Bouchard, Françoise - Saint Antoine de Padoue PDF

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Françoise

Bouchard

Saint Antoine
/le Padoue
(5-,, Biographie

S a lva to r
Françoise Saint Antoine de Padoue
Bouchard Biographie
1195-1231

« Saint Antoine, aidez-moi à retrouver mes lunettes! Faites


que je retrouve la santé ! Faites que mon mari revienne! »
Avec Thérèse de Lisieux ou Bernadette de Lourdes,
Antoine de Padoue (1195-1231) est sans doute l'un des saints
les plus populaires, et sa statue se trouve dans nombre
de nos églises.

Mais sait-on que celui-ci, né à Lisbonne dans une famille


noble et militaire, était Portugais? Qu'il alla au Maroc et
rejoignit la famille franciscaine, jusqu'à travailler avec
Françoise Bouchard,
François d'Assise ? Que cette figure aimée des plus
historienne, a été
modestes fut d’abord un grand intellectuel, prédicateur
enseignante.
soucieux de présenter au plus juste la doctrine chrétienne
Elle a consacré de
(sa connaissance des Écritures a fait dire de lui qu’il était
nombreux ouvrages
le « trésor vivant de la Bible ») ? Sait-on enfin que celui
chez Salvator à la
qu'on appelait « Le marteau des hérétiques » combattit
vie de grands saints
les Albigeois et fonda un sanctuaire en France, près de
comme Jeanne de
Brive : les Grottes de Saint-Antoine? Pourtant, c'est bien
Couverture : Isabelle de Senilhes - Photo : Saint Antoine de Padoue © deagostini/leemage

Chantal, Don Bosco,


en Italie, près de Padoue, qu'il finit sa vie.
Thérèse de Lisieux
ou le Curé d'Ars...
Restituant son parcours d'une manière vivante, Françoise
Paroles et esprit
Bouchard nous amène à sa rencontre.
de saint Vincent
de Paul, son dernier
ouvrage, est paru
en 2016.

ISBN : 978-2-7067-1486-3
Salvator-Diffusion
20 c ne

9 782706 714863 S a lva to r


DU M ÊM E AUTEUR

aux Editions Salvator

Frère Gabriel Taborin. À l ’école de la Sainte Famille, 2004.


Préface de Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars.
Traduit et édité en espagnol et portugais.

Sainte Jean n e de Chantal ou la puissance d'aimer, 2004.


Préface du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon.

Le Saint Curé d'Ars, viscéralement prêtre, 2005.


Préface du cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux
Traduit et édité en portugais, en catalan et en espagnol.

Sainte Bernadette. La voie de la simplicité, 2006.


Préface de Mgr Perrier, évêque de Tarbes-Lourdes
Et de Mgr Francis Deniau, évêque de Nevers
Traduit et édité en italien et portugais.

Allez boire à la source! Avec Bernadette, 2007.


Pièce de théâtre, préface d’Henri Tisot.

Bernadette, son histoire, 2007.


Editions en français, italien, espagnol, anglais

Sainte Thérèse de Lisieux. La sainteté revisitée, 2007.


Préface de Mgr Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon,
Postface de Jean Clapier.

Don Bosco, p a r la force du cœur, 2008.


Préface du père Jean-Marie Petitclerc, s.d.b.
Traduit et édité en italien.

Le père Brisson. Un cœ ur qui bat à l ’h eure de Dieu, 2009-


Préface de Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes.
Traduit et édité en allemand, espagnol, anglais.

Paroles du Curé d'Ars, 2009-


Traduit et édité en coréen, espagnol et portugais.

À la source de la Visitation, 2010.


Préface de Mgr Yves Boivineau, évêque d’Annecy.

Camille Costa de Beauregard. La noblesse du cœur, 2010.


Préface de Mgr Ballot, archevêque de Chambéry
et de Mgr Ulrich, archevêque de Lille.

Saint Jean-François Régis, 2010.


Préface du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon.
Postface du père Pierre Iratzoquy, s.j., recteur du pèlerinage de Lalouvesc.
Traduction en cours en espagnol.
Fran çoise B ou chard

SAINT
ANTOINE DE PADOU E
Biographie

P réface du frère E ric Bidot,


m inistre provincial de F ra n ce

S a lv a to r
103, rue Notre-Dame-des-Champs
F-75006 Paris
© Éditions Salvator, 2017
Yves Briend Éditeur, S.A.
103, rue N otre-D am e-des-Cham ps F-75006 Paris
w w w .editions-salvator.com
contact@ editions-salvator.com

M aquette intérieur : Atlant’Com m unication


M aquette de couverture : Isabelle de Senilhes

ISBN : 978-2-7067-1486-3

Tous droits réservés pour tous pays


A A lban et M axence, m es chers arrière-petits-fils
Préface

La vie de saint Antoine


de Padoue, une aventure
de la foi

La vie d’Antoine est une aventure de la foi. Au


Moyen Âge, deux types de récits sont bien identifiés :
la «geste » et l’«aventure ». La «geste »est un récit fondé
sur une histoire du passé ; pensons à La ch a n so n d e
R olan d. L’«aventure », étymologiquement adven tu ra,
est un participe futur alors que gesta est un participe
passé, une histoire qui commence. L’aventure, c ’est
une histoire qui va.
Avec Antoine, tour à tour et en même temps pré­
dicateur érudit, thaumaturge généreux, consolateur
attentif, religieux éprouvé, contem platif aguerri,
l’histoire est toujours en mouvement. Elle est tou­
jours en train de commencer, car l’Esprit du Sei­
gneur veille et le conduit sans repos par les routes
et les chemins, de Lisbonne à Padoue, de Bologne à
Limoges en passant par Brive-la-Gaillarde, comme
il l’inspire dans la quête de Jésus, homme et Dieu.
Frère Antoine a rejoint en 1220 l’ordre des frères
mineurs (ou franciscains) «fondé» par Frère François
d’Assise. Dans la Règle, il est écrit que les frères «qui
savent travailler travaillent et exercent le même métier
qu’ils ont appris», tout en restant «plus petits et soumis
à tous» (Rnb 7, 6 et 2).
Théologien formé chez les Chanoines réguliers
de Saint-Augustin, Antoine a la «grâce de travailler­
ez Rg 5, 1) et François l’encouragera dans une lettre
célèbre: «Il me plaît que tu lises la théologie sacrée
aux frères pourvu que, dans l’étude de celle-ci, tu
n’éteignes pas l’esprit de sainte oraison et de dévo­
tion, comme il est contenu dans la Règle. Va bien.»
François recommande à Antoine l’attitude «mineure »,
qui consiste à ne pas attirer l’attention d’autrui mais
tend à rendre dans l’Esprit toutes choses à Dieu, Créa­
teur, Rédempteur et Sauveur.
Le fil rouge de la vie d’Antoine, moins connu que
ses succès en paroles et en actes, est sans doute son
désir du «martyre», désir qui le poussera à entrer chez
les frères mineurs après la mort de cinq d’entre eux, au
Maroc. Le martyre, c ’est donner sa vie pour le Christ.
Martyre du sang ou de la fidélité, les modalités de
ce don varient, mais le don en mouvement demeure
l’essentiel. Engagé dans l’aventure de la foi, Antoine
a donné sa vie et certains, tels le père Marie-Antoine
de Lavaur, «saint de Toulouse», capucin de la fin du
XIXe siècle, ont vu en lui «l’apôtre de l’amour», com­
plétant la mission de François d’Assise, «le nouveau
crucifié». «Dès lors, la terre avait un nouveau brasier
d’amour [en François] ; elle allait retrouver la chaleur
vitale [avec Antoine]1. »
Merci à Françoise Bouchard de nous proposer,
simplement et chaleureusement, l’aventure de la foi
enthousiasmante de cet «apôtre d e l ’a m o u r «>que fut
Antoine de Lisbonne et de Padoue.

Frère Éric B idot, ofm cap,


ministre provincial de France

1. Père Marie-Antoine de Lavaur, Les grandes gloires de saint Antoine


de Padoue, p. 35. Pour toutes les références, voir la bibliographie en fin
d’ouvrage.
U n palais à l’ombre
de la maison de Dieu

U n saint qui ne connaît pas de repos

Saint Antoine de Padoue, faites-moi retrouver mes


clés, mes lunettes, mon portable, mon parapluie, ma
minette fugueuse... Réservez-moi une place de par­
king devant chez moi dès mon arrivée... Redonnez
la foi, la santé, la paix, la joie, l’espérance... un tra­
vail.. . à tous ceux que j’aime et qui les ont perdus...
Le pauvre saint Antoine, il ne lui reste pas un ins­
tant pour se reposer auprès du Seigneur, après une
vie pourtant si bien remplie à son service! Chaque
jour, chaque minute, chaque seconde, de telles sup­
plications montent vers lui, de tous les points de
notre terre depuis qu’il l’a quittée.
Car il est connu et vénéré partout, comme en
témoignent les statues à son image dans nos ora­
toires, nos chapelles, nos églises, nos cathédrales...
Des statues aux qualités artistiques pas toujours évi­
dentes, mais qui, si abondamment ornées de fleurs,
de cierges ou de lumignons, expriment bien la ferveur
de tout un peuple de chrétiens. Ferveur attestée par
ces kyrielles d'ex-voto, parfois gravés en lettres d’or sur
des plaques de marbre, parfois illustrant des tableaux
évocateurs: autant de signes de reconnaissance des
grâces obtenues par son intercession...
Mais, qui est donc celui à qui nous adressons si
spontanément nos requêtes les plus intimes et les
plus diverses? Qui est donc cet Antoine de Padoue
qui, de fait, ne s’appelait pas Antoine et n’était pas
de Padoue?

Sous le signe de lAssomption

Laissons aux historiens les querelles sur sa date


de naissance. Peu nous importe, en effet, que ce soit
en 1188, 1190 ou 11951, comme l’ont avancé cer­
tains. En l’état actuel des recherches, mieux vaut se
conformer à la tradition multiséculaire de l’Église qui
la situe en 1195. Pour ce qui est du jour, il s’agit, sans
conteste, du 15 août, fête hautement symbolique de
l’Assomption de la Vierge Marie2,
Son père, Martin de Bouillon3, appartenait à la
petite noblesse de la ville. Il avait bénéficié de la
notoriété de son propre père, Vincent de Bouillon,
qui avait été nommé par Alphonse Ier gouverneur

1. D ’après une étude anthropologique réalisée sur ses restes le 6 janvier


1981, sa mort serait survenue entre 40 et 42 ans. Or, com m e on en connaît
la date (1231), sa naissance aurait eu lieu entre 1189 et 1191.
2. La fête de l’Assomption était célébrée dès le vre siècle à Jérusalem et dès
le vue siècle à Rome, bien avant la proclamation du dogme (1950).
3. Ou Bulhan ou Bulhen dans la graphie portugaise. Il pourrait avoir pour
ancêtre Godefroy de Bouillon, devenu premier roi de Jérusalem après sa
participation à la victoire sur les musulmans lors de la première Croisade.
de Lisbonne en remerciement de son aide dans la
reconquête sur les musulmans. Sa mère, Marie-Thé­
rèse Tavera, était issue d’une famille ayant régné sur
les Asturies1.
Ils habitaient un palais proche de l’église-
cathédrale dédiée à Marie sous son vocable de
l’Assomption. C’est là qu’ils firent baptiser leur
premier-né par son oncle paternel, Fernand (ou
Ferdinand) de Bouillon, prêtre et chanoine capi­
tulaire, dont il reçut le prénom. La cérémonie eut
lieu huit jours plus tard, conformément aux usages
de l’époque, sur les fonts baptismaux qui sont tou­
jours l’objet d’une grande vénération populaire.
Il aurait eu, selon les versions, deux frères et une ou
deux sœurs2.

U ne foi nourrie dans le sanctuaire

La proximité de l’église-cathédrale du palais de


son père allait profondément marquer le jeune Fer­
nand. Dès qu’il sut marcher, il s’y rendit souvent en
compagnie de sa mère, qui l’avait sensibilisé à divers
pôles d’attraction du sanctuaire :
- la dévotion à Jésus en croix, mort pour sauver
les hommes, et celle à sa présence réelle vivante au
tabernacle ;

1. Elle descendrait du roi Fruëla.


2. Ses deux frères se nommaient Vasco ou Valasco, qui se serait marié, et
Gilles ou Egidio, devenu chanoine au m onastère de Saint-Vincent de Fora.
Et ses deux sœ urs: Dona Maria, chanoinesse au monastère Saint-Michel-
des-Dam es, et Dona Feliciana, qui s:est mariée, et dont le fils aurait été
ressuscité par son oncle.
- une confiance affectueuse en Marie qu’elle
l’invitait à venir prier devant le tableau de l’Assomp­
tion, en lui rappelant qu’elle ne pouvait rien lui refu­
ser puisqu’il était né le jour de sa fête. Il lui arrivait
même parfois de s’éclipser du palais pour aller s’age­
nouiller devant son image, et «de lui parler comme
à une mère1»;
- la vénération des reliques de saint Vincent, qu’il
admirait pour son amour de Dieu qui l’avait conduit
au martyre.

Quelques points forts de son enfance

Les détails n’abondent pas dans les récits rela­


tés par les biographes de Fernand sur sa première
enfance. Les uns et les autres en ont retenu quelques-
uns:

Les pillards neutralisés


Un jour, il reçut l’ordre de son père de veiller sur
un champ de blé récemment ensemencé. Il resta
donc près du champ, courant et criant dans tous les
sens, pour faire fuir une troupe de moineaux qui
convoitaient les grains en voie de germination...
Soudain, il ressentit une envie irrésistible d’aller prier
Jésus devant le tabernacle de l’église-cathédrale...
Il s’approcha alors d’une grange, en ouvrit la porte et
se mit à crier: «Petits oiseaux, petits oiseaux, venez
par-là ! »

1. Antoine du Lys, Histoire de saint Antoine de Padoue, sa vie, son culte,


À ces mots, la nuée de pillards qui avaient repéré
les grains de blé s’engouffra dans la grange et s’y
laissa enfermer.
Quand son père revint, tout étonné de ne pas le
voir à son poste, il se rendit à l’église, où il était sûr
de le trouver, pour lui demander des explications.
Alors, sans se troubler, Fernand lui apprit que les
moineaux avaient été enfermés par ses soins dans la
grange, et il l’invita à aller vérifier le fait par lui-même.
Son père, ne voulant pas troubler son recueillement,
se rendit devant la porte de la grange, l’ouvrit, et,
au même instant, les petits prisonniers sortirent, à
coups de grands battements d’ailes, pour s’envoler,
en pépiements stridents, non vers le champ de blé,
mais vers le cie l...

La cruche cassée
Fernand était un garçon plutôt calme, mais, en
grandissant, il lui arrivait d’aller s’amuser avec un
petit groupe d’amis du voisinage. C’est au cours
d’une de leurs parties de jeux particulièrement ani­
mées qu’ils cassèrent involontairement la cruche,
pleine d’eau, qu’une jeune servante venait de puiser
dans le puits. La pauvre fille se mit à pleurer. Fernand
n’était pas insensible à sa détresse. Il se précipita à
terre pour ramasser les morceaux et les assembler
du mieux qu’il put. Puis il pria Marie et la supplia de
les recoller. Au grand étonnement de tous, la cruche
se reforma, et il la tendit à la servante qui le remer­
cia vivement de lui avoir ainsi évité les reproches de
sa maîtresse1.

1. Ibid, p. 17. Selon une autre version, il s’agirait d’une vieille femme.
Le besoin de donner
Cette même compassion, Fernand l’éprouvait
aussi à l’égard des pauvres: «La plus grande joie
qu’on pouvait lui procurer était, à la vue d’un mal­
heureux, de mettre une pièce dans sa petite main.
Alors, à mesure qu’il versait l’aumône, il semblait
que Dieu répandait en lui des richesses spirituelles
qui rendaient toujours plus irrésistible le besoin de
donner1. »

L ’écolier m odèle
Dans sa dixième année, ses parents l’inscrivirent
à l’école cathédrale tenue par les chanoines, dont
son oncle paternel était le directeur. Ayant déjà
acquis au palais les disciplines de base, il y apprit
le latin, le grec, la rhétorique, les sciences, l’Histoire
sainte. Sur le plan liturgique, à l’instar de ses cama­
rades, il s’était familiarisé à la musique, au chant
sacré et au service de l’autel en participant, comme
«clerc», à tous les offices de la cathédrale que diri­
geaient les chanoines. Doté d’une intelligence hors
du commun, d’une mémoire prodigieuse, d’une
éloquence naturelle et d’une grande capacité de
travail, il fut considéré, dès la première des cinq
années qu’il passa dans cette école, comme le meil­
leur de tous.
Par ailleurs, cet enfant qu’on savait déjà pieux,
compatissant et généreux, «avait une aversion pro­
noncée pour le mensonge (même «joyeux»), pour les
paroles inutiles et les jugements téméraires et toute

1. Promoteur de la Société saint Antoine, Nouvelle vie du thaumaturge


saint Antoine de Padoue, pp. 16-17.
forme de haine et de vengeance. Il était unanime­
ment considéré comme un élève studieux, obéissant
et serviable, et comme un artisan de paix, générant
l’affection et la confiance de tous. »

La croix gravée dans la pierre

C’est au cours de sa scolarité qu’allait survenir un


incident noté par divers biographes. Un jour, Fer­
nand était en train de prier Marie, à genoux sur les
degrés d’accès au cœur du chapitre. Soudain, la paix
qui inondait tout son être fit place à une vive émo­
tion: à quelques pas de lui, il vit surgir une «forme
hideuse» qui l’épouvanta1.
Sa réaction fut immédiate. Convaincu que seule la
croix du Christ pouvait le délivrer de cette vision, il
traça avec son doigt une croix sur le marbre, qui se
mit à fondre comme la cire. La croix se grava dans
la pierre. Au même instant, l’horrible personnage
disparut dans un nuage de fumée dégageant une
odeur nauséabonde, confirmant l’origine diabolique
du phénomène2. La plaque de marbre dans laquelle
s’était gravée cette empreinte, après avoir été déta­
chée de la dalle, a été exposée sur un mur.

Vers un brillant aven ir?


Quand il termina sa scolarité à l’École cathédrale,
Fernand avait quinze ans passés. C’était l’âge, à

1. Antoine du Lys, op. cit., pp. 17-18; R. P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, His­
toire de saint Antoine de Padoue, p. 9 ; Mgr Antoine Ricard, Saint Antoine
de Padoue, p. 13; «Acta Sanctorum» 13 juin, I, II, p. 706. Azevedo, lib. I,
chap. I.
2. Pour certains auteurs, la forme hideuse se serait mom entanément trans­
form ée en une femme à l’attitude lascive et provocante.
l’époque, de penser à son avenir. Et il s’annonçait
plutôt brillant, son avenir, puisqu’il lui était assuré
par sa naissance. Étant l’aîné de la famille, il pourrait
succéder à son père et gérer ses biens et ses proprié­
tés. D’autant plus qu’il en avait toutes les aptitudes et
les capacités : probité, sens pratique, contact facile,
dynamisme...
Sur le plan physique, il était d’une taille ordinaire,
un peu au-dessus de la moyenne. Ses cheveux noirs
encadraient son visage au teint brun, au front large,
aux traits plutôt fins; son nez, assez long, contras­
tait avec ses lèvres charnues et colorées. Rien, pour
les historiens, qui dénoterait une beauté exception­
nelle ! Mais ils ont tous souligné l’expression de ses
yeux noirs, et ce regard de feu tempéré par l’éclat
d’un léger sourire, trahissant la vivacité de son intel­
ligence et l’ouverture de son cœur à tous ceux qui
l’abordaient.
Qu’allait donc faire de sa vie ce garçon charmant,
brillant et sympathique?...

Ou tout quitter p o u r Dieu ?

Ses parents auraient bien aimé qu’il prenne leur


succession ou qu’il embrasse une carrière laïque
dont toutes les portes lui étaient ouvertes. Mais pour
lui, situation personnelle et considérations publiques
n’étaient que vaines illusions. Il n’avait qu’un désir:
vivre le plus uni possible à Jésus qu’il avait si souvent
visité pendant toute son enfance, avec le soutien de
Marie. Car il avait fait de Marie sa seconde mère, à
force de contempler le mystère de son Assomption
dans l’église-cathédrale : de son Assomption qui, ne
l’oublions pas, était le jour béni de sa naissance.
Sa décision était arrêtée : il entrerait chez les Cha­
noines réguliers de Saint-Augustin: le couvent de
Saint-Vincent de Fora1, situé sur les hauteurs de la
ville, cumulait, à ses yeux, plusieurs avantages :
- il était dédié à saint Vincent martyr, dont il avait
vénéré si souvent les reliques ;
- sa situation un peu à l’écart de la ville lui assu­
rerait une atmosphère de silence et de paix favorable
au recueillement souhaité ;
- les occupations quotidiennes des chanoines
l’attiraient par leur sage répartition du temps consa­
cré à la prière, à l’étude et au travail m anuel... L’al­
ternance de moments passés au choeur, en cellule,
dans la bibliothèque ou au jardin... lui assurerait un
équilibre sur tous les plans.
Il ne lui manquait qu’à convaincre ses parents de
sa résolution. Grâce à l’intervention de son oncle, à
qui il avait fait part de sa vocation, il obtint assez
facilement leur consentement.

1. Fora signifie: en dehors de.


U n appel à décrypter

Du palais au monastère

Fernand avait donc reçu l’autorisation paternelle


d’entrer chez les Chanoines réguliers de Saint-Augus­
tin. Encore lui fallait-il quitter le palais vaste et somp­
tueux, la bonne table, les beaux habits... Il devrait
aussi se séparer de ses parents, s’arracher à sa fratrie,
juste au moment de ces douces retrouvailles après
ses cinq ans de scolarisation...
Et cette séparation, ce serait peut-être, même très
certainement, pour toujours. Pour toujours !... Même
s’il faisait de bon cœur le sacrifice de sa vie pour l’of­
frir sans partage au Seigneur, il dut se faire violence,
en ce petit matin du mois d’août 12101.
Accompagné (ou non?) par ses parents, il
emprunta le chemin serpentant entre vignes et
oliviers pour s’y rendre. Plusieurs fois, il était déjà
monté au monastère, pour rencontrer le supérieur,
Gonzalve Mendez et partager quelques offices

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 11 ; Mgr Antoine Ricard, Saint Antoine de


Padoue, p. 23.
avec les religieux. Mais cette fois, les hauts murs de
pierre lui semblaient si froids et si im pénétrables...
Impénétrables comme des remparts autour des­
quels il allait être enfermé. Mais cette impression
déplaisante s’estompa à la pensée qu’il pourrait
être tout à Dieu, sans être privé de la présence de
ses parents et amis qui pourraient venir lui rendre
visite de temps à autre.
Quand il heurta le marteau de la lourde porte du
couvent, il fut chaleureusement accueilli par le por­
tier. Le supérieur, qui attendait son arrivée, le reçut
comme un père. Il lui remit, en échange de ses
beaux vêtements, le sobre habit des chanoines: la
robe blanche, le cordon en guise de ceinture, le sur­
plis et l’aumusse1 pour les offices.

Plus près de D ieu...

Fernand s’adapta très facilement à la vie du cou­


vent. Ses besoins d’intériorité étaient comblés par les
temps de prière et de méditation en cellule et par
son assistance à la messe matinale. Il se rendait, avec
une assiduité exemplaire, aux offices quotidiens au
cours desquels il pouvait donner libre cours à son
attrait pour la psalmodie, à laquelle il avait été initié
à l’école cathédrale.
Sa soif d’apprendre, il pouvait la satisfaire à la
bibliothèque où il ne se lassait pas de commenter
et de méditer l’Ancien et le Nouveau Testament et

1. Espèce de camail (courte pèlerine) que portaient les chanoines sur les
épaules.
UN APPEL À DÉCRYPTER • 25

.t
particulièrement les Évangiles qui servaient de base
à la plupart de ses méditations.
Aimable avec tous, obéissant à ses supérieurs,
observant la Règle sans le moindre écart, il fut d’em­
blée adopté par la communauté... Fernand était
donc plus près de D ieu ...

Mais le cœ ur en partage

Il était heureux au milieu de ceux qui devenaient


ses frères, mais il n’était pas privé pour autant de la
présence de ses parents et de ses frères de sang. Et
ses amis, aussi, avaient pris l’habitude de venir le
voir assez souvent. Les uns et les autres lui faisaient
part de leur peine provoquée par son absence, ou
de leurs reproches de les avoir si soudainement
abandonnés. Ils lui rappelaient les bons moments
passés ensemble et le tenaient informé des nouvelles
locales, de leurs réunions amicales, de leurs repas
partagés... sans lui! Et ces visites qu’il recevait se
terminaient invariablement par ce genre d’exhorta­
tions: «Pourquoi restes-tu dans ce monastère? Tu es
si jeune ! Tu nous manques tellement ! Et nous, est-ce
qu’on ne te manque pas?»
Il était bien déterminé à ne pas céder à leurs ins­
tances sans cesse réitérées. Mais il se méfiait de ses
bons sentiments, de son goût pour la conversation
et de son empathie naturelle qui lui attirait tous
les cœurs.
Il comprit vite que toutes ces rencontres commen­
çaient à troubler son esprit et à compromettre son
profond désir d’union intime à Dieu. Il ne trouva
qu’un remède à cette situation: quitter le monastère
pour aller vivre dans une maison de l’ordre plus éloi­
gnée. Il fixa son choix sur l’abbaye de Sainte-Croix
de Coïmbre, qui en était le berceau.

Quand le salut est dans la fuite

Fernand alla donc solliciter de son supérieur l’au­


torisation de le quitter. Mais Gonzalve Mendez lui
rétorqua qu’il appréciait trop ses mérites et qualités
- gage de tant d’espérances pour la communauté -
pour s’en séparer.
Fernand ne s’avoua pas vaincu pour autant.
À plusieurs reprises il s’employa à le persuader de
la pertinence de ses arguments et de la nécessité de
ne pas contrarier le plan de Dieu sur lu i... Il finit par
avoir gain de cause, et deux ans après son arrivée,
il allait partir pour Coïmbre, à quelques kilomètres
de là.

U n e abbaye royale

C’est vers la fin décembre 1212 que Fernand fit


ses adieux à son supérieur et à ses frères, et se mit
en route pour Coïmbre. Quelques jours plus tard, il
arrivait à l’abbaye de Sainte-Croix où le Prieur, Gio­
vanni Cesare, le reçut très fraternellement, ainsi que
ses soixante-douze religieux1.

1. Voir Père Léopold de Chérancé, Saint Antoine de Padoue, p, 21.


Cette abbaye jouissait de multiples avantagef
par rapport au couvent de Saint-Antoine d’Oli-
vares. Construite par Alphonse Ier, en hommage à
sa victoire sur les musulmans, elle bénéficiait de sa
générosité, d’autant plus active qu’il avait établi son
palais dans la ville1. De plus, en sa qualité de mai­
son-mère de l’ordre, elle était devenue la résidence
du ministre général.
Les bâtiments, auxquels on accédait par un majes­
tueux portail gothique, étaient plus vastes et l’église
collégiale, plus richement ornée. Une série de sacris­
ties renfermant ornements liturgiques, vases sacrés
et linge d’autel donnait accès au trésor des lieux:
une salle, au-dessus du chœur, où étaient exposées
des reliques de saints dans des urnes d’or et d’argent
finement ciselées2. Le cloître ne détonnait pas de
l’ensemble, avec ses colonnettes gothiques rehaus­
sées de leurs ogives autour desquelles s’enroulait
symboliquement la corde franciscaine finement
sculptée dans la pierre.

U ne bibliothèque inestimable

Ce qu’appréciait particulièrement Fernand dans


sa nouvelle abbaye, c ’était la bibliothèque, bien plus
fournie que celle du couvent de Coïmbre. Avide de
lecture spirituelle, il allait pouvoir faire ses délices de
tout ce riche éventail de livres : des ouvrages de base
comme la Bible ou l’Histoire de l’Église, des traités

1. Elle allait devenir la nécropole des rois du Portugal.


2. Antoine du Lys, op. cit., pp. 23-24.
sur la foi, la doctrine, la musique ou sur l’interpré­
tation des écrits des Pères de l’Église, des manuels
de casuistique pour apprendre à résoudre les cas
de conscience morale, des controverses donnant les
arguments pour réfuter les polémiques contre la foi
ou les erreurs des fausses religions ; il y avait aussi le
«Commentaire de saint Augustin» sur l’Évangile de
saint Jean et sur ceux de saint Luc et saint Matthieu,
et Y H exam éron de saint Ambroise avec sa P astorale
et son Livre su r la P énitence, ou le C om m en taire d e
B è d e sur saint Luc... On peut y ajouter des recueils
de prières et de méditations, des psautiers et même
un «capitulaire » traitant de la manière de chanter les
antiennes1.
Avant de suivre Fernand dans cette période
d’études spécifiquement religieuses, il est bon de
préciser quel était le rôle particulier des Chanoines
réguliers de Saint-Augustin.
Ce relevé, bien que probablement incomplet, des
ouvrages qu’ils possédaient, nous donne une idée
de l’ampleur de leurs connaissances. Pourquoi donc
une formation aussi poussée?
En premier lieu, pour satisfaire leur soif de connaître
et aimer Dieu, de suivre son oeuvre dans l’histoire du
salut que son Fils est venu apporter au monde. Mais
pas seulement. Car s’ils vivaient tous ensemble avec
une Règle2, comme des moines, leur rôle ne se limitait
pas au service du chœur et des offices. Il consistait
aussi à faire passer cet amour de Dieu incarn, dont ils
étaient imprégnés, aux fidèles des paroisses soumises
à la juridiction de l’église dont ils avaient la charge. Ils

1. Ibid., p. 22.
2. D'où la qualification de «réguliers-.
assuraient encore le catéchisme aux enfants ainsi que
la formation, en interne, de ceux qui leur semblaient
susceptibles d’être en recherche d’une vocation. Ils
exerçaient également la charité sur le plan humain et
matériel en distribuant des aumônes et en accueillant
les pèlerins.
On comprend mieux que leur formation com­
porte des considérations sur les controverses et
polémiques en sachant qu’à l’époque, ils avaient à
lutter contre l’hérésie manichéenne , qui jugeait le
monde selon le dualisme opposant les principes du
bien et du mal, sans la moindre nuance. Il leur fal­
lait donc avoir une profonde connaissance de la foi
catholique, mais aussi des erreurs de l’hérésie, afin
d’acquérir des arguments solides pour les réfuter.

Des maîtres d’exception

La bibliothèque n’était pas le seul atout offert


à Fernand. En effet, il y avait aussi, à l’abbaye de
Sainte-Croix, des maîtres brillants dont la réputation
avait rejailli sur toute la ville1. Deux d’entre eux - les
docteurs en théologie Jean et Raymond - étaient
diplômés de la prestigieuse université de Paris (où
ils auraient été les disciples du maître des sentences,
Guillaume de Champeaux). Pierre, quant à lui, avait
été envoyé au non moins célèbre monastère de Saint
Ruf d’Avignon, pour y examiner les riches ouvrages
et en ramener des copies.

1. L’abbaye était un foyer de culture et de science et fut l’origine de la


célèbre université de Coïmbre. fondée en 1292.
U n élève surdoué

On sait déjà que Fernand avait fait ses preuves


à l’école cathédrale de Lisbonne et au couvent
de Saint-Vincent de Fora. Avec de telles dispo­
sitions, dans un contexte aussi favorable et avec
des maîtres aussi ém inents, il allait pouvoir fran­
chir les étapes de sa formation dans les meilleures
conditions.
Tout d’abord, il était aidé par une mémoire excep­
tionnelle, comme en témoigne l’un de ses confrères :
«Il retenait par cœur tout ce qu’il lisait. Il possédait
toute l’Écriture. Si bien qu’il pouvait citer les textes
sur-le-champ, et avec une telle exactitude, qu’il
semblait que les saintes Lettres [étaient] écrites dans
son cœ ur1. »
Mais cette mémoire, si vive fût-elle, à quoi lui
aurait-elle servi s’il n’avait pris autant de peine à
cultiver son intelligence? La manière dont il lisait
l’Écriture sainte est probante de ses efforts. Il ne
se contentait pas d’interpréter le sens littéral de
la vérité historique, qui, pour lui, n ’en était que
«l’écorce», il en recherchait le sens allégorique. Il
méditait ensuite le texte «en s’enfonçant dans ses
suaves profondeurs et y trouvait un aliment pour
sa foi2».
Il arrivait ainsi «jusqu’aux “moelles” du texte sacré,
avec une curiosité religieuse que rien ne pouvait
lasser ni amoindrir, et en dégageait une philosophie
qu’il gardait comme un trésor3».

1. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., pp. 23 et 24.


2. Antoine du Lys, op. cit., p. 26.
3. Ibid., p. 23.
Il lisait les Pères de l’Église et en relevait des notes
sur les «concordances entre les deux testaments», et
tout particulièrement tout ce qui, dans le premier,
annonce, préfigure, ou symbolise le second. Ces
notes, il allait les conserver précieusement en vue de
la rédaction d’un ouvrage.
Mais il ne s’en tenait pas aux spéculations intel­
lectuelles. Il s’efforçait d’être toujours à l’heure aux
offices et considérait la cloche qui les annonçait
comme la voix de Dieu.

De la plume au potager

Il employait le temps réservé aux tâches


manuelles, en fonction, soit des ordres qu’il recevait,
soit des opportunités. Bien que n’étant pas affecté
à la cuisine, il lui arrivait d’aller y faire un tour pour
éplucher des légumes ou faire une vaisselle. Son
ardeur à travailler le potager était aussi vive que son
goût pour l’étude : «Il laissait avec joie la plume pour
prendre la bêche1. »

Contempler Dieu dans l’hostie...

Un jour, il s’y trouvait pendant l’heure de la messe.


Au moment de l’élévation, signalée par la cloche, il
se désole d’être privé de la vue de l’hostie que le
prêtre s’apprête à consacrer. Il gémit, il soupire.
Il voudrait tant la voir! Mais l’obéissance le retient à

1. Ibid, p. 29.
son poste. Alors il fait part à Jésus Eucharistie de sa
frustration en se prosternant à terre, puis se relève
en portant son regard vers l’église, en direction du
maître-autel où la messe est célébrée. À ce même
instant, quelle surprise pour lui! Les murs de l’église
semblent s’ouvrir, juste le temps, pour le prêtre,
d’opérer la transsubstantiation du pain et du vin en
Corps et Sang du Christ1.

Mettre le malin en fuite

S’oubliant lui-même pendant ses heures de temps


libre, il trouvait toujours un moment pour aller visi­
ter ses frères malades, leur rendre un service, leur
faire un peu de lecture, les réconforter par une
parole, une plaisanterie... Un jour, il était au chevet
de l’un d’entre eux qu’il trouvait particulièrement
agité, sans présenter toutefois le moindre symptôme
pathologique. Le voyant dans un tel état, il enleva
son aumusse et la lui jeta sur le dos. Le pauvre frère
se calma aussitôt.

U n e gloire méritée

Quand ses frères apprirent cet incident, ils virent


là un clin d’œil du Ciel rappelant étrangement le
manteau d’Élie divisant les eaux du Jourdain ou
l’ombre des vêtements de Pierre qui guérissait les

1. Chroniques de la Congrégation de Sainte-Croix de Coïmbre, cité par


Antoine du lys, ibid., p. 26 ; Les petits Bollandistes. Vie des saints , p. 614.
m alades1. Ils avaient la confirmation du jugement
que les uns et les autres s’étaient fait à son sujet:
il était le modèle vivant d’un humble religieux met­
tant en pratique l’adage de saint Jérôm e: «L’impor­
tant n’est pas d’habiter un lieu saint mais d’y vivre
saintement2.- On peut d’ailleurs lire dans leurs
archives que c ’était «assurément un homme remar­
quable, savant et pieux [...] et qu’une gloire méritée
accompagnait déjà partout3. »
Une gloire d’autant plus méritée que «les plus
savants docteurs du couvent [...] avaient honte de
leur ignorance en présence de ce jeune religieux
possédant déjà les plus sublimes lumières ; et les plus
fervents se trouvaient bien imparfaits en présence de
tant de sainteté4».

De l’autel de Dieu à l’hôtellerie

Rien d’étonnant à ce que les supérieurs de Fer­


nand l’aient jugé apte au sacerdoce. Ses premiers
biographes ne nous ont pas précisé la date de son
ordination; mais le «Bréviaire des chanoines de
Saint-Augustin » et la «Chronique des vingt-quatre
généraux» le mentionnent comme prêtre en 12195:
c ’est-à-dire sept ans après sa venue à Coïmbre. Il
avait 24 ans.

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 23.


2. Julien de Spire, Legenda Prima.
3. Les petits Bollandistes, op. cit., p. 6 l4 .
4. Père Ernest-Marie de Beaulieu, "Le sanctuaire de saint Antoine de
Padoue» in: Le M essager d e sain t Antoine, 1929, p. 16.
5. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 25.
Après son ordination, Fernand aurait bien voulu
consacrer du temps à parfaire ses connaissances
théologiques. Mais le rôle qui lui fut attribué n’allait
pas lui en donner le loisir. Il fut nommé portier à l’hô­
tellerie de l’abbaye. Le choix de ses supérieurs avait
été motivé par les qualités qui étaient les siennes :
- une puissance de recueillement si éprouvée
qu’ils ne craignaient pas de l’exposer aux éventuels
dangers que pouvait entraîner la fréquentation per­
manente de visiteurs et de pèlerins.
- une amabilité naturelle, une culture solide et un
sens du contact humain propice au meilleur accueil.
Parmi les visiteurs qu’il recevait, il y avait donc
des pèlerins, des prêtres ou des religieux de pas­
sage souhaitant être hébergés pour la nuit ou pour
quelques jours. On trouvait aussi des pauvres, des
malades ou des gens sans travail qui réclamaient
parfois un vêtement ou un peu de nourriture.

Quand l’aumône prend un visage

À quelques kilomètres de la riche abbaye de


Sainte-Croix, François d’Assise venait d’ouvrir un
monastère de son ordre, entièrement financé par
le roi Alphonse II et son épouse, la reine Urraque.
Ce modeste couvent, construit à proximité d’une
chapelle dédiée à saint Antoine (du désert), était
entouré de bosquets d’oliviers, d’où son nom de
«Saint-Antoine d’Olivares».
Selon les prescriptions de François - qui avait
bien mérité son surnom de «Poverello» en raison
de l’amour qu’il vouait à «dame Pauvreté», instituée
reine de ces religieux et de leur maison - , le petit
groupe de moines qui y vivait ne jouissait d’aucun
revenu. Les moines faisaient face à leurs besoins avec
le seul produit des quêtes, en nature ou en espèces,
qu’ils allaient faire régulièrement dans les maisons,
les presbytères, les m onastères...
En sa qualité d’hôtelier, Fernand recevait le frère
quêteur de Saint-Antoine d’Olivares deux à trois fois
par semaine. À chacune de ses visites, il lui donnait
une aumône qui lui était spécialement réservée. Au
fil de leurs rencontres, il avait tissé avec lui des liens
d’am itié...

U n petit frère au grand cœ ur de feu

Mieux encore, Fernand avait été édifié par cet


amour de Dieu dont son cœur était si profondément
imprégné qu’il en devenait contagieux. Contagieux
comme celui de son maître d’Assise, si amoureuse­
ment épris de Dieu qu’il le saluait et le chantait dans
la vie et la mort, la rosée du matin et les brumes du
soir; dans le soleil, la lune et les étoiles, le jour et
la nuit; dans les animaux, les arbres et les fleurs,
les sources, les fleuves et les mers, les montagnes et
les vallées... Ce Dieu débordant de bonté, François
le voyait aussi présent dans tous les hommes, surtout
dans les plus démunis, et même les plus vils. Il allait
dans les hôpitaux pour laver les pieds des malades
sans ressources ; il bravait les interdits pour s’appro­
cher des lépreux dont il guérissait les ulcères en les
embrassant; il désarmait les assassins par la seule
force de son regard de fe u ...
Mais, s’il éprouvait une sincère compassion pour
les plus faibles et les plus pauvres, ce qui lui tenait le
plus à cœur était la détresse spirituelle des incroyants.
Son ardent amour de Dieu, il voulait le leur com­
muniquer à tous en allant partout leur annoncer
l’Évangile... Et particulièrement aux musulmans qui,
malgré tous les efforts couronnés de succès pour la
reconquête de la foi, restaient encore présents dans
les territoires du sud de l’Espagne et du Portugal.

U n pauvre moine riche en mérites

Au fur et à mesure de ses conversations avec le


frère quêteur de Saint-Antoine d’Olivares, Fernand
avait été saisi par le caractère radical du détachement
des biens matériels de ce moine et de son ordre, par
cet oubli de soi, générant un amour du Christ qui
l’invitait à marcher sur ses pas et à aller porter son
Évangile jusqu’en pays musulmans, au risque de
mourir pour Lui.
Or, ce frère vint à mourir. Non pas en martyr de la
foi, mais tout simplement, sur son matelas de paille,
bien entouré de ses frères. Au même moment, Fer­
nand vit, dans une espèce d’extase, une blanche
colombe s’élançant vers le ciel1. Il en déduisit que
c ’était l’âme de son ami qui venait l’exhorter à quitter
sa riche abbaye pour rejoindre le fils du Poverello.
Mais Fernand avait été accueilli et formé par sa
communauté. Il avait fait ses vœux dans l’ordre

1. Il y a des variantes à ce récit. Pour certains auteurs, il aurait eu cette


vision pendant qu’il célébrait une messe, com m e l’affirme la "Chronique
des vingt-quatre généraux-, dans Analecta franciscana, T. 3, 1885.
des Chanoines réguliers de Saint-Augustin, et ses
connaissances et son éloquence allaient lui per­
mettre de porter la Parole de Dieu où l’obéissance à
son supérieur l’enverrait.

U n martyre annoncé

Mais un événement nouveau allait raviver son


désir du martyre. Afin de convertir les musulmans,
François d’Assise avait envoyé cinq de ses frères
au Maroc.
Avant de les quitter, lors de la réunion annuelle de
l’ordre à Pâques, à Assise, il leur avait dit :
«Mes chers enfants... Mon cœur, en vous voyant
partir, éprouve de l’amertume... Je vous demande
d’avoir toujours devant les yeux la Passion du Sei­
gneur; ce souvenir vous fortifiera et vous aidera à
tout souffrir pour son amour1. «
Et au moment des adieux :
«Que la bénédiction du Père céleste descende sur
vous comme elle descendit sur les Apôtres ; qu’elle
vous accompagne, vous fortifie et vous console
dans vos tribulations. Ne craignez rien, car Dieu est
avec vous ; allez donc, au nom du Seigneur qui vous
envoie2. »
Pourquoi envoyait-il ce petit groupe au Maroc?
Parce que le sultan (le miramolin) était assez tolérant
envers les chrétiens. Par ailleurs, le frère du roi, dom
Pedro, s’était exilé au Maroc suite à des différends

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 30.


2. Idem.
familiaux, et y prêtait main-forte au sultan dans sa
lutte contre les Turcs. Il apporterait toute son aide
aux missionnaires...
Pourquoi les frères passeraient-ils par Coïmbre?
Pour demander au roi Alphonse II de prendre en
charge les frais de leur voyage et d’envoyer des mes­
sagers à son frère pour assurer leur accueil au Maroc,
mais aussi leur hébergement et leur sécurité.
Partis d’Assise, les cinq franciscains traversèrent
la France par le sud, puis marquèrent une pause
en Aragon. De là, ils gagnèrent Coïmbre, où leur
première visite fut pour Alphonse II et son épouse.
Après leur avoir exposé leurs besoins quant aux
préparatifs de leur voyage, ils prédirent au roi et à
la reine leur martyre prochain et le retour de leurs
restes dans la ville1.

