Intelligence Militaire
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Intelligence Militaire
Focus stratégique 84
Intelligence artificielle :
vers une nouvelle
révolution militaire ?
Jean-Christophe NOËL
Octobre 2018
Laboratoire
de recherche
sur la défense
L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche,
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en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue
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Auteur
Comité de rédaction
Artificial Intelligence (AI) is a priority defense issue for the military powers
of the 21st century. Unsurprisingly, the United States and China are
currently at the forefront of this new digitalized arms race. As AI aims to
emulate cognitive processes with algorithms and automated processing of
big data, it is capable to undertake a growing number of specific tasks in
which it surpasses human performances. In the military field, it enables a
better management and simulation of the operational environment,
provide threats detection, process and simplify large quantities of collected
intelligence and to deliver an elementary analysis. In this light, military AI
perpetuates the Revolution in Military Affairs that began in the 1990s and
now appears as the main path to achieving tactical superiority. As
autonomy is progressively becoming a new strategic staple, proponents of a
“military humanism” underline the limits of technology, the wide span of
potential counter-measures as well as the risk of a loss of control, or a
dehumanization of war leading to reconsider the warrior ethos. If these
evolutions prompt for a new balance in man-machine teaming, the longer
term prospect of the advent of a “strong AI”, one that would be truly
autonomous, could transform even more the political-military relationship,
and even alter the very nature of the war.
Sommaire
INTRODUCTION .................................................................................. 11
Simplifier ...................................................................................... 30
Automatiser .................................................................................. 31
Prédire .......................................................................................... 31
La perte de contrôle....................................................................... 48
Des contre-stratégies efficaces ....................................................... 50
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CONCLUSION ...................................................................................... 77
10
Introduction
1. Sur la disruption, voir par exemple J.-M. Dru, New : 15 approches disruptives de l’innovation,
Londres, Pearson Education, 2016 ; B. Stiegler, Dans la disruption : comment ne pas devenir
fou ?, Paris, Les liens qui libèrent, 2016 ; P. Perrineau, Le vote disruptif, Paris, Presses de
Sciences-Po, 2017 ; S. Claeys, De disruption à prosommateur : 40 mots-clés pour le monde de
demain, Paris, Le Pommier, 2018 ; S. Mallard, Disruption – Intelligence artificielle, fin du
salariat, humanité augmentée, Paris, Dunod, 2018.
2. Il est désormais possible de lâcher le volant et de laisser sa voiture effectuer toute seule un
créneau ou de parler à son téléphone portable, son téléviseur ou un assistant vocal robotisé,
comme s’il était un être humain, pour chercher un renseignement.
3. S. Hawking, « AI Could Spell End of the Human Race », BBC News, 2 décembre 2014.
4. R. Kurzweil, The Singularity is Near: When Human Transcends Biology, New York, Viking
Press, 2005.
5. Y. N. Harari, Homo Deus : une brève histoire de l’avenir, Paris, Albin Michel, 2017.
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Un enjeu de défense
Parmi les débats les plus médiatiques autour de l’intelligence artificielle,
celui sur la défense paraît capital dans ce nouveau contexte. Il consiste à se
demander comment l’intelligence artificielle va être utilisée dans le
domaine militaire et comment elle pourrait influencer l’art de la guerre. La
question de la distribution de la puissance militaire et des ressources
qu’elle offre est en jeu. Les plus grandes nations militaires s’emparent
toutes de ce débat et ont choisi d’investir dans le développement de l’IA. Le
sous-secrétaire à la Défense américain, Robert Work, a par exemple
soutenu la Third Offset Strategy – ou Troisième stratégie de compensation
– pour donner les moyens aux forces américaines de continuer à s’imposer
décisivement dans les guerres conventionnelles8.
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Qu’est-ce que l’intelligence
artificielle ?
19. Pour une histoire de l’IA jusqu’à 2009, lire : N. J. Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence:
A History of Ideas and Achievements, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.
20. A. M. Turing, Computing Machinery and Intelligence, Oxford, Mind, 1950, p. 433-460, disponible
sur : www.csee.umbc.edu.
21. Ibid., p. 78.
22. N. J. Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence, op. cit., p. 77.
23. Logiciel programmé pour simuler une conversation naturelle.
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24. N. J. Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence, op. cit., p. 163.
25. H. Moravec, The Role of Raw Power in Intelligence, Stanford, Stanford Libraries, 12 mai 1976,
disponible sur : www.frc.ri.cmu.edu.
26. Ce constat est appelé aujourd’hui « paradoxe de Moravec ».
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27. O. Ezratty, Les usages de l’intelligence artificielle, 17 novembre 2017, p. 26, disponible sur :
www.oezratty.net.
28. M. Mitchell Waldrop, « The Chips Are Down for Moore’s Law », Nature, 9 février 2016,
disponible sur : www.nature.com.
29. J. G. Ganascia, Le mythe de la singularité, op. cit., p. 47.
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30. L’apprentissage profond est évoqué dès les années 1980. Ce n’est donc pas une découverte
théorique. Mais les conditions informatiques de son développement n’étaient pas présentes alors.
31. Le lecteur curieux et désireux d’approfondir ses connaissances pourra consulter le dossier de
presse correspondant à la leçon suivante : Y. LeCun, « L’apprentissage profond : une révolution
en intelligence artificielle », Collège de France, leçon inaugurale du 4 février 2016, disponible
sur : www.college-de-france.fr.
