées sur les murs, et élève le graffiti comme une
forme d’art. Mais pour que l’art s’expose réellement dans la rue, il faut toutefois attendre les
années 60 et nous avons noté la convergence de trois phénomènes : l’avènement de la société
de consommation, le renouveau des avant-gardes, et la vague contestataire de 1968. Ce
nouveau paradigme contribue à nourrir toutes les révoltes se situant en marge de la légalité et
du marché de l’art. Ces phénomènes se sont confondus dans les années 1960, depuis lors l’art
contemporain européen possède sa place singulière.
Nous avons ainsi étudié quelques artistes européens qui critiquent leur société en utilisant
des objets de consommation. En se regroupant autour de Jacques de la villeglé, Raymond
Hains, et Mimmo Rotella, ils ont assemblé des lambeaux d’affiches attachés à la rue pour
mettre en exergue les mythologies du moment. À travers ces actions publiques des affichistes,
Asger jorn a diffusé à outrance le concept du kitch, le graffiti, et le marché de l’art dont Guy
Debord s’inspire et partage l’idée avec IS. Ils ont appréhendé les opinions critiques de leur
société. De manière différente les uns des autres, leur gestes ont toutefois résisté à la société
de consommation. Guy Debord, ne cessait de réclamer la liberté d’apposer sur les murs
dessins et messages poétiques ou politiques dans le renouveau des avant-gardes. Avec ces
affiches de l’Atelier Populaire des Beaux-arts, leurs murs, ornés de l’inventivité des slogans
révolutionnaires au cours de Mai 1968, en sont le soubassement.
Ces approches critiques de leur société sont bâties sur des idées libres, et les noces de l’art
et de la culture de masse célébrées par les artistes ont bel et bien eu lieu. L’idée politique de
l’expression d’une libre parole sur les murs et le mode de pensée établi également depuis la
fin des années 1960 dans la ligne de l’art conceptuel et Ben Vautier (Benjamin Vautier) de
Fluxus ont incité les artistes à chercher à mélanger les mots et les actions. Les artistes qui
descendent dans la rue avec pour objectif de faire sortir l’art des galeries, à de très rares
exceptions près, sont des professionnels connaissant les différentes formes culturelles dans
l’histoire de l’art. Ainsi que les mouvements punks des squatteurs, avec leurs signes
caractéristiques sur les murs. Cependant, nous avons simultanément écarté l’art d’avant-garde
nouveau et l’art expérimental qui sont tous deux très politisés mais qui restent loin du public
malgré l’utilisation de la culture populaire et les actions dans la rue afin de rencontrer les
spectateurs ; ceux-ci bouleversent le monde de l’art et le système du marché de l’art.
215
Fredric Jameson critique l’art contemporain dans le postmodernisme parce qu’il fait la
réplique, reproduit, et renforce la logique de la société de consommation. Il explique :
Il insiste sur le fait que pendant ce temps, il y a très peu de choses, que ce soit dans la forme
ou dans le contenu de l’art contemporain, que la société contemporaine trouve intolérables et
scandaleuses. Les formes les plus offensives de cet art comme le punk rock, sont toutes
acceptées sans sourciller par la société, et ils représentent un succès commercial,
contrairement aux productions du modernisme plus ancien et supérieur. Mais cela signifie que
même si l’art contemporain a toutes les mêmes caractéristiques formelles que le modernisme
plus ancien, il a tout de même fondamentalement changé de position au sein de notre culture2.
Le graffiti assimilé au crachat des classes dangereuses corrige les changements positifs de
la position de l’art. Le graffiti n’est pas simplement une expression de sous-culture à travers
l’avant-garde dans l’intérêt de la culture de masse. Autour de la question relative à la
possibilité d’une libre parole sur les murs3, en persistant de nos jours, les artistes font naitre
un nouveau mouvement : le Street art4. Ce terme « street art » qui a commencé à être utilisé
depuis le début des années 2000, connaît dans les années 1980 son premier âge d’or. Le
1
“I believe that the emergence of postmodernism is closely related to the emergence of this new moment of late,
consumer or multinational capitalism. I believe also that its formal features in many ways express the deeper
logic of that particular social system. […] My conclusion here must take the form of a question about the critical
value of the newer art. There is some agreement that the older modernism functioned against its society in ways
which are variously described as critical, negative, contestatory, subversive, oppositional and the like.” Fredric
Jameson, « Postmodernism and Consumer Society », Hal Foster (éd.), The Anti-Aesthetic : Essays on
postmodern culture, op.cit., pp. 143-144.
2
Ibid., pp. 142-143.
3
Johannes Stahl, Street art, op. cit., p. 112.
4
Aujourd’hui on désigne ce mouvement artistique par un anglicisme : le street art. Et sa catégorie rassemble les
pochoirs, les interventions sur mobilier urbain, les détournements publicitaires, les stickers, les affiches, les
collages, les peintures qui ne sont pas centrées sur un lettrage, les installations, etc.
216
graffiti moderne découle d’une relation évidente avec le mouvement muraliste de la fin des
années 1960 et 1970 à Chicago, New York, Los Angeles et San Francisco, mais aussi au
Mexique. Pendant presque un demi-siècle, des teenagers dégourdis ont signifié leur identité
en marquant leur territoire sur un mur avec un crayon, un marqueur ou une bombe de peinture.
Cette pratique du vandalisme apparent des tags ou writing a pris des aspects matériels
différents, et a ostensiblement et délibérément exploité les formes artistiques préexistantes en
y intégrant au passage diverses influences locales. Mais le street art est d’importance
comparable sur le plan de l’histoire de l’art contemporain, ayant produit une grande diversité
d'oeuvres interconnectées et développées par les générations nouvelles grâce aux techniques
accessibles dans les années 1980. Si le graffiti moderne naît à New York, d’autres formes
artistiques du street art ont eu beaucoup d’influence sur l’art contemporain : l’art povera, le
pop art, le land art, la figuration libre ou les mouvements d’avant-garde dans l’art urbain. Le
travail des artistes en extérieur a montré que les artistes apportent quelque chose de nouveau
et d’anti-conventionnel dans l’art pour expérimenter formes, couleurs et gestes artistiques à
grande échelle. Les street artistes français des années 1980 débutent, dans la ligne du
mouvement d’avant-garde et sur des sites et à travers des oeuvres qui reflètent leur énergie
personnelle. Un esprit résistant qui va bien au-delà des spécificités traditionnelles et qui
explore toutes sortes de supports et toutes sortes de moyens artistiques. L’oppression de l’État
s’achève et, de la fin des années 1980 jusqu’aux années 1990, nous assistons à un
renouvellement du graffiti par de nouveaux médias et donc, sous de nouvelles formes, qualifié
parfois de post graffiti au début des années 2000, et plus généralement inclus dans le terme de
street art.
Nous nous concentrerons sur le street art en comparant la France et les É tats-Unis des
années 1980. Il semble que ce mouvement se soit développé de manière différente du fait des
contextes artistique ou politique de ces deux pays. La même année, en 1985, deux livres sont
publiés : l’un, Street art, dans lequel Allan Schwartzman analyse le graffiti et le street art aux
É tats-Unis, et l’autre, le livre du Graffiti, dans lequel Denys Riout, Dominique Gurdjian, et
Jean Pierre Leroux approfondissent l’histoire du graffiti européen. Malgré ces analyses
remarquables sur le street art, il est nécessaire de distinguer le graffiti et le street art en ce qui
concerne les artistes américains. Notre étude se concentre sur des sujets tels que le style
formel, les influences essentielles et l’évolution artistique. Il souligne aussi les dimensions
éthique, sociale et critique de la production culturelle de ces artistes.
217
Avec un classement formel ou de contenu du graffiti et du street art, le graffiti ancien
revêtait une fonction sociale. Les artistes essayaient de réfléchir leurs idées par le biais d’un
esprit libre et rebelle. Même si le graffiti appartient à une tradition politisée, le street art
d’aujourd’hui n’est pas une force organisée, il ne s’est pas fixé d’objectifs utopiques. Et si ce
mouvement est clairement lié au mouvement de l’histoire de l’art, ces artistes n’aspirent pas
directement à modifier la définition d’une œuvre d’art, mais plutôt de poser la question de
l’environnement ou de notre société, dont nous disposons tous actuellement à notre manière.
Ils tentent de faire leur travail de communication avec les gens sur des thèmes socialement
pertinents, en utilisant des modalités influencées par des valeurs esthétiques sans pour autant
être emprisonnées par elles. Ils font épanouir cette activité artistique et expriment leurs idées
dans la rue, tout en remettant en question certains aspects de notre société.
L’évolution du mouvement street art se déroule comme suit :
D’abord, le graffiti moderne connu sous le nom de writing émerge en Amérique sous une
forme variablement populaire. Cette tendance provoque l’intérêt des galeristes américains, à
l’instar des taggeurs dont les graffeurs se multiplient pendant les seventies. Cependant, malgré
la naissance dans l’intervalle d’une jeune génération entre le graff et le street art, certains
critiques d’art pensent qu’aucune unité esthétique, thématique ou générationnelle n’existe
dans ce qui s’étale sur les murs. En même temps, Il est ironique que « l’art public » axé sur la
personne moyenne résulte de l’action illégale dont nous allons bientôt discuter. Par un
exemple simple, mais clair, nous montrons la photo qu’un graffiti a réalisée sur l’œuvre d’art
de Richard Serra5 (fig. 85). Cette photo est très intéressante dans le cadre de l’une de nos
discussions. Ce graffiti est-il un acte de vandalisme puisqu’il attaque une œuvre d’art
préexistante ? Ou bien est-il un témoignage de l’expression libre donnant de l’intérêt a leur
parole critique par l’utilisation d’un repère artistique du public ? En effet, le format de ce
message n’est pas une peinture, mais il est l’expression de la parole anonyme. Cette
expression, « 560,000 [DM] for this shit », est très critique sur l’art public. Nous continuerons
l’étude du graffiti en mettant l’accent sur les propriétés artistiques de l’œuvre d’art dans sa
forme et dans son contenu.
Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur le travail des artistes américains, ceux-ci étant
directement liés à la culture du graffiti, et ce afin de distinguer le graffiti writing en tant que
tel et l’action artistique de graffiti telle qu’elle est appliquée dans le street art. Et
5
Cette photo s’est citée par Dario Gamboni, The Destruction of Art : Iconoclasm and Vandalism since the
French Revolution, London : Reaktion Books, 2012, p. 134.
218
contrairement à ce phénomène américain, qui selon nous correspondait plus à une culture qu’à
de l’art, l’art de la rue en France a très vite été considéré comme étant un nouveau mouvement
de l’histoire de l’art. Depuis le milieu du XIXème siècle, lorsque les artistes parisiens se sont
rebellés contre l’Académie et ont créé leurs propres points de vente en embrassant le
modernisme d’avant-garde. Dans l’histoire de l’art contemporain, ce mouvement consiste à
développer cet esprit rebelle à travers le langage propre à chaque artiste. Au gré des pratiques,
pourtant, émergeront, au contraire, des mondes singuliers, aux influences multiples
(graphisme, calligraphie, art naïf, etc.), aux techniques et au discours disparates6.
En suite, en France, à la fin des années 1960, la révolte des artistes français se concentre sur
le tableau des beaux-arts qui avait jusqu’ici constitué le socle du modernisme, et dont ils font
l’autocritique, notamment en ce qui concerne son pouvoir, sa portée, dans une approche
critique de la société. Les peintures déconstruisent leur medium pour mieux en circonscrire le
champ : In situ, Fluxus, et Happening. Dans ce courant, les démarches de Gérard Zlotykamien,
bientôt suivi d’Ernest Pignon-Ernest, vont parcourir, en sens inverse, le trajet qui va de la rue
aux galeries. Le lieu est réfléchi et recherché pour qu’il fasse partie intégrante de l’œuvre
éphémère, et transcende les limites du musée. Pendant les années 1980, une nouvelle
génération de street artiste, dont beaucoup ont grandi, renouvelle l’art de la rue en France
multipliant les techniques, recourant à de nouveaux matériaux et supports, cette « nouvelle
vague » développe un langage visuel original qui tranche avec celui des graffitis new-yorkais.
Mais sa technique et son geste agissent différemment.
En France, aux É tats-Unis ou en Angleterre, une génération d’artistes nourrie à la pub et au
Rock tourne le dos au minimalisme et va trouver dans la rue un nouveau terrain d’expression
et de liberté. Ainsi l’image du bohémien est née, d’un artiste qui avait besoin de créer une
œuvre d’art non plus comme objet esthétique séparé de la vie, mais qui justement puisse faire
partie intégrante de la vie. Le pochoir, qui est un moyen de promotion sauvage, furtif, efficace,
facile à utiliser, et n’exigeant aucune aptitude au dessin, ce formidable outil de diffusion
massive va bientôt devenir un medium artistique. Les writers, peintres issus de la figuration
libre, et les artistes conceptuels, se livrent alors à une véritable compétition. Cette ligne n’est
pas spécifique au graffiti américain, mais intègre l’esprit du mouvement de mai 68 qui décline
les notions de résistance et d’action. Alors, contrairement à la tradition nord américaine (tag,
6
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op. cit., p.10.
219
graff, free style), les graffitis français se montrent dans la droite ligne de la tradition ouest
européenne (collage, décollage, slogans, affiches et pochoirs).
Yves Michaud a bien expliqué le climat artistique par les consommations culturelles dans
les années 80 :
L’industrie culturelle s’est considérablement accrue, mais elle concerne des domaines
comme la musique de variété, le cinéma, la télévision ou encore le domaine de l’art. La
décennie opère un renouveau expressif qui joue avec la couleur, le geste et la matière,
coexistant dans la « Figuration libre ». En créant la rencontre entre l’esprit du graffiti new-
yorkais et le punk violent, énergique, et en rejetant dans l’obsolescence l’art du bon goût, les
artistes de rue font naître un nouveau genre artistique dans l’histoire de l’art contemporain. De
plus, le contexte politique français de l’époque est particulièrement propice à l’émergence de
cet art populaire et sauvage. D’ailleurs, la politique de François Mitterrand offre à l’inventivité
des artistes une profusion de palissades, et l’enthousiasme de Jack Lang est perçu comme un
encouragement. Alors que l’imagination s’installe au pouvoir, un flot d’artistes investit la rue.
Le street art est sans cesse mis en relation avec la politique, et cet état de fait s’explique par
au moins deux raisons évidentes. D’une part, il se pratique dans l’espace public, accessible à
tous, et d’autre part, il recourt à un moyen d’expression qui n’est pas contrôlé par l’Etat. En
tant qu’action créative non sollicitée, il franchit les limites du code de conduite établi et fait de
celui-ci un thème de discussion. En ce sens, il recèle donc un caractère politique. Par ailleurs,
le street art s’affiche souvent comme une réaction libérée à l’égard de la physionomie de
7
Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, Paris : Quadrige/puf, 2004, pp.58-60.
220
l’espace public et de ses modifications. Ce mouvement artistique est aussi illégal que festif. Mais
les graffitis ont, en eux-mêmes, une longue tradition politique8.
Ce procès correspond à des changements sociaux considérables. C’est-à-dire, l’émiettement
du pouvoir entre groupes sociaux en compétition, la différenciation continue de la société, la
circulation incessante de l’information et des images, le besoin constant en produits de loisir.
Ainsi, ce chapitre met en perspective les polémiques existant, dans le contexte économique
sur le marché de l’art et les projets artistiques, dans le contexte institutionnel sur l’art officiel,
dans le contexte social sur les changements de l’industrie culturelle, et dans le contexte
culturel sur la redéfinition de l’expérience esthétique.
Pourquoi témoignons-nous de l’intérêt pour ce mouvement du street art dans l’histoire de
l’art contemporain? Quelle est sa valeur artistique dans la représentation de notre société ?
Quelle est l’alternative à l’art contemporain, qui est exclus du public à cause de son opacité et
de son confort intellectuel ? Que peut nous suggérer ce mouvement artistique peut au
quotidien ? Et quelle est sa limite dans le système actuel de l’art et la société de
consommation ? Tout peut-il être considéré comme politique ? Sur cette dernière question, la
question est a priori négative. Cela va nous conduire à une analyse plus approfondie de la
critique et de l’approche sociale avancée par les graffitis : Recodings-Arts, Spectacle, Cultural
Politics chez Hal Poster: Une critique de l’économie politique du signe, La Consommation
des signes de Jean Baudrillard : Vers la contre-culture chez Theodore Roszak : L’esthétique
de la résistance de Peter Weiss : Histoire du Vandalisme chez Louis Réau : Modern Art in the
Common Culture chez Thomas Crow.
D’abord, dans le premier chapitre, nous allons analyser chronologiquement le mouvement
du graffiti des années 1970 aux É tats-Unis. Et cette étude concerne la question du contenu du
graffiti, formé et transformé par des graffiti writers intégrant des interactions sociales et leurs
auditoires. Comment leur œuvre est devenu un art? Finalement, dans ce réseau, nous
mentionnerons les limites du graffiti américain, par un phénomène culturel, pour devenir un
mouvement artistique et une structure du système de l’art. Avec ce courant américain des
graffitis, nous allons analyser les problèmes qui ont été posés par les critiques d’art et les
polémiques esthétiques rencontrées dans l’histoire de l’art contemporain.
8
Johannes Stahl, Street art, op.cit., p. 74.
221
Dans le deuxième chapitre, avec les problèmes posés par les graffitis américains, nous
trouverons sa direction et éclairerons le graffiti français des années 1980 dans lesquelles se
situe ce mouvement artistique. Les É tats-Unis et la France entretiennent des échanges
artistiques dans le mouvement artistique de la figuration libre. En même temps, à partir de
cette période, les artistes français utilisent le graffiti comme méthode artistique, et réalisent
illégalement ou officiellement leurs œuvres dans la rue. Dans le cadre de cette circulation,
nous allons démontrer dans quelle mesure l’art urbain français se situe du mouvement de l’art
contemporain, mais également expliquer sa fonction et son objet dans notre société.
L’invasion du graffiti est internationale, son exposition insensée a détruit les frontières de
l’art. Ce phénomène ne signifie pas simplement un échange entre les cultures haute et basse.
C’est le problème de l’art dans la culture populaire, car l’art contemporain est un commerce
dans lequel surabondent les hommes vénaux (ce problème étant apparu dans la concurrence
graffiti writing et le graffiti art américain dans les années 1970). C’est pourquoi, dans la
quatrième partie, nous allons encore distinguer les problèmes du street art en disséquant le
documentaire Faites le mur ! (Exist trough the gift shop) chez Banksy et Hobo vs Banksy. On
assiste à l’émergence d’artistes post-graffiti qui agissent illégalement comme le graffiti
writing à la différence que les artistes de cette période avaient commencé comme écrivains,
n’avaient pas suivi le cursus d’une scolarité toute artistique. Leurs techniques et leurs
méthodes empruntent aux artistes urbains des années 1980.
Dans le même temps, la forme du graffiti writing, se développe, se diversifie, grâce
notamment à l’apparition de diverses techniques, et, progressivement, devient la peinture à la
bombe. Tous les sujets des graffitis existent dans la ville. Ils font acte d’une opinion critique
sur leur société par le biais de méthodes artistiques propres de la guérilla, et ils jouent dans
l’espace public en intervenant sans idéologie déterminée. Cette nouvelle forme d’expression
urbaine s’appelle le street art dans la classification des mouvements de l’art contemporain.
Auparavant, les artistes cherchaient à grand peine des galeristes près à les exposer. A présent,
c’est l’inverse, les artistes se faisant approcher par les galeristes pour « entrer en galerie » et
participer à un projet collectif. L’artiste choisit ou non de participer sur un thème qui
l’intéresse dans le cadre d’une galerie mais son activité, son art, s’exprime dans la rue, lieu
qui permet à toute personne de s’approprier l’œuvre, par le regard ou même la photographie,
chose tout à fait impossible/impensable au sein d’une galerie d’art. Avec l’autonomie du
222
street artiste, nous allons étudier sa liberté d’esprit, le caractère protestataire de son geste, et
sa vue sociocritique de la société.
Dans la relation entre l’art et la culture populaire, d’une part, l’artiste avait utilisé la culture
de masse pour répondre aux polémiques esthétique et technique, en dehors de toute stratégie
politique ou assimilation sociale. D’autre part, l’art avait rendu visibles les contradictions
sociales à travers sa fonction critique essentielle. Toutefois, cet art et la culture de masse ont
rencontré de multiples difficultés avec l’apparition de la société de consommation et jusqu’à
aujourd’hui. Nous évoquerons, dans peu, ce problème, en faisant l’analyse de la « Mode
intemporelle : A propos du Jazz » dans Prismes : Critique de la culture et société9 chez
Theodor W. Adorno l’avait noté dans cette relation entre l’art, particulièrement de masse, et
l’industrie culturelle. Certains aspects de la culture populaire eux-mêmes élevés au rang d’art
et d’œuvre d’art, et dans lesquels on trouve une délicate alliance du quotidien et de l’art, nous
pouvons discerner un nouveau mouvement d’art contemporain : les graffitis.
Ce mouvement aborde des questions artistiques délicates sous de multiples aspects et il ne
catalyse pas seulement la bourgeoisie, l’exclusion des classes. Thomas Crow a insisté sur le
fait que l’art d’avant-garde ne pouvait pas contenir les intérêts de toutes les classes.
« Ce courtage entre haut et bas, entre légitime et illégitime, fait ainsi de l’avant-
garde un mécanisme important dans une économie culturelle manipulatrice. Il sert
réellement d’intermédiaire entre trois publics : 1) sa clientèle engagée immédiate ;
9
Theodor W. Adorno, Prismes : Critique de la culture et société, op. cit., 2003.
223
2) le public de la classe moyenne beaucoup plus important pour la culture élevée
validée avec laquelle il est en négociation relativement constante, et 3) ces publics
exclus ou indifférents à la haute culture et auxquels, après Courbet et en dehors de
quelques occasions de révolution politique manifeste, l’avant-garde ne tente jamais
de s’adresser directement. Bien que l’expérience des personnes dont les horizons
sont fermés par la culture « basse » soit utilisée de manière répétée pour donner
forme et substance à un art puissamment conscient et révélateur, nous n’assumons
aucun public ici pour les qualités de négation, de suggestion, de refus de
transgression morale voulue, de fermeture, de rigueur formelle, et d’autocritique
qui caractérisent diversement la pratique moderniste – cependant nombre de ces
personnes risquent « innocemment » d’interpréter ces qualités au profit de l’artiste.
Le cycle d’échange que le modernisme met en mouvement se déplace dans une
seule direction : l’appropriation des pratiques d’opposition vers le haut, le retour de
biens culturels évacués vers le bas. [...] Et tant que le cycle reste en place, la
négation moderniste devient, paradoxalement, un instrument de domination
culturelle »10.
Le graffiti rencontre le troisième type de public : celui de la rue. Pour rompre la chaîne du
commandement et des traditions du monde de l’art, ces artistes formés traditionnellement se
sont tournés vers un autre système visuel qui s’est développé indépendamment de celui-ci: le
graffiti qui s’élevait sur les ruines de la frange abandonnée de la société, construit des débris
de la culture populaire, par les enfants qui n’avaient pas de difficulté à défier l’autorité11. Le
mouvement intellectuel de l’art contemporain utilise la culture non issue de l’élite, essaie de
s’introduire dans la sphère de l’art en provoquant l’intérêt du public, et entraine un
10
“This brokerage between high and low, between legitimate and illegitimate, thus makes the avant-garde an
important mechanism in a manipulative cultural economy. It mediates between three publics really : 1) its
immediate initiated clientele ; 2) the much larger middle-class public for validated high culture with which it is
in fairly constant negotiation ; and 3) those publics excluded from or indifferent to high culture which, after
Courbet and outside of a few occasions of overt political revolution, the avant-garde never attempts to address
directly. Though the experience of people whose horizons are closed by ‘low’ culture is repeatedly used to lend
shape and substance to powerfully self-conscious and revelatory art, we assume no audience there for the
qualities of negation, allusiveness, willed moral transgression refusal of closure, formal rigor, and self-criticism
which variously characterize modernist practice – however much such people might ‘innocently’ act out these
qualities for the benefit of the artiste. The cycle of exchange which modernism sets in motion moves only in one
direction: appropriation of oppositional practices upward, the return of evacuated cultural goods downward. (…)
and as long as the cycle remains in place, modernist negation becomes, paradoxically, an instrument of cultural
domination.” Thomas crow, « Modernism and Mass Culture in the Visual arts », op. cit., pp. 254-255.
11
Allan Schwartzman, Street Art, New York : The Dial Press, 1985, p. 12.
224
changement de la structure des deux domaines de cultures haute et basse. Cependant les
artistes ont simplement emprunté à la culture de masse pour s’approprier une forme d'art, leur
contenu restant difficile pour la compréhension et l’intervention du public de la rue. Dans ce
courant de mouvements d’art contemporain, le graffiti existe en dehors du domaine d’art et
cette extranéité même a changé la structure de l’art.
Dans ce chapitre, nous étudierons les graffitis américains, parce qu’ils attirent notre
attention sur le point suivant. À la différence de la France, les graffeurs américains
réfléchissent sagement à la commercialisation de l’art tout en découvrant différentes
techniques du graffiti, se développe donc un nouveau genre d’art contemporain. Ce processus
est clairement révélé quand le grand mouvement culturel du graffiti américain au début des
années soixante-dix, engendre la promotion artistique par les galeristes, les journalistes, et les
spécialistes de l’art. Les tags se diversifient. Les galeries américaines s’approprient
rapidement ce phénomène. Les tagueurs exposent dans les galeries avec l’espoir d’une
ascension sociale par une reconnaissance du monde de l’art, de son marché, de son système de
valorisation des déviances en tout genre. Cette promotion artistique des graffitistes a entraîné
quelques problèmes jusqu’à aujourd’hui.
- L’utilisation ambiguë des termes des graffitis : le tag, le graffiti writing le post-graffiti,
le graffiti art, le street art, et l’art urbain
- Graffiti-devenu-art : Différences des idées, des styles et des fonctions entre le graffiti
writing et le mouvement Street art
- Art simulé et Art: l’art manipulé et simulé par le marché de l’art
Pour notre recherche, nous garderons cette ligne de questionnement quant à la terminologie
du graffiti des années 1970 jusqu’à aujourd’hui, par une séparation distincte entre street art et
graffiti writing, entre writers et artistes graffiti, et en étudiant les raisons principales de cette
séparation qui a évolué pour inclure plusieurs facteurs déterminants comme les différences
techniques, de motivation et d’intérêt du public, et celles majeures de la manière dont nous
devons les appréhender. Le street art et le graffiti writing peuvent être très similaires parce
qu’issus d’un même lieu et d’idées communes, mais ils sont différent en termes de forme, de
fonction, d’intention et d’intervention. Alors, le street art, en tant que mouvement artistique,
reste un phénomène récent jusqu’aujourd’hui, né plutôt en France qu’aux États-Unis dans les
années 1980, et qui référence les artistes graffitis, qu’il faut séparer des graffiti writers.
225
Ensuite, nous nous pencherons sur la manière dont cette subculture, c’est-à-dire le graffiti
lui-même, s’est introduite dans la sphère de l’art, et dont, en se confirmant en tant qu’art, elle
a posé la question de l’esthétique, du système de l’art, de son essence, etc… Le graffiti simple
comme ceux de Taki 183, disposé de manière universelle dans la rue, se transforme en terme
de style, se répète simplement, et imite ce qui a déjà été produit, pour évacuer ; il s’expose
dans la galerie à travers un art simulé qui déforme le graff abstrait et figuratif par le biais de la
peinture pour le mettre tableau. En approfondissant ces questions sur la fonction et l’objet du
graffiti, nous explorerons le processus par lequel le graffiti est devenu art.
D’ailleurs, dans les progrès de ce mouvement, nous établissons une distinction entre Art
simulé et Art comme Hal Foster a déjà énoncé qu’une « bohème simulée »12 par les formes et
les styles du modernisme sont engagés comme une image par l’image. De cette simulation de
Bohême transformée, son geste et son style, par des genres subalternes et des expressions
sous-culturelles, est né un nouveau genre, le graffiti, qui a commencé, au même moment, à se
recycler dans l’art simulé pour être reconnu comme mouvement artistique. Cela fait partie
intégrante du développement du style artistique contemporain recherché par les galeristes
américains. La question du graffiti a été abordée mais pas approfondie par les critiques d’art.
Il est nécessaire de garder les deux a l’esprit pour comprendre certains actes comme étant
créatifs, même si, par ailleurs, ils sont considérés comme destructifs. Et il faut distinguer l’art
simulé et l’art.
À la fin de la première période du mouvement culturel américain des graffitis writing, les
œuvres sur toiles commencent à se vendre en galeries d’art, et les institutions préparent des
expositions rétrospectives. Rentrent-elles pour autant dans le rang de l’art ? Deux grandes
tendances traversent le graffiti : celle qui met en avant le graphisme des lettres comme mode 2,
Futura 2000 et celle qui privilégie le support artistique comme avec Blek le Rat. Beaucoup de
personnes allient graffiti writing et street art dans les expositions et les écrits étudiant le
graffiti. Mais l’ouvrage Street art de Cedar Lewisohn, Allan Schwartzman dans Street Art,
Anna Wackawek dans street art et graffiti, et Stéphanie Lemoine dans L’art urbain : de
graffiti au street art, séparent ces deux tendances, et analysent ce mouvement artistique
d’étape en étape. Le mouvement street art commence dans les années 1980 et connaît son
premier âge d’or. Les writers, les pochoiristes, les peintres issus de la figuration libre et les
12
Hal Foster, Recodings-Arts, Spectacle, Cultural Politics, op. cit., p. 35.
226
artistes conceptuels et contemporains se livrent alors à un jeu de concurrence et de création
entre eux dans la rue. Au cours de cette période, nous devrons donc analyser le mouvement
artistique du street art à travers les courants complexes de l’art contemporain.
Même s’il est parfois difficile de séparer les chapitres de cette étude notamment du fait que
l’art ait, lui aussi, connu le phénomène de la mondialisation, et qu’aux États-Unis et en France,
la situation historique et les assises philosophiques soient très différentes, nous présenterons,
tout d’abord, le mouvement du graffiti writing des années 1970 et le street art des années 1980
aux É tats-Unis. Nous aborderons ensuite la nouvelle vague artistique des graffitis dans l’art
urbain des années 1980 en France et l’apparition authentique du mouvement du street art dès
les années 2000 par les expositions divers. Les graffitis, la contestation et l’intervention
esthétique fonctionnent tous en opposition à l’autorité. Tout geste fait sans autorisation, mais
qui s’adresse a l’opinion publique, qu’il s’agisse d’activisme ou d’avant-gardisme, d’acte de
malveillance, de vandalisme ou de grand art, doit être compris essentiellement comme un discours,
une prise de parole, un parti pris13.
La plupart des livres ont pour postulat que le street art, ou le post-graffiti, emboite le pas à
la récente lignée du graffiti art tout comme à l’histoire, moins évidente, des coups portés par
le statu quo du modernisme, mais il est impossible que nous n’insistions pas sur les activités
toute singulière des artistes français, en comparaison avec le graffiti writing américain, dans
les années 1980, ce que nous allons approfondir dans notre deuxième chapitre, en remettant
en question l’expérience urbaine normative pour permettre un questionnement plus vaste.
C’est dans cet espace de doute et d’examen que manœuvre le mouvement artistique illégal. Ce
type de vandalisme fonctionne comme une sorte d’activisme politique, sous la forme d’une
agression contre l’image consensuelle de la ville.
Nous allons aborder le graffiti writing des années 1970 de manière chronologique, ses
caractéristiques, les problèmes soulevés quant à la notion du genre artistique, et son processus
de transformation pour répondre aux exigences du marché de l’art. Le mouvement du graffiti
writing du milieu des années 1960 a eu une relation conflictuelle avec l’histoire de l’art. Nous
13
Voir Ethel Seno (éd.), TRES PASS : Une histoire de l’art urbain illicite, London & Paris : Taschen, 2010.
227
allons ainsi expliquer pour quelles raisons et de quelle manière le writing a fait la
démonstration des limites de l’œuvre d’art. En définissant clairement le street art,
distinctement du graffiti writing, nous entendons que le label « graffiti art » a conduit à une
représentation inexacte d’un genre qui devrait être correctement connu sous le nom de
« graffiti writing » ou plus familièrement de « graff ».
Les graffitis de gangs étaient présents dans différentes villes des É tats-Unis bien avant la
fin des années 1960. Les gangs les utilisaient pour marquer les limites de leurs territoires. Ils
faisaient partie de l’environnement visuel de villes comme Los Angeles, Chicago, New York
ou Philadelphie. Dès 1967 à Philadelphie, une poignée d’adolescents développe une forme de
graffiti particulière14. Le graffiti writing est un phénomène propre aux É tats-Unis. Ce genre
correspond à un graff dans une discipline du graphisme. Dans ce domaine, les writers utilisent
leur langage et leur signalétique propres, et les étrangers les acceptent tels quels. Alors, nous
allons citer les termes du graffiti writing ad litteram pour distinguer le graffiti art ou street art
dans le domaine artistique.
Le Tag
Le « Tag » (marque, signature) est le simple dessin du nom de l’artiste. Les tagueurs ne
sont pas membres de gangs. Les membres de gangs marquent leur territoire en écrivant le
nom de leur gang, ont tendance à être physiquement plutôt violents, et à briser les règles à des
fins multiples, tandis que les tagueurs ont tendance à écrire leur nom propre, que leurs virées
sont actions moins violentes, et que leur activité criminelle se limite à la pulvérisation de
peinture sur des surfaces publiques ou privées15.
Le tag désigne une signature sous forme de pseudonyme. C’est la forme la plus répandue
de graffiti, qu’on distingue du graff, peinture élaborée et plus ou moins complexe, réalisée à
14
La moyenne d’âge de leurs auteurs se situe autour de 16 ans.
Bernard Fontaine, Graffiti : Une histoire en images, Paris : Groupe Eyrolles, 2012, p. 40.
15
La bombe aérosol n’est pas le seul outil des writers, qui utilisent aussi des marqueurs ou des tubes de cirage.
Tout cela est fait au Magic Marker ou à la bombe, qui permet des inscriptions d’un mètre de haut ou plus sur
toute la longueur d’un wagon. Les jeunes s’introduisent de nuit dans les dépôts de bus et de métro, et jusqu'à
l’intérieur des voitures, et se déchainent graphiquement. Jean Baudrillard, « Kool Killer ou L’insurrection par les
signes», L’échange symbolique ou la mort, op.cit., p. 118 : Phillips, S.A. Wallbangin : Graffiti and gangs in L.A.
Chicago : University of Chicago Press, 1999.
228
l’aide de bombes de peinture, de pinceaux, de pochoirs, plus proche techniquement et
stylistiquement des formes picturales légitimes, et par là moins enclin au déni d’esthétique
dont sont victimes ces différentes interventions graphiques16.
La simple affirmation d’une identité (je me surnomme Taki, j’habite la 183e rue », mon
nom parcourt la ville tous les jours, j’existe) s’est doublée d’ambitions plastiques, qui se sont
révélées être un autre moyen de se faire remarquer : ce n’est plus seulement le graffeur le plus
actif ou celui qui prend le plus de risques qui obtient une forme de reconnaissance, mais aussi
celui qui produit les œuvres les plus belles. Cette nouvelle génération est celle des writers
(écrivains), scandant leur individualité aux yeux de tous. Les writers, une alternative aux
gangs : le 21 juillet 1971, un article du New York Times fait grand bruit. Pour la première fois,
un journal officiel se penche sur le phénomène du writing en proposant un portrait de Taki
183 (fig. 86), titré « Taki 183’spawns Pen Pals ». Le journaliste inscrit la démarche du jeune
writer dans la lignée de Kilroy17.
Jean Baudrillard se penche sur la question de l’émergence de cette culture du graffiti :
« C’est au printemps 72 que s’est mise à déferler sur New York une vague de
graffitis qui, partie des murs et des palissades des ghettos, a fini par s’emparer des
métros et des bus, des camions et des ascenseurs, des couloirs et des monuments,
les couvrant tout entiers de graphismes rudimentaires ou sophistiqués, dont le
contenu n’est ni politique, ni pornographique : ce ne sont que des noms, des surnoms
tirés des comics underground. […] jusqu’à cinquante, selon que le nom,
l’appellation totémique est reprise par de nouveaux graffitistes. […] Le mouvement
est terminé aujourd’hui, au moins dans cette violence extraordinaire. Il ne pouvait
être qu’éphémère, et d’ailleurs il a beaucoup évolué en un an d’histoire. Les
graffitis se sont faits plus savants, avec des graphismes baroques incroyables, avec
des ramifications de style et d’école liées aux différentes bandes qui opéraient. Ce
sont toujours des jeunes Noirs ou Portoricains qui sont à l’origine du
mouvement »18.
16
Olivier Desvoignes (etc.), ANART : Graffitis, graffs, et tags, Paris : Les editeurs libres, 2006, p. 17.
17
En 1970, le New York Times fait référence pour la première fois au problème croissant du graffiti en parlant de
la dégradation des stations de métro et de trains En 1971, le New York Times consacre à Taki 183 un article qui
n’est pas étranger à la diffusion massive du graffiti et à sa découverte par le grand public. Comme Taki 183, bon
nombre de writers apposent leur numéro de rue à côté de leur pseudonyme. The New York Times, July 15, 1970,
p. 38 ; Ibid., July 21, 1971, p. 37 ; Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op. cit., p. 42.
18
Baudrillard, « Kool Killer ou L’insurrection par les signes », L’échange symbolique ou la mort, op.cit., pp.
118-119.
229
Le graffiti « hip-hop », ou « tag », qui représente 90% des graffitis aux É tats-Unis et sans
doute autant dans la plupart des pays, est un cas complexe. En quelques années, ces tags
(signatures) se sont sophistiqué et sont devenus de véritables typographies ; leurs auteurs
ayant décliné l’écriture de leurs message (plus souvent leurs noms) afin d’en augmenter la
visibilité ou d’en développer le style pour marquer ou s’affirmer par leur personnalité et ; pour
faire partie de la mémoire collective ne serait-ce que dans leur milieu, parfois au moins
comme simple précurseur d’un style.
Il s’agit d’un logo plus qu’une écriture, et souvent, seuls les habitués parviennent à
déchiffrer le nom qui est écrit. La manière dont les tagueurs appréhendent les aspects
distinctifs de marquage est située dans la pratique de leur communauté de sous-culture.
L’examen du tag à travers le prisme de la recherche de la pratique de l’alphabétisation sociale
a révélé la complexité de la vie de ces jeunes et a identifié certaines des significations sous-
jacentes à sa pratique.
Le writing
À partir de 1973, les parois extérieures du métro se trouvent ainsi couvertes de pièces de
plus en plus complexes et de plus en plus grandes. Leur exécution se fait généralement en
groupe, de sorte que l’apparition du graffiti sur train se double de l’émergence des crews. Ces
groupes de writers sont en quelque sorte la version créative (et parfois le versant) des gangs
dont les rivalités divisent alors New York en autant de territoires19.
En effet, si la bombe aérosol s’impose d’emblée comme outil de prédilection, les tagueurs
en améliorent les performances en y ajoutant de nouveaux embouts, tel le fat cap prélevé sur
les bombes de mousse à raser. Du reste, la virtuosité des writers ne se limite pas à
l’élaboration des lettrages, et investit aussi le terrain de l’illustration. En ce domaine, le
graffiti assimile et recycle des pans entiers de la culture de masse : personnages de cartoons et
de comics, références au cinéma, et même, quoique plus rarement, à l’art du XXe siècle20.
La diffusion du graffiti est donc animée par une dynamique fondée sur un mélange de
besoin d’anonymat et de désir de reconnaissance. S’il en est ainsi, que signifie le terme
« graffiti writing »? Ces graffiti sont particuliers aux É tats-Unis. Le graffiti « new-yorkais »
se caractérise par des formes relativement définies où la créativité individuelle s’exprime dans
19
Sur ce phénomène du writing, voir à Stéphanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 51.
20
Ibid., p. 50.
230
un cadre codé et impliquant l’adhésion à toute une culture. Nous y distinguons généralement
trois niveaux de production :
1) Throw-Up, Block-Letters
Le Throw-up, ou Flop est une forme intermédiaire entre le tag et la pièce. La lettre subit
une première mise en volume très simplifiée et souvent réalisée dans un style « Bubble ». En
général, les Throw-up sont réalisés en quelques minutes à l’aide de deux couleurs (un
remplissage et un contour). Ils sont destinés à couvrir une surface moyenne, telle qu’un store
métallique, un camion ou un mur de rue en un minimum de temps.
Les Block-Letters sont réalisés à la bombe ou au rouleau sur de grandes surface visibles de
loin (bord d’autoroute, de voie ferrée). A l’origine de forme plutôt carrée (d’où leur nom), ils
sont réalisés le plus souvent avec un remplissage chrome (qui est la seule couleur de bombe à
recouvrir de façon efficace et durable les murs non apprêtés) et un contour noir, ou l’inverse.
Ces dernières années, de plus en plus de graffeurs ont développé des Block-Letters au rouleau,
ce qui a eu pour effet de rajouter de la couleur sur ces espaces périurbains.
2) Pièces et Fresques :
Il peut laisser libre cours à la technique et aux finesses du graffiti en réalisant des pièces de
façon individuelle ou en groupe. Dans ces cas-là, le travail des couleurs et des formes n’est
plus contraint par le temps comme dans l’action illégale. Le style individuel de l’artiste se
révèle tout comme l’époque déterminant ce style. Les initiés reconnaissent aisément les
travaux de graffeurs ou de crews marquants tels que Daim (Allemagne) et ses pièces en 3D,
HoNeT (France) et ses pièces simplistes et troisième degré sur train comme sur mur, les XL,
Xtra Largos (Espagne) et leur compositions graphiques ou encore les MSK, Mad Society
Kingdom, emmenant tout un style américain derrière leur travail dérivé de la typographie.
Concernant les styles les plus couramment utilisés, nous pouvons citer le Wild style (dans
lequel les lettres sont difficilement lisibles, abstractisées, enchevêtrées et décoratives), la 3D
(mise en relief et éclairage de lettres), l’Ignorant style (dans lequel des graffeurs expérimentés
tente de reproduire des effets de débutant et ou de second degré). Le graffiti new-yorkais
s’inspire de plusieurs arts dits « mineurs », tels que la bande dessinée, le tatouage et l’affiche.
231
Les techniques et les styles du graffiti writing sont Wild style, Bubble, Old School, Abstrait,
Bloc, Ignorant, Hard core, Cartoon, etc21 (fig. 87). Le graffiti writing a éclaté dans une ville
de signes, à la fois homogène et fragmenté, ne doit pas être consommé comme ces signes,
mais pour attaquer cette consommation dans son propre domaine. Le vide, l’illisible, le
graffiti writing a défié la fausse plénitude de sens dans ce code. En outre, il a ignoré la
syntaxe de soutien, espace donné de la ville22. Entre les writers, existe encore une tension
intégrée au graffiti writing entre le désir d’être vu et celui d’être reconnu « King of style ».
John Lindsay, maire de New York, déclare la guerre aux graffitis, mais des graffiteurs de
l’époque se rappellent que, malgré tout, les trains peints sous le mandat de ce maire
parcouraient la ville pendant des années. Néanmoins, le graffiti writing déborde. Malgré les
articles sociologiques traitant de la pratique du tag et du rôle du graffiti writing, des
problèmes du graffiti writing sont soulevés à travers différents débats.
Grace au développement de style du graffiti writing, les writers peuvent exposer dans les
galeries d’art. Les auteurs de ces graffiti sont appelés graffeurs ou graffiti-artists plutôt que
graffiteurs. En québécois, il n’est pas rare de les qualifier de graffiti-artists de graffiteurs ou
de writers, comme en anglais. En anglais, on évoque le plus souvent ces peintres par le terme
de graffiti-artist, writers ou encore aérosol-artists. En France, les mots-valise calligraffiti et
caligraffitiste, attribués à Bando par Denys Ruiout dans Le Livre du Graffiti n’ont pas été
retenus par l’usage ni par le milieu se réclamant de cette forme d’art urbain. À Philadelphie et
à New York, ces inscriptions portent sur le travail de graffeurs célébrités, au nombre desquels
se trouvent des writers, le King autoproclamé des murs mettant en évidence un style éminent
ayant atteint la perfection. Leur but est de laisser une marque exotique sur l’espace, de faire
21
Il est un style de graffiti dans lequel les lettres sont entremêlées, fusionnées et extravagantes. Leurs extrémités
sont dynamiques et peuvent se transformer en flèches ou pointes. Les lettres sont tellement travaillées et
déformées avec style qu’il est difficile de déchiffrer un wildstyle pour les non-initiés. C’est un style complexe à
réaliser qui demande beaucoup de technique.
Bubble ; Style de lettres en forme de bulles. Ce style circulaire et arrondi est souvent utilisé pour les flops. Il
est aussi appelé throw-up. Old School est un style de graffiti issu des premières vagues de graffiti des années 70
aux années 80. Bloc, ce style fait intervenir des formes en bloc dans le travail des lettres. Les formes sont carrées
ou rectangulaires ce qui donne un effet de lourdeur, de solidité à la pièce. C’est un des styles le plus facile à lire,
très utilisé en chrome sur les autoroutes et les gares. L’ignorant style est un style basique, enfantin mais innovant.
Derrière la simplicité de ce genre de pièce se cache une technique bien particulière et une liberté des formes. Un
graffiti décomplexé. Hard core, ce style qualifie tous les tags, flops, pièces vandales particulièrement violentes.
Ca dégouline, ça prend de l’espace et ça crève les yeux. Cartoon, ce style concerne les personnages et les
paysages. Les œuvres sont inspirées de dessin-animes, de bande-dessinées ou simplement issue de l’imaginaire
de l’artiste.
22
Hal Poster, « Between Modernism and The media », op.cit., p. 51.
232
une réclamation à l'extérieur du ghetto. Les caractéristiques essentielles des graffiti writing
sont leurs surnoms et leurs signatures.
Dans le mouvement du street art, les artistes n’acceptent pas le style des writers. Ils
présentent un nouveau style et une autre façon de faire. Ils commencent au début des années
1980, et sont plus actifs en France qu’aux É tats-Unis. Et au début des années 2000, certaines
jeunes générations comme Banksy, André, Invader, etc…, deviennent artistes. Ils ont
commencé leur travail avec le writing mais n’utilisent pas les styles de la même manière, ils
trouvent une perspective nouvelle dans leur exposition. Nous appréhendons la querelle
sociopolitique en examinant les activités des artistes au pochoir antérieurs et en les distinguant
encore d’avec le graffiti writing. Cependant, étant donné que le graffiti est une forme de
rébellion, sa pratique consiste à démanteler les éléments constitutifs de l’art. Le problème du
graffiti writing se pose quant à la place qu’il pourrait prendre au sein de l’art contemporain.
Le graffiti writing tente maintenant de briser les règles du système du signe et de l’art. Il
soulève la question de savoir qui est autorisé à produire des signes dans l’espace public. Les
writers utilisent eux-mêmes le signe comme mode d’expression contre le pouvoir terroriste
des médias, et les signes de la culture dominante.
D’abord, nous ferons la distinction entre le graffiti writing et les graffitis dans la droite
ligne des problèmes du graffiti writing. Beaucoup de livres comme celui de Cedar Lewisohn
comprennent que le graffiti s’est développé et transformé en graffiti writing, décrivant une
relation avec l’histoire du graffiti ancien et du graffiti occidental. Souvent le graffiti writing
ou le graffiti subway concernent des graffitis qui présentent un sens restreint. Mais nous
situons le graffiti writing à une place particulière dans le grand arbre de la famille des graffitis.
Hal Foster analyse les signes particuliers :
233
inverser la définition de Barthes sur la photographie, le graffiti était un code sans
message – sans un contenu qui pourrait être facilement extrait et transformé dans
une forme ou un style »23.
Le graffiti writing ne dispose d'aucune information particulière et ne nous dit pas ce qu’il
faut faire. Dans le contexte de nulle part au milieu de la ville, il n’a pas de signification. Il est
totalement déconnecté de son contexte. Le philosophe français Jean Baudrillard a justement
cherché à développer une nouvelle approche à l’égard des graffitis et de la question relative au
pouvoir social. Dans son essai intitulé « Kool Killer ou L’insurrection par les signes », il
explique :
« Irréductibles de par leur pauvreté même, ils résistent à toute interprétation, à toute
connotation, et ils ne dénotent rien ni personne non plus : ni dénotation ni
connotation, c’est ainsi qu’ils échappent au principe de signification et, en tant que
signifiants vides, font irruption dans la sphère des signes pleins de la ville, qu’ils
dissolvent par leur seule présence »24.
Nous devons comprendre que ce graffiti est un phénomène culturel particulier pendant les
années 1970 aux É tats-Unis. Ces signes du graffiti américain distinguent le graffiti ancien, et
qualifient le tag et le graffiti writing. Les graffitis de New York n’ont pas de contenu, pas de
message. C’est ce « vide » qui fait leur force25. Il émet l’idée que les graffitis noyautent le
système des signes de la langue, car ils sont difficiles à lire pour le commun des mortels26.
Mais les signes qu’ils produisent dans la rue française n’ont plus la valeur idéologique ni
celle de protestations sociales qui avaient caractérisé par le passé cette forme d’expression.
Ces signes anarchiques sont plutôt à la recherche d’une technique artistique où le signifiant ne
renvoie plus à aucun signifié. Ces signes peuvent être confrontés aux slogans sans image de
68 qui, par le biais de l’ironie et de la critique, recherchaient la possibilité d’une expression
23
“Generally, mass culture abstracts a specific content (or signified) into a general form (or signifier): a social
expression is first reduced, then mediated as a “popular” style. Street graffiti resisted this abstraction because it is
already operated on the level of form or style : as a play of signifiers, it could not be readily reinscribed as such.
Not only was graffiti “illegible”, it was also “empty” ; to invert the Barthes definition of photography, graffiti
was a code without a message – without a content that could be easily abstracted into a form or style.” Hal poster,
Recordings : Art, Spectacle. Cultural Politics, op.cit., p. 51.
24
Jean Beaudrillard, « Kool Killer ou L’insurrection par les signes », op.cit., pp. 121-122.
25
Ibid., p. 123.
26
Johannes Stahl, street art, op.cit., 2009, p. 38
234
artistique et poétique. Ces graffitis se passent de la fonction et du rôle du graffiti ancien. Ce
phénomène de graffiti writing américain est différent du graffiti au sens propre du terme. Et la
transformation du simple tag au style du graffiti writing a provoqué divers problèmes. Hal
Foster présente cette perspective critique :
« Ce vide a tout autant protégé que nuit au graffiti : pendant longtemps il a été
ignoré, puis approprié uniquement comme cette chose générique, ce nouvel objet
ou problème urbain «graffiti » ; et encore maintenant sa banalisation est
essentiellement réduite au monde de l’art, dans lequel il peut être décomposé en
styles-signature »27.
Taki 183, son objectif était d’attirer l’attention sur lui-même comme le travail d’un
individu 28 . Aguilar, Laurie MacGillivray et Margaret Sauceda Curwen estiment qu’«
examiner le tag est une pratique sociale. Le tag a ses propres règles et ses codes, c'est une
pratique de l'alphabétisation imprégnée de sens et d’intention »29. Ils recherchent ce que les
jeunes ont voulu dire au moyen du tag, ce que celui-ci a permis de réaliser comme objectifs
sociaux et ce qu’il représente comme appartenance à un groupe par le biais de marquages
pour atteindre des objectifs sociaux et une affiliations au groupe/Le rôle du talent dans le
tag/La valorisation de la quantité pour obtenir le statut. Mais l’œuvre d’art est-elle une
production individuelle ? Le graffiti writing et le tag sont des actes privés en réponse aux
attentes et aux normes des autres. Leur pratique sociale et leur solidarité sont intérieures sans
communication ni intervention publique. Le graffiti writing, et tout spécialement le tag,
diffèrent du graffiti ancien en ce sens qu’ils sont toujours constitués de lettres sans
signification, où le style alphabétique et l’utilisation des couleurs sont tout. L’art
contemporain s’aliène du public à cause de son obscurité et de la difficulté d’approche de ses
œuvres d’art, à la différence du graffiti writing qui exclura le public dans le cadre d’oeuvres
collectives intérieures.
27
“This emptiness protected as well as charged graffiti: for a long time it was ignored, then appropriated only as
this generic thing, this new item or urban problem “graffiti”; and even now its commoditization is mostly
restricted to the art world, where it can be broken down into signature-styles.” Hal Poster, « Between Modernism
and The media », op.cit., p. 51.
28
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op. cit., p. 376
29
Aguilar, J., Chicano street signs : Graffiti as public literacy practice, (ERIC document Reproduction Service
No. ED441891 ; www.eric.ed.gov/contentdelivery/servlet/ERICServket?accno=ED44891), cité par Laurie
MacGillicray et Margaret Sauceda Curwen, « Tagging as a social literacy practic », Journal of Adolescent &
Adult literacy, February, 2007, p. 358.
235
C’était un phénomène culturel et il n’a pas de valeur artistique. Son style n’est pas
l’expression libre. C’est une expression spontanée et pulsionnelle, mais narcissique, voire
restrictive dans son style. Le phénomène culturel du graffiti writing rejoint l’art non
seulement par sa pratique mais aussi par son activité. C’est différent de ce que Brassaï avait
découvert, la forme artistique dans le graffiti de la rue, parce que les artistes n’utilisaient pas
le style du graffiti writing et que nous reconnaissons la valeur artistique des slogans de
l’événement de 68, parce qu’il est vide.
Ensuite, en dépit de tout cela, pouvons-nous déterminer que le graffiti writing est un art ?
Tout d’abord, le style du graffiti writing s’est développé sans aucune communication avec
le public. En 1972 a lieu la première exposition d’art consacrée au graffiti writing, à la Razor
Gallery de New York. Les artistes sélectionnés par le sociologue Hugo Martinez et les United
Graffiti writers étaient Phase2, Mico, Coco 144, Pistol, Flint 707, Bama, Sanke et Stitch1.
Après 1973, le graffiti writing développe sa technique et son style30. À partir de ce moment-là,
deux conceptions divergentes du graffiti coexistent, et ce parfois chez les mêmes artistes.
Les graffeurs développent leur style et apprennent les ficelles du métier, du tag à la pièce,
ils acquièrent une maitrise leur permettant de donner aux lettres de leur nom une forme si
conceptuelle et abstraite que chaque lettre devient une œuvre d’art à part entière. Mais nous
avons refusé que les graffeurs soient assimilés à des « artistes » entre le graff et un genre
artistique propre. Le terme « king » est adopté par les writers à partir des années 1980, pour
désigner un graffeur accompli et très productif ou maîtrisant parfaitement son style et sa
technique. De même, le terme « queen » s’applique dès lors à une virtuose du graffiti. Les
writers ayant ce titre entrent dans les galeries et dans l’histoire de l’art. Les graffeurs sont
considérés par les artistes exposant dans les galeries à partir du moment où ils produisent un
nombre considérable de tag et de throw-up, ou des pièces dénotant leur talent artistique et leur
dextérité. En même temps, les termes sont jusqu’à aujourd’hui utilisés en mélangeant le
graffiti writing, le graffiti art, et le street art. Il existe, dans le monde, de nombreuses scènes
graffiti, et la plupart cherchent à repousser les limites tant techniques qu’esthétiques de ce
genre.
30
Le Hip-hop apparaît avec cette deuxième génération qui sera plus médiatisée que la précédente. Et en 1974,
l’écrivain Norma Mailer donne une approche sensible des méthodes du graffiti des origines, dans son article
« The Faith of Graffiti » (La foi du Graffiti ». Et le wagon décrit a été peint alors que les writers commençaient à
épaissir leur signature et à les contourner. Nous y voyons à la fois des hits (signatures, ou tags) et des pièces
(lettrages épais et contournés, ou graffs).
236
Au début des années 1980, plusieurs galeries américaines s’intéressent à la forme artistique
des writers. Parce que le graffiti writing s’est également développé en matière de
calligraphique et de coloris, à travers le calligraffiti, le style writing, le style Bubble, le
recours aux couleurs flashy ou au camaïeu de coloris, il indique son choix déclaré d’une
expression esthétique. Cette velléité d’ « esthétisation », lui permet de pénétrer de plus en plus
la sphère artistique comme avec le calligraffiti de Bando et Futura 2000. L’exposition New
York New Wave est organisée par Diego Cortez au centre d’art P.S.1 (Moma) à New York.
Des artistes installés tels qu’Andy Warhol y côtoient des artistes graffiti tels que Seen ou des
peintres inspirés par cette culture tels que Jean-Michel Basquiat. En 1981, nous assistons à
l’ouverture à New York des galeries Fashion Moda (3e avenue, dans le Bronx) et Fun (East
Village), toutes deux consacrées à la promotion d’artistes issus du mouvement graffiti. Nous
allons voir qu’à partir de ce moment-là, le graffiti est reconnu comme un art contrairement au
graffiti writing. C’est pour cette raison que le graffiti writing a la capacité d'être à la fois un
art et en même temps de ne pas en être. Mais alors que Cedar Lewisohn souligne
systématiquement les limites du graffiti writing31, celui-ci peut accueillir beaucoup d’idées
différentes, de styles et de mouvements à l'intérieur de ses frontières afin de devenir art.
Aux É tats-Unis, les graffeurs comme Futura 2000, Seen, Lee, exposaient avec Jean-Michel
Basquiat et Keith Haring. Dans ce cadre et avec les galeristes, ils gagnent leur place d’artiste
et jusqu’à maintenant, certains livres les incluent dans le groupe du street art. Lenny MaCurr,
alias Futura ou Futura 2000, est l’un des plus « picturaux ». Il est de ceux qui se singularisent
non dans le tag mais par leurs explosions de couleurs. Débutant dans les années 1970, il est
l’un des premiers à être très actifs dans le métro, notamment sur les lignes 1 et 3. (fig. 88)
Comme avec cette peinture, il se démarque très vite des autres graffeurs par ses célèbres
« abstracts ». Le travail de Futura 2000 se réfère au style de Jackson Pollock ou de Willem de
Kooning. Ses œuvres sont un héritage du tâchisme, dans la libération du geste, à
l’expressionnisme et au lyrisme. Il ne se contentera pas des murs des métros et des espaces
underground. Il tâte très vite de la toile et fréquente les lieux reconnus artistiquement. Au
début des années 1980, il collabore avec Jean-Michel Basquiat, Keith Haring et Kenny Scharf,
illustrant un passage de ce mouvement32. Il rencontre aussi de nombreux photographes qui
font évoluer son style.
31
Cedar Lewisoh, street art, op. cit., pp. 18-23.
32
Sous la direction de Paul Ardenne et Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p. 32.
237
Lee George Quinones, souvent nommé Lee, s’est illustré par des peintures figuratives
engagées, qui n’éludaient pas les questions portant sur la violence urbaine et les guerres que
menait l’Amérique. Il peint son premier graffiti sur un métro en 1974. Bientôt, il s’oriente
vers des grands formats dès 1976. Dans cette peinture murale, Lion’s Den (1980) (fig. 89),
Lee veut inventer sa propre voix et conserve un lien entre culture hip-hop et punk. Nous
pouvons observer son sens critique comme dans Society’s Child (1983). (fig. 90) La peinture
dépeint un junkie comme une victime de la société qui serre le poing gonflé comme il tire vers
le haut, avec les étoiles du drapeau américain qui se tord autour de son corps comme un
linceul, mettant en avant une Statue de la Liberté sombre qui se dissout dans les verts de la
jungle du paysage.
Depuis que les graffeurs ont commencé à travailler sur la toile, leurs peintures ont été
avidement acquises par les collectionneurs de l’art contemporain le plus récent. Lee ne s’est
pas référé à l’histoire de l’art, ni à d’autres plasticiens. Cependant, ses peintures ont intégré
les collections du Whitney Museum, à New York, du Groninger Museum, aux Pays-Bas, et ont
été présentées en France et en Allemagne33. Ils ont exploité les formes sans acte conscient
d'une certaine évolution artistique, historique ou sociale. Et la valeur de leurs travaux a
décollé grâce à leur exposition commerciale sans qu’il y ait de recherche poussée. Mais aussi
l’« esthétisation », c’est de l’art en ce qu’il est une compétence pratique à laquelle les artistes
des « écrivains » consacrent leur vie, en achevant un certain style de formation des lettres. Le
graffiti writing n’a aucun but réel, autre que sa propre existence.
Beaucoup de théoriciens croient que l’art doit être inutile et le graffiti est exactement cela.
L’autre versant de cet argument, cependant, est le fait que de nombreux graffeurs et tagueurs,
ne veulent pas être considérés comme des artistes. Ils sont là pour détruire et pour créer un
désordre. Le graffiti writing, notamment le tag, s’intègre très bien dans l’idée de destruction
comme forme de créativité, un « anti-art ». En dépit de toutes ses tendances destructrices, la
forme du tag est devenue une forme très esthétisante du vandalisme, presque un dandy de la
qualité, des calligraphies murales, des graffs décoratifs, de l’exploitation de leurs alphabets
personnalisés pour écrire continuellement le même mot encore et encore. Ceci a conduit à une
situation dans laquelle les graffiti font l’objet d’une méprise.
Le graffiti writing est une activité complètement dépendante du tag. Nous devons accepter
que le tag soit au cœur du graffiti, et qu’un graffeur, sans le tag, ne soit pas un graffeur. Mais
33
Ibid., p. 72.
238
la majorité des street artistes, même s’ils peuvent avoir un pseudonyme, ne sont pas impliqués
dans le tag. Nous savons que le graffiti writing est un genre qui, d’une manière générale,
tourne autour de la typographie et de la formation des lettres. Les caractères du graffiti writing
sont généralement effectués avec de la peinture en aérosol par un writer qui s’occupe
principalement des questions typographiques basées le tag. Il est important de noter que la
rupture du street art avec la tradition du tag, et l’accent mis sur les symboles visuels
embrassent beaucoup plus de médias que ce que les graffeurs utiliseraient
Certains tags n’ont donc aucune considération pour le support, ni pour les qualités
esthétiques et plastiques des figures qui s’y trouvent déjà. Leur réitération recouvre
obsessionnellement tout leur support, quelle que soit la surface. En cela les tags, ou même
certains graffitis, ne relèvent pas d’un art in situ puisqu’ils ne considèrent pas la singularité
d’une situation urbaine.34 La « communication » est également le problème, parce que, pour le
public, ce code esthétique existe dans une langue tellement intériorisée que le principal
groupe de personnes qui puisse pleinement l’apprécier est constitué d’autres graffeurs. Cette
langue que personne d'autre ne comprend est ensuite utilisée pour détruire ou vandaliser les
villes. Il s’agit de rendre les lieux encore plus laids, un très beau concept pour certains, mais
une notion difficile à comprendre pour les non-initiés. Ils se placent dans ce contexte
authentique qu’est la rue, mais le public ne peut ni l’interpréter ni l’accepter du fait du choix
d’un lieu laid et dangereux.
En troisième lieu, comment les writers sont-ils devenus des artistes à part entière?
C’est le résultat de la demande du marché de l’art américain. Le graffiti writing a
commencé à transformer son style pour correspondre au goût de la bourgeoisie. Son
esthétique s’est couverte de masques colorés. La stratégie a été d’organiser des expositions
d’art en installant des graffeurs et des artistes. Crash explique : « J’ai exposé avec Haring et
Basquiat. Ce n’était pas de vrais graffeurs, mais ils étaient rattachés à un certain mouvement
qui était dan la rue »35.
Hors des expositions, les artistes se rencontrent, brisant les frontières entre les pratiques :
l’atelier partagé par Lee, Futura et Zephy dans le quartier de West Spanish était un lieu ou se
croisaient la photographe Cindy Sherman, l’artiste Barbara Kruger, connue pour se affiches
percutantes et même les jeunes peintres français de la Figuration libre (François Boisrond,
34
Christophe Genin, Miss. Tic : Femme de l’être, Paris : Les impressions nouvelles, 2009, p. 34.
35
Voir à Jerôme Catz, Street art : mode d’emploi, Paris : Flammarion, 2013.
239
Rémi Blanchard, et Hervé Di Rosa). Comme l’œuvre Honey Tell Me (1983) (fig. 91), dans
cette collaboration, Jenny Holzer a fourni la légende de Lady Pink, et l’a aidée à concevoir
une image complémentaire. Contrairement aux représentations de portraits déchirants des
victimes de la société chez Lee Quinones, Lady Pink dépeint les femmes avec leurs aspects
physiques et se prend à accepter de les traiter dans leur entretien occasionnel en dépendant de
l’expression de Jenny Holzer telle que « Chérie, dis-moi exactement ce qui va se passer sur
Terre et si tu le veux (Honey, tell me exactly what will happen on Earth and if you want it) ».
Ils cessent de peindre dans le métro new-yorkais et se consacrent à l’exécution de fresques,
sur commande, et à des peintures sur toile.
En ce début des années 1980, le graffiti writing suscite plus que jamais la curiosité,
cherchant sa place dans le champ de l’art, toujours problématique.36 Tout comme Crash l’a
expliqué, nous faisons une distinction entre Crash qui est graffeur et Keith Haring qui utilise
le graffiti. Mais certains critiques d’art exploitent une combinaison de ces statuts. Par exemple,
Paul Ardenne déclare :
« La prise de la rue par les graffeurs n’est pas l’effet d’une décision légère, ni d’un
caprice d’autorité. Les premiers graffeurs – Cornbread, Taki 183, Blek le Rat…–
appartiennent le plus souvent à une frange sociale défavorisée, à une minorité
raciale ou un univers à la marge. Leur statut économique et territorial les tient
éloignés des élites »37.
Il insiste sur le fait que Blek le rat est le type même du graffeur – faire valoir, ici de
Cornbread et de taki 183. Blek le Rat était un véritable artiste, et la mise en relief de cet artiste
au côté de Cornbread et Taki183, élève ces deux derniers au même niveau que lui. L’erreur de
ce mélange entre des artistes et des graffeurs a fait persévérer une relation entre le graffiti
writing et le street art dans l’art urbain de ce moment jusqu’à aujourd’hui.
Dans le graffiti writing qui est certes l’un des héritiers des graffitis, on sépare aujourd’hui
le tag du graff. Alors faut-il la classer dans le genre du graff ? Taguer, graffeur, c’est plus que
juste « signer » l’espace public. Mais en tant qu’expression culturelle, la force du graffiti tient
dans la déclaration que quelqu’un était là. Son « action » imite le geste artistique simplement.
Au début des années 1980, le writing n’est pas encore totalement confondu avec le hip-hop.
36
Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op. cit., pp. 62-64.
37
Sous la direction de Paul Ardenne Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p. 17.
240
Lorsque Clash débarque à New York en 1981 pour une série de concerts, c’est Futura 2000
qui peint la banderole annonçant leur passage, avant de les accompagner dans leur tournée
européenne.38 Pour que la sous-culture intègre le monde d’art et obtienne son statut artistique,
cela dépendait des artistes. La propriété artistique de la sous-culture élève son auteur au rang
d’artiste, non pour lui-même mais en raison de sa soumission (même partielle) aux règles du
monde de l’art, et par l’application à ses œuvres de techniques généralement utilisées dans la
peinture. Sans oublier la volonté de désobéissance, qui ressort, celle-là, à une posture
sociopolitique et non plus seulement poétique ou esthétique.
Si nous considèrons la signification originelle de la fonction du graffiti, alors, les graffitis
comme terme générique désignent tout type d’inscriptions urbaines (gravure, biffure, graff,
tag, sticker, affiche, pochoir, mosaïque, peinture murale), mais aujourd’hui, à l’exclusion du
graff et du graffiti writing, tout cela est considéré comme du street art. Alors les artistes
comme Blek le rat appartiennent à cette catégorie. Une complication dans le processus
d'identification des mouvements est que le street art coexiste souvent avec le graffiti. Mais
alors qu’ils coexistent sur les mêmes murs ils parlent des langues différentes et sont destinés à
des publics différents. Les graffiti writers créent une communication intériorisée pour un
public : eux-mêmes, et les autres, les non-initiés n’ont que peu d’intérêt. En comparaison, le
street artiste peut être compris par n’importe quel observateur, car il est avant tout une forme
d’art graphique, une image élaborée.
Le graffiti writing a une esthétique très spécifique qu’il s’agisse de tag, de forme graphique,
de lettres, de styles et/ou d’application par l’aérosol, et il vise à atteindre des endroits
difficiles39. Des signes et des lettres, des figures et des signatures s’enchevêtrent dans les
graffitis américains, proposant sans cesse non seulement un nouveau signe et un nouveau
38
Stephanie Lemoine, L’art urbain: Du graffiti au street art, op.cit., pp. 57-60.
Par petites touches d’abord : en 1979, le collectionneur d’art Claudio Bruni invite Fab 5 Freddy et Lee à exposer
leurs œuvres à la galerie Medusa à Rome. La sortie du film Wild Style en 1983 et la parution un an plus tard de
Subway Art, ouvrage photographique d’Henry Chalfant et Martha Cooper immédiatement promu au rang de
bible du graffiti, feront le reste : Aux É tats-Unis, les writers et les artistes sont ensemble exposés dans la galerie,
et ils se transforment devenant de plus en plus commerciaux. Si le graffiti new-yorkais est né dans les quartiers
déshérites de la ville pour se diffuser ensuite dans toutes les sphères sociales, son versant hexagonal suit un
mouvement inverse, de sorte que les premiers graffeurs français sont pour beaucoup des enfants des classes
moyennes et de la bourgeoisie. A Paris, Bando, Scam, Colt et Mode2 des CTK (Crime Time Kings) investissent
d’abord les quais de la Seine puis poussent vers le nord, où les palissades du Louvre en chantier et de Beaubourg
offrent aux premiers writers français d’abondantes surfaces. en 1984, Ash des BBC (Bad Boys Crew) repère un
terrain vague situé entre les stations de Stalingrad et La Chapelle. Jusqu’en 1989, ce que Paris compte de
graffeurs y converge, faisant des lieux le « Hall of Fame » du writing hexagonal, sinon européen.
39
Cedar Lewisoh, Street art, op. cit., p. 23.
241
décor, mais surtout un nouveau sujet qui veut agir dans une complète liberté à l’intérieur de
l’infinité des signes que la culture crée continuellement. Alors leur nouveau sujet est activiste,
mais leurs œuvres n’ont pas de sens. Les artistes de la rue peuvent potentiellement intégrer
toutes les techniques du street art et peuvent tout faire en traitant de questions relatives au tag.
Mais ils sont au-delà des graffitis.
Certaines de ces différences expliquent les frictions entre les graffeurs et les street artistes,
évidentes lorsque les premiers rejettent les secondes comme des gens qui n’ont pas acquitté
leur dû, qui ne connaissent pas le tabassage, les poursuites dans des tunnels électrifiés, ou
l’emprisonnement. Chez les jeunes gens, les attitudes font partie intégrante du style de vie,
mais, selon mes observations personnelles, un critère plus déterminant de ce que l’art
deviendra est la relation viscérale de l’artiste avec sa toile40. Indépendamment de la « guerre
des styles » et au-delà des dogmes, le graffiti existe en tant que mode d’intervention
esthétique d’un style. Bien que les writers insistent sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un style,
mais d’un acte.
Le point important est le style. Le travail des writers n’aurait plus à être lu. Il pourrait
simplement être perçu en tant que modèle distinctif et couleur reconnue, comme le style d'un
adolescent parmi les millions de la ville. Bien qu’il soit l’un des éléments d’une espièglerie et
d’une délinquance mineure, l’essor du graffiti n’était nullement une expression de la culture
des gangs, c'était une rébellion contre lui. Au regard de l’histoire de l’art, déjà, c’est
reproduire en les actualisant des gestes primitifs, ceux fondateurs en matière de création
plastique, des peintres de parois ou de cavernes du paléolithique. Le graffeur, à sa manière
propre, n’est pas sans contribuer à renforcer l’action painting et le body art. Sa culture se
définit comme une culture du signe et du corps conjugués41 mais la position contestataire du
graffiti writing a disparu. Par exemple, Futura 2000 présente sa peinture comme le dripping
de Jackson Pollock, mais c’est une technique abstraite démontrant une absence de sens (fig.
92).
En revanche, à partir du début des années 1980, aux É tats-Unis et en France, de nouveaux
genres émergent en se contentant d’une différence plastique entre tag et graff, ce qui ne suffit
pas pour situer leurs œuvres. Ces genres réagissent et évoluent en relation à la situation
différente en France. Avant de passer à la discussion, nous allons nous pencher sur les graffiti
artistes comme Keith Haring et Jean Michel Basquiat qui ont créé un nouveau style de graffiti.
40
Ibid.
41
Sous la direction de Paul Ardenne, Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p.15.
242
Pour qu’il n’y ait pas vandalisme, il faut un attribut artistique, et il suffit en fait d’une
autorisation des graffiti artistes. Mais cette autorisation sera donnée toujours dans les limites
d’un encadrement de la création, par le musée, la galerie et/ou le festival. Il contribue à créer
l’émulation entre les graffeurs mais toujours dans les limites d’un encadrement de la création.
Nous allons avancer l’idée que le graffiti art (les picturo-graffitis) et le post-graffiti sont des
sous-genres du street art. Ce terme a apparu au début des années 2000 par les expositions
divers. Plus ouvert, le street art coexiste avec le graff et se distingue de lui en termes
essentiellement visuels. Les street artistes peuvent intégrer illustrations graffitis traditionnelles,
sculpture, pochoir, mosaïque, sticker art, peinture, affiche, projection vidéo et installations de
la rue. Nous pouvons découvrir ces traces artistiques dans l’art urbain français dans les années
1980.
Il est nécessaire de les différencier entre eux afin de corriger les erreurs de l’histoire de l’art
qui les a mal étiquetés, les qualifiant tous de « graffiti art ». Quand les historiens d’art parlent
de « graffiti artiste », ils font généralement référence à un petit nombre d’artistes associés au
street art et au graffiti des années 1980, y compris Keith Haring, Jean-Michel Basquiat and
Kenny Schart qui ne se seraient jamais considéré eux-mêmes comme « graffiti artiste » et
n’auraient certainement pas été considérés comme des « graffiti writers/graffeurs » par les
véritables writers de graffiti de cette période. En même temps, ce terme « graffiti artiste » est
perçu comme trompeur par de nombreux graffeurs, car il est concerné par la production
artistique qui se rapporte à des règles extérieures d’esthétisation et implique les codes du
système artistique. Nous savons que le label « graffiti art » a conduit à une représentation
inexacte d’un genre qui devrait être correctement connu sous le nom de « graffiti writing » ou
plus familièrement « graff ». Cependant, writers, artistes, et graffeurs sont tous mélangés dans
cette catégorie artistique. En définissant clairement le street art comme distinct du graffiti
writing, nous allons rendre possible la correction de certaines de ces erreurs.
En général, ce terme est utilisé pour créer une emphase sur le caractère artistique, en
opposition avec le graffiti writing. Ce mouvement culturel révolutionnaire et rebelle a situé le
mouvement artistique dans l’histoire de l’art contemporaine. Mais tout commence avec le tag.
