Schleiermacher - L'abrégé de 1819
Schleiermacher - L'abrégé de 1819
Schleiermacher - L'abrégé de 1819
L'ABRÉGÉ
DE L'HERMÉNEUTIQUE
DE 1819
AVEC LES NOTES DE 1828
[1] HERMÉNEUTIQUE
•. 1828.
1. [Traiter] l'herméneutique: et la critique l'une après l'autre, car elles sont apparen-
tées en ce sens que la pratique de l'une 5uppose celle de l'autre c:t réciproquement.
Dans chacune, [traiter] du rapport à l'auteur selon un rapport général et scion un
rapport multiple.
Il est juste de placer l'herméneutique en premier lieu parce qu'elle es1 nécessaire même
là où il n"y a presque pas de critique, [et) surtout parce que la pratique de la critique
doit connaitre un terme, mais non celle de l'herméneutique.
La tâche herméneutique revient toujours. Mais son état [actuel) est encore celui que
je présente dans ma proposition 1.
2. Une herméneutique spéciale selon son genre ou sa langue n'est jamais qu'un sim-
ple agrégat d'observations et ne satisfait à aucune exigence scientifique. Pratiquer tout
d'abord la compréhension sans réfléchir [aux règles} et ne faire a;>pcl à des règles que
dans des cas singuliers est aussi un procédé irrégulier. Quand on ne peut abandonner
aucun de ces deux points de vue, on doit les relier. On y est contraint par une double
expérience : 1.) Même là où nous croyons pouvoir proc:~cr sans aucun art, des diffi·
cuités inattendues surgissent souvent : ce qui doh permettre de les résoudre se trouve
certainement dans ce qui [les) précède:. Nous sommes donc partou1 invités à (repérer
et à] prendre soin de cc qui permettra de résoudre les difficultés. 2.) Même lorsque
nous procédons partout avec art, nous finissons bien par en arriver à une applic:alion
inconsciente des règles sans que nous ayons pour autant cessé de procéder avec art.
67. Schlcicrmacher fait .ici référence à Friederich AST, Grundlinien der Grammalik,
Hermeneulik und Krilik, Landshut, 1808, et à Friedrich Augu.:;t WOl.F, "Darstellung
der Altcrtumswissenschaft nach Begriff, Umfang, Zweck und Wert" in Museum der
Aflertumswissenschaft, éd. F.A .. Wolf cr Ph. Butlmann, t. I, Berlin, 1807, p. Jss.
114 HERMÉNEUTIQUE
discours ; [et œ parce que] toute pensée qui[, à chaque fois,] est au fon-
dement du discours doit parvenir à la con"science.
3. Pour ce qui est de la dépendance [de la rhétorique et de l'hermé-
neutique par rapport à la dialectique], elle consiste dans le fait que tout
devenir du savoir dépend des deux [,discourir et comprendreJ.
5. De même que tout discours entretient une double relation avec
la totalité de la langue et avec la totalité de la pensée de son auteur,
de même tout acte de comprendre comporte deux moments :
comprendre le discours comme. un [élément] extrait de la langue et
le comprendre comme une réalité produite dans le sujet pensant •.
l. Tout discours présuppose une langue donnée. Certes, on peut éga-
lement inverser cette proposition, et ce non seulement pour Je discours
absolument premier, mais encore pour tout le développement [des dis-
cours qui suivirent], parce que !a langue ne devient [langue! que par le
fait de discourir : cependant, la communication présuppc>sc en tout cas
la communauté de la langue, et par conséquent une certaine connais-
sance de .cette langue. Lorsque quelque chose se glisse entre le discours
immédiat et la communication et que l'art du discours commence, alors
cela repose en partie sur la crainte qu'il y ait, dans notre usage de la
langue, quelque chose d'étranger peur l'auditeur.
2. Tout discours repose sur une pensée antérieure. On peut également
inverser cette proposition mais, en cc qui concerne la communication,
cela reste vrai car l'art de comprendre ne commence qu'en présence d'une
pensée élaborée.
3. Par conséquent tout homme est d'un côté un lieu dans lequel une
[31 langue donnée prend une forme qui lui est partic_ulière, et son discours
ne peut être compris qu'à partir de la totalité de la langue. Mais, [d'un
autre côté,} il est aussi un esprit en développement constant, et son dis-
cours n'est qu'une des réalités produites par cet esprit, en liaison a'Yec
toutes les autres.
6. L'acte de comprendre n'existe que dans l'imbrication de ces deux
moments.
1. Même en tant que réalité produite par l'esprit, le discours n'est pas
compris s'il n'est pas compris dans son rapport à la langue, parce que
le fait de tenir la langue de naissance modifie l'esprit.
2. Même en tant que modification de la langue, le discours n'est pas
compris s'il n'est pas compris comme réalité produite par l'esprit. (Ajout
ultérieur: parce que c'est dans l'esprit que se trouve le fondement de
touteinfluence de l'individu sur la langue qui, de son côté, ne devient
[langue] que par l'acte de discourir.)
qui devait être achevé isolément pour lui-même]. alors il faudrait une
connaissance exhaustive de l'homme. Puisque aucune des deux ne peut
jamais être donnée, on est contraint de passer d'un aspect à l'autre, et
on ne peut formuler aucune rêgle sur la façon dont devrait s'effectuer
ce passage.
10. La faculté d'exercer avec bonheur cet art repose sur le talent
linguistique et sur celui de la connaissance des hommes pris
individuellement.
1. Pour ce qui est du premir."l" [de ces talents], [il ne s'agit] pas de la
facilité à apprendre des langues étrangères ; pour le moment, la diffé-
rence entre langue maternelle et langue étrangère n'entre pas en consi-
dération. [Il s'agit] par contre clu fait de disposer actuellement de la lan-
gue, de sentir les analogies, le~ différences, etc. - On pourrait penser
qu'ainsi rhétorique et herméneutique devraient toujours aller ensemble.