U n désir attisé

Bien que franciscains, ils ne furent pas accueillis,


pendant leur séjour, au couvent de Saint-Antoine
d’Olivares, mais à l’abbaye de Sainte-Croix où la
reine souhaitait qu’ils rencontrent son confesseur.
Voilà donc Fernand hôtelier de ces religieux. Dès
leur arrivée, il se précipita à leurs pieds pour les
laver et les embrasser, avec une joyeuse admira­
tion. Il était à nouveau en contact avec les frères de
l’humble quêteur qu’il avait tant apprécié. Chaque
jour, il priait avec eux, il les servait à table, il veillait
à leurs besoins. Surtout, il avait des conversations

1. Ils prédirent aussi la mort de la reine.


avec eux. Autant de circonstances où il pouvait
admirer l’ardeur de leur foi, leur enthousiasme
face à la perspective du martyre et cette profonde
sérénité qui traduisait leur total abandon entre les
mains de D ieu... Des sentiments dont son cœur
brûlant d’amour s’imprégnait de plus en plus. Plus
il les écoutait, plus il s’enflammait du désir de
les imiter.
Quand l’heure du départ des cinq religieux arriva,
Fernand les embrassa affectueusement et leur promit
de les accompagner par la pensée et la prière dans
toutes leurs courses apostoliques. Et s’ils devaient
subir le sacrifice suprême comme ils l’avaient prédit,
ce serait pour lui un honneur et une joie de les avoir
comptés parmi ses amis.

U n dilemme récurrent

Depuis leur départ, il lui arrivait de plus en plus


fréquemment de s’interroger sur l’opportunité de
quitter son ordre, où Dieu l’avait pourtant appelé.
Devait-il rester par obéissance à ses supérieurs, et se
contenter de prêcher autour de son couvent ? Ou bien
devait-il mettre sa culture religieuse, sa fougue et ses
talents au service de l’Église dans les rangs de ces
franciscains présents sur tous les terrains où l’Évan­
gile était inconnu ou combattu ? Il attendait un signe
du Seigneur pour l’aider à sortir de ce dilemme. Et
ce signe arriva. Un jour où il était en oraison dans sa
cellule, François d’Assise lui apparut et lui ordonna,
au nom du Seigneur, «de prendre l’habit de francis­
cain (ou frère mineur) pour travailler à la gloire du
Christ et au bien des âmes1». C’était en juillet 1220,
juste au moment o ù ...

Embarqués aux frais des Maures !

Laissons à Fernand le temps d’affiner son discer­


nement à la lumière de l’Esprit saint... Retrouvons
nos cinq missionnaires à Séville, leur dernière étape
avant leur embarquement pour le Maroc. Il faut
savoir que l’Andalousie était restée sous l’influence
des Almohades qui, à partir du Maroc où ils s’étaient
implantés, travaillaient à imposer l’islam à toute
la population.
Pour les aider à se fondre plus aisément dans la
foule, la reine Urraque2 avait conseillé aux cinq fran­
ciscains de se laisser pousser les cheveux et la barbe
et de troquer leur bure brune contre des vêtements
civils qu’elle leur avait procurés. Ce que, d’ailleurs,
ils avaient fait... Mais voilà qu’arrivés à Séville, en
dépit de toute prudence, ils reprirent leur habit et
allèrent annoncer Jésus-Christ dans toutes les mos­
quées. Le roi les fit arrêter et emprisonner dans une
tour bâtie sur les bords du Guadalquivir. Au lieu de
s’en inquiéter, ils grimpèrent au sommet de la tour
d’où ils proclamèrent les vérités de la foi. De là, ils
furent enfermés dans un cachot puis embarqués
pour le Maroc...
C’est donc grâce à ce roi Maure qu’ils arrivèrent au
terme de leur voyage3.

1. Les petits Bollandistes, op. c i t p. 615-


2. Ils ont également reçu l’aide de la princesse Sanche, sœur du roi.
3. Antoine du Lys, op. cit., p. 33-
Quand la foi donne des ailes et nourrit les affa­
més

Ils se rendirent à Marrakech où résidait dom Pedro,


le frère du roi du Portugal qui apportait toujours
un soutien actif au miramolin Abou Jacob (ou Abu
Jacub) dans sa lutte contre les Turcs. Cette confiance
du miramolin à l’égard de dom Pedro était un atout
non négligeable pour les missionnaires. Cependant,
si l’infant s’était engagé à les placer sous sa protec­
tion, il leur avait recommandé la plus grande pru­
d en ce.. . Malgré ses exhortations, ils allèrent dans les
rues et les places publiques, prêchant l’Évangile et
traitant Mahomet de faux prophète.

C’en était trop pour le miramolin qui les avait lui-


même un jour entendus attaquer celui qu’il consi­
dérait comme l’envoyé de Dieu! Par égard pour
dom Pedro, il leur épargna la peine de mort, mais
ordonna leur conduite à Ceuta où ils seraient embar­
qués pour l’Espagne. Mais, trompant la vigilance des
gardes qui leur servaient d’escorte, ils retournèrent
à Marrakech...
Ils recommencèrent à prêcher Jésus contre Maho­
met. Le vrai Dieu contre le faux prophète. La vérité
contre l’obscurantisme... Abou Jacob les fit à nou­
veau arrêter. Cette fois, pour les empêcher définiti­
vement de parler, il les fit enfermer dans un cachot
afin qu’ils meurent de faim ... Pourtant, quand il fit
ouvrir la porte de leur prison, il les trouva en parfaite
santé. Après vingt jours de jeûne1!

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 33-


Le croissant contre la croix

Pendant leur incarcération, ils avaient consacré


tout leur temps à la prière et à la méditation - notam­
ment sur la Passion du Christ, ce qui avait conforté
leur désir de plus en plus prégnant d’aller au-devant
du martyre.
Alors, défiant tout danger, ils s’échappèrent
une nouvelle fois du palais où dom Pedro les
avait recueillis et se remirent à leurs prédications
publiques. L’un d’eux, Bérard, osa même monter sur
le char d’Abou Jacob au moment où il passait. Aussi
à l’aise que dans une chaire d’église, il exhortait son
auditoire à renoncer au croissant pour la croix du
Christ, fils de Dieu, né de la Vierge Marie et Sauveur
du monde.
Pour le miramolin, passait encore que la Vierge
Marie ait enfanté Jésus qui, pour lui, n’était ni plus
ni moins qu’un prophète parmi tant d’autres. Mais
oser dire qu’il était le Fils de Dieu était pour lui un
blasphème, puisque Dieu est unique et que, par ail­
leurs, il ne peut s’incarner... Encore moins, sauver le
m on d e!...
Le miramolin en avait trop entendu ; il était temps
pour lui de faire taire définitivement ces imposteurs.
Il les fit arrêter, flageller, rouler sur des débris de
verre et de poterie, puis il fit verser sur leurs plaies
de l’eau bouillante et du vinaigre. Il leur proposa de
faire cesser les tortures s’ils reniaient leur foi. Mais
Othon lui répondit: «Retire-toi, Satan, et cesse de
tenter les serviteurs de Dieu. »
Lappât des biens terrestres

Comme le soir arrivait, Abou Jacob les fit remettre,


à moitié morts, au cachot pour la nuit. Le lende-
■main matin, il essaya une autre arme que la torture :
il leur fit miroiter les honneurs, les richesses et les
plaisirs qu’il leur procurerait s’ils abjuraient leur foi.
Il leur proposa même de leur donner pour épouses
des esclaves d’une grande beauté. «La seule vraie
foi est la nôtre, lui répliquèrent-ils. Et notre seul
honneur, notre seul plaisir, c ’est de mourir pour le
vrai Dieu ! »
À ces mots, fou de rage, le miramolin leur trancha
lui-même la tête avec son cimeterre : c ’était le 16 jan­
vier 12201.

U n retour en triomphe

Dom Pedro recueillit la partie des restes des mar­


tyrs qui avait échappé à la profanation de la foule.
Il les fit escorter jusqu’à Lisbonne par vingt-huit
chevaliers qui, à leur arrivée, demandèrent à revêtir
l’habit franciscain en présence du roi Alphonse II et
de toute la cour. Le sang des cinq martyrs avait déjà
porté ses fruits !
Le roi et la reine, suivis de la cour, du clergé de Lis­
bonne et d’une foule immense, s’étaient rendus, en
un cortège improvisé, jusqu’à l’entrée de la ville pour
rendre les honneurs dûs aux reliques soigneusement

1. La main droite du miramolin, qui avait ôté la vie aux martyrs, est restée
paralysée jusqu’à sa mort. Voir Antoine du Lys, op. cil., pp. 34-35.
rangées par dom Pedro dans deux châsses d’argent
portées par une mule.

Destination: Sainte-Croix

Le roi avait décidé de recevoir les reliques dans la


cathédrale. Or, en passant devant l’église du couvent
de Sainte-Croix, malgré tous les efforts déployés
pour la remettre en route, la mule s’immobilisa.
Alphonse II, un temps amusé par l’incident, passa de
l’étonnement à l’émerveillement en comprenant que
le Seigneur voulait laisser ce précieux héritage aux
pères augustins qui avaient si bien traité les futurs
martyrs à leur passage. Il fit ouvrir le portail d’entrée
de l’église. Au même instant la mule, sortie de sa tor­
peur, y pénétra d’un pas alerte et alla s’agenouiller
devant un autel latéral sur lequel les reliques furent
déposées.

Le père augustin devient franciscain

Fernand, nous le savons, réfléchissait depuis


quelque temps à se faire franciscain. Nous avons vu
comment la suite des événements l’avait conforté
dans cette voie, des visites du moine quêteur au
séjour des cinq missionnaires, du retour de leurs
reliques à leur entrée inattendue dans l’église... À la
même époque, il avait eu cette vision de François...
Et il avait tous les jours un contact intime avec ces
martyrs devant les châsses d’argent qui contenaient
leurs restes. Il leur disait du fond de son coeur son
admiration, sa fierté et son désir d’aller, comme eux,
donner sa vie pour le Christ.
Oui, sa période de discernement était bien termi­
née. Il en était sûr: Dieu le voulait bien chez les fils
du Poverello, pour l’aider à gagner en humilité et en
esprit de pauvreté ce qu’il risquait de perdre en pres­
tige et en notoriété en quittant les pères augustins.
Il lui restait à accomplir une double démarche:
s’assurer de son admission au couvent de Saint-
Antoine d’Olivares, et obtenir l’autorisation de son
supérieur de le quitter. Il commença par la première,
la plus facile selon lui, et n’attendit pas longtemps :
il lui suffit de charger le nouveau frère quêteur des
franciscains de demander à son père gardien de l’ac­
cueillir. La réponse lui fut donnée dès le lendemain :
elle était positive.
Fernand usa de toute son affection et de toute son
habileté diplomatique pour persuader son supérieur
de le laisser partir pour réaliser la vocation profonde à
laquelle il se sentait appelé. Son supérieur lui objecta
qu’il serait très peiné de perdre un élément aussi
prometteur pour sa communauté et pour son ordre,
un fils qu’il aimait de tout son cœur, un modèle pour
ses confrères... Soucieux de ne pas contrecarrer le
plan de Dieu, il lui donna son consentement. Mais
il exigea que la vêture de son nouvel habit ait lieu,
contrairement à ce que Fernand souhaitait, non à
Saint-Antoine, mais à Sainte-Croix.
Fernand usa de l’opportunité de la prochaine
visite des deux frères quêteurs pour leur annoncer la
nouvelle. Mais il eut soin de leur préciser qu’il condi­
tionnait son entrée dans l’ordre au fait d’être envoyé
en pays musulmans pour pouvoir, selon ses mots,
«mêler mon sang à celui de vos saints martyrs1».
Le lendemain, après avoir transmis la demande à
leur père gardien, ils vinrent lui apporter la bure
grossière de l’ordre de Saint-François.
Il fit ses adieux à son prieur et à ses frères. La sépa­
ration fut douloureuse car ces derniers mêlaient à
leur tristesse, générée par une réelle affection admi-
rative, des sentiments non moins réels de dépit liés
au regret de le perdre, lui qui leur devait une for­
mation aussi éminente2. Mais ils laissèrent s’envoler
celui que le souffle de l’Esprit saint leur arrachait.

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 455.


2. La rancoeur des augustins envers les franciscains se traduisait par le
recours à de «mauvais procédés- (sans que la nature en soit précisée). 11
fallut que le pape Grégoire IX produise un bref pour que s'apaisent les
tensions... (voir Mgr Antoine Ricard, op. cit., p. 43).
Sur la crête des vagues

Toujours plus haut

C’est donc au mois de juillet 1220 que Fernand,


après avoir revêtu son nouvel habit et embrassé ses
frères, se dirigea, escorté de ses deux compagnons,
vers les hauteurs de la colline surmontant Coïmbre.
Le chagrin et les regrets d’avoir quitté les chanoines
s’estompaient au fur et à mesure qu’il gravissait la
colline, d’un champ d’oliviers à l’autre, jusqu’à son
nouveau couvent. Il se sentait envahi de cette paix
sereine d’avoir triomphé de ses hésitations et de ses
doutes dans son cheminement vers le discernement
de sa vocation définitive.
Bientôt apparut le couvent sans murs de clôture,
avec son église modeste jouxtant deux ou trois
petits bâtiments à l’usage de la communauté. Tout
autour, quelques cabanes de construction rudimen­
taire: c ’étaient les cellules des moines, encadrées
çà et là par des cyprès, fières et hautes sentinelles
semblant veiller sur leur prière et les acheminer
vers le ciel.
Antoine éclipse Fernand

Difficile de décrire la joie du père gardien en


accueillant celui dont il avait déjà entendu vanter et
la science et les mérites. Une recrue de qualité pour
les franciscains ! À la demande de Fernand, il accepta
de lui laisser prendre un nouveau nom, pour l’aider
à se défaire de ses dernières attaches avec sa vie
précédente. C’est ainsi que Fernand devint Antoine.
Oh ! Il n’avait même pas eu à faire travailler son ima­
gination pour fixer son choix. Antoine était le saint
ermite auquel le couvent était dédié. Et puis, si l’on
se réfère à l’étymologie, Antoine signifie a lte tonans,
c ’est-à-dire: tonnerre éclatant1. Un heureux présage
de la portée qu’aurait sa parole à l’avenir!

Devenir un frère mineur

La cabane attribuée à Antoine était située en


contrebas du couvent: une maisonnette au toit de
chaume, au sol mal pavé, aux murs badigeonnés à la
chaux et dépourvus de tout ornement, excepté une
croix de bois2.
Il s’adapta, sans peine apparente, à son nouveau
rythme de vie, soucieux de purifier dans le creuset de
l’humilité franciscaine tout ce qui lui restait d’amour-
propre et de volonté personnelle, et bien déterminé
à se préparer, par la prière et la mortification, à aller

1. Antoine du Lys, p. 457.


2. La cabane a disparu, mais un oratoire a été construit sur son em place­
ment avec, dit-on, les mêmes matériaux. Ibid., p. 46.
répondre à la Passion du Christ, par le don de sa
propre vie.
Compte tenu de sa science et de son expérience
en matière de vie religieuse, son père gardien ne
lui imposa pas de formation1. Il l’invita simplement
à lire la Règle pour bien la connaître et la vivre au
quotidien, avec ses frères.
Antoine était devenu, avant la fin de l’été, un
franciscain exemplaire et bien intégré dans sa com­
munauté, toujours régulier dans ses exercices, sans
aucune autre aspiration que de devenir ce qu’il devait
être : un bon «frère mineur» - comme on appelait les
franciscains - de plus en plus pauvre de lui-même
pour devenir de plus en plus riche de Dieu. Mais il
conservait ce désir, toujours aussi présent, de partir
convertir les musulmans dans cette même terre
d’Afrique jadis si chrétienne.
Vers la fin de l’été, il alla rappeler à son père gar­
dien cette condition qu’il avait soumise à son entrée.
Celui-ci, le jugeant apte à l’apostolat en mission,
lui donna son accord, qui deviendrait effectif dès
qu’Antoine aurait prononcé ses vœux. Il lui obtint
même, de son provincial, une dispense pour pou­
voir avancer la date de la cérémonie2.

Cap sur le Maroc

Après son engagement dans l’ordre, Antoine fut


désigné par ses supérieurs pour une mission au

1. Le noviciat ne fut imposé aux franciscains qu’en septem bre 1220, par
une bulle d’Honorius III (voir l’ouvrage du père Léopold de Chérancé,
op. cit., p. 39).
2. Antoine du Lys, op. cit., p. 47.
Maroc avec un compagnon de voyage prénommé
Philippe. Leur départ eut lieu à une date non pré­
cisée, qui se situe «dans le courant de l’automne
12201». Il fut décidé qu’ils ne gagneraient pas la côte
africaine par le sud de l’Espagne, insuffisamment
sécurisé, mais par voie maritime, avec embarque­
ment prévu à Lisbonne2.
La traversée se déroula dans les meilleures condi­
tions. En voyant approcher la côte marocaine,
Antoine et Philippe s’exaltèrent : «Nous y voilà ! Nous
allons pouvoir travailler à réveiller la foi de cette terre
fertilisée par le sang de tant de martyrs ! »

Mission avortée

Et ils accostèrent en un lieu qu’aucun biographe


n’a pu identifier. En guise d’apostolat, Antoine ne fut
guère efficace: sitôt arrivé à destination, il fut atteint
d’une fièvre qui le cloua au lit. Le frère Philippe dut
se consacrer exclusivement à le soigner. Inquiet de la
faiblesse que lui infligeait sa maladie, il écrivit à ses
supérieurs pour les en informer. Quelques jours plus
tard, il reçut l’ordre de rentrer avec lui à Coïmbre au
plus tôt. Ils prirent à Ceuta le premier bateau pour ren­
trer au pays. Quelle déception pour eux de s’éloigner
aussi pitoyablement de cette terre où ils avaient voulu
donner leur vie, sans avoir même pris le moindre risque
pour annoncer la Parole de vérité ! Quels piètres mis­
sionnaires ils faisaient, face à leurs cinq frères martyrs,

1. Père Léopold de Chérancé, op. cit., p. 39.


2. Selon la tradition locale, ils auraient em barqué aux quais de Sainte-
Appoline (Antoine du Lys, op. cit., p. 48).
qui, eux, avaient proclamé Jésus-Christ dans les rues
et les mosquées, du sommet de la tour de leur prison
jusqu’au char du miramolin! Eux, au moins, avaient
reçu leur récompense... Pour l’Éternité.
Le Seigneur a ses plans qui ne sont pas toujours
ceux des hommes! À l’évidence, Il réservait Antoine
pour d’autres travaux...

À la dérive

Mais, dans l’immédiat, où voulait-Il le conduire?


Pas en Espagne, en tout cas. Car au moment où son
bateau s’apprêtait à s’en approcher, une épouvan­
table tempête se leva, l’entraînant, dans une course
folle, dans la direction opposée.
Les passagers hurlaient de peur, les membres
de l’équipage s’épuisaient à tenter vainement
de reprendre leur cap. Et les deux franciscains
priaient... À force de divaguer, le bateau se redressa
et se laissa gouverner par le capitaine qui, voyant
une côte émerger des brumes, ordonna que soient
effectuées les manœuvres pour accoster au premier
port en vue. C’était le printemps 1221, Antoine et
Philippe abordaient dans une île inconnue à plus de
deux mille kilomètres de leur destination : la Sicile.

La-halte sicilienne

Pour certains biographes, ils auraient été héber­


gés dans le couvent de leur ordre de Tauromine;
pour d’autres, à Messine. En tout cas, on peut
encore voir, dans l’un et dans l’autre, des vestiges
de son passage1. Ce qui est certain, c ’est qu’il s ’est
refait des forces nouvelles auprès de ses hôtes. Il se
trouvait donc en assez bon état en apprenant la
convocation de tous les frères mineurs au chapitre
général de l’ordre qui devait se tenir près d’Assise,
à Sainte-Marie-des-Anges, le 30 mai 1221, pour
la Pentecôte.
Seuls les gardiens étaient tenus de s’y rendre, mais
les frères qui en avaient le désir ou la possibilité y
étaient admis. Antoine et Philippe, que la fureur des
éléments avait entraînés si loin de leur communauté,
décidèrent d’y aller. Puisqu’ils avaient raté leur mis­
sion au Maroc, au moins allaient-ils avoir la joie de
rencontrer de nouveaux confrères, et surtout, le pri­
vilège d’être présentés au Poverello, de lui parler et
de l’écouter.

Flash sur un chapitre

Mais quelle était donc la fonction de ce chapitre


général qui avait lieu deux fois par an à Assise ?
C’était d’abord, pour François, l’opportunité de
réunir tous les responsables locaux et régionaux
de l’ordre pour leur rappeler les valeurs de la prière
et de la pauvreté, la nécessité de marcher à la suite
du Christ et de porter partout son Évangile - indiffé­
rents aux risques et aux difficultés.

1. Un puits qu’il aurait fait creuser, des cyprès, des orangers ou des citron­
niers qu’il aurait plantés, et même quatre couvents qu ’il aurait fondés. Il se
pourrait néanm oins que tout cela date d’une visite ultérieure.
Le chapitre général était aussi l’occasion de véri­
fier la bonne observance de la Règle dans tous les
couvents, d’émettre éventuellement des critiques
pour en modifier les articles incriminés, de signaler
les fautes et les abus de certains et, si nécessaire, de
prononcer des sanctions.
C’était encore, pour les milliers de frères qui
venaient de tous les points du monde, une possibi­
lité de se rencontrer, d’échanger des conseils, des
nouvelles, de partager leurs expériences, de s’en­
courager mutuellement. Ils éprouvaient ainsi la joie
et le réconfort de ne pas se sentir isolés.
C’était, enfin, le lieu où il était décidé des nomi­
nations. C’est de cette manière que cette année-là,
François allait accepter la démission de son vicaire
général, Pierre de Catane, usé par des affaires peu
reluisantes impliquant des exactions commises par
des religieux entraînés par des croisés peu scru­
puleux. François, après avoir fait part à tous de sa
peine, leur avait rappelé la nécessité de combattre
le croissant et toute autre doctrine erronée, non
par la haine et par l’épée, mais par l’amour et par la
Croix, à l’image des valeureux martyrs qu’il n ’ou­
blia pas de citer. Cette année-là, ce fut frère Élie,
l’un de ses premiers compagnons, qu’il nomma
pour remplacer son vicaire.

«Peu utile»-et «sans aptitudes»?

À l’issue de chaque chapitre, tous les francis­


cains qui n’avaient pas de charge ou qui souhai­
taient en obtenir une nouvelle étaient engagés par
les gardiens, avec l’accord de leurs provinciaux.
Antoine et Philippe étaient arrivés à temps pour
assister au chapitre. À cette dernière étape de la ren­
contre, ils s’attendaient à être présentés à François,
à tomber dans ses bras, comme des fils embrassant
leur père. Antoine avait bien recommandé à Philippe
de ne dévoiler à personne son niveau de science et
d’érudition théologique. Mais il aurait souhaité que
le Poverello le reconnaisse à l’intuition, comme
savent le faire les saints. Et cependant, il n’en reçut
pas un mot. Même pas un regard! Cruelle déception
pour Antoine !
L’attitude des gardiens à son égard ne fut pas meil­
leure. Il s’attendait à ce que l’un d’eux vînt l’inviter à
le suivre dans son couvent, même pour y accomplir
les tâches les plus humbles. En les voyant circuler
d’un groupe à l’autre, s’isoler avec l’un ou l’autre et
lui donner l’accolade, concluant l’accord passé entre
eux, il pensait que son tour allait bien finir par venir...
Mais il ne vint pas. «Parce qu’il était inconnu à tout
le monde, on le prenait pour un homme peu utile, à
qui on ne supposait pas la moindre aptitude : aussi,
aucun gardien ne proposa de le prendre1. »
Il aurait pu aller au-devant d’eux, leur exposer
ses mérites et ses capacités pour leur proposer de
les mettre à leur service. Il aurait pu leur avouer que
ceux qu’il avait quittés ne se consolaient pas d’avoir
été privés d’un tel g én ie... Il n’en fit rien. Mais il offrit
au Seigneur cet affront cuisant qui lui était infligé par
les siens. Il s’unit à Lui, à son agonie au jardin des
oliviers, lorsqu’il était abandonné de tous, et surtout,
à sa montée au Calvaire, couvert de crachats et criblé

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 53.


d’injures. Le détachement, la «sainte indifférence»
des religieux, il commençait à en comprendre le
véritable sens.

Pour imiter Jésus crucifié

Quand les lieux du rassemblement se furent vidés,


il ne restait qu’un gardien : le père Gratien, provin­
cial de Bologne1. Il recherchait alors un prêtre pour
dire la messe quotidienne à une communauté de six
frères convers, qui vivaient dans l’ermitage de Monte-
Paolo, niché sur les flancs des Apennins, à une ving­
taine de kilomètres de Forli. A-t-il, le premier, abordé
Antoine, touché par le sentiment de déception qui se
lisait sur son visage? Ou est-ce Antoine qui a pris
l’initiative? Les historiens sont partagés2. Toujours
est-il que le père Gratien lui demanda: «Êtes-vous
prêtre?» et qu'Antoine lui répondit: «Oui, mon père,
je suis prêtre ! »
Antoine n’ajouta pas un mot sur ses origines, sur
ses brillantes études. Il le pria simplement de l’em­
mener avec lui pour lui permettre d’apprendre, dans
cette humble solitude, à «connaître, aimer et imiter
Jésus, et Jésus crucifié3».
Le père Gratien fut bien plus édifié par cette
réponse que par toutes ses références intellectuelles.
Et puis, se disait-il, s’il n ’a pas de culture, il en sait
1. La province de B ologne com prenait alors la Rom agne, l’Émilie et la
Lombardie (voir Père Léopold de Chérancé, op. cit., p. 44).
2. Les Bollandistes, qui ont lu et com m enté toutes les versions, utilisent la
form ule: "C’est alors qu'il rencontra le père G ratien..." Les petits Bollan­
distes, op. cit., p. 6 l6 .
3. Père Léopold de Chérancé, op. cit., p. 44.
bien assez pour dire la messe à six moines retirés du
monde. Touché par une telle candeur, il l’embrassa
affectueusement et l’invita à le suivre.

A la croisée des chemins

Il proposa également au frère Philippe, qui n’avait


toujours pas reçu d’affectation, un poste de convers
au couvent de Città di Castello.
Au départ, les trois franciscains firent route com­
mune. À leur arrivée à Città di Castello, le frère Phi­
lippe les quitta. On devine l’intensité émotionnelle
de ses adieux à Antoine, leur tristesse commune au
moment de la séparation, la remontée de tous leurs
souvenirs, partagés avec le même enthousiasme, les
mêmes souffrances, les mêmes déceptions... Mais
l’obéissance les envoyait vers des horizons diffé­
rents. Telle était la volonté de Dieu, qui avait parlé
par la voix de leurs supérieurs.
À Forli, le père Gratien poursuivit son chemin
vers Bologne où il résidait. Après avoir reçu sa béné­
diction et ses encouragements, Antoine prit la direc­
tion de l’ermitage. Il emprunta un sentier rocailleux
qui gravissait la pente de la montagne, bordé de
bruyères et de sapins.

In persona Christi

Arrivé au monastère, il fut reçu par ses nou­


veaux frères, qui ne lui dissimulèrent pas leur joie
de compter enfin un prêtre parmi eux. Son gardien
avait appris les péripéties de son voyage au Maroc,
qui avaient causé ses problèmes de santé et aux­
quels n’avait pas mis fin sa longue route depuis la
Sicile. Il lui confia pour seule tâche la célébration de
la messe quotidienne et de l’homélie.
Dire la messe était pour lui une grâce de prédilec­
tion, puisqu’il avait ainsi l’insigne honneur de réac­
tualiser la Passion du Christ et de rendre son Corps
présent, vivant et glorieux, pour le donner en nour­
riture à ses frères.
Ce qui, en revanche, était plus difficile pour lui,
c ’était la rédaction de ses sermons. Oh! Pas pour le
choix des sujets ou leur composition! On connaît
assez ses compétences pour en douter. Mais il y a
une chose que cet homme plein de science cachée
ne savait pas encore: c ’était le dialecte local1.
Un handicap dont il n’eut pas de mal à se défaire,
vu ses facultés d’assimilation et de mémorisation
exceptionnelles.

U ne vocation d’ermite?

Tout autour du couvent, les moines avait bâti des


cabanes où ceux qui le souhaitaient allaient séjour­
ner pour des périodes d’isolement. D’autres reli­
gieux, extérieurs à la communauté, venaient aussi,
parfois, pour s’y ressourcer spirituellement ou se
reposer de leurs fatigues physiques après une mis­
sion en pays étranger. À son arrivée, Antoine avait
été logé intra-m uros, mais, incomplètement remis
de ses tribulations, il ressentait un réel besoin de
repos, de solitude et d’approfondissement de sa vie
intérieure. Il reçut l’autorisation de se retirer dans
une cellule aménagée par un de ses confrères au
creux d’un rocher, sur le sommet de la montagne au
pied de laquelle était construit le couvent.
Que faisait-il de son temps? Il se levait de très
bonne heure pour commencer sa journée par un
moment de méditation. Puis il descendait au couvent
pour célébrer la messe et, après une légère collation,
il participait aux travaux ménagers (cuisine, balayage
des locaux1...). À midi, après l’office psalmodié en
commun, il prenait le repas avec ses frères, puis
remontait dans son ermitage d’où il ne redescendait
pas jusqu’au lendemain matin. Le soir, il se conten­
tait de quelques tranches de pain et d’un verre d’eau
fraîche puisée à la source proche de sa cabane.
C’est dans l’après-midi qu’il se consacrait à l’étude
des livres de la bibliothèque du couvent. Il ne fai­
sait pas que les lire, comme le croyaient ses com­
pagnons, mais les commentait, en relevait des pas­
sages, en recherchait la quintessence. C’est dans cette
solitude qu’il aurait écrit des notes sur les «Concor­
dances» entre l’Ancien Testament et le Nouveau
(comme aboutissement de ses travaux antérieurs) et
transcrit les psaumes de David en les annotant de
riches commentaires2.
Les ermites de Monte-Paolo étaient loin de
se douter du niveau intellectuel et théologique

1. Son gardien avait dispensé Antoine de ces travaux, mais ce dernier avait
insisté pour y participer.
2. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 43.
d’Antoine. Sans doute avaient-ils remarqué qu’il
disait la messe matinale dans un latin parfait, que ses
sermons étaient bien tournés (dans leur dialecte) et
bien adaptés aux temps liturgiques et à la vie de la
communauté. Mais ils ne se doutaient pas que, sous
le boisseau d’une feinte ignorance, il cachait cette
ardente lumière de la grâce divine. S’était-il décou­
vert une nouvelle vocation d’ermite?

Entre les mains de Dieu

Il y avait huit à neuf mois qu’Antoine avait été


contraint de se retirer dans son ermitage. Ses besoins
ardents de transmettre sa foi au plus grand nombre
ne correspondaient pas à cet ensevelissement
imposé en pleine nature pour limiter son enseigne­
ment à une demi-douzaine de moines quasiment
illettrés. Mais il avait fait table rase de toute réflexion
personnelle sur une éventuelle nouvelle orientation
de sa vocation. Il s’en remettait aux mains de Dieu,
qui allait encore intervenir...
Le 19 mars 1222, veille du dimanche de la Pas­
sion, devait avoir lieu un grand rassemblement à
Forli, siège épiscopal de l’évêque. À cette occasion,
plusieurs moines - franciscains et dominicains -
devaient être ordonnés prêtres. Le gardien de Monte-
Paolo s’y rendit, accompagné d’Antoine et de ses
frères1. L’affluence était immense dans la cathédrale,

1. Pour les Bollandistes ( op. cit., p. 617), ses frères «devaient y recevoir les
ordres sacrés».
car tous les membres des couvents des deux ordres
étaient venus au grand complet.

A qui la parole?

Quand il ordonnait des religieux, l’évêque du lieu


avait pour coutume de confier à l’un des supérieurs
des communautés des ordres concernés le soin de
prononcer une exhortation aux jeunes prêtres1 avant
(ou après?) la cérémonie. Le thème devait s’articuler
autour de la gravité de leur engagement, de la dignité
de leur ministère et des devoirs qui en découlaient.
Cette année-là, il avait désigné à cet effet les
supérieurs des couvents de dominicains. Mais ceux-
ci s’étaient dérobés l’un après l’autre. Le prétexte?
C’était le même pour tous: un bon sermon d’un
«frère prêcheur2» digne de ce nom, ça se prépare
avec des textes de référence à l’appui. Impossible
d’en improviser un à froid, et dans un délai aussi
bref. Pas question de s’exposer à un échec !
L’évêque n’avait plus qu’un recours: se tourner
vers les franciscains, en l’occurrence le provincial:
le père Gratien3.
Celui-ci tenta vainement de trouver un gardien
susceptible de relever le défi: tous se dédirent,

1. Ou "Ordinands", si c ’était avant. Certains situent ce discours dans la salle


des frères mineurs de Forli. Ils s’appuient sur un tableau exposé dans la
sacristie de l’église Saint-Antoine à Coïmbre. Toutefois, le peintre a pu
ignorer la vérité historique.
2. C’était - et c ’est encore - leur dénomination.
3. Pour certains, le père Gratien se serait servi du gardien de Monte-Paolo
com m e intermédiaire, Certains disent même que l’évêque aurait interpellé
directement le gardien.
invoquant leur incompétence. Alors lui revint en
mémoire sa rencontre avec cet oublié de tous au
chapitre général de Sainte-Marie-des-Anges, son
apparente simplicité et son profond désir de servir
pour l’amour de Jésus crucifié. S’il n ’était pas très
doué, l’amour de Dieu compenserait, et l’Esprit saint
l’assisterait!

La révélation

On imagine la stupeur d’Antoine en voyant le


père Gratien se tourner vers lui et lui enjoindre de
faire le sermon. Il tente de bredouiller des excuses
pour se dérober. Un instant paralysé par le trac, il se
ressaisit; au nom de son vœu d’obéissance, auquel il
n ’a jamais failli, il surmonte le poids écrasant de tous
ces regards qui le fixent et va s’agenouiller aux pieds
de l’évêque pour solliciter sa bénédiction1.
Il se lance : il choisit pour texte de base un pas­
sage de l’office du Jeudi saint, tiré de saint Paul aux
Philippiens: «Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à
la mort. « Sitôt après avoir exposé son sujet, d’une
voix calme et grave, ses yeux se mettent à pétiller.
Le geste ample et sûr vient illustrer la parole qui,
«d’abord timide, devient bientôt rapide et s ’ampli­
fie de plus en plus. Les explications sont claires
et limpides, d’une richesse doctrinale qui captive
l’auditoire, d’une éloquence qui trahit une âme
de feu2».

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 461.


2. Voir Père Léopold de Chérancé, op. cit., p. 48.
Quand il vient à souligner la grandeur et la dignité
du rôle du prêtre, tous ceux qui, jusqu’alors, sont
restés sur leur réserve, se suspendent à ses lèvres :
plus de sourires moqueurs, plus d’air com patis­
sant. Ils sont tous conquis. Que leur dit-il donc?
Que «les prêtres sont d’autres Christ. Que les frères,
dont les mains et la bouche viennent d’être consa­
crées pour être les mains et la bouche du Christ,
dans le renouvellement du mystère eucharistique,
doivent méditer cette vertu essentielle, l’obéis­
sance, qui, de Bethléem au Calvaire, ne cesse pas
d’apparaître en Celui qui a dit : “Ma nourriture est
de faire la volonté de mon P ère.” Et d’évoquer les
abaissements du Verbe incarné dans la crèche,
du Fils de Dieu qui n’a pas craint de naître de la
Vierge, parce qu’elle aussi fut toute obéissance et
toute humilité1».
Antoine poursuit son exhortation par une invita­
tion pour tous ces jeunes prêtres à se mettre sous
la protection de Marie. Un plaidoyer qui arrache
des larmes à certains: «Humble Marie, Étoile de
Ja m er!... Tes douze rayons illuminent la nuit et
montrent le port. Tu brilles comme une flamme et tu
nous montres Jésus notre Seigneur. Il est écrit dans
saint Matthieu : “Apprenez de Moi que Je suis doux
et humble de cœ ur.” Celui qui ne se dirige pas vers
cette étoile est aveugle... Son frêle esquif est le jouet
de la tempête, et il ne tarde pas à s’abîmer dans les
flots écumants. Ô Étoile de la mer, ô humilité du
cœur, tu changes la mer terrible et orageuse en lac à
la surface calme et tranquille2 ! »

1. Je a n Soulairol, Saint Antoine de Padoue, p. 26.


2. Ibid., pp. 26-27.
Ces dernières envolées lyriques sont encore plus
criantes de vérité. Car sa comparaison avec Marie,
Étoile de la mer, sent le vécu. La mer, l’orage et la
tempête, la peur et la dérive, il les connaît pour les
avoir subis. Il n’est pas prêt de l’oublier, le déses­
poir qui se change en espérance quand, contre toute
attente, la mer refuse d’engloutir le bateau en per­
dition, qui trouve son salut en conduisant à un port
de fortune tous ses passagers indemnes ! Oui : Marie
doit être pour les prêtres l’avocate des causes per­
dues, le phare qui illumine la nuit, le refuge de ses
enfants de prédilection...
Il marque un temps de pause pour reprendre son
souffle et repart sur la soumission de Jésus à ses
parents. Sa fougue l’emporte à nouveau :
«Que tout orgueil se fonde comme la cire, que
toute résistance se rende, que toute obéissance
s’humilie, en entendant dire que «Jésus leur était
soumis»! C’est Lui, c ’est ce grand Dieu, qui a fait des
choses si prodigieuses, qui leur était soumis ! Et à qui
était-il soumis? À un ouvrier et à une pauvre vierge.
Ô Dieu ! Vous êtes le premier et Vous êtes le dernier !
Ô Roi des anges, vous avez voulu Vous soumettre à
des hom m es... Qui jamais entendit raconter pareille
chose1?... »
Antoine aborde ensuite le principe constitutif de
son sujet : l’obéissance divine devant la croix : «Hélas !
Il est enchaîné, Celui qui donne la liberté aux cap­
tifs! Il est insulté, Celui qui est la gloire des anges!
Le Dieu de l’univers est flagellé. Le miroir sans tache
est souillé. La splendeur de la gloire éternelle est
obscurcie. Celui qui est la vie des mortels est mis à
mort lui-même. La vie meurt pour les morts !... Et que
nous reste-t-il, à nous, malheureux, sinon de mourir
avec Lui? Ô mon âme, verse des larmes amères sur
la Passion d’un Dieu crucifié, comme on pleure sur
la mort d’un fils unique. «
Les soupirs et les larmes de l’assistance l’obligent
à hausser la voix :
"Ces mains, au contact desquelles la lèpre s’éloi­
gnait, la vie revenait, la lumière était rendue aux
aveugles, les démons fuyaient, les pains se mul­
tipliaient... Ces mains sont percées de clous et
souillées de sang1...» À ces mots, son visage est
inondé de larmes. Il ne peut plus parler. Le sermon
s’achève.
Tout son auditoire reste sous le charme. Un concert
de soupirs et de larmes fait écho à ses dernières
paroles. Puis c ’est le silence. Chacun admire, au fond
de lui, la profondeur de sa connaissance des saintes
Écritures, dont il parsème ses propos, l’étendue de
^sa science théologique dont il donne des références.
Et surtout, la portée de cette parole qui, sortie de son
cœur embrasé d’amour, enflamme, comme autant
de brasiers, tous les cœurs qui l’écoutent.
Au final, l’admiration est unanime. De mémoire
de franciscain - et même, de dominicain - on n’avait
jamais entendu un pareil discours. Au milieu de
l’enthousiasme général, les cœurs sont remplis de
consolation2.

1. Ibid., p. 29.
2. «Vie Anonyme- cité dans R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 69.
Le frère Gratien n’en croyait pas ses oreilles. Ce
même religieux, qui avait humblement imploré sa
pitié, voilà qu’il faisait aujourd’hui l’objet de sa fierté
et de son admiration. Le soir même, il envoya un
messager à François d’Assise pour lui annoncer la
nouvelle.
Quand François eut terminé de lire sa lettre, il
explosa de joie. Avec un sourire malicieux, il lança
sur un ton teinté d’humour : «Maintenant, nous avons
un évêque1: « Il fit part au père Gratien de sa satisfac­
tion, et de sa décision de faire sortir de son ermitage
celui qu’il désignait pour aller prêcher l’Évangile
dans le monde. Sa lettre à Antoine pour l’en avertir
commençait ainsi : «Au frère Antoine, mon évêque2. »

1. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 46.


2. T. de Célano, Vita Legenda , cité par le père Léopold de Chérancé, op.
cit., p. 49.
Premières moissons

Des talents à dévoiler

Certes, en comparant Antoine à un évêque, Fran­


çois avait-il usé d’une boutade. Mais il voulait ainsi
reconnaître officiellement ses dons en matière de
théologie et d’art oratoire: ces fameux talents de
l’Évangile que le Christ, par le langage imagé d’une
parabole, nous demande non pas de cacher au nom
d’une humilité mal comprise, mais de mettre au ser­
vice de l’Église par amour pour Lui.
C’est donc François qui vint mettre un terme au
long cheminement d’Antoine vers la recherche de
la voie où Dieu l’attendait. En témoigne la suite de
ce billet laconique qui lui était adressé: «Je trouve
bon que tu enseignes la sainte théologie à nos frères,
mais aie bien soin de ne pas laisser s’éteindre l’esprit
d’oraison, ni en toi, ni chez les autres, selon qu’il
est prescrit dans notre Règle. J ’y tiens beaucoup.
Adieu1. »

1. Mgr Antoine Ricard, op. ait., p. 63.


Deux systèmes pas si opposés

Le texte était bref, mais il résumait bien tout le


système pédagogique de la prédication franciscaine :
conserver un profond esprit d’oraison pour maintenir
les cœurs au contact du feu sacré qui se dégage des
choses de Dieu et qui véhicule la grâce. Ainsi, pour
les franciscains, c ’est le cœur, toujours enflammé, qui
entraîne et fait progresser l’esprit dans les mystères
du Dieu d’amour. La doctrine se transmet donc en un
tendre cœur à cœur. Les spéculations métaphysiques,
ils les laissaient aux savants dominicains qui, eux
aussi, atteignent les cœurs, non pas spontanément,
mais en conclusion de leurs théorèmes rigoureuse­
ment déduits... Voilà bien là deux démarches diffé­
rentes, mais qui concourent au même objectif : porter
l’Évangile à tous, de la manière la plus adaptée aux
personnes et aux circonstances, et travailler à éradi­
quer les racines du mal. Ne pourrait-on pas dire que
les disciples de Dominique tendaient à enraciner
l’amour dans la science et la défense de la vérité, et
que ceux de François enracinaient la foi et la vérité
dans les profondeurs d’un cœur brûlant d’amour?

François révise sa Règle

Par principe, François ne souhaitait pas faire de


ses frères des puits de science théologique. Mais
depuis quelques années, l’hérésie manichéenne avait
ressurgi sous la dénomination de catharisme, dans le
Midi de la France, et dans quelques régions d’Alle­
magne et d’Espagne. En Italie, ses membres étaient
implantés dans le Piémont, la Lombardie, l’Émilie et
surtout, la Romagne. Jusqu’alors, Dominique, accom­
pagné de ses Fils, avait parcouru les routes pour les
combattre et les ramener à l’Église. Mais voilà qu’en
1221, il était parti se reposer définitivement de ses
courses apostoliques auprès du Seigneur.

Une chaire p o u r Antoine

François avait donc compris la nécessité de


reprendre le flambeau de Dominique et de donner à
ses religieux une formation théologique assez solide
pour qu’ils soient capables de réfuter les erreurs de
la secte à la lumière de la doctrine catholique. D’où
la nomination d’Antoine comme professeur de théo­
logie à Bologne, autour de Pâques 1223.
Le reste du temps, Antoine irait combattre les
cathares les plus proches: ceux qui infestaient la
Romagne sous la dénomination de «patarins».

Gros plan sur une hérésie

Qu’est-ce donc que l’hérésie cathare1?