Il est principalement né à New York au tout début des années 1970. Aujourd’hui, il est encore
considéré comme un gros mot, de fait péjoratif, dans certains contextes, mais ce mouvement
243
et notre compréhension de celui-ci se sont développés42. Ces activités farces sont souvent
rapportées dans les medias et cela nourrit l’intérêt public. Ses interventions sont souvent
qualifiés dans les médias comme « guérilla d’art » ou « art urbain » et parfois le « street art ».
Mais l’attitude du graffiti writing et du street art est différente. Cedar Lewisohn déclare :
Nous insisterons, au contraire, sur le fait que le street art est l’héritier naturel et s’est
enraciné dans le graffiti writing, mais n’est pas un sous-genre du graffiti writing. Certes de
nombreux artistes de rue sont parvenus à leur travail par un intérêt pour le graffiti writing et
peuvent même faire un peu de graffiti à côté. Toutefois nous avons à prendre en considération
le fait que le mouvement du graffiti s’est développé à partir des relations entre divers artistes
de l’art urbain.
Alors, décidons-nous que le street art est opposé au graffiti writing? Après quelques
expositions des writers (graffeurs/écrivains), de nombreux galeristes encouragent activement
l’utilisation de ce terme plutôt que, par exemple, « graffiti artiste », « street artiste » ou les
nombreux autres noms qui sont associés à ces formes d’art. Qui dit art, même sauvage, dit
développement d’un marché : celui-ci émerge aux É tats-Unis en 1973 avec la galerie Razor
de New York, qui organise la première exposition entièrement dédiée au graffiti, avec comme
commissaire Hugo Martinez. D’autres galeries ouvrent à sa suite, comme la Fashion Moda,
en 1978, ou la Fun, en 1981.
En étudiant ces expositions, nous pouvons répondre à cette question : les tagueurs sont-ils
des artistes ? Sont-ils considérés comme les tout premiers artistes du street art, tel que le
graffiti writing, est défini aujourd’hui ? Ces termes que nous avons utilisés, le graffiti writing,
le graffiti art, le street art, et l’art urbain, sont-ils divisés par un style de forme uniquement
dans l’œuvre d’art ? Pourquoi avons-nous accepté des mots anglais? Dans l’histoire des
42
Il y a maintenant une appréciation générale qu’il existe des pratiquants, là-bas, dans la rue, dont l’art pourrait
être illégal, mais qui pour autant est loin d’être du pur vandalisme, sans être tout à fait des graffitis, ni tout à fait
digne d’une galerie d’art.
43
“Street art is a sub-genre of graffiti writing and street art is as great as that between for example, jazz and
techno music”.
Cear Lewisohn, street art, op.cit., p. 15.
244
graffiti traditionnels, ce graffiti moderne, comme le graffiti writing, comment le comprenons-
nous en tant qu’art et mode internationale ?
Ces questions élémentaires montrent que les graffitis offrent un intérêt particulier pour le
changement du système du monde de l’art, et, du public, pour lesquels il faut garder des
catégories. D’ailleurs, le but de notre recherche est de prouver que les graffiti peuvent devenir
un art qui change la vie sociale. Autrement dit, l’objectif de ce mouvement est d’explorer
l’opinion publique, ses mœurs et ses convictions, et de donner des exemples d’expériences
diverses à travers les graffiti. Dans son livre street art : mode d’emploi, Jérome Catz confond
street art avec graffiti alors que les graffeurs comme mode2, Futura 2000, Bando utilisent
l’appellation de Street artiste, et il mentionne que ces graffeurs sont considérés comme des
artistes urbains dans l’histoire de l’art contemporain. Par exemple, il écrit dans « Les pères
fondateurs » :
44
Jérome Catz, street art : mode d’emploi, op. cit., p. 40.
245
apparues avec le mouvement divers d’art contemporain dans la rue pendant les années 1980 à
la suite du graffiti, en sont venues à incarner la culture visuelle urbaine contemporaine. Ce
mouvement artistique fait maintenant autorité dans l’histoire de l’art. Au cours de leur
évolution, les subcultures du graffiti ont dû apprendre à coexister aux côtés d’autres formes
d’art urbain.
Comme Zevs, Invader, Skki@ ou Banksy, les artistes qui ont commencé avec le writing
dans leur enfance mais ont développé leurs techniques grâce aux artistes urbains des années
1980, sont souvent intégrés dans le post-graffiti depuis la fin des années 90. Le « post-
graffiti », « néo-graffiti », ou simplement « street art » sont autant de mots utilisés à la fin des
années 1990 jusqu’à aujourd’hui dans les textes consacrés au graffiti pour désigner le
renouveau d’une production artistique à la fois publique, éphémère, et illégale. Ce dernier
continue de fleurir à côté d’interventions variées regroupées généralement sous le nom de
« street art ». Le street art ou le post-graffiti, se distingue le plus clairement du mouvement
artistique du graffiti writing, car les interventions stratégiques et les techniques artistiques
exploitées sont très différentes pour chacun d’eux. Parce que l’œuvre n’est pas seulement un
mode d’expression personnelle et un moyen de véhiculer des idées, c’est aussi et surtout une
façon d’affirmer ce que cela signifie de participer à la culture visuelle. Les artistes définissent
leur travail dans la rue et en galerie en informant le public sur internet.
Les street artistes critiquent le commerce de l’art et les problèmes sociaux, en même temps
qu’ils font la démonstration de leurs idées rebelles et libres dans la rue et subvertissent le
monde de l’art. La plupart des critiques d’art l’utilisent, son inflation ambigüe vide les mots
de leurs sens comme l’utilisation de terme « graffiti art ». Alors dans un contexte large, le
post-graffiti est une section du mouvement du street art. Nous devons faire la distinction entre
les deux termes comme suit :
Le post-graffiti se caractérise par une grande variété d’innovations stylistiques et
techniques. Leurs manières s’appuient sur le mouvement de l’art urbain français.
L’émergence du post-graffiti ne signifie nullement le graffiti writing des années des 1970 aux
É tats-Unis. La rencontre entre l’artiste et le writer dans la galerie, en dépit de ses effets
positifs, n’a pas pour autant empêcher le développement d’une critique négative et acerbe de
ce système commercial. Cette conscience sur l’attitude artistique des writers, voilà le contexte
dans et par lequel est né le post-graffiti depuis la fin des années 1990. Le graffiti writing est
visiblement de moins en moins motivé par des considérations politiques, contrairement au
post-graffiti, à en juger par ses éléments visuels et ses slogans, mais la provocation que cette
246
pratique constitue en soi en fait tout de même un geste de rébellion et de réappropriation de
l’espace public.
Le post-graffiti est une nouvelle approche au-delà des formes traditionnelles de graffiti,
mais ses artistes commencent avec le graff ou le tag. Son essence est distincte du graffiti
territorial fait par des gangsters, du vandalisme et des graffitis commandés par les entreprises.
Avec l’arrivée de Shepard Fairey aux États-Unis, de Banksy en Grande-Bretagne, de Blu en
Italie, d’Influenza aux Pays-Bas, d’Akayism en Suède, d’Invader et de Zevs en France à la fin
des années 1990, l’appellation post-graffiti apparaît. Il est l’un des premiers mouvements
artistiques internationaux. Les artistes sont en relation directe, constituant un champ artistique
d’interaction comme l’illustre le film de Banksy. Ces artistes exposent tous dans la même
galerie : la rue. Nous notons que les artistes de post-graffiti sont des porteurs d’idées
satiriques, contestataires et de subversion au travers de leur pratique de messages. Les artistes
de rue ont soulevé la question de l’art. Ils n’aspirent pas à modifier la définition d’une œuvre
d’art, mais plutôt à intégrer la question des situations sociales existantes dans leurs œuvres.
Deux des méthodes les plus populaires et contemporaines sont le pochoir et les autocollants
(stickers) qui ont tendance à être préférés pour leur simplicité. En même temps, au contraire
des différentes techniques de styles du graffiti writing, les street artistes se sentent plutôt liés
par leur attitude et l’histoire des artistes urbains français. Alors les artistes urbains et les
artistes du post-graffiti acceptent tous les genres et toutes les techniques artistiques dans la rue.
Leur généalogie est multiple et complexe.
En France, nous pouvons découvrir que l’utilisation de ce terme est restreinte et souvent
limitée à un concept unique compris dans le terme « art urbain ». L’art urbain identifie au plus
large sens du terme le street art parce qu’il peut contenir in situ, l’art public, le muralisme et le
graffiti art utilisant le pochoir. Comme nous l’avons étudié à travers les graffiti du mouvement
de Mai 68, les graffitis modernes français parlaient de politique, de philosophie, de problèmes
sociaux, ou de faits divers par le moyen d’expressions poétiques. Et les artistes ont souvent
utilisé un champ critique et avant-garde là où l’expression artistique était possible et cela se
retrouve dans l’art urbain des années 1980. En France, la naissance de l’art urbain est
accomplie par un rendez-vous du graffiti writing (tags, graff, free style), de la peinture, et des
techniques des artistes graffitistes européens utilisant la technique du collage et du pochoir. Il
regroupe toutes les formes d’arts réalisés dans la rue ou dans des endroits publics et englobe
diverses méthodes telles que le graffiti, le graffiti au pochoir, les stickers ou les installations.
247
En permettant que ce mouvement artistique s’épanouisse en France, le post-graffiti s’installe
et devient à la fin des années 1990 un mouvement d’art contemporain: le street art.
L’art urbain aura des effets esthétiques collatéraux pour d’autres « écoles » artistiques
signalées comme lui par l’amour de la culture populaire et de l’expression directe, notamment,
la Figuration libre en France, dans les années 1980. Plutôt que de discuter à l’art urbain sa
place dans l’histoire de l’art, convenons plutôt qu’il appartient au mouvement artistique dans
son ensemble. Ce phénomène se produit autour de la rue parisienne. Dans les années 1980, le
graffiti art parisien constitue la fondation du mouvement de l’art contemporain. Une œuvre
réalisée sans autorisation exprime une rébellion intuitive contre l’hypothèse du sauvage, et ce
type de vandalisme fonctionne comme une sorte d’activisme critique et social. L’art urbain est
un mouvement artistique autonome voire parallèle au tag, et au graffiti.
À partir de la fin des années 90, en France, l’art urbain est renommé le street art. Le street
art constitue l’un des premiers mouvements artistiques contemporains et internationaux. Les
street artistes jouent souvent de façon évidente sur la commercialisation de l’œuvre dans
l’espace public et ils se livrent illégalement à une analyse critique de la vie urbaine
contemporaine. Cependant, de nos jours, ils font officiellement commercialiser leurs œuvres
d’art dans les festivals. Le street art va au-delà de la frontière entre art et non-art, ou entre l’art
avec un grand A et un art considéré comme mineur, en produisant une imagerie accessible et
culturellement féconde. Les street artistes d’aujourd’hui montrent, au travers de leurs
pratiques diverses et variées, qu’ils sont, en grande partie, animés par des motivations
similaires. Aujourd’hui, les actions des street artistes sont nettement moins centrées sur les
questions de politique internationale. Ainsi, leurs messages inscrits sur les murs et le
mouvement lui-même présentent des techniques et des sujets artistiques divers pareillement
au muralisme, à l’art public et au graffiti writing.
Les artistes qui réfléchissent leurs travaux artistiques pour susciter une réflexion critique
sur leur société, afin d’en saisir l’imprévisibilité, de reconquérir la rue et d’agir sur le social.
L’ouvrage Street art et graffiti est destiné à combler cette lacune en s’intéressant d’abord à
l’œuvre pionnière des premiers graffeurs puis en montrant que le street art est le mouvement
artistique du XXIème siècle.
« Le graffiti et le street art, ils différent des autres formes d’art rencontrées dans la
ville pour trois raisons principales. Premièrement, en tant que pratiques
interventionnistes officieuses, le graffiti et le street art défient l’institution artistique
248
et la commande d’art public, lesquelles impliquent traditionnellement l’intervention
de nombreux décideurs tout au long du processus d’élaboration d’un projet.
Deuxièmement, le street art se laisse guider par l’esthétique visuelle de la ville tout
en influant sur elle puisqu’il assimile l’environnement urbain et le recrée.
Troisièmement, les graffeurs et les street artistes remettent fondamentalement en
question la notion de propriété et proposent une autre perception, appréhension de
la ville. […] La fonction de l’art urbain illégal ainsi que la question de savoir s’il
faut l’interdire ou le soutenir demeurent des sujets de débat. Une chose est
cependant certaine : les murs nous parlent et nous donnent à découvrir un
mouvement artistique international unique en son genre »45.
45
Anna waclawek, Street art et graffiti, op. cit., pp. 8-9.
46
Sous la direction de Paul Ardenne, Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p. 11.
47
Ethel Seno (éd.), TRESPASS : une histoire de l’art urbain illicite, op.cit., p. 130.
249
Certaines de ces différences expliquent les frictions entre les graffeurs et les street artistes,
la forme, le contenu et la fonction de l’œuvre d’art en relation avec son contexte historique.
La plupart des inscriptions que l’on trouve sur les murs publics racontent une histoire : ce sont
des descriptions d’événements réels ou imaginaires, des caricatures, des boutades, des
polémiques et des messages de toutes sortes48. À l’heure où l’art contemporain n’en finit plus
de se ramifier, de se segmenter, d’épouser toutes les formes possibles et imaginables, il faut
bien garder les sections de genre formel dans le street art et fonder les méthodologies afin
d’analyser leur sens et leurs fonctions sociales, composantes essentielles de la culture visuelle
postmoderne et de sa pulsion aux métissages esthétiques en tout genre.
« Ce phénomène, qui est toujours à considérer, dans tous les pays du monde, à ses
débuts, comme un acte individuel de défi et d’auto-expression, devait bientôt
devenir aux États-Unis un moyen de communication clandestine, puis un jeu créatif
subtil, enfin une création collective indomptable, d’un fort impact social et
esthétique »49.
Malgré le fait que certains théoriciens donnent une valeur positive au tag ou au writing,
comme Paul Ardenne ou Frank Popper, le geste de la plupart des writers se développe dans
une simple offrande de formes plastiques sans aucune intervention du, ni aucune interaction
avec le public, et une critique exprimée sur leur société, comme le fait le writing. En dépit de
ces débats sur le graffiti writing, au début des années 1980, ce style de graffiti américain est
devenu un genre d’art, aux États-Unis. Ce mélange de writers et de street artistes est rendu
extrême par les galeries commerciales américaines. Ainsi, dans ce chapitre, nous nous
intéresserons aux street artistes tels que Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et Richard
Hambleton. Ils ont tous trois fait leurs débuts au sein du mouvement culturel du graffiti.
48
Ibid., p. 257.
49
Frank Popper, Réflexion sur l’exil, l’art et l’Europe, entretiens avec Aline Dallier, Paris : Klincksieck, 1998, p.
99, cité par Paul Ardenne, Un art contextuel, Pairs : Flammarion, 2002, p. 69.
250
Avec les writers, dont « Samo », premier Basquiat, cette déclinaison identitaire vaut
proclamation sociale par son geste, par lequel il impose à la société l’expression de son nom
et à chaque fois un message critique. De même que Basquiat, Keith Haring n’a pas non plus
utilisé le style du tag et du writing. Ils réalisent seulement un acte et une geste par le graffiti.
Et cette culture du graffiti immature inspire dans son style et sa technique le néo-
expressionisme ou la figuration libre, ainsi qu’un développement du marché de l’art
contemporain, jusqu’à devenir un genre d’art contemporain à part entière : le street art.
Lorsque ce mauvais genre entre dans l’art et devient une forme d’art, quels sont les problèmes
qui apparaissent? Pourquoi les artistes admirent tant l’acte du graffiti contrairement au style du
graffiti writing, dans la rue ?
En même temps, dans l’histoire de l’art, coïncide un nouveau paradigme dans la grande
transition que connait l’art international. La peinture moderniste américaine a été présentée
par Clément Greenberg et Michael Freed alors que l’art minimaliste a été traité par Robert
Morris et Donald Judd. Le « modernisme » est assez semblable au formalisme selon
Greenberg. En 1936, l’exposition le Cubisme et l’art abstrait, organisée par Alfred Barr au
MoMa, reflète cette doctrine. Alors les artistes américains ont semblé traverser un canal
simple comme l’expressionisme abstrait, le minimalisme, et la mode du pop art.
La grande différence entre les É tats-Unis et L’Europe est l’attitude des artistes et leur
compréhension de la compréhension du modernisme. En particulier, le geste fondamentalement
satirique et critique français, pendant une longue période est fondé sur la philosophie
européenne. Ce facteur a toujours été positif dans l’art français. Mais, l’art américain est
plutôt intégré dans l’ère de la consommation, dans les idéologies politiques et l’économie
capitaliste. Il est devenu une œuvre réifiante. Ce phénomène a subi un examen approfondi par
les critiques des postmarxistes et leurs expressions artistiques se sont imprégnées d’assises
philosophique, historique, et politique. Dans The Rise of the Sixties (2007), par Thomas Crow,
nous pouvons découvrir les différentes caractéristiques de ces deux régions. Son essor semble
montrer que l’artiste américain se situe comme un artiste avant-gardiste dans une situation
politique donnée, comme les artistes européennes. Ils essaient également une réinterprétation
du pop art comme Andy Warhol. Cependant nous estimons que l’art européen est beaucoup
plus critique et politique que l’art américain.
Ce modernisme américain est critiqué par Rosalind Krauss, Douglas Klomp, et Craig
Owens dans October et dans un court essai sur le postmodernisme et l’élaboration de leurs
théories par Hal Foster. La fin de minimalisme, qui dominait l’art américain, signifie la fin du
251
modernisme occidental, et il suffit de montrer l’ennui émotionnel de la société sue laquelle il
se fonde, pour comprendre l’insatisfaction suscitée par le modernisme. Il s’agit de New image
painting, néo-expressionisme, « Pattern and décoration », même de graffitisme50. Résultat de
l’intérêt pour son époque et d’une certaine nostalgie culturelle, le sujet artistique se doit de
communiquer avec le public au sujet de la société, et être une libre expression par la peinture,
abordant des sujets populaires et satiriques, à travers une déconstruction des formes et des
genres. Ainsi, une variété de phénomènes liés à l’expressivité est ressuscitée51.
Keith Haring et Jean Michel Basquiat provoquent-ils une véritable scission dans le système
du monde artistique ? Nous allons faire une approche distincte de ces deux jeunes artistes. Ils
ont commencé dans la rue, et ont fini par être exposés dans les musées d’art, jouissant d’une
renommée internationale. Notre étude ne présentera pas une biographie des deux artistes.
Dans le contexte artistique des années 1980, nous recherchons une relation entre l’artiste et les
graffitis. Ensuite, nous allons discuter du processus qui a fait du graffiti un art dans l’industrie
culturelle, puis de sa crise d’identité.
Par ailleurs, dans le contexte du graffiti writing, il est erroné d’inclure Kenny Scharf, ou
même Keith Haring à New York. Keith Haring en particulier, dont le style était le plus
éloigné du style du graff, de Crash, par exemple, et de l’utilisation obligatoire de la bombe à
aérosol par les graffeurs. Néanmoins, la scène du graffiti writing était très importante pour les
artistes de l’East village en tant qu’arrière-plan artistique. Ceci est confirmé par l’exposition
de « New York/ New Wave » en février 1981, qui a réuni les writers (Fab5 Freddy, Brume,
Visite) et des artistes tels que Kenny Scharf, Robert Mapplethorpe (Photographe), Andy
Warhol, Keith Haring et Jean-Michel Basquiat. Et même temps, Keith Haring est en relation
avec des aritstes comme Barbara Kruger, Keny Holzor, etc.
Dans notre étude, nous démontrerons que les artistes américains, comme Jean Michel
Basquiat, Keith Haring, et Richard Hambleton, des années 1980, se distinguent des graffeurs
50
La plupart des artistes du néo-expressionisme construit des couleurs militantes et très grossières, en outre,
utilise divers objets, le collage, le montage, et l’introduction d’un contenu et de la religion, la mythologie, la
mort, le sexe, etc. En particulier, la vie de l’artiste, le contexte historique, sa personnalité et la subjectivité de
l’artiste faisaient partie intégrante de la peinture. Avec de telles affinités, différentes tendances apparaissent au
sein de leur communauté culturelle, sociale et historique. Le néo-expressionnisme en Allemagne présentant une
situation politique malheureuse après la guerre et une tradition d’expressionnisme ; le Transe avant-gardiste, en
Italie, dans la renaissance italienne et la tradition métaphysique ; la peinture nouvelle (New Painting) aux É tats-
Unis impliquant un type de Pop ; et la figuration libre, en France, qui revêt une relation entre Pop Art américain
et tradition critique et philosophique française.
51
Hal Foster, « Re : Post », Art after Modernism, New York : The New Museum of Contemporary Art, Boston :
David R. Godine, Publishser, Inc., 1984.
252
comme Lee et Futura 2000 alors même qu’ils exposent ensemble dans les mêmes galeries.
Les œuvres aujourd'hui ne font plus seulement appel à des peintres et des graffiti writers, mais
aussi à des designers graphiques, à des militants politiques et bien sûr à tous ceux qui
s'identifient par les résultats de leurs travaux. Keith Haring, qui a été exposé avec Andy
Warhol, Jean-Michel Basquiat, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, Jenny Holzer et
Daniel Buren, dès la Documenta 7 en 1982 et dans des musées et Biennales du monde entier,
a utilisé de multiples supports et eu recours aux medias de son époque, allant jusqu’à
commercialiser des produits dérivés dans son célèbre Pop Shop à partir de 1985.
De ce courant, Richard Hambleton est le membre survivant d’un groupe qui, avec Keith
Haring et Jean Michel Basquiat, a eu beaucoup de succès sur la scène artistique de New York
dans un marché de l’art en plein essor dans les années 1980. Une grande partie du travail de
Hambleton est comparée à l’art du graffiti, il estime, quant à lui, que son travail est de l’« art
public ».
Nous pouvons dire que ces phénomènes artistique et divers ont picturalement milité pour
que les lieux d’exposition, plateformes de rencontre entre l’art et le public, soient un espace
de liberté ouvert à toutes les formes de création, sans frontière de genre ni d’origine, sincèrement
curieux et clairement respectueux de la diversité constituante des cultures. Mais nous allons
faire la présentation d’un nouveau domaine, celui des graffitis. Nous étudions quelques
œuvres de Jean-Michel Basquiat, Keith Haring et Richard Hambleton dans la relation étroite
entre les graffeurs à la bombe à aérosol, entre le métro et les galeries, pour appréhender entre
les graffs et le néo-expressionisme. Ce n’était pas seulement une question de graffeurs et de
style du graffiti writing. Ils n’étaient pas reliés à la notion de relation entre l’art élitiste et la
sous-culture. Comment ont-ils fait évoluer leur activité dans le système de l’art ? Quels ont
été les problèmes inhérents à leurs graffitis dans la rue et à ceux realisés en galerie ?
253
1.2.1. L’activité de Keith Haring et de Jean Michel Basquiat
Jean Baudrillard, à la fin de son article, effectue une nouvelle classification des graffitis :
Dans cette catégorie, nous pouvons remarquer qu’il utilise le terme de « graffiti art ». Ce
genre fleurit dans le mouvement néo-expressioniste ou la figuration libre en France. En
particulier, la notoriété internationale par le biais de grandes expositions a été approfondie
dans un contexte historique pour l’art. Dans les conflits entre Harlem, le South Bronx, et
l’East Side, les artistes s’identifient à travers différents styles, émanations artistiques de la
cinquantaine de « gangs » de rue. Keith Haring est très souvent associé avec le mouvement
des graffitis, parce qu’il existe plusieurs points d’intersection et qu’ils ont partagé le même
milieu culturel urbain. Il y a d’autres aspects qui peuvent être liés au mouvement graffiti.
Parce qu’il fait partie de son fort sentiment d’appartenance à une communauté, l’athlétisme
marqué et le dynamisme de l’exécution, l’inspiration contre-culture, le contexte continue du
hip-hop et du rap, etc.
De 1976 à 1978, il a étudié l’art commercial à The Ivy School of Professional Art, une école
d’art à Pittsburgh. En 1978, Keith Haring a déménagé à New York, où il a été inspiré par le
52
Jean Baudrillard, « Kool Killer ou L’insurrection par les signes », op.cit., p. 128.
254
graffiti, et a étudié à la School of Visual Arts. Haring a réalisé son premier acte à l’attention du
public avec le graffiti dans le métro. Ce sont ses premiers morceaux reconnus du pop art. Au
début des années 80, des artistes ambitieux un peu plus conventionnels avaient déjà
commencé à pénétrer le monde du graffiti. Pendant la période élevé du wild style du graffiti
writing, Keith Haring a également commencé à dessiner ses signatures, de simples figures de
contour dans le métro : Subway drawings (fig. 93)
En 1982, Keith Haring bénéficie d’amitiés établies avec des collègues artistes émergents
comme Futura 2000, Kenny Scharf, Madonna et Jean-Michel Basquiat. Haring a créé plus de
50 œuvres publiques entre 1982 et 1989 dans des dizaines de villes à travers le monde. En
1981, il a esquissé ses premiers dessins à la craie sur papier noir et peint en plastique, du
métal et des objets trouvés. Il a donc organisé des expositions dans le Club 57. Il a également
participé à l’Exposition Times Square et a, pour la première fois, représenté des animaux et
des visages humains (fig. 94). Cette même année, il a photocopié et travaillé autour des
collages provocateurs de la ville, fabriqués à partir de cut-up, et de recombinaison de titres du
New York Post.
Cependant, ne percevoir Keith Haring que sous l’angle du graffiti dans la rue est restrictif.
Les caractéristiques de l’art de Keith Haring se sont progressivement et radicalement
éloignées des styles utilisés sur la scène du graffiti. Haring différait grandement des graffeurs
les plus américains. Il a eu une éducation artistique et il était intéressé par l’histoire de l’art et
les courants artistiques contemporains. Il a non seulement été influencé par l’art de l’Egypte et
de l’Empire maya, mais également inspiré par les classiques européens de l’art moderne :
Matisse, Dubuffet, Léger, et Alechinsky. Keith Haring mentionne :
53
“Almost immediately upon my arrival in New York in 1978, I had begun to be interested, intrigued, and
fascinated by the graffiti I was seeing in the streets and in the subways. Often I’d take the trains to the museums
255
Sa technique artistique n’est pas liée aux seuls graffiti writing ou graff, bien qu’il échange
et sympathise avec les writers dans la culture du graffiti, mais également aux approches
artistiques vues au cours de l’histoire de l’art. Dès le début de sa carrière artistique, Keith
Haring était à la fois intéressé par des sujets sociaux et politiques : Free South Africa, (1985)
(fig. 95) Pour Haring, la peinture a été une expérience qui, à son meilleur, lui a permis de
transcender la réalité, d’aller voir ailleurs, complètement en dehors de son propre ego et de lui-
même. Ce fut une expérience radicalement différente de celle qui se trouvait derrière la culture
du tag, ce qui a entraîné une affirmation monotone de l’ego de writer, tracée en lettres
clairement visibles dans tous les coins de la métropole. L’expérience de Haring et sa curiosité
culturelle, son idéologie artistique (plus que politique), son étreinte du hasard, et son
tempérament, tout cela a conspiré pour le conduire à choisir les stations de métro pour la
réalisation de son art. C’est un acte stratégique conscient de l’autopromotion. Jeffrey Deitch
mentionne la différence de Keith Haring et writers.
« Keith avait une relation forte avec les graffiti artistes. Il faisait partie de ce cercle,
ami avec un grand nombre de personnes clés, et il a travaillé en collaboration avec
des artistes comme LA II (Angel Ortiz). Mais il était fondamentalement différente
des artistes du wild style. Les gens voyaient Keith travailler dans le métro. Il avait
Tseng Kwong Chi qui le suivait partout, le photographiant en train de faie presque
tous ces dessins, il y avait donc un élément de performance dans cela qui était très
important. Les enfants qui peignaient sur les trains le faisaient secrètement,
escaladant dans les cours après la nuit tombée quand il n’y avait plus personne. Une
partie de l’intention de Keith était que le travail était supposé être fait en public »54.
and galleries, and I was starting to see not only the big graffiti on the outside of the subway trains, but incredible
calligraphy on the inside of the cars. The calligraphic stuff reminded me of what I learned about Chinese and
Japanese calligraphy. There was also this stream-of-consciousness thing – this mind-to-hand flow that I saw in
Dubuffet, Mark Tobey, and Alechinsky.” Cette exposition s’est organisée par Gianni Mercurio, Julia Gruen, The
Keith Haring Show, 27 septembre 2005 au 29 janvier 2006, Fondazione Triennale di Milano, Milan : Skira, 2005.
pp. 81-85.
54
“Keith had a strong rapport with graffiti artists. He was part of that circle, friendly with a lot of the key people,
and he worked in collaboration with artists like LA II (Angel Ortiz). But he was fundamentally different from the
wild style artists. People saw Keith working in the subway. He had Tseng Kwong Chi following him around,
photographing him doing almost all of those drawings, so there was an element of performance in it that was
very important. The kids who painted on the trains did it secretly, climbing into the yards after dark when no one
was there. Part of Keith’s intention was that the work was supposed to be done in public” Jeffrey Deitch, « His
Art is His Life », Ibid.
256
En fait, Haring a utilisé la force de communication de l’art du graffiti et ses outils pour
percer dans le « système » de l’art plus classique, à ce moment-là contrôlé presque exclusivement
par les galeries, les musées et les collectionneurs fortunés qui vivaient à l'est de Central Park.
Lorsqu’on l’interroge sur le « commercialisme » de son travail, Keith Haring a déclaré :
« Mon magasin est une extension de ce que je faisais dans les stations de métro. Faire tomber
les barrières entre l’art noble et le vulgaire »55.
Par l’arrivée du Pop Shop (fig. 96), son travail a commencé à réfléchir à des thèmes plus
socio-politique, tels que l’anti-apartheid, la sensibilisation au sida et l’épidémie du crack. Il a
même créé plusieurs œuvres d'art pop influencées par d’autres produits: la vodka ABSOLUT,
les cigarettes Lucky Strike, et Coca-Cola. Quand Haring a ouvert ses Pop Shop, qu'il
considérait comme une nouvelle expérience artistique, à New York en 1986 et à Tokyo en
1988, il était bien au courant des idées de Warhol sur les possibilités de nouvelles voies de
communication pour les artistes. Après la Factory de Warhol, le Pop Shop était la deuxième
tentative de la part d’un seul artiste à répandre, à travers la reproductibilité, son art de vivre et
un message pour l’humanité. Il a travaillé à la réduction des formes et des concepts pour les
principaux éléments de la ligne et aspirait à un hybride de peinture et d’écriture. Pour Haring,
l’idée d’un art universel était une philosophie influencée par un fort intérêt pour l’esthétique
de la décoration qui a coïncidé avec la mise au point des courants postmodernes des années 80.
En 1986, Keith Haring a créé une longue peinture de 300 mètres sur le côté ouest du mur de
Berlin. (fig. 97) Les messages et les idées politiques qu’il a véhiculés ne constituent pas
seulement une part de son héritage, mais ont considérablement influencé les artistes et la
société. Ses « subway drawings » réalisés dans le métro, ses peintures, ses dessins et
sculptures, étaient porteurs de messages de justice sociale, de liberté individuelle et de
changement. Icône du Pop art, artiste subversif et militant, Keith Haring a multiplié les
engagements tout au long de sa vie.
En utilisant délibérément la rue et les espaces publics pour s’adresser au plus grand nombre,
il n’a cessé de lutter contre le racisme, toutes sortes d’injustice et de violence, notamment
l’Apartheid en Afrique du sud, la menace nucléaire, la destruction de l’environnement,
l’homophobie et l’épidémie du sida. Dans l’exposition de Keith Haring : The political line, Le
55
“Here’s the philosophy behind the Pop Shop: I wanted to continue the same sort of communication as with the subway
drawings” Keith Haring, Jornals, New York : Penguin Books, 1996, p. 11, par l’entretien avec John Gruen, cité
par Ibid., pp. 17-27.
257
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, en 2013, une rétrospective lui est consacrée (1958-
1990). Et elle permettra d’appréhender l’importance de ses œuvres réalisées sur toile, sur
bâche ou dans le métro et plus particulièrement la nature profondément « politique » de sa
démarche, tout au long de sa carrière.
Nous remarquerons que la première partie de carrière de Jean-Michel Basquiat est plus
compliquée, mais il s’agit également d’un acte dans la rue. Basquiat avait effectivement pris
part à l’art du métro, où il avait utilisé le tag de Samo (fig. 98). Mais sa signature, samo,
ressemble plutôt à un graffiti ou un logo qu’à un tag. Pourtant, les tableaux de Basquiat (fig.
99) semblent plus étroitement alignés sur le style international du néo-expressionnisme que
sur ce que font en général les writers pour les innovations stylistiques.
Et pour toute personne, même prête à entendre le nouveau graffiti comme une forme
d’expressionnisme populaire, le subway art, avec son vocabulaire pauvre et ses éléments
visuels de design commercial sans cesse élargi, réfléchi et sophistiqué, n’aurait pu être plus
mal accueilli du fait de ses gestes sans intermédiaire, libres et ignorant la rhétorique de
l’expressionnisme. La « modernité » du graffiti de métro résidait dans sa foi que le motif
abstrait pur, allié à une énergie féroce concurrente et une recherche accélérée pour la
nouveauté, pourrait, elle-même, être une forme autonome d’expression. Les énergies
expressives du graffiti ont été étroitement enroulées dans un langage strict des contours
originaux. La peinture de Basquiat, par comparaison, semblait venir d’une tradition
européenne beaucoup plus ancienne, plus souple et plus généralisée du geste libre56.
Contrairement à Haring et Scharf, qui ont terminé leurs études dans Une école d’art
Académique avant de s’engager avec la scène du graffiti, Basquiat a fait des graffitis inscrits
sur les murs à Manhattan sous le pseudonyme SAMO, avant d’avoir une réputation
internationale. Dans la documenta de Kassel en 1982, il a était représenté avec Lee Quinones
dans le film Wild Style de Charlie Ahearn qui a paru la même année, qui était aussi un peintre
spray graffiti à l’époque de New York57.
Aux É tats-Unis, à partir du début des années 1980, alors que les graffiteurs ont rapidement
créé leurs signatures, développant des styles qui les dont évoluer dans le monde artistique, les
artistes de rue se sont débarrassés de leur style individuel, comme on l’appelait artistique, afin
de fusionner avec la foule. Ils font des choses qui ressemblent à des publicités (Les Levine,
Moderne hygiène) et des manifestes politiques (Jenny Holzer). Ils utilisent des pochoirs
56
Kirk Varnedoe et Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 380.
57
Documenta 7, de Kassel., n.2, vol. 1, 1982, p. 431.
258
standardisés pour effacer leur signature personnelle (John Fekner)58. Le mouvement du street
art représente donc un genre artistique grâce à Jean-Michel Basquiat, et Keith Haring aux
É tats-Unis. Et le mouvement du graffiti a ouvert l’espace public pour donner une liberté
d’expression de leur art aux artistes. La découverte technique pour utiliser la rue, c’est elle qui
assure, depuis la lithographie, la sérigraphie et la photographie, la reproductibilité des œuvres.
Les transformations sociales représentent l’avènement d’un public de masse, la transformation
de la politique en spectacle, les nouvelles conditions de travail, la montée des valeurs de la
distraction et de l’exposition, ces transformations qui accompagnent le développement du
capitalisme industriel. Au contraire, même les tableaux uniques se font plus fluides et se
multiplient au fur et à mesure que s’ouvrent les musées pour les produits de masse. Mais cette
forme de graffiti requière plus les formes de l’art ou du tableau.
Du 1976 au 1978, Mass Murder (Mass Assassiner) (fig. 100), l’installation de Hambleton a
été secrètement placée dans les rues de plus de 15 villes, et créée pour imiter le contour à la
craie des cadavres et le sang éclaboussé sur les scènes de crime de ce qui semblait être des «
victimes ». Les lignes blanches de corps tombés sur les trottoirs et dans la rue, avec quelques
éclaboussures de peinture rouge sang pour l’efficacité dramatique. Leur ressemblance avec les
marques de la police sur les sites de meurtre intensifient la peur urbaine. Dès le début, les
œuvres de Richard fraîchement découvertes dans les grandes villes a créé un phénomène
d’anxiété induit par le fait que les gens n’étaient pas au courant de l’identité de l’artiste. Le
graffiti a longtemps été considéré dans les espaces publics, pour autant, Richard Hambleton
n’a pas livré des actes aléatoires, mais des installations artistiques graves qui offrent au grand
public la possibilité d’observer et d’accepter la fragilité de l’être. L’impact immédiat de son
travail était l’inspiration et l’objectif premier de sa forme d’expression, qui se devait d’être
une expérience sociale populaire.
Alors, une grande partie du travail de Hambleton peut se comparer à l’art du graffiti, mais
Hambleton estime que son travail est un « art public ». En 1982, Richard Hambleton est
surtout célèbre pour ses peintures Shadow man (fig. 101) qui se cachent dans l’ombre de
parkings, stations d’essence, et terrains vacants. Chaque peinture ressemble à une silhouette
58
Allan Schwartzman, Street Art, op.cit., p. 62.
259
grandeur nature d’une personne mystérieuse. Ces « Tableaux de l’ombre » ont été éclaboussés et
brossé avec de la peinture noire sur des centaines de bâtiments et d’autres quartiers à travers
New York. Très souvent, un Shadow man pourrait être trouvé dans une ruelle sombre où se
cache juste un coin de rue. Hambleton a plus tard élargi la portée de son projet et a peint ces
shadow man dans d’autres villes, dont Paris, Londres et Rome, et même, en 1984, 17
personnages grandeur nature sur le côté Est du Mur de Berlin, et, de retour un an plus tard
plus encore sur le côté Ouest.
Comme l’art est public, Richard Hambleton produit une variation de son travail de
« l’ombre » montrant son Shadow man comme une sorte d’« Homme rodéo » ou de robuste
Marlboro Man (fig. 102). Cette série a été peinte sur toile et d’autres matériaux, qui
pourraient être affichés comme des œuvres d’art. Inspiré par les publicités des cigarettes
Marlboro dans les magazines, qui à certains égards, ont exploité l’image d’un unique « héros
américain » à vendre son produit, Hambleton a altéré et modifié l’image pour créer une
nouvelle série de travaux.
C’est à cette époque qu’il a commencé à fréquenter Haring et Basquiat. Ce dernier ajoute
souvent ses propres « tags » pour les Shadow man, peindre ses crânes de signature, des
couronnes et des têtes de chat sur les silhouettes, la création d’hybrides prisés. Hambleton ne
fait ni tag ni graffiti, mais son activité imagière répétée s’en rapproche de par son geste à
caractère belle. Les artistes ont commencé à échanger leur travail entre eux : un Hambleton
valait quatre Basquiat, apparemment. « Il a créé l’art de la rue commerciale », dit Andy
Valmorbida. « Il a été le premier à utiliser la rue comme une toile »59. Après avoir parcouru
New York avec plus de 450 Shadow man, Hambleton a jeté son dévolu plus loin, en amenant
son travail dans plus de 24 villes à travers l’Amérique et, enfin, en Europe, où il a été repéré
par, entre autres, un jeune Blek le Rat, l’artiste du pochoir qui a, à son tour, inspiré Banksy.
À son apogée, il était la cheville ouvrière de cette scène, plus célèbre – et plus appréciée –
que ses contemporains maintenant vénérés qu’étaient Keith Haring et Jean-Michel Basquiat.
En 1985, Hambleton disparait, se retire dans l’ombre comme un de ses tableaux, se terre dans
son antre du Lower East Side avec seulement de l’héroïne et des huissiers. Alors que Basquiat
et Keith Haring vont devenir les victimes de la scène, et à la fois mourir jeune, Hambleton, en
quelque sorte, a survécu. Mais alors que l’héritage de ses anciens camarades de la rue a
59
Vladimir Restoin Roitfeld et Andy Valmorbida ont consacrés une exposition intitulée Richard Hambleton –
New York. Au cœur de la Fashion Week de Milan, en partenariat avec Giorgio Armani, c’est l’un des after shows
à inscrire dans son agenda du 1er au 12 mars, 2010.
260
augmenté, la réputation de Hambleton a, elle, fané. Une ex-petite amie a volé 40 de ses
peintures et les a vendues pour presque rien et l’artiste s’est retrouvé vivant dans la rue. Il a
cessé de partager son travail, refusant la représentation commerciale, en diminuant les
expositions et la vente de ses travaux sur une base ad hoc quand il avait besoin de payer son
loyer. Le fléau autrefois omniprésent de la rue était devenu un reclus. Référencé à côté de ces
grands artistes de l’époque comme Basquiat et Keith Haring, chaque artiste avait laissé
derrière lui son style, alors que Hambleton qui a survécu, éludant la mort, se devait de
poursuivre son chemin de la créativité.
Dans les années 1990, Richard Hambleton a conçu pour évoquer une autre émotion, il a
donné comme titre à sa nouvelle création Beautiful Paintings (Belles peintures). Dans ces
peintures, Hambleton utilise de la peinture transparente sur des feuilles métalliques afin de
refléter la lumière et la couleur et que le spectateur devienne, à son insu, une partie de l’effet
visuel. (fig. 103) Avec une forte utilisation de la couleur, ces tableaux sont en contraste
frappant avec son travail de « l’ombre » (fig. 104). Hambleton a déclaré que ce travail a été
une réaction contre l’abondance de la peinture figurative affichée dans les galeries à l’époque
à laquelle il a choisi de ne pas y prendre part. Hambleton a également dit qu’il avait
également et délibérément cherché une humeur différente, avec une sensibilité différente, de
son travail précédent.
C’était en contraste total avec les tendances contemporaines de l’art abstrait ; ses peintures
colorées de beauté avec des feuilles d’or et d’argent laissent apparaître des paysages marins,
véritables évasions océaniques. Ses disciples ont été impressionnés par la transition
apparemment fluide de Hambleton au sublime. Hambleton ne croit pas que la reconnaissance
sociale soit ce qui définit un grand artiste, et donc, malgré et en dépit de la renommée qui a
frappé beaucoup de ses pairs, Richard l’a ignorée. Il voulait que son art soit interprété par le
biais de la réaction. A 56 ans, il fait, à contrecœur, un retour sous les projecteurs, grâce à deux
jeunes conservateurs qui ont mis sur pied un spectacle de plus de 40 œuvres, dont la moitié
n’a jamais été exposée auparavant. Vladimir Restoin Roitfeld, fils de l’éditeur de Vogue
France, Carin Roitfeld et Andy Valmorbida ont suivi Hambleton après un tuyau du marchand
d’art vétéran de New York Rick Librizzi, l’homme qui a lui avait donné sa première chance.
Après beaucoup de cajoleries, Hambleton a convenu à un spectacle qui a démarré à
Londres, sa toute première exposition solo au Royaume-Uni. L’année dernière, Restoin
Roitfeld et Valmorbida ont exploité toutes leurs connexions et, après avoir obtenu des
commanditaires passionnés comme le collectionneur Giorgio Armani, ont ouvert le show lors
261
de la Fashion Week de New York. En 2009, les œuvres de richard Hambleton ont été
affichées dans une exposition célébrant sa carrière de 40 ans, intitulée Richard Hambleton –
New York. L’exposition est le résultat d’un effort de collaboration entre Vladimir Restoin
Roitfeld, Andy Valmorbida, et Giorgio Armani. Trente-cinq pièces de l’œuvre de Hambleton,
couvrant le début des années 1980 à aujourd’hui ont été exposées, montrant ses Shadow man
et Marlboro Man, sur toile et d’autres matériaux, présentés côte à côte avec ses Beautiful
painting. Le spectacle a connu un grand succès et toutes les œuvres présentées vendues 60. De
nombreuses personnes considèrent que cette exposition, malgré les critiques de son caractere
commercial à outrance, a fermement consolidé la place distincte et distinguée de Richard
Hambleton dans l’histoire de l’art moderne. La valeur de l’artiste a augmenté : auparavant ses
tableaux allaient de £ 38 000 à £ 150 000, ses œuvres partent à présent entre 48 000 euros et
190 000 euros aux enchères. Il a exposé à Milan et Moscou, et il a battu tous les records des
nombre de visiteurs au MoMa de New York. Lors d’une vente aux enchères de stars à Cannes
plus tôt, il a été invité à présenter une œuvre à une vente de charité où celle-là serait vendue
aux enchères par Simon de Pury aux côtés d’œuvres de Warhol, Testino et Schnabel.
Richard Hambleton, qui était peintre, a décidé de faire des projets dans la rue. Au début, il a
échappé à l’examen de la presse populaire ne se rendant pas compte qu’un « artiste » était
derrière ces oeuvres. Le monde de l’art n’a rien remarqué. Ensuite, en voyant ce qu’il avait
fait il ironise sur sa « mégalomanie ». Par la suite, il a commencé à montrer des peintures dans
les galeries. Malgré certains détracteurs, ses Silhouettes sont depuis devenus une partie
notoire de l’environnement urbain, Hambleton a observé que « certains critiques ne voient pas
que, même si j’utilise la même image dans la rue et dans mes peintures, il s’agit d’œuvres tout
à fait différentes. Les travaux de voirie sont sur l’environnement. La peinture est de la
peinture »61.
60
Vladimir Restoin Roitfeld, Andy Valmorbida, et Giorgio Armani, Richard Hambleton-New York, New York,
Septembre, 2009 ; Vladimir Restoin Roitfeld and Andy Valmorbida, Richard Hambleton : A Retrospective, New
York, Septembre, 2011.
61
Allan Schwartzman, Street Art, op.cit., p. 98.
262
1.2.3. La mercantilisation de l’art rebelle
Pourquoi des street artistes veulent-ils néanmoins voir leur travail entrer dans les musées
d’art? Il ne faut pas entendre la revendication seulement au sens strict, mais comprendre
qu’elle pointe la possibilité d’obtenir un statut plus valorisant pour des activités et des
réalisations trop souvent dénigrées. Certains artistes ont utilisé le graffiti, lorsqu’il était à la
mode, comme stratégie promotionnelle. Pour d’autres, il s’agit moins d’acquérir une
reconnaissance sociale que de faire admettre la possibilité d’une esthétisation du graffiti, et
plus largement de la vie elle-même. Dans cette perspective, il importe peu que le graffiti soit
réellement présent à l’intérieur du musée d’art62.
Nous avons déjà discuté de la question du graffiti (writing) devenu art. Mais quand ce
genre léger de la culture est devenu art, un problème plus vaste se pose : sa commercialisation.
John A Wolker critique l’intellectualisation d’Adorno dans son livre Art in the age of mass
media63.
62
Denys Riout, « Le graffiti, la rue et le musée », L’esthétique de la rue, Paris : L’Harmattan, 1998, p. 203.
63
Ce livre examine certains aspects des conditions des beaux-arts à l’ère des médias de masse. Il identifie les
différences entre ces deux domaines relativement autonomes, mais il aborde également la façon dont ils
interagissent. Les questions clés à considérer sont les suivantes: quelle a été la réponse des artistes plasticiens à
l’apparition des médias de masse? Comment les médias font usage des arts visuels? Y a-t-il un rôle social vital
laissé aux Beaux-arts? Si oui, quel est-il? John A Walker, Art in the age of mass media, London : Pluto Press,
1983, pp. 1-3.
263
la seule audience des œuvres si extrêmes serait composée d’intellectuels comme
Adorno lui-même »64.
« C’est dans de telles antinomies qu’elle découvre celles de la société. Aux yeux de
la critique immanente, l’œuvre réussie n’est pas celle qui réconcilie les
contradictions objectives dans une harmonie illusoire, mais plutôt celle qui exprime
négativement l’idée d’harmonie en donnant forme aux contradictions, de façon
pure et intransigeante, jusqu’au cœur de sa structure »65.
Son erreur dans la théorie esthétique des œuvres d’art a été de limiter la discussion aux
seuls exemples des artistes modernes de l’avant-garde et aux musiciens. Nous devons avoir
une compréhension profonde de la théorie de l’article d’Adorno « jazz », Prismes, sur le sens
d’une œuvre d’art et sa perspective sur la culture de masse66. En insistant sur la différence
entre les types de jazz, il critique le jazz commercial. Dans l’« Annexe Réponse à une critique
de Mode intemporelle », il déroule l’attribut duel du jazz. A-t-il de fait réalisé une division de
64
“Adorno was skeptical about the oppositional value of committed or partisan art. In his view advanced works
of art – for example, the music of Arnold Schönberg – served a critical, negative function by virtue of their
autonomy from everyday reality, their functionlessness and their uncom-promising aesthetic form. Modern
atonal music was alienated and alien-ating: the general public found its dissonances repulsive because such
sounds testified to the truth of their social condition. […] This line of argument, it seems to me, incorporates
defeat from the very outset : the most oppositional works of music are those which displease the majority of
listeners ; therefore, the smaller the work’s audience, the greater its political radicalism. It is obvious that the
only audience for such extreme works would be intellectuals like Adorno himself.” Ibid., p. 83.
65
Theodor W. Adrono, Prismes : Critique de la culture et société, op.cit., p. 24.
66
Ibid., pp. 121-135 et pp. 293-297.
264
la culture en différents niveaux ? Les phénomènes qui se succèdent et se répètent font tomber
l’art au niveau de la culture et la culture basse, très commerciale devient art par la structure
sociale. Ce qui occupe son attention est rien de moins qu’une crise matérielle et sociale qui
menace les formes traditionnelles de la culture haute d’extinction. Cette crise est le résultat de
la pression économique d’un secteur consacré à la simulation de l’art sous la forme de
produits culturels de masse.
Le développement d’une nouvelle forme de peinture ne fait pas simplement découvrir un
geste concernant les techniques ou une revendication de son identité nationale, c’est imposer
un nouveau langage artistique pour que des artistes expriment leur époque. Donc une certaine
« attitude » rebelle et une croyance en la liberté de l’expression artistique. Notre intérêt est
que le graffiti art est né dans le domaine de la « sous- culture », mais s’il a les caractéristiques
de l’œuvre d’art, comment le commercialiser?
Hal Foster déplore vraiment l’art d’aujourd’hui cité dans la deuxième partie de son livre
Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics67. Nous avons souvent fait l’analyse critique de
l’art, surtout américain, qui ironise sur les genres d'artistes modernes, mais les embrasse
néanmoins; et un art qui prétend utiliser les deux types modernes et les différentes formes de
médias contre eux-mêmes avec l’art d’avant-garde européenne dans notre étude précédente.
Dans cette exégèse, nous allons résoudre ces problèmes avec les graffitis arts européens, nous
allons continuer à discuter sur les questions soulevées par Hal Foster et Adorno aussi. C’est-à-
dire, en répondant à deux grandes questions : à la suite d’Hal Foster, le graffiti art rebelle ne
peut-il être une alternative à l’art avant-gardiste qui ne connait pas de succès ? S’intègre-t-il à
la société à travers l’industrie culturelle? Dans la droite ligne d’Adorno, le graffiti dans le
domaine de l’art populaire peut-il être un art, rencontrant les conditions de l’œuvre d’art et la
position artistique dans l’industrie culturelle décrites dans son étude du « Jazz ».
D’abord, Max Horkheimer et Adorno, résolvent ce problème de la relation entre l’art et
l’industrie culturelle. Selon eux, ils n’ont pas séparé ces différents secteurs en deux, entre un
art noble, autonome et un art léger, commercial, mais ils enquêtent sur la nature particulière
de chacun et sur leur transformation par l’industrie culturelle.
67
Hal Foster, Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics, op.cit., p. 33.
265
moins la négativité de la culture que constituent les différentes sphères. L’antithèse
peut encore moins être réconciliée par l’intégration la lumière dans l’art sérieux, ou
vice versa. Mais c’est ce que l’industrie culturelle tente de réaliser »68.
Cette citation qui montre les caractéristiques typiques des philosophes de l’école de
Francfort, présente, d’une part, une bonne compréhension de problèmes sociaux particuliers,
et parle, d’autre part, et c’est une nouveauté, des phénomènes sociaux à la radio en 1963.
Nous ne considérons pas que les arguments d’Adorno dans sa défense du modernisme
soient légitimement liés à une critique de la culture de masse, car, selon nous, l’austérité et la
difficulté de la musique moderne n’est pas une nécessité interne, mais une forme imposée par
l’extérieur. Et si les deux commencent, à partir d’une dérivation du modernisme, à s’envahir
l’un l’autre, ce n’est pas forcément au détriment de l’un ou de l’autre. Adorno a entrepris un
travail d’analyse similaire à celui de Greenberg mais celui-ci s’est laissé corrompre par ses
amitiés artistiques alors que le premier a évolué en gardant un paysage culturel plus large
continuellement en vue. Greenberg a participé du système dans lequel les artistes s’appuyaient
sur leurs relations parmi les critiques et théoriciens de l’art pour se faire connaitre et
promouvoir leurs créations. Notamment, par leur installation aux É tats-Unis.
Les critiques deviennent, dans ce système, moins impartiaux, et donc moins fiables aussi.
Ils deviennent partie intégrante de la société de consommation, à l’instar des galeristes et
marchands d’art. Malgré cette thèse d’Adorno, cependant, dans la société capitaliste, divers
68
“Light art has been the shadow of autonomous art. The truth which the latter necessarily lacked because of its
social premises gives the other the semblance of legitimacy. The division itself is the truth: it does at least
express the negativity of the culture which the different spheres constitute. Least of all can the antithesis be
reconciled by absorbing light into serious art, or vice versa. But that is what the culture industry attempts.” M.
Horkheimer and T.W. Adorno, dialectic of Enlightenment, London : Verso, 2010, p. 135.
69
Cité par John A. Walker, Art in the Age of Mass Media, op. cit., 1983.
266
mouvements artistiques apparaissent comme la néo-avant-garde, la post-avant-garde, et le
postmodernisme. Mais leur objectif est un art expérimental et la participation sociale ainsi que
le caractère politique de l’art sont abandonnés au profit de son automne. Ces formes d’arts
intellectualisées lui ont aliéné la communication avec le public.
Thomas Crow commente un changement de la sous-culture dans le contexte d’une
économie capitaliste :
Nous pouvons retrouver ce cycle dans l’activité de Basquiat. Celui-ci se définissait comme
un artiste du néo-expressionisme. Pouvons-nous comparer son œuvre à celles de Cy tombly et
A.R. Penk contrairement à Keith Haring ? Le problème de Basquiat est qu’il n’a jamais pu
dépasser le style du graffiti. Peut-être que Basquiat aurait dû être un grand peintre et pour
70
“The context of subcultural life is the shift within a capitalist economy toward consumption as its own
justification. The success of this shift – which is inseparably bound up with the developing management of
political consent – depends on expanded desires and sensibilities, that is, the skills required for an ever more
intense marketing of sensual gratification. […] while it is true that the apparatus of spectacular consumption
makes genuine human strivings – even the resistance it meets – into reified commodities, this is no simple
procedure: exploitation by the culture industry serves at the same time to stimulate and complicate those
strivings in such a way that they continually outrun and surpass its programming. The expansion of the cultural
economy continually creates new fringe areas, and young and more extreme members of incorporated
subcultures will regroup with new recruits at still more marginal positions. So the process begins again.” Thomas
Crow, « Modernism and Mass Culture », op.cit., pp. 251-252.
267
certaines personnes, il en restera toujours un : tous les ingrédients pour un style intensément
personnel, à la fois enrichi par les énergies de la rue et influencé par la tradition moderne,
semblaient sûrement disponibles à ce moment-là pour cet artiste ambitieux. Mais quand bon
même serions-nous désireux d’embrasser ces peintures et leur créateur graphique, reste un
sentiment que son art appartient moins à l’expérience particulière et extraordinaire.
La rhétorique néo-expressionniste des gestes acceptables est devenue, au milieu des années
quatre-vingt, la base de tout usage marchand, achat ou vente sur le marché de l’art 71. Ses
peintures évoquent finalement moins le voyage sur le Number Five line à Pelham que l’avion
de Lufthansa, faisant la navette entre SoHo et Ducumenta 72 . Il a été recouvert de divers
graffiti, délibérément dans le style graffiti artistique des dessins d'enfants, ou des peintures de
Dubuffet et du Primitivisme. Le Samo avec ses messages a présenté la parole libre à
contrairement au tag sans message. (fig. 105) Le Samo montre deux types qui sont la
signature et le logo. Mais la Peinture de Basquiat qui semble naïve, et la technique naturelle et
primitive, est en réalité, construite, raffinée, hypocrite, et simplement truquée pour être
exposée dans les galeries. (fig. 106) Basquiat s’est perdu son idée rebelle dans le système.
C’est-à-dire, son style s’est fermé pour la galerie, comme le graffeur, Futura 2000, qui s’est
développé du style à l’abstrait, Bando vers la calligraphie et Crash vers le graff à la peinture.
Ce problème persiste chez les street artistes jusqu’à aujourd’hui. Hal Foster analyse ce
problème d’après une approche critique :
71
Benjamin H.D. Buchloh, « Figures of authority, Ciphers of Regression: Notes on the Return of Representation
in European Painting», October, no.16, 1981, pp. 39-68: Hal Foster, Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics,
op.cit., p. 49.
72
Kirk Varnedoe, Adam Gopnik, High & Low : modern art & popular culture, op.cit., p. 381.
73
“There are other reasons why graffiti was ordained an art – its economic value could not be assured without
such a taxonomic shift – but surely the subversion of the subversive is a principal motive. The official reclaims
268
Vide, illisible, le graffiti a défié la fausse plénitude de sens dans ce code. En outre, il a
ignoré la syntaxe donnée, le soutien, l’espace de la ville. Hal Foster présente les problèmes
des phénomènes des graffitis américains quand Baudrillard examine un élément positif du
graffiti. Il explique :
Il estime que le graffiti art de Basquiat est similaire et soutient presque le style de Dubuffet
et Cy Tombly. Au début des années 1980, nous assistons un peu partout à une prolifération de
nouveaux signes, technologiques et métropolitains, qui recherchent de nouveaux espaces où
agir (pancartes publicitaires, wagons du métro, murs des quartiers périphériques). Le
graffitisme se développe surtout à New York dans le but de redonner une nouvelle identité à
l’artiste qui, en dehors des techniques et des lieux codifiés de l’art, se confronte lui-même et
son propre signe aux innombrables signes et lieux de la ville75.
the unofficial, the galleries absorb the graffitists. Thus the street-artist Samo becomes Jean-Michel Basquiat, the
new art-world primitive/prodigy ; and the work of Keith Haring, a mediatory figure in graffiti-become-art,
appears on the huge Spectacolor sign atop Times Square (January 1982). Graffiti, the act of antimedia response,
becomes an art in the media of irresponsibility.” Hal poster, Recording: Art, Spectacle, Cultural politics, op,cit.,
p. 49.
74
“This reading is romantic now: graffiti is largely mediated; even on the streets it has become its own reified
ritual. Not only are these “empty” signs filled with media content, but a few are invested with art (economic)
value, anonymous tags become celebrity signatures. Rather than circulate against the code, graffiti is now mostly
fixed by it: a form of access to it, not transgression of it. Like the cartoons and comics in much East Village art,
graffiti art is concerned less to contest the lines between museum and margin, high and low, than to find a place
within them.” Ibid., pp. 51-52.
75
Leoredane Parimesani, L’art du XXe siècle : Mouvements, théories, écoles et tendances 1900-2000, Paris :
Skira, 2006, p. 91.
269
Au début des années 1980, c’est à New York, puis dans le monde entier, qu’explose le
phénomène du graffitisme. Loin de se circonscrire au mouvement hip-hop qui émerge à
l’aube des eighties, le graffiti se frotte alors à la new wave et au punk. Les représentants les
plus significatifs de ce mouvement sont Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, A-One, Futura
2000, Ronnie Cutrone, Rammellze, Ero, James Brown et de nombreux autres, présentés en
Italie par Francesca Alinovi 76 . En 1978, Stefan Eins, sculpteur autrichien et membre du
groupe artistique engagé Co-Lab, ouvre ainsi dans le Bronx la première galerie de graffiti :
Fashion Moda. Deux ans plus tard, Co-Lab organise à Times Square une exposition qui réunit
dans un même espace graffeurs, féministes, artistes politiques et tenants d’un renouveau de la
figuration. Lee Quinones y rencontre Jean-Michel Basquiat, Keith Haring et Jenny Holzer77.
En 1981, Il y a une exposition New York New Wave organisée par Diego Cortez au centre
d’art P.S.1 (Moma) à New York. Des artistes installés tels qu’Andy Warhol y côtoient des
graffiti-artists tels que Seen ou des peintres inspirés par cette culture tels que Jean-Michel
Basquiat. À partir de ce moment-là, tous deux connaitront la célébrité et seront souvent
associés à l’art du graffiti qu’ils pratiquaient par ailleurs, mais en dehors des codes du writing.
En 1982, un artiste iranien nommé Tony Shafrazi, qui avait ouvert sa propre galerie et qui
avait affirmé que son action artistique n’était pas du vandalisme mais une complétion du
tableau, deviendra plus tard un important marchand d’art américain, qui représentera
d’ailleurs plusieurs artistes liés au graffiti : Keith Haring, Jean-Michel Basquiat ou encore
Kenny Scharf. En 1983, sous la dénomination de Post-graffiti, le galeriste Sidney Janis,
célèbre pour ses succès avec les artistes du pop art souhaite marquer une transition des
graffitis illégaux réalisés dans l’espace public à des tableaux sur toile à l’aérosol 78 . Il a
également organisé au musée d’Art moderne, l’exposition 5/5 figuration libre, France/USA.
A cette période, à l’instar des taggeurs dont les graffs se multiplient, Keith Haring, Basquiat,
Jenny Holzer, et Richard Hambleton, sont acceptés et se placent dans l’histoire de l’art
contemporain. Dans un milieu tendu entre minimalisme et néo-expressionnisme, les toiles
peintes par les writers sont au mieux perçues comme une forme maladroite de primitivisme,
au pire comme une trahison commerciale des folklores afro – et latino – américains79.
76
Ibid., pp. 91-92.
77
Stéphanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 55.
78
Johannes Stahl, Street art, op.cit., p. 151.
79
Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 56.
270
Issus de ghettos du Bronx et de Brooklyn, de la rue et d’une culture « rudimentaire », ces
artistes pratiquent une peinture-signe grouillante et frénétique, au départ dans les espaces
publicitaires de la ville ou sur les wagons du métro, puis dans les galeries et dans les musées.
Les signes qu’ils produisent, toutefois, n’ont plus la valeur idéologique ni celle de protestation
sociale qui avait caractérisé par le passé cette forme d’expression ; ils sont plutôt à la
recherche d’un langage artistique où le signifiant ne renvoie plus à aucun signifié. Ce sont des
signes anarchiques et technologiques, autant dans leur structure que dans les matériaux
employés comme les bombes spray, qui partent du recel et cherchent à s’y confronter. C’est
un « art de frontière », comme le définit Francesca Alinovi, « qui se situe dans un espace
intermédiaires entre culture et nature, masse et élite » 80 et qui, par le biais de l’ironie,
recherche la possibilité d’un dialogue avec les différentes poétiques artistiques.
Signes et lettres, figures et signatures s’enchevêtrent dans les graffitis américains,
proposant sans cesse non seulement un nouveau signe et un nouveau décor, mais surtout un
nouveau sujet qui veut agir dans une complète liberté à l’intérieur de l’infinité des signes que
la culture, supérieure et inferieure, crée continuellement81. Les graffitis ont trouvé la forme de
l’art en respectant toutes caractéristiques leurs rebelles. Mais cette tendance est devenue la
standardisation, l’exploitation commerciale et la sclérose du genre. Dans le « Jazz », Adorno a
dit : « Si l’on risquait encore, dans le domaine de la musique légère, la tentative de percer
avec quelque chose de différent, elle serait condamnée à l’avance par la concentration
économique »82. D’ailleurs, Adorno hausse le ton décrivant les mécanismes qui caractérisent
en réalité toute l’idéologie actuelle et toute l’industrie culturelle.
80
Voir Francesca Alinovi, Arte di frontiera. New York Graffiti, Rome : Mazzotta, 1984.
81
Leoredane Parimesani, L’art du XXe siècle : Mouvements, théories, écoles et tendances 1900-2000, op.cit., p.
92.
82
Theodor W. Adorno, Prisme : Critique de la culture et société, op.cit., p. 125.
271
lequel elle proteste. Devant lui, elle adopte un ton sournois et piteux qui se déguise
tout juste encore furtivement en un ton aigu et provocant. […] Le jazz est la fausse
liquidation de l’art : au lieu de se réaliser, l’utopie disparait de l’image »83.
C’est la distinction entre le jazz authentique ou jazz art et le jazz commercial. Adorno
perçoit l’aspect excessif, insoumis du jazz. Mais il critique la différence entre les types de jazz
concernant leur manière et leur vassalisation dans la démarche musicale. Dans cette sphère
commerciale, les graffiti ne font pas exception.
Entre les graffiti writing et le street art, la différence n’est pas seulement relative à la
qualité. C’est une différence en quelque sorte ontologique84. Nous avons étudié les limites et
les problèmes du graffiti writing pendant les années 1970 aux É tats-Unis. Ce phénomène
culturel était rebelle afin de présenter son époque, mais il avait les limites de l’œuvre d’art.
Les adolescents writers ne peuvent pas approcher les problèmes sociaux et politiques et
critiquer leur société comme l’artiste. Alors l’attachement au style et le goût de la flatterie par
la galerie ne dépassent pas le système de l’art commercial. Le travail est de plus en plus
devenu décoratif et esthétique. Enfin, les activités fixent l’action répétitive qui est
insignifiante et éloignée de la communication avec le public comme une excrétion. Nous
somme continuellement coincés chez Adorno entre la réinterprétation de l’esthétique et les
théories de la perspective nouvelle sur les graffitis.
En cas de commercialisation de l’art léger, comme Adorno et Horkheimer l’ont mentionné,
la division entre art noble et art léger est-elle justifiée par l’industrie culturelle? Est-ce à
raison qu’ils constituent différentes sphères ? En France, l’art urbain commence en critiquant
fortement le monde artistique existant avec l’avènement de l’expression libre des artistes
comme une performance, le graffiti art, les activités artistiques illégales ou l’art officiel. Dans
la rue des années 1980, les œuvres des artistes, les peintures murales, les graffs, et les œuvres
d’art publiques sous la direction du gouvernement et des projets des conservateurs se
mélangent les uns avec les autres, et diverses techniques esthétiques se développent.
Avant tout l’apparition de nouvelles générations de peintres qui contrastent avec la sévérité
des années 1970 comme dans l’art minimal et conceptuel, l’Arte povera, le Supports/Surfaces,
etc. Toute forme d’art sans frontière de genre culturel et d’origine géographique, sans
hiérarchie de valeurs entre culture et sous-culture, est très médiatisée dans les années 1980,
83
Ibid., pp. 132-135.
84
Denys Riout, « le graffiti, la rue et le musée », L’esthétique de la rue, op. cit., p. 202.
272
Dans ce climat artistique, nous allons nous intéresser à la manière dont les graffitis s’installent
dans la sphère de l’art grâce à l’attitude sincère des œuvres d’art. Le mouvement artistique du
graffiti n’est pas seulement un outil artistique, il est également une véritable pratique de l’art.
Durant les années 1970, un nouveau type de peinture murale est apparu dans les régions
défavorisées et les vieux quartiers des villes, en Europe et aux É tats-Unis. Ces peintures
murales propres à communauté ethnique particulière, défavorisée doivent être distingués des
autres types d'art, c’est-à-dire, des statues, des monuments commémoratifs de guerre, des
fontaines, des peintures murales d’artistes et de graffitis, dans la rue et les espaces publics. Ce
qui les distingue est le processus de consultation et de dialogue entre les décideurs et leur
public. Le procédé du travail est plus important que le résultat obtenu. Dans leur contenu, les
peintures murales reflètent l’histoire, les aspirations, les plaisirs et les problèmes des
personnes par le biais d’une conversation murale dans leur quartier, présentant leur culture et
les valeurs de leur vie.
Et, s’agissant des origines artistiques du street art, et de son dû à l’histoire des formes, force
est aussi d’évoquer le muralisme. Le muralisme n’est pas loin d’avoir toujours existé, depuis
l’aube des temps humains. La décoration des cavernes, les fresques, les vitraux ressortissent
en soi au genre muraliste. S’il y a convergence entre muralisme et street art, c’est au regard,
en premier lieu, du support utilisé, qui est le mur, dans l’un et l’autre cas essentiel, catalyseur
de l’expression et de la création, contextuellement. Mais le muralisme traditionnel, le plus
souvent, a partie liée avec l’officialité. La décoration y sert de lexique magnétique pour des
peuples sans écriture ou qui attendent de l’image une vocation pédagogique. Le muralisme
politique mis en place au XXe siècle a, ainsi, pour objet de cimenter la collectivité autour de
grandes idées telles que culte du progrès, fraternité, bonheur ou héroïsme des peuples85.
85
Sous la direction de Paul Ardenne, Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p. 19.
273
Malheureusement, la rhétorique picturale de la plupart des peintures murales des années
1970 n’atteint pas un niveau élevé (voir, par exemple les peintures murales mexicaines
comme celles de Diego Rivera dans les années 1920 et 1930). Cependant, le Morgan’s wall
(mur de Morgan) » ou The Good, The Bad and the Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand)
(1979) (fig. 107), près du Thames à Londres, peint par Brain Barnes et une équipe d’assistants
montrent un premier aspect des œuvres de « l’art public »86 de cette période.
Le côté gauche de cette peinture célèbre la vie quotidienne et les désirs du public local,
tandis que le côté droit dépeint les problèmes sociaux de la région et interroge sur les
différents plans de développement pour le site de la rivière. Cette fresque a suscité beaucoup
d'attention. Ses critiques se sont révélées tellement embarrassantes pour les politiciens
conservateurs locaux et la société industrielle à qui appartenait le mur que ses auteurs ont
frappé au milieu de la nuit. Mais ce type de peinture murale, a comme limite de ne présenter
qu’un caractère local de la contestation ou de la lutte politique. Les grandes fresques colorées
ont représenté une intervention spectaculaire dans l’environnement de la ville, mais de
nombreuses peintures n’ont finalement servi qu’une fonction esthétique. C’est-à-dire qu’elles
ne consistaient qu’à décorer ou à améliorer visuellement des logements sociaux peu onéreux
et construits grossièrement en apparence.
À la suite de l’élection d’un gouvernement de droite en Grande-Bretagne et aux É tats-Unis
dans les années 1980, le soutien à ces peintures murales communautaires s’affaiblit. Au lieu
de cela, un changement d’orientation s’opère vers « l’art public ». Le concept du terme «
public » est encore nébuleux, cependant il ne s’agit pas d’un mouvement artistique ou d’un
genre d’art, il peut être considéré comme une option des caractères de l’art. Au contraire de ce
climat, la France découvre l’art urbain dans un contexte différent. Paris est le lieu où les
peintres et les expressions poétiques guettent le surgissement de la beauté et de l’art. La
révolte s’habille de noir et d’exigence radicale de liberté d’opinion et d’expression, fait émerger
86
Comment la présence de l’art public se manifeste-t-elle dans l’espace urbain ? Depuis le premier inventaire sur
l’art public dans les espaces publics, la « Statuaire » a changé de nom et de visage. Elle est communément
appelée l’ « art public », n’expose plus d’effigie, ne commémore plus d’événement. L’art public, ce terme est
utilisé pour la première fois en 1967 dans « Art in a City » par John Willett. Dans la conception de l’art sur le
sentiment du public, Il a inventé l’art public avec l’idée qu’un goût artistique pour une poignée de spécialiste, a
un directeur, un marchand de tableaux, un conservateur, un critique, un collectionneur, et etc., représente la
sensibilité artistique du public. D’une manière générale, l’art public désigne l’œuvre d’art officiel par le
gouvernement, le projet d’art, et les galeristes collectives. Aujourd’hui l’art public inclut des genres diverses :
une sculpture, une fresque, street fourniture, une bâche, etc. Par exemple, un panneau d’annonces électroniques
par Jenny Holtze, une publicité par Barbara Kruger, l’œuvre Vidéo par Krzysztof Wodiczko ont développé le
domaine de l’art public avec une manière qui harmoniser la critique sociale et la forme de l’œuvre.
274
un débat. Finalement, À partir des années 1980, le mouvement des graffitis se transforme et se
complexifie par le rendez-vous d’artistes qui utilisent non seulement les données formelles de
l’art comme Dubuffet, mais aussi l’activité et les motifs du graffiti, comme les artistes
d’avant-garde dans l’art urbain. La rue française reflète leurs différents idéaux, les artistes
urbains montrent leurs perceptions du monde qui nous entoure et cela nous permet de mieux
le comprendre.
Le pochoir de Blek le rat contribue tout particulièrement au progrès du mouvement des
graffitis qui est devenu le mouvement street art et pose les bases de ce mouvement artistique
contemporain dans l’histoire de l’art du début des années 2000. Le terme street art marque
une première reconnaissance institutionnelle de pratiques artistique utilisant la rue comme
support. Contrairement au graffiti writing, tourné uniquement vers le travail du pseudonyme,
il englobe de nombreuses techniques (pochoir, collage, bombe aérosol, acrylique, mosaïque)
et de nombreux artistes aux démarches différentes. Ces artistes exposent autant leur travail au
passant de la rue qu’au public des galeries. Terme adapté aux besoins du marché de l’art
contemporain, le street art contribue à différencier graffiti et vandalisme. Le street art est un
mouvement artistique contemporain et une intervention artistique dans la ville qu’elle soit
illégale ou non. Ce terme regroupe donc, tout à la fois, les graffiteurs, pochoiristes, peintres,
créateurs d’installations et poseurs de stickers au sein de l’espace urbain. Sur cette nouvelle
vague, nous allons pouvoir constater divers objectifs, une dénonciation économique et
politique, et une attitude critique et sociale.
Les premiers symptômes de ce mouvement sont apparus au début des années 1980. La
peinture de rue a pris diverses formes telles que :
En premier lieu, les peintures officielles et propagandistes du muralisme du début du XXe
siècle ; auxquelles succèdent, au tournant des années 1960-1970, d’autres formes de création
picturale sollicitant également la rue, mais cette fois de manière clandestine. Leur perspective
n’a plus comme priorité que la décoration visuelle ou l’édification politique du citadin ;
En second lieu, l’activité d’artistes de rue comme Jenny Holzer, Barbara Kruger, et
Guerilla Girls ou les courants de l’art public, et plus particulièrement aux États-Unis ; Dans le
même temps, en France, le mouvement situationniste a défini les principaux points
idéologiques pour les théories et les actions. En partant de l’analyse et de la critique du
contexte socio-politique, les situationnistes élaborent une théorie artistique dans laquelle ils
remettent en question tous les aspects de la vie collective qui font partie du système de
l’Hexagone. Les œuvres d’art produites suivant ces principes peuvent briser les barrières entre
275
tous les genres et tous les styles, afin de créer une dérive interne à l’individu et à la société.