Mais de même que l'herméneutique requiert encore un autre talent, de
même la rhétorique requiert un autre talent ; et cet autre talent n'est pas
le même dans les deux cas. Le talent linguistique est certes commun. mais
la perspective herméneutique le développe cependant autrement que [ne
le fait] la perspective rhétorique.
2. La connaissance des hommes {pris individuellement] est ici princi-
palement celle de l'élément subjectif entrant dans la combinaison des
pensées. C'est pourquoi l'herméneutique et l'exposition artistique des
hommes [pris individuellement] ne vont, elles non plus. pas toujours
ensemble. Mais de nombreuses erreurs herméneutiques ont pour cause
un défaut de ce talent ou de son application.
3. Or. dans la mesure où ces talents sont des dons de la nature uni-
versels. l'herméneutique est, elle aussi, une affaire universelle. Dans la
mesure où quelqu'un a un déficit pour l'un des aspects. il est paralysé.
et l'autre aspect ne peut que lui servir pour bien choisir ce que d'autres
peuvent lui apporter dans le domaine qui lui manque.
IV. 11. Tout acte de discourir n'est pas un objet de l'art de l'inter-
prétation à un degré égal ; certains objets ont, pour cet art, une valeur
nulle, d'autres une valeur absolue, la plupart se situent entre ces deux
extrêmes•.
1. Ce qui n'a pas d'intérêt en tant qu'acte ni de signification pour
la langue a une valeur nulle. On parle parce que la langue ne se conserve
chose d'une autre série peut venir à l'esprit de tout un chacun : parallé-
lisme du physique et de l'éthique, du musical et du pictural. Mais on
n'a le droit d'y prêter attention que lorsque des expressions figurées nous
le signalent. Le fait qu'il en ait été ainsi, même sans de tels signes, en
particulier pour ce qui est d'Homère et de la Bible, a sa raison •.
VI. Certe raison est, pour ce qui est d'Homère et de!' Ancien Testament,
l'unicité du premier en tant que livre universel de formation (Bildungs-
buch) et l'unicité de l'Ancien Testament comme littérature ·par excellenœ,
!textes uniques! desquels il fallait tout tirer. Vient s'ajouter à cela le con-
tenu mythique {de ces textes] qui débouche d'un côté sur la philosophie
gnomique et de l'autre sur l'histoire. Mais il n'y a pas d'interprétation
technique du mythe car il ne saurait être l'œuvre d'un'individu, et le
fait que ta compréhension commune hésite entre le sens propre et le sens
[7} figuré manifeste ici le plus clairement le caractère double. Il en va certes
tout autrement du Nouveau Testament et. pour ce qui est de ce dernier,
la façon de procéder s'explique à partir de deux raisons. Tout d'abord
à partir de sa relation avec lAncien [Testament] pour lequel ce mode
d'explication était d'usage et avait donc été repris aux débuts de l'exé-
gèse érudite. Ensuite (à partir du fait] que l'on considérait, ici aussi, et
plus que pour ce qui était de l'Ancien Testament, que le Saint-Esprit
était l'auteur. Le Saint-Esprit ne peut pas être pensé comme une cons-
cience individuelle variant au cours du temps ; d'où, ici aussi, la ten-
. dance à tout trouver dans chaque élément. Des vérités universelles ou
des prescriptions singulières déterminées satisfont à elles seules cette ten-
dance, mais elle est stimulée par ce qui est le plus isolé et en soi
insignifiant.
4. Ici s'impose incidemment la question de savoir si les livres saints
doivent subir un traitement particulier en raison du Saint-Esprit. Nous
ne pouvons espérer recevoir une réponse tranchant dogmatiquement le
problème de l'inspiration, puisque cette décision doit elle-même être fon-
dée sur l'interprétation. Nous devons 1.) ne pas établir de différence,
chez les Apôtres, entre l'acte de discourir et l'acte d'écrire. Car l'Église
ultérieure n'a pu être bâtie que sur la première. Voilà pourquoi nous
devons 2.) ne pas croire que, dans le cas des Écritures, la chrétienté tout
entière ait été le sujet immédiatement visé. Car elles s'adressent bien tou-
jours à des hommes détermin6, et ell~ n'ont pu, par la suite, être com-
prises correctement si elles ne l'avaient pas été au préalable par ceux-ci.
Or ils ne pouvaient chercher en elles que le détail déterminé, parce que,
pour eux, la totalité ne pouvait résulter que de la multitude des détails.
Nous devons donc interpréter les Écritures de la même manière et, par
conséquent, admettre que, même si les auteurs avaient été des instru-
ments inanimés, le Saint-Esprit n'aurait pas pu discourir à travers eux
autrement que comme ils auraient eux-mêmes discouru •.
VII. S. L'interprétation cabalistique est celle qui s'est le plus égarée
dans cette voie, elle qui, en s'efforçant de trouver tout dans chaque chose,
se voue aux éléments singuliers et à leurs signes 73 • - On voit que dans
tout ce qui, en fonction de ses aspirations, peut encore à bon droit être
appelé interprétation, il n'y a d'autre diversité que celle qui résulte des
diverses proportions entre les deux aspects que nous avons établis.
14. La différence entre ce qui procède avec art et ce qui procède
sans art dans l'interprétation ne se fonde ni sur la différence entre ce
qui est étranger et ce qui ne l'est pas, ni sur la différence entre le dis-
cours et l'écrit, mais toujours sur le fait qu'il y a certaines choses qu'on
veut comprendre avec précision et d'autres pas ••.