Une dualité d e base


C’est une doctrine basée sur le constat de la lutte
que se livrent en permanence dans le monde le bien
et le mal. L’un et l’autre proviennent de deux dieux
d’égale puissance :

1. Michel Dubost, Théo. Nouvelle encyclopédie catholique, p. 3 63; Promo­


teur de la Société saint Antoine, op. cit., pp. 50-52; Je a n Soulairol, op. cit.,
pp. 31-32.
- Le dieu du bien, qui a créé l’esprit, l’âme (Dieu,
ou la lumière) ;
Le dieu du mal, qui a créé la matière dans toutes
ses variantes (Satan, ou les ténèbres).
On n’a guère de définition de l’esprit, qui reste
enrobé de mystère; pas plus, d’ailleurs, de l’âme.
On en sait davantage sur la matière, notamment sur
l’homme. Étant formé de chair et d’os, il est impur,
puisque créé par le dieu du mal.
Ces données établies, tout est prédéterminé et
l’homme-matière ne peut être sauvé... Toutefois,
quelques privilégiés peuvent recevoir une espèce de
purification - le C on solam en tu m - parodie du bap­
tême avec imposition des mains et des Évangiles.

Les «p u rs»...
« Les purs» peuvent le recevoir dès la naissance.
Il n’est donné qu’une fois et rien ne peut restituer la
pureté perdue (comme le fait le sacrement de confes­
sion des catholiques). Alors que doivent faire ceux
qui l’ont reçu, au risque d’être condamnés à se réin­
carner une ou plusieurs fois, si nécessaire? Ils sont
tenus de mener une vie exemplaire pour se main­
tenir dans cet état de perfection : vie sobre, attitude
austère, modestie du regard, de l’habillement, jeûne
immodéré (ni œufs, ni lait, ni viande, car impurs),
pas le moindre plaisir humain, y compris sexuel...
Et tout cela ostensiblement, pour susciter des prosé­
lytes. .. Ils se soutiennent entre eux dans leurs efforts
sur le plan moral, mais aussi sur les plans pécuniaire,
social et professionnel (subventions, places...).
Ils sont tenus au secret le plus absolu (nom des
chefs, des lieux de réunion, des dates, des sujets
évoqués...) et se reconnaissent entre eux à des mots
d’ordre assortis de signes...

. . . E t les autres
La majeure partie des cathares préfère réserver la
régénération du C on solam en tu m aux cas de mala­
dies graves ou à des personnes à l’article de la mort.
Contrairement aux «purs », soumis à un renoncement
absolu, ils ne s’astreignent à aucune règle, puisqu’ils
considèrent que tout dans l’homme est impur.
Comme ils vont être purifiés à la fin, autant alors
jouir de tous les plaisirs terrestres, sans restriction.

Des conséquences désastreuses


Quelles sont les conséquences d’une telle doctrine?
Sur le plan moral, comme il n ’y a pas de norme,
tous les interdits sont levés et toute déviation rejoint
la normalité, si elle ne prime pas sur elle. C’est une
permissivité débridée: drogue, boisson, érotisme,
pornographie, avortement, eugénism e...
Sur le plan familial, c ’est la négation de l’amour
entre un homme et une femme, la destruction du
mariage et de la procréation, la mort de la fam ille...
Sur le plan social, c ’est le refus d’obéir à quelque
loi et à quelque morale que ce soit, puisque toute
hiérarchie et tout pouvoir sont décidés et gérés
par les hommes. Paradoxalement, les cathares ne
rechignent pas à travailler, dans le plus grand secret,
à tisser un réseau d’influences en vue de placer au
pouvoir des hommes susceptibles de faire progres­
ser leurs idées. Il en résulte, pour toute personne
désireuse d’exercer des responsabilités politiques ou
sociales, ou, tout simplement, pour tout candidat à
Un emploi, la nécessité de se conformer aux volon­
tés de la secte.
Sur le plan religieux, le cathare ne peut pas conce­
voir qu’un Dieu qui est Esprit, puisse s’incarner dans
une chair, corrompue, par définition. De même, l’hos­
tie ne peut être considérée comme sa présence réelle,
puisqu’elle est faite de farine et d’eau, donc, de matière.
Il faut donc discréditer la hiérarchie ecclésiale,
anéantir le sacerdoce, base de la religion catholique,
et faire des lois qui réduisent la liberté de l’Église,
la dépossèdent de ses biens, et qui privent partielle­
ment ou entièrement le corps social de son influence
et de toute vie surnaturelle.

Une doctrine mortifère


Au final, c ’est une secte où le déterminisme rem­
place le libre arbitre, le fatalisme éclipse tout esprit
de discernement, l’anarchie détruit tout ordre établi.
Pire encore, le pessimisme annihile l’espérance en
niant tout effet, pour l’âme et pour le corps, des
bienfaits de la grâce et des sacrements offerts par
l’Église. La véritable Église, fondée par l’unique Dieu
incarné, mort pour sauver les hommes et ressuscité
pour les amener, à sa suite, à goûter au bonheur
éternel. Dans sa plénitude.

Eorateur sacré au scanner

Après avoir accompagné Antoine dans ses pre­


miers travaux de lecteur, nous porterons notre inté­
rêt sur son rôle de prédicateur.
L ’énigm e de la langue

Avant de suivre Antoine dans ce combat contre


l’hérésie cathare, on est en droit de se poser la ques­
tion : en quelle langue prêchait-il ? Les historiens ont
envisagé plusieurs hypothèses :
- Il prêchait en portugais, sa langue natale. Pour
la compréhension des auditeurs, l’Esprit saint faisait
le reste, comme pour les apôtres après la Pentecôte.
L’argument semble peu persuasif, car on s’imagine
mal Dieu réaliser un miracle, alors que d’autres pos­
sibilités peuvent s’offrir.
- Il s’exprimait en une espèce d’amalgame du
patois des deux régions de la péninsule italienne1 où
il avait séjourné : la Sicile et Monte-Paolo. Son audi­
toire pouvait ainsi comprendre le sens d’un nombre
de mots et expressions suffisamment important pour
saisir le sens de ses paroles. Cet argument pour­
rait être admis pour les prédications de Forli ou de
Bologne. Mais pas pour toutes les localités aux dia­
lectes très différents les uns des autres, où il allait se
rendre ultérieurement.
- Il parlait en bas latin ou latin rustique. Non pas
un latin qu ’on pourrait qualifier de littéraire, mais
le latin populaire qui était alors compris de tous.
Ce qui est possible, c ’est que dans chaque région,
province, voire pays, il illustrait ses sermons d’ex­
pressions issues du parler local. Restons-en à cette
hypothèse.

1. À cette époque, les pays étaient constitués de régions qui avaient cha­
cune leur propre dialecte; au sein même de chaque région, on trouvait
plusieurs idiomes qui pouvaient varier d'une ville à l’autre.
Le prem ier «lecteur» de la «chaire séraphique »
Retrouvons Antoine après son départ de l’ermi­
tage de Monte-Paolo pour Bologne, où il est devenu
le premier «lecteur» ou professeur de théologie de
l’ordre. Fidèle aux conseils de François, qui lui a
recommandé de nourrir son enseignement d’une
pratique régulière de l’oraison, il a fait de sa chaire
une école de science et de sainteté. Ses élèves ne se
limitent pas aux moines du couvent franciscain où il
réside : «Une foule de jeunes gens avides de science
se pressaient à ses leçons1.» En peu de temps, leur
admiration l’a rendu célèbre dans tous les milieux
intellectuels et théologiques.
Pourquoi un tel engouement pour sa chaire2?
On connaît déjà sa culture théologique, ses excep­
tionnels dons d’orateur et sa prodigieuse mémoire,
qui lui permettait d’émailler ses cours de citations de
n’importe quel texte (Bible, Pères de l’Église...), et
cela de mémoire. À ces atouts incontestés, il joignait
la faculté d’imposer les vérités de l’Église, non pas
en se limitant aux notions d’obligation ou d’interdit,
mais en faisant appel à l’intelligence, à la raison et aux
sentiments humains. Comme on l’a vu, il travaillait
à établir des comparaisons, des concordances, des
analogies et d’autres métaphores encore pour clari­
fier ses exposés et toucher son auditoire. Mais pas
seulement. Car tout ce processus visait à rejoindre
le quotidien de chacun pour qu’il y retrouve une
source de vertu, un chemin qui l’amène à Dieu par
l’amour infini de son Fils. Un amour qui prend sa

1. Les petits Bollanclistes, op. cit., p. 618.


2. De professeur d’université de théologie.
source dans son cœur percé par la lance, et qui reste
présent dans l’Église, les sacrements qu’elle nous
offre et la Parole que ses ministres nous transmettent.
Prenons un exemple concret tiré d’un de ses cours.
Sa référence de base est empruntée à Isaïe : «En ce
temps-là, il y aura dans la terre d’Égypte cinq cités
qui parleront la langue de Chanaan et l’une d’elles
s’appellera la cité du soleil. ->Dans son commentaire,
il assimile ces cinq cités aux cinq plaies du Christ où
toute l’humanité pécheresse peut se réfugier.
Et il poursuit:
«Si les cinq plaies du Christ sont des cités de refuge,
la plaie de son divin Cœur est la cité du soleil, l’éter­
nel foyer de la lumière et de la chaleur surnaturelle.
Par l’ouverture du côté de Jésus, la porte du paradis
nous est ouverte. Par elle, la splendeur de la lumière
éternelle est arrivée jusqu’à nous1. .. » Dans un autre
cours à ses élèves, Antoine revient sur le sujet avec
d’autres images : «Soyez comme la colombe qui éta­
blit son nid au plus profond du creux de la pierre. Si
Jésus est la pierre, le creux de la pierre où l’âme doit
se réfugier, c ’est la plaie de son côté. Celle-là mène
à son Cœur2. .. »
Et ailleurs: «Jésus-Christ est tout à la fois les
deux autels dont il est parlé dans la loi antique:
autel d’airain dans son corps tout sanglant, immolé
à la vue de tout son peuple ; autel d’or dans son
cœ ur tout brûlant d’am our... La méditation des
souffrances extérieures de Jésu s est sainte et méri­
toire. Mais, si nous voulons trouver de l’or pur, il
nous faut aller à l’autel intérieur, au cœ ur même

1. Jean Soulairol, op. cit., p. 39.


2. Ibid., p. 40,
de Jésus, et étudier les richesses de son Amour1. »
Ces extraits nous aident à mieux comprendre les
raisons du succès des cours d’Antoine pendant
les deux années qu’il enseignait la théologie à
Bologne. On y constate aussi qu’il respecta les
souhaits de François : il enseignait à ses frères la
science théologique et entretenait en eux (et en
lui) cet esprit d’oraison qui les entraîne sur les som ­
mets de la charité divine et fraternelle. Ainsi allait
s’inaugurer «l’école séraphique» inspirée par Fran­
çois d’Assise, avec Antoine pour premier maître2,
lequel, en quittant Bologne deux ans après son
arrivée, avait formé pas moins de six lecteurs pour
lui succéder3.

U n prédicateur à grand succès

Sa charge de lecteur n’empêchait pas Antoine d’al­


ler prêcher où on l’appelait, surtout, en Romagne. On
l’a vu, notamment, à Forli, Faenza, Imola, Bologne,
Rimini... Les biographes n’ont pas été prolixes de
détails concernant ses interventions dans ces dif­
férentes localités, excepté pour Rimini, comme on
le verra ci-après. En revanche, nous sommes bien
informés sur ses qualités d’orateur sacré, sur la struc­
ture et le contenu de ses sermons, l’assistance de ses
auditeurs et les effets qui en résultaient.

1. Ibid.
2. Et dont saint Bonaventure et Duns Scott resteront les docteurs immortels.
3. «Trois ans après, alors qu'il avait quitté Bologne, on pouvait en com pter
six* (Antoine du Lys, op. cit., p. 62).
Une p a ro le de fe u
«Il avait les qualités spécifiques à l’orateur sacré :
la grâce qui attire, le feu qui entraîne, la puissance
qui subjugue, la connaissance du cœ ur humain et
des saintes Écritures... Un grand souffle l’animait,
le souffle divin qui transportait les prophètes1.»
Courtois, aimable, la démarche décontractée (inha­
bituelle à l’époque), il avait une voix forte, claire
et modulable à l’occasion, afin de mieux com ­
muniquer les sentiments qu’il souhaitait inspirer:
«C’était le messager de la Bonne Nouvelle, parcou­
rant sans relâche les cités et les bourgades ; c ’était
le semeur creusant chaque jour son sillon et répan­
dant à pleines mains, en tous lieux, le bon grain
de la Vérité; c ’était le héros de l’Évangile, rempli
de sagesse et d’intelligence et parlant avec autorité
dans l’assemblée des fidèles. »À toutes ses aptitudes
et qualités, il faut ajouter son courage et sa fidé­
lité à sa foi: «Rien ne pouvait l’engager à mollir; il
n’affaiblissait ni ne déguisait les maximes du saint
Évangile ; il les annonçait aux grands et aux petits
avec la même force et le même zèle. »
«Il les transperçait tous indistinctement des flèches
de la vérité. Il argumentait avec les incrédules et il
les écrasait sous les coups de sa logique. Il exhortait
les bons; avec eux, il devenait tendre et suppliant.
Il admonestait les impies, et les faisait rougir de leur
conduite. »
Il avait une telle faculté d’adaptation aux circons­
tances et aux personnes que la doctrine du Salut

1. Père Léopold de Chérancé, op. cit., pp. 50-51.


était servie aux auditoires, comme le pain sur la table
d’un banquet1.
Après cet aperçu relatif au mode opératoire d’An­
toine dans ses sermons, on comprend mieux ses
recommandations à ses élèves :
«Toutes les oeuvres d’un orateur chrétien doivent
tendre à une seule fin dans le salut des âmes. Sa mis­
sion consiste à relever ceux qui sont tombés, conso­
ler ceux qui pleurent, à distribuer, avec une parfaite
humilité et le plus entier désintéressement, le trésor
des grâces divines, comme les nuées qui, du ciel,
versent leurs eaux pour féconder la terre. La prière
doit faire ses délices, la méditation doit être l’aliment
de son âme. S’il se conduit de la sorte, le Verbe de
Dieu, Verbe de vérité et de vie, d’amour et de grâce,
descendra sur lui et l’inondera de ses éblouissantes
splendeurs2. »

Ses sources et ses objectifs

Antoine avait reçu sa formation théologique chez


les chanoines réguliers de Saint-Augustin où il avait
acquis une parfaite connaissance de la Bible et des
Pères de l’Église, une doctrine sûre et solide et un
art oratoire exceptionnel. Chez les frères mineurs,
il s’était imprégné de cet esprit de dépouillement
et de cette simplicité aimante qui caractérisent un
apôtre authentique et attirent, par l’onction de ses
paroles et par la force de son exemple, toutes les
âmes au Christ.
Ses sources étaient variées. Aux prophètes, il
empruntait leurs couleurs et leur véhém ence; aux
1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., pp. 72-73.
2. Sermon du 4e dimanche de l’Avent.
Évangélistes, la simplicité pénétrante et les douces
paraboles; aux Pères et aux docteurs, les arguments
de leur éloquence1. Il savait s’adapter aux circons­
tances relatives à l’année liturgique ou aux événe­
ments. Et aussi, aux personnes.

Au nom de l ’Esprit
Avant de prononcer un sermon, il se recueillait
devant le tabernacle pour réciter cette prière de sa
composition2:
«Lumière du monde, Dieu immense, Père de l’Éter­
nité, Aumônier de la sagesse et de la science, miséri­
cordieux et inestimable dispensateur de la grâce spi­
rituelle, Toi qui sais toutes choses avant qu’elles ne
viennent... Étends la main et touche mes lèvres, et
pose-les comme un glaive aigu pour qu’elles redisent
avec éloquence tes paroles; fais, ô Dieu, que ma
langue soit comme une flèche choisie pour pronon­
cer de mémoire tes merveilles ; envoie, ô Dieu, l’Esprit
saint dans mon cœur, pour recevoir, et dans mon âme,
pour retenir, et dans ma conscience, pour méditer.
Inspire-moi des pensées religieuses saintes, miséricor­
dieuses et clémentes; enseigne, instruis et instaure...
tous mes arguments et toutes mes réflexions, afin que
ta discipline me dirige et me corrige jusqu’à la fin, et
que le conseil du Très-Haut me soit toujours en aide
par ta miséricorde infinie. Amen3. »

1. Mgr Antoine Ricard, op. cit., p. 87.


2. C’est un manuscrit du xiv" siècle qui la lui attribue.
3. Cité par Jean Soulairol, op. cit., p. 32.
Les articulations d’un sermon

Le sujet était un extrait tiré du propre du jour. Il en


expliquait le sens littéral en substituant les termes
obscurs à des mots plus faciles à saisir par tous.
Puis il en expliquait la teneur spirituelle, au moyen
de comparaisons, d’allégories, d’anecdotes vécues
ou fictives (paraboles), de références empruntées à
la nature, au quotidien, de concordances entre les
deux Testam ents...
Enfin, il sensibilisait ses auditeurs aux mystères et
vérités développés pour les exhorter à les replacer
dans le contexte de leur propre vie, en vue d’une
conversion personnelle sans cesse renouvelée.

Les quatre saisons du Christ


Voici un exemple de sermon où Antoine relate la
vie de Jésus au moyen de comparaisons réitérées.
«De même que l’année a quatre saisons... De
même aussi dans la vie de Jésus se trouvent quatre
périodes correspondantes. Nous y trouvons d’abord
l’hiver de la persécution d’Hérode, cause de la fuite
en Égypte ; puis, le printemps de la prédication pen­
dant lequel parurent les fleurs, c ’est-à-dire les pro­
messes de la vie éternelle... et aussi l’invitation à faire
pénitence parce que le Royaume de Dieu est proche.
Nous voyons, dans la vie du Sauveur, l’été de la Pas­
sion. Jésus fut alors comme desséché et lacéré par la
souffrance. Enfin, la vie de Jésus eut son automne,
la saison des riches moissons. Ce fut le temps de la
Résurrection; secouant alors les pailles de la souf­
france et les poussières du tombeau, l’humanité du
Verbe, comme un froment divin, fut placé, glorieux
et immortel, dans les greniers célestes, c ’est-à-dire, à
la droite de Dieu le Père1. »

Le salut p o u r les ennem is


Dans un autre sermon, Antoine évoque l’attitude
à avoir envers les ennemis :
"Dans nos ennemis, nous devons aimer l’œuvre
de Dieu, bien que cette œuvre soit défigurée et dif­
forme. En notre ennemi, nous devons encore aimer
la croix que nous présente notre Sauveur. Si nous
voyions la Croix couverte de boue, certes, nous n’ai­
merions pas la boue ; mais nous ne cesserions pas de
chérir le trophée de notre rédemption2. »
«Votre ennemi vous porte préjudice? Mais Dieu se
sert de ces moyens pour vous détacher des choses
terrestres, vous faire croître en mérites et vous faire
expier vos fautes en ce monde. D’ailleurs, vous devez
espérer que votre ennemi se convertira et qu’un jour
il ressuscitera glorieux3. .. »

Les contrevenants fou droyés


On sait que le courage ne manquait pas à
Antoine. Aussi n’avait-il pas peur de déplaire à ceux
qui l’écoutaient. Chacun en prenait pour son grade.
Il visait à la fois les mauvais maîtres qui exploitent
leurs serviteurs, les usuriers qui ne s’intéressent qu’à
leur argent, et les magistrats qui réclament d’énormes
sommes à leurs clients :

1. Sermon du dimanche de la Sexagésime.


2. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 59-
3. Idem.
«Vous êtes de vrais pressoirs qui écrasent les
pauvres et les misérables et leur [prennent] tout
l’argent qu’ils possèdent... Comme dit le prophète
Michée : “Vous leur arrachez avec violence la peau
qui les enveloppe, ensuite vous mangez la chair qui
recouvre leurs os”. Avec [vous], il est inutile de faire
résonner la trompette de la prédication, car [elle] ne
saurait attendrir la dureté de vos coeurs, ni les larmes,
éteindre le feu de l’avarice qui vous consume1.»
Les mauvais clercs n’étaient pas mieux lotis :
«Les sauces excitantes réveillent leur appétit. Ils
prennent plaisir dans les bavardages. Ils trouvent
qu’il y a peu de charme dans l’oraison ; en revanche,
ils aiment beaucoup rester au lit... Je veux parler de
ces fainéants qui mènent dans l’Église une vie relâ­
chée. Dans leur dialogue, on n’entend pas les san­
glots du repentir et les soupirs de la componction,
mais des éclats de rire et des bouffonneries indé­
centes accompagnées d’éructations qui accusent un
ventre trop plein2. »
Antoine s’en prenait aussi à ces «femmes de luxure
et de débauche» qui corrompent les jeunes gens et
les âmes innocentes, et qui détruisent les ménages.

Des auditeurs par milliers

La renommée d’Antoine le précédait partout où il


était attendu pour prêcher : «On voyait les maisons
se fermer, le travail cesser, les chemins se remplir

1. Mgr Antoine Ricard, op. cit., p. 81


2. Ibid., p. 83-
pendant la nuit d’une multitude d’hommes et de
femmes, marchant à la lueur des torches1...»
Quand il arrivait à l’entrée d’une ville ou d’un vil­
lage, il était attendu par une foule immense. Les
enfants, qu’il aimait beaucoup, «agitaient des palmes
et entonnaient des cantiques». Puis ils se mettaient en
tête d’un long cortège pour l’accompagner jusqu’au
couvent où il était accueilli. Là, la foule se dispersait
après s’être assurée de l’heure et du lieu de la prédica­
tion. Selon le nombre des auditeurs prévu, c ’était dans
une église, ou, si nécessaire, sur une place publique2.
Pour ce qui est de l’heure, on choisissait celle qui
accommodait les uns et les autres, éventuellement, de
nuit, pour laisser aux paysans le temps de rentrer leurs
fruits ou leurs vendanges... Les auditeurs étaient si
nombreux à accourir autour de sa chaire (improvisée
sur une estrade si c ’était à l’extérieur) qu’on a pu en
dénombrer jusqu’à trente mille3.

Des fruits en a b o n d a n ce
On a vu l’enthousiasme qu’Antoine suscitait, on a
dit la qualité de son style oratoire et du contenu de
ses sermons. Il nous reste à nous interroger sur les
fruits de sa parole.

Dans le m iroir de la croix


En peu de temps, Antoine avait ouvert le cœur
de tous. Quelle que fût l’affluence, «on n’entendait

1. Les petits Bollandistes, op. cit., p. 6 1 9 ; Léon de Clary, L ’a uréole séra­


phique, p. 462.
2. Mgr Antoine Ricard, ibid, pp. 87-88.
3. Léon de Clary, op. cit., p. 462.
pas le moindre chuchotement ni le plus léger bruit1. »
Tous étaient subjugués par ses paroles en entendant
ses explications sur la foi, émaillées de citations mul­
tiples. Mais quand il en venait à critiquer les manques
et les fautes des uns et des autres, les larmes cou­
laient de tous les yeux, des gémissements fusaient de
toutes parts... Et les sanglots se généralisaient quand
il se référait au Fils de Dieu, en se tournant vers un
crucifix, toujours présent, même à l’extérieur:
«Le Christ, qui est ta vie, est suspendu devant toi,
pour que tu regardes dans la croix comme dans un
miroir. Là, tu pourras voir combien tes blessures
furent mortelles: aucun médicament n’aurait pu
les guérir, si ce n’est le sang du Fils de Dieu. Si tu
regardes bien, tu pourras te rendre compte à quel
point sont grandes ta dignité humaine et ta valeur...
Nulle part l’homme ne peut se rendre compte de ce
qu’il vaut, qu’en regardant dans le miroir de la croix. »
Ce genre d’exhortation avait toujours le même
impact sur chaque auditeur : chacun ressentait la gra­
vité de l’immensité de l’amour du Christ qui l’avait
racheté par son sang, mais aussi la possibilité qui lui
était donnée de retrouver sa dignité et la pureté de
son âme.

Dans le sang du Christ

Venait alors la dernière phase du rassemblement :


la confession. Les pénitents étaient si nombreux à
vouloir y recourir que les prêtres présents (tout le
clergé local et les religieux des couvents) ne pou­
vaient, parfois, y suffire.

1. Les petits Bollandistes, op. cit., p. 619.


Après avoir exposé les grandes vérités de la foi,
avec le souci toujours constant de toucher le cœur de
ses auditeurs et de provoquer leur repentir, Antoine
les attendait donc au confessionnal. Là, trempé de
sueur, brisé de fatigue, il donnait le reste de sa voix et
de ses forces pour prolonger son œuvre et répondre
à leurs besoins. Quels étaient donc ces besoins?
Se réconcilier avec Dieu qu’ils avaient offensé et
qui - tel le père du «fils prodigue» - leur offrait le
pardon qu’ils venaient solliciter par l’intermédiaire
du prêtre, en vertu de ses pouvoirs conférés par
l’Église. Antoine cumulait dans son rôle de confes­
seur une douceur et un calme inaltérables, une com­
passion infinie, une délicatesse extrême, un esprit de
discernement très aigu... Et cette capacité, après leur
avoir fait mesurer la gravité de leurs péchés, de les
soulager de leurs angoisses et de leurs remords «en
les plongeant dans le sang du Christ béni1» et dans la
plaie béante de son cœur.
C’est ainsi qu’il achevait, par la parole intime, le
bien qu’il avait commencé par la parole publique.
Puis il en venait aux exhortations à une conversion
sincère et durable et aux conseils pour persévérer
dans les bonnes résolutions.

Quand le pardon est contagieux

La prédication d’Antoine et la confession de ses


auditeurs étaient partout suivies des mêmes effets :

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 74.


«Ceux que divisent les rancunes et les inimitiés les
plus enracinées se remettent généreusement leurs
torts mutuels; les détenteurs des biens d’autrui, les
usuriers et les autres grands coupables... sentent le
remords naître en leur conscience et s’empressent de
réparer leurs criantes injustices... Les couples désu­
nis se retrouvent, ceux qui vivent en concubinage
régularisent leur situation1. »
Les biographes ont retenu un cas précis, probant
de la force de la grâce dans le cœur de deux hommes
bien éloignés de l’Église. Ils étaient ce qu’on appe­
lait alors des «bandits de grands chemins» habitués à
piller, à tuer, à l’occasion.
Un jour, pour meubler leur ennui, ils étaient venus
écouter un sermon d’Antoine. Voici le témoignage
de l’un d’eux:
«Nous entendîmes sortir de sa bouche enflammée
des paroles ardentes qui nous brûlaient le cœur.
Chacun de ses mots venait, comme un trait, nous
frapper en pleine poitrine. Pour ma part, j’aurais
mieux aimé recevoir cent blessures. Avec des pleurs
et des gémissements, nous sommes allés faire à ses
pieds notre confession générale. Je ne saurais vous
dire avec quelle douceur paternelle il nous reçut,
quels sages conseils il nous donna, avec quelle foi et
quelle éloquence il nous parla de l’éternelle félicité
réservée aux vrais chrétiens, et des peines éternelles
réservées aux méchants et aux impies2. »
Les deux hommes étaient convertis définitivement.
Un exemple parmi d’autres attestant du travail de la
Grâce qu’Antoine suscitait dans les âmes par sa parole.

1. Je a n Soulairol, op. cit., p. 70.


2. Les petits Bollandistes, op. cit., p. 619.
La mule, les poissons
et les grenouilles

De Rimini à Verceil

Terrain m iné: top secret

Le futur théâtre de l’apostolat oratoire d’Antoine,


l’endroit où les patarins étaient les plus influents,
était Rimini1. Mission particulièrement délicate,
car les «purs» y exerçaient une forte pression, de
sorte que tous les prédicateurs avaient renoncé à
s’y rendre.
Antoine était bien convaincu que, s’il annonçait
publiquement sa venue, ils interdiraient à leurs
«frères» d’aller l’écouter, sous peine de représailles.
Car, si l’entraide était très active dans le milieu,

1. Certains auteurs placent l’un ou l’autre des deux miracles dont le récit
va suivre - voire les deux - au cours du deuxièm e séjour d’Antoine à
Rimini. De fait, ce n ’est pas impossible, mais il sem ble plus probable qu’ils
se soient produits avant son départ pour la France. Car dans la logique
divine, ces miracles étaient beaucoup plus «utiles" avant, pour assurer sa
notoriété en France où les cathares (nom m és aussi albigeois car ils étaient
particulièrement présents autour d’Albi) étaient beaucoup plus virulents
que les - patarins".
l’obtention de tout avantage et de tout service était
systématiquement refusée à ceux qui ne se pliaient
pas aux directives : de fait, il était interdit d’entrete­
nir tout lien avec l’Église catholique, et notamment
d’écouter un sermon d’un de ses représentants.
Antoine était fermement déterminé à mener à bien
son projet. En premier lieu, il lui fallait trouver un
moyen pour avertir les habitants de sa venue, mais à
l’insu des «purs». Eh bien ! Il utiliserait leur méthode :
le secret.
Il partit donc de son couvent accompagné d’un
groupe de frères mineurs et de quelques amis sûrs.
Arrivés à Rimini, les uns et les autres se dispersèrent
pour aller, dans chaque maison, annoncer discrète­
ment son arrivée, la durée de son séjour, l’heure et le
lieu de ses prédications. Il fut convenu que les ren­
contres se tiendraient à l’embouchure de la Marec-
chia, une rivière qui se jette dans l’Adriatique1.

Éviter le ridicule
Plusieurs jours de suite, Antoine se rendit sur la
plage pour attendre ses auditeurs. Mais aucun ou
presque ne vint. Un jour, un petit noyau de catho­
liques osa s’approcher de lui. Un quarteron de
patarins, plus curieux et moins peureux que leurs
confrères, étaient aussi venus, mais, par prudence,
ils se tenaient à distance. Antoine brûlait du désir de
commencer son sermon. Mais son auditoire se limi­
tait à un groupe trop réduit, plus faible que celui de

1. La mer arrivait alors jusque-là et la rencontre avait eu lieu sur la vaste


plage. Aujourd’hui, elle s’est retirée et a fait place à des marais. Si on ne
retrouve pas le rivage où a eu lieu la rencontre, une chapelle tém oigne de
l’événement.
ses détracteurs en puissance, prêts à l’invectiver, à le
ridiculiser, et surtout à compromettre définitivement
sa mission. Être lui-même un sujet de moquerie ne
le gênait pas : ce serait une bonne leçon d’humilité !
Mais les entendre à travers ses paroles tourner en
dérision les Écritures, insulter le Christ et sa religion,
il ne pouvait l’envisager.

Le serm on au x poissons
Alors il se tourna vers le ciel pour demander à
Dieu de lui inspirer la conduite à adopter. À cet ins­
tant il se sentit poussé à regarder la mer et à invec­
tiver les poissons: «Écoutez donc, vous, du moins,
habitants de la mer et du fleuve ; poissons, recevez
cette parole dont ne veulent pas les hommes1. »
Soudain, venue des profondeurs, accourut une
multitude de poissons qui s’installa en face de lui, les
plus petits à l’avant, les plus grands à l’arrière. Tous
avaient la tête hors de l’eau et semblaient le fixer du
regard, avec une attention plus soutenue quand il
reprit la parole :
«Mes frères les poissons, vous êtes bien obligés
de rendre grâce à votre Créateur qui vous a attribué
pour vivre, un si noble élément2...» Il cita ensuite
quelques traits honorant leurs congénères : le trans­
port de Jonas et son rejet sur la terre ferme, la gué­
rison de Tobie, le cens offert à Jésus et à Pierre, la
multiplication des pains, la pêche miraculeuse...
À ces paroles, les poissons commencèrent à ouvrir
la bouche, à incliner la tête, à frétiller des nageoires
comme s’ils voulaient l’applaudir.
1. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 62.
2. Idem.
Alors, Antoine éleva la voix pour couvrir leur
vacarme associé au bruit des vagues: «Béni soit
le Dieu éternel, parce que les poissons l’honorent
mieux que ne le font les hommes hérétiques ; et les
animaux sans raison écoutent mieux sa parole que
les hommes infidèles1. »

Lespatarins m ordent à l ’ham eçon


En apostrophant ainsi les poissons, Antoine, à
l’évidence, visait les patarins, toujours dissimulés
en petits groupes à quelques dizaines de mètres de
lui, dans l’intention de lui porter la controverse et
de le mettre en difficulté. Mais Dieu avait envoyé son
message, et tous l’avaient reçu. Antoine avait com­
pris qu’il pouvait user d’un de ces procédés souvent
payants : passer de l’invective sans ménagement à la
douce exhortation.
«Hommes raisonnables, leur dit-il, en promenant
son regard d’un groupe à l’autre, vous pour qui le
Christ a versé son sang et donné sa vie, vous ne
l’écouteriez p as?... Vous ne l’aimez donc pas2?»
Séduits par ses paroles, ils s’approchèrent tous de
lui pour se joindre aux catholiques déjà présents. Plus
de visages moqueurs ni d’airs méfiants. Ils étaient
tous là, non plus comme des censeurs potentiels,
mais comme des auditeurs prêts à l’écouter. Au fur
et à mesure qu’il parlait, l’assistance se gonflait des
parents, voisins et amis que les témoins d’un fait
aussi merveilleux étaient allés chercher. Tant il est
vrai que les plus incrédules se laissent gagner à Dieu

1. Ibid., p. 63.
2. Père Marie-Antoine de Lavaur, op. cit., p. 49.
par ces signes qu’il leur envoie pour les amener à
lui : les miracles.

Les pleurs d ’une m ère


Cette notion d’un Dieu unique, créateur de l’âme
et de l’esprit, mais aussi de tout être fait de matière
(y compris humain ou animal) eut pour effet de
mettre à mal le principe de la dualité divine selon
les cathares. Antoine allait ensuite avancer dans
la proclamation de la foi catholique en abordant
la croyance au Fils de Dieu incarné et rédempteur
du monde. Il allait le faire au moyen d’une de ces
comparaisons dont il avait le secret. Sa référence
était une mère qui, ayant contrarié son mari réputé
pour être brutal, craignait d’être battue. Il imagina
son attitude et ses paroles :
«Elle prend leur enfant dans ses bras et le lui pré­
sente : “Frappe ce petit, si tu le peux ; frappe celui qui
est ta créature.” Les pleurs de l’enfant plaident pour
la mère, et le père, touché par les larmes de son fils
qu’il aime tendrement, pardonne à sa femme. C’est
ainsi qu’au Père céleste, irrité par nos fautes, nous
offrons, dans le Saint Sacrifice, Jésus-Christ, son Fils,
gage de notre réconciliation, afin que, sinon pour
nous-mêmes, du moins, pour son Fils bien-aimé,
Il détourne sa justice et que, se souvenant des dou­
leurs de sa Passion, il nous pardonne nos péchés1. »

Le p a rd o n du Père
Après avoir établi dans son exorde l’unicité du
Dieu Trinité, Antoine avait osé en venir à cette

1. Jean Soulairol, op. cit., pp. 35-36.


double vérité de la foi catholique : l’incarnation
du Fils, et ce mystère pascal réactualisé à chaque
messe qui est l’œuvre salvatrice du Fils par sa Pas­
sion, sa mort et sa résurrection. Une résurrection
qui nous assure la nôtre en vue d’une vie éternelle
en son paradis. Car il nous a dit : «Je suis la voie, la
vérité, la vie. »
Antoine a eu bien soin de souligner que ce salut
n’était pas offert seulement à une poignée de «purs »,
mais à tous, et que tout n’était pas gagné ou perdu
d’avance, en vertu de la réception du con so la m en -
tum. Il précise que la réconciliation avec Dieu après
un péché, si grave soit-il, est possible à tous les
hommes autant de fois que nécessaire, à condition
qu’ils se reconnaissent pécheurs et qu’ils s’engagent
à s’amender, avec l’aide de la grâce reçue dans
le sacrement.
Exit l’affirmation selon laquelle tout ce qui est
chair serait maudit, créé et régi par le dieu du mal.
Ce qui est certain, c ’est qu’il n’y a qu’un Dieu, et que
le Christ est son fils qui a racheté le monde par un
acte d’amour suprême : sa mort sur la croix.
Après son sermon, aucun des patarins - «purs»
compris - qui, pour la plupart, comptaient réfuter
tous ses dires, n’avança, comme au passage de tous
les prédicateurs précédents, le moindre argument
contradictoire.... à l’exception d’un seul.

La mule de Bonvillo
Il en restait un, en effet, nommé Bonvillo qui,
parmi les vérités annoncées par Antoine, ne croyait
pas au dogme de la présence réelle du Christ dans
l’hostie. Il s’en tenait à la théorie cathare selon
laquelle la communion n’apportait que sa grâce1.
Un jour, il lui fit part de ses dernières réticences à
rejoindre l’Église: «Démontrez-moi, prouvez-moi
par un de vos miracles que l’Eucharistie contient
le corps du Christ, et je vous jure que je renoncerai
aussitôt à toutes mes anciennes croyances.» À ces
paroles, Antoine n’eut même pas le moindre doute
sur la certitude de l’intervention divine pour confir­
mer une vérité aussi essentielle. Il accepta le défi, et
laissa même Bonvillo choisir la nature et les modali­
tés de cette épreuve. Ce dernier accepta :
— Eh bien ! J ’ai une mule. Je la tiendrai enfermée
et la priverai de nourriture pendant trois jours. Au
bout de ce temps, je vous l’amènerai devant l’église.
Là, je lui présenterai un boisseau d’avoine. Vous, en
même temps, vous sortirez de l’église et vous porte­
rez le pain consacré. Si à ce moment, ma bête laisse
l’avoine pour venir s’incliner devant l’hostie, alors,
moi aussi, je courberai ma raison devant les mystères
que vous enseignez.
— Nous nous reverrons dans quatre jours, lui
répondit Antoine2...
Pendant les trois jours suivants, Bonvillo n’eut
d’autre souci que d’affamer sa mule. Antoine, on
le devine, ne cessait pas de prier, non pas pour sa
gloire personnelle, mais pour que le miracle, en se
réalisant, entraîne la conversion de cet homme et de
tous ceux qui seraient les témoins de l’événement.

1. C’est pour contrer cette affirmation que le concile de Latran, en 1215, a


désigné le changem ent du pain en Corps et du vin en sang du christ par
le mot - transsubstantiation-.
2. -Vita Benignitas-, 16-6, 17.
Le jour convenu arriva. Avant l’heure de la
confrontation, Antoine vint dans l’église pour célé­
brer la messe avec, nous dit-on, «une sérénité angé­
lique». Puis, sans même ôter sa chasuble, il prit dans
le ciboire une hostie qu’il déposa dans un ostensoir.
Ensuite, il traversa la nef et sortit sur le parvis. Face
à lui, une foule immense s’était rassemblée dans le
plus grand silence. Tous les assistants tournèrent
alors le regard vers Bonvillo qui arrivait sur la place,
tirant sa mule exténuée de faiblesse vers Antoine.
Antoine s’adressa à la mule sans préambule :
«Au nom de ton Créateur, que malgré mon indi­
gnité, je tiens entre mes mains, je te commande, toi,
animal privé de raison, de venir immédiatement te
prosterner devant ton Seigneur, afin que tous les
hommes les plus obstinés [soient convaincus], à ton
action, que toutes les créatures reconnaissent dans
l’hostie leur Créateur: le Dieu que les prêtres, en
vertu de la consécration, ont le pouvoir de faire des­
cendre chaque jour sur l’autel1. »
À cet instant, Bonvillo approcha du museau de
la bête un seau rempli jusqu’au bord d’une avoine
bien fraîche. Un régal pour les équidés ! Elle refusa
d’y toucher. En revanche, elle franchit les quelques
pas qui la séparaient d’Antoine, et vint s’agenouiller
devant l’ostensoir. Elle resta immobile, tête baissée,
jusqu’à ce qu’Antoine, tout sourire, lui ordonne de
se relever d’un tapotement affectueux sur le flanc.
Alors, elle fonça droit vers le seau dont elle dévora
avidement tout le contenu, jusqu’au dernier grain2.

1. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 65.


2. Ibid., p. 66.
Ce nouveau miracle, on le devine aisément, avait
suscité l’admiration de toute la ville, et brisé les résis­
tances des derniers patarins. Quand Antoine partit, la
plupart avaient abjuré publiquement leurs erreurs1.

Le carêm e de Verceil

Antoine avait reçu l’ordre de son évêque,


Mgr Hugues Sessa, de se rendre à Verceil2 pour y
prêcher le carême de 1224 dans la cathédrale Saint-
Eusèbe. Pendant son séjour, il eut des occupations
assez diversifiées: vie monacale au couvent Saint-
Matthieu des franciscains qui l’hébergeaient ; contacts
avec le père abbé Jean-Thomas Gallo de l’abbaye
Saint-André des Chanoines de Saint-Augustin,
fondée peu avant3, des Chanoines de Saint-Augus­
tin; prédications à Saint-Eusèbe...
- la vie avec les franciscains se résumait, selon les
possibilités, à la récitation des heures en commun et
à un échange de nouvelles sur leur ordre.
- les contacts avec le père abbé Jean Gallo consis­
taient en des entretiens d’un haut niveau spirituel.
Ce célèbre théologien, reconnu comme l’un des plus
grands de son temps, dira de lui, après son départ:
«On a vu plusieurs saints [...] pénétrer la théolo­
gie d’une façon qui surpasse la puissance naturelle,

1. Sous prétexte q u ’il s’est produit ailleurs, tous les biographes d’Antoine
n’ont pas retenu ce miracle de Rimini. Pourtant, une forte tradition locale et
une chapelle le com mém orent ; la chapelle fut érigée en 1417, sur l’empla­
cem ent d’une colonne commémorative. Voir Albert Lepitre, Saint Antoine
de Padoue, p. 31.
2. L’opinion avancée par certains, selon laquelle il y aurait été envoyé par
François pour parfaire ses connaissances théologiques, n’est plus retenue
par aucun chercheur.
3. En 1220, par le cardinal Guala.
et avoir des lumières merveilleuses, même sur l’in­
sondable mystère de la Trinité. Je l’ai constaté moi-
même en la personne de Frère Antoine, de l’ordre
des Mineurs, que j’ai connu intimement... La pureté
de son âme, l’ardente charité qui embrasait son cœur
et son vif désir de pénétrer à fond la théologie, lui
firent surpasser les capacités naturelles de l’esprit
humain1.»
Dans l’église Saint-Eusèbe, ses prédications, au
rythme de quatre ou cinq par jour, étaient très sui­
vies: »L’église était remplie d’une foule compacte,
avide de le voir et de recueillir les enseignements
auxquels devait être apposé le sceau du miracle2. .. »
Et quel miracle! En voici un bref récit: «Un matin
[qu’il] prêche, on apporte à l’église, pour lui rendre
les derniers devoirs, le corps d’un jeune homme
enlevé [à sa famille]. Du haut de sa chaire, il voit
entrer le cortège3 et entend les pleurs et les lamenta­
tions des parents, famille et amis qui le composent.
Son cœ ur souffre avec eux. Il s’arrête de parler et se
recueille un instant. Puis, étendant les mains vers le
cercueil sans couvercle: «Au nom du Christ, jeune
homme, reviens à la vie!» À sa voix, l’incroyable
se produit: le jeune homme se lève et marche. On
devine les acclamations des auditeurs m êlées à
celles du cortège funèbre et les émouvantes actions
de grâce qui s’ensuivirent... Et bien évidemment,
l’affluence accrue des auditeurs et le nombre inouï
de conversions de patarins durant ce Carême.

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 59.


2. Léon de Clary, op. cit., p. 465.
3. Le cortège s ’est dirigé vers une chapelle latérale, où un prêtre de la
paroisse procédait à la cérém onie des funérailles. Mgr Antoine Ricard, op.
cit., p. 91.
L’assistance de nombreux prêtres serait nécessaire
afin de confesser les personnes de tous milieux et
de tous âges qui se présentaient et pour réception­
ner les abjurations des patarins, qui se convertis­
saient en masse.