Comme Daniel Buren, Gérard Zlotakymien et Ernest Pinon-Ernest en France, les artistes
commencent leur activité dans la rue ;
En pour finir, comme Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Richard Hambleton, Kenny
Scharf, les jeunes artistes américains graffent dans la rue ou le métro ; Comme Blek le rat ou
Miss Tic., les artistes français qui utilisent les pochoirs ou les artistes comme VLP qui
peignent veritablement, le font sur les murs ou panneaux publicitaires ; l’afflux du graffiti
writing en France s’empare de la ville comme un média de libre usage qui « graffe » à sa
guise comme Bando.
Toutes ces formules se vulgarisent dans la rue. Dans les chapitres précédents, nous avons
abordé plus précisément les courants de graffitis français. Plutôt que la provocation et
l’esthétique d’autres mouvements européens du XXème siècle, la stratégie principale de
l’artiste situationniste était l’action politique. En 1968, les slogans des affiches et des
dépliants sont apparus à la Sorbonne et à l’école des Beaux-Arts, complètement occupées par
les étudiants. La plupart de ces graffitis reflètent cet esprit rebelle des manifestants. Affiches,
spray, déclarations peintes, tous ces graffitis situationnistes sont devenus une forme de poésie
et d’ironie dans les rues de Paris. Les méthodes situationnistes étaient de toute évidence une
forme d’activisme politique, et elles sont restées élitistes et utopiques.
Nous nous sommes plus intéressés aux graffitis européens des artistes et anonymes qu’au
graffiti writing américain, et ce, du fait de leurs fonctions sociales. Nous allons nous interroger
sur la question conditionnant l’œuvre d’art en citant la théorie de T. Adorno. S’agit-il de faire
valoir un art au contenu critique et des pratiques artistiques telles que l’art interventionniste,
l’art engagé de caractère activiste, l’art in situ, ou les diverses manières artistiques développées
dans le cadre d’un espace public ? L’artiste lui-même se glisse dans le paysage, physiquement,
pour le travailler, le modifier et le critiquer. Un art en relation avec l’économie ? Les artistes
se transforment : leur action est à la fois activiste et critique.
Plus tard, quand les graffitis de style américain arrivent en Europe, ils changent la donne,
mais les thèmes prédominants dans l’art de rue français sont toujours contre le capitalisme et
pour la « libération » du système de l’art bourgeois construit des années 60 aux années 70.
Les artistes se sont essayés à de nouvelles formes d’art en permettant à chaque artiste de
représenter ses idées et sa manière particulière d’appréhender la société. Ils sont sortis dans la
rue, parce que les expositions ont acquis une essence politique : elles font partie des moyens
privilégiés par lesquels se documentent et s’illustrent la coopération internationale, l’identité
276
nationale et régionale, et la culture d’un État, et l’art des musées est réservé à une élite ou
conditionné par des critères esthétiques complexes87. Les musées d’art interdisent l’accès à la
culture au grand public. Bon nombre d’actes artistiques, parfois illégaux, se dirigent donc
contre les musées ou contre des expositions officielles. En imposant des mouvements tels que
l’Internationale Situationniste, le Fluxus ou l’art conceptuel, cette pulsion de proximité
factuelle entre artiste et public désigne des formules artistiques contextuelles politiques, et
cette politisation du propos en appelle à l’engagement solidaire.
Le début des années 1980 fut la période du rock punk et alternatif, des sous-cultures
underground. Pochoirs, peintures au pistolet, graffitis, sont tous devenus des outils utiles pour
passer le mot du punk-collectif. L’art de rue français touche à toutes les formes d’expression
qui se moulent dans le tissu urbain et au contact direct du spectateur : performances publiques,
théâtre, processions de saltimbanques, expression circassienne in situ… Ernest Pignon-Ernest
et Gérard Zlotykamien étaient deux des premiers artistes de rue de la période post-
situationniste. Ils ont travaillé avec des thèmes et des problèmes sociaux en considérant les
lieux dans la société moderne. Ils sont devenus des personnalités très influentes et une source
inépuisable d'inspiration pour les artistes ultérieurs.
Les graffitis ne sont plus les seules figures de l’expression populaire. En effet, la ville est
devenue aussi le lieu d’intervention artistique où débutants, confirmés, réguliers et
occasionnels s’exposent. Situé entre le muralisme, l’art public, et le graffiti writing, ce street
art ou « art urbain » se manifeste partout où il est loisible de s’exprimer et s’exposer88. De
plus en plus d'artistes de l’art urbain sont donc inspirés par leur contexte particulier comme
Gérard Zlotykamien et Ernest Pignon-Ernest, qui ont commencé à partager leurs messages
dans les rues de Paris.
Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas fait de distinction historique ni esthétique, parce que
les artistes années des 1980 travaillent jusqu’à aujourd’hui et les problèmes posées par
l’esthétique et l’histoire de l’art continent jusqu’à maintenant. Nous ne pouvons pas distinguer
la période des années 1980 et des années 2000 jusqu’a aujourd’hui pour les querelles
esthétique de ce mouvement artistique et leurs activités existantes. Cependant, nous avons fait
fusionner ces deux champs, parce que les techniques évoluent à cette période et elles sont une
87
Voir Brain O’Doherty, The ideology of the Gallery Space, Santa Monica/San Franciso : The Lapis Press,
1986 ; Hubert Glaser, L’art de l’exposition, Paris : Regard, 1998, cité par Paul Ardenne, Un art contextuel, op.cit.,
pp. 25-27.
88
Bernard Fontaine, Graffiti : Une histoire en images, op. cit., p. 67.
277
source d’inspiration pour les jeunes artistes du début des années 2000. Le street art devient un
phénomène mondial par le biais des Festivals, galeries, musées, maisons de ventes aux
enchères, éditeurs, de la presse, du cinéma.
Nous nous interrogeons donc pour déterminer le lien entre le mouvement suivant que nous
appelons post-graffiti et la question esthétique soulevée qui sera continuellement abordée dans
la quatrième partie. Dans d’autres mouvements de la rue comme le Happening, la
performance, le muralisme, et l’art public, comment celui-ci fonctionne-t-il ? S’agit-il de faire
valoir un art de contenu critique contrairement au graff ? L’artiste lui-même change-t-il dans
le monde de l’art ? Comment le caractère éphémère d’une œuvre d’art en relation avec
l’économie, s’approprie-t-elle ce système artistique ? L’artiste dans l’art urbain devient-il
initiateur des événements artistiques contemporains ?
Dans cette histoire de l’art urbain français, nous analyserons les œuvres de Zlotykamien et
d’Ernest Pignon-Ernest. Dès la fin des années 70, les artistes, dans un contexte d’émancipation
et d’ouverture, commencent à rejeter la toile mais aussi l’espace clos des galeries et des
musées. La galerie, c’est la rue. En 1977, Ernest Pignon-Ernest pose au pochoir des
silhouettes humaines noires à partir de photos des habitants d’Hiroshima sur le plateau
d’Albion, dans le Vaucluse. Considérant que le pochoir ne permet pas « un investissement
suffisant du dessin », il l’abandonne pour recourir au collage de sérigraphies sur papier
journal à partir du début des années 70 89 . Quelles sont les questions qu’ils posent sur le
système de l’art et la représentation esthétique formelle et le contenu artistique? Et les
personnages des murs inspirent-ils par la suite le travail des artistes au pochoir dans l’art
urbain ?
Ensuite, nous nous pencherons sur l’œuvre de quelques artistes français de la rue des
années 1980. Les artistes utilisent les « picturo-graffitis », la peinture, la publicité, l’affiche,
les pochoirs. Nous allons principalement nous pencher sur les artistes qui utilisent le pochoir
comme Blek le Rat. Les pochoiristes et les artistes urbains mènent la danse avec des milliers
de peintures dans les rues, et les writers émergent peu à peu avec l’apparition de la culture du
hip hop et de la culture new-yorkaise90. Dans Stencil History X (2007), Samantha Lonhi tente
de faire l’historique du pochoir en tant qu’art de rue de la manière la plus fidèle possible,
89
Samantha Longhi, Stencil History X, Paris : C215, 2007, pp. 6-8.
90
Céline Remechido, Michel Chanaud, Paris, De la rue à la galerie, Paris : PYRAMYD, 2011, p. 7.
278
depuis son émergence dans les années 80 jusqu'à aujourd’hui, en se focalisant bien sûr sur la
capitale française et ses artistes. Leur pratique est à la croisée de la sérigraphie, de la peinture,
de la photographie et du dessin. En 1981, Blek le rat pose les bases d’un nouveau genre91.
Nous allons donc classer les principaux artistes français dans des catégories établies d’après
leurs méthodes et leur style artistique. Nous présenterons leurs activités et leurs objectifs
artistiques, ainsi que les questions qu’ils posent dans l’art contemporain.
C’est pourquoi dans les années 1960, la ville devient le décor d’actions banales et
microscopiques où le mouvement et la participation du public sont des leitmotivs. Entre 1958
et 1962, l’artiste allemand Wolf Vostell conduit ainsi à Paris une série de happenings dont la
particularité est qu’il n’en est pas l’exécutant, mais le compositeur et le metteur en scène. Ce
programme dont les objectifs sont sociaux trouve dans la rue le moyen de se réaliser
doublement. Tout d’abord, la ville est par excellence l’espace du quotidien, au contraire des
galeries et institutions où ne s’exposent que des professionnels. Elle offre donc un cadre
idoine où soustraire l’art au commerce en dissolvant toute velléité de conservation dans
l’instantanéité du happening. Enfin, elle permet de solliciter la participation d’un public
91
Samantha Longhi, Stencil History X, op.cit., p. 6.
279
nouveau, et de travailler la séparation entre l’artiste et le spectateur dont Guy Debord avait
entrepris dix ans plus tôt la critique. Le contexte spatial de l’œuvre in situ n’en épuise pas à
lui seul l’interprétation. Ephémères, soumises aux intempéries, au vandalisme, à l’incurie des
passants, leurs créations dans et/ou pour l’espace urbain nouent aussi une nouvelle relation au
temps. Désormais, l’œuvre d’art n’est plus destinée à la conservation, bien au contraire : elle
s’affirme comme éphémère, et sa fragilité aussi est porteuse de sens.
Cette volonté de rompre avec des productions durables rapproche les artistes que nous
venons de citer de l’esprit de Fluxus, dont certains membres investissent également la ville
comme nouvel espace d’art. L’attrait de Wolf Vostell, George Maciunas, Yoko Ono, Ben
Patterson ou Robert Filliou (même si ce dernier reste en marge du mouvement) pour la rue
tient d’abord au projet de cette avant-garde placée dans le droit fil de Dada et des
situationnistes : faire coïncider l’art et la vie, combattre la culture bourgeoise, « intellectuelle,
professionnelle et commercialisée », attaquer « l’objet d’art comme marchandise non
fonctionnelle destinée à être vendue et à faire vivre un artiste »92.
Les beaux-arts voient, en particulier, refleurir l’autocritique qui avait constitué le socle du
modernisme. En France, la révolte se concentre sur ce qui est par excellence le medium de la
discipline : le tableau. Une jeune peinture nourrie aux avant-gardes déconstruit son medium
pour mieux en circonscrire le champ. Quand Buren, Mosset, Parmentier et Toroni (dits
BMPT) cherchent dans la répétition d’un même motif à atteindre le « degré zéro de la
peinture », Fromanger ou la bande de Support/Surfaces débordent ou font éclater le cadre de
la toile. Il y a d’abord dans leur geste une traduction plastique du constat formulé par Debord
dix ans plus tôt sur la mort de l’esthétique, et selon lequel « depuis un siècle toute démarche
artistique part d’une réflexion sur sa matière, aboutit à une réduction plus extrême de ses
moyens ». Mais leur mise en question du tableau s’apparente aussi à une fronde : fronde
contre l’école de Paris qui domine alors le paysage culturel français, fronde contre des
institutions qui ne laissent guère de place à la jeune peinture, plus généralement fronde contre
une société dans laquelle l’art tend à se confondre avec les industries culturelles. Certains
dévient le regard porté sur l’objet d’art, vers son contexte et dans la rue93.
Notre étude porte son attention sur ce courtant d’avant-garde européen dans la rue, parce
que les artistes du mouvement du street art des années 80 sont liés au climat d’activisme
92
Manifeste Fluxus, George Maciunas, 1963, cité par Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art,
op.cit., pp. 35-38.
93
Ibid., pp. 27-29
280
politique de l’époque. En effet, les artistes français ont plus d’idées et de moyens d’expression
critiques qu’aux États-Unis. Leur perspective critique est l’une des raisons pour lesquelles le
graffiti a pu devenir et être considéré comme un mouvement artistique dans l’histoire de l’art
contemporain. Et les artistes de cette période, et plus particulièrement les artistes au pochoir,
sont devenus une véritable source d’inspiration pour les jeunes générations depuis les années
2000.
Cet art urbain éclos et se nourrit de toutes les révoltes et se situe de délibérément aux
marges de la légalité et du marché de l’art. Il fallait rien moins qu’un contexte marqué par le
renouveau des avant-gardes, la guerre froide, la vague contestataire de 1968, l’émergence de
la contre-culture, l’avènement de la société de consommation et l’explosion urbaine. Dans le
même temps, certains artistes s’affranchissent de l’espace du Musée pour travailler dans et
avec la rue94. Nous allons tenter d’établir une relation stylistique et objective entre l’activité et
le mouvement artistique des graffitis en nous penchant sur les œuvres de Gérard Zlotykamien
et d’Ernest Pignon-Ernest. Leurs travaux, au niveau du mouvement du street art, donnent les
fondations de l’utilisation du pochoir par les artistes. Par le biais d’une expression esthétique
simple et d’une approche critique sur leur société, leurs représentations formelles se
poursuivent dans les activités des street artistes
Ils observent les lieux, à quoi résistent-ils dans l’espace public ? Leur activité amène-t-elle
les artistes de la rue vers l’art contemporain ?
94
Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op.cit., p. 35
Les années 1960 marquent le début de l’investissement de la rue par l’art. Par exemple, Alain Arias-Misson fait
partie des premiers a adopter cette démarche. Né en 1936 à Bruxelles, il grandit à New York où ses parents
s’installent durant la Seconde Guerre mondiale. Ecrivain, poète, il invente en 1965 le « Public Poème » qui
consiste à faire sortir l’écriture de la feuille de papier pour la faire apparaitre dans l’espace public.
281
la conception de l’art de Duchamp, ainsi, plutôt que d’exposer dans les musés, il préfère le
faire dans la rue.
En 1969 Zlotykamien descend dans la rue pour dessiner sur les murs et autres palissades
ses silhouettes en traits noirs, blancs, rouges et parfois blanc sur blanc. Elles représentent deux
effacements des masses que sont Hiroshima et les camps de concentration. Figures
embryonnaires et désincarnées, elles frappent par le peu de moyens qui les font apparaitre, et
disparaitre instantanément. Ces figures nommées Ephémères sont exclusivement réalisées à la
bombe aérosol. Cet acte est totalement novateur puisque Zlotykamien utilise le premier cet
outil pour dessiner sur les murs de Paris, et non plus pour marquer des slogans politiques.
Avec d’autres moyens, Ernest Pignon-Ernest ou Jean Tinguely étaient parmi les rares artistes
à avoir investi la rue avant Zlotykamien95.
Il a tourné le dos au monde de l’art. Créer dans et pour l’espace urbain permet tout à la fois
d’échapper aux circuits économiques de l’art, de mettre en question le statut de l’artiste, et
d’inviter le public à développer ses propres capacités de création. Mais s’ils proposent une
critique en acte des institutions, les artistes dont il a été jusqu’à présent question ne délivrent
pas de messages politiques explicites. Alors que, dans les années 1960, les interventions des
artistes dans l’espace urbain se font généralement par voie d’affiche. Mais Zlotykamien, à partir
de 1963, adopte d’emblée la bombe aérosol en présentant d’étranges silhouettes apparaissant
sur les murs parisiens (fig. 108).
Zlotykamien se fait, courant 1970, remarquer, en dessinant à la bombe des silhouettes
fuyantes, fantomatiques, légères, en contradiction avec les chantiers dont le fameux « trou des
Halles » sur Paris pendant neuf ans (1971-1979).
« Quand j’ai commencé à peindre à l’extérieur, au début des années 1960, tout
Paris était en travaux, raconte l’artiste. Les Halles étaient en construction, il y avait
des palissades autour de la Comédie-Française, ils commençaient à restaurer le
Louvre. Malraux était ministre, on restaurait tout »96.
En y apposant ses œuvres, les « éphémères », sont mémoire de la grande Histoire, les
ombres murales laissées par la guerre après l’explosion d’Hiroshima. Sa technique permet de
peindre vite en noir et offrira de multiplier les interventions artistiques sur les murs parisiens
95
Ibid., p.68.
96
Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 35.
282
jusqu’au début des années 1980. Pourquoi est-il un combattant de l’ombre, un résistant ?
Michel Ellenberger répond : « Résistant à quoi ? Au système officiel de l’art, à sa promotion
mercantile, à la parlote pseudo-culturelle et médiatique qui l’accompagne » 97 . Il explique
également :
« Son personnage sériel produisit une impression durable. Il faisait beaucoup plus
qu’exprimer le désarroi de l’homme de la rue, l’inquiétude du citoyen face aux
bouleversements qu’il subissait comme un cataclysme naturel. Il ne se contentait
pas de dénoncer l’incurie des responsables politiques, il invitait les citoyens à réagir.
Il portait aussi dans le paysage urbain le deuil du défunt cœur de la ville. […] Et le
graphisme vif, immédiat, de Zlotykamien était au diapason de la crise et du
moment. Mai 68 n’était pas loin et les murs avaient encore la parole. Mais ce
langage en images était nouveau, il ne véhiculait pas des idées, il était directement
greffé sur le lieu de sa signification. Non-verbal, il était irrécupérable par
quiconque. Il eut évidemment beaucoup d’émules et d’imitateurs »98.
Pour Zlotykamien qui avait peint des silhouettes noires de victimes-témoins sur les parois
externes de l’installation, cette première expérience fut perçue comme rebelle par l’institution
de l’art et censurée à travers l’ambigüité des autorités culturelles, les sorties des marchands
d’art et celles des médias. Son attitude artistique reste protestataire, mais il s’enferme dans
une réflexion qui ne le quitte plus sur le rôle de l’art et la responsabilité de l’artiste. Gérard
Zlotykamien avait rejeté le système marchand et les flonflons de la culture officielle et il a
voulu faire vivre son œuvre autrement. Cette œuvre ne se présente pas au public, elle
appartient, dès sa conception, au domaine public.
Dans les années 70, feu la Fondation Nationale des Arts Plastiques et Graphiques qui avait
pignon sur rue, au onze de la rue Berryer, à Paris, (Hôtel de Rothschild), a commencé à
s’intéresser aux arts de la rue. En 1977, elle avait même acquis une persienne peinte de
Zlotykamien. En 1984, elle expose des œuvres de quatre plasticiens contemporains avec qui
Gérard Zlotykamien se trouvait beaucoup d’affinités 99 . Quelques années plus tard, la
Fondation participa très officiellement à un colloque sur les graffiti et les arts de la rue, qui se
tint à Beaubourg.
97
Michel Ellenberger, Zlotykamien : Un artiste secret sur la place publique, Bordeaux : L’escampette, 2002, p. 9.
98
Ibid., pp. 10-11.
99
Ibid., p. 23.
283
Pouvons-nous d’ailleurs ranger l’art de Gérard Zlotykamien avec celui des graffeurs,
tagueurs et autres pochoiristes ? Ces derniers peuvent faire remonter leur activité à une longue
tradition. De tout temps, le graffiti a été accompagné d’une fonction sociale et d’une
résistance à la culture dominante, adoptant parfois même la langue verte. Non seulement la
valeur artistique du graffiti est son style primitif et populaire, mais elle exprime aussi un esprit
rebelle envers la structure dominante et le pouvoir de la société.
Le graffiti writer qui a projeté son nom sur un mur ou dans les couloirs du métro, a réalisé
un acte de courage individuel de contre-culture. Mais l’activité de cet artiste intervient de
façon artisanale dans l’espace public, pour poser une question de génération, de mentalité,
d’inspiration ou de visée esthétique. Il se tient à l’écart des tagueurs. Zlotykamien observe la
valeur de la peinture sauvage urbaine, depuis ses premiers graffitis éphémères autour du trou
des halles, jusqu’à la déferlante du graffiti writing. Il se posait des questions sur le fait que les
peintres exposent directement à l’extérieur.
« Quand j’ai commencé à peindre à l’extérieur, les gens qui avaient apprécié mon
travail jusqu’alors lui ont tourné le dos. C’était très intéressant de voir comment
leur comportement pouvait tout à coup changer. Les gens que je connaissais, qui
étaient pour certains des amis, voilà que je ne pouvais plus frapper à leur porte.
Pourtant j’étais la même personne, je faisais le même travail, mais lorsque vous
passez de l’intérieur vers l’extérieur, le regard change. Il y plusieurs raisons à cela.
Un : mes projets n’étaient pas vendables. Donc tous les gens qui avaient misé sur
moi dans le but de gagner de l’argent, d’un seul coup ne comprenaient plus. Par
exemple à la première biennale de Paris, j’avais eu une mention spéciale, mais les
peintres qui avaient exposé avec moi, dès que j’ai peint dans la rue, ont cessé de me
parler. […] Deuxième raison : ce que je faisais sortait de l’ordinaire. Les gens
étaient habitués aux toiles, aux choses protégées, aux musées. Si vous leur montriez
autre chose, ils étaient complètement déstabilisés »100.
100
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 19.
284
Jean Dubuffet ou Asger Jorn. Sans titre, il fait du dripping comme ce que Jorn a déjà fait avec
sous la forme d’éphémères. Le caractere rebelle de son geste semble disparaître. Sa
fascination pour les villes mortes et pour les lieux improbables lui avait fait peindre pour
mettre en situation ses « habitants anonymes ».
Sa pratique est presque devenue officialisation, mais il ne veut plus restreindre son action à
un mur ou une place publique. Il trouve donc un large champ d’actions. Comme ses travaux à
Berlin en 1990, à Leipzig en 1991 et à Johannesburg en 1996, pour lesquels il écoute les gens,
observe les lieux, regarde avec une pointe d’ironie les derniers vestiges du mur, prêts à être
embarqués pour des collectionneurs fétichistes101. Notre attention pour Zlotykamien est née
de ces activités. Un ouvrage Zlotykamien, un artiste secret sur la place publique (2002) les
décrit fidèlement.
Dans l’exposition Vive l’art Urbain 102 et l’exposition de Zlotykamien 103 (fig. 109) qui
expose des pièces récentes pour la première fois depuis 10 ans, l’artiste présente une série de
ses « éphémères » peints sur bois et sur feutres issus de sommiers de lits dépecés, fruits d’un
travail débuté en 2012. Par sa lutte avec le matériau qui lui sert de support, par sa préférence
pour l’in situ, par son action nécessairement libre, l’art de Zlotykamien représente la trace
effacée de l’histoire et le phénomène social dont la source est l’histoire des déracinés, des
persécutés, des victimes, et regarde du même côté que l’art brut. Malgré le fait qu’il utilise la
manière des graffitis dans la rue, on ne peut pas le classifier dans ce genre.
Contrairement à ce que les œuvres de Zlotykamien ont exprimé et revisité à travers des
expositions immédiates, Ernest Pignon-Ernest a durablement étudié son sujet jusqu'à
aujourd’hui. Ses sujets importants ont été accomplis dans les années 1980-1990 alors que les
writers et les artistes étaient réprimés par le gouvernement. Après la Seconde Guerre
mondiale, les manifestations et destructions auxquelles elles donnèrent lieu, le vandalisme
était l’ignorance. Mais un cas récent de vandalisme avéré, et celui de l’attaque d’un
readymade de Duchamp réalisée par l’artiste contemporain comme Ben ou Pierre Pinoncelli
est un acte artistique qui s’inscrit non seulement dans la suite de ses actions et happenings,
mais peut s’autoriser de la pratique même de Duchamp. Yves Michaud remarque :
101
Michel Ellenberger, Zlotykamien : Un artiste secret sur la place publique, op.cit., pp. 7-8.
102
Vive l’art Urbain, galerie Univer, en 2008.
103
Zlotykamien, Galerie Mathgoth, à Paris, du 13 au 25 octobre 2012.
285
« Il est vrai, en revanche, que les œuvres contemporaines font fréquemment l’objet
à l’exposition d’actes de vandalisme mineurs, de déprédations (graffitis sur graffitis,
rayures sur rayures, marques de doigts et de stylo à bille ou feutre sur des œuvres
faites avec des moyens du même ordre). […] Il faut reconnaitre que les œuvres
contemporaines ont souvent plus à craindre de la maladresse de ceux qui les
installent ou les rangent, compte tenu des confusions de « modes d’emploi » pour
des objets difficiles à identifier, de l’encombrement des réserves et de la banalité de
l’acte d’exposition »104.
Nous allons analyser de manière plus approfondie les œuvres d’Ernest Pignon-Ernest du
fait qu’elles déroulent de diverses manières ses sujets à caractère social et que la question du
choix des lieux et de ses formes humaines inspire encore aujourd’hui les artistes de la rue. Il
ne fait pas des graffitis, mais il utilise des affiches sérigraphies qui exploitent la manière de
faire des street artistes. En 1966, pour sa première intervention in situ avec des pochoirs sur le
plateau d’Albion, Ernest Pignon-Ernest politiquement explique que les silhouettes dessinées
au pochoir lui permettent de traiter la question du nucléaire en lien avec la catastrophe
d’Hiroshima. Il peint et éprouve, pour la première fois, le besoin de sortir de l’espace du
tableau pour travailler in situ.
104
Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, op. cit., pp. 77-78.
286
Nous pouvons découvrir trois caractères importants dans ses œuvres : l’utilisation de la
sérigraphie, la mémoire du lieu, et son intérêt pour l’humain. Quelques années après, il a
abandonné la technique du pochoir pour les grandes sérigraphies.
« Il opte pour « les grandes sérigraphies qui [lui] permettaient de mieux investir
dans la conception de l’image, dans le dessin, et de mieux affirmer avec le support
papier, le choix de la fragilité, de l’éphémère »105.
Pignon-Ernest préfère donc récupérer des chutes de papier dans les imprimeries des grands
quotidiens pour dessiner. Il colle ensuite ses dessins, des corps à échelle humaine. Le plus
souvent Pignon-Ernest ne colle pas le dessin original mais des reproductions en sérigraphie.
La maitrise technique de Pignon-Ernest et le travail de fond de ses projets est visible dans les
musées, dans lesquels il expose le processus de son travail dans la rue106.
Pour lui, le lieu devient sujet. Ensuite, une nuit de mai 1971, il colle à même de sol de
plusieurs lieux parisiens, deux mille images en sérigraphie, d’après son dessin grandeur nature
d’un cadavre anonyme dont il s’agit d’un raccourci, matérialisant les images des victimes de
la Commune au XIXe siècle, mais il tapisse de la même façon les escaliers du métro
Charonne. Bertrand Tillier, son livre La commune de paris révolution sans images ?,
mentionne les rapports de l’art et des artistes avec l’événement et l’histoire, et plus
spécialement la Commune dans son épilogue.
105
Ernest Pignon-Ernest, Face aux murs, Paris : déplie, 2010, p. 8.
106
Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op.cit., p. 38
287
l’artiste transformait radicalement l’image de ces lieux, par un détournement et par
une prise de possession »107.
Il insiste sur le fait que l’action de Pignon-Ernest s’inscrive dans le contexte des
événements de 1968, durant lesquels la mémoire de la Commune, réactivée, avait quitté la
nécropole pour réinvestir la rue. Il a affirmé que cet acte provoquait « les cultures sociales et
la mémoire collective, aux refoulements indicibles et aux traumatismes muets » 108 . Pour
réaliser cette action, comment le choix des lieux se fait-il ? Dans une recherche de
contextualité sur les lieux, Ernest Pignon-Ernest fait coïncider le sujet de l’œuvre avec
l’endroit précis où elle est réalisée. Les lieux sont parfois chargés d’histoire et réveillent les
mémoires. Ernest Pignon-Ernest explique :
Nous découvrons son œuvre dans le regard du passant. Cela signifie que sa représentation
de l’image produit une forme d’identification, une participation à l’image et la naissance
d’une expérience personnelle. Les œuvres éphémères d’Ernest Pignon-Ernest parsèment les
villes afin de révéler la complexité et la profondeur des lieux 110 . Ce questionnement sur
l’œuvre d’art et le choix de lieux, révèle un homme au regard critique. Cet intérêt sur les
107
Bertrand Tillier, La commune de Paris révolution sans images ?, Champ Vallon, 2004, p. 490.
108
Ibid., p.491.
109
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 113.
110
Dans quelques-uns de ces sujets, en fonction des périodes, et des lieux, – à Naples (1988-1995), à Brest
(2006) à Montauban (2007), à Chapelle Saint-Charles à Avignon (2008), à Ramallah (2009), à Paris (1978-
1979) – nous décrivons son questionnement de l’art, de la poésie, des hommes et des fléaux du temps présent. A
côté de ces travaux, nous mentionnons d’autres œuvres critiques ou politiques: Le Soupirail (1997-1999) ; une
piéta (2003) à Soweto; La commune (1971), à Paris ; Apartheid (1974) à Nice ; Malheur de femme sur
l’avortement (1975) à Tours, Nice, Paris, et Avignon ; Les agressions (1976) à Grenoble.
288
images des hommes dans La commune apparait continuellement. Ces hommes représentent
des expressions diverses en fonction des lieux choisis et dans le contexte social et politique.
Nous pouvons se rendre compte que Pignon-Ernest a continuellement représenté les
problèmes sociaux par le collage de l’affiche. Nous disons qu’il croise le politique. Comme
avec la commune (1971) (fig. 110) à Paris, il a créé sa propre technique, son intérêt social et
sa forme humaine à travers ses œuvres majeures, du début des années 1970 aux années 1980.
L’image des Immigrés fait ainsi partie d’une série d’interventions qu’Ernest Pignon-Ernest
avait initiée l’année précédente au Havre et qu’il a renouvelée à Calais (1975) et Grenoble
(1976) (fig. 111).
Par ailleurs, il voulait expérimenter une nouvelle démarche. Après ces événements à
caractère exceptionnel comme la Commune et l’Aartheid: jumelage du Cap (fig. 112), il
touche à une réalité plus diffuse, quotidienne, poétique, et appréhende une ville. L’image
poétique et politique des Immigrés d’Avignon (fig. 113) est une des réponses à son
interrogation perpétuelle sur la place de l’artiste dans la société. Avec Immigrés (Avignon),
les images sont placées au ras du sol sur les murs de belles maisons de notable. Corps couchés,
on pouvait voir des travailleurs immigrés sur des lits côte à côte. D’un seul regard, le passant
sentait la fatigue de ces corps.
Ernest Pinon-Ernest a également un intérêt pour les murs en ruines. Il y longtemps qu’il est
apparu, ce paysage du mur mis à nu, porteur de fragments de décors délavés, de traces de vies
humaines. Pas tant celui de la ruine, qui tient de l’antique et qui nous parle de l’histoire, du
destin des civilisations, mais celui du simple mur, le mur du fond, le mur rénové, le vestige de
la destruction d’un immeuble. C’est dans cette atmosphère que sont apparus certains travaux
anciens d’Ernest Pignon-Ernest. Comme Les expulsés (1979) (fig. 114) à Paris, ce couple de
1979, par exemple, montre deux figures debout, un homme, une femme, avec valise et
matelas roulé sous le bras111.
A l’évidence, athée, agnostique ou catholique pratiquant, personne n’évite la mythologie
chrétienne. Ernest Pignon-Ernest n’ignore rien de ces faits-divers religieux. Et ses corps
scénographiés procèdent souvent de la vision sanguinolente de la chair. Passion païenne et
icones de passions païennes, son travail montre la chair souffrante à cause de ce que l’homme
inflige à son semblable. Il ne se délecte pas dans la représentation des corps désincarnés. Il
s’agit de David, de Goliath, du Christ, de Marie ou de Marie-Madeleine. Les uns et les autres
111
Ernest Pignon-Ernest, Face aux Murs, op.cit., pp. 52-57.
289
offrent tant de prétextes plastiques, esthétiques, qu’il leur apporte de la vie et une essence
quasi mystique. À Extases (Avignon, 2008) (fig. 115) à la Chapelle Saint-Charles, l’une de
ses séries, portait sur les grandes amoureuses des siècles passés, devenues parfois des
religieuses. De nombreux textes ont déjà insisté sur son engagement politique. 112 Ernest
Pinon-Ernest, ajoute ces mythologies païennes au corps féminin, depuis longtemps, comme
Malheur de femme sur l’avortement (fig. 116), à Tours, Nice, Paris, et Avignon (1975).
Nous proposons d’autre exemple. Une piéta (fig. 117) à Soweto, Pierre Barbancey écrit :
Ses images se fondent dans l’espace, jouent du trompe-l’œil et réactivent les mémoires.
D’une grande culture, Ernest Pignon-Ernest a mûrement réfléchi la place de l’œuvre d’art. Il a
toujours développé les sujets de son activité sur la base d’une expression poétique et sociale.
Avec les illustrations précédentes, le sujet de « Cadres et Cadrages» a été réalisé à Martigues
(1982) (fig. 118) et a de nouveau à Nice (2004). Dans Le Soupirail (1997-1999) (fig. 119) et
Cabines téléphoniques (fig. 120) dont il a fait 80 sérigraphies collées dans les cabines, il
personnalise une femme ou un homme, qui nous ressemblent. Il essaie de présenter beaucoup
de questions proposées par l’art de la rue. En réfléchissant sur la particularité des lieux, le
caractère problématique de l’éphémère de l’œuvre d’art, l’intérêt du message critique sur la
société, l’installation, le travail esthétique, et ses déplacements à l’étranger, les images de ces
hommes affectent et influencent encore aujourd’hui les jeunes street artistes. Il compte au
nombre des pionniers et des artistes exceptionnels du street art.
En 2013, Ernest pignon-Ernest et JR ont collaboré. Ils ont joué le jeu en passant dans la
« cabine Photomaton » de JR, avant un affichage dans Paris. Quatre décennies les séparent. JR
le moderne, et Ernest Pignon-Ernest l’ancien, occupent l’espace public avec leurs images.
112
Sous la direction de Paul Ardenne Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., p. 68.
113
cité par le site www. pignon-enrest.com
290
Pourtant ils pratiquent le même genre de travail et peuvent être classifiés ensemble dans l’art
contemporain. Pour Paris-Match (fig. 121), ils ont dialogué d’art, de collages de rue et
d’arrestations. Dans un entretien avec Elisabeth Couturier, nous comprenons leur parti pris en
donnant une question du rôle politique d’artiste.
Avant tout, les jeunes street artistes, avec ironie ou humour, et par diverses techniques,
développent et amplifient l’expression poétique ou plastique relative aux préoccupations
politiques d’Ernest Pinon-Ernest.
Alors que les lieux choisis pour les tags étaient extravagants, dangereux ou difficiles
d’accès, ces deux artistes choisissent des lieux importants symboliquement. Ce sont ces
réflexions sur le temps, l’histoire, les lieux de l’histoire qui nous ont amené à cette saisie des
lieux et à comprendre qu’il fallait en faire le matériau essentiel, tant plastique que sémantique.
Zlotykamien a donc utilisé le graffiti à aérosol pour acter rapidement son idée et Pignon-
Ernest a mis au point des sérigraphies d’affiche. Nous pouvons imaginer que ces deux
approches relient les affiches et l’expression noire des slogans de mai 68, malgré des idées ou
revendications différentes.
Le caractère actif de ces deux artistes, et plus spécialement Pignon-Ernest, a beaucoup
inspiré Blek le Rat dans le style artistique, l’expression poétique et le geste de l’artiste. Cet
initiateur du street art a ouvert la voie et les années 80 sont une période d’effervescence pour
ce mouvement en France. Le graffiti américain arrive également à Paris. Au cours de leur
évolution dans les sous-cultures du graffiti, ce genre artistique existe par d’autres formes, en
dehors des graffitis américains. À l’instar du graffiti, Blek le rat décide d’investir l’espace, de
signaler sa présence et choisit la technique du pochoir en 1981. Jérôme Mesnager, Jef Aérosol,
Miss. Tic, Speedy Graphito, les VLP, et de nombreux autres artistes choisissent donc l’espace
urbain pour s’exprimer librement et s’adresser au plus grand nombre. Ils offrent aux passants
leurs œuvres et nous font redécouvrir l’espace urbain au gré de ces réalisations. Puisant ses
2.2. Les activités des artistes urbains dans les années 1980
Le street art connaît, dans les années 1980, son premier âge d’or. En France, aux É tats-Unis
ou en Allemagne, une génération d’artistes nourrie à la pub et au rock tourne le dos au
minimalisme et va trouver de nouveaux lieux d’expression et de liberté. Writers, pochoiristes,
peintres issus de la figuration libre et artiste conceptuels se livrent alors entre eux, mais aussi
entre eux et la pub, une concurrence dont l’enjeu est la visibilité115.
Le graffiti writing « new-yorkais» apparaît en France dès 1982-1983, avec des writers
comme Spirit, Darco, Bando, Psyckoze, Blitz, Lokiss, Scipion, Skki ou encore Saho (devenue
Ash2) aujourd’hui connu sous le nom de Ash. Vers 1986-87, le graffiti « new-yorkais» et sa
culture hip-hop prennent définitivement le pas à Paris sur les formes plus proches du monde
de l’art contemporain, lequel retourne, sauf exception, à ses galeries116. À Paris, le graffiti
new-yorkais se trouve des lieux privilégiés comme les quais de la Seine, les palissades du
Louvre ou du centre Georges-Pompidou, le terrain vague de Stalingrad/La Chapelle, puis
s’étend progressivement aux cités des banlieues où la culture hip-hop trouve son second
souffle en devenant plus populaire et moins bourgeoise. Paris attire de nombreux graffeurs
européens comme Bando, Shoe, Boxer, Lord Anthony Cahn, Tedys, Mode 2, Sino, mais aussi
américains comme Jonone, Futura 2000, T-Kid, A-One. Ils remplissent les murs des terrains
vagues de Paris, de Stalingrad aux palissades du Louvre en reconstruction. La rue française
est devenue mélange des techniques et des cultures.
115
Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 63.
116
C’est philippe Lehman, alias Bando, un Jeune Franco-américain, qui réalise les tout premiers tags et graffs sur
les murs de Paris en 1982. En 1984, l’Américain Futura 2000, invité par la RATP, réalise la campagne de pub
« Ticket chic, ticket choc » dans le métro. Elle encourage et influence toute une génération de graffeurs parisiens.
Et la station de Stalingrad, devient lieu de rendez-vous pour les graffeurs qui s’y rencontrent très régulièrement
pour peindre, danser et échanger. Stalingrad devient rapidement une véritable galerie à ciel ouvert où se
confrontent les peintures des BBC, de Bando Colt, Mode2, Lokiss et tant d’autres. Ce domaine de graphisme
s’incorpore graduellement dans la sphère artistique et la catégorie exposée de l’art contemporain. Ces
expositions ont été réalisées sans discernement et sans aucun débat esthétique, portant donc « artificiellement »
leur valeur artistique.
292
De cette explosion, que nul ne peut éviter à présent, l’art urbain a fait naitre un intérêt
certain au sein des instances culturelles, des critiques aux galeries d’art, depuis les années
1960. Alors la question du mouvement du graffiti art sépare. Parce que les graffiti de la
tradition nord-américaine côtoient les graffiti art de la tradition ouest européenne (collage,
décollage, et pochoirs) en même temps que la bombe aérosol des artistes français trouve un
nouvel usage grâce au pochoir. Denys Riout décrit le contexte social français :
« Les enfants de Mai 68 se sont assagis ; ils sont en âge d’avoir de grands enfants.
Alors que la crise s’installait, que le taux du chômage augmentait, nous avons pu
voir s’étioler les discours idéologico-artistiques. Sur la scène picturale, les
radicalismes militants ne font plus recette depuis que les tenants de la figuration
libre jouent les premiers rôles. […] C’est dans ce contexte, que les picturo-graffitis
ont pris naissance, se développent »117.
Par ailleurs, il dissèque les street artistes et leurs œuvres en termes formels. Il distingue le
graffiti et ces artistes dans la rue en proposant une catégorie nouvelle, le « picturo-graffiti ». Il
explique :
« Non autorisées, les peintures urbaines sauvages relèvent bel et bien des
« inscriptions, signes ou dessins », autrement dit des « graffitis », que la loi interdit
quels qu’en soient le « contenu » ou la « forme ». […] La récente floraison des
picturo-graffitis n’est pas issue d’une quelconque génération spontanée. Bien que la
plupart des animateurs de ce mouvement informel ne reconnaissent aucun lien de
filiation entre les graffitis du métro de New York et leur propre travail, il serait naïf
de penser que l’immense audience internationale que ces derniers ont acquise, n’a
pas eu de conséquences sur le développement de la peinture sauvage
européenne. […] Il faudra attendre la fin des années 1970 et le début des années
1980 pour voir le graffiti s’imposer comme une forme d’art : J.-M. Basquiat,
Kenny Scharf ou Keith Haring rejoignent le vaste mouvement des « graffiti
artists »».118
117
Deny Riout, « La peinture encrapulée : Les picturo-graffitis », L’ordre du graffiti, Tribu, N° 10, 1985, p. 27.
118
Ibid., pp. 26-27.
293
Le writing est le terme utilisé par les précurseurs américains pour décrire leur travail, à
l’origine principalement centré sur le travail de la lettre. Ce ne sera que plus tard que l’on
regroupera toutes ses disciplines sous le nom plus commun de « graffiti ». Distinguer le
graffiti (writing) et le street art est-il encore nécessaire dans notre étude alors que le graffiti a
aussi développé ses techniques esthétiques propres à la peinture murale? Nous assistons
encore à une opposition de leurs valeurs esthétique/artistique, phénomène du monde artistique
qui permet également d’obtenir le statut d’art, et de deux vérités qui sont rebelles et libres.
Denys Riout, en distinguant les peintres des quatre saisons dans le picturo-graffiti, analyse
leurs activités à travers Costa, Speedy Graphito, MixMix, V.L.P., Zlokamien, Hambleton,
Blek, Gérôme Mesnager. Ces picturo-graffitis ne ressemblent pas aux habituels graffitis en
tous genres. Ils n’ont rien à voir avec les peintures murales en trompe-l’œil, et, plus
généralement, diffèrent radicalement des murs peints officiels. Denys Riout explique :
119
Ibid., pp. 26-34.
294
par leur personnalité et pour faire partie de la mémoire collective ne serait-ce que dans leurs
milieu, parfois au moins comme simple précurseur d’un style, tous les moyens seront bons
pour la simple affirmation d’une identité. Ce n’est plus seulement le graffeur le plus actif ou
celui qui prend le plus de risques qui obtient une forme de reconnaissance, mais aussi celui
qui produit les œuvres les plus belles du style standardisé type lettrage « bulles » et lettrage
« wild style » aux pratiques de « top-to-bottom whole car », sans message ou sans réfection
véritable de leur société.
Le mouvement de l’art urbain français se trouve dans une situation d’une complication
inextricable. Il ne participe pas au mouvement du graffiti américain, parce que ce mouvement
fait apparaître des artistes dont certains sont liés au mouvement de la figuration libre et
d’autres à l’histoire de l’In situ ou de l’avant-garde. Cependant le mode du graffiti fait
réactiver ce mouvement artistique. Les picturo-graffitis, ne peuvent donc pas se distinguer
parfaitement de ce genre. Alors nous allons analyser quelques-uns de ses acteurs, et plus
particulièrement les pochoiristes, à l’exception du graffiti writing français. Beaucoup
d’artistes utilisent cette méthode, mais ils la fusionnent à d’autres techniques telles que
peinture, affiche, publicité, et graffiti.
Ce mouvement artistique de l’art urbain représente un nouveau genre artistique
contemporain et se développe, dans l’histoire de l’art français, dans les années 1980. Alors, ils
peignaient dans la rue parce que c’était à peu près le seul endroit en-dehors des galeries où on
pouvait s’exposer. En présentant leurs techniques, nous analysons l’objet d’art, le rôle de
l’artiste, et les problèmes esthétiques posés dans la relation artiste/galerie, et leur exposition
en considérant les jeunes artistes depuis 2000 jusqu’à aujourd’hui. Finalement, comment ces
activités illégales des artistes se sont-elles situées dans le mouvement de l’art contemporain et
ont-elles pu inspirer les jeunes artistes de la rue?
Aux É tats-Unis, à la fin des années soixante-dix, les prémices d'une nouvelle ère de la
peinture ont été présentés aux É tats-Unis sous le label New image Painting. Cette expression a
été le titre d’une exposition de peinture contemporaine américaine qui a été montée en 1978
dans au Whitney Museum de New York. Plusieurs des artistes, comme David Salle et Julian
Schnabel, qui y ont exposé ont obtenu le statut d’étoile. Le néo-expressionniste Eric Fischl
devrait également être inclus ici. Ils ont tous profité de la tendance de la peinture gestuelle
295
expressive, qui avait son origine en Europe. En France, apparait le Fauve Painting,
commercialisé sous le nom de figuration libre, terme inventé par le peintre Fluxus, Ben
Vautier en 1981 à l’occasion d’une exposition organisée à Nice. Sur une idée de Ben, Marc
Sanchez organise cette exposition, L’Air du Temps. Figuration libre en France, à la galerie
d’art contemporain de Nice. Une quinzaine d’artistes y participent.
Créateur des principales manifestations artistiques réunissant les artistes fondateurs de la
figuration libre, Hervé Perdriolle est considéré comme le promoteur de ce mouvement tout
comme Bernard Lamarche-Vadel qui réunit les auteurs de la figuration libre dans une célèbre
exposition, Finir en beauté. Ce mouvement, s’est constitué autour de figures marquantes
comme Robert Combas, Hervé Di Rosa, Richard Di Rosa, Rémi Blanchard, François
Boisrond, Louis Jammes. Entre 1982 et 1985, ces artistes exposent à plusieurs reprises avec
leurs homologues américains comme, entre autres, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat,
Kenny Scharf, Tseng Kwong Chi et Crash (expositions à New York, Londres, Pittsburgh,
Paris)120. Dans ces activités artistiques, de jeunes artistes proposent une peinture figurative et
colorée. Celle-ci s’inscrit dans le prolongement d’artistes et de mouvements historiques dont
la spécificité a été l’ouverture à des formes d’expression marginalisées, tout comme le
cubisme s’était ouvert à l’art africain et océanien, le surréalisme aux dessins d’enfants et à
l’art des fous, le pop art à la publicité et à la bande dessinée, c’est-à-dire, à l’art noble et à la
sous-culture121.
L’effet de liberté primordiale est d’abord affirmé par un art libre de toute adhésion et de
tout refus, de toute allégeance et de toute référence même, par l’excès précisément des
emprunts, leur laminage réciproque, l’insolent aplatissement d’un brassage par collages
étrangers à toute hiérarchie du grand art, du moyen art et du petit art, de l’histoire et de la rue,
du noble et du trivial. É nergies, effets de liberté, aussi, par la vitesse, la spontanéité, la
prodigalité, hautement émotive de cet art où le corps délié par la musique sous-jacente impose
son propre rythme directement branché sur un réseau sensible et nerveux de haut voltage.
Mixité d’humour et de frénésie qui n’exclut ni l’anxiété ni la violence.
120
Andreas Schalhorn, « Body language : Keith Haring and the Renaissance of Figurative painting in the
eighties », dans www. Haring. com.
121
A l’été 1981, Ben invente le terme « figuration libre » : « 30% provocation anti-culture, 30% Figuration Libre,
30% art brut, 10% folie. Le tout donne quelque chose de nouveau ». Commentaires de Ben, recueillis le 29
septembre 1981 par Jim Palette pour le journal Libération, à propos du travail de Robert Combas et d’Hervé Di
Rosa.
296
En 1984, est organisée, au Musée d'art moderne de la ville de Paris, l’exposition 5/5 :
figuration libre, France-USA, par Otto Hahn et Hervé Perdriolle. Cette exposition a donné
lieu à l’hypothèse que la Figuration libre devrait être considérée comme le style de leur
internationalité. L’exposition a comparé le travail des cinq plus importants artistes français de
ce nouveau goût dans l’art avec des œuvres de Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Kenny
Schart, John Matos (Crash) writer qui s’est qualifié du graffiti artiste et Tseng Kwong Chi
(photographe). Les galeristes américains organisent souvent ensemble ces deux tendances,
malgré le fait que les artistes pop aient pu mettre en scène à leur avantage cette relation
d’interaction entre les images de la rue et leur propre forme d’expression artistique. Mais, les
artistes français de la figuration libre restent cependant moins influencés par les graffitis que
les Américains. Leur peinture fait davantage référence aux « arts populaires » cependant
qu’ils participent à ce mouvement et présentent les caractéristiques des styles sauvage et
populaire.
Parfois Jacques Pellegrin, le groupe Bazooka, les Frères Ripoulin, Speedy Graphito, Rafael
Gray, les VLP (Vive La Peinture), Daniel Baugeste, Jérôme Mesnager, Blek le rat, Miss.Tic,
ou Gérard Zlotykamien ont été associés à la figuration libre, même s’ils n’étaient pas présents
dans les expositions historiques. Les murs peints de Paris sont des créations picturales
associant différentes techniques. Cela est situé bien loin de la notion de graffiti américain,
oscillant entre peinture sauvage, affichage sur panneaux publicitaires, fresques murales,
pochoirs, etc. Nous avons choisi l’activité des années 80 de Daniel Baugeste et du groupe
VLP. Ces artistes, composant des œuvres figuratives aux couleurs vives, se détachent de l’art
officiel.
Daniel Baugeste a participé à la fois à la figuration libre et au mouvement du graffiti art
naissant. Daniel Baugeste pose dans son travail la problématique du fonctionnement de l’art
dans notre société, de son statut, de ses modes, de son arbitraire parfois et de sa récente
omniprésence dans l'espace social et culturel. Il choisit d'agir sur le fait « médiatico-
publicitaire » pour sa réflexion sur la rue et la société. En parallèle mais dans une autre
démarche que celle de la Figuration Libre, Michel Espagnon, Jean Gabaret et Martial Jalabert
créent les V.L.P (Vive La Peinture) en 1983.
Depuis le début des années 1980, Daniel Baugeste a présenté dans le monde entier ses
détournements, utilisant les supports médiatiques. Il fait irruption dans le monde de l’art en
1982 en détournant des affiches à Paris (fig. 122). Jusqu’en 1986, il multiplie les interventions
in situ, à Paris mais aussi à Pékin qu’il fait sur la place Tiananmen et sur la Grande Muraille
297
(1985). Après avoir « détourné » la façade de l’hôtel de ville de Saint-Quentin (Aisne)
(fig. 123), il montre en galerie et dans des lieux culturels des silhouettes et des visuels
publicitaires. Parmi ses expositions les plus remarquées, celle de Saint-Quentin, dans laquelle
il présente dans un noir complet des silhouettes fortement colorées.
En 1986, il participe à une performance de rue collective au festival Emotions, à Saint-
Quentin avec Speedy Graphito, Jef Aerosol, Blek Le Rat, Miss. Tic, Pascal Barbe, Placid &
Muzo, Kriki, Etherno, Kim Prisu, etc. Il expose généralement dans le cadre de projets et de
festivals. Daniel Baugeste et le groupe VLP, propose un objet d’art différent, mais ses
couleurs sont inspirées par le groupe Cobra. Ils mettent en avant les couleurs fleuries et
sauvages. Mais VLP s’essaie à l’esprit du groupe Cobra en reflétant leur culture comme les
punks.
Vive la peinture suit une voie quelque peu différente. Ses trois membres sont peintres, et ils
estiment que les toiles qui s’entassent dans les ateliers évoquent par trop la mort. Aimant
l’expressionnisme, l’esprit Cobra, la musique rock, ils fonctionnent un peu comme un
« groupe ». Chacun improvise librement sur le travail des autres, stimulé par la présence d’un
public tout-venant. Ils n’utilisent pas la bombe, mais les brosses, et une laque industrielle
robuste, au beau brillant, qui permet des effets de matière, et s’inscrit d’emblée dans la
tradition picturale. D’ailleurs, ils acceptent les tutelles institutionnelles, à l’occasion, pourvu
que la dynamique du groupe puisse se développer en toute liberté. L’essentiel, pour eux, c’est
la vitesse, l’action directe, les rapports informels avec les autres, la rupture avec le travail
solitaire122.
Tout au long des années 80, les VLP multiplient les coups d’éclats. Pochoirs, cartons
découpés, affiches martèlent leur mot d’ordre et en consacrent l’ubiquité123. Comme Leur acte
de palissade, rue Saint-Merri, Paris 4e, 1987 (fig. 124), il y a d’abord chez VLP une volonté
de donner une dimension politique à leur travail. Influencés par les idées de Mai 1968, ils
réagissent à la prise de possession d’espaces dans la ville par les publicitaires. Le groupe, qui
compte jusqu’en 1996 un troisième membre, Martial Jalabert, publie des manifestes sous
forme de tracts photocopiés, assemblages d’images et de mots découpés dans une esthétique
punk. L’utilisation de jeux de mots et du hasard crée une poésie urbaine, Jean et Michel étant
conscients que « la poésie, c’est qui transforme la vie ».
122
Denys Riout, « La Peinture encrapulée : les picturo-graffitis », op.cit., p. 31.
123
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 155.
298
En 1983, ces trois étudiants en art qui se sont rencontrés lors d’interventions dans les
Catacombes de Paris vont prendre d’assaut les palissades des chantiers autour des Halles et du
Louvre, les recouvrant de personnages issus du croisement de l’expressionnisme et de la BD,
dans des couleurs criardes hyper-vitaminées. Changer le monde, pour VLP, est à prendre au
pied de la lettre : en intervenant directement dans la rue avec de la peinture. Les supports
privilégiés sont les lieux désaffectés, les panneaux publicitaires (comme les frères Ripoulin),
et surtout les palissades, principalement celles des chantiers de Beaubourg et des Halles,
nouveaux lieux d’exposition devenus historiques pour les graffitis qui explosent entre 1980 et
1990. « C’était nouveau. Le graffiti est allé très vite » commentent les deux artistes qui ont
troqué l’atelier pour la rue et la toile pour ces palissades124.
Dès 84-85, ils organisent un rassemblement de graffitistes-fresquistes-peintres de rue le
long du canal de l’Ourcq à Boncy sur plusieurs kilomètres, aventure qui se poursuivra sur
plusieurs années. VLP déclare :
Fonctionnant comme un groupe de rock, VLP part en tournée entre 1989 et 1993. Après
avoir rencontré Keith Haring à New York, ils font leur show dans plusieurs grandes villes
allemandes. VLP essayé d’opérer un grand brassage entre culture rock et histoire de l’art 126.
Pendant cette période, les peintures murales affichées ou collées aux murs sont toujours
réalisées dans le cadre de festivals ou de commandes. Certains se sont souvent mépris sur la
figure du muralisme. Dans les arts plastiques et l’histoire de l’art, le mur avait un statut
particulier. Traditionnellement les figures murales, telles que peintures rupestres, mosaïques,
fresques, occupaient des lieux dédiés. Sa visibilité signalait l’éclat d’une puissance. À
l’opposé de cela, les muralistes du XXe siècle, ont investi les murs urbains, ceux qui font
l’extériorité du rapport social et la vie de la Cité, pour des motifs de protestation politique, tels
les artistes mexicains lors de la révolution mexicaine (ex : Diego Rivera) ou les grapheurs
allemands sur le mur de Berlin.
124
Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op.cit., p. 72.
125
Cité par Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 30.
126
Patrick Le Fur, VLP, Grenoble : Critères, 2009, p. 7.
299
Ces critiques des pouvoirs établis ne sont donc pas immédiatement légitimes. Christophe
Genin précise que ce muralisme contestataire refuse de suivre des règles établies et les lois sur
la propriété des bâtiments publics ou privés127. Mais en général, le muralisme est encadré par
l’Etat dans un objectif éducatif et pour l’amélioration des bidonvilles. Le muralisme s’auto-
décide, et proclame ses idées unilatéralement. Daniel Baugete, les VLP, puis les artistes au
pochoir sont donc en totale contradiction avec le muralisme officiel.
Mais tout au long de l’année 89, leurs performances spectaculaires, au cours desquelles ils
dissèquent à la tronçonneuse des morceaux de palissades, leur valent l’attention du public et
des medias. A la fin des années 80, alors que l’art urbain s’affaisse dans la morosité des
années sida, les VLP délaissent un temps la rue pour les performances en boîte de nuit (La
Loco, le Rex) et les expos en Allemagne. Le trio perd au passage un de ses membres : Martial
Jalabert tourne le dos à la peinture et devient écrivain. Les deux artistes restant fondent leur
nouveau concept Zuman (fig. 125) dans la rue. Le collage de Zuman prône que c’est l’homme
qui doit être mis au centre du débat. Le message est d’autant plus fort qu’il est court comme
« La chienlit c’est pas fini !!! ».
Les artistes le considéraient davantage comme un phénomène de société que comme un fait
artistique. Les peintures murales ou les peintures collectives étaient souvent officielles. Sur
cette scène picturale, le graffiti art a pris naissance dans l’art urbain. C’est le jeune Franco-
américain Bando qui réalise les tout premiers tags et graffs sur les murs de Paris en 1982. Le
graffiti était tendance. Quelques mois plus tard, ils sont une poignée à y pratiquer le writing
dans un style influencé par la culture de New York. Dans le terrain vague de Stalingrad, la
station de métro Louvre-Rivoli, le graffiti devient une pratique médiatisée.
Mais les artistes de la rue revendiquent la pratique artistique de l’art urbain. Ils se
développent avec les actes illégaux, mais festifs. Il semble qu’ils n’avaient d’autre stratégie
que de peindre pour l’intervention et l’expression sociale. La technique de pochoir est une
innovation pour les artistes de la rue. Cette nouvelle esthétique, le pochoir, est plus accessible
au profane. Quels sont les artistes que se dénotent en la matière ?
127
Christophe Genin, Miss. Tic : femme de l’être, Paris : Les impressions nouvelles, 2009, pp. 61-62.
300
2.2.2. Le travail de Blek le rat dans le berceau du mouvement street art
Bien qu’il ait découvert le graffiti à New York dix ans plus tôt, les premiers pochoirs de
Blek le Rat datent de 1981. La pureté originelle de son travail ne se confond pas avec le
mouvement du graffiti, cependant la rencontre avec la ville de New York semble avoir
provoqué un véritable bouleversement chez lui. Comme moyen d’expression, il a l’idée
d’utiliser le pochoir dont il avait vu, dans son enfance, en Italie, sur les murs de Padoue, des
représentations du portrait de Mussolini casqué. Apres 1968, la rue française est devenue
l’espace d’expression des artistes. La conjonction de tous ces éléments, le désir profond de
sortir hors les murs de leurs ateliers et d’exploiter l’anonymat dans les villes pour exister, et
communiquer, sont le point de départ du mouvement des pochoiristes qui, aujourd’hui, est
devenu un mouvement artistique mondial.
Samantha Longhi a fait des recherches sur le pochoir parisien pour sa thèse. Dans son livre
Paris Pochoirs, elle y mentionne une action de Blek le rat :
« Chez Blek, provoquer une émulation artistique a été l’une de ses premières
motivations. Les premiers pochoirs, en réponse à ses propres productions, sont
signés Surface Active qui peint des chauves-souris à côté des images de Blek,
Marie Rouffet qui envahit les murs du Marais pendant l’été 83 avec ses Rock’n
nana, Vive La peinture, Speedy Graphito qui peint son logo accompagné de son
numéro de téléphone autour des agences de pub. […] À partir de 1985, la ville est
couverte d’images peintes au pochoir par des centaines d’anonymes et le
mouvement s’amplifie grâce à la collaboration de tous ces artistes. En 1986, le
journal Le Monde légitimera cette production artistique en publiant un article en
première page signé Marc Ambroise Rendu et intitulé « L’école de Blek le rat »128.
Blek crée un impact considéré comme révolutionnaire et rebelle dans le domaine artistique.
Dans les années qui suivent, naît ainsi une véritable scène dont les protagonistes s’appellent
Miss.Tic qui fait des jeux de mots, Speedy Graphito, Marie Rouffet, Surface Active, Epsilon
Point, l’animalerie exotique des Mosk, le bonhomme noir de Nemo. C’est aussi l’époque où
128
Benoît Maître a rassemblé pour elle plus de 5000 photos issues des rues parisiennes depuis le milieu des
années 80. Samantha Longhi & Benoît Maître, Paris Pochoirs, Paris : Alternatives, 2011, p. 34.
301
speedy Graphito et le collectif X-Moulinex couvrent les passages piétons de motifs tracés à la
peinture fluo ; celle où les Frères Ripoulin et Banlieue-Banlieue s’approprient les panneaux
publicitaires pour y exposer leurs œuvres figuratives et colorées ; celle enfin où Jérôme
Mesnager commence à décliner partout son fameux bonhomme blanc.
Ils font aujourd’hui partie de la mémoire des murs parisien. Si ces artistes ne forment pas
un mouvement à proprement parler, ils n’en partagent pas moins une même inclination pour
les cultures populaires : rock, bande dessinée, magazines, cinéma129. Blek le Rat explique son
choix du pochoir :
« […] Lorsque j’ai commencé à faire des graffitis en 81 je ne voulais pas faire des
graffitis américains comme j’en avais vus à NYC dix ans auparavant. Je trouvais
plutôt anachronique de faire des tags dans une ville qui ne ressemblait pas du tout à
une ville américaine. Je trouvais les « tags » et les « pièces » extraordinairement
beaux et forts à NYC dans le métro mais je trouvais que dans une ville comme
Paris il y aurait eu un tel décalage que cela était impossible à réaliser. Et puis mes
premières images étaient des rats courant le long des murs de Paris et
techniquement il m’aurait été très difficile de le faire à main libre seulement à la
bombe. Le pochoir était une technique extraordinaire pour réaliser ce genre
d’images dans la rue »130.
C’est un moyen de reproduction très pratique. Blek comprit que pour fonctionner, ses
images devaient s’intégrer à l’environnement social et architectural et qu’il lui fallait donc
trouver une autre technique, une méthode simple, rapide et pertinente, à la fois du point de
vue du contexte et du message qu’il souhaitait faire passer131.
Blek le Rat commence à faire courir des rats le long des murs, puis bombe ses œuvres, dont
il emprunte les traits aux icones du rock ou à la politique, au cours d’équipées nocturnes avec
un ami. Blek pose sur les murs, les trottoirs, les chaussées des dizaines de rats en hommage à
la bande dessinée Blek le Roc (fig. 126). Le rat représenté reprenait l’attitude du personnage
de la bande-dessinée, mais, au-delà, représentait sa lutte contre l’injustice, pour la liberté, et
dénonçant les problèmes sociaux. Pendant deux ans, Blek est passé des petits pochoirs
simples avec rats noirs courant sur les murs du 14e arrondissement, mais aussi des bananes,
129
Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 76
130
Cité par Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 68.
131
Sybille Prou et King Adz, Blek le Rat: En traversant les murs, Paris : Thames & Hudson, 2008, p. 12.
302
des bonhommes rouges qui courent, de petits visages, et son autoportrait (fig. 127) dans les 1e,
14e, 19e et 20e arrondissements.
En 1983, il rencontre à Paris l’œuvre de l’artiste new yorkais Richard Hambleton qui peint
des ombres noires à taille humaine au pinceau et à la peinture. Il décide alors de faire des
pochoirs à taille humaine. C’est à ce moment-là, qu’il crée à Lyon, Avignon, Marseille,
Toulon, Grenoble puis revient à Paris. Ses créations ont un objectif :
« J’ai choisi les rats en tant que symboles de l’environnement urbain. […] Des
petits pochoirs aux personnages grandeur nature : Ils étaient mes personnages, et je
trouve qu’ils me ressemblaient tous, quelque part, ils me présentaient au monde
comme une personne se présente à une autre et quand je les peignais, j’avais
toujours l’impression que je laissais une partie de moi-même sur les murs de toutes
les villes du monde dans lesquelles j’ai pu aller »132.
Dès le milieu des années 1980, de plus en plus de pochoirs firent leur apparition sur les
murs de Paris, Blek décida alors de coller des pochoirs bombés sur des affiches. Prises de
communication par l’image, mots d’esprit, d’amour, de haine, les messages de ces pochoirs
devinrent rapidement un moyen d’expression à la mode 133 . Et le pochoir quitta la sphère
purement politique pour rejoindre celle de l’art.
Dans ce chapitre, nous n’opèrerons pas un classement d’origine de ces œuvres d’art. Dans
le livre de Blek le rat : En traversant les murs, sybille Prou et King Adz ont déjà classifié, par
thèmes d’image au pochoir, les œuvres de Blek le rat. Dans un premier temps, ils ont classé
pendant des années ses œuvres au pochoir : les portraits d'artistes comme Tome Waits, Andy
Warhol, Joseph Beuys, et ses auto-portraits : Le vieil Homme, L’Homme qui court, La
Femme grecque, Femme du Bangladesh, Le soldat russe, La femme aux porte-jarretelles, La
Révolution culturelle, Finage Pieuse (La seconde version du Soldat russe), Vieil Homme à la
cane, Jésus-Christ, Marrakech, Tango, Hommage au Caravage, Madone, Le Château de
Bagnac.
Pendant les années 1980, il s’intéresse à l’expression dans le passage urbain et quitte la
sphère purement politique afin que le pochoir rejoigne le domaine de l’art. Ses « rats » sont
symboles de l’environnement urbain (fig. 128). Cette pensée démontre qu’il est encore
132
Ibid., pp. 14-17.
133
Dès la fin de cette décennie, il était fréquent de voir cette technique du pochoir utilisée en Allemagne, en
Belgique et aux Pays-Bas.
303
possible de peindre dans la rue tout comme il est possible de danser dans la rue, à travers les
images Tango. L’universalité de ses images telles que le voyageur, affirme sa présence à
travers une série d’autoportraits collés sur les murs de la ville et dont le message est clair :
« Je suis toujours là ».
Ensuite, il présentera l’homme qui court (fig. 129). Cette image représente un homme sans
voix hurlant sa peur, quelqu’un qui proteste, qui manifeste sa colère de n’être qu’un anonyme
dans la ville. Le vieil homme était l’incarnation du courage civique. Vieil homme (fig. 130) à
Marseille en 1983-1985, à Paris en 1984, à Berlin en 2006. Avec La Femme grecque, il
s’adressait à la communauté arabe qui se l’appropria voyant en elle l’une des siennes, comme
le faisait facilement toute personne la regardant. Dans Femme du Bangladesh à Paris (1984)
(fig. 131), une femme nous regarde avec son enfant. Le but de cette image était d’attirer
l’attention sur le problème de la faim dans le monde.
Il a de plus en plus représenté de situations sociales. Il a choisi des humains pour dénoncer
les problèmes sociaux comme l’a fait Ernest Pignon-Ernest. Pour mieux réaliser, rapidement
et discrètement, ces problèmes sociaux, Blek le rat choisit de passer des pochoirs aux affiches
dès le début des années 1990.
« Dès le début des années 1990, le paysage urbain parisien avait entièrement
changé. Cela ne me gênait pas parce que j’aime tous les graffitis, mais il devenait
difficile de trouver ne serait-ce qu’un tout petit coin pour s’exprimer »134.
Notamment en raison de l’arrivée, depuis les États-Unis, d’un nouveau style de graffiti, le
tag ou le graff, phénomène social associé au hip hop et à la contre-culture urbaine. Les
pochoirs se retrouvaient rapidement entièrement recouverts de ces tags et autres dessins
rapidement exécutés. É tant donné ces problèmes et les nouvelles lois qui tentaient de freiner
la prolifération des graffitis Blek trouva une autre technique en 1991.
En suivant continuellement les sujets précédents, il représente une série d’autoportraits, Le
soldat français, Le Soldat américain, Le faune (pour faire sortir le faune du Musée du Louvre
et le libérer dans les rues de Paris), Le Centaure, Le Mouton, Napoléon, L’Homme qui
traverse les murs, Florence Aubenas, David, Les Mendiants (fig. 132), Lady Di, L’Homme à
la tête d’ordinateur (Fig. 133). Ces nombreuses œuvres font partie du jeu, et traitent dès les
années 1991 avec ironie ou agressivité, les thèmes de la solitude, de l’aliénation des hommes
134
Sybille Prou et King Adz, Blek le Rat : En traversant les murs, op.cit., p. 72.
304
dans l’environnement social, les thèmes religieux, des personnages étrangers, le portrait
d’artistes, les problèmes sociaux, un message anti-guerre, puis l’existence : Je suis toujours là.
Son travail a influencé de nombreux artistes majeurs du pochoir, notamment les Américains
Logan Hicks et Swoon, le Britannique Banksy et la Française Miss-tic, alors que lui-même
semble s’être inspiré d’Ernest Pinon-Ernest sur les sujets sociaux et les objets divers. Blek le
rat découvre plus tard les œuvres d’Ernest-Pignon Ernest qui le confortent dans sa démarche.
En fait, c’est ainsi que Blek révolutionna encore une fois le concept même d’art urbain grâce à
cette technique sans précédent, qui fut en outre à l’origine du développement d’une autre
branche de l’art urbain comme l’affiche et le sticker. Comme Ernest Pignon-Ernest, il a un
outil qui servit à promouvoir l’action sociale. Ils critiquent de manière utile la société et réagit
aux problèmes dont tout le monde est conscient mais que seule une minorité de gens s’efforce
véritablement de résoudre. Leur démarche se réalise par des moyens artistiques.
Blek le Rat est surtout le premier, sous l’influence des corps blancs de Jérôme Mesnager
(1983), à réaliser des portraits de personnages célèbres ou anonymes en monochromes noirs
grandeur nature. En 1982, Jef Aérosol peint ses premiers pochoirs dans le centre-ville de
Tours. En pleine effervescence punk et new wave, ces artistes puisent leurs motifs dans la
mythologie du rock, et reproduisent sur les murs emblèmes animaliers de l’underground (rats,
chauves-souris), portraits de musiciens ou pochettes de disques135. Leur première imagerie est
surtout pop : portraits de stars du rock, du cinéma, de la culture populaire ou des personnages
de comics. Miss-tic évolue dans une troupe de théâtre de rue quand elle rencontre Blek le rat
en 1985. Elle découvre le pochoir comme une chance de marquer la ville avec ses textes
poétiques. Ils seront très vite accompagnés de ses autoportraits et de silhouettes et portraits –
l’image est noire, le texte est rouge – dont les modèles sont piochés dans les magazines
féminins et de mode136.
Le marché du pochoir étant florissant, les projets d’art urbain abondent, et les musées
commencent à s’y intéresser durant la seconde moitié des années 80. Ces artistes qui ont
choisi la rue ne souillent pas plus notre cadre de vie qu’ils ne l’embellissent, et s’ils
provoquent nos rêves, c’est loin de toute évasion. Dans la grande tradition du graffiti, ils
135
Stephanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 75.
136
Samantha Longhi, Stencil History X, C215, 2007, p. 13.
305
témoignent, affirment une présence qui interpelle137. En dépit de sa dimension commerciale,
tant sur le marché de l’art que dans ses relations avec des marques, le pochoir continue de
s’affirmer dans la rue. Les pochoiristes des années 80, et surtout ceux 1985 et 1986,
s’organisent en groupes solidaires afin de réaliser de grandes actions artistiques de rue138.
Dans ce chapitre, nous étudierons chaque forme artistique des principaux artistes
pochoiristes français. Ensuite, par l’examen des activités de ces d’artistes, nous
approfondirons la question du succès des ces œuvres éphémères dans le cadre de projets et
d'expositions. En final, leur activité impacte sur la nouvelle génération d’artistes graffitis
depuis la fin des années 1990 qui utiliseront cette nouvelle méthode et stratégie du pochoir
dans la rue. Et leur pratique artistique devient internationale comme nous allons en discuter
dans notre dernier chapitre.
Miss. Tic
Miss. Tic a fait de l’association d’un visuel noir avec un texte en noir et rouge et sa
signature, sa marque de fabrique. L’utilisation du texte sur les murs, par son contenu littéraire
et poétique, est alors novatrice. Nous pouvons dire que Jean-Michel Basquiat présente les
affres d’une âme tourmentée et d’une existence déracinée, quand Miss. Tic fait de l’élégance
habillée d’humour et d'un sens aigu de la tragédie humaine sa stratégie. Sa légèreté résulte
d’un long travail sur elle-même qui lui a donné le sens de l’existence et la valeur des jours
heureux. Elle commence par des observations générales, ciselées en formules percutantes
tantôt politiques, morales financières, sexuelles et/ou artistiques.
Elle rejette, comme d’autres artistes de la rue, le graffiti en mode mineur. En 1986, elle
travaille de façon rapprochée avec la jeune Marie Rouffet, et essaime ses textes accompagnés
des dessins de son compagnon tout au long de la rue Fernand Léger, dans le 20 e
arrondissement. À partir de 1987, texte et image deviennent indissociables dans l’œuvre du
pochoiriste. Miss. Tic commence en 1988 sa campagne politico-artistique. Elle choisit
l’affiche qui, promise à une mort rapide, serait le support idéal pour une communication
immédiate de l’idée politique. Elle exploite le rôle de la poésie et constitue le triptyque poème,
figure, signature. L'humour verbal et visuel, la qualité figurative et graphique de sess œuvres a
rapidement fait reconnaître sa valeur artistique.
137
Denys Riout, « La Peinture encapsulée : les picturo-graffitis », op.cit., p. 31.
138
Samantha Longhi et Benoit Maitre, Paris Pochoirs, op.cit., p. 80
306
Christophe Genin a recherché la démarche créatrice chez Miss. Tic dans son livre Miss.
Tic : femme de l’être (2009). En découvrant le détail de ses activités dans ce livre, nous
analyserons les caractéristiques typiques de Miss. Tic. Dans les années 1980, d’abord, Miss
Tic expose dans la rue les grands thèmes que sont l’amour, la mort, et le temps qui passe, en
les inscrivant à « hauteur d’homme ». Les pochoirs sont de taille modeste, les phrases
concises et percutantes, avec une utilisation fréquente du jeu de mots. Elle peint des hommes,
des femmes, seuls ou ensemble :
Dans un geste d’amitié comme Nous resterons amis chemin (2006) (fig. 134), elle est en
accord avec elle-même. Elle se représente souvent en train de marcher, le sourire aux lèvres.
Miss Tic, rue du Faubourg-Saint-Jacques, Paris 14e, 1987 : J’enfile L’art mur Pour
bombarder des mots couleurs (fig. 135) et Miss Tic, rue de l’Oise, Paris 19e, 1998 : Je t’ai
fait marcher, Je t’ai fait courir, je te ferai tomber (fig. 136). Elle écrit avec des images et des
mots en montrant notre vie quotidienne jusqu’à aujourd’hui.