1. Si seule l'écriture étrangère et ancienne" nécessitait l'art, alors les
•. 8(• heure}. Est-ce que 1ou1 doit se rapporter à l'Église 1ou1 entière à cause de l'ins-
piration? Non. Car alors les récepteurs premiers auraient 1oujours dû interpré1er faus·
sement, et le Saint-Esprit aurait agi avec beaucoup plus de justesse si les saintes Écritu-
res n'avaient pas été des fcrits de circonstance. Donc, du point de vue grammatical
el psychologique, il faut s'en tenir aux règles générales. Dans quelle mesure on abou-
tira, pour ces textes, à une hermmeutique spéciale, cela ne pourra ê1rc examiné que
plus tard.
••. § 14-16. Nous nous plaçons à prbent du point de vue de l'opposition totale enire
cc qui procède sans art et ce qui procède avec art. Si on ne veut passer à ce dernier
moment que lorsqu'on rencontre des difficultés, alors on en vient à des observations
singulières. - La compréhension exac1e implique que l'on prenne même ce qui est le
plus facile comme pouvant détenir la clef de difficult~s ulti!rieures.
73. La méthode de l'interprétation allégorique a connu son expansion principale dans
l'interprétation cabalistique des saintes Êcritures dl! judaïsme.
74. Pour l'orientation particulière de rherméneu1ique vers les langues anciennes et
~rangè:rcs, voir ERNESTI, op. cit., l, 2, l.
122 HERMÉNEUTIQUE::
[8) lecteurs originels n'en auraient pas eu besoin et l'art serait donc fondé
sur la différence entre eux et nous. Cette différence est tout d'abord éli-
minée par la connaissance de la langue et de l'histoire, et l'interpréta-
tion ne commence qu'après qu'on se soit mis au niveau des lecteurs ori-
ginels. La différence entre ces écrits et les écrits contemporains dans notre
langue ne réside donc que dans le fait que cette opération consistant à
se mettre au niveau du lecteur originel ne peut pas précéder absolument.
mais qu'elle ne s'accomplit qu'avec et pendant l'interprétation, et qu'il
faut toujours tenir compte de ce fait lorsqu'on interprète.
2. Ce n'est pas non plus simplement l'écrit. Sinon l'art ne deviendrait
nécessaire qu'en vertu de la différence entre l'écrit et le discours, c'est-
à-dire uniquement par l'absence d'une voix vivante et d'autres effets per-
sonnels. Mais ces derniers nécessitent à leur tour une interprétation qui
reste toujours incertaine. Certes, la voix vivante facilite beaucoup la com-
préhension, mais celui qui écrit doit tenir compte du fait qu'il ne parle
pas. S'il le fait, alors l'art d'interpréter devrait par là même être rendu
superflu, ce qui n'est cependant pas le cas. Même là où il ne l'a pas fait,
la nécessité de l'interprétation ne repose donc pas uniquement sur cette
différence •.
3. Si donc le discours et l'écrit entretiennent entre eux une telle rela-
tion, alors il ne reste d'autre différence que celle que nous avons signa·
lée et il s'ensuit que l'interprétation conforme à l'art n'a, elle non plus.
pas d'autre but que celui que nous avons lorsque nous écoutons n'importe
· quel discours ordinaire.
VIII. 15. La pratique plus laxiste dans l'art part du principe que
la compréhension se fait spontanément ; et elle énonce le but sous une
forme négative [en disant :) ''Il faut éviter la compréhension erronée.'•
1. Son présupposé se fonde sur le fait qu'elle s'occupe avant tout de
ce qui est insignifiant, ou du moins qu'elle ne s'efforce de comprendre
qu'en fonction d'un intérêt déterminé et qu'elle se fixe des limites faci-
les à atteindre.
2. Dans les cas difficiles elle est cependant elle aussi contrainte de
recourir à l'art ; et c'est ainsi que l'herméneutique est née de la pratique
qui procède sans art. Comme elle n'avait sous les yeux que les [cas] dif-
ficiles. elle devint un agrégat d'observations. Et c'est pour la même rai-
son qu'elle devint toujours dès le départ une herméneutique spéciale,
puisque les [cas] difficiles sont plus facilement repérables dans un domaine
[9] déterminé. Ainsi sont nées [les herméneutiquesJ théologique et juridi-
que, et les philologues eux aussi n'avaient en vue que des buts spéciaux.
3. L'identité de la langue et de la façon de combiner [les pensées] chez
celui qui discourt et chez celui qui écoute est donc le fondement de cette
conception.
•. Que l'art se rapporte plus à l'écrit qu'au discours vient du fait que, dans le flu1<
du discours, on ne peut faire usage des règles - en particulier des règles ponctuelles
qu·on ne garde pas présentes à la mémoire.
L'ABRÉGÉ DE 1819 123
16. La pratique plus rigoureuse {dans l'art] part du fait que la com-
préhension erronée se présente spontanément et que la compréhen-
sion doit être voulue et recherchëe point par point.
1. Ce qui repose sur le fait qu'elle envisage l'acte de comprendre dans
toute sa rigueur et que le discours, considéré sous les deux aspe<:ts, doit
s'y résoudre entièrement.
(N.m. : Le fait de ne pas remarquer de différence [entre la compréhen-
sion qui procède sans art et cdle qui procède avec art] avant que n'appa-
raisse une erreur de compréhension [est une) expérience fondamentale.)
2. Elle pari donc de la différence entre la langue et la façon de corn·
biner [les pensées), différence qui doit certes être fondée sur l'identité
([cr. §] 14) et qui n'est que la chose la moins importante qui échappe
à la pratique procédant sans art •.
17. Il faut éviter deux choses : l'erreur de compréhension qualita-
tive du contenu et l'erreur de compréhension du ton ou ferreur de com·
préhension] quantitative 0 •
L Du point de vue objectif, !'[erreur de compréhension} qualitative
consiste à confondre le lieu occupé dans la langue par une partie du dis-
cours avec celui d'une autre partie, comme Par exemple la confusion entre
la signification d'un mot et celle d'un autre. [Du point de vue) subjectif
[l'erreur de compréhension qualitative consiste] à se méprendre sur la
relation d'une expression [a,,.ec son référent).