Le Languedoc sous pression

En apprenant le succès et les fruits de la prédi­


cation d’Antoine pendant son séjour à Bologne et à
Verceil, François avait décidé de l’envoyer dans le
Midi de la France. Il voulait ainsi diminuer la puis­
sance qu’exerçaient les cathares dans un vaste ter­
ritoire ayant pour centre d’origine Albi, d’où leur
appellation d’albigeois. Ils avaient bien été vaincus
par Simon de Montfort1, qui était à la tête de la pre­
mière Croisade, mais demeurait un climat de haine
réciproque dont les albigeois allaient tirer parti pour
reprendre de l’influence. Il y avait à cela une raison
essentielle: les catholiques n’étaient défendus ni
par le clergé, ni par les princes. Il nous faut remon­
ter quelques années auparavant pour mieux com­
prendre la situation.

L’incom pétence du clergé


Un grand nombre de membres du clergé étaient
corrompus (simonie, boisson...), et menait une vie
bien peu conforme à l’Évangile, si bien que, face

1. Après avoir pris Béziers et Carcassonne, il reconquit toutes les villes


tenues par les cathares. La bataille de Muret, en 1213, couronna ses opé­
rations de reconquête. Mais sous les murs de Toulouse, une pierre lancée
par un albigeois l’atteignit mortellement.
à eux, les «purs», par leur austérité apparente, pas­
saient pour des gens exemplaires.
D ’autres prêtres, diocésains ou religieux, étaient
si ignorants en théologie qu’ils étaient incapables
de réfuter les contre-vérités émises par les albigeois.
Le pape Innocent III avait alors suscité le quatrième
concile de Latran en 1215 pour exiger une forma­
tion plus sérieuse des prêtres, mais les structures
d’accueil des candidats au sacerdoce avaient tardé à
se mettre en place.
Seuls Dominique et quelques compagnons
avaient œuvré sur le terrain, pour rétablir les vérités
de la foi catholique.

La trahison des princes

Raymor^d V, comte de Toulouse, avait fait ce


triste constat: «La religion nouvelle a pénétré par­
tout, semant la discorde dans toutes les familles. Les
prêtres eux-mêmes cèdent à la contagion. Les églises
sont désertes et tombent en ruine, et le mal est si
profond que je n’ose, ni ne puis le réprimer1. »
Pire encore : si Raymond V n’avait pas combattu
les albigeois, son fils et successeur, Raymond VI, les
avait favorisés dans tous les diocèses placés sous son
autorité: Albi, Narbonne, Carcassonne, Toulouse,
Cahors et même au-delà du Rhône... On peut citer
une série d’exactions perpétrées par ses troupes ou
celles de ses compères : la dilapidation des biens des
diocèses, la destruction des églises, l’assassinat ou
l’emprisonnement des prêtres et des religieux. Voici
quelques exemples :

1. Lettre adressée en 1117 au chapitre général de Cîteaux.


Le père abbé cistercien de Caulnes avait été
égorgé1; un chanoine de Pamiers, qui disait la messe,
avait été roué de coups à mort, et coupé en mor­
ceaux2; un frère de l’abbaye de Saint-Antonin avait
eu les yeux crevés et tous ses confrères avaient été
enfermés dans leur église pendant trois jours sans
boisson ni nourriture, puis expulsés de leur monas­
tère et même de la ville3.
À Urgel, le comte de Foix avait fait détruire l’église
par ses soldats qui s’étaient emparés des bras et des
jambes d’un crucifix pour en faire des pilons desti­
nés à broyer les condiments... Ils avaient aussi fait
manger de l’avoine à leurs chevaux sur l’autel, affu­
blé d’un casque une statue du Christ qu’ils s’amu­
saient à percer de leurs lances à grand renfort de
jurons et de blasphèm es... Après avoir détruit deux
abbayes, l’un d’eux avait déclaré: «Les abbayes de
Saint-Antonin et de Sainte-Marie-d’Urgel sont en
cendres; il ne nous reste plus qu’à détruire Dieu4.»

Un meurtre de trop
Pour clore cette liste déplorable, je citerai cet
écuyer de Raymond VI qui poignarda le légat pontifi­
cal, Pierre de Castelnau, venu pour tenter de trouver
un terrain d’entente. Le mourant lui avait dit en tom­
bant: «Que Dieu te pardonne, comme moi-même je
te pardonne5. »
C’est ce grave incident qui avait motivé la déci­
sion du pape de lancer la première Croisade, ou

1. Par Guillaume de Rochefort.


2. Par les troupes du com te de Foix.
3. L’auteur en est le com te de Foix lui-même.
4. Pierre de Vaux-Cernay, Chronique, chapitres 44 à 46.
5. Voir Oderico Rinaldi, Annales ecclésiastiques.
«Croisade des albigeois »contre Raymond VI. À la tête
d’un groupe de barons du nord de la France venus
lui prêter main-forte avec leurs troupes, il avait dési­
gné Simon de Montfort comme commandant de tous
les croisés. Ils avaient repris Béziers aux albigeois, et
ensuite, Carcassonne, à l’issue d’un siège meurtrier.
De là, ils avaient lancé une vaste opération de recon­
quête de toutes les villes de la région. La bataille de
Muret, en 1213, avait fait capituler Raymond VI du
fait de la mort de son principal allié, le roi Pierre
d’Aragon. Il s’ensuivit pour Raymond VI la déposses­
sion de son comté de Toulouse en faveur de Simon
de Montfort.
Après lui, son fils Amaury transmit ses droits
à Louis VII: c ’était l’annexion du Languedoc à la
France qui allait être entérinée au traité de Paris en
1229. La paix était officialisée, mais la résistance des
albigeois allait se poursuivre à partir de quelques
places fortes. Il fallut l’intervention de l’Inquisition
pour faire tomber le dernier bastion de résistance à
Montségur (1244).

Convaincre et apaiser

C’est donc en 1224, durant cette période trou­


blée, qu’Antoine reçut l’ordre de François de partir
en Languedoc. Il se conformait ainsi au désir du
pape Honorius III et du nouveau roi Louis VIII,
de pacifier la région en poursuivant l’œuvre de
conversion des albigeois avec les armes de la croix
et de la persuasion. Antoine était vraiment l’homme
de la situation...
Vers la fin de l’été 1224, le voilà donc parti de
Bologne avec un de ses frères pour compagnon,
comme c ’était l’usage chez les franciscains. On n’a
pas une abondance de détails sur son itinéraire, mais
l’on sait que dans chaque grand centre où il se ren­
dait, il avait pour mission :
- de conforter la résistance des catholiques restés
fidèles à leur foi en fondant un réseau de couvents de
l’ordre qui seraient autant de citadelles et de foyers
de conversion ;
- de former des «lecteurs» dans les couvents
anciens et dans les nouveaux pour instruire leurs
frères ;
- de confondre les cathares par des réunions
publiques où il porterait la contradiction...

Cap sur Montpellier

La première étape de sa mission était Montpellier


où il fut accueilli, dès son arrivée, au couvent des
franciscains récemment fondé. C’était un bon choix
pour inaugurer sa mission en France. Car il ne devait
pas y trouver d’opposition, les princes et les pasteurs
de la cité ayant toujours soutenu la majorité catho­
lique de ses habitants. Ce soutien politique et reli­
gieux se doublait d’une protection spéciale de Marie,
qui jouissait d’une grande vénération dans son église
de Notre-Dame-des-Tables... Si Antoine arrivait à
y établir sa réputation de prédicateur - peut-être
confortée par un éventuel miracle? - , ce serait un
atout non négligeable pour s’introduire ensuite dans
les foyers encore infestés, comme Toulouse...
Chez les franciscains, il enseignait, comme
convenu, la théologie à ses frères. Son outil de travail
était un psautier abondamment annoté de sa main
qu’il avait intitulé: «Commentaire sur les psaumes.»
Il y puisait la matière de ses cours aux religieux, et de
ses sermons dans les églises. Chaque jour, il usait de
ses rares temps libres pour compléter son ouvrage
et l’enrichir de citations tirées, de mémoire, de l’Écri­
ture sainte et des Pères de l’Église. Il y ajoutait des
arguments pour ses futures controverses avec les
hérétiques...

La fo lle équipée du novice


Il y avait au couvent1, un jeune novice tourmenté
par des doutes sur la réalité de sa vocation, décou­
ragé par les difficultés des études et de la vie en com­
munauté. L’idée lui était venue un jour de voler le
manuscrit d’Antoine afin d’en tirer un double profit :
- une gloire personnelle en déclarant qu’il en
était l’auteur;
- des avantages financiers, en le faisant éditer à
son nom.
Une nuit, au moment où Antoine était occupé
avec ses frères, le novice enleva son habit, s’intro­
duisit dans sa cellule, s’empara du manuscrit, sortit
furtivement dans le couloir, ouvrit délicatement le
portail d’entrée et s’enfonça dans la nuit.
En retournant dans sa cellule, Antoine constata
d’em blée la disparition de l’ouvrage. Il ne pou­
vait accepter l’idée d’être privé du fruit de tant
de recherches et de travaux; mais il n ’en voulait
pas au voleur, qu’il n ’eut pas de mal à détecter en

1. L’histoire qui suit est relatée par les Bollandistes (» Liber Miraculorum»
et Azevedo I, XI, pp. 51-52; Angelino de Vicenza, I, XI, AnnalesMinorum
n° 14, 1231). Elle est citée par quasiment tous les biographes.
apprenant sa fugue. Il pria immédiatement le Sei­
gneur d’intervenir, non seulement pour récupérer
son bien, mais pour inspirer de meilleurs senti­
ments au coupable. Et le Seigneur intervint. À cet
instant, le fuyard s’apprêtait à traverser le pont de
Lattes, enjambant le Lez qui conduisait hors de la
ville. À peine eut-il fait quelques pas sur le pont
qu’il vit surgir face à lui un personnage m ons­
trueux, armé d’une hache, qui le menaçait du geste
et de la parole : «Retourne sur tes pas et va rendre
le livre que tu as dérobé ; autrement, je vais te tuer
et je te jetterai dans le fleu v e... »
Le novice fut saisi d’une peur qui le paralysa. Mais,
pour échapper au monstre, il tourna les talons et
repartit au pas de course, jusqu’au couvent. Il sonna
à l’entrée, se fit ouvrir et, sans rien dire au portier,
fonça droit vers la cellule d’Antoine pour se pros­
terner à ses pieds, implorer son pardon et, bien évi­
demment, lui rendre son manuscrit. Il lui demanda
même, larmes à l’appui, de plaider sa cause auprès
du gardien pour qu’il le réintègre dans la commu­
nauté - ce qu’il obtint.
Alors, on est en droit de s’interroger sur l’identité de
ce personnage inquiétant. Les premiers biographes,
suivis par d’autres, l’ont assimilé au dém on... Ce qui
prouverait sa soumission - et non son égale puis­
sance - à l’unique Dieu et Seigneur, qui lui aurait
commandé d’intervenir pour arracher à son emprise
le pauvre novice qu’il avait trompé1.
Ce qui est certain, c ’est que ce récit est à l’ori­
gine de la coutume, bien établie dans le monde

1. Le novice aurait mené une vie exem plaire et serait mort en odeur de
sainteté. Azevedo I, XI, pp. 51-52.
e'ntier, de prier saint Antoine pour retrouver les
objets perdus.

Les grenouilles bâillonnées


Un fait non moins touchant a marqué le passage
d’Antoine à Montpellier.
Il y avait, à proximité du couvent, un étang infesté
de grenouilles. Et les grenouilles, ça coasse - à temps
et à contretemps - sans se préoccuper des moments
de silence des moines, ni de ceux réservés aux instruc­
tions d’Antoine, qui devenaient inaudibles. Antoine
se souvint de ce jour où, à Rimini, il avait attiré une
foule de poissons pour écouter son sermon. Il avait
aussi entendu dire que François aurait fait taire une
nuée d’hirondelles dont les battements d’ailes et les
trissements l’empêchaient de parler. Alors, se dit-il,
pourquoi ne pas donner des ordres aux grenouilles?
Sitôt dit, sitôt fait. Il se fit conduire au bord de l’étang,
fit une prière et imposa le silence aux batraciens. Au
même instant, le concert strident s’arrêta1. En sou­
venir de l’événement, le point d’eau - aujourd’hui
desséché - a été baptisé : «Lac de Saint-Antoine».

Antoine se dédouble

On sait qu'Antoine ne négligeait jamais sa mission


de prédicateur dans les villes où il passait. À Mont­
pellier comme ailleurs, il allait donc prêcher dans
toutes les églises où on l’appelait, sans toutefois se
démettre de ses obligations dans les couvents où il
était hébergé.
Un jour - le dimanche de Pâques 1225 - il fut invité
à prêcher dans une église1. Tout le clergé était là, et
la foule était immense. Ils étaient tous venus pour
entendre ce prédicateur, si réputé pour enseigner
la doctrine, mais aussi pour confondre les cathares.
On l’appelait déjà «le marteau des hérétiques»! Et en
plus, il faisait des miracles ! Justement, à propos de
miracles, poursuivons le récit des biographes !...
À peine eut-il commencé son sermon2 qu’il s’in­
terrompit. Il se souvint qu’il avait été désigné par
le gardien du couvent où il séjournait, pour chan­
ter l’Alléluia, et qu’il avait omis de prévoir un de ses
frères pour le remplacer. Il ne pouvait pas quitter la
chaire pour remédier à son oubli. C’était trop tard,
mais il ne voulait pas davantage s’arrêter de parler.
Cruel dilemme qui ne pouvait être résolu sans l’inter­
vention du Seigneur! Antoine le pria de lui venir en
aide. Soudain, à l’étonnement général, il se courba
en avant et rabattit sa capuche sur sa tête, comme
pour la dissimuler. Un instant, l’auditoire crut à un
malaise, une extase. Mais il comprit vite qu’il assis­
tait, en direct, à une nouvelle faveur divine reçue par
Antoine... Au même moment - le temps de chan­
ter l’alléluia - , il fut aussi vu par tous les frères de
son couvent au milieu du chœ ur... Quelques ins­
tants plus tard, il reprit le fil de son sermon sans le
moindre trouble apparent. Le mot «miracle» fut pro­
noncé un peu plus tard, quand les témoins oculaires
des deux lieux où il s’était produit en même temps

1. Certains situent cet événem ent dans la cathédrale qui, à ce moment,


n ’existait pas puisque le siège épiscopal se trouvait alors à Maguelone.
Il y resta jusqu’au xiv-' siècle. Toutefois, l’évêque présidait souvent les céré­
monies, en présence du clergé montpelliérain, dans une église de la ville.
2. Ou au milieu du sermon selon les versions.
purent attester sa double présence : autrement dit, sa
faculté d’«ubiquité», dont seul un nombre réduit de
saints a pu bénéficier.

U n e situation ambiguë

Si, à Montpellier, Antoine n’avait pas eu l’opportu­


nité de lutter contre les cathares, quasi inexistants, il
s’était cependant établi une réputation de grand pré­
dicateur et de thaumaturge admiré de tous. Comme
les nouvelles se propageaient vite en Languedoc,
nul doute qu’à son arrivée à Toulouse, ses actions
d’éclat étaient déjà connues.
D ’ailleurs, Raymond VII, comte de Toulouse qui,
après son père, avait multiplié les exactions contre
les catholiques, avait dû composer avec le Saint-
Siège. Il s’était engagé à cesser d’apporter son appui
aux albigeois, à laisser la liberté de culte aux catho­
liques et à leur restituer leurs biens1. En échange,
il devait recevoir le comté que les croisés avaient
confié à Amaury2. Raymond VII ne respecta pas, tant
s’en faut, tous ses engagements ; mais il laissa toute
liberté de culte aux catholiques et à leur évêque,
Mgr Foulque. Toutefois il continuait, quoique plus
discrètement, à soutenir les cathares qui, malgré leur
appellation d’albigeois, avaient fait de Toulouse leur
point d’ancrage.
En arrivant à Toulouse, Antoine se dirigea vers
le couvent des franciscains nouvellement construit.

1. Mgr Antoine Ricard, op. cit., p. 119.


2. Après avoir remporté sur lui, on l'a dit, la bataille de Muret.
Il y exerça d’em blée ses fonctions de lecteur. S’il
eut toute liberté pour prêcher dans les églises, il
dut user de toute sa force de persuasion envers les
albigeois, qui ne manquèrent pas de lui porter la
contradiction.

La présen ce réelle confirm ée


On sait qu’Antoine employait toute son éner­
gie à défendre la croyance des catholiques à la
présence réelle de Jésus dans l’hostie. À Toulouse
comme ailleurs - et peut-être plus qu’ailleurs - les
cathares refusaient toujours aussi fermement de la
reconnaître. Il est vrai que tous les auteurs n’ont
pas retenu un deuxième miracle eucharistique pro­
voqué par Antoine à Toulouse. C’est nier à Dieu
sa toute-puissance, qui lui permet de réitérer les
mêmes faits merveilleux dans le seul but de reti­
rer de l’erreur les hommes qu’il aime. Rien ne nous
em pêche donc de suivre ici ceux qui ont relaté un
deuxième «miracle de la mule1», dans des circons­
tances qu’il est inutile de rappeler. D ’autant plus
qu’on connaît le nom du cathare réticent: il s’appe­
lait «Guialdo». Et l’on sait aussi non seulement qu’il
avait entraîné toute sa famille dans sa conversion,
mais qu’il avait également fait bâtir, à ses frais, une
église dédiée à saint Pierre pour confirmer son
adhésion à la religion du Christ et sa soumission à
son successeur2.

1. Notamment Azevedo et Azzoguidi.


2. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 8 6 ; R.P. A.T., prêtre
du Sacré-Cœur, op. cit., pp. 123-125; Mgr Antoine Ricard, op. cit., pp. 123
à 126. I
L ’A ssomption de M arie entérinée
Un autre article de foi des catholiques, c ’est la
croyance en l’Assomption de Marie, selon laquelle sa
mort (ou «dormition») n’a pas entraîné la corruption
de son corps, qui a été élevé au ciel par les anges.
Du temps d’Antoine, l’Assomption n’était considérée
par l’Église que comme une opinion théologique
parmi tant d’autres. Elle avait déjà été soutenue par
saint Bernard (xne siècle) et avant lui, par saint Jean
de Damas (vme siècle). Saint Augustin avait même
écrit: -On trouve des vestiges [de cette croyance]
si anciens qu’on peut la considérer comme apos­
tolique1.» Cependant l’Église attendit 1950 pour
l’ériger en dogme, sous le pontificat de Pie XII. Les
franciscains, dont la dévotion affectueuse à Marie a
toujours été bien ancrée, considéraient déjà le Mys­
tère de l’Assomption comme une certitude. C’est
pour cela que François avait baptisé la chapelle
de la Portioncule Sainte-Marie-des-Anges». Pour
sa part, saint Antoine en était tellement convaincu
qu’il ne supportait pas de l’entendre démentir. Et
pourtant, c ’est bien ce qui risquait de lui arriver. La
veille de la fête de l’Assomption, on devait lire au
chœur un martyrologe2 que l’auteur avait écrit sur
le sujet: «l’Église, dans sa sage réserve, préfère une
pieuse ignorance à l’enseignement d’une croyance
vaine et apocryphe3. »Lui qui avait passé son enfance
à l’ombre de la cathédrale de Lisbonne, dédiée à
Notre-Dame-de-l’Assomption, et qui avait si souvent

1. Bénédictins de Solesme, Année Liturgique, 15 août.


2. Celui d’Usuard (ou Usward).
3. Caesar Baronius, Martyrologe romain, (annotations), 15 août et Marty­
rologe d ’Usuard.
prié à l’intérieur devant son tableau peint par l’ar­
tiste, non, jamais il ne pourrait se résigner à entendre
mettre en doute ce qui était, pour lui et pour son
ordre, une certitude! Alors, que lui restait-il à faire?
Ne pas assister à l’office, sous peine d’indiscipline?
Ou bien appeler une nouvelle fois le Seigneur à son
aide? C’est cette dernière option qu’il choisit.
Comment Dieu allait-il lui répondre? Non pas en lui
accordant un nouveau don d’ubiquité - il n’accorde
pas de grâce sans effet notoire ! - mais en envoyant sa
mère à son secours, dans le plus profond de son cœur.
Alors que son confrère commençait de lire le texte qu’il
redoutait d’entendre, Marie lui apparut, souriante,
enveloppée d’une clarté éblouissante. D’une voix
douce, elle lui affirma que, sans avoir subi la moindre
corruption, «elle était montée au Ciel en corps et en
âme, portée par les ailes des anges1». Pendant tout le
temps que dura cette manifestation céleste, Antoine
n’entendit ni ne vit rien d’autre que Marie. Il était dans
un état qu’on pourrait qualifier d’extase, qui lui permit
de ne pas percevoir le moindre mot du moine qui lisait
le texte incriminé. C’est uniquement quand ce dernier
s’arrêta qu’Antoine reprit ses esprits. Cet incident allait
accroître encore sa dévotion à Marie.

Le clergé interpellé
Que peut-on dire d’autre sur l’apostolat d’Antoine
à Toulouse ? Rien de bien précis ni de bien nouveau :
il avait prêché pour ses frères et formé des lecteurs.
Il avait interpellé le clergé, en invitant ses membres
à se défaire de leur vie trop matérialiste, à revenir à
u'n esprit de prière et de méditation, à étudier pour
mieux enseigner au peuple... Il les avait persuadés
que c ’était par leur exemple qu’ils attireraient les
âm es... Quant aux cathares, après quelques tenta­
tives d’intimidation, ils n’avaient même pas essayé
de recourir aux joutes verbales avec lui, soit qu’ils
se soient convertis en masse, soit qu’ils aient préféré
baisser les bras.

En route vers le Puy


Informé du plein succès de la mission d’Antoine
à Toulouse, François décida de l’envoyer au Puy
comme gardien. Il prit donc le chemin du Velay
en septembre 1225. Les chroniqueurs notent que,
durant son voyage, plusieurs villes furent gagnées
au Christ grâce à ses sermons. Comme à Lunel, où
la foule était si immense qu’il avait fallu improvi­
ser une chaire en pleine cam pagne... pas loin d’un
étang fréquenté par des grenouilles. Des grenouilles
aux coassements aussi assourdissants qu’à Montpel­
lier. Un signe de croix dans leur direction les avait
réduites au silence, le temps de son sermon1. On ne
sait rien de ses interventions tout au long de son
trajet. Nous allons donc nous contenter de le retrou­
ver au Puy.
Saint Antoine d e Padoue avec l ’enfant Jésus, par Le Guerchin, 1656, collection particulière.
Photo : © Web Gallery of Art.
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La basilique Saint-Antoine à Padoue (Italie). Photo : © Stefan Lew.

Antoine de Padoue guérissant les malades, par Sebastiano Ricci.


Photo : © Web Gallery of Art.
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Saint Antoine de Padoue, fresque de Benozzo Gozzoli, 1450,


basilique Santa Maria in Aracoeli à Rome (Italie). Photo : © D.R.
Du Velay au Limousin

Sous le signe de Dieu

Si François avait choisi Antoine comme gardien du


couvent du Puy, c ’est que, malgré son inexpérience
pour cette charge, il avait toutes les qualités et les
aptitudes requises en vue de débarrasser la maison,
fondée depuis peu, du laxisme dont sa gestion pâtis­
sait. Le premier gardien était un de ces gouvernants
qui avaient jeté un grand discrédit sur l’Institut, tant
«ils se relâchaient en matière de pauvreté, d’humilité
et de recueillement1».

Les bons gardiens selon François


François se désolait de ce genre de comportement.
Il en était venu à faire une déclaration dans laquelle il
définissait les critères d’un bon gardien ou d’un bon
Provincial : «Je voudrais qu’ils soient affables envers les
inférieurs et qu’ils leur témoignent tant de bienveillance
que les coupables eux-mêmes ne craignent pas de leur

1. Père Candide Chalippe, Vie de saint François, tome II, p. 356.


avouer leur faute. Je voudrais qu’ils soient modérés
dans le commandement et miséricordieux devant les
faiblesses de la nature; qu’ils supportent avec patience
les mauvais religieux, plutôt que de les blesser par
leurs réprimandes ; qu’ils soient les ennemis du péché
et les médecins des pécheurs ; je voudrais, enfin, que
leur vie soit pour les autres un exemple de régularité1. »

Le bon gardien in carn é p a r Antoine


Les témoignages recueillis sur la gestion du cou­
vent par Antoine vont dans le sens de ce que dit
François: «Il se distingua par une très grande dou­
ceur qui s’étendait à tous ses frères indistinctement,
et qui lui valut la confiance générale. Il n’y apporta
pas une prudence moindre. »Il gardait un juste milieu
entre la sévérité rigide et la complaisance m olle...
Il défendait la Règle avec vigueur contre les tièd es...
et contre les dogmatiseurs épris de leur sagesse.
Il savait corriger et guérir. Il ne cessait d’exhorter ses
frères à l’amour de la discipline et à la pratique des
vertus évangéliques. Mais son principal succès «fut
l’exemple qu’il sut toujours donner à ses inférieurs»,
et son système de direction porta ses fruits : «Il vit la
piété refleurir dans sa communauté, et la vie simple
et mortifiée remise en honneur2. »

Des «vaudois « baissent la tête


Au Puy, les cathares, issus de Lyon, étaient appe­
lés «vaudois». Ils avaient absorbé dans leurs rangs

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 132. D’après -Opuscula B. fran-
cisci», tome III, ch. XXV.
2. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 135.
ceux qui, chassés du Languedoc, étaient venus se
réfugier dans cette région où les gorges profondes et
les montagnes sauvages, couvertes de forêts, consti­
tuaient des lignes de défense naturelles.
Ils n’avaient jamais pu être aussi influents qu’à
Toulouse. Par ailleurs, ceux qui s’étaient laissé entraî­
ner par la secte étaient des paysans naïfs mais droits,
et il suffît à Antoine de leur expliquer leurs erreurs
pour qu’ils retournent dans le giron de l’Église.
Quelques-unes de ses prédications populaires
allaient, au Puy comme ailleurs, être marquées du signe
du divin, mais sous des formes parfois nouvelles1.

Une intuition de devin

Un jour, il prêchait sur une place car aucune église


n ’était assez grande pour accueillir son auditoire,
qui était suspendu à ses lèvres. Soudain arriva un
messager qui se disait porteur d’un courrier urgent.
Il se fraya un passage dans la foule en ne cessant
de demander aux uns et aux autres - d’abord à voix
basse, puis de plus en plus fort - où se trouvait la
noble dame destinataire de la lettre qu’il tenait dans
la main. Il finit par la trouver. Sans préambule et sans
ménagement, il lui annonça, sur un ton faussement
compatissant, que son fils venait d’être assassiné. Et
il lui tendit la lettre, qu’elle lut en sanglotant. Il avait
réussi l’effet escompté : capter l’attention générale et
la détourner du prédicateur, en causant un immense

1. Les faits merveilleux survenus au Puy ne sont pas retenus par tous les
auteurs sous prétexte q u ’ils ont été écrits un siècle plus tard. Pourtant, ils
étaient bien ancrés dans la tradition orale et le fait q u ’ils n'aient pas été
relevés (ou connus) par les premiers biographes ne prouve pas nécessai­
rement qu’ils soient faux.
chagrin à l’intéressée, avec laquelle chacun ne pense
qu’à compatir, au point d’en oublier le sujet traité.
Mais Antoine flaira là une ruse du démon pour le
neutraliser et empêcher ses paroles de porter du
fruit. Alors, couvrant les chuchotements qui fusaient
de toutes parts, il s’adressa à la dame d’une voix puis­
sante: «Femme, pourquoi pleures-tu? Ne livre point
ton cœur à la désolation. Ce courrier qui t’inquiète
sort directement de l’enfer pour distraire vos âmes
et vous empêcher tous de profiter des grâces que
vous fait le Seigneur... Ton fils est vivant. Sous peu,
tu le reverras et tu constateras toi-même la vérité de
ma parole...» À ce moment, l’esprit du mensonge
était découvert. Il poussa un cri horrible et disparut.
La fumée nauséabonde qu’il laissa fut perçue partout
comme le sceau de son auteur1. Cet épisode ne fit
que renforcer le crédit d’Antoine auprès des masses
de gens qui venaient chaque jour en plus grand
nombre pour l’écouter, et s’engageaient à mener
une vie plus évangélique après s’être confessés aux
dizaines de prêtres qui l’accom pagnaient...

Une clairvoyance de prophète


Il y avait un notaire de la ville qui était réputé, par
tous, pour sa vie dissolue et son gaspillage effréné.
Bien que de famille catholique, il ne fréquentait plus
l’église et Antoine ne l’avait jamais vu à ses sermons.
Et pourtant, chaque fois qu’il le rencontrait dans la
rue, Antoine se découvrait et le saluait poliment.
L’autre répondait à toutes ces marques de respect par
le mépris. Un jour, n’y tenant plus, il arrêta Antoine

1. Angelino de Vicenza, lib. I. cap. X II; Azevedo, lib. I, cap. XIII.


et lui lança : «Frère, je ne sais pas ce qui m’empêche
de te passer mon épée au travers du corps. Tu es
un insolent [et tes manigances] ne sont qu’une injure
pour me reprocher indirectement ma conduite1. »
Antoine ne se sentit pas blessé. Au contraire, il
le regarda avec douceur et tendresse et lui dit : «Sei­
gneur, je ne me moque pas de vous. Mon intention
de vous honorer est sincère, car vous devez l’être.
Le Seigneur m’a révélé que vous cueilleriez la palme
du martyre... Hélas! Je n ’ai pas été jugé digne moi-
même, bien que je l’aie désiré, du digne triomphe
qui vous est destiné2. »
De telles paroles firent un effet à double tranchant
sur le notaire : sans vraiment le croire, il en fut plus
profondément troublé et poursuivit son chemin
sans réagir. On apprit, plus tard, qu’il était parti en
Terre Sainte aux côtés de son évêque, après avoir
distribué tous ses biens aux pauvres. Le malheureux
était tombé sous le coup du cimeterre d’un musul­
man après avoir subi d’horribles tortures pour avoir
refusé de renier sa foi. Avant de mourir, il s’était sou­
venu de la prédiction d’Antoine et l’avait racontée à
ses bourreaux3.

Faux m alade ou vrai possédé ?


Un autre jour où Antoine prêchait, un homme,
considéré comme un fou, perturba ses paroles par
ses cris incessants. Aucun médecin n’était parvenu à
le délivrer de ses crises de démence. Antoine comprit

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 85.


2. Ibid., p. 85.
3. Angelino de Vicenza, lib. I, cap. XIII ; Wadding Annales Minoruin, lib. II,
n. 171 : Azevedo. lib. I. car). XIV.
que le mal dont il souffrait n’avait rien de naturel.
Il se tourna vers lui et lui fit signe, en souriant, de
s’approcher; il lui demanda de toucher son cordon.
L’homme obéit, confiant. Antoine le bénit; à l’instant
même, le prétendu malade reprit toute sa raison et
écouta le reste du sermon dans le plus grand calm e1.
Sa guérison fut définitive et contribua à accroître
encore la renommée d’Antoine.

Une voix téléguidée?


Au cours d’un autre sermon, une femme se déso­
lait de l’interdiction imposée par son mari d’aller
écouter prêcher Antoine dans le bourg voisin.
À l’heure où il devait commencer son sermon,
elle eut l’idée de monter sur sa terrasse, dans le
but d’apercevoir, de loin, le clocher de l’église où il
intervenait... En le regardant, tout attristée de rester
confinée chez elle, elle se mit à entendre la voix
d’Antoine aussi distinctement que si elle était dans
l’auditoire. Son mari, qui la cherchait en vain dans
la maison, finit par la trouver. La voyant immobile
et concentrée, il lui reprocha de paresser au lieu de
s’occuper de son ménage. Elle lui répondit :
— Tais-toi, tu m’em pêches d’écouter Antoine !
— Es-tu folle?... À cette distance?...
— Écoute plutôt toi-même !
Son mari prêta l’oreille et entendit, lui aussi, le
sermon. Il comprit qu’il devait à la piété de sa femme
cette faveur qu’il ne méritait pas. Depuis ce jour,
c ’est lui qui proposa à son épouse de l’accompagner
à tous les sermons d’Antoine. Et c ’est lui qui, aussi,

1. Ibid.
se chargea de raconter ce qui lui était arrivé à qui
voulait l’entendre.

U n concile pour la paix

À peine y avait-il deux mois qu’Antoine exerçait


sa charge de gardien du couvent du Puy, qu’il reçut
l’ordre de se rendre à Bourges où devait s’ouvrir, le
30 novembre 1225, un concile national convoqué
par le pape Honorius III. Il était présidé par le légat
du Saint-Siège, le cardinal Saint-Ange entouré de six
archevêques, cent évêques et d’un grand nombre
de provinciaux, abbés mitrés et prieurs. Il avait pour
double rôle l’extinction de l’hérésie cathare et la paci­
fication du Languedoc.

Carton ja u n e p o u r le clergé
Considéré comme le meilleur prédicateur de
l’époque, Antoine fut chargé du discours d’ouver­
ture. Il avait bien compris que, pour arriver à ses fins,
le concile devait s’attaquer aux racines de tous les
maux : l’incurie du clergé dont la morale relâchée et
le peu de conviction à prêcher l’Évangile faisaient le
jeu des critiques des cathares et maintenaient leur
attrait auprès de certains catholiques mal formés.

Carton rouge p o u r l ’évêque


Au début de son allocution, Antoine fustigea les
maux qui déshonoraient le clergé régulier ou sécu­
lier: la simonie, l’ambition, l’amour du luxe, l’avarice,
l’absence de spiritualité et d’obéissance à la Règle...
Puis il alla plus loin encore. Informé par une intuition
divine de l’inconduite de l’évêque Mgr de Sully1, il se
tourna vers lui et lui dit personnellement: «Homme
mitré, c ’est à vous que je m’adresse... Malheur au pas­
teur infidèle qui égare ses brebis. Malheur au pasteur
mercenaire qui ne les défend pas contre les morsures
des loups ravisseurs2! »
Antoine attaqua alors «certains vices secrets qui
tourmentent la conscience du prélat et déshonorent
sa vie». Puis il dénonça ses doutes cachés et établit
les vérités de la foi catholique par des textes si clairs,
des démonstrations si sûres, que le coupable sentit la
lumière se faire dans son âme et les regrets se réveiller
dans son coeur. Au lieu de se rebiffer contre Antoine,
il vint se jeter à ses pieds et se confessa à lui3. Car
il considérait comme une punition légitime que ses
fautes, commises au vu et au su de tous, soient dénon­
cées publiquement. D’ailleurs, sa conversion fut sin­
cère et durable : depuis ce jour jusqu’à sa mort - sept
ans plus tard - , il devint un pasteur «selon le cœur de
Dieu en même temps qu’un gardien fidèle de la foi».

Statu quo p o u r le comté


Une autre question débattue à ce concile de
Bourges était le problème du comté de Toulouse,
que revendiquaient à la fois Amaury et Ray­
mond VII. Certains auteurs pensaient que les pères
conciliaires donneraient leur verdict. Mais, faute de
preuves, il valait mieux s’en tenir à la prudence:
les avis des uns et des autres furent collectés:

1. Ou Souliac, selon les auteurs.


2. Monseigneur Antoine Ricard, op. cit., p. 146.
3. -Liber Miraculorum-, Acta 55, 13 juin; Léon de Clary, op. cit., p. 475.
«Le tout fut envoyé au roi et le concile de Bourges
ne décida rien de définitif1

La conversion d ’un j u i f
Certains biographes placent à Bourges un autre
«miracle de la mule». On ne va pas reprendre ici son
déroulement détaillé, mais on peut citer le nom de
celui qui en fut le témoin : son nom serait «Zacharie
Guillard». Après sa conversion, il aurait fait construire
à ses frais une église sous le vocable de «Saint-Pierre-
le-Guillard». N’est-ce pas là une preuve possible de
l’authenticité de ce miracle eucharistique à Bourges?
D’autant plus qu’il s’agissait là d’un nouveau type de
conversion : celle d’un juif.

Quand la pluie est sans effet

À Bourges, la renommée de ce moine, qui avait


osé apostropher publiquement un évêque et lui ins­
pirer un repentir sincère, était peut-être plus écla­
tante qu’ailleurs. D ’où une affluence exceptionnelle
à ses prédications. Mgr de Sully, quant à lui, tint à lui
rendre un hommage public.
Un jour d’été, alors qu’Antoine devait prêcher
en pleine campagne dans un immense champ en
dehors des murs de la ville, l’archevêque s’y rendit
en procession, escorté de son chapitre. Une foule
innombrable s’y était déjà rassemblée, autour de
son clergé et des notables locaux. Il faisait beau et
chaud. Ju ché sur un tertre en guise de chaire, Antoine

1. Antoine du Lys, op. cit., p. 91.


commença son sermon. Soudain, une série d’éclairs
sillonnèrent le ciel, qui se chargea de nuages mena­
çants. Le tonnerre grondait et la pluie commençait à
tomber. Épouvantés par l’imminence de l’orage, les
gens s’apprêtaient à partir. Mais Antoine les inter­
pella d’une voix ferme et rassurante: -Ne bougez
pas, et que la pluie ne vous inspire aucune crainte.
J ’espère en Celui qui ne trompe jamais la confiance
qu’on met en Lui: je vous promets que pas une
goutte d’eau ne tombera sur vous»... À ces paroles,
tous s’arrêtèrent dans leur mouvement de fuite, et
la pluie cessa. Personne ne fut mouillé, alors que,
tout autour, des torrents d’eau ruisselaient... À la fin
du sermon, tous ceux qui étaient présents purent
constater que le champ où ils s’étaient rassemblés
était entièrement sec, alors que la terre était inon­
dée partout ailleurs1.
Quand Antoine quitta Bourges, les habitants vou­
lurent montrer leur reconnaissance envers l’ordre
qui comptait dans ses rangs un prédicateur aussi
éloquent; ils promirent de financer la construction
d’un couvent franciscain.

U n concile pour la foi

Sitôt terminée sa mission à Bourges, Antoine


regagna son couvent du Puy après un bref séjour
à Châteauroux, où il donnait des cours de théo­
logie aux franciscains qui s’y étaient établis en
12132. Il n ’eut guère le loisir de s’attarder au Puy,

1. Azevedo, cap. XIII ; Angelino de Vicenza, cap. XIV.


2. Léon de Clary, op. cit., p. A il.
car il reçut l’ordre en septem bre 1226 de se rendre
à Arles pour prêcher aux franciscains du Midi
de la France réunis en chapitre provincial. Fran­
çois d’Assise voulait, en l’envoyant dans de telles
assem blées, qu’il rappelle à ses frères la doctrine
et qu ’il les invite à pratiquer fidèlement leur Règle.
À cette époque, François avait vu sa santé se déla­
brer et ses forces décliner. Dans un tel état de fai­
blesse, il ne pouvait pas envisager l’honneur et
la joie dont il rêvait, de voir et d’entendre enfin
l’humble oublié de Forli qui était devenu l’orateur,
convertisseur et thaumaturge que l’on sait. D ’ail­
leurs, Dieu lui avait appris qu ’il lui restait très peu
de temps à vivre.

Le prédicateu r de la Croix
Antoine fut accueilli en Arles avec l’enthou­
siasme que l’on devine. Le 14 septembre, jour de
la fête de l’«Exaltation de la Sainte-Croix», il avait
pris pour sujet: La Passion du Sauveur et l’ins­
cription de la Sainte Croix : -Jésus de Nazareth roi
des Juifs. » Toute l’assistance était suspendue à ses
lèvres et particulièrement dans ce passage qu’il
prononça avec une voix persuasive et des mots
vibrants d’ém otion :
«Sur la croix, Jésus-Christ, de ses deux bras éten­
dus comme deux ailes, recevait, et reçoit encore,
tous ceux qui se réfugient dans son sein ; il les cache
dans le secret de ses blessures contre la fureur des
démons ; et dans le ciel, ses plaies ont une langue qui
plaide notre cause auprès du Père, et qui demande
non vengeance, mais miséricorde. O homme!
Te voilà donc rassuré si tu espères en Dieu. »
' Comme à son habitude, Antoine glissa une allu­
sion à Marie : «Tu as accès auprès de son trône, car tu
as une Mère auprès du Fils et un Fils auprès du Père.
La Mère, dit saint Bernard, montre au Fils le sein qui
l’a nourri...'- Et il ne put conclure sans souligner la
puissance des plaies du Christ: «Le Fils expose aux
yeux du Père le côté et les blessures qui ont servi à
l’apaiser. Mais la plaie du cœur est comme la cité du
soleil, car c ’est dans le côté qu’a été ouverte la porte
du paradis1. »

La caution de François
C’est donc à ce moment du sermon d’Antoine
que le Seigneur accorda à François la faveur qu’il
souhaitait : voir et entendre son «évêque » avant de
mourir. Et le moment était bien choisi pour lui qui
portait dans ses mains, ses pieds et ses côtés, les
stigmates douloureux de la Passion. Un témoin, le
frère Monaldo, eut le privilège de constater de ses
yeux la présence du Poverello. En relevant la tête,
alors que les autres étaient plongés dans le recueil­
lement, «il vit le bienheureux François élevé en l’air,
les bras étendus en croix et bénissant l’assemblée.
Il fut le seul à le voir, mais ses frères se sentirent à
cet instant tellement comblés d’une grande conso­
lation spirituelle, qu’ils le crurent sur parole2». Dès
lors, François se préparait à rejoindre son Seigneur
qu’il avait si tendrement aimé, après avoir confirmé

1. Saint Antoine de Padoue, Sermons, cités par Antoine du Lys, op. cit.,
pp. 103-104.
2. Cette vision tire sa crédibilité du fait que saint Bonaventure l’ait retenue
dans sa Légende de saint François.
à sa communauté le phénom ène d’ubiquité dont il
avait été l’objet1.
On peut avancer deux hypothèses pour justifier
cette présence miraculeuse de François :
- il souhaitait encourager ses frères, réunis en
grand nombre, à suivre l’exemple d’Antoine qui prê­
chait sur la croix ;
- il avait tenu à jeter sur tous, en les bénissant de
sa main, un dernier regard d’am our...

Le custode en Limousin

Après le chapitre d’Arles, il ne semble pas qu’An-


toine soit retourné au Puy, car on n’a aucune trace
de son apostolat dans la ville à cette époque. D’ail­
leurs, il est vraisemblable qu’il se soit rendu direc­
tement au couvent de Limoges, puisque les pères
conciliaires d’Arles l’y avaient nommé custode,
c ’est-à-dire responsable de tous les couvents qui en
dépendaient. Pour lui, le trajet ne fut pas facile. Car,
depuis quelque temps, il souffrait hydropisie, ce qui
lui causait un embonpoint de plus en plus handica­
pant au cours des déplacements qu’il faisait toujours
à pied. Mais, comme nous allons le voir, il n’allait pas
pour autant se cloîtrer dans le couvent de Limoges,
d’où il allait rayonner.

Une p a ro le à la portée de tous


À son arrivée à Limoges, Antoine bénéficiait déjà
de la popularité qu’il s’était forgée dans le Velay et

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 153-


le Berry. Les habitants étaient si impatients de l’en­
tendre prêcher qu’ils se rendaient en foule immense,
sur les lieux de ses prédications. À Limoges, ce
n’était jamais dans une église ou sur une place, mais
toujours en rase campagne. Et quand il arrivait, suivi
du clergé local, il était toujours entouré d’un groupe
de gardes du corps pour lui éviter d’être bousculé,
blessé, et pour empêcher qu’on lui vole des mor­
ceaux de sa bure1... Car tous voulaient l’approcher
ou le toucher, pour s’imprégner de l’auréole divine
qui émanait de lui.
Les catholiques fidèles se plaisaient à écouter sa
parole - textes à l’appui - qui les confortait dans
leur foi; les plus tièdes se laissaient convaincre
par la douce fermeté avec laquelle il réveillait leur
conscience; les cathares et les autres incroyants
voyaient leur doctrine s’écrouler sous ses arguments
simples et imagés, bien étayés et bien ciblés.
Si tous trouvaient plaisir à l’entendre, c ’est qu’il les
aidait à revisiter leur foi et leur pratique à la lumière
de l’amour de Dieu.