Ensuite, son travail a commencé par un autoportrait qui a plusieurs sens et valeur. Miss. Tic,
à partir des années 1980, commence à blasonner Paris de réflexions personnelles, liées le plus
souvent à sa vie amoureuse, qu’elle accompagne d’autoportraits stylisés 140. Il peut être une
identification de soi pour se faire connaitre ou reconnaitre par la présentation de son trait au
vu et au su du spectateur. L’œuvre n’est donc plus anonyme, ses images sont devenues sa
marque et sa signature. Tout cela de 1985 à 2007. Dans Autoportrait (1985) (fig. 137), elle se
représente, silhouette assise aux sourcils épais, aux yeux charbonneux, reconnaissable à sa
coiffure en boule. Au contraire, depuis peu, elle reprend à son compte, pour en faire un
« détournement » des stéréotypes sur la femme, les poncifs associés à la femme libre,
séductrice, diabolique, charnelle, frivole comme dans J’aime l’inconnu et les inconnus (2003)
139
Miss. Tic, À la vie, À l’amor, Grenoble : Critères, 2010, pp. 24-25.
140
Sous la direction de Paul Ardenne Textes de Marie Maertens, 100 artistes du Street Art, op.cit., pp. 24-25.
307
(fig. 138) 141 dans lequel elle renvoie aux hommes leur image fantasmatique de la femme,
l’image de leur désir, et enseigne aux autres femmes comment jouer de cette séduction.
En troisième lieu, Miss. Tic fait du texte par aphorismes, épigraphes, et épigrammes.
Elle est une grande lectrice des poèmes de Char, Supervielle, Eluard, Prévert, Tzara,
Desnos ou Aragon avant d'en venir à Ferré et à Barbara, poètes et chanteurs dont elle disait les
textes dans les cabarets parisiens, entre seize et dix-huit ans. Son écriture travaille donc la
forme courte, la métaphore vive, et elle est nourrie d’images surréalistes. Mais humour et
hédonisme apparaissent comme étant les deux moteurs de Miss. Tic.
J’enfile l’art mur pour bombarder des mots cœurs, (1985) (fig. 139), la présente avec un
visage pensif, les lèvres serrées, le regard triste. Cette épigraphe, son premier pochoir, a une
sonorité qu’on pourrait s’amuser à transcrire phonétiquement, Christophe Genin l'analyse en
plusieurs sens.
« J’enfile l’armure pour bombarder des moqueurs » : Une femme, blessée dans son
désamour cherche à se protéger pour contre-attaquer ce genre d’hommes qui se rit d’elle.
L’image de la femme est rétrograde, suggérant une époque où des soldats encore en armure
mettaient à feu des bombardes. Elle considère que cette attitude est la meilleure défense:
l’attaque afin d’éviter une blessure plus grande encore. Et comme Miss. Tic est une femme
d’esprit, elle marque par l’ironie sa supériorité intellectuelle sur ce qui peut la blesser.
« J’enfile l’art mur pour bombarder des moqueurs » : Nous somme encore dans la
dénonciation d’une moquerie. Mais substituer « l’art mur » à « l’armure » change le sens de la
phrase et se répercute sur ses autres éléments. En effet, « enfiler l’art mur » n’a pas de sens
immédiat, mais ne vaut justement que comme jeu de mots. Enfiler l’art mur, c’est en quelque
sorte prendre le droit fil d’une nouvelle tendance artistique. En ce sens, c’est moins un jeu de
mots qu’une expression imagée. Du coup, « Bombarder » joue en deux sens : à la fois écraser
les moqueurs et recourir à la bombe aérosol pour pratiquer l’art mural.
« J’enfile l’art mur pour bombarder des mots cœurs », la dislocation joue à présent sur
cette autoréférence pour redonner au langage sa vigueur poétique par une puissance de
suggestion. Car ces « mots cœurs » dépassent leur statut de simple jeu de mots. Ils forment un
manifeste de la métaphore amoureuse comme de la consolation du dépit amoureux142. Sous la
direction de ses analyses, nous citons à nouveau la conclusion de Christophe Genin :
141
Encre aérosol sur toile, 50x50cm, L’exposition Vain cœur, vain cul, Galerie Au-dessous du volcan, Parie 3e.
142
Christophe Genin, Miss. Tic : femme de l’être, op.cit., pp. 98-99.
308
« La force de cet aphorisme tient au fait que le jeu de mots ne joue pas le son contre
l’écrit, ni un sens contre la polysémie, mais qu’il produit une sorte de palimpseste
laissant paraitre un sens sous un autre, un son par un autre : « J’enfile l’armure de
l’art mur pour bombarder les moqueurs et bomber les mots du cœur ». Les traits
d’esprit de Miss. Tic parlent d’eux-mêmes, au double sens de l’expression : ils
portent sur eux-mêmes et s’auto-désignent dans une dimension réfléchissante, et ils
sont suffisamment clairs par eux-mêmes pour ne pas avoir besoin de
commentaire »143.
Son étude unique sur l’œuvre de Miss. Tic nous guide pour bien comprendre ses idées.
Mais il n’a pas critiqué le recyclage fréquent de ses œuvres depuis les années 1990. Et il n’a
pas commenté sa déviation vers l’officiel et l’exposition en galerie. Nous montrerons
comment ses œuvres changent de manière intellectuelle et cyclique pour être exposées dans
les espaces d’exposition.
A la différence de cette motivation des épigrammes, elle a également travaillé l’expression
poétique. Ses premiers poèmes étaient de quelques lignes et leur forme brève et libre. Le Toi
en moi (1986) (fig. 140), photographié par Gérard Lavalette, désigne la relation amoureuse et
érotique, que ce soit le désamour qui initia ses premiers textes et pochoirs, ou les jeux du désir
qui appellent les amants à la jouissance sexuelle. A ses débuts, ses épigrammes sont une
exclamation de dépit amoureux, telle l’admirable série « Toi en moi ».
Elle s’épanouit dans l’exposition Toi et Moi en 2007. Elle laisse à désirer, au sens propre, et
suscite la curiosité du spectateur qui se met en quête du pochoir suivant. Ses pochoirs
supposent une relation intime entre elle (son pochoir) et le « regardeur ». Il n’est donc pas
143
Ibid., p. 99.
309
fortuit qu’elle ait intitulé une de ces expositions Toi et moi. Dans les 4 travaux en commun
avec Jean Faucheur, qui donnèrent lieu à des œuvres à deux mains comme le diptyque Toi et
moi, l’œuvre de Miss. Tic est fondé sur ce Toi-et-Moi qu’elle décline dans toutes ses
dimensions. Pour éclairer cette expérience humaine fondamentale, à la fois éthique et
esthétique144.
Ce projet comprend ensuite l’adresse au témoin de cette relation amoureuse, à un tiers
voyeur de cette première relation, au passant. Le spectateur constitue donc un rapport mutuel
de second rang entre l’artiste et son public comme L’émoi pass où un homme et une femme
nous regarde avec un petit sourire. Enfin, dans ce projet, elle met son œuvre en commun et/ou
au service d'autres artistes comme Edouard Boubat, Régine Deforges, Jean Faucheur, Léo
Ferré, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Bernard Pras (fig. 141).
En quatrième lieu, elle pose ses pochoirs sur une toile préparée, une brique, un parpaing, un
papier vergé, du celluloïd ou des disques, pour un décor de théâtre, une affiche politique ou
publicitaire, etc. À la manière des Surréalistes ou des Nouveau Réalistes qui récupéraient les
rebuts pour les anoblir par l’art, grâce à des techniques mixtes, Miss. Tic recycle ce qui
parvient à portée de sa main.
Dans la rue, Miss. Tic opère généralement en noir et rouge, couleurs qui constituent sa
signalétique urbaine, son code. En revanche à l’atelier, son travail chromatique est plus riche.
Le changement de support entraine des différences de procédures. Dès 1985, l’application de
pochoirs sur les murs lui fait apprécier les qualités de matière. Mais elle crée sur des supports-
papier de qualités diverses : papier journal, fragment d’affiche, affiches lacérées, pâte à papier,
papier-calque, papier Canson, papier huilé ou papier japonais. Sa toile apparait en 1989, avec
une technique simple ou une technique mixte combinant bois peint et pochoir. D’un point de
vue stylistique, de 1985 à 1993 le fond des pochoirs reste monochrome ou relativement
simple. À partir de 1993, le fond ne se confond plus avec le support mais commence à devenir
un acteur supplémentaire de la beauté et du sens, outre les pochoirs textuels et graphiques.
Je ferai/ jolie/ sur les trottoirs de l’histoire de l’art (fig. 142), daté de 1995, donna lieu à
trois épigraffs similaires. Ils étaient constitués de deux pochoirs. Le premier tient en une
proposition en deux temps : Je ferai/ jolie/ sur les trottoirs / de l’histoire de l’art (fig. 143).
Un second esquisse la silhouette d’une femme vue de dos. L’image est à la gauche du
spectateur. Elle change l’orientation de cette image, donnant en miroir un déhanchement sur
144
Ibid., pp. 44-45.
310
la droite, main droite sur la fesse droite. Elle change de medium, passant du mur à la toile. La
troisième version, Je ferai/ jolie/ sur les trottoirs de l’histoire de l’art (1995) (fig. 144),
pratique dans l’exposition Je ferai jolie sur les trottoirs de l’histoire de l’art.
Ce pochoir dessiné sur des affiches déchirées est en filiation des Nouveaux Réalistes Hains
et Villeglé qui, par leurs affiches sciemment lacérées, firent des aléas visuels des rues un
projet plastique et un style graphique. Ses affiches lacérées montrent souvent des femmes
fatales, comme La Dolce Vita (fig. 68) de Mimmo Rotella. Pour réaliser ce travail, Miss. Tic
ne perd pas le contact avec la rue. Ces trois versions de 1995 permutent donc bombage et
post-graffiti, mais son tableau est ironie : L’arte nuoce alla stupide/L’art nuit à la bêtise
(2007) Miss. Tic fait continuellement de nouvelles versions de son É ros, érosion145 (fig. 145),
qui tient en une forme d’art conceptuel qu’elle installa dans la galerie Chappe à Paris.
En cinquième lieu, elle reprendra le principe de parodie avec ses emprunts à des peintures
célèbres qu’elle sort du musée et place dans la rue en les commentant : La Joconde, de
Léonard de Vinci avec le commentaire « Pour sourire il faut avoir beaucoup pleuré », ou La
Muses et Hommes (fig. 146) de Raphaël associée à la phrase « Il était une foi, une vierge en
sainte », ou encore La Mort de Sardanapale de Delacroix et « Mon corps est un chant de
bataille ». Et bien d’autres, de Botticelli, Fragonard, Goya ou Moreau, revisitées sur le même
mode146.
Dans ces tableaux de maître, Miss. Tic dénonce la guerre comme une affaire d’hommes
dont la femme est toujours la victime. En accentuant un détail de tel tableau, elle montre que
la peinture d’histoire au souffle épique, le grand genre, est la bonne conscience d’une violence
masculine glorifiant l'héroïsme mâle. La série de Muses et Hommes semble significative sur
ce point, car elle vise bien souvent la violence faite aux femmes. C’est que sa vision politique
est plus séduisante dans la figure de la femme dans l’histoire de l’art pour en donner à voir le
non-dit. Par exemple, Femmes passives, femmes faciles (2000)147 (fig. 147), cette image est
empruntée aux célèbres images d’Ingres dont les hammams et les harems présentent des
odalisques, baigneuses et autres concubines aux chairs alanguies, aux courbes appétissantes,
esclaves attendant leur maître, telle La baigneuse (1808) (fig. 148) vue de dos. En donnant un
regard critique sur notre appartenance sexuelle, elle attribue la dignité du genre féminin.
145
Texte au pochoir et prises électriques, 2007, Galerie Cahppe, Paris 18 e, photographie Christophe Genin.
146
Bernard Fontaine, Graffiti : Une historie en images, op.cit., p. 76.
147
D’après Ingres, de la série Muses et Hommes, Paris 20e, Photographie Philippe Zénatti.
311
Cependant elle ne prône pas d’idées extrêmes, car ce qu’elle suggère n’est qu’un autre rapport
entre hommes et femmes en en questionnant les modalités du vivre ensemble.
En finale, les séries Miss. Tic Présidente abordent la politique autrement. Autant Muses et
hommes referait au grand genre à l’histoire de l’art, autant Miss. Tic Présidente se place dans
l’espièglerie, ou le détournement ludique, en apparence du moins. Cette série commencée aux
élections présidentielles de 1988, réitérée en 1995, 2002 et 2007, se donne comme un
commentaire badin des programmes électoraux. Par exemple, Miss. Tic présidente (fig. 149),
est provocateur. Il ne s’agit pas de s’opposer seulement au slogan nationaliste « la France aux
Français » pour donner leur change aux Maliens venus à Paris, car cette phrase s’accompagne
d’une femme à la noire crinière. Elle touche un point sensible de l’imaginaire national. Elle
induit l’expression « Miss. Tic présidente » que cette campane de collages en affichant ses
positions antifascistes et anti-Front National, parce que nous pouvons voir un nombre
important de marques, inscriptions, graffiti, affiches et pochoirs sur les murs de la capitale.
Les slogans directes qui commendes l’attention dans la rue sont toujours polémique. Mais la
conception politique de Miss. Tic était atypique, parce qu’elle ramène pour l’essentiel à un
désir d’union.
Le travail de Miss. Tic ne se confine pas au seul espace urbain. Elle expose en galerie dès
1986, en participant à l’exposition Pochoirs à la galerie du Jour-agnès b. Elle expose chez
Jean-Marc Patras. Elle noue des relations privilégiées avec certaines galeries, tout en
continuant d’affirmer la libération de sa création et de son action. Elle s’ajoute une importante
collection de toiles, et une longue liste d’expositions personnelles en galerie. Ses nouveaux
pochoirs comme Le pouvoir ne protège pas, il se protège (2004) (fig. 150)148 dans lequel une
femme est couchée en chien un fusil, critique la loi. En général, ces travaux sont réalisés dans
le cadre d’exposition en galeries et elle les applique sur des bâtiments publics ou privés avec
autorisation. Il faut alors changer de stratégie : désormais Miss. Tic ne sort plus ses bombes
qu’avec parcimonie, et sur autorisation.
Comme tous les pochoiristes dans les années 80, elle officie également dans les rues
cossues du Marais 149 . Miss. Tic a ainsi réalisé, avec l’accord de la mairie du 20e
arrondissement, la série Muses et hommes qui offre au regard des passants une relecture des
plus grands tableaux de l’histoire de l’art. De même, on peut encore voir sur les murs des 5e et
148
Encre aérosol sur toile, 150x150cm, exposition Miss. Tic Attack, Galerie Fanny Guillon-Lafaille, Paris 8e
149
Samantha Longhi et Benoit Maitre, Paris Pochoirs, op.cit., p. 50.
312
13e arrondissements quelques-uns des pochoirs qu’elle avait bombés à l’invitation de
l’association Lezards de la Bièvre150.
Jef Aérosol
Jef Aérosol, ses influences sont Andy Warhol et Ernest Pignon-Ernest, « J’ai eu la chance
de rencontrer et d’exposer avec lui. »151 dit-il. Il s’essaie depuis l’adolescence à différentes
expériences artistiques, comme le copy art (ou électrographie) encore nommé photo-
graphisme, alors très en vogue. En 1982, il commence son premier pochoir à Tours en
peignant des rats, des chauves-souris et des cafards, puis des visages dont son autoportrait au
photomaton, devenu célèbre, et le montrant expressif, grimaçant, hurlant, associant souvent
un titre à l’image152. Il monte sa première exposition personnelle de copy art en 1984 et en
1986, montrant son œuvre de pochoirs dans un bar du 11e arrondissement. (fig. 151)
Jef signe d’abord simplement « Jef » à Tours en 1982, puis il y adjoint le mot « Aérosol ».
Aujourd’hui, les travaux de Jef Aérosol sont indissociables de sa fameuse « flèche rouge » à
la manière d’une seconde signature. Elle est devenue de plus en plus récurrente dans son
travail jusqu'à devenir sa marque de fabrique. En 1985, il rencontre à Paris Miss. Tic, Blek le
Rat, Speedy Graphito, Jérôme Mesnager, et tant d’autres. Jef fait également éclater des
bombes verbales, en français ou en anglais. Un simple mot, une expression une courte
phrase : autant de slogans, de propositions d’action, de rythmes, comme des titres de rock
songs 153 . Chaque artiste est différent en termes de sources d’inspiration et de styles alors
même qu’ils utilisent tous le pochoir. Mais ils travaillent dans des quartiers semblables et
réalisent des œuvres collectives dans le cadre de projets officiels. Jef fait un travail soigné :
150
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU : Un panorama de l’art urbain de 1975 à nos jours, op.cit., p.
140.
151
Eleanor Mathieson et Zavier A. Tàpies, Street Art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 104.
152
Samantha Longhi & Benoît Maîre, Paris Pochoirs, op,cit., p. 58.
153
Patrick Le Fur, Jef Aérosol, Critères Editions, 2009, p. 17.
313
et j’ai toujours été attiré par le style et l’attitude. Lorsque, encore gamin, je vois
pour la première fois des photos de Dylan, des Stones ou des Kinks, je ressens une
émotion esthétique qui ne m’a pas quitté depuis ! La période 65-75 fut importante à
cet égard : héritage des Teddy Boys, puis classe des Mods, etc. C’est aussi l’époque
d’événements marquants : mai 68, les festivals (Monterey Pop, Woodstock,
Wright…) »154.
Comme CHUUUTTT !!! (2011) (fig. 152), Jef crée souvent des portraits de personnalités
comme Elvis Presley, Gandi, Lennon, Hendrix, Basquiat, Serge Gainsbourg, Dylan, Robert
Musil, Amália Rodriques, etc. Mais une grande partie de son travail est consacrée aux
anonymes de la rue. Au-delà de leur âge, origine ou condition sociale, voici une grande
galerie d’hommes, de femmes et d’enfants, de stars du rock, du cinéma, de la littérature ou de
la politique. Nous évoquerons aussi l’importance du mot dans le travail de Jef Aérosol, mot
qui constitue plutôt une seconde esthétique, un jeu texte/image, une référence aussi à la
signalétique urbaine qui est la flèche rouge.
Et il peint sur les murs de nombreuses villes: à Paris, Lyon, Lille, Nantes, île de Ré,
Orléans, Tours, Londres, Lisbonne, Venise, Rome, Amsterdam, Chicago, New York, Los
Angeles, Bruxelles, Zurich, Barcelone, Pékin, Tokyo, Palerme, Athènes, Istanbul, Belfast,
Dublin, etc. Il a même collé son désormais légendaire « Sitting Kid » sur la Grande Muraille
de Chine (fig. 153)155. Les enfants dont son célèbre sitting Kid, pensif et riche de possibilités,
sont presque un alter ego.
Aujourd’hui, ses travaux sont visibles dans de nombreuses expositions, festivals, salons
d'art, ventes publiques et événement internationaux, et il est représenté par plusieurs galeries
en France et à l’étranger156. Il a participé au film de Nicolas Engel, La Copie de Coralie. Et un
154
Cité par Ibid., p. 20.
155
« Sitting Kid » a fait à Tokyo (2009), à Rome (2008), à Zurich (2009), à Bruxelles (2008), Panda and Kid à
Chengdu (chine 2009), à Mont-Saint-Michel (2011)
156
En 1986, il a exposé ses « pochoirs » dans la galerie Agnès b. à Paris. En 2009, a réalisé une performance au
Zebra Festival en Chine. Il a également réalisé une fresque sur la façade du musée Robert Musil à Klagenfurt
(Autriche), en novembre 2010. Il a exposé au Musée des Avelines (Saint-Cloud) en 2011 et a réalisé l’exposition
« Babel » au Palais des Beaux Arts de Lille en 2012, « No man’s land exposition » à l’ambassade de France à
Tokyo de novembre 2009 à février 2010. Une grande exposition rétrospective a été organisée par la galerie
Magda Danysz dans la collégiale Saint Pierre Le Puelier, à Orléans de juin à juillet 2012.
En 2011, Jef a réalisé au Centre Beaubourg à Paris, son plus grand pochoir (350 m2) intitulé « Chuuuttt !!! » et
situé à la place Stravinski, face à la fameuse fontaine Tinguely près du Centre Georges Pompidou. Parmi les
autres fresques de grand format réalisées par Jef, il y a : « Miossec » (Brest), « Hendrix » (La Louvière,
314
film sur Jef Aérosol, réalisé par Manuela Dalle en 2009, dans la série l’Art et la Manière est
consacré au travail et aux influences de Jef. D’avril à mai 2010, Jet a également réalisé une
grande fresque décor à Bruxelles pour le film de Martin Provost avec Yolande Moreau « Où
va la nuit ».
Jérôme Mesnager
Pour parler de lui, il faut dire que ses parents habitaient au-dessus d’un atelier d’artistes où
se croisent Pignon-Ernest, Ben et Fromonager. Stimulé par leur exemple, Jérôme peint ses
premières toiles157. A cette période, il a donc accompagné le mouvement d’art urbain parisien
comme Blek le rat, Miss. Tic, Jef Aérosol, Némo et la Figuration libre au début des années
1980. Il sera même l’un des premiers à voir ce dernier coller ses images de Rimbaud chez
Ernest Pignon-Ernest. Mais il ne s’est pas inspiré des techniques au pochoir d’Ernest Pignon-
Ernest. Jérôme Ménager esquisse son double en quelques coups de peinture blanche.
En 1983, il invente l’Homme en Blanc, qui est « un symbole de lumière, de force et de
paix ». Cette silhouette blanche est aussi appelée, « corps blanc » ou « l’homme Blanc ».
L'homme réduit à sa plus simple expression. Un homme nu pour revenir à l’essence même des
sentiments et des actions. En 1990, Jérôme Mesnager rencontre Jean-Pierre Le Boul’ch, dans
l’immeuble où il vivait. Il expose une série de palissades sur le thème des combats à la galerie
Loft, qui édite un catalogue.
Il voyage comme d’autres artistes dans l’art urbain, à l’étranger, mais par sur invitation.
Jérôme Mesnager a reproduit son homme blanc à travers le monde entier comme en Inde, en
Chine, sur les murs de Paris.En 1995, il réalise une grande peinture murale rue de
Ménilmontant, dans le XXe, « C’est nous les gars de Menilmontant » à l'angle de la rue de
Menilmontant et de la rue Sorbier. Vivant dans ce quartier nord de Paris, l’artiste y a
beaucoup œuvré, allant jusqu'à recouvrir de nombreux murs à Belleville (fig. 154).
Ensuite, Jérôme mesnager fait des tableaux sur toile. Il serait libre de tout circuit marchand,
dans la rue. Jérôme Mesnager est donc touché par la volonté d’un art accessible à tous. Il
participe à des projets connexes tels que des pochettes d’album pour La Rue Kétanou. Comme
Belgique), « Ray Charles & Otis Redding » (La Rochelle), « MIN » (Lille), et « Electric City : Basquiat, Warhol,
Haring » (Le Havre)
157
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU : Un panorama de l’art urbain de 1975 à nos jours, op.cit., p.
139.
315
une toile commandée par le musée Roland-Garros, Le corps Blanc sur terre
battue et Couverture des 100 ans du journal l’Humanité, grace à son geste humoristique, ses
hommes jouent dans la ville.
Par ailleurs, En 2005, Jérôme Mesnager s'inspire du Printemps de Botticelli, du Radeau de
la Méduse de Gericault, et de La création d’Adam de Michel-Ange, d’abord sur palissade puis
sur bois. En 2006, Jérôme réalise une série de toiles inspirées par l’art nouveau et l’art déco
(fig. 155) : « De retour à l’atelier, j’entreprends sur toile une série de peintures inspirées par
l’art nouveau, déclinant les hommages à la sculpture, la peinture et l’architecture 1900, un
vrai plaisir »158. La même année, il s’attaque à l’hôtel des Académies et des Arts à Paris et
envahit l’espace avec ses Corps blancs. Les personnages de Jérôme Mesnager sont peints sur
les murs tendus de papier peint effet toile brute.
Pour finir, Jérôme Mesnager collective les autres artistes dans l’art urbain. Il s’associe
souvent avec Némo, dont le personnage fétiche est la silhouette noire d’un homme en
imperméable coiffé d’un chapeau159. Pour le salon de l’Art contemporain, il peint sur la place
de la Bastille avec Némo. En 2007, Avec Gérard Faure. Jérôme Mesnager collective avec
« Mosko et associés ». Ils réalisent une série de palissades, rencontre de l’homme et de
l’animal, mais aussi de techniques picturales. Ces peintures seront présentées au restaurant
l’Emile, puis à la galerie Ligne 13, ensuite au restaurant le Park à Boulogne, avant de partir à
l’Ile de Ré suite à l'invitation par Georges Michel Kahn pour exposer dans sa galerie.160
Ces artistes ont commencé à peindre à la fin des années 80. En 1995, Nemo est invité par la
Mairie de Paris à réaliser un mur peint sur un pignon de la rue de Ménilmontant. Le
mélancolique Nemo est une autre figure historique du quartier. Habitant rue de la Mare, il
intervient rue des Envierges, rue Henri-Chevreau, rue des Maronites, rue des Couronnes,
boulevard de Belleville (fig. 156). Il choisit le personnage de Little Nemo issu de la bande
dessinée mythique de Windsor McCay, dont le premier épisode date de 1905. Il affiche le
même air songeur et étonné, un brin triste dans son lit, affublé d’un parapluie et d’un ballon
158
Il court toujours… 25ans: Jérôme Mesnager, Grenoble : Critères, 2008, p. 66
159
Sous la direction de Paul Ardenne Textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., p. 58.
160
Il court toujours… 25ans: Jérôme Mesnager, op.cit., p. 75.
316
rouge. En 1996, Nemo part en Bolivie, invité par le maire de Bogota à intervenir dans sa ville.
À son retour, Nemo continue de peindre les murs de Belleville et Ménilmontant161.
Nemo s’entoure toujours de papillons, de chats et de ballons rouges (fig. 157). Il est
sociable, aussi et acte en collectif, parce qu'on l’a souvent vu avec le bonhomme blanc de
Jérôme Mesnager, et il fréquente à l’occasion le bestiaire des Mosko. Il lui arrive également
de partir en voyage, puisqu’on le retrouve sur les murs de Lisbonne, Bogota, Tokyo, etc. Il est
partout où la ville s’étiole et s’effondre.
Comme dans le travail collectif de Mosko & Associés et Jérôme Mesnager (fig. 158), les
deux membres de ce collectif agissent dans le quartier de la Moskova, qui jouxte la petite
ceinture dans le 18e arrondissement, frappé d’un mal somme toute commun. On veut le
démolir pour le remettre à neuf. Les mosko ont alors l’idée de peindre sur les bâtiments murés
des pochoirs capables d’en réfuter l’aspect sinistre. La Moskova devient ainsi un zoo urbain
où girafes, hippopotames et gazelles, comme autant de figures totémiques, protègent les murs
promis à la destruction. Leur iconographie bestiaire s’adapte aux friches ayant l’allure de
jungles. Leurs supports de prédilection pour apposer les animaux colorés sont les fenêtres
murées, les façades aveugles, les devantures de boutiques à l’abandon. Sans être un collectif
militant, Mosko et associés interagit avec son environnement et revendique le fun et le plaisir.
C’est dans le quartier de la Moskova que tout commence, puis leurs pochoirs se multiplient
dans les rues des 19e et 20e arrondissements, le long de la ligne de bus 60 notamment. Leurs
œuvres sont devenues plus colorées, avec fleurs, végétation, et sont entièrement dévolues au
travail de rue.
Nous n’avons pas relevé les problèmes inhérents à chacun de ces artistes, nous avons tenté
une classification des œuvres de Jérôme Mesnager, Mosko et associés, et Némo. Ils utilisent
des manières différentes. Mais par les projets officiels, ils travaillent collectivement souvent
dans la rue. Leurs figures simples jouent dans la ville dont elles rénovent les vieux quartiers.
A cette période, les artistes semblaient favoriser le renouveau des expressions urbaines
spontanées et sauvages dont l’effervescence secoue la scène artistique urbaine.
Il s’agit de savoir si tel ou tel artiste est digne des expositions et des commandes qu’il a, si
les collections des musées doivent acquérir ou continuer d’acquérir telles ou telles œuvres, si
telle commande publique réalisée aurait dû être faite, si l’engouement critique pour telle ou
161
Samantha Longhi & Benoit Maitre, Paris Pochoirs, op.cit., p.128.
317
telle sorte de production est justifié162. Ces intérêts ont débuté en galerie, par divers projets
officiels et commandes commerciales.
Les années 80 voient les ventes aux enchères spécialisées en art urbain se multiplier. Les
pochoiristes entrent donc au cœur du marché de l’art avec les marchands et les mécènes.
À la fin des années 80, beaucoup de choses ont changé. Le projet du musée du graffiti au
château de Joreau est définitivement abandonné. La galerie Saint-Claude ferme ses portes et
la galerie Christophe de l’avenue Matignon ne résiste pas à la crise et ferme au début des
années 90. En 1987, Arnaud Brument rencontre le directeur de la galerie Christophe, qui le
conseille et le soutient dans son projet d’ouvrir une galerie spécialisée en art urbain dans le
16e arrondissement. Eric de Ara Gamazo organise en 1992 L’art Vif, au Centre Pompidou,
une exposition de ses photos tirées sur bâches dans des formats de trois mètres de haut. Elle
est sponsorisée par la marque Kodak.
162
Yves Michaud, L’art crise de l’art contemporain, op.cit., p. 78.
163
La jeune galerie du Jour-agnès B., Polaris, Christophe, mais aussi la galerie Daniel Templon ouverte depuis
1966.
164
Samantha Longhi, Stencil History X, op.cit., p. 108.
318
Le site américain Wooster Collective, créé en 2001, et le site Paris Pochoirs, créé par
Michel Longh et sa fille Samantha en 2003, font référence à ces travaux avec plus de cinq
mille photographies de pochoirs en ligne ainsi que des interviews d’artistes en français et en
anglais. Ces différents sites internet au graphisme primitif permettent alors d’être ouverts sur
l’actualité de la planète entière et de découvrir, échanger, dialoguer et même collaborer.
Depuis le début des années 2000, l’intérêt de certains universitaires et critiques d’art pour le
mouvement du graffiti art, et tout particulièrement le pochoir, a eu pour conséquence
plusieurs études sur ce genre. En 2001, le SEL à Sèvres sollicite Arnaud Bruement pour
monter une exposition collective non commerciale présentant les artistes de sa collection
comme Speedy Graphito, Nemo, Jérôme Mesnager, Gérard Zlotykamien, Franckie Boy,
Raphaël Gray, etc165. Mais Blek le Rat dit,
« Si je travaille dans la ville, c’est parce que la rue est le seul endroit vivant pour
exposer son travail. Les autres sont des lieux morts. Je veux parler des galeries et
des musées, de tous ces lieux où l’on emmagasine de l’art et qui sont d’une autre
époque, d’un autre âge »166.
Si les motivations diffèrent, le passage de l’autre côté du mur apparaît pour beaucoup
comme une étape obligatoire dans leur processus artistique. De plus en plus de jeunes artistes
issus de la rue investissent néanmoins les bastions artistiques traditionnels. L’émergence de
galeries spécialisées vient confirmer cette vitalité et ce regain d’intérêt. Nous oublions
souvent que l’exposition est influencée par la perspective politique et contrôlée par le pouvoir.
Déjà, dans les années 80, le marché artistique s’était un temps emballé pour certains peintres
de rue avant de les sacrifier sur l’autel de la rentabilité. Malgré l’illégalité qui pèse sur leurs
pratiques, bon nombre d’artistes urbains se retrouvent à nouveau aujourd’hui portés sur le
devant de la scène. Beaucoup de ces artistes jouent sur les deux tableaux.
Il faut souligner que, même si ses collaborations à des expositions ou des performances
collectives seront nombreuses, ces artistes ne feront jamais partie d’aucun collectif comme
crew ou graff. La mode du pochoir urbain fleurit ensuite au milieu des années 80.
Apparaissant le plus souvent dans les environs de lieux d’art, des quartiers du Marais et de
165
Samantha Longhi & Benoît Maîre, Paris Pochoirs, op,cit., p. 104.
166
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 110.
319
Beaubourg, le Centre Pompidou ouvrant ses portes en 1977, le pochoir véhicule des valeurs
de liberté et de gratuité, parfois teintées d’autopromotion167.
Les artistes urbains utilisant l’acrylique ou le pochoir comme Jérôme Mesnager, Nemo,
Miss. Tic et Mosko et associés, qui travaillent dans le quartier très populaire et multiculturel
de Belleville, situé dans le 20e arrondissement de Paris. Non seulement pour défendre ce
quartier mais également pour laisser libre cours à leur imagination, ils investissent ces
quartiers en pleine restructuration, une démarche sociale et engagée s’affirme chez ces artistes.
En 2001, Miss. Tic a ainsi pu réaliser, dans le 20e arrondissement, les projets comme le
série de Muses et hommes et de Miss. Tic Présidente. De même, les festivals se multiplient :
Lézards de la Bièvre dans le 5e arrondissement, Kosmopolitie à Bagnolet en 2004-2005.
Autant d’initiatives qui permettent à l’art de rue de sortir de l’illégalité. Peuvent-ils librement
exprimer leurs idées malgré le caractère commandé de l'intervention? Miss Tic explique :
« Pour « Muses et Hommes », j’ai eu une totale liberté de création. C’est un projet
que j’ai moi-même initié, mais après l’avoir accepté, la mairie du 20e
arrondissement a tout mis en œuvre pour m’aider à trouver les moyens de le
produire. Plusieurs entreprises commerciales m’ont également soutenue. Dont la
société Ricard et les laboratoires photographiques Smith »168.
Ces commandes institutionnelles peuvent déchoir le muralisme officiel et simple, parce que
la commande impose plusieurs principes aux artistes 169 . Elle a fait Après des histoires à
dormir debout, des histoires à coucher dehors (fig. 159), Réunions de chantier, à Lyon en
2007. Pendant que Miss. Tic travaille, les conseillers de la Ministre n’ont pas discuté les
contenus qu’elle proposa. Mais n’a-t-elle pas considéré inconsciemment leurs attentes pendant
son processus de création ? Un exemple d’art populaire, Léo Ferré (2007) (fig. 160)170 sur les
murs de la résidence d’étudiants Léo Ferré, montre simplement un renouveau urbain dans la
vieille ville. Comme les muralistes, elle représente la présence de la vie et réarrange la trace
167
Samantha Longhi, Stencil History X, op.cit., p. 8
168
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 106.
169
« Considérer la question du logement comme un enjeu civique et non politicien, qui l’impliquait comme
citoyenne douée d’une conscience éthique, ayant elle-même connu la précarité ; Œuvrer comme artiste autonome,
et non comme propagandiste chargée de la « com » d’un gouvernement ; Garder sa liberté de parole et de
création ».
Christophe Genin, Miss. Tic : femme de l’être, op.cit., p. 156.
170
Léo Ferré, (2007), création de Miss. Tic, peinture murale exécuté par Christophe Gabriel, Orly, résidence
universitaire, Photographie Corinne Guidal.
320
d’une vie publique dans l’espace du public en reflétant les problèmes de la vie culturelle,
politique, et sociale. Dans le cadre de ces activités, certains théoriciens redéfinissent les
artistes français par l’art public. Mais ce mouvement artistique change tout bonnement la
qualité de la vie publique ? Comme Leo Ferré, l’œuvre d’art officiel commandée par le
gouvernement, un projet artistique, et les galeristes collectifs, peut ressembler à l’art public.
Parce que cette grande fresque monte en continu que l’art public reflète certains sens et forme,
et que l’art public cherche un point de tangence. L’artiste semble désigner ce qu'il considère
comme étant la culture du public.
Ce genre ambigu, l’art public, est souvent utilisé par les pays qui connaissent une situation
politique complexe comme la comme Corée du Sud. Les raisons sont diverses mais très
compliquées en cas de problèmes politiques, de conscience sur l’art des politiciens et de la loi,
et de phénomène de bipolarisation des idées. C’est d’abord du fait de la conscience du
politicien du gouvernement que certains l’utilisent de manière calculée dans le cadre d’un
divorce idéologique. Ainsi, la Corée du Sud a accepté ce phénomène comme étant un genre
d’art contemporain réalisé avec l’aval du gouvernement.
En Corée, l’art public a débuté par l’établissement d’un droit que l’État a établi par une loi
spéciale « le 1% décoratif » sur les œuvres d’arts plastiques en 1980. C’est-à-dire, l’obligation
pour les collectivités territoriales d’engager cette fraction du budget de la construction de
leurs bâtiments publics à la production d’œuvres pour ces derniers. En 2000, l’État a introduit
l’art public qui se distingue par deux systèmes : le premier est une loi spéciale : « le 1%
décoratif »; l’autre se réalise par l’obtention d’une subvention pour un projet par des curateurs.
Le but de l’art public coréen est de faire renaître la culture et d’activer les échanges par l’art.
Ainsi, les artistes redécouvrent la vie et l’histoire du site, et représentent la valeur et l’aspect
de cette région. Alors, l’art public coréen s’efforce d’amener un progrès culturel. Cependant,
les régions sélectionnées par Art&City, couvrent des zones pauvres où se trouvent des villages
isolés, ou des zones de rénovation. Mais les formes d’art public coréen montrent des manières
et des matières artistiques diverses, au-delà du muralisme simple.
L’art public peut décider de la qualité et la durée de vie de l'œuvre par la communication
avec les utilisateurs, mais il disparait progressivement dans l’indifférence de l’entourage
comme dans la rénovation de la zone. Il propose des thèmes divers pour représenter notre vie
et multiplier les expériences dans des lieux différents, populaires. L’art public contribue à
donner à la ville son épaisseur historique, à l’historiciser, à rythmer son développement. Nous
devons donc penser que l’art public doit croiser différentes sources : les inventaires
321
institutionnels, les catalogues des Symposium de la sculpture, quelques livres et études
universitaires et la mémoire des artistes eux-mêmes. Mais, avec un pays ayant une démocratie
immature, l’art public coréen a des limites à savoir comment l’art public peut représenter
librement les problèmes de la vie culturelle, politique, et sociale des publics et contribuer à
produire leur culture majeure. L’art public dans la ville aujourd’hui est plus difficile.
Spécialement, l’intervention du gouvernement et des géants de l’art réprime souvent
l’expression artistique libre pour des artistes qui sont sensés refléter les problèmes de la vie
culturelle, politique, et sociale. Le danger est de limiter et fixer les idées a priori libres des
artistes, comme les limites du muralisme. Avant tout chose, il n’existe aucune recherche
créative digne d’être classée dans l’art public. Et ce n’est pas un mouvement définissable d’un
point de vue stylistique ou conceptuel.
Nous ne pouvons pas donc ignorer la situation politique de chaque pays, mais il est difficile
de véritablement la prendre en compte dans notre étude. Aujourd’hui, les formes d’art de la
rue sont similaires au développement de chaque pays malgré les différences historiques de
l’art urbain et la permissivité de l’autonomie artistique. Nous sommes très préoccupés par
cette dernière. Nous devons donc marquer l’arrière-plan du début du mouvement artistique
français dans l’art urbain. Nous ne devons pas non plus confondre l’art public et les autres
formes de l’art de la rue avec ce mouvement artistique français dont le contexte est différent.
Yves Michaud explique les réflexions avancées sur la culture, depuis les années 60, dans la
société capitaliste et qui ont abordé à plusieurs reprises le sujet de l’art contemporain et de sa
valeur aussi bien esthétique que sociale.
171
Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, op.cit., p. 108.
322
abstrait, les décisions individuelles des producteurs de readymades ou de boites Brillo, ou l’art
expérimental extrême en sont autant d'exemples. Cependant, on doit remarquer une autre
partie qui touche un domaine du graffiti. En considérant la récupération et la
commercialisation capitaliste de la culture moderniste avec tous ses dangers, désormais les
styles de vie et les valeurs du contre-capitaliste minent les valeurs d’intégration politiques et
culturelles et agissent de manière subversive sur la vie quotidienne. Ce ne sont pas les
implications politiques, ni les réflexions sur les mécanismes de légitimation du capitalisme
avancé, mais les arguments utilisés pour critiquer l’art contemporain qui se constitue en
nouveau genre, et le street art aussi.
L’attitude des graffitis dans la rue est-elle oisive pour représenter critiquement notre société
et pour résister à la norme sociale et artistique? Pourquoi ce mouvement est-il magnifique et
innovant dans l’art contemporain, alors même qu’il est traité d’art léger ? Depuis la fin des
années 1990, une certaine jeune génération de graffitis apparait avec de nouvelles techniques
et critiquent froidement ce problème. Leur succès est de courte durée, au début des années
1990, la crise du marché de l’art marque un coup d’arrêt à l’euphorie de la scène parisienne.
De grands artistes que nous avons déjà étudiés, travaillent les commandes officielles dans les
quartiers pauvres ou dans la ville, dans le cadre de rénovations. Ils gardent un champ d'action
libre. En Asie et dans d’autres pays, les projets officiels font appel à des artistes qui ne
viennent pas de la rue, et qui peignent en harmonisant les opinions du commandeur et du
public.
En la présentant souvent associée aux expositions de graffitis, la rue parisienne est de plus
en plus remplie de tags ou de graffiti writing parce que Futura 2000, et d’autres graffeurs
new-yorkais très populaires, arrivent en France au même moment. Jack Lang s’empare de la
polémique et décide d’organiser Graffiti Art, une exposition collective montrant pour la
première fois en France dans un cadre officiel et institutionnel la scène graffiti française et
internationale: Futura 2000, Blade, Crash, Skki@, Ash, etc 172. Une telle situation a plutôt
engendré des effets négatifs. Malgré le développement d’une véritable scène artistique, cette
nouvelle décennie engendre répression et récession parce que le gouvernement a commencé à
effacer les graffitis. Par exemple, dès 1986, la Mairie de Paris lançait l’OLGA, Organisation
de Lutte contre le Graffiti et l’Affichage sauvage.
172
Céline Remechido, Michel Chanaud, Paris, De la rue à la galerie, op. cit., p. 9.
323
En dépit du fait que de nombreux artistes soient poursuivis par la justice et que leurs
œuvres aient été effacées par l’OLGA, Jean Tiberi, maire de Paris à partir de 1995, décide peu
avant la coupe du monde de football de 1998 de nettoyer totalement les rues de Paris. En 1999,
le nettoyage de la ville est délégué à une entreprise privée. Cette entreprise nettoie toutes les
façades à hauteur de quatre mètres et les maintient propres en enlevant les nouveaux tags.
Paris est immaculée.
Cependant le monde de l’art livre une lutte durable à ces images de la rue. C’est-à-dire
qu'après l’euphorie de la deuxième moitié des années 80, le début des années 90 coïncide avec
une crise du marché de l’art qui ne prendra jamais vraiment fin. Par exemple, en 1984, Gérard
Zlotykamien se voit infliger une amende de 600 francs pour un de ses Ephémères, mais
paradoxalement pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de celui peint sur la Fondation
Nationale des Arts Plastiques et Graphiques qui lui a pourtant acheté des œuvres.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le contexte américain est, il est vrai, différent de
celui de l’Europe. Yves Michaud nous en dit plus :
Ce que montre Thomas Crow sur le cas de la vie artistique française, c’est aussi que ce
public, dès le début, n’est rien de statiquement défini : il est ce que représentent les différents
discours en conflit, discours avec lesquels, en retour, telle ou telle partie du public s’identifie.
Différents groupes sociaux s’approprient donc différentes formes de représentation picturale.
La présente discussion touche à la corrélation entre modernisme et passage à l’art sous le
contrôle du public174. Mais le point le plus important, est que l’analyse de Thomas Crow sur
173
Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, op.cit., p. 123.
174
Cité par Ibid., p. 230.
324
la vie artistique française s’applique à l’art contemporain américain qu’il avait souvent définit
comme l’avant-garde américaine. Mais on pose la question critique dans le contexte du
problème esthétique et le courant d’avant-garde français. Parce que le street art d’aujourd’hui
est devenu international, mais les bons artistes acceptent l’esprit d’avant-garde français.
Au début des années 2000, les pionniers de l’art urbain à la française retrouvent une place
dans l’espace public et sur le marché de l’art. Comme Ernest Pinon-Ernest, Blek le rat revient
sur le devant de la scène en travaillant sur des affiches découpées, peintes au pochoir et,
comme à ses débuts, à taille humaine. Cette nouvelle technique lui permet d’intervenir d’une
manière moins risquée vis-à-vis de la loi et sera largement exploitée lors de ses campagnes en
faveur de la cause socio-politique. En 2002, il soutient le mouvement contre la guerre en Irak
en collant des centaines d’affiches d’un soldat américain à Paris. Il commence également à
s’engager en faveur des personnes défavorisées, soit à travers le portrait d’un jeune mendiant
ou celui d’un sans-abri dans un sac de couchage avec son chien, à Paris, mais aussi dans le
monde entier : Blek le Rat, Mendiant, Paris 11e, 2005 (Voir fig. 132) et Blek le Rat, L’homme
à la tête d’ordinateur, Paris, 2007 (Voir fig. 133).
Comme l’intérêt social de Blek le rat, un nouveau type d’artistes urbains commence alors à
apparaitre dans les rues de la capitale en présentant une nouvelle approche démontrant plus
d’intérêt critique sur leur société. Invader pose sa première mosaïque dans le 11e
arrondissement, une approche inédite de l’art de rue qui marque sa différence et le met à l’abri
de tout nettoyage. Avec Invader, Zevs et André, le terme « street art » apparait, qui désigne
l’ensemble de ces pratiques et rend l’appellation « art urbain » un peu désuète. Le collage
d’affiches et de stickers, moins risqué au regard de la législation et des peines encourues,
devient le moyen d’expression le plus répandu dans les rues à partir de la fin des années
1990175.
L’acte de réaliser un pochoir, de prendre une bombe de peinture et de poser son œuvre sur
les murs est en soi un acte politique, puisque la réappropriation de la cité par ses citoyens est
un des éléments fondamentaux de la démocratie. Acte politique, d’autant plus significatif
qu’il est interdit, et donc risqué de bomber les murs sans autorisation. Les artistes sont autant
d’acteurs offrant leur vision des choses à tous, et font du public un récepteur et un
commentateur des messages. Mais nous avons toujours appuyé les limites de l’expression
extrême du contenu qui peut devenir la politisation, la propagande ou une attitude anarchiste,
175
Céline Remechido, Michel Chanaud, Paris, De la rue à la galerie, op.cit., p. 10.
325
et l’esthétisation de la forme qui peut devenir absente de sens et déchoir à la décoration. Cette
remarque est nécessaire dans l’espace public.
Ce que les slogans de 68 peuvent avoir de valeur artistique, en dépit de l’expression
politique, est l’expression humoristique et poétique, la couleur noir, et les mots ironiques sans
expression directe. Les artistes français ne manquaient que l’image au pochoir, dont le sens
n’était produit que par le texte en Mai 68 et les œuvres d’Ernest Pignon-Encrent. Blek, Miss.
Tic, et Jef Aérosol ont investissent brutalement Paris d’une génération spontanée de peintures
murales très souvent associées à du texte. Les sérigraphies ont marqué les événements de 68,
et, en miroir, 86 fut accompagnée par le pochoir de rue.
Ils réalisent des interventions publiques, destinées au public de la rue, avec une perspective
critique invitant à réfléchir sur le système de l’art. La rue est devenue un espace d’expression
à ciel ouvert qui permet toutes les libertés avec une audience illimitée. Les marchands et les
mécènes réagissent. Au début des années 2000, le pochoir connait une véritable renaissance.
En 2002, Tristian Nanco publie chez Thames & Hudson Stencil Graffiti. En 2003, une
exposition collective est présentée dans le squat du 59 rue de Rivoli, aujourd’hui fermé pour
réhabilitation. En 2004, le Stencil Projet, Festival dédié au pochoir, est organisé par
l’association Les mains dans les Poches, créée pour l’occasion, dans plusieurs sites parisiens :
les puces de Saint-Ouen, la place des Fêtes, la place Sainte Marthe, le quai de Loire et la rue
Desnoyers. Trois ans plus tard, en juin 2007, un nouveau festival, le Difusor, est organisé à
Barcelone sous l’initiative de pochoiristes catalans, Schhh, Borbo et Coolture. 176 La jeune
Magda Danysz ouvre sa galerie dans le quartier de la nouvelle bibliothèque François
Mitterrand avec l’exposition Urban Art.
Nous avons remarqué que les artistes français reflètent l’essence même de l’œuvre d’art,
liant l’état de l’In situ à l’esprit des graffitis plus anciens, à la différence des graffitistes
américains. Contrairement à ce que le graffiti moderne désigne génériquement comme deux
activités complémentaires, le tag et le graff ne sont pas une forme de l’expression libre,
n’ayant ni style artistique, ni représentation de l’esprit de l’époque, malgré l’effet de mode de
ce phénomène culturel contemporain. L’acte vandale, lui-même, inspire les artistes, mais pas
le style de forme. Les artistes français s’emploient dorénavant à souligner la vocation
esthétique des œuvres, destinées, non plus à provoquer les regards, mais à s’intégrer au
176
Samantha Longhi, Stencil History X, op.cit., p. 25.
326
paysage urbain. C’est dans ce contexte que Denys Riout avait utilisé le terme de « picturo-
graffiti ».
Avec l’air du temps des années 80 qui orchestre une mise en exergue des formes urbaines
de sous-culture comme le tag, le graff, la fête de la musique carnavalesque, le genre street art
explore en s’interrogeant sur les querelles esthétiques diverses dans le domaine artistique. On
remarque encore que les artistes urbains des années 80, comme Zlotakamient ou Pignon-
Ernest, se réfèrent, pour justifier leur anti-intellectualisme militant, aux mouvements avant-
gardistes qui ont effectivement proclamé, en leur temps, un refus catégorique de la culture
bourgeoise, tout comme Jef aérosol, Blek le rat, VLP, ou Jérôme Mesnager montrent une
réaction anti-intellectuelle de la part de jeune artistes qui prônent une ignorance désinvolte à
l’égard des concepts véhiculés par les élites artistiques et font appel à leurs propres modes
d’expression comme le rock, le jazz, le funk, ou la dance.
Il est réédité de nombreuses fois et initie toute une nouvelle génération. Le demande d’une
attitude vraie de l’artiste apparaît : l’art ne doit pas être un moyen de gagner de l’argent ou de
vendre une marque, mais doit faire réfléchir sur ce qui se passe vraiment dans notre vie et
dans le monde, l’art doit donc viser à provoquer une réaction vers le changement, nécessaire
dans la société de la consommation. Certains artistes présent une approche plus critique sur la
commercialisation de l’art et les galeries en montrant les querelles sociales. Pour que nous
étudiions les activités des jeunes artistes au début des années 2000 à nos jours, pour bien
réaliser notre recherche, nous nous pencherons d’abord sur les artistes internationaux dans le
mouvement du street art. Ensuite, nous analyserons les querelles provoquées, en posant des
questions relatives à l’institution de l’art, et en approfondissant notre étude des expositions et
des projets spéciaux. Enfin, par l’étude d’artistes rebelles qui montrent l’esprit propre aux
graffitis, nous présenterons leurs activités artistiques et leurs idées critiques sur les artistes et
le monde de l’art.
327
Quatrième partie
328
Dans le chapitre précédent, nous nous sommes aperçus que le street art, illégal mais
souvent « officialisé » des années 1980, s’était inscrit, au moins en France, à la limite du
cadre théorique et institutionnel redéfinissant l’art contemporain, dans le voisinage des
mouvements artistiques contemporains tels que le pop art, le land art, la figuration libre ou
l’avant-garde dans l’art urbain. Nous avons, par ailleurs, étudié le statut d’œuvre d’art, à
savoir comment le graffiti s’est placé dans l’art et quelle est sa valeur artistique dans la
représentation de notre société, en quoi est-il une alternative à l’art contemporain. En même
temps, nous avons fait remarquer que, quand le graffiti, dans la sous-culture ou la culture
légère, est devenu un art, la limite entre le système de l’art et la société de consommation a été
questionnée. Alors, nous avons clairement et continuellement séparé le graffiti writing du
street art dans le cadre des graffitis : pour le graffiti writing, nous avons déterminé qu’il
présente les limites conditionnées par l’art, en général, représente justement un monde fermé
et intérieur malgré le fait qu’il soit rebelle à la société et qu’il ait abordé des problèmes sur le
cycle de sa commercialisation en galerie, et sur l’esthétisation de ses tableaux ; pour le street
art, dès le début des années 1980, nous avons été conduits à une analyse plus approfondie de
la critique et de l’approche sociale avancée par les graffitis.
De par les échanges artistiques qu’entretiennent les États-Unis et la France, ce genre
semble de plus en plus se positionner dans l’histoire de l’art contemporain. Mais ce
phénomène ne signifie pas simplement un échange entre les cultures haute et basse et ne
détruit pas pour autant la frontière de l’art. Il propose des querelles esthétiques diverses dans
l’histoire de l’art. Au commencement de ce mouvement, et sans délibération esthétique ni
théorétique, ce genre était sciemment accepté par les galeries commerciales qui l’ont
aveuglement mélangé au travail des graffeurs et des artistes pour lui donner la même valeur et
exciter l’intérêt du public. Progressivement, par le biais d’expositions extraordinaires et de
projets collectifs des galeries et musées d’art, ce nouveau genre s’est développé et l’on a pu
distinguer plus clairement les catégorise artistiques du graff et de ses sous-genres dans le
street art. Quand certains cherchaient à grand peine des galeristes prêts à les exposer, d’autres
ont choisi de participer à un projet sur un thème qui les intéressait, dans le cadre d’une galerie,
mais leur activité principale, leur art, s’exprimait dans la rue, lieu qui permettait à toute
personne de s’approprier l’œuvre, par le regard ou même la photographie, chose tout à fait
impossible/impensable au sein d’une galerie d’art.
Dans le cas de ce phénomène compliqué, la forme du graffiti writing s’est diversifiée,
notamment par l’apparition de techniques diverses, et a, progressivement, adopté la forme de
329
la peinture à la bombe. Parallèlement à ce graff, les artistes de la rue marchent en
réinterprétant le tag ou le graffiti à travers leur action qui montre une opinion critique sur les
artistes devanciers et sur leur société, par le biais de méthodes artistiques propres à la guérilla.
Certains artistes jouent dans l’espace public en intervenant sans idéologie déterminée et
d’autres artistes critiquent les problèmes sociaux par lesquels ils définissent notre époque
profondément influencée par la société de consommation, et, ainsi prouvent l’autonomie de
leur acte. Dans la plupart des cas, les jeunes artistes commencent souvent avec le tag ou le
graff pendant l’enfance et éprouvent leurs idées avec de nouvelles techniques qui leur sont
propres, mais ils s’inspirent encore des idées et du style de leurs prédécesseurs, des street
artistes comme Gérard Zlotakimien, Ernest Pignon-Ernest ou Blek le rat. Les artistes urbains
tirent inversement parti de leur adversaire, c’est l’attitude rebelle de la culture graffiti. La
distinction de statut de ces artistes est devenue floue. Cette nouvelle forme d’expression
urbaine s’appelle le street art dans la classification des mouvements de l’art contemporain.
En remarquant les querelles occasionnées lorsque cette culture populaire est devenue art,
nous avons pu mettre en lumière que ce sont les artistes français des années 1980 qui ont
élevé le graffiti au rang de mouvement artistique. Les artistes français ont utilisé les graffitis
comme méthode artistique, ont inventé des techniques artistiques, puis ont réalisé illégalement
leurs œuvres dans la rue. Dans le cadre de cette circulation, en démontrant dans quelle mesure
l’art urbain français s’est positionné comme mouvement artistique contemporain à part entière,
nous allons également expliquer sa fonction et son objet dans notre société. Au milieu des
années 1980, les galeries et le gouvernement français, sans aucune ingérence politique, ont
activement soutenu ce genre.
Par les expositions, les projets fréquents des writers et la promotion européenne des
graffeurs américain, et par ailleurs par l’activité vivante des artistes urbains, tous les sujets des
graffitis et toutes les formes d’art existent dans la ville. Henri Lefebvre définit une critique de
la vie quotidienne, et même de la philosophie, de la culture, et de l’art, dans son livre la vie
quotidienne dans le monde moderne :
330
qui prend en main et en charge son rôle et son destin social, autrement dit une
autogestion »177.
En ce qui concerne les graffitis, ce genre essaie de changer la structure de notre vie. En
soulignant l’autonomie du street artiste, les artistes opèrent en présentant sa liberté d’esprit, le
caractère protestataire de son geste, et sa vue sociocritique de la société. Le street art fait cet
essai et se développe exhaustivement, pendant un court moment depuis au début des années
2000. Les galeristes sont encore confus dans leur conscience de l’art urbain à travers leurs
expositions178. Par ailleurs, dans le cadre de deux grandes expositions françaises, solidement
ancré dans le paysage culturel, le graffiti traverse aujourd’hui les domaines de l’art plastique
et du design.
En 2010, le succès de l’exposition Tag au Grand Palais (fig. 161), constituée par Alain-
Dominique Gallizia, sacralise sa position dans l’art en affichant tags et graffs de 150 artistes
de la rue sur 700 m2. Dans l’autre exposition, Né dans la rue-Graffiti (fig. 162), La Fondation
Cartier pour l’Art Contemporain propose enfin de découvrir l’univers du graffiti, de sa
naissance à son entrée dans les institutions culturelles. Cette exposition se déploie dans les
espaces d’exposition, sur la façade et dans le jardin de la Fondation Cartier en présentant un
mouvement du graffiti qui a pris son essor dans les rues de New York au début des années
1970.
Cependant, de plus en plus, le monde de l’art commence à distinguer graffiti et street art.
Jeffrey Deitch avec Roger Gastman, Aaron Rose, et la commissaire Ethel Seno, organisent
ainsi Art in the streets, au Musée d’Art Contemporain (MOCA) à Los Angeles en 2011179.
Ethel Seno essaie de comprendre l’art urbain en retraçant l’évolution du graffiti et du street art
depuis les années 1970 vers un mouvement mondial, et en se concentrant sur les principales
177
Henri Lefebvre, La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris : Gallimard, 1968, pp. 372-373.
178
En septembre 2001, Agnès b. reconnue pour sa collection de graffiti et son soutien envers les artistes du
mouvement, organise l’exposition Graffs avec une sélection d’artistes tels que L’Atlas, Mist, JonOne, Futura,
Psyckoze, Moze, Invader, etc. La même année, Villem Speerstra ouvre sa galerie à Paris et soutient la scène
graffiti en présentant des artistes comme Daze, JonOne, Crash, Sharp ou RCF1. En 2003, la guerre en Irak
débute et l’exposition collective alternative Paris Pochoirs au squat Electrons libres permet au mouvement
français de revenir sur le devant de la scène. Le festival divers fait élargir les activités des artistes. Le festival
Stencil Project soutenu par la ville de Paris, et des événements collectifs Section urbaine et Aux Arts citoyens à
l’espace des Blancs-Manteaux.
Céline Remechido et Michel Chanaud, Paris, De la rue à la galerie, Paris : Pyramyd, 2011, p. 11.
179
Organisée par Jeffrey Deitch avec Roger Gastman et Aaron Rose, Curatorial coordinator Ethel Seno, Art in
the streets, New York : Skira, The Museum of Contemporary Art : Los Angeles, 17 April-8August, 2011.
331
villes. Après la présentation du MOCA, l’exposition s’est déplacée au Musée de Brooklyn, où
elle a été à l’affiche du 8 Mars au 30 Juillet 2012.
D’avance, nous faisons remarquer cet événement qui fait date dans les expositions sur le
street art et sur lequel nous allons revenir dans ce chapitre. L’exposition Street Art, dont le
commissariat avait été confié à Cedar Lewisohn et Rafael Schacter et qui avait été organisée
par le Tate Modern, à Londres, du 23 Mai au 25 août en 2008, a présenté une compréhension
précise et un niveau élevé du street art (fig. 163). C’est la première fois qu’une commission
décide d’exploiter la façade de la construction de cette rivière emblématique, le musée d'art
majeur de Londres expose le street art. Le Musée du Tate Modern présente le travail de six
artistes de renommée internationale, Blu de Bologne en Italie, l’artiste Faile collective de New
York aux É tats-Unis, JR en France; Nunca et Os Gêmeos, au Brésil et Sixeart en Espagne,
dont les travaux sont étroitement liés à l'environnement urbain.
L’un des projets les plus connus fut le Cans Festivals (fig. 164) en 2008 : cette exposition
s’est révélée extrêmement populaire dans le mouvement street art et a eu lieu dans un tunnel
de chemin de fer de Londres. L’événement a présenté les œuvres de 40 artistes et correspond
au premier spectacle organisé et supervisé par Banksy. L’événement était gratuit et ouvert au
public de 10h à 22 heures le premier jour, à la suite duquel les installations devaient être
retirées de la circulation, alors que l’œuvre elle-même allait rester sur les murs.
Beaucoup de livres comme Untitled. III: This Is Street art (2010) de Gary Shove, Street
art: in the artists’own words (2008), de Ric Blackshaw and Liz Farrelly180, L’ouvrage street
art : mode d’emploi (2003) de Jérôme Catz, Street art : Portraits d’artiste (2009) de Eleanor
Mathieson et Xavier A. Tàpies, ou encore 100 artistes du street art (2011), sous la direction
de paul Ardenne, montrent les street artistes en les classeront en fonction de leur techniques et
leurs méthodes. Le livre le plus récent, Atlas du street art et du graffiti (2014) de Rafael
Schacter constitue un ouvrage sur les artistes de street art et de graffiti qui est d’importance
comparable sur le plan de l’art contemporain du fait des diverses villes et du nombre d’artistes
significatifs abordés. Cet ouvrage offre un panorama mondial de l’art que les artistes créent
dans l’espace public, artistes dont les travaux sont emblématiques d’une certaine forme de
street art ou de graffiti. Mais bon nombre d’études ne s’intéressent pas aux divers problèmes
posés et aux querelles esthétiques dans l’histoire de l’art contemporain, sauf quelques livres
comme Street art (2008) de Cedar Lewisohn et Street art et Graffiti (2011) d’Anna Waclawek.
180
Gary Shove, Unititled. III : This is Street art, London : Carpet bombing culture, 2010 ; Ric Blackshaw et Liz
Farrelly, Street art : in the artists’own words, London : Rotovision, 2008.
332
Notre étude va tenter d’analyser les caractéristiques des artistes importants tout en faisant
une classification par catégories pour ce mouvement international. Bien que toutes ces œuvres,
soient des sujets dignes d’études, et malgré le fait que le graffiti soit intégré dans l’étude du
street art, notre étude ne montre pas beaucoup de villes présentées individuellement. En effet,
nous devions choisir un nombre d’artistes significatifs qui soient à la fois d’importance
comparable sur le plan de l’histoire de l’art contemporain, qui aient produit une diversité
d’œuvres relevant de l’art urbain, montré un acte à caractère rebelle et dont les formes
artistiques reflètent également une critique de la société. Ceux-ci démontrent par ailleurs toute
la puissance de cette forme d’art loin des contraintes des galeries traditionnelles. Nous allons
donc observer leur situation sociale, leurs actions et projets divers. Par ailleurs, nous allons
plutôt nous concentrer sur les activités de certains artistes du post-graffiti dont les débuts ont
eu lieu pendant leur enfance et qui représentent les problèmes de notre société, possèdent un
sens artistique critique, pratique, et résistant, tout en respectant l’objet propre des graffitis.
Dans le premier chapitre, nous allons dérouler le panorama du mouvement street art. Les
artistes internationaux utilisent des techniques variées et expriment des idées différentes.
Certains artistes s’amusent simplement la rue, d’autres artistes critiquent les problèmes
sociopolitiques, et de par leur collaboration par le biais de projets, ils mélangent souvent leurs
techniques, styles, ou partis-pris. Leurs convictions communes sur le rôle de l’artiste laisse, de
temps en temps, un message sur notre société notre en des aspects convergeant : l’industrie
culturelle, les problèmes sociaux tels que la guerre, les immigrés, les sans-abri, etc. Que leur
motivation soit de cultiver le style bohème ou de poursuivre un intérêt financier ou leur simple
commercialisation.
Nous choisirons ensuite de jeunes artistes typiques du post-graffiti qui avaient pratiqué le
graff ou le tag, mais qui ont démontré un esprit rebelle et un geste artistique parallèlement aux
artistes devanciers comme Gérard Zlotykamien, Ernest-Pignon Ernest ou Blek le Rat. Nous
allons nous intéresser à la façon dont ces nouveaux acteurs de la scène du graffiti, résolvent
les problèmes et progressent malgré les querelles diverses connues par ou avec leurs
prédécesseurs. Blek le rat répond à ce sujet :
Cette jeune génération a changé le système de l’art et son marché en nous imposant une
nouvelle méthodologie. Cela va nous conduire à une analyse plus approfondie de la critique et
de l’approche sociale avancée par les graffitis. Dans cette perspective, nous nous devrons
d’étudier la manière dont certains artistes préfèrent encore rester « anonymes » et poursuivre
une vie de nomadisme en s’adonnant à la « déterritorialisation ». Ce faisant, nous remarquerons
ces caractéristiques qui stimulent le spectateur, transforment ou déplacent les querelles
esthétiques, et que les structures narratives d’exposition mises en scène dans les musées et
dans la rue produisent des formes d’art différentes.
Dans notre deuxième chapitre, nous allons donc discuter des problèmes posés par le street
art, comme la commercialisation du graffiti writing et l’érection de la position de l’artiste dans
le monde de l’art commercial. L’artiste Banksy dissèque dans son documentaire Exist trough
the gift shop (Faites le mur !), exprime ses idées en corrigeant le travail de Hobo, writer, et
expose également dans les galeries d’art dont il fait le procès dans le documentaire Graffiti
Wars : Hobo vs Banksy. Dans ce chapitre, nous remarquerons le rôle du street artiste dans
l’industrie culturelle.
Nous allons donc nous focaliser sur l’activité et les œuvres de Banksy qui, jusqu’à
maintenant, travaille dans la rue et persiste à présenter ses idées critiques par des stratégies
diverses et par des actes rebelles sur la société, semblables à une guérilla, et toujours de façon
anonyme. Il nous aide à cerner le rôle de l’artiste, utilise de manière intéressante, personnelle,
et renouvelée les attributs d’artistes l’ayant précédé tels que Blek le Rat dont la marque de
fabrique est un petit rat réalisé au pochoir, très semblable aux rats illustrés fréquemment par
Banksy, ainsi qu’Ernest Pignon-Ernest qui a orné énormément d’importance à ses idées,
transmettant de puissants messages par le biais de son art. De par son mode d’action et ses
partis-pris, Banksy a également soulevé de nombreuses polémiques.
Nous nous pencherons ensuite sur les expositions de musée d’art et les projets des galeries,
ou les commandes commerciales, et les festivals international de street art. Avec le rôle du
181
Samantha Longhi, Stencil History X, op. cit., p. 28.
334
commissaire d’exposition, à la différence du muséographe ou même du scénographe
d’exposition, qui s’intéresse au fond assez peu aux objets d’art ou aux lieux d’exposition en
tant que tels. Ce qui compte le plus, c’est de créer ponctuellement des mises en relation entre
des œuvres, des artistes ou des situations de rencontre entre ceux-ci et des publics dans la rue.
Nous traiterons des inconvénients de ce type d’évènement.
Après ces délibérations, nous devons répondre à diverses questions: ce genre peut-il bien
représenter notre société ? Quel est le rôle de l’artiste? La fonction de l’art est-elle nécessaire
dans l’espace public ? Dans la société de consommation ou l’industrie culturelle, comment
pouvons-nous aborder la critique de notre société ? Le mouvement street art sous la direction
de l’art contemporain est en train de se nomadiser à l’international et d’exporter ses idées.
Ainsi cette étude posera de multiples questions sur la fonction de l’art, le rôle et éthique de
l’artiste, l’espace public, et puis l’esthétique de l’art.
Dans les années 2000, de nombreuses et nouvelles formes de street art émergent et
dépassent parfois en envergure tout ce qui a pu être réalisé jusqu’alors. Le street art, ou
comment définir le mouvement artistique le plus important de ce début de siècle ? Cette forme
d’art doit-elle par définition être produite dans la rue ? L’artiste serait-il prisonnier de sa
pratique et de son environnement ? Si nous voulons utiliser aujourd’hui le terme de street art,
cela implique de reconnaitre les limites du terme : depuis près de vingt ans que l’on utilise
cette appellation, nous constatons qu’il faut aujourd’hui se pencher sur ce qui fait la force du
mouvement de l’art urbain, d’un point de vue artistique plus que juste social. En quoi consiste
sa force ?
Le street art est une pratique née d’un environnement nouveau, avec des techniques
propres : aérosol, collages, pochoirs, mosaïque, installation, etc., auxquelles se mêlent souvent
335
des effets particuliers, avec des messages forts qu’ils soient individuels dans la simple
signature, les jeux esthétiques, ou plus militants. Magda Danysz explique une brève histoire
du phénomène du mouvement artistique par les techniques typiques du street art :
« Les artistes l’ont amélioré avec le développement des arts de la rue. Déjà
développé dans les années 80 quand le graffiti arrive en France, le pochoir trouve
néanmoins un renouveau certain à ce moment avec entre autres ses pionniers du
pochoir moderne tels Blek le Rat, Miss. Tic et Jef Aérosol. À l’aube des années
2000, une seconde génération de pochoiristes apporte un degré de raffinement et
d’inventivité, que cela soit avec Banksy et ses messages sarcastiques en Angleterre,
C215 et ses découpages raffinés en France, Sten & Lex et leurs pochoirs dignes de
l’art cinétique en Italie, etc. Détournant le principe du pochoir, qui est d’appliquer
plusieurs couches, l’artiste portugais Vhils développe aussi une pratique des plus
originales. […] Le collage se réfère à la colle utilisée pour coller des affiches de rue.
Aux Etats-Unis, shepard Fairey est un des plus connus à coller ses posters
reconnaissables entre tous. Originaire de France, un artiste comme JR travaille aux
confins de l’art et de l’activisme. […] Certains, comme Space Invader, signent la
ville de mosaïques appliquées à l’aspect viral du Street art »182.
Magda Danys a cité les techniques artistiques principales dans la rue. Pourquoi les artistes
ont–ils encore besoin de nouvelles techniques ? S’agit-il de s’adapter à la logique du marché
de l’art ou d’une recherche personnelle? Certains s’appliquent à chercher une formule
esthétique qui plaise aux marchands, aux galeristes et au public, mais d’autres cherchent à
améliorer et rendre encore plus rapides leurs interventions dans la rue. Le marché de l’art a
vite fait de capter que ce mouvement était devenu véritablement populaire au début des
années 2000. Portés par l’essor d’Internet, des artistes venus de la rue cherchent à faire
évoluer l’esthétique de leur art, à trouver de nouvelles formes. En même temps, dès le milieu
des années 1980, des festivals sont organisés, des subventions versées pour que les artistes
rendent les villes attractives avec un discours officiel et l’intention de concourir à la
subversion socio-politique.
Cette tendance prendra même avec les années 1980 une ampleur inquiétante, quand
s’emparent du pouvoir des décideurs culturels ayant grandi dans la pensée de 68 et ses
182
Magda Danysz, « De l’art à l’état urbain », Au-delà du street art, L’Adresse Musée de La Poste, Du 28
novembre 2012 au 30 mars 2013, Grenoble : Critères, 2012, pp. 14-15.
336
fantasmes de gestion critique. Sans souscrire au pessimisme d’un Theodore Adorno, pour qui
l’industrie culturelle mise en place par la société libérale est perçue comme un immense
récupérateur, il convient d’admettre que l’art public non programmé devient peu à peu un lieu
commun de la création plastique.
Un nouveau siècle commence qui apporte son lot de changements, tant au niveau national
qu’international. Les opérations d’affichage artistique sauvage rassemblent de nombreux
acteurs de la scène parisienne et sont fortes d’émulation. En parallèle, les expositions,
festivals et invitations officielles commencent à se multiplier. La reconnaissance envers le
monde de l’art urbain est en marche.
La valeur subversive du street art est très puissante et les motivations qui poussent les
artistes à afficher leur art dans la rue sont des plus variées. Parfois par activisme, parfois pour
signifier un mécontentement face à un fait de société ou tout simplement pour passer un
message percutant. Le street art en tant que signal véhicule des contenus sociaux, esthétiques
ou idéologiques, sa seule présence exprime la nécessité et les multiples possibilités de la
communication. 183 Avec les offres diverses d’échanges mutuels, le street art est devenu
l’espace de la table ronde libre des artistes contemporains.
L’art urbain, récemment renommé street art, regroupe toutes les formes d’art réalisé dans la
rue ou dans des endroits publics et englobe diverses méthodes telles que le graffiti, le pochoir,
la mosaïque, les stickers ou les installations. C’est principalement un art éphémère. Les
techniques utilisées sont variées et de diverses proportions. Dans le chapitre précédent, nous
savons que, initialement, le street art regroupait particulièrement les graffeurs et était associé à
la culture punk, mais que les artistes exploitaient des approches et des idées différentes.
Cependant, petit à petit, diverses techniques plus élaborées sont venues se greffer à l’art
urbain. Les artistes de la rue sont en somme les réfractaires qui désirent performer sans
autorisation, sans consentement préalable, sans tabous et sans limites. C’est ce qui en fait sa
grande originalité et sa popularité de plus en plus vaste.
Depuis son internationalisation au début du XXIe siècle, le street art, en tant que
mouvement de l’art contemporain s’affirme dans une diversité de pratique artistique. En
183
Johannes Stahl, Street art, op.cit., p. 202
337
même temps, le développement de la scène brésilienne, en particulier à São Paulo, où tout
affichage publicitaire a été proscrit vers 2009, rappelle que le graffiti, avec en particulier les
Pixsção184, est l’autre grande source de l’art urbain. Par le biais des livres typiques Sticker
City : l’art du graffiti papier (2007) de Claudia Walde, Street art : Portraits d’artistes (2010)
d’Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Absract Graffiti (2011) de Cedar Lewisohn, et
Street art : mode d’emploi (2013) de Jérôme Catz, nous pouvons classer les artistes en
fonction de leurs techniques et par pays.
Nous avons déjà étudié les artistes précédents des années 1980 et leurs techniques. Les
jeunes artistes opèrent souvent par un mélange de techniques. Avec cette étude du street art,
nous prendrons en compte les artistes majeurs. Si certains artistes n’ont pas bénéficié d’une
éducation de formation artistique, ils comprennent très vite les effets et la fonction du support
dans la rue.
« Si notre conception du poster est intimement liée au papier, déjà dans l’antique
Pompéi les jeux du cirque étaient annoncés par des inscriptions murales. […] En
Europe, la reproduction en série de l’information écrite permettra la Renaissance.
Mais c’est la lithographie, apparue à la fin du XVIIIe siècle, qui a accéléré le
développement de l’affiche. Associée à certains procédés simplifiant la production
du papier, elle a rendu le format accessible et, dès le XIXe siècle la lithographie
couleur le transformera en une véritable locomotive publicitaire. Essaimant depuis
184
La pixação est une forme de graffiti à São Paulo et pratiquée presque exclusivement au Brésil. Pixação a
commencé dans les années 1940 et 50 sous la forme de déclarations politiques écrites dans le goudron et ont
souvent été écrites en réponse aux slogans peints par les partis politiques à travers les rues. Dans les années 1970,
les pixação avaient presque disparus, mais ont été relancés dans les années 1980 par un groupe de jeunes qui a
commencé à écrire leurs noms, et les noms de leurs groupes, au lieu de slogans politiques. Ce mouvement se
distingue par deux dimensions essentielles : d’une part le style unique de son alphabet, d’autre part par le fait que
les pixos sont peints sur des points élevés et inaccessibles ; c’est un enjeu bien plus important que dans le graffiti
occidental. Les pixadores ne revendiquent pas l’esthétique : l’illégalité, la performance, la prise de risque et la
violence prévalent sur la dimension plastique. Bien que les pixação ne soient plus composés de déclarations
politiques, il reste encore une dimension sociale. En signe de protestation sociale.