2. Ou [point de vue} subjectif, l'{erreur de compréhension! quantita-
tive est la faculté du développement d'une partie du discours, la valeur
que lui attribue celui qui discourt et, de façon analogue, du point de
vue objectif, le lieu qu'occupe· une partie du discours dans la gradation.
3. C'est toujours à partir de l'[erreur de compréhension) quantitative,
à laquelle on fait d'ordinaire moins attention, que se développe l'erreur
de compréhension qualitative.
4. Toutes les tâches sont comprises dans cette expression négative. Mais
précisément à cause de leur négativité, nous ne pouvons en tirer les règles,
mais devons avoir une expression positive pour point de départ tout en
nous orientant constamment d'après cette expression négative.
S. li faut en outre distinguer l'erreur de compréhension passive de
l'erreur de compréhension active. Cette dernière consiste à insérer quel-
que chose [dans le discours) par suite d'un parti pris, ce contre quoi on
ne peut rien faire de déterminé 0 •.
(10] IX. 18. L'art ne peut développer ses règles qu'à partir d'une for·
mule positive qui est : "Reconstruire le discours donné de façon à la
fois historique et divinatoire, objective et subjective."
parce qu'elles reposent sur des présupposés entièrement faux. - § 18, 19.
124 HERMÉNEUTIQUE
75. On trouve ici à nouveau Je principe herméneutique dans la version qui rappelle
Schlcgel (cf. n. 45) ; il est cependant à présent expliqué avec plus de précision à partir
du cœur de la conception de Schleiermacher. (cf. aussi n. 66).
L'ABRÉGÉ DE 1819 125
1. Partout le savoir achevé est compris dans ce qui semble être un cer-
cle, à savoir que tout particulier ne peut être compris qu'à partir de l'uni-
versel dont il est une partie et inversement. Et tout savoir n'est scientifi-
que que lorsqu'il est ainsi constitué.
2. La mise au niveau de l'auteur est comprise dans ce qui vient d'être
dit, et il en résulte donc 1.) que nous sommes d'autant mieux armés pour
interpréter que nous avons mieux assimilé cette proposition, mais
2.) aussi qù'il n'y a pas de (teJ<te) à interpréter qui puisse être compris
d'un seul coup ; au contraire, chaque lecture nous pennet de mieux com-
prendre en enrichissant tout d'abord ces connaissances prealables. Il n'y
a que pour ce qui est insigni.fiant que nous nous contentons de ce que
nous avons compris d'un seul coup.
•. 11 • heure. § 19, 20, 21, 22, ce dernier uniquement entamé et les deux derniers
sans les avoir encore appliqués au Nouveau Testament.
12• heure. § 21, 22, appliqués au Nouveau Testament.
126 HERMÉNEUTIQUE
aussi serait compris de façon plus complète dans ses liens avec le monde
dont il fait partie ; seulement, on quitte alors le champ de l'interpréta-
tion. - Il faut cependant préférer la dernière de ces terminologies dans
la mesure où une proposition est une unité indivisible et où, en tant que
tel, le sens est lui aussi une unité, {à savoir) la détermination réciproque
du sujet et du prédicat l'un par l'autre. Mais cette dernière n'est pas non
plus bien conforme à la langue. Car le sens est, comparé à l'intelligence,
absolument identique à la signification. La vérité est que. lors de toute
interprétation, le passage de l'ind.étermîné a au déterminé est une tâche
infinie. - Là où une proposition singulière constitue à elle seule un tout
achevé, la différence entre sens et intelligence semble s'estomper, comme
c'est le cas pour les épigrammes et les sentences. Celles-ci ne doivent
cependant être déterminées que par l'association faite par le lecteur, cha-
cun doit en faire ce qu'il peut. Celles-là sont déterminées par le rapport
à la chose singulière.
[151 3. L'aire (linguistique) de l'auteur est celle de son époque, de sa
culture, celle du langage dans lequel il négocie, ainsi que celle de son
dialecte, là et dans la mesure où cette différence apparaît dans le dis-
cours cultivé. Elle ne sera cependant pa's entièrement [présente] dans tout
é<;rit, mais uniquement en fonction des lecteurs. Mais comment savoir
à quels lecteurs songeait l'auteur ? Uniquement par la vue d'ensemble
de lécrit entier. Mais cette détermination de l'aire [linguistique] com-
mune n'est que le début, elle doit être poursuivie tout au long de l'inter-
prétation et ne s'achève qu'avec celle-ci.
4. Il y a quelques exceptions apparentes à ce canon a) Les archaïs-
mes [qui) se trouvent tant en dehors de l'aire linguistique immédiate de
l'auteur qu'en dehors de celle de ses lecteurs. Ils sont employés pour réin-
tégrer le passé dans le présent, [et ils sont] plus fréquents dans l'écriture
que dans le discours, dans la poésie que dans la prose. b) les expres·
sions techniques, même dans les genres les plus populaires, tels par exem-
ple les discours judiciaires et délibératifs, où on les trouve même si tous
les auditeurs ne les comprennent pas. Cela nous conduit à remarquer
qu'un auteur n'a pas non plus toujours en vue la totalité de son public,
mais que ce dernier est, lui aussi, variable. C'est justement pourquoi cette
règle est aussi une règle de l'art dont la bonne application repose sur
un sentiment juste 77 •
XIV. S. Dans l'expression [qui dit! que nous devor.s, par opposition
aux autres parties organiques, prendre conscience de l'aire linguistique,
il y a également [!"expression qui dit que nous devons) mieux compren-
dre l'auteur qu'il ne l'a fait lui-même, paroe que beaucoup de choses
qui doivent devenir conscientes en nous restent inconscientes en lui, en
78. Ici le principe herméneutique ('St considéré dans son rapport avec la mé1hode
d'interprétation grammaticale (cf. n. 66).