Un sem eur de jo ie

Certes, il aimait insister sur la Passion et la mort


de Jésus, pour leur faire prendre conscience de l’im­
mensité des grâces qui en découlent pour l’Église
et pour tous les hommes. Mais il n’omettait jamais
de rattacher la Passion à Sa Résurrection, annoncia­
trice de la nôtre. Voici, en ce sens, un extrait de son
premier sermon au cimetière Saint-Paul. Il avait pris
pour exorde ce verset des psaumes du roi prophète :
1. Léon de Clary, op. cit., p. 479, d'après le père Bonaventure de
Saint-Amable, in - Annales du Limousin-.
«Au soir, la tristesse; au matin, la joie1.» Une anti­
thèse, comme il aimait en faire, d’où il allait tirer des
tableaux évocateurs dont nous n’avons pas la trace,
si ce n’est une note où il use d’un autre de ses pro­
cédés, l’analogie: «Il y a trois soirs et trois matins,
trois deuils et trois allégresses ; trois soirs : la chute
de nos premiers parents, la mort du Christ et notre
propre mort ; trois matins : la naissance du Messie, sa
résurrection et la nôtre. »

Un artisan de la p a ix
Le lendemain, il a répondu à la demande des
Bénédictins en venant prêcher dans leur abbaye
de Saint-Martin. Son thème était l’excellen ce de
la vie monastique, et il le développait autour du
psaum e: «Qui me donnera des ailes comme à la
colom be, et je volerai à mon asile et m ’y reposerai
en paix2. »

Un ferven t de la Règle
C’est pendant son séjour à Limoges qu’il vint en
aide à deux religieux en les délivrant d’une tenta­
tion. L’un était un novice prénommé Pierre. Il avait
des doutes sur sa vocation; l’autre, moine à l’abbaye
de Solignac, ressentait des pulsions sexuelles. Il les
apaisa, le premier en lui soufflant sur le front et en
lui disant: «Reçois l’Esprit saint»; l’autre, en le revê­
tant de sa «tunique». Ni l’un ni l’autre ne ressentirent
plus jamais le moindre trouble de ce genre3.

1. Bibl. nat. ms latin 11019 - fol 38.


2. Bibl. nat. ms latin 5452.
3. Léon de Clary, op. cit., p. 180.
À Limoges, Antoine était logé chez les frères
mineurs, auxquels il se joignait pour la récitation des
offices, sauf bien évidemment aux heures de ses pré­
dications intra ou extra-m uros. Un certain jour de la
Semaine sainte où il prêchait à l’église Saint-Pierre-
du-Queyroix, il réalisa, au moment du sermon, qu’il
devait réciter une «leçon» des «matines». Comme à
Montpellier, il avait oublié de se faire remplacer et,
de la même manière, il s’arrêta un instant de parler,
se recueillit profondém ent... et apparut au chœur
au milieu de ses frères, juste à temps pour réciter sa
«■leçon». Ensuite, il disparut aussitôt et continua son
sermon interrompu1.

Un antidote contre la p eu r
À Saint-Junien, où il avait été invité pour prêcher,
il avait su par intuition que l’estrade sur laquelle il
devait s’exprimer allait s’effondrer, sans le moindre
dommage ni pour lui, ni pour le «clergé, les magis­
trats et les notables du lieu» qui devaient prendre
place autour de lui. Avant de commencer, il avait
donc prévenu l’assistance de l’éventualité de l’inci­
dent, en assurant qu’il n ’aurait aucune conséquence
sur qui que ce soit. Il en était à la première partie
de son sermon quand soudain, l’estrade s’effondra
dans un bruit assourdissant et lui-même disparut
au milieu des décombres. Mais, comme il l’avait
prédit, personne n’eut la moindre égratignure. Et
quand il émergea du nuage de poussière provo­
qué par la chute des planches, calme et souriant,
c ’était le silence; un silence général, ponctué de

1. Ibid., p. 481.
cris d’admiration. Cette admiration s’étendit hors
de la ville, et accrut encore son prestige. Sur le plan
local, les habitants, après s’être cotisés, s’enga­
gèrent à financer dans leur ville la construction d’un
couvent de frères mineurs. Comme les vocations
abondaient, Antoine en opéra la fondation avec un
groupe de novices encadrés par deux ou trois reli­
gieux de Limoges1.

Kami des mères et des enfants

Revenons à Limoges où Antoine allait montrer


son attachement à une catégorie de personnes qui
formaient son auditoire le plus fidèle: les mères
de famille. Elles le suivaient d’un lieu à l’autre, le
défendaient contre les calomnies des albigeois,
le nourrissaient ou l’hébergeaient si nécessaire.
Antoine n’était pas ingrat. Il écoutait leurs confi­
dences, consolait leurs peines, leur donnait des
conseils et des encouragem ents2. Un jour, il avait
même prié le Seigneur de faire repousser à l’une
d’elles une touffe de cheveux que son mari lui avait
arrachée pour la punir d’avoir assisté à son sermon.
Et les cheveux avaient repoussé. Et le mari s’était
converti.
Il éprouvait également une tendre affection pour
les enfants. Il aimait leur parler et les bénir. Il voyait
en eux un modèle de chrétiens, soumis et obéissants
à leurs parents, et leur témoignait un amour confiant,

1. Ibid., p. 4 8 2 .
2. R . P. A .T ., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 161.
sans limite. Il en ressuscita deux dont les mères
étaient venues en pleurs pour lui annoncer leur
décès (l’un tombé dans une bassine d’eau bouillante
et l’autre étouffé dans son berceau après une grave
crise de convulsions).

U n doux privilège

Cet humble franciscain qui aimait tant les enfants


allait être l’objet d’une faveur spéciale à Châteauneuf-
la-Forêt1 où il avait reçu l’hospitalité d’un riche sei­
gneur. Il avait obtenu, à sa demande, une chambre
au calme pour pouvoir prier et méditer en paix.
Quand son hôte monta à son tour se coucher, il
fut attiré par une vive clarté qui provenait de la
chambre d’Antoine. Craignant un début d’incendie,
il s’approcha de la porte à pas feutrés, pour glisser
un œil par la fente de la serrure. Sa curiosité fut
bien récom pensée : non, il n’y avait pas le moindre
foyer d’incendie dans la chambre. Mais cette clarté,
c ’était celle qui se dégageait du tableau qui s’offrait
à lui : Antoine était à genoux, portant dans ses bras
l’Enfant-Jésus qui l’embrassait tendrement. Quand
la vision fut terminée, Antoine s’endormit d’un
doux sommeil.
Le lendemain matin, le seigneur, qui souhaitait
en savoir plus sur cette scène, tenta d’engager la
conversation sur les faveurs particulières que le Sei­
gneur accorde aux âmes privilégiées. Mais Antoine,
qui avait appris par intuition son indiscrétion, lui

1. Pour le biographe Azevedo, ce fait se serait produit plus tard, à Padoue.


répondit: »Je sais ce que vous avez vu; mais, tant
que je vivrai, gardez le silence... Dieu m’a promis
une grande prospérité pour votre maison tant qu’elle
sera fidèle au catholicisme; sinon, elle s’éteindra,
accablée de malheurs1.»
Certains qualifient cette vision d’improbable. Mais
elle nous a été transmise par le seigneur de Châ-
teauneuf qui, comme l’en avait prié Antoine, avait
attendu sa mort pour la révéler. Il l’avait fait en jurant
sur l’Évangile de sa véracité.
Dans l’église de Châteauneuf est exposé un
tableau représentant l’événement2.

U ne cellule dans le roc

Durant son séjour à Limoges, Antoine dut se


rendre à Brive pour y fonder un couvent francis­
cain qu ’un riche habitant avait fait construire à
cette intention. Le site était champêtre et sauvage :
un vallon baigné par la Corrèze, couronné à l’ar­
rière par un rocher, creusé dans sa partie inférieure
d’une suite d’excavations3. Après toutes ses courses
à pied, rendues plus pénibles par son hydropisie
et ses mauvaises jam bes, il trouva là une oasis de

1. Cette prophétie devait se vérifier au xvte siècle, quand les descendants


du seigneur devinrent protestants.
2. Sources d eü èT événem ent: «Liber Miraculorum», chap. III, acta 88; Mis-
saglia, lib. II. Auteurs qui le relatent: Antoine du Lys, op. cit., pp. 115-117;
R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., pp. 163, 134; Je a n Soulairol, op.
cit., pp. 60-61; Père Léopold de Chérancé, op. cit., pp. 104-105; Léon de
Clary, op. cit., pp. 422-483; «Annales du Limousin-, Père Bonaventure de
Saint-Amable.
3. Il n ’y a plus de trace de cet humble couvent. L’actuel date de la moitié
d u XIXe siècle et a été construit sur le rocher, au-dessus des grottes.
paix, un autre Monte-Paolo où il avait d’em blée
choisi sa cellule : l’une de ces grottes. Il s’y trouva
un lit: une entaille dans la pierre poreuse aux
dimensions d’un homme, avec une extrémité légè­
rement relevée en forme d’oreiller1. Il avait remar­
qué, dans une grotte au-dessous de la sienne, une
fissure dans la roche d’où suintait un filet d’eau. «Il
s’appliqua à le recueillir, pour son usage person­
nel, en creusant de petites cavités dans le rocher2. »
Cette fontaine n ’a jamais cessé de couler. Les pèle­
rins l’appellent «les larmes de saint Antoine». Ils
boivent son eau limpide, s’en humectent le visage
et en emportent chez eux pour soulager leurs dou­
leurs et leurs blessures3.
Après ses instructions aux jeunes moines, ses
entretiens privés à leur demande et ses sermons
en ville où à l’extérieur, Antoine venait se ressour­
cer chaque nuit dans sa grotte, dans la prière et la
contemplation du Seigneur, toujours en union intime
avec Marie, Sa mère. Et Marie allait lui prouver qu’elle
ne l’abandonnait pas.
Une nuit, alors qu’il dormait d’un sommeil répa­
rateur, l’ange des ténèbres, furieux de ses succès
auprès des âmes, était bien résolu à en finir avec
lui. Soudain, Antoine se sentit saisi à la gorge, d’une
étreinte si forte qu’il craignit d’être étranglé. À cet
instant, il vit, tout près de lui, le même genre de
personnage que celui de la cathédrale de Lisbonne.
Aux mêmes maux, il employa les mêmes remèdes :
un signe de croix et une invocation à Marie. Cette

1. Père Ernest-Marie de Beaulieu, art. cit., p. 33.


2. Antoine du Lys, op. cit., p. 123.
3. Père Ernest-Marie de Beaulieu, art. cit., p. 35.
invocation était le début d’une hymne du bréviaire
romain.

* O g loriosa D o m in a
E xcelsa su p er sid éra !
Q ui te c rea v itp ro v id e
L actasi s a c ro u b e r e ... »

«Ô glorieuse Souveraine,
Élevée au-dessus des étoiles,
Celui qui vous a créée a voulu
Boire votre lait sacré... »

Marie au secours dAntoine

À peine eut-il achevé sa prière que la grotte s’illu­


mina1. Marie était là, souriante, tenant l’Enfant Jésus
dans ses bras. Elle tendit sa main vers le monstre que
l’Enfant fustigeait du regard, et qui disparut aussitôt.
Antoine était délivré. En souvenir de cet événement,
on a gravé sur le devant de l’autel de la grotte voisine
une partie de l’hymne qu’il avait récitée: «O gloriosa
D o m in a ! C oelifen estra f a c t a es»-. «Ô glorieuse Sou­
veraine, vous êtes la porte du ciel2. »

A ux origines de la foire aux oignons

1. La grotte à droite de la sienne fut, depuis, dédiée à ■Notre-Dame-de-


Bon-Secours»; y trône sur l’autel une statue de Vierge à l’Enfant terrassant
le démon.
2. Les grottes de Brive et le couvent franciscain perpétuent le souvenir du
passage d’Antoine.
C’est à Brive que se situe un autre fait relevant
du pouvoir de thaumaturge d’Antoine. Un jour, la
petite communauté dont il était le gardien provi­
soire n’avait rien à manger. Il envoya un de ses frères
chez une dame très attachée au couvent, pour lui
demander quelques légumes. Mais, au moment de
leur arrivée, une pluie torrentielle se mit à tomber.
La dame appela sa servante et lui ordonna d’aller tout
de suite au jardin pour chercher les seuls légumes
qu’elle avait alors: des oignons1. La servante essaya,
en vain, d’obtenir de sa maîtresse l’attente d’une
accalmie pour sortir. Pour toute réponse, celle-ci
lui tendit un grand panier en lui enjoignant de sortir
sur-le-champ. Dépitée, la servante obéit. La pluie
redoubla de violence et le terrain était détrempé.
Mais, à son grand étonnement, pas une goutte d’eau
ne mouillait son corps, ni ses vêtements, même pas
ses pieds. Elle avança jusqu’au carré d’oignons,
remplit le panier, rentra dans la maison et le remit
au frère. En la voyant toute sèche, la dame bénit le
Seigneur. Bien souvent, elle rappelait le fait à son
fils : "N’oublie jamais le miracle obtenu par la charité
dans notre maison. Continue de faire l’aumône à ces
pauvres frères. La miséricorde de Dieu te récompen­
sera magnifiquement dès cette vie2.» On peut voir
aussi là une invitation du Seigneur à mieux traiter

1. Certains auteurs ont cité d’autres légumes, mais com m e ils ne s’accordent
pas dans leur énumération, on s’en tiendra ici aux oignons.
2. Léopold de C hérancé, op. cit., pp. 1 0 7-108; «Liber M iraculorum -,
Acta SS; Azevedo, lib. II, chap. XV ; Léon de Clary, op. cit., pp, 4 8 3-484;
Antoine du Lys, op. cit., pp. 119-120; R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur,
op. cit., p. 156. Le fils, devenu prêtre et chanoine, racontait souvent cette
histoire. Il a toujours été charitable envers les franciscains.
les domestiques. Peut-être l’avait-elle compris, mais
nous n ’en avons pas de traces écrites.
Si le fils de la dame n’a pas oublié ce fait merveil­
leux, la ville de Bourges l’a également retenu. Comme
il s’est passé un 24 août (1226), pour la fête de la Saint-
Barthélemy, les autorités municipales ont instauré, le
dimanche après cette fête, une «Foire aux oignons»
sur la place des Cordeliers (puis, place Sainte-Ursule).
Cette foire rassemble toujours autant de visiteurs et
d’acheteurs aujourd’hui. Elle se tient devant les Grottes
de Saint-Antoine, le dernier dimanche d’août.

Les adieux aux frères

Peu de temps après, Antoine reçut du frère Élie,


vicaire général de l’ordre, une lettre annonçant la
mort de François dans laquelle il invitait tous les
custodes et les provinciaux à participer à l’élection
de son successeur (ou ministre général) à Assise.
Comme le prévoyait la Règle, l’élection était fixée
au grand chapitre de la Pentecôte suivant le décès :
ce serait donc le 30 mai 1227. Mais Antoine devait
partir prochainement, car son provincial lui avait
demandé de se rendre d’abord à Rome, pour s’entre­
tenir avec le pape (alors Honorius III1) de certaines
affaires concernant les couvents de la Province. C’est
donc vers le début de février 1227 qu’il embrassa ses
frères, avant de prendre la route pour l’Italie.

1. Si le pape était bien Honorius III quand Antoine quitta la France, on sait
que Grégoire IX a été élu pour lui succéder le 19 mars 1227, le lendemain
de sa mort. Si Antoine n'a pas pu rencontrer le premier avant son décès,
on connaît les contacts qu'il a eus avec Grégoire IX.
U n salut à la «Bonne Mère»

Si son itinéraire a fait l’objet de quelques doutes,


son passage à Marseille est accrédité par des sources
assez convergentes pour qu’il soit crédible. On com ­
prend aisément, en connaissant son attachement à
Marie, qu’il soit allé la prier dans son sanctuaire de
Notre-Dame-de-la-Garde (il s’agissait d’une petite
chapelle, vénérée par les pêcheurs, et non de la basi­
lique actuelle, construite en 1864).

U n bon dîner à Cuges

La Provence garde le souvenir du passage d’An­


toine à Cuges où, épuisé de fatigue et mourant de
faim, son compagnon de voyage et lui avaient été
invités à dîner (en Provence et en Languedoc, on
dîne à midi et on soupe le soir) chez une paysanne1.
Leur hôtesse, ne voulant pas leur servir le vin
dans des verres ordinaires, était allée emprunter
deux coupes de cristal chez sa voisine. À son retour,
après avoir posé les coupes sur la table, elle était
descendue à la cave pour remplir son pichet de vin.

1. Le fait suivant est occulté par certains. Et ceu x qui l’ont m entionné l’ont
situé soit à l’arrivée d’Antoine en France, soit à son retour; d’autres n ’ont
pas précisé la localité. Il est très probable qu ’il s’agisse de Cuges, et ce
pour deux raisons : la tradition orale a toujours perpétué ce récit (d ’ailleurs
longtemps com m ém oré par un tableau aujourd’hui disparu, qui était placé
dans l’église paroissiale) ; une chapelle a été construite dans une pinède
en l’honneur d’A ntoine; une partie de son crâne a été offerte à l’église
paroissiale par un cardinal qui, se trouvant à Cuges en 1350 aux portes de
la mort, y avait été guéri en le priant. Pourquoi aurait-il imploré Antoine
et pas un autre saint s'il n y avait pas déjà un culte local? Voir Mgr Antoine
Ricard, op. cit., p. 339.
Pendant qu’elle remontait, le compagnon d’Antoine,
en manipulant sa coupe, l’avait cassée en deux, au
niveau du pied. Leur hôtesse fut prise de panique à
la pensée de ne pas pouvoir la rendre à sa voisine.
Au même moment, elle eut conscience d’avoir oublié
de refermer le robinet du tonneau. Elle redescendit à
la cave : en effet, le vin ne cessait de se répandre sur
le sol. Elle ne put que limiter les dégâts en refermant
le robinet.
Elle remonta les escaliers quatre à quatre pour faire
part à Antoine de ce nouveau désastre. Il la regarda
d’un air compatissant et, appuyant ses coudes sur la
table, il cacha sa tête entre ses mains et se mit en
prière. À cet instant, la pauvre femme vit la coupe du
verre se replacer sur son pied. Elle le prit entre ses
mains et le secoua pour vérifier s’il était bien recons­
titué: la soudure n ’était même pas visible! Alors,
confortée dans sa foi en la puissance de thaumaturge
d’Antoine, elle redescendit à la cave : le tonneau était
entièrement plein1! Inutile de décrire la joie et l’ad­
miration qu’elle dut lui exprimer. On devine la hâte
d’Antoine de reprendre sa route, pour échapper aux
louanges exubérantes du voisinage qu’elle ne man­
querait pas d’alerter... N’oublions pas qu’il s’agit de
la Provence !

1. Ibid., pp. 111, 112, pp. 167-168; Léon de Clary, op. cit., pp. 487-488; Mgr
Antoine Ricard, op. cit., pp. 190-192; Antoine du Lys, op. cit., pp. 130-132;
Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., pp. 103-105.
Antoine parle,
Dieu entérine

En aparté avec le pape

H eureux souvenir en Sicile

On a vu qu’Antoine avait fait un premier séjour


en Sicile. Même si tous les biographes ne l’ont pas
noté, certains en ont mentionné un deuxièm e1.
Les traces de son passage sont assez vraisemblables
pour qu’on s’y arrête. La première de ses initiatives
fut inspirée par les plaintes des franciscains de
Messine, qui devaient faire de longs et pénibles tra­
jets sur un sentier escarpé pour aller chercher leur
provision d’eau quotidienne. Il sortit du couvent et
s’arrêta en un lieu tout proche, leva les yeux au ciel
et leur dit :
— Creusez ici, j’ai bonne confiance que le Sei­
gneur vous accordera de l’eau.

1. Azevedo, lib. II ; Wadding: «Annales Minorum-, missaglia lib. I I ; Rodolphe


de Cossignato, fol 279; Angelino de Vicenza, lib. I, cap. XV.
— Mais, répliqua l’un d'eux, c ’est inutile. On a
déjà fait des sondages, il n’y a pas la moindre goutte
là-dessous.
Antoine ne répondit pas à cette objection. Il
semblait même ne pas l’avoir entendue. Il conseilla
à ses frères de com m encer tout de suite le forage
de leur futur puits. Les travaux furent entrepris. Au
grand étonnement de tous, on trouva bien de l’eau :
une eau claire, fraîche et limpide, qui n’allait jamais
tarir.
En Sicile, trois fondations au moins ont été son
œuvre. À Cefalù, les premiers religieux qu’il y a ins­
tallés ont voulu donner son nom au clocher de leur
église. La cloche qu’ils y érigèrent eut, très tôt, la
réputation de calmer tempêtes et orages dès qu’elle
sonnait. Il était dit de l’oranger qu’Antoine avait
planté au milieu du cloître qu’il produisait des fruits
ayant la vertu de guérir les malades.
À Tarantino, un ouvrier travaillant sur le chantier
de construction venait d’être gravement blessé par
des chutes de pierres tombées du haut de l’écha­
faudage. Ses compagnons le trouvèrent immobile,
gisant dans une mare de sang. Ils ne purent que
constater son décès. Antoine s’approcha et dit, d’une
voix autoritaire :
«Par les mérites de François d’Assise et au nom du
Christ, reviens à la vie. »
L’homme se leva, aussi robuste qu’avant son acci­
dent et sans la moindre trace de blessure.
Le troisième lieu où l’on ait des traces du passage
d’Antoine, est Noto. Il avait, de là, rayonné pour prê­
cher aux foules. À son arrivée, il avait été accueilli
par l’évêque entouré de son clergé qui, suivi d’une
immense foule, l’avait accompagné en procession
jusqu’au couvent des franciscains. C’est de son pas­
sage que date la fondation du couvent de Patti1. De
là, il devait remonter vers Rome.

Le p a p e à l ’écoute d ’A ntoine
À son arrivée à la ville sainte, le pape Honorius III
était mort depuis le 18 mars 1227 et, comme on le
sait, son successeur avait été élu le lendemain. C’était
le cardinal Hugolin, ami personnel de François de
son vivant, et très attaché aux franciscains. Il avait
pris pour nom de règne Grégoire IX. Il connaissait
bien la réputation d’Antoine en matière d’éloquence
et de science sacrée, et sa force de persuasion sur
tous les genres d’auditeurs : religieux et laïcs, lettrés
et ignorants, citadins et ruraux, jeunes et plus âgés,
même les incroyants. Grégoire IX chargea Antoine
de parler devant deux sortes d’auditoire :
- les cardinaux, qui étaient encore réunis en
conclave pour son élection ;
- les foules qui, comme chaque année, conver­
geaient vers Rome pour bénéficier des prédications
de carême et de l’indulgence plénière accordée pour
Pâques.
Son succès fut immense devant les uns et les
autres, et les cardinaux se déplaçaient pour l’écou­
ter parler devant les pèlerins et les Romains réunis.
Le pape en personne se joignit à eux. Il avait été édifié

1. Il me sem ble dommage de ne pas retenir ce deuxièm e voyage d'Antoine


en Sicile. Car si on peut admettre qu’il ait planté plusieurs arbres et arbustes
lors de son prem ier et unique voyage, on comprend mal, dans cette éven­
tualité, qu’il ait créé des couvents avant d’avoir la notoriété, l’expérience
et l’autorité dont il était auréolé la deuxièm e fois.
à un si haut point de sa culture théologique et de sa
connaissance, de mémoire, de toute la Bible, qu’il
l’avait baptisé «l’Arche du Testament» et le «Trésor de
la Sainte-Écriture1.»
Les entretiens privés entre le pape et Antoine
devaient porter sur plusieurs affaires. L’un des
points essentiels traités fut la succession de François
d’Assise. Sans préjuger de l’issue du vote qui devait
avoir lieu pour la Pentecôte à Assise, Antoine mit en
garde le Saint-Père contre les prétentions du frère
Élie aux fonctions de ministre général. Il voulait ainsi
l’informer du désir de ce dernier d’atténuer le degré
de pauvreté des franciscains et de procéder à des
réformes qu’il jugeait dangereuses pour la survie de
l’ordre.

Un duo avec les oiseaux

Antoine quitta Rome pour se rendre à Assise. Il fai­


sait déjà chaud. Il n’avait que 32 ans mais ses jambes,
de plus en plus lourdes, l’obligeaient à imposer des
pauses fréquentes au moine qui l’accompagnait.
Tel un autre François, il aimait alors s’adosser à un
tronc d’arbre pour observer, au sol, le manège des
insectes, ou, au-dessus de lui, le va-et-vient inces­
sant des oiseaux affairés à nourrir leur progéniture
affamée. Il s’amusait à imiter leur chant, particuliè­
rement le sifflement du merle ou le roucoulement
de la tourterelle, avec un talent inégalable. Avant
de repartir, il bénissait ses sœurs les bêtes qu’il féli­
citait de savoir si bien louer leur Créateur. Puis, le
cœur joyeux, il repartait avec des forces nouvelles

1. «Liber Miraculorum-, n° 1.
en entonnant un cantique avec son compagnon de
route. S’il rencontrait un agriculteur ou un berger, il
l’encourageait à persévérer dans son beau métier et
à chercher toutes ses forces et ses consolations dans
l’Eucharistie1.

Une élection sous tension

Dès son arrivée à Assise, il se fixa pour priorité


d’aller saluer la Vierge dans la chapelle de Sainte-
Marie-des-Anges. Puis il alla se recueillir dans l’église
Saint-Georges, sur le tombeau de François. Il assista
aux diverses séances du chapitre général où étaient
présents un grand nombre de custodes, provinciaux
et gardiens. Il usa de son influence auprès de ses
confrères pour les dissuader d’élire le frère Élie et
orienter leur choix vers le frère Jean Parent de Flo­
rence, provincial d’Espagne. Il vantait à tous son
intégrité dans l’observance de la Règle, son humilité,
son dévouement désintéressé à l’ordre et ses capa­
cités à restaurer la discipline, dans les couvents où
elle s’était relâchée. De fait, la majorité des suffrages
se porta sur le frère Jean Parent qui fut élu ministre
général. Cette élection était-elle due à la force de
persuasion d’Antoine auprès de ses frères, ou à des
directives discrètes de Grégoire IX ?...
La première initiative du nouveau général, enté­
rinée à l’unanimité, fut d’adresser une supplique au
Saint-Père pour solliciter de lui la canonisation de
François au plus tôt. Ses arguments ? Une longue liste
de miracles, reconnus par les autorités locales, non
seulement durant sa vie mais aussi sur son tombeau.

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., pp. 183-184.


Et la démarche eut bien l’effet escompté. Sans recou­
rir aux longues et fastidieuses procédures habi­
tuelles, le pape prononça sa canonisation à peine
un an plus tard.

U n provincial tous terrains

À la fin du chapitre, Antoine fut déchargé de sa


custodie de Limoges. Il s’en réjouit, car l’exercice du
pouvoir n’était pas conforme à son amour de l’humi­
lité. Mais ce soulagement ne fut que de courte durée,
car il fut nommé provincial de la Romagne, de l’Émi-
lie et de la Lombardie. Il ne lui restait qu’à obéir.

Une ville déchirée


À Rimini, il allait devoir lutter à nouveau contre les
«patarins». Un temps déstabilisés après son premier
séjour dans la ville, ils avaient repris du crédit auprès
de la population et fait de nouveaux adeptes, grâce
à l’appui d’un parti influent: les «Gibelins». C’étaient
les partisans de l’empereur Frédéric II, qui voulaient
placer l’Italie et l’Église sous sa domination. Face
aux Gibelins, les «Guelfes» soutenaient le pape. Inu­
tile, ici, d’étayer cette présentation de la situation
d’amples développements historiques. Ce qui nous
importe, c ’est de suivre Antoine dans sa nouvelle
lutte contre l’hérésie cathare. Nous allons donc le
retrouver, prêchant sur les places, devant un public
pas toujours facile à convaincre. Mais, à chacune de
ses interventions, Dieu accréditera ses dires par un
nouveau signe de leur véracité et de sa puissance.
Certains premiers biographes situent à cette époque
le miracle des poissons et celui de la mule. Ce n’est
pas impossible; mais, vu leurs divergences fré­
quentes en matière de chronologie des faits, on est
en droit de conserver l’ordre choisi ici, plaçant ces
deux miracles au premier séjour d’Antoine à Rimini.

Le poison inopérant
En revanche, il y a un événement qui n’est men­
tionné qu’au retour d’Antoine à Rimini. Un jour, les
patarins avaient invité Antoine à partager un repas
avec eux. Bien déterminés à le faire disparaître défi­
nitivement, ils lui avaient préparé un plat dans lequel
ils avaient introduit une forte dose de poison mortel.
Mais au moment où ils lui servirent son assiette, le
Seigneur lui révéla la nature de son contenu. D’autres
que lui auraient quitté la pièce ou auraient insulté
leurs hôtes. Il n’en fit rien. Mais d’une voix douce
et amicale, il leur dit: «Seigneurs, qu’avez-vous fait?
Vous m’invitez et vous avez mis la mort dans un des
plats que vous m’offrez ! » La rage de se voir décou­
verts leur permit de masquer leur haine en paroles
hypocrites. «C’est vrai, ce mets est empoisonné. Mais
notre intention est pure... C’est pour vous donner
un renom de plus, en faisant éclater la vérité de la
parole du Christ à ses disciples : «Ceux qui boiront du
poison n’en éprouveront aucun mal1. « À vous, Frère
Antoine, de nous montrer si l’Évangile est infaillible.
S’il n’enseigne que la vérité, vous mangerez de ce
plat empoisonné sans en souffrir aucun dommage. »

1. Marc 16, 18.


Il les fixa et son regard exprimait une profondeur
intérieure exceptionnelle :
vous savez aussi bien que moi que vous n’avez
pas le droit de demander à Dieu des preuves indis­
crètes de la vérité de la foi. La révélation divine doit
vous suffire.
— Frère Antoine, répliqua l’un d’eux sur un ton
faussement amical, nous voulons vous voir manger
du poison sans mourir. Autrement, nous ne croirons
pas ce que vous prêchez comme article de la foi,
d’après les enseignements de l’Église romaine.
Et Antoine prit l’assiette en souriant: “Je mange
non pour tenter Dieu, mais pour l’honneur de
l’Évangile et le zèle de votre salut. >>Et il mangea. À la
stupéfaction de tous, il ne ressentit aucune douleur,
aucun malaise, aucun trouble. À cette vue, les pata-
rins furent pleins de confusion et de regret d’avoir
ainsi traité un humble religieux qui ne pouvait tenir
ses pouvoirs que du Christ. Ils se jetèrent à ses pieds,
implorèrent son pardon et demandèrent à rentrer
dans l’Église catholique1.
On comprend qu’un tel événement ait généré un
nouvel engouement pour les prédications publiques
d’Antoine et une multiplication de retours à la vraie
foi. Pour aider les religieux du couvent de Rimini à
contrer les derniers récalcitrants, Antoine leur donna
des cours de théologie.

Des fruits en abo n d a n ce


Après ses prédications à Rimini, Antoine embarqua
à Ravenne pour une tournée d’évangélisation autour

1. Antoine du Lys, op. cit., pp. 160-161.


de Venise. Partout où il passait, il attirait les foules
par sa double réputation d’orateur sacré et de thau­
maturge. Les catholiques fidèles se voyaient confor­
tés dans leur foi. Les patarins venus parfois avec
l’arrière-pensée de le mettre en difficulté se laissaient
convaincre par la force de sa parole ; une parole tou­
jours axée sur la Passion du Christ et sur les péchés
et qui, orientée vers la résurrection finale et vers celle
du pécheur repentant, donnait lieu à des confessions
incessantes, nécessitant la présence de prêtres, de reli­
gieux locaux, même parfois des environs. Les parties
rivales, Guelfes et Gibelins, se réconciliaient. Les usu­
riers restituaient l’argent ou les biens volés ; les liber­
tins, convaincus par lui de l’insatisfaction des plaisirs
futiles, s’engageaient à régulariser leur mode de vie.
Malgré l’aggravation de son état de santé, il transmet­
tait son dynamisme à quantité de jeunes qui venaient
lui demander de fonder de nouveaux couvents pour
les accueillir. Ce fut le cas à Trieste, Gémone, Goritz,
Conegliano, Trévise...
Parmi les villes alors traversées par Antoine, cer­
taines furent l’objet de faits assez marquants pour
qu’on les retienne.

Le temps des remords


Commençons par le moins glorieux, qui se situe à
Udine. Sur la place où il a convoqué la population, il
a grimpé sur un arbre pour prêcher. Ses auditeurs se
mettent à couvrir ses premières paroles de huées et
d’insultes. Il ne se trouble pas. Il s’arrête net de parler,
descend de sa chaire improvisée, secoue la poussière
de ses sandales et quitte la ville, se conformant ainsi
aux directives du Christ. Il faut souligner, à la décharge
des habitants, qu’ils n’allaient pas tarder à se racheter
de leur conduite en vouant un culte très ancré à celui
qu’ils avaient rejeté. L’iconographie locale le repré­
sente toujours en train de prêcher sur un arbre1.

Le vrai fa u x mort
Il y a un homme qui, lui aussi, avait tout lieu de
regretter ses agissements. Antoine était alors occupé,
truelle en main, à surveiller les travaux d’un nou­
veau couvent à Gémone. Les ouvriers vinrent à man­
quer de pierres. Antoine arrêta alors un paysan qui
conduisait une charrette vide dans laquelle son fils
s’était endormi :
«Mon frère, lui dit-il, ne voudriez-vous pas, pour
l’amour de Dieu, me prêter votre charrette et votre
attelage pour transporter un chargement de pierres ? »
Même pour l’amour de Dieu, le charretier ne se laissa
pas attendrir: «Frère, je voudrais bien, lui répondit-il
d’un ton faussement attristé, mais c ’est impossible.
Je porte au cimetière le cadavre de mon fils que vous
voyez étendu. »
Antoine comprit la supercherie, mais n’insista
pas. Il lui dit simplement: «Qu’il soit fait comme
vous dites.» Un peu plus loin, le paysan arrêta son
attelage pour réveiller son fils et lui raconter la ruse
dont le pauvre moine avait été la dupe. Voyant qu’il
ne se réveillait pas, il le secoua énergiquement.
Sans résultat. Car le pauvre garçon était bien mort!
Le père comprit alors la leçon, qui fut bien amère
pour lui. Il pleura, il gémit et courut jusqu’à Antoine
pour lui demander de le pardonner et de lui rendre
1. Antoine du Lys, pp. 164-165; Promoteur de la Société saint Antoine,
op. cit., p. 115.
son enfant. Antoine fut pris de compassion pour ce
pauvre père dont la douleur lui brisait le cœur. En
même temps, il admirait la confiance qu’il plaçait
en Dieu à travers sa personne. Il lui emboîta le pas
pour se rendre à l’endroit où était arrêtée la charrette
funèbre ; il fit un signe de croix sur le corps de l’ado­
lescent et le prit par la main pour l’aider à se relever.
Et le faux-vrai mort se mit debout, plein de vie1...
Encore un miracle qui allait soutenir l’œuvre évan-
gélisatrice d’Antoine et clôturer l’année 1227.

Des serm ons p o u r la postérité


Antoine quitta Gémone pour se rendre à Padoue,
où il devait prêcher le Carême qui devait débuter le
9 février 1228. La ville lui fit un accueil proportionnel
au succès de ses missions précédentes, émaillées de
miracles. Dès ses premiers sermons, toute la popula­
tion accourut, de tous âges et de tous milieux, avec
ses religieux et ses prêtres séculiers autour de leur
évêque. La foule était si nombreuse qu’elle fut esti­
mée à trente mille auditeurs. Du jamais vu à Padoue !
Inutile d’énumérer les gestes de paix, de réconcilia­
tion, de retour à la foi des habitants. À la fin de la
station quadragésimale, les notables étaient venus le
trouver pour le remercier d’avoir su pacifier la ville
et transformer les cœurs. Ils le prièrent de rédiger
par écrit les sermons qu’il y avait prononcés. Leur
démarche donna lieu à l’ouvrage d’Antoine: «Ser­
mons pour les dimanches » (ou «dominicales ») et les
«Sermon du temps».

1. Ibid., p. 115; R. P. A T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 217; Antoine


du Lys, op. cit., p. 166; Wadding "Annales Minorum» t. III; Léon de Clary,
op. cit., pp. 222-223-
La p a g e blanche
C’est au cours de ce Carême que survint un
miracle illustrant la force du pardon de Dieu par le
pouvoir du prêtre dans le sacrement de pénitence.
Un jour où, paraît-il, il avait été plus éloquent qu’à
l’ordinaire, un de ses auditeurs avait été bouleversé
par sa parole. En s’approchant de lui pour se confes­
ser, il se mit à pousser de profonds soupirs. Les
sanglots l’étranglaient si fort qu’il lui fut impossible
de dire le moindre mot. Alors Antoine lui conseilla
d’écrire ses péchés sur une feuille de papier pour
qu’il puisse en prendre connaissance en les lisant.
Le pénitent obéit et lui passa la feuille. Mais quand
Antoine l’eut en main, il fut stupéfié par ce qui se
passait sous ses yeux. À mesure qu’il lisait à haute
voix les péchés, confirmés par les gestes et les signes
du pénitent, ils disparaissaient du papier l’un après
l’autre. À la fin de la lecture, la page était devenue
entièrement blanche, sans la moindre trace d’écri­
ture. Voici une belle confirmation de la nécessité de
recourir à la confession individuelle, comme nous y
invite le Saint-Père. Les conseils et encouragements
que le prêtre donne ensuite sous la dictée de l’Esprit
saint apportent une paix incomparable à l’âme et au
cœur de ceux qui en bénéficient1.

Le p ie d ressoudé

Parmi les récits des fruits d’une confession sin­


cère, un autre récit, non moins poignant, peut nous
interpeller. Un pénitent vint un jour avouer à Antoine

1. Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 122; Azevedo, lib. I,


cap. XX.
qu’il avait donné un coup de pied à sa mère. Antoine
lui répondit d’une voix empreinte de douleur: «Ah!
un pied qui a frappé sa mère mérite d’être coupé ! »
Le jeune homme prit sa parole à la lettre. Il sortit du
confessionnal, retourna chez lui, alla chercher une
hache et se trancha le pied. La pauvre mère alla trou­
ver Antoine, encore au confessionnal. Elle l’en fit
sortir par ses cris et lui reprocha, sans ménagement,
d’avoir donné une telle pénitence à son fils. Antoine
n’essaya même pas de se justifier, de lui faire com­
prendre que son fils avait mal interprété ce qu’il ne
considérait que comme un effet de langage pour
l’amener à une contrition sincère. Il se contenta de
la suivre jusque chez elle pour voir le blessé. Il était
allongé au sol, la jambe sectionnée au-dessus du
pied. Antoine s’approcha de lui en souriant, ramassa
le pied, le rapprocha du moignon ensanglanté et
traça dessus un signe de croix. La soudure était par­
faite et le malheureux put se lever et se remettre
à marcher1.

Les trois pôles de l ’ordre


Antoine s’était fixé pour quelque temps à Padoue
pour organiser, de là, les missions à l’extérieur qui rele­
vaient de son rôle de provincial. Mais il voulait, avant
tout, raffermir la foi des Padouans autour des trois
pôles de l’ordre : les franciscains, les «Pauvres Filles de
Sainte-Claire» - ou «Clarisses» - et le Tiers-Ordre.
Les franciscains furent les premiers à bénéficier de
sa présence, puisqu’il logeait dans leur couvent de
Sainte-Marie, fondé par François au centre de la ville.

1. Mgr Antoine Ricard, up. cit., p. 232.


Quand il rentrait de ses prédications, il leur faisait
prendre une conscience plus vive de la beauté de
leur vocation et leur en rappelait les exigences. A son
exemple, ils s’entraînèrent à mener une vie dont la
régularité édifia tous les habitants. Il rendait de fré­
quentes visites au petit groupe de franciscains établis
hors les murs, tout près du couvent de l’Arcella, éga­
lement fondé par François, pour recevoir les Pauvres
Filles ou Clarisses (Filles de Sainte-Claire) dont ils
assuraient la direction spirituelle. Antoine aimait bien
se délasser de ses fatigues auprès de ces humbles reli­
gieuses. Il les invitait à réchauffer leur ferveur dans
le cœur de Jésus, et leurs forces dans la lecture du
«beau livre de la Croix». Il leur soulignait les gran­
deurs et les récompenses du sacrifice de leur vie pour
elles-mêmes avant et après leur mort, et aussi pour la
conversion des pécheurs et le salut du monde.
Antoine voulait permettre aux personnes pieuses,
et aussi aux récents convertis, de se maintenir dans
de bonnes résolutions. Il les engagea à acheter un
terrain, proche des murs de la ville, sur lequel ils
firent construire un bâtiment d’accueil et une cha­
pelle qu’ils dédièrent à la Vierge sous le vocable
de «Sainte-Marie-de-la-Colombe» d’où leur nom de
«Columbini» que leur donnèrent les Padouans. Sous
la direction d’Antoine, relayé ensuite par les frères
mineurs du couvent Sainte-Marie, ils furent admis
au Tiers-Ordre de Saint-François et devinrent des
modèles de vie évangélique.