338
la France, l’affiche en couleur touche bientôt tout le continent. […] Jusqu’à la
Première Guerre mondiale, les affiches étaient généralement l’œuvre d’artistes »185.
Cette technique est donc utilisée par les artistes jusqu’à maintenant pour décrire des idées,
des événements et encore donner des informations. Celle-ci est devenue, dans les années 1980,
un phénomène culturel de masse. Dans le domaine des arts, son omniprésence vient nourrir
les attitudes les plus diverses. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, quand le pop art
l’avait considérée comme l’étalon de toute production visuelle à l’ère du consumérisme, les
artistes du Nouveau Réalisme et de la génération suivante y voient tantôt un inépuisable vivier
de formes et une source d’inspiration, tantôt le signe trop visible d’un système économique à
combattre. Et pendant les événements de Mai 68, ils ont présenté leurs idées au public et un
message critique. Cette approche est rapide et militante grâce à la rue. Dans l’espace urbain
notamment, la réclame devient l’objet d’une critique et d’actes exercés à même le support.
Les artistes urbains français comme Ernest Pignon-Ernest et Daniel Buren, ont participé à ce
phénomène de rue.
Par ailleurs, aux É tats-Unis, cette tendance s’et vulgarisée dès la fin des années 1970. Entre
1977 et 1979, l’américaine Jenny Holzer a collé des slogans tels que « Vous êtes passé présent
et Futur » (fig. 165) et « Protect me from what I want (gardez-moi de mes désirs) » (fig. 166)
sur des murs et des cabines téléphoniques, dans le cadre de ses séries Truisme et Inflammatory
Essays qui sont tout à la fois la parodie et l’envers des slogans dont la ville est remplie. Mais
l’artiste n’adopte pas uniquement l’affiche. En écho à l’invention par l’industrie culturelle des
produits dérivés, elle décline ses aphorismes sur les supports les plus divers, des T-shirts aux
bandeaux lumineux de Times Square186.
Guerilla Girls et Barbara Kruger se livrent à une critique de la publicité, et s’attachent à en
démonter aussi bien l’idéologie machiste, raciste, ou des stéréotypes sur la femme que les
procédéss argumentatifs par des images et des slogans chocs. Guerilla Girls affichent d’abord
leur volonté critique à l’égard de la publicité et se méfient des galeries, en cachant leur visage
au moyen de masques pour garder leur anonymat. Dans cette affiche, Do women have to be
naked to get into U.S. museums? (Les femmes doivent-elles être nues pour entrer dans les
musées des É tats-Unis?) (2007) (fig. 167), nous pouvons lire « Less than 3% of the artists in
the Met. Museum are women, but 83% of the nudes are female ». C’est-à-dire, moins de 3%
185
Claudia Walde, Sticker City : L’art du graffiti papier, Paris : Pyramyd, 2007, pp. 14-15.
186
Stéphanie Lemoine, L’art urbain: du graffiti au street art, op.cit., p. 66
339
des artistes du secteur « art moderne » du musée sont en effet des femmes, quand 83% des nus
y sont des féminins. Guerilla Girls tentent de comprendre pourquoi cette période est
culturellement moins ouverte aux femmes et aux plasticiens non-occidentaux que ne l’étaient
les années post-soixante-huitardes. Elles recyclent l’efficacité des images publicitaires avec
une forme aux couleurs franches, aux phrases courtes, à l'approche comique, dont le but
recherché est de provoquer, de choquer, de faire réagir. Cependant, leurs posters ont intégré
les collections du MoMA et d’autres institutions, ce qui a pour conséquence de gonfler les
statistiques de représentativité des artistes femmes187.
Barbara Kruger, elle a aussi utilisé l’affichage publicitaire pour déployer ses messages qui
montrent plus diversement les problèmes sur notre société dans l’espace urbain. Cette artiste
formée au graphisme publicitaire détournait des photos trouvées dans les magazines avec un
slogan d’expression ironique. En 1983, elle a affiché à Times Square des images à la palette
de couleurs réduite comme noir, rouge et blanc, composées de collages et de slogans qu'elle
utilise dans le domaine de l’image comme une langue, une critique des lieux communs et des
stéréotypes, qui évoque l’action humaine dans la tyrannie commerciale-graphique: We don’t
need another hero, (Nous n’avons pas besoin d'un autre héros) (1985) (fig. 168), I shop
therefore I am (J’achète donc je suis) (1987) (fig. 169), et surveillance is your busywork (la
surveillance est votre travail de tâcheron) (1983) (fig. 170). Bien que les travaux de Kruger
soient généralement fabriqués en grandes photos murales exposées dans les galeries et les
musées, elle a récemment adapté ces médias à des œuvres inspirées d’affiches sur les murs
urbains 188 . Pour Barbara Kruger, son stéréotype fait en effet partie des processus sociaux
d’intégration ou d’exclusion, de domination ou d’autorité.
Si une artiste telle que Barbara Kruger a pu investir l’espace urbain, c’est le plus souvent à
l’occasion de commandes. Ce support était toujours utilisé par les artistes, et était efficace
dans la rue. Ses photomontages n’en ont pas moins nourri la génération du street art,
l’Américain Shepard Fairey en tête. De jeunes artistes avides de reconnaissance regardent
l’affiche ou la publicité qui est un modèle d’efficacité dont ils s’inspirent pour leur propre
compte.
Le jeune artiste du street art, le Cut Up Collective (Londres /Royaume-Uni) désorganise et
« réorganise » affiches et panneaux publicitaires qui incitent à la consommation. Les
nouvelles images évoquent les notions de troubles sociaux, de rébellion et de ville. La
187
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 33.
188
Allain Schwartzman, Street Art, op.cit., p. 63.
340
technique consiste à détacher les affiches des panneaux, puis à les découper en petits
fragments et à disposer ceux-ci différemment. Les panneaux semblent se métamorphoser de
leur propre gré, transformant leur message publicitaire en une expression de dissidence neuve
et autonome. Leur geste est lié aux notions de soulèvement social, de mouvement politique189.
Non pas que les images expriment un message politique direct mais elles montrent des
personnages qui se rassemblent et qui crient ainsi que des scènes d’émeute comme si nous
assistions à un soulèvement contre le consumérisme. Ils deviennent des participants actifs au
langage visuel de la rue, bousculant la notion de propriété commerciale dans l’espace public.
Le collectif est apparu sur la scène du street art en 2005 (fig. 171). Le cut up collective fait
une déclaration politique avec son affiche de publicité réarrangée.
Nous avons déjà vu, les affiches réalisées en Mai 68 par les étudiant et les anonymes. Les
graffeurs sont évidemment à ranger dans cette catégorie. À la fin des années 1990, des
graffeurs à l’étroit dans les codes esthétiques et éthiques du graffiti commencent à en
bousculer les règles, et donnent naissance à une mouvance globale qui sera diversement
nommée post-graffiti ou street art 190 . Utilisant une grande diversité de techniques et de
supports, les street artistes font ainsi du jeu, de l’invention, et de la critique social autant de
manières de reconquérir l’espace urbain. Ils sont effectivement liés à la culture du graffiti,
mais sont dans le mouvement d’avant-garde. Ces artistes urbains exposent ensemble, faisant
coexister les activités des graffeurs et des artistes utilisant le graffiti. Et les artistes urbains
donnent une inspiration en termes de style aux jeunes artistes du street art. Les street artistes
font même accroître les actes libres et les idées critiques des artistes d’avant-garde, et tous se
regroupe dans la rue.
189
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street Art : Portraits d’artistes, trad. Marie Dumont-Agarwal, Paris :
Graffito, 2010, p. 50.
190
Mais le street art devient une plus grande catégorie. En raison de la variété des projets officiels à distance,
parce que maintenant les programmes officiels de l’artiste comme l’art public et les projets pour les artistes qui
travaillent illégalement sont parfois mixtes. D’autre part, nous mentionnons souvent le post- graffiti, parce que
certains reflètent le geste et l’esprit du graffiti pour engager leurs idées sur notre société. Avec l’arrivée
d’Invader et de Zevs (les @nonymous) en France, avec l’arrivée d’artistes comme Shepard Fairey aux É tats-Unis,
de Banksy en Angleterre, de Blu en Italie, d’Influenza aux Pays Bas, de Akayism en Suède, à la fin des années
1990, apparait souvent l’appellation post-graffiti. Parce qu’ils ont commencé avec le graff dans la rue pendant
leur enfance, ils respectent les graffiti, et puis il est possible de conjuguer les différentes techniques. Aujourd’hui
nous disons « street artiste » pour toutes les artistes rebelles ou illégaux comme l’utilisation qu’en Bansky dans
son film.
341
L’image détournée est généralement utilisée par la publicité. D’un point de vue social, les
publicitaires affirment que leurs messages entrent dans la vie quotidienne du plus grand
nombre et en transcendent ainsi les différences sociales. Dans le cadre de l’analyse du
message linguistique de la publicité par Roland Barthes Rhétorique de l'image191, les critiques
signifient que les inégalités sociales sont au contraire en progression : si la publicité joue un
rôle d’uniformisation ce serait plutôt pour promouvoir l’adhésion à un conformisme social. La
critique féministe, pour sa part, accuse la publicité de discrimination sexiste en représentant
trop souvent les femmes comme objets d’apparat ou, à l’opposé, dans des rôles stéréotypés de
ménagères. Avec ces messages sociaux ou critiques, les artistes découvrent une esthétisation
de la vie quotidienne par la publicité et sa valeur humoristique.
Leurs actions ne présentent guère plus qu’un caractère destructeur puéril. Mais parfois se
déploient dans cette guérilla urbaine des performances créatives. La publicité étant
particulièrement douée dans l’art de la récupération, il faut retenir les critiques les plus
constructives déployées par leur acte. Ce type de réaction n’est pas destructif, mais s’inscrit
plutôt dans une réaction créative, une démarche poétique de ré-enchantement du monde via la
publicité. Il s’agit principalement de la destruction d’affiches et du détournement des
messages publicitaires dans le métro parisien.
Aux É tats-Unis, par exemple Poster Boy qui détourne les publicités les plus banales du
métro pour en faire ses créations en découpant les images et les textes de certaines affiches
pour les recoller sur d’autres, créant ainsi de nouveaux ensembles souvent très corrosifs (fig.
172). À l’instar du métro parisien et de ses milliers d’affiches, le métro de New York lui offre
un terrain de jeu illimité, et qui plus est très bien exposé. Poster Boy dit :
« Cette publicité de masse agresse toujours les gens. Ils n’ont pas le choix: ils sont
dans le métro, ils ont déjà payé leurs deux dollars. Putain, pourquoi devraient-ils
être nourris de force de ce genre de choses? »192
Cette stratégie utilisée par la publicité de la rue est exploitée dans l’activité des artistes de
Scandal (fig. 173), Zevs (Voir fig. 221) ou TomTom (fig. 174). Un autre exemple est OX,
membre du collectif parisien des Frères Ripoulin, qui a étudié aux Arts décoratifs de Paris au
191
Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », Communication, n°4, 1964, pp. 41-42.
192
“This mass advertising always attacking people. They don’t have a choice : they’re riding the subway; they
already paid their two dollars. Why the fuck should they be force-fed this stuff?”
Catalogue, Untitled. II : The Beautiful Renaissance, London : Pro-actif Communications, 2008, p. 61.
342
début des années 1980. Il a été très influencé par la figuration libre en réaction directe au
minimalisme et à l’art conceptuel. Sa pratique constitue non seulement la manifestation d’une
esthétique abstraite extrêmement raffinée comme le design graphique, mais aussi une œuvre
qui fonctionne via l’un des principaux sites du panneau d’affichage193. OX prit de plus en plus
conscience de l’importance du site qui détermine l’oeuvre avec une esthétique à la fois
décorative et ironique, en tentant de réorienter la vision du spectateur, parodiant les formes et
les couleurs de symboles commerciaux connus, et faisant partie de la culture collective.
Les autocollants (sticker) sont utilisés de préférence par les jeunes artistes en petit
format pour être faciles et rapides à coller. Dans le New York des années 1970, à la différence
des graffeurs, Dans Witz travaille presque exclusivement à partir de supports adhésifs, et n’a
jamais fait partie de la scène graff, même s’il ne demande qu’à en nourrir son art. Doté
néanmoins d’un fort esprit de contradiction, il s’invente un tag des plus surprenants,
représentant un oiseau-mouche hyperréaliste, qu’il peint grandeur nature sur les murs du sud
de la 14e rue. C’est ainsi qu’il met en relief des skaters (fig. 175) en 3D filant sur les rampes
de tags alambiqués ou ajoute simplement un cadre autour des surfaces peintes à la bombe.
Après avoir peint des colibris très réalistes directement sur les murs, Dans witz, confronté à
la pression croissante des autorités, est passé au sticker, ce qui l’a laissé libre de ciseler
longuement ses motifs avant de les introduire à la sauvette dans l’espace public. C’est en 1981
qu’il a collé son premier poster peint sur une rame de métro.
En 1996, en étudiant les toiles de maîtres dans les musées européens, il réalise une série de
trompe-l’œil à l’aérographe dans le style qui caractérise toutes ses œuvres : le réalisme. Au
même moment, il commence plusieurs œuvres d’atelier très baroques, à une époque où le
baroque est au plus bas de sa popularité. Pour ce faire, il associe les techniques des maîtres du
passé aux nouvelles technologies : « Mes œuvres de rue, en fait, doivent plus à Photoshop
193
Rafael Schacter, Atals du street art et du graffiti, Paris : Flammarion, 2004, p. 175.
194
Cité par Claudia Walde, Sticker City : L’art du graffiti papier, op. cit., p. 34.
343
qu’à la peinture » 195 . Il s’installe à Williamsburg, Brooklyn, en 2002. La même année, il
démarre une série de motifs en trompe-l’œil sur les réverbères de Ground Zero (fig. 176).
Cette mode de sticker des street artistes a été exploitée par l’artiste Shepard Fairey qui s’est
lancé dans plusieurs supports comme les affiches, les pochoirs et les stickers. En 1989, il
découvre le papier vinyle adhésif. Par la suite, beaucoup de personnes ont simplement réalisé
et répété cette technique dans la rue afin d’annoncer leur identité. Et leur élaboration a été
facilitée par Photoshop.
Shepard Fairey réalise ses propres autocollants et commence alors une campagne de
collages avec son personnage clé, André the Giant, qui finira par devenir l’une des icônes
mondialement connues du street art. Ce qui avait commencé comme un jeu de tag disant « Je
suis là », a attiré une attention de plus en plus grande. Il reprend la théorie du philosophe
Marshall McLuhan sur la communication et la couple avec la notion de répétition propre au
tag pour l’adapter à son projet. Un peu plus tard, il a étendu son champ d’action, amenant son
Giant jusqu’à New York ou Boston.
De 1989 à 1966, il produisait lui-même ses autocollants et affiches. À l’image, désormais
connue, se sont ajouté des slogans de propagande tels Obey the Giant (Obeissez au géant)
(fig. 177) et You are under surveillance (Vous êtes sous surveillance) (fig. 178). L’art du
« sticker » répond à tous les codes de l’art urbain. C’est posé rapidement. Alors Shepard
Fairey ne s’est pas privé de les utiliser et a largement participé au développement du collage
dans le street art.
Alors qu’Obey n’était porteur d’aucun message, l’avènement de Bush à la Maison Blanche,
et le fait qu’il se soit servi de fausses informations pour l’invasion de l’Irak, lestent soudain
l’art de Fairey d’un objectif et d’une certaine gravité. C’est à ce moment que Fairey
commence à se mêler ouvertement de politique. En 2003, le sticker Disobey (Voir fig. 275)
occupe un emplacement stratégique sur un panneau de passage pour piétons de la 3rd Street,
quartier de Fairfax à Los Angeles.
En 2004, il réalise une série d’affiches pour la campagne de street art intitulée Be The
Revolution et visant à dénoncer l’hypocrisie du gouvernement Bush et ses atteintes aux droits
de l’Homme. C’est d’ailleurs là que Bush fait sa première apparition satirique sur l’affiche
Hug Bomb and Drop Babies (Embrassez les bombes et larguez les bébés) (fig. 179) et que
195
Cité par Eleanor Marthieson et Xavier A. Tàpies, Street art : portraits des artistes, op.cit., p. 179.
344
Fairey signe More Military Less SKhools (Plus de soldas moins d’écoles) (fig. 180), son
personnage à la bombe Make Art Not War (Faites de l’art pas la guerre) (fig. 181), etc.
Pendant toute cette période, Fairey produit, défiant ainsi toute tentative de le faire entrer
dans un moule unique, des œuvres qui reprennent l’iconographie et les thèmes de ses affiches
et stickers. Il réalise ainsi des gravures extrêmement détaillées sur bois et sur métal, de grands
pochoirs et collages pour les galeries et des installations. Son travail fait l’objet de deux
livres: Supply and Demand : The Art of Shepard Fairey (2006) et Philosophy of Obey : The
Formative Years (2008). Et en 2009, veritable consécration de son talent, Fairey fait l’objet
d’une rétrospective à l’Institute of Contemporary Art de Boston.
Malgré leur activité artistique, cette technique de l’autocollant donne une image formée de
petits disques noirs sensiblement plus graphiques que la photo d’origine, car alors qu’il est de
plus en plus facile aujourd’hui de prendre une photo, de la scanner pour enfin, la
« Photoshoper », il n’est pas plus difficile de prendre une image existante et de l’altérer avant
de la diffuser à l’échelle de toute une ville. Cette manière légère est mal reçue par les logos.
Le sticker exige beaucoup moins d’effort, ce qui n’est pas sans susciter d’autres problèmes.
C’est-à-dire, non seulement l’exécution médiocre dévalue l’œuvre, mais elle discrédite en
même temps le genre entier auprès du grand public. Cela vaut aussi bien pour les dessins
photocopiés, les motifs au pochoir ou les dessins à la main levée.
Ce sticker est utilisé par divers artistes dans la rue comme James Cauty (Londres,
Royaume-Uni) qui produit une série de Stamps of Mass Destruction (fig. 182) et Buff
Monster (Los Angeles, USA) (fig. 183). Malgré le fait que James Cauty fasse des timbres qui
sont fabriqués sous forme de panneaux et d’affiches montrant diverses photos de l’invasion
américaine avec la tête de Mickey en superposition, tout est fait à la manière d'une brève
description comme Buff Monster.
Afin de franchir cette technique légère et vers une activité artistique véritable, certains
artistes réfléchissent aux problèmes sociaux comme Shepard Fairey qui questionne notre
société et interroge ses valeurs. D’autres artistes développent cette technique de manière
différente comme Swoon (New York/USA) ou VHILS (Lisbonne/Portugal). En même temps,
en France, un nouveau support apparait : la mosaïque d’Invader (Paris/France).
D* Face (Royaume-Uni), de son vrai nom Stockton crée des stickers et des affiches, s’initie
tout seul à la sérigraphie et va coller ses premières œuvres dans la rue. Il critique la reine
Elisabeth II (fig. 184) et s’érige en critique de la société de consommation. Beaucoup
d’humour, d’autodérision et de second degré habite le monde vinyle, collé et affiché de D*
345
Face. Certaines figures emblématiques permettent d’identifier son travail immédiatement. D*
Face est venu au graff par le cartoon, dont il est un lecteur passionné depuis l’enfance.
D’autre part, le travail de Shepard Fairey l’inspire par sa méthode et sa détermination. Il
réalise ses œuvres afin d’éprouver une libération créative et pour son propre plaisir.
« Plus les gens s’intéressent au street art, ajoute-t-il cependant, moins il est efficace,
parce que maintenant ils se disent « ça, c’est de D* Face », ou « De Shepard », ou
d’un tel, plutôt que de se demander ce que ça signifie »196.
Les œuvres de D* Face ont donc de plus en plus à voir avec la culture populaire, la
consommation et la publicité. D* Dog (fig. 185) des débuts a fait place à des personnages à
dimension politique et satirique. Par une méthode légère, cet acte simple qui visait juste à
faire connaître son nom, s’est transformée afin d’essayer de surmonter les limites des
autocollants moyennant l’ajout d’un élément essentiel sur la société comme l’ont fait D* Face
ou shepard Fairey.
De grand format, et déjà bien connue dans l’espace public, l’affiche en papier arrive
curieusement assez tard dans le street art. Alors ce sticker diffère de l’affiche collée faite à la
main ou en sériographie comme Blek le Rat ou Ernest Pignon-Ernest. Pour lui, l’affiche était
un matériau excellent pour les artistes d’avant-garde. Ainsi, nous avons déjà fait remarquer
qu’Ernest-Pignon Ernest a fait ses affiches dans la rue à partir de 1971 et que Blek le rat a
utilisé le pochoir, mais après quelques problèmes avec la justice en 1991, il s’est mis en quête
de méthodes moins périlleuses pour habiller les rues. Aujourd’hui, tout se colle. L’affiche
rectangulaire aussi bien que le pochoir sur papier, grâce auquel on voit fleurir de nouvelles
formes plus organiques quand la découpe du support épouse la forme de l’œuvre. La
mosaïque, exploitée par Invader, est un autre outil qui se fixe aussi très bien sur mur comme
nous le verrons par la suite.
Suite aux critiques essuyées par les stickers, les artistes travaillent minutieusement leurs
créations. SWOON crée d’habiles gravures qu’elle colle ou découpe avec une technique
délicate à la main (fig. 186). Mais une œuvre placée en plein air risque d’être déchirée ou
décollée, quand elle n’est pas délavée par les intempéries. En abandonnant la peinture, elle se
met à la gravure sur bois et affiche ses œuvres dans toute la ville, sur les murs et les panneaux
publicitaires. À partir de photographies, elle réalise des gravures sur bois, des linogravures et
196
Ibid., p. 53.
346
des découpages, partant de l’image avant de décider du medium à utiliser, puis réalisant des
esquisses. Elle met en scène les personnages de ses œuvres rencontrant les passants.
Swoon a fait l’objet de plusieurs expositions dont une collective avec Faile et David Ellis
intitulée Greater New York à PS1, et une en solo, Drawn Your Boats, chez New Image Art à
L.A. Elle ne se contente pas d’exposer ses œuvres de rue en galerie mais s'applique pour créer
de délicates installations sculpturales en papier, qui ne survivraient pas dans la rue, véritables
environnements texturés faits de gravures découpées et suspendues aux murs et au plafond,
ainsi que ses structures en bois incorporant des collages.
Swoon a également travaillé avec divers collectifs dont les Barnstormers, Black Lavel,
Change Agent, le Madagascar Institute et Glowlab. Ses œuvres sont présentes dans les
collections du MoMA de New York et du Brooklyn Museum of Art. De mai à juin 2009, elle
a collaboré avec plusieurs artistes au projet The Swimming Cities of Serenissima (fig. 187)
pour la Biennale de Venise : ensemble ils ont fabriqué des « bateaux artistiques » à partir de
déchets et les ont fait voguer sur l’Adriatique, de la Slovénie jusqu’à Venise, pour raconter
« l’histoire rêvée d’une métropole à la dérive ».
VHILS, de son vrai nom Alexandre Farto, crée des portraits en grattant et en enlevant des
couches de plâtre, de métal, de brique ou d’affiches pour faire apparaitre des visages sur les
surfaces des villes. Il travaille également au pochoir pour créer des paysages urbains. Il
commence à travailler dans la rue, comme tagueur d’abord, puis sur les trains où il crée des
pochoirs, des stickers et des peintures.
Vhils a réalisé une courte vidéo pour accompagner sa première exposition, Scratching the
Surface, à la Galerie Lazarides de Londres le 30 novembre 2012, où on l’y voit travailler une
grande œuvre murale dans la rue. Ayant rendu les ombres et les lumières à la bombe, il perce
ensuite des trous dans la surface et l’émiette pour exposer la brique effritée en dessous. Il
chercher ainsi à mimer le processus naturel de décomposition et de destruction de la ville et à
« révéler » une image qu’on pourrait presque prendre pour un effet accidentel du temps. Ses
œuvres de galerie et ses gravures sont, quant à elles, réalisées à l’eau de javel et à l’acide, afin
de ronger le papier. Et il explique le fait de choisir des portraits :
« Je vois le graffiti et le street art comme une manière de personnaliser ce grand nid
artificiel, d’essayer d’humaniser les rues en utilisant des couleurs, des formes, et ce
côté naturel qui depuis toujours caractérise l’être humain. Il faut voir le graffiti
347
comme un casseur de grisaille urbaine, comme le retour en force de la nature
humaine, comme une mauvaise herbe »197.
Vhils crée une manière de briser les codes rigides de la ville. Sa première exposition solo a
lieu en 2008 à la galerie Vera Cortes de Lisbonne et s’intitule Even if You Win The Rat Race,
You’re Still A Rat (Même si vous gagnez la course des rats, Vous êtes toujours un rat).
L’exposition présente des projections, des vidéos et des affiches déchirées montrant des
scènes de vie urbaine où les bâtiments semblent émerger des couches de papier, comme les
visages dans ses portraits les plus récents. Il réalise deux œuvres pour le Cans Festival en
2008 et il participe encore à Tunnel 228 en 2009 de Londres. Dans l’exposition de Tunnel 228,
l’œuvre de Vhils, un visage glaçant à la Big Brother, apparait sur un mur de brique dénudé et
semble surveiller les ouvriers rampant à terre, qui sont joués par des acteurs (fig. 188).
Le Collage a toujours été utilisé par les artistes et se trouve être la meilleure technique qui
puisse être appliquée dans l’art urbain.
BÄST (New York/USA), s’intéresse aux images du passé, qu’il récupère, déchire,
réassemble puis tague et qu’il réalise dans le style des photomontages, en affiches et pochoirs.
Il est dans la tendance du Pop Art dans le choix de ses sujets tels que publicités, célébrités,
armes et personnages de Walt Disney (fig. 189), et dans sont traitement à coups de
sérigraphies, de superpositions, souvent en noir et blanc ou avec de simples combinaisons de
couleurs. Il travaille indifféremment des mixtes alimentaires, des journaux des années 1950,
des comics, des logos de marque, des premiers groupes punk de Londres ou de New York. En
subvertissant des images familières et reconnaissables, Mickey Mousse ou Pinocchio, Bäst les
a associées à des images sexuelles.
Pour l’exposition Horse Radish en 2009, il crée plusieurs œuvres à partir de vieilles
coupures de presse. Le résultat, pas sa couleur et sa texture, rappelle les collages réalisés à la
fin des années 1940 par Eduardo Paolozzi et donne à voir un monde taré et remixé. Mais en
général, ses œuvres n’ont pas de message clair. L’affiche aperçue sur une porte du bas
Manhattan à New York (fig. 190) est faite de tout petits morceaux collés ensemble avec de la
peinture en 201l. Elles sont faites d’images et de mots découpés dans des magazines, des
affiches et des publicités, collés au hasard et rassemblés sans thème véritable, mais le nom de
l’artiste y apparait souvent. La question identitaire apparait dans son travail, notamment, à la
197
Ibid., p. 170.
348
culture américaine, dont l’image symbolique de la statue de la liberté est souvent réinterprétée.
Mais nous ne pouvons fréquemment qu’imaginer humour et sarcasmes dans la démonstration
de ces sortes d’allégories. Comme le logo Obey, les affiches déchirées et délavées de Bäst
passent facilement, au détour d’une rue.
Judith Supine produit des œuvres aussi singulières qu’originales à Williamsburg et à
Manhattan (fig. 191). Son pseudo, qui n’est autre que le nom de jeune fille de sa mère, est une
preuve supplémentaire de son originalité. Il se met au graffiti après avoir lu des articles sur les
artistes Kinsey, Obey et WK interactif dans des magazines de skateboard198. Sur le plan visuel,
il est influencé par la gravure, notamment celle de Leonid Baskin. Mais on se rappelle
également le photomontage de Hanna Höch. Pendant cinq ans, il se consacre à la gravure sur
bois et à la linogravure dans des dimensions impressionnantes. De son processus créatif qui
consiste à acheter, voler et récupérer des livres et des magazines à partir desquels il se procure
l'imagerie visuelle nécessaire à son environnement de travail.
Il coupe et colle et recrée, pour remontrer son butin dans un sens humoristique, poignant de
sens. De là, il photocopie et agrandit, puis lave avec des nuances contre nature à la peinture, et
enfin rend étanche ses créations avec une peau brillante de résine coulée. De ce processus de
déconstruction par la reconstruction émerge un sujet déconcertant, surréaliste, représenté à
l’acrylique au néon psychédélique. C’est du jamais vu auparavant, et pourtant, il y a des
visages, des figures et formations que l’on voit partout : dans les rêves, sur les pages des
magazines, sur les écrans de télévision, et entre les couvertures lourdes de l'histoire de l’art.
Ayant ramassé quelques magazines dans une benne à ordures, il en déchire les pages qui
attirent tout de suite son attention, les assemble de manière surréaliste, les agrandit grâce à
une photocopieuse, les peint de couleurs fluo, puis les découpe et les colle sur un mur. Des
juxtapositions d’images qui bousculent notre subconscient comme fantasmagoriques et
psychédéliques. En 2007, il suspend une œuvre massive de 15 mètres, peinte des couleurs fluo
au pont de Manhattan. Grace à cette œuvre, il devient du jour au lendemain mondialement
célèbre et les galeries et collectionneurs se l’arrachent. Il repousse aussi les limites du street
art. Dans série de collages aperçus en haut d’un mur sur Old Street (2008) (fig. 192),
l’agrandissement accentue les lignes graphiques des dessins et lui permet de mêler gravures
médiévales, tableaux classiques de la Renaissance et apologies du consumérisme moderne sur
198
Ibid., p. 152.
349
papier glacé. C’est une combinaison de l’art surréaliste, de gravure ancienne, mélangée avec
des images et peintures dessinées à la main.
Les graffitis sont encore utilisés et respectés par les jeunes générations. Avec l’esprit du
tag comme « Kilorary was here », cette répétition simple d’un « alter ego », s’agrémente la
nouvelle esthétique des artistes comme André, Monsieur Chat, Shepard Fairey, et Invader
aussi.
Ces artistes s’orientent vers un art plus proche de l’illustration que du graffiti, si ce n’est
qu’il conserve l’usage de la bombe aérosol. En réfléchissant le regard critique dans le sillage
des pionniers, l’art urbain connait au tournant du millénaire un nouvel âge d’or. En utilisant
encore le graffiti, André Saraiva peint comme avec le graffiti Monsieur A, Tokyo, 2001
(fig. 193). Le plus souvent en rose, Monsieur A swingue du haut de ses longues jambes.
Quand il commence à graffer dans les années 1980, André écrit son nom en lettres minimales,
parfois suivi de la maxime : « André, tout va bien » qui devient le nom du crew dont il est
l’unique membre. Il fait une série Love Graffiti (fig. 194) à Paris entre 2000 et 2010.
Considéré comme un « alter ego », Monsieur A a depuis voyagé et pris ses marques un peu
partout en Europe, mais aussi au Brésil, à Cuba, en Chine, en Australie, en Amérique latine et
bien entendu à New York où André réside. Comme le tag, il marque au mur de nombreuses
villes du monde en laissant sur son passage un souvenir léger, rieur et festif. Tête de Mr. A à
Harajuku, Tokyo, en 2008 (fig. 195) est en compagnie d’un vieux Space Invader de 2001.
Il n’utilise pas la galerie, mais crée souvent dans le cadre de projets. Beaucoup d’artistes
urbains sont accusés de se vendre à des marques en mal d’authenticité, parce qu’ils
collaborent facilement avec des marques de leur logo, mais André n’a pas besoin d’adapter
ses œuvres au monde des galeries. Ses œuvres y étoufferaient d’ailleurs vite puis qu’elles ont
199
Cité par sous la direction de Paul Ardenne et texte de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 2.
350
besoin, pour avoir un impact, d’interagir avec l’endroit où elles se trouvent. André est rompu
à l’art de tirer un profit financier de ses graffiti. De 1997 à 2003, dans le cadre du projet Love
Graffiti, il demandait jusqu’à 2500 dollars à ses clients pour aller peindre le nom de la
personne aimée à l’endroit de leur choix. André n’a jamais perdu son gout de l’illégalité, ce
qui le démarque du businessman typique200.
Thomas Ville a créé un univers joyeux avec ses tags de Monsieur Chat. Souriant de toutes
ses dents, il prend place au milieu de bergeries, de couples ou de vestales langoureusement
alanguies. Monsieur Chat aime bien voyager. Sur les murs, de son trait net, aux couleurs en
aplat bien définies, Monsieur Chat décrète qu’ « éduquer une fille, c’est éduquer toute
l’humanité »201. Dans ce contexte, ses deux pattes écartées lui donnent la carrure d’un leader
politique.
De 1997 à 2000, M. Chat se développe petit à petit en France. Puis à partir de 2002, des
pancartes de M. Chat apparaissent lors de manifestations. Fin 2004, un chat géant (fig. 196) a
été peint sur une place devant le Centre Pompidou. Relayées par les medias, les images font
parfois le tour du monde. Il s’est installé néanmoins dans divers endroits de la ville, comme il
le fit au Japon ou en Corée, mais de manière moins engagée. Selon la situation politique de
chaque pays, son univers devient simplement joyeux. Monsieur Chat est un petit animal
domestique bien sympathique.
Les lettres étaient importantes dans la culture du graffiti writing. Mais on l’a critiqué
quant à sa valeur artistique et on a questionné la vérité d’activité des writers. Nous avons
souhaité nous pencher sur l’œuvre de John Fekner, artiste américain. La jeune génération,
comme Ben EINE, de son vrai nom Ben Flynn, a également créé des œuvres à base de lettres
(fig. 197). Et beaucoup de livres sur le street art ont fait des recherches sur cet artiste. Nous
approfondiront par ailleurs notre étude en traitant de l’œuvre de RERO dans le prochain
chapitre.
À la différence de ces artistes, l’Atlas français réalise un graffiti calligraphique. Jules Dedet
Granel, dit L’Atlas est né à Toulouse en 1978. Il découvre la culture hip-hop dans les années
1990, grâce à DJ Feadz. Il débute le graffiti à cette époque, après avoir étudié la calligraphie
arabe traditionnelle au Maroc, en Egypte ou en Syrie. C’est là qu’il découvre le Koufi, une
200
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street Art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 12.
201
Voir sous la direction de Paul Ardenne et avec le texte de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit.
351
écriture géométrique qu’il adapte afin de créer sa propre signature. En 1999, il rencontre Jean
Faucheur et explique la nécessité d’un nouveau support.
« Vers 2000, j’ai eu quelques ennuis avec la justice. J’ai été fiché sous le nom de
L’Atlas et il m’est devenu impossible de faire du graffiti à Paris. […] J’ai rencontré
Jean Faucheur qui m’a appris la technique des affiches, qu’il avait développée dans
les années 80 avec les frères Ripoulin. Ça m’a donné l’occasion de développer tout
ce que j’avais appris en matière de calligraphie »202.
L’Atlas se lance, en 2008, dans la réalisation de l’une de ses boussoles géantes sur le parvis
du Centre Georges Pompidou, Time is Art (Le temps est art) (2008) (fig. 198). Il est connu
pour ses labyrinthes calligraphiques, de lecture ambigüe. Il se définit comme un tagueur pur,
qui aime l’écriture, le geste et la calligraphie, et qui ne sera jamais un illustrateur. Aussi
s’attaque-t-il aux mots, s’accordant, à la rigueur, de travailler avec compas ou boussole.
L’Atlas ne regrette pas pour autant que les traces s’amenuisent, car c’est un activiste urbain,
une sorte d’anarchiste de la ligne droite.
La rue est vécue par lui comme un terrain de créations et d’expérimentation. La trace fait
référence à l’écriture première, à l’alphabet originel. Elle indique un passage, témoigne d’un
moment mais ensuite se meurt dans le souvenir. Il colle au moyen de ses signes toujours
géométriques I’m here (Je suis ici) (fig. 199), seven daughters (sept filles) (fig. 200) ou
Under control (sous contrôle) (fig. 201), témoignages de son obsession du repère.
Il s’inspire de calligraphies anciennes et orientales, qui confèrent à ses œuvres une
dimension ornementale particulière, mais il observe aussi les détails de symétrie de
l’architecture des villes. Son œuvre fut au départ réalisée en graff et parfois transposée sur des
toiles pour que s’y ajoutent une autre lecture, une autre histoire. Il prend des photographies,
toujours en noir et blanc, de son travail dans l’espace urbain.
202
L’interview avec L’Atlas, cité par Stéphanie Lemoine et Julien Terral, In Situ, op.cit., p. 62.
352
d’abord cherché à imiter le style du graffiti américain, mais sans en connaitre les méthodes de
réalisation, si ce n’est ce qu’ils ont pu en voir dans le livre Subway Art et le film Style Wars.
Ils se mettent alors à explorer eux-mêmes différentes techniques, jusqu’à créer quelque chose
de vraiment nouveau, très différent du modèle US. Ils ont décidé de tracer leur chemin. Ils se
forgent leur propre voix qui raconte la vie à São Paulo dans un univers imaginaire. Ils sont
influencés par l’extérieur qui leur donne l’assurance nécessaire pour puiser dans la sensibilité
et le folklore de leur Brésil natal. En 1993, ils rencontrent Barry MacGee 203 en résidence au
Brésil, qui apporte son expérience et montre des images des graffitis américains. Il leur fait
aussi rencontrer Allen Benedikt, fondateur du 12oz Prophet Magazine, qui réalise leur
première interview204.
Leur marque de fabrique est un univers lyrique, rêveur, presque enfantin, empli de
nombreux petits figurants, qui traite aussi des sujets quotidiens. Il en résulte une
extraordinaire galerie de couleurs et de portrait sur des scènes simples et des illustrations
façonnées par leurs pays, leurs racines, et leur folklore. Au final, les peintures forment un
certain portrait politico-social de la ville de São Paulo, sans renier le folklore brésilien. Très
coloré, cet univers se mue progressivement en sculptures et en installations. Certaines œuvres
sont délibérément provocantes pour dénoncer l’injustice ou les scandales (fig. 202). D’autres
sont de simples portraits inspirés des membres de leur famille ou de connaissances (fig. 203).
Mais quel qu’il soit, chaque personnage est une nouvelle création, et ils ne se répètent
jamais.205 Leur style s’affirme et, dès 1997, leur travail est reconnu en dehors des frontières
brésiliennes.
203
Barry McGee est né à San Francisco en 1966. Il est aussi connu sous d’autres pseudonymes dès ses dix-huit
ans, dans le milieu du graffiti. Il devient dans les années 1980 l’un des tagueurs les plus connus de la Bay Area.
Voulant améliorer sa technique et quitter la rue pour présenter son travail, il s’inscrit à l’Art Institute de San
Francisco d’où il sort diplômé en Beaux-arts et gravure en 1991. Il crée des assemblages faits de peintures, de
photographies ou de dessins enchevêtrés en masse, comme si chaque œuvre était intrusive l’une envers l’autre,
ne sachant pas trouver sa place dans cette cacophonie visuelle. Il a mis au point plusieurs techniques aujourd’hui
répandues, comme l’utilisation de giclées de peinture ou le regroupement de plusieurs œuvres. Cette dernière
technique lui a été inspirée par ce qu’il a vu dans les églises lors d’un voyage à São Paulo en 1993, et il a pu
exercer par ailleurs une influence profonde sur les œuvres d’Os Gêmeos. McGee crée d’énormes personnages
éphémères et mélancoliques, tenant souvent une bouteille à la main. Il se trouve toujours une galerie prestigieuse
pour lui ouvrir ses portes, témoignage de sa renommée. Il a continuellement exposé à UCLA Hammer Museum à
Los Angeles (1999), à la Fondation Prada à Milan (2002), au Walker Art Center à Minneapolis (2004), au Watari
Museum à Tokyo (2007), et participé à la Biennale de Venise (2001) et à la Biennale de Lyon (2009).
204
Sous la direction de Paul Ardenne, textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 67.
205
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 132.
353
Les deux frères ont investi depuis 2005 centres d’art et musées Ils interviennent, par
exemple, avec Jeffrey Deitch à New York en 2005 en 2008, au Museum Het Domein en
Hollande en 2007, au Tate Modern à Londres en 2008, au Vale Museum au Brésil en 2011, ou
encore à l’Institute of Contemporary Art de Boston en 2012. Leurs interventions muséales
sont presque toujours assorties d’une réalisation en extérieur. La notoriété des jumeaux leur
permet de décrocher une collaboration avec Louis Vuitton pour la création d’un foulard en
2013206.
Miss Van (Vanessa Alice Bensimon) a commencé à peindre dès l’âge de dix-huit ans, se
démarquant très vite dans ce milieu de tradition masculine. Il s’agissait de stickers grand
format, mais elle peint surtout sur toile et panneau de bois. Cela lui permet de se concentrer
davantage sur la technique car elle peut alors travailler plus lentement que dans la rue. Elle
choisit une figure féminine, sexy et gironde, mais malicieuse librement inspirée de sa propre
personne (fig. 204). Les poupées de Miss Van à la bouche gourmande et aux courbes
généreuses deviennent sa signature. Ces formes simples ne se contentent pas d’attirer les
regards par son visage ambigu. Elle se découvre parfois dénudée, affichant des seins fermes et
dressés, accentuant un déhanchement du bassin. Jeu érotique supplémentaire, elles peuvent
apparaitre masquées avec des couleurs qui pétillent.
Inspirée par les artistes japonais, comme Junko Mizuno, les pin-up des années 1950, le
peintre américain Mark Ryden ou la bande dessinée des années 1970 de Vaughn Bodé, Miss
Van joue davantage sur les contrastes d’une femme moderne. Sauvage mais domestiquée,
candide mais angoissée, séductrice mais apeurée, apprêtée mais tournant au grimage 207 .
Toujours à l’aise sur les murs des villes, elle développe en parallèle un travail sur toile qui lui
permet d’expérimenter des effets de contrastes, de couleurs, de clairs-obscurs et de
profondeurs. Ses images sont tristes, mélancoliques, arrogantes, elles expriment toutes sortes
d’émotions, comme nous.
Ericailcane est un artiste d’origine italienne. Il a étudié à l’Académie des beaux-arts de
Bologne. Récemment, il a collaboré avec Sam3 et Will Barras, avec lequel il a réalisé diverses
animations. Chez Ericailcane, le titre du livre ne serait pas Des souris et des hommes mais
« Des lapins et des hommes » tant cet animal, vêtu de costumes comme ceux de nos
congénères, semble faire partie de son univers (fig. 205). Le lapin, toutefois, n’est pas le seul
représentant de cette arche de Noé et rejoint tout un univers zoologique composé de rats, de
206
Jérôme Catz, Street art : mode d’emploi, op,cit., p. 228.
207
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 60.
354
chats, de souris, de coqs ou de canards. Sur des dessins délicats ou à travers des œuvres
murales de grand format, à réalisation toujours délicate, Ericailcane humanise ses créatures
comme lors de l’exposition Il funerale del galle, Fame Festival, Grottaglie, Italie, en 2009. On
décèle pourtant dans ses images une critique implicite de notre société208.
Labrona est un Canadien qui se passionne pour la peinture avec son ami Other, depuis 1998.
Il cumule représentations dans l’espace urbain et études en histoire de l’art. Aujourd’hui, il est
également exposé en galerie et considère comme autonomes ces deux parties de son travail.
Les visages que Labrona dépeint sont en majorité durs, froids et fermés (fig. 206). Quand ils
ne sont pas tristes, revendicateurs et contestataires, réalisés par le biais d’une peinture
rugueuse aux aplats fortement délimités et cernés de noir. Ils rappellent certaines images
christiques ou byzantines et plongent le spectateur dans un état proche du recueillement ou de
la prise de conscience. Ayant étudié l’histoire de l’art, il admet se référer fortement aux
maîtres du passé et inspirer en toute conscience cet état contemplatif et religieux. Il prend des
photos pour immortaliser ses œuvres. Ses peintures se font aussi parfois géométriques et
symétriques, en référence à son intérêt pour la peinture abstraite et le design. Il joue alors des
couleurs, des formes et des compositions209.
Ces formes de peinture murale ne peuvent pas facilement et rapidement se réaliser dans la
rue. Les artistes créé donc souvent ces œuvres d’envergure dans le cadre de projets, avec le
soutien de galeries et de patronages divers.
Le pochoir, est la technique prédominante pour les street artistes. Comme nous l’avons
déjà vu, cette technique est utilisée par les artistes français depuis les années 1980, pour
assurer une expression rapide et la considération de l’esthétique. Ils s’étaient dépolitisés. Et
cette simplification implique qu’il ne s’agit pas d’un travail uniquement manuel, ni de la
peinture à la bombe employée habituellement. Les artistes français comme Jef Aérosol, Némo,
Jérôme mesnager en ont fait des objets plus ludiques que politiques dans la rue. Cette
perspective montre que l’artiste suivant devra amener de nouvelles figures sur le support et
exprimer une opinion plus critique.
En France, C215 (Christian Cuémy) fait figure de nouveau venu dans le street art européen.
Avec la nouvelle notoriété de ses pochoirs aux visages finement découpés. Cette artiste peint
à la bombe depuis 1987 mais il ne s’agit pas vraiment de tag ni de graffiti, il réalise des
208
Ibid., n. 27.
209
Ibid., n.50.
355
poèmes, trahissant déjà une envie de s’exprimer à l’extérieur et découpe des pochoirs à partir
de 2006. Souvent les visages sont durs et les regards intenses. Focalisé sur les expressions, le
détail compte chez C215, détail de l’exécution et détail du lieu. Ce sens du détail a
certainement à faire avec ses connaissances en histoire de l’art. Ses influences vont des
peintres de la Renaissance, du classicisme et du romantisme, à la propagande socialiste et à
quelques contemporains, comme Carricondo, Conor Harrington, James Jean ou Dan23, avec
lequel il a récemment collaboré. 210 Son œuvre parle des gens, comme avec ce pochoir du
visage d’un vieil homme placé derrière des barreaux de shoreditch, à Londres en 2008 (fig.
207). Son but est en effet de créer de nouveaux pochoirs pour chaque ville afin d’en refléter
les habitants. Il dit : « Le contexte est ce qu’il y a de plus important dans le street art. La seule
chose que je ne change jamais, c’est mon logo. Chaque situation exige un nouveau pochoir
»211.
C215 utilise une technique bien particulière. En 2008 il a été invité par Banksy au Cans
Festival de Londres : Portrait de mineur (fig. 208). Ses pochoirs très complexes se divisent en
plusieurs sections, ce qui lui permet de construire des portraits riches en détails où l’on
distingue chaque ride, chaque poil d’une moustache, chaque mèche de cheveux et chaque pli
d’un tissu. Les fines lignes évoquent la gravure et rendent ses portraits très expressifs et pleins
d’émotion permettant ainsi de traduire le caractère d’une personne. Il se plonge dans le monde
du pochoir pour en devenir l’un des plus grands techniciens ; poète de la rue, sans parole, il
enchante par ses œuvres minutieusement exécutées. Il représente la nouvelle génération de
pochoiristes internationaux.
Nous cherchons aussi à investir de nouveaux supports. Le sol, dont une idée reçue veut
qu’il échappe à la législation, devient ainsi un espace de prédilection pour Roadsworth (fig.
209), Zevs ou l’Atlas. Roadsworth (de Montréal au Canada) fait des marquages aux sols aussi
drôles qu’audacieux qui métamorphosent l’espace public. De son véritable nom Peter Gibson,
l’artiste a commencé à peindre dans la rue en 2001. Cet artiste s’intègre à l’environnement,
comme la rue et le sol. Ce jeu a été réalisé dans le cadre de plusieurs commandes dont une
œuvre pour le Tour de France de 2007, représentant un vol d’oiseaux longeant le trajet des
cyclistes.
210
Ibid., n.12
211
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street Art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 43.
356
L’Anamorphose, elle se déploie plus que d’autres œuvres proposées, par la profusion
d’artistes qui, à l’occasion d’un concert, d’une manifestation culturelle, d’un festival, ou
autour de lieux touristiques, réalisent en direct un portrait, un paysage fantastique, une
caricature. L’anamorphose apparait officiellement dans l’histoire de la peinture au début du
XVIe siècle (cf tableau Les Ambassadeurs, en 1533 par Hans Holbein le Jeune). Dans l’art
contemporain, l’anamorphose est une technique devenue la marque de fabrique d’artistes
comme Tjeerd Alkema (Hollande) ou Georges Rousse (France) et Felice Varini (Suisse) dont
les œuvres ne se matérialisent vraiment que lorsque le visiteur est placé à un certain endroit –
l’emplacement exact d’où elles ont été imaginées212.
Mais cette technique est réalisée plus sauvagement dans la rue dans laquelle elle
représente davantage de scènes figuratives simples avec effet 3D assuré, moins complexes à
composer mais, elles aussi, lisibles d’un seul point de vue par le Hollandais Leon Keer ou les
Allemands Edgar Mueller et Manfred Stader. L’anamorphose est appréciée au gré du public.
Elle commence à séduire les artistes qui en maitrisent parfaitement la technique. Parmi les
réalisations monumentales, citons celles du collectif espagnol Boa Mistura, qui, entre autres, a
investi cinq rues d’une favela de São Paulo pour y écrire chaque fois un seul et énorme mot
englobant tout. C’est l’œuvre BELEZA (Beauté) (fig. 210), réalisée avec l’aide de tous les
enfants du quartier au São Paulo en 2012. Cependant ce type d’anamorphose, jusqu'à présent,
peu considérée dans le street art, car trop décoratif est généralement autorisé.
212
Jérôme Catz, Street art : mode d’emploi, op,cit., p. 78.
357
spectateur est convié. La démarche artistique de l’artiste a voulu fixer poétiquement la
photosynthèse elle-même, ce processus complexe essentiel à toute vie végétale ou humaine
qui transforme la lumière solaire en énergie chimique. Ernest Pignon-Ernest parvient à
conjuguer la rigueur d’une performance biologique à la justesse du geste artistique. Ce
nouveau type de performance artistique ouvre la porte à de jeunes street artistes.
Ainsi, en 2001, une exposition de Juan Muñoz à l’Hirshhorn Museum de Wahington éveille
l’intérêt de Mark Jenkins, Américain qui a joué très jeune de divers instruments de musique et
fait des études de géologie, pour la sculpture et l’installation. Il travaille par séries. En 2005, il
débute avec le Storker Project (fig. 212), qui met en scène des bébés réalisés avec du scotch,
des centaines de chérubins transparents disposés dans les endroits les plus incongrus de
nombreuses villes dans le monde, telles Bethléem et São Paulo, New York et Varsovie213.
Mark Jenkins prend place de manière subjective, apportant une note de poésie, de décalage
et d’humour dans chacun des lieux qu’il décide d’investir. Les œuvres précédemment décrites
font partie d’Embed. Il s’agit en réalité de moulages de corps grandeur nature, recouverts de
vêtements. Ce travail instaure aussi, dans son processus, l’analyse de la réaction des passants,
filmés à leur insu. Auparavant, il avait commencé par la série Tape Men (fig. 213), qui
consistait en un moulage de son propre corps avec du ruban d’emballage transparent. Il
enturbanne aussi des corps de poupons, placés par la suite dans l’environnement urbain, que
ce soit sur des statues, dans des arbres ou sur des affiches214.
Mark Jenkins s’oriente vers la sculpture pour mieux parodier les monuments et le mobilier
urbain. À la diversification des formes s’ajoute la variété des matériaux comme le tricot, le
chewing-gum, la mosaïque, les sacs plastiques, le végétal, qui deviennent autant de moyens
d’expression 215 . En abordant les problèmes sociaux de la ville, comme les sans-abri et la
dégradation environnementale, il cherche à continuer de produire les sculptures des « témoins
visuels » afin d’animer l’environnement et de poursuivre le jeu avec la rue.
Un autre artiste, Slinkachu, jeune Anglais ayant fait des études d’art et de design, se fait
remarquer par la petitesse de son travail, traitant de faits de société et alliant une certaine
finesse à une approche poétique. Ce projet se nomme Little people in the City (2012)
(fig. 214). L’intensité du rapport entre le spectateur et l’œuvre augmente avec l’improbabilité
de la rencontre. La taille et la délicatesse de ses installations sont deux composantes majeures
213
Ibid., p. 222.
214
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 43.
215
Stéphanie Lemoine, L’art urbain: du graffiti au street art, op.cit., pp. 81-82.
358
de la beauté de son travail. Même à travers la photographie, les œuvres de l’artiste restent
touchantes de simplicité et d’authenticité ; quelques figurines de un centimètre de haut peintes
et confrontées à notre univers ont un pouvoir magique sur notre imaginaire216.
A côté de ces street artistes, les artistes plastiques contemporains ou de l’art visuel
travaillent encore dans la rue comme Shimon Attie ou Cédric Bernadotte. Le premier débute
sa série The Writing on the Wall (à Berlin, 1991-1993) (fig. 215), en prenant pour lieu
d’expérimentation l’ancien quartier juif de Berlin. Dans le Scheunenviertel, il crée une
installation rappelant la période la plus sombre de l’histoire allemande sur la thématique de
l’absence. La série Hiding Places (fig. 216) poursuit ce travail dans l’Amsterdam où s’étaient
cachés des Juifs. Shimon Attie y projeta sur les pavés des films d’amateurs consacrés aux
parades et aux rondes des soldats allemands. De quoi plonger le spectateur dans la position du
voyeur de l’époque, tapi derrière ses rideaux. Between Dreams and History se penche sur la
question de l’immigration aux États-Unis, notamment dans le Lower East Side de New York.
Shimon Attie porte un regard neuf sur ses habitants et ses lieux.
Cédric Bernadotte a, lui, étudié aux Beaux-arts de Toulon. Il se confronte pour la première
fois à l’espace public en 1999 et inaugure l’année suivante ses interventions avec du scotch,
au sein du collectif anonymixte de Montpellier (fig. 217). En 2004, il réalise Arts de lieux à
Paris, où son design urbain éphémère permet de faire découvrir l’architecture autrement, de
cacher des points de vue ou d’en révéler d’autres, et de manière plus profonde, de faire
réfléchir à des questions d’urbanisme.
Nous avons montré les supports du street art – L’affiche, l’image détournée sur le panneau
publicitaire ou l’affiche, les autocollants, le collage, les graffitis à la bombe, la peinture
murale au pinceau, le pochoir, l’anamorphose ou l’installation – par le biais d’artistes typiques.
Contrairement au processus visant à dépasser les techniques simples par Photoshop, leurs
techniques sont diverses, mais nous y découvrons aussi quelque traits de caractère. Certains
artistes peuvent être regroupés selon certaines particularités : portraits de personnes qui
évoquent l’émotion des personnages, traces d’alter ego, jeux d’expression esthétique, ou
poétique. Leurs œuvres voyagent à travers les villes à l’internationale pour rencontrer les
passants. Ils questionnent la ville dans sa globalité sur la métropolisation de l’art, mais aussi
ses friches, jusqu’aux villages d’Afrique. En même temps les artistes cherchent des galeries
216
Jérôme Catz, Street art : mode d’emploi, op,cit., p. 234.
359
prestigieuses avec leurs avantages, dans lesquelles ils exposent eux-mêmes, ou dans le cadre
de festivals ou de projets.
Cependant, nous pouvons aborder d’autres groupes qui font converger des caractéristiques
plus critiques quant aux problèmes sociaux, par leur attitude dans la société de consommation,
ou par l’acte rebelle typique de la guérilla. Par l’étude de ces artistes, nous allons proposer
d’approfondir les querelles projetées dans l’histoire de l’art contemporain et dans notre
société. Nous allons bientôt discuter des activités d’artistes reconnus et de leur autonomie.
Graffiti moderne ou Street art, la confusion sur les différentes définitions de ces termes est
aggravée par le fait qu’elle est en grande partie alimentée par les médias. Ainsi, bien que les
deux sujets soient très commentés dans les médias, ceux-ci comprennent très rarement
pleinement les commentateurs et les commentaires. Il y a beaucoup de gens qui sont dans le
graff, mais ils ne savent pas vraiment définir ou expliquer ce qu’est le graffiti. La même chose
pourrait être dite concernant le street art. Pour être clair, le graffiti writing est essentiellement
une lettre à la base d’une forme d’art dont le mouvement s’est activé à New York à la fin des
années 1970, et qui est le plus souvent associée à la peinture en aérosol et au marqueur, bien
que tous matériaux et toutes surfaces soient acceptables. Après le graffiti writing est apparu le
mouvement street art, que certains qualifient de sous-section du graffiti centrée sur le tag,
parce qu’il est né dans la culture du graffiti américain des anneés 1970. C’est une erreur. Nous
ne pouvons pas expliquer le street art comme étant simplement l’origine du graff ni le
séparer parfaitement du graffiti par des considérations toute négatives. Les sujets sont
effectivement intimement liés, le graff étant d’un point de vue terminologique et de
classification, une catégorie du street art. La partie du graffiti writing qui se complaît dans le
vandalisme pur, sans aucune préoccupation pour les valeurs artistiques existantes, est peut-
être le seul aspect du graffiti que le public trouve impossible à comprendre ou à accepter.
Notre étude ne cherche pas à redéfinir le graff et le street art. Au contraire, elle cherche à
établir un parallèle entre les artistes qui travaillent de façon complémentaire : chacune des
sections ci-après reflète une tendance ou un style particulier de l’univers du graffiti, et
comprend le travail des artistes associés à cette tendance ou ce style. Par ailleurs, cette étude
360
montre les divers problèmes posés dans l’art contemporain du fait que le graffiti soit né en
dehors du système de l’art et qu’il en soit néanmoins rapidement devenu l’un des supports,
dans la société de consommation qui est la nôtre. Enfin, nous considérons a largement
influencé notre façon d’aborder les questions esthétiques d’aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle la plupart des artistes présentés dans cette étude est fortement
liée à l’histoire de l’art. Par conséquent, l’étude de leurs travaux se place dans un contexte
historique de l’art, bien souvent contre leur gré, et il est donc utile de faire des comparaisons
entre leurs œuvres « institutionnalisées » et leurs travaux qui existent actuellement à
l'extérieur. Par exemple, Cedar Lewisohn cherche, dans son livre Abstract Graffiti (2011), la
relation entre le street art et l’histoire de l’art, en montrant les liens existant entre Remi/Rough
et Kasimir Malevich, entre Eltono et Daniel Buren, Brad Downey et Kenichi Hiratsuka,
Santiago Sierra et Barbara Kruger, ou encore Dave the Chimp et le Pop Art. 217 Nous avons
souvent fait converger la situation artistique française et les activités des artistes français,
parce que le style ou les idées de street artistes tels que Daniel Buren, Ernest Pignon-Ernest,
ou d’autres artistes d’avant-garde, ont souvent été exprimés et exploités sans autorisation, dès
les années 1960 dans la rue.
Dans les faits, le street art peut exister à l’extérieur comme à l’intérieur d’un musée comme
l’ont démontré le Land art ou certains happenings. Leur travail réalisé dans la rue ne sera pas
nécessairement le même que celui présenté dans les musées, cependant. Les différents
environnements entrainent différentes formes de street art et les artistes qui réussissent à
passer de la rue au musée sont ceux qui prennent en compte cette réalité, quand ils ont en
général tendance à ignorer le risque de mise en institution. Pour autant, de plus en plus, les
musées s’ouvrent à des pensées moins conventionnelles et à l’extérieur du cube blanc : les
musées pourraient bien être les villes elles-mêmes pour l’organisation des expositions.
Dans la rue, la diversité de cette forme d’expression est toujours controversée, malgré une
histoire de près de cinquante ans, où se mêlent graffitis, œuvres conceptuelles, happenings et
contre-propagandes. En prime, les peintures murales ont leur propre histoire au sein des
conventions politiques. Le fait que le projet du Pouvoir ait été réalisé légalement n’enlève rien
à sa pertinence politique. Il signifie simplement qu’il a trouvé une façon de travailler au sein
du système pour améliorer le système. Les frontières entre le street art et l’art public sont dans
une mouvance perpétuelle. Beaucoup de projets d’art public, qui se déroulent dans le monde
217
Voir Cedar Lewisohn, Abstract Graffiti, London & New York : Merrell, 2011.
361
aujourd’hui, impliquent des artistes avec un background dans le street art. L’une des raisons
en est que le travail produit par ces artistes a tendance à être accessible au public. Par ailleurs,
le commerce et la publicité ont toujours eu une relation parasitaire aux sous-cultures, et leur
relation avec le street art n’est pas différente.
Dans ce climat, nous cherchons les artistes qui présentent une valeur artistique dans les
graffitis, en dépit du caractère sauvage et vandale de leurs actes. Ils font montre d’un style
esthétique, mais aussi d’une pratique artistique mise en une place entre le jeu, l’acte critique et
l’activité politique. Quand ces artistes sont infiltrés dans l’art contemporain, les galeries les
préfèrent à tout autre, à la différence des graffiteurs devenus artistes par un montage
commercial du marché de l’art. Portés par l’essor d’Internet, des artistes venus de la rue grâce
au graffiti cherchent à en faire évoluer l’esthétique.
En même temps, les artistes ont trouvé un lieu qu’ils peuvent exploiter de leur propre
initiative à travers un acte libre. Au cours de l’évolution du graff, les sous-cultures du graffiti
ont du apprendre à vivre avec d’autres formes d’art urbain. « Post-graffiti », « Néo-graffiti »,
ou simplement « Street art » sont autant de mots utilisés aujourd’hui dans les textes consacrés
au graffiti pour designer le renouveau d’une production artistique à la fois publique, éphémère
et illégale. L’émergence du post-graffiti ne signifie nullement que le graffiti writing soit
dépassé. Ce dernier continue de fleurir à côté d’interventions variées regroupées généralement
sous le nom de « street art »218.
Un certain nombre de street artistes ont débuté par le graffiti pour ensuite modifier leur
pratique afin de créer un mode d’expression urbaine différent. C’est-à-dire que, contrairement
à l’obsession des writers pour leur lettre ou le tag, ils préfèrent l’exploration de nouvelles
formes. D’autres artistes, guère satisfaits des codes éthiques, hiérarchiques ou picturaux du
graffiti, voire explicitement opposés à eux, ont pris la décision de produire une forme d’art
public qui se distingue stylistiquement du graff. D’autre encore, qui n’avaient pas fait leurs
armes dans le graffiti ni éprouvé le besoin de prendre clairement leurs distances par rapport à
cette culture, sont devenus des street artistes simplement après avoir expérimenté différents
mediums et contextes de diffusion. Cependant, intrinsèquement, le post-graffiti découle de la
culture du graffiti, d’où son nom.
218
Anne Waclawek, Street art et graffiti, op.cit., p. 29.
362
Le post-graffiti se caractérise par une grande variété d’innovations stylistiques et
techniques 219 . Ainsi, de nombreux artistes que nous avons déjà étudiés, comme Shepard
Fairey, Fafi, Eine, L’Atlas, Os Gêmeos, Dan Witz, Roadsworth, André, Zevs, JR, Blu,
Banksy, Rero, etc… délaissent le graffiti pour l’invention de motifs et de personnages. Ceci
est un trait particulier aux grands artistes européens. Ils suivirent les traces des pionniers
français du street art comme Ernest Pignon-Ernest ou Blek le Rat. Ils semblent hériter aussi
bien du support et de l’idée des avant-gardes politiques, bien qu’ils ne participent pas
immédiatement du mouvement d’art contemporain. Porté par des frondeurs en rupture avec
l’institution et le marché, il s’affirme également pour la quête de reconnaissance des laissés-
pour-compte. Irrévérencieux, sulfureux voire insurrectionnel, il n’évite pas toujours le
mercantilisme ni les sirènes de la commande publique. Regardé comme un délit lorsqu’il se
déploie dans la rue, il est célébré dans les galeries d’art et les musées.
Et les raisons pour lesquels nous utilisons le terme du post-graffiti sont les suivantes : les
activités initiales de beaucoup d’artistes ont commencé avec le graff ou le tag. Mais leurs
approches sont des techniques artistiques comme l’affiche, la peinture en aérosol, le collage,
l’installation, le pochoir, etc., et la stratégie artistique comme l’image détournée ou l’humour
littérature, la satire poétique ou ironique, la description caricaturale… En respectant le
caractère original des graffitis, mais en même temps les lieux spéciaux, ils dispersent leurs
images comme un virus. Ces artistes font également partie de la catégorie du street art.
Certains street artistes créent afin de présenter leur jeu esthétique, d’intervenir avec le public,
ou de mettre l’accent sur le plaisir du public ou le leur. Mais ces artistes du post-graffiti
poussent plus loin les enjeux politiques ou sociaux et leurs manières d’investigations comme
avec leur stratégie de guérilla, leur approche ironique ou humoristique des problèmes
politiques, et l’attitude de résistance face au système de l’art.
Dans ce chapitre, nous serons amenés à discuter de la manière dont ces artistes tiennent leur
place et dont ils ont ouvert un nouveau genre dans l’art contemporain. Les artistes
sélectionnés sont ceux qui n’ont aucun classement formel, notre sélection repose sur la seule
analyse de leurs activités. Nous avons évoqué la plupart des grands artistes européens. La
France est un peu plus indulgente du fait de sa situation politique que d’autres pays, envers les
activités illégales des artistes d’avant-garde urbaine dans la rue. Cette attitude voit
positivement l’autonomie de l’artiste dans les projets officiels ou l’exposition du musée d’art.
219
Ibid., pp. 29-30.
363
INVADER, l’artiste français né en 1968, poursuit des études d’art plastiques à l’université
puis un troisième cycle aux Beaux-arts de Paris avant de se jeter dans l’arène et de choisir
l’anonymat. Il découvre le mouvement graffiti alors qu’il pensait déjà infiltrer les villes avec
un plan d’invasion virale, heureusement visuelle. L’artiste décalé n’est pas issu du
mouvement graffiti car il l’a découvert seulement après avoir commencé sa démarche. Mais il
considère sa démarche comme celle d’un hacker propageant un virus à l’échelle du monde. Le
« space invader » devient son logo.
Sa démarche artistique est aussi simple que belle, et la réalisation de son idée originale
garde toute sa force depuis le début. À la recherche constante de nouvelle déclinaisons de ses
personnages de jeux vidéo pixélisés, il ne laisse passer aucune occasion ; de la fabrication de
gaufres à l’effigie de ses icônes jusqu'à la production de baskets R-invader, en passant par la
création d’un lanceur automatique de balles enfermé dans une cage de verre, Invader crée et
innove sans cesse. Au commencement il y eut la céramique, puis vint le temps du cube, et
voici qu’arrivent les performances.
Il réalise également des installations depuis ses débuts, comme lors de la Biennale de Lyon
en 2001. De coin de rue en dessus de porche, ville après ville, l’artiste colle ses personnages
en céramique, tout droit tiré du jeu star des consoles des années 1980 : Space Invader. Invader
a contribué à diffuser ce jeu extrêmement additif sur toute la planète, en installant ses
emblèmes dans des lieux aussi déférents que paris et Katmandou, Londres et Bangkok, Los
Angeles et Mombasa220. Le travail est méticuleusement préparé en amont, les petits carreaux
de céramique sont assemblés en atelier, prêt à être fixés, au ciment ou à la colle extraforte, en
un clin d’œil. Son travail s’enrichit d’un nouveau medium compatible avec son idée de
départ : le Rubik’s cube. N’utilisant que les six couleurs de l’objet, Invader créé des tableaux
à partir de ces pixels matérialisés qui lui permettent de réinterpréter les classiques de la
peinture ou d’autres sujets de son choix221.
En 1998, il envahit le musée du Louvre en posant dix Space Invaders (du numéro 134 au
numéro 143), institution qui fit le choix, assez peu surprenant, de retirer ses mosaïques. Pour
fêter l’an 2000, il s’invita sur les grandes lettres de la fameuse colline d’Hollywood, à Los
220
Rafael Schacter, Atals du street art et du graffiti, op.cit., p. 173.
221
Jérôme Catz, Street art : Mode d’emploi, op.cit., p. 216.
364
Angeles (fig. 218). Il compare son action à une acupuncture mettant en avant les endroits
nerveux et les nœuds222. Il explique :
« Travailler dans la rue est un acte politique en soi. Mais c’est aussi une
expérience… Bien sûr, il y a aussi un côté jeu… le seul but [est] de remporter le
maximum de points… Chaque Space Invader rapporte entre 10 et 50 points selon
sa taille, sa composition et son emplacement. Chaque ville « envahie » gagne des
points qui sont ajoutés à ses points précédents »223.
Les gens, pense-t-il, ont tout à gagner de ce spectacle insolite où l’on peut voir un Invader,
sur un panneau publicitaire de Londres, désigner une camera de surveillance dans un
magnifique pied-de-nez à la logique publicitaire. Cette technique de la mosaïque résiste très
bien aux ravages du temps, même si quelques œuvres ont été dégradées, voire vandalisées.
Ces Space Invaders sont cimentés sur les murs de la ville dans toutes sortes d’endroits.
Certaines œuvres ont été produites en plusieurs milliers d’exemplaires à l’aide de sponsors
locaux, distribuées gratuitement dans les villes touchées, et sont disponibles, à la vente cette
fois, sur le site officiel.
Chaque Space Invader est alors indexé dans une base de données par date, position, nombre
de points attribués, deux photographies. L’artiste considère d’ailleurs ces photos aussi bien
comme une œuvre qu’un document. Si Invader juge son invasion satisfaisante, alors un
second plan est dessiné puis imprimé à l’aide d’un partenaire local. Chaque plan possède sa
propre esthétique, son propre style, et raconte sa propre histoire dans la planification de
l’invasion et c’est pour cette raison qu’Invader préfère rester anonyme.
Invader a aussi eu l’occasion d’adapter son travail urbain à la galerie puisqu’il a exposé
dans des galeries et musées prestigieux aux quatre coins du monde. En 2001, il expose à la 6e
Biennale d’art contemporain de Lyon, en 2003 en Australie à Perth, ville qu’il envahit à
l’occasion, en 2004 à la Galerie Magda Danysz à Paris, en 2004 au Borusan Center for
Culture and Arts d’Istanbul et chez Subliminal Projets à Los Angeles. Il réalise des tableaux-
pixel de PacMan et de Pong, beaucoup plus complexes que les mosaïques posées dans les rues.
Depuis 2005, il a fondé le mouvement RubikCubiste où il utilise des Rubik’s Cubes pour
222
Sous la direction de Paul Ardennes et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 39
223
Eleanor Mathieson et Zavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., pp.100-102.
365
donner du volume aux Space invaders. Un millième Space Invader atterrit sur les murs de
Paris. Dans un reportage-vidéo, Invader, masqué, présente son travail et insiste :
« L’idée est venue naturellement. On reste dans le carré, dans le pixel, dans le cube.
Et puis, il y a un côté madeleine de Proust puisque tous les gens qui ont grandi dans
les années 1980 y ont joué. Finalement, je me retrouve à manier mes Rubik's cube
comme un peintre joue avec sa peinture »224.
ZEVS, aka le Français Christophe Aguirre Schwarz, vit en osmose avec ses
contemporains, comme Invader, avec lequel il fonde, à la fin des années 1990, un mini
collectif les @nonymous. Le duo Zevs et Invader réalise de petites vidéos envahissant
l’ensemble de la ville de Montpellier en 1999. Aux mosaïques de son partenaire, Zevs répond
pas des « surlignages » d’abord en bombant une sorte de blason-monogramme, un nuage
orageux dont deux éclairs jaillissent où se lisent le Z, le E, le V, et le S, puis en silhouettant au
sol d’un trait argenté les ombres d’éléments du mobilier urbain. Il s’attaque encore à un vieil
hôtel de Paris avec André lors de l’exposition Street Art chez Agnès b. en 2001.
Plus le temps passe et plus il s’éloigne du graffiti traditionnel et du côté narcissique du tag.
Il se définit comme peintre et cherche à interroger notre quotidien, à interagir avec notre
environnement. Il dit :
« La première ombre que j’ai réalisée a été celle de mon scooter. Je l’ai peinte sur
le trottoir de la rue du temple, en face du café de la gare. Quelques temps après, j’ai
224
Le film documentaire par Jon Reiss, Bomb it : Space Invader, sur le site YouTube.
366
élargi cet acte à l’ensemble des ombres du mobilier urbain. Bancs publics, abribus,
feux de signalisations, et statues humaines […] Ce qui m’intéressait dans cette
démarche, c’était de pouvoir signaler dans la nuit et de conserver de jour la
présence des ombres »225.
Ses attaques visuelles, y ont même insufflé une touche de guérilla urbaine. Peu nombreux,
en effet, sont ceux qui s’estiment en résistance frontale avec le système. Ses nombreuses
actions entreprises se rangent hors des catégories principales. Un premier groupe de projets
utilise la méthodologie classique du graffiti, mais en tenant mieux compte de la sélection des
lieux, des effets que ces créations peuvent avoir sur les notions de visible et d’invisible.
D’autres projets viennent ensuite, dont une série d’œuvres plus précisément centrées sur la
lutte contre la diffusion publicitaire et l’infiltration de notre environnement urbain par les
sociétés commerciales.
D’abord Zevs a exploré avec ses Electric Shadows (Ombres électriques) (fig. 220), l’idée
que l’homme peut intervenir sur des objets existants, des bancs et des poubelles par exemple.
Ces contours simples les rendent « plus visibles de nuit », tout en gardant « la trace des
ombres de la journée » 226 . Il l’a ensuite abandonnée au bénéfice d’une pratique visuelle
tapageuse et révoltée en relation à la violence de la culture visuelle contemporaine. Dans une
série plus politique intitulée Visual Attacks (2001) (fig. 221), il a pris pour cible une autre
grande composante du paysage urbain par l’affiche publicitaire détournée que Zevs travaillait
directement sur les panneaux d’affichage présentés en ville. En bombant de taches rouge sang
dégoulinantes sur le front ou les yeux de mannequins apparaissant dans diverses publicités,
notamment pour Gap, Yves Saint Laurent ou Rochas, l’artiste a « tué » ces campagnes
publicitaires. Visual Attacks ruinait totalement le message voulu par les annonceurs,
retournant du même coup la force de l’image, celle-ci ne servant plus qu’à miner l’autorité
commerciale des sociétés.
Pour lui, la publicité est placée bien en vue dans des endroits stratégiques. Dans son œuvre
WARNING, 2004, réalisée à l’occasion de l’exposition 9 points of the law au NGBK à Berlin
dont le commissariat était assuré par Katia Reich, il détourne une affiche publicitaire. Dans un
autre travail, en 2004, une affiche découpée au scalpel, est installée en galerie lors de
225
L’interview avec Zevs, cité par Stéphanie Lemoine et Julien Terral, In Situ, op.cit., p. 74.