79. L'exemple latin es! emprunté à Morus (cf. n. 31).
130 HERMÉNEUTIQUE
ce qui est de remploi des mêmes mots dans les domaines spatial et tem-
porel. Tous deux sont essentiellement un. car nous ne pouvons détermi-
ner l'espace que par le temps et inversement. Forme et mouvement peu-
vent être réduits l'un à l'autre et «plante rampante" 80 n'est par cons~
quent pas une expression figurée. L'opposition entre la signification ori-
ginelle et la signification dérivée ne connaît pas un meilleur sort. Hos-
tis. étranger, [devientJ par la suite ennemi. A l'origine tous les étrangers
étaient des ennemis. On conçut par la suite la possibilité d'être ami
d'étrangers, et l'instinct nous informa que, pour ce qui est de ce mot,
on avait plutôt pensé à une séparation dans la conviction qu'à la sépa-
ration spatiale, et on pouvait alors également appeler des ennemis à l'inté-
rieur du ·pays hostes, mais peut-être seulement parce qu'ils étaient en
même temps bannis. Opposition entre la signification générale et la signi-
fication particulière. celle-là dans le commerce varié, celle-ci dans un
domaine déterminé. Souvent [elles sont] essentiellement identiques, sou-
vent elliptiques, comme par exemple ..pied" pour la mesure de longueur
et pied en métrique, pour pas ou pied en avant. Souvent aussi parce que
tout art [a} un domaine inférieur engendré par la compréhension erro-
née de la masse inculte. Souvent ce sont aussi des mots étrangers défor-
més ou transformés au point de sembler indigènes à la langue. Il en ira
de même pour toutes les autres oppositions.
8. Pour les dictionnaires aussi. qui ne sont là que pour l'interprète.
la tâche primordiale est de trouver la véritable unité complète du mot.
[ 18] L'occurrence singulière d'un mot dans un passage donné est sans aucun
doute de l'ordre de la diversité infiniment indéterminée et. de œtte unité
à cette diversité, il n'y a pas d'autre passage qu'une multiplicité déter-
minée dans laquelle elle est comprise ; et celle-ci, à son tour, doit néces-
sairement se résoudre en oppositions. Le mot n'est cependant pas isolé
dans ses occurrences singulières ; dans sa détermination il se révèle non
pas à partir de lui-même, mais à partir de ses contextes. et il nous suffit
de rapprocher ces contextes de l'unité originelle du mot pour trouver
à chaque fois ce qui est juste. Seulement l'unité complète du mot serait
son explication et celle-ci n'est pas plus donnée que l'explication com-
plète des objets. Elle ne l'est ni dans les langues mortes, puisque nous
n'avons pas encore pénétré toute leur évolution, ni dans les langues vivan·
tes, parce qu'elles continuent d'évoluer.
XVI. 9. Si la diversité des emplois [d'un mot] doit être possible lors-
que son unité est donnée, alors l'unité doit déjà receler une diversité :
plusieurs points principaux doivent être liés d'une façon variable à l'inté-
rieur de certaines limites. C'est le sens de la langue qui doit rechercher
cette diversité, [et] lorsque nous sommes dans l'incertitude nous recou-
rons au dictionnaire comme auxiliaire pour nous orienter à l'aide du trésor
commun du savoir linguistique. Les divers cas qu'on y rencontre ne doi-
vent être qu'un extrait intelligent, (et] on doit relier pour soi les points
à l'aide de transitions pour avoir, pour ainsi dire, toute la courbe sous
les yeux afin de pouvoir déterminer le lieu recherché.
a. Le texte q//emand dit Es, pronom qui se rapporte probablement au Nou ..eau Tes-·
tamenr lui-même. (N.d. T.)
81. Contre Morus, op. cil., t. 1, p. 208s.
L'ABRÉGÉ DE 1819 133
avec la Septante. Ensuite, on peut indiquer pour chacun d'eux une autre
source, à savoir la communication sociale ordinaire.
XIX. S. C'est une autre chose que d'étudier dans quelle mesure le Nou-
veau Testament dépend encore spécialement de la Septanté pour ce qui
est du contenu religieux. Il faut ici plus particulièrement considérer les
écrits plus récents, les apocryphes : et de ce point de vue la réponse à
cette question a la plus grande influence sur toute la conception de la
théologie chrétienne, et plus précisément sur les principes de l'interpré-
tation dans la mesure où ils sont eux-mêmes au fondement de la dogma-
tique. - Les écrivains néotestamentaires n'introduisent pas de novueaux
mots pour leurs concepts religieux et parlent donc en restant dans l'aire
linguistique de la Bible et des {livres] apocryphes. On doit donc se deman-
der si, en dépit de cela, ils ont d'autres idées religieuses, et donc d'autres
façons d'employer les mots, ou s'ils ne disposent que des mêmes façons
de les employer. Dans le demicr cas, il n'y aurait rien de nouveau dans
la théologie chrétienne et par conséquent, puisque toute [réalité) religieuse
qui n'est pas simplement momentanée est fixée par la réflexion, il n'y
aurait rien non plus [de nouveau) dans la religion chrétienne. Du point
de vue herméneutique on ne peut cependant pas immédiatement tran·
cher cette question qui s'avère donc être une affaire de conviction. Cc
faisant, chacun accuse l'autre d'avoir puisé ses principes dans des opi-
nions toutes faites : car il ne peut y avoir d'avis juste sur la Bible qu'au
moyen de l'interprétation. Certes, le procédé herméneutique peut apporter
une solution. A savoir, d'un côté une mise en parallèle radicale du Nou-
veau Testament et des écrits apocryphes devrait permettre de voir si des
emplois apparaissent dans l'un tout en restant totalement étrangers â
l'autre. Cependant on pourrait toujours encore y échapper en affirmant
que l'aire linguistique est plus grande que ces restes. Devrait donc venir
en aide, de l'autre côté, l'affir:nation du sentiment qui nous dirait si le
Nouveau Testament apparaît pour soi comme un développement d'idces
nouvelles. Celle-ci ne peut cependant avoir de crédit qu'au moyen d'une
culture générale à la fois philologique et philosophique. Seul celui qui
démontre qu'il a déjà entrepris ailleurs et avec succès de telles études,
et qu'il ne se laisse pas corrompre au détriment de son propre discerne-
ment, peut id devenir un guide.
