Les Caractères
Les Caractères
Les Caractères
corriger les mœurs de son siècle, et ainsi à convertir les esprits libertins.
Les Caractères sont distribués en seize chapitres : deux chapitres concernent l’étude de la nature humaine en
général, les autres traitent de différentes thématiques : l’art, l’amour, la société et la religion. La Bruyère
ambitionne avec cette œuvre de couvrir tous les champs du savoir humain.
Les Caractères s’inscrivent dans le classicisme, une période littéraire contemporaine de l’absolutisme de droit divin
du Roi-Soleil, Louis XIV (1661-1715). L’esthétique classique se caractérise par:
le respect du bon gout dominant, la mise en avant de valeurs qu’on estime éternelles : l’imitation de la
nature ; la raison, l’ordre et l’équilibre ; la clarté de l’expression. Les artistes et écrivains sont dès lors
soumis à toutes sortes de règles à respecter établies par des académies ;
le retour à l’Antiquité et l’imitation des Anciens, auxquels les écrivains empruntent des genres littéraires,
des sujets, etc.
l’utilité morale de l’art: l’art n’a pas seulement une visée esthétique, il s’agit d’instruire les contemporains
et de leur montrer comment surmonter leurs passions.
Conformément aux principes classiques, La Bruyère se réfère à un auteur grec, Théophraste (372-287 av.
J.-C.), tout en conférant à son œuvre une portée morale. C’est en effet avant tout un moraliste. Il peint un
tableau critique de la société du xviie siècle, décrivant sans complaisance les grands, les courtisans, les
parvenus de la finance, les femmes, les faux dévots, etc., dans le but d’amener ses contemporains à
prendre conscience de leurs vices et à se corriger. Derrière ces portraits, se dessine aussi un portrait de
l’honnête homme, que La Bruyère présente comme le modèle à suivre. Lagarde et Michard (profes- seurs
de lettres dans ces années cinquante et soixante) définissent ainsi ce modèle d’homme du xviie siècle : «
Cultivé sans être pédant, distingué sans être précieux, réfléchi, mesuré, discret, galant sans fadeur, brave
sans forfanterie, l’honnête homme se caractérise par une élégance à la fois extérieure et morale qui ne se
conçoit que dans une société très civilisée et très disciplinée. » Dans « De la société et de la conversation
», La Bruyère dénonce les défauts inverses à grand renfort d’exemples : les mauvaises plaisanteries, les
commérages, les entretiens mondains superficiels, la pédanterie (Acis), l’affectation précieuse (Cydias),
la vanité (Arrias), l’érudition excessive (Hermagoras), la sottise. L’homme d’esprit est celui qui parle au
bon moment, à propos, avec naturel et clarté, qui sait s’effacer avec tact et discrétion. Il rend les autres
contents d’eux-mêmes, il sait les écouter et leur permet de briller. La Bruyère définit ainsi l’idéal mondain
d’une époque.
CLÉS DE LECTURE
LA PEINTURE DES MŒURS
L’art du portrait
Le portrait est un jeu de société qui se pratiquait au xviie siècle dans les salons précieux.
Chez La Bruyère, le portrait consiste également en la description d’un personnage. C’est souvent du portrait
physique que se dégage le portrait moral, plus particulièrement à partir des attitudes, des comportements, de la
voix, de la démarche, de l’habillement, des gestes, etc. Ainsi, les portraits de La Bruyère sont toujours en action: il
place les personnages dans des situations qui révèlent leur caractère. Selon le moraliste, c’est le comportement
des individus qui nous renseigne sur leurs travers, leur condition, leur caractère. Il nous livre donc un tableau vivant
de son siècle. En outre, tous les détails fournis développent un trait dominant qui dégage une unité d’impression
(arrivisme de Mopse, vanité d’Arrias, richesse de Giton ou pauvreté de Phédon, distraction de Ménalque).
Les portraits de La Bruyère sont à la fois satiriques et didactiques, car ils ont pour but de « castigare ridendo mores
», c’est-à-dire de corriger les mœurs par le rire.
En dressant des portraits, comme nous l’avons déjà expliqué, La Bruyère entend peindre la société de son temps
de manière à faire prendre conscience de leurs vices à ses contemporains, et ainsi les aider à se corriger. Notons
au passage que le moraliste rédige ses portraits d’après nature. Et, de fait, l’imagination cède la place, dans Les
Caractères, à l’observation. Il s’agit même de la base du livre: l’auteur a composé son ouvrage à partir de son
expérience personnelle et de l’examen de la société de son siècle.
il rend son récit le plus vivant possible : il évoque des éléments qui intriguent le lecteur, il insère des
anecdotes ou met en scène de petites comédies ;
il emploie des figures de style ;
il invente une chute surprenante à chacun de ses portraits ;
il utilise un style varié, vif, piquant et original, ce qui ne manque pas de susciter l’intérêt et l’attention du
lecteur.
Aussi La Bruyère poursuit‐ il un autre objectif : discerner, chez les hommes et les femmes du xviie siècle, des
caractéristiques immuables de la nature humaine, des traits humains universels. Les portraits, tout en étant issus
de l’observation, de la réalité, sont donc aussi des types de tous les temps. L’auteur précise d’ailleurs dans sa
préface : « Bien que je les tire souvent de la Cour de France et des hommes de ma nation, on ne peut néanmoins
les restreindre à une seule cour, ni les enfermer en un seul pays, sans que mon livre ne perde beaucoup de son
étendue et de son utilité, ne s’écarte du plan que je me suis fait de peindre les hommes en général... »
L’ÉCRITURE FRAGMENTAIRE
Le fragment est un genre littéraire dont les origines sont anciennes (sentences et apophtegmes de la littérature
grecque et latine, aphorismes, pensées, épigraphes, maximes, morales des fables, proverbes, devises, etc.), mais
qui s’est surtout pratiqué à partir du xviie siècle . Il se caractérise par une esthétique de la discontinuité qui
correspond à une perception éclatée, décousue du monde, dans laquelle l’unité et les certitudes ne sont plus
essentielles.
La Bruyère recourt lui-même au genre du fragment dans Les Caractères. S’il utilise la forme du fragment, c’est
pour deux raisons principales :
• d’une part elle lui permet de montrer la diversité, les contradictions et l’inconstance de l’homme : « Les hommes
n’ont point de caractère, ou s’ils en ont, c’est celui de n’en avoir aucun qui soit suivi » (chapitre XI « De l’homme ») ;
• d’autre part elle offre au lecteur, par sa concision et son acuité, des visions fragmentaires du monde dans un
présent de vérité générale, comme c’est également le cas dans les Pensées de Pascal (mathématicien, physicien et
écrivain français, 1623-1662) ou dans les Maximes de La Rochefoucauld (écrivain français, 1613-1680).
De plus, notons que l’intérêt de l’écriture fragmentaire réside également dans sa part d’« indécidable », dans son
caractère quelque peu énigmatique : en effet, le fragment, par son incomplétude, ouvre la porte à la réflexion et
aux questionnements. Et l’objectif des Caractères est justement de permettre aux hommes du xviie siècle de se
remettre en question.
La critique sociale
La Bruyère peint toutes les catégories sociales, sans exclure le paysan, si rarement présent dans la littérature du
temps. Il proteste, en homme de cœur, contre la misère. L’auteur dénonce la disproportion des conditions et celle
des biens. Il estime que, trop souvent l’argent l’emporte sur le mérite. La Bruyère dénonce ainsi une société où le
mérite personnel ne compte pas face à la naissance et à la fortune.
Ce qu’il condamne avant tout, c’est le règne de l’argent, qui tient lieu de mérite, de noblesse et d’esprit. Tout le
chapitre 6 « Des biens de fortune » attaque les partisans, ou financiers, ou fermiers. Ils provoquent toutes sortes
de sentiments successifs: mépris, envie, haine, crainte, estime, respect et compassion. La Bruyère montre ainsi
comment l’argent fait disparaitre les sentiments humains. Mais le moraliste rassure le lecteur : souvent, ceux qui
sont parvenus à s’enrichir retournent un jour là d’où ils sont venus.
Les femmes ne sont pas non plus ménagées par La Bruyère. À « l’honnête femme » simple, naturelle, discrète et
vertueuse, il oppose la coquette affectée et superficielle ou la dévote hypocrite. Personne ne leur interdit de
s’instruire; elles sont donc responsables de leur ignorance. Les causes sont multiples: leur fragilité physique, leur
paresse, leur coquetterie, leur légèreté, leurs ouvrages de dame, leur rôle de maitresse de maison, leur
superficialité, etc.
La critique politique
À travers Les Caractères, La Bruyère se livre non seulement à une critique sociale, mais aussi à une critique
politique, bien qu’elle soit plus timide.
Il dénonce également la guerre, à l’instar des philosophes du xviiie siècle, démontrant qu’elle n’est que sauvagerie
et absurdité, de même que la pratique de la torture. L’homme n’est pas cet animal raisonnable qu’il se vante
d’être; son amour de la guerre prouve sa bestialité et le fait que le mal fait partie de la nature humaine. Par
conséquent, selon le moraliste, il faut réformer l’homme.
Thè mes
Le moraliste : La morale, que le lecteur doit comprendre par lui-mê me, est basé e sur une logique
didactique. Le lecteur apprend à dé coder les morales plus ou moins é nigmatiques du moraliste. Elle
fait é cho à la logique classique du docere placere, signi4ant « instruire et plaire ».
l’humaniste correspondant à l’idé al classique du XVIIe siè cle. Il se doit de se montrer humble,
cultivé et courtois. Il refuse l’excè s et domine ses passions. C’est un trè s n observateur.
La satire : Les Caractè res sont empreints de procé dé s satiriques, comme l’art de dresser des
portraits sté ré otypé s qui visent à ridiculiser un objet, un sujet. L’intention de La Bruyè re est de
lever le voile sur une socié té malade.
L’é criture fragmentaire : Les remarques permettent une é criture plus libre et moins dogmatique
que les maximes. De plus la structure des Caractè res est elle- mê me ouverte puisque son auteur l’a
sans cesse remanié e.
La litté rature d’idé e : La Bruyè re ré invente une litté rature d’idé e libre, ré 4exive, proche de l’essai
mais qui se dé marque par sa forme originale.
Ré sumé
Les Caractè res est composé de seize chapitres de longueurs iné gales.
1 Chapitre I : Des ouvrages de l’esprit: La Bruyè re ouvre son livre sur des remarques
gé né rales concernant la litté rature classique et le travail de l’é crivain. Il poursuit, avec le premier
chapitre, en commentant les é crivains des XVIe et XVIIe siè cles : « Tout est dit, et l’on vient
trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les
mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner aprè s les anciens et les habiles
d’entre les modernes. »
2 Chapitre II : Du mé rite personnel: Pour La Bruyè re, les valeurs de l’individu sont
é touffé es dans une socié té d’apparat qui le considè re non pas pour ce qu’il est mais pour ce qu’il
paraît ê tre.
3 Chapitre III : Des femmes: Les femmes sont pour l’auteur des ê tres super4ciels : elles sont
coquettes car l’apparence leur importe avant tout ; elles deviennent donc vaniteuses. À la n de leur
vie, elles se transforment en dé votes.
4 Chapitre IV : Du cœur: Le vé ritable amour, tout comme une amitié vé ritable, est dif4cile à
trouver. C’est parce que les hommes se trompent souvent de cible, et laissent leurs passions les
emporter. Il faut savoir appré cier un bonheur simple.
5 Chapitre V : De la socié té et de la conversation: La socié té repose sur des codes
sociaux, notamment l’art de la conversation, de la communication, qui dé termine les relations
humaines. À contrario, ceux qui profè rent des discours hypocrites ou ceux qui imposent leur parole
sont à bannir.
6 Chapitre VI : Des biens de fortune: L’argent ré git la socié té et donc dé termine la vie de
l’individu, c’est ce qui lui donne de l’importance. L’argent est maître de la gloire et mê me des
relations familiales.
7 Chapitre VII : De la ville: La ville est un thé âtre où la bourgeoisie singe la cour en se
mettant en scè ne. Aussi, la diversité caracté rise la ville : c’est là où toutes les classes se cô toient, se
croisent et cohabitent.
8 Chapitre VIII : De la cour: L’essentiel du chapitre se concentre sur le portrait sté ré otypé du
parfait courtisan. La cour est un lieu où l’on vit en autarcie, à part, où chacun ne pense qu’à son
inté rê t propre, à paraître et à dissimuler. Les courtisans sont en gé né ral prê ts à tout pour obtenir
des faveurs. Le seul moyen de bien vivre est donc de fuir la cour.
9 Chapitre IX : Des grands: Le chapitre peint des portraits de la noblesse d’é pé e, qui se
distinguent dans la foule des courtisans. Les grands sont vaniteux, alors qu’ils ne sont pas
né cessairement cultivé s. Ils mé prisent les autres bien que leur reconnaissance sociale soit due à
leur naissance, et non à leur valeur propre, le mé rite personnel qu’ils n’ont pas acquis. Né anmoins,
ils ont une utilité historique de par leur ligné e.
12 Chapitre XII : Des jugements: Les jugements sont souvent faux, voire ridicules, et sont
basé s sur ce qui semble et non ce qui est ; car il n’y a pas né cessairement de lien de causalité entre
la faute (à priori) et le jugement (à posteriori).
13 Chapitre XIII : De la mode: L’Homme se laisse souvent in5uencer par la mode et se perd
dans des considé rations super5cielles parce qu’elle est é phé mè re et capricieuse. L’Homme se
ridiculise en suivant ses fantaisies.
14 Chapitre XIV : De quelques usages: Selon La Bruyè re, les usages et les coutumes, qu’ils
soient sociaux, religieux ou familiaux, sont arti6ciels et complexi6ent, voire entravent, les relations
humaines.
15 Chapitre XV : De la chaire: La Bruyè re critique l’oralité de certains pré dicateurs chré tiens
qui sont dé mesuré ment é loquents et s’enorgueillissent de leur rhé torique. Ils devraient prê cher
plus simplement a6n d’ê tre, au moins, compris par l’assemblé e.
16 Chapitre XVI : Des esprits forts: La Bruyè re af6rme sa croyance en Dieu et dé nonce les
impies, les esprits faibles qui nient Dieu et l’â me. Notre pensé , immaté rielle et insaisissable, est la
preuve de notre spiritualité .