226
Rafael Schacter, Atlas du street art et du graffiti, op.cit., p. 184.
367
l’exposition Show Room #3, imposture légitime par le commissaire de Patricia Dorfmann. Il
explique :
« Je ne suis pas en résistance frontale avec la publicité. Barrer les pubs avec des
croix noires ne m’intéresse pas. Je cherche plutôt à révéler les mécanismes à
l’œuvre dans la communication publicitaire. Ainsi elle devient une source
d’inspiration et de motivation. Je l’utilise dans mon travail comme support
d’expression »227.
Il détourne ainsi la fonction des panneaux en les transformant en œuvre d’art par le projet
Graffiti illumination, Barcelone, Espagne, en 2010228. Mais Zevs s’est aussi mis récemment
vers 2000-2008 à « faire fondre » de célèbres logos de marque. Quand il fait dégouliner de la
peinture jaune du M doré de McDonald’s ou quand il liquéfie le logo de Nike dans Liguidated
Logo (2005) (fig. 222), ce que Zevs veut liquider c’est le pouvoir des marques et du
marketing, l’objectif de l’artiste est clair : briser les stratégies publicitaires et ainsi remettre en
question leur fonction dans la ville. Zevs explique cette démarche :
« Bien sûr, l’esthétique du graffiti n’est pas absente de mon art, mais je joue surtout
sur l’effet visuel. J’utilise les couleurs d’origine et repeins le logo avec trop de
peinture. En faisant couler la peinture des logos, je les fais se dissoudre sous les
yeux du spectateur, attirant ainsi l’attention sur l’omniprésence de ces marques
identifiables d’un simple coup d’œil tout en les modifiant visuellement. J’essaie
ainsi de mesurer le pouvoir visuel du logo. C’est un geste simple qui consiste,
comme en aïkido, à récupérer la puissance de l’adversaire pour la retourner contre
lui »229.
Remixer les stratégies publicitaires ou parodier des publicités pour mieux les détourner est
une pratique qu’adoptent volontiers les activistes et artistes opérant anonymement ou sous un
pseudonyme. Mais aujourd’hui, son style, à la frontière entre les mouvements d’art
contemporain du pop art et du street art, propose un contre-pouvoir plastique aux publicités,
aux marques, à tous les signes de surconsommation quels qu’ils soient. Se déplaçant dans le
227
Ibid., p. 91.
228
Anne Waclawek, Street art et graffiti, op.cit., pp. 186-187.
229
Cité par Ibid., p. 189.
368
monde entier, il cherche à montrer le côté délébile des marques qui ont réussi à s’inscrire
partout, jusqu’au plus profond de notre cerveau. Il liquéfie les plus grands noms, que ce soit
Chanel ou McDonald’s, Disney ou Google : à grands coups d’acrylique, il fait couler le logo
concerné, comme si celui-ci avait été fraichement repeint mais avec beaucoup trop de
peinture : La Grande Odalisque orangée (2012) (fig. 223)230. Feignant de confondre le signe
et son référent, il « viole », « kidnappe » ou « tue » des images, et tout particulièrement celles
qui saturent l’espace urbain231.
Zevs continue néanmoins à suivre le code moral de son alter ego super héros, mû par le
désir réel de protéger le public de la puissance abusive des grandes firmes mondiales, mais
aussi de casser la mauvaise image du graffiti auprès de ce même public. Il continue à jouer
avec la double capacité de la culture visuelle, à dévoiler comme à dissimuler, en produisant
une surprise visuelle qui bouleverse radicalement notre environnement humain232.
230
Jérôme Catz, Street art : mode d’emploi, op,cit., p. 244.
231
Stéphanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 93.
232
Rafael Schacter, Atlas du street art et du graffiti, op.cit., p.185.
233
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 45.
234
JR, JR : 075², Paris : Pyramyd, 2011, p. 16.
369
précise, avec un meilleur cadrage et un angle de vue différent des autres. Et au-delà du regard
du photographe, il y a celui de l’artiste, du citoyen critique. Ainsi, dans ses installations
gigantesques, la prise de vue ne rentre-t-elle plus en compte comme l’unique paramètre. Les
images intègrent un long processus créatif. Tout le travail de JR est à lire à l’aune de
l’actualité politique, historique ou économique des lieux qu’il investit. Révélateur de tensions
sociales ou d’actions collectives, l’artiste s’implique sur le terrain. Pour découvrir ses collages
in situ il faut suivre son actualité durant les festivals et autres manifestations culturelles
européennes.
Ses actions sont devenues légales dans les pays occidentaux, mais restent illégales dans les
pays où il puise un grand nombre de ses sujets. JR a réussi à fédérer une foule de personnes,
aux quatre coins du monde, qui croient en davantage de vivre-ensemble, via un autre mode de
communication que celui que nous imposent les médias. En réalisant ses campagnes de
rencontres avec des milliers d’anonymes, l’artiste montre la bonne volonté de la majorité des
gens envers la paix, alors que la presse met en avant la guerre entretenue par quelques-uns.
Difficile alors de traduire ses actions en « œuvres », reste un témoignage visuel des
installations photographiques spectaculaires que l’artiste réalise in situ, ainsi que l’édition de
quelques lithographies ou la création de collages sur différents matériaux235.
Dans sa série Woman are Heroes (fig. 225), il travaille à très grande échelle, collant des
tirages en noir et blanc de ses photos sur les bâtiments de la ville. Il recouvre les murs
extérieurs de plusieurs taudis des favelas de photos de femmes du voisinage ; leurs visages
font la taille d’une maison. Par exemple, à Kibera, JR a recouvert les toits des maisons de
portraits. Il a aussi collé une paire d’yeux de femme sur chaque wagon d’un train qui passe au
milieu du bidonville et a installé trois photos représentant des parties inferieures de visages
également féminins sur la pente qui se trouve sous la voie de chemin de fer. Chaque portrait
adoptant une expression différente à mesure que le train avance et que les yeux des wagons
rencontrent le reste du visage.
Pour son projet, Face 2 Face (fig. 226), au Moyen-Orient, il réalise en 2006-2007 en
partenariat avec Marco, des portraits de Palestiniens et d’Israéliens exerçant le même métier
et les place face à face, en très grand format, bien en évidence de part et d’autre de la frontière.
Nous pouvons y voir un rabbin et un imam placardés à plusieurs endroits, y compris en
Cisjordanie. Le projet a été vivement critiqué et a valu à JR d’être arrêté par l’armée
235
Jérôme Catz, Street art : Mode d’emploi, op.cit., p. 220.
370
israélienne pour troubles contre l’ordre public. Selon lui, les « 41 héros » qui ont accepté
d’être photographiés sont des voisins mais ne se voient habituellement que par le biais des
médias. Son but est simple : améliorer l’entente entre les deux peuples. Il espère que ceux qui
ont participé au projet puissent « rire et réfléchir » en voyant le portrait de leur voisin à côté
du leur.236 Dans son codage propre de l’humain, JR met l’accent sur le visage comme forme
symbolique de l’humanité tout entière. Un passage du singulier à l’universel, tandis que le
spectateur est placé face à son prochain.
En dépit de son statut pratique, JR donne encore à l’affichage public ses lettres de noblesse
à travers son projet Inside Out (fig. 227), lancé en 2010 et autofinancé, comme le reste de ses
entreprises, institutionnelles ou non. Récemment, dans un projet d'affichage, JR le moderne et
Ernest Pignon-Ernest l’ancien ont occupé l’espace public avec leurs images. Nous savons que
quatre décennies les séparent, que leurs statuts les différencie, l’un est artiste et l’autre
graffeur, pourtant ils font le même travail. Pour Paris-Match, ils ont dialogué avec
enthousiasme, d’art, de collages de rue et d’arrestations237. JR travaille en noir et blanc pour
des raisons économiques, mais aussi pour se démarquer des publicités avec lesquelles il est en
rivalité pour l’espace et l’attention.
236
Eleanor Mathieson et Zarier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., pp. 108-119.
237
Un entretien d’Ernest pignon-Ernest et JR avec Elisabeth Couturier, « JR et Ernest Pignon-Ernest : l’art au
bout de la rue », Paris Match, Le 12 juillet 2013.
238
Samantha Longhi, RERO : image négation, Grenoble : Opus délits, 2012, p. 7.
371
Sa toute première série est composée d’une dizaine de phrases et de mots affichés dans les
rues de Paris : What you see is what you get (Ce que vous voyez est ce que vous obtenez); Je
n’aime pas beaucoup les gens qui pourrissent les murs avec des stickers ; J’aurais préféré un
mur blanc plutôt que cette affiche de merde (fig. 228) ; etc... Rero questionne les codes de la
propriété intellectuelle, de l’image ou du langage informatique et il utilise l’humour noir ou
sarcastique et le non-sens pour s’adresser aux passants. Il affiche ses slogans sur les murs,
mais aussi au travers d’étonnantes installations.
Ses tout premiers messages portent sur la pratique même du graffiti ou des stickers. Puis,
affranchi de ce passé-là, apparaît une série de mots et d’expressions plus répandus dans son
travail reprenant les messages d’erreur informatique. C’est son activisme de rue qui va le faire
entrer dans le monde de l’Art. Cependant, il est armé pour l’affronter, car tout le monde se
dispute le jeune prodige aujourd’hui représenté par la galerie Backslash à Paris. Alors ERROR
404 (fig. 229), message qui apparaît quand l’internaute est dirigé sur un lien disparu, est par
exemple le titre de sa première exposition à la galerie parisienne Backslash en 2011. Cet acte
implique de s’inscrire contre le graffiti et ses calligraphies d’initiés. Si Rero mentionne
souvent Jean-Michel Basquiat qui raturait tous les mots qu’il écrivait à la main sur ses toiles
afin de, non pas les faire disparaître, mais au contraire les faire exister, ce n’est pas la seule
raison de son action239.
Le choix d’apposer un mot plutôt qu’un autre se fait en général en fonction du contexte, de
la localisation géographique, la fonction du lieu, son histoire, etc. Lorsque Rero part sur les
traces de lieux abandonnées dans l’ancienne Allemagne de l’Est, il réfléchit à l’implication
que son action a dans ces lieux forts de mémoire. Le choix des mots utilisés dans ces lieux
fantomatiques et majestueux est important, comme Not Found (fig. 230) dans une église
désaffectée240.
D’autre son travail, DEGAGE (fig. 231), le slogan scandé par la foule postée en masse sur
la place Al Tahrir ou dans l’avenue Bourguiba, prend forme tout au long de la nuit pour ce
matin s’afficher dans sa monumentalité barrant un immeuble désaffecté et nous renvoyant
tous à l’ampleur des changements qui s'opèrent dans le bloc du Moyen-Orient, engendrés par
le départ de Ben Ali après 10 ans de dictature. Samantha Longhi lui pose une question sur la
commande institutionnelle et politisée. Rero explique :
239
Ibid., p. 17.
240
Ibid., p. 22.
372
« Dans la genèse du projet, j’avais fait deux propositions au départ : Error 404 et
Dégage. Error404 – ce qui s’affichait sur les écrans quand les Tunisiens
souhaitaient se rendre sur un site Inter net censuré par l’Etat – auraient permis de
rendre l’intervention plus générale, mais c’est le mot Dégage qui a été perçu
comme émetteur d’un message plus fort. Je pose habituellement mes textes de
façon droite et alignée. Or, dans le cadre de cet hommage, le fait de peindre le mot
comme un tampon, en diagonal, avait plus de sens vis-à-vis du projet. C’est normal,
on ne maitrise pas tout. D’ailleurs, c’est souvent le cas des interventions en
extérieur, on doit se plier aux exigences du contexte » 241
241
Ibid., p. 40.
242
Ben réalisa également des performances dans la rue, guettant la réaction des gens. Dans une performance de
Ben dans la rue, « Ici, il déjeune au milieu de la circulation», il répéta 20 fois le même geste, dans la rue à Nice,
afin d’attirer plus de clientèle dans son magasin, ou encore, traverser la rue sous un drap noir. Une œuvre
intitulée « L’essentiel, c’est de communiquer », Ben, assis au milieu de la rue, affichait des panneaux avec écrit :
Ne me regardez pas! – Regardez moi, cela suffit – Ne me jugez pas! - Je suis comme je suis! Selon les écriteaux,
Ben gardait le silence où expliquait toute l’œuvre d’art, interrogeant les passants… Il appelle ceci des « pièces de
déclaration ou d’indication », prenant pour référence la célèbre phrase de Marcel Duchamp: « Il faut abolir la
notion de jugement. » Thierry Laurent, La Figuration libre, Paris : Au même titre, 1999 ; Rétrospective Ben,
musée d’art contemporain de Lyon, du 3 mars au 11 juillet, 2010.
373
différentes formes : des peintures sur toile, des livres emprisonnés dans de la résine, des
installations, de la sculpture en haut-relief sur plâtre, des papiers brodés. Du 6 juillet au 3
septembre 2012, l’exposition de RERO Nature morte/Still life occupera le vieux chemin
d’Arles, menant à Saint Rémy de Provence, et l’artiste réalisera, une suite d’installations
typographiques s’inscrivant dans un contexte historique bien précis. Il interviendra dans les
ruines de l’hôtel de Sade, sur le chemin de Van Gogh et sur les façades de Saint Rémy.
243
Voir Dran, I love my world, Paris : Populaire, 2010 ; Dran, 100 jours et quelques, Paris : Populaire, 2010.
374
En 2007, il signe une campagne de publicité pour Nissan. Cela lui permet d’investir dans la
production de ses œuvres, de passer à la vitesse supérieure dans l’édition, et de réaliser sa
première exposition personnelle à Toulouse. Son travail est présenté à l’institut d’art
contemporain de Villeurbanne, dans le cadre de la Xe Biennale d’art contemporain de Lyon ;
puis après quelques expositions collectives, Dran est invité à Londres fin 2010 pour
l’exposition de Noël de Banksy intitulée Marks 8 Stencils. Il y figure en « guest star » et y
gagne une reconnaissance internationale méritée. Il passe du dessin à la peinture, s’attaquant
juste à des formats plus ambitieux.
BLU, est italien et se lance dans le street art en 1999. Il passe rapidement du graffiti à la
peinture au rouleau, afin d’assouvir se envies de formats monumentaux. Ses sujets de
prédilection revêtent un caractère politique et délivrent souvent un message critique sur notre
société. Son œuvre a acquis un style net et puissant qui rappelle la bande dessinée par son
attirante simplicité et contient parfois des références mythologiques. La liste des endroits où
Blu a laissé sa trace est aussi longue que sa collection de carnets qui contiennent des croquis,
des pensées ou des notes simplement visuelles. Souvent, ces dessins fonctionnent comme un
script pour ses improvisations sur les murs.
Sa manière graphique est directement proportionnelle à la dimension épique de ses
peintures murales. Ses peintures semblent interpréter le langage architectural des espaces
publics et les réinventer dans de nouvelles formes. Ainsi, ses peintures murales ne sont jamais
détachées des endroits où ils ont été conçus parce que Blu est un peintre dans le paysage,
urbain ou industriel. Il essaie toujours de communiquer avec la société qui habite ces espaces,
à la recherche de la singularité de chaque lieu. Outre le dessin et la peinture, l'univers
technique de Blu est complété par une utilisation habile du milieu numérique. Preuve en est
de ce qui peut être vu sur son site web244 où son savoir-faire manuel est combiné avec le
langage de programmation informatique. Les thèmes récurrents de son imagerie jouent sur la
distorsion de la figure humaine. Il parle avec un vocabulaire pop qui ressemble au processus
de l’écriture automatique de la tradition surréaliste avec des procédés purement rhétoriques.
Les personnages et les animaux représentés dans ses œuvres s’adonnent souvent à des actes
de violence physique et d’interaction charnelle extrêmement choquants. Grande peinture
murale sur Old Street (2008) (fig. 235), montre un homme gigantesque ressemblant à un
244
www.blublu.org
375
Bouddha avec un trou béant sur le sommet du crâne. Une paille est plantée dans son cerveau ;
avec une autre paille, il aspire le cerveau d’un animal qui, à son tour, aspire le cerveau d’un
homme plus petit. Voilà un cycle alimentaire tout à fait révoltant quoique peint dans un style
direct et sympathique. A cause de cette technique, et malgré la nature écœurante des actions
décrites par Blu, le spectateur se retrouve plongé dans l’œuvre avant même d’avoir pu se
détourner de son contenu.
La galerie Lazarides, qui vend ses croquis et gravures de petit format, décrit Blu comme un
maître de « l’horreur sympathique », dont « l’interprétation des rouages les plus intimes de
l’homme rappelle les œuvres perverses d’un Colcette ». Mais Blu s’intéresse davantage à la
physicalité du corps animal. En témoignent les œuvres qu’il compose autour de certains
éléments architecturaux, notamment de tunnels ou des arches qui figurent la bouche de ses
personnages. Il semble fasciner par les réalités physiques de l’existence et les cycles de la
chair comme la naissance, la mort, les métamorphoses, l’évolution, la croissance et la
décomposition245.
Blu crée également des œuvres à message politique et social. Son Evolution of Mas
(fig. 236), peinte à Londres en 2007, détaillait, étape par étape, l’évolution de l’espèce
humaine, d’abord amibe, puis dinosaure, puis singe, puis homme qui, le fusil au point, tue
l’homme. L’homme mort devient squelette pour enfin revenir à l’état d’amibe. Une œuvre
créée en 2008 sur la façade du Tate Modern à Londres mettait en scène un homme à la tête
sectionnée, révélant à l’intérieur une enfilade de salles vouées à la guerre et à ses horreurs.
Il commence par remplir les formes de couleurs unies, souvent il les peint en blanc au
rouleau, puis utilise de la peinture noire ou du fusain pour les contours et les détails. Il est
connu comme l’un des maîtres de la rencontre entre animation et street art. En 2007 et 2008, il
réalise en Argentine le film Muto, son premier « mur animé », qui recevra de nombreux prix
et qui a déjà été vu plus de dix millions de fois sur You Tube. Ce film est un chef-d’œuvre
d’animation image par image réalisé à partir de peintures murales à Buenos Aires et à Baden.
Blu y dessine, efface et repeint diverses figures à la peinture blanche et au fusain pour
raconter une histoire qui se déroule le long d’un mur. Son animation Letter A, filmée dans la
galerie Jonathan Levine de New York, est tout aussi captivante. On y voit un homme coupé
en deux dont le corps se désintègre. Après avoir branché sa tête décapitée dans une prise de
245
Eleanor Matheison et Xavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 30.
376
courant, il réapparait sous forme de robot, s’extirpant d’une enveloppe mécanique en forme de
chrysalide.
Il se caractérise par ses formats gigantesques, souvent réalisés en noir sur fond blanc,
rehaussés d’une ou deux couleurs. L’homme y est généralement prisonnier de sa condition
d’être humain soumis aux contraintes de la société. Ses fresques très détaillées, outre leur
monumentalité, allient la puissance du sujet et l’art du dessin. Partageur, Blu n’hésite pas à
collaborer avec ses comparses, comme l’italien Ercalicane, qui le suit depuis ses débuts, ou
encore, au gré des propositions, avec le français JR, les Brésiliens OS Gêmeos ou Nunva (fig.
237). Son œuvre se décline aussi à moindre échelle, sous forme de dessins sur papier au
crayon noir, sketches de potentielles réalisations murales.
HERAKUT est le regroupement de deux artistes allemands, Hera et Akut, dont les
productions communes sont bien plus dérangeantes que les envahisseurs d’Invader qui se
contentent de régner tranquillement sur le lieu qui leur a été assigné. Dans les scènes
narratives d’Herakut, composées d’être humains, d’animaux et de textes, la fusion entre les
styles respectifs des deux artistes s’opère de façon harmonieuse, et le résultat est tout à la fois
contemplatif, inquiétant, sombre et obsédant. L’œuvre They hate Me just Because I’m Golden,
(Ils me détestent juste parce que je suis en or) (2000) (fig. 238) dépeint une atmosphère
mélancolique ou sombre. Les œuvres d’Herakut attirent le spectateur : le protagoniste nous
regarde droit dans les yeux et les phrases font réfléchir. Les œuvres à plusieurs entrées comme
celle-ci – qui mêle non seulement le texte à l’image mais aussi le réalisme au symbolisme –
illustrent le désir d’Herakut d’inviter le spectateur dans une histoire qui relève tout autant du
réel que de l’imaginaire.
En dialoguant visuellement, les artistes mêlent des éléments mythiques à des situations
contemporaines, et ce, dans un but surtout narratif. Associé à la figuration gestuelle d’Hera, le
réalisme d’Akut donne forme à des récits qui, bien qu’extrêmement ramassés, parlent au
spectateur. Les couleurs terrent de la palette ainsi que le profond calme et la tension
mélancolique qui émanent de l’œuvre contribuent à lui donner cette tonalité sérieuse 246. Dans
leur création Art Doesn’t Help People (L’art n’aide pas les gens) (2009) (fig. 239), ils
semblent créer un contact oculaire avec le spectateur mais continuent nonchalamment à
246
Anna Waclawek, Street art et graffiti, op.cit., pp. 126-128.
377
vaquer à leurs occupations. Le « regardeur » se retrouve happé par une situation qui, joyeuse
ou triste, retient toute son attention du fait de l’histoire qu’elle raconte.
Le dialogue visuel est réalisé à travers la conversation instaurée dans l’œuvre entre l’image
et le texte. Généralement, les personnages d’Herakut sont représentés avec de longs membres
et des têtes d’animaux en guise de coiffe pour leur tête humaine ou même avec des sabots ou
une queue, tout en ayant l’air détendu. Associé à un style gestuel expressif, le langage
corporel de ces figures crée en effet une impression de décontraction. Et les grands yeux des
personnages, dans lesquels nous pouvons lire un sentiment se situant quelque part entre
méfiance et hostilité brisent cependant l’impression de sérénité247.
Illustrant ainsi les artistes, les œuvres et les thèmes qui sont apparus par toute sorte de
moyens artistiques – du graffiti traditionnel à l’intervention sculpturale, de l’affiche à la
performance ou l’affiche détournée et de l’abstraction géométrique, etc. – sur la scène
contemporaine de l’art urbain, nous avons cependant écarté beaucoup d’artistes.
Ainsi, Ron English (É tats-Unis), architecte majeur du mélange des cultures à partir des
années 1980. Déconstruisant les frontières entre publicité et esthétique, art et activisme,
culture pop et culture élitiste, son travail met en scène un rejet délibéré de la culture
américaine moderne. Il se sert de la culture populaire pour présenter au public des thèmes
sociaux et politiques importants, en utilisant l’iconographie – cigarettes Camel, Ronald
Macdonald (fig. 240) ou Mickey Mouse (fig. 241) – comme un outil pour commenter
subtilement les travers de la société.
Ou SANER, artiste mexicain déployant sa vision personnelle de la vie et de la culture
mexicaines sur les murs et dans les rues du monde entier, qui aborde les problèmes sociaux et
politiques contemporains selon une perspective classique, en intégrant d’anciens thèmes
folkloriques à un style postmoderne et présentant les troubles de la société contemporaine
mexicaine (fig. 242).
ESCIF également qui a remis en question bon nombre de préjugés sur l’art urbain
représente en effet une approche nettement intellectuelle mais instantanément accessible. Ses
images questionnent les significations, motivations et problématiques nées de la fabrication
même du graffiti. Il représente également une forme de caricature, sorte de sketch satirique
abordant un problème particulier. Escif emploie la satire, la juxtaposition, la métaphore et
247
Ibid., pp. 128-129.
378
l’hyperbole, pour remettre en question la norme et les attitudes hégémoniques sur les murs qui
sont devenus les sites les plus visibles de l’espace public, donc les plus efficaces pour diffuser
ses messages, souvent caustiques comme l’oeuvre Art va Capitalisme248 (fig. 243).
Les productions artistiques diffèrent d’un pays à l’autre, mais nous pouvons démontrer
qu’elles sont profondément enracinées dans la culture contemporaine, à travers le prisme
radical de la critique politique et sociale. Nous avons donc étudié des artistes dans le post-
graffiti qui ne se distinguent pas clairement dans le street art, mais qui se regroupent par leur
activité libre ou de guérilla et par le caractère critique ou politique de leur geste du fait de leur
expérience juvénile de la culture du graffiti. Ils servent à élever le niveau de conscience
sociale. Que les artistes aient ou non des motivations politiques, le fait même de créer une
œuvre d’art dans un endroit qui n’a pas été spécifiquement prévu à cet effet est une façon de
se réapproprier l’espace public. Ils pratiquent de façon artistique et ils décident donc
d’intervenir autrement, comme le fait Invader avec son virus-logo space invader, l’image
détournée de Zevs ou de TomTom qui apposent leur geste singulier sur l’affiche en en
creusant la surface au cutter pour en dévoiler les dessous, le collage photographiée de JR, les
mots de Rero, le cartoon-caricature chez Dran, ou encore la peinture des animaux et de
l’homme chez Blu ou Herakut. Leurs approches sont différentes, mais ils se rejoignent sur les
querelles de l’art contemporain, la conscience de notre société, et leur place et rôle dans la
société de consommation.
Ils ont débuté en dehors de l’histoire de l’art, cependant, grâce à un phénomène sans
précédent, ils semblent avoir imposé leur place : un courant exceptionnel a apparu hors des
cadres traditionnels que sont la galerie, le musée ou l’école d’art. Ainsi, ils ont appréhendé
l’histoire de l’art dans le sens contraire de la marche. En 2010, l’art urbain a ainsi fait son
apparition sur les écrans avec les sorties presque simultanés de Exit through the gift shop
(Faites le mur) de Banksy et de Women art Heroes, réalisé par JR. Par ailleurs, au milieu des
années 2000, l’institutionnalisation de l’art urbain se décline de toutes les manières possibles.
À la création de festivals et à l’engouement des grandes institutions artistiques comme à
travers l’exposition de street art au Tate Modern à Londres, s’ajoute une production éditoriale
croissante et, plus récemment cinématographique. Ces événements achèvent de faire connaitre
le street art249.
248
Rafael Schacter, Atlas du street art et du graffiti, op.cit., pp. 315-317.
249
Stéphanie Lemoine, L’art urbain : Du graffiti au street art, op.cit., p. 95.
379
S’ensuit la construction d’une œuvre protéiforme, à la fois esthétique et porteuse de sens,
Banksy est au milieu de toute cette controverse. Le travail de Banksy s’est inspiré de l’œuvre
des artistes précédents et inspire les jeunes artistes d’aujourd’hui. Dans le chapitre suivant,
nous allons approfondir notre étude de l’activité de Banksy, car il a presque tout fait. A partir
de son empreinte, nous allons étudier l’exposition ou le projet de street art, et résoudre les
problèmes esthétiques qui ont été soulevés.
Ce mouvement d’art contemporain, le street art, a agit de manière notoire dans le domaine
de la politique. Cela soulève une question aussi vieille que l’art. Comme nous en avons déjà
discuté en ce qui concerne l’activité d’Ernest Pignon-Ernest, de nombreux textes ont insisté
sur son engagement politique. Qu’il s’agisse de figures historiques, d’auteurs ou de maitres de
l’histoire de l’art, tous constituent ses sources et ses références. En travaillant par séries, il
apprivoise un lieu, le plus souvent une ville, se documente sur son histoire et agit, au départ
au pochoir, mais très vite en collant des dessins réalisés en atelier. Ses images se fondent dans
l’espace, jouent du trompe-l’œil et réactivent les mémoires. Ces lieux chargés d’histoire,
Ernest Pignon-Ernest les approche, il y tâtonne géographiquement, il en observe, en plasticien,
la lumière, l’espace, la dynamique. Son œuvre est intrinsèquement porteuse de messages.
Blek le rat a promptement enchaîné sur ces idées. Avec son rat ou qu’il emprunte les traits
d’icônes du rock ou de la politique, il a apporté sa pierre à l’édifice de cette activité, au
développement de ce mouvement artistique et libre. Après le mouvement d’avant-garde
comme SI, l’art expérimental, le happenning, ou l’art conceptuel, cette démarche artistique
des graffitis a, dans les années 1980, connu son premier âge d’or. En France ou aux É tats-
Unis, une génération d’artistes tourne le dos au minimalisme ou à l’art intellectuel, et va
trouver, dans la rue, un nouveau terrain d’expression et de liberté qui s’est découvert de lié
aux activités des artistes avant-gardistes.
380
Avec cette activité artistique, l’hégémonie du writing n’est pas seulement le cauchemar des
autorités, elle pose aussi problème aux graffeurs eux-mêmes, dont elle contrarie le désir de
visibilité. Pour se distinguer de la masse, certains décident alors de s’affranchir des codes
esthétiques du graffiti et s’orientent vers de nouvelles formes, certains s’attachent ainsi à faire
évoluer les règles du graffiti. Ce climat de pile ou face a incité certains artistes a travaillé
selon les codes esthétiques ou les règles du street art, quand d’autres ont préféré décliner leur
nom via de nouveaux outils et de nouveaux médiums. Dans le processus par lequel le graffiti
writing devient art, dans la relation entre les graffeurs et la galerie d’art, de par l’imitation de
l’activité rebelle et des formes d’art, le street art a exercé une influence essentielle sur
l’évolution du monde clos de l’art. Nous soulignons l’attitude de l’artiste sur la dimension
éthique et sa conscience des problèmes sociaux et politiques dans la culture visuelle, mais
aussi les formes nouvelles d’art. Pendant le déroulement de ce mouvement du street art, ces
problèmes se sont continuellement posés. Et nous remarquons comment, dans la société de
l’industrie culturelle ou le cycle de commercialisation de l’art, ce genre doit constamment
avoir un esprit rebelle, réaliser un acte de résistance à l’institutionnalisation artistique du
street art, et représenter les problèmes de notre société.
Nous ne pouvons que s’interroger sur cette émergence tardive de la revendication de la
société critique dans l’espace public. Et ce d’autant plus que tous les éléments théorisant la
critique de la publicité ou de la société commerciale préexistaient depuis longtemps : critique
du fétichisme de la marchandise chez Karl Marx, critique des industries culturelles par l’École
de Frankfort (Benjamin, Adorno, Horkheimer), critique de la marchandisation de l'espace
public par Jürgen Habermas, critique de la société du spectacle par l’Internationale
Situationniste, critique de la société de consommation et de la consommation comme
manipulation des signes par Jean Baudrillard, critique du productivisme et de la société
industrielle.
Cet outillage théorique conséquent nous permet de déconstruire la propagande publicitaire
afin d’en comprendre la fonction dans la société capitaliste, son articulation avec
l’industrialisation sans limite et la destruction de l’environnement, son rôle dans la
construction et la perpétuation d’une société de consommation, du paraître, dans laquelle
l’identité sociale est exclusivement définie par les produits que l’on acquiert et où la réalité
objective des rapports de production, c’est-à-dire la nature même de l’aliénation et de
l’exploitation capitaliste, est masquée par le paravent du Spectacle. Mais ces réflexions, que
nous espérons pouvoir partager avec les artistes du street art, confineraient à la coquetterie
381
intellectuelle si elles n’étaient pas retraduites dans une pratique politique concrète de
réappropriation collective de l’espace public par un passage à l’acte.
Pour ce faire, le street art réécrit la pratique du détournement. Et la génération du street art
est aussi profondément marquée par l’avènement d’Internet. Ce Web libère quantité d’archives
et permet aux artistes de publier instantanément à échelle planétaire les photographies de leurs
œuvres250. Comme nous l’avons déjà vu avec ces grands artistes que sont Blu, JR, Zevs ou
Banksy, dont les œuvres jouxtent les graffitis politiques, grâce à leurs activités,
l’institutionnalisation du street art se montre de plus en plus ouverte à l’art urbain. Portée par
les records de Banksy en salle des ventes, les succès commerciaux du street art en galerie et
en salle des ventes se doublent d’un début de reconnaissance institutionnelle. En effet, les
expositions d’art urbain se sont succédé sans discontinuer au Tate Modern, à la Fondation
Cartier et au MoCA depuis 2007. L’assimilation du street art par le marché et l’institution
recèle pourtant des contradictions difficiles à résoudre. Transposer cet art contextuel dans
l’espace neutre du White Cube revient en effet à le considérer sous un angle strictement
formel, comme un phénomène esthétique parmi d’autres. Par souci formel d’autorité,
l’institution artistique restitue les étapes du processus de création au moyen de photographies,
films, dessins préparatoires, ou de tableaux.
Mais l’œuvre appauvrie par le passage à la galerie est toujours différente de la création pour
et dans la rue et de la création sur commande publique. Et en s’investissant dans des activités
collectives de street art, les artistes donnent ainsi lieu à un nombre croissant d’événements, de
festivals et d’expositions en plein air. Cette évolution de l’exposition offre une nouvelle
pratique de l’échappée hors de tous cadres, du jeu avec les limites, de la transgression et du
beau crime.
Banksy se trouve à l’origine de ce changement du paradigme de l’art et a fortement critiqué
ces son existence-même en parallèle avec la dénonciation des problèmes sociétaux. S’il est
identifié aujourd’hui à la figure du rat et à la technique du pochoir, Banksy a embrassé tous
les mediums jusqu’au cinéma avec une remarquable cohérence. Il a également essayé de
toucher tous les problèmes de notre société. Provocateur, champion de la parodie, il s’inspire
du style ou de l’image détournée de Blek le rat ou Asger Jorn, et agit sans rechercher à le faire,
sur les idées des artistes qui lui succèdent comme Dran ou Dolk. Finalement, en préparant ses
propres expositions, Banksy influe sur la notion même d’exposition.
250
Ibid., p. 84.
382
2.1. L’activité de Banksy
Banksy né à Bristol en Angleterre, commence à signer ses premières œuvres graffiti au sein
du collectif DBZ dans sa ville natale, en 1992. Il a, jusqu’à maintenant, refusé de révéler sa
véritable identité. Il explique sa démarche ainsi que son détachement face à son immense
notoriété dans quelques rares interviews disponibles sur Internet. Cet artiste a monté de toutes
pièces des expositions spontanées et impulse discrètement l’activité collective avec des
artistes fortement engagés. Il se présente aujourd’hui sous de multiples formes, mais Banksy
s’est d’abord fait connaitre par le pochoir, medium qui lui a permis de s’exprimer de manière
plus riche et plus rapide que via le graffiti. Son travail se décline aussi sous la forme
d’installation in situ, d’interventions sauvages dans des lieux comme Disneyland ou des
musées prestigieux ou encore à travers des sculptures animées mécaniquement. Ses messages
anticonsuméristes et anti-establishment, mais à chaque fois pleins d’humour, ont fleuri dans
les rues de Londres comme de Bristol, aux É tats-Unis et dans des pays aussi variés que
l’Australie, le Mali ou la Palestine.
Comme d’autres street artistes, Banksy donne instantanément au street art une dimension
contestataire et internationale. Mais, en expliquant le travail de Banksy, Marie Maertens s’est
trompée sur le street art en déclarant ceci :
C’est par sa maitrise technique, l’humour visuel de ses pièces satiriques, et l’émotion avec
laquelle il prend fait et cause pour les opprimés, qu’il a su imposer le street art comme la
forme artistique la plus essentielle de notre époque, y compris aux yeux de ceux qui voulaient
l’éradiquer de la surface de la terre. Même son agent, Lazarides, prétend avoir peu
251
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 6.
383
d’informations. C’est tout juste si Banksy lui indique dans quel parking de lointaine banlieue
il a laissé les toiles destinées à sa prochaine exposition252.
D’abord, nous classerons ses diverses activités en fonction des sujets typiques qui sont à la
base de son livre piece and wall. Avec une classification de ses travaux, nous nous
pencherons plus avant sur les querelles concernant la parodie par l’image détournée ou
l’image vandalisée. Finalement, nous nous intéresserons aux actions/expositions personnelles
de Banksy comme le Mur de Palestine (2005), The Exhibition (2006), et Can Festival (2008).
En 2006, il pirate la sortie du disque de Paris Hilton : il en acquiert cinq cents exemplaires
dont il rejoue les chansons avant de les remettre discrètement dans les bacs253. En 2009, il
réussit à investir le musée de Bristol pour une exposition plein d’irrévérence pour l’institution
et l’histoire de l’art. Ainsi Banksy endosse-t-il le rôle d’un commissaire d’exposition
indépendant invitant certains artistes à participer aux événements qu’il organise dans le plus
grand secret, avec pour contrainte de ne pas dévoiler sa véritable identité.254 Afin d’explorer
tous les mediums, Banksy signe en 2010 le film Exist Through the Gift Shop et un générique
subversif des Simpsons.
Banksy projette ses opinions sur les graffitis, l’anti-guerre, l’anticapitalisme et, plus
généralement, anti-ordre établi, le rôle d’artiste, l’institution d’art, la parodie, est sans égal.
D’abord, Banksy s’intéresse aux problèmes divers posés par les querelles des graffitis.
Banksy en parle graffiti dans son livre wall and Piece :
« Le graffiti n’est pas une forme d’art inférieure. […] C’est en fait l’une des formes
d’art la plus honnête. Il n’y a ni élitisme ni battage publicitaire, il s’expose sur les
meilleurs murs qu’une ville puisse offrir et personne n’est dissuadé par le prix de
l’entrée. […] Ils disent que les graffitis font peur aux gens et symbolisent le déclin
de la société. Mais les graffitis ne sont dangereux que pour trois sortes d’individus :
les politiciens, les directeurs de publicité et les graffeurs »255.
252
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 15.
253
Sous la direction de Paul Ardenne et textes de Marie Maertens, 100 artistes du street art, op.cit., n. 6.
254
Jérôme Catz, Street art : mode d’emploi, op,cit., p. 246.
255
Banksy, Guerre et Spray, trad. Emilie Martin, London : Random, 2005, p. 8.
384
Dans son explication, Banksy distingue le graffiti du graffiti writing respectant la
signification essentielle et traditionnelle de « graffiti ». Cette pensée se reflète directement
dans sa relation avec le graffiti writer Hobo. Il s’agit d’un gosse que l’on appelait 3D et qui
peignait dans toutes les rues de la ville. Il a grandi en voyant des graffs sur les murs de sa ville
bien avant d’en voir dans les magazines ou sur un ordinateur. Alors que tout le monde taguait,
pourquoi a-t-il changé de route ? Il répond avoir choisi de se tourner vers la peinture
traditionnelle car ses idées étaient trop complexes ou trop virulentes pour être exposées dans
la rue. Banksy fait la remarque suivante :
Mais, en comparaison, il pense que toute autre forme d’art est une régression et que les
autres formes d’art ont moins à offrir aux gens, qu’ils sont moins signifiants et moins
puissants. A la frontière entre graffs et art de l’élite, il est considéré par certains comme un
perfectionniste consciencieux plutôt que comme un véritable artiste.
Avec cette perspective sur les graffitis, Banksy donne de l’importance pour le caractère
original des graffitis. Au Can festival (2008), il a fait une fresque murale sur laquelle un
homme élimine des graffitis d’âge préhistorique. Par ailleurs, avec son projet This wall is a
designated graffiti area (ce mur est une zone de graffiti désignée) (fig. 244), la déclaration
pochoir de Banksy, est devenue l’une de ses images les plus emblématiques. Cela fait
maintenant partie du folklore que lorsqu’un signe a été inscrit au pochoir sur les murs publics,
ce ne soit qu’une question de jours avant qu’il ne soit recouvert de graffiti tag. Alors, Banksy
travaille ses œuvres intégrant une déclaration, et favorisant les projets dans lesquels ses
graffiti invitent à plus de graffiti, comme avec ce faux timbre officiel qui subvertit la notion
même que le graffiti soit illégale en le faisant apparaître comme juridiquement sanctionné.
256
Cité par Vincent Morgan, Banksy interview, Publié le Lundi 8 Novembre 2010, www.fatcap.org.
Interview de Banksy : Dans le même esprit que les articles français traduits en anglais sur FatCap US, voici une
interview en anglais traduite en français pour nos lecteurs francophones. Il s’agit d'une interview de l’artiste
Banksy réalisée par un autre artiste tout aussi célèbre, Shepard Fairey (Obey). Cette interview a été publiée dans
le magazine Swindle sous le titre « Banksy, The Naked Truth ». Traduction réalisée par Sophia Aït Kaci pour
l’équipe FatCap
385
De même, Banksy critique l’autorité qui fait inconsidérément effacer les graffitis. En 2006,
il a réalise une œuvre avec ce texte : Graffiti removal hotline: 080034597 (fig. 245),
célébrant le lancement de la hotline pour l’effacement des graffiti, Pentonville Rd, à Londres.
Il parle sur le ton de la raillerie pour rendre hommage aux graffitis effacés sans scrupules par
les autorités et contester ce type d’action.
En deuxième lieu, nous analysons les caractéristiques majeures de Banksy. Comme
beaucoup de street artistes il exploite les figures animales, son œuvre présentant des animaux
anthropomorphes, types rat ou singe. Banksy est très inspiré par les rats, qu'il semble souvent
associer à la race humaine. Il les illustre de façon récurrente et ce, dans tous les scénarios
possibles. Le « rat anarchiste » représente un rat, debout sur ses pattes arrière, tenant une
pancarte sur laquelle un signe anarchique est inscrit, tout simplement. Si le rat de Blek le rat
montre l’existence libre et du jeu dans la rue, le rat de Banksy deviens l’anthropomorphe qui
représentent notre vie ou souvent devient notre reflet rebelle ou anarchiste. Comme le
montrent les slogans Because I’m worthless (Parce que je ne vaux rien) avec un rat (fig. 246),
It’s not a race (Ce n’est pas une course) avec un rat (fig. 247), ou le rat portant un appareil
photo (2005) (fig. 248).
En troisième lieu, les enfants et les fillettes sont les personnages majeurs de Banksy.
Banksy montre le côté négatif de notre société au moyen d’enfants ou de filles. Fille portant
un casque (2004) (fig. 249), les enfants jouent avec des armes ou portent des masques à gaz.
Banksy a également travaillé sur le film Les Fils de l’homme et a réalisé en 2003 la pochette
du disque de Blur, Think Tank (fig. 250). Sur cette pochette, deux silhouettes représentant un
homme et sa fille font penser aux Amants (1928) (fig. 251) de René Magritte. Comme on
retrouve aussi ce motif du visage caché sous un voile dans d’autres tableaux de Magritte,
Banksy remplace certains visages par celui de la Mona Lisa ou appose un « smile » en lieu et
place du visage des policiers.
En quatrième lieu, Banksy ironise, exploite et caricature les policiers afin de représenter la
notion de résistance au pouvoir ou à l’autorité. Comme Les policiers, (2003) (fig. 252), les
policiers anti-émeute heureux à Shoreditch, Londres, en face du poste de police d’Old Street.
Pendant deux ans, des banderoles à message se sont succédé sous cette œuvre. Ses peintures
murales mettant en scène des policiers anti-émeute londoniens aux larges sourires anonymes
soulignent l’hypocrisie d’un gouvernement moins respectueux qu’il ne veut bien l’avouer de
la liberté d’expression.
386
Ce sujet a été représenté de diverses manières. Par ailleurs, il rétorque avec sa célèbre
peinture murale One Nation Under CCTV (Une nation sous vidéosurveillance (2008)
(fig. 253) et va écrire, avec insolence, What are you looking at ? (Qu’est-ce que vous
regardez ?) (2007) (fig. 254) devant l’objectif d’une camera comme pour attirer notre
attention et celle des autorités sur cette dérive fasciste.
En cinquième lieu, Banksy montre également la résistance à la guerre et à la violence.
Comme avec ses œuvres Mona Lisa with a rocket launcher, (2001) (fig. 255), Smile soldat,
(Vienna 2003) (fig. 256), ou Have a nice day (fig. 257), il présente ce sujet :
« Il faut beaucoup de cran pour rester anonyme dans une démocratie occidentale et
réclamer des choses auxquelles personne d’autre ne croit –comme la paix, la justice
et la liberté »257.
Profondément opposé à la soi-disant « guerre contre la terreur », Banksy le fait savoir par
un tour de force interventionniste. Il introduit, au beau milieu d’une attraction de Disneyland,
une poupée gonflable vêtue du costume orange fluo des prisonniers de Guantanamo, la tête
recouverte d’un sac noir.
En sixième lieu, Banksy critique la société de consommation et le capitalisme. Beaucoup de
street artistes s’intéressent et agissent à ce sujet. Comme le pop art, la plupart des street
artistes présentent leur approche et leurs convictions par le biais d’une certaine esthétisation.
Ils se rencontrent dans la critique sur le « Brandalisme ». Mais Banksy pousse plus loin ce
message comme avec Sale (2006) (fig. 258) ou Napalm (1994) (fig. 259), œuvre représentant
la fameuse photo de la jeune vietnamienne qui vient d'être brûlée au napalm, Banksy y a posé
sa marque en accompagnant le personnage central de Ronald McDonald et de Mickey Mouse.
Cette petite Vietnamienne intoxiquée et brûlée au napalm, accompagnée de deux personnages
farfelus est un excellent exemple de sa critique sociétale.
Il refuse donc d’être lié aux grandes entreprises de ce monde, par simple souci de ses pairs,
et son rapport avec l’argent ou les profits semble montrer qu’il s’agit de la dernière de ses
préoccupations. Ainsi, sur quels critères décide-t-il ou non de participer à des projets
commerciaux? Banksy s’explique sur le projet sur l’Album de Blur :
257
Banksy, Guerre et Spray, op.cit., p. 29.
387
« J’ai fait 2, 3 trucs pour payer les factures. Et j’ai fait la pochette de l’Album de
Blur. C’était un bon album, et c’était aussi beaucoup d’argent. Je pense que c’est
important de faire la distinction. Si tu crois au truc, le côté commercial ne le
dénature pas au point d’en faire de la merde. Il faut être un socialiste rejetant le
capitalisme en bloc pour croire le contraire. Dans ce cas, associer un joli visuel à un
produit de qualité, et l’idée de contribuer à cette démarche marchande est une
contradiction avec laquelle tu ne peux simplement pas vivre. Mais parfois la
symbiose est parfaite ; comme dans le cas de Blur »258.
258
Cité par Vincent Morgan, Banksy interview, publié le Lundi 8 Novembre 2010, www.fatcap.org.
388
épisode débutant par la classique arrivé sur Springfield depuis les nuages, quelques détails
pointaient déjà sur l’identité de l’auteur qui a pris part à sa création. Après un Bart encore
puni pour « avoir écris sur les murs », le générique laisse place à un univers sombre soutenu
par une musique d’une grande tristesse. Le monde qui y est décrit montre un peuple asiatique
asservit au capitalisme et à la production des dessins-animés et produits dérivés des Simpsons.
Banksy critique également l’autorité et la commercialisation du monde artistique. Ce sujet
se reflète de manières diverses à travers son film et ses peinture aux pochoirs. You have got to
be kidding me (Vous me faites marcher!) (fig. 262) présente un cadre de tableau sur lequel est
attaché une étiquette de prix. En évoquant une œuvre de Daumier, Banksy fait la métaphore
d’une scène de vente aux enchères.
En septième lieu, Banksy réalise des phrases poétiques et des installations. Comme avec
Love poème (2004) (fig. 263) et histoire d’ours (2005) (fig. 264), Banksy crée des phrases
poétiques et quelques slogans comme This is not a photo opportunity (Ceci n’est pas une
opportunité photographique) (fig. 265). Et dans l’esprit de se renouveler, Banksy s’essaie
légèrement à la sculpture, crée la cabine téléphonique assassinée, ou encore élabore une
exposition intitulée Buy one get one free (Un acheté, un gratuit), consistant à créer deux
sculptures identiques, dont l’une est achetée par le public et l’autre, donnée à la municipalité.
En parallèle à ces différents travaux, il réalise des peintures et installations dans des parcs
zoologiques comme I’m a celebrity get me out of here (Je suis une célébrité, sortez-moi d’ici)
(2003) et Help me nobody will let me home (Aidez-moi, personne ne me laisse rentrer
chez moi) (2003) (fig. 266). En septembre 2006, il place une poupée gonflable à taille réelle et
revêtue d’un uniforme orange comme ceux portés par les prisonniers de Guantanamo à
Disneyland (Californie) (fig. 267).
En huitième lieu, Banksy travaille le trompe-l’œil exploitant divers artistes tel que René
Magritte dans l’histoire de l’art. Banksy emploie le trompe-l'œil dans plusieurs de ses œuvres.
Par exemple, la femme de chambre ci-dessous « balaie » et cache la poussière derrière un mur
de craie qu’elle soulève comme un rideau Chalk Farm (fig. 268). Banksy pose sa griffe sur
l’emplacement de plusieurs façons. Ainsi, ce qui suit est un exemple plus amèrement ironique,
peint directement sur le mur construit par Israël pour séparer les territoires palestiniens
occupés par Israël, comme une fresque murale, par lequel Banksy veut attirer l’attention sur la
barrière de béton oppressante, mais aussi faire allusion à la possibilité de sa destruction.
389
Banksy combine les techniques d’Andy Warhol et de l’installation pour faire passer ses
messages, qui mêlent souvent politique, humour, et poésie comme Ernest Pignon-Ernest, Miss.
Tic, ou Blek le rat. Les pochoirs de Banksy sont des images humoristiques, parfois combinées
avec des slogans. Le message étant généralement antimilitariste, anticapitaliste ou antisystème
avec des personnages qui sont des rats, des singes, des policiers, des soldats, des enfants, des
personnes célèbres ou des personnes âgées. Beaucoup de ses pièces existantes sont maintenant
protégées par plexiglas. Ses pochoirs sont habituellement dessinés et imprimés sur des
acétates ou sur du carton, avant d'être découpés à la main. La nature secrète de Banksy et
l’anonymat qu’elle impose empêchent toutefois de savoir quelles sont les véritables
techniques qu’il utilise, mais le réalisme de certains de ses projets nous laisse croire qu'il fait
parfois usage de graphisme par ordinateur.
Sa maitrise technique et les messages qu’il véhicule font de Banksy un artiste engagé très
reconnu. En critiquant les problèmes sociaux, Banksy détonne et pousse la réflexion à son
extrême, il les représente de façon très pertinente dans ses œuvres. La plupart de ses œuvres
comportent des messages d’espoir, teintés d’humour ou de dérision. De ce fait, il illustre des
policiers enlacés passionnément, des enfants qui jouent et s’amusent dans divers contextes
graves, ou des images poétiques telles que fleurs et situations extravagantes. Banksy présente
donc des sujets exprimant son point de vue politique, et ce qui le touche ou le marque. La
plupart de ses messages est significative et démontre une vivacité d'esprit sans équivoque
visant à stimuler notre vie quotidienne.
Banksy est un artiste plein de contradictions. Flanqué de désinvolture et d’un fort besoin
d’ébranler la masse, il ne limite pas son œuvre aux diverses réalisations au pochoir et à la
peinture. Ainsi, il a imaginé une multitude de stratégies afin de faire passer ses divers
messages et ce, en toute illégalité. Comme nous l’avons expliqué sur les œuvres d’art de la
rue et dans la culture populaire, avec à l’esprit les théories de Thomas Crow et T. Adorno,
Banksy présente une image populaire, un message critique, et un acte engagé. Dans le même
temps, nous remarquons les querelles provoquées par l’activité et les œuvres de Banksy.
C’est depuis les années 2000 qu’il a adopté le pochoir afin de se créer son propre style, il
reconnait dans ce domaine avoir beaucoup été inspiré par Blek Le Rat et son animal fétiche.
Banksy dit ceci : « Chaque fois que je pense avoir peint quelque chose d’un peu original, je
390
découvre que Blek le Rat l’a déjà fait, vingt et plus tôt »259. Les activités de Banksy ont
inspiré par les manières de Modifications d’Asger Jorn, les objets d’Andy Warhol ou Blek le
Rat, et les œuvres chez René Magritte, malgré que Banksy n’ait immédiatement pas
mentionné. Banksy fait souvent ce commentaire, preuve d’une grande modestie. Car, si Blek a
pu lui servir d’inspiration, la qualité de son dessin et son sens de la satire n’appartient qu’à lui.
Chacune des ses œuvres nous interpelle immédiatement par son humour, son côté satirique ou
poignant, nous taraude pendant longtemps, nous force à réfléchir 260 . Banksy développe et
personnifie le rat.
Cependant nous découvrons dans ses œuvres quelques similarités avec celles d’autres
artistes partageant les mêmes visions. D’abord, on retrouve ainsi Blek le Rat, pochoiriste
français utilisant le graffiti depuis le début des années 1980, ainsi qu’Ernest Pignon-Ernest,
artiste plasticien parisien contribuant à la scène urbaine depuis plus de 30 ans. Ces similarités
sont peu nombreuses mais très palpables. Par exemple, la marque de Blek le Rat est un petit
rat réalisé au pochoir, très semblable aux rats illustrés fréquemment par Banksy. Ainsi,
Banksy peint policiers, militaires ou autres, pour découvrir ensuite que Blek le Rat l'a déjà fait
par le passé.
Dans le cas d’Ernest Pignon-Ernest, il s’agit d’avantage d’adhérer à une mentalité, à une
façon de faire plutôt que de réaliser des œuvres semblables visuellement. Ce dernier apposait
ses œuvres peintes, dessinées ou sérigraphiées aux murs des villes et dans une panoplie de
lieux publics, avec l’appui de la population qui défendait ses réalisations. Pignon-Ernest
dénonce l’art préfabriqué pour les musées, ce qui est pour lui d’un grand ennui, d’une
platitude extrême. Par ailleurs, Ernest Pignon-Ernest installe lui-même ses œuvres, en toute
discrétion et à l’insu de tous, durant la nuit. Tout comme Banksy, Pignon-Ernest partage de
puissants messages par le biais de son art, souvent composé de personnages reproduits à taille
humaine. Il est aujourd’hui une référence, une brillante étoile dans l’univers artistique.
Dans un tout autre ordre d’idée, nous pouvons dire que les réalisations d’Andy Warhol ont
su influencer bien différemment l’art de Banksy. En 2006, le sujet de sa peinture n’était nulle
autre que le top modèle Kate Moss, peinte à la manière de la célèbre toile de Marilyn Monroe,
faite par Warhol quelques dizaines d'années auparavant. L’art terroriste de Banksy fait aussi
une reproduction sur toile de la conserve de soupe de marque « Campbell » réalisée par
Warhol en 1962. Les principales différences résident dans le choix des teintes et dans la
259
Cité par Vincent Morgan, Banksy Interview, op.cit.
260
Cité par Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., p. 16.
391
marque « Value », qui est une pure invention. Les reproductions élaborées par Banksy de ces
diverses réalisations célèbres tendent à suggérer un fait spécifique.
Au contraire, les plus jeunes artistes s’inspirent de Banksy. Presque aussi indéfinissable que
Banksy, auquel il est souvent comparé, Dolk Lundgren est né à Bergen en Norvège en 1978.
Il se met au pochoir en 2003 sans passer, comme beaucoup d’autres, par le tag ou le graffiti,
mais c’est déjà une fin connaisse techniques de Banksy et des subtilités de l’humour visuel.
Cet artiste aime renverser les rôles et se moquer des icônes : une fille s’extrait d’un costume
de poupée en plastique (fig. 269) ; un gorille porte un costume (fig. 270) ; le pape prend la
célèbre pose de Marilyn sur une bouche à air, rabattant sa jupe gonflée par le vent pour
l’empêcher de remonter par-dessus sa tête (fig. 271) ; le Prince Charles porte un chapeau
Burger King (fig. 272). Tout cela est très drôle, parfois un peu tarte, mais Dolk sait aussi se
montrer sérieux, comme en témoigne Zooicide de 2005 où l’on voit un singe se pointant une
banane sur la tempe… Bananes qui, chez Dolk et Banksy (fig. 273), semblent tout droit
sorties d’un tableau de Warhol. On y a lu une critique de l’invasion en Irak, comme d’ailleurs
dans le portrait du businessman s’apprêtant à dégoupiller la grenade qu’il a en guise de tête261.
Par ailleurs, les plupart des sujets de Dran, autre street artiste, dérivent de ceux de Banksy.
Dans l’histoire de l’art, pour certains artistes, il s’agit d’une chronologie. Dans cette
perspective, les street artistes s’inspirent également des artiste devanciers. Mais ils font
souvent la parodie d’images. Par exemple, Shepard Fairey reprend les codes des affiches de
propagande du XXe siècle, en particulier des affiches soviétiques et maoïstes, mais aussi
celles de Mai 68 ou celles de Barbara Kruger. En comparant les affiches de Mai 68 (fig. 274)
et celles d’Obey (fig. 275), nous pouvons se rendre compte qu’il y a eu détournement. Lors de
la campagne électorale de 2008, c’est avec la fameuse affiche de Barack Obama (fig. 276) que
Shepard Fairey a atteint une notoriété mondiale. Elle a continuellement été reproduite, partout
dans le monde, et a fait elle-même l’objet d’une multitude de détournements. À partir de ces
influences, ses messages sont très directs. L’affiche Get A Job mélange ainsi la figure de
l’Oncle Sam, telle qu’elle apparait dans la célèbre affiche I Want You (fig. 277) de la Première
Guerre mondiale, avec le symbole communiste de l’étoile rouge et l’image maoïste du soleil
rayonnant sur des tournesols. Une façon de suggérer certains points communs entre des
idéologies pourtant opposées.262 D’autres œuvres de Shepard Fairey portent un message plus
explicite sur la réforme des politiques migratoires, appelant au respect des droits des immigrés
261
Ibid., p. 56.
262
Nicolas Martin et Eloi Rousseau, Art et Politique, Palette, 2013, p. 80.
392
dans son affiche We Are Human (2010) (fig. 278). Mais ses œuvres peuvent déchoir une
dimension politique lorsqu’elles donnent une idéologie orientée.
En revanche, Banksy montre son attitude critique sur les problèmes divers de notre société,
qui peuvent être politiques, sociaux, ou culturels. En 2006, Banksy remplace 500 copies du
disque compact de Paris Hilton dans quelques dizaines de magasins de musique londoniens.
Dans la version qu’il élabore, la musique est remixée par Danger Mouse, les titres sont
modifiés « Pourquoi suis-je célèbre ? À quoi suis-je utile ? Qu’ai-je fait ? », et la pochette
trafiquée. Ainsi, nous pouvons voir en couverture une Paris Hilton aux seins nus. Mieux
encore, à l'intérieur du boîtier, nous y retrouvons la jeune femme avec une tête de chien plutôt
que sa tête habituelle et nous la voyons sortir d’une voiture luxueuse et enjamber un groupe
de sans abri. L’histoire raconte que seules quelques copies furent vendues à l'époque mais
qu’aucune d'entre elles n’a été retournée.
En 2005, lors de son exposition Crude Oils, il détourne les tableaux de Calude Monet
(fig. 279) ou de Vincent Van Gogh (fig. 280) et à cette occasion, il libère 200 rats. Cette
stratégie de l’image détournée à partir d’une peinture anonyme ou d’artiste, a déjà été utilisée
par Asger Jorn dans son exposition Modifications et Marcel Duchamp dans son œuvre
L.H.O.O.Q. (1919). Banksy vandalise-t-il les images ? Nous pouvons voir que son travail
n’est pas réalisé dans le but de faire une simple parodie : il existe une continuité, une
cohérence dans son travail, qu’il s’agisse d’une œuvre pour la rue, d’une exposition qu’il
organise, ou d’une intervention illégale dans les musées d’art.
Si Asger Jorn et Banksy convergent dans l’action du graffiti, ce dernier se focalise sur son
attitude rebelle avec un message critique exprimé dans l’image détournée. Dans ses
inscriptions à la pierre, nous découvrons ses idées. Banksy continue à expérimenter différents
supports, avec une série de sculptures grecques modernisées et une pierre gravée avec la
citation de Pablo Picasso, « The bad artists imitate, the great artists steal (Les mauvais
artistes imitent, les grands artistes volent) » (fig. 281), sous laquelle il fait une croix sur le
nom de Picasso et ajoute son propre nom.
Ces travaux de Banksy continuent dans le film dans lequel il s’attaque aux studios de la
Fox, en détournant le générique des Simpson. C’est après avoir vu Exit Through the Gift Shop
que le producteur exécutif Al Jean décide de contacter Banksy via ses représentants. Sans
jamais l’avoir vu, ni discuté avec, anonymat oblige, il lui propose de créer un gag
d’introduction à l’épisode. L’artiste Banksy débarque et collabore avec Matt Groening et son
équipe pour détourner un des personnages les plus célèbres de la série, dans son générique.
393
Par ailleurs, son exposition, Barely Legal, inaugurée en septembre 2006 à Los Angeles,
servira de point de repère pour situer l’arrivée au grand jour d’une pratique jusque-là
marginalisée. Grâce à un savant mélange de controverse et de médiatisation, Banksy a créé
un évènement forçant le monde de l’art à s’intéresser au street art, emmenant les
collectionneurs et le marché dans l’arène. Banksy est en effet le premier à avoir saisi le
potentiel que le street art pouvait développer au sein de l’art contemporain. Il est celui qui a
intégré les critères esthétiques de l’art contemporain à cette pratique en créant des œuvres
lisibles par le milieu pour envahir l’art contemporain.
Banksy joue en effet des règles du monde de l’art : il joue des médias, de l’évènement, du
marché de l’art, tout en continuant à les critiquer. Mais Banksy maitrise trop bien ces
éléments pour que les marginaux à l’origine du mouvement puissent se reconnaître en lui. Il
mobilise des moyens bien plus importants que les street artistes originels, avec des équipes
internationales, une forte médiatisation, l’argent…. Il réunit finalement toutes les caractéristiques
de l’artiste contemporain que nous avions énoncées plus haut, tout en s’encrant dans la
pratique du street art.
Ses œuvres et ses actions, sans adhésion à aucun mouvement politique, sont une critique
sociale et politique de notre temps, toujours effectuée avec ironie et ambiguïté. L’ambiguïté
est d’ailleurs une de ses marques de fabrique : il suffit de se pencher sur son film ou sur son
rapport avec le marché de l’art, qu’il ridiculise en l’utilisant autant qu’il se discrédite en y
participant. Chacun des coups de Banksy est décuplé par une combinaison simple mais
ingénieuse des images : la transformation d’un acte de vandalisme en événement médiatique
international, effectuée par le choix stratégique d’un mur. En ce sens, Banksy atteint une
dimension que le street art originel ne cherchait pas, se contentant de l’acte politique de base
qui consistait à se réapproprier l’espace public. Banksy représente donc le mariage d’une
pratique marginale et des valeurs et moyens de l’art contemporain.
Le street art a intégré les galeries d’art, musées, et collections d’amateurs d’art. Mais
comment une pratique qui a pris sa source dans la rue, en opposition avec les circuits
classiques de l’art, a-t-elle aussi rapidement acquis le statut d’art contemporain? Les activités
de la rue par les artistes ont prédisposé le changement du sens du mot exposition. Au début
394
des années 1980, nous découvrons la variété des lieux d’exposition et que les curateurs
demandaient de plus en plus de travaux in situ. Et les artistes ont travaillé en fonction d’un
lieu, d’un événement ou d’un projet. L’œuvre d’art était liée à la fois à un lieu fixe et au
voyage.
Comme nous l’avons vu, la commercialisation de la culture du graffiti a débuté dès à la fin
des années 1970 et s’est développée au début des années 1980 dans le berceau américain du
graffiti, à New York263. Et ce graffiti a souvent été placé dans un genre d’art par le marché de
l’art contemporain. Les artistes se mettant à réaliser des toiles et passant de l’espace public à
l’espace privé en commençant à travailler avec des galeries d’art. Les artistes américains
comme Keith Haring, Jean Michel Basquiat, Kenny Scharf, et Richard Hambleton entrent en
relations avec cette culture du graffiti, et ils ne s’appartiennent plus dans les galeries
commerciales qui ont accepté les graffeurs sans critique. En Europe, le graff américain
s’implante dans des lieux sauvages de Paris, mais les artistes qui utilisent la peinture à la
bombe, commencent à travailler, de façon illégale, à coté des graffitis. Et c’est au milieu des
années 1980 que les grandes villes commencent à lutter contre ces dégradations, qu’il s’agisse
de graffitis, tags ou collages sauvages de publicité, et les dépôts de plaintes se multiplient.
Nous posons à nouveau la question de l’entrée des artistes urbains et des graffeurs dans les
galeries. Afin d’enter dans la galerie ou d’être reconnus comme artiste, comment
transforment-ils leur style ? Les artistes s’expriment par les moyens de la peinture, sans
remettre pour autant en cause leur pratique artistique. Certains graffeurs ont cédé à la tentation
de l’exposition, sans contrôle. Les querelles posées par les musées et galeries commerciales
reproduisent la perpétuelle polémique de l’histoire de l’art et des artistes. Dans la rue, ce
problème est complexe et la récupération par les milieux de la mode ou du marketing le
prouve. Le monde de l’art, lui non plus, n’est pas longtemps resté indifférent au phénomène.
Comme le dit Jean Fancheur : « Toute la problématique de l’art urbain s’articule autour du
passage de la rue à galerie ».264 Au début de l’exposition des graffitis, les graffeurs ont réalisé
263
Un film américain Wall Street (1987) realisé par Oliver Stone, montre la finance et ses dérives dans le
contexte social new-yorkais. Le jeune Bud Fox, courtier dans une banque d'affaire de Wall Street, est attiré par
l’univers illégal et lucratif de l’espionnage industriel. Grisé par le pouvoir, la position sociale et le génie
financier de Gordon Gekko, Fox ne tarde pas à comprendre que le prix est chèrement payé pour tout cet argent
facile. Mais nous pouvons découvrir beaucoup de scènes dans ce film qui présentent les oeuvres d’art de cette
période, vendues par la galerie commerciale de New York et utilisées par ces nouveaux bourgeois. Les œuvres
d’art de jeunes artistes du néo-expressionnisme ou du graffiti art sont acquises grâce à la corruption de ces
parvenus qui cherchent à se créer un patrimoine.
264
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op. cit., p. 115.
395
des tableaux. Les galeristes ont malhabilement organisé leurs travaux. Déjà, dans les années
80, le marché artistique s’était un temps emballé pour certains peintres de rue avant de les
sacrifier sur l’autel de la rentabilité. Malgré l’illégalité qui pèse sur leurs pratiques, bon
nombre d’artistes urbains se retrouvent à nouveau aujourd’hui portés sur le devant de la scène.
Œuvres d’art ou actes délictueux, peu importe. Tout le monde joue sur les deux tableaux.
Laissant ce genre de considérations aux seuls pouvoirs publics.
D’ailleurs, les galeries organisent des expositions inconsidérément et mélangent facilement
les artistes et les graffeurs sans recherche de cohérence artistique ou historique. Chaque fois
les artistes rencontrent des problèmes avec les galeristes, parce que certains de ces derniers ne
les voient que comme d’anciens tagueurs et veulent faire des expositions d’artistes. Madga
Danysz explique :
Ce problème persiste jusqu’à aujourd’hui car plusieurs galeries n’ont pas approfondi leur
recherche sur les street artistes et leurs œuvres, et de ce fait, les méconnaissent. Nous
remarquons ce problème dans le documentaire, Graffiti Wars : King Robbo vs Banksy (2011).
Sur la chaîne française Canal+, ce documentaire Graffiti Wars présentait notamment la guerre
entre King Robbo et Banksy raisonnement par analogie réalisé sur le conflit entre graff et
street art. En même temps, ce documentaire critique l’attitude du graffeur pour obtenir une
célébrité artistique. Le graffiti a longtemps représenté une forme de rébellion et de
contestation. Mais aujourd’hui, le graffiti permet de gagner une certaine crédibilité artistique
265
Ibid., p. 117.
396
et culturelle. Ce phénomène est sans précédent et certains graffitis se vendent aujourd’hui aux
enchères à des prix incroyables.
Les graffitis dans la fin des années 90 font se rencontrer king Robbo et Banksy ou le graff
et le street art. En 2006, les pièces de graff étaient été fortement attaquées. Les originaux de
King Robbo étaient visiblement détériorés et systématiquement par d’autres graffeurs
(inscriptions, graffs, tags) (fig. 282-1). En 2009, à la droite du graff de Robbo, un poseur
d’affiches de Banksy apparaît (fig. 282-2). Robbo répond et de là est né le conflit graff vs
street art. Dans les années qui suivent, les interventions sur les œuvres de l’un et de l’autre en
ce même lieu se succèdent. Jusqu’à ce que le mur soit peint (a priori par la municipalité, en
noir). En 2011, Banksy dessine poissons rouges et paysage de rêve dans un salon décrépi,
montrant que le poisson a de l’imagination et souhaite s’évader, être libre, comme les artistes
se doivent de l’être (fig. 282-3). Œuvre à laquelle Robbo n’a pu répondre. En effet, cette
guerre de graffiti a remis sa carrière à l'honneur, mais le king Robbo a subi une blessure
tragique à la tête, blessure à laquelle il a failli succomber. Cinq jours seulement avant son
exposition à la Galerie Signal, Shoreditch : Team Robbo – The Sell Out Tour. Banksy réalise
à ce moment-là une ode à l’œuvre originale de King Robbo. Mais celui-ci et son équipe
n’acceptent pas d’enterrer la hache de guerre.
Dans un film documentaire de la BBC, nous pouvons découvrir la commercialisation des
œuvres de Robbo, l’attitude éthique de l’artiste, son évolution intellectuelle quant à la
perspective de l’œuvre. Cependant, beaucoup de graffeurs sont accueillis de manière
inconsidérée par les galeristes. En 2006, la maison Artcurial propose, dans le cadre d’une
vente d’art contemporain, une collection privée comportant notamment une œuvre de
l’Américain Crash estimée à 2500 euros, une toile de JonOne à 500 euros et une pièce de
Futura 2000 à 1200 euros.
Mais le monde de l’art commence à prendre en compte de plus en plus la valeur artistique
des œuvres et invite des artistes majeurs. Les artistes dans la rue exposent dans des galeries et
cet art éphémère est devenu quasi-officiel depuis l’apparition de l’appellation art urbain ou
street art. Alors les street artistes se dissolvent dans l’art contemporain en ce qui concerne la
stratégie brillante et la perspective critique. Il s’agit d’inscrire ce mouvement dans la
perspective de l’histoire de l’art, et d’afficher la volonté claire de certains acteurs du milieu de
rapprocher le street art de l’art contemporain. Qu’il en devienne, en quelque sorte, l’une de
ses branches.
397
Certaines s’élèvent tout de même au rang d’artiste par eux-mêmes, en utilisant ce système
artistique à l’inverse de ce qu’il requiert ou impose. Vu son impact puissant sur les
populations, et plus spécifiquement les jeunes, de nombreux outils du street art comme les
stickers, les affiches ou les pochoirs sont désormais réutilisés à des fins promotionnelles dans
des campagnes dites de « street marketing ». En leur permettant de communiquer, mais
également de se déplacer facilement sur le terrain et à moindre frais, les outils électroniques
ont nettement amélioré les possibilités d’échange entre acteurs du street art. Grâce à la
modélisation, les graffeurs coopèrent au sein de collectifs internationaux. La base culturelle
dont ils disposent, aux règles plus transparentes, facilite leur collaboration par-delà le cadre
habituel des festivals ou des concours.266 Pour les graffitistes ou leurs sympathisants, Internet
offre, en outre, une multitude de possibilités de jeu et d’entrainement. Internet et les nouvelles
technologies de communication occupent une place particulière dans ce contexte. La visibilité
des graffitis sur Internet est déjà sans doute aussi importante que leur présence dans la rue267.
Ce phénomène est mis en évidence dans le film Faites le Mur de Banksy, dans son titre
original anglais Exit through the gift shop (2010) qui montre, sans déguisement, la
commercialisation du street art. Banksy se focalise sur la transformation du monde de l’art et
les premiers pas d’artistes à travers l’illustration de Thierry Guetta. Il explique :
« Ce film raconte ce qui s’est passé quand ce type a voulu faire un documentaire
sur moi. Mais il était bien plus intéressant que moi. Alors maintenant, le sujet du
film, c’est lui ! Ce n’est pas « autant en emporte le vent », mais il y a une morale à
cette histoire »268.
266
Johannes Stahl, Street art, op.cit., p. 221.
267
Ibid., p. 222.
268
Banksy, Exit Through The Gift Shop, Paronoid Pictures film, 2010, Edition video France, Faites le Mur, Le
Pacte, 2011.
398
nouvelle forme de tag, et son style visuel emblématique : M.B.W. ou Mr. Brainwash (fig.
283). Pour ce faire, il organisa donc la nouvelle étape de sa carrière artistique afin de faire de
l’art, sans imaginer jusqu’où cela irait. Thierry avait pris une hypothèque sur son commerce et
investi dans un énorme studio, du matériel d’impression et une équipe à temps complet pour
produire du M.B.W. à une échelle industrielle.
En 2008, MBW monte sa toute première exposition, Life is Beautiful, dans les anciens
studios de CBS au croisement de Sunset et de Gower à L.A. Il a également été invité par
Banksy à participer au Cans Festival de Londres. Le célèbre baiser de Madonna et de Britney
Spears est reproduit sur son affiche aperçue au centre de L.A. (fig. 284), celle-ci corrigée au
pochoir au Cans Festival de Londres en 2008 (fig. 285). Après quelques stickers, il embraie
aussitôt avec plusieurs centaines d’affiches géantes qu’il va coller sur les murs de sa ville. Il
semble reprendre les icones de la culture pop, mais Thierry choisit les tableaux dans les livres
et il les transforme en scannant l’image et en la passant au Photoshop.
Dans ce film, Banksy témoigne du talent, de la passion et de la détermination des artistes
appartenant au mouvement street art. Avec un travail de précision et d’organisation nécessaire
pour prévenir les risques. Un débat sur leurs travaux avec Hobbo, une réflexion de fond sur
l’éthique des graffeurs ressortent. L’artiste est-il légitime seulement lorsqu’il est anonyme ? Pour
être reconnu, le graff doit-il rester dans la rue ? La valeur marchande dénature-t-elle l’art ?
Pour devenir de l’art, le graffiti doit-il apparaître dans les galeries, les musées, chez les
marchands d’art ? Par ce film documentaire de Banksy, le street art qui se rapproche du milieu
de l’art contemporain, se ridiculise comme dans l’exemple de Mr Brainwash.
Comme avec Thierry Guetta dans ce film, il nous fait percevoir une crainte de la
récupération par certains qui imitent l’attitude de l’artiste et se lancent dans le street art sans
aucune éthique, allant même jusqu’à ouvrir sa propre galerie pour exposer et vendre une
profusion d’œuvres vides de sens. Nous présentons une perspective excellente, créée en
fonction du lieu d’exposition, des travaux qui avaient déjà été exposés que l’on replace dans
un nouveau contexte, et une attitude artistique. Donc, à la différence de Thierry, il faut résister
à la pression commerciale des musées et des galeries, d’où la nécessité pour les street artistes
de choisir un pseudonyme avec lequel ils signent leurs créations.