[22} 6. S'il n'y a, de notre point de vue bien sûr, qu'une innuence secon-
daire et anomale de l'origine hébraïque sur la langue néotestamentaire,
alors il faut' se demander dans quelle mesure il faut en tenir compte dans
l'interprétation. Il existe deux maximes unilatérales : se contenter d'un
seul (des éléments linguistique~] jusqu'à ce que des difficultés apparais-
sent et les résoudre alors à l'aide de l'autre [élément]. Ce faisant, le pre·
mier procédé ne se fait plus avec art, et il est alors impropre d'y ratta-
cher le second. Aussi peut-on alors essayer d'expliquer ce qui a son expli-
cation véritable en un tout autre endroit en partant de l'autre moment,
et c'est aussi facile ; mais la connaissance de l'autre ne nous renvoie à
nouveau qu'à des observation~ singulières. Au contraire, d'après notre
règle provisoire selon laquelle l'art doit entrer en jeu dès le départ, on
doit chercher à se faire une conception générale du rapport entre les deux
moments, en faisant abstraction de toutes les difficultés ponctuelles, au
134 HERMÉNEUTIQUE
sition est posée comme {faisant) une avec celle qui Ja précède, que cela
soit fait d'après un lien causal ou une coordination. Ad. a.)[Le premier
cas se produit lorsqu'une proposition] est immédiatement extraite de la
proposition précédante, de sorte que le point principal était déjà con-
tenu dans celle-là. Ad b.) [Le second cas se produit lorsque] des [propo-
sitions] coordonnées avec précision sont mises côte à côte. Il n'y a par
conséquent que rarement des erreurs.
2. Toutes les conjonctions peuvent, dans certains cas, sombrer dans
une insignifiance enclitique, et alors tout [lien) qu'elles suggèrent est des
plus lâches.
2. • On peut penser la liaison elle-même de façon indéterminte par
manque de conscience critique.
3. Chez les écrivains de Nouveau Testament tout apparaît en même
[28) temps, la souplesse des périodes aussi bien dans les écrits didactiques,
où domine le lien causal, que dans les écrits historiques où domine la
liaison narrative. [à savoir} mauvaise habitude et emploi par ignorance.
Voilà pourquoi tous deux sont aussi difficiles. Souvent [on ne sait] pas
jusqu'où s'étend une série didactique, et souvent [on ne saitl pas jusqu'où
s'étend une totalité historique. Seuls Paul et Jean se distinguent, celui-
là dan!> le didactique et celui-ci dans l'historique. [La faculté de) déter-
miner l'intérêt plus précisément que ne l"a fait l'auteur lui-même dépend
de l'intérêt dogmatique et de celui de la critique historique. C'est pour-
quoi tout ce qui est difficile d'un point de vue philosophique b et d'un
point de vue critique dépend de l'interprétation.
9. Il existe des cas où la difficulté peut aussi bien être ramenée à
l'élément matériel qu'à l'élément formel.
Par exemple la signification hiphil!que des verbes et des choses analo-
gues peut être considérée comme flexion et comme mot propre, et œla
est vrai pour coutes ·les formes dérivées du verbe et du substantif, de sorte
que l'opposition n'est pas pure, mais transitoire. - En présence de tels
cas, il faut chercher à voir quel traitement nous donnera une totalité plus
pure et plus riche, à partir de laquelle on peut construire.
XXVI. 10. Sujet et prédicat se déterminent ré<:iproquement, mais
pas entièrement.
1 • La détermination réciproque la plus précise des deux est la phrase
qui a son cercle le plus étroit et le plus solide dans le [langage) techni-
que. Le point opposé est, d'un côté, l'idée subite oü on attribue au sujet
un prédicat rare [situé) hors du champ habituel et. de l'autre, la sen-
tence qui n'a pas non plus de moyens de détennination plus précis. qui
reste par conséquent en soi indéterminée et ne se trouve déterminée qu'à
chaque fois qu'on l'applique.
11. Tous deux sont plus précisément déterminés en soi. et par con-
séquent également réciproquement, par leurs épithètes.
Dans la mesure où, ainsi, presque tout ce qui apparait dans l'écrit est
ramenë dans le champ des moyens d'~plication, il en résulte que toute
opét"ation se fera d'autant plus parfaitement que celui qui s'attache à
expliquer aura, pour chaque point [particulier}, le tout présent à l'esprit.
Pour ce qui est de notre domaine, le résultat est alors un dictionnaire
complet et bien agencé de !'Écriture. Exposer l'idée d'un tel dictionnaire
en prenant Platon pour exemple. [Montrer alorsl à quel point les dic-
tionnaires du Nouveau Testament sont en deçà de cette idée.
[30) XXVIII. 15. Les règles de la découverte sont les mêmes pour ce
qui est identique et pour ce qui est opposé.
1. Car partout on ne peut juger de l'opposé que par rapport à une
identité supérieure ; er de la même manière, on ne reconnaît \'identité
que grâce à une opposition commune.
2. ·Il importe également dans les deux cas de parvenir à la certitude
de poser la relation entre deux propo!itions comme l'auteur lui-même
l'avait posée.