Deux belles figures


Parmi les Fils et les Filles de Saint-François, il y
en a deux qui ont mérité une attention particulière
de la part d’Antoine. Chez les Clarisses, vivait
Hélène Enselmini. Fille d ’un riche patricien, elle
avait voulu fuir la vie heureuse du palais paternel
pour recevoir, à 12 ans, le voile des mains de saint
François.
Elle confiait à Antoine tous les secrets de son âme,
et particulièrement, les extases et autres phéno­
mènes mystiques dont elle s’inquiétait. Il l’avait ras­
surée sur leur origine en lui affirmant que ses visions
du Ciel ou du Purgatoire lui venaient indubitable­
ment de Dieu. D’autant plus qu’elle ne cherchait pas
à s ’en glorifier auprès de ses sœurs, à qui elle n’en
avait jamais parlé. Et quand elle fut clouée au lit par
la maladie, il la consola en lui recommandant de
s’unir à Jésus sur le chemin du Calvaire pour alléger
le poids de sa croix et lui offrir ses souffrances en
union avec les siennes.
Le frère Luc Belludi avait, lui aussi, été reçu par
saint François. Peu après son arrivée au couvent de
Sainte-Marie, Antoine avait remarqué son obser­
vance parfaite de la Règle, la ferveur de sa piété,
mais surtout, son humilité. Connu par ses frères pour
sa science, il faisait tout son possible pour la leur
dissimuler. Et son grand souci était d’être ignoré de
tous... Pourtant, c ’est lui que François choisit pour
confident et comme compagnon de route de toutes
ses tournées apostoliques. Frère Luc accepta par
obéissance, bien que se disant indigne d’un tel hon­
neur. Il sut toujours se tenir dans une grande réserve.
Mais il lui arrivait d’en sortir pour le supplier de faire
un miracle : notamment pour redonner l’usage de ses
membres à un petit enfant ou en délivrer un autre de
graves crises d’épilepsie...
Antoine s'affronte au tyran
Le personnage que va rencontrer Antoine est loin
de susciter une admiration aussi vive que les deux
précédents. Bien au contraire, c ’est la terreur qu’il ins­
pirait. Il s’appelait Ezzelino. Gendre de Philippe II, il le
soutenait dans sa lutte contre l’Église et contre l’Italie,
dont il travaillait à conquérir toutes les villes. Il vivait
dans son château à Bassano, près de Vérone qu’il
avait prise grâce à l’aide des Gibelins, très puissants.
Grisé par un tel succès, il avait décidé de marcher
sur Padoue. Il avait déjà réussi un exploit en prenant
d’assaut le château de Castelforte, qui appartenait à
Tiso, comte de Campo San Piero. Le comte était un
ami personnel d’Antoine et l’un des premiers tertiaires
qu’il avait reçus. Certains auteurs ont situé chez lui le
miracle de l’apparition de l’Enfant-Jésus. En tout cas,
on sait qu’Ezzelino avait fait prisonnier son petit-fils1.
Les Padouans furent désolés en apprenant cette
triste nouvelle. Ils avaient entendu prêcher Antoine.
Ils avaient apprécié ses talents oratoires et testé son
art de convertir les cœurs. Pour eux, il était le seul
homme susceptible de persuader le tyran de renon­
cer à marcher sur la ville. Antoine accepta le défi.
Trop épuisé pour faire la route à pied, il se fit prêter
un âne qui lui servit de monture et s’en alla vers Bas­
sano, avec son cher Frère Luc qui le suivait à pied.
Ezzelino avait été prévenu de son arrivée. Pensant
l’épater, il s’était fait préparer un trône étincelant
d’or, de soie et de velours. Il avait dit à ses gardes :
«Introduisez ce moine misérable. Sa faiblesse trem­
blera devant mes grandeurs. »

1. Ou son neveu, selon les versions.


Mais Antoine, en paraissant devant lui, ne fut nul­
lement intimidé. S’il y en a un qui trembla, c ’est plutôt
son hôte quand il s’entendit fustiger d’une voix puis­
sante: «Ennemi de Jésus-Christ, tyran cruel, chien
enragé... Vas-tu continuer à verser le sang des chré­
tiens? Songe au jour du jugement qui s’approche,
car la peine sera terrible. » Antoine avait frappé un
premier coup. Il poursuivit d’une voix plus douce,
et même amicale: «Convertis-toi pendant qu’il en
est temps encore. Laisse à Padoue paix et tranquil­
lité. Je suis venu te le demander de la part du divin
Maître...»
En entendant des paroles aussi dures, les gardes
étaient prêts à recevoir l’ordre d’arrêter l’insolent qui
avait réussi l’exploit de critiquer leur m aître... Mais
le signal attendu n’arriva pas. Ezzelino était pâle.
Pâle comme la mort qu’il propageait partout où il
passait. Sans dire un mot, il se leva, quitta sa ceinture
et la mit à son cou en signe de soumission. Puis il
vint se prosterner devant Antoine, avoua ses crimes
et s’engagea à réparer ce qui pouvait l’être.
Antoine profita de cet élan spontané de repentir
pour demander la liberté du jeune Guillaume, et il
l’obtint1; comme il obtint la restitution du château
de Castelforte au comte de Campo San Piero. La ville
de Padoue était momentanément sauvée. Ezzelino
s’y était engagé... Sur ce point, il tiendra sa parole
jusqu’à la mort d’Antoine. Celui-ci prit la route de
Bologne avec son compagnon.
Sitôt après son départ, les partisans d’Ezzelino
lui demandèrent comment il avait pu s’humilier

1. .Liber Miraculorum- ap. Acta SS ; Azevedo, lib. I, cap. XXII ; Angelino de


Vicenza, lib. II, cap. IV; Antoine du Lys, op. cit., pp. 182-183.
ainsi devant un religieux mendiant. Il leur répondit,
encore imprégné de sa présence :
«Ah! Ne soyez pas surpris si j’ai reconnu mes
fautes et si j’ai vénéré cet envoyé du Seigneur; j’ai
vu son visage illuminé d’un rayon divin et des éclairs
si menaçants sortaient de ses yeux que j’ai craint,
un moment, d’être sur-le-champ précipité en enfer.
Je ne sais ce qui m’a imposé le respect et poussé à
tomber à genoux en m’avouant coupable. À cette
heure-là, s’il m’avait demandé davantage, j’aurais
tout accepté de lui1. »
Ezzelino resta quelque temps inhibé dans ses
actes de cruauté, sous le charme de l’aura désar­
mante d’Antoine. Mais, repris par ses vieux démons
et influencé par ses courtisans, il imagina un astu­
cieux stratagème pour le confondre et pour affaiblir
son influence auprès du peuple. Il lui fit porter par
ses serviteurs d’énormes présents, après leur avoir
adressé ses recommandations: «Si sa prétendue
pauvreté n’est qu’une hypocrisie, il acceptera ces
trésors et se révélera ainsi être un homme vulgaire
qui usurpe l’auréole de la sainteté ; alors, tuez-le sans
crainte. S’il vous refuse, au contraire, si son trésor est
vraiment la perle précieuse de l’Évangile, la pauvreté
si terrible aux enfants d’Adam, alors, je craindrai, et
vous ne le toucherez pas. »
Quand les ém issaires d’Ezzelino lui présentè­
rent tous ces cadeaux fabuleux, Antoine les par­
courut rapidement des yeux d’un air méprisant et
leur dit: «Les richesses sont au Ciel et non sur la
terre... Dieu me garde d’accepter les trésors que
vous me présentez. Ne croyez-vous pas qu’ils

1. Azevedo, lib. I, cap. XVII; Antoine du Lys, op. cit., p. 183.


sont couverts de sang? Ils ont été dérobés par la
cruauté aux innocents... Allez, et redites de ma
part à votre maître l’avertissement que je lui ai
déjà fait entendre au nom du Ciel. Q u’il le sache
et ne l’oublie pas ; on n ’abuse point de la patience
de Dieu. »
Quand ses hommes rapportèrent à Ezzelino la
réponse d’Antoine à ses avances, il leur dit: «Cet
Antoine est un homme de Dieu et un saint. Qu’il
prêche, même contre nous, comme il voudra. Ne le
touchons point et laissons-le en paix1. »

Il fa it p a rler un nourrisson
Après sa mission dans la région de Vérone,
Antoine retourna à Padoue avec Frère Luc. N’ou­
blions pas qu’il devait y ramener l’âne qu’on lui
avait prêté. D ’autre part, il eut à cœ ur d’annoncer
aux Padouans les bons résultats de son entretien
avec Ezzelino. Ils se dirigèrent alors vers Bologne
où Antoine devait résider. Ils s’arrêtèrent à Fer-
rare car il voulait y encourager de sa présence le
duc Azzo d’Este. Placé à la tête des Guelfes de la
région, le duc résistait vaillamment aux troupes de
Frédéric II et d’Ezzelino. Comme partout ailleurs,
Antoine, précédé par sa renommée qui ne cessait
de croître, prêcha dans la ville avec la même fougue
et le même succès. Et elle allait devenir encore plus
éclatante, sa renommée, après un nouveau fait dont
le caractère miraculeux revêt une dimension par­
ticulière. Suite à une dénonciation mensongère,
une femme était accusée d’infidélité par son mari :

1. Antoine du Lys, op. cil., pp. 184-185; «Liber M iraculorum-, tom e II,
Azevedo, I, XVII ; Missaglia, lib. III.
il était persuadé que son enfant, né il y avait deux
mois à peine, n’était pas de lui et il voulait la répu­
dier. Heureusement pour elle, Antoine passait un
jour dans la rue au moment où, portant le bébé
dans ses bras, elle subissait les insultes de son mari.
Elle l’arrêta et lui expliqua brièvement son histoire
en versant d’abondantes larmes. Convaincu d’un
seul regard de sa bonne foi, il invita son mari à
s’approcher de lui et lui dit: «Nous allons demander
son avis à l’intéressé. » Et, au grand étonnement de
tous - y compris de l’attroupement qui s’était formé
dans la rue - il interrogea le nourrisson :
«Je t’adjure, au nom du Dieu de la crèche, de
déclarer ici publiquement, en termes nets et précis,
de qui tu es le fils. »
L’enfant se tourna vers le mari jaloux et dit d’une
voix claire : «Voici mon père ! »
«Aimez donc cet enfant, lui dit Antoine, car il est
le vôtre. Aimez aussi sa mère. Je vous le dis au nom
de Dieu, elle est fidèlè, dévouée, digne de votre
tendresse1. »
Pour échapper aux applaudissements et aux
louanges des spectateurs de la scène, éberlués,
Antoine s’éclipsa. Il alla se réfugier dans une église
pour prier Marie au pied de sa statue. Tous ceux qui
l’ont rencontré dans la ville l’ont souvent entendu
chanter cette hymne qui l’avait délivré à Brive des
griffes du démon. « O G loriosa D om in a /<>... Il la chan­
tait «avec des accents de tendresse et de confiance
qui en faisaient une éloquente prédication». Son
endroit de prédilection pour l’entonner avec le frère
Luc était l’église «Sainte-Marie del Vado», où s’est
perpétué son souvenir1.

À l ’épreuve du détachem ent

De Ferrare, Antoine et Frère Luc arrivèrent


à Bologne, dans le couvent des franciscains.
Les anciens élèves de François l’ovationnèrent. En
échange de leur tendre affection, ils le supplièrent de
leur laisser, en gage de son attachement, le fameux
manuscrit perdu et retrouvé à Montpellier dans les
conditions merveilleuses que l’on sait. Il lui coûtait
de se séparer de cet outil de travail, qui lui était d’une
grande valeur sentimentale. Mais il ne possédait rien
en propre, et il s’en dessaisit pour leur prouver la
réciprocité de ses sentiments2.
Antoine aurait volontiers prolongé son séjour dans
cette oasis de paix fraternelle où de si bons souve­
nirs revenaient à sa mémoire. Mais il reçut du ministre
général, Jean Parent, l’ordre de se rendre à Florence,
sa ville natale, pour réveiller la foi de ses habitants.

Aux prises entre deux clans


La Toscane est une région de plaines fertiles abritées
des vents du Nord par les Apennins, et donnant sur
la mer Tyrrhénienne. C’était un centre commercial et
industriel très actif. Antoine y arriva fin novembre 1228.
Son rôle était de moraliser les habitants qui réa­
lisaient des profits exagérés au détriment de leurs
ouvriers, qui gagnaient péniblement leur vie. Ici, pas

1. Ibid., pp. 247-248.


2. Le père Azzoguidi a découvert ce manuscrit en 1757, dans les archives
du couvent de Bologne.
de rivalité entre les deux partis attachés au pape ou
à Frédéric II. La ville, qui s’était affranchie des jougs
seigneuriaux, était aux mains des Guelfes. Mais des
dissensions très marquées existaient au niveau de
riches familles qui exhibaient leurs richesses pour
s’aider mutuellement. Elles étaient prêtes à tous
les mauvais coups pour écraser leurs adversaires.
Les deux familles les plus compromises dans ces
courses au profit et au pouvoir étaient les Buon-
delmonti et les Amedei, autour desquelles s’étaient
formés des clans qui s’alliaient chacun avec d’autres
villes ou avec des châtelains de même opinion.
Antoine dut rester plus que prévu à Florence, pour
pouvoir achever son œuvre pacificatrice et moralisa­
trice. Il ne put en partir qu’après avoir prêché la sta­
tion quadragésimale de 1229, où il avait invité tous
les protagonistes à recevoir le sacrement du pardon.
Pardon reçu de Dieu par le ministère des prêtres
présents, mais aussi, un pardon réciproque des uns
aux autres. La ville allait encore s’enflammer par la
suite, mais Antoine avait le mérite, reconnu par tous,
d’avoir su assoupir les haines pour un temps.

Contre les loups ravisseurs

Au printemps 1229, il était à Milan où les cathares


locaux - «les vaudois <>- avaient de nombreux adeptes
(Lombardie, Piémont). Ils devaient leur succès à un
esprit moins sectaire, du moins en apparence, que
celui des patarins. Et ils étaient soutenus par Frédé­
ric II, qui recherchait toutes les alliances pour lutter
contre l’Église. Antoine multipliait les prédications
publiques comme il le faisait partout. Les Milanais
vinrent en grand nombre. Il sut les mettre en garde,
par quelques analogies évocatrices, contre les dan­
gers de l’ennemi. En l’occurrence, il comparait les
vaudois à des «loups ravisseurs qui viennent à eux,
cachés sous la peau de brebis. » Antoine était là pour
arracher la peau de ces brebis et pour mettre les
loups à nu. De fait, il dénonçait toutes les erreurs de
doctrine qu’ils propageaient, et prêchait tout simple­
ment les vérités du catholicisme, assurant le bonheur
à ceux qui les écouteraient et qui en vivraient1.
Après Milan, Antoine marqua ensuite son passage
en divers lieux.

Entre puits et citerne


À Varèse, il fonda un couvent de frères mineurs
dans une maison très modeste où il appela un petit
groupe de religieux des alentours. Il procéda per­
sonnellement à leur installation et s’assura, avant de
les quitter, qu’ils disposaient bien des choses les plus
indispensables. Car il tenait à ce qu’ils ne manquent
de rien jusque dans les plus petits détails. Comme ils
n’avaient pas d’eau potable, il fit creuser un puits au
milieu de la cour. Il bénit ensuite cette eau qui eut
la vertu, dès les premiers temps, de guérir la fièvre
paludéenne, très répandue dans la région. Bientôt,
toutes les personnes atteintes de la maladie prirent
l’habitude de venir en puiser.
La nouvelle se communiqua à Verceil. Les habi­
tants de la ville allaient puiser leur eau sur la place de
l’église, à une citerne commune dont les eaux étaient
devenues insalubres. Ayant déjà bénéficié des fruits
de la prédication d’Antoine, ils lui envoyèrent une
délégation à Varèse, où il était encore, pour le prier
de retourner à Verceil bénir leur citerne. Antoine y
alla. Il se dirigea vers la place. Il bénit la citerne dont,
depuis, les eaux furent purifiées et opérèrent des
guérisons1. Antoine alla passer quelques jours dans
un couvent de franciscains sur les bords du lac de
Garde. Il y prêcha une mission.
À Brescia, il acheta une maison où il établit un
couvent sous le vocable de «Saint-Pierre» et il y
resta pendant plusieurs semaines pour y former
un groupe de religieux. De là, il alla rendre visite à
d’autres frères récemment installés sur les rives du
lac de Garde, puis il redescendit à Vérone.

Le chapitre de la discorde

Vu les divergences des premières biographies


d’Antoine quant aux dates et à la chronologie de ses
itinéraires, on ne peut affirmer qu’il ait été à Bologne
ou ailleurs quand il reçut du ministre général l’ordre
de se rendre à Assise pour la Pentecôte 1230, comme
tous les supérieurs de l’ordre.

Le Poverello au p a ra d is
Ce grand rassemblement avait pour double objec­
tif de voir les nouvelles élections du chapitre géné­
ral et la translation des reliques de saint François.
François avait été canonisé par Grégoire IX en 1228,
mais, étant alors retenu par ses visites dans sa pro­
vince, Antoine avait été empêché de s’y rendre. Cette
fois, il ne manquerait pas l’occasion d’assister à la
mise à l’honneur du Poverello. On devait en effet le
transporter solennellement de l’église Saint-Georges
à la crypte, récemment achevée, de celle que les
Padouans avaient tenu à faire construire en son hon­
neur. Il allait au surplus avoir la joie de revoir Gré­
goire IX, qui devait présider la cérémonie. Il se mit
donc en route, avec le frère Luc, pour Assise.

Les honneurs p o u r Je a n Parent


Une grande déception attendait les milliers de
frères minimes qui, de leurs couvents, de leurs pro­
vinces, de leurs pays, avaient fait le déplacement au
prix d’énormes fatigues pour voir Antoine à Assise.
Le chapitre général allait bien avoir lieu, mais Gré­
goire IX, en raison de graves troubles politiques tou­
jours suscités par Frédéric II, n’avait pas jugé prudent
de quitter Rome. Il avait désigné le ministre général
Jean Parent pour le représenter à la présidence de la
cérémonie, avec le titre de commissaire apostolique.
L’ambassade venue de sa part avait apporté de riches
présents pour la décoration et la poursuite des travaux
de l’église: une grande croix d’or, ornée de pierres
précieuses, contenant une relique de la vraie Croix,
des vases sacrés d’or et d’argent, de riches ornements
sacerdotaux et une grosse somme en espèces.

Le défi p o u r Frère Élie


C’était une offense pour Frère Élie de voir le
Saint-Père offrir les plus grands honneurs à son
rival. Et pourtant, c ’était bien lui qui s’était démené
pour chercher partout les fonds nécessaires à la
construction de la crypte et d’une partie de la future
église. C’était bien lui qui avait si scrupuleusement
surveillé les travaux, remédié aux divers problèmes
qui s’étaient accumulés. C’était bien lui, aussi, qui
avait organisé tous les préparatifs des festivités.
Allait-il laisser à Jean Parent toute la gloire de cette
translation? Il devait s’y opposer. Pour parvenir à
ses fins, il joua d’un prétexte qui pouvait sonner
assez juste aux oreilles des magistrats de la ville.
Il alla les mettre en garde contre le danger que des
cités voisines viennent s’emparer du corps de Fran­
çois. Il les exhorta donc à anticiper la date de la
translation et à agir dans le plus grand secret. Les
notables trouvèrent l’argument pertinent. Ils don­
nèrent des ordres pour que le corps de saint Fran­
çois soit transféré de Saint-Georges à la nouvelle
crypte, à l’insu de tous.
L’enlèvement du cercueil eut lieu dans l’église
Saint-Georges, le 22 ou le 24 mai selon les versions,
soit entre un et trois jours avant la date prévue offi­
ciellement, qui devait être le 25 mai (jour de la Pen­
tecôte et de l’ouverture du chapitre). De bon matin,
aidé des archers padouans, Frère Élie fit transférer le
corps dans la crypte construite sur la bien nommée
colline «du paradis». Difficile de soutenir l’opinion
selon laquelle l’exhumation aurait eu lieu au son
des trompettes, puisqu’il s’agissait d’un enlèvement
clandestin, sans la présence du clergé ni des témoins
officiels1. Quant au lieu de l’ensevelissement sous
une dalle scellée, il allait falloir attendre six siècles
pour le retrouver.
Une injure pour Grégoire IX
Les circonstances de cette translation furent per­
çues comme une injure par Grégoire IX et ses repré­
sentants sur le terrain, et déçurent beaucoup les reli­
gieux et pèlerins venus en foule des diverses régions
de la péninsule italienne et de toute l’Europe. Pour
ne pas frustrer leur attente, les cérémonies eurent
lieu avec le plus grand faste.

Le chapitre déclare forfait


Le chapitre s’ouvrit ensuite, le jour de la Pente­
côte. Trois questions essentielles furent débattues:
l’attitude scandaleuse du frère Élie, la valeur du tes­
tament de François - jugée excessive par certains au
vu de la pauvreté absolue des couvents - et l’élec­
tion du futur ministre général. Jean Parent s’inquiéta
du tour polémique que prenaient les discussions
sur ce sujet épineux. Soucieux d’éviter que l’ordre
se scinde en deux parties adverses, il décida de s’en
référer au jugement du Saint-Siège pour trancher le
litige. La succession au poste de ministre général fut
réglée par la réélection de Jean Parent1. Antoine alla
aussitôt lui demander de ne pas être maintenu dans
ses fonctions de provincial car, lui dit-il, elles impli­
quaient des aptitudes, en matière de gestion, dont il
était dépourvu. En revanche, il le pria de l’autoriser à
résider à Padoue pour pouvoir continuer d’y exercer
son apostolat de prédicateur où il réussissait si bien.

1. L’élection du frère Élie, que soutiennent certains, sem ble improbable. Car
Azevedo écrit : «Jean Parent fut maintenu ministre général. » Cf. sa - Disserta­
tion X X X IX ” citée par Antoine du Lys, op. cit., p. 205. Le père de Chérancé
précise que Jean Parent gouverna l’institut des «Mineurs» de 1227 à 1233.
Op. cit., p. 181.
Cette permission lui fut accordée, avec la possibilité
de prêcher où bon lui semblerait, sans se référer au
supérieur du lieu.

Le Saint-Siège tranche
Antoine fit partie de la demi-douzaine des frères
envoyés en délégation à Rome. Le Saint-Siège les
accueillit très favorablement. Il prit le temps d’étu­
dier les points sujets à litige entre les deux camps, et
les soumit à une commission de travail. Il ne jugea
pas opportuns les aménagements dans le sens de
la modération exigés par le frère Élie. Mais il n’ap­
prouva pas davantage ceux qui avaient pour réfé­
rence le testament de saint François, interdisant tout
ajout ou retranchement à la Règle. Car ce testament
n’avait aucune valeur juridique : il avait été écrit en
l’absence des frères et nul ne pouvait l’imposer à
ses successeurs.
Le pape rédigea ensuite le bref «Quo Elongati»,
signé le 28 septembre 1230, confirmant l’extrême
pauvreté des frères mineurs, leur interdiction de
posséder des biens et leur confiance sans limite en
la divine Providence. Il devait leur adresser leurs
constitutions le 6 octobre 1230.
Avant de laisser repartir la députation, le pape
réaffirma son soutien affectueux aux franciscains,
et particulièrement à Antoine. Depuis que, trois
ans plus tôt, il l’avait lui-même écouté, applaudi et
dénommé «l’Arche de la Bible», il avait entendu, de
toutes parts, des échos de sa renommée de prédica­
teur toujours croissante. Oui: «l’Arche de la Bible»
était bien le convertisseur des pécheurs, le rassem-
bleur des hérétiques dans la vraie foi, le pacificateur
des familles, des clans rivaux, des villes ennem ies...
Et, en plus de tout cela, le thaumaturge opérait les
miracles les plus inouïs pour entériner ses dires
et ramener tout un peuple à Dieu. Autant de rai­
sons pouvant accréditer l’opinion selon laquelle
Grégoire IX aurait invité Antoine à rester dans son
entourage, voire, selon certains, à accepter la dignité
de cardinal1 qu’il aurait, bien évidemment, refusée.
Avant de quitter Rome, Antoine rencontra le cardi­
nal Raynal, évêque d’Ostie2, qui l’engagea fortement
à mettre par écrit ses Serm on s su r les saints.

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 272; Mgr Antoine Ricard, op.
cit., p. 254 ; Promoteur de la Société saint Antoine, op. cit., p. 132 ; Antoine
du Lys, op. cit., p. 213.
2. Protecteur de l'ordre et futur pape sous le nom d’Alexandre IV.
VIII
L’envol vers le ciel

Les brillantes clartés de l ’oraison


Sur son itinéraire de Rome à Padoue, Antoine
avait tenu à faire une halte dans les Apennins tos­
cans. Il avait à cœur d’aller se retirer quelque temps
sur la montagne de l’Alverne1. Cette décision répon­
dait à un double désir :
- se conformer à l’idéal des franciscains dont il était
l’incarnation la plus pure après saint François : aller se
reposer de ses courses apostoliques. La solitude entre
ciel et terre, entre contemplation et action, est, en effet,
une étape nécessaire à leur ressourcement ;
- aller se recueillir sur les lieux où le Poverello
s’était si intimement uni au Seigneur qu’il en avait
reçu les stigmates quelque six ans plus tôt, le 14 sep­
tembre 1224, jour de la fête de l’exaltation de la
Sainte-Croix !
Pour Antoine, toujours porté à prêcher sur la croix
et la Passion du Christ, le fait qu’il se soit trouvé là à
cette date n’était certainement pas dû au pur hasard.

1. Rares sont les biographes qui n ’ont pas retenu cet épisode clans l'Al-
verne. Il est rapporté, entre autres, dans R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur,
op. cit., pp 275-283.
Car il y avait atteint les plus hauts sommets de l’orai­
son. Il en avait compris, en les vivant, les mystères
les plus secrets, définis par son maître à penser,
Denys l’Aréopagite: «l’oraison est une chaîne qui
pend du ciel à la terre; quand nous la saisissons,
elle nous aide à monter vers les brillantes clartés de
son radieux sommet1. » L’Esprit saint aidant, il se sen­
tait poussé vers des ascensions spirituelles toujours
plus élevées. Nous ne savons rien de ces entretiens
d’Antoine avec le Christ, si ce n’est qu’il lui révéla sa
mort prochaine et qu’il l’attendait encore à Padoue
pour Lui gagner le cœur de ses habitants avant de
l’accueillir auprès de Lui.
La cellule où il avait séjourné2 n’était pas celle
de François. Les moines de l’ermitage de l’Alverne,
heureux et honorés de sa visite, la lui avaient bien
proposée, mais il s’en était jugé indigne. Il en avait
choisi une autre, un peu en contrebas, d’où il n’était
sorti pendant son séjour que pour aller chanter les
heures avec ses frères et, occasionnellement, parta­
ger leurs repas.

En passant p a r Arezzo
Nous retrouvons Antoine à la fin de l’automne
1230, sur la route de Padoue, sa dernière destina­
tion. Il est toujours accompagné et soutenu dans sa
marche par les frères Luc et Roger.
Son passage allait marquer la ville d’Arezzo d’une
faveur extraordinaire. Il y avait là un seigneur très
brutal, qui avait coutume de battre sa femme. Un
jour où sa colère était à son comble, il l’avait tirée
1. Denys l'Aréopagite, Des noms divins, chap. III, p. 158.
2. On peut encore visiter cette grotte au monastère de l’Alverne.
par les cheveux jusqu’à un balcon d’où il l’avait jetée
dans la cour. Pris d’un soudain remords, il avait des­
cendu l’escalier quatre à quatre pour se précipiter
vers la malheureuse qui gisait, sans vie, sur les dalles
de pierre.
Les domestiques, qui avaient accouru, ramassèrent
son corps inerte et allèrent le déposer délicatement
sur un lit. Le seigneur avait entendu l’un d’eux dire
qu’Antoine venait d’arriver dans la cité. Il partit aus­
sitôt, interrogea les passants et finit par savoir où il
se trouvait. Il s’agenouilla à ses pieds, lui raconta son
crime en versant des torrents de larmes et le supplia
de ramener son épouse à la vie. Antoine se laissa
convaincre, se fit mener auprès du lit funèbre et fit
mettre en prière tous les assistants. Il se recueillit
un instant, traça un signe de croix sur elle et lui dit :
«Lève-toi et marche.» Elle se leva. Au grand étonne­
ment de tous, et à la joie du mari repentant, elle se
mit à marcher.

Sur tous les terrains


En arrivant à Padoue, la population fut ravie de le
retrouver. Mais les plus heureux étaient les francis­
cains du couvent Sainte-Marie, chez lesquels il était
venu demander l’hospitalité.
L’un de ses premiers travaux fut la rédaction de
ses Serm on s su r les Saints qu’il intitula Les P an ég y ­
riques. Selon certains, il avait ébauché cette œuvre
à l’Alverne. Cette période consacrée à l’écriture lui
permit de se reposer de ses fatigues incessantes.
Mais l’influence de Frédéric II, relayée par ses
lieutenants locaux partisans des Gibelins, soutenus
par les cathares, continuait de semer le trouble dans
la population et d’affaiblir sa foi. Pour remédier à la
situation, Antoine décida de se mettre à l’œuvre sur
plusieurs plans :
- en donnant des cours de théologie à ses frères
pour leur assurer une solide formation susceptible
de les aider dans leur ministère apostolique, notam­
ment contre l’hérésie cathare ;
- en proposant aux habitants de la ville et des
localités environnantes des sermons, des temps de
rencontre, des confessions, pour ramener la paix
entre eux et avec leur conscience.
Le fruit de ses interventions était toujours aussi
inattendu.
Comme on le sait, en Italie, la paix était souvent
précaire entre les villes, factions et familles rivales.
À Padoue, l’influence des Gibelins ralliés à Ezze-
lino était redevenue prépondérante après le Carême
qu’Antoine avait prêché en 1228. Le tyran avait, d’ail­
leurs, capturé des otages qu’il tenait prisonniers à
Vérone. À la demande des magistrats, Antoine avait
accepté de tenter une nouvelle rencontre auprès
d’Ezzelino pour le ramener à la raison. Mais cette fois,
il ne fut pas entendu1. Il revint à Padoue, épuisé phy­
siquement et moralement, et se remit à son écriture.

Le dernier Carême
L’évêque du diocèse, Mgr Jacques Conrad,
avait apprécié la station quadragésimale prêchée
par Antoine en 1228. Il lui demanda de prêcher
celle de 1231. Antoine accepta. S’il devait mourir

1. Ezzelino allait finir par les relâcher, grâce à la médiation du nouveau


podestat de Padoue. C’était en septem bre 1232, après la mort d’Antoine.
Cf. Père Léopold de Chérancé, op. cit., p. 150,
prochainement, il pourrait avoir la consolation
d’avoir ramené de nouvelles âmes à Dieu. Les pre­
miers biographes placent à cette époque une seconde
attaque du «prince des ténèbres» pour intimider
l’orateur en ce début de Carême. Comme à Brive,
il avait été victime d’un essai de strangulation par
une «forme visible » dont il avait été libéré après cette
même invocation à Marie : «O g loriosa D o m in a » qui
lui était si familière1.

Maudits soient les usuriers


Quel thème a-t-il abordé? Il a repris ceux de
1228, en fustigeant le sensualisme qui entraîne la
débauche et la dissolution des mœurs, l’amour du
pouvoir générant des haines tribales qui détruisent
l’harmonie des familles et de la société. Il s’est
attaqué plus particulièrement à cette plaie qui ron­
geait les bourgeois et les plébéiens: l’usure. Les
banquiers étaient alors une caste à part formant
une corporation qu’aucune instance ne contrô­
lait. Ils prêtaient de l’argent à des taux usuraires,
pouvant aller de 10 à 50, voire 60 % par an. Et si
leurs débiteurs n ’étaient pas en mesure de régler
leurs annuités, ils les faisaient mettre en prison, au
grand désespoir de leurs femmes, obligées de faire
de petits travaux mal payés pour permettre à leurs
enfants de subsister. Les parties de ses sermons
qui traitent de ce thème témoignent de la force
de son engagem ent: «Elle pullule de nos jours,
cette engeance des usuriers, engeance maudite!
Ils dévorent le bien des pauvres, des orphelins, des
veuves, dépouillent l’Église et les monastères des
dons offerts par les fidèles, et laissent périr leurs
victimes dans les affres d’un absolu dénuement
[...] Ils seront frappés [...] par la mort éternelle. Les
épines des richesses et le maniement de l’or ont
étouffé dans leur cœ ur la sem ence des bons sen­
tim ents1. »
Jamais Antoine n’avait attaqué si puissamment
une catégorie de malfaiteurs! Mais cette liberté de
parole n’en restait jamais aux seules accusations.
Il proposait des remèdes aux coupables et une inter­
vention auprès des autorités.
Les remèdes?
- pour les voleurs, la restitution de ce qu’ils
avaient acquis par des moyens illicites ;
- pour les victimes, une intervention person­
nelle auprès du podestat, pour plaider leur cause.
Il en est résulté le vote d’une loi en date du 17 mars
1231 délivrant les débiteurs insolvables de la peine,
alors imposée, de la prison à vie ou du bannis­
sement. Cette loi n ’était qu’un premier pas vers
une amélioration des conditions de prêt d’argent,
puisqu’elle exigeait «la remise de la totalité des
biens des emprunteurs à leurs créanciers». Mais elle
offrait immédiatement la liberté aux prisonniers,
et la possibilité d’une lente reconstruction sur les
plans familial, social et économique.

Venez tous à Lu i!
Revenons, sur un plan plus général, à la teneur
des sermons d’Antoine envers les pécheurs. Après
avoir dénoncé leurs fautes, il leur proposait un
retour à Dieu en commençant par un retour sur
eux-mêmes.
«Pauvre pécheur, pourquoi désespérer de ton
salut, alors qu’au Calvaire, tout parle de miséri­
corde et d’am ou r!... Venez à Lui! Troupeau, il est
votre Pasteur. Enfant prodigue, il est votre père. Il
est le Dieu qui pardonne, il ne repousse point un
coeur contrit et humilié. Ô pécheur! Quand bien
même tu aurais consumé tout ton corps dans le
crime, ne désespère jamais. Pourvu qu’un sanglot
reste au fond de ton être et que tu veuilles bien te
repentir de tes péchés, cela suffit. Un jour devant
le Seigneur est comme mille ans. Dieu t’accordera
alors le pardon, ce pardon qu’il t’offre et te pré­
pare comme si tu avais pratiqué la vertu pendant
mille ans1. »
Ces invitations au regret des péchés et ces allu­
sions à leur pardon toujours possible, sur un ton
aussi poignant, amenaient toute l’assistance à venir
se confesser auprès des prêtres venus en nombre de
la ville et des alentours. Certains déclarèrent même y
avoir été poussés après avoir entendu ces paroles en
rêve: «Va trouver le frère Antoine, et suis ponctuel­
lement ses conseils2.» D’autres étaient venus après
avoir pris connaissance d’un nouveau miracle obtenu
par sa prière. Le repentir sincère des pénitents et les
conseils toujours bien adaptés aux personnes et aux
circonstances produisirent leurs effets: «Les haines
s’apaisaient, les familles se réconciliaient publique­
ment; les prisonniers pour dettes recouvraient leur

1. Saint Antoine de Padoue, Sermons sur les psaumes.


2. Julien de Spire, op. cit., C XII, p. 1.
liberté; les usuriers et les voleurs restituaient; les
grands pécheurs pleuraient, les courtisanes sortaient
de la fange du vice1. .. »
On peut se permettre ici une légère entorse à la
chronologie des faits en citant la bulle de Grégoire IX,
parue peu de temps après la mort d’Antoine. Il loue
«les habitants de Padoue, leurs vertus, la pureté de
leur foi, leur zèle contre l’hérésie, la vigueur de la
discipline chrétienne de la cité2». Bel hommage indi­
rect du Souverain Pontife à la portée de l’apostolat
de l’humble franciscain.

U ne gloire annoncée

La station quadragésimale avait com m encé le


5 février 1231. Elle s’était term inée officiellem ent
à Pâques, mais Antoine l’avait, en quelque sorte,
prolongée en prêchant dans les villes et villages
autour de Padoue. Un jour où il était assis, pour un
bref temps de repos, sur une colline, il admirait la
campagne parée de ses charmes printaniers. Pro­
menant alors ses regards sur la plaine où s’éten­
dait la ville qui semblait ém erger d’un énorm e
bouquet de fleurs, il ressentit comme un tressaille­
ment intérieur. Il se tourna alors vers le frère Luc
et lui prophétisa la gloire dont elle serait bientôt
com blée. Il se garda bien de préciser quelle serait
cette gloire, ni de qui elle viendrait3. Mais nous
qui, avec le recul de l’histoire, possédons une

1. Julien de Spire, op. cil., C XII, p. I; Père de Chérancé, op. cit., p. 162.
2. Antoine du Lys, op. cit., p. 217.
3. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 306.
multitude de tém oignages de grâces obtenues par
son intercession, com prenons qu ’il s ’agissait bien
de lui.

Un départ à préparer
Aux alentours de Pentecôte, les travaux des
champs allaient s’intensifier et les paysans des vil­
lages qu’il visitait ne pourraient plus se libérer.
Antoine, bien qu’âgé seulement de 36 ans, avait
le sentiment d’une vie bien remplie. Une vie toute
donnée à porter l’Évangile au monde. Il ne lui restait
plus qu’un désir: se préparer à sa mort qu’il savait
imminente. Il sentait le moment venu d’abandonner
l’action sur le terrain au profit de la contemplation.
Le temps qu’il lui restait à vivre, il allait l’utiliser à
rompre ses dernières attaches à la vie terrestre pour
se préparer au grand «passage».

Du courrier sans messager


Quoi de mieux, pour lui, que de quitter le cou­
vent Sainte-Marie pour se retirer dans un ermitage?
Il avait préparé une lettre en ce sens à son provin­
cial, pour en obtenir l’autorisation. Le temps d’al­
ler en informer son gardien et de retourner dans sa
cellule où il l’avait laissée, la lettre avait disparu.
Quelques jours passèrent sans qu’il ne réitère sa
démarche, car il voyait là un signe du refus du Sei­
gneur à son initiative... Mais, un soir, à sa grande
surprise, il trouva, à l’endroit même où il avait
laissé sa lettre, la réponse de son provincial. Une
réponse positive, qui le réjouit. Le mystère quant à
cette correspondance reste entier. Faut-il invoquer
l’intervention d’un ange? En tout cas, c ’est bien
l’explication qu ’ont suggérée les biographes1.

Louer Dieu avec les oiseaux...


Quel lieu allait-il choisir pour s’endormir dans la
paix du Seigneur? Bien évidemment, une solitude.
Il pensa d’em blée à l’ermitage des franciscains de
Campietro, petit bourg paisible au nord de Padoue.
Ce lieu béni avait été offert à ses frères par le sei­
gneur Tisso qu’il avait soutenu contre Ezzelino, et
qui était devenu, depuis, un bienfaiteur fidèle de
l’ordre, un fils spirituel d’Antoine et un membre du
Tiers-Ordre de Saint-François. En le voyant arriver, le
comte Tisso l’embrassa affectueusement en versant
des larmes de joie. Il le conduisit jusqu’à l’ermitage
des frères en lui proposant de s’installer où bon lui
semblerait, voire, dans sa propre maison. Antoine
repéra alors un bosquet ni trop proche, ni trop éloi­
gné du couvent. En s’en approchant, il fut charmé
par la beauté d’un immense noyer dont le tronc se
subdivisait en six grosses branches. Il demanda au
comte de construire dans cet arbre trois cabanes:
l’une pour lui, la seconde pour Frère Luc et la troi­
sième pour Frère Roger. Le comte marqua un temps
de déception à cette étrange requête. Il aurait tant
voulu l’héberger avec le respect et le confort qu’il
méritait! Mais Antoine lui répondit:
«Heureux les oiseaux; entre les cieux et leurs
ailes, il n’y a pas de toit. Moi, je voudrais louer Dieu
sur cet arbre magnifique et me préparer ainsi au vol

1. Azevedo, lib. Il, cap. VI, p. 160; Angelino di Vincenza, lib. II, cap. V II;
R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 304.
de l’éternité1. » Alors, le comte, bien résolu à satisfaire
sa volonté, donna sur-le-champ des ordres pour
faire construire les trois cabanes, avec des planches
au sol, et des feuillages entrelacés en guise de murs
et de toiture ; vu le piètre état de santé d’Antoine, un
escalier en bois fut construit pour y accéder.
Les trois frères prirent possession de leurs cel­
lules aériennes avec, pour unique compagnie, celle
des oiseaux qui nichaient là en abondance et, pour
seul bruit, celui de leur ramage sur un fond de brise
légère qui agitait les branches. Ils en descendaient
pour aller chanter les heures avec les franciscains
de l’ermitage ou pour aller partager la nourriture
que leur procurait habituellement leur bienfaiteur.
Antoine louait donc Dieu avec les oiseaux.

Les frères des moines


Je citerais volontiers ici cette comparaison d’un
auteur entre les moines et les oiseaux : «Les moines et
les oiseaux sont frères dans la pauvreté. Ils se confient
en la Providence qui jette aux uns les miettes de la
charité et aux autres, les graines légères que le vent
emporte ; qui fait aux premiers, un vêtement glorieux
avec l’or de leurs vertus, et aux seconds, une parure
avec la variété de leur plumage. Les moines et les
oiseaux sont les chantres de l’humanité. Les oiseaux
chantent les louanges de Dieu le jour, au milieu des
merveilles de la nature; les moines leur font écho
la nuit, dans des cloîtres silencieux, tandis que le
monde dort... Les moines et les oiseaux habitent la
frontière de la terre, mais leur mouvement est dirigé
vers le ciel. Les moines s’élèvent vers lui par leurs
aspirations; les oiseaux, avec leurs ailes. Avec tous
ces traits de famille, ils peuvent vivre dans la même
feuillée1.»
Ce beau texte est une méditation à faire, adossé au
tronc d’un vieil arbre, faute de pouvoir se construire
une cabane dans son branchage. Que faisait donc
Antoine dans son arbre? Il méditait sur l’action de
Dieu dans les différents épisodes de l’Histoire sainte,
ou sur la teneur d’un verset de la Bible, ou encore,
sur le sens profond d’un Évangile... Il préparait son
âme à sa rencontre avec Dieu.

Le rêve envolé
Un jour, après le repas qu’il était allé prendre avec
ses deux compagnons au réfectoire de l’ermitage, il
ne put se relever de table. Malgré leur aide, il lui était
impossible de tenir debout sur ses jambes. Alors il
comprit que son rêve de mourir entouré de ses amis
les oiseaux serait irréalisable. Il prit conscience que
sa présence à Campietro serait une charge pour
une demi-douzaine de moines dépourvus de tout.
Il demanda aux frères Roger et Luc de le ramener au
couvent de Sainte-Marie. Le frère Roger fit atteler un
char pour le transporter, bravant ainsi l’opposition
de ses frères ermites qui auraient souhaité l’assister
dans ses derniers moments.

Une destination détournée

Le char était déjà en vue de Padoue quand il


croisa un moine de Sainte-Marie s’apprêtant à aller
visiter Antoine. Mais ce dernier le vit si faible et si
inerte qu’il lui conseilla de renoncer à son projet. Le
trajet serait beaucoup trop long et éprouvant. Et puis
les gens qu’il rencontrerait sur son passage ameu­
teraient des foules qui empêcheraient l’avancée du
char. Il lui proposa donc de se faire conduire au
couvent des frères de l’Arcella, attenant à celui des
«Pauvres Dames», qui est bien plus proche. Dès qu’il
arriva, on le sortit du char pour le déposer délicate­
ment sur la paillasse de sa cellule.

O Gloriosa Dom ina!


La fatigue du trajet avait épuisé ce qui lui restait de
forces. Il comprit que sa fin annoncée par le Seigneur
était imminente. Il demanda un confesseur. Mais le
souffle lui manquait. Il dut produire de gros efforts
pour se faire entendre. Dès qu’il reçut l’absolution,
sa voix s’affirma avec une puissance renouvelée par
le sacrement. Il se mit à entonner d’une voix claire
et forte son hymne de prédilection: -O G loriosa
D o m in a ». Puis il leva les yeux au ciel vers un point
précis, sans en détacher le regard. À un frère qui
l’interrogeait sur ce qu’il faisait, il répondit: -je vois
mon Dieu ! »
Puis il reçut l’Extrême-Onction et récita, avec les
frères qui l’entouraient, les psaumes de la pénitence.
Une demi-heure plus tard, il rendait sereinement son
dernier soupir, sans agonie, comme une bougie qui
n’a plus de mèche. Tous ceux qui étaient présents
avaient l’impression qu’il s’était endormi. Ils étaient
étonnés de la souplesse de ses membres et de la
blancheur de ses mains desséchées par la fièvre et
brunies par le soleil. C’était le 13 juin 1231, vers le
coucher du soleil. Il allait s’envoler plus haut que les
oiseaux !

"J’a i laissé mon ân.e à Padoue!»


Antoine, considéré durant sa vie comme un thau­
maturge exceptionnel, allait continuer de réaliser
des miracles après son envol. Et le premier n’allait
pas tarder à se produire... à distance. On sait l’amitié
qu’il avait éprouvée pour le père abbé de Verceil.
Il apparut soudain, devant lui, alors qu’il méditait
dans sa cellule. Après l’avoir salué, il lui dit : «Je vous
annonce que j’ai laissé mon âne à Padoue; j’ai hâte
de partir pour ma patrie. » L’abbé souffrait alors d’une
forte angine. Antoine lui effleura la gorge et la dou­
leur cessa instantanément. Puis il disparut. Le père
abbé ouvrit la porte de sa cellule pour vérifier s’il
n’était pas dans le couloir: il n’y avait personne! Il
alla demander au frère portier s’il avait vu passer
Antoine. Sa réponse fut négative. Alors, il comprit
que son ami était parti vers le Seigneur, et que l’âne
dont il lui avait parlé devait être son corps. Il put
vérifier quelques jours plus tard qu’il était mort à
l’heure exacte où il était venu le visiter et le guérir.
IX 1
U n e sépulture qui pose
problème

U ne arche d’alliance

Un secret vite éventé

Les frères du couvent de l’Arcella étaient ravis


du privilège d’avoir entouré Antoine au moment
du grand passage, en lui procurant tout le récon­
fort humain et spirituel qu’un mourant peut espé­
rer. Ils comptaient bien conserver son corps dans
leurs murs. Mais ils redoutaient que les frères de
Sainte-Marie, sous prétexte de venir le vénérer, ne
le leur enlèvent. Pour l’heure, ce qui leur impor­
tait, c ’était de ne pas divulguer sa mort. Ainsi pour­
raient-ils l’enterrer dans leur église, après une céré­
monie de funérailles célébrée dans la plus stricte
intimité. C’était compter sans les enfants du quar­
tier dénommé «la Tête-du-Pont». En jouant dans les
rues environnantes, ils avaient très certainement

1. Pour ce chapitre IX, les références aux sources, sauf exceptions, ne


sont pas précisées car elles sont prises successivem ent dans les différents
ouvrages cités en bibliographie.
dû voir arriver le char transportant Antoine dans
un état qui ne laissait aucun doute sur l’imminence
de sa mort. Et sa réputation de thaumaturge, dont
ils avaient tant entendu parler dans leurs familles,
avait fait le reste. Si bien qu’ils se sentirent comme
investis d’un devoir d’informer la population, non
seulement du quartier, mais de toute la ville. Et les
voilà qui se rassemblèrent et qui coururent, comme
une nuée d’oiseaux, à travers les rues et les places
de Padoue en criant : «Il est mort, le père saint! Il est
mort, saint Antoine ! »Ainsi, c ’étaient les enfants qui,
d’un même élan spontané, avaient annoncé à tous
la mort d’Antoine. C’étaient eux, également, qui
avaient rendu officielle la qualification de saint qui
ne faisait de doute pour personne, sans attendre le
jugement de l’Église.

Des visiteurs spontanés


Dès le lendemain, toute la population de la ville,
mais aussi, des villages et des bourgs voisins, avait
appris la mort du saint. Venus de partout, des hommes
et des femmes de tous âges et de tous milieux se
retrouvèrent devant les portes de l’Arcella. Ils se
relayèrent tout au long de la journée pour lui confier
leur prière. Ils ne partaient pas sans avoir passé sur
son corps une croix, un mouchoir, une bague, une
ceinture... Ceux qui n’avaient pu entrer en raison
de l’affluence, accrochaient ce même genre d’objet
au bout d’une perche qu’ils brandissaient au-dessus
du lit funèbre à travers la fenêtre... Autant d’objets
qu’ils considéraient comme des reliques dignes de
leur ferveur. Non pas pour leur valeur intrinsèque,
mais pour leur imprégnation, par ce contact, de la
sainteté d’Antoine. Ainsi s’exprimait intemporelle-
ment la piété de tout un peuple qui, par ces pratiques
familières, extériorisait sa confiance en l’intercession
des saints. En leur adressant leurs prières devant ce
qui restait d’eux sur la terre, ces braves gens avaient
la certitude que leur esprit, ayant rejoint le Seigneur,
saurait en obtenir de lui, pour eux, toutes les grâces
souhaitées.

Des esprits bien échauffés


Qui allait donc conserver définitivement le corps
du saint? Les frères de l’Arcella étaient persuadés
que cet honneur leur incombait, puisqu’il était venu
mourir chez eux. Et les Pauvres Dames, leurs voi­
sines, partageaient leurs prétentions, puisque leurs
deux couvents communiquaient. Leurs supérieurs
envoyèrent, dans ce but, une délégation aux auto­
rités civiles de la ville pour leur demander de faire
pression sur leur évêque. Mais les frères de Sainte-
Marie avaient fait la même démarche. Pour eux,
Antoine avait choisi leur couvent comme dernier
siège de son apostolat de prédicateur, et il avait sou­
haité y retourner pour y mourir.
L’évêque se trouva bien embarrassé, car la déci­
sion qu’il allait prendre aurait le double effet de
réjouir l’un des deux camps et d’exaspérer l’autre.
Il en était d’autant plus conscient que les habitants
de la Tête-du-Pont, oubliant leurs querelles ances­
trales, étaient bien résolus à empêcher toute intru­
sion dans le couvent. Ils avaient même placé, tout
autour, des hommes armés pour en interdire l’ac­
cès. Les frères, quant à eux, s’étaient barricadés en
clouant des planches en travers de leurs portes et de
leurs fenêtres. Par précaution, ils avaient mis le corps
dans un cercueil et l’avaient enfoui dans une fosse
recouverte d’une légère couche de terre. Les parti­
sans de Sainte-Marie n’étaient pas moins déterminés
à parvenir à leurs fins. Ils avaient, eux aussi, pris les
armes pour enlever par la force la relique convoi­
tée. Ils firent, de nuit, trois tentatives qui échouèrent.
Dans un tel climat, on comprend bien que réchauffe­
ment des esprits s’accroissait dangereusement et que
le sang risquait de couler. On ne va pas, ici, entrer
dans tous les détails de cette «sainte» querelle. Pour
essayer d’apaiser les uns et les autres, l’évêque leur
suggéra la solution provisoire d’attendre l’arrivée du
provincial, alors absent de Bologne1, et de lui laisser
trancher le litige. Cette proposition sembla satisfaire
tous les opposants.

Une leçon de modération

D ’ailleurs, les frères de l’Arcella commençaient


à reconnaître leur responsabilité dans tous ces
désordres. Les Pauvres Dames, elles aussi, se culpa­
bilisaient. Car elles venaient d’être témoins d’un fait
qui ressemblait bien à une bonne leçon d’Antoine.
L’une d’elles, Sœur Olivia, était allée, le lendemain
de sa mort, s’agenouiller devant sa dépouille. Elle lui
avait demandé de lui obtenir la grâce de souffrir en
cette vie toutes les peines que ses péchés lui auraient
valu d’endurer dans l’autre. Et elle fut exaucée au-
delà de ses espérances. Elle ressentit immédiatement
des douleurs d’une intensité extrême dans tout le
corps. À tel point que, malgré ses efforts, il lui fut

1. Comme nous l'avons vu, le couvent de Bologne était sa résidence.


impossible de se relever. La supérieure, affolée par
ses cris, la fît transporter à l’infirmerie.
Le lendemain, ses souffrances ne cessèrent
d’empirer tout au long de la journée. Elle prit alors
conscience de la présomption de sa demande à
Antoine. Elle comprit qu’il lui donnait là une leçon
d’humilité et de modération, en l’invitant à ne pas
préjuger de ses forces et de ses capacités humaines.
Elle n ’avait alors plus qu’un désir: le supplier de lui
obtenir sa guérison. Comme elle ne pouvait pas se
lever, elle demanda à la sœur infirmière d’aller lui
chercher, dans sa cellule, un petit morceau de sa
bure qu’elle avait discrètement coupé. Dès qu’elle
l’eut passé sur son corps, elle se sentit délivrée de
toutes ses douleurs et put reprendre une vie normale
au sein de sa communauté.

Vers l ’apaisement
Cet incident acheva de convaincre les «Pauvres
Dames» de l’inopportunité de leur acharnement. Les
frères de l’Arcella se rallièrent à leur sage décision.
Restait à convaincre les habitants du quartier, bien
résolus à donner leur vie pour défendre leur position.
Après trois jours de lutte, le provincial, enfin arrivé
à Padoue, se rangea aux arguments des frères de
Sainte-Marie. Il fixa la date des obsèques et donc, de
la translation du corps, au lendemain matin, le mardi
17 juin. Pour éviter tous risques d’échauffourées, le
podestat prit des mesures condamnant toute per­
sonne armée à payer une amende très élevée. Il fit
jurer sous serment aux habitants de la Tête-du-Pont
de ne pas sortir de leurs maisons pendant les funé­
railles en les menaçant de la confiscation de tous leurs
biens en cas de rébellion. Un argument de poids, qui
fut d’une grande efficacité. Après s’être assuré que
le calme était revenu entre les belligérants, l’évêque
accepta de présider la cérémonie et il donna rendez-
vous à tous devant la porte de l’Arcella.

Un seul et même cœur


Le mardi 17 juin, au matin, la foule s’était rassem­
blée à l’heure convenue. Tous les habitants de Padoue
et des localités voisines étaient là, battant d’un même
cœur. Et dès que les frères mineurs eurent déterré le
cercueil, ils le sortirent devant le couvent. Les accla­
mations de joie l’accueillirent. Sans attendre, le cor­
tège s’organisa. En tête, le cercueil était porté sur les
épaules du podestat en personne, aidé de magistrats
municipaux. Venaient ensuite l’évêque escorté de
son clergé, le provincial et les frères de l’Arcella, les
religieux des couvents de la ville, les membres des
confréries, les professeurs et les élèves de la presti­
gieuse Université...
Enfin, en rangs serrés, la foule, où se côtoyaient
nobles et bourgeois: tous se mêlaient fraternelle­
ment, en chantant psaumes et cantiques. Ils portaient
des cierges, autant qu’ils avaient pu s’en procurer
dans les boutiques, à tel point que la procession fut
comparée par les témoins à un gigantesque fleuve
de feu. Tout au long du trajet, ceux à qui l’âge ou la
maladie n’avaient pas permis de se déplacer applau­
dissaient au passage du cercueil devant leurs mai­
sons aux façades pavoisées et ornées de fleurs et de
tentures blanches symbolisant la pureté d’Antoine.
Participants au cortège ou simples spectateurs, tous
furent émerveillés de sentir de suaves parfums qui
embaumèrent l’air jusqu’à la fin de la cérémonie.
Leur admiration redoublait au fur et à mesure que
les malades, même les plus graves, criaient de joie
d’être guéris.

Une seule et même joie


Le cas d’une pauvre femme, qu’on retiendra ici
parmi une multitude d’autres est significatif de la
pérennité de la puissance de thaumaturge d’Antoine
après sa mort. Elle s’appelait Cunizza. Bossue et dif­
forme, elle ne pouvait marcher que courbée vers le
sol. Ayant appris la mort d’Antoine, elle s’était traî­
née tant bien que mal jusqu’au cortège. Elle avait
suivi quelques instants le cercueil, le temps de lui
demander sa guérison. Soudain, sa bosse disparut,
son corps se redressa, ses nerfs se dénouèrent et ses
articulations retrouvèrent leur souplesse. Elle hurlait
de joie et n’en finissait plus de bénir et de remer­
cier «le saint». Bientôt, la nouvelle se répandit d’une
rangée à l’autre de l’interminable procession et on
entendait de toutes parts des acclamations à saint
Antoine.

Une seule et même dévotion


À la fin de la messe, l’évêque fit déposer le corps
dans un cercueil découvert après avoir creusé le sol
le matin même. Selon certains, le sarcophage aurait
contenu des ossements de martyrs1. Ainsi, Antoine,
qu’on peut considérer comme un martyr de désir,
était-il inhumé dans un tombeau sanctifié par des

1. Pour certains, il s'agirait des -quatres couronnés" martyrisés par Dioclé­


tien, ce que contestent les Bollandistes.
martyrs de sang. Cette cérémonie des funérailles
n’était qu’un prélude à une série interminable de
visites et de processions devant le tombeau d’An­
toine. En effet, dès le lendemain, tous les Padouans
partageaient le même désir de venir s’y recueillir.
Afin d’éviter tout désordre, les autorités décidèrent
d’instaurer un roulement. Un jour fut ainsi attribué
à chaque quartier de la ville, à chaque famille reli­
gieuse, à tous les groupes sociaux, aux congréga­
tions, aux membres de l’Université, aux habitants
des villes, puis aux régions voisines, aux étrangers...
Tous traversaient la ville en procession, pieds nus et
croix en tête, y compris l’évêque et le podestat. Les
cierges apportés par chaque groupe étaient gigan­
tesques et, parfois, joliment sculptés dans la cire. Les
pèlerins les portaient sur l’épaule, ou les plaçaient
sur des chariots attelés par des boeufs, quand ils
étaient particulièrement lourds. Le premier quartier
à se rendre au tombeau fut celui de la Tête-du-Pont.
L’évêque avait ainsi voulu accorder cet honneur à ses
habitants, et particulièrement aux franciscains, pour
les remercier d’avoir surmonté leur déception d’être
privés du corps qu’ils auraient tant souhaité conser­
ver. Les frères de Sainte-Marie leur témoignèrent
également leur reconnaissance en allant au-devant
d’eux en procession1.

Une fo i renouvelée
Chaque jour, les pèlerins succédaient aux pèle­
rins. Tous ceux qui venaient, parfois en simples
curieux, éprouvaient, devant le sarcophage, les

1. Mgr Antoine Ricard, op. cit., p. 298.


mêmes sentiments de paix et de joie. Ils priaient. Ils
pleuraient. Ils sentaient leur foi renouvelée et ils fai­
saient invariablement un retour sur eux-mêmes qui
les conduisait à se confesser et à s’engager à mener
une vie plus conforme à l’Évangile. Ainsi, Antoine,
même après sa mort, continuait inlassablement à
transformer les cœurs et à les amener à Dieu. Et les
miracles qui avaient jalonné sa vie ne s’arrêtèrent pas
après sa mort, bien au contraire. Plus on en signa­
lait, plus les foules accouraient à son tombeau. Et,
inversement, plus on le priait, plus on obtenait de
miracles par son intercession. On ne va pas ici les
énumérer; la liste serait trop longue. Mais on sait
qu’il y en a de toutes sortes : guérisons, conversions,
protections diverses, obtention d’une situation indis­
pensable, arrivée improbable d’un enfant dans un
foyer, pardon demandé, donné, reçu... Et même,
résurrections (notamment, celle d’un enfant noyé
dans un lac...). Sans compter tous ces événements
inexpliqués restés dans le secret des cœurs.

Ehumble mineur comblé d’honneurs

Des requêtes unanimes


Les Padouans partageaient la même joie et la
même fierté d’avoir hébergé dans leurs murs un
humble moine qui accordait, par son intercession,
tant de grâces à ceux qui venaient prier sur sa
tombe. L’évêque, Mgr Jacques Corrado, le podestat,
les corporations, l’Université, les aristocrates et les
gens du peuple: tous adressèrent une requête au
Pape pour le prier d’ouvrir une enquête en vue de
sa canonisation. Un mois plus tard, ils envoyèrent
une délégation à Spolète, où il se trouvait alors, dans
le même but. Grégoire IX, dont on connaît l’intérêt
et l’affection pour les franciscains, et pour Antoine
en particulier, accéda d’emblée à leur demande.
Il nomma, à cet effet, une commission à Padoue,
sous la présidence de l’évêque, formée de deux
prieurs des couvents des bénédictins et des domi­
nicains de la ville et de quelques prêtres diocésains.
Il en nomma une seconde à Rome, composée de
religieux et de prélats, et présidée par le cardinal
français Jean d’Abbeville1, ancien moine de Cluny et
abbé de Saint-Pierre d’Abbeville. Six mois plus tard,
la commission padouane avait écouté les dépositions
de témoins de miracles et les avait transmises à celle
de Rome qui en reconnut pas moins de quarante-
sept. Un nombre largement suffisant pour exhorter
la «Sacrée Congrégation» à proposer au Saint-Père
de déclarer, sans tarder, la canonisation d’Antoine.

Les opposants désarçonnés

Parmi les cardinaux, certains signifièrent leur


opposition à une procédure aussi rapide. C’était, à
leurs yeux, brûler les étapes normales de la «véné-
rabilité» et de la «béatification». Du jamais vu dans
l’Église! Le plus opposé d’entre eux à une telle
précipitation fit, une nuit, un étrange rêve. Il vit
le pape qui se préparait à procéder à la consécra­
tion de l’autel d’une nouvelle basilique. Constatant
l’absence de reliques insérées dans l’autel, comme
l’exige le cérémonial, il en demanda aux cardinaux

1. Tous ont déposé sous serment.


qui l’entouraient. Aucun d’eux ne s’en était pro­
curé. Alors, ce cardinal récalcitrant vit le pape s’ap­
procher d’un corps recouvert d’un drap mortuaire
et ordonner qu’on lui en apporte des reliques. On
souleva le drap: c ’était le corps d’A ntoine!... Ce
n ’était qu’un songe. Mais, à son réveil, le cardinal
comprit que Dieu avait ainsi voulu le convaincre de
l’opportunité d’inscrire sans délai Antoine au cata­
logue des saints. Et son revirement devant le Col­
lège des cardinaux mit fin à toutes les réticences.
Le pape fixa alors la cérém onie de canonisation au
30 mai, pour la fête de la Pentecôte, à Spolète où il
résidait encore.

Un flambeau su r le chandelier
Le 30 mai 1232, une immense foule avait envahi
la cathédrale de Spolète, aux murs tendus de soie
et de velours, et éblouissante de lumière. Il y avait
des gens de toutes les provinces d’Italie, mais aussi
de la plupart des pays d’Europe, notamment, bien
évidemment, du Portugal où était né Antoine, et du
sud de la France où il avait ramené tant d’hérétiques
à la foi catholique. Assis sur son trône, Grégoire IX
écouta, avec une émotion non dissimulée, la liste
des quarante-sept miracles énumérés par un lec­
teur. Puis il se leva et, haussant les bras et les yeux
vers le ciel, il adressa à la foule cette proclamation
solennelle :
«À la gloire de l’auguste Trinité, en vertu de l’au­
torité apostolique et après avoir pris conseil de nos
frères les cardinaux, nous inscrivons le bienheureux
Antoine au catalogue des saints, et nous fixons sa
fête au 13 juin. »
On chanta alors le Te D eum qui, selon la coutume,
devait clôturer la cérémonie. Mais le pape entonna
ensuite l’antienne «O Doctor optime1» que tout le
clergé chanta avec lui. Cette initiative imprévue ren­
dait ainsi publique son intime conviction: Antoine
méritait bien d’être promu par l’Église au grade de
ses «docteurs2'*.
Après la cérémonie, Grégoire IX publia deux
bulles entérinant la canonisation :
- celle du 1er juin 1232, adressée au clergé et aux
fidèles de Padoue :
«Nous avons voulu confondre la perversité des
hérétiques et encourager la foi des chrétiens...
Nous voulons aussi que la noble cité de Padoue soit
comme un flambeau placé sur le chandelier, afin que
les cités voisines marchent à sa lumière3»;
- celle du 22 juin, destiné à l’Église universelle.
C’est une hymne de louanges au protecteur de la
chrétienté :
«Nous avons apprécié autrefois par nous-
mêmes la sainteté de sa vie et les merveilles de son
ministère, puisqu’il l’avait quelque temps exercé
de la façon la plus digne de louanges sous nos
y e u x !... Tandis qu’il était sur la terre, il était orné
des plus belles vertus. Maintenant qu’il est dans
le ciel, il brille de l’éclat d’innombrables miracles ;
de telle sorte que sa sainteté est démontrée par
les marques les plus certaines. Nous vous prions
tous, nous vous avertissons, nous vous exhortons
tou s... Nous vous ordonnons d’exciter la dévotion

1. On peut traduire par -docteur suprême, le plus grand-,


2. Ce titre lui sera donné officiellement sept siècles plus tard.
3. Cité par Mgr Antoine Ricard, op. cit., pp. 312-313.
des fidèles et de les porter à la vénération de ce
bienheureux1. »

Lisbonne en fête
On ne peut omettre, dans cette évocation de la
canonisation d’Antoine, le curieux événement qui
se produisit à Lisbonne le même jour et à la même
heure. Le 13 juin, donc au moment même où le pape
proclamait officiellement la sainteté d’Antoine dans la
cathédrale de Spolète, tous les habitants de Lisbonne
se sentirent poussés, sans raison apparente, à sortir
de leurs maisons. En chantant des cantiques et en
dansant de joie, ils se retrouvèrent tous sur les places
publiques. Soudain, leur tumulte fut couvert par le gai
carillon des cloches des églises de la ville, que per­
sonne n’avait actionnées. Ils n’avaient alors pas été
informés de la date de la canonisation, mais quand
ils le furent, ils comprirent que le Seigneur avait ainsi
voulu faire éclater la gloire d’Antoine dans sa ville
natale. On ne s’étonnera pas qu’ils aient souhaité
fêter l’événement à leur tour. Pas davantage du lieu
choisi pour la cérémonie : cette même cathédrale où
il était si souvent venu prier dans sa première enfance
et pendant son séjour chez les chanoines de Saint-
Augustin. Les plus heureux, et aussi les plus fiers de la
ville, c ’étaient à l’évidence les membres de sa famille.
À commencer par ses deux sœurs, dona Feliciana
et dona Maria, entourées de leurs enfants. La pré­
sence de son père est considérée comme probable,
mais celle de sa mère n’est pas mentionnée par les
chroniqueurs. On sait toutefois qu’elle a partagé les

1. Ibid.
honneurs rendus à son fils, au moins à titre posthume,
puisqu’on peut lire cette épitaphe sur son tombeau :
• H ic ja ce t mater san cti A n ton iil »: «Ici repose la
mère de saint Antoine ! »

Odeurs et faveurs en continu


Les pèlerins, on l’a vu, avaient commencé, dès la
mort d’Antoine, à se rendre en masse sur son tom­
beau. Tous ceux qui pouvaient l’approcher sentaient
ces mêmes bonnes odeurs perçues par tous les assis­
tants sur tout le trajet de sa translation de l’Arcella à
Sainte-Marie. Ils étaient exaucés dans leurs prières
et de nouveaux miracles les récompensaient de leur
ferveur. Cet ouvrage en a relaté un nombre suffisant.
Et j’adopterai ici l’opinion de l’auteur du M an u scrit
du couvent d ’A n côn e : «Si un historien racontait tous
les miracles de saint Antoine, il serait à craindre que
leur nombre ne causât de la lassitude aux lecteurs ;
leur grandeur engendrerait des scrupules et sèmerait
des doutes chez les esprits faibles. »

U n e église pour abriter «l’arche»

La République s ’implique

À en juger par l’affluence constante et croissante


des pèlerins au tombeau d’Antoine, on comprend
bien que la chapelle du couvent des franciscains
n’était plus en mesure de les accueillir. La nécessité
de construire une église bien plus grande fut adop­
tée à l’unanimité par les Padouans. Comme il n’était
pas question pour eux de laisser dormir Antoine
ailleurs qu’à Sainte-Marie, ils décidèrent de l’agran­
dir. La république décréta qu’il serait le protecteur
officiel de la ville et que, chaque année, des festivités
de quinze jours auraient lieu en son honneur une
semaine avant et une semaine après le 13 juin, jour
de sa fête. Ce jour-là, les autorités civiles viendraient
se joindre aux religieuses et à tout le peuple pour
aller se recueillir sur sa tombe. Le Sénat s’engagea
à verser une somme de 4000 livres pour les frais de
matériaux et la main-d’œuvre, et à faire ériger une
statue somptueuse sur la grand-place. Le célèbre
architecte Nicolas Pisano fut choisi pour en dresser
les plans et pour en surveiller la réalisation, en veil­
lant bien à y inclure l’ancienne église.
Les travaux commencèrent, mais ils furent bien
souvent interrompus en raison du climat de troubles
latents qu’Ezzelino continuait de faire régner dans la
ville. Ils ne reprirent qu’après son suicide, quand les
croisés, après l’avoir fait prisonnier, eurent rendu la
paix et la liberté à toute la région. C’est donc en 1259
que le chantier put redémarrer.

Le ministre général s ’émerveille

En 1263, la partie antérieure de la future basi­


lique était achevée. On y transporta le sarcophage
- «l’arche sainte» - dans le double but de permettre
aux ouvriers de travailler tranquillement et aux pèle­
rins, de prier sans risque. La translation fut opérée
par une grande figure de l’ordre franciscain, le
ministre général en personne : le frère Bonaventure.
Ainsi, c ’était un futur saint qui allait présider au trans­
fert des restes d’un autre saint. C’était le 8 avril 1263-
Sous sa présidence s’étaient réunis tous les sénateurs
de la ville autour du podestat et tout le clergé avec
son évêque, ainsi que le cardinal Guido, évêque de
Bologne et légat pontifical.
Dès que le cercueil fut ouvert, toute l’assemblée
fut ravie en sentant l’odeur suave et pénétrante qui
embaumait l’air. Un parfum céleste aux arômes mêlés
de lys, de jasmin, de rose, d’encens et de papier d’Ar­
ménie, avec des dominantes plus ou moins marquées
selon les personnes. La joie fit place à la déception
quand on s’aperçut que la chair était en poussière, et
les os, disjoints. Mais l’enthousiasme redoubla quand
on découvrit la tête qui avait conservé les cheveux,
la mâchoire et les dents, et surtout la bouche. Très
ému, Bonaventure en détacha la langue et la pré­
senta à la foule en disant : «Ô langue bénie qui avez
constamment béni le Seigneur et l’avez fait bénir
par les autres, c ’est maintenant, surtout, qu’on peut
juger de quel prix vous êtes aux yeux de Dieu1!»
Il l’embrassa tendrement et ordonna qu’on l’expose
dans un reliquaire spécial. Puis il sépara en trois lots
la poussière organique, les os et les vêtements qu’il
plaça dans une châsse d’argent.
Les travaux se prolongeaient, au fur et à mesure
qu’arrivaient les dons en espèces et en matériaux, et
même, en travail, des chrétiens de tous les pays.
En 1310, les franciscains tenaient à la Pentecôte
leur 36e chapitre général. Ils décidèrent alors de
transporter «l’arche » au milieu de la nef pour pouvoir
construire la somptueuse chapelle destinée à son
emplacement définitif. C’est leur ministre général,
Frère Gonzalve, qui présida cette translation2.

1. «Liber Miraculorum-, cap. VII.


2. «Annales Minorum», 1310, Wadding.
Le cardinal fa it un vœu

En 1349, la basilique était en voie d’achèvement.


Clément X, alors prisonnier à Avignon, accorda à toute
la chrétienté un jubilé pour l’année suivante, afin de
demander au Seigneur l’arrêt définitif de la peste qui
ravageait l’Europe. Il nomma un Français, le cardinal
Guy de Montfort, pour ouvrir les festivités à Rome.
Le cardinal prit la route de l’Italie. Comme l’avait fait
Antoine en quittant le Midi de la France suite à sa mis­
sion en pays cathare, il fit étape à Cuges1. Il se trouva
bloqué après avoir été atteint, à son tour, par cette
horrible maladie. Malgré tous les soins qui lui furent
prodigués, le mal ne faisait qu’empirer. Il se souvint
alors que les franciscains avaient projeté la dernière
translation du corps d’Antoine dans sa chapelle pour
le 14 février 1350. Il pria le Seigneur de le guérir et
s’engagea, s’il était exaucé, à se rendre à Padoue à
cette date pour présider en personne la cérémonie. Il
fut guéri immédiatement et sans la moindre séquelle.
Il ne quitta pas les habitants sans les remercier de leurs
soins et de leurs prières, et sans leur avoir promis de
leur rapporter une relique du saint auquel ils étaient
déjà très attachés.

Les reliques sont à l ’honneur


Le 14 février 1350, le cardinal était à Padoue. Dans
l’église où toutes les classes de la société civile et reli­
gieuse s’étaient réunies, il prit délicatement la châsse
qu’il alla déposer au centre de la nouvelle chapelle
qui lui était consacrée dans l’édifice qui prit le nom
de basilique Saint-Antoine. L’essentiel des reliques

1. Plus exactem ent, au village de Conel.


avait donc retrouvé son tombeau initial. Mais le car­
dinal avait apporté un buste reliquaire d’argent pour
y placer la mâchoire et un os du bras. Quant à la
langue, n’oublions pas1 qu’elle trônait déjà dans sa
monstrance de cristal et d’argent. Pour clôturer la
cérémonie, le cardinal célébra la messe sur le tom­
beau de saint Antoine. Il n’allait pas oublier ses pro­
messes aux habitants de Cuges: il leur fit envoyer
une partie du crâne, que l’église du village serait
toujours fière de posséder et de vénérer. D ’autres
localités de divers pays allaient recevoir des par­
celles de reliques de saint Antoine : on peut citer en
premier lieu Lisbonne, berceau de «Fernand devenu
frère Antoine », Venise, Vienne (Autriche), Bourges...
Même si, le 13 mars 1652, les autorités padouanes
interdirent tout nouveau détachement de parcelle de
la châsse, des moines et des religieuses en confec­
tionnèrent à partir de fragments déjà extraits ou
de vêtements ayant appartenu à Antoine, ou ayant
touché son corps.

Une sym phonie de tous les styles


Que peut-on dire de cette basilique Saint-Antoine
que les pèlerins dénomment «Il Santo» («Le Saint»)?
Peut-on en définir le style? Certes non, car vu l’éche­
lonnement de sa construction dans le temps (du xine
au xve siècle), l’évolution des modes architecturales
successives en font une heureuse combinaison de
l’art roman (le bas de l’édifice), gothique (l’abside)
et arabo-byzantin pour le reste. On peut d’abord
en donner un aperçu de l’extérieur en comparant

1. De fait, elle avait été placée dans trois monstrances successives,


l’ensemble de la construction à la basilique Saint-
Marc de Venise, elle-même inspirée de Sainte-Sophie
de Constantinople. Comparaison que viennent jus­
tifier ses six grandes coupoles ajourées surmontées
d’une croix, et ses quatre tours polygonales à plu­
sieurs étages ornées de fenêtres et couronnées de
flèches ; la plus grande de ces tours est coiffée d’une
lanterne à jour servant de socle à un ange porteur
de trompette et pivotant sur son pied au gré des
vents comme une girouette. La gigantesque toiture
est aussi dotée de deux gracieux campaniles octo­
gonaux dont l’un comporte une partie du clocher de
l’église des frères mineurs de Sainte-Marie. Les frères
ont tenu à conserver ce campanile surtout pour sa
cloche qui avait si souvent appelé le peuple aux ser­
mons d’Antoine, et les jeunes étudiants à ses cours
de théologie.

Un musée de tous les arts


On ne va pas ici faire un descriptif détaillé des
merveilles rassemblées dans ce majestueux édifice
aux trois nefs de 115 mètres de long, de 55 de large
au transept et dont la plus haute coupole culmine à
38 mètres de haut. Dès qu’il y pénètre, le pèlerin a
l’impression que les hommes de l’art les plus pres­
tigieux - notamment «Donatello» et ses disciples,
Titien, Sansovino, Mantegna - ont rivalisé d’adresse
et d’ingéniosité pour prêter chacun leur concours
à son embellissement. Les maçons, les peintres, les
sculpteurs, ciseleurs, ébénistes et autres maîtres ver­
riers ont travaillé harmonieusement les matériaux les
plus nobles et les plus divers: la pierre, le marbre,
le fer, le cuivre et le bronze, l’or, l’argent, le cristal
et les pierres fines... Il en est résulté des dômes,
des ogives, des vitraux, des fenêtres, des colonnes
et des piliers, des dallages, des fresques et des bas-
reliefs, des tableaux, des candélabres, des croix...
et pas moins de trois cents statues. La plupart de
ces œuvres ne se limitent pas à un effet artistique :
elles sont des enseignements imagés de l’Ancien et
du Nouveau Testament, ou encore de la vie et des
miracles de saint Antoine.
Le pôle d’attraction le plus visité de la basilique
est sans conteste la chapelle «du saint», qui en orne
le côté sud. On y accède par un escalier de sept
marches en marbre. L’autel («l’arche»), en marbre
lui aussi, a la forme d’un tombeau qui renferme
les restes de saint Antoine. Il est surmonté de trois
statues de bronze : la sienne au centre et, de part et
d’autre, celles de saint Bonaventure et de saint Louis
d’Anjou, évêque de Toulouse.
Il faut mentionner, contrastant avec cette luxueuse
chapelle, celle, bien plus modeste, qui lui est atte­
nante: une partie de l’ancienne église Sainte-Marie;
c ’est là qu’Antoine chanta les «heures», enseigna la
théologie aux étudiants du couvent, dormit pendant
plus de trente ans... C’est là aussi que repose son
compagnon de route, le frère Luc Belludi qui, en
quelque sorte, est bien chez lui, puisque sa famille
avait donné aux frères mineurs le terrain sur lequel
a été construite la basilique. La Vierge noire de son
ancien couvent veille sur lui. Dans une autre des sept
chapelles de l’ensemble, on peut vénérer, exposés
dans des monstrances de bronze doré et de cristal,
la langue, un os du bras et du menton, et quelques
ornements.
La basilique Saint-Antoine de Padoue est donc
un mélange harmonieux de styles architecturaux et
d’objets d’art les plus divers. Elle rassemble les pèle­
rins de toutes origines, de tous temps et de tous lieux
au cours de cérémonies solennelles, notamment le
13 juin où se déroule une messe sur son tombeau et
une procession avec ses reliques dans la ville.

Un saint toutes catégories


Cette unité dans la diversité colle bien au per­
sonnage. Antoine, lorsqu’il était encore Fernand, a
été le savant des pères augustins ; puis il s’est fait
franciscain pour mener une vie plus humble et plus
recueillie. C’est ce même prêtre effacé qu’aucun
père gardien ne voulait accueillir dans son couvent,
et qui a été accepté par charité dans un ermitage.
Au gré des circonstances, il a fait l’admiration des
plus grands esprits de l’époque, par sa science et
son éloquence. Devenu le célèbre convertisseur
des hérétiques issus du catharisme, il allait, dès qu’il
le pouvait, se ressourcer dans la solitude. Antoine,
c ’est aussi ce martyr de désir qui, au gré des vents et
des courants marins, a été préservé d’une tempête
qu’il l’a détourné de sa destination pour, finalement,
le mener à terminer paisiblement sa vie entouré de
ses frères.
Cette même diversité, on la retrouve dans la sain­
teté d’Antoine. Saint, il l’est par la pureté de sa vie
d’action fécondée par la prière, par l’enseignement
qu’il a fait à ses confrères, par la force de ses paroles,
devant les plus grands et aux plus humbles, par les
miracles qu’il a accomplis de son vivant et après
sa mort.
Saint Antoine, voyez donc nos misères!
Autant de bonnes raisons, pour nous, de l’inter­
peller familièrement :
“Saint Antoine, vous qui êtes près du Seigneur,
vous voyez bien la moyenne d’âge des fidèles des
églises de France et d’une partie du continent euro­
péen ! Vous voyez bien que nos enfants, nos adoles­
cents, nos jeunes, ne trouvent que peu de raisons
de les fréquenter! Que la plupart ont reçu - s’ils
n’en ont pas été totalement privés! - un enseigne­
ment religieux «modulaire» plein de lacunes. Et ce,
même dans certains établissements de l’enseigne­
ment catholique, où, pour ne pas contrarier les non-
croyants, les cours d’éveil à la foi sont facultatifs,
ceux qui veulent y assister s’en abstenant souvent
pour éviter d’être ridiculisés.
Saint Antoine, vous voyez bien l’absence de repères
dans notre société désabusée ! Vous voyez bien que
règne partout (TV, internet, presse...) une incitation
sans précédent à l’amour de l’argent, du pouvoir, de
la drogue, de l’alcool, du sexe (avec toutes les dévia­
tions exaltées par la théorie du «g e n d e r »).
Vous voyez bien la désolation de nos familles
éclatées, et les problèmes en tous genres de celles
dites «recomposées». Pas étonnant que les enfants,
déroutés par un milieu familial instable, soient si peu
motivés à s’engager, à fonder un foyer ou à répondre
à l’appel de Dieu. Pas étonnant que les idées des
partisans de l’avortement et de l’euthanasie arri­
vent à faire leur chemin dans certains milieux poli­
tiquement corrects, pour débarrasser la société des
improductifs (enfants à naître, personnes malades
ou trop âgées!).
Saint Antoine, exaucez nos prières!

Saint Antoine, continuez de nous assister dans nos


petits tracas évoqués au début de cet ouvrage. C’est
vrai qu’il est bien agréable, pour tout un chacun, de
retrouver ses clés ou ses lunettes... Mais, puisque
vous êtes spécialisé dans l’art de nous faire récupé­
rer tout ce que nous avons perdu, faites-nous retrou­
ver tous ces biens plus nobles qu’on appelle vertus :
la foi, l’espérance, et la charité. Ils font de nous des
enfants du même Père et des frères en Jésus-Christ,
et engendrent toutes les autres, toutes celles qui
améliorent notre quotidien et notre «vivre ensemble»
(bonté, générosité, piété, humilité, simplicité, dou­
ceur, honnêteté, modération, justice, fidélité, chas­
teté...) parce qu’elles nous aident à nous référer
au Christ et à découvrir son visage dans chacun de
nos frères.
Saint Antoine, si le Seigneur a voulu nous conser­
ver intacte votre langue - organe de la parole -
continuez votre prédication muette. Convertissez les
incroyants et ramenez à la vérité ceux qui sont dans
l’erreur. Confortez les croyants dans leur foi. Rendez
l’espérance, la joie, la santé, la prospérité, à tous
ceux qui sont dans l’épreuve. Ramenez la paix là où
règne la discorde, et la justice, aux victimes du vol,
du profit, de l’usure ou des abus de pouvoir... Vous
qui êtes le saint de la diversité, exaucez nos requêtes
de tous ordres. Vous pouvez tout nous obtenir par
votre intercession. Car si chacun de vos voisins en
paradis est réputé pour telle ou telle autre spécia­
lité, montrez-nous votre capacité, reconnue unani­
mement, à rester «le saint de tout le monde». Saint
Antoine, priez pour nous!»
U n e parole qui porte

U n message toujours actuel

L’humble frère Fernand de Lisbonne est donc


devenu le grand saint Antoine de Padoue. Il repose
dans sa somptueuse basilique qui est, après le Vati­
can, le sanctuaire le plus visité au monde. Pourquoi
reste-t-il, au xxie siècle, un tel pôle d’attraction pour
les pèlerins de tous les pays? Pour s’en faire une
idée, il faut, après l’avoir suivi tout au long de sa vie
terrestre, porter notre attention sur l’actualité de son
message pour les catholiques d’aujourd’hui.
Oui, saint Antoine de Padoue est réputé partout
comme un grand thaumaturge. On ne peut nier,
en effet, que rares sont les saints ayant obtenu du
Seigneur, pour ceux qui l’invoquent, un nombre
aussi incroyable de miracles en tous genres. Mais
ces miracles ne sont pas la cause essentielle de sa
sainteté (il en aurait suffi de trois après sa mort pour
l’entériner1). Ils n’en sont que les conséquences. Ce

1. Aujourd’hui, un pour la béatification et un pour la canonisation. Notons


que seuls comptent les miracles survenus après la mort.
sont les signes visibles que Dieu nous donne pour
nous interpeller sur le caractère de son apostolat
qui en fait sa spécificité: son rôle de prédicateur.
Un prédicateur qui nous rappelle les grandes vérités
de l’Évangile, que nous avons tant besoin de réen­
tendre alors que notre société matérialiste véhicule
des valeurs qui ne rendent pas l’homme heureux.
Un prédicateur qui nous invite à nous nourrir de la
Parole de Dieu et à marcher dans les pas du Christ.
Car seul le Christ est vérité, chemin et vie ; seul Lui
peut nous donner le vrai bonheur ici-bas et pour
l’éternité.

Q u’est-ce qu’un prédicateur?

Saint Antoine nous répond en se dépeignant lui-


même :
«Toutes les œuvres d’un orateur chrétien doivent
tendre à une seule fin: le salut des âmes. Sa mis­
sion consiste à relever ceux qui sont tombés, à
consoler ceux qui pleurent, à distribuer avec une
parfaite humilité et le plus entier désintéressement,
le trésor de grâces divines, comme les nuées qui,
du ciel, versent leurs eaux pour féconder la terre.
La prière doit faire ses délices, la méditation doit
être le ferment de son âme. S’il se conduit de la
sorte, le Verbe de Dieu, le Verbe de Vérité et de Vie,
d’Amour et de grâce, descendra en lui et l’inondera
de ses éblouissantes splendeurs1. » Ce fut bien le cas
de saint Antoine.

1. Sermon pour le 4e dim anche de l’Avent.


Il reprend ce même thème teinté de l’esprit du
Poverello: «Le bon prédicateur est fils de Zacharie,
c ’est-à-dire, la mémoire du Seigneur. Il doit avoir
gravé dans l’esprit le souvenir de la Passion de Jésus-
Christ. Il doit vivre avec Lui, dans la nuit de l’adver­
sité et dans l’aurore de la prospérité. Alors viendra
en lui le Verbe de Dieu, le Verbe de la paix et de la
vie, le Verbe de la grâce et de la vérité... Ô parole
qui ne blesse pas le cœur, mais qui le ravit ! Ô parole
pleine de douceur, qui verse l’espérance dans les
âmes souffrantes! Ô parole qui désaltère les âmes
tourmentées dans la sécheresse1!

Du sermon noté au sermon parlé

Quelle idée pouvons-nous nous faire aujourd’hui


des sermons de ce prédicateur que ses contemporains
appelaient «marteau des hérésies »et que Grégoire IX
qualifiait d’«Arche du Testament» ou «de l’Évangile»?
Eh bien! On ne peut en avoir qu’un simple aperçu. Il
les a écrits par obéissance à ses supérieurs, à l’inten­
tion des jeunes franciscains en formation qui, avant
lui, n’avaient pas de solides connaissances en théo­
logie. Il l’a fait à plusieurs années de distance. De
plus, s’il les a rédigés en latin littéraire, il les avait
prononcés soit en bas-latin, alors compris du peuple,
soit en patois local. On comprend donc combien ce
qui nous en reste a perdu en spontanéité.
Pour mieux percevoir leur impact sur des foules
regroupant parfois plus de trente mille personnes,

1. Ibid.
il faut penser à l’effet attractif qu’une telle masse
exerçait. Il faut imaginer la chaleur de la parole de
l’orateur, vivante et animée, la force des arguments,
le lyrisme des ajouts poétiques, l’intérêt des compa­
raisons et des allégories, la fougue convaincante des
appels à la conversion... Il y avait aussi ce regard qui
se promenait de l’un à l’autre, de sorte que chacun se
sentait personnellement concerné. Il y avait encore
cette gestuelle bien précise, ces interpellations,
ces interrogations... et aussi ces brefs moments de
silence, interrompus soit par une invitation à se
confesser, à se pardonner, à réparer, soit parfois par
un m iracle...
De fait, l’idée que nous pouvons avoir des ser­
mons de saint Antoine de Padoue, plus encore que
de tout autre prédicateur, n ’est qu’un pâle reflet de
la réalité. Le charme de l’éloquence parlée est un
torrent de flammes échappé d’un volcan qui n ’est
que lave refroidie dans sa version écrite. On com ­
prend bien que si le Seigneur a voulu nous conser­
ver sa langue intacte pendant plus de sept siècles,
c ’est pour nous inviter à découvrir et nous appro­
prier les paroles qu ’elle a émises. Des paroles qui
ont la puissance du Père, l’amour miséricordieux
du Fils, le feu et l’onction de l’Esprit saint. C’est
l’éclair qui jaillit dans les esprits, la foudre qui
écrase le mal, la rosée qui rafraîchit, l’eau pure
qui désaltère, et le miel qui nourrit et qui guérit
les plaies. En l’entendant, les foules sont convain­
cues d’écouter la parole du Verbe qui s’est fait chair
dans la Vierge Marie.
U ne langue à vénérer

C’est ce que vous avez bien compris, pèlerins qui


venez la vénérer dans son reliquaire de cristal et
d’argent. Si vous cherchez une prière à lui adresser,
récitez du fond du cœur cette belle exhortation d’un
autre Fils de saint François, le père Marie-Antoine,
missionnaire capucin: «Ô langue sainte! L’humilité
vous tenait dans le silence et l’obscurité, l’étude vous
a remplie de science, l’obéissance vous a ordonné
de parler. Vous avez éclairé l’hérétique et converti le
pécheur; vous vous êtes emparée des cœurs. Vous
êtes devenue un objet d’admiration pour les princes,
de terreur pour les tyrans, les délices des justes, la
consolation des affligés; vous avez enseigné à tous
les voies de la sainteté.
Ô langue sainte! Vous avez révélé le secret des
cœurs, vous avez prédit les choses futures; vous
vous êtes fait entendre à distance... Langue d’un
savant maître des choses divines, d’un interprète ins­
piré des saintes écritures, d’un docteur de la sainte
Église, d’un apôtre zélé, du plus glorieux thauma­
turge qui ait jamais été v u !... La mort a arrêté votre
mouvement, mais vous n ’en faites pas moins sentir
votre influence à tous ceux qui la vénèrent. Tant que
je vivrai, aidez-moi à ne me servir de ma langue que
pour louer le Seigneur! Que je puisse, comme vous,
ô saint Antoine, rendre le dernier soupir en pronon­
çant le très saint nom de mon Dieu ! Amen1. »

1. Père Marie-Antoine de Lavaur, op. cit., pp. 20-24.


Des sermons bien structurés

Revenons aux sermons de saint Antoine et à


leur structure. Ils se présentent sous forme de plan
non développé, où est d’abord annoncé le thème
abordé : une lecture du jour ou un article de foi, un
grand Mystère... Cette lecture est ensuite mise en
concordance avec un texte équivalent de l’Ancien
Testament, qui bien souvent, l’annonce. Dans un
premier temps de son exhortation, Antoine donne
une explication des mots clés, donc il précise les dif­
férentes étymologies (les «divisions»). Puis il passe
aux subdivisions où apparaissent les sens littéral, *
spirituel, moral et allégorique. Il y insère des allu­
sions aux Pères de l’Église, à Cicéron ou Aristote,
aux héros d’Homère ou de Virgile, à la nature, à la
vie de tous les jours, à l’actualité, à la fiction... En
guise d’épilogue, il invente une prière pour solliciter
du Seigneur les grâces que lui inspire le thème du
jour. De fait, il travaille à rappeler à son auditoire les
grandes vérités de la foi enseignées par l’Église et à
souligner les beautés et les avantages en tous ordres
(paix, joie, lum ière...). Autant de grâces que peut en
tirer le chrétien fidèle, contrairement à celui gagné
par l’hérésie (notamment, le catharisme) que l’en­
seignement d’un déterminisme paralysant conduit
au pessimisme et au désespoir. Celui qui refuse la
morale la plus élémentaire, inspirée par la loi natu­
relle, ne manque pas d’être touché en entendant fus­
tiger la corruption qu’entraînent l’appât du gain et
du pouvoir, la concupiscence, les mensonges de la
calomnie et les malheurs qu’ils causent aux victimes.
Des thèmes bien adaptés

Ces généralités étant posées, on va ensuite tenter


de retrouver quelques éléments dans le concret, à
partir du répertoire ainsi établi :
- Sermons sur les psaumes ;
- Sermons du commun des saints ;
- Sermons sur les temps ;
- Concordances morales de la Bible ;
- Exposition des mystères sur l’Écriture sainte;
- Hymne à la très sainte Vierge Marie.

Le soleil et les fleurs


Voici un premier exemple d’extrait de sermons
où saint Antoine fait des emprunts poétiques à la
nature, pour passer du sens figuratif des mots à leur
sens moral dans l’âme humaine :
«Le Fils de Dieu est le soleil des intelligences.
Le soleil nous éclaire, nous réchauffe, nous réjouit
le cœur. L’ardeur de ses rayons vient-elle, avec l’hi­
ver, à s’affaiblir? La sève des plantes suspend son
cours ; les arbres s’attristent et se dépouillent de leur
couronne de verdure; tout se glace, tout se meurt.
Mais, dès que le printemps nous envoie les chauds
effluves de ses brises et nous rend les belles clartés
du soleil, aussitôt tout reverdit dans la nature. La sève
circule avec abondance ; les arbres reprennent leur
feuillage, et bientôt, leurs rameaux se couvrent de
fleurs et de fruits.
Ainsi en est-il de l’ordre moral. Quand, par nos
révoltes, nous chassons de nos cœurs le soleil de jus­
tice, tout s’étiole en nous, tout dépérit, tout s’éteint.
Rentre-t-il en possession de nos cœurs? Tout renaît,
tout s’anime, tout s’épanouit dans l’opulence des
richesses célestes, les seules désirables parce qu’elles
sont les seules impérissables1. »
Entrons dans le domaine de la nature. Saint
Antoine trouve dans la fleur la beauté de la couleur,
la suavité du parfum et l’espérance du fruit. Et il
rebondit par autant d’analogies : dans l’humilité il y a
la beauté de la vertu, le parfum de la bonne opinion
qu’elle conquiert et la richesse des récompenses qui
l’attendent au ciel. Et il en vient, pour conclure, à
l’explication du mot Nazareth qui veut dire à la fois
«fleur» et «humilité2. »

D ’I saïe à Jésus
L’exemple qui va suivre nous introduit dans le
domaine des concordances entre l’Ancien Testament
et une invocation au Christ. Il cite d’abord les paroles
d’Isaïe :
«Lève-toi, lève-toi, revêts la force des bras du
Seigneur; lève-toi comme dans les jours antiques.»
Il enchaîne ainsi : «Ô Fils de Dieu, qui êtes le bras de
votre Père, levez-Vous de votre trône ; sortez du sein
de la gloire dont II vous inonde. Levez-Vous en pre­
nant notre chair; revêtez-Vous de la force de votre
divinité, afin de combattre le prince de ce monde,
et qu’un plus puissant que lui brise sa puissance.
Levez-Vous pour racheter l’humanité, comme dans
les jours antiques, vous avez délivré le peuple d’Is­
raël de la servitude d’Égypte... »

1. Saint Antoine de Padoue, Sermons sur les psaumes.


2. Saint Bernard de Clairvaux, Sermons du temps, - Premier dimanche après
l’Épiphanie».
Saint Antoine use encore du procédé de concor­
dances entre deux passages d’Isaïe et de l’Évangile :
Isaïe: «Descends et prosterne-toi dans la pous­
sière, fille de Babylone ! »;
Évangile: «Jésus descendit avec ses parents et II
vint à Nazareth, et II leur était soumis. «
Il commente :
«Qu’elle descende et qu’elle se prosterne dans
la poussière, la fille de Babylone, puisque le Fils de
Dieu est descendu. Cruel orgueil qui as conçu le des­
sein de monter plus haut que les nues, et d’élever
ton trône par-dessus les astres du ciel, pour s’asseoir
sur la montagne du Testament. Descends, je t’en
conjure, car Jésus est descendu... Que l’enflure de
la secrète estime des hommes baisse la tête, car celui
qui est la patience de Dieu descend. »
Après avoir souligné que Jésus a quitté le temple
où II siégeait au milieu des docteurs pour ajourner
jusqu’à l’âge de 33 ans l’œuvre qu’il avait commen­
cée à 12 ans, il commente les paroles suivantes:
«Et II leur était soumis. Que tout orgueil se fonde
comme la cire; que toute résistance se rende! que
toute désobéissance s’humilie, en entendant dire
que Jésus leur était soumis. »
Saint Antoine cite le prophète :
«Qui donc n’est pas soumis à Celui qui par sa seule
parole, a tiré l’univers du néant? À Celui qui, selon
l’expression d’Isaïe, a mesuré les eaux dans le creux
de sa main... qui soutient de trois doigts toute la
masse de la terre... Celui dont Job a dit : «qu’il ébranle
la terre et qu’il déplace son axe»... C’est Lui, ce grand
Dieu qui a fait des choses si prodigieuses, c’est Lui qui
leur était soumis. Et à qui était-Il soumis? À un ouvrier
et à une petite vierge. Ô Dieu, vous êtes le premier et
le dernier! Ô, roi des anges! Vous avez daigné vous
soumettre à des hommes! Désormais, que le philo­
sophe ne dédaigne pas d’obéir et de se soumettre au
pécheur, le savant à l’homme simple, le lettré à l’igno­
rant, et le fils du prince au dernier plébéien1. »

Des auteurs grecs au x Pères de l ’Église


Dans une autre circonstance, saint Antoine traite
de cette forme de l’orgueil qu’est l’ambition. Il prend
ses références, là encore, dans l’Ancien Testament,
mais aussi, chez les Pères de l’Église ou les auteurs
grecs. “Vous qui courez après les hautes dignités,
écrit saint Grégoire, vous travaillez à ruiner en vous
la grâce, à compromettre votre réputation et, peut-
être, à exposer votre vie car la chute est d’autant plus
grave qu’on tombe de plus haut... Ne cherchez donc
pas à vous asseoir au premier rang, car, plus tard,
vous serez condamnés à descendre au dernier, ce
qui vous couvrira de confusion. »
Aristote dit :
«Contente-toi de peu, de peur de tomber!»
On lit au Livre des Proverbes: «Celui qui élève
trop sa main en prépare la ruine... Pensez à la mort,
car celui qui se place devant ce souvenir, n’a pas
envie d’aspirer aux dignités. »
Ce qu’affirme autrement saint Jérôm e: «Celui-ci
méprisera facilement les choses de la terre, qui pense
souvent qu’il doit mourir! [Qu’il est] voyageur et étran­
ger sur cette terre; [s’il reste] assis au dernier rang,
alors on lui dira : “Mon ami, montez plus haut2”. »
1. Ibid., - Sermon dans l'octave de l’Épiphanie».
2. Ibid., - Sermon du 17e dimanche après la Trinité».
La Passion pour référence

On a vu ici plusieurs exem ples de moments où


est illustrée la technique oratoire de saint Antoine.
Les extraits suivants sont des plaidoyers ayant pour
base la Passion du Christ. Dans ce texte, interroga­
tions et exhortations se succèdent pour toucher les
auditeurs au plus profond de leur cœur. L’auteur
utilise une double énumération opposant, d’un
côté, les dons gratuits du Fils de Dieu et, de l’autre,
l’ingratitude des hommes qui en bénéficient, à com ­
m encer par Judas :
«Jésus fut livré par son disciple : “Que voulez-vous
me donner, et je vous le livrerai”. ..
Ô douleur! Il met à prix ce qui n’a pas de prix!
Ô Judas, tu vas vendre le Fils de ton Seigneur. “Que
me donnerez-vous?” Et que peuvent-ils te donner?
Quand ils te donneraient Jérusalem, la Galilée, la
Samarie, est-ce à ce prix qu’ils peuvent acheter
Jésus? Quand ils te donneraient le Ciel et ses anges,
la terre et l’humanité qu’elle porte, la mer et tout ce
qu’elle contient... est-ce qu’ils pourraient t’acheter le
Fils de D ieu?... Le Créateur peut-il être vendu par sa
créature? tu as donc oublié son humilité sans pareille
et la pauvreté dans laquelle II a voulu naître? Tu as
oublié sa bonté, sa prédication dont la douceur était
si pénétrante, et les miracles qu’il semait sur ses pas?
Où sont pour toi les larmes qu’il versa sur Jérusalem
et sur le tombeau de Lazare ? Quel cas fais-tu du pri­
vilège qu’il te conféra en te choisissant pour apôtre?
En t’admettant dans sa familiarité?... Tous ces souve­
nirs, et bien d’autres, auraient dû toucher ton cœur,
te disposer à la pitié, et t’empêcher de prononcer
ces affreuses paroles : “Que me donnerez-vous? Et je
vous le livrerai1.” »
Chaque auditeur et même chacun de nous, après
avoir entendu des paroles aussi fortes, ne se sent-
il pas concerné? Ne regrette-t-il pas d’avoir trahi,
offensé un Dieu si bon?
Et les paroles que l’orateur met dans la bouche de
Jésus ont une intensité émotive aussi forte :
«■Mes disciples sont en fuite; mes amis m’aban­
donnent; Pierre me renie; la synagogue me cou­
ronne d’épines ; les soldats me crucifient ; les Juifs
m’insultent, ils blasphèment même mon nom ; ils
m’abreuvent de fie l... Vit-on jamais douleur compa­
rable à la mienne?»
Saint Antoine va passer à une dernière suite d’énu­
mérations, tout aussi bouleversantes :
«Ses mains «faites au tour», comme dit le cantique,
ses mains belles comme l’o r ... sont percées de clous ;
ses pieds, sous lesquels la mer se solidifiait, sont atta­
chés à la croix par un fer cruel ; son visage, autrefois
brillant comme le soleil à son midi, est couvert de la
pâleur de la mort; ses yeux, d’où l’amour rayonnait,
sont ferm és... Et, au milieu de son angoisse, il ne Lui
reste pour refuge que le sein de son Père, à qui il dit :
«Je remets mon âme entre vos mains ! »

Autour du pain

Dans son «Sermon sur la Cène», saint Antoine


donne les quatre sens que peut avoir le mot pain :
- le pain matériel qui nourrit le corps ;

1. Ibid., «Sermon du Vendredi saint», p. 106.


- le pain intellectuel qui est la doctrine qui donne
la sagesse ;
- le pain eucharistique, nourriture de l’âme ;
- le pain de gloire de la vision béatifique en
paradis.
Il passe rapidement sur les deux premiers sens.
En revanche, il insiste sur les deux autres :
En parlant du pain eucharistique, il cite les paroles
de Jésus: «Ceci est mon Corps». Ce Corps qui a été
conçu par la vertu du Saint-Esprit... formé dans un ins­
tant. .. né de la Vierge Marie... cruellement flagellé...
élevé en croix, transpercé d’une lance... » Pour inviter
son auditoire à méditer sur la Passion, il cite saint Ber­
nard : «Contemplez, âme fidèle, la face de votre Christ,
et vous verrez ses épaules déchirées, son côté ouvert,
sa tête blessée par les épines, ses mains percées et ses
pieds troués... C’est là, le pain eucharistique», conclut
saint Antoine. Même si on peut déplorer l’absence,
dans ce même texte, de référence au même Fils de
Dieu ressuscité, vivant et glorieux (on en trouve quan­
tité ailleurs), on ne peut que se laisser toucher par les
souffrances que Jésus a endurées pour nous racheter.
Quant au «pain de gloire», c ’est celui dont sera
nourri notre corps après sa résurrection ; c ’est le bon­
heur sans limite et sans fin qui est, selon saint Augus­
tin, la jouissance simultanée de tous les biens. L’auteur
cite ensuite saint Bernard: «Là, le jour n’a pas de nuit,
la vie n’a pas de mort, le plaisir est sans tristesse, la
tranquillité sans travail, et la sécurité, sans crainte ; la
beauté est sans difformité, la force, sans faiblesse, la
vertu, sans défaut, la vérité, sans tromperie, la cha­
rité, sans malice, et la félicité, sans m isère... » Et il ter­
mine par une prière : «Puisse-t-Il nous conduire à cette
félicité, Jésus notre Sauveur, qui, pour nous racheter, a
daigné se revêtir de la chair, souffrir la mort, et triom­
pher avec les morts, Lui qui, avec le Père et le Saint-
Esprit, règne dans les siècles immortels. Amen1.»
Du déluge à l ’olivier
Dans ce même «Sermon sur la Cène », saint Antoine
rappelle à ses auditeurs la nécessité de préparer le
temps de Pâques par une démarche de pénitence.
Il lance son argumentation à partir du déluge :
«Le matin, Noé renvoya la colombe de l’arche;
mais le soir, la colombe revint, portant à son bec un
rameau d’olivier couvert de feuilles verdoyantes.
La colombe qui ne chante pas mais qui gémit,
c ’est l’âme qui [pleure] au souvenir de ses péchés.
Le matin, c ’est-à-dire au commencement du Carême,
elle est chassée de l’arche, qui est l’Église, dans
laquelle il n’y a que des élus. Le soir, c ’est-à-dire à
la fin du Carême, elle revient et elle est admise dans
l’Église avec le rameau d’olivier, symbole des actions
de grâce qu’elle rend à Dieu pour l’indulgence
qu’elle en a obtenue. C’est de cet olivier que parle
Jérém ie quand il dit: «Le Seigneur rendra ton nom
semblable à un olivier fécond, bien taillé, qui flatte
l’œil et enrichit son maître2. »

Quand l ’âme fa it son miel

On terminera ces extraits de sermons de saint


Antoine par cette belle évocation du travail des
abeilles faisant office de conseil aux chrétiens pour
leur formation intellectuelle et spirituelle :

1. Ibid., “Sermon sur la Cène».


2. Idem .
«Les abeilles recueillent le pollen dans le calice
des fleurs avec les pattes de devant; ensuite, elles
le placent entre leurs pattes intermédiaires et celles
de l’extrémité de leur corps. Ainsi chargées de leur
précieux trésor, elles volent dans l’air... » L’âme péni­
tente est comme l’abeille. Elle a six pieds : les pieds
de devant sont l’amour de Dieu et du prochain ; les
pieds du milieu sont le jeûne et la prière ; les pieds
de derrière sont la patience et la persévérance.
Les fleurs sur lesquelles l’âme se repose, ce sont
les exemples des saints Pères d’où elle doit extraire
sa cire, c ’est-à-dire la pureté de l’âme et du corps,
pour les porter ensuite à la ruche de sa conscien ce...
L’œuvre du juste est la douceur du m iel... la pureté
de [l’intention], l’honnêteté de la conduite, le parfum
de la renommée et les joies ineffables qu’on goûte
dans la contemplation des choses divines. »
Suivent alors de sages conseils pratiques : Ô vous
qui obéissez au démon de la curiosité et dont l’acti­
vité s’éparpille sur mille objets à la fois, allez [...]
à l’école de l’abeille, et apprenez-y la sagesse.
L’abeille ne visite pas plusieurs fleurs au même ins­
tant. À son exem ple, ne voltigez pas sur les fleurs
de toutes les opinions qui circulent, ne lisez pas
tous les livres qui vous tombent sous la main, ne
laissez pas cette fleur pour courir après une autre,
comme font les désœuvrés fatigués de tout, qui [...]
en prenant beaucoup de peine, n’arrivent jamais à
la science solide. Prenez dans un livre ce qu’il vous
faut et emportez-le dans la ruche de votre mémoire.
Aristote dit qu’un arbuste trop souvent transplanté
n’est jamais vigoureux1. »

1. Ibid., «Onzième dimanche après la Trinité».


Vers le vrai bonheur
Peut-on déduire une définition de l’art oratoire
de saint Antoine de Padoue et un énoncé de son
message à partir de ces quelques extraits de textes?
Il convient d’abord de replacer le prédicateur dans
le contexte de son époque. Dans cette société de
la première moitié du xme siècle, gangrenée par le
catharisme et par le pessimisme paralysant qu’il
génère, il est venu apporter un rayon de lumière à
tous ceux qui en subissaient les méfaits. Un rayon
de lumière qui s’est élargi au fur et à mesure qu’il
pénétrait dans les régions où il sévissait, du Midi de
la France et d’une partie de la péninsule italienne.
À toutes ces populations terrifiées par la peur de
voir leurs chances de salut définitivement per­
dues par le péché, il a redonné la confiance en un
Dieu toujours prêt à les pardonner, qui se donne
lui-même en nourriture pour les fortifier... Il leur
a fait comprendre que le baptême dans le Christ
fait de tous les hommes des enfants de Dieu et que
l’écoute de sa Parole sème la justice et la charité.
S’il dénonçait les malheurs que suscitent l’orgueil,
l’avarice, l’exploitation des plus faibles pour la
basse fin du profit, de l’infidélité, de la perversion
des mœurs, ce n’était pas pour verser dans le mora­
lisme, mais pour attirer tous ceux qui l’écoutaient
vers le véritable bonheur, sur terre et dans l’autre
vie, que donnent les vraies valeurs de l’Évangile.
Et il les invitait à imiter sa confiance en la Vierge
Immaculée, leur mère du ciel, pour recevoir son
Fils de ses bras.
Si les sermons de saint Antoine ont changé le
cœ ur de ses contemporains, même si quelques-uns
de ses thèmes peuvent sembler spécifiques à une
époque donnée, il n’en reste pas moins vrai que
les valeurs qu ’il défendait sont toujours aussi fortes
et aussi adaptées à toutes les bonnes volontés qui
cherchent le vrai bonheur que seul le Christ peut
leur apporter.
Com m ent prier saint
Antoine ?

Depuis sa mort, saint Antoine ne cesse de nous


aider, en récompensant nos prières sincères et
confiantes par des grâces corporelles, matérielles
et spirituelles, dont certaines ont donné lieu à des
dévotions populaires toujours actuelles.

Le «Bref» de saint Antoine

Au Portugal - très exactement à Santarém - vivait


au temps du roi Denis (1261-1325) une femme tour­
mentée par une grave dépression nerveuse. Son état
morbide était entretenu par une vision. Elle voyait
régulièrement un personnage ayant les apparences
de Jésus crucifié qui lui disait : «Tu as commis tant de
péchés qu’un seul moyen te reste pour que je te par­
donne : aller te noyer dans le Tage par amour pour
moi. » Or, cette femme était prête à tout pour obtenir
ce pardon du Seigneur dont elle s’estimait indigne.
Mais la simple idée du suicide l’épouvantait. Et, pour
ne pas arranger les choses, son mari la traitait de
possédée. Un jour où la désolation l’avait poussée à
passer à l’acte, elle avait pris le chemin du fleuve. Sur
son passage se trouvait une chapelle dédiée à saint
Antoine. Ayant, depuis son enfance, une grande
dévotion pour lui, elle entra et alla s’agenouiller au
pied de sa statue. Elle se mit à somnoler et vit, dans
son demi-sommeil, saint Antoine lui disant: «Lève-
toi et prends ce papier. Il te délivrera de la tentation
du démon. » Elle se réveilla avec le sentiment d’avoir
fait un songe. Mais, à l’évidence, saint Antoine avait
bien dû intervenir à sa manière : autour de son cou
était suspendu un petit parchemin sur lequel était
écrit en lettres d’or :
Voici la Croix du Seigneur.
Fuyez, puissances ennemies.
Il est vainqueur, le lion de la tribu de Juda,
Le rejeton de David.
Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !
Dès cet instant, elle se sentit apaisée et ne fut plus
jamais tourmentée par des idées suicidaires. La nou­
velle de cette délivrance se répandit aussitôt à Santa-
rém. En l’apprenant, le roi du Portugal se fit donner
le billet par le mari de la miraculée, et le fit insérer
dans un reliquaire qu’il déposa dans son trésor.
Mais la pauvre femme regrettait d’en avoir été
dépossédée, car de nouvelles tentations de déses­
poir l’avaient assaillie. Son mari alla trouver le roi
pour lui demander de le laisser recopier par les
frères mineurs du couvent de la ville. La malade
reçut cette copie et fut définitivement délivrée de
ses troubles.
Le «Croix Bref» ou exorcisme de saint Antoine

Les frères mineurs, ayant constaté que la copie


avait les mêmes effets que l’original, se mirent à dif­
fuser cette pratique au Portugal et, de là en Espagne,
en Italie, puis en Europe et dans le monde entier.
Ces reproductions étaient réalisées, à l’origine, sur
simple papier. Actuellement, elles se présentent sous
la forme d’une croix de métal. Elles sont considé­
rées par l’ordre comme des mini-exorcismes contre
l’influence du démon, particulièrement en cas de
tristesse ou de dépression.
Le «Si quaeris »

Cette prière est ainsi appelée en raison des


deux premiers mots en latin: «si quaeris» qui la
composent. Elle fut com posée entre 1232 et 1240
par un franciscain contemporain de saint Antoine,
Julien de Spire. Saint Bonaventure, considéré par
certains comme son auteur, a eu le mérite de la dif­
fuser abondamment. Voici cette prière: «Vous sou­
haitez des miracles? La mort, l’erreur, les calamités,
la lèpre, le démon, prennent la fuite. Les malades
retrouvent la santé. La mer obéit. Les chaînes des
captifs se brisent. Ceux qui demandent l’usage
des membres et des choses perdues l’obtiennent.
Les dangers disparaissent...
Priez pour nous, saint Antoine, afin que nous
devenions dignes des promesses de Jésus-Christ1. -

1. R.P. A,T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 418. Liturgie franciscaine du


xine siècle. Répons du 3e nocturne.
Prière pour obtenir une grâce

«Ô grand saint Antoine! Vous dont le cœur est


plein de bonté et qui avez reçu de Dieu le pouvoir
de faire retrouver les choses perdues, secourez-moi
en ce moment, afin que, par votre assistance, j’ob­
tienne la grâce que je demande [...] et que je puisse
ainsi glorifier de plus en plus le Seigneur qui opère,
par vous, de si grandes merveilles. Amen1. »

La neuvaine antonienne

Il s’agit ici d’invoquer saint Antoine pendant neuf


mardis consécutifs. Pourquoi le choix du mardi?
Parce que c ’est le jour de son inhumation, le qua­
trième jour après sa mort. La coutume d’aller le prier
sur sa tombe tous les mardis s’est instaurée très tôt
à Padoue. Les grâces demandées étaient particuliè­
rement accordées ce jour-là. Un événement particu­
lier allait encore accroître cette pratique. En 1717,
une dame de Bologne vit saint Antoine en rêve, une
nuit parmi tant d’autres où elle le priait, en vain, de
lui obtenir une grâce. Elle entendit au fond de son
cœur une voix qui lui disait: «Visitez pendant neuf
mardis mon image dans l’église des franciscains
et vous serez exaucée». Elle pria. Elle fut exaucée.
La dévotion des neuf mardis se propagea non seule­
ment devant la statue du saint à Bologne, mais dans
toutes les églises où il était vénéré, et même dans
tous les lieux publics ou privés où se trouvait une de

1. Père Marie-Antoine de Lavaur, op. cit., p. 73.


ses représentations. Cette pratique consiste à médi­
ter chaque jour une de ses vertus et à réciter ensuite
le «Si quaeris1». Elle peut s’étendre à treize mardis en
cas de non exaucement. Elle peut aussi se commuer
en neuf ou treize jours successifs.

Les treize gloires de saint Antoine

Cette pratique de dévotion consiste à prier saint


Antoine pendant les treize jours qui précèdent sa
fête, du 1er au 13 juin inclus.

Premier jo u r

Glorieux saint Antoine, vous qui êtes né sous la


protection de Marie et lui avez consacré votre virgi­
nité, vous qui avez mis le démon en fuite par la vertu
du signe de la croix que votre doigt a imprimé dans
la marche, obtenez-nous une tendre dévotion à cette
bonne mère et la force de triompher de toutes les
attaques du démon. Pater, Ave.

Deuxième jo u r

Glorieux saint Antoine, vous qui, pour fuir les


dangers et les séductions du monde, dédaignant la
noblesse et les richesses, êtes entré chez les Cha­
noines réguliers de Saint-Augustin, obtenez-nous un
véritable mépris pour le monde. Pater, Ave.

1. R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, op. cit., p. 4 1 9 ; père Marie-Antoine de


Lavaur, op. cit., p. 60-61.
Troisième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, embrasé du désir
de souffrir le martyre, êtes entré chez le séraphique
saint François, obtenez-nous l’esprit de pénitence et
de mortification. Pater, Ave.

Quatrième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, guidé par un
sentiment de profonde humilité, mettiez tout votre
soin à vous cacher aux yeux du monde, quand Dieu
vous manifesta en un instant comme une arche de
science et de sainteté, obtenez-nous de pratiquer
cette belle vertu. Pater, Ave.

Cinquième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, choisi par Dieu
pour répandre sa Parole, avez reçu de Lui le don
des langues et la grâce des miracles les plus éton­
nants, obtenez-nous d’écouter avec fruit cette divine
parole. Pater, Ave.

Sixième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, par votre ardent
amour de Dieu, avez mérité de recevoir entre vos bras
le divin Enfant Jésus, obtenez-nous de le recevoir dans
son sacrement de tout notre cœur. Pater, Ave.

Septième jo u r

Glorieux saint Antoine, vous qui, pour confondre


les hérétiques, avez prouvé la présence réelle de
Jésus dans l’Eucharistie en faisant prosterner à ses
pieds un simple animal, obtenez-nous de l’adorer
avec une foi vive dans ce divin sacrement. Pater,
Ave.

Huitième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, sur le refus des
hommes de venir entendre la Parole sainte, avez, à
leur grande honte, appelé les poissons de la mer pour
la leur prêcher, obtenez-nous la parfaite soumission
de notre intelligence aux vérités divines. Pater, Ave.

Neuvième jo u r

Glorieux saint Antoine, vous qui obtenez à ceux


qui vous invoquent la délivrance des dangers, des
souffrances, de la maladie et même de la mort, obte­
nez-nous d’être délivrés des maux de l’âme et du
corps, et surtout, de la mort éternelle.

D ixièm e jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, comme pro­
tecteur de l’innocence, avez fait parler un enfant de
quelques jours pour sauver l’honneur de sa mère,
obtenez-nous d’être forts au milieu des persécutions
du monde et aidez-nous à conserver intacte la pureté
de notre âme. Pater, Ave.

Onzième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui avez travaillé
à rétablir la paix dans les familles, les cités et les
clans rivaux, obtenez-nous de pardonner du fond
du cœ ur toutes les injures et d’aimer nos ennemis.
Pater, Ave.
D ouzièm e jo u r

Glorieux saint Antoine, vous qui, pas vos prières,


votre zèle et votre sagesse toute céleste, avez converti
des milliers d’hérétiques et des pécheurs endurcis,
obtenez-nous de nous convertir entièrement et de
ne jamais cesser d’aimer Dieu. Pater, Ave.

Treizième jo u r
Glorieux saint Antoine, vous qui, à l’imitation du
Rédempteur, avez consumé votre vie au salut des
âmes, obtenez-nous de mériter, à la fin de nos jours,
de voir Jésus et Marie comme vous les avez vus en
rendant le dernier soupir, et de chanter avec vous
dans le ciel, leur éternelle louange. Pater, Ave1.

Prière efficace

«Ô saint Antoine, puissant intercesseur, par toutes


ces grâces que le Seigneur vous a faites, je vous
supplie de prendre un soin paternel de mon âme,
de mon corps, de mes affaires et de ma vie tout
entière... Recommandez mes besoins et présentez
mes misères au Père des miséricordes, au Dieu de
toutes les consolations, afin que, par vos mérites,
Il daigne me fortifier dans son service, me consoler
dans mes peines, me délivrer de mes maux, ou tout
au moins me donner la force de les supporter2. »

1. Père Marie-Antoine de Lavaur, op. cit., p. 74-77.


2. Ibid., p. 70.
Pour retrouver les choses perdues

«Ô parfait imitateur de Jésus-Christ, qui avez reçu


le privilège spécial de faire trouver les choses per­
dues, je vous supplie de me faire retrouver... Obte-
nez-moi, du moins, le repos de mon esprit et la paix
de ma conscience dont la privation m’afflige plus
sensiblement que la perte de toutes les choses du
m onde... Aidez-moi à me tenir ferme dans la pos­
session de ces biens intérieurs et cachés, en sorte
qu’aucune force ennemie ne me les enlève ni ne me
sépare de mon Dieu. Amen1. »

Le Pain des Pauvres

À Toulon, mademoiselle Louise Bouffier tenait


une boutique de lingerie rue Lafayette. Écoutons
son témoignage: «Un matin, je ne pus ouvrir mon
magasin. La serrure à secret se trouvait cassée. J ’en­
voyai chercher un serrurier. Son ouvrier arriva avec
un grand paquet de clés et travailla environ pendant
une heure. À bout de patience, il me dit: “Je vais
chercher des outils pour enfoncer la porte; il est
impossible de l’ouvrir autrement.”
Pendant son absence, inspirée par le Seigneur, je
me dis : “Si tu promettais un peu de pain à saint Antoine
pour les pauvres, peut-être te ferait-il ouvrir la porte
sans la briser.” À ce moment, l’ouvrier revint avec un
compagnon. Je leur dis: “Messieurs, accordez-moi, je
vous prie, une faveur. Je viens de promettre du pain
à saint Antoine de Padoue pour les pauvres. Au lieu

1. Ibid., p. 70-71.
d’enfoncer la porte, veuillez essayer encore une fois
de l’ouvrir. Peut-être viendra-t-il à notre secours?”
Ils acceptèrent. Et la première clé qu’ils introdui­
sirent ouvrit la porte, sans la moindre résistance.
L’étonnement était général. «À partir de ce jour,
précise la lingère, toutes mes amies prièrent saint
Antoine avec moi et nous lui communiquâmes toutes
nos peines, avec promesse de pain pour les pauvres
s’il nous exauçait.
L’une de ces amies avait promis d’offrir un kilo de
pain pour les pauvres de saint Antoine s’il délivrait,
à sa prière, un des membres de sa famille qui n’arrê­
tait pas de pousser des gémissements. La grâce lui fut
accordée. En reconnaissance, elle acheta une petite
statue de saint Antoine et l’offrit à mademoiselle Bouf-
fier qui l’installa dans son arrière-boutique. Depuis ce
jour, ce lieu est devenu un oratoire très fréquenté. Et
tous ceux qui avaient été exaucés en priant à ses pieds
firent le don promis d’un kilo de pain par jour: c ’est
ainsi qu’est née l’œuvre du "Pain de saint Antoine».
Pour donner une idée de l’ampleur des dons - réa­
lisés uniquement après l’exaucement dans un tronc
placé devant la statue - , la lingère a précisé, dans
une lettre au père Marie-Antoine, que les dons du
mois d’octobre 1892 avaient permis d’acheter et de
distribuer 1300 kg de pain pour les pauvres. Et elle
a rajouté: «Nous recevons chaque jour des mandats
poste avec quelques mots de remerciement de Lyon,
de Valence, de Grenoble, de Montpellier, de Nice, de
Grasse, de Marseille, de Hyères et de mille endroits... »
Mademoiselle Bouffier a aussi expliqué au père
Marie-Antoine que le pain acheté avec les fonds reçus
était régulièrement distribué dans les communautés
religieuses, les orphelinats de toute la région ou
chez les Petites sœurs des pauvres, à raison de 50,
80 voire 100 kg de pain par envoi1. ..
Même si le Pain des Pauvres ne s’est pas maintenu
dans la région ou le pays que l’on habite, on peut tou­
jours promettre de donner une certaine somme à une
association caritative en cas d’exaucement.

L e M essager de saint A ntoine

Il s’agit d’une revue fondée en 1895, ayant pour


but de transmettre à ses abonnés les nouvelles, de
signaler les grâces obtenues, les lieux de prières et
les temps forts de grands centres franciscains, et de
maintenir l’esprit du Poverello en nos contempo­
rains. Édité à Padoue en plusieurs langues, elle est
diffusée dans le monde entier.

Sur les pas de saint Antoine

Alors que peut bien nous suggérer saint Antoine


pour nous aider à le suivre sur le chemin qui nous
conduira vers le vrai bonheur sur cette terre et à
l’éternelle joie dans l’autre monde?

Dans les bras de Marie


Il avait conservé depuis ses premières années une
âme d’enfant, persuadé de pouvoir tout obtenir de la

1. Ce récit sur le pain des pauvres est tiré de l’ouvrage du père Marie-
Antoine de Lavaur (pp. 39-43) qui cite cette lettre reçue de M ademoiselle
Bouffier, datée du 15 novem bre 1892.
Mère de Dieu, qui est aussi notre Mère à tous. C’est
Marie qu’il invoquait, particulièrement dans les Mys­
tères de l’Immaculée-Conception et de l’Assomp­
tion1, pour le délivrer des attaques du démon (dans
la cathédrale de Lisbonne et à plusieurs reprises
dans sa cellule). C’est elle qu’il priait plusieurs fois
par jour. C’est elle qu’il a implorée au moment de sa
mort et qu’il a vue venir au-devant de lui, avec son
Fils, pour le conduire au paradis.
Prions donc Marie, dès notre enfance et jusqu’à
nos derniers jours, de nous assister dans tous les
moments difficiles de notre vie. Confions-lui aussi
toutes nos actions quotidiennes, en union avec la
Sainte Famille de Nazareth dont elle était le pivot.

Une âm e d ’enfant

Prions encore Marie de nous aider à acquérir ces


vertus de l’enfance que sont la confiance et l’humilité,
qui nous rendent conscients de nos limites et de nos
faiblesses, et l’obéissance qui nous invite à vivre en
conformité avec l’Évangile. Imitons saint Antoine qui,
bien que doté d’une solide culture religieuse, avait
voulu rester le dernier de tous dans son ermitage de
Monte-Paolo mais, pour obéir à ses supérieurs, avait
pris la parole pour évangéliser les foules. Veillons,
pour nous-mêmes et ceux qui nous sont confiés, à
conserver cette pureté de l’âme et du cœur que saint
Antoine a toujours gardée et recommandée. Son atta­
chement à la pureté de l’enfance a donné lieu aux
nombreuses représentations qu’en ont fait les artistes,
avec son lys immaculé dans la main.

1. Alors qu ’ils n ’étaient pas encore érigés en dogmes.


Le sens des vraies valeurs
Travaillons, comme l’a fait saint Antoine, à louer
ces valeurs authentiques que sont l’amour entre un
homme et une femme, la fidélité dans le mariage
(pensons au bébé qui s’est mis à parler pour inno­
center sa mère accusée à tort par son mari) ; il préco­
nisait aussi la décence, le respect de soi-même et de
l’autre. En même temps, il dénonçait tous ces vices qui
détruisent la famille, notamment l’infidélité, l’ivrogne­
rie et la brutalité, souvent hélas intimement liées. Mais
s’il condamnait fermement leurs actes, il invitait les
fautifs à un sincère repentir, au besoin par un nouveau
miracle. Souvenons-nous de la femme dont la touffe
de cheveux, arrachée par le mari, avait spontanément
repoussé, conduisant le même mari à regretter sa
conduite et à devenir particulièrement doux et aimant.

Lire et transmettre la p a ro le
Saint Antoine avait une parfaite connaissance
de la sainte Écriture et de la doctrine chrétienne,
comme le suggèrent les nombreuses images où il est
représenté avec un livre ouvert à la main. Devenu
fils du Poverello, il a consacré tout son temps à en
transmettre les grandeurs et les beautés aux foules
innombrables. À commencer par l’amour et les
grâces inépuisables que l’Église nous invite à puiser
dans les plaies de Jésus, particulièrement dans celle
de son cœur, percé pour nous les communiquer
en abondance.
Comme saint Antoine, exerçons-nous à lire et
à écouter la Parole de Dieu. À bien la vivre pour
notre propre sanctification, pour les effets attractifs
de l’exemple, et enfin pour la porter aux autres. Tra­
vaillons à faire connaître et aimer Celui qui est la Voie,
la Vérité, la Vie. Veillons, en catéchisant les jeunes, à
leur enseigner les fondamentaux de la foi dont bon
nombre des dernières générations ont été malheureu­
sement privées.

Prier et contem pler


Saint Antoine nous donne l’exemple d’un moine
toujours fidèle à ses oraisons, dans sa cellule, aux
offices «des heures», avec ses confrères... partout où il
se trouvait. On se souvient du miracle de la bilocation
à Montpellier, le jour où il prêchait dans une église au
moment même où il devait entonner une hymne dans
la chapelle du couvent où il était hébergé.
Pensons à nous réserver, chaque jour, quelques
instants de prière pour nous soutenir dans nos pen­
sées, nos actions et nos paroles. Habituons-nous
à entrer dans l’intimité de Jésus, à l’image de saint
Antoine qui était parvenu au point d’être gratifié de
cette vision nocturne à Châteauneuf, dont l’iconogra­
phie a immortalisé le souvenir. Sachons aussi, à son
exemple, nous ménager quelques jours de retraite
pour nous ressourcer en Dieu.

Retrouver le bon chem in


Prions saint Antoine de faire retrouver à l’Église
son rôle de référence morale et spirituelle qu’elle
a exercé pendant des siècles, particulièrement en
Europe, et peut-être plus encore en France. Prions-le
de faire retrouver la paix aux nations et aux familles
qui sont les cellules de base de toute société. Prions-le,
au nom de son intimité avec Jésus et Marie, de nous
envoyer de «bons pasteurs» pour ramener les brebis
au bercail et leur distribuer le Pain de Vie et la Parole
de Vérité qui les sauvera de tous les dangers. Parce
que le Fils de Dieu fait homme est la seule voie qui
puisse nous apporter le vrai bonheur.

Et toujours espérer
Et pourquoi pas ne pas le prier pour lui demander
un miracle? Car s’il n’a pas cessé d’en réaliser tout
au long de sa vie, il continue depuis sa mort à porter
nos prières auprès du Seigneur en les imprégnant de
ses mérites. J ’en donnerai un seul témoignage - un
parmi une longue série - , particulièrement touchant.
Un malheureux capucin se désolait d’avoir perdu
un grain de son chapelet, auquel il était très attaché.
Il le cherchait partout dans le jardin où il avait l’habi­
tude de prier. En désespoir de cause, il s’assit sur un
vieux banc de pierre pour se reposer, et supplia saint
Antoine de le lui faire retrouver. Quelques instants
plus tard, il vit s’approcher de lui une fourmi qui
avait toutes les peines du monde à charrier un objet
bien encombrant pour elle, et qu’elle vint déposer à
ses pieds : c ’était le grain de son chapelet1.
Si saint Antoine a pu aider un moine à retrouver
un simple grain de chapelet, comment douter de
l’efficacité de son intercession dès lors que l’on sait
le prier avec un cœur d’enfant?
Restons bien persuadés qu’avec saint Antoine, qui
cherche trouve.

1. Mgr Antoine Ricard, op. cit., pp. 350-351.


Adresses utiles

Éditions franciscaines
8 Rue Marie Rose, 75014 Paris
Tél. : 01 45 40 73 51
Le M essager d e s a in t A n toin e
Couvent Saint-Antoine
2 boulevard Pierre Renaudet
65000 Tarbes
Tél. 05 62 36 56 32

Le Pain des Pauvres


L’Ermitage Saint-Antoine
250 Route de l’Ermitage, Lac-Bouchette,
G0W 1V0 CANADA

Oblates du Cœur de Jésus


1 rue Gerbert, 75015 Paris
Tél. 01 45 33 77 03
8 place Louise Thérèse Montaignac
03100 Montluçon
Tél. 04 70 28 03 03
Sanctuaire Saint-Antoine des Hauts-Buttés
08800 Monthermé
Tél. Sœurs franciscaines : 04 24 53 02 74
Tel. Paroisse : 04 24 53 02 71

Accueil vente d’objets de piété et renseignements


pour les dates de pèlerinage :
Grotte de Saint-Antoine
41 rue Michelet,
19100 Brive-la-Gaillarde
Tél. 05 55 24 10 60

Chapelle Saint-Antoine
Boulevard Gambetta
13780 Cuges-les-Pins
Tél. 04 42 73 80 24
Bibliographie

Mgr Antoine Ricard, Saint A n toin e d e P ad ou e, le


g r a n d th au m atu rg e d e l ’h eu re présen te, Victor
Rétaux éditeur, Paris, 1895.
Léon de Clary, L ’a u r éo le sérap h iqu e. Vie d es sain ts
et des b ie n h eu reu x d es trois o rd res d e sa in t F r a n ­
çois, tome II, Bloud et Barrai, Paris, 1872.
Antoine du Lys, H istoire d e sain t A n toin e d e P ad ou e,
sa vie, son culte, imprimerie franciscaine mission­
naire, Vannes, 1899.
Promoteur de la Société saint Antoine, N ouvelle vie
du th au m atu rg e sain t A n toin e d e P ad ou e, Éd.
Antoniennes, Padoue, 1895.
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Saint A ntoin e d e P adou e, Aubanel, Avignon, 1927.
Père Marie-Antoine de Lavaur, Les g r a n d es gloires
d e sa in t A n toin e d e P adou e, H. Oudin, Poitiers,
1893; Éditions du Pech, Paris, 2016.
Comtesse A. de Chabannes, Vie m erveilleuse d e sain t
A ntoin e d e P ad ou e, Paillard, Abbeville, 1894.
Père Ernest-Marie de Beaulieu, «Les sanctuaires de
saint Antoine de Padoue» in : Le Messager de saint
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R.P. A.T., prêtre du Sacré-Cœur, H istoire d e sain t
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Père Léopold de Chérancé, Saint A n toin e d e P ad ou e,
Éd. Poussielgue, Paris, 1933.
Michel Dubost, Théo. N ouvelle en cy clo p éd ie c a th o ­
lique, Droguet-Ardant/Faillard, Paris, 1989-
Julien de Spire, L eg en d a P rim a, Éd. Messaggero,
Padoue, 1985.
Albert Lepitre, Saint A n toin e d e P ad ou e, Victor
Lecoffre, Paris, 1901.
Les petits Bollandistes, vie des saints, Bloud et Barrai,
Paris, 1876.
Rem erciem ents

Je remercie du fond du cœur le père Éric Bidot,


provincial des capucins de France, pour la rédaction
de la préface à cet ouvrage, et mes petits-enfants
Pierre-Emmanuel et Jeanne-Marie qui ont tapé mon
manuscrit et m’ont patiemment apporté conseils et
corrections.
Table

Préface ......................................................................... 9

I. Un palais à l’ombre de la maison de Dieu....... 13


II. Un appel à décrypter........................................... 23
III. Sur la crête des vagues....................................... 47
IV. Premières m oissons............................................ 67
V. La mule, les poissons et les grenouilles.......... 87
VI. Du Velay au Limousin......................................... 111
VII. Antoine parle, Dieu entérine........................... 137
VIII. L’envol vers le ciel............................................ 167
XIX. Une sépulture qui pose problème................ 181
X. Une parole qui p o rte........................................... 205
XI. Comment prier saint Antoine?......................... 223

Adresses u tiles........................................................... 239


Bibliographie............................................................... 241
Remerciements........................................................... 243

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