Ce film a d’ailleurs créé une polémique, selon laquelle MBW serait en réalité une nouvelle
création de Banksy, dont le contrôle lui aurait finalement échappé… Est-ce pour rencontrer
leur public et maintenir leur autonomie que les artistes rejettent la galerie ? Dans la société de
consommation, que demande-t-on aux artistes ? Certains utilisent la galerie tout en gardant
399
leur autonomie. Le photographe JR, Speedy Graphito, Jérôme Mesnager, Zevs, Swoon, et
beaucoup d’autres, n’ont pas résisté à la tentation d’une exposition personnelle dans les
galeries. L’artiste Miss Tic commente ce fait :
« Etre artiste, c’est choisir une place dans le monde et dans la société. Etre
professionnelle, c’est s’inscrire socialement dans un système économique. Je ne
veux être enfermée ni dehors, ni dedans. J’aime les glissements progressifs du privé
au public. Tout commence dans mon atelier, mes propositions plastiques sont
différentes s’il s’agit d’édition, d’exposition ou dans l’espace urbain »269.
Les artistes réputés toujours anonymes comme Zevs, Invader et Banksy, ont également
exposé dans des musées d’art ou au sein de divers projets. Mais ils critiquent sans exception
les pratiques mercantiles des musées. Les artistes de la rue réfléchissent radicalement sur les
questions posées dans l’histoire de l’art, et ils essaient continuellement d’engager leurs idées
et de critiquer la société. Les artistes contemporains ont voulu s’engager quant aux problèmes
du monde de l’art, mais certains d’entre en sont ironiquement devenus dépendants. L’idée
d’Asger Jorn dans l’esprit d’avant-garde se reflète dans le travail d’artistes français tels
qu’Ernest Pignon-Ernest ou Gérard Zlotykamien. Ils ont toujours posé des questions d’ordre
politique, de moment et de lieu. Zlotykamien réfléchissait ainsi :
269
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 114
270
Lettre à Grand-Mere par Gerard Zlotykamien, Michel Ellenberger, Zlotykamien : Un artiste secret sur la
place publique, op. cit., pp. 36-37.
400
Les artistes étudient le système de l’art mais expriment leurs idées et réalisent des créations
libres. Il ne rejette pas ce système, mais veulent garder une avance active, sans dépendre de ce
monde de l’art. La subjectivité de l’artiste est requise dans le système de l’art commercial.
Blek le Rat explique aussi :
« Je crois que le passage de la rue à la galerie est impossible car ce sont deux
mondes différents. Je crois que c’est une erreur de vouloir à tout prix faire des
expos ici ou là. […] Les artistes urbains, ils veulent quelque part refaire ce qui a
déjà été vécu par d’autres peintres à une époque où l’art n’était apprécié que par
une petite élite de gens cultivés. […] Les artistes urbains sont les seuls grands
aventuriers de l’art aujourd’hui et leur grande faiblesse est de vouloir à tout prix
rentrer dans les galeries et les musées »271.
La rue est un espace de liberté, un lieu d’expérimentation sans limites. Y peindre est un
acte gratuit et éphémère, qui permet de toucher directement les gens. Alors l’artiste doit
réaliser une résistance active. Némo insiste :
Pour ceux qui s’inquiètent du danger que représentent les auteurs de ces transgressions,
militants ou artistes, il peut être intéressant de réfléchir à ceci : les graffitis, la contestation et
l’intervention esthétique fonctionnent tous en opposition à l’autorité. Tout geste fait sans
autorisation, mais qui s’adresse à l’opinion publique, qu’il s’agisse d’activisme ou d’avant-
gardisme, d’actes de vandalisme ou de grand art, doit être compris essentiellement comme
discours. Il est nécessaire de garder les deux à l’esprit pour comprendre certains actes comme
créatifs malgré leur absence d’autorisation, même si, par ailleurs, ils sont considérés comme
destructifs273.
271
Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 115.
272
Ibid., p. 110.
273
Ethel Seno (éd.), TRESPASS : Une histoire de l’art urbain illicite, op. cit., pp. 15-16. Tout geste fait sans
autorisation, mais qui s’adresse à l’opinion publique … doit être compris essentiellement comme discours.
401
Par ailleurs, comment l’unicité du lieu sélectionné pour le contenu des œuvres est-elle
représentée au sein d’une galerie ou d’un musée d’art? Dans une galerie, pouvons-nous
vraiment comprendre l’œuvre des artistes urbains ? En revanche, la difficile accessibilité de
certains quartiers dangereux, ou de pays étrangers ne freine-t-elle pas la rencontre avec le
public ? Les œuvres éphémères ne durent parfois que quelques minutes, parfois quelques
jours, sont constamment modifiées par les conditions météorologiques, retouchées par
d’autres artistes, quand elles ne sont pas bonnement et simplement effacées par un
propriétaire en colère. Les artistes pratiquent l’escalade ou s’introduisent dans des tunnels, et
le danger inhérent à l’exécution de leurs œuvres est souvent une source supplémentaire de
motivation274.
La photographie est donc devenue un outil pour expliquer et témoigner de leur démarche.
Aujourd’hui, l’artiste prend son travail en photo, et une fois qu’il a fait une bonne série. La
photographie devient parfois plus que l’œuvre elle-même. A présent, lorsqu’un artiste de rue
prend une photo, ce n’est pas pour lui, mais pour la voir figurer dans un livre ou un magazine,
et pour faire une exposition ou participer à un projet en intérieur. C’est la raison pour laquelle
Ernest Pignon-Ernest fait un commentaire sur la notion de cadrage :
« Il y a quelque chose de très physique, de sensuel dans le face à face que produit
l’incorporation de mes images dans les lieux. Je regrette que beaucoup ne
connaissent mon travail qu’à travers des photos. […] Autant je crie que cela est
évident, implicite, lorsqu’on découvre mes images en situation, autant les photos,
en unifiant le matériau, en fixant un angle unique de vue déséquilibrent la
proposition en accentuant l’effet réaliste. Et puis, bien sûr, l’installation de mes
images est pensée dans le mouvement de la rue, en est exclue toute notion de
cadrage. Les photographies, en imposant fixité et cadre, en font un objet
plastiquement plus banal »275.
Au fil des années, la technologie a joué un rôle décisif dans le développement rapide de cet
art. Les appareils numériques permettent à présent de photographier toutes les œuvres et de
les partager 276 . Certains projets d’un poids politique et social important posent, de façon
radicale, la question du rôle de l’artiste dans la société, préconisent des échanges significatifs
274
Ibid., p. 10.
275
Cité par Stéphanie Lemoine et Julien Terral, IN SITU, op.cit., p. 71.
276
Edité par Ethel Seno, TRESPASS : Une histoire de l’art urbain illicite, op.cit., p. 11
402
avec des publics variés, et défendent des idées pour un vrai changement social277. Depuis les
années 2000, les expositions de street art sont diverses comme avec l’exposition Né dans la
rue à la Fondation Cartier, où tout espace est devenu mur de rue, l’exposition Au-delà du
street art progressant librement à l’extérieur sur un projet, et les photos de ces œuvres
s’exposent en galerie : les artistes se présentent eux-mêmes sur internet comme sur les pages
facebook.
En créant sa fameuse fresque The Mild Mild West (fig. 286), les œuvres de Banksy sont
présentées dans diverses expositions qu’il organise lui-même, et avec un important sens de
l’esthétique qui vise à exprimer la signification de son travail. En mars 2005, il place des
œuvres factices ou subversives au MoMA, au Brooklyn Museum, au Musée américain
d’histoire naturelle de New York, ainsi que à la Tate Modern ou au British Museum, qui,
lorsque la supercherie est découverte (un faux artefact représentant au fusain un homme
préhistorique poussant un chariot de supermarché en chassant des animaux), décide d’inclure
l’objet dans sa collection permanente.
Banksy a fondé le projet Santa’s Ghetto en réalisant des peintures sur le mur de Bethléem
(fig. 287) et aux abords du camp d’Aida afin de redonner espoir aux habitants palestiniens. En
2005, Banksy peint neuf images sur la barrière de séparation israélienne, dont l’image d’une
échelle qui atteint le haut du mur, et une image d’enfants y creusant un trou pour atteindre
l’autre côté. Aidé par d’autres artistes, comme Ron English, en prenant fait et cause pour les
Palestiniens au travers d’images mettant en scène une enfance idéalisée, où tout semble
simple et facile, ces œuvres du mur de Gaza s’inscrivent dans son grand projet, celui de
« faire de l’édifice le plus intrusif et le plus dégradant, le plus long musée du monde, un lieu
de liberté d’expression et de mauvaise peinture » 278 . Banksy est devenu, sans le vouloir,
l’objet de la fièvre acheteuse de l’élite279.
Banksy, et c’est typique de lui, lance alors son projet le plus ambitieux en date, en mai
2008. Il loue à la Campagne Eurostar un tunnel désaffecté sous la gare de Walterloo et crée le
Cans festival. Faisant office à la fois d’artiste, de commissaire d’exposition et de producteur,
277
Ibid., 9eme chapitre.
278
Eleanor Mathieson et Xavier A. Tàpies, Street art : Portraits d’artistes, op.cit., pp.16-18.
279
À partir de 2006, Banksy est plébiscité dans les milieux people. Christina Aguilera achète pour 25.000 dollars
l’original d’un pochoir où on voit la reine Victoria chevaucher une femme. La même année, Sotheby’s vend
plusieurs sérigraphies de Kate Moss façon Warhol pour 50.400 dollars. Les prix continuent de grimper en 2007,
et son Bombing Middle England atteint 102.000 dollars dans une vente aux enchères. Le couple Jolie-Pitt et Jude
Law comptent parmi ses clients. Sa toile Keep It Spotless se vend pour 1.9 million de dollars chez Sotheby’s à
New York.
403
il invite quelques-uns des meilleurs artistes au monde, dont Blek le Rat. L’événement ne fait
toutefois l’objet d’aucune stratégie mercantile. Et plusieurs espaces sont réservés à des artistes
inconnus.
Selon les diverses sources, il dit même que la liste des projets refusés supplante grandement
celle des collaborations qu’il a acceptées. Banksy ne compte pas sortir de l’ombre de sitôt,
choisissant plutôt d’accentuer l’intrigue. Lors du Cans festival, il a invité des artistes du
monde entier à venir créer des chefs d'œuvres en groupe, offrant même une partie de son
espace aux projets du public. Bien qu’il l’ait organisé lui-même, Banksy y brilla par son
absence alors que des artistes tels que Blek le Rat, Vhils, Tom Civil et Eelus étaient de la
partie dans le cadre de cet évènement qui fut un grand succès.
Banksy sait cibler sa clientèle et faire parler de lui, sans toutefois y consacrer trop d’efforts.
Dans le cadre de ses expositions, il invite toujours plusieurs personnalités du monde artistique
afin de les faire profiter de son travail. Pour ses expositions, comme dans sa stratégie de
guérilla présente dans la rue, le projet et l’objet du spectacle sont gardés secrets, même pour
de nombreux membres du staff ou du musée. Dans I can’t believe you Morons actually buy
this shit (Je n’arrive pas à croire, bande d’idiots, que vous achetiez cette merde) (fig. 288), il
n’y avait que trois personnes au sein du Conseil qui connaissaient l’événement.
En 2009, de retour dans sa ville natale, Banksy monte une exposition particulièrement
ambitieuse au musée des beaux-arts, Banksy vs Bristol Museum avec plus de 100 œuvres, et
qui aura accueilli plus de 300 000 visiteurs pendant 12 semaines. Nous y retrouvons
l’espièglerie, les préoccupations sociales et la dérision face à l’autorité qui sont ses marques
de fabrique depuis le début. Mais nous ne pouvons pas s’empêcher d’avoir comme
l’impression que Bansky été capturé pour être amené entre les murs du musée municipal.
En 2013, à partir du 1er Octobre, il réalise des œuvres à New York, mêlant graffitis et
installations dans des camions. Il intitule cette prestation Better out than in (Mieux dehors que
dedans) (fig. 289). Son premier graffiti est rapidement vandalisé. Il est aussi, à cette occasion,
pisté par les fans. L’un d’eux dépose un pisteur dans un des camions qu’il a redéposé, tandis
qu’un autre diffuse une photo d’une personne qui serait Banksy prise alors qu’un de ses
camions était tombé en panne.
L’artiste a même enfreint la loi à plusieurs reprises, en se glissant dans les plus grands
musées New Yorkais, Parisiens et Londoniens dans le but d’y afficher lui-même ses œuvres.
Leurs représentants principaux dénoncent le travail de Banksy, sous prétexte qu’il glorifie tout
simplement l’art du vandalisme, et qu’il pousse les gens à en faire autant. C’est que ces
404
derniers n’ont rien compris. L’ensemble de l’œuvre de l’artiste se veut une gigantesque
réflexion sur le monde, une course à la liberté d’expression, si difficile à retrouver pleinement
quoi qu’on en pense. Il ne détruit pas la propriété privée, il l’enjolive de ses espoirs, ses peurs,
ses buts, ses angoisses, ses rêves.
Avec l’exposition autodirigée de Banksy, d’autres expositions et projets œuvrent à protéger
l’autonomie des artistes. La rue est devenue symptôme d’un moment de l’activité artistique et
d’un état plus général de la relation entre art et société. Plus récemment encore, la constitution
d’un champ, d’un système ou d’un monde de l’art, accompagne l’essor de l’industrie
culturelle au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ainsi qu’un ensemble de
transformations concrètes, économiques, sociales, ou politiques concernant la place de l’art
dans la société280.
En 2008, le magazine Graffiti Art, en référence à l’exposition de 1991 au musée des
Monuments français, s’intéresse aux artistes intervenant illégalement dans la rue, avec le
développement de leur travail d’atelier qui trouve sa place sur le marché de l’art, en galerie et
en ventes aux enchères. Ce mouvement riche de plus de quarante ans s’inscrit dans la lignée
des artistes du land art et des activistes tels que Christo et Jeanne-Claude (communément
Christo) et Ernest Pignon-Ernest, mais aussi de la figuration libre, de la figuration narrative,
du pop art américain et des artistes conceptuels comme Jenny Holzer ou Barbara Kruger281.
En 2010, le succès de l’exposition Tag au Grand Palais sacralise leur position dans l’art en
affichant tags et graff de 150 artistes de la rue (Voir fig. 161). Au-delà de la rencontre avec «
l’art sauvage », cette exposition est une occasion unique de découvrir la galerie sud-est avant
sa restauration. C’est la première exposition internationale de graffiti qui a accueilli avec
succès plus de 80 000 visiteurs en un mois : la collection Gallizia compte 300 œuvres des plus
grand graffeurs internationaux. En commandant des œuvres aux plus grands artistes-graffeurs,
Alain-Dominique Gallizia a constitué et continue de réunir le plus important témoignage peint
de cet art jusque-là éphémère. 300 tableaux ont ainsi été recueillis dans le cadre de ce projet
280
Jérôme Glicenstein, L’art : une histoire d’expositions, Paris : Puf, 2009, p. 154.
Dans le cas de l’économie des biens culturels ou du champ de l’art selon Bourdieu, Jérôme Glicenstein distingue
des lieux d’exposition (comme galeries ou musées), des instances de consécration (comme académies ou salons),
des instances de reproduction des producteurs (écoles des beaux-arts), des agents spécialisés (marchands,
critiques, historiens de l’art, collectionneurs…). En somme, l’idée de champ de l’art distingue des appareils, des
structures de production régissant la production des objets culturels, ainsi que les relations politiques implicites
entre ces éléments.
Nathalie Heinich, La Sociologie de l’art, Paris : La découverte, 2001, p. 81, cité par Jérôme Glicenstein, op.cit.,
p. 158.
281
Céline Remechido et Michel Chanaud, Paris, De la rue à la galerie, op. cit., p. 12
405
unique dans l’histoire de l’Art, présenté au Grand Palais en première mondiale. Malgré le
succès de cette exposition et des tags colorés, c’est insipide et monotone. Alors, les tagueurs
et les graffeurs de cette exposition présentent de nouvelles œuvres à Paris au Palais de Tokyo,
dans le cadre de l’exposition-vente Tag, les lettres de Noblesse, les 13 et 14 février 2010.
Après T.A.G. au Grand Palais, suit Né dans la rue (Voir fig. 162) à la Fondation Cartier.
Cet espace d’exposition se divise en trois ensembles. Au sous-sol, différentes œuvres-phares
retracent l’histoire du mouvement et mettent en avant les différents styles et techniques
utilisés. Au rez-de-chaussée, à droite de l’entrée, dans la salle de projection, sont diffusés
différents films et documentaires. A gauche, sont réunies quelques œuvres contemporaines
réalisées par des artistes internationaux, tout spécialement pour l’exposition. Cette exposition
s’efforce de tracer les contours d’un territoire vaste et complexe, qui englobe aujourd’hui
quantité de techniques, d’idées et de courants différents. Sans artistes connus, c’était un parti
risqué, mais réussi.
Après ces deux grandes expositions françaises, l’invitation officielle faite à JR sur l’ile
Saint-Louis par la mairie du 4ème arrondissement entre dans la même tendance. Enfin, la
mairie du 13e permet à différents artistes, en collaboration avec la galerie Itinérance, la
réalisation de fresques sur les façades de l’arrondissement. 282 Cette exposition montre
l’institutionnalisation artistique du street art qui se présente de plus en plus ouvert à l’art
urbain. Les expositions d’art urbain se sont succédé sans discontinuer au Tate Modern et au
MoCA depuis 2007. L’assimilation du street art par le marché et l’institution recèle pourtant
des contradictions difficiles à résoudre. Transposer cet art contextuel dans l’espace neutre du
White Cube revient en effet à le considérer sous un angle strictement formel, comme un
phénomène esthétique parmi d’autres. Par souci formel, l’institution artistique restitue les
traces de photographies, films, dessins préparatoires, ou les tableaux.
Mais l’appauvrissement primaire du passage à la galerie incite à rester dans la rue et à
s’orienter vers les commandes publiques. En faisant des activités collectives, les street artistes
donnent ainsi lieu à un nombre croissant d’événements, de festivals et d’expositions en plein
air. Cette évolution du modèle d’exposition invite à une pratique longtemps réservée jusque-là
à la nouvelle génération d’artistes, une échappée hors de tous les cadres, un jeu avec les
limites, une transgression et un beau crime.
282
Ibid., p. 13
406
Nous avons déjà mentionné le Cans Festival de Londres qui a été inauguré le 1er mai 2008
et qui est alors le point culminant de cette effervescence, avec Banksy aux manettes, Par ce
festival, les artistes confortent le nouvel aspect d’une collaboration internationale. 283 Ils
affichent leur relation et le progrès de leurs travaux collectifs. Et certains offrent un espace où
les artistes peuvent créer de manière autonome. Aujourd’hui, Jean Faucheur a ouvert son
atelier de squat artistique de Vincennes à tous les candidats au détournement publicitaire. Il
croise Tom Tom, virtuose du couper-coller sur les affiches parisiennes. Reprend du service, à
l’angle des rues Oberkampf et Saint-Maur. Avec les jeunes peintres, graffeurs et graphistes du
quartier, il fomente un détournement artistique hebdomadaire, sur les placards publicitaires
qui tapissent le flanc du café Charbon. Chaque semaine, une nouvelle œuvre d’art. Et, un soir
de mai, un plan. Le festival M.U.R. de Paris284, celui des soixante affiches recouvertes, entre
Nation et Belleville, par les membres du collectif éphémère pendant la nuit. Jean Faucheur
préfère les facéties créatives et militantes des street-artistes. Depuis vingt ans qu’il est peintre-
sculpteur-photographe professionnel, il n’a jamais pu se résoudre à traîner dans les
vernissages.
De même, Rick Lowe, fraichement émoulu de l’université, qui décide de transformer le
quartier à prédominance afro-américaine Third Ward de Houston, au Texas, avec le Project
Row Houses (1993), l’un des projets artistiques les plus politiques de notre époque. Lowe a
acheté deux pâtés de maisons en ruine que la municipalité s’apprêtait à démolir et leur
redonne vie. Lowe mobilise voisins, amis et militants pour créer des logements, ainsi que des
espaces pour un service de santé, une garderie, des ateliers d’artistes et des potagers. Ces
projets d’un poids politique et social important posent, de façon radicale, la question du rôle
de l’artiste dans la société, préconisent des échanges significatifs avec des publics variés, et
défendent des idées pour un vrai changement social285.
283
En 2009, l’exposition Tunnel 228 de Londres est une installation artistique et théâtrale montée dans de vieux
tunnels ferroviaires sous la gare de Waterloo, à Londres par l’Old Vic Théâtre et le groupe d’immersion théâtrale
Punchdrunk. Artistes et acteurs y évoquent ensemble une ville dystopique inspirée par Metropolis, film de
science-fiction de 1927. Kevin Spacey, le directeur artistique de l’Old Vic, reconnait avoir été influencé par le
Cans Festival de Banksy, organisé dans un autre tunnel de la gare de Waterloo en 2008.
284
Le M.U.R. de L’ART, Festival de street art du 28 octobre au 01 novembre à l’espace d’Animation Les Blancs
Manteaux
285
Edité par Ethel Seno, TRESPASS : une histoire de l’art urbain illicite, op.cit., p. 308.
« L’Art public est un terme…que je déteste. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe aucune recherche créative digne
d’être classée dans l’art public. Ce n’est pas un mouvement définissable d’un point de vue stylistique ou
conceptuel, comme l’expressionnisme abstrait, le minimalisme, le pop art ou le graffiti art, par exemple. »,
Explique-il. En général l'activité des artistes dans le cadre de tels projets était étudiée dans le champ de l'art
407
Dans le cas de projets officiels, certains théoriciens ont accepté de les qualifier de « l’art
public ». Mais chaque fois, les projets officiels par les galeristes sont différent, parce qu’ils
respectent l’anonymat de l’artiste et ne posent pas de limites à leurs créations. Ces problèmes
sur l’exposition du graffiti art ont évolué. Paul Ardenne analyse l’art de la marchandise au
management :
La plus célèbre, la Factory de Warhol, authentique entreprise devenue sur la fin génératrice
de plus-value (20 000 dollars au minimum pour un portrait sérigraphie réalisé sur commande),
fait figure d’exception. Keith Haring fait l’accès critique de ce phénomène. Il a essayé son
shop pour vendre facilement au public. Mais du fait de la brièveté de sa vie et de la
reconnaissance de sa qualité d’artiste, nous avons fait l’amalgame entre son approche et
l’intention d’Andy Warhol. Les artistes des années 80 sont les émanations du « Warhol’s
System », nouveau mode d’intégration au monde de l’art 287 . L’art de Warhol, est devenu
public.
286
Voir Paul Ardenne, Un art contextuel, op.cit., pp. 215-219.
287
Jean-Louis Prat et Ricahrd Marshall, cat. Jean-Michel Basquiat, éd. Enrico Navarra, épisode, p. 143.
« L’art des affaires est l’étape qui succède à l’Art. J’ai commencé comme artiste commercial, et je veux finir
comme artiste d’affaires. Après avoir fait ce qu’on appelle « de l’art » (ou ce qu’on veut), j’ai plongé dans l’art
des affaires. Je voulais être un « businessman de l’art » ou « artiste d’affaires ». Faire de bonnes affaires, c’est
l’art le plus fascinant. Pendant l’ère hippie, les gens méprisaient l’idée d’affaires – ils disaient « l’argent est
nocif » et « le travail est nocif », mais faire de l’argent est un art, travailler est un art et les bonnes affaires sont le
plus beau des arts». Bien qu’il prenne la forme d’un activisme qualifié de commercial, il a réellement inauguré
408
symbole d’une société américaine contaminée par la « fétichisation » de l’image
médiatique288. Thomas crow critique âprement l’abstraction simulée et l’économie de l’art des
années 1970 aux années 1980.
l’ère de l’artiste-star. Greg Tate (ed.), « Nobody loves a genius child : Jean-Michel Basquiat, Flyboy in the
Buttermilk », Flyboy in the Buttermilk : Essays on Contemporary America, New York : Simon and Schuster,
1992, p.43.
288
Thomas crow a réinterprété l’empreinte et la référence laissées dans les œuvres d’Andy Warhol à ses débuts :
« Le débat sur Warhol tourne autour des trois verdicts rivaux concernant son art : 1) il favorise l’appréhension
critique ou subversive de la culture de masse et la puissance de l’image comme marchandise ; 2) il succombe de
manière innocente, mais directe au pouvoir anesthésiant ; 3) il exploite avec cynisme une confusion endémique
entre l’art et le marketing». Mais on ne méconnait pas une fétichisation de l’image et de star système, bien que
les critiques américains attribuent souvent une certaine aura à celui qui se base sur des idées politiques ou
critiques. Thomas Crow, Modern Art in the Common culture, New Haven & London: Yale University Press,
1996, pp. 49-65.
289
“The expansion of this side of the art economy was in fact stimulated rather than impeded by artists who
challenged modernist complicity with marketplace. Minimalism and the Conceptual art that followed it, while
disdaining the trade in art objects, had the paradoxical effect of embedding the practice of art more fully into its
existing system of distribution. In the installation or performance work, the site of practice shifted from the
hidden studio to the gallery ; increasingly, it was there that the work of art was assembled or performed. The
making of non commodity art involved intense curatorial activity, and artists became more like commercial
curators, middlemen for themselves. Though couched as a protest against a division of labor in which the
producer was subordinated to the demands of a commercial apparatus, the cost was a more complete
identification of the producer with that apparatus. Installation art ceded what subversive potential it had
possessed to the degree that it has lately become the main attraction in the venues of art tourism for the wealthy
409
Ce phénomène s’est produit aussi bien pour l’art de l’élite que dans l’art populaire. Quand
Jean Michel Basquiat et Keith Haring incarnent l’entrée de l’art dans le « star système » ou le
succès commercial, les graffs américains s’érigent aussi en succès commerciaux tapageurs en
instance de légitimation par la force capitaliste. Mais, de ses débuts de rebelle de genre street
art, les artistes européens conservent une permanente propension à la mise en image de mots
d’ordre idéologiques, caractéristiques de l’œuvre d’art qui reflète une époque où les idéaux
sont réduits à l’état de stéréotypes à seule vocation commerciale et représentent les problèmes
sociaux. Les street artistes exigent leur autonomie dans l’expression d’idées militantes.
En 2013, Banksy exploite ce problème, alors que ses œuvres d’art était déjà vendues cher,
en mettant en vente une sérigraphie originale pour seulement 60 dollars au cours de son projet
à New York. Les œuvres de Banksy sont très recherchées : ainsi des murs de plusieurs tonnes
ont été démontés, en Angleterre comme en Palestine, pour être présentés à la foire Art Basel
2012 de Miami, au grand dam de l’artiste qui s’insurge contre de telles pratiques. Il souligne
que ses œuvres prennent tout leur sens dans leur contexte d’origine, et qu’elles s’adressent à
ceux qui vivent dans les lieux où elles ont été réalisées. Mais rien n’arrête cette tendance
inflationniste, et les institutions dédiées à l’art contemporain ont élargi leur programmation :
en 2008 le Tate Modern à Londres invite pour la première fois en Angleterre, dans un lieu
officiel, six artistes à s’exprimer sur sa façade monumentale : l’Italien Blu, les Brésiliens
Nunca et Os Gêmeos, le collectif américain Fail de New York, JR de Paris et Six art de
Barcelona sont de la partie.
En 2009, Banksy investit à son tour le Bristol Museum, juste avant que la dixième Biennale
d’art contemporain de Lyon ne propose à l’artiste américain de la première heure, Barry
McGee, de faire une démonstration de ses talents dans une immense salle, en plus de son tag
TWIST à l’extérieur du bâtiment. Une idée reprise par le Berkeley Art Museum en Californie
qui, à l’automne 2012, propose une rétrospective de l’artiste. Le MoCA de Los Angeles, quant
à lui, réalise Art in the Streets en 2011, la plus grande exposition jamais dédiée à la discipline,
and well-placed, from Documenta to Biennale to SoHo and points between.” Voir Harrison, Essays on Art and
Langague, Ocford : Balckwell, 1991, pp. 45-46 ; « The cultural logic of the late Capitalist Museum », October,
54, Fall, 1990, pp. 3-17, cité par Thomas Crow, Ibid., p. 82.
410
en offrant 3500 mètres carrés aux artistes et à l’histoire du mouvement. Le street art s’est donc
dissout dans l’art contemporain290.
Banksy utilise souvent l’espace urbain pour faire passer des messages explicitement
politiques. en 2012, alors que la capitale britannique est saturée de slogans et d’affiches
faisant la promotion des jeux olympiques, il recouvre les murs londoniens de pochoirs qui en
révèlent la face sombre, bien éloignée des valeurs olympiques 291. Les interventions de Banksy
ont pour but de nous interroger sur l’espace urbain lui-même : comme exemple, l’installation
Monopoly (fig. 290) par Banksy devant la cathédrale Saint-Paul à Londres.
290
Depuis une dizaine d’années le street art a intégré les galeries d’art, musées, et collections d’amateurs d’art.
Mais comment une pratique qui a pris sa source dans la rue, en opposition avec les circuits classiques de l’art, a-
t-elle aussi rapidement acquis le statut d’art contemporain? Pour s’en convaincre, il suffit de voir qu’à Sao Paulo,
alors qu’en 2008 une cinquantaine de pichadores envahissaient littéralement la Biennale d’art contemporain pour
protester contre la commercialisation de l’art, deux biennales furent ensuite consacrées aux street art en 2009 et
2010 : la Street Art Biennale et la Graffiti Fine Art Biennale.
291
Nicolas Martin et Eloi Rousseau, Art et Politique, op.cit., pp. 78-79.
411
transgression nouvelle. Le caractère underground et subversif a certainement attiré de
nombreux jeunes artistes en recherche de nouveauté, d’émotion forte et d’engagement.
Le street art prend sa source dans la transgression de l’interdit de s’approprier un lieu
public. C’est pourquoi il est l’un des arts les plus politiques en soi. Il implique tout d’abord
une prise de risque, un acte qui engage la personne. Les dangers sont biens réels :
représentants de la loi et transgression artistique de la loi prenant ici un sens radicalement
différent que lorsqu’ils ne consistent qu’à transgresser les lois internes de l’art comme règles,
académisme, marché, ou autre, mais aussi dangers encourus par les artistes qui prennent le
risque d’aller placer leurs œuvres dans des endroits hauts perchés, dangers des espaces
urbains hostiles à l’homme. Ensuite, il intervient directement sur l’espace public, lié au vivre-
ensemble, donc au politique. Il génère spontanément des images qui viennent contrebalancer
les images officielles, légales et protégées que sont la publicité, les enseignes commerciales,
et les panneaux de signalisation. Ici, le street art rejoint parfois l’« activisme », même si
aucune de ces deux pratiques ne recouvre totalement l’autre. Enfin, en raison de son illégalité
même, le street art est un art éphémère : les œuvres sont offertes à la ville et à ses habitants :
ceux-ci en disposent comme ils le souhaitent – souvent, ils les détruisent.
L’arrivée d’internet et sa capacité d’archivage et de communication a changé la donne dans
le monde du street art. Les années 2000 auront vu l’explosion de cet art jeune et plein
d’énergie. Les artistes ont pu se rencontrer, voir les œuvres des uns et des autres, affiner leurs
pratiques, et recevoir une publicité qui encouragea de nouveaux artistes à créer dans la rue.
Cette effervescence liée au besoin de plus en plus fort de contrecarrer l’une des
caractéristiques essentielles de cette pratique, sa très courte durée de vie, a permis au marché
de l’art de se rapprocher du street art.
Le street art est d’ailleurs couvert aujourd’hui par de nombreux magazines, articles, livres,
études en tout genre. Les galeries de street art se sont multipliées, les collectionneurs
connaissent le mouvement, et nombreux sont les street artistes qui sont côtés sur le marché de
l’art. Le street art s’institutionnalise donc perceptiblement. Et le mouvement voit apparaître
certains débats. Les graffeurs d’avant la médiatisation sont divisés entre ceux qui en ont
profité et dont les œuvres font maintenant partie du marché de l’art et ceux qui veulent rester
fidèles à l’esprit des débuts et demeurer à l’écart des circuits institutionnels. Dans le processus
de commercialisation de l’art, il se fait réclame de la qualité d’artiste, de galeriste, et de
conservateur. Dans de nombreux cas, les graffeurs transforment et développent leurs styles
artistiques en utilisant encore la peinture à la bombe aérosol, mais abordent aussi les divers
412
problèmes de nos sociétés. Par le biais d’une rencontre des artistes-graffeurs, le street art se
diversifie lui aussi, mais son caractère essentiel est toujours l’aspect rebelle dans la rue en
s’appuyant sur les sources essentielles du graffiti traditionnel. En même temps, le street art
participe à des projets divers et les expositions respectent l’autonomie des artistes.
En outre, dans la rue, l’œuvre d’art ne propose pas un message de propagande politique,
mais il se doit de représenter un message critique sur notre société. Car, dans un monde saturé
de messages visuels, l’engagement politique est en général source de méfiance envers la
séduction des images qui souvent travestissent la réalité. Des artistes cherchent à créer de
véritables outils militants, qu’ils mettent à la disposition des mouvements sociaux pour mettre
en scène leurs idées.
Enfin, le street art s’intègre aux pratiques de l’art contemporain. En tant que pratique jeune,
il constitue une nouveauté : un paramètre toujours vendeur. Son implication dans l’espace
public le rapproche des happenings et installations dont raffolent les artistes contemporains,
avec en prime une prise de risque et un engagement politique qui lui donnent un caractère
subversif que recherchent les artistes, parfois même désespérément. Graveurs, dessinateurs,
étudiants des académies des Beaux-arts et autres prétendants de tout acabit s’intéressent au
street art et aux possibilités que son caractère subversif offrait. Celui-ci fut exploité bien au-
delà du graffiti. Les œuvres des artistes contemporains gagnèrent en variété dès qu’ils
acceptèrent en leur sein l’idée de vandalisme.
Pourtant, la durée de vie des œuvres du street art et la gratuité de ce dernier auraient pu
gêner son intégration, sinon à l’art contemporain, du moins au marché de l’art. En prenant le
parti de conserver ce qui est éphémère, les galeries, musées et collectionneurs ont pu donner
une valeur commerciale aux œuvres. Avec le processus de légitimation qui accompagne
nécessairement la conservation et la circulation des œuvres, la marginalité de cette pratique
s’amenuise, et par conséquent, son potentiel subversif, ainsi que la prise de risque qu’elle
impliquait à l’origine. Ironiquement le street art est pris dans le problème récurrent de la
transgression devenue norme d’où un phénomène typique de surenchère, éternelle recherche
d’originalité liée à l’envie de marquer un grand coup.
Nous pouvons dire que le street art se retrouve aujourd’hui dans une position conflictuelle
et contradictoire : entre institutionnalisation et résistance, les praticiens sont amenés à choisir
leur voie et à se réinventer. Alors que le street art se fait rattraper par l’institutionnalisation et
le marché de l’art, il lui faudra utiliser toutes ses ressources pour se renouveler ou trouver un
nouveau moyen de se jouer de ceux qu’il semble désigner comme ses ennemis. Cela donnera
413
peut-être naissance à un nouvel artiste majeur, tandis que les pratiques amateurs vont se
répandre et se dépolitiser, jusqu’à ce qu’une nouvelle nécessité politique réinvestisse la
pratique et la transforme.
414
Conclusion
Après le cubisme, l’abstraction, les avant-gardes, le pop art, le minimalisme, l’art brut, les
happenings, les installations, etc., nous pouvions penser que le monde de l’art serait blasé par
cette succession de « frénésie » du nouveau depuis les avant-gardes modernes et leurs
descendances, qui ont généralement contribué à l’effrangement des arts, aux mélanges et aux
hybridations des pratiques et des matériaux292. En même temps, ils ont cherché à rompre avec
les canons académiques et les valeurs artistiques traditionnelles, en réfléchissant aux querelles
sociales contemporaines. De nos jours, l’art contemporain a souvent exercé une fonction
critique ou sociale. Nombre d’œuvres d’art expriment des spéculations philosophiques et
esthétiques, apparues dans un contexte de crise de l’art contemporain, et ont notamment tenté
d’y répondre en suggérant de nouveaux paradigmes.
L’essor de « nouveauté » de l’art expérimental, de la pratique artistique ou de la perspective
critique de l’époque envers le système académique, semble marqué du sceau de la rébellion.
Nous avons discerné une appréciation positif/négatif de l’art expérimental depuis l’art
moderne, plutôt que de chercher à savoir pourquoi il prend des formes de plus en plus
extrêmes. L’exploration des nouvelles formes n’est pas la simple application de techniques
nouvelles ni la seule préoccupation de revendication d’une identité, mais elle consiste en
l’effort des artistes qui déploient un nouveau langage artistique pour représenter leur époque.
Ces actions artistiques prennent souvent la forme d’une « Résistance » à l’art moderne,
malgré les critiques de divers scientifiques, et elles ont été la cause du développent des
différentes variétés d’art critique et d’expression libre. Cependant des problèmes ont survenu
quand ces actions inédites sont devenues des objets commerciaux, le fruit d’une technique
expérimentale excessive, ou encore un art politisé servant de propagande, et quand elles se
sont fixées aux deux extrêmes de la forme et du contenu de l’art. Mode d’expression par trop
intellectuel et hermétique, malgré le fait qu’il se soit mêlé à la culture populaire ou au mass-
média, il s’éloigne du public. L’espace du musée d’art contemporain a, pour de nombreux
artistes, eu comme effet un raidissement et la réapparition d’une « aura » autour de l’œuvre
d’art, par un phénomène de « starisation ». La culture bourgeoise, considérée comme élitiste
dans les années 60 et 70 par la contre-culture contestataire, a laissé place à un système qui
292
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, op.cit., pp. 14-20.
415
offre à tous, en principe, des possibilités considérables d’accès à l’art, au divertissement et à
la culture. Mais certains artistes d’avant-garde ont continuellement été, à l’inverse, vilipendés
par ladite élite, comme étant trop intellectuels ou abscons.
Le développement du marché de l’art réduit l’artiste rebelle pour le soumettre et l’adapter
aux exigences commerciales et au goût bourgeois. À l’inverse de l’art de l’élite, dans les lieux
de la culture populaire, les médias de masse utilisent et imitent les caractères de l’art, sans
compréhension de son essence. Ces médias pénètrent la sphère artistique par l’« industrie
culturelle ». Le capitalisme profite au développement du système de l’art et de l’esprit
expérimental de l’artiste, mais a également pour effet de rendre floue la frontière entre
l’artiste véritable et l’artiste simulé.
Ce débat sur l’art contemporain est rapidement apparu symptomatique d’une véritable
distorsion entre la légitimation institutionnelle dont il bénéficie et sa reconnaissance publique
plutôt relative. Depuis le début des années 1980, l’un des divers phénomènes artistiques
contemporains, le graffiti, se rebelle constamment, tout en évoluant entre le monde de l’art,
les experts de l’art contemporain et des activités publiques. La situation artistique de la France
révèle bien les querelles de l’art contemporain. Nous avons donc retracé la longue histoire du
graffiti, l’acquisition de sa place dans l’art contemporain, et les querelles esthétiques de la
sphère artistique. L’art français s’est beaucoup essayé à ce style artistique, excellent mode de
représentation de son esprit rebelle envers la société. Aujourd’hui, au-delà d’un certain art
contemporain qui obéit à la combinaison des nouvelles techniques, des medias, du marché de
masse ou de l’art, du système capitaliste, cette étude sur le mouvement du street art a adopté
une position critique vis-à-vis d’un autre courant de l’art contemporain. Ce mouvement
artistique est en résistance permanente pour assurer l’avenir de l’art, et pour renouveler les
querelles esthétiques du passé.
Ce mouvement du street art est-il né dans la culture du graffiti ? Pourquoi ce mouvement
crée-t-il la polémique au sein de l’art contemporain ? Est-il un mouvement d’art rebelle au
même titre l’avant-garde ? Le graffiti peut-il représenter l’essence de l’art ? Avec le graffiti,
nous avons approché un champ marginal de l’art. Les sociologues, les psychologues et les
artistes ont porté une attention particulière aux inscriptions des murs de prisons, de latrines, de
métros et autres lieux publics, comme fondement unique de leur valeur individuelle et de
l’énergie sociale, à la fois créatrice et destructrice. Nous avons approfondi certaines
questions : pourquoi et comment les graffitis ont acquis la valeur artistique ? Comment ont-ils
pris une place importante dans l’histoire de l’art ? Dans la société contemporaine ou la société
416
capitaliste, comment se déroule ce mouvement, le street art, en défiant la société dans une
relation avec les autres mouvements de l’art contemporain ? Comment peuvent-ils maintenir
leur caractère rebelle et leur autonomie dans l’industrie culturelle ? La hiérarchie des genres et
des artistes n’était que la transposition de la division entre noblesse et nature de la société,
bien qu’elle existe dans l’art moderne et bon nombre de mouvements d’art contemporain.
Mais le street art entre dans les querelles de l’art contemporain. En même temps nous
observons d’autres fonctions artistiques dans la société de consommation ou le monde de l’art
commercial : la moralité et le rôle social.
Les graffitis apparaissent généralement comme un témoignage, un reflet de l’époque, bien
que tous les graffitis anciens ne fassent pas nécessairement référence à des événements
historiques. Nous avons distingué le graffiti intellectuel ou conscient de l’événement
historique ou social et le graffiti témoignant du quotidien ou archéologique. En pratique, les
chercheurs, tel Raphaël Garucci, ont commencé à classer les graffitis, puis d’autres
théoriciens, comme Restif de la Bretonne ou Champfleury ont commencé à spéculer sur les
liens entre ces marques incultes et les principes du grand art.
Nous avons par ailleurs étudié la fonction sociale et le caractère de résistance du graffiti,
les traces qu’il a laissées des événements historiques, sa valeur artistique avec comme
support la sous-culture, et sa fonction actuelle qui se reflète par le biais de stratégies telles
que la caricature, une relation des mots à l’image, et une fonction de résistance. En
remarquant que le caractère du graffiti est souvent satirique ou caricatural, il peut relever
parfois de l’art visuel, parfois de la littérature ou encore de l’humour. L’acteur du graffiti se
livre à une pratique artistique alors même qu’il commet un acte vandale.
Le graffiti s’est présenté comme une expression libre, un acte résistant, ou intellectuel. Il
fournit également à l’imaginaire artistique les sources indispensables aux notions de beauté
et d’éthique et bouleversent les limites de la pensée dualiste concernant l’art de l’« élite » et
la culture des « sauvages » 293 . Les artistes modernes l’ont souvent exploité dans leurs
tableaux afin de présenter une nouvelle technique, percevant que le graffiti est un acte
rebelle et possède une fonction sociale. Nous avons mentionné que les artistes commencent à
conquérir leur autonomie et à s’affranchir des autorités traditionnelles au XIX e siècle. Les
artistes modernes se retrouvent dans les formes du graffiti ou dans l’acte lui-même qui
293
Le graffiti n’était pas un genre d’art, mais un signe de la culture sauvage ou vandale. L’étude du graffiti est
traditionnellement traitée par les archéologues, mais Garrucci a commencé à s’intéresser à sa forme artistique et
à sa valeur esthétique dans son ouvrage Pompéi graffiti. Voir Raphaël Garrucci, Pompéi graffiti, op. cit.
417
correspond souvent à une caricature ou à un message politique ou satirique. Voulez-vous
aller faire vos ordures plus loin, Polisson ! (1883) (fig. 9, voir la première partie) a
parfaitement étayé ce propos.
Une nouvelle figure s’impose alors : celle de l’artiste rebelle et insoumis, qui revendique
sa liberté d’individu face aux contraintes exercées par la société, à la recherche de l’art
populaire dans l’art moderne et des graffitis. L’art contribuait au pouvoir, acceptant la
domination de l’autorité. Mais certains artistes ont continuellement essayé de détruire le
monde de l’art traditionnel, la culture ou le pouvoir préexistants, ou la frontière des genres en
utilisant et multipliant les formes nouvelles. Ces activités des artistes se renouvellent depuis le
19e siècle. Il s’agit surtout de l’histoire longue du système à double niveau entre
modernisme/art populaire ou art élite/culture de masse, dont les frontières se sont effondrées
quand l’art réfléchit la perspective critique et le geste rebelle des genres à travers leur
combinaison avec des mass-médias et quand les genres ont éclatent au sein de leur
médiatisation de masse. Toutefois, ces divisons ont été traitées de manières très différentes.
Le développement de l’industrie culturelle a donc favorisé la divulgation des œuvres,
collages, photomontages, tableaux, sculptures au détriment des textes, manifestes, ou
recueils. Cette tendance évidente vise à récupérer les « images » visuelles qui doivent être
dociles en les coupant de la pensée et du moment idéologique qui les voient éclore. Cette
attitude a pour effet d’infléchir entièrement la fabrication des histoires de l’art moderne,
données comme une succession de reproductions, mémorisées, fétichisées sans connaissance
de la pensée des artistes294. Paul Eluard, dans « Physique de la poésie », précise : « À partir
de Picasso, les murs s’écroulent. La peinture ne renonce pas plus à sa réalité qu’à la réalité
du monde. Il est devant un poème comme le poète devant un tableau »295. Quel a été l’intérêt
des littéraires français pour la rue en tant que source d’inspiration poétique ou pour
l’écriture ? Nous proposons ici d’expliquer comment les artistes, ainsi que les littéraires,
cherchent à montrer la rue autant qu’à la faire « parler ». Ce regard sur la rue, Paris, des
littéraires français, devient la base esthétique de la rue française296.
294
Marc Dachy, « The 27 senses of Kurt Schwitters of Hot to become an impredictible violet (and flower in the
dark) », B. Buchloh (éd.), L’Ecrit et l’Art II, Villeurbanne : Le Nouveau Musée/Institut d’art contemporain et la
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lumière Lyon 2, 1996, pp. 129-130.
295
Voir, Paul Eluard, « Physique de la poésie », Minotaure, n. 6, hiver, 1935, cité par Nobert Bandier, « Les mots
gagnent : À l’ origine de l’art surréaliste était l’écrit », Ibid., p. 16.
296
Les écrits d’Yves-Alain Bois, de pierre Daix et de Rosalind Krauss, analysent les méthodes de la linguistique
structurale et de la sémiologie dans le cubisme du domaine du visuel. Ils partent de la proclamation par Cézanne
et par le Cubisme d’une phénoménologie pure de la vision, dont ils montrent l’évolution vers une conception du
418
Par ailleurs, la rue a souvent été utilisée comme instrument de propagande, c’est-à-dire un
moyen de diffuser un message au plus grand nombre en s’appuyant sur la puissance de
suggestion des images et l’efficacité du graphisme. Aux images visuelles de propagande
associées aux tentatives d’endoctrinement et de manipulation de l’opinion qui sont celles des
régimes totalitaires, s’ajoutent aussi plus largement toutes les techniques de communication
qui visent à propager des idées politiques, sans être forcément synonymes de mensonge et de
désinformation. D’autres s’engagent en critiquant d’une manière qui n’est ni l’action
politique, ni l’outil traditionnel de l’action politique, à savoir l’art au service de la politique
ou la politique au service de l’art.
Comment les activités de certains sortent-elles du domaine de l’art quand elles sont dans
la rue ? Le graffiti possède-t-il de façon inhérente certaines particularités artistiques ? Pour
répondre à ces questions, nous nous sommes penchés sur son aspect plastique, mais également
sur son expression politique ou critique des événements de l’histoire, dans sa représentation
de la société. En reflétant la fonction sociale et le style formel de la relation entre la caricature
et le graffiti, nous avons étudié la description qui en a été faite dans la littérature française et
le travail d’Apollinaire. Certains artistes modernes comme Jean Dubuffet, Joan Miró ou Cy
Tombly, ont utilisé le graffiti dans leurs tableaux dans un but d’innovation esthétique, et
Brassaï, à l’inverse, par l’intérêt pour la forme primitive. Asger Jorn a abordé et développé
tous les problèmes qui nous intéressaient : la perspective critique sur la culture populaire, le
rôle de l’artiste ou la fonction de l’art dans le système de l’art ou la société, l’étude du graffiti
dans l’histoire de l’art, etc. Cela nous a permis de montrer comment le graffiti se développe et
se place comme mouvement artistique, relativisant ainsi les inquiétudes d’Adorno concernant
la culture de masse ou l’art dans l’industrie culturelle ou le risque d’affiliation politique
mentionné par Asger Jorn297.
Nous avons consacré un espace important à l’étude d’Asger Jorn. Pour lui, l’intérêt pour
la culture populaire est la véritable relation entre l’art et la vie, et l’art actif dans la société de
consommation. Les œuvres de son exposition Modifications se rapprochent des traits
sens et de l’expérience perceptive plus complexe, qui reconnaît l’inter dépendance de la dimension sémiologique
dans la représentation visuelle. Mais les modèles du collage cubiste ne sont-ils qu'un jeu visuel ? D’autres
théoriciens, que nous avons été cités, analysent le langage dans le cubisme en le considérant comme une trace
référentielle qui indique à quel point l’imagerie cubiste et ses citations de textes sont intimement mêlées aux
représentations de la culture de masse, à la politique et à l’idéologie. Cité par B. Buchloh (éd.), Langage et
Modernité, op. cit., p. 10.
297
Sous la direction d’Asger Jorn, Signes gravés sur les églises de l’Eure et du Calvados, op.cit., p. 255.
419
artistiques des street artistes. « Vive la peinture », « image détournée », cette manière du
détournement était facile à comprendre comme stratège critique, en parallèle, aux tactiques de
collage ou de photomontage de Dada et du Surréalisme, puis de la pratique de l’art
situationniste. Cependant, ce point suivant a été ignoré par les critiques, lorsqu’il a été
appliqué à l’œuvre de Jorn, comme dans l’avant-garde ne se rend pas (1962) (fig. 45, voir
dans deuxième partie). Ces perspectives d’Asger Jorn montrent que nous avons proposé une
analyse au carrefour de Thomas Crow, Theodor W. Adorno et Hal Foster, ainsi que des
problèmes posés par la culture commerciale.
Face à une préoccupation grandissante quant aux préoccupations superficielles des médias
de masse ou de la culture populaire, à l’éloge aveugle de la « nouveauté » offerte par les
artistes modernes ou contemporains, ou face à l’appropriation de ces œuvres par le monde
commercial, le street art est devenu un enjeu polémique. Cependant les street artistes
pratiquent une forme d’acte rebelle en renouvelant constamment leur défiance envers le
monde de l’art contemporain et en présentant les querelles de leur société. L’attitude critique
de Jorn pour la culture populaire et l’art est donc liée aux graffitis qui ne correspondent pas à
des actes de vandalisme : « Le risque est grand, mais nous devons le prendre : il est la chance
d’un renouvellement »298.
Jorn a considéré l’acte vandale du graffiti comme un moyen positif d’inscrire de nouvelles
valeurs ou significations. Nous avons vu que dans la création de graffiti, souvent le fait d’une
répétition régulière de gestes identiques donne à l’acte son caractère rebelle et artistique. Le
graffiti et l’art se sont harmonisés, tout comme les stratégies artistiques visant à critiquer notre
société de consommation tant redoutée par Adorno. Son objectif n’est pas simplement le
développement formel comme les artistes modernes, le regard du graffiti révèle une valeur
artistique ou un acte rebelle comme avec l’avant-garde.
Nous avons établi l’expression critique ou intellectuelle des graffitis anonymes. Ils
véhiculent un discours social et une conscience rebelle. Les slogans, les affiches, les tracts-
poèmes d’intellectuels anonymes et les éléments cyniques dans le sens classique présents dans
tout l’art situationniste de l’époque 68, sont également typiques des graffitis qui fleurissent
sur les murs des universités et recouvrent les affiches publicitaires, dans les rues. Ces graffitis,
qui, à ce moment-là, ne sont pas encore considérés comme de l’art, sont issus des programmes
des situationnistes et définis par eux comme la meilleure méthode de « détournement » du
298
Ibid., p. 104.
420
texte et de l’image : « L’art, c’est de la merde »299. Mais les graffitis qui abondent en 1968 et
au cours des années suivantes, atteignent un rare niveau d’agressivité.
Depuis les années 1960, de nombreux artistes de la rue, et tout particulièrement d’avant-
garde se sont opposés au pouvoir dominant, à l’autorité, au jugement préconçu de la pensée
académique. Ils leur opposent une contre-propagande ou une idéologie orientée. Ainsi, ils
peuvent encore devenir des propagandistes de mouvements contestataires, en mettant en
scène leurs luttes et leurs manifestations ou en leur donnant une visibilité médiatique par des
slogans et des images chocs. L’art urbain a attribué diverses innovations à l’œuvre d’art de
l’éphémère, la contigüité avec public, l’expression libre, le changement du monde de l’art.
Des artistes d’avant-garde ont voulu élargir le champ d’action de l’art et en faire un moyen
de « changer la vie ». Leur objectif est de mener une révolution qui bouleverse non
seulement les structures sociales existantes, mais aussi nos structures mentales les plus
profondes. Leurs expériences ont tracé la voie pour un nouveau rôle politique de l’art ou de
l’art engagé : non plus seulement une fonction de propagande ou de communication visuelle,
mais aussi celle d’un agent perturbateur qui remet en cause les normes et les conventions, les
identités imposées par la société.
Impulsé par l’esprit rebelle de l’avant-garde française, l’intérêt des artistes modernes pour
la culture populaire ou l’utilisation stratégique des artistes contemporains par le mass-média, a
progressivement détruit les frontières de genre de l’art. Ces travaux étaient liés à l’utilisation
des nouvelles technologies, autant qu’au mélange des genres, des matériaux, qu’à
l’exploration de l’expérimentation de nouveaux champs artistiques. Adorno a assisté à la
découverte d’une « nouveauté » dans l’art qui doit être considérée eu égard à divers éléments
du siècle présentés par l’avant-garde 300 . Ce climat artistique s’est orienté dans deux
directions : légèreté et sérieux intellectuel. Il faut bien remarquer que la perspective d’Adorno
quant à l’essence de l’œuvre d’art dans l’industrie culturelle, s’est basée sur le fait qu’il existe,
selon lui, une certaine noblesse de l’art, seule capable de donner une perspective critique de la
société. C’est un problème que chaque genre rencontre dans l’industrie culturelle. Ainsi, la
culture populaire peut paraître imiter l’Art, mais celui-ci est dans la même situation, car il est
en quête d’une bohème qu’il simule pour donner l’impression d’un caractère rebelle. Il est
important de respecter les valeurs essentielles de l’art telles que l’autonomie, la vérité, la
299
Jean-Paul Ameline (éd.), Face à l’histoire 1933-1996 : L’artiste moderne devant l’événement historique,
Paris : Flammarion, Centre Georges Pompidou, du 19 décembre 1996 au 7 avril 1997, p. 356.
300
Voir Theodor Adorno, Théorie esthétique, op.cit.
421
perspective critique, le rôle éthique. Quand l’art se transforme et imite une attitude critique
avec pour seul dessein sa commercialisation, sa substance véritable et sa valeur artistique
disparaissent. L’art n’est pas libre des discours socioculturels et politiques de la société. Mais
puisque dans ces travaux figurent tout de même les effets des conditions sociales et
historiques actuelles, ils sont les seuls à même d’apprécier la justesse et l’exactitude de ces
œuvres. Sa critique sur l’art est immédiatement une critique sociale, et même la seule vraie
critique sociale possible dans l’état du monde contemporain301.
Nous avons entrepris de clarifier la question de l’art élite et de la culture populaire, de
l’acte critique de l’artiste et d’un rôle de l’art, en nous penchant sur la relation du mélange des
genres et surtout des relations entre art et graffiti. Or, cette relation a souvent son histoire,
maintes fois répétée dans le parcours individuel de tout artiste depuis le 19e siècle. En ce sens,
cette stratégie artistique ne présente que de manière superficielle les expérimentations de l’art
moderne ou de l’avant-garde, mais démontre inévitablement l’approche socio-critique
énoncée dans les théories de Thomas Crow et Theodor W. Adorno.
Thomas Crow, remarquant aussi le point de vue de T. J. Clark302, a ajouté la perspective
de T. W. Adorno sur la question de la relation entre l’art élite et populaire, le rôle critique de
l’œuvre d’art ou d’avant-garde. Adorno avait l’intention de contester l’aspect « progressiste »
du jazz et de révéler son caractère conformiste à la société de consommation, ou le fait que le
jazz se soumette au cadre de la modernité contemporaine, en particulier dans ses tendances
constructivistes. C’est-à-dire, pour Adorno, le jazz et l’expérience collective de la culture de
301
Jean-Pierre Esquenazi, Sociologie des œuvres : De la production à l’interprétation, Paris : Armand Colin,
2007, p. 20.
302
Sujet « Courbet et le Réalisme » dans l’étude sur l’art des XIXe et XXe siècle par Linda Nochlin, qui s’offrait
la possibilité d’aborder les questions du contenu, de la forme, et, surtout, celle de leur problématique rapport à
l’histoire politique française autour de la révolution de 1848. L’article de Meyer Schapiro, « Courbet and
Popular Imagery », présente également un rôle crucial. Schapiro y démontre que dans ces incontournables
monuments du réalisme que sont L’Enterrement à Ornans et Les Paysans de Flagey, l’originalité stylistique de
Courbet est immensément redevable à l’influence de l’imagerie populaire, elle-même toute entière prise dans
l’ensemble des innovations culturelles associées à la révolution de 1848
Ces différents modèles révisionnistes ont beaucoup à offrir, comparé au modèle formaliste assez restrictif qui
prévalait dans l’histoire de l’art traditionnelle, et nous nous sommes servis de tous, notamment de celui de
l’histoire de l’art sociale qui approche l’iconographie d’Erwin Panofsky à la manière critique. Ainsi, à partir du
moment où l’histoire sociale de l’art accepte comme si la chose allait d’elle-même que son discours se développe
autour de la liste des « Grands artistes », elle esquive la question cruciale du domaine de la culture de masse.
Linda Nochlin, Les politiques de la vision: art, société et politique au XIXe siècle, trad. Oristelle Bonis, Paris :
Jacqueline Chambon, 1989, pp. 5-21 : Meyer Shapiro, « Courbet and Popular Imagery: An Essay on Realism and
Naïveté », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 4, pp. 164-191 ; T. J. Clark, Une image du peuple :
Gustave Courbet et la révolution de 1848, trad. Anne-Marie Bony et Françoise Jaouën, Dijon : les presses du réel,
2007.
422
masse représentent le retour d’une vie rituelle en accord avec les exigences du capitalisme.
Cette musique se range du côté de l’appareil de marché dominant quand il le fait dans des
postures de plaisir et de loisirs. Thomas Crow introduit ce débat.
« Adorno choisit le jazz pour faire exposer cette évolution historique dans le
domaine de la musique ; mais c’est une erreur de dire qu’il la rejette. En fait, il la
traite avec le même sérieux et la même attention qu’il étend de la tradition du grand
art à la musique. La contradiction sociale que les joueurs et le public de jazz
résolvent magiquement n’est pas résolue dans la musique elle-même : le jazz est
une configuration de contraires, de virtuosité de musique de Salon et de discipline
par trop militaire, qui restent détenues en contradiction et sont donc appréhendables
en tant que tel : « si le jazz était vraiment écouté, il perdrait son pouvoir. Ensuite,
les gens ne s’identifieraient plus à lui, mais l’identifierait lui » […] »303.
Thomas crow est en désaccord avec la vue indifférenciée d’Adorno sur la culture de masse,
mais nous avons souligné certaines idées d’Adorno sur l’œuvre d’art qui pourraient se révéler
être son argument central. Il a critiqué le jazz commercial, celui-là même qui adapte sa forme
dans un objectif de commercialisation. Nous avons indiqué qu’Adorno a clairement exprimé
sa vision négative de la culture de masse par l’industrie culturelle, mais il ne l’a pas pour
autant méprisée. Il a voulu critiqué des produits qui ne correspondent pas à sa perception de
l’essence de l’art, et cela se révèle être l’argument central de son ouvrage Théorie esthétique.
Nous notons qu’Adorno n’a pas étudié les pratiques résistantes ou libres de la culture de
masse, il a simplement mentionné son pouvoir rebelle, son insubordination, son autonomie et
sa révolte envers la société de consommation du capitalisme, tout comme l’avant-garde l’avait
fait avec le système bourgeois.
À la base de la perspective de Thomas Crow et de la réinterprétation de la théorie
d’Adorno, nous avons montré comment le street art s’implique, et assume sa place en tant
qu’art marginal, dans le système de l’art, et de quelle manière son activité offre une lecture
303
« Adorno chooses jazz to stand for this historical development in the realm of music; but it is a mistake to say
that he dismisses it. In fact, he treats it with the same seriousness and attention that he extends to music from the
high-art tradition. The social contradiction which the players and audience of jazz magically resolve is not
resolved in the music itself: jazz is a configuration of opposites, of Salon-music virtuosity and military
regimentation, which remain held in contradiction and are therefore apprehend able as such: “if jazz were really
listened to, it would lose its power. Then people would no longer identify with it, but identify it itself.” […] »
Thomas crow, « Modernism and Mass Culture », Benjamin H.D. Buchloh (éd.), Modernism and Modernity,
op.cit., p. 262.
423
critique au public ; quant à la culture périphérique, et tout particulièrement les graffitis,
devenue art, elle aborde certaines querelles esthétiques contemporaines en posant des
questions décisives sur les éléments de l’œuvre d’art, l’idéologie par la force contemporaine
du marché de l’art, la valeur éthique de l’artiste dans la société capitaliste ; il peut devenir
l’art critique d’aujourd’hui ; sa tâche est d’en refixer le sens critique ou social en cherchant à
préciser comment, au sein d’une situation historique précise, s’est élaborée l’idée d’un esprit
français d’avant-garde, qui n’est pas l’histoire du mouvement d’avant-garde, mais le caractère
rebelle de son geste, l’expression littéraire par l’image, et son idée innovante et donc d’avant-
garde.
À l’instar de la publicité commerciale et des projets d’art public, le street art délivre dans
l’espace public un certain nombre de messages. Ceux-ci n’encouragent cependant pas la
consommation mais l’expression personnelle, la curiosité et la liberté de pensée. En
considérant la perspective de la théorie d’Adorno, nous avons insisté sur la forme, le contenu
et la fonction de l’œuvre d’art des street artistes, en relation avec leur contexte historique. En
prenant des exemples pertinents, comme Gérard Zlotykamien ou Ernest Pignon-Ernest, nous
nous sommes orientés dans la direction du street art dans l’art contemporain.
Le street art, ce n’est pas non plus un parti révolutionnaire contre le modèle traditionnel,
même s’il accorde une grande place à la critique de la culture, en entendant par ce terme
l’ensemble des instruments artistiques ou conceptuels par lesquels une société se présente et
présente ses objectifs. La transformation révolutionnaire de la vie quotidienne, qui n’est pas
réservée à un vague avenir mais placée immédiatement devant nous par le développement du
capitalisme et ses exigences, l’autre terme de l’alternative étant le renforcement de l’esclavage
moderne ; cette transformation marquera la fin de toute expression artistique unilatérale et
stockée sous forme de marchandise, en même temps que la fin de toute politique spécialisée.
Dans les années 1970, les graffitis est davantage traité comme moyen de résistance sociale,
offrant une vue particulière de conditions politiques contemporaines. Nous savons aussi que le
graffiti n’est pas un phénomène unique, mais le produit d’une diversité de sous-cultures et
qu’il possède sa propre histoire en ce qui concerne le style et le contenu. Le geste comme
« J’y étais » de Tel Restif de la Bretonne dans Mes inscriptions304 présente le graffiti moderne
« Kilory here is ». Dans le monde moderne, ce geste se distingue de l’activité du tag et de
l’acte du street artiste. Ces deux styles de graffiti présentaient un esprit rebelle, mais de
304
Voir Nicolas Restif de la Bretonne, Mes inscriptions, journal intime (1780-1787), op.cit.
424
manière différente, l’un en termes d’esthétisation du graff et l’autre en termes artistiques, de
commercialisation et d’acte d’avant-garde, d’insignifiance et de critique sociale, ou
d’institutionnalisation et de changement innovant du monde de l’art. Cependant il existe de
nombreux caractères formels de graffitis, ces styles évoluant rapidement vers une forme
artistique.
Quand le graffiti entre dans le champ de l’art, quand les acteurs intègrent son monde,
quand leurs activités illégales ont des motifs artistiques, comment maintient-il sa fonction
sociale, son autorité critique et son rôle contestataire contemporains ? Pour traiter cette
question, nous nous sommes intéressés aux courants artistiques ou rebelles comme l’avant-
garde de la France depuis le XIXe siècle. L’histoire nous montre que le graffiti se place
comme mouvement artistique en France, au contraire du graffiti writing qui ne peut par
contenir de discours social ou de contexte critique, et il devient commercial du fait de
l'entremise des galeries commerciales.
Dans les années 1970, l’art naît dans le contexte social auquel se rattachent le Body Art, la
performance et le questionnement sur l’identité artistique dans l’art vidéo, qui se répand à
l’époque. Mais il ne s’agit plus à vrai dire d’art politique ni quotidien, ainsi la critique de son
temps est devenue progressivement une théorie abstraite attachée au traitement des nouveaux
médias. D’autres lignes artistiques comme la figuration narrative, la figuration libre, New
image painting ou le néo-expressionisme s’essaient à ces problèmes de l’art contemporain,
intellectuel, politique, extrême, ou obscur. Dans la situation complexe de l’art contemporain,
certains artistes étaient sortis dans la rue. Le mouvement culturel du graffiti aux É tats-Unis a
été le détonateur de la nouvelle vague du mouvement d’art contemporain.
Par-delà la diversité de leurs démarches, les artistes rassemblés dans cette étude se sont
posé la question de la réception de leurs œuvres, ce qui les a amené à sortir des cadres
traditionnels de l’art : affiches, photomontages, tracts, autocollants, performances, détournements,
graffitis, manifestations, collaborations avec des populations locales, dissémination sur
internet et les réseaux sociaux. Autant de moyens pour toucher un public le plus large possible,
sans renoncer à la liberté et à la créativité qui font de leur art une force agissante, un
laboratoire où s’élaborent de nouvelles utopies et où nous pouvons imaginer un autre monde
possible. Ce genre « sauvage » est aujourd’hui lui-même un art. Le mouvement street art
semble être, en réalité, parfaitement intégré par la culture bourgeoise et popularisé par le
mass-média. Le street art se trouve de ce fait dans une situation contradictoire d’art : il
bénéficie des excès du marché de l’art, de ses débordements mercantiles, mais n’en accepte
425
pas les critiques. Le street art représente la vérité sociale, son geste rebelle critique de leur
société.
L’approche de la rue française d’un point de vue socio-critique a fondé le mouvement du
street art dont le vocabulaire visuel diffère en fonction de chaque pays ; en même temps qu’ils
donnent une photographie de notre ère, les artistes français sont plus critiques quant à leur
société et engagent leur pratique artistique dans ce contexte. De nombreux street artistes
plastiques présentent une réflexion théorique et pratique influencée par les questions
politiques et sociales. Hormis des différences dans les procédés utilisés, elles sont fédérées par
un esprit de rébellion et de contestation. À des degrés divers, nous avons montré qu’elles
relèvent de tendances qui affichent un militantisme politique et social en phase avec le
contexte idéologique européen. Nous avons plus particulièrement mis en évidence que la
volonté de s’inscrire dans l’histoire sociale et politique est omniprésente chez certains street
artistes, en France, depuis le début des années 80 jusqu’à aujourd’hui.
Après avoir examiné les rapports entre l’art et la culture populaire, le street art et les
phénomènes socio-critiques de cette période, notre hypothèse est que cette relation peut se
définir par la notion de street art, comprise comme une pratique artistique dont les
connotations sont à la fois d’ordre esthétique et d’ordre social et critique. C’est sur le
fondement de cette hypothèse que nous nous sommes posé la question des contenus
sociaux/critiques de ce street art et de ses rapports avec la sphère socio-critique du fait qu’il
est une représentation de l’ère contemporaine.
En ce qui concerne les aspects du graffiti que sont « la valeur artistique » et « l’acte
rebelle », touchant à la modernité propre à l’art contemporain et aux rapports qu’elle
entretient avec sa vision critique, ils sont le fondement-même du mouvement street art. En
effet, la résistance et l’activisme, ainsi qu’une approche critique du monde de l’art ou de notre
société sont indispensables à la survie du street art en tant que tel. Il était difficile pour l’art
d’aller à l’encontre des règles académiques préétablies, tout comme il a été difficile pour la
culture de masse dans l’industrie culturelle (qui par définition ne critiquait pas la société)
d’acquérir son sésame artistique : le street art est parvenu à concilier les deux. Aujourd’hui,
les street artistes sont nombreux à s’inspirer et à détourner de grandes œuvres de l’histoire de
l’art, comme Miss. Tic, Zevs, Banksy, Space Invader, etc. Par exemple, mettre en parallèle
pop art et street art permet d’attirer l’attention sur la façon dont ces deux mouvements
représentent à leur manière le système capitaliste de la marque qu’ils s’approprient pour
mieux l’exploiter et la critiquer.
426
En adoptant les images, les stratégies et les attitudes du monde commercial, les artistes du
pop art se joignirent en effet aux collectionneurs et marchands d’art pour renforcer la notion
de marchandisation de l’art et de consommation dans la société en général. Certains artistes
restent et reproduisent leur œuvre dans les rues de divers pays dans lesquelles ils exploitent
les limites du décor esthétique des murs, recherchant des lieux qui ne soient ni historiques ni
sociaux, n’ayant ainsi qu’un intérêt esthétique. Le capitalisme trouble et détourne l’aspect
rebelle du graffiti et de l’art-initiative en les rendant commerciaux. Dans cette situation,
comment les street artistes représentent leur époque tout en gardant leur « autonomie » ?
Nous avons présenté l’activité de Banksy qui a dérangé le système de l’art en
autoproduisant ses expositions, Santa’s Ghetto (Palestine, 2005), Crude Oils (Notting Hill,
2005), Barely Legal (Los Angeles, 2006), Cans festival (Londres, 2008), Bettter out than in
(New York, 2014). Il critique sans exception les pratiques mercantiles des musées. Il réfléchit
radicalement aux questions posées dans l’histoire de l’art, et il essaie continuellement
d’engager ses idées et de critiquer la société capitaliste. L’idée d’Asger Jorn dans l’esprit
d’avant-garde se reflète dans le travail d’artistes français tels qu’Ernest Pignon-Ernest ou
Gérard Zlotykamien. Ils ont toujours posé des questions d’ordre politique, de moment et de
lieu. Ces courants sont liés aux jeunes street artistes comme Banksy.
Banksy essaie de se libérer du « star système » ou du succès commercial qu’ont pu
rencontrer Keith Haring, Jean Michel Basquiat, ou les graffeurs américains. Il propose, à
l’inverse, un partage juste entre l’élite et le populaire, le monde de l’art et l’espace public,
officiel et illégal par la règle du jeu moral. Son activité distille les querelles posées par le
street art. L’attitude rebelle d’avant-garde française s’est répétée, produisant de nouveaux
supports, techniques, ou utilisant le mass-média. À l’heure actuelle, le geste rebelle des
artistes de l’underground démontre un caractère militant dans le système artistique et
l’institution sociale, dans lesquels ils réfléchissent sur eux-mêmes et sur leur commercialisation.
Le street art efface donc la référence sociale tout comme l’idée d’un enjeu social du musée, de
la collection, l’idée d’un enjeu politique de l’art, l’idée d’engagement, l’idée du jeu simple, ou
les notions d’autorité et d’autonomie.
Par le biais diverses galeries, associations civiques, ou entreprises comme Lego ou
JCDecaux, certains street artistes ont rejoint le système capitaliste. Comment pouvons-nous
donc percevoir leur autonomie ? Si leur attitude rebelle disparait dans la galerie commerciale
et s’ils s’engagent dans le système de l’art, cet art lui-même disparaîtra ou sera pareil au pop
art. En quoi ce mouvement est-il innovant ? En parallèle, le système de l’art, à savoir les
427
expositions, les projets, ou le marché de l’art, se transforme et évoluent dans le cadre de notre
société.
Ce mouvement street art est toujours d’actualité. Les artistes essayaient continuellement
de trouver leur trajet, préférant encore l’anonymat, et poursuivant une vie de nomadisme en
réalisant une « déterritorialisation » par le voyage dans des pays étrangers afin d’exprimer
leur idées critiques. Mais certains artistes n’accordent pas beaucoup d’attention à la situation
sociale/politique de chaque pays ou au caractère des lieux : ainsi M. Chat, a abandonné
l’attitude critique de M. Chat dans son travail en Corée du Sud, ne s’adonnant qu’à un jeu
visuel avec les galeristes coréens ; Jef Aérosol a également reproduit son image Sitting Kids
en Chine, image présentant une forme d’isolement, sans pour autant exprimer quoi que ce soit
dans un contexte socio-politique pourtant très particulier305.
En Asie, comme au Japon, en Corée du Sud et en Chine, l’art de la rue était très difficile à
mettre en œuvre du fait des problèmes historique, politique et idéologique inhérents à chacun
de ces pays, et influençant ces sociétés encore aujourd’hui. La répression de l’expression libre
dans la rue s’applique aux artistes européens. Ils ne font pas montre d’un esprit rebelle en
Asie. La rue présente de belles décorations issues de l’art public qui s’est particulièrement
développé en Corée du Sud depuis le début des années 2000, quand le street art a explosé en
Europe. Vu de l’extérieur, deux caractères artistiques cohabitent dans la rue, mais leur origine,
les signes rebelles, et la particularité de l’artiste sont très différents. Le street art se doit de
représenter un regard critique sur notre société, et même quand la situation politique s’avère
délicate, il devrait présenter un esprit de résistance. Car, dans un monde saturé de messages
visuels, l’engagement « critique » est en général source de méfiance envers la séduction des
images qui souvent travestissent la réalité. Certains artistes cherchent à créer de véritables
outils militants afin que des mouvements sociaux s’en emparent pour mettre scène leurs idées.
Le street art s’intègre donc aux pratiques de l’art contemporain.
À présent, l’art est ouvert aux idéologies du progrès scientifique et technique, c’est le
temps des inventions, de la découverte et de l’accumulation des innovations, ce qui peut faire
305
Ils délaissent le caractère rebelle de leur acte en Asie où la situation politique fait que certains politiciens sont
obsédés par l'idéologie politique, et qu’ils n’acceptent pas l’expression libre ou critique. A l’inverse du problème
de l’art commercial, cette question est très importante. Comment les street artistes européens rencontrent-ils le
succès dans cette situation ? Les street artistes asiatique peuvent-ils faire part de leur situation politique avec
autonomie et une expression critique ? Ou doivent-ils s’engager dans un activisme illégal ou une pratique de
guérilla? Le contexte historique et politique est déterminant.
428
surgir la notion d’avant-garde en art. Mais il s’agit d’un art destiné à exercer un regard
critique et pratique actif sur la société. L’art contemporain a mis l’accent non seulement sur
l’idée de l’interdépendance de l’art et de la société, mais également sur la destination de l’art
comme instrument pour l’action et l’engagement social. Le street art, branche à part entière de
l’art contemporain au sens large dont les artistes ont rejeté les « -isme » divers et sont mis à
l’écart par le public, présente une caractéristique qui lui est propre : il exprime ou témoigne
systématiquement des préoccupations sociales et critiques.