16. Une proposition qui est continûment régie par le même sujet
ou le même prédicat est à considérer comme faisant encore partie du
contexte immédiat.
17. Si ce qui revient après une interruption fait encore partie du
contexte principal du discours, majs non ce qui l'interrompt, alors
l'identité est ce qu'il y a de plus probable.
[31) 18. Si ce qui revient est une pensée concomitante et ce qui inter-
rompt une pensée principale. alors on ne peut être convaincu de l'iden-
tité qu'en proportion de l'égalité avec la pensée principale dans le con-
texte et de l'identité du type de tournure de la pensée el1e-même•.
_(N.m. : C'est pourquoi les paraboles peuvent être considërées
comme" des pensées concomitantes. Mt 13.)
19. En vue des pensées principales on peut passer d'un. écrit à
d'autres du même auteur qui peuvent être considérés comme formant
une ·unité avec celui-là, et on peut donc également passer à des écrits
'". Identité du sujet. Mt 16, 18 •. Au cas où l'écrit lui-même ne suffit pas, la démar-
che la plus naturelle consiste à passer à d'autres écrits du même auteur. Mais cela [n'estl
pas toujours (possible}. car ils rorment bien une unité par rapport à l'interprétation
psychologique, mais n'en forment une, eu égard à la langue, que dans la mesure où
ils font partie du même genre de composition.
a. Kimmerle lil: "Ensuite du 18."; nous suivons la correction de W. Virmond.
(N.d.T,)
b. Kimmerle fit: '"donnent naissance a"; nouss11Nons la corr«tion de W. Jlirmond.
(N.d.T.J
L'ABRÉGÉ DE 1819 141
[33] 23. Tous deux se rapprochent quand on songe que l'identité d'école
compte pour ce qui est du contenu religieux et que l'identité de l'aire
linguistique est réalisée i. pour ce qui est des pensées concomitantes.
[34} 27. Reste la question de savoir laquelle des deux doit être placée
au-dessus de l'autre, et même le point de vue philologique doit déci-
der en faveur de la dépendance.
Leur individualité [(celle des auteurs du Nouveau Testament)] n'est,
en partie. qu'un produit de leur relation au Christ ; en partie, (pour ce
qui est de ceux qui sont) plus individuels (Paul et Jean, run (a une rela-
tion) dialectique [avec le Christ), l'autre (une relation] sentimentale), Paul
ayant connu un revirement radical, il serait préférable de l'expliquer à
partir d'autres écrivains du Nouveau Testament et non pas à partir de
ses propres écrits préchrétiens, alors que Jean s'est manifestement joint
au Christ alors qu'il était jeune et n'a développé sa particularité que
comme chrétien.
28. Le point de vue philologique anéantit le christianisme s'il mécon-
naît cela.
Car si la dépendance du Christ est nulle face à la particularité person-
nelle et aux défauts nationaux, alors le Christ lui-même est nul.
XXXI. 29. Le [point de vue] dogmatique détruit !'Écriture s'il étend
le canon de l'analogie de Ja foi au-delà de cette limite~'.
Car un [/ocus]communis emprunté à des écrivains clairs ne peut être
utilisé pour expliquer les (écrivains} obscurs sans que !'Écriture ne soit
expliquée à partir de concepts dogmatiques, ce qui anéantit son autorité
et va par conséquent contre les principes mêmes du point de vue a dog-
matique. Car l'établissement d'un tel eonsensus b est une opération dog-
matique dans laquelle on doit faire abstraction non seulement de la par·
ticularité de la personne, qui a été mise en doute, mais encore de la par-
ticularité de la motivation qui n'a pas été remise en cause.
Toul passage est un amalgame de ce qui est en commun et de ce qui
est particulier et ne peut donc pas être correctement expliqué à partir
de cela seul qui est en commun. On ne peut pas non plus établir correc-
[ 35J tement ce qui est en commun avant d'avoir expliqué tous les passages,
et l'opposition changeante du clair et de l'obscur peut être ramenée au
fait qu'à l'origine un seul [passagcJ est clair.
30. L'analogie de la foi ne peut donc résulter que de la juste inter-
prétation, et Je canon ne peut être que le suivant : l'explication est
fausse quelque part si, de tous les passages qui vont ensembJe, ne résulte
aucun accord commun.
On doit donc se contenter de dire : la probabilité de l'explication erro-
née serait alors relative au passage qui seul s'oppose à la découverte d'une
telle chose commune.
85. Cette règle est déterminée par la doctrine luthérienne du sofa scriprura qui était.
à l'origine, formulée contre une explication à partir de la tradition. Sa formulation her-
méneutique remonte à F1.Ac1us (voir Clavis scripturae sacrae, éd. cit., 2• partie, col. 7,
60, 694).
144 HERMÉNEUTIQUE
86. La première de ces maximes était une ripos1e de l'exégèse biblique influencée
par le rationalisme à la maxime de l'herméneutique piétiste invitant "à prendre le plus
possible de façon emphatique" (cf. J. J. RAMBACH, lnstitutiones hermeneuricae sac:rar,
1724).
146 HERMÉNEUTIQUE
a. Kimmerle lit "moins"; nous a~ons ir:i rvprîs la correction de Lücke. (N.d. T.)
87. Cf. par exemple: Chr. F. SARTORIUS, Compendium theologiae dogmaticae,
Tübingen. 1777. chap. xm : "De illuminatione, regenerutione, conversione, poenitentia
et /ide" (p. 230-269).
L'ABRÉGÉ DE 1819 147
pour soi-même, est pensée concomitante tout ce qui n'est dit qu'à titre
d'explicitation, même si la dernière est souvent bien plus développée que
la première. [Il faut] reconnaître les pensées principales à l'aide des con-
cepts qui y apparaissent. Puisque les pensées concomitantes sont redon-
dance et ne trouvent pas de place dans l'idéal de l'exposé scientifique
rigoureux, il faut juger du rapport entre les pensées principales et les
pensées concomitantes tout comme du rapport entre la redondance et
l'emphase.
[2. Le fait de savoir) si des propositions sont coordonnées ou subor-
données doit découler des particules et des modes de liaisons ; mais le
contenu est complémentaire. Plus les formules de liaison sont détermi-
nées dans une langue ou un genre de discours, moins on a besoin. de faire
appel au contenu des propositions et, inversement, plus le contexte est
clair, moins une anomalie dans l'emploi des formules de liaison est
importante.
[3.] Mais dans des formes relâchées, comme le sont les formes du Nou-
veau Testament en général, il est difficile de distinguer les pensées prin-
cipales des pensées concomitantes à partir de l'aire linguistique, car cette
opposition même n'est pas marquée et qu'au contraire, lors d'un léger
changement de la matière, l'une passe dans l'autre. On doit alors recou-
rir à l'autre moyen et, en reconnaissant la relation d'une proposition à
une autre, on doit aussi, au moyen de celle-ci, trouver la relation au tout.
(N.m. : C'est à partir de là qu'il faut aussi expliquer la classification
erronée de passages dogmatiques qui repose en fait sur la maxime qui
veut que, dans les livres du Nouveau Testament, tout ce qui est dogma-
tique doive immédiatement i.~re pensée principale. Caractère insoutena-
ble de cette maxime.)
Remarque finale
88. Le "débat à propos d'Homère•· .wait été déclenché par F.A. Wo1,F, Prolego-
mena ad Homerum, Halle, 1794, qui ava ic:nt cté réédités à Halle en 1795 comme intro-
duction à son édition des ceuvres d'Hom·~re. Wolf y développait la thèse scion laquelle
les œuvres Qui nous sont parvenues sous le nom d'Homère (L 'lliade et L'Odyssée) avaient
Clé élaborées à six époques distinctes et étaient l'œuvre d'une pluralité d'auteurs.
89. 11 s'agit des trois au1eurs tragiques de I' Antiquité, Eschyle, Sophocle c:t Euripide:.
150 HERMÉNEUTIQUE
Le troisième est certes très laborieux, mais comme il est difficile qu'il
soit autrement que transmis par un tiers, et donc mélangé à un juge-
ment qui ne peut être évalué que par une interprétation similaire, on doit
pouvoir s'en passer. A l'origine, c'est bien pour cette raison qu'o~ a joint
les biographies des auteurs à leurs oeuvres, mais on passe ordinairement
par-dessus cette relation. Des prolégomènes adaptés doivent cependant
rendre attentif à ce qui est Je plus indispensable Pour ce qui est des deux
autres points.
Lors de la première vue d'ensemble de l'ouvrage, ces connaissances
préalables engendrent une idée provisoire de ce dans quoi il faut avant
tout rechercher la particularité.
6. Il y a d'entrée de jeu deux méthodes pour toute l'opération [de
l'interprétation technique), la divinatoire et la comparative, qui ,
comme elles renvoient l'une à l'autre, ne doivent pas être séparées.
La [méthode) divinatoire est celle dans laquelle, en se transformant,
pour ainsi dire, soi-même en l'autre, on cherche à saisir immédiatement
l'individuel. La [méthode] comparative pose tout d'abord celui qu'il faut
comprendre comme un universel et découvre le particulier ensuite en fai-
sant une comparaison avec d'autres qui sont compris sous le même uni·
verse!. La méthode divinatoire est la force féminine dans la connaissance
des hommes, la méthode comparative la force masculine.
Toutes deux renvoient rune à l'autre. Car la première repose tout
d'abord sur le fait que tout homme. en plus du fait d'être un [homme]
particulier, est réceptif vis-à-vis de tous les autres. Cette réceptivité elle-
inême semble cependant ne reposer que sur le fait que chaque individu
porte en lui-même un minimum de tout autre individu. et la divination
est par conséquent suscitée par une comparaison avec soi-même. Mais
comment la [méthode] comparative en vient-elle à subsumer Je sujet sous
un universel ? Manifestement soit à nouveau par comparaison, et il en
irait ainsi à t•inlini, soit par divination.
{44] Toutes deux ne doivent pas être séparées. Car la divination n'est assurée
que par la comparaison qui la confirme, puisque sans elle elle pourrait.
toujours être fanatique a. Quant à la méthode comparative, elle n'offre
aucune unité ; l'universel et le particulier doivent se pénétrer run l'autre,
et cela ne se fait jamais que par divination.
7. L'idée de l'ouvrage qui, comme volonté étant au fondement de
la réalisation, doit ressortir en premier lieu ne peut être comprise qu'à
partir des deux moments, celui du contenu et celui du champ de son
efficience, pris ensemble.
Le contenu à lui seul ne conditionne pas_ une forme de réalisation. Cer-
tes, il est, en règle générale. assez facile à trouver, même lorsqu'il n'est
pas explicitement indiqué, mais il peut aussi, même lorsqu•il est indi-
qué. conduire à une conception erronée. - Ce qu'on peut par contre
appeler le but de l'ouvrage dans un sens plus étroit se trouve de l'autre
côté : c'est souvent quelque chose de tout à fait extérieur et qui n'a qu'une
influence limitée sur des passages singuliers, mais qui peut cependant
d'habitude être encore expliqué à partir du caractère de ceux auxquels
rouvrage est destiné.-Mais si on sait pour qui le sujet doit être façonné
et ce que ce travail doit avoir comme effet en lui, alors la réalisation
est en même temps conditionnée, et on sait tout ce dont on a besoin.
FRIEDRICH DANIEL ERNST
SCHLEIERMACHER
HERMÉNEUTIQUE
Traduit de /'allemand pa.r Christian Berner