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39. N. Brown et T. Sandholm, « Superhuman, AI for Heads-Up No-Limit Poker: Libratus Beats
Top Professionals », Science, vol. 359, 26 janvier 2018, p. 418-424, disponible sur :
science.sciencemag.org ; A. Laurent, « Comment une intelligence artificielle ridiculise les
meilleurs joueurs de poker », Numerama, 27 janvier 2017, disponible sur : www.numerama.com.
23
L’intelligence artificielle
et l’art de la guerre
40. D. F. Harrison, « Computers, Electronic Data and the Vietnam War », Archivaria, vol. 26, été
1988, p. 18-32.
41. S. A. Stouffer, The American Soldier, Princeton, Princeton University Press, 1949.
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42. G. A. Daddis, No Sure Victory: Measuring US Army Effectiveness and Progress in the
Vietnam War, New York, Oxford University Press, 2011.
43. H. G. Summers, On Strategy: A Critical Analysis of the Vietnam War, New York, Presidio
Press, 1984, p. 18.
44. D. Kinnard, The War Managers, New Hampshire, Hanover, 1977, p. 73, cité in D. F. Harrison,
« Computers, Electronic Data and the Vietnam War », Archivaria, vol. 26, été 1988, p. 18-32.
45. G. A. Daddis, No Sure Victory, op. cit, p. 226.
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Détecter et traiter
L’un des champs où l’IA s’impose de plus en plus est toutefois celui de la
détection et du traitement automatisé de données. Des sons émis par des
navires de guerre, des sous-marins, des avions ou des engins militaires
peuvent être recueillis, analysés et attribués avec une précision supérieure
à celle des meilleurs analystes humains. Mais les données traitées peuvent
appartenir à d’autres catégories, comme un texte, des grandeurs physiques,
ou même des images d’objets ou d’êtres humains.
L’intelligence artificielle peut ainsi parcourir des dizaines de milliers
de documents pour rechercher des informations spécifiques. Des logiciels
adaptés traquent des mots-clés, des expressions, des acronymes et sont
capables de les extraire automatiquement. Le programme Maurdor de la
Direction générale de l’armement (DGA) semble être développé en ce
sens52. La possibilité de recouper différentes sources et d’associer des
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informations peut s’avérer très fructueuse pour dévoiler des liens entre des
notions a priori sans connexion53.
Un autre domaine réside dans l’optimisation des opérations de
maintenance. Des données représentatives sont recueillies pour définir
l’état de fonctionnement des systèmes d’un navire, d’un avion ou d’un
véhicule terrestre, comme des températures ou des pressions pour les
moteurs. Elles sont comparées aux grandeurs obtenues précédemment et
analysées par rapport aux valeurs nominales de fonctionnement. En
fonction des tendances, il est possible d’anticiper les pannes. Les pièces
défectueuses pourront être remplacées avant que le système ne défaille. Les
phases nécessaires de réparation ou de régénération du matériel pourront
être anticipées et la manœuvre adaptée en conséquence en fonction des
prévisions de disponibilité.
Les comportements « anormaux » peuvent être traqués de la même
manière pour tout ce qui touche à la cybersécurité. Des bases
d’apprentissage sont notamment constituées avec l’exploitation massive de
rapports d’activité ou des fichiers de logs, qui indiquent l’historique des
événements. Les anomalies sont ainsi répertoriées. Des bases de données
extérieures peuvent compléter ces éléments. L’intelligence artificielle est
alors capable de construire des modèles représentant statistiquement des
menaces et même d’en détecter d’inédites, améliorant la sécurité des
réseaux informatiques54.
L’« analyse comportementale » appliquée à des bâtiments ou des
véhicules peut également donner des résultats. Des infrastructures
sensibles peuvent être reconnues en fonction d’activités anormales
effectuées par des spécialistes déjà identifiés. Des véhicules peuvent être
suivis et leurs parcours analysés pour mieux se renseigner sur les
déplacements de son propriétaire, sur ses habitudes, sur ce qui constitue
son « pattern of life ».
Les êtres humains constituent également des cibles de choix. Les
applications de reconnaissance faciale sont encore limitées dans le civil. Elles
offrent par exemple la possibilité au propriétaire d’un téléphone portable
d’être le seul à pouvoir déverrouiller son appareil après que la caméra
intégrée l’ait reconnu55. L’intérêt militaire ou sécuritaire de tels logiciels
semble beaucoup plus vaste. Des dispositifs de reconnaissance placés sur des
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Simplifier
Trouver la bonne information parmi toutes les données disponibles peut être
cependant une gageure avec l’usage exponentiel des caméras au sol ou dans
les airs. En 2011, l’US Air Force a par exemple recueilli 325 000 heures de
vidéo à partir des caméras embarquées sur ses drones, soit l’équivalent de 37
années de projection pour un seul analyste image57. Ces chiffres ont
nettement augmenté depuis. Les opérateurs peuvent manquer un événement
notable pendant leurs longues heures de surveillance par un manque de
concentration ou même ne pas pouvoir consulter l’ensemble des scènes
filmées par manque de temps. L’intelligence artificielle offre des solutions
innovantes pour pallier ces limites humaines. Le projet Maven a été lancé en
ce sens en 2017 par Robert Work. Il s’agit dans un premier temps d’utiliser
des algorithmes de reconnaissance dans un contexte opérationnel pour la
détection, la classification et le signalement d’objets58. Mis en œuvre dès la
fin 2017 dans le plan de frappes contre l’État islamique en Irak et en Syrie,
les logiciels sont parvenus à reconnaître dans 80 % des cas les personnes,
véhicules ou bâtiments recherchés59.
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Automatiser
Outre la détection et le tri des données, l’intelligence artificielle va
profondément affecter l’automatisation de certaines tâches dans les
systèmes informatiques. Le projet Consolidated Afloat Networks and
Enterprise Services (CANES) de l’US Navy illustre cette tendance61. La
multiplication des réseaux informatiques est indispensable pour le
fonctionnement des systèmes perfectionnés et complexes, mais elle est
aussi une source de vulnérabilité. Le porte-avions USS Truman comprend
par exemple 3 400 réseaux locaux répartis sur plus de 2 700 localisations
différentes dans le navire. L’IA va automatiser la surveillance de ces
systèmes pour vérifier leur bon fonctionnement et se prémunir contre les
menaces cyber, avec la possibilité de produire des patchs de protection
quand une menace est détectée. CANES doit également améliorer la
coordination des feux entre les bâtiments d’une flotte. Les logiciels
s’appuieraient sur la fusion des données recueillies par l’ensemble des
capteurs d’un groupe naval pour suggérer des solutions de tir optimisées,
tenant compte de l’état et de la position des systèmes d’arme sur les
différents navires.
Prédire
Néanmoins, le programme le plus ambitieux et le plus intrigant, car il
aspire à défier directement les stratèges humains, est probablement le
Collection and Monitoring via Planning for Active Situational Scenarios
(COMPASS)62. Son but est de fédérer, grâce à l’intelligence artificielle,
plusieurs disciplines comme la théorie des jeux, la modélisation ou la
60. T. Johnson et C. F. Wald, « The Military Should Teach AI to Watch Drone Footage », op. cit.
61. E. Chiva, « Une bonne année et pour commencer : intelligence artificielle et combat naval »,
VMF 214, 2 janvier 2018, disponible sur : vmf214.net. L’US Navy investit 2,5 milliards de dollars
dans ce système.
62. P. Tucker, « The Pentagon Wants IA To Reveal Adversaries’ True Intentions », Defense One,
16 mars 2018, disponible sur: www.defenseone.com.
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La poursuite de la Révolution
dans les affaires militaires
L’introduction de l’intelligence artificielle dans les armées s’inscrit dans un
processus doctrinal commencé pendant la guerre froide, qui a pris aux
États-Unis la forme de stratégies de compensation (Offset Strategy)
successives. Ces stratégies naissent à chaque fois que les élites américaines
perçoivent une infériorité militaire, ou au moins un rapport de force qui
n’est pas en leur faveur face à des adversaires réels ou potentiels. Dans les
années 1950 d’abord, les Américains constatent qu’ils ne disposent pas de
la supériorité conventionnelle face aux Soviétiques sur le théâtre européen,
du fait d’un large avantage quantitatif des forces communistes.
L’administration Eisenhower ne désirant pas relancer les dépenses
militaires, les États-Unis décident de compenser leur infériorité numérique
par la mise en place d’armes nucléaires tactiques qui doivent empêcher par
63. Un conflit dans une « zone grise » étant défini ici sommairement comme un affrontement
entre des acteurs étatiques et non étatiques, avec un niveau d’intensité inférieur à celui d’un
conflit conventionnel.
64. M. C. Horowitz, « The Promise and Peril of Military Applications of Artificial Intelligence »,
Bulletin of the Atomic Scientists, 23 avril 2018, disponible sur : thebulletin.org. M. C. Horowitz
est un chercheur américain en sciences politiques.
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65. Voir notamment A. F. Krepinevich, « Cavalry to Computer: The Pattern of Military Revolutions »,
The National Interest, n° 37, automne 1994, p. 30-42 ; E. A. Cohen, « A Revolution in Warfare »,
Foreign Affairs, mars-avril 1996, p. 37-54.
66. A. F. Krepinevich et B. Watts, Meeting the Anti-Access and Area-Denial Challenges, Center
for Strategic and Budgetary Assessment, Washington D. C., 20 mai 2003 ; C. Brustlein, « Vers la
fin de la projection de force ? I. La menace du déni d’accès », Focus stratégique, n° 20, Ifri, avril 2010,
disponible sur : www.ifri.org.
67. Les propos de l’intervention sont disponibles sur ce lien : www.csis.org.
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68. Vice-chef d’état-major des Armées. Cette fonction n’existe pas dans l’armée française.
69. M. R. Gordon, « Admiral with High-Tech Dreams Has Pentagon at War With Itself », The New
York Times, 12 décembre 1994.
34
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70. C. J. Fuller, See It/Shoot It: The Secret History of the CIA’s Lethal Drone Program, New
Haven, Yale University Press, 2017.
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71. G. T. Hammond, Col. John R. Boyd: A Discourse On Winning and Losing, Maxwell AFB, Air
University Press, 2018. OODA désigne quatre périodes successives correspondant à l’observation,
l’orientation, la décision et enfin l’action.
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72. K. Payne, Strategy, Evolution, and War: From Apes to Artificial Intelligence, Washington
D. C., Georgetown University Press, 2018, p. 20-21.
73. S. J. Freedberg Jr., « War Without Fear: DepSecDef Work on How AI Changes Conflict »,
Breaking Defense, 31 mai 2017 , disponible sur : breakingdefense.com.
37
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74. N. Ernest, D. Carroll, C. Schumacher, M. Clark, K. Cohen et G. Lee, « Genetic Fuzzy Based
Artificial Intelligence for Unmanned Combat Aerial Vehicle Control in Simulated Air Combat
Missions », Journal of Defense Management, vol. 6, n° 1, 2016.
75. M. B. Reilly, « Beyond Video Games: New Artificial Intelligence Beats Tactical Experts in
Combat Situation », UC Magazine, 27 juin 2016.
76. Ibid.
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39
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la bonne mobilisation. D’un point de vue sécuritaire, l’IA peut ainsi être
employée dans une logique d’action d’influence, voire de guerre
psychologique pour influencer massivement une population adverse, ou
au contraire galvaniser ses propres masses. La surveillance des opinions
subversives en vue d’assurer la « solidité des arrières » est aussi un usage
stratégique à portée de main à l’instar de ce qui semble d’ores et déjà en
marche en Chine avec le système du « crédit social79 ». En cas de crise, un
tel État pourrait élaborer des messages personnalisés pour certains
individus civils ou militaires ciblés.
À l’échelon tactique, ce type d’usage peut être exploité pour intoxiquer
les membres d’une unité en particulier, en l’incitant par exemple à
dévoiler sa position ou même à se rendre ou déserter. À l’échelon
stratégique, il peut s’agir de cibler des relais d’opinion chez l’adversaire
en les incitants à diffuser des fausses nouvelles et à semer la discorde sur
ses arrières. Ces messages seraient élaborés à la manière des offres
commerciales qui sont façonnées pour donner envie de consommer en
fonction de l’historique de nos dépenses. Ils seraient construits à partir
du profil-type que nous dégageons, de la fréquentation de certains sites,
de l’appartenance à certains réseaux sociaux, de la sensibilité des uns et
des autres. Leurs contenus insisteraient sur le bon droit d’un État à
prendre certaines initiatives ou souligneraient au contraire des éléments
fragilisant la légitimité des gouvernements qui s’opposent à ses desseins.
Le recueil d’informations sur les individus pourrait aussi prendre
de plus en plus d’importance dans les opérations de contre-insurrection,
avec l’enregistrement de caractéristiques biométriques pour mieux
apprécier si des habitants locaux sont impliqués dans des actions
hostiles. Par ailleurs, des efforts pourraient être consentis pour mieux
appréhender les individus qui pourraient tenir des postes à responsabilité
dans les organisations militaires ou politiques adverses. L’intelligence
artificielle pourrait repérer des comportements réguliers, des conduites
répétées qui permettraient d’anticiper certaines réactions. Appréhender
dans le temps les forces et les vulnérabilités de ces individus, la manière
dont ils décident, dont ils gèrent le stress, dont ils agissent au sein d’une
bureaucratie pourrait s’avérer très utile si les circonstances plaçaient de
tels hommes dans des postes à responsabilité lors d’un conflit.
L’intelligence artificielle pourrait ainsi donner un nouvel essor à ce que le
général américain Charles Dunlap avait nommé en 2014
79. A. Mitchell et L. Diamond, « China’s Surveillance State Should Scare Everyone », The Atlantic,
2 février 2018 ; C. Rolet, « The Odd Reality of Life under China’s All-Seeing Credit Score
System », Wired, 5 juin 2018, disponible sur : www.wired.co.uk.
40
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80. C. J. Dunlap Jr., « The Hyper-Personalization of War: Cyber, Big Data and the Changing Face
of Conflict », Georgetown Journal of International Affairs, 2014, p. 108-118.
41
Une relation homme-machine
transformée
dans lequel l’homme s’appuie sur le système pour décider lui-même quand
tirer et quelles cibles viser ; l’« automatique spécial », pour lequel les
opérateurs humains définissent les priorités, comme le type de cibles à
abattre en urgence (par exemple les missiles d’abord, puis les bombardiers,
puis les avions de chasse), mais en laissant le système agir par lui-même ;
l’« automatique », où les données remontent vers les décideurs pour les
informer, mais avec un système qui travaille seul ; et le mode « Casualty »
dans lequel le système choisit les tâches qui lui semblent les meilleures
pour assurer la survie du bâtiment81. Le développement des missiles
hypersoniques ne ferait que renforcer le besoin de ce type de systèmes
comportant une grande part d’automatisation, compte tenu des vitesses
d’approche de ce type de munitions et du temps très réduit pour réagir.
L’IA, en calculant les meilleures géométries d’interception et en
sélectionnant certains postes de tir plutôt que d’autres, pourrait se révéler
décisive pour contrer ce type d’attaque.
On conçoit aisément l’intérêt de l’automatisation dans certains milieux
artificiels, comme celui du spectre électromagnétique pour la guerre
électronique ou de l’espace cyber pour la guerre informatique. Le Cyber
Grand Challenge 2016 organisé par la DARPA a montré qu’il était déjà
possible de détecter automatiquement certaines vulnérabilités dans les
logiciels et réseaux adverses tout en améliorant la protection de ses propres
systèmes82. Mais il est possible d’aller encore plus loin. Le couple
IA/automatisation pourrait donner un avantage notable sur le champ de
bataille si des unités de robots ou de plateformes distribuées agissaient de
manière concertée dans l’espace et le temps en suivant les ordres d’une
intelligence artificielle centralisée pour accomplir la manœuvre la plus
adaptée. Leurs trajectoires, leurs tirs seraient déterminés en fonction des
renseignements mis à disposition des logiciels et de l’expérience tirée de
cas similaires dans le passé. Si une position devait par exemple être prise,
la succession ou la synchronisation des attaques des robots seraient
savamment orchestrées par les logiciels de l’IA pour feindre des attaques,
user les ressources des défenseurs ou porter le coup de grâce. Des armes à
énergie dirigée pourraient être activées, frappant régulièrement leur cible
avec une précision encore jamais atteinte. Par ailleurs, l’homme n’étant
plus en première ligne, la conception des robots pourrait être radicalement
modifiée. La vitesse et la manœuvrabilité pour échapper aux tirs adverses
pourraient être privilégiées là où le blindage et les lourdes contre-mesures
emportent parfois l’adhésion aujourd’hui.
81. P. W. Singer, Wired for War, New York, Penguin Books, 2010, p. 124.
82. T. Berthier, « Les apports de l’intelligence artificielle en cybersécurité et cyberdéfense »,
op. cit., p. 39.
44
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83. E. Feng et C. Clover, « Drone Swarms vs. Conventional Arms: China’s Military Debate »,
Financial Times, 24 août 2017, disponible sur : www.ft.com.
84. J. R. Allen et A. Husain, « On HyperWar », Proceedings Magazine, vol. 143, n° 373, juillet 2017,
disponible sur : fortunascorner.com.
85. J. Arquilla et D. Ronfeldt, Swarming and the Future of Conflict, Santa Monica, RAND
Corporation, 2000, p. 102.
45
IA : vers une nouvelle révolution militaire ? Jean-Christophe Noël
type, mais qui ne sont produits qu’en faible nombre compte tenu de leur
coût ? Si les essaims possèdent leurs propres limites, comme de faibles
rayons d’action par exemple par rapport à ceux des avions de chasse ou des
navires les plus modernes dont les capacités d’emport sont bien plus
élevées, le fait qu’ils puissent endommager des pièces essentielles du
dispositif adverse et qu’ils augmentent sensiblement les risques d’attrition
sans être sensible aux pertes ouvre la porte à la réflexion sur le
développement de solutions alternatives.
La diffusion de l’intelligence artificielle a ainsi le mérite de redonner
une nouvelle vigueur au débat quantité contre qualité qui a été tranché en
Occident en faveur du second terme. L’IA pourrait réintroduire de la
qualité à faible coût dans la quantité. De la même manière qu’elle pourrait
chasser du marché du travail de nombreux employés, l’IA pourrait
congédier à terme des combattants ou des systèmes d’arme complexes. Des
robots simples mais nombreux s’imposeraient de plus en plus, animés par
les algorithmes et processeurs à l’œuvre dans les boucles de décision.
À terme, la guerre s’automatiserait de façon exponentielle.
46
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86. R. Richbourg, « It’s Either a Panda or A Gibbon: AI Winters and the Limits of Deep Learning »,
War on the Rocks, 10 mai 2018, disponible sur : warontherocks.com.
87. P. W. Singer, Wired for War, op. cit., p. 218-219.
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La perte de contrôle
Un autre défi que pose l’intelligence artificielle est l’impossibilité de suivre en
temps réel les raisonnements que la machine adopte pour trouver la solution.
Les logiciels traduisent dans leur propre langage les problèmes qui leur sont
posés et proposent des solutions en suivant différentes phases logiques qui ne
peuvent être contrôlées directement. De nombreuses pages de calcul doivent
être décodées pour apprécier la justesse et le raffinement de la méthode. Le
principe de boîte noire s’impose donc pour l’instant. Si une machine propose
88. Microsoft a lancé en 2016 une IA appelée « Tay », censée figurer une adolescente s’exprimant sur
Twitter. Les échanges qu’elle entretint pendant quelques heures avec des êtres humains, souvent de
mauvaises fois, la transformèrent en une plateforme prônant le racisme et le négationnisme. Tay fut
débranchée très rapidement. Lire à ce sujet : M. Tual, « Quand l’intelligence artificielle reproduit le
sexisme et le racisme des humains », Le Monde, 15 avril 2017.
89. R. Bhatia, « Biaised AI: Princeton Study Indicates Race and Gender Bias Has Crept into
Machine Learning Algorithms », Analytics India Magazine, 24 avril 2017.
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IA : vers une nouvelle révolution militaire ? Jean-Christophe Noël
une solution originale qui doit être appliquée dans des temps relativement
courts, l’emploi de l’intelligence artificielle peut se révéler désastreux en créant
le doute, en nourrissant des interrogations et en causant une perte de temps.
Ces interrogations seraient amplifiées dans le cadre d’une coalition, où le
détenteur de l’autorité pourrait imposer à ses alliés certains modes d’action, en
se retranchant derrière les conclusions des algorithmes. Il serait sans aucun
doute très contesté si ses ordres mécontentaient ses partenaires et s’il ne
pouvait justifier rapidement ses orientations.
Tandis que le décideur doit conserver une distance par rapport aux
orientations qui lui sont suggérées, l’humain croit souvent que les
machines lui sont supérieures. Et en cas de défaillance de la machine,
l’accident est alors d’autant plus probable, comme lorsque le conducteur
enthousiaste d’un véhicule autonome perdit la vie en s’encastrant avec sa
voiture dans un tracteur. Il faisait trop confiance au pilote automatique qui,
a priori, ne sut pas faire la différence entre l’éclat du ciel et le blanc de la
remorque du tracteur90. Contrairement aux avertissements du constructeur
Tesla, il ne gardait pas les mains sur le volant par sécurité. Un système mis
en œuvre par des opérateurs mal entraînés ou peu expérimentés, possédant
dans sa gamme des modes automatisés, a de fortes chances d’être employé
de manière complètement automatisée91.
Les équipes en charge des batteries de missiles sol-air Patriot
opéraient par exemple en mode automatique lors de l’invasion de l’Irak en
2003, convaincus de la supériorité de leur système à la suite des résultats
obtenus en 1991 lors de la première guerre du Golfe, qui étaient jugés
encourageants. Or, les logiciels employés étaient dérivés du système
antibalistique Safeguard qui travaillait en atmosphère haute, dans un
milieu où la circulation aérienne était très réduite. Ces logiciels étaient
conçus pour tirer dans la plupart des cas. Comme les batteries surveillaient
l’atmosphère basse en 2003, où la fréquence de passage d’avions en transit
était beaucoup plus élevée, la logique programmatique agressive fut fatale à
un équipage de Tornado britannique. L’ordre de tir fut donné
automatiquement par la machine quand certains critères furent remplis,
sans qu’aucun opérateur n’intervienne92.
Tirant l’expérience de cet accident, le mode de tir automatique fut
déconnecté pour empêcher d’autres drames. Seul le mode d’engagement
90. S. J. Freedberg Jr., « Artificial Stupidity: Fumbling the Handoff from AI to Human Control »,
Breaking Defense, juin 2017, disponible sur : breakingdefense.com.
91. J. K. Hawley, « Patriot Wars: Automation and the Patriot Air and Defense Missile System »,
Center for a New American Security, janvier 2017.
92. S. J. Freedberg Jr., « Artificial Stupidity: Fumbling the Handoff from AI to Human Control »,
op. cit.
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était conservé dans cet état, ce qui permettait de suivre la trace de cibles
potentielles, de gagner du temps pour analyser la situation avant de
décider du tir éventuel. Mais les opérateurs comprenaient mal les
connections entre les différents modes. Quand un capteur rapporta qu’un
missile Scud était peut-être en train de converger vers les positions
américaines, le responsable tactique d’une batterie ordonna de préparer les
lanceurs, c’est-à-dire de faire en sorte qu’ils soient en état de tirer s’il le
décidait. Les opérateurs ne saisirent pas l’esprit de l’ordre et
reconnectèrent l’ordinateur de contrôle du tir, qui était resté en mode
automatique, avec les autres éléments du système. Une salve de missiles
s’élança alors immédiatement dans le ciel à la grande surprise du chef
tactique. Un F/A-18 de l’US Navy fut abattu et son pilote tué93.
L’automatisation s’avérait plus meurtrière que l’armée de l’Air irakienne.
Ces exemples montrent que la gestion des opérations avec des
systèmes automatisés peut très rapidement échapper à ses responsables.
Plus l’automatisation des systèmes augmente, plus l’expertise des hommes
est nécessaire pour bien comprendre les implications des options choisies,
et faire face à un éventuel dysfonctionnement. Une intelligence artificielle
orientera et guidera à terme une manœuvre selon sa propre logique, qui
peut ne pas convenir aux chefs militaires.
93. J. K. Hawley, « Patriot Wars: Automation and the Patriot Air and Defense Missile System », op. cit.
94. V. Kashin et M. Raska, « Countering the U.S. Third Offset Strategy: Russian Perspectives,
Responses and Challenges », S. Rajaratnam Scool of International Studies, Policy Report, janvier
2017, p. 14.
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97. É. Tenenbaum, « Le piège de la guerre hybride », Focus stratégique, n° 63, Ifri, octobre 2015,
disponible sur : www.ifri.org.
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L’humanisme militaire
Les doutes sur la fiabilité et la supériorité de l’intelligence artificielle
s’ajoutent au scepticisme de nombreux observateurs quant aux apports
réels des avancées informatiques dans le domaine politico-militaire,
éthique ou culturel.
Les progrès de l’intelligence artificielle peuvent peut-être aider à
triompher dans des affrontements tactiques, voire à gagner des batailles
dans l’avenir, mais ces perfectionnements seront insuffisants pour
remporter la guerre. Comme le note Clausewitz, la guerre s’inscrit d’abord
dans un environnement politique. La victoire sur le champ de bataille n’a
d’intérêt que si elle modifie le rapport de force politique en sa faveur. La
victoire française de la Moskova en 1812 aux portes de Moscou ne modifie
en rien la résolution du tsar Alexandre Ier qui est décidé à lutter par tous les
moyens qui lui restent pour chasser Napoléon de Russie. Or les
intelligences artificielles faibles seront incapables dans un futur proche de
saisir le contexte dans lesquels s’inscrivent leurs décisions ou leurs actions.
Elles ne peuvent approcher tout ce que nos actions comprennent
d’ambiguïté, de subjectivité, au cœur des interactions entre êtres humains.
La politique reste le domaine de l’homme, qui diffère sensiblement du
domaine mathématique des intelligences artificielles.
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100. On notera néanmoins que les « Lawbots », algorithmes accomplissant des tâches judiciaires
mineures mais répétitives, sont l’un des plus grands chantiers de l’IA. Leur assistance juridique
aux armées pourrait sensiblement augmenter dans le futur.
101. B. Erbland, Robots tueurs : que seront les soldats de demain ?, Paris, Armand Colin, 2018.
102. On peut commencer pour avoir une vue générale avec F. Allhoff (dir.), Routledge Handbook
of Ethics and War: Just War Theory in the 21st Century, Londres, Routledge, 2013.
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les affaires stratégiques participe, parfois pour des motifs très différents, à
un vaste mouvement qu’on pourrait qualifier d’humanisme militaire. Ce
mouvement ne s’appuie pas sur un manifeste ou des textes fondateurs,
mais regroupe simplement des hommes qui pensent que la guerre est une
chose trop sérieuse pour être laissée aux algorithmes. Le sort des entités
humaines constitue la finalité de la guerre et l’homme en est la pierre
angulaire. C’est lui qui la déclenche, qui la mène, qui y combat, qui y meurt
parfois, et enfin, qui la termine. Le respect de sa dignité doit y être assuré.
C’est lui qui doit imposer sa volonté à son adversaire et sa loi aux systèmes
d’armes ou aux systèmes informatisés qui le soutiennent, et non l’inverse.
L’équipier fidèle
L’humanisme militaire n’appelle pas pour autant à rejeter tous les
artifices technologiques. La machine doit simplement assister l’homme et
l’aider à accomplir certaines tâches avec plus d’intensité, plus de
précision, plus d’efficacité, mais toujours sous son contrôle, sans jamais
le dépasser. Le modèle de « l’équipier fidèle » (loyal wingman) est de ce
point de vue assez satisfaisant. Un robot est étroitement associé à un
homme en charge d’un système d’arme (comme un avion de chasse, un
blindé ou même un navire). Ce robot a une autonomie cognitive limitée. Il
ne pense pas par lui-même, mais répond aux intentions de son
« maître ». Il est par exemple doté d’une réserve de munitions, peut
mettre en action des capteurs supplémentaires, peut éventuellement
fournir de l’énergie au système d’arme dominant pour qu’il accomplisse
sa mission plus longtemps. Il amplifie d’une manière générale les
ressources dont dispose le guerrier qu’il accompagne.
Utiliser à bon escient cet équipier fidèle nécessitera de l’entraînement.
Il faudra bien connaître ses capacités, savoir l’appeler au bon moment.
L’intelligence artificielle intégrée dans le système de l’équipier pourra jouer
un rôle important pour faciliter cette relation particulière. Elle pourra
apprendre comment se comporte son leader, anticiper ses initiatives, ses
réactions. Elle pourra le suppléer pour surveiller une partie du ciel, du
terrain ou de la mer, l’alerter en cas de danger impromptu ou mal pris en
compte, lui signaler qu’une cible éventuelle est dans son domaine de tir.
Quelles que soient ses qualités, l’intelligence artificielle aura dans ce
cadre un rôle en retrait par rapport à l’homme, qui serait donc acceptable.
Le coût conceptuel et culturel sera, en définitive, limité par rapport aux
pratiques actuelles, puisque la relation chef-subordonné structure les
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103. D. Wassmuth et D. Blair, « Loyal Wingman, Flocking and Swarming: New Models of Distributed
Airpower », War on the Rocks, 21 février 2018, disponible sur : warontherocks.com.
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104. W. C. Bennett, « Unmanned at Any Speed: Bringing Drones into Our National Airspace », Issues in
Governance Studies, Brookings Institute, n° 55, décembre 2012, disponible sur : www.brookings.edu.
105. R. Govan, « Former FAA Chief Counsel: Integration Pilot Program Strengthens U.S. Leadership in
Drone », Unmmanned Aerial Online, 22 mai 2018, disponible sur : unmanned-aerial.com.
106. D. A. Mindell, « Driveless Cars and the Myths of Autonomy », The Huffington Post, 6 décembre 2017.
107. D. A. Mindell, Digital Apollo: Human and Machine in Space Flight, Cambridge, MIT Press, 2011.
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108. D. A. Mindell, Our Robots, Ourselves: Robotics and the Myths of Autonomy, New York,
Viking, 2015.
109. M. Cassidy, « Centaur Chess Shows Power of Teaming Human and Machine »,
The Huffington Post, 30 décembre 2014.
110. S. J. Freedberg Jr., « Breaking Defense, Centaur Army: Bob Work, Robotics and The Third
Offset Strategy », Breaking Defense, 9 novembre 2015, disponible sur : breakingdefense.com.
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111. D. Wassmuth et D. Blair, « Loyal Wingman, Flocking and Swarming: New Models of Distributed
Airpower », op. cit.
112. N. Jolly, « Meet Ellie: the Robot Therapist Treating Soldier with PTSD », News.com.au,
1 er octobre 2016, disponible sur : www.news.com.au.
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113. Sur l’état de l’art des robots sociaux lire : L. Devilliers, Des robots et des hommes, Paris, Plon, 2017.
114. H. Lyautey, Le rôle social de l’officier, Paris, Broché, 2009 (1 re éd. 1891).
115. J. Frederick, Black Hearts: One Platoon’s Descent into Madness in Iraq’s Triangle of Death,
New York, Crown, 2010.
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116. Z. Paré, L’âge d’or de la robotique japonaise, Paris, Les Belles Lettres, 2016 ; V. Pasquesoone
et M. Gouesse, « Karyn Poupée : pour les Japonais, les robots ont une âme », France Info, 8 juin
2015, disponible sur : www.francetvinfo.fr.
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117. N. Subbaraman, « Soldiers vs Robots: Military Bots Get Awards, Nicknames … Funerals »,
NBC News, 28 septembre 2013, disponible sur : www.nbcnews.com.
63
En route vers une intelligence
artificielle forte
118. E. Puig, « L’arme du pouvoir et le pouvoir des armes : analyse des évolutions contemporaines
de l’armée populaire de libération », Revue française d’administration publique, vol. 150, n° 2,
2014, p. 495-510.
119. E. B. Kania, « Battlefield Singularity: Artificial Intelligence, Military Revolution, and China’s
Future Military Power », Center for A New American Security, novembre 2017, p. 15.
120. X. Biseul, « Projet Maven : les salariés de Google refusent le “business de la guerre” »,
Silicon, 6 avril 2018, disponible sur : www.silicon.fr.
121. Cité in E. B. Kania, op. cit., « Whoever Doesn’t Disrupt Will Be Disrupted », p. 13.
122. E. B. Kania, « Battlefield Singularity: Artificial Intelligence, Military Revolution and China ’s
Future Military Power », op. cit.
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123. N. J. Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence, op. cit., p. 92.
124. F. Cucci, « Deep Learning Is Not the AI Future », KDnuggets, 13 août 2017, disponible sur :
www.kdnuggets.com ; J. Diaz, « “Réseau de neurones” : Geoffrey Hinton annonce un tournant
fondamental », ActuIA, 2 novembre 2017, disponible sur : www.actuia.com.
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127. Voir S. A. Ambrose, Band of Brothers: E Company, 506 th Regiment, 101 st Airborne from
Normandy to Hitler’s Eagle’s Nest, New York, Simon & Schuster, 2001 ; V. Davis Hanson,
Carnage and Culture: Landmark Battles in the Rise of Western Power, New York, Doubleday
Books, 2001.
128. E. B. Kania, « Battlefield Singularity: Artificial Intelligence, Military Revolution, and China’s
Future Military Power », op. cit., p. 17.
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129. Ibid.
130. E. B. Kania, « Battlefield Singularity: Artificial Intelligence, Military Revolution, and China ’s
Future Military Power », op. cit., p. 18.
131. Pour les différences entre l’art opérationnel soviétique et allemand : J. Lopez, Berlin : les
offensives géantes de l’armée rouge, Vistule-Oder-Elbe, (12 janvier-9 mai 1945), Paris,
Economica, 2009.
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144. L’auteur remercie Bertrand Quiminal pour avoir attiré son attention sur ce point. Lire :
D. Larousserie, « La finance à la vitesse de la lumière », Le Monde, 27 mai 2015.
145. F. G. Hoffman, « Exploring War’s Character and Nature: Will War’s Nature Change in the
Seventh Military Revolution? », Parameters, vol. 47, n° 4, hiver 2017-2018, p. 31.
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146. M. Rawson, « Techmate: How AI Rewrote the Rule of Chess », Financial Times, 4 février 2018.
147. C. Metz, « In Two Moves, AlphaGo and Lee Sedol Redefined the Future », Wired, 16 mars
2016, disponible sur : www.wired.com.
148. K. Payne, Strategy, Evolution, and War: From Apes to Artificial Intelligence, op. cit.
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que logique. Elle sera « un pur esprit », fonctionnant à partir des règles
qu’elle aura elle-même élaborées. La question est alors de savoir si le
conflit et sa résolution peuvent être toujours envisagés d’une manière
classique ou, si en chassant les faiblesses humaines du champ de bataille, la
guerre en est transformée.
D’un point de vue théorique, Clausewitz définit la guerre comme le
résultat de l’interaction entre les trois éléments d’une trinité composée par
le peuple et ses passions, le politique et son entendement, et enfin le
général et son armée, qui incarnent la libre activité de l’esprit, le courage et
le talent dans les jeux des probabilités et du hasard. À mesure que
l’intelligence artificielle deviendra forte, elle réduira justement ce libre jeu
de l’esprit en désignant les meilleures pratiques. Tel un GPS actualisant la
circulation pour un conducteur de voiture, l’intelligence artificielle indiquera
le chemin le mieux adapté à suivre, et pourra proposer le trajet le plus rapide
ou le moins onéreux en carburant. Ne pas suivre ses indications aura un
coût. Elle bornera les effets du hasard, en les prévenant ou en s’adaptant à
leurs conséquences. Elle limitera les expressions du courage en favorisant
l’automatisation. Les qualités et les vertus qui définissent un général et son
armée dans l’acception clausewitzienne s’estomperont progressivement. Les
fonctions qu’ils tiennent seront en partie assurées par des machines sachant
se saisir des problèmes et gérer l’environnement. Le maniement de
l’entendement ne sera plus le simple monopole du politique. Il s’étendra à la
sphère militaire par l’intermédiaire des machines qui agiront comme les
principaux stratèges.
Il se pourrait alors que les connexions entre le politique et le militaire
se simplifient. Les deux entités emploieraient une méthode commune pour
arriver à un but partagé. Le recours à la violence serait ajusté au niveau
suffisant pour satisfaire les besoins politiques. La guerre pourrait alors ne
plus avoir de grammaire propre, de dynamique spécifique. La politique
imposerait sa présence à tous les niveaux de la guerre, jusqu’au plus petit
détail sub-tactique. Le guerrier deviendrait alors une figure du passé,
remplacée par des opérateurs s’assurant que la marche des événements est
conforme à celle exprimée par le politique, et parfaitement traduite par la
machine. La guerre existerait toujours, mais le guerrier aurait disparu.
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Conclusion
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