Grace à internet et aux réseaux sociaux tels que Facebook, nous pouvons facilement
suivre l’activité des street artistes et des projets du street art ; voire même nous rapprocher de
ces activités et exprimer nos idées. Grandioses et visuellement remarquables de par leur
absence de limites, le développement des réseaux sociaux et la publication des œuvres de
street art par les artistes eux-mêmes amplifient leur caractère commercial puisque l’artiste
peut réagir directement aux commentaires/critiques des internautes. Ce lien avec le public va
continuellement s’accroître dans notre société et participer du mouvement de résistance au
système capitaliste.
Nous avons analysé la manière dont cette tendance a fait d’un moyen d’exprimer des idées
libres par un acte rebelle, un mouvement artistique en tant que tel, le street art. Les
convictions politiques de ce dernier sont étudiées dans la perspective de comprendre sur quels
fondements idéologiques ils fondent leurs travaux. Mais il important de s’interroger sur les
échanges qui existent entre ces pratiques picturales qui se déploient sur les murs des villes et
celles qui utilisent des supports traditionnels. Le street art nous montre cette nouvelle pratique
artistique dans l’espace urbain. Ce sujet nous offre la possibilité de nous interroger sur l’art
véritable dans notre société, une société de consommation : nombre d’images qui se
préoccupent de la signification par le discours pictural sont polémiques et se nourrissent
d’antagonismes culturels et politiques. Le street art peut-il continuer son travail de résistance
dans le monde artistique ? La réponse concerne à la fois l’esthétique et l’histoire de l’art.
429
Bibliographie
Plan
III. Le contexte
A. Généralités
B. Asger Jorn et IS
C. Pop art et Nouveau Réalisme
D. Le mouvement de 68
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
1. INSULA 1, salle de classe ( ?), L.15.5cm, H.15.6cm, Fin du 1er – début du IIe siècle ap.
J.-C., Musée romain d’Avenches.
2. graffiti d’un petit bonhomme, Périgueux-LA DOMUS De Vesone, L. 11.3xH.10.3, pas
avant le milieu du 1er siècle apJ.C., la ville de périgueux.
3. OCEANSVS. I. XIII V., C. I. L. IV, 8055a., Philippe Moreau (éd.), Sur les murs de
Pompéi, Paris : Gallimard, 2011.
4. ARACINTVS L IIII, PISITIARIO, C. I. L. IV, 8055b et c., Philippe Moreau (éd.), Sur les
murs de Pompéi, Paris : Gallimard, 2011.
5. Tête d’homme casqué, à Donjon du Château de Vincennes, Christian Colas, Paris
Graffiti, Paris : Paragramme, 2010, p.25.
6. Vive La France, sur le mur de la chapelle du Mont-Valérien, dont celui laissé par Abel
Vacher, le 2 octobre 1943. Christian Colas, Paris Graffiti, Paris : Paragramme, 2010,
p.127.
7. PEREGRINSVS, Portrait couronné en caricature, la planche XVI, n. 2., par Raphael
Garruci, Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet, Paris : B. Dupart,
1856.
8. CAMPI VICTORIA VNA/CVM NVCERINIS PERISTIS, la planche XXIX, n. 6., Raphael
Garruci, Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet, Paris : B. Dupart,
1856.
9. Bouquet, A., Voulez-vous aller faire vos ordures plus loin, pôlissons !, Caricature, Paris,
janvier 17, 1883, no.115, plate 238.
10. Graffiti de la Série VII, « La Mort », 1935-1950, Brassaï, Graffiti, Paris : Flammarion,
1960.
11. Pablo Picasso, Croquis avec Pierrot figures, 1900, Encre, conté crayon, et crayon de
couleur sur papier, 22x31.8cm, Musée de Picasso, Barcelone.
12. Pablo Picasso, Caricature et Portraits : Guillaume Apollinaire, Paul fort, Jean Moréas,
Fernande Olivier, André Salmon, Henri Delormel, 1905, Encre, conté crayon et crayon
de couleur sur papier, 25.5x32.7cm, Musée de Picasso, Paris.
460
13. Jean Dubuffet, Mur aux inscriptions, 1945, Huile sur toile, 99.7x81cm, The Museum of
Modern Art, New York.
14. Jean Dubuffet, L’hôtel du Cantal – série Paris Circus, 1961-1962, Huile sur toile,
89x116cm, George Centre Pompidou, Paris.
15. Bernard Quentin, Graffiti, 1961, média mélangé sur papier, 65x50cm, Musée de la Poste,
Paris.
16. Vittorio Matteo Corcos, Portrait de Yorick, 1889, Huile sur toile, 199x138cm, Musée
civique Giovanni Fattori, Livorno.
17. Grandville, Self-portrait drawing on a graffiti-covered wall (Dessin autoportrait sur un
mur couvert de graffitis), 1844, Cent proverbs, Paris: H. Fournier, p.354.
18. James Ensor, The Pisser, 1887, Gravure, 14.9x10.8cm, collection privée, Brussels.
19. Charles-Joseph Traviès, « La poire est devenue populaire ! », Le Charivari, 28, avril,
1833.
20. De la fabrique du Mans, communiqué par M. de Liesville, Champfleury, Histoire de
l’imagerie Populaire (1869), Paris : E. dentu, p. XXXVII.
21. George Grosz, Republican Automatons, 1920, Aquarelle sur papier, 60x47.3cm, Museum
of Modern Art, New York.
22. René Magritte, Ellipse, 1948, Huile sur toile, 50.3x73cm, Musées royaux des Beaux-
Arts de Belgique, Brussels.
23. René Magritte, La Famine, 1948, Huile sur toile, 46,5 x 55,5 cm, Musées royaux des
Beaux-Arts de Belgique, Brussels.
24. Amand Gautier, Henri Rochefort dans Mazas Prison, 1871, Huile sur toile, 29x40cm,
Musée d’art et d’histoire, Saint-Denis.
25. Guillaume Apollinaire, Prêtre gravant le mot « Jésus » sur le tronc d’un arbre, 12 août
1895, pierre noire, 24x15cm, Monaco, Vila Flore, Collection particulière.
26. Guillaume Apollinaire, L’horloge de demain, poème-tableau en couleur, dans la revue
391, n’4, 15 mars 1917, 37x27cm, BHVP.
27. Guillaume Apollinaire, Ah ! Dieu Que la guerre est jolie, 1915, La peinture à la boîte.
28. Crédit est mort, D’après une estampe du dix-septième siècle, Champfleury, Histoire de
l’imageire populaire (1869), p.195.
29. René Magritte, « L’Image et les mots », Révolution surréaliste, n°12, Décembre, 1929.
30. Ernest Pichio, La Veuve du fusillé, 1877, 148x113cm, peinture à l’huile sur toile, Musée
de l’histoire vivante de Montreuil, Montreuil.
461
31. Marcel Duchamp, LHOOQ, 1919, Stylo sur une reproduction (Ready-made),
19.7x12.4cm, Centre George Pompidou, Paris, collection privée.
32. Asger Jorn, Droit de l’aigle, 1950, Huile sut toile, 122.5x124.0cm, Musée d’Aalborg,
Danemark.
33. Asger Jorn, Vision nocturne (Nocturnal Vision), 1956, Huile sur toile, 101.2x81.3cm,
Louisiana Museum of Modern Art, Danemark.
34. Asger Jorn, La double face, 1960, Huile sur toile, 116.5x89.8cm, Louisiana Museum of
Modern Art, Danemark.
35. Asger Jorn, Grand baiser an cardinal d’Amerique, 1962, modification, Huile sur toile,
92x73cm, Musée Jenisch Vevey, Suisse.
36. Asger Jorn, En attendant Godot, elle l’a eu, 1962, modification, Huile sur toile,
27x41cm, Collection privée Jacques prévert.
37. Asger Jorn, Choux, 1951, modification, Huile sur toile, 201x117cm, Kunsthalle zu kiel.
38. Banksy, intervenant au Brooklyn Museum, 2005, Dessous, l’œuvre accrochée.
39. Banksy, tableau détournée, 2005, intervenant à Metropolitant Museum, New York.
40. Banksy, Mona Lisa Smile, 2004, intervenant au Musée de Louvre, Paris.
41. Asger Jorn, Wakenupriseandprove, 1961, Huile sur toile, 55x46cm, Collection privée.
42. Asger Jorn travaille sur « luxury painting » en 1961.
43. Asger Jorn, Nothing Happens, 1962, Huile sur toile, 128.3x199.5cm, Louisiana Museum
of Modern Art, Danemark.
44. Asger Jorn, Instructive extraction of a konstruktif destruction, 1966, Huile sur toile,
89x116cm, Louisiana Museum of Modern Art, Danemark.
45. Asger Jorn, L’Avant-garde ne se rend pas, 1962, Huile sur toile, 73x60cm, Collection de
Pierre et Micky Alechinksy.
46. Marcel Ducamp, Apollinaire Enameled, 1916-1917, Crayon et peinture sur carton
(readymade), Philadelphia Museum of Art, New York, Collection de Louise et Walter
Arensberg Collection.
47. Marcel Duchamp, Pharmacie, 1914, Rouen, 26.2x19.3cm, readymade, Collection
Arakawa, New York.
48. John Heartfield, War, 1933, Une peinture par franz V. Strick et mis à jour par John
Heartfield, Collection de Franz v. Stuck.
49. Asger Jorn et Guy Debord, Memoires : Structures portantes d’Asger Jorn (1952), Paris :
J-J. Pauvert aux Belles Lettres, 1993.
462
50. Asger Jorn et Christian Dotremont, Je lève, tu lèves, nous rêvons, 1951-1952, Encre,
Plume, Stylo, 12.5x9.3cm, Silkeborg Kunstmuseum.
51. Asger Jorn et Christian Dotremont, ça diapre, 1963, Dessin-mot, Encre de Chine sur
papier, Silkeborg Kunstmuseum.
52. Christian Dotremont, Dépassons l’anti-art, 1974, Logogramme, Encre de Chine,
27x20cm, Silkeborg Kunstmuseum.
53. Asger Jorn, Stalingrad, stedet som ikke er eller modets gale letter (Stalingrad, no man’s
Land or the Mad Laughter of Courage), 1957-1972, Huil sur toile, 296x492cm,
Silkeborg Kunstmuseum.
54. Photographie d’église de Tilleul-Dame-Agnes, photographie par Gérard Franceschi, sous
la direction d’Asger Jorn, Signes gravés sur les églises de l’Eure et du Calvados, 1968.
55. Pablo Picasso, Guitare, partition, verre, 1912, collage. papier collé, gouache, fusain,
48x65cm, Marion Koogler McNay Art Museum, San Antonio, Texas.
56. Pablo Picasso, Le Rêve, 1908, papier collé : Reutilisation d’un carton brun portant
l’etiquette des Grands Magasins du Louvre.
57. Kurt Schwitters, Un titled (For Käte), 1947, collage, 10x13cm, Collection privée.
58. Hannah Höch, On With The Party, 1965, photomontage, 10 7/16 x 13 3/4 inches, Institut
für Auslandsbeziehungen, Stuttgart.
59. Jacques de Villeglé, Paix en Algérie, 1956, Paris.
60. Mimmo Rotella, Marilyn, 1962, décollage, Opera Gallery, Genève.
61. Mimmo Rotella, Moana la scandalosa, 2002, décollage, Opera Gallery, Genève.
62. Mimmo Rotella, Operation Sade, 1966, report photographique, 91.44x91.44cm, Milan,
Collection particulière.
63. Mimmo Rotella, La Dolce Vita, 1967, Décollage, 160x133cm, collection particulière.
64. Mimmo Rotella, Red Blank, 1980, Poster et blank monochrome, 150x110cm, Collection
particulière.
65. Mimmo Rotella, Virus, 1987, sur peinture sur décollage sur toile, 100x150cm, Galevia
Marconi, Milan.
66. Mimmo Rotella, Happy end, 1993, Décollage et peinture, 178x257cm, Collection
particulière.
67. Jacques Maché de la Villeglé, Ach Alma Manétro, 1949, l’affiche lacérée, 58x256cm,
Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.
68. Jacques Maché de la Villeglé, Algérie-Négociation, 13 mai 1961, l’affiche lacérée,
463
47x55.5x2cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres.
69. Jacques Maché de la Villeglé, La Chienlit rue de Sévigné, 17 mai 1968, l’affiche lacérée,
84x89cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres.
70. Jacques Maché de la Villeglé, 223, rue du Temple-La parole est à vous, 20 novembre,
1968, l’affiche lacérée, 100x73cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres.
71. Jacques Maché de la Villeglé, Gare Montparnasse – Rue du Départ, 12 juillet, 1968,
Courtesy d’artiste, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres.
72. Jacques Maché de la Villeglé, L’anonyme du Dripping, 13, avril, 1967, l’affiche lacérée,
200x320cm, Museum Hedendaagse Kuns, Gent, Belgique.
73. Jacques Maché de la Villeglé, La rue du Faubourg du Temple, 24, septembre, 1978,
l’affiche lacérée, 85x39cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres, Paris : Marval,
1989.
74. Jacques Maché de la Villeglé, La rue de Thorigny, 10, Juin, 1969, l’affiche lacérée,
105.5x114.5cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres, Paris : Marval, 1989.
75. Jacques Maché de la Villeglé, Rue du Temple vietnamien, 24 juin, 1967, l’affiche lacérée,
76x287cm, cat. Villeglé : Graffiti politiques ou autres, Paris : Marval, 1989.
76. Jacques Maché de la Villeglé, Les onze o, Première étude, dans série de L’Alphabet
socio-politique, 1995.
77. Sine, Debout les damnés de Nanterre ! , 1968, Courtesy d’artiste.
78. Gérard Fromanger, La police s’affiche aux Beaux-Arts, les Beaux-Arts affichent dans la
rue, 1968, l’affiche de la sérigraphie.
79. L’atelier de l’école des Beaux-Art, La chienlit c’est lui, 1968, l’affiche de la sérigraphie,
Courtesy de l’anonyme.
80. Karl Appel, Sans titre, 1968, l’affiche imprimée en lithographie, 54x70cm, par Adrien
Maeght, Paris.
81. Asger Jorn, L’imagination au pouvoir, 1968, quatre affiches.
82. Les slogans du mouvement de 68, cité par Walter Lewino, L’imagination au pouvoir, Le
terrain Vague, 1968, Photographies de JO SCHNAPP.
83. Ne travaillez jamais, Inscrit au mur de la rue de Seine, au début de l’année 1953, Photo
parue dans Internationale Situationniste, n. 8, Paris, 1963.
84. Gérard Fromanger, Souffles de mai, 1968, installation de place blanche, Paris.
85. Richard Serra, Berlin Function, 1988, avec l’inscription à aérosol : « 560, 000 [DM] this
shit », Brandenburg Gate, Berlin, Photo par Dario Gamboni, The Destruction of Art,
464
Reaktion Books, 2012.
86. Taki 183 dans l’article de New York Times, 21, juillet, 1971.
87. Demer, Col et Kasso, New Jersey, 2010, Sans titre, graff, É tats-Unis, Courtesy de Demer.
88. Lemy Macurr (Futura 2000), Main Lines: N.1 et N.3, Sans titre, au début des années 70,
Avec writing Groups : SA, 3YB, CVA, Manhattan New York.
89. Lee George Quinones, Lion’s Den, 1980, Lower East Side, New York.
90. Lee George Quinones, Society’s Child, 1983, Bombe à aérosol sur toile, 144x120cm,
collection Groninger Museum, Groningen, The Netherlands.
91. Lady Pink et Jenny Holzer, Honey Tell Me, 1983, Bombe à aérosol sur toile, 89x89cm,
Collection privée.
92. Lemy Macurr (Futura 2000), Word tour action, 1984, Bombe á aérosol sur toile,
54x96cm, Collection privée.
93. Keith Haring, subway drawings, métro de New York, É tats-Unis, 1983, Courtesy de
Laura Levine/Corbis.
94. Keith Haring, Animation, 1982, Panneau lumineux, exposition de Times Square, New
York.
95. Keith Haring, Free South Africa, 1985, l’affiche, New York.
96. Keith Haring, Pop Shop, 1988, Tokyo, Photographie par Tseng Kwong Chi, Keith
Haring Fondation.
97. Keith Haring, Le mur de Berlin, 1986, Photographie par Tseng Kwong Chi, Keith Haring
Fondation.
98. Jean-Michel Basquiat, Sans titre, Vers 1980, New York.
99. Jean-Michel Basquiat, Mona Lisa, 1983, Acrylique crayon gras et papier collé sur toile,
109.5x154.5cm, Courtesy José Nesa, Genève.
100. Richard Hambleton, série de Mass Murder, du 1976 au 1978 au 15 villes.
101. Richard Hambleton, série de Shadow man, 1982.
102. Richard Hambleton, série de Marlboro Man, New York.
103. Richard Hambleton, Ambert, 2006, Vernis, émail coloré et feuille d’argent sur bois,
48.3x55.9cm, woodward Gallery, New York.
104. Installation d’exposition de Beautiful painting, du 15 septembre au 3 novembre 2007,
Woodward Gallery, New York.
105. Jean-Michel Basquiat, Samo is dead, New York.
106. Jean-Michel Basquiat, Sans titre, 1983, Acrylique et crayon gras sur toile, triptyque,
465
244x184cm, collection particulière, New York.
107. Brain Barnes and others, Detail de Morgan’s wall or The Good, the Bad and the Ugly,
1979, The Wandworth Mural Workshop, Londres.
108. Gérard Zlotykamien, éphémère, 2009, dessin à la bombe aérosol, paris, Courtesy de
Thiery Lefébure.
109. Gerard Zlotykamien, éphémères, 2010, l’exposition Vive l’art Urbain, du 10
septembre au 16 octobre, 2010, Paris.
110. Ernest Pignon-Ernest, La Commune, 1971, Images en sérigraphie, aux escaliers saint
cœur et au métro Charonne.
111. Ernest Pignon-Ernest, Les agressions, 1976, l’affiche collée, Grenoble.
112. Ernest Pignon-Ernest, Apartheid : Le jumelage du cap avec la ville de Nice, 1974,
l’affiche collée, Nice.
113. Ernest Pignon-Ernest, Immigrés, 1976, l’affiche collée, Avignon.
114. Ernest Pignon-Ernest, Les expulsés, 1979, l’affiche collée, Paris.
115. Ernest Pignon-Ernest, Extases, 2008, la Chapelle Saint-Charles, Avignon.
116. Ernest Pignon-Ernest, Malheur de femme sur l’avortement, 1975, Images en
sérigraphie, Avignon.
117. Ernest Pignon-Ernest, Une Piéta, 2002, l’affiche collée, Soweto, Sud-Africaine.
118. Ernest Pignon-Ernest, Cadres et Cadrages, 2004, Nice.
119. Ernest Pignon-Ernest, Le série de Soupirail, 1957-1999, l’affiche collée.
120. Ernest Pignon-Ernest, Cabines téléphoniques, l’affiche collée, Photographie par
l’artiste, 1996.
121. JR et Ernest Pignon-Ernest : L’art au bout de la rue, 2013, Paris-Match, photographie
par Manuel Logos cid.
122. Daniel Baugeste, Sans titre, 1982, Détournement des affiches 4x3, Paris.
123. Daniel Baugeste, Grande Muraille de Chine, 1985, Chine.
124. Vive La Peinture, Sans titre, 1987, Peinture murale, Palissade, rue Saint-Merri, Paris4e.
125. Vive La Peinture, Zuman, l’exposition Vive l’art Urbain, du 10 septembre au 16
octobre, 2010, Paris.
126. Blek le Roc, La couverture de Bande dessinée, Juillet, 1989. Mensuel.
127. Blek le Rat, Autoportrait, 1981, pochoir, Paris.
128. Blek le Rat, Rats, 1981, Paris, pochoir.
129. Blek le Rat, homme qui court, 1984, pochoir, Paris.
466
130. Blek le Rat, Vieil homme, 1983-1985, pochoir, Marseille et 1984, paris.
131. Blek le Rat, Femme du Bangladesh, 1984, pochoir, Paris.
132. Blek le Rat, Mendiant, 2005, l’affiche collée, Paris 11e.
133. Blek le Rat, L’homme à la tête d’ordinateurs, 2007, l’affiche collée, Londres.
134. Miss Tic, Nous resterons amis chemin, 2006, pochoir, Paris 13e, photographie Miss.
Tic.
135. Miss Tic, J’enfile L’art mur Pour bombarder des mots cœurs, 1985, encre aérosol sur
toile, 82x78cm.
136. Miss Tic, Je t’ai fait marcher, je t’ai fait courir, je te ferai tomber, 1998, pochoir, rue
de l’Oise, Paris, 19e.
137. Miss Tic, Autoportrait, 1990, pochoir, Paris 30, photographie par Raoul.
138. Miss Tic, J’aime l’inconnu et les inconnus, 2003, encre aérosol sur toile, 50x50cm,
Galerie Au-dessous du Volcan, Paris.
139. Miss Tic, J’enfile l’art mur pour bombarder des mots cœurs, 1985, pochoir, Paris 11e
photographie par Isabelle Gabrielli.
140. Miss Tic, Toi en moi, Paris 11e, 1986, pochoir, Photographié par Gérard Lavalette.
141. Miss tic et Jean Faucheur, 2007, Encre aérosol sur bois, 130x50cm, exposition Toi et
moi,Galerie Chappe, Paris, photographie par Christophe Genin.
142. Miss Tic, Je ferai jolie sur les trottoirs de l’histoire de l’art, 1985, affiches lacérées sur
toile, 100x81cm, Paris 4e, Photographie par Christophe Genin.
143. Miss Tic, Je ferai jolie sur les trottoirs de l’histoire de l’art, 1995, affiches lacérées sur
toile, 100x81cm, Paris 13e, photographie par Gérard Lavalette.
144. Miss Tic, Je ferai jolie sur les trottoirs de l’histoire de l’art, 1995, affiches lacérées sur
toile, 100x81cm, Paris 14e, FIAP.
145. Miss Tic, Eros, érosion, texte au pochoir et prises électriques, 2007, Galerie, Paris, 18e,
photographie Christophe Genin.
146. Miss Tic, Il était une foi la vierge en sainte, 2000, d’après Raphael, de la série Muses
et Homme Paris 20e, Photographie par Miss. Tic.
147. Miss Tic, Femmes passives, femmes faciles, 2000, Paris 20e, photographie par Philippe
Zénatti.
148. Jean-Auguste Dominique Ingres, La Baigneuse, 1808, Huile sur toile, l.460 x 0.975m,
Musée du Louvre, Paris.
149. Miss Tic, série de Miss. Tic Présidente, 2007, sur papier Arches, 50x65cm.
467
150. Miss Tic, Le pouvoir ne protège pas, il se protège, 2004, l’affiche collée.
151. Jef Aérosol, Autoportrait, 1986, pochoir, rue Pierre-Budin, Paris.
152. Jef Aérosol, CHUUUTTT!!!, 2011, Beaubourg, Paris.
153. Jef Aérosol, Sitting Kid, 2009, pochoir, Muraille de Chine.
154. Jérôme Mesnager, Sans titre, 1995, Ménilmontant, Paris 20e.
155. Jérôme Mesnager, Sans titre, 2005, pochoir, rue de Ménilmontant, Paris 20e.
156. Miss Tic, Nemo, Jef Aérosol, Sans titre, 1998, Lézarde de la Bièvre, Paris.
157. Nemo, Sans titre, 2009, pochoir, Ménilmontant, Paris, 20e.
158. Mosko et associé et Jérôme Mesnager, Sans-titre, pochoir, rue du Retrait, Paris 20e.
159. Miss Tic, Après des histoires à dormir debout, des histoires à coucher dehors, 2007,
pochoir, Réunions de Chantier, Photographie par Miss. Tic, Lyon.
160. Miss Tic, Léo Ferré et Pépée, 2007, Peinture Murale, exécutée par Christophe Gabriel,
Orly, Résidence Universitaire, Photographie par Corinne Guidal.
161. Détail de l’exposition de tag, du 27 mars au 26 avril, 2009, Grand Palais, Paris.
162. Détail de l’exposition de Né dans la rue-Graffiti, du juillet 2009 au 10 janvier 2010,
La Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, Paris.
163. Détail de l’exposition de Street Art, du mars au 25 août 2008, Musée de Tate Modern,
Londres.
164. Détail de l’exposition de Can Festivals, 05 mars, 2008, Londres.
165. Jenny Holzer, « Vous êtes passé présent et futur », 1996-2011, série de Projections,
Paris.
166. Jenny Holzer, « Protect me from what I want (gardez-moi de mes désirs) », slogans,
installation sur Times Square, New York.
167. Guerrilla Girls, Do women have to be naked to get into U.S. museums? (Les femmes
doivent-elles être nues pour entrer dans les musées des É tats-Unis ?) 2007, Affiche, New
York.
168. Barbar Kruger, Sans titre (We don’t need another hero), 1985, Affiche, New York.
169. Barbar Kruger, Sans titre (I shop therefore I am), 1987, Affiche, New York.
170. Barbar Kruger, Sans titre (Surveillance is your busywork), 1983, Affiche, New York,
Courtesy de l’artiste.
171. Le Cup Up collective, Sans Titre, 2008, affiche de panneau publicitaire découpée et
réorganisée, Galerie Seventeen, Shoreditch, Londres.
172. Poster Boy, Sans titre, photographie par Jaime Rojo.
468
173. Scandal, Sans titre, 2002, Paris.
174. Tom Tom, détournement de l’affiche, Festival du M.U.R. DE L’ART, du 28 octobre au
01 novembre, l’espace d’Animation des Blancs Manteaux, 2010.
175. Dans Witz, sans titre, série de Skate boarders Are Graffiti, 2005, autocollant, New
York, É tats-Unis.
176. Dans Witz, Sans titre, série d’Ugly new building, 2008, New York, É tats-Unis,
Courteys de l’artiste.
177. Shepard Fairey, série d’Obey the Giant, de 1989 à 1996, autocollant, New York.
178. Shepard Fairey, Warning: Surveillance, 2000, screen print, 60.96x45.72cm.
179. Shepard Fairey, Hug Bomb and Drop Babies, 2004, screen print.
180. Shepard Fairey, More Militerry Less Skools, 2012, screen print, 46x61cm.
181. Shepard Fairey, Make Art Not War, 2000, screen print.
182. James Cauty, Dead Dad, autocollant, Londres.
183. Buff Monster, Sans titre, 2010, autocollant, Los Angeles, É tats-Unis.
184. D* Face, Elisabeth II, 2006, autocollant, Le mur de l’East London.
185. D* Face, D* Dog, 2010, autocollant.
186. Swoon, Potrait of Silvia Elena, 2008, autocollant, San Francisco, É tats-Unis.
187. Swoon, The Swimming Cities of Serenissima, 2009, Mer Adriatique, Biennale de
Vénice, Courtesy Tod Seelie.
188. Alexandre Farto alias Vhils (Vhils), Scratching the Surface, 2008, gravure, Londres,
Royaume-Uni.
189. Bäst, Sans titre, 2007, autocollant, Brooklyn.
190. Bäst, Sans titre, 2011, autocollant, Manhattan, New York.
191. Judithe Supine, Sans titre, 2007. Manhattan Bridge.
192. Judithe Supine, Sans titre, 2008, série de collages, en haut d’un mur sur Old Street,
Londres.
193. André Saraiva, Monsieur A, 2005, dessin à la bombe aérosol, mur de Clerkenwell
Road, Londres.
194. André Saraiva, série de Love Graffiti, de 2000 à 2010, dessin à la bombe aérosol, Paris.
195. André, Tête de Mr. A, 2008, dessin à la bombe aérosol, Harajuku en compagnie d’un
vieux Space Invader de 2001.
196. Thomas Ville, Monsieur Chat Géant, 2004, dessin à la bombe aérosol, 50mx25m, une
place devant le Centre Pompidou.
469
197. Ben EINE, Selle the House, The Kids, The Wife, It’s Bonus Time, 2010, Londres,
Royaume-Uni.
198. L’Atlas (Jules Dedet Granel), Time is Art, 2008, triptyque, aérosol sur metal,
Esplanade du Centre Georges Pompidou, Paris.
199. L’Atlas (Jules Dedet Granel), I am here, Paris.
200. L’Atlas (Jules Dedet Granel), Seven Daughters, Moscow.
201. L’Atlas (Jules Dedet Granel), Under control, Paris.
202. Otavio et Gustavo Pandolfo (OS Gêmeos), Os Joven não são mais Jovens (Les jeunes
ne sont plus jeunes), dessin à la bombe aérosol.
203. Otavio et Gustavo Pandolfo (OS Gêmeos), Sans titre, 2008, Murale Tate Modern,
Projet de Tate Modern Mesuem, Londres.
204. Vanessa Alice Bensimon (Miss Van), Sans titre, 2006, dessin à la bombe aérosol,
Barcelone, Espagne.
205. Ericailcane, Il funerale del Gallo, 2009, Fume Festival, Grottaglie, Italie.
206. Labrona, Street Hugs, Montreal, Canada, 2010. Courtesy de l’artiste.
207. Christian Cuémy (C215), Vieil homme, 2008, placé derrière des barreaux de
Shoreditich, Londres.
208. Christian Cuémy (C215), Potrait de mineur, 2008, Cans Festival de Londres.
209. Roadsworth, Male Plug, 2007, dessin à la bombe aérosol, Baie-Saint-Paul, Canada.
210. Boa Mistura, BELEZA, 2012, avec les enfants du quartier au São Paulo. Brésil.
211. Ernest Pignon-Ernest, arbrorigènes, 1984, Installation au Jardin des Plantes de Paris,
Courtesy d’artiste.
212. Mark Jenkins, série de Stoker Project, 2005, Philadelphia.
213. Mark Jenkins, Tudela, Espagne, 2010.
214. Slinkachu, Little people in the City, 2012, Technique mixte, VDNKH ares, Moscou,
Russie.
215. Shimon Attie (Cédric Bernadotte), The Writing on the Wall, 1991-1993, Berlin,
Courtesy d’artiste.
216. Shimon Attie (Cédric Bernadotte), Hiding Places.
217. Cédric Bernadotte, anonymixte, 1999, Montepellier.
218. Invader, space invader, Hollywood, Los angeles.
219. Invader, Bad Men II, 2007, Rubik Cube, galerie Joellenbeck-Michael Nickel, cologne.
220. Zevs, Public Bench, série de Electric Shadows, 2000, Paris, France. Courtesy de
470
l’artiste.
221. Zevs, Visual Attacks, 2001, Paris. Courtesy de l’artiste.
222. Zevs, Nike Liguidated Logo, 2005, Berlin, Allemagne. Courtesy de l’artiste.
223. Zevs, La Grande Odalisque orangée, 2012, Peinture à l’huile et liquide sur toile,
182.5x326.5cm.
224. JR, portrait of a génération dans série de 28 millimètres, 2004, avec Ladj Ly,
Montfermeil.
225. JR, série de Woman are Heroes, Nairobi, Kenya 2008.
226. JR, série de Face 2 Face, frontière cisjordanienne, 2007.
227. JR, série d’Inside Out, 2010, Paris.
228. Rero, J’aurais préféré un mur blanc plutôt que cette affiche de merde, 2008, Saint-
Maur, Paris, Photo par projet de Le M.U.R.
229. Rero, ERROR 404, 2010, Essonne.
230. Rero, Not Found, 2011, Allemagne.
231. Rero, DEGAGE, 2011, Paris.
232. Ben (Benjamin Vautier), « Art est un mot écrit », cité par site de ben-Vautier.com
233. Dran, Virus, 2010, peinture aérosol et acrylique sur toile, 80x66cm, Collection privée.
234. Dran, Frais de livraison gratuits, 2009, crayon et pierre noire sur carton ondulé,
26x24cm.
235. Blu, Sans titre, 2008, Old Street, Londres.
236. Blu, Evolution of Man, 2007, Londres.
237. Blu et JR, Reclaim Your city, 2007, Kreuzberg, Berlin.
238. Herakut (Hera et Akut), They hate Me just Because I’m Golden, 2000, Courtesy de
l’aritste.
239. Herakut (Hera et Akut), Art Doesn’t Help People, 2009, Lunebourg, Allemagne.
Courtesy de l’artiste.
240. Ron English, Sans titre, 2012, Los Angeles, Courtesy de wessame Benahcene.
241. Ron English, Sans titre, 2012, Brooklyn, Courtesy de Jaime Rojo.
242. Saner, Sans titre, 2013, Mexico, Courtesy de galerie Fifty 24 MX.
243. Escif, Street art vs Capitalisme, 2012, Grottalie, Italie.
244. Banksy, This wall is a designated graffiti, la bombe aérosol.
245. Banksy, Graffiti removal hotline: 080034597, 2006, pochoir, Pentonville Rd, Londres.
246. Banksy, Because I’m worthless, 2005, pochoir, Londres.
471
247. Banksy, It’s not a race, pochoir, photo par Banksy.
248. Banksy, Rat portant un appareil photo, 2005, pochoir, The ritz, Picadilly.
249. Banksy, Space Girl and Bird, 2004, pochoir, Deptford, London.
250. Banksy, Think Tanki, 2003, la pochette du disque de Blur.
251. René Magritte, Amants, 1928, Huil sur toile, MoMa de New York, la collection richard
S. Zeisler.
252. Banksy, Les policiers, 2003, pochoir, shoreditch, Londres.
253. Banksy, One Nation Unter CCTV, 2008, pochoir.
254. Banksy, What are you looking at? 2004, pochoir, Marble Arch, Londres.
255. Banksy, Mona Lisa with a rocket launcher, 2001, pochoir, Soho.
256. Banksy, flying Copper, 2003, sérigraphie, 102x68cm, Vienna, Collection Butterfly.
257. Banksy, Have a nice day, 2003.
258. Banksy, Ends Today, 2006, Huile sur papier, 84x168 in, London.
259. Banksy, Napalm, 1994.
260. Banksy, La champagne de Greenpeace, l’affiche de Greenpeace contre la déforestation.
261. Banksy, Piquenique en Afrique, 2006, sérigraphie.
262. Banksy, You have got to be kidding me, 2006.
263. Banksy, Love poème, 2004, l’affiche collée, Soho, London.
264. Banksy, Histoire d’ours, 2005, pochoir, Notting Hill, London.
265. Banksy, This is not a photo opportunity, pochoir, Sydney, Paris.
266. Banksy, I’m a celebrity get me out of here, 2003, Installation, Longleat Safari Park.
267. Banksy, Uniforme orange, 2006, Installation, Disneyland, Californie.
268. Banksy, chalk Farm, pochoir, Londres.
269. Dolk, Une fille s’extrait d’un costume de poupée, pochoir.
270. Dolk, Un gorille porte un costume, pochoir, Bergen.
271. Dolk, Le pape prend une pose de Marilyn, pochoir, Bergen.
272. Dolk, Burger King, 2006, pochoir.
273. Dolk, Sans titre, 2008, Cans Festivals, Londres.
274. Les affiches de Mai 68
275. Shepard Fairey, Disobey, 2003, autocollant, la 3rd Street, Quartier de Fairfax, Los
Angeles.
276. Shepard Fairey, Hope, 2008, l’affiche.
277. Get A Job et I Want You, 2012, l’affiche, Screen print sur papier, 61x45cm.
472
278. Shepard Fairey, We Are Human, 2010.
279. Banksy, Show me the Monete, 2005, l’image detournée de Claude Monet.
280. Banksy, Sun flowers, 2005, l’image detournée de Van Gogh.
281. Banksy, The bad artists imitate, the great artists steal, sculpture.
282. (282-1, 282-2, 282-3) Documentaire de King Hobbo va Banksy,
283. Mr. Brainwash, Auto-portraits, 2008, Screen print sur papier autocollant, Los Angeles.
284. Mr. Brainwash, Baiser de Madonna et Britney Spears, 2008, Screen print sur papier
autocollant, Los Angeles.
285. Mr. Brainwash, Baiser de Madonna et Britney Spears, 2008, corrigée Cans Festival,
Londres.
286. Banksy, The Mild Mild West, Bristol.
287. Banksy, Mur de Palestaine, 2007, pochoir.
288. Banksy, I can’t believe you Morons actually but this shit, 2006.
289. Banksy, L’exposion de Better out than in, 2013, New York.
290. Banksy, Monopoly, 2011, Installation, photo par Sophie Pinchetti, Londres.
473
Illustrations
Fig. 1. INSULA 1, salle de classe ( ?), Fig. 2. Graffiti d’un petit bonhomme,
L.15.5cm, H.15.6cm, Périgueux-LA DOMUS De Vesone,
Fin du 1 – début du IIe siècle ap. J.-C.,
er
L. 11.3xH.10.3,
Musée romain d’Avenches. avant le milieu du 1er siècle ap.J.C.,
La ville de périgueux.
Fig. 3. OCEANSVS. I. XIII V., C. I. L. IV, 8055a., Fig. 4. ARACINTVS L IIII, PISITIARIO,
Dans Pompéi : Casa dei Ceii ou Casa della Caccia C. I. L. IV, 8055b et c., Dans Pompéi :
Casa dei Ceii ou Casa della Caccia
474
Fig. 6. Vive La France, le 2 octobre 1943, Fig. 7. PEREGRINS VS,
sur le mur de la chapelle du Mont-Valérien, Portrait couronné en caricature,
Laissé par Abel Vacher. La planche XVI, n. 2.
Fig. 8. CAMPI VICTORIA VNA/ Fig. 9. Bouquet, A., Voulez-vous aller faire vos
CVM NVCERINIS PERISTIS, ordures plus loin, pôlissons !, Caricature,
la planche XXIX, n. 6. Paris, janvier 17, 1883, no.115, plate 238.
475
Fig. 11. Pablo Picasso, Croquis avec Pierrot figures, Fig. 12. Pablo Picasso, Caricature et Portraits :
1900, Encre, crayon de couleur sur papier, Guillaume Apollinaire, Paul fort, Jean Moréas,
22x31.8cm, Musée Picasso, Barcelone. Fernande Olivier, André Salmon, Henri Delormel,
1905, Encre, conté crayon et crayon de couleur sur
papier, 25.5x32.7cm, Musée Picasso, Paris.
Fig. 13. Jean Dubuffet, Mur aux inscriptions Fig. 14. Jean Dubuffet, L’hôtel du Cantal,
1945, Huile sur toile, 99.7x81cm, 1961-1962, 89x116cm, Huile sur toile,
The Museum of Modern Art, New York. George Centre Pompidou, Paris.
476
Fig. 16. Vittorio Matteo Corcos, Portrait de Yorik, Fig. 17. Grandville, Dessin autoportrait sur un
1889, Huile sur toile, 199x138cm, mur couvert de graffitis, 1844, Cent proverbs,
Musée civique Giovanni Fattori, Livorno. Paris : H. Fournier, p. 354.
Fig. 18. James Ensor, The Pisser, 1887, Gravure, Fig. 19. Charles-Joseph Traviès, « La poire
14.9x10.8cm, Collection privée, Brussels. est devenue populaire ! », Le Charivari,
28, avril, 1883.
477
Fig. 21. George Grosz, Republican Automatons, 1920,
Aquarelle sur papier, 60x47.3cm, Museum of Modern Art,
New York.
Fig. 22. René Magritte, Ellipse, 1948, Huile sur toile, Fig. 23. René Magritte, La Famine, 1948,
50.3x73cm, Musées royaux des Beaux-Arts de Huile sur toile, 46,5 x 55,5 cm, Musées royaux
Belgique, Brussels. des Beaux-Arts de Belgique, Brussels.
Fig. 24. Amand Gautier, Henri Rochefort dans Mazas Fig. 25. Guillaume Apollinaire, Prêtre gravant
Prison, 1871, Huile sur toile, 29x40cm, le mot « Jésus » sur le tronc d’un arbre,
Musée d’art et d’historie, Saint-Denis. 12 août 1895, Monaco, Vila Flore, pierre noire,
24x15cm, Collection particulière.
478
Fig. 26. Guillaume Apollinaire, L’horloge de demain, Fig. 27. Guillaume Apollinaire,
poème-tableau en couleur, dans la revue 391, Ah ! Dieu Que la guerre est jolie,
n.4, 15 mars 1917, 37x27cm, BHVP. la peinture à la boîte, 1915.
Fig. 28. Crédit est mort, D’après une estampe du Fig. 29. René Magritte, « L’Image et les mots »
dix-septième siècle, Champfleury, Révolution surréaliste, n°12, Décembre,
Histoire de l’imagerie populaire (1869), p.195. 1929.
479
Fig. 30. Ernest Pichio, La Veuve du fusillé, 1877, Fig. 31. Marchel Duchamp, LHOOQ, 1919, Stylo
148x113cm, peinture à l’huile sur toile, sur une reproduction, 19.7x12.4cm, Centre
Musée de l’histoire vivante de Montreuil, Montreuil. George Pompidou, Paris, Collection Privée.
Fig. 32. Asger Jorn, Droit de l’aigle, 1950, Fig. 33. Asger Jorn, Vision nocturne, 1956,
Huile sur toile, 122.5x124.0cm, Huile sur toile, 101.2x81.3cm,
Musée d’Aalborg, Danemark. Louisiana Museum of Modern Art. Danemark.
480
Fig. 34. Asger Jorn, La double face, 1960, Fig. 35. Asger Jorn, Grand baiser an cardinal,
Huile sur toile, 116.5x89.8cm, D’Amérique, 1962, Modification, Huile sur toile,
Louisiana Museum of Modern Art, Danemark. 92x73cm, Musée Jenisch Vevey, Suisse.
481
Fig. 37. Asger Jorn, Choux, 1951, modification, Fig. 38. Banksy, intervenant au Brooklyn
Museum,Huile sur toile, 201x117cm, Kunsthalle zu kiel. 2005, l’œuvre accrochée.
482
Fig. 41. Asger Jorn, Wakenupriseandprove, 1961,
Huile sur toile, 55x46cm, collection privée.
Fig. 42. Asger Jorn travaille sur « luxury painting », Fig. 43. Asger Jorn, Nothing Happens, 1962,
en 1961. Huile sur toile, 128.3x199.5cm,
Louisiana Museum of Modern Art, Danemark.
483
Fig. 44. Asger Jorn, Instructive extraction of a Fig. 45. Asger Jorn, L’Avant-garde ne se rend pas,
konstruktif destruction, 1966, Huile sut toile, 89x116cm, 1962, Huile sur toile, 73x60cm,
Louisiana Museum of Modern Art, Danemark. Collection Pierre et Micky Alechinksy.
Fig. 46. Marcel Ducamp, Apollinaire Enameled, Fig. 47. Marcel Duchamp, Pharmacie, 1914,
1916-1917, readymade, Crayon et peinture sur carton Rouen, readymade, 26.2 X 19.3cm,
Philadelphia Museum of Art, New York, Collection Arakawa, New York.
Collection de Louise et Walter Arensberg.
484
Fig. 48. Heartfield, War, 1933. Fig. 49. Asger Jorn et Guy Debord, Memoires,
Une peinture par franz V. Strick et mis à jour : Structures portantes d’Asger Jorn (1952),
par John Heartfield, Collection de Franz v. Stuck. Paris : J-J. Pauvert arx Belles Lettres, 1993.
Fig. 51. Asger Jorn et Christian Dotremont, ça diapre, Fig. 52. Christian Dotremont, Dépassons l’anti-art,
1963. Dessin-mot, Encre de Chine sur papier. 1974, Logogramme, Encre de Chine, 27x20cm.
485
Fig. 53. Asger Jorn, Stalingrad, stedet som ikke er eller Fig. 54. L’église de Tilleul-Dame-Agnes,
modets gale letter(Stalingrad, no man’s Land or the photographie par Gérard Franceschi, sous
Mad Laughter of Courage) 1957-1972, Huile sur toile, la direction d’Asger Jorn, Signes gravés sur
296x492cm, Silkeborg Kunstmuseum. les églises de l’Eure et du Calvados, 1968.
Fig. 56. Pablo Picasso, Le Rêve, 1908, papier collé : Fig. 57. Kurt Schwitters, Un titled (For Käte),
Réutilisation d’un carton brun portant l’étiquette 1947, collage, 10x13cm, collection privée.
Des grands Magasins du Louvre.
486
Fig. 58. Hannah Höch, On With The Party, 1965, Fig. 59. Jacques de Villeglé, Paix en Algérie,
photomontage, 1965, 107.16 x 133.4 in, 1956, Paris.
Institut für Auslandsbeziehungen, Stuttgart.
Fig. 60. Mimmo Rotella, Marilyn, 1962, Fig. 61. Mimmo Rotella, Moana la scandalosa,
décollage, Opera Gallery, Genève. 2002, décollage, Opera Gallery, Genève.
487
Fig. 62. Mimmo Rotella, Operation Sade, 1966, Fig. 63. Mimmo Rotella, La Dolce Vita, 1967,
Report photographique, 91.44x91.44cm, Décollage, 160x133cm,
Milan, Collection particuliere. Collection particulière.
Fig. 64. Mimmo Rotella, Red Blank, 1980, Fig. 65. Mimmo Rotella, Virus, 1987,
Poster et blank monochrome, 150x110cm, sur peinture sur décollage sur toile,
Collection particulière. 100x150cm, Galevia Marconi, Milan.
488
Fig. 66. Mimmo Rotella, Happy end, 1993, Fig. 67. Jacques de la Villeglé, Ach Alma Manétro,
Décollage et peinture, 178x257cm, 1949, l’affiche lacérée, 58x256cm, Musée National
Collection particulière. d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.
Fig. 68. Jacques de la Villeglé, Algérie-Négociation, Fig. 69. Jacques de la Villeglé, La Chienlit rue
13 mai 1961, l’affiche lacérée, 47x55.5x2cm. de Sévigné, 17 mai 1968, l’affiche lacérée,
84x89cm.
489
Fig. 70. Jacques de la Villeglé, 223, rue du Fig. 71. Jacques de la Villeglé, Gare Montparnasse
Temple-La parole est à vous, 20 novembre, 1968, – Rue du Départ, 12 juillet, 1968,
l’affiche lacérée, 100x73cm. l’affiche lacérée.
Fig. 72. Jacques de la Villeglé, L’anonyme du Fig. 73. Jacques de la Villeglé, La rue du
Dripping, 13, avril, 1967, l’affiche lacérée, 200x320cm, Faubourg du Temple, 24, septembre, 1978,
Museum Hedendaagse Kuns, Gent, Belgique. L’affiche lacérée, 85x39cm.
490
Fig. 74. Jacques de la Villeglé, La rue de Thorigny, Fig. 75. Jacques de la Villeglé, Rue du Temple vietnamien,
10, Juin, 1969, l’affiche lacérée, 105.5x114.5cm. 24 juin, 1967, l’affiche lacérée, 76x287cm.
Fig. 76. Jacques de la Villeglé, Les onze o, Fig. 77. Sine, Debout les damnés de Nanterre ! ,
Première étude, dans série de L’Alphabet 1968.
socio-politique, 1995.
491
Fig. 79. L’atelier de l’école des Beaux-Art, Fig. 80. Karl Appel, sans-titre, 1968,
La chienlit c’est lui, 1968, l’affiche imprimée en lithographie,
L’affiche de la sérigraphie. 54x70cm, par Adrien Maeght, Paris.
Fig. 81. Asger Jorn, L’imagination au pouvoir, Fig. 82. Les slogans du mouvement de 68,
1968, quatre affiches. cité par Walter Lewino, L’imagination au pouvoir,
Le terrain Vague, 1968, Photographies de JO SCHNAPP.
492
Fig. 83. Guy Debord, Ne travaillez jamais, Inscrit au Fig. 84. Gérard Fromanger, Souffles de mai, 1968,
mur de la rue de Seine, au début de l’année 1953. Installation de place blanche, Paris.
Fig. 85. Richard Serra, Berlin Function, avec Fig. 86. Taki 183 dans l’article de New York
l’inscription à aérosol : « 560, 000 [DM] this shit », Times, 21, juillet, 1971.
1988, Brandenburg Gate, Berlin.
Fig. 87. Demer, Col et Kasso, New Jersey, Graff, Fig. 88. Lemy Macurr (Futura 2000), Main Lines:
2010, É tats-Unis, Courtesy de Demer. N.1 et N.3, au début des années 70, Avec writing Groups
: SA, 3YB, CVA, Manhattan, New York.
493
Fig. 89. Lee George Quinones, Lion’s Den, 1980, Fig. 90. Lee George Quinones, Society’s Child,
Lower East Side, New York. 1983, Bombe à aérosol sur toile, 144x120cm,
Collection Groninger Museum, Groningen, Netherlands.
Fig. 91. Lady Pink et Jenny Holzer, Honey Tell Me, Fig. 92. Lemy Macurr (Futura 2000), Word tour
1983, Bombe à aérosol sur toile, 89x89cm, action, 1984, Bombe à aérosol sur toile, 54x96cm.
Collection privée. Collection privée.
Fig. 93. Keith Haring, subway drawings, 1983, Fig. 94. Keith Haring, Animation, 1982,
metro de New York, É tats-Unis, Panneau lumineux, exposition de Times Square,
Courtesy de Laura Levine/Corbis New York.
494
Fig. 95. Keith Haring, Free South Africa, 1985, Fig. 96. Keith Haring, Pop Shop, 1988, Tokyo,
l’affiche, New York. Photographie par Tseng Kwong Chi,
Keith Haring Fondation.
Fig. 97. Keith Haring, Le mur de Berlin, 1986, Fig. 98. Jean-Michel Basquiat, Tag de Samo,
Photographie par Tseng Kwong Chi, Vers 1981, New York.
Keith Haring Fondation.
495
Fig. 99. Jean-Michel Basquiat, Mona Lisa, 1983, Fig. 100. Richard Hambleton, série de Mass
Acrylique crayon gras et papier collé sur toile, Murder, du 1976 au 1978 au 15 villes,
109.5x154.5cm, Courtesy de José Nesa, Genève. Courtesy de l’artiste.
Fig. 101. Richard Hambleton, Shadow man, Fig. 102. Richard Hambleton, Marlboro Man.
1982, dessin à bombe aérosol.
496
Fig. 103. Richard Hambleton, Ambert, 2006, Fig. 104. Installation d’exposition de Beautiful painting,
Vernis, email coloré et feuille d’argent sur bois, du 15 septembre au 3 novembre 2007,
48.3x55.9cm, Woodward Gallery, New York. Woodward Gallery, New York.
Fig. 105. Jean-Michel Basquiat, « Samo is dead ». Fig. 106. Jean-Michel Basquiat, Sans titre, 1983,
Acrylique et crayon gras sur toile, triptyque,
244x184cm, collection particulière, New York.
497
Fig. 108. Gérard Zlotykamien, éphémère, 2009, Fig. 109. Gerard Zlotykamien, éphémères, 2010,
Dessin à la bombe aérosol, Paris, l’exposition Vive l’art Urbain, du 10 septembre
Courtesy de Thiery Lefébure. au 16 octobre, 2010, Paris.
Fig. 110. Ernest Pignon-Ernest, La Commune, Fig. 111. Ernest Pignon-Ernest, Les agressions,
1971, images en sérigraphie, aux escaliers Sacré-Coeur. 1976, Grenoble, L’affiche collée.
Fig. 112. Ernest Pignon-Ernest, Apartheid : Fig. 113. Ernest Pignon-Ernest, Immigrés,
Le jumelage du cap avec la ville de Nice, 1974 1976, L’affiche collée, Avignon.
L’affiche collée, Nice.
498
Fig. 114. Ernest Pignon-Ernest, Les expulsés, Fig. 115. Ernest Pignon-Ernest, Extases, 2008,
1979, L’affiche collée, Paris. la Chapelle Saint-Charles, Avignon.
Fig. 116. Ernest Pignon-Ernest, Malheur de femme Fig. 117. Ernest Pignon-Ernest, Une Piéta, 2002,
sur l’avortement, 1975, L’affiche collée, Avignon. Affiche collée, Soweto, Sud-Africaine.
Fig. 118. Ernest Pignon-Ernest, Cadres et Cadrages, Fig. 119. Ernest Pignon-Ernest, Le série de
2004, Nice, Photo par Site d’Ernest Pignon-Ernest. Soupirail, 1957-1999, l’affiche collée,
Photo par Site d’Ernest Pignon-Ernest.
499
Fig. 120. Ernest Pignon-Ernest, Cabines téléphoniques, Fig. 121. JR et Ernest Pignon-Ernest : L’art au bout
1996, Photographie par Ernest Pignon-Ernest. de la rue, 2013, Paris-Match,
photographie par Manuel Logos cid.
Fig. 122. Daniel Baugeste, Détournement des affiches Fig. 123. Daniel Baugeste, Grande Muraille de
4x3, 1982, Paris. Chine, Intervention en public, 1985.
Fig. 124. Vive La Peinture, sans titre, Palissade, Fig. 125. Vive La Peinture, Zuman, l’exposition
rue Saint-Merri, Paris4e, La peinture murale, 1987. Vive l’art Urbain, du 10 septembre au,
16 octobre, 2010, Paris.
500
Fig. 126. Blek le Roc, La couverture de Fig. 127. Blek le Rat, Autoportrait, 1981, Pochoir,
Bande dessinée, Juillet, 1989. Mensuel. Paris. Courtesy de l’artiste.
Fig. 128. Blek le Rat, Rats, 1981, Pochoir, Paris, Fig. 129. Blek le Rat, homme qui court, 1984,
Courtesy de l’artiste. Pochoir, Paris.
Fig. 130. Blek le Rat, Vieil homme, 1983-1985, Fig. 131. Blek le Rat, Femme du Bangladesh,
Pochoir, Marseille. 1984, Pochoir, Paris.
501
132. Blek le Rat, Mendiant, 2005, Fig. 133. Blek le Rat, L’homme à la tête
L’affiche collee, Paris 11 .
e
d’ordinateurs, 2007, l’affiche collée,
Londres.
Fig. 134. Miss Tic, Nous resterons amis chemin, Fig. 135. Miss Tic, J’enfile L’art mur Pour
e
2006, pochoir, Paris 13 , photographie Miss. Tic. bombarder des mots cœurs, 1985,
Encre aérosol sur toile, 82x78cm.
Fig. 136. Miss Tic, Je t’ai fait marcher, je t’ai Fig. 137. Miss Tic, Autoportrait, 1990, pochoir,
fait courir, je te ferai tomber, 1998, pochoir, rue de l’Oise, Paris, 30, photographie par Raoul.
Paris, Courtesy de Gérard Laurent.
502
Fig. 138. Miss Tic, J’aime l’inconnu et les Fig. 139. Miss Tic, J’enfile l’art mur pour bombarder
inconnus, 2003, encre aérosol sur toile, des mots cœurs, 1985, Paris 11e, photographie
50x50cm, Galerie Au-dessous du Volcan, Paris. par Isabelle Gabrielli.
Fig. 140. Miss Tic, Toi en moi, 1986, Paris 11e, Fig. 141. Miss tic et Jean Faucheur, 2007, Encre
Photographié par Gérard Lavalette. aérosol sur bois, 130x50cm, exposition Toi et moi,
Galerie Chappe, Paris, photographie par Christophe Genin.
503
Fig. 142. Miss Tic, Je ferai jolie sur les trottoirs Fig. 143. Miss Tic, Je ferai jolie sur les trottoirs de
de l’histoire de l’art, 1985, affiches lacérées l’histoire de l’art, 1995, affiches lacérées sur toile
e
sur toile, 100x81cm, Paris 4 , 100x81cm, Paris 13e, photographie par Gérard
Photographie par Christophe Genin. Lavalette.
Fig. 145. Miss Tic, Eros, érosion, texte au pochoir Fig. 146. Miss Tic, Il était une foi la vierge en sainte,
et prises électriques, 2007, Galerie, Paris, 18 , e
2000, d’après Raphael, de la série Muses et
photographie Christophe Genin. Homme, Paris 20e, Photographie par Miss. Tic.
504
Fig. 147. Miss Tic, Femmes passives, femmes faciles, Fig. 148. Jean-Auguste Dominique Ingres,
2000, Paris 20e, photographie par Philippe Zénatti. La Baigneuse, 1808, Huile sur toile,
l.460 x 0.975m, Musée du Louvre, Paris.
Fig. 149. Miss Tic, série de Miss. Tic Présidente, Fig. 150. Miss Tic, Le pouvoir ne protège pas,
2007, sur papier Arches, 50x65cm. il se protège, 2004, l’affiche collée.
Fig. 151. Jef Aérosol, Autoportrait, 1986, Fig. 152. Jef Aérosol, CHUUUTTT!!!, 2011,
Pochoir, rue Pierre-Budin Paris. Beaubourg, Paris.
505
Fig. 153. Jef Aérosol, Sitting Kid, 2009, Fig. 154. Jérôme Mesnager, Sans titre,
Pochoir, Muraille de Chine. 1995, Ménilmontant, Paris 20e.
Fig. 155. Jérôme Mesnager, Sans titre, 2005, pochoir, Fig. 156. Miss Tic, Nemo, Jef Aérosol, Sans titre,
e
rue de Ménilmontant, Paris 20 . 1998, Lézarde de la Bièvre, Paris.
Fig. 157. Nemo, Sans titre, 2009, Pochoir, Fig. 158. Miss Tic, Nemo, Jef Aérosol, Sans titre,
Ménilmontant, Paris20e. Pochoir, rue du Retrait, Paris 20e.
506
Fig. 159. Miss Tic, Après des histoires à dormir debout, Fig. 160. Miss Tic, Léo Ferré et Pépée, 2007,
des histoires à coucher dehors, 2007, Réunions de Peinture Murale, exécutée par Christophe Gabriel,
Chantier, Photographie par Miss. Tic, Lyon. Orly, Résidence Universitaire,
Photographie par Corinne Guidal.
Fig. 161. Détail de l’exposition de tag, du 27 mars Fig. 162. Détail de l’exposition de Né dans la rue-
au 26 avril, 2009, Grand Palais, Paris. Graffiti, du juillet 2009 au 10 janvier 2010,
La Fondation Cartier pour l’Art Contemporain,
Paris.
507
Fig. 163. Détail de l’exposition de Street Art, Fig. 164, Détail de l’exposition de Can Festivals,
du mars au 25 août 2008, Musée de Tate Modern, 05 mars, 2008, Londres.
Londres.
Fig. 165. Jenny Holzer, « Vous êtes passé présent Fig. 166. Jenny Holzer, « gardez-moi de mes désirs »,
et futur », 1996-2011, série de Projections, slogans, installation sur Times Square,
Paris. New York.
Fig. 167. Guerrilla Girls, Les femmes doivent-elles être Fig. 168. Barbar Kruger, Sans titre
nues pour entrer dans les musées des É tats-Unis ?, (We don’t need another hero), 1985, affiche,
2007, Affiche, New York.
508
Fig. 169. Barbar Kruger, Sans titre (I shop Fig. 170. Barbar Kruger, Sans titre (Surveillance
therefore I am), 1987, l’affiche. is your busywork), 1983, l’affiche.
Fig. 171. Le Cup Up collective, Sans Titre, 2008, Fig. 172. Poster Boy, sans titre,
affiche de panneau publicitaire découpée et réorganisée, photographie par Jaime Rojo.
Galerie Seventeen, Shoreditch, Londres.
Fig. 173. Scandal, 2002, Paris. Fig. 174. Tom Tom, détournement de l’affiche,
Festivals du M.U.R. DE L’ART, du 28 octobre
au 01 novembre, l’espace d’Animation des
Blancs Manteaux, 2010.
509
Fig. 175. Dans Witz, sans titre, série de Skate Fig. 176. Dans Witz, Sans titre, série d’Ugly new building,
boarders Are Graffiti, 2005, New York, É tats-Unis. 2008, New York, É tats-Unis, Courteys de l’artiste.
Fig. 177. Shepard Fairey, série d’Obey the Fig. 178. Shepard Fairey, Warning: Surveillance,
Giant, de 1989 à 1996, autocollant, New York. 2000, screen print, 60.96x45.72cm, autocollant.
Fig. 179. Shepard Fairey, Hug Bomb and Fig. 180. Shepard Fairey, More Militerry Less
Drop Babies, 2004, screen print. Skools, 2012, 46x61cm, screen print.
510
Fig. 181. Shepard Fairey, Make Art Not War, Fig. 182. James Cauty, Dead Dad, autocollant,
2000, screen print Londres.
Fig. 183. Buff Monster, Sans titre, 2010, autocollant, Fig. 184. D* Face, Elisabeth II, 2006, autocollant
Los Angeles, É tats-Unis. Le mur de l’East London.
Fig. 185. D* Face, D* Dog, 2010, autocollant. Fig. 186. Swoon, Potrait of Silvia Elena, 2008,
San Francisco, É tats-Unis.
511
Fig. 187. Swoon, The Swimming Cities of Serenissima, Fig. 188. Alexandre Farto alias Vhils (Vhils),
2009, Mer Adriatique, Biennale de Vénice, Scratching the Surface, 2008, gravure,
Courtesy de Tod Seelie. Londres.
Fig. 189. Bäst, sans titre, 2007, autocollant, Brooklyn. Fig. 190. Bäst, sans titre, 2011,autocollant,
New York.
Fig. 191. Judithe Supine, sans titre, 2007, Fig. 192. Judithe Supine, Sans titre, 2008,
Manhattan Bridge. série de collages, en haut d’un mur sur Old Street,
Londres.
512
Fig. 193. André Saraiva, Monsieur A, 2005, Fig. 194. André Saraiva, série de Love Graffiti,
mur de Clerkenwell Road, Londres. de 2000 à 2010, Paris.
Fig. 195. André, Tête de Mr. A, 2008, Harajuku en Fig. 196. Thomas Ville, Monsieur Chat Géant, 2004
compagnie d’un vieux Space Invader de 2001. 50mx25m, une place devant le Centre Pompidou,
Paris.
Fig. 197. Ben EINE, Selle the House, The Kids, Fig. 198. Atlas (Jules Dedet Granel), Time is Art,
The Wife, It’s Bonus Time, 2010, Londres, 2008, aérosol sur metal, Esplanade du Centre
Royaume-Uni. Georges Pompidou, Paris.
513
Fig. 199. L’Atlas (Jules Dedet Granel), I am here, Fig. 200. L’Atlas (Jules Dedet Granel), Seven
Paris. daughters, Moscow.
Fig. 201. L’Atlas (Jules Dedet Granel), Under control, Fig. 202. Otavio et Gustavo Pandolfo (OS Gêmeos),
Paris. Os Joven não são mais Jovens (Les jeunes ne
sont plus jeunes).
Fig. 203. Otavio et Gustavo Pandolfo (OS Gêmeos), Fig. 204. Vanessa Alice Bensimon (Miss Van),
Sans titre, 2008, Murale Tate Modern, Londres. Sans titre, 2006, Barcelone.
514
Fig. 205. Ericailcane, Il funerale del Gallo, Fig. 206. Labrona, Street Hugs, 2010, Montreal,
2009, Fume Festival, Grottaglie, Italie. Canada.
Fig. 208. Christian Cuémy (C215), Potrait Fig. 209. Roadsworth, Male Plug, 2007,
de mineur, 2008, Cans Festival, Londres. Baie-Saint-Paul, Canada.
515
Fig. 210. Boa Mistura, BELEZA, 2012, Fig. 211. Ernest Pignon-Ernest, arbrorigènes,
avec les enfants du quartier au São Paulo. 1984, Installation, Jardin des Plantes, Paris.
Fig. 212. Mark Jenkins, série de Stoker Project, Fig. 213. Mark Jenkins, Tudela, 2010,
2005, Philadelphia. Espagne.
Fig. 214. Slinkachu, Little people in the City, Fig. 215. Shimon Attie (Cédric Bernadotte), The Writing
2012, Technique mixte, VDNKH ares, on the Wall, 1991-1993, Berlin.
Moscou, Russie.
516
Fig. 216. Shimon Attie (Cédric Bernadotte), Fig. 217. Cédric Bernadotte, anonymixte, 1999,
Hiding Places, Berlin. Montpellier.
Fig. 218. Invader, space invader, Hollywood, Fig. 219. Invader, Bad Men II, 2007, Rubik Cube,
Los Angeles. Galerie Joellenbeck-Michael Nickel, Cologne.
Fig. 220. Zevs, Public Bench, série de Electric Shadows, Fig. 221. Zevs, Visual Attacks, 2001, Paris.
2000, Paris.
517
Fig. 222. Zevs, Nike Liguidated Logo, 2005, Fig. 223. Zevs, La Grande Odalisque orangée, 2012,
Berlin, Allemagne. Peinture à l’huile et liquide sur toile, 182.5x326.5cm.
Fig. 224. JR, portrait of a génération dans série de Fig. 225. JR, série de Woman are Heroes, 2008,
28 millimètres, 2004, avec Ladj Ly, Montfermeil. Nairobi, Kenya.
Fig. 226. JR, série de Face 2 Face, 2007, frontière Fig. 227. JR, série d’Inside Out, 2010, Paris.
cisjordanienne.
518
Fig. 228. Rero, J’aurais préfère un mur Blanc…, Fig. 229. Rero, ERROR 404, 2010, Essonne.
2008, rue Oherkampf an niveau de la rue,
Saint-Manr, Paris, Le M.U.R.
Fig. 230. Rero, Not Found, 2011, Allemagne. Fig. 231. Rero, DEGAGE, 2011, Paris.
Fig. 232. Ben (Benjamin Vautier), Art est un Fig. 233. Dran, Virus, 2010, peinture aérosol et
mot écrit, Photo par site de ben-Vautier.com acrylique sur toile, 80x66cm, Collection privée.
519
Fig. 234. Dran, Frais de livraison gratuits, 2009, Fig. 235. Blu, Sans titre, 2008, Grand peinture
crayon et pierre noire sur carton ondulé, murale, Old Street, Londres.
26x24cm.
Fig. 236. Blu, Evolution of Man, 2007, Londres. Fig. 237. Blu et JR, Reclaim Your city, 2007,
Kreuzberg, Berlin.
Fig. 238. Herakut (Hera et Akut), They hate Fig. 239. Herakut (Hera et Akut), Art Doesn’t Help
Me just Because I’m Golden, 2000, People, 2009, Lunebourg, Allemagne.
520
Fig. 240. Ron English, Sans titre, 2012, Los Angeles, Fig. 241. Ron English, Sans titre, 2012, Brooklyn,
Courtesy de wessame Benahcene. Courtesy de Jaime Rojo.
Fig. 242. Saner, Sans titre, 2013, Mexico, Fig. 243. Escif, Street art vs Capitalisme, 2012,
Courtesy de galerie Fifty 24 MX . Grottalie, Italie.
Fig. 244. Banksy, This wall is a designated Fig. 245. Banksy, Graffiti removal hotline: 080034597,
graffiti. 2006, Pentonville Rd, Londres.
521
Fig. 246. Banksy, Because I’m worthless, 2005, Fig. 247. Banksy, It’s not a race, vers 2005,
Londres. Londres.
Fig. 248. Banksy, Rat portant un appareil photo, Fig. 249. Banksy, Space Girl and Bird, 2004,
2005, The ritz, Picadilly. spray paint on steel, Deptford, London.
Fig. 250. Banksy, Think Tanki, 2003, Fig. 251. René Magritte, Amants, 1928,
la pochette du disque de Blur. Huile sur toile, 54x73cm, MoMa de New York,
la collection richard S. Zeisler.
522
Fig. 252. Banksy, Les policiers, 2003, Fig. 253. Banksy, One Nation Unter CCTV,
shoreditch, Londres. 2008, Londres.
Fig. 254. Banksy, What are you looking at?, 2004 Fig. 255. Banksy, Mona Lisa with a rocket
Marble Arch, Londres. launcher, 2001, Soho.
Fig. 256. Banksy, flying Copper, 2003, sérigraphie, Fig. 257. Banksy, Have a nice day, 2003.
102x68cm, Vienna, Collection Butterfly.
523
Fig. 258. Banksy, Ends Today, 2006, Huile Fig. 259. Banksy, Napalm, 1994.
sur papier, 84x168 in, London.
Fig. 260. Banksy, La champagne de Greenpeace, Fig. 261. Banksy, Piquenique en Afrique, 2006.
l’affiche de Greenpeace contre la déforestation. Courtesy de l’artiste.
Fig. 262. Banksy, You have got to be kidding me, Fig. 263. Banksy, Love poème, 2004, l’affiche
2006. collée, Soho, London.
524
Fig. 264. Banksy, Histoire d’ours, 2005, Pochoir, Fig. 265. Banksy, This is not a photo opportunity,
Notting Hill, London. Pochoir, Sydney, Paris, Cheddar.
Fig. 266. Banksy, I’m a celebrity get me out Fig. 267. Banksy, Uniforme orange, 2006,
of here, 2003, Longleat Safari Park. Installation, Disneyland, Californie.
Fig. 268. Banksy, chalk Farm, Londres. Fig. 269. Dolk, Une fille s’extrait d’un costume
de poupée, Pochoir, Bergen.
525
Fig. 270. Dolk, Un gorille porte un costume, Fig. 271. Le pape prend une pose de Marilyn,
Pochoir, Bergen. Pochoir, Bergen.
Fig. 272. Dolk, Burger King, 2006. Fig. 273. Dolk, Cans Festival, 2008, Londres.
Fig. 274. Affiche de Mai 68. Fig. 275. Shepard Fairey, Disobey, 2003, stiker,
la 3rd Street, Quartier de Fairfax, Los Angeles.
526
Fig. 276. Shepard Fairey, Hope, affiche. Fig. 277. Shepard Fairey, Get A Job et I Want You, 2012,
l’affiche, Screen print on paper, 61x45cm.
Fig. 278. Shepard Fairey, We Are Human, 2010. Fig. 279. Banksy, Show me the Monet, 2005,
image detournée de Claude Monet.
527
Fig. 281. Banksy, The bad artists imitate, the Fig. 282-1. Documentaire de King Hobbo va Banksy
great artists steal, sculpture, Courtesy de l’artiste
528
Fig. 284. Mr. Brainwash, Baiser de Madonna Fig. 285. Mr. Brainwash, Baiser de Madonna et
et Britney Spears, 2008, Los Angeles, Britney Spears, 2008, corrigée Cans Festival,
Londres.
Fig. 286. Banksy, The Mild Mild West, Londres. Fig. 287. Banksy, Mur de Palestine, 2007.
Fig. 288. Banksy, I can’t believe you Morons Fig. 289. Banksy, L’exposion de Better out than in,
actually but this shit, 2006. 2013, New York.
529
Fig. 290. Banksy, L’exposition de Monopoly,
2011, Installation, photo par Sophie
Pinchetti, Londres.
530
ABSTRACT
Many plastic works were born from a theory and practice influenced by political and social
issues. Apart from differences in the methods used, they are united by a spirit of rebellion and
contestation. To varying degrees, we will show that they tend to show a political and social
activism in line with the European ideological context. We examined the relationship between
art and popular culture, street art and socio-critical phenomenon of this period. Our hypothesis
is that this relationship can be defined by the concept of street art, understood as an artistic
practice whose connotations are both aesthetic and social a critique and order. It is on the
basis of this hypothesis that we questioned the social content / critique of street art and its
relationship with the socio-critical sphere which is a representation of the contemporary era.
New methodologies of art history emerged at this time, collectively known as the New Art
History, allowing us to analyze and criticize the political, historical and social influence of the
image as they reflect the theoretical and practical scope of our study. Among the issues
developed here as well as the methodology used by some previous works, we mention in
particular: Aesthetic Theory by Theodor Adorno, which made possible a reflection on the
essential in the work of art street artists, because this artistic movement is still problematic, its
work presenting no political content, or no social perspective, and a return to the commercial
institutionalization: “Modernism and Mass Culture in the Visual Arts” by Thomas Crow
which mentions the role of the avant-garde art by reinterpreting the theory of Adorno; The
Anti-Aesthetic: Essays on Postmodern Culture and Recodings: Art, Spectacle, Cultural
Politics by Hal Poster, criticizing graffiti artists of the 1980s whose purpose is only success
and sales, and seeking to the explore hidden relations and interactions between this art and
socio-politics. To resolve these questions, we try to analyze the activity of street artists and
know the aesthetic debates in contemporary art.
The subject is organized upon three axes and four main parts. Our first intention was to
show, through the graffiti testimony that the modern artists discovered the artistic value of
531
graffiti and some anonymous registrant walls with intellectual expression. The discovery of
this spirit of resistance by the French literary and modern artists offers the opportunity to
study graffiti in the preexisting arts, which is our first part.
Then, we present the works of Asger Jorn, Jacques de la Villeglé, Mimmo Rotella, the
activity of IS and of anonymous in the 60s. These activities are an evaluation of the everyday
world, its values and ideologies underpinning it with interest in popular culture. We want to
show the close relationship between their activities, especially in regards with the functions of
social, political or ideological critique visual representations. This part concerns the prospect
of popular culture, critical look at the age and plastics criteria that have had an influence on
the street artists in France.
Finally, the third and fourth parts deepen the street art movement that became the graffiti
art in the history of contemporary art. We study the quarrels offered by the social function of
works of art, the ethical problem of the artist’s work social function, role, and real artistic
value in the industrial culture and commercial art, unrolling a panorama of street artists
activities.
The two axes of “the artistic value” and “rebellious act”, dealing with contemporary art and
its relationship with its critical vision of modernity, those are the foundation of the street art
movement, which activist and rebel practice, as an art, and a critical approach towards the art
world or our society are essential to its survival as it is. This subject will therefore give us the
opportunity to question the true art in our society, a consumer society. Any image that is
concerned with the meaning of the pictorial discourse is contentious and feeds on cultural and
political antagonisms.
Key Words: graffiti, street art, artistic practice, ideology, representation, contestation
532
TABLE DES MATIERES
Volume 1
AVANT-PROPOS ............................................................................................... 1
INTRODUCTION......................................................................................................... 5
Définition .............................................................................................................................................8
Historiographie ...................................................................................................................................16
Problématique et approche méthodologique ......................................................................................19
Perspectives ........................................................................................................................................29
Première partie
Des sources du graffiti à un nouveau genre artistique : réflexions sur les
limites de l’image ........................................................................................ 31
533
Deuxième partie
Paradoxe du vandalisme : l’art et les images de la société
de consommation ............................................................................................. 107
2. Art et Pop : Les stratégies visant à critiquer notre société de consommation .............. 156
2.1. L’utilisation stratégique du collage ..................................................................................161
2.2. L’image pop de Mimmo Rotella dans l’affiche publicitaire ............................................171
2.3. Les œuvres de Jacques Maché de la Villeglé et ses graffitis ............................................177
2.3.1. L’affiche lacérée : l’acte rebelle du public ................................................................180
2.3.2. Le graffiti dans l’affiche lacérée et l’alphabet socio-politique .................................184
534
Volume 2
Troisième partie
L’image pratique dans l’espace l’idéologique : l’expression libre de toutes les
idées ............................................................................................................. 214
Quatrième partie
Le mouvement international du street art : des activités progressistes et
rebelles ....................................................................................................... 328
1. Nouvelle vague internationale dans le street art des années 2000 à aujourd’hui .......... 335
1.1. Un panorama du mouvement du street art ........................................................................337
1.2. Les artistes du post-graffiti : l’action politique et la résistance artistique .......................360
535
2. L’institutionnalisation artistique du street art ................................................................. 380
2.1. L’activité de Banksy ........................................................................................................383
2.1.1. La classification de ses activités ...............................................................................384
2.1.2. La parodie par l’image détournée ou vandalisée ......................................................390
2-2. L’exposition, festival ou projet de street art ...................................................